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La construction sociale de la notoriété et de la reconnaissance comme enjeu d'une minorité: le cas d'un fan-club


par Estelle Couture
Université de Provence - DEA Sociologie 2006
  

Disponible en mode multipage

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LA CONSTRUCTION SOCIALE DE LA NOTORIETE ET DE LA RECONNAISSANCE COMME ENJEU D'UNE MINORITE :

LE CAS D'UN FAN-CLUB

I ) LA CONSTRUCTION THEORIQUE DE L'OBJET.................................

I. La mise en scène médiatique

1. Les médias comme instrument de maintien de l'ordre symbolique ?

2. Une économie de l'identification : le cas de la télé-réalité

3. Quelle réception pour quel(s) public(s) : éléments d'analyse

II. L'affirmation et la reconnaissance identitaire à travers des modèles médiatisés

1. De la construction identitaire à une « politique des identités »

2. Les principes de la reconnaissance

3. La politisation de la reconnaissance ou la réappropriation des enjeux d'une oeuvre autour d'un fan-club

III. La construction électronique du social : la communauté virtuelle comme nouvelle forme de solidarité ?

1. De la sociologie des réseaux sociaux...

2. ...à la communauté virtuelle pour penser le social

3. Les nouvelles pratiques de communication entraînent-elles une réorganisation des sociabilités ?

II) LES CHOIX METHODOLOGIQUES

I. Axes de recherche et hypothèses

II. L'analyse de contenu su site Internet Planeteannelaure

- Vers une analyse de la production médiatique autour d'Anne-Laure

III. Le terrain / Le corpus

1. Les forums de discussions

2. Le forum en chiffres

3. Le corpus

4. Les entretiens

5. Les blogs

IV. L'analyse des discours appliquée au forum de discussions et aux entretiens

1. Le traitement des données (analyse quantitative et qualitative)

2. Le contexte

3. L'interactivité

4. Les relations interpersonnelles

5. Les indicateurs de l'énonciation

6. L'analyse de contenu appliquée aux entretiens

III) LA RECONNAISSANCE MEDIATIQUE ET VIRTUELLE : ENJEUX D'UNE CULTURE JUVENILE ACTUELLE ?

I. Les médias : vecteur d'une construction identitaire individuelle et collective

1. Les médias comme diffuseur de modèles et de ressources identitaires

2. Internet comme vecteur d' « autonomisation sexuelle »

3. La création d'un collectif entre marginalité et conformisme

II. La mise en vitrine de l'intimité et de la sexualité

1. La nécessaire organisation réflexive de la sexualité

2. L'expression des sentiments

3. Les « choix sexuels » conditionnent-ils les choix culturels, médiatiques et virtuels ?

III. Le processus des affinités électives

1. Le groupe comme réponse à un besoin d'intimité homolatique ?

2. La recherche de « semblables »

3. Le mouvement de fans comme recours à un collectif

IV) L'EXPLOITATION ET LA RECUPERATION DE LA NOTORIETE PUBLIQUE

I. La tyrannie de la minorité

1. L'homosexualité à la télévision : état des lieux

2. La mise en scène du politiquement correct

3. Les recours du minoritaire

II. La gestion de l'image

1. Des usages de la notoriété : le cas des icônes gays et lesbiennes

2. L'éphémèrité et la multiplicité de l' « être star » : le rôle d'un fan-club dans la construction d'une carrière

3. La mise en place d'un système normé : les règles du fan-club

III. La mobilisation et le soutien des fans

1. Retour sur la notion de fan

2. L'opération de traduction : le cas du coming-out

3. La constitution d'un « clan »

V) LES RESEAUX DE SOLIDARITE AU SEIN DE LA « COMMUNAUTE VIRTUELLE » COMME ENJEUX D'UNE RECONNAISSANCE MINORITAIRE

I. Le partage d'expériences « homosocialisatrices »

1. La découverte de l'homosexualité

2. Le rapport aux autres et la « tyrannie de la majorité »

3. Le besoin de se regrouper et de se reconnaître

II. De l'existence d'une communauté virtuelle ou réelle : légitimation et argumentation

1. La persistance d'une rhétorique homophobe

2. L'affirmation et le militantisme en faveur de la reconnaissance

3. La mobilisation et la solidarité comme ressources identitaires

III. Le fan-club : un prétexte mobilisateur ?

1. La mobilisation autour d'une artiste : la construction de la notoriété

2. La mobilisation pour soi : une reconnaissance de substitution. ?

3. La mobilisation identitaire : enjeu d'un collectif

Bibliographie

Annexes

CHAPITRE I ) LA CONSTRUCTION THEORIQUE DE L'OBJET

La visibilité des homosexuels et, par la même de la sexualité en général, s'est accrue dans les sphères publiques de notre société depuis la fin des années 90 : les débats sur le PACS, le mariage ou l'homoparentalité, l'élection d'un maire ouvertement homosexuel à Paris, la création d'associations homosexuelles dans des grandes entreprise1(*), la médiatisation des jeux de télé-réalité et de leurs candidats gays ou lesbiennes, l'affluence record aux Marches des fiertés lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles, la création de Pink TV, chaîne à thématique homosexuelle sur le câble...les médias évoquent désormais volontiers tout ce qui a trait à l'homosexualité et tous ces événements sont autant d'occasions de renforcer la présence des lesbiennes et des gays dans les médias.

La télévision tient un rôle important dans cette médiatisation. Elle constitue un formidable vecteur d'informations, d'idées, d'images mais aussi parfois de clichés. Elle a le pouvoir d'accélérer la lente progression de l'acceptation de l'homosexualité, de sensibiliser un large public sur des sujets mal connus. Elle peut aussi déformer ou ancrer certaines caricatures dans les esprits. Comprendre la façon dont la télévision représente l'homosexualité, c'est aussi mieux apprécier la façon dont l'homosexualité est perçue par l'opinion publique. Cependant, malgré l'avancée des programmes en matière d'homosexualité, la visibilité proprement lesbienne reste pratiquement inexistante à l'exception, en 2004, de quelques débats ou reportages sur l'homoparentalité2(*). L'homosexualité masculine est de loin la plus mise en avant.

La télévision, voire les différents médias, évoque de plus en plus autre chose que la seule parole légitime qui était la seule à devoir être entendue durant l'âge de ce qu'U.Eco3(*) appelle la « paléotélévision ». La télévision était alors une institution dans laquelle la relation avec le téléspectateur était une relation plutôt pédagogique. Elle était conçue comme un outil de transmission d'informations, de savoirs, de culture ou de divertissement. Ceux qui avaient alors droit à la parole formaient une sorte d'élite, des experts, des stars, des élus.

L'apparition de la « néo-télévision » va briser en quelque sorte ce monopole de la parole légitime ; au-delà des experts, on a le droit de parler à la télévision si on est le témoin de quelque chose. Aux côtés de l'expert, on trouve le témoin : c'est la grande envolée du talk show ou du reality show. Dans cette nouvelle parole légitime, le témoin concurrence l'expert. La parole légitime de la « paléo-télévision » était une parole inscrite dans l'espace public : la connaissance, la vie publique, le pouvoir politique, ou encore ce que les stars faisaient dans leurs activités publiques ou professionnelles. Dans cette nouvelle ère télévisuelle, nous sommes désormais confrontés à une irruption de l'intime. On peut alors se mettre à parler de l'intimité : vie sexuelle, échecs amoureux, conflits entre parents et enfants, etc... Les reality shows de l'époque donnèrent lieu à de violents débats sur la question de la diffusion de ce genre à la télévision. Etait exhibée et valorisée une dimension psyaffective, comme avec l'émission « Psy Show ». On voit là l'irruption du téléspectateur à la télévision, du témoin anonyme, de celui qui auparavant n'avait pas le droit à la parole. Ce troisième stade de la télévision est appelé la « post-télévision » par J.L.Missika, c'est-à-dire l'âge de la télé-réalité. Cette ère télévisuelle ne négligeant pas la mise en scène de l'intimité correspond à un besoin d'assistance4(*) à une individualisation croissante poussant les acteurs à se connaître eux-mêmes, et comme nous le verrons plus loin, à se reconnaître. La télévision est devenue un intercesseur entre le public et les stars en devenir, les personnes qui souhaitent conquérir la notoriété et la célébrité. La participation à l'émission est la seule raison, et le seul but, pour sortir de l'ordinaire. Cependant, le terme « réalité » est erroné. C'est un genre télévisuel nouveau parce que fondé sur l'expérience de laboratoire. Nous sommes dans le divertissement, basé sur un jeu, basé lui-même sur une situation expérimentale que les gens acceptent de vivre. Le téléspectateur est en quelque sorte le coproducteur de l'émission puisqu'il est là pour juger, donner son avis, faire évoluer le scénario. C'est une réalité expérimentée5(*). Sa participation s'élargit ; d'autant plus avec les nouvelles technologies, les nouveaux médias qui vont de pair avec le développement de ce genre de programme6(*). Ces nouveaux moyens de communication offrent donc aux individus des manières infinies par définition, de se construire et de se représenter. La notion de reconnaissance pourrait apparaître avec la multiplication des modèles renvoyés par les médias. Les individus utiliseraient cette mise en images cathodiques et dans une autre mesure, virtuelles si l'on inclue les nouvelles technologies de diffusion de l'information comme Internet, à des fins constructives.

La prise en compte généralisée et « banalisée » de l'homosexualité d'un point de vue médiatique permettrait au public -et notamment au public le plus concerné- de se représenter, d'être visible et peut être d'avoir un accès à une construction identitaire à travers des modèles moins tabous, bien que toujours encadrés de certaines règles, voire même d'une certaine censure : « Le spectacle de réalité se contente de répondre à l'augmentation du ticket d'entrée dans la normalité en en montrant l'extrême diversité, il déculpabilise en rapatriant dans la normalité, différences, déviances ou marginalités, toutes confondus »7(*) , mais toujours dans un souci d'audience et de profit.

I ) LA MISE EN SCENE MEDIATIQUE

1. Les médias comme instruments de maintien de l'ordre symbolique ?

La télévision, diffusion à distance des sons et des images, est devenue un phénomène de société depuis qu'elle s'est répandue dans presque tous les pays. Elle est l'outil le plus important de l'accès à la culture de masse c'est-à-dire, produite selon les normes massives de la fabrication industrielle, répandue par des techniques de diffusion massive, s'adressant à une masse sociale8(*). Elle a suscité de nombreuses études de la part des sociologues, qui peuvent s'appuyer sur des sondages concernant notamment le choix des téléspectateurs. A la fin du 20ème siècle, les progrès techniques déjà réalisés ou prévisibles en ce domaine modifient les rapports entre cette technique et la société moderne. La diffusion des programmes en couleur, la transmission par câble ont marqué l'évolution récente. Désormais la substitution du numérique à l'analogique ainsi que la très haute définition -la télévision interactive- et les multimédias annoncent une grande multiplication des chaînes, un grand choix de programmes. Les problèmes qui suscitent le plus de discussions de la part des sociologies sont l'organisation de la programmation par des chaînes publiques ou privées, la pénétration dans les diverses couches sociales, l'influence des loisirs, la culture, les comportements moraux, politiques et sociaux. Plus récemment les sociologues se sont davantage intéressés à l'action de la télévision sur les structures sociales. C'est ainsi que l'on attache une grande importance aux modèles qu'elle nous présente, notamment à travers les « stars », ou les exemples qu'elle donne de la vie familiale, tantôt en renforçant le conformisme, tantôt en cherchant plutôt à « déranger », à briser les tabous.

Mais la télévision et les images médiatiques qu'elle donne à voir, sont avant tout une mise en scène réfléchie et sélectionnée, si l'on en croit les travaux de P.Bourdieu à ce sujet9(*). Et cela est encore plus percutant dans le domaine qui va nous intéresser, celui de la télé-réalité. Les programmes télévisés sont encadrés de contraintes ; d'une part, contraintes techniques avec le règne d'une certaine « censure invisible » qui entraîne une perte d'autonomie, et d'autre part, des contraintes économiques car ils sont soumis à la loi du marché de la concurrence dans une logique de course à l'audimat. En dénonçant la censure, P.Bourdieu en vient à évoquer la télévision comme « instrument de maintien de l'ordre symbolique », il fait bien sûr allusion ici à la « violence symbolique » que les programmes exercent sur les téléspectateurs. Les journalistes vont choisir de montrer certaines choses et pas d'autres, ils opèrent une sélection et une construction de ce qui est sélectionné. Le principe de la sélection repose sur la recherche du sensationnel, du spectaculaire, de tout ce qui pourra « faire l'audience ». Les émissions de télé-réalité se construisent exactement de cette façon. Par exemple, des émissions comme Star Academy qui ont des diffusions quotidiennes pour que le téléspectateur puisse suivre l'évolution des élèves au jour le jour, se fabriquent selon ce principe : la production choisit les images qu'elle va montrer à l'écran, c'est la construction médiatique qui est à l'oeuvre. Le fait de montrer telle ou telle image et pas d'autres va influer le sens du jeu et les impressions des téléspectateurs quant aux participants, aux pensionnaires du château10(*) par exemple. Il y une mise en scène des images par la production de l'émission.

Mais ces observations ne se réduisent pas aux seules télé-réalités, elle s'observe même jusqu'au journal télévisé, selon P.Bourdieu. La télévision appelle à la dramatisation. Elle met en scène, en images, un événement et elle en exagère l'importance, la gravité et le caractère dramatique, tragique. P.Bourdieu parle du danger de « l'effet de réel », car rapporter des faits implique toujours une « construction sociale de la réalité capable d'exercer des effets sociaux de mobilisation ou de démobilisation ». Elle peut ainsi faire exister des idées ou des représentations mais aussi des groupes, notamment en développant un certain système de projection et d'identification spécifique. La culture de masse ainsi créée constitue un corps complexe de normes, symboles, mythes et images pénétrant l'individu dans son intimité, structurent les instincts et orientent les émotions11(*).

Les médias cherchent donc à « toucher » un public afin que celui-ci se retrouve au sein des programmes tout en agissant comme une « main invisible »12(*) , pour reprendre un terme économique, où les décisions et les actes sont rendus compatibles et concourent à l'intérêt général. Il existe donc un paradoxe entre « la logique industrielle, bureaucratique, monopolitique, centralisatrice, standardisatrice et la contre-logique individualiste, inventive, concurrentielle, autonomiste et novatrice »13(*). Chaque acteur du public a accès à ces logiques qui font parties d'une compétence partagée. Ces logiques peuvent s'interpréter en registres généraux de justification utilisés dans des activités quotidiennes14(*), d'une part par la justification marchande basée sur le marché, et d'autre part par la justification par l'opinion basée sur la reconnaissance des autres.

La logique de concurrence qui règne entre les chaînes de télévision montre que les émissions ou les journaux s'homogénéisent car ils sont soumis aux mêmes contraintes, aux mêmes sondages, aux mêmes annonceurs. P.Bourdieu parle de « jeu de miroirs se réfléchissant mutuellement », ils sont tous soumis à la contrainte de l'audimat. La télévision pense en terme de succès commercial. De ce fait, les sujets sont de plus en plus banalisés ; l'objet est construit conformément aux catégories de perception du récepteur. La télévision est ajustée aux structures mentales du public. Les journalistes vont choisir ce qui « passe bien » à l'écran: « La télévision des années 90 vise à exploiter et à flatter ces goûts pour toucher l'audience la plus large en offrant aux téléspectateurs des produits bruts, dont le paradigme est le talk-show, tranches de vie, exhibitions sans voiles d'expériences vécues, souvent extrêmes et propres à satisfaire une forme de voyeurisme et d'exhibitionnisme »15(*).

Cette citation s'adapte bien sûr aux télé-réalités présentes sur nos chaînes depuis le lancement de la première édition de Loft-story en 2001 sur M6. Ces émissions ont quelque peu remis en cause les modèles économiques, juridiques et sociaux qui permettaient jusqu'ici d'analyser et de comprendre la télévision. Le premier constat que l'on peut faire c'est la condamnation sans appel dont toutes ces émissions ont fait l'objet. Ces émissions étaient considérées comme dégradantes pour l'individu et pourtant les audiences ne faisaient que grimper, même si aujourd'hui, l'originalité s'essouffle. Finalement elles apparaissaient comme les émissions que personne n'aime mais que tout le monde regarde, et qui finissent par intégrer le paysage télévisuel quotidien jusqu'à devenir pour certains un phénomène de société. Nous ne nous attarderons pas sur les enjeux économiques de ces programmes, nous retiendrons seulement qu'aujourd'hui les téléspectateurs sont demandeurs de ce genre d'émissions et dans l'optique de la concurrence, chacun se doit de satisfaire cette demande d'un nouveau « concept » de divertissement où le public n'est plus passif mais où il s'adonne à une sorte de voyeurisme dénoncé par P.Bourdieu, qui confère à l'auto-identification.

Les candidats participant à ces émissions qui ne sont finalement que des jeux télévisés d'un genre nouveau, sont, au même titre que les émissions elles-mêmes, stigmatisés. La télé-réalité fabrique des stars éphémères dont la durée de vie excède à peine celui de l'émission, et rarement plus, à l'exception de quelques unes. Mais il est évident qu'une émission comme Loft Story16(*) ne ressemble en rien à Star Academy sur ce point là. Le casting repose sur le même principe mais l'objectif est différent. Les candidats du Loft n'ont aucun talent à proposer, alors que les élèves de Star Academy sont sensés, au moins savoir chanter, et c'est normalement sur cela qu'ils sont jugés. Nous disons « normalement » parce que le gagnant doit répondre à certains critères pour garantir son succès, les critères séduisant la majorité de ceux qui font l'audience ; le travail du producteur étant la quête permanente et organisée de ce qui fait sens pour le public17(*), notamment en tenant compte des catégories socio-sentimentales qui portent sur l'imaginaire du public en menant à bien une tâche de production technique, financière et commerciale. Pour que ce processus fonctionne, l'image est construite tout au long du travail de production. Ainsi, les objets ne sont porteurs de sens « qu'en vertu du consensus social qui leur accorde provisoirement à la suite d'un va-et-vient entre les demandes mouvantes et hétérogènes des acteurs [...] »18(*) : artistes, producteurs, critiques, public. L'objet médiatique, qu'il soit musical ou autre, est socialement construit. Les caractères internes du star system sont ceux du grand capitalisme industriel, marchand et financier. Le star system est d'abord une fabrication19(*).

2. Une économie de l'identification : la cas de la télé-réalité

Il conviendrait de s'attarder plus longuement sur les enjeux juridiques suscités par ces programmes. En effet, ces images nous rappellent la spécificité de ce type d'émissions où des individus qui ne sont pas des professionnels se retrouvent d'un seul coup au rang de vedettes ; nous reviendrons sur la redéfinition actuelle opérée sur ce terme. Les problèmes engendrés proviennent du droit de la personne et du droit à l'image étant donné que ces individus permettent que l'on mette en scène leur vie intime. Ils vont parfois devenir des vedettes de la chanson, ils signent des contrats avec des sociétés qui vont exploiter leur travail, et en France, il y a une réglementation extrêmement stricte du fonctionnement de la télévision, avec le régime du droit d'auteur, avec des définitions des oeuvres, des quotas, des subventions en fonction des catégories d'oeuvres. La télé-réalité bouleverse cet ordonnancement. La nature des engagements souscris par l'ensemble des participants à ce contrat est tout à fait particulière car ils procèdent d'une cessation assez large des droits de la personnalité des différents candidats. Est-ce que les candidats participent à un jeu, à un concours ? Sont-ils sous un lien de contrat de travail ? Ont-ils un statut d'artiste interprète ? Toutes ces questions posent des problèmes d'ordre juridiques. Il faut tout d'abord préciser que les contrats sont signés avec la société de production de l'émission et non par la chaîne, même si elle a un fort droit de regard. La question nouvelle qui se pose est celle des droits de la personnalité qui sont par nature hors du commerce. Jusqu'à une période récente, c'était principalement la vie privée des stars et des vedettes qui suscitait l'intérêt ; d'où l'exploitation commerciale qui en est faite, notamment dans les magazines « people ». Ces personnalités monnayent leur présence, leur image, leur vie privée auprès de la presse, ou des médias. Elles veillent à protéger tout particulièrement leur droit à l'image et poursuivent toute utilisation non autorisée, en exigeant par voie juridique des dommages et intérêts. Avec la télé-réalité, ce sont des inconnus qui vont trouver une forme d'exploitation commerciale de leur image. Lorsque l'on regarde l'histoire des « reality-show » ( « Perdu de vue », « Bas les masques » ou encore « Strip tease »), on constate qu'aucune rémunération n'était versée aux participants de ces émissions. Avec l'arrivée en 2001 de Loft Story et de Star Academy, on constate que les participants abandonnent, au travers des contrats qu'ils signent, une large part de leurs droits de la personnalité dans l'espoir de percevoir un gain mais surtout d'acquérir rapidement et efficacement une vraie notoriété. Cependant, les producteurs et les diffuseurs ont veillé à restreindre les cessions très globales de droits de la personnalité, en réduisant notamment la durée d'exploitation des droits, mais aussi en demandant aux candidats des autorisations supplémentaires chaque fois que des éléments relevant de la vie privée des candidats étaient susceptibles d'être exploités.

Mais nous pourrions envisager également le fait que finalement ces participants ne font qu'interpréter un rôle au sein de l'émission, en les assimilant à des personnages de sitcom. En effet, dans tous les types d'émission de télé-réalité, il est possible d'énumérer différents types sociaux représentés par les différents participants, les différents personnages. Les producteurs ont compris que pour toucher un large public, il fallait que chacun se reconnaisse dans le programme. Il est alors aisé de s'identifier à un personnage qui présente les mêmes caractéristiques sociales que nous, dans tous les cas, il va au moins nous paraître sympathique. Ce marché se fonde donc sur une logique de l'identification, et d'autant plus lorsqu'il s'agit de mettre en scène des types sociaux plus ou moins marginalisés, comme cela peut être le cas pour les gays et les lesbiennes. Ce sont dans les médias que les repères, les éléments constructeur de la personnalité se trouvent lorsque la vie quotidienne n'en offre pas. La consommation d'images médiatiques va alors s'effectuer selon le principe de la projection et de l'identification ; mais pour que cela soit possible, il faut qu'il y ait un équilibre entre réalisme et idéalisation20(*). Cette culture de masse va créer des images et des modèles permettant la « réalisation de soi », offrant des aspirations, fournissant des mythes. Elle est à la fois facteur d'évasion à l'aide des images, et facteur d'intégration à l'aide des modèles qu'elle véhicule au grand public. Les personnages offerts aux téléspectateurs deviennent des modèles de culture c'est-à-dire des modèles de vie, surtout ceux qui ne sont pas visibles facilement dans le quotidien réel des acteurs sociaux.

En ce sens, l'homosexualité est un exemple. Le 29 novembre 1973 aux alentours de 22 heures, la deuxième chaîne présente une émission médicale intitulée «L'homosexualité ». Le communiqué de presse transmis par ses producteurs annonce « une étude envisagée sous l'angle de la psychologie et de la psychanalyse », c'est la première fois en France, et pourtant aucun magazine de télévision n'y consacrera un article. Les archives sur la presse télévisuelle montrent que les chaînes de télévision ont gardé pendant des décennies sur le sujet, un silence quasi absolu, entre tabou et négation. Il faut attendre le 23 juin 1995 et la première « Nuit gay »21(*) de Canal + pour que la télévision se demande si les gays et les lesbiennes ont une place. Un « coming-out » tardif qui prendra bientôt presque la forme d'un paroxysme. Car, à partir de l'an 2000, entre l'arrivée de séries comme « Queer as folk »22(*) sur Canal +, de magazines comme « Good as you »23(*) ou l'émergence de candidats gays dans les émissions de télé-réalité, les gays et les lesbiennes prennent part dans les écrans. L'arrivée de Pink TV, chaîne thématique gay et lesbienne, à l'automne 2004 marque un tournant dans l'épopée gay et lesbien à la télévision. Une centaine d'articles, rien que dans la presse spécialisée, salue l'arrivée de la chaîne. Il semble désormais clair que la télévision française accorde aux homosexuels une visibilité qu'elle leur avait longtemps refusée, mais pour des motifs qui n'ont pas toujours quelque chose à voir avec l'ouverture d'esprit. Certains parlent même parfois de sollicitude ambiguë. Il y a eu d'abord, la volonté de faire « tendance », « moderne » de la part de certaines chaînes qui ont voulu redorer leur image. Si pour certains, cette nouvelle multiplicité rime avec clichés, que l'on retrouve dans certains programmes, elle rime également avec visibilité24(*).

