b) Système de polarisation et d'exploitation
Comme il est le cas dans les autres pays occidentaux, le
système et le régime économique en vigueur
en Haïti sont ceux du capitalisme libéral.
Contrairement à ses homologues occidentaux, il n'a pas été
introduit en Haïti de profondes réformes dans les structures
du système capitaliste mis en place au XIXème siècle.
De par son passé de colonie d'exploitation et ce, jusqu'à la
période récente Haïti a développé une
économie agraire basé sur les exportations de matières
premières donc de l'exploitation minière. Tout au long du XIXe et
XXe siècle, les différents gouvernements qui se sont
succédés au pouvoir ont poursuivi le même modèle
économique basé sur le commerce extérieur en exportant des
produits tels le café, le cacao, le sisal, le bois, pendant que la
grande majorité s'intéressait beaucoup plus aux cultures
vivrières. De 1860 à 1890 les exportations du café par
exemple sont passées de 60 à
79 millions de livres. A partir des années 1970 les
industries d'assemblage et les manufactures ont pris une place significative
dans l'économie du pays.
Les structures ont peu évolué et n'ont pas non
plus subi de véritables modifications. Le système mis en place,
basé sur l'exploitation et des rapports de production
défavorable aux paysans, a profité à une oligarchie
détenant les rênes du pouvoir politique et ayant de
rapports privilégiés avec le capital étranger qu'elle
entendait faire fructifier. Ainsi seules les grandes plantations, dont la
production est orientée vers l'extérieur, ont pu
bénéficier des investissements et de la protection des pouvoirs
publics.
La paysannerie, livrée à elle-même, est
restée bloquée et incapable de se moderniser. Dans l'ensemble
« ces structures ont abouti à un régime de
libéralisme intégral à la faveur duquel la population
rurale et
les catégories urbaines défavorisées sont
soumises à une exploitation impitoyable par les oligarchies
économiques, financières et administratives ». Parmi les
conséquences du maintien de ce système, on assistera à
l'éclatement d'une crise agraire qui perdure encore.
c) Traits prédominants de l'économie
haïtienne
Õ i) Eléments caractéristiques
du secteur agricole
L'agriculture, très faiblement mécanisée, se
retrouve dans une situation de crise et soumise aux aléas des conditions
naturelles. La productivité est très faible. Plus de 600 000
exploitations, disposant pour
la grande majorité de parcelles de très
faibles superficies (1,4 ha en moyenne/exploitation) et dispersée,
assurent la production des vivres et des denrées. Le ratio
terre/habitant devient de plus en plus épineux en regard de la
vitesse d'accroissement de la population qui accentue davantage la
problématique de l'accès à la terre et tous les
problèmes liés à la succession des titres de
propriétés. Plus de 70% de ces exploitations ont moins d'un
carreau (1,29ha) alors qu'il en faudrait le double pour
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Crises, réformes économiques et pauvreté
en Haïti
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qu'une famille puisse vivre (voir tab. 1.1). La production
alimentaire, axée sur l'autoconsommation -
le surplus est commercialisée, couvre à peine la
moitié des besoins alimentaires de la population. De
1989 à 1999, le taux annuel moyen de croissance
de cette production a été de -3,2% suivant les
données fournies par la banque mondiale, un recul important
comparé au -0,55 de la décennie antérieure,
1979-1989. L'insécurité foncière,
l'exiguïté des parcelles de production, l'explosion
démographique, l'érosion et la dégradation de
l'environnement, la baisse de la fertilité des sols, l'aide alimentaire,
les prélèvements opérés sur les
paysans-producteurs, l'absence de financement et l'insuffisance des
investissements, l'absence d'infrastructure et leur dégradation, les
carences dans les politiques publiques particulièrement en ce qui
concerne les politiques des prix agricoles, sont parmi
les facteurs d'ordre naturel et politico-économique
à l'origine de ce déclin. Cette baisse de la
production alimentaire reflète la structure
archaïque de l'économie et démontre surtout la
dégradation des conditions de la production générale
de ce secteur. Parallèlement, la production des principaux
produits d'exportations tels le café, cacao, huiles essentielles ont
subi la même évolution. Ce qui n'est pas étonnant quand
on sait qu'ils sont produits dans les mêmes conditions
archaïques que la production vivrière.
Ainsi donc, l'agriculture est précapitaliste,
archaïque dans ses méthodes de production et génère
des rendements à l'hectare et une productivité sociale du travail
très faibles, donc, insuffisant pour soutenir
un développement autonome et durable.
