La construction sociale de la notoriété et de la reconnaissance comme enjeu d'une minorité: le cas d'un fan-clubpar Estelle Couture Université de Provence - DEA Sociologie 2006 |
AnnexesCHAPITRE I ) LA CONSTRUCTION THEORIQUE DE L'OBJET La visibilité des homosexuels et, par la même de la sexualité en général, s'est accrue dans les sphères publiques de notre société depuis la fin des années 90 : les débats sur le PACS, le mariage ou l'homoparentalité, l'élection d'un maire ouvertement homosexuel à Paris, la création d'associations homosexuelles dans des grandes entreprise1(*), la médiatisation des jeux de télé-réalité et de leurs candidats gays ou lesbiennes, l'affluence record aux Marches des fiertés lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles, la création de Pink TV, chaîne à thématique homosexuelle sur le câble...les médias évoquent désormais volontiers tout ce qui a trait à l'homosexualité et tous ces événements sont autant d'occasions de renforcer la présence des lesbiennes et des gays dans les médias. La télévision tient un rôle important dans cette médiatisation. Elle constitue un formidable vecteur d'informations, d'idées, d'images mais aussi parfois de clichés. Elle a le pouvoir d'accélérer la lente progression de l'acceptation de l'homosexualité, de sensibiliser un large public sur des sujets mal connus. Elle peut aussi déformer ou ancrer certaines caricatures dans les esprits. Comprendre la façon dont la télévision représente l'homosexualité, c'est aussi mieux apprécier la façon dont l'homosexualité est perçue par l'opinion publique. Cependant, malgré l'avancée des programmes en matière d'homosexualité, la visibilité proprement lesbienne reste pratiquement inexistante à l'exception, en 2004, de quelques débats ou reportages sur l'homoparentalité2(*). L'homosexualité masculine est de loin la plus mise en avant. La télévision, voire les différents médias, évoque de plus en plus autre chose que la seule parole légitime qui était la seule à devoir être entendue durant l'âge de ce qu'U.Eco3(*) appelle la « paléotélévision ». La télévision était alors une institution dans laquelle la relation avec le téléspectateur était une relation plutôt pédagogique. Elle était conçue comme un outil de transmission d'informations, de savoirs, de culture ou de divertissement. Ceux qui avaient alors droit à la parole formaient une sorte d'élite, des experts, des stars, des élus. L'apparition de la « néo-télévision » va briser en quelque sorte ce monopole de la parole légitime ; au-delà des experts, on a le droit de parler à la télévision si on est le témoin de quelque chose. Aux côtés de l'expert, on trouve le témoin : c'est la grande envolée du talk show ou du reality show. Dans cette nouvelle parole légitime, le témoin concurrence l'expert. La parole légitime de la « paléo-télévision » était une parole inscrite dans l'espace public : la connaissance, la vie publique, le pouvoir politique, ou encore ce que les stars faisaient dans leurs activités publiques ou professionnelles. Dans cette nouvelle ère télévisuelle, nous sommes désormais confrontés à une irruption de l'intime. On peut alors se mettre à parler de l'intimité : vie sexuelle, échecs amoureux, conflits entre parents et enfants, etc... Les reality shows de l'époque donnèrent lieu à de violents débats sur la question de la diffusion de ce genre à la télévision. Etait exhibée et valorisée une dimension psyaffective, comme avec l'émission « Psy Show ». On voit là l'irruption du téléspectateur à la télévision, du témoin anonyme, de celui qui auparavant n'avait pas le droit à la parole. Ce troisième stade de la télévision est appelé la « post-télévision » par J.L.Missika, c'est-à-dire l'âge de la télé-réalité. Cette ère télévisuelle ne négligeant pas la mise en scène de l'intimité correspond à un besoin d'assistance4(*) à une individualisation croissante poussant les acteurs à se connaître eux-mêmes, et comme nous le verrons plus loin, à se reconnaître. La télévision est devenue un intercesseur entre le public et les stars en devenir, les personnes qui souhaitent conquérir la notoriété et la célébrité. La participation à l'émission est la seule raison, et le seul but, pour sortir de l'ordinaire. Cependant, le terme « réalité » est erroné. C'est un genre télévisuel nouveau parce que fondé sur l'expérience de laboratoire. Nous sommes dans le divertissement, basé sur un jeu, basé lui-même sur une situation expérimentale que les gens acceptent de vivre. Le téléspectateur est en quelque sorte le coproducteur de l'émission puisqu'il est là pour juger, donner son avis, faire évoluer le scénario. C'est une réalité expérimentée5(*). Sa participation s'élargit ; d'autant plus avec les nouvelles technologies, les nouveaux médias qui vont de pair avec le développement de ce genre de programme6(*). Ces nouveaux moyens de communication offrent donc aux individus des manières infinies par définition, de se construire et de se représenter. La notion de reconnaissance pourrait apparaître avec la multiplication des modèles renvoyés par les médias. Les individus utiliseraient cette mise en images cathodiques et dans une autre mesure, virtuelles si l'on inclue les nouvelles technologies de diffusion de l'information comme Internet, à des fins constructives. La prise en compte généralisée et « banalisée » de l'homosexualité d'un point de vue médiatique permettrait au public -et notamment au public le plus concerné- de se représenter, d'être visible et peut être d'avoir un accès à une construction identitaire à travers des modèles moins tabous, bien que toujours encadrés de certaines règles, voire même d'une certaine censure : « Le spectacle de réalité se contente de répondre à l'augmentation du ticket d'entrée dans la normalité en en montrant l'extrême diversité, il déculpabilise en rapatriant dans la normalité, différences, déviances ou marginalités, toutes confondus »7(*) , mais toujours dans un souci d'audience et de profit. * 1 On citera ici l'association « Gare ! » des gays et lesbiennes de la SNCF, l'association « Telles & Tels » du groupe France Telecom, l'association « Energay » des industries électriques et gazières... * 2 Rapport « Homosexualité et télévision 2004 » réalisé par Média G, l'observatoire du traitement de l'homosexualité dans les médias ( www.media-g.net). Voir le rapport en annexe. * 3 ECO U. La guerre du faux, Grasset, Paris, 1985 * 4 EHRENBERG A. L'individu incertain, Ed. Pluriel, Calmann-Lévy, Paris, 1995 * 5 ROUX D. & TEYSSIER J.P. Les enjeux de la télé-réalité, Economica, Paris, 2003 * 6 EHRENBERG A. op.cit * 7 EHRENBERG A. op.cit., p.300 |
|