Aujourd'hui, la starification de masse et les émissions de télé-réalité ont multiplié les facilités du « devenir star ». La star a perdu de sa divinité au point de ne plus faire la différence avec le public, les mortels25(*). Elle devient plus présente et plus intime, elle est visible et accessible. Sa diffusion massive est assurée par les grands multiplicateurs du monde moderne comme la presse, la radio, la télévision et Internet. Cette visibilité accrue permet alors l'identification qui peut apparaître comme le vecteur de base d'une certaine reconnaissance et d'une affirmation identitaire, homosexuelle dans notre cas. Variés, ses espaces sont ceux du lien social et de la production culturelle : fréquentation d'un quartier, engagement politique, adoption de pratiques sexuelles, choix vestimentaires ou encore constitution d'un groupe de soutien pour une candidate homosexuelle de la télé-réalité...Cette hypothèse a été démontrée durant l'analyse.

3. Quelle réception pour quel(s) public(s) : éléments d'analyse

Il semblerait que l'étude d'un tel groupe s'inscrive obligatoirement dans le domaine de la sociologie des publics, et de la réception. La question des publics est difficile à appréhender car ils représentent des sortes de «communautés provisoires »26(*). Cependant, les conceptions fonctionnalistes de P.Lazarsfeld et R.Merton27(*) et les analyses critiques des industries culturelles de T.Adorno28(*) doivent sans doute être dépassés. En effet, le public n'est pas qu'une masse passive, même si aujourd'hui, les productions dites de « masse » élaborées par des stratégies commerciales amènent à penser les téléspectateurs également en terme de « masse». La sociologie des publics et de la réception peut donc s'envisager autrement que par une approche inspirée de la psychologie du comportement ou par une analyse économique des entreprises de productions des biens culturels. L'explication par les déterminations sociales des téléspectateurs doit être prise en compte mais doit également être dépassée, tout du moins, dans cette étude. En effet, l'affirmation identitaire deviendrait une explication de la conduite des publics, or nos identités ne sont pas seulement construites par notre origine sociale et nos moyens économiques29(*). Nous laissons de côté ici la théorie de la légitimité culturelle de P.Bourdieu.

Les Cultural Studies autour des travaux de S.Hall dans un article30(*) cherchent à démontrer que le public n'est plus une masse inactive et qu'il participe au processus de production des informations. S.Hall montre bien la différence entre la dénotation et la connotation du message, et que c'est au niveau de la connotation que le public intervient. Le téléspectateur peut avoir plusieurs manières d'interpréter le message. Ce modèle sera très utilisé pour interroger sociologiquement la conduite politique des publics.

Les culturalistes se sont principalement intéressés aux publics minoritaires et leurs rapports à la majorité dominante, le public serait ici structuré par des configurations culturelles. L'étude de cas de J.Bobo31(*) sur la réception du film de Spielberg en 1985 « La couleur pourpre » montre que la critique de gauche avait dénoncé les stéréotypes utilisés par le film pour décrire les personnages noirs. Mais le film a pourtant connu un grand succès auprès des femmes noires. J.Bobo l'explique par l'existence d'un contexte culturel nouveau, principalement entretenu par des écrivains femmes et noires qui, depuis le début des années 60 n'ont plus voulu parler à un auditoire blanc mais se sont adressées à leur propre communauté. Ainsi de nombreuses femmes noires étaient prêtes à s'intéresser au destin de personnages qui leur ressemblent. De plus, le film parlait des femmes noires non comme objets mais comme sujets, et cela a permis d'équilibrer son emploi massif de tous les clichés possibles à propos de la population noire.

Ainsi, on peut comprendre comment certaines compétences culturelles spécifiques pouvaient interférer avec les statuts sociaux pour produire des modes de réceptions particuliers. C'est pourquoi le féminisme s'est longuement intéressé à la question des publics, d'une part en repartant des travaux de la psychanalyse qui enferment le sexe faible dans une position d'objet et en opérant une confrontation entre la réalité sociale en matière de rapports de sexe et ce qui se passe dans les films; et d'autre part en adoptant une ethnologie féministe32(*) dont le point de départ est la situation dévalorisée de la femme dans les produits culturels et littéraires qui leur sont destinés, ou du moins ceux dont les femmes sont les plus spectatrices comme les soap opera ou les « romans sentimentaux »33(*). Le constat est que ces ouvrages ou ces feuilletons jouent le rôle d'une revendication implicite face aux contraintes de la vie sociale. Le public des femmes apparaît en quête d'une autre formule d'identité féminine, à laquelle les stéréotypes véhiculés par ces vecteurs servent à la fois de repoussoir et d'origine.

Les actes de réception ne sont pas accomplis dans un désert culturel et social et, de plus, ils sont souvent très indépendants de l'objet dont il y a réception. Ces actes peuvent se concentrer, et cela va particulièrement nous intéresser, sur la réception secondaire34(*), sur l'interaction. Cette approche constructiviste des publics pense les usages de la télévision notamment autour d'une forme particulière d'apprentissage social35(*) : ce serait la dernière institution capable de nous apprendre à vivre dans notre monde « transmoderne »36(*). La « fiction » à laquelle la télévision se tient serait celle d'un public à la fois universel et sensible aux différences ; les programmes joueraient le rôle d'un espace public populaire où les agents sociaux apprennent de nouvelles formes de citoyenneté. J.Hartley donne l'exemple des femmes que la télévision a contribué à rendre plus visibles dans l'espace social. On pourrait dire la même chose pour la présence ostensible de l'homosexualité, sur les plateaux, contribuant sans aucun doute à rendre moins aiguë l'hostilité commune en la matière. De ce point de vue, le public de la télévision, compris comme fiction constructrice, ne devrait pas être analysé en terme de masse mais en terme de différenciation.

Si, comme nous l'avons déjà montré, la télévision et les images qu'elle renvoie permettent d'induire un processus de construction identitaire, une certaine reconnaissance, essentiellement pour les populations opprimées, ou du moins en manque de repères dans l'espace social, elles définissent également une représentation de l'homosexualité qui va se répercuter sur tous les agents de la société et pas seulement sur les homosexuels eux-mêmes. Ce constat pourrait être menacé à long terme par la prévalence de chaîne « ghettoisée » comme Pink TV, comme le préconisent certains observateurs anglo-saxons.

En dernier lieu, il semblerait pertinent de s'intéresser aux contextes à l'intérieur desquels les oeuvres sont reçues37(*). Ainsi, ce serait dans la mesure où les oeuvres ou les artistes touchent quelque chose de la vie des publics que ceux-ci réagissent. Ce n'est pas seulement le statut de l'oeuvre qui compte, c'est aussi son contenu : la façon dont ce dernier éprouve les habitudes, les valeurs, les identités des publics suscite la réception. J.Staiger propose donc une analyse de la relation entre des objets et des communautés sociales et démontre comment, dans un contexte donné, les acteurs sociaux se réapproprient les enjeux d'une oeuvre. Ce dernier point pourrait être très utile afin d'expliquer certains de nos constats empiriques sur l'usage du coming-out de certaines célébrités. Ainsi nous pourrions nous demander si certains regroupements, comme celui auquel nous avons confronté nos hypothèses peut tenir lieu de mouvement de soutien envers une certaine minorité sociale pouvant se reconnaître dans une oeuvre ou une artiste. Ce mouvement pourrait constituer un constructeur de notoriété et de sociabilité télévisuelle38(*), suite à la diffusion des émissions Star Academy.

En effet, D.Pasquier a montré que la télévision est l'objet d'échanges dans une multitude de communautés sociales comme la famille, l'école, le lieu de travail, le voisinage, les lieux de loisirs ou de vacances. A travers son étude sur la série « Hélène et les garçons », elle constate que dans la sociabilité juvénile, ce marché des interactions est particulièrement actif. D'après ses questionnaires, 61% des répondants disent discuter des séries pour adolescents avec leurs amis et d'autres enquêtes indiquent que la télévision vient en tête des sujets de conversation à l'école. Elle est aussi, comme elle le montre, l'objet de nombreuses pratiques collectives. Elle évoque notamment les échanges d'images représentant les personnages de la série. Le groupe des pairs pourrait donc avoir une certaine influence sur les comportements de chacun par rapport à l'expérience télévisuelle. Des travaux montrent que la pression du groupe des pairs agit à la fois sur les choix des consommateurs et sur les interprétations. Ainsi, il faut toujours se tenir au courant de ce qui risque d'intéresser les autres, pour pouvoir interagir et discuter sur le sujet. D.Mehl a montré aussi comment les jeunes faisaient usage du magnétoscope. Ils enregistrent des films de cinéma dont ils ont plutôt un usage individuel et patrimonial, mais ils regardent toujours en direct les émissions dont ils savent qu'ils auront à parler avec leurs amis39(*).

La relation à la télévision est une expérience socialement normée et organisée. Les positions de chacun affichées sur la scène sociale ont pour but d'organiser une expérience sociale commune qui se construit dans le cadre des interactions avec autrui. La culture de masse s'impose de manière peut être encore plus brutale chez les jeunes et la pression du groupe sur les choix individuels est forte. La télévision mais aussi, comme nous le verrons plus loin les nouveaux moyens de communication comme Internet sont des supports de l'affirmation des identités. Ce sont des formes culturelles communes qui suscitent des discussions et tracent les contours des réseaux sociaux : « Ces échanges permettent de parler de soi sous couvert d'un personnage du petit écran, d'affirmer des préférences physiques ou de porter des jugements moraux. Ils permettent aussi d'évaluer ce que d'autres pensent sur le même sujet. Les programmes de télévision sont des supports particulièrement utiles pour exprimer les identités personnelles »  40(*).

II ) L'AFFIRMATION ET LA RECONNAISSANCE IDENTITAIRE A TRAVERS DES MODELE MEDIATISES

Les différentes formes de sociabilités et la recherche de modèles que nous avons évoquée, sont des expériences socialisantes qui permettent la construction de l'identité sexuée41(*), puis sexuelle. Le sexe devient une affaire de choix personnel au sein de sociétés réflexives où les identités sont successives, plurielles et flexibles42(*). Nous nous intéressons plus particulièrement aux jeunes, puisque la jeunesse est un des pôles fondamentaux dans le processus de construction identitaire. L'adolescence a pour enjeux aujourd'hui la sexualité soumis à la dépendance matérielle de la famille et de l'école. Ainsi, la construction d'une autonomie et d'une identité à l'adolescence repose largement sur la constitution d'une sphère privée, par la mise en place de relations échappant aux institutions familiales et scolaires43(*). Le groupe des pairs est un vecteur important dans ce processus. Il s'apparente à un collectif dans lequel les individus puiseraient leurs ressources, des enquêtes ayant montré la place considérable de la sociabilité amicale dans la vie des jeunes44(*). Il correspond à un foyer identitaire45(*). La socialisation entre pairs permet à l'individu d'intérioriser, de concrétiser et d'exprimer les changements identitaires qui l'affectent. Cependant, le groupe se pose aussi comme lieu de contrôle et de régulation sociale pouvant entraîner des sanctions symboliques46(*), notamment dans le cadre d'une socialisation divergente de celle de la majorité. Il pourra s'agir dans ce cas, dans notre étude, de la découverte de l'homosexualité chez les jeunes, qui se trouvent alors en décalage avec leurs pairs. Le degré d'appropriation intérieur d'un monde va alors être fonction du degré de leur identification aux autres et de leurs modèles de projection. La sexualité résulte d'une construction sociale importante où les influences des représentations littéraires, médiatiques et artistiques ont un rôle considérable47(*). Les individus, ici plus précisément les adolescents, ont besoin d'un apprentissage social et culturel concernant la sexualité ; d'autant plus qu'aujourd'hui la procréation n'est plus au centre des discours. La sexualité apparaît désormais comme une expérience personnelle, fondamentale dans la construction du sujet, au sein de la sphère de l'intimité et de l'affectivité entraînant un certain paradoxe : « la visibilité et la relative acceptation sociale d'orientations sexuelles alternatives ont permis de redéfinir à l'époque contemporaine, l'horizon de l'expérience sexuelle pour tous les individus, même si paradoxalement cette extériorisation semble pourtant aller à rebours du processus historique de privatisation et de cantonnement des manifestations sexuelles ordinaires à l'intimité »48(*).

Dans cette partie, nous allons tenter de lier le processus de construction identitaire à celui de socialisation et aux formes de reconnaissance. En effet, chaque sujet humain est fondamentalement dépendant du contexte de l'échange social organisé selon les principes normatifs de la reconnaissance réciproque. La disparition de ces relations de reconnaissance peut déboucher sur des expériences de mépris et d'humiliation qui ne sont pas sans conséquence pour la formation de l'identité de l'individu49(*).

1. De la construction identitaire à une « politique des identités »50(*)

Avant de commencer cette partie, il convient de noter que nous ne défendons pas l'existence essentialiste d'une identité gay ou lesbienne51(*). L'identité est appréhendée comme une construction sociale, elle est soumise aux changements, elle fait partie d'un processus.

Le mot « identité » vient du latin « idem » (le même) désigne ce dans quoi nous nous reconnaissons et dans quoi les autres nous reconnaissent. L'identité est toujours attachée à des signes par lesquels elle s'affiche, de sorte qu'elle est à la fois affirmation d'une ressemblance entre les membres du groupe identitaire et d'une différence avec « les autres ». Autrement dit, l'identité se situe au point de rencontre entre la connaissance de soi par soi-même et par autrui52(*). Cette conception peut s'analyser par la notion de soi en miroir (looking glass self), encore appelé soi réfléchi, indiquant ainsi que le soi est enraciné dans l'image renvoyée par les autres53(*). L'autre est en quelque sorte un miroir social qui permet à l'individu de se connaître, de s'évaluer, de s'éprouver et de se reconnaître.

Ce que nous pensons de nous-mêmes, la façon dont nous nous percevons, dont nous nous définissons, dont nous nous cataloguons ou évaluons qui nous sommes, et dont nous le prenons en compte pour agir, dépend des autres que nous avons rencontrés ou que nous rencontrons quotidiennement. L'interaction contribue à la conscience de soi et d'autrui à travers l'apprentissage, la prise et l'exécution de rôles. La notion de rôle54(*) est une notion qui a été souvent proposée pour expliquer de manière générale la socialisation de l'individu en société. La notion d'interaction permet d'actualiser, de concrétiser, et d'une certaine manière, d'opérationnaliser cette médiation entre l'individu et la société dans la mesure où celle-ci se passe entre individus en présence l'un de l'autre. Celle-ci peut être utilisée pour expliquer la formation de soi lors de la socialisation primaire, secondaire, ou la présentation de soi par la prise de rôles en situations publiques.

La socialisation participe donc pleinement au processus de construction de l'identité sociale. L'identité se caractérise par la dualité entre une image pour soi et une image pour autrui, par la nécessaire continuité dans le changement : « entre la nécessité de sauvegarder une part de ses identifications antérieures (identités héritées) et le désir de se construire de nouvelles identités (identités visées) »55(*). Chacun construit son soi réel à partir des identités héritées, attribuées et visées. Cependant les débuts de la quête identitaire trouvent des ressources d'identification collective provenant de ce qu'il reste des structures communautaires. Lorsque l'individu effectue une rupture avec sa socialisation identitaire primaire, il doit se détacher de certaines valeurs et croyances pour en adopter d'autres, celles de « l'identité visée », et pour se faire, il va s'appuyer sur ce que la société lui propose. Dans le cadre de notre étude, il peut se référer à une sorte de « communauté sexuellement marginalisée » ou à une « influence minoritaire »56(*) comprenant certaines représentations d'elle-même, mais aussi comme nous l'avons vu, aux représentations de l'homosexualité dans l'opinion publique véhiculées par les médias de masse.

C.Dubar montre qu'il existe deux formes de construction identitaire57(*) : les formes communautaires qui supposent la croyance dans l'existence « de groupements appelés communautés considérés comme des systèmes de places et de noms préassignés aux individus et se reproduisant à l'identique à travers les générations », c'est la manière d'identifier les individus à partir du groupe auquel ils appartiennent, qui persistent encore aujourd'hui ; et les formes sociétaires qui supposent l'existence de « collectifs multiples, variables, éphémères auxquels les individus adhérent pour des périodes limitées et qui leur fournissent des ressources d'identification qu'ils gèrent de manière diverse et provisoire », c'est le primat du sujet individuel sur les appartenances collectives et de la primauté de l'identification pour soi sur les identifications pour autrui. Dans cette deuxième conception, il n'y a pas d'opposition entre identité individuelle et collective car toute identification individuelle fait appel à des mots, des catégories de référence socialement identifiables. De plus, comme nous pourrons le voir en ce qui concerne les fans, l'identification collective est un instrument de confirmation réciproque d'un sens particulier de la vie. J.C.Kaufmann donne l'exemple des anciens combattants qui doivent se reconnaître mutuellement comme tels pour exister individuellement en tant que tel58(*), c'est-à-dire que l'individu peine à se définir sans appartenance. C'est en ce sens qu'il faut comprendre la vertu identitaire des mouvements sociaux. Ainsi, leur multiplication supposerait un besoin croissant de connaissance de l'identité, cette nécessité serait provoquée par la modernité individualiste, qui paradoxalement supposerait également l'importance des identités collectives.

De plus en plus, l'individu tend à vouloir faire apparaître et reconnaître dans la sphère publique ce qui fait parti de la sphère privée, selon des critères subjectifs plus qu'objectifs. Citons ici la logique du « coming-out » : c'est lorsque le dedans (in) se manifeste au dehors (out), comme une naissance, une nouvelle socialisation59(*). De même, la revendication des unions de même sexe aboutit à la reconnaissance publique des formes d'organisation de la vie privée60(*).

Nous l'avons vu, l'intimité et par conséquent la sexualité sont de plus en plus évoquées et mises en scène sur les écrans de télévision, mais encore davantage avec l'avènement des nouveaux médias comme Internet. A partir des années 60, la politisation de l'intimité et de la sexualité a été mise à l'ordre du jour. Il s'agissait alors de faire débattre publiquement de questions jusque-là dissimulées dans le non-dit du fonctionnement de la famille patriarcale61(*). Les mouvements féministes ont largement contribuées à ces changements contemporains. L'émergence de l'homosexualité dans la sphère publique est inscrite dans ce mouvement et a eu des conséquences sur la vie sexuelle en général62(*). La popularisation du terme « gay » par lequel les homosexuels se désignent a été interprété comme l'indice de la place grandissante de la subjectivité dans le processus identitaire. Ainsi ce processus réflexif permet « à un phénomène social donné de faire l'objet d'une appropriation et d'une transformation grâce à un engagement collectif ». Cela a contribué à donner un autre visage à l'homosexualité, jusque là considérée comme une perversion au sens psychiatrique du terme. La divulgation d'expériences vécues jusque-là clandestinement a un double sens politique : favoriser une prise de conscience et une croissance du mouvement, lutter contre les multiples discriminations dont souffrent les homosexuels. Ainsi, « sortir du placard », c'est-à-dire, dire publiquement son homosexualité est devenue à la fois un rite de passage personnel et un acte politique. Cela a permis également de suggérer que la sexualité constitue une qualité ou une propriété appartenant en propre au soi. Un individu a donc une sexualité, homosexuelle ou non, pouvant être « appréhendée, interrogée et développée sur le mode réflexif ». Il n'y aurait pas d'état naturel de la sexualité humaine ; nos expériences sexuelles sont construites comme des scripts c'est-à-dire apprises, codifiées, inscrites dans la conscience et élaborées comme des récits63(*). La sexualité est donc scénarisée et devient un élément central de l'identité. Elle tient le rôle de jonction entre le corps, l'identité personnelle et les normes sociales. C'est pourquoi, elle apparaît également sur le devant de la scène en matière de reconnaissance. L'univers des affects, des sensations et des émotions est central dans le processus identitaire. Les instruments de l'invention identitaire sont les images et les émotions64(*). Ce dernier point sera plus amplement développé plus loin.

Aujourd'hui, le phénomène d' « androgynéisation sociale65(*) », la relative banalisation de l'homosexualité du fait d'une relative plus grande visibilité, du développement d'un sentiment d'appartenance à un groupe social et l'influence des médias amènent à repenser la construction identitaire homosexuelle. Il y aurait donc, ces dernières années et pour certaines catégories sociales, un passage d'une identité assujettie à une identité réinventée et choisie66(*), avec notamment le développement et l'accroissement des études gays et lesbiennes sous différentes formes (films, oeuvres, études, conférences...) et diffusées essentiellement à l'intérieur de ce qui est communément appelée la communauté homosexuelle. Ce savoir alimente la quête d'une identité collective à travers la redécouverte de ses racines et la création de représentations positives de l'homosexualité67(*). Mais cela n'a pas toujours été le cas. En effet, les lesbiennes, comme tout groupe minoritaire dans une structure sociale et discursive modelée par les dominants, s'affirment et se nomment à la fois dans et contre ce cadre conceptuel et ces systèmes de représentations. Soit niées et invisibilisées, soit assignées à une catégorie marginalisée et stigmatisée, elles vivent, et expriment plus ou moins explicitement, une contradiction entre cette inscription dans les structures de catégorisation et d'étiquetage produites par les dominants, et la contestation de ces structures oppressives68(*). De ce fait, le mouvement social que peut créer un tel phénomène peut être considéré comme intégrant le processus de construction identitaire des individus minoritaires. La dimension identitaire est encore plus forte si le groupe se heurte à une stigmatisation de la part de la société globale et cela peut donner lieu à certaines stratégies s'accompagnant pour la reconnaissance d'une identité.

Trois moments caractérisent une stratégie de mobilisation identitaire69(*). Dans un premier temps, l'existence préalable d'une situation d'exclusion : une qualité particulière (raciale, sexuelle, culturelle ou comportementale) place son détenteur en situation de marginalité, et peut dans certains cas le priver de certains droits et privilèges. Cette situation d'exclusion s'appuie sur la construction d'une identité marginale, imposée aux exclus et socialement ressentie comme honteuse. Dans un deuxième temps, la mise en oeuvre d'une stratégie communautaire : elle vise à consolider le groupe minoritaire qui rassemble les exclus et à revendiquer le plein usage des « droits spoliés » (droits entendus au sens large du terme et pas seulement au sens juridique). Cette stratégie s'accompagne d'un combat culturel destiné à valoriser l'identité à l'origine de l'exclusion, à donner un contenu positif à cette spécificité. L'auto-définition et l'auto-représentation d'un groupe sont précisément l'enjeu de sa mobilisation. Cette mobilisation s'accompagne d'une pratique politique spécifique, qui a pour but de contester le caractère prétendument neutre de l'espace public, en rendant visible la différence, en rendant visible une identité culturelle ordinairement occultée : c'est la démarche de visibilité. Dans un troisième temps, les succès de cette mobilisation rendent possible une problématisation de cette identité marginale. En effet, l'homosexualité entre aujourd'hui dans les débats sur la famille et le mariage.

Mais cette notion de « politique des identités » est inséparable de la notion de connaissance et de reconnaissance : vouloir se définir, s'identifier, c'est aussi vouloir se catégoriser par rapport à un autre semblable ou différent. L'activité de nommer apparaît comme le premier rapport à l'autre -l'autre au sens de celui qui n'est pas nous, et l'activité de connaissance et de reconnaissance entérine au sein des majorités l'existence de groupes réels, elle est la manifestation de l'accès à la conscience majoritaire d'un certain nombre de faits sociaux70(*). D'une certaine façon, le moi n'est personne sans les autres (y compris sous forme virtuelle comme nous le verrons plus après), il n'est rien sans les univers de signification dans lesquels il s'inscrit71(*). Chaque majoritaire et chaque minoritaire se définit dans l'ensemble social par rapport au « je imaginaire », l'un par contiguïté, l'autre par opposition. Les minoritaires doivent jouer sur deux registres : le moi que le majoritaire leur signifie qu'ils sont et le moi qu'ils se sentent être et dont ils sont séparés par l'impératif majoritaire.

2. Les principes de la reconnaissance

La lutte pour la reconnaissance est devenue la forme paradigmatique du conflit politique à la fin du 20ème siècle. Les revendications de « reconnaissance de la différence » alimentent les luttes de groupes mobilisés sous la bannière de la nationalité, de l'ethnicité, de la « race », du genre ou de la sexualité72(*). L'identité collective remplace selon certains auteurs, les intérêts de classe. Dans ces nouveaux conflits comme lieu de mobilisation politique, l'injustice fondamentale ressentie n'est plus l'exploitation mais la domination culturelle. La demande de reconnaissance submerge la société73(*).