Tab. 1.1 Répartition des exploitations en nombre
et en surface
Classe de dimensions des
|
Nombre
|
% du nombre total
|
Superficie totale en
|
% de la surface totale
|
exploitations en carreaux*
|
d'exploitations
|
d'exploitations
|
carreaux
|
|
0,01-0,5
|
293 725
|
47,6
|
94 020
|
14,0
|
0,51-1,00
|
144 270
|
23,4
|
123 855
|
18,5
|
1,01-2,00
|
110 260
|
17,9
|
175 030
|
26,1
|
2,01-4,00
|
49 370
|
8,0
|
143 390
|
21,5
|
4,01-10,00
|
16 910
|
2,7
|
99 120
|
14,9
|
Plus de 10,00
|
2 175
|
0,4
|
33 980
|
5,0
|
Total
|
616 710
|
100,0
|
669 395
|
100,0
|
Source : Doura, 2001 :82 élaboré à
partir IHS,1973 ; Banque Mondiale, 1985 * 1 carreau=1,29 ha
Õ ii) Eléments
caractéristiques du secteur industriel
Le secteur industriel est très précaire et
manifeste très peu de dynamisme. Il comprend les industries
orientées vers la satisfaction des besoins du marché
national produisant des produits alimentaires, boissons, articles
ménagers, etc. ; celles travaillant les matières premières
locales et celles s'occupant des assemblages et enfin les petites et moyennes
entreprises.
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Crises, réformes économiques et pauvreté
en Haïti
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Le secteur se caractérise par la faiblesse de sa
contribution dans le produit intérieur brut. Les années quatre
vingt dix marquent l'effondrement de la production industrielle - au
rythme de croissance moyen annuel supérieur à dix pour cent
(-11,1% en 1980-1989). Ce secteur a crée très peu d'emplois
et du fait de la concentration des entreprises dans
la capitale a fortement contribué dans les
déséquilibres spatiales relatifs à la
répartition de la population, les déséquilibres
dans les investissements, les déséquilibres dans le
marché de l'emploi pour ne mentionner que ceux-ci. L'une des
conséquences de cette concentration n'est autre que le transfert de la
pauvreté du milieu rural au milieu urbain, en particulier à
Port-au-Prince qui a subi une certaine ruralisation. Transfert
rendu possible par la crise agraire et les perspectives d'emploi dans le
secteur de la sous-traitance utilisant une main-d'oeuvre non qualifiée
et bon marché.
La concurrence exercée couplée aux
conséquences des trois années d'embargo commercial
(1991-
1994)et à l'instabilité politique a
réduit le nombre des entreprises intervenant dans ce sous-secteur. Bon
nombre d'entre elles ont été transférées vers
d'autres pays de la région, et d'autres continents tel
la Chine. Aujourd'hui le nombre d'emploi offert par ce secteur
est nettement inférieur par rapport aux début des années
quatre vingt.
Parmi les traits fondamentaux qui caractérisent
l'économie haïtienne et qui prédominent, il y a lieu de
noter :
i. La dépendance à l'égard de
l'extérieur pour les capitaux, les approvisionnements en biens
et services, et aussi pour écouler ses productions
ii. une situation de dualisme économique très
prononcé qui se manifeste par la juxtaposition d'un secteur traditionnel
relevant de l'économie artisanale et d'un secteur relativement
moderne se rattachant à l'économie capitaliste. L'organisation
économique urbaine est fondée sur l'industrie,
le commerce et les services tandis que l'économie rurale,
celle du ``pays en dehors'' s'appuie principalement sur l'agriculture. Ce qui
donne l'aspect d'un pays à deux vitesses.
iii. La non-intégration des différents secteurs de
production : Les différents secteurs de production
ne sont pas reliés les uns aux autres et les
échanges inter-secteurs restent très limités. Il n'y a
pas
de complémentarité entre eux et ils ne
sont pas articulés à l'ensemble de l'économie. Les
industries et entreprises fonctionnent comme des enclaves et concernent des
productions n'ayant rien à voir avec la demande nationale, elles
n'entretiennent aucune relation de complémentarité avec les
autres secteurs. L'agriculture ne bénéficie donc d'aucuns
effets d'entraînement en absence d'agro-industries.
iv. L'extension et la gravité des
déséquilibres structurels. Ces déséquilibres
sont nombreux et tendent à s'aggraver avec le temps. On ne peut que
mentionner ceux du système de production et
de commercialisation des produits agricoles à la base de
la paupérisation rurale, les contraintes
de la consommation ; la déséquilibres
démographiques due à la croissance élevée de
la
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Crises, réformes économiques et pauvreté
en Haïti
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population ; la pénurie du capital national due
à la faiblesse de l'épargne ; les déséquilibres
entre l'offre et la demande des biens et services ; les
déséquilibres budgétaires incessants résultant de
l'incapacité de l'Etat a améliorer ses recettes et de
l'augmentation de ses dépenses, etc.
L'évolution récente de l'économie
haïtienne est marquée par la stagnation voire le
déclin des productions agricoles et industrielles,
l'hypertrophie du secteur des services et des activités
informelles. Haïti serait caractérisée par les
contradictions d'une économie dépendante dont les structures
agraires industrielle, de classes et le mode d'utilisation du surplus
économique freinent toute forme d'accumulation productive. La
persistance de ces traits caractéristiques ne permet-elle pas de douter
de la possibilité pour l'économie nationale de décoller
?
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