La reconnaissance peut être vue en terme de justice ou en terme de réalisation de soi. L'analyse en terme de justice sociale nous intéresse peu ici, puisqu'il est évident que, malgré les évolutions, la parité de participation à l'interaction sociale n'est pas respectée à ce jour, que toutes les sexualités ne sont pas légitimées de la même façon. Les obstacles que certaines personnes peuvent rencontrer sont institués, et peuvent entraver la recherche d'estime de soi, de réalisation de soi. Les institutions produisent et expriment les rapports de reconnaissance. Ce sont les subjectivités qui adressent des demandes de reconnaissance aux institutions. Les institutions, au sens le plus large du terme, produisent trois types d'effets de reconnaissance sur les individus74(*), et par conséquent trois types de contre-effets. Elles influent sur les comportements en tant qu'instance de coordination des actions par des règles. Le risque est que les qualifications de l'agent et de ses partenaires d'action par les règles de l'interaction produisent des effets de reconnaissance mais aussi de déni de reconnaissance, c'est ce qu'on appelle la reconnaissance dépréciative qui peut prendre la forme d'une infériorité, une disqualification ou encore une stigmatisation. Les institutions produisent également une configuration spécifique des attentes des individus et des effets de mobilisation de la subjectivité, c'est le concept d'interpellation75(*). Cependant dans les institutions qui n'offrent de reconnaissance qu'aux individus s'efforçant de coller le plus possible à un rôle social déterminé, le déni de reconnaissance prend la forme de la méconnaissance et de l'invisibilité. Enfin, en tant qu'espaces sociaux spécifiques régis par des principes normatifs particuliers, elles constituent des lieux de socialisation et de production de l'identité, elles sont donc des lieux de subjectivation identitaire. Le déni de reconnaissance produit par cet effet sera une reconnaissance insatisfaisante par une incompatibilité où les institutions interdisent aux individus de s'identifier totalement aux différents rôles dans lesquels ils tentent de se faire reconnaître par la société.

Nous postulons bien ici que le terme de reconnaissance est lié avec celui de l'identité : « c'est dans mon identité authentique que je souhaite être reconnu »76(*). C'est une tendance à la reconnaissance réciproque qui habite l'interaction sociale : autrui est institué au sein d'une activité qui me permet en retour d'exister comme sujet. Il est celui que je dois reconnaître comme sujet en même temps qu'il me reconnaît comme tel. C'est ce que A.Honneth nomme la reconnaissance intersubjective77(*). Le filtre identitaire est une grille de traitement de l'information, préparant l'action. Cette grille prend souvent la forme d'images régulées par des affects, il y aurait donc une amplification de la composante émotionnelle dans la construction de soi ; mais le plus important est la recherche de reconnaissance et d'estime de soi. Nous voulons toujours nous montrer à autrui de manière positive, l'essentiel étant de « sauver la face »78(*), nous nous arrangeons par de profondes reformulations identitaires. Ainsi la construction de l'identité personnelle peut être analysée comme une vaste transaction entre soi et autrui79(*). Dans le cas d'une identité marginalisée, il est assez difficile de se défaire de l'effet d'étiquetage stigmatisant de la morale dominante80(*), de « l'identité attribuée ». Empêtrés dans cette image imposée de l'extérieur et meurtrissant l'estime de soi, les marginaux n'ont comme solution que le repli dans l'invisibilité protectrice, l'échappée dans des passions ordinaires, l'usage de divers substituts palliant artificiellement les carences de « l'individu par défaut »81(*)ou la reconstitution de l'estime de soi par le renversement du stigmate82(*) et comme nous l'avons vu précédemment par la création d'images positives, notamment par le biais des médias, et aussi par la constitution d'un groupe, d'une communauté de tout ordre que ce soit, que ce soit le mouvement gay et lesbien ou à un niveau moins politique et de moindre envergure, le fan-club qui nous intéresse dans cette étude.

Les lesbiennes comme les homosexuels sont donc une minorité. Ce constat renvoie à une distinction fondamentale dans l'histoire du mouvement gay et lesbien en général, celle qui sépare les «assimiliationnistes » et les « séparatistes » respectivement « stigmaphobes » et « stigmaphiles 83(*)». Le premier consiste à rejoindre la majorité, c'est-à-dire à dissimuler son homosexualité pour se fondre dans la normalité, il prône un abandon de la lutte, dénonce le ghetto, accepte le statut de dominé et l'incorpore sous forme de discrétion. Le deuxième courant cherche à faire de la « différence », un point de départ et d'ancrage d'une politique de la différence, en revendiquant la rupture instituée par le stigmate, et en insistant systématiquement sur tout ce qui distingue les homosexuels des « normaux ». Ainsi la minorité ne peut se libérer qu'en construisant des espaces, des zones autonomes de liberté, quitte à former des alliances stratégiques et provisoires avec d'autres catégories dominées, notamment les féministes. Cependant, qu'il s'agisse de se conformer aux normes ou de construire des sous-mondes alternatifs, chacun à sa manière considère comme immuable le principe de la domination hétérosexiste, reconnaissant en ne les contestant pas les principes de division et de hiérarchisation qui sont à l'origine de l'oppression. Ici, on s'inscrit dans une perspective déterministe où l'on pourrait s'autoriser à employer le terme de P.Bourdieu et parler d'un habitus gay ou lesbien.

Historiquement, la minorité est devenue le référent des groupes dominés qui cherchent à réclamer leurs droits et à resignifier les catégories initialement destinées à les assujettir. On trouve au sein même d'une minorité, des divergences allant d'un extrême à l'autre. Par exemple, même si le mouvement lesbien était très proche voire corollaire au mouvement des femmes, le lesbianisme dit radical diverge du féminisme dit radical. Il considère le lesbianisme non comme une simple pratique sexuelle mais comme une résistance, consciente ou non, à l'ordre social et politique instauré contre les femmes : l'hétérosocialité, dont le pivot est l'hétérosexualité, ce lien total de la femme à l'homme, lien pensé comme naturel et immuable. Dans les pays francophones, la théorie du lesbianisme radical a puisé certains concepts dans le « féminisme matérialiste », notamment celui de l'appropriation collective et privée de la classe des femmes par la classe des hommes84(*) : le « sexage ». Le lesbianisme radical s'appuie en outre sur le lesbianisme matérialiste de Monique Wittig85(*). Se distinguant des thèses du féminisme, cette dernière entend montrer en quoi « le sujet désigné (lesbienne) n'est pas une femme, ni économiquement, ni politiquement, ni idéologiquement » car, bien que subissant les effets de l'appropriation collective des femmes (salaires inférieurs, viol, agressions...) les lesbiennes échappent à l'appropriation privée par un homme. L'objectif du lesbianisme radical, contrairement à un courant séparatiste, qui mise sur la création d'une contre-culture fondée sur la supériorité des valeurs féminines, est de supprimer la bi-catégorisation sexuée, analysée comme construite et non naturelle.

Nous évoquons dans cette étude une reconnaissance essentiellement dans le but d'une construction identitaire et par conséquent une reconnaissance pour la confiance en soi, le respect et l'estime de soi, qui apparaît comme la traduction subjective du mécanisme de reconnaissance. Mais en évitant de tomber dans la psychologisation de la réalisation de soi, il faut rappeler que les individus exigent aussi que la reconnaissance d'une valeur soit définie par des identités déjà constituées, produites par et dans les institutions. L'identité mise en mouvement politique serait ce qui se joue d'essentiel dans la lutte pour la reconnaissance à valeur émancipatrice. La thèse du primat social des identités collectives permet ainsi de recadrer la portée politique de la théorie de la reconnaissance86(*).

Ainsi, un regroupement tel que celui que nous nous sommes proposés d'étudier, celui des fans d'Anne-Laure mobilise la reconnaissance pour soi, c'est-à-dire une identification individuelle qui passe par un modèle médiatique favorisant du même coup l'émergence d'une solidarité collective, d'une reconnaissance pour autrui d'un certain mouvement, pas forcément revendicatif, pas forcément conscient, à travers le développement sur Internet d'un certain réseau de fan. Le passage de la construction identitaire individuelle à travers un modèle où chacune peut se reconnaître dans cette image médiatique qu'Anne-Laure donne des lesbiennes aujourd'hui, à la construction collective en faveur peut être d'une reconnaissance d'un certain « mouvement lesbien » se fait, dans ce cas, par la constitution du groupe de fans.

Les lesbiennes mènent donc un combat avant tout pour lutter contre leur invisibilité et obtenir la reconnaissance, sans que l'on les assimile au mouvement gay. Sortir de l'invisibilité c'est accéder aux médias de masse, et plus particulièrement à la télévision ; et y accéder de manière « naturelle ». La figure de la lesbienne prend lentement place dans un paysage audiovisuel français. Elle est en tout cas plus rare - ou plus discrète - que la figure de l'homosexuel. Le concept négatif d'invisibilité s'oppose au concept positif de visibilité. La visibilité physique implique une forme élémentaire d' « identifiabilité » individuelle ou collective et, en conséquence, représente une première forme primitive de ce que nous appelons « connaître »87(*). Rendre visible une personne va au-delà de l'acte cognitif de l'identification individuelle ou collective, c'est parce que nous possédons une connaissance commune des formes positives d'expression que nous pouvons voir dans leur absence une marque d'invisibilité. Autrement dit, la connaissance est un acte cognitif non public et la reconnaissance dépend des moyens de communication qui expriment le fait que l'autre personne est sensée posséder une « valeur » sociale. Nous attendons réciproquement les uns des autres une signification des formes d'expression afin de devenir visibles les uns pour les autres, nous attendons de recevoir une confirmation sociale. Ces formes d'expression accordent à l'individu une approbation sociale ou le fait qu'elle possède une légitimité sociale.

Anne-laure, on l'a vu, représente une minorité. Les minorités cherchent à faire promouvoir leur reconnaissance. Star Academy, en tant que programme télévisuel représentant jusqu'à 56,2% de part d'audience88(*) semble être une aubaine remarquable pour une minorité si peu évoquée. Même si le modèle est formaté, labellisé, et qu'il porte le sceau d'un produit dérivé, il n'en reste pas moins convoité par les populations concernées. C'est le terrain même de cette étude.

Ainsi de la même façon que les adolescentes, cibles privilégiées de ce genre de programme et de tous les produits dérivés qui vont avec, vont vouloir s'identifier en apparence à leur star favorite, les fans d'Anne-Laure, majoritairement lesbiennes, vont chercher et voir en elle, un symbole, un modèle de reconnaissance, notamment au niveau du look, de la mode vestimentaire. Les magazines pour adolescentes insistent beaucoup sur ce créneau de la ressemblance. On peut lire des conseils pour permettre aux jeunes filles de s'identifier ; par exemple : habille-toi comme Lorie, maquille-toi comme Christina Aguilera, adopte le look d'Avril Lavigne, sois sexy comme Britney Spears...Pourtant jouer avec son image a parfois été un moyen de faire passer un message ou de signifier son appartenance à un style de vie. Anne-Laure en adoptant le style sportwear a immédiatement fait la différence avec ses autres camarades féminines du château. Ce facteur vestimentaire pourrait être un point de départ dans l'éveil de la curiosité des téléspectatrices lesbiennes, même s'il n'est juste de définir la sexualité d'une personne uniquement sur des critères d'apparence.

L'identification est donc un vecteur incontournable de la reconnaissance et de l'affirmation identitaire sexuelle.

3. La politisation de la reconnaissance ou la réappropriation des enjeux d'une oeuvre autour d'un fan-club

La présence ou l'absence des homosexuels à la télévision n'est désormais plus ni un problème, ni un sujet de débat. Au contraire l'année 2002 constitue une sorte de tournant dans le cadre de la  télé réalité  : le mois de juin voit en effet la consécration de Thomas, lauréat de Loft Story 2, sur M6, qui présente la particularité d'avoir fait son coming-out en direct. Pour les observateurs gays, cette révélation est une demi-surprise. Mais pour le téléspectateur lambda, que l'on imagine toujours choqué, stupéfait, voire ricanant, l'affaire passe sans aucun scandale. Le même constat s'est opéré lors de la sortie du placard d'Anne-Laure, candidate de Star Academy 2 sur TF1, prétendument censurée par la production, qui, dans les faits, semble avoir savamment orchestré les fuites. Ce fait est relativement rare. L'homosexualité à la télévision est majoritairement masculine, jusque dans les années 80, à l'exception des apparitions de la célèbre Elula Perrin, reine des nuits lesbiennes parisiennes. Aujourd'hui, on a pu trouver quelques rares émissions consacrées aux seules lesbiennes ; elles sont la plupart du temps mise en images avec les gays, pour qu'au final on ne les montre pas à l'écran. Cette année, Canal plus a consacré sa « nuit gay et lesbienne », à l'homosexualité féminine pour la première fois. Enfin, sans parler du cinéma, la fiction francophone a évoqué le sujet de l'homoparentalité dans des couples de femmes.

Autant dire que les lesbiennes sont très peu représentées en France à l'écran. Le cas d'Anne-laure qui sera étudié ici va permettre de comprendre comment la télévision peut fabriquer des personnages, peut mettre en avant certains types sociaux, comment elle organise finalement l'adhésion voire l'identification du public. Par la suite, les autres médias récupèrent un certain nombre d'éléments qui vont être largement répandus. Après l'annonce de son homosexualité, Anne-Laure a été hissée au rang d'icône lesbienne sans véritablement l'avoir souhaité. Ce terme d'icône renvoie à, ce que nous avons pu constater lors de l'élaboration du travail de maîtrise sur la construction sociale de la culture gay et lesbienne. Il permet de rattacher certaines personnalités à un certain public qui va les mettre en avant dans leur propre « culture » pour différentes raisons. Sur ce point, les gays et les lesbiennes ont des attitudes différentes. Pour les gays, il s'agit généralement des divas qui sont le symbole même de la femme idéale et inaccessible. On parle bien ici de symbole, elles n'ont, la plupart du temps, pas de rapport direct avec l'homosexualité89(*). Ce que nous venons d'énoncer ici sont des a priori, des stéréotypes, qui peuvent se vérifier dans une certaine réalité mais qui surtout se perpétuent à travers les médias qu'ils soient gays ou non90(*). Cet engouement n'a pas son équivalent chez les lesbiennes. Toujours d'après notre travail précédent et les entretiens que nous avons réalisé, les lesbiennes semblent s'intéresser à une personnalité publique du fait de son homosexualité (Amélie Mauresmo, KD Lang, Anne-Laure) ou de son ambiguïté sexuelle (Sharleen Spiteri, chanteuse du groupe Texas). Les gays s'intéressent finalement peu aux personnalités gays actuelles. Les lesbiennes seraient plus dans la recherche d'une reconnaissance, d'une valorisation de leur minorité. En effet, elles accumulent une double discrimination portée sur leur genre et sur leur sexualité. La lesbophobie porte en effet sur la discrimination sexuée et sexuelle. Elle combine généralement homophobie et sexisme, même s'il n'est pas encore possible d'en trouver une définition dans les dictionnaires tant son usage est récent, ce qui justifie peut être une certaine indifférence à cet égard. Elle est moins manifeste que l'homophobie à proprement parler mais elle existe91(*).

Nous l'avons vu la télévision, même si elle tend à choisir de banaliser l'homosexualité, elle le fait toujours en fonction des schèmes déjà incorporés par le téléspectateur, ou encore en prenant garde de ne pas être trop décalée par rapport à la norme en vigueur. A une heure de grande écoute et pour des émissions aussi suivies que Star Academy ou Loft Story, il s'agit de montrer une image de l'homosexualité bien lisse, dans la même lignée que les différents documentaires qui affichaient des couples presque « normaux » durant les débats du PACS et ceux de l'homoparentalité. Bien sûr, il ne s'agit pas de dire ici que les gays ou les lesbiennes doivent forcément être des marginaux. Mais les productions vont avoir tendance à dédramatiser et utiliser l'enjeu du coming-out à des fins commerciales, tout en restant dans le « politiquement correct ». A aucun moment dans Star Academy il n'a été prononcé le mot homosexualité ou lesbienne. Mais le public averti ne s'y trompe pas et Anne-Laure est tout de suite étiquetée par le biais des médias. Nous verrons que l'homosexualité sans être mise en avant peut être un des vecteurs poussant ses fans à se regrouper à travers un nouveau moyen de se reconnaître et peut être se faire reconnaître.

Le dernier siècle a progressivement assisté à l'avènement de l'individu. Il s'agit pour chacun aujourd'hui de faire de sa vie un récit. La mise en scène du « soi » et la construction sociale de l'identité personnelle constituent l'une des composantes majeures des pratiques et des représentations des individus. Cette mise en scène revient souvent dans les recherches contemporaines qui rappellent que l'image et l'estime de soi, les identités communautaires ou politiques s'élaborent dans des interactions entre les individus, les groupes et leurs idéologies. Nous laisserons de côté le processus de construction identitaire individuelle, qui nous semble plus relever de la psychologie, pour nous intéresser plus généralement à la construction sociale de l'identité. Les interactions sociales sont au centre du processus actuel de recherche sur l'identité car les sociétés contemporaines se caractérisent par la multiplicité toujours accrue de groupes d'appartenance, réels ou symboliques, auxquels sont affiliés les individus92(*). Le groupe fonctionne comme catalyseur privilégié de l'identification personnelle. En effet, la conscience de soi n'est pas une simple production individuelle. Elle résulte de l'ensemble des interactions sociales que provoque ou subit l'individu. Le groupe socialise l'individu et l'individu s'identifie à lui. L'individu se trouve enserré dans un maillage, volontaire ou non, d'appartenances qui lui impose ses comportements et lui fournit un ancrage identitaire. L'idée selon laquelle l'identité sociale trouve son origine dans l'appartenance au groupe est relativement ancienne mais c'est bien plus récemment qu'il a été montré expérimentalement que l'identité sociale avait des implications sur les processus entre groupes. Dans nos jugements, nos perceptions, nos relations avec autrui, nous ne nous comportons pas comme des individus isolés mais comme des êtres sociaux qui constituent une part importante de ce qu'ils sont à partir des groupes humains et des catégories sociales auxquelles ils appartiennent. Les individus peuvent donc se définir en tant que membres de groupes par rapport à d'autres groupes présents dans la société, et cette définition sociale influe sur leurs perceptions, sur leurs évaluations et leurs conduites. L'identité sociale et l'appartenance au groupe y sont inextricablement liées au sens où la conception de quelqu'un ou la définition que quelqu'un peut avoir de lui-même sont largement composées de descriptions de soi en termes de caractéristiques définissant le groupe social auquel il appartient93(*) notamment le sexe, l'âge ou encore la catégorie socio-professionnelle. L'identité sociale se définit à partir des effets de la catégorisation sociale qui découpe pour un individu son environnement social de manière à faire apparaître son propre groupe et les autres. La catégorisation sociale consiste en un système d'orientation qui crée et définit la place particulière d'un individu dans la société par son emplacement dans une catégorie. Segmenter le monde en un nombre de catégories selon qu'elles sont semblables ou équivalentes pour l'action, ne nous aide pas seulement à simplifier le réel en fonction de nos objectifs, cela nous sert aussi à spécifier qui nous sommes. Non seulement nous classons les autres comme membres de tel ou tel groupe, mais nous nous situons nous-mêmes relativement à ces groupes et cela engage également une certaine forme de reconnaissance, la reconnaissance mutuelle : je reconnais autrui comme mon alter-égo lorsque je fais partie du même groupe que lui94(*). La reconnaissance ne peut exister que dans la mesure où les individus admettent que telles qualités ou capacités de réalisation de soi sont importantes pour mener tel type de vie et c'est parce qu'ils admettent une telle importance qu'ils se reconnaissent réciproquement comme ceux qui les possèdent et font ainsi partie de la même communauté95(*).

Ce terme nous renvoie à notre étude, le fan-club pourrait être interprété comme relevant d'une communion de certains individus autour d'un sujet ou d'un objet commun, et former ainsi une sorte de communauté presque au sens religieux du terme96(*) en vue d'obtenir une certaine reconnaissance des membres mais aussi de la société en général. Les fans serait la version moderne des apôtres d'antan, imaginairement membres d'une communauté fictive. Dans cette culture laïcisée demeurent des structures fondamentales, celles de la religiosité, non pas la foi en tel Dieu, mais le besoin de croire à quelque chose ; non pas tel rite régulé par un code ecclésiastique, mais le désir d'une expression stéréotypée et habituelle des émotions individuelles et collectives sous des formes imitatives, sacrificielles et communautaires ; non pas une organisation gérante du sacré, mais une soif de s'agréger en des communautés émotionnelles où se pratique la communication chaleureuse, le dévouement zélé, l'éclatement ludique ou la ferveur politique. Ainsi l'individu va sélectionner des bribes d'informations et va les agencer selon ses propres inspirations et aspirations. Les objets, symboles ou idées qui font partis des rites sont aussi inquestionnables que les rites religieux et peuvent avoir un aussi fort impact affectif et mobilisateur.

Ici nous traitons de l'étude d'un fan-club que nous pouvons définir comme une institution diffusant l'image d'un artiste, quel qu'il soit, et permettant une rencontre, un dialogue entre ses fans. C'est une forme d'association réunissant les admirateurs de l'artiste. L'objectif est de promouvoir l'image de l'artiste, d'organiser son culte public lorsqu'il s'agit de personnalité comme celle d'Elvis Presley par exemple, d'alimenter les dévotions privées, d'élargir la « grande famille des fidèles »97(*) représentée par un « nous » mis en avant par les membres. En premier lieu biensûr, le fan-club participe à la perpétuation de la construction médiatique de la notoriété d'un artiste, mais aussi, le réseau qu'il peut créer entre les membres peut sous-tendre l'idée de reconnaissance mutuelle, et enfin l'artiste lui-même peut être érigé en modèle par ses fans et ainsi être considéré comme un vecteur d'identification.

Aujourd'hui, le « nous » n'est pas forcément communautaire, il peut être sociétaire98(*), c'est-à-dire, relève d'associations volontaires de personnes qui ont choisi, pour un temps, de s'y affilier ou de les créer, en coopération avec d'autres. Ces « collectifs » ont pour eux une signification subjective dans la mesure où ils impliquent la défense d'intérêts communs et le partage de valeurs communes. Le lien sociétaire est fragile comme le lien social, il n'implique pas de croyances collectives ni de racines communes mais la participation à des actions avec d'autres qui sont des « partenaires ». Le lien est volontaire et son enjeu est aussi la reconnaissance de chacun des partenaires comme acteur social. Ainsi, s'inscrire dans tel ou tel club ou associations s'apparente à une affiliation « émotionnelle », « affective » et « éthique » car cela permet de développer une sociabilité choisie. Elle n'engage pas pour la vie mais permet de rencontrer des gens, de coopérer avec eux mais le « je » garde tout de même la prédominance sur le « nous ». Le fan-club est donc utile à un moment donné dans la construction identitaire de ses membres mais il ne doit être qu'éphémère.

III ) LA CONSTRUCTION ELECTRONIQUE DU SOCIAL99(*) :LA COMMUNAUTE VIRTUELLE COMME NOUVELLE FORME DE SOLIDARITE ?

Aujourd'hui, la question des groupes s'inscrit pleinement dans une perspective sociologique. Depuis plus d'un siècle, mais surtout depuis une vingtaine d'années, les organisations et les systèmes de valeurs et corrélativement le cadre et le style de vie quotidienne, se sont profondément transformés. Ces changements techniques, économiques, démographiques affectent les relations des hommes entre eux, par suite du développement croissant de l'urbanisation et des organismes techno-bureaucratiques. L'évolution des cadres et des processus de communication (mass media, informatique, Internet) ainsi que l'ébranlement des modes traditionnels d'autorité tant familiales que professionnelles suscitent la recherche de nouveaux équilibres et de nouvelles formules d'intégration psycho-sociale, et par suite, un réaménagement des groupes et des relations en groupes.

Cette recherche d'intégration et, comme nous l'avons vu, d'identification, corrélée aux nouveaux moyens de communication comme Internet entraîne la création de certains « groupes virtuels ».Le multimédia permet dans notre étude de cas, de regrouper certaines personnes qui admirent le même candidat à travers des sites Internet qui leur sont consacrés. Internet a supplanté la presse écrite dans la transmission des informations culturelles et politiques. Il est adapté à une « communauté » dispersée géographiquement, différemment des minorités ethniques car les membres ne naissent pas en son sein mais doivent se reconnaître et se trouver. Internet n'offre pas seulement des instruments permettant des rencontres, il peut être un vecteur important, pour les jeunes, de construction d'identité, essentiellement pour les membres d'une minorité. Le vecteur Internet peut représenter un médiateur entre le public et l'objet de la passion au sens où l'entendait A.Hennion100(*), c'est-à-dire qu'il va être une des conditions essentielles permettant aux acteurs sociaux de constituer leur « communauté », le seul objet de la passion ne se suffit pas à lui-même. Ainsi, en construisant leur relation avec les objets, le public donnerait forme à l'espace social où ces relations peuvent s'épanouir.

La formation de ce qu'on pourrait alors appeler « communauté virtuelle » s'effectue sur des bases très sélectives d'appartenance identitaire et même sub-identitaire, prolongeant ainsi la tendance socioculturelle contemporaine qui a fait émerger des associations comme « Motards chrétiens » ou «Jeunes femmes juives américaines homosexuelles ». Tous les hobbies, toutes les passions trouvent sur Internet une concrétisation sous la forme d'un site, d'un forum ou d'un groupe de discussions. Internet fonctionne comme une gigantesque machine à affinités électives, permettant à celui qui se croyait seul de « rencontrer » ses pairs. Il a la capacité de fabriquer des mondes de substitution à nos échanges sociaux quotidiens, de nouvelles manières d'être ensemble, de dire, de faire, de vivre, de nouvelles façons de se confronter à l'autre, de le rejoindre et de lier avec lui des interactions, et peut-être même de repenser notre propre identité.

1. De la sociologie des réseaux sociaux...

Notre point de départ pour parvenir à l'idée de « communauté virtuelle » s'ancre dans la sociologie des réseaux sociaux. Cette notion apparaît pour la première fois dans un article de J.A.Barnes101(*) en 1954. Ses théories prennent pour objets d'étude les relations entre les individus et les régularités qu'elles présentent, pour les décrire, rendre compte de leur formation et de leurs transformations, et analyser leurs effets sur les comportements individuels. Elles ont l'originalité de ne pas réduire les acteurs à leurs attributs individuels. Nous nous intéressons ici au concept de réseau et non pas aux outils de l'analyse des réseaux sociaux.

Le réseau social se définit comme un ensemble d'unités sociales et des relations que ces unités sociales entretiennent les unes avec les autres, directement ou indirectement, à travers des chaînes de longueurs variables. Ces unités sociales peuvent être des individus, des groupes informels d'individus ou des organisations plus formelles, comme des associations, des entreprises voire des pays102(*). Les relations entre les éléments désignent des formes d'interactions sociales qui peuvent être elles-aussi de natures extrêmement diverses : il peut s'agir de transactions monétaires, de transferts de biens ou d'échanges de services, de transmissions d'informations, de perceptions ou d'évaluations interindividuelles, d'ordre de contacts physiques et plus généralement de toutes sortes d'interactions verbales ou gestuelles, ou encore de la participation commune à un même événement.

Ce terme s'est enrichi tout au long des siècles, par extension et par glissement de registres métaphoriques. Autrefois, il était péjoratif d'employer le terme de réseau, il s'assimilait à une société secrète, une organisation clandestine, un pouvoir occulte. Aujourd'hui, il y en a de nouveaux usages popularisés par le développement de l'informatique et des télécommunications considérées comme ensembles complexes de voies de circulation virtuelles. « Internet » devient « Le » réseau par excellence et il est ici pertinent de mettre au jour les relations engendrées par ce moyen.

G.Simmel avançait le fait qu'une dyade servait à décrire un réseau social. Cette explication est remise en cause par M.Forsé103(*) qui préconise que les éléments soient saisis à l'échelle d'une triade où les relations interpersonnelles acquièrent une dimension impersonnelle. Seul un ensemble d'au moins trois éléments permet de saisir les éventuelles interdépendances entre les relations qu'entretiennent les individus à l'intérieur d'un réseau. Ainsi, la triade apparaît comme la figure élémentaire du social104(*), l'unité « atomique » de l'analyse des réseaux sociaux. La triade n'est pas d'une logique additive, elle devient combinatoire, ouvrant la possibilité d'étudier les stratégies de coalition, de médiation, la transitivité des affinités...En théorie, les réseaux peuvent être « potentiellement infinis »105(*). G.Simmel est tout de même le véritable précurseur de la sociologie des réseaux. Son objet fondamental n'est ni microsociologique ni macrosociologique mais « mésosociologique » c'est-à-dire l'intermédiaire entre les deux. Il s'intéresse aux formes sociales qui résultent des interactions entre les individus, et non à leur contenu. Cette théorie « relationnelle » s'applique à définir et à catégoriser les individus dans un ensemble de relations. Nous pouvons ici prendre l'exemple suivi par H.S.Becker pour illustrer cela106(*) : c'est parce que les individus sont marginalisés, étiquetés, mis à l'écart de la société, notamment par les entrepreneurs de morale, qu'ils sont considérés comme déviants, c'est-à-dire, pris dans un processus d'interactions qui les opposent aux individus jugés « normaux ».

Mais c'est la sociabilité qui apparaît comme objet fondamental de l'analyse en terme de réseaux sociaux. En sociologie, la notion de sociabilité ne désigne pas « la qualité intrinsèque d'un individu qui permettrait de distinguer ceux qui sont sociables de ceux qui le sont moins »107(*), mais simplement l'ensemble des relations qu'un individu entretient avec les autres, et des formes que prennent ces relations. La sociabilité en tant que forme pure de l'action réciproque permet d'en avoir une image idéal-typique éloquente. Cependant, elle doit être opératoire pour l'analyse des réseaux sociaux, alors on doit définir la sociabilité soit par le recensement et les caractéristiques des interactions, dans le cadre d'études sur les « réseaux personnels », soit à partir de ses manifestations extérieures le plus facilement saisissables et mesurables, autrement dit à partir de tout un ensemble de pratiques qui mettent en relation avec autrui, comme les réceptions à domicile108(*), les sorties109(*), la fréquentation des cafés110(*), la pratique du sport111(*)... L'étude des formes de sociabilité en propose deux questions, celle de la variation sociale des pratiques de sociabilité en fonction des attributs socio-démographiques individuels (par exemple, les jeunes ont une sociabilité plus intense et plus tournée vers l'extérieur112(*)), et celle de l'évolution historique de l'intensité et des formes de la sociabilité et de ses explications possibles. Suite à cette deuxième question, certains amorcent la thèse du déclin de la sociabilité. Les enquêtes INSEE montrent qu'entre 1983 et 1997113(*), la sociabilité décroît mais surtout se transforme. Les causes sont le vieillissement de la population, la précarisation du marché du travail qui ne favorise pas les contacts avec des collègues, l'augmentation du chômage, le déclin des commerces de proximité, l'augmentation de la mobilité géographique mais surtout l'augmentation des télécommunications.

Cependant, l'enquête INSEE n'inclut pas les entretiens téléphoniques, les discussions entre les membres du ménage, les contacts professionnels ou marchands, les discussions de plus en plus répandues sur Internet, ni la durée de ces interactions. De plus, le temps libre augmente, il est en grande partie absorbé par la télévision, ne pourrait-on pas alors la considérer comme un support de sociabilité ? De même que la compensation par le téléphone, les SMS, les mails114(*) et les conversations instantanées via le Web montre bien qu'il n'y a pas réellement un déclin des formes de sociabilité mais une transformation. L'enjeu de la sociabilité est celui du maintien du lien social, de la cohésion sociale, aujourd'hui, les transformations engendrent de nouvelles formes d'intégration. Comme nous l'avons précisé dans nos hypothèses, les formes de la sociabilité peuvent engendrer des actions dites « expressives » comme l'affinité et l'amitié, ou des actions dites « instrumentales » comme l'entraide et la solidarité115(*).

L'analyse en terme de réseaux reproche à la sociologie traditionnelle de constituer des groupes sociaux par agrégation d'individus présentant des attributs individuels similaires (âge, sexe...). Ces groupes vont donc correspondre aux catégories du sens commun. Il faut alors vérifier s'ils ont des pratiques et de représentations semblables, une conscience de former un groupe, des relations fortes entre les individus qui composent ce groupe. L'analyse des réseaux sociaux préconise un renversement de l'analyse sociologique traditionnelle, en dépassant le stade descriptif des groupes et étudier les relations dans le groupe et en dehors du groupe pour pouvoir être considérés comme formant des groupes116(*). Il faut trouver des indicateurs, regrouper les individus à partir de l'existence de relations entre eux, c'est-à-dire, en fonction d'une observation de la cohésion ou de la densité des ensembles qu'ils forment et voir quels sont les effets de l'analyse en terme de réseau social sur les comportements individuels, notamment en ce qui concerne la construction identitaire, qui nous intéresse plus spécifiquement ici. Les formes sociales, comme les groupes ou encore les normes émergent des interactions entre les individus, ce n'est pas seulement ce qu'ils ont en eux qui les caractérisent, mais aussi ce qui est entre eux117(*), facteur de cohésion sociale.

2. ...à la communauté virtuelle pour penser le social

La notion de communauté est difficile à définir, il est devenu un mot fourre-tout permettant d'évacuer certains questionnements, voire de masquer les lacunes d'un paradigme, en cela il se rapproche de la notion de virtualité. Il est difficile aussi de l'employer en tenant compte de l'articulation entre le macrosocial et le microsocial. Ce terme renvoie originellement à une relation sociale caractérisée par des obligations mutuelles, selon l'étymologie : communis dérivé de cum (avec, ensemble) et de munus (charge, dette). C'est alors « réseau défini par des règles du type « donner-recevoir-rendre » »118(*). Mais communis peut signifier également « communion », il renvoie donc à un « acte de partager, de mettre en commun »119(*). Cette définition permet de revenir sur la distinction fondamentale de F.Tonniës avec d'un côté la communauté dirigée par une volonté organique ou affective, et de l'autre côté, la société privilégiant la volonté réfléchie ou rationnelle. Ces deux formes de solidarités représentent deux idéaux-types, deux modèles, deux pôles abstraits d'un continuum empirique des formes d'organisations sociales concrètes, celles-ci comportant des degrés divers des traits caractéristiques de l'un et de l'autre. Nous nous attacherons à mettre en relief cette conception de la communauté dans notre étude de cas. Il s'agit en effet, nous le verrons, à la fois de prendre part dans un collectif pour soutenir ensemble une artiste mais aussi, et c'est un peu le fondement de notre recherche, pour partager un certain nombre d'expériences communes, s'entraider et éventuellement pour revendiquer une certaine forme de reconnaissance mutuelle et s'inscrire dans un processus plus large.

Cependant, si l'on prend pour point de départ, la théorie fondamentale de F.Tonniës120(*) qui la définit comme un collectif fondé sur la proximité géographique et émotionnelle et impliquant des interactions directes, concrètes, authentiques entre ses membres, il semble alors a priori paradoxal d'y associer le terme « virtuel » auquel on a pourtant de plus en plus recours avec le développement grandissant d'Internet. On parle aussi de communauté en ligne ou médiatisées par ordinateur, de communauté électronique, ou encore de « cybercommuanutés »121(*). Le fait d'être pour ou contre la notion de « communauté virtuelle » n'est pas tellement la question que se posent les sociologues mais il s'agit plutôt de connaître les enjeux à l'oeuvre dans le fait de penser le social en terme de virtuel122(*).

Les études sur ce domaine se sont essentiellement développées aux Etats-Unis où les aspirations communautaires sont beaucoup plus importantes qu'en France. En 1985 se fonde en Californie le WELL (Whole Earth'lectronic Link) où se développe la notion de communauté virtuelle. H.Rheingold123(*) en donne une définition : « regroupements socioculturels qui émergent du réseau lorsqu'un nombre suffisant d'individus participent à ces discussions publiques pendant assez de temps en y mettant suffisamment de coeur pour que des réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberespace [...] . Les membres des communautés virtuelles font appel à des mots inscrits sur les écrans pour échanger des plaisanteries, débattre, participer à des digressions philosophiques, faire des affaires, échanger des informations, se soutenir moralement, faire ensemble des projets [...] , tomber amoureux ou flirter, se faire des ami(e)s, les perdre, jouer [...]. Les membres des communautés virtuelles font sur le Réseau, tout ce qu'on fait « en vrai », il y a juste le corps physique qu'on laisse derrière. »

La critique qui est faite aux études du virtuel est que le réel et le virtuel sont la plupart du temps opposés124(*) ; le réel étant égal à l'actuel, au donné et le virtuel, au possible, au pré-donné. La première approche consiste à dire que le virtuel est subordonné au réel. Cette vision est dite paranoïaque car elle oppose une « réalité artificielle » à une « Nature mythique ». Le virtuel serait une re-présentation, une simulation, une fausse approximation de la réalité, une copie forcément dégradé du réel. La seconde approche préconise la virtualité comme une résolution, un moyen d'explorer ou d'ausculter la réalité125(*). Cette vision est utopique car elle voit dans les technologies virtuelles, une force libératrice des richesses du réel.

Dans ces deux approches, le réel s'oppose donc au virtuel et ce dernier nécessite un support technologique. Or ce n'est pas toujours le cas. En effet, la troisième approche est celle de l'hybridation du réel et du virtuel. Dans une perspective Deleuzienne, le réel est en constante « création et expérimentation »126(*). C'est une conception du réel dans laquelle l'actuel et le virtuel sont en interrelation circulaire et productive.

Selon les trois approches, les axes de réflexion sur la « réalité » des communautés virtuelles se fondent autour de la notion de représentation, de résolution et d'hybridation.

La communauté virtuelle a un rôle de représentation de la réalité, un rôle d'imitation, d'émulation. Elle serait une « simulation fonctionnelle » de communauté dite réelle. C'est l'exemple de l' « effet Disneyland » c'est-à-dire que l'on voit dans les grands centres commerciaux, la réplique des communautés commerçantes d'antan127(*). Le danger de cette fonction serait la perte de communautés réelles aux profits d'échanges virtuels.

Une vision plus enthousiaste de la virtualité est celle qui considère qu'elle a un rôle de résolution, c'est-à-dire qu'elle viendrait combler les lacunes du réel. C'est le potentiel libérateur des communautés virtuelles qui permet une actualisation, une mise en contact effective des groupes humains qui étaient seulement potentiels avant l'avènement d'Internet. Cette libération concerne aussi le genre, l'appartenance ethnique, la classe sociale, l'identité sexuelle, la communauté virtuelle serait utilisée comme le moyen de s'affranchir de la prison du corps et par suite, d'égalisation des différences et d'émancipation des minorités sociales128(*).

La dernière fonction est celle de l'hybridation. Dans cette perspective, il est possible de distinguer différentes époques comportant chacune une forme typique de communauté virtuelle allant de la formation des premières communautés intellectuelles au 17ème siècle au public de la télévision129(*). Dans ce cas, les communautés virtuelles se définissent comme des espaces indéniablement sociaux au sein desquels les gens continuent à se rencontrer face-à-face, mais selon des définitions nouvelles à la fois des mots « rencontres » et « face-à-face ».

3. Les nouvelles pratiques de communication entraînent-elles une réorganisation des sociabilités ?

Notre problématique nous a conduite à interroger le rôle des nouvelles technologies ouvertes sur le monde comme Internet, ne constituent-elles pas un des nouveaux vecteurs permettant l'accès précoce à un certain nombre d'éléments constitutifs de l'identité sexuée ? Nous entendons par-là, la construction identitaire des individus en utilisant des ressources non disponibles aussi facilement dans le réel. Ce monde que nous qualifions à grands traits, de virtuel permet à tout un chacun de pouvoir se retrouver à travers des sites qui lui correspondent mais aussi à travers toutes les personnes qui peuvent s'y croiser. De ce constat en découle un autre, celui de la construction sexuelle de l'identité. Internet devient un nouveau moyen de rencontre. Chacun peut y trouver ce qu'il cherche, et notamment en matière de sexualité, élément qui nous intéresse plus particulièrement. Les poussées individualistes et communautaires dénoncées de toutes parts traduisent une fragilité de la volonté de vivre ensemble130(*). Nous avons fait le constat de l'affaiblissement des grandes institutions faiseuses de lien entre les individus et liant l'individu à la société, tout ceci grâce au processus de socialisation qui semblait un des grands vecteurs de la pérennisation du lien social. Aujourd'hui, les rapports sociaux se transforment et des formes de lien social alternatives voient le jour. Ces formes sont fragiles, volontaires et souvent éphémère, du fait de la vie de l'individu moderne. Les solidarités intermédiaires se trouvent renforcées et nous assistons à un repli sur des groupes d'affinités et/ou de proximité dans lesquels importe le rôle accordé aux minorités porteuses de valeurs particularisantes. Les individus recherchent des lieux de sociabilité qui leur fourniront le lien social dont ils ont besoin. Cette sociabilité se base notamment sur des échanges symboliques pouvant être vus comme des mots de passe permettant la reconnaissance : la reconnaissance de soi à partir de la reconnaissance du groupe. Ces lieux de sociabilité peuvent être multiples, l'individu peut appartenir à différents groupes en même temps sans remettre en cause la cohérence de sa construction identitaire. Les interactions et la reconnaissance qu'elles entraînent sont au coeur de la problématique du lien social. Ainsi nous comprenons comment des individus à la marge se sont inventés des moyens de se regrouper, de se reconnaître et ainsi de fabriquer un lien social entre eux131(*), mais aussi entre eux et la société sous forme de délit et de marginalité ou plus généralement de subversion ; car être à la marge, c'est bien se référer ou être forcer de se référer à un autre groupe. Dans notre société actuelle, la fracture sociale que certains dénoncent132(*) met à mal aussi bien le lien social que les identités personnelles. Face aux mutations contemporaines, à la poussée vers la mondialisation, l'individu doit trouver des stratégies pour retrouver ce lien quotidien et local qui lui est nécessaire.

L'explication du recours médiatique nous intéresse plus particulièrement. Le téléspectateur tente de remédier à sa déperdition de sens en se déplaçant vers les symboliques et les personnages mis en scène, et même l'exclusion est aujourd'hui mise en scène. Le consommateur culturel va fabriquer du lien avec les images qui lui sont soumises. Les individus, la « foule solitaire », doivent trouver dans les personnalités reconnues un moyen de s'identifier et de se vivre. Ces personnalités deviennent des vecteurs porteurs de sens. « Le On différencié, en se projetant dans des mondes virtuels et des personnages improbables, laisse de la place à un lien fictif qui socialise et qui permet d'adhérer aux conditions, aux personnages et aux circonstances hors-quotidien élaborées et présentées par les médias, éléments constitutifs des rites d'accompagnement d'un réel subi plus que choisi »133(*). Les séries télévisées et maintenant les émissions de télé-réalité entraînent une exhibition permettant de se voir, de constater la proximité, la ressemblance sociale et/ou culturelle avec les personnages : « l'individu se mire lui-même sur l'écran-miroir », et cela peut aussi valoir pour tout ce qui se passe sur Internet.

Les émissions de télé-réalités comme Star Academy, A la recherche de la nouvelle star, Loft Story...ont pour but d'induire du lien social, du moins en apparence, au sein du groupe formé pour l'occasion et de relier les téléspectateurs à un éventuel « ensemble populationnel ». Les productions ont assimilé l'envie du public de voir de « vrais gens », à la place desquels ils pourraient être. Ces « proto-héros » sont, de ce fait, « opératoires comme objets d'identification, comme icônes et divinités séculières, lares domestiques, apaisants et sécurisants, producteurs de rituels d'accommodement et de compensation »134(*).

De nos jours, la médiatisation et la « massification » de la communication humaine auraient transformé les modalités de genèse et de maintien des communautés. B.Anderson parle alors de « communauté imaginée »135(*). L'idée de communion demeure centrale et ne doit pas forcément être concrètement réalisée comme le préconisait F.Tonniës. Il suffit qu'elle existe sous la forme d'une image dans l'esprit des membres. Mais le fait que la communauté soit imaginée, qu'elle commence par fiction ou par anticipation, ne l'empêche pas de se transformer en réalité. Ce sont des communautés imaginées et non des communautés imaginaires136(*). Dans les sociétés modernes, une part grandissante des interactions est médiatisée par les institutions et les dispositifs de communication de masse. C'est pourquoi aujourd'hui avec Internet, nous sommes obligés de repenser le collectif différemment des communautés classiques comportant la contrainte d'être ensemble dans une promiscuité sans alternative, l'engagement dans les collectifs électroniques est généralement beaucoup plus fluide. Ses contours sont flous, on peut donc dire que leur réalité est virtuelle. Mais la virtualité n'est pas une dénaturation du social mais plus un aspect, un effet d'optique de sa complexification croissante, amplifiée par ses propres artefacts techniques. Ainsi, on peut dénombrer plusieurs communautés virtuelles réduites et construites et chaque individu peut appartenir à différentes communautés en même temps, il peut se servir de plusieurs univers socialisateurs et les faire cohabiter137(*).

La notion de communauté est une notion dynamique qui varie selon l'époque notamment, nous l'avons vu, selon l'évolution des techniques. Si nous parlons de communauté virtuelle, c'est que nous faisons référence aux communautés réelles, « non-virtuelles », originelles. Ces deux extrêmes se rejoignent dans une conception idéalisée d'une forme d'organisation sociale où régnerait la transparence et l'immédiateté des interactions humaines. Cette idéalisation naïve est critiquée. Le retour à de petites communautés entraînerait un désir individualiste de repli sur soi et un désintérêt de la chose publique138(*). Dans le sillage des théories exposées plus haut, il est montré que ce qui importe ce n'est pas le moyen de communication mais la relation en elle-même. La relation de face-à-face chère aux fondements de la sociologie des communautés n'est cependant pas supérieure aux autres formes d'interaction. Les fondements épistémologiques de cette supériorité se retrouvent dans la théorie de P.Berger et T.Luckman139(*) où la « réalité suprême » serait construite via l'interaction en face-à-face. De même que D.Wolton préconise qu'il faut « sortir de la communication médiatisée pour éprouver une communication directe, humaine et sociale »140(*).

Avec le développement des médias, la notion de communauté, les collectifs correspondent de plus en plus à la notion de public qui se définit comme « une collectivité purement spirituelle entre des individus physiquement séparés et dont la cohésion sociale est toute mentale »141(*). Le public est différent de la foule selon la définition qu'en donnait Le Bon142(*) qui nécessitait un contact et un face-à-face direct et physique ; en effet, les moyens modernes de communications permettent « le transport de la pensée à distance » et par suite, la « contagion sans contact ». La notion de public est aussi ambiguë que celle de communauté virtuelle : sont-ils des collectifs objectifs ou des artefacts créés par le chercheur ? Un même individu peut appartenir à plusieurs publics, plusieurs collectifs en même temps, or la notion de communauté de F.Tonniës est, par essence, exclusive. Finalement, le but du regroupement quel qu'il soit reste le même : « faire du lien social »143(*). Les nouvelles formes de lien peuvent être individuelles et stratégiques, fondues dans les dispositifs cathodiques ou insérés dans des dynamiques collectives.

Le questionnement qui peut être alors posé serait alors de se demander si à l'ère des réseaux et du cyberespace, la communauté virtuelle ne serait pas la figure post-moderne du collectif vers laquelle les concepts de communauté, de public et de réseau convergeraient à terme144(*). La société de communication semble fortement inspirée de la communication publicitaire, et favorisée par la prodigieuse généralisation des outils électroniques. Elle semble alors délaisser la question du sens au profit exclusif de la forme : mise en scène, re-présentation, arts de dire, de vendre, de « faire-savoir », sentiment ludique d'appartenance à une communauté fictive145(*). Si bien qu'aujourd'hui, les médias engendrent une véritable controverse, une perte de crédibilité. Le public fait de moins en moins confiance aux médias, notamment à la presse ; la diffusion payante de journaux chute, en moyenne, chaque année de 2%146(*). Les lecteurs mais aussi les téléspectateurs se perdent tant l'obsession commerciale et l'éthique de l'information paraissent contradictoires : « on assiste au triomphe du journalisme de spéculation et de spectacle, au détriment du journalisme d'information. La mise en scène (l'emballage) l'emporte sur la vérification des faits ».

CHAPITRE II ) LES CHOIX METHODOLOGIQUES

Après avoir déterminé le terrain de la recherche, ce chapitre décrit les techniques de recueil et les principes d'analyse des données choisis. Tentons de préciser et d'objectiver tout d'abord, quelques éléments de la pré-enquête147(*) qui a permis la mise en place du protocole empirique de cette étude. Choisir une méthode d'enquête n'est pas sans contrainte. En effet, il faut tenir compte des terrains retenus et des possibilités que l'on a pour y entrer, des biais et limites que chaque méthode comporte, de ce que l'on cherche à savoir mais aussi les motivations du chercheur. Sans parler de méthode supérieure à une autre, le terrain va quelque peu nous guider dans nos choix. Nous avons eu la possibilité de pouvoir participer à un moment donné à la promotion de spectacles pour Anne-Laure durant le festival d'Avignon en juillet 2004. Cela a été utile pour démarrer et nos observations ont servi de point de départ. Deux constats nous ont paru clairement évidents : celui de l'importance de l'outil de communication qu'est Internet ainsi que l' « esprit de groupe et de famille » qui régnait au sein des fans. En effet, c'est à travers le site Internet officiel qui tient lieu de fan-club que circulent toutes les informations et c'est aussi par ce biais qu'est né cet esprit que nous qualifions de communautaire. Ce travail d'investigation nous a permis d'accéder à ce qui se joue derrière le discours et les pratiques des fans que nous pouvons retrouver sur les forums de discussions du dit site. Dés notre arrivée sur les lieux, nous avons pu constater que tous les fans présentes étaient des filles148(*), qu'un grand nombre d'entre elles se connaissait déjà, s'appelant parfois par leur nom de fan, c'est-à-dire leur pseudonyme sur le site149(*), et qu'enfin la plupart d'entre elles, mettaient en avant leur homosexualité.

Ainsi au vue de ces observations, et notamment concernant l'importance du fan-site150(*), et pour commencer notre enquête proprement dite, nous nous sommes proposés de réaliser une analyse de contenu du site Internet officiel de la chanteuse qui donnent accès à un certain nombre d'éléments comme les coupures presse depuis le début de sa jeune carrière, les interviews, les images, les paroles de chanson et le forum où discutent les membres, les fans qui se sont auto-proclamés « les Choupifans » 151(*); et surtout une analyse de l'énonciation des différents messages que les fans laissent sur les forums. Nous avons également fait une observation de cette nouvelle forme d'expression virtuelle que représentent les blogs152(*) des fans. Enfin nous avons procédé à une trentaine d'entretiens complémentaires avec certains fans membres du forum de discussion que nous avons pu rencontrer directement ou par l'intermédiaire des messageries instantanées sur Internet.

I ) AXES DE RECHERCHE ET HYPOTHESES

Les différents éléments que nous avons abordés dans le chapitre précédent conduisent à l'énoncé des interrogations exploratoires qui ont guidé cette recherche.

1) Quel est le rôle des médias ? Comment se construit la notoriété d'un artiste ? Dans quelle mesure peut-on penser Internet comme un des vecteurs principaux de la mise en place d'une célébrité ?

2) Quels sont les enjeux de la production en terme d'images ? Comment la production gère l'image de la chanteuse ? Quel rôle joue un fan-club dans la construction d'une carrière ? Comment fonctionne un site Internet ? Comme un magazine ? Comment s'opère le processus de catégorisation à travers les différents médias ?

3) Quel usage le public fait de ces catégorisations ? A qui s'adressent les sites Internet ? S'il y en existe un, quel est leur but ?

4) Comment un artiste, au départ, éphémère, construit par un système de profit et d'audimat, peut-il générer un tel engouement ? (le cas des administrateurs du site d'Anne-laure) Dans un monde marchand capitaliste où règne la loi du profit, trouve-t-on des formes de solidarité dans un fan-club? Comment sont-elles générées ? Et de quel type sont-elles ? Quels sont les enjeux d'un tel engouement de fan ? Ce regroupement est-il vraiment « solidaire » ? Sur quoi repose-t-il ? Est-ce que les sites Internet participent à l'élaboration de « communautés virtuelles » ?

5) Y-a-t-il un lien entre l'homosexualité d'Anne-laure et le fait que ses fans soient lesbiennes en grande majorité ? De quelle nature est ce lien ? Qu'est-ce que cela suppose en terme d'image, de carrière, de marketing, de publicité...mais aussi en terme de reconnaissance minoritaire ? Quelle image le site Internet et les médias renvoient de l'homosexualité à travers Anne-laure ? Cette vision est-elle conforme à la réalité ? Est-elle défendue par le groupe des fans ? Est-elle revendiquée ? Comment les fans abordent cette image ? (une chanteuse comme une autre ? un modèle identitaire ?une provocation ? un coup médiatique ? une chance pour l'image des lesbiennes ? un mal pour l'image des lesbiennes ?) Anne-Laure véhicule-t-elle des valeurs propres à un groupe ?

Ces axes de recherche nous ont conduit à l'élaboration de nos hypothèses de travail que nous avons soumis à l'épreuve de notre analyse. 

1) Les médias quels qu'ils soient, participent au processus de construction identitaire. Les nouveaux moyens de diffusion de l'information favorisent la starification à l'époque des vedettes éphémères de la télé-réalité. Ils permettent au public de se « retrouver » autour d'un programme ou d'un candidat, permettant ainsi la formation d'une « communauté de goûts » ou un fan-club comme c'est le cas dans notre étude.

2) Les productions médiatiques sont organisées selon les lois du marché et doivent répondre aux demandes des publics, homogène et hétérogène notamment en utilisant le processus de l'identification ; et l'appui des nouveaux moyens de communication qui permettent parfois la « survie » de l'artiste.

3) Le public s'approprie les images et peut choisir de s'intéresser à une star parce qu'elle leur ressemble, parce que ce qu'elle véhicule les touche...Les nouveaux vecteurs de communication sont très souvent dirigés vers les jeunes en terme de cible marketing. Ce sont eux qui constituent les « tribus » d'Internet, c'est le cas pour notre corpus, dont la moyenne d'âge est de 21 ans. Un des buts que nous avons soumis à l'hypothèse est le fait que la formation sur Internet de ces différents groupes d'appartenance entraîne une cohésion sociale favorisant le lien social.

4) Au delà donc de l'éventuel talent de l'artiste reconnu par les fans, nous avons posé l'hypothèse que « l'être ensemble » était tout aussi important. Et cela est encore plus favorisé lorsqu'il s'agit de regrouper des personnes qui ont du mal à trouver des repères constructifs dans la « vie réelle ». Le groupe favoriserait ainsi le lien social et la solidarité entre ses membres du fait d'un certain nombre d'expériences communes. Ces solidarités seraient d'ordre affectives mais aussi instrumentales, c'est-à-dire utiles dans la construction identitaire et la reconnaissance individuelle.

5) Enfin, nous avons clairement dirigé notre étude dans le sens de la recherche d'une reconnaissance minoritaire, à travers la mise en scène des images médiatiques ; en ce sens nous avons posé l'homosexualité de la chanteuse Anne-Laure comme un élément fédérateur de ses fans. Ces dernières, dans un mouvement de construction et d'identification, se réapproprieraient son coming-out. Ceci ayant des effets positifs de reconnaissance pour soi mais pouvant également avoir des effets négatifs comme celui de la stigmatisation.

II ) L'ANALYSE DE CONTENU DU SITE OFFICIEL

Vers une analyse de la production médiatique autour d'Anne-Laure

Nous proposons ici de nous intéresser à tous les supports qui permettent de rendre compte de l'étendue de la notoriété soudaine d'Anne-Laure et d'en appréhender le processus et ses mécanismes. Pour l'essentiel il s'agira donc du fan-club représenté par le site Internet officiel « Planeteannelaure », mais également des articles de presse, des interviews mais aussi du livre qu'elle a écrit. Nous excluons volontairement de l'analyse tous les sites créés par des fans153(*), qui à notre sens ne seraient pas très utiles du fait de leur ressemblance relative (photos, paroles de chansons, poèmes de fans...).

Le site officiel est en ligne depuis le 25 septembre 2002. On y trouve une partie consacrée à l'artiste directement avec des « news », une « bio », des « photos » et ce qui est appelé la « boutique » où l'on trouve tous les articles merchandising que l'on peut se procurer via le site ; on trouve ensuite une partie consacrée plus particulièrement aux fans, partie qui est appelé « Choupifamily » avec un forum de discussion, un certain nombre de liens, un livre d'or, la possibilité de contacter les administrateurs et les modérateurs du site ; une partie consacrée au « multimedia » où les membres ont accès à la discographie de la chanteuse ainsi qu'à la possibilité de télécharger certaines séquences vidéos et audios issues de différents interviews ou de différents shows de l'artiste ; et enfin une partie « archives Star Academy » où nous retrouvons tout ce qui concerne le passage d'Anne-Laure dans l'émission154(*).

Mais le site est ce que nous pourrions appeler une façade pour une association consacrée à Anne-laure Sibon. Avec son accord, l'association loi 1901 Planète Anne-Laure a été créée le 2 août 2003. Le site a désormais une assise juridique, pour plus de sérieux et de transparence, l'objectif étant de développer le site www.planeteannelaure.com et promouvoir la carrière artistique d'Anne-Laure Sibon. Ce statut associatif permet de renforcer l'indépendance du site où il n'y a pas de publicité. Les administrateurs sont des bénévoles et tentent de faire évoluer le site avec de petits moyens. Nous trouvons par ailleurs, un bon de soutien à l'association où chaque fan est libre d'envoyer un don. Ce bon est téléchargeable à partir du site : « Nous ne sommes pas des salariés et prenons sur notre temps personnel pour faire vivre le site, répondre aux fans et servir au mieux l'image d'Anne laure, avec un désintéressement total », nous aurions voulu revenir sur cette déclaration en interrogeant les membres fondateurs de ce projet mais elles n'ont pas donné suite à nos interrogations malgré plusieurs relances effectuées sur le serveur de messagerie du site.

Ce site est le site officiel d'Anne Laure depuis le 24 février 2003. Au 21 mai 2006, il compte 946 membres et 958 187 visites. Il se partage les fans avec un autre site très important en terme de membres : annelaure.net. Il n'est pas le site officiel, bien qu'il ait été créé avant. Il regroupe 2330 membres, à la même date, soit 1384 de plus que l'officiel155(*). Cette différence est peut être due au fait que le site officiel est plus attentif en terme d'inscription et de participation. En effet, les modérateurs du site officiel ont la possibilité de désinscrire les membres qui ne seraient pas actifs156(*) pendant un certain moment. Nous y retrouvons les mêmes thèmes. Ce site seconde le site officiel mais les informations qu'il donne sont issues de celui-ci.

A partir de ces matériaux, nous cherchons à déterminer l'influence que les médias peuvent avoir sur la construction d'une carrière, sur la construction de la notoriété et quel rôle vont jouer les fans dans un premier temps. Nous chercherons ensuite à démontrer en quoi ils ont une place considérable dans la construction de la reconnaissance et dans la construction identitaire des individus. Afin de mener à bien nos objectifs, de valider ou d'infirmer nos hypothèses de travail, nous utiliserons un des outils offerts par les sciences humaines : l'analyse de contenu de communications.

Cette analyse de contenu pose le problème de l'objectivité, le discours analysé est naturel, donc beaucoup plus accessible donc plus facilement interprétable. Il faut mettre en place des « techniques de rupture » pour ne pas se laisser tenter par une simple « lecture du réel ». Ce que nous souhaitons dépasser, c'est l'incertitude véhiculée dans les discours : est-ce que ce que nous croyons voir est effectivement contenu dans le discours et est-ce que ce discours est compris de la même façon par tous.

L'analyse de contenu se découpe en trois étapes157(*) : la pré-analyse, l'exploitation du matériel avec le traitement des résultats, l'inférence et l'interprétation.

La pré-analyse est la phase d'organisation, elle a pour but l'opérationnalisation et la systématisation des idées de départ permettant d'aboutir à un plan d'analyse. Ceci implique le choix des documents à soumettre à l'analyse, dans notre cas, le site officiel avec tout son contenu, et essentiellement son forum de discussions dont sera issu le plus important de notre corpus. Cette étape implique également la formulation des hypothèses et des objectifs. Notre objectif étant de découvrir les éléments de construction sociale et médiatique d'une notoriété ainsi que celle d'une reconnaissance minoritaire, et l'élaboration d'indicateurs sur lesquels s'appuiera l'interprétation finale. Ces trois éléments dépendent les uns des autres. Le choix des documents dépend des objectifs ou inversement, l'objectif ne sera possible qu'en fonction des documents disponibles, les indicateurs sont construits en fonction des hypothèse. Il faut d'abord procéder à une lecture flottante, une lecture intuitive, très ouverte à toutes idées, réflexions, hypothèses ou guidées par certaines hypothèses provisoires.

Au fur et à mesure, la lecture devient plus précise en fonction d'hypothèses émergentes, de la projection sur le document de théories adaptée. Pour en savoir plus sur le message que l'on analyse, il faut mettre une distance avec ce que l'on lit et bien se rendre compte que la communication suggère un émetteur et un récepteur. Dans le cas présent, l'émetteur est le journaliste pour les articles de presse, l'administrateur des sites pour toutes les informations qu'ils contiennent ou tout simplement des membres du fan-club qui discutent virtuellement sur le forum de discussions prévu à cet effet; et le récepteur est un public plus ou moins homogène qui pourra peut être plus tard qualifié de réseau, de communauté virtuelle, de regroupements de fans ou autre.

III ) LE TERRAIN / LE CORPUS

1. Les forums de discussions

Au sein des sites officiels des artistes, une partie est consacrée à ce que l'on appelle des forums de discussions. Pour participer à ces forums, il faut en être membre. Pour cela, l'utilisateur se créé un compte avec un pseudonyme (ou login) et un mot de passe afin de pouvoir y accéder. Ce compte permet d'avoir une boîte aux lettres électroniques privée au sein du forum. S'ils le désirent, les membres peuvent donc dialoguer en privé. Les nouveaux messages s'affichent dés que l'on entre dans le forum après avoir franchi l'étape du mot de passe. L'adhésion ne se fait pas automatiquement, en effet, les inscriptions doivent être validées par les modérateurs du site. On appelle modérateurs, les personnes chargées de surveiller le bon fonctionnement du site, en règle générale, il s'agit souvent des initiateurs du forum, voire même du site. Ce sera notre cas.

Il est possible à partir du compte personnel, de créer, ce qu'on appelle un profil, c'est-à-dire une fiche de renseignements concernant les membres. Cette fiche contient, ici des renseignements personnels comme la date de naissance (toutes ces dates sont répertoriées dans le calendrier des anniversaires auquel chaque membre à accès, ce qui donne un grand nombre de messages d'anniversaire chaque jour), la possession ou non d'un site web personnel (appelés pages persos ou blogs), le lieu de résidence, l'adresse électronique, les centres d'intérêt, une signature qui apparaîtra à chaque fin de messages postés, ainsi que ce que l'on appelle l'avatar, c'est-à-dire l'image qui accompagne le nom d'utilisateur. Cette fiche est visible pour tous les membres qui sont répertoriés soit par ordre chronologique d'inscription, soit par ordre alphabétique. Aucun des renseignements cités n'est obligatoirement donné. Chacun est libre de donner les informations qu'il souhaite. Il existe au sein de ce forum qui nous intéresse ici, des distinctions de fans, c'est-à-dire que les fans sont classés selon certaines catégories. Cette fiche donne donc également le niveau auquel le membre appartient sous forme de médaille (choupifan de bronze, d'argent, de diamant...) correspondant aux nombres de messages envoyés ; ce nombre de messages apparaît également avec les statistiques d'envoi. Enfin, certains membres de ce forum ont des distinctions particulières. On distingue donc, à côté des Planétaliens et Planétaliennes (les membres n'appartenant à aucune catégorie), les catégories suivantes :

· « Adorablechieuse », « Manuchon, Manuche », « Sale gosse », Bomba corsica et ChoupipouAl, ces catégories sont attribuées à un ou 2 membres, en ayant contacté ces membres pour savoir d'où venait ces surnoms, ils nous ont répondu qu'ils leur avaient été donnés par d'autres fans et qu'ils avaient demandé aux administrateurs du forum d'en faire leur catégorie. Il s'agit généralement de membres très actifs sur le forum.

· Admin & « Oueb », Team, Votre « zabbé », Modo et Modo des choupipoètes, ces catégories concernent un seul membre à chaque fois, ils sont attribués à un modérateur du site, chaque catégorie du forum ayant son propre modérateur.

· Choupiboy, catégorie concernant les membres masculins du forum, peu nombreux.

· Choupilier, cette catégorie concerne les membres considéraient comme les plus importants du forum, les « fans de la première heure » et ce ne sont pas nécessairement ceux qui postent le plus souvent, c'est-à-dire qui sont les plus actifs.

· Choupionnier, catégorie attribuée aux 23 premiers membres du forum.

· Choupipouët, catégorie attribuée à 9 membres actifs dans le forum « Le cercle des Choupipoètes », le forum à vocation artistique.

· Delirium, catégorie attribuée à 10 membres actifs dans le forum « Vache...ries à gogo », le forum où les membres ne se prennent pas au sérieux.

· Membre d'honneur, une seule personne dans cette catégorie, il s'agit d'Anne-Laure elle-même.

· VIP, catégorie pour les membres un peu spéciaux comme le père d'Anne-Laure par exemple.

En général, ces distinctions ne sont pas attribuées d'office, il faut que les membres en fassent la demande auprès de l'administrateur en chef du forum. Selon la réponse d'une des modératrices, l'administrateur peut décider de gérer comme bon lui semble et elles se sont servi de cette idée pour créer des catégories qui rassemblent qui se « ressemblent ».

Ces forums fonctionnent sur la logique des « post »158(*), il s'agit de sujets déposés sur le forum par des membres. Ces sujets sont visibles par tous les membres inscrits sur le forum. Chacun est libre de lire le sujet, d'y répondre, d'intervenir et les modérateurs du site ont un droit de regard sur ce qui est dit et peuvent choisir de faire fermer le sujet ou de le supprimer selon s'il n'est pas conforme aux règles énoncées en amont.

Exemple :

Titre du sujet : « Je ne comprends pas »

yaz

Ecrit le: lundi 04 avril 2005, 20:39



Apprenti(e) Choupifan


Groupe: Planètalien(ne)
Messages: 5
Membre N°: 2297
Inscrit le: 08-octobre 04


Bonjour à tous...


avant hier je répondais sur un topic intitulé: wanted et crée pas chouchou...

je ne sais pas pourquoi mon post a été supprimé et je ne sais pas non plus pourquoi je ne peux plus réponse sur ce topic...ni sur le topic que j'ai crée hierintitulé j'ai besoin d'explications..si quelqu'un a l'info..
merci bp

bonne soirée

Thémis

Ecrit le: lundi 04 avril 2005, 21:57



Choupifan de Rubis


Groupe: Modo

Merci de ne pas ouvrir de topics pour poser ce genre de questions...
Il suffit de contacter les modos par MP si tu veux obtenir des explications quant à la disparition de l'un de tes posts ou la fermeture d'un sujet.
Ceci dit, quand on supprime un post ou un topic, il y a toujours une bonne raison.

Le forum se compose de plusieurs catégories et sous-catégories. Il faut que les membres postent dans la catégorie correspondante au type de sujet évoqué sous peine de voir fermer ou déplacer leur message. Voici les différentes catégories et sous-catégories avec les informations relevées au 21 mai 2006 :

1. UNE ETOILE : catégorie concernant directement la chanteuse

1.1 Forum 100 % officiel : on y trouve tous les messages émanant de la production et de l'équipe professionnelle d'Anne-Laure et également les messages personnels d'Anne-Laure elle-même.

1.2 De « Choupinette » à Anne-Laure Sibon : on y trouve tous les messages à propos de la chanteuse, concernant son actualité, ses projets, les réactions des fans et leur soutien.

1.3 Choupimedia : on y trouve toutes les informations sur les passages d'Anne-Laure sur scène, à la télévision, à la radio etc...

1.4 Sibon la vie : forum relatif aux messages concernant l'album d'Anne-Laure « Sibon la vie »

2. UNE FAMILLE : forum de libre expression des membres

2.1 Choupi'net avenue : ici les Choupifans parlent aux Choupifans de tout et de rien, de rencontres, de discussion avec comme sujet préféré, Anne-Laure mais pas forcément.

2.2 Le cercle des Choupipoètes : les Choupifans montrent ici leur talent de poète.

2.3 Vache...ries à gogo : l'enclos du rire et des gags, il est précisé Choupisérieux s'abstenir !

2.4 Choupiteufs & Choupineufs : en raison du grand nombre de messages concernant les anniversaires et les présentations de nouveaux membres, une nouvelle catégorie vient d'être créer, pour souhaiter les anniversaires des membres et souhaiter la bienvenue aux nouveaux.

3. UNE PLANETE : catégorie traitant des petits problèmes techniques du forum

3.1 Le garage de la planète : on y trouve les questions techniques sur le fonctionnement du forum et du site.

Sur la page d'ouverture du forum, il est donc possible d'avoir accès à toutes ces catégories. En fin de page, on trouve une partie « Statistiques », qui donne le nombre d' utilisateurs en ligne et actifs durant la dernière minute, les anniversaires du jour, ainsi que les statistiques concernant le nombre de messages envoyés dans la journée, le nombre total de membres inscrits, le membre le plus récent et le nombre d'utilisateurs en ligne simultanément (le record était de 97, le jeudi 15 mai 2003 à 23h24).

2. Le forum en chiffre

UNE ETOILE Nombre de sujets Nombre de réponses

UNE FAMILLE

UNE PLANETE

TOTAUX 7331 153074

A la première vue de ces résultats, on remarque que c'est la deuxième rubrique qui engendre le maximum des messages. Nous avons donc bien affaire ici à un regroupement de fans important qui communiquent également en dehors du simple fait de l'artiste sur le forum d'expression libre.

Répartition des sujets selon la typologie du forum officiel (en %) au 21/05/2006

Répartition des réponses selon la typologie du forum officiel (en %) au 21/05/2006

3. Le corpus

Ces graphiques montrent que les catégories engendrant le plus de sujets sont aussi celles qui engendrent le plus de réponses. Le choix du corpus s'est naturellement orienté vers la catégorie « Une famille », d'une part parce qu'elle est la plus importante et d'autre part, parce que c'est ici que les fans se parlent entre eux. En effet, les sujets et réponses à caractère purement informatif comme ceux que nous trouvons dans la partie « Une étoile » ou ceux traitant de problèmes informatiques («Une planète ») n'ont pas retenu notre attention en ce qui concerne l'analyse. D'une part car ils ne semblaient pas pertinents pour nos hypothèses et d'autres part car il est logique que qu'il y ait des messages concernant l'artiste dans un forum d'un fan-site qui lui est consacré. Cependant quelques sujets ont tout de même été pris en considération dans la sous-catégorie « Forum 100% officiel » parce qu'ils peuvent indiquer une certaine mobilisation des fans devant les messages de la production ou encore les messages de leur idole. Ainsi, nous avons sélectionné 20 sujets sur les 89 en ligne au 21 mai 2006. Nous avons laissé de côté les « sujets importants » concernant les ventes du disque, sa promotion et la réservation des différents concerts.

De plus, malgré que la sous-catégorie « De Choupinette à Anne-Laure Sibon » offre essentiellement des sujets informatifs, elle a été la première catégorie du forum, c'est-à-dire, qu'elle était la seule pendant quelques temps. C'est pourquoi nous allons utiliser quelques sujets issus des prémisses du forum. Nous en avons retenu 5 sur les 1604 en ligne pour les raisons que nous venons d'évoquer.

La catégorie « Une famille » recouvre donc le maximum d'intérêt de la part des membres. Ce forum est toujours actif. En effet, devant chaque catégorie, un logo indique si le forum est calme ou actif. Cependant, nous allons trier les messages et ne conserver que les plus pertinents pour nos hypothèses de travail. Voici comment se répartissent les sujets et les réponses dans les différentes sous-catégories :

Répartition des sujets et des réponses dans la catégorie « Une famille » selon le total des sujets et des réponses de cette catégorie (en%)

Nous avons exclu, à ce stade là de l'analyse, les sujets des catégories « Le cercle des Choupipoètes », « Vache...ries à gogo » et» « Choupiteufs & Choupineufs » , qui ne nous ont pas semblé pertinents dans notre recherche. Nous verrons plus tard pourquoi. Nous avons également procédé à un tri sélectif de la sous-catégorie « Choupi'net avenue » qui va principalement nous aider dans notre travail. Nous avons conservé 122 sujets et toutes les réponses qu'ils ont suscité, issus de cette catégorie. Nous avons ensuite procédé à une répartition thématique de tous les sujets que nous avons sélectionné, 147 au total159(*).

4. Les entretiens

Afin de préciser notre étude et confirmer, ou d'invalider, ou de nuancer, les résultats que nous avons obtenu dans le cadre de l'analyse de l'énonciation des messages du forum de discussions, nous avons souhaité ajouter à notre corpus une série d'entretiens de membres du fan-club d'Anne-Laure, 30 au total. Cela nous a permis de nous rendre compte plus précisément du parcours des fans, à partir moment où ils se sont découverts fan, jusqu'au moment où ils se définissent comme faisant partis de la famille des Choupifans. Ce thème nous a d'ailleurs particulièrement intéressé, revenant très souvent dans les messages du forum, nous avions voulu savoir si les membres avaient effectivement cette profonde conviction d'appartenance, ou s'il s'agissait simplement d'un leitmotiv propre aux discours virtuels d'Internet. C'est pourquoi il nous a semblé pertinent de questionner le quotidien de ces individus pour comprendre et mettre en lumière cet aspect de leur vie de fan entre autre. Il nous a été relativement facile de recruter des personnes motivées pour cette enquête étant donné notre proximité avec le terrain. Cette technique était donc appropriée pour nous fournir des éléments sur la petite « communauté » qui nous intéressait et pour nous permettre d'élargir le cadre des hypothèses. Ayant été en contact avec la plupart des membres de ce forum lors de notre travail de pré-enquête, nous avons intégré la situation d'interaction sans trop de difficulté en établissant une relation privilégiée avec les fans. Comme l'a fait C.Le Bart avec les fans des Beatles160(*), nous sommes glissés consciemment dans la peau d'un fan d'Anne-Laure afin d'instaurer un climat de confiance avec les interviewés. Ainsi les anecdotes à propos de la chanteuse, et les références communes ont pu être comprises et partagées. L'enquêtée s'est donc senti plus libre de s'exprimer sans avoir peur d'être jugée. Sans toutefois nier le jeu des influences161(*) qui se trame durant une situation d'entretien, les interviewés se sont prêtés avec intérêt à l'enquête, et nous ont fourni quelques « fables de vie » retraçant leur parcours de fan. Nous sommes tout de même tout à fait conscient que la technique de l'entretien, de même que l'analyse des messages du forum, ne nous livrent qu'un discours, qu'une représentation des pratiques, et qu'il faut être très prudent avec l'interprétation des résultats.

L'échantillon

Notre échantillon s'est auto-réalisé, c'est-à-dire, que nous avons lancé un appel et nous avons interrogé les personnes qui étaient intéressées par notre étude. Pour cela, nous avons écrit un message dans les deux forums de discussion162(*) les plus importants concernant Anne-Laure : « Avis à la Choupipopulation !Je recherche des personnes (filles ou garçons) pour me raconter leur expérience du fan-club, de leur passion pour Anne-Laure, de leur parcours de fan pour ainsi dire. Pour ceux et celles qui seraient intéressés, merci de me contacter par messages privés163(*) ou directement via mon adresse mail msn.

En vous remerciant. »

Dans ce message de recrutement, nous avons employé des expressions permettant d'interpeller directement les membres du forum, en nous plaçant d'entrée dans une logique de connivence avec les fans, comme le fait de ponctuer des expressions par le surnom d'Anne-Laure. Nous avons obtenu au total 20 réponses positives. Jugeant ce nombre un peu réduit, nous avons démarché d'autres fans par le biais de leur blog164(*) ou pages personnelles. Ainsi nous avons pu obtenir 10 entretiens supplémentaires pour clôturer un corpus final de 30 entretiens. Notre panel d'âge questionné s'étend de 15 à 29 ans et il s'agit principalement de filles avec une seule exception. Ces chiffres sont assez représentatifs des statistiques effectuées pour les membres du fan-club165(*).

Les modes d'accès aux enquêtés

Nous avons rencontré quelques problèmes techniques d'ordre géographique. En effet, nous avons pu interroger en face-à-face tous les membres ayant répondu positivement et qui se trouvaient dans un périmètre assez proche de nous, mais également à l'occasion d'un déplacement à Paris, en période de concerts d'Anne-Laure. Cependant, la présente enquête ne nous a permis de nous déplacer dans toute la France. Ainsi pour contourner ce biais, nous avons réalisé 10 entretiens par messagerie instantanée par Internet.

Le guide d'entretien

Nous avons opté pour des entretiens peu structurés, seulement avec une consigne initiale et des axes thématiques avec des indicateurs, sans planification de stratégies d'écoute et d'intervention. Nous avons toutefois utilisé un guide d'entretien qui est « un ensemble organisé de thèmes que nous souhaitions explorer »166(*). Il est à « l'interface du travail de conceptualisation de la recherche et de sa mise en oeuvre concrète »167(*), il fait parti du processus d'objectivation.

Consigne Initiale

« Tu es membre du site Internet officiel d'Anne-Laure Sibon, peux-tu me parler de cette expérience, de ton rapport et de ton intérêt à ce site, notamment à son forum de discussion. »

Guide thématique

Le rapport à Internet : l'objectif était de connaître ici le rôle qu'occupait Internet dans le quotidien de nos interviewés, que ce soit en fonction du temps de connexion ou des utilisations.

Le rapport à la famille, aux parents : étant donné que la plupart de nos enquêtés vivent encore chez leurs parents, l'objectif était ici de savoir de quel ordre était les rapports qu'ils entretenaient avec eux, à l'aide d'indicateurs tels que la liberté d'expression, de communication et d'espaces privés.

Le rapport à l'apparence : l'objectif était de mettre en lumière les modes vestimentaires que les enquêtés suivaient et ce que cela représentait pour eux, notamment en prenant l'exemple suivi par Anne-Laure.

Le rapport aux représentations : l'objectif de ce thème était de nous rendre compte de la façon dont les enquêtés appréhendaient les représentations de l'homosexualité à l'écran, s'ils abordaient ce sujet, et s'ils évoquaient une identification possible.
Le rapport aux autres : nous avons voulu ici, d'une part, mettre au jour, les relations que nos enquêtés pouvaient entretenir avec leurs amis et comment ils mettaient en avant leur passion pour Anne-Laure, et d'autre part, questionner les relations qu'ils ont établi avec les autres membres du forum de discussions.

Le rapport au collectif, au groupe : l'objectif était de mettre en lumière les différents indicateurs nous permettant de saisir la manière d'appréhender leur groupe d'appartenance, comme le fait de se désigner, de porter des signes distinctifs et de manifester un sentiment de solidarité.

Le rapport aux médias : l'objectif était de connaître les goûts en manière de programmes de télévision, notamment les programmes de télé-réalité de nos interviewés et ce qui les a conduit à s'intéresser à Anne-Laure, que ce soit pendant ou après l'émission Star Academy.

Le rapport à l'homosexualité : l'objectif de cette thématique, si l'interviewé semblait s'engager dans cette direction, était de comprendre ce que l'homosexualité divulguée d'Anne-Laure avait pu apporter dans leur expérience personnelle mais aussi, s'ils ont un avis sur la question, dans la façon d'appréhender la vision de l'homosexualité en général.

Ce guide a été testé lors d'un entretien-test afin de voir si la conceptualisation des questions était bien mise à l'épreuve durant l'entretien. Cette technique d'enquête nous a autorisé des « réajustements en cours de route »168(*), par exemple, si la personne interrogée ne semblait pas concernée par l'homosexualité, nous évitions de nous étendre sur le sujet, notamment en ce qui concerne la phase de l'identification.

Nous nous sommes arrêtés à 30 entretiens car nous avons été confrontés au phénomène de saturation : les contenus des récits devenaient répétitifs.

Les blogs

Au cours de notre travail de recherche, nous nous sommes aperçus qu'un certain nombre de membres possédaient un blog : ce terme est la contraction de web et de log, « journaux de bord », désormais blog en français. C'est un site personnel permettant d'exprimer librement sur sa vie, ses états d'âme, ses passions169(*). C'est une sorte de journal intime numérique que les internautes peuvent voir en ligne et réagir en laissant des commentaires à l'auteur. C'est comme une page personnelle interactive. Nous reviendrons plus amplement sur ces définitions durant les chapitres consacrés à l'analyse.

Nous avons ainsi consulté environ 70 blogs appartenant à des membres du fan-club. Nous nous sommes intéressés aux contenus sommaires de ces pages, sans entrer dans trop de détails ; il ne s'agit ici que d'une étude supplémentaire permettant d'orienter notre enquête.

IV ) L'ANALYSE DES DISCOURS APPLIQUEE AUX FORUMS DE DISCUSSIONS ET AUX ENTRETIENS

L'enquête rassemble l'ensemble des opérations par lesquelles les hypothèses vont être soumises à l'épreuve des faits et qui doit permettre de répondre à l'objectif que nous nous sommes fixé170(*). Nous avons donc soumis notre corpus, les messages du forum et les entretiens à certaines analyses, une analyse de contenu, une analyse thématique notamment avec le classement des messages selon différents thèmes qui nous ont paru pertinent, et surtout une analyse de l'énonciation.

1. Le traitement des données

Nous interprétons tous en fonction de schèmes de lecture, d'appréhension du monde qui nous appartient. C'est pourquoi, nous devons mettre au jour les grilles d'observation du matériau et d'analyse à des fins d'objectivation, de distanciation.

Une analyse quantitative

Nous avons effectué une observation détaillée du site Internet Planeteannelaure et surtout de son forum de discussion. Nous avons suivi les diverses catégories de sujets déjà établies que nous avons classées et quantifiées par des calculs de fréquences (sur le nombre de sujets et de réponses envoyés par les membres). Mais cette grille de catégorisation thématique étant trop importante, nous avons dû sélectionner un certain nombre de sujets avec leurs réponses et les reclasser selon une nouvelle grille. Cela a permis de saisir ce qui est le plus pertinent pour la suite de l'analyse.

Le mode d'enregistrement et de numérotation des données choisi, nous a indiqué de quel type étaient les messages les plus nombreux sur le forum de discussion. Cependant, ce ne sont pas nécessairement les types les plus nombreux que nous allons soumettre à une analyse plus poussée, celle de l'énonciation.

La grille de catégorisation appliquée aux sujets retenus se divise en 5 thèmes :

1. Les coups de coeur (24 sujets)

2. La mobilisation et les recommandations (36 sujets)

3. Les coups de gueule (36 sujets)

4. L'accueil et la solidarité entre les membres(26 sujets)

5. Le partage d'opinions (24 sujets)

Les coups de coeur

Cette catégorie rassemble tous les sujets d'encouragements, de remerciements, d'hommages essentiellement adressés à l'équipe du site ; mais aussi des messages de souvenirs où les membres se souviennent de telle ou telle prestation d'Anne-Laure ; mais encore des messages de type festif (comme pour les fêtes de fin d'année).

La mobilisation et les recommandations

Cette rubrique rassemble les sujets où il est question de mobiliser les membres soit pour un événement tel un concert, pour un éventuel cadeau à offrir à Anne-Laure, soit encore pour agir d'une certaine façon afin de promouvoir la carrière et le dernier titre de la chanteuse. Ces sujets peuvent dans de nombreux cas être lancés par la production elle-même. On trouve également dans cette rubrique, les sujets dits de recommandations que ce soit envers l'utilisation du site et du forum, ou que ce soit envers l'attitude à adopter en tant que fans. Nous avons ajouté dans cette catégorie, les messages postés par Anne-Laure elle-même et qui servent immanquablement à « remotiver » les membres.

Les coups de gueule

Cette catégorie regroupe tous les sujets concernant des explications, entre les membres ou de la production aux membres, mais aussi les différents règlements de compte qu'il peut y avoir sur le forum, tout le monde n'est pas toujours d'accord et cela engendre des conflits.

L'accueil et la solidarité entre les membres

Cette rubrique comporte les sujets sur les nouveaux membres qui se présentent ou qui se trouvent un peu perdus. Il s'agit de sujets sur les différents problèmes que peuvent rencontrer les membres et l'aide que peuvent leur apporter les autres sur leurs expériences personnelles dans différents domaines de la vie.

Le partage d'opinions

Ici, il est question de sujets d'opinions générales à propos d'Anne-laure ou de divers thèmes d'actualité comme par exemple celui de l'homosexualité. Les membres partagent leur point de vue.

Ce classement thématique s'est effectué par rapport aux sujets lancés, il ne tient pas compte des réponses apportées. Il se peut par exemple que l'on retrouve des réponses « coups de gueule » dans le thème « Partage d'opinions ».

Voici la répartition des réponses entraînées par les sujets de nos 5 thèmes de départ (en pourcentage des réponses):

L'élaboration de ces cinq thèmes nous a permis de décrypter les formes de discours employées selon l'information que le locuteur voulait faire passer. Pour cela, ce dernier fait appel à ses compétences linguistiques, que nous admettons au départ. Tous n'ont pas les mêmes compétences, cela se vérifie notamment dans les messages du forum qui nous intéressent ici. En effet, certains ont plus de mal à s'exprimer par écrit que d'autres. Nous appliquons donc une analyse de l'énonciation à un support écrit. L'émetteur n'est pas simplement quelqu'un qui choisit tel ou tel item lexical, telle ou telle structure syntaxique dans le stock de ses aptitudes langagières en ayant pour unique contrainte « ce qu'il a à dire ». D'autres contraintes agissent comme des filtres limitant la possibilité de choix. Il va donc devoir tenir compte de la situation de communication (ici à travers un forum de discussion sur Internet), mais aussi des compétences non-linguistiques de lui-même et du récepteur comme par exemple, leurs déterminations psychologiques jouant un rôle dans les opérations d'encodage/décodage de l'information ainsi que leurs compétences culturelles et idéologiques. Il se peut donc qu'il y ait un décalage entre la production de l'énonciateur et la reconnaissance du récepteur en terme de compréhension. La compétence culturelle indique qu'il faut incorporer l'image que les deux partenaires se font d'eux-mêmes, qu'ils se font de l'autre (ou des autres), et qu'ils imaginent que l'autre se fait d'eux-mêmes171(*) : on ne parle pas à un destinataire réel (encore moins dans le cas de l'Internet communicationnel), mais à ce que l'on croit en savoir, cependant que le destinataire décode le message en fonction de ce qu'il croit savoir de l'émetteur. Mais au cours de la communication, chacun ajuste son propre code à ce qu'il croit présumer chez l'autre.

Dans notre cas, une personne lance un sujet, et les autres membres du sujet sont libres de répondre, d'intervenir ou de ne rien faire. Cependant les énonciateurs jouent tour à tour le rôle de l'émetteur et celui du récepteur. Les messages d'un forum de discussion ne s'adressent quasiment jamais (sauf attaques personnelles comme nous le verrons) à une seule personne. Nous verrons que ces personnes ne se connaissent pas nécessairement mais cela peut arriver, dans ce cas, le dialogue aura plus des allures de conversations « privées » employant des expressions, des anecdotes que tout le monde ne peut pas comprendre. Dans la définition du récepteur, il faut faire intervenir la relation sociale et affective qu'il entretient avec le locuteur. Dans le cadre d'un forum de discussion sur Internet, les relations sont le plus souvent virtuelles, cependant dans un regroupement de fans, il y a toujours des moyens de rencontrer ceux qui partagent la même passion que soi, notamment lors des différents concerts ou déplacements de la star en question.

Le langage dont on fait ici usage n'a-t-il pas déjà pour fonction d'être un marqueur de la reconnaissance de « l'entre-soi » ?

Une analyse qualitative

Après avoir effectué une analyse de contenu thématique, le corpus a été soumis à une analyse de l'énonciation. Cette analyse participe également à l'analyse qualitative des données. Les travaux autour de l'énonciation s'organisent sur des principes issus de la linguistique. Ils partent du principe que tout message implique une interaction, car la parole d'adresse toujours plus ou moins explicitement à un interlocuteur. Le forum de discussion est constitué de locuteurs et de lecteurs mais dont les rôles sont sans cesse inverser, d'où le terme de discussion. Les messages véhiculés par le forum sont destinés aux membres, fans d'Anne-Laure. Il s'agit alors de trouver les marques de l'interaction et les indices permettant d'entrevoir la validation ou l'invalidation des hypothèses de départ.

Le sujet parlant s'inscrit dans les énoncés qu'il émet : autrement dit, à une langue conçue comme un répertoire de signes combinés systématiquement, on tend à substituer l'idée que « le locuteur s'approprie l'appareil formel de la langue et énonce sa position de locuteur par des indices spécifiques »172(*). Le locuteur pose un certain type de rapport à son propre énoncé et au monde. L'analyse du discours ou de l'énonciation se voit comme un dépassement de l'analyse de contenu. L'énonciation est la « mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation »173(*). Elle est l'acte par lequel le locuteur « mobilise la langue pour son compte », « prend la langue pour instrument »174(*), convertit la « langue » en « discours » et se pose comme locuteur par des indices spécifiques.

Le monde contemporain a vu la multiplication de textes éphémères surtout avec le développement d'Internet. Les énoncés que l'on y trouve sont survolés, feuilletés, consultés, rarement au sens plein du mot175(*). Ils peuvent cependant faire l'objet d'une analyse du discours en rappelant que le lien social dont il émerge, le canal par lequel il passe, le type de diffusion qu'il implique, ne sont pas dissociables de la façon dont le texte s'organise. L'analyse de l'énonciation part, le plus souvent, du schéma de R.Jakobson176(*) de la communication verbale :

Contexte

Emetteur............................Message..............................Destinataire

Contact

Code

Même s'ils ne sont pas toujours identifiables, l'émetteur et le destinataire participent toujours virtuellement à l'acte énonciatif. Dans notre cas, l'interaction est simultanée, c'est-à-dire que l'un parle (ou plutôt écrit) et les autres écoutent en silence, ils ne peuvent réagir qu'une fois le message envoyé. Les énonciateurs jouent tour à tour le rôle de l'émetteur et du récepteur. Dans la définition du récepteur, il faut faire intervenir la relation sociale et affective qu'il entretient avec le locuteur177(*). Cette relation pourra se révéler à nous au fur et à mesure du travail d'investigation. Au schéma de R.Jakobson, C.Kerbrat-Orecchioni ajoute les compétences linguistiques, para-linguistiques, idéologiques et culturelles de l'émetteur et du récepteur, mais aussi leurs déterminations psychologiques et les contraintes de l'univers de discours. L'émetteur se livre à un processus d'encodage et le récepteur de décodage, c'est donc un travail collaboratif178(*). Tous ces phénomènes observables forment le processus de l'énonciation. Le but de notre recherche empirique sera de localiser et circonscrire les points d'ancrage les plus voyants de la subjectivité langagière dans les messages du forum de discussion.

2. Le contexte

Il est nécessaire à la bonne compréhension de l'énoncé qui est d'abord verbal mais qui a aussi une valeur pragmatique, c'est-à-dire qu'il prétend instituer une certaine relation avec son destinataire. Pour cela, il faut bien que l'énoncé montre d'une manière ou d'une autre cette valeur pragmatique, l'acte qu'il prétend accomplir par son énonciation. Les conditions matérielles de présentation de l'énoncé interviennent de manière décisive, mais il existe également un « interdiscours »179(*) qui vient étayer l'énoncé proprement dit.

Le contexte n'est pas nécessairement l'environnement physique, le moment et le lieu de l'énonciation. Dans notre cas, où les personnes ne sont pas présentes physiquement lors de l'interaction, il s'agit de prendre en compte le contexte linguistique appelé le cotexte, c'est-à-dire une référence dans le texte permettant de comprendre. Dans notre cas, il est important aussi de prendre en considération les savoirs antérieurs à l'énonciation, qui peuvent être une source d'informations nécessaire à la compréhension et à l'interprétation, notamment les évènements survenus dans la carrière de la chanteuse. Le destinataire n'est pas passif, il doit définir lui-même le contexte dont il va tirer les informations dont il a besoin pour interpréter l'énoncé. Par exemple, si les interactants ont déjà une « histoire conversationnelle » commune, il s'agit pour eux de manifester qu'ils en ont quelques souvenances180(*). Cette « connaissance partagée »181(*) par les interlocuteurs constitue un des éléments les plus importants du contexte. Les participants doivent alors être envisagés comme un « faisceau de propriétés » mais surtout comme un ensemble de savoirs, de croyances et de représentations. Le contexte s'observe donc dans les données concrètes de la situation de communication mais il se réfère également à tout ce qu'il y a de commun chez les participants à la situation de communication. Dans notre cas, il s'agirait notamment des différentes actualités de la chanteuse, de ce qu'elle a pu faire ou ne pas faire dans sa courte carrière, ceci forme ce que l'on pourrait appeler la « mémoire collective »182(*), l'histoire commune à tous les membres du forum, fans de la chanteuse Anne-Laure.

D.Maingueneau évoque les normes que les interlocuteurs doivent respecter en communication verbale. Le destinataire doit faire l'hypothèse que le producteur de l'énoncé respecte certaines « règles du jeu »183(*), accord tacite à l'activité verbale, un savoir mutuellement connu : chacun postule que son partenaire se conforme à ces règles et s'attend à ce que l'autre s'y conforme. Dans notre étude du forum de discussion, les règles du jeu sont fixées au départ par les modérateurs du site et font l'objet d'une sorte de charte184(*). Nous pouvons parler également de principe de coopération185(*).

3. L'interactivité

Le discours est interactif, il engage au moins deux partenaires dont la trace est le « je-tu ». Dans notre cas, le concept d'interactivité est très important car il est le but du forum de discussions, et le but des nouvelles technologies de communication comme Internet. Il s'agit d'une sorte de discussion interactive engageant autant de personnes qui seraient intéressées par le sujet lancé par un des membres du forum. Il ne fonctionne pas selon la logique « je-tu », l'énonciateur ne s'adresse pas seulement à une seule personne mais à l'ensemble des membres du forum, il s'agirait alors d'une logique « je-vous » voire même nous le verrons « nous-vous ». Le discours que l'on recueille sur ce forum de discussion, comme tous les discours, a une certaine finalité qui n'est pas toujours évidente à déceler. Nous avons fait l'hypothèse qu'il s'agissait, d'une part officiellement pour promouvoir la carrière d'Anne-Laure mais aussi pour maintenir ou même créer un certain lien social entre les membres ayant des caractéristiques communes et des buts en commun, d'où l'emploi du terme de communauté. La détermination de cette finalité peut être consciente ou non-consciente selon les membres et selon ce qui peut être dit et non-dit.

Le support matériel qui nous intéresse ici, est Internet ou plus directement l'écran d'ordinateur, c'est lui qui nous donne la dimension médiologique des énoncés étudiés. Avec ce genre de support, nous sommes hors du temps et hors de l'espace, il ne s'agit plus d'une interaction ordinaire.

Aujourd'hui, le médium n'est pas qu'un simple moyen de transport pour le discours, mais il contraint ses contenus et commande les usages qu'on peut en faire. Nous en avons pris conscience avec l'avènement des médias audiovisuels et le développement de l'informatique. Ils ont bouleversé la nature des textes et leur mode de consommation. Il faut partir d'un dispositif communicationnel qui intègre d'emblée le médium. Le mode de transport et de réception de l'énoncé conditionne la constitution même du texte et façonne le discours. Bien des mutations sociales se manifestent à travers un simple déplacement « médiologique » ; le jour où des couples en difficulté au lieu de s'exprimer dans le cabinet d'une psychologue, le font dans un talk-show télévisé, c'est là bien autre chose qu'un simple changement de lieux et de canal, c'est toute une modification de la société qui est impliquée186(*).

Le discours qui nous occupe dans notre étude, est un discours interactif écrit. Il peut ainsi, à travers Internet, circuler loin de sa source, rencontrer des publics plus ou moins imprévisibles sans pour autant être modifié à chaque fois. La distance qui s'établit entre co-énonciateur et texte écrit ouvre un espace pour un commentaire critique ou des analyses. Un écrit peut aussi être recopié, classé, archivé...c'est le cas des différents sujets de discussion du forum, ils sont tous classés dans différentes catégories depuis la création du site. Nous nous devrons également d'accorder de l'importance à la mise en page, au fait que certains mots ou expressions peuvent être écrits en caractères gras ou soulignés, certains apparaissant aussi entre guillemets.

4. Les relations interpersonnelles

Il serait, dans notre cas, pertinent de constater les relations qui s'établissent entre les membres du forum. Le système d'expression de la relation interpersonnelle s'organise à partir de trois axes : celui de la distance, celui de la domination ou du systèmes de places et celui du conflit ou du consensus187(*).

Dans l'interaction, les partenaires peuvent se montrer plus ou moins proches ou éloignés, cette distance est fonction de leur degré de connaissance mutuelle, de la nature du lien socio-affectif qui les unit et de la nature de la situation communicative. La question est de savoir quels sont les principaux signes du lien. Ces marqueurs peuvent être de nature verbale, para-verbale ou non-verbale. On trouve les termes d'adresse : le pronom de la deuxième personne implique soit une distance (« vous ») soit une proximité ou une solidarité(« tu »). Le « tu » peut permettre un mouvement d'inclusion / exclusion, de circonscrire un groupe d'individus qui « partagent » le « tu » , ce « tu » fonctionnant comme un ciment social qui soude efficacement l'ensemble communautaire. Bien sûr certains facteurs peuvent entraîner des modifications comme l'âge, aujourd'hui les jeunes se tutoient dés la première rencontre, ou le lien familial, en principe les membres d'une famille se tutoient. Les thèmes abordés peuvent aussi fournir des éléments quant à la relation des interactants ; si la relation est distante, on aura des thèmes généraux et impersonnels ; au contraire si elle est plus familière, les sujets de conversation seront eux-mêmes privés, personnels ou intimes ; on retrouve les mêmes caractéristiques dans le niveau de langue utilisé. Enfin les « mots de passe » ou les termes et jargons spécialisés sont souvent corrélatifs d'une relation de solidarité entre les interlocuteurs ou du désir de l'instaurer. Ici, Internet implique dés le départ une interaction basée sur la familiarité libérée de toutes contraintes physiques. De plus, les mots de passe188(*) sont obligatoires pour pouvoir « entrer » sur un forum de discussion et les discussions nécessitent en effet, l'utilisation d'un jargon particulier189(*) : ne participe pas aux forums de discussions sur un sujet bien précis, qui veut.

Au cours du déroulement de l'interaction, les différents partenaires se trouvent placés en un lieu différent sur l'axe de la domination qui structure leur relation interpersonelle. Nous pouvons dire que l'un a une position haute (de dominant) et l'autre une position basse (de dominé). Cette relation est de nature graduelle. Dans notre cas, il n'y a pas de tour de parole à proprement parlé, chacun est libre de poster un message quand bon lui semble. A priori, il n'y a pas de rapport de domination. Cependant, lorsque l'on occupe plus longtemps le terrain que les autres participants de l'interaction, on a plus de chances de faire valoir ses vues, de dominer la conversation et d'en être la vedette : avoir le privilège d'entamer la conversation, c'est être en mesure de décider de son orientation générale, de « donner le ton »190(*). Ceci pourrait s'observer chez les membres qui postent le plus souvent ou encore celles qui ont une distinction particulière comme nous avons pu le voir. Celui qui a le dernier mot est important aussi dans les systèmes de places. Dans ces systèmes, il faut distinguer les places qui sont déterminées par le contexte institutionnel (c'est le cas pour les modérateurs du site Internet représentant en quelque sorte l'institution du site) et celles qui sont exprimées dans le discours par le jeu de l'interaction.

L'interaction peut donner lieu soit à une coopération soit à un conflit. Cela s'exprime par une dimension affective dans le discours exprimée à travers un certain nombre de marqueurs de « bonne » ou de « mauvaise volonté » interactionnelle. S'ils sont en « bons termes », les participants vont s'employer à coopérer pour « s'entendre » et s'ils sont en « mauvais termes », ils vont cultiver l'affrontement, et chercher à se mettre des « bâtons dans les roues »191(*: nous retrouvons là la distinction entre les thèmes « coups de coeur » et « coups de gueule ».

5. Les indicateurs de l'énonciation

L'ethos

A travers l'énonciation se montre la personnalité de l'énonciateur. R.Barthes a mis en évidence le caractère essentiel de cet ethos : « Ce sont les traits de caractère que l'orateur doit montrer à l'auditoire (peu importe sa sincérité) pour faire bonne impression [...] l'orateur énonce une information et, en même temps il dit : je suis ceci, je ne suis pas cela. »192(*) . L'efficacité de cet ethos tient au fait qu'il enveloppe en quelque sorte l'énonciation sans être explicité dans l'énoncé. Même à l'écrit, la lecture fait apparaître une instance subjective qui joue le rôle du garant de ce qui est dit. On emploie le terme d'incorporation pour désigner l'action de l'ethos sur le co-énonciateur (les co-énonciateurs dans notre cas). L'énonciation amène le co-énonciateur à conférer un ethos à son garant, elle lui donne corps ; le co-énonciateur incorpore, assimile ainsi un ensemble de schèmes qui définissent pour un sujet, à travers une manière de tenir son corps, de l'habiter, une manière spécifique de s'inscrire dans le monde ; ces incorporations permettent la constitution d'un corps, de la communauté imaginaire de ceux qui communient dans l'adhésion à un même discours. Nous avons rencontré à cet effet, deux sortes de membres, ceux dont l'ethos garantit le non-dit quant à la vie privée d'Anne-Laure et ceux dont l'ethos est plus orienté vers une « politique » de mise en avant de certains critères tels que l'homosexualité de la chanteuse.

Les pronoms personnels : nous, vous et on

Le « nous » sert parfois à désigner non une somme d'individus mais un sujet collectif. En effet, pour E.Benveniste, « d'une manière générale, la personne verbale au pluriel exprime une personne amplifiée et diffuse »193(*). Le « nous » n'est alors qu'une collection de « je », « c'est un je dilaté au delà de la personne stricte, à la fois accru et de contours vagues ». Dans le « nous », la prédominance du « je » est très forte, au point que, dans certaines conditions, ce pluriel peut tenir lieu de singulier. On observe les mêmes remarques pour le « vous », qui peut désigner aussi bien une collectivité qu'un seul individu (dans ce cas, c'est la marque de la politesse).

Le « on » réfère toujours à un être humain, il occupe toujours la fonction de sujet, il ne varie ni en genre ni en nombre et constitue, du point de vue morphologique, une troisième personne, il a une grande polyvalence. Sa préférence varie selon la manière dont il est mobilisé à l'intérieur d'un processus énonciatif particulier. Selon le contexte, il peut s'interpréter comme référant à l'énonciateur, au co-énonciateur, au couple énonciateur plus co-énonciateur, à la non-personne, que ce soit un individu, un groupe ou un ensemble flou.

Les guillemets et l'italique (faits intonatifs ou typographiques)

Les guillemets sont utilisés lorsque l'on rapporte un discours ou bien lorsque l'on veut isoler un mot. Dans ce dernier cas, il s'agit d'un emploi autonymique. L'énonciateur peut également dédoubler en quelque sorte son discours pour commenter la parole en train de se faire. Il peut utiliser aussi des tirets, des parenthèses ou l'italique. Il peut s'agir d'un commentaire sur ce qui est train d'être dit. Quelquefois, on emploie un mot un peu inadéquat ou une expression empruntée à quelqu'un, alors on utilise l'italique ou des guillemets.

En mettant des mots entre guillemets, l'énonciateur se contente en effet d'attirer l'attention du co-énonciateur sur le fait qu'il emploie précisément ces mots qu'il met entre guillemets ; il les souligne en laissant au co-énonciateur le soin de comprendre pourquoi il attire ainsi son attention, pourquoi il ouvre une faille dans son propre discours.

Souvent, mettre une unité entre guillemets, c'est en renvoyer la responsabilité à un autre. Pour interpréter les guillemets, le lecteur doit tenir compte du contexte et en particulier du genre de discours.

Nous voyons donc que la subjectivité peut s'instaurer dans différents moments du processus d'énonciation. Parler c'est signifier, mais c'est en même temps référer : c'est fournir des informations spécifiques à propos d'objets spécifiques du monde extralinguistique, lesquels ne peuvent être identifiés que par rapport à certains « points de référence » à l'intérieur d'un certain « système de repérage »194(*). De plus, certains termes ou expressions sont très marqués subjectivement et évoquent clairement l'opinion du locuteur. Nous avons procédé à un repérage des unités énonciatives que nous avons jugé utiles pour l'analyse. Ces différents points que nous venons de mettre au jour nous a permis de faire émerger ce sentiment d'appartenance, ce sentiment de collectif qui semble peser sur le forum de discussions.

Les adjectifs subjectifs195(*)

A l'inverse des adjectifs objectifs comme célibataire, marié ou encore les adjectifs de couleur, nous trouvons un grand nombre d'adjectifs ou de verbes dits subjectifs :

Les adjectifs affectifs : ils énoncent, en même temps qu'une propriété de l'objet qu'ils déterminent, une réaction émotionnelle du sujet parlant en face de cet objet. Dans la mesure où ils impliquent un engagement affectif de l'énonciateur, où ils manifestent sa présence au sein de l'énoncé, ils sont énonciatifs. Ainsi ils sont proscrits de certains discours qui prétendent à l'objectivité.

Les adjectifs évaluatifs non-axiologiques196(*) : tous les adjectifs qui, sans énoncer de jugement de valeur, ni d'engagement affectif du locuteur, impliquent une évaluation qualitative ou quantitative de l'objet dénoté par le substantif qu'ils déterminent, et dont l'utilisation se fonde à ce titre sur une double norme : interne à l'objet support de qualité et spécifique du locuteur- et c'est dans cette mesure qu'ils peuvent considérés comme subjectifs. L'usage d'un adjectif évaluatif est relatif à l'idée que le locuteur se fait de la norme d'évaluation pour une catégorie d'objets donnée197(*). La norme est bien sûr relative au sujet d'énonciation.

Les adjectifs évaluatifs axiologiques : leur utilisation permet aussi une double norme. La norme interne à la classe de l'objet-support de la propriété : par exemple, les modalités du beau varient avec la nature de l'objet à propos duquel on prédique cette propriété ; et la norme interne au sujet d'énonciation et relative à ses systèmes d'évaluation (esthétiques, éthiques...)198(*). Ils portent sur l'objet dénoté par le substantif qu'ils déterminent un jugement de valeur. Ils sont donc doublement subjectifs : dans la mesure où leur usage varie avec la nature particulière du sujet d'énonciation dont ils reflètent la compétence idéologique et dans la mesure où ils manifestent de la part du locuteur une prise de position en faveur ou à l'encontre de l'objet dénoté.

Les verbes subjectifs : certains verbes comme « aimer » sont nettement plus marqués subjectivement que d'autres (comme « acheter » par exemple). On trouve les verbes qui impliquent une évaluation en terme de bon/mauvais ou de vrai/faux : c'est le cas des verbes de sentiment, à la fois affectifs et axiologiques, ils expriment une disposition, favorable ou défavorable, de l'énonciateur vis-à-vis de son objet et corrélativement une évaluation positive ou négative de cet objet ; c'est le cas également des verbes locutoires qui dénotent un comportement verbal ; c'est la cas ensuite des verbes qui dénotent la façon dont un agent appréhende une réalité perceptive ou intellectuelle, comme les expressions verbales fonctionnant comme des indices de subjectivité, et signalent que l'impression perceptive est spécifique de l'individu qui la reçoit, ou encore les verbes d'opinion, « servant au locuteur à informer le destinataire des croyances d'un tiers »199(*), ils indiquent en même temps quel est le degré d'assurance avec lequel ce tiers adhère à sa croyance200(*).

Réflexions sur l'exhaustivité

Plus un discours est exhaustif et plus il tend vers l'objectivité ; plus il sélectionne les informations à verbaliser et plus il encourt le risque de passer pour subjectif, ce constat est très marquant dans l'étude de la presse. Or, l'absence porte sens comme la présence201(*). Il faudra donc nous intéresser à ce qui est dit mais aussi à ce qui ne l'est pas de manière explicite ou implicite. Etre exhaustif ne veut pas dire, tout dire sur tout, mais dire tout et seulement ce qui, dans une situation donnée et compte tenu des savoirs préalables des énonciateurs, est pertinent sur un sujet donné, et par rapport à cette norme informationnelle, peuvent se mesurer des écarts aussi bien positifs (informations superfétatoires et « déplacées ») que négatifs (informations lacunaires).

Nous avons donc opté pour une analyse qualitative de l'énonciation plutôt qu'une analyse quantitative dont nous n'avons jugé la réelle pertinence, que ce soit pour les messages du forum ou pour les entretiens. Il nous a semblé plus juste qu'une analyse continue ainsi que les articulations pouvaient nous montrer la conscience, l'évidence et le côté communautaire du groupe étudié. En effet, il n'est pas certain que l'on y trouverait une signification statistique. Il convient donc plutôt de s'attarder sur les « échappées de l'inconscient202(*) », annoncées et véhiculées par les indications fournies, leur forme, les nominations...etc...tout ce que l'on pourra trouver de subjectif dans l'énonciation, voire même dans l'argumentation. Il ne s'agit pas de comptabiliser ou de classifier mais de « reconstituer le puzzle d'un sens » en s'attardant également sur les thématiques mises en scène, puisque le discours est le résultat d'une construction203(*), surtout lorsqu'il est écrit et en situation d'entretien.

Ce qui n'est pas dit, a une aussi grande importance que ce qui surgit involontairement, et ce qui surgit involontairement a plus d'importance que l'expression volontaire. On y trouvera plus de vérité que dans la parole réductible à la conscience et à la logique. Les distinctions entre ce qui est explicite et ce qui est implicite204(*) dans le discours, ainsi que ce qui est tu, latent et ce qui est dit, ont ici toute leur importance.

Au fil de l'analyse se sont rajoutés d'autres éléments qui nous ont paru pertinents, comme notamment la manière dont se désigne le groupe, la manière dont les membres du forum se désignaient entre eux, les mots ou expressions inventés par les membres qui peuvent constituer une sorte de vocable propre au groupe, mais aussi les différentes expressions de la solidarité. Il faudra cependant se demander, compte tenu de notre interrogation, si ce système de valeurs « solidaires » est propre à un groupe de fans, un mouvement lesbien naissant ou plus généralement aux jeunes adolescentes, dont nous avons constaté la majorité sur ce forum.

De plus, nous avons tenté de prendre en considération les différentes étapes de la carrière de la chanteuse dans l'analyse des messages. Certains thèmes apparaissaient au début du forum, à son ouverture, puis ont totalement été rendus tabous, c'est notamment le cas pour l'homosexualité, thème qui nous intéresse particulièrement ici.

6. L'analyse de contenu appliquée aux entretiens 

Nous avons appliqué une analyse linguistique de l'énonciation aux messages constituant la première partie de notre corpus. Une telle analyse peut également s'appliquer aux entretiens, même si le discours oral est plus spontané que le discours écrit, les tournures énonciatives utilisées par les enquêtés peuvent aussi être décomposées et nous fournir des indications. Cependant, c'est l'analyse de contenu thématique qui a été mise en oeuvre pour les entretiens afin d'extraire les éléments pertinents pour l'objet de notre recherche, ils prendront alors le statut d'indices205(*). Ces données permettent ainsi la confrontation des hypothèses aux faits et viennent consolider ou infirmer les premiers résultats obtenus grâce à l'analyse des messages interactifs du forum de discussions.

Cette analyse s'est effectué sur l'ensemble de notre corpus, c'est-à-dire, l'ensemble des discours produits par les interviewés et l'enquêteur, retranscrits de manière littérale206(*). Nous rappelons que ce discours est une production et non une donnée, il est largement pré-fabriqué et co-construit par l'interaction, et les biais qu'elle peut engendrer, comme par exemple l'influence que l'enquêteur peut avoir sur les enquêtés, même si nous avons essayé de créer un climat de confiance et de connivence avec les personnes que nous avons interrogées. Les discours sont retranscrits et ce sont ces matériaux écrits que nous avons tenté de « faire parler, après avoir fait parler les interviewés »207(*).

Découper l'entretien par thèmes revient à ne pas tenir compte de la logique cohérente et chronologique du discours. Nous opérons des découpes transversales permettant d'organiser l'analyse de chacun de nos entretiens en différents thèmes. Nous avons donc recherché une « cohérence thématique inter-entretien »208(*). Cette méthode s'est révélée efficace surtout lorsque nous avons eu à interroger les discours recueillis par messagerie instantanée, étant donné la faible architecture constructive de ces discours209(*). L'identification des thèmes et la construction de ce qui pourrait être une grille d'analyse s'effectuent à partir de nos hypothèses de départ qui peuvent éventuellement être reformulées après la lecture et la confrontation des entretiens. Dans notre cas, cette grille d'analyse correspond à notre guide d'entretien qui avait préalablement été conçu selon certains thèmes que nous voulions alors aborder avec les personnes interrogées.

CHAPITRE III) LA RECONNAISSANCE MEDIATIQUE ET VIRTUELLE : ENJEUX D'UNE CULTURE JUVENILE ACTUELLE ?

Les études sur la sociologie des publics et de la réception se sont souvent centrées sur la télévision. De plus, les enquêtes sur les pratiques culturelles des français210(*) ont montré que la télévision était la première source d'occupation en la matière : 96% des foyers sont équipés d'un téléviseur, 77% des personnes la regardent tous les jours, et la durée d'écoute moyenne est de 21 heures par semaine. Ces études font apparaître que la multiplication des programmes rend l'écoute de plus en plus individualisée, chaque membre de la famille regardant ses émissions, ses programmes. Cette individualisation se poursuit avec le déploiement des nouvelles pratiques médiatiques et aux nouveaux modes de communication à distance, principalement Internet. La consommation dite culturelle, même de masse, s'individualise et les premiers touchés sont les jeunes, malgré le fait que ce sujet reste peu abordé dans les travaux sur la jeunesse. Ce phénomène est à l'origine de, ou a été entraîné par, l'autonomie croissante que les jeunes acquièrent au détriment de la socialisation familiale : « plusieurs indices semblent montrer que l'autonomie culturelle des jeunes, c'est-à-dire le fait d'affirmer des goûts et des fréquentations en partie indépendants des normes et des choix familiaux, se manifeste de plus en plus précocement »211(*). Ce contrôle de moins en moins pesant des parents s'est effectué en faveur de la culture de masse qui joue désormais un rôle grandissant dans la construction identitaire des adolescents, tout comme l'organisation des sociabilités juvéniles qu'elle entraîne. La création d'un groupe de fans qui constituent notre population d'enquête s'inscrit, au départ, dans ce processus. Nous qualifions nos enquêtés de « jeunes », l'âge moyen étant de 21 ans au moment de l'analyse, qui se trouve être aussi l'âge de la chanteuse.

Nous avons élargi la reconnaissance médiatique à la reconnaissance virtuelle car il semble d'après nos résultats que le réseau de fans auquel nous nous sommes intéressés sur Internet ait, comme nous l'avons vu, des fonctions expressives comme l'affinité et l'amitié et des fonctions instrumentales comme la solidarité et l'entraide, qui nous semble être des notions importantes dans le processus de reconnaissance, dont un des enjeux les plus importants chez les jeunes aujourd'hui est la sexualité212(*).

I ) LES MEDIAS : VECTEURS D'UNE CONSTRUCTION IDENTITAIRE INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE

A l'ère de la communication, les médias bénéficient d'un poids symbolique non négligeable, ils servent notamment à définir et banaliser des réalités sociales213(*). La télévision par exemple, offre une expérience collective, elle est un support pour les interactions sociales. Elle s'insère dans le tissu social pour y redéfinir des identités. Les téléspectateurs d'un programme peuvent avoir le sentiment d'appartenir à une communauté imaginée214(*). Ainsi, ce que l'on regarde à la télévision nous inscrit dans un groupe social ou nous en exclut215(*). Les programmes de télé-réalité ont pris beaucoup de poids dans le paysage télévisuel français, même si aujourd'hui les audiences s'essoufflent. Cependant, ils permettent de constituer des groupes de soutien pour les différents candidats, et donc des sortes de groupes éphémères défendant ce que nous pourrions appeler des « intérêts communs ». Chaque participant des émissions de télé-réalité va représenter un certain type social auquel le public peut facilement s'identifier, et notamment le public jeune qui nous intéressent plus particulièrement ici. Autour de ce mouvement s'organise une sociabilité, qui prend son essor, nous l'avons vu, sur Internet. Cette scène des interactions à distance semble occuper aujourd'hui une place très importante dans la régulation de la sociabilité juvénile216(*). Elle possède certains éléments propres aux scènes intimes, comme la possibilité de se confier, le dévoilement de soi ou encore le droit de se montrer différent. Le point d'équilibre entre la singularité et le conformisme de « l'être fan de » réside dans le fait de trouver des semblables, un groupe à intégrer permettant de partager avec d'autres les expériences liées d'une part au fanatisme et d'autre part, dans ce cas, liées aussi à d'autres paramètres que nous avons tenté de mettre au jour. La passion n'est donc pas seulement une affaire d'individualisation, elle est aussi prétexte à relations sociales217(*).

1. Les médias comme diffuseur de modèle et de ressources identitaires

Le fait de s'intéresser à une participante d'une émission de télé-réalité, implique de travailler également sur ce programme télévisé et par conséquent sur son public avant même de parler de fans. Dans ce sens l'étude de D.Pasquier218(*) sur l'expérience télévisuelle des adolescents à travers l'exemple de la série « Hélène et les garçons » peut nous éclairer. Nous ne pouvons pas véritablement comparer ces deux genres de programmes, cependant ils se recoupent en ce qu'ils sont tous deux destinés à un certain public, bien que Star Academy semble touchée un public plus large, du fait notamment de son horaire de programmation (en prime time le samedi ou le vendredi soir), mais les deux programmes sont plutôt féminins. Ce constat se vérifie au sein du fan-club d'Anne-Laure, où 94% des membres sont des filles, à cela il faut ajouter que les fan-clubs font plutôt partie des préoccupations féminines pour ne pas se laisser trop influencer par ce chiffre. La télévision est un support important à l'expression de soi chez les filles219(*) et elle donne lieu à des échanges notamment au sein du groupe de pairs. Ces échanges permettent de parler de soi sous couvert d'un personnage du petit écran, que ce soit dans une série ou dans une émission, d'affirmer des préférences ou de porter des jugements moraux. Les programmes de télévision se révèlent être des supports particulièrement utiles pour exprimer les identités personnelles.

« Hélène et les garçons » est une fiction mettant en scène des personnages qui suivent un scénario évoquant généralement les rapports entre les sexes, Star Academy doit aussi être appréhendée comme une fiction, dont les candidats sont des acteurs du quotidien et qui répondent à un certain nombre de critères auxquels chaque téléspectateur potentiel pourra se rattacher. Le fait de voir les comédiens de sitcom, ou les candidats d'une émission de télé-réalité comme Star Academy de façon quotidienne donne au public un sentiment de familiarité. On peut suivre le déroulement de leur journée, vivre leur joie, leur peine, vivre avec eux le moment de leur nomination (chaque semaine, 3 élèves sont nominés à la Star Academy, et le soir du prime time, un est éliminé selon les votes du public tout au long de la semaine) et bien sur leur départ. Il peut ainsi se créer comme le signaler D.Pasquier à propos des personnages de la série, une amitié télévisuelle. La télévision est organisée pour créer un climat de proximité avec le téléspectateur220(*). Ainsi toutes les personnalités que l'on retrouve sur le petit écran font partie de l'existence quotidienne. Cette amitié n'est pas irrationnelle, elle est sans doute nécessaire à certain à un moment donné, elle s'inscrit dans une communauté passagère, fugitive, transitoire dans un moment de la vie. Quand les personnages ne jouent plus ce rôle, ils sont oubliés pour d'autres ou désertés, c'est cette dernière solution qui est le plus à l'oeuvre quand l'adolescent grandit. Dans notre cas, nous avons fait l'hypothèse qu'Anne-Laure, en ayant fait son coming-out, a pu tenir ce rôle, ce rôle d' « amie qui nous ressemble » pour des jeunes (ou moins jeunes) filles en pleine découverte de leur homosexualité. Elle en a d'ailleurs tout à fait conscience : « Il y a plein de petites puces en France qui m'écrivent des lettres, qui ne se sentaient pas bien, qui ont regardé la télévision et que j'ai pu aider »221(*).

De plus, les termes que les membres du fan-club utilisent pour évoquer ce que leur a apporté Anne-Laure correspond tout à fait au rôle de planche de salut qu'elle a pu jouer ; Anne-Laure les aurait aidées à « s'assumer », « survivre » ou « remonter la pente », et elles n'hésitent pas à employer des expressions sur le thème du secours et de la révélation222(*) :

o « Sans elle, je ne serais pas là »

o « Grâce à elle, j'ai une nouvelle vie rayonnante »

o « Grâce à elle, j'ai eu un déclic »

o « Grâce à elle, j'ai appris à ne plus vivre cachée »

o « Elle m'a permis d'assumer des amours différentes ».

Un des constats que nous avons pu faire en majorité lors de l'analyse des entretiens, est celui la représentativité que les enquêtées ont évoqué en utilisant des mots comme « modèle », « identifier », « se reconnaître », « se sentir proche », « mode d'emploi » pour parler d'Anne-Laure. Cela peut valider l'hypothèse de l'identification comme un des usages sociaux de certains programmes télévisés, malgré le fait que les personnes interrogées ont conscience que les producteurs de ces émissions savent savamment orchestrer des stratégies de mise en proximité223(*) avec le public. Le personnage d'Anne-Laure est constitué pour certaines, en modèles de vie : il faut lui ressembler pour arriver à être soi : « J'ai fait la même chose quand Mauresmo l'a dit, il y a quelques années. Ca aide forcément parce que tu peux te cacher derrière quelqu'un en disant « Y'a pas que moi, y a pas que moi, et en plus elle est bien, elle est pas droguée, elle est pas ceci ou cela... » »224(*). De cette façon, le fan-club d'Anne-Laure pourrait jouer un rôle important dans la reconnaissance de l'homosexualité de ces jeunes filles. Ainsi, pour « apprendre à être lesbienne » au sens très primaire du terme c'est-à-dire dans un premier temps pour apprendre à se reconnaître en tant que telle et à s'assumer (pour reprendre les mots employés par certaines), les jeunes filles ont recours comme les jeunes filles hétérosexuelles - si l'on peut se permettre cette classification normalisatrice - à des modèles, des images positives que l'on veut bien leur donner à voir. C'est ainsi que peut naître le fan, mais l'identification à une célébrité peut se faire par rapport à ses oeuvres, à sa propre vie et à son physique225(*). Anne-Laure aurait donc pu poser les limites d'une mode vestimentaire et comportementale de la nouvelle génération de lesbienne, c'est-à-dire celles qui ont son âge et qui représentent la majorité du forum de discussions. En effet, l'apparence physique et vestimentaire de la chanteuse a été suivi de prés par les fans, allant même jusqu'à servir de référence en matière de sexualité :

o « Moi, je préférais nettement quand elle avait son look sportwear...elle faisait plus homo...plus proche de nous... »226(*)

o « Je trouve qu'elle a parfois l'air ridicule dans ses nouvelles tenues...elle veut se la jouer féminine mais bon...moi je trouve que ça lui va pas... »227(*)

Ces messages font donc clairement référence à l'homosexualité ; ainsi, en plus de jouer le rôle de modèle au sens physique du terme, elle a pu jouer un rôle de modèle au sens moral et c'est en ce sens que les fans disent qu'elle leur a apporté de l'aide. Les fans pouvant s'inspirer des réflexions de leur idole pour construire leurs propres opinions, il n'est pas impossible qu'Anne-Laure ait servi également de révélateur. De cette façon, pour certaines, admirer Anne-Laure a pu être un moyen pour affirmer ses choix, sa personnalité propre : prendre parti pour ou contre Anne-Laure peut être considéré comme un révélateur de l'homosexualité de la personne dans l'opinion générale et publique, notamment au sein du groupe de pairs et au sein de la cellule familiale ; c'est en tout cas, ce que rapportent certains messages que nous avons étudiés et sur lesquels nous reviendrons.

L'affirmation identitaire devient une explication de la conduite des publics228(*) ; et comme nous l'avons déjà souligné nos identités ne sont pas construites seulement par notre origine sociale et nos moyens économiques229(*). Ainsi pour chaque téléspectateur, la relation à un programme se joue sur deux registres à la fois : comme mode de consolidation du soi et comme mode d'affirmation du soi pour les autres230(*).

2. Internet comme vecteur d'autonomisation « sexuelle »

De plus en plus et de plus en plus tôt, l'enjeu de l'adolescence se situe au niveau du corps qui se sexualise. Et beaucoup de jeunes d'aujourd'hui231(*), jugent et jaugent leur corps et leur sexualité à l'aune des « miroirs médiatiques »232(*), parfois déformants, parfois complaisants, parfois stéréotypant, parfois insuffisant. Internet apparaît comme une véritable technologie sociale233(*). Les jeunes se racontent, se mettent en mots, en images, en scène. Les nouvelles technologies font écran devant cette sorte de tension identitaire que les adolescents vivent, et permettent de contrôler l'image que l'on donne de soi de façon autonome. A travers Internet, les jeunes cherchent de profonds besoins d'appartenance, de reconnaissance et de différenciation. L'identité se forgeant ainsi en permanence par une auto-réflexivité qui permet de se raconter sa propre histoire et d'en réaffirmer sans cesse la cohérence234(*). En instaurant une interactivité, Internet devient l'endroit approprié pour mettre à l'épreuve cette réflexivité, comme cela a pu être le cas pour des émissions de radio comme « Lovin'Fun » où les auditeurs exposaient à l'antenne leurs difficultés au niveau sentimental ou sexuel235(*). Inciter les individus à se confier revient à un besoin de dialogue et de reconnaissance, dans la mesure où l'on ne peut découvrir son identité qu'en la négociant dans le dialogue.

Les messageries instantanées constituent un immense champ d'expression et d'expérimentation de la parole sur autrui, à un âge où on construit son identité. L'écran permet des audaces que les jeunes ne s'autoriseraient peut être pas aussi facilement dans le réel, il lève les inhibitions et libère les convenances sociales et de leurs peurs propres à cette période de la vie236(*). Toutes nos enquêtées ont évoqué leur présence régulière sur Internet à travers des messageries instantanées comme MSN Messenger237(*) en y accordant souvent simplement une attention phatique, c'est-à-dire, parler pour parler, pour maintenir et renforcer le lien en s'inscrivant dans une certaine tyrannie du branchement, du sentiment de connexion, une obsession du lien : le fait de recevoir un mail, ou une réponse à un message que l'on aurait posté sur le forum de discussion peut apparaître comme une caresse à l'égo238(*) : « Oui, je suis connectée en permanence, mais je ne suis pas toujours vraiment présente...mais ça me permet de surveiller si quelqu'un se connecte etc... »239(*).

L'ordinateur connecté au réseau Internet offre à chacun, et notamment à ceux en quête d'autonomie et en phase d'élaboration identitaire (ici les jeunes de notre enquête), la possibilité de construire ou de faire vivre des liens échappant largement au contrôle du groupe des pairs et à celui des parents240(*). Les jeunes adolescents vivant chez leurs parents et utilisant l'ordinateur familial ont mis en place de nombreuses stratégies d'individualisation : possession de répertoires ou de dossiers réservés, propre code d'accès, adresse e-mail personnelle, nettoyage systématique de l'historique des sites après usage241(*). Cette « autonomie relationnelle »242(*) permet de saisir différentes utilisations d'Internet selon des variables, comme la plus ou moins grande sociabilité de l'individu ou le niveau plus ou moins élevé de contrôle parental. Nos résultats ont montré qu'Internet peut constituer une fenêtre ouverte sur l'extérieur, une ouverture improbable que n'offre pas le monde réel mais aussi une sorte d'échappatoire, un refuge, une fuite hors du monde. Ce constat revient souvent dans nos entretiens, en particulier quand les jeunes sont en conflit avec leurs parents ou leur groupe de pairs à qui ils ne peuvent pas parler de leur passion pour la chanteuse. En effet, une des expériences communes qui revient souvent dans le fil des messages est que la façon dont l'entourage appréhende le fait de défendre et d'admirer une candidate lesbienne plutôt qu'une autre. Certains ont tendance à faire l'assimilation « fans d'Anne-Laure = lesbienne »243(*), constat qui n'est pas forcément faux dans la plupart des cas étudiés ici, mais cela peut être vu par l'entourage comme un coming-out indirect244(*) :

o « Mes parents m'ont dit que j'avais 5 ans d'âge mental pour la Star Ac puis après pour Choupi, c'était le pompom, en plus ils apprécient pas trop sa différence, ils pensent que je la cultive aussi »

o « Elle est cool Anne-Laure mais je te laisserais passer toute une nuit avec elle »

o « J'veux pas Anne-laure comme beau-fils »

o « Ma famille ne comprend comment on peut adorer une personne qui a cette différence »

o « T'adore Anne-Laure alors t'as la même différence qu'elle »

o « Moi, ma mère l'aimait bien jusqu'au moment où elle a su que j'étais ... »

o « Mon père est homophobe »

o « Mon mari se fout de moi d'apprécier une camionneuse »

o « Anne-Laure=lesbienne. Je déteste cette mentalité. On me traite aussi de lesbienne, alors je réponds que oui, et on me regarde comme si j'étais bizarre »

Au sein de la famille, les enquêtés se construisent des espaces objectifs et symboliques d'intimité nécessaires à une certaine autonomie. Le repli sur une sorte de communauté virtuelle permet d'accéder à un espace privé où le contrôle familial n'existe quasiment pas, même si cette pratique nécessite l'achat d'un ordinateur, le plus souvent aux frais des parents : « Etant donné que je ne suis pas sur mon propre ordinateur et que je suis un peu pudique, je me débrouille pour laisser le moins de traces possibles...je vois mal laisser mon frère accéder à des sites homos...même s'il est au courant...je ne sais pas c'est une sorte de respect...[...]...j'ai des espaces de liberté [...] quand je suis enfermée seule dans ma chambre. Le net n'est pas pour moi un espace de liberté mais je le considère parfois comme un moyen d'évasion »245(*).

3. La création de collectifs entre marginalité et conformisme

Nous trouvons sur Internet, et suivant notre analyse, des sites dits personnels (ou blogs) où s'expriment les passions individuelles et des sites de minorités actives ou de groupes d'affinités où s'expriment les passions collectives. Cet effet de rupture et d'isolement et cet effet de création et de formation de « groupes » ou encore de « tribus » sont complémentaires. En effet, le relâchement ou la dissolution des liens sociaux traditionnels permet une recomposition du social, un « nouveau tissage de la sociabilité »246(*). Ils permettent à la fois de s'affirmer individuellement tout en recherchant une agrégation à un groupe, afin de valider une certaine reconnaissance, notamment au niveau des passions ou encore au niveau d'une certaine identité revendiquée. Nous avons pu constater que la formation des groupes sur Internet s'effectue sur des bases très sélectives d'appartenance identitaires.

Cependant, malgré la relative marginalité que les individus, en particulier les jeunes, mettent en avant dans la recherche de collectif, le groupe reste construit selon des normes sociales, propres au réseau Internet. Les membres doivent utiliser un langage spécifique, respecter des règles de savoir-vivre propres au groupe et, dans les forums de discussions, ne pas s'écarter des thèmes fédérateurs sous peine d'exclusion247(*) ; nous avons retrouvé ces constats dans l'étude du forum de discussions qui nous intéresse ici ; nous verrons plus après que les règles du fan-club sont assez strictes. La vie sociale alternative qu'offre Internet n'est donc pas complètement dégagée des contraintes et des tabous du monde réel. En effet, même si les adultes et parents ont un pouvoir moindre sur les différents choix des jeunes, le groupe de pairs vient exercer une certaine pression sociale sur ses membres. Les groupes dictent des codes, et le ridicule et la marginalisation guettent ceux qui refusent de les suivre. Ce sont souvent des mises en scène qui sont destinées à faciliter l'intégration dans un groupe plutôt que de véritables goûts personnels248(*). Si le groupe de pairs est un espace de découverte et d'autonomisation, il se pose également comme un lieu de contrôle et de régulation sociale. Le collectif prend des fonctions de régulateur dans le processus de construction identitaire, mais contraint également les membres à se conformer à certains codes, certaines règles auxquels il faut se plier pour en faire parti.

Les groupes qui se créent sur Internet répondent à des codes distinctifs fondant une communauté virtuelle, comme nous l'avons définit précédemment. Au coeur de ces groupes, se trouvent très souvent des fondements idéologiques mais aussi marchands. Il ne faut pas oublier la valeur mercantile que représentent les sphères numériques d'Internet. Ainsi, certains portails Internet dits communautaires ont des visées plus commerciales et spéculatives destinées à des groupes en particulier249(*) : nous prendrons ici le cas des sites de rencontres pour gays, qui moyennant un abonnement, permettent de dialoguer, voire de faire des rencontres.

Les jeunes présents sur Internet veulent à la fois se différencier, se singulariser mais parallèlement ils sont régis par des logiques puissantes d'appartenance et d'identification au groupe. Les opérateurs et les publicitaires l'ont bien compris : ils vendent de la « communauté » ou de la « tribu ». Ainsi la notion de « club » est omniprésente sur les pages d'accueil de leurs sites commerciaux250(*) ; comme par exemple, les opérateurs de téléphonie mobile251(*). Plus généralement c'est l'idée de « tribu numérique » qui est omniprésente, un espace hors du temps et de l'espace qui échappe aux contraintes familiales. Cette « nouvelle culture », si l'on utilise les termes médiatiques concernant le phénomène, possède ses codes, ses règles, ses langages, ses icônes, ses mythes, ses tribus et son éthique.

Internet a la capacité de fabriquer des mondes de substitution à nos échanges sociaux quotidiens. Il invente de nouvelles manières d'être ensemble, de dire, de faire, de vivre ; de nouvelles façons de se confronter à l'autre, de le rejoindre et de lier avec lui des interactions. Mais aussi peut être de nouvelles façons d'appréhender notre propre identité en offrant une « théâtralisation nouvelle des émotions »252(*). Il faut chercher dans les motifs d'agrégation et de reconnaissance que la vie réelle ignore ou refuse pour voir les véritables fondements communautaires sur Internet.

L'opposition entre le conformisme et la marginalité au sein du collectif, notamment celui qui nous préoccupe ici se retrouve dans la façon dont les membres appréhendent l'homosexualité de la chanteuse. D'une manière générale, par rapport à ce sujet, les fans ont des opinions partagées : il y a ceux qui mettent tout de même en avant le fait de l'aimer pour son talent et pas pour son homosexualité, ils argumentent et justifient leur position par leur inquiétude quant à la marginalisation que pourrait engendrer un tel coming-out :

o « Il ne faut pas penser que tous les fans d'Anne-Laure sont homos »253(*)

o « C'est quelque chose de privé, c'est sa vie ! »254(*)

o « Je ne suis pas fan d'Anne-Laure parce qu'elle est lesbienne, ce serait débile et réducteur »255(*)

Et, il y a ceux moins catégoriques qui avouent que c'est une bonne chose qu'elle ait été vraie avec le public ; et il y a ceux qui parlent d'elle avec fierté en tant que nouvelle icône lesbienne et qui avouent s'être intéressés à elle aussi pour cette raison256(*) :

o « Grâce à elle, j'ai enfin su m'avouer qui j'étais vraiment »

o « Je lui dois beaucoup et je la remercie »

o « [...] même si j'admets que ses yeux au bleu pétillant et son sourire me font aussi craquer »

o « En tant que gay, je peux dire que je suis fière de mon icône »

o « Je voudrais remercier cette fille (Anne-Laure) car elle a permis de m'ouvrir les yeux et de me trouver et surtout on peut être fier de Choupinette car c'est vraiment notre symbole pour tous et puis je la remercie »

o « Je crois au fond de moi savoir vraiment pourquoi c'est elle que j'affectionne autant... ».

Il y a donc celles qui mettent en avant l'homosexualité, et celles qui la cantonnent à la sphère privée de la vie personnelle. Ainsi, les désaccords entre les fans ont pour enjeu leur propre identité, l'image qu'ils ont d'eux-mêmes, nous sommes alors dans une logique de stratégie identitaire. L'identité différentielle est utilisée pour désigner cette recherche de positionnement particulier257(*).

II ) LA MISE EN VITRINE DE L'INTIMITE ET DE LA SEXUALITE

Aujourd'hui, la sexualité apparaît sur la scène publique. L'intimité se transforme258(*) et certaines pratiques et représentations qui, jusqu'à une certaine époque pouvaient sembler provocantes, choquantes ou étaient tout simplement interdites, se dévoilent259(*), essentiellement dans les médias. Les émissions de télévision, les séries, les films, les émissions de radio, la presse, et maintenant des sites Internet, tous mettent en scène ou en récit des images de la sexualité, ou qui touchent à la sexualité, utiles aux individus dans leur construction identitaire et sociale260(*). La sexualité fait de moins en moins partie des territoires de l'intime tout en devenant un enjeu central de la construction de soi261(*).

En 2000, sont apparus sur la toile Internet, les blogs, un phénomène qui ne cesse de prendre une ampleur considérable262(*) chez les jeunes et qui s'inscrit bien dans ce processus de mise en vitrine de l'intimité. Le blog est la contraction du mot web et log et qui peut se traduire par « carnet de bord ». Il désigne une « page personnelle » interactive, une sorte de journal intime numérique, ouvert à tous ceux qui souhaitent le lire et le commenter, une sorte de carte d'identité améliorée, avec des photographies, des confidences, des avis sur la vie, des coups de coeur, des coups de gueule en mots et en images. Nous retrouvons ici les thèmes de notre corpus de messages du forum interactif de discussion et le principe est un peu le même, en ce qui concerne la mise en scène de soi. On retrouve un sentiment de communion et une impression de maîtrise de ce que l'on y dit.

Ces pratiques courantes, presqu'usuelles pour les jeunes sur Internet (dans tous nos entretiens, se connecter à Internet est devenu un geste machinal) apparaissent comme des sortes de « bricolages esthético-identitaires » délimitant une « self-culture » ou « culture sur mesure » reliée à un individualisme expressif contemporain263(*). Dans le cadre de cette étude, il etait pertinent de poser la question des modalités de la validation de la reconnaissance de ces formes singulières d'expression de soi par autrui, durant le processus de construction identitaire de nos jeunes enquêtées, l'expression, écrite même numériquement, favorisant une auto-réflexivité264(*).

1. La nécessaire organisation réflexive de la sexualité

La sexualité, nous dit M.Bozon, « socialement construite par le contexte culturel dans lequel elle est inscrite, tire son importance politique de ce qu'elle contribue en retour à structurer les rapports sociaux dont elle dépend en les « incorporant » et en les représentant »265(*). La sexualité est une construction sociale et lui donner un sens fait parti du processus de construction identitaire.

Aujourd'hui, nous sommes passés du modèle de l'autorité à celui du contrat, du respect des normes dictées par les adultes à celui de l'expression et de la valorisation des individualités266(*). Ce processus de « démocratisation de la sphère privée »267(*) entraîne chez les acteurs un projet réflexif du soi, mais qui s'inscrit, chez les jeunes, dans des réseaux de sociabilité à travers lesquels ils forment leurs relations amicales, amoureuses et sexuelles268(*). Le groupe des pairs ainsi que les médias jouent un rôle important dans l'élaboration des normes et des valeurs. Le corps et le paraître deviennent des enjeux de la construction sexuée adolescente. C.Moulin montre que la presse jeune place le corps et l'apparence au centre des préoccupations ; la féminité adolescente est alors mise en images269(*). Elle observe que les revues véhiculent un modèle assez normatif de la féminité basé sur la dichotomie traditionnelle entre les sexes. La moitié des filles que nous avons interrogées se référe à de tels critères de définition de la féminité, mais cela varie en fonction de leur niveau social et de leur niveau de scolarité. Plus les personnes montent dans la hiérarchie sociale et plus elles ont de diplômes, plus elles ont une réflexion critique sur les modèles définis de la féminité et de la sexualité. Pour les plus jeunes, on voit que les parents participent à leur socialisation sexuelle, que l'éducation traduit des comportements sexuels adaptés à chaque sexe (c'est notamment le cas pour une de nos enquêtés qui se compare avec son frère en ce qui concerne la permissivité sexuelle), et enfin que le discours ou l'absence de discours (extrait d'entretiens) entraîne chez l'adolescente une intériorisation d'une certaine représentation de la sexualité, d'en délimiter les tabous, le socialement acceptable270(*). Cependant, il apparaît clairement que la famille n'est plus le lieu de l'apprentissage, surtout pour les lesbiennes, dans ce cas minoritaire et non basé sur l'évidence hétérosexuelle, la socialisation secondaire est très importante, notamment par le biais des médias (extrait d'entretiens) ou par le groupe de pairs auquel les jeunes vont se rattacher, fonction que peut remplir le forum de discussions, comme nous l'avons constaté chez certains membres, étant donné que le plus souvent le groupe de pairs « réel » est composé d'hétérosexuels271(*). Ainsi, même si ces derniers ont une opinion favorable quant à l'homosexualité, ils ne peuvent toutefois pas renvoyer une image constructive de celle-ci.

Les représentations sont utiles pour accomplir des actes sexuels. Désir et relations nécessitent des improvisations qui se construisent à partir d'expériences vécues ou connues et de représentations cultuelles disponibles. L'expérience médiatique chez les jeunes renvoie aux questions liées à l'identité sexuelle. Des études ont montré que la télévision renvoyait des manières de manifester l'émotion amoureuse et d'extérioriser le désir de séduction272(*). Cela peut renvoyer à la théorie des scripts sexuels273(*) que les adolescents piocheraient dans les médias afin de construire leur propre modèle de sexualité. Les scripts sexuels apparaissant comme des scénarios, guides d'orientation ou de lecture permettant aux individus de donner un sens sexuel à des sensations, des situations274(*). Le corps et l'apparence deviennent des lecteurs identitaires.

L'étude des blogs que nous avons effectuée nous permet de mieux saisir les enjeux d'une telle implication virtuelle. Nous avons recensé pour le moment environ 70 membres du forum possédant un blog. Nous avons consulté chacun d'entre eux pour tenter de trouver des éléments pouvant participer à l'élaboration de notre étude et de notre guide d'entretien. La tendance générale voit se dessiner 2 types de « créatrice de blog », de « blogueuse » :

Ø Les filles entre 15 et 17 ans ayant des préoccupations d'adolescentes, qui ne mettent en avant aucune sexualité affirmée, qui sont plutôt mal dans leur peau - parce-que ne correspondant pas aux critères physiques de la majorité - qui se rattachent aux stars ( et pas forcément Anne-Laure qui n'a pas toujours sa place dans ces blogs), au virtuel, au rêve...C'est ce que nous nous proposons d'appeler, les « fans midinettes ».

Ø Les filles dont l'âge se rapproche plus de celui de la chanteuse, qui montrent une (homo)sexualité affirmée - photographies et textes personnels à l'appui- qui se côtoient très souvent entre Choupifans...C'est ce que nous nous proposons d'appeler, les « fans impliquées » (impliquées plutôt que politisées qui nous semblait trop fort pour ce genre de groupe) voire même les « fans intimes » parlant d'Anne-Laure comme d'une copine.

Ces deux catégories se retrouvent également au sein même du forum. Nous voyons donc ici, que le fan-club peut avoir, pour ces adolescentes, des fonctions différentes. Internet permet d'exposer publiquement son intimité, c'est-à-dire, mettre des textes personnels en ligne, des photographies de famille, d'amis, de raconter des expériences vécues...Internet peut être vécu comme un nouveau moyen de communication à distance. Il fait de plus en plus partie intégrante du processus de socialisation des jeunes qui se servent d'Internet pour communiquer, rencontrer des personnes qui leur ressemblent, échanger tout un tas de choses...des actes qui ne s'effectuent pas aussi facilement pour tout le monde dans la réalité, où les individualités ne peuvent pas s'exprimer aussi librement275(*).

La puissance de diffusion des moyens modernes de communication explique en grande partie la prolifération et l'exploitation lucrative des images du sexe. Très omniprésent dans les médias, le sexe est un produit de consommation qui se donne à voir, se vend et fait vendre276(*). L'intimité des comportements sexuels des gens ordinaires est dévoilée, analysée, au cours d'émissions télévisées et la sexualité a envahi l'univers de la publicité. La médiatisation des expériences sexuelles, des plus ordinaires aux plus insolites, en banalisant certaines formes d'érotisme, a pu transformer les représentations de la sexualité.

La relation amoureuse et sexuelle devient « démocratique »277(*). Chacun cherche dans la rencontre de l'autre, réellement ou virtuellement, une instance de reconnaissance comme accomplissement d'une invention de soi. La sexualité devient affaire de poursuite de son identité dans la relation.

2. L'expression des sentiments

Le sentiment est une tonalité affective envers un objet, marquée par la durée, homogène dans son contenu sinon sa forme. Il manifeste « une combinaison de sensations corporelles, de gestes et de significations culturelles apprises à travers les relations sociales »278(*). L'émotion est très souvent le fait d'une négociation avec soi, avec les autres en soi, elle résulte d'une interprétation. Elle peut apparaître aussi comme un mode d'affiliation à une communauté sociale, une manière de se reconnaître et de pouvoir communiquer ensemble sur le fond d'un ressenti proche.

L'expérience médiatique est appréhendée comme une expérience émotionnelle et physique. L'émotion, quelle qu'elle soit, est la matière première des médias de masse279(*), et le sentiment de proximité que les téléspectateurs ressentent vis-à-vis de ce qu'ils voient sur le petit écran rend légitime cette émotionnalité ; les membres du forum Planèteannelaure ne cessent de faire partager ces sentiments au fil des messages, en évoquant notamment ce qu'elles ont ressenti quand Anne-Laure a été éliminée du jeu : les membres ont employé des expressions liées à la tristesse et ont largement manifesté un sentiment d'injustice.

Cette expérience permet des échanges, vécus, par les membres du forum, comme un acte de solidarité et entraînant de véritables relations d'amitié. Les enquêtes sur les valeurs des jeunes ont montré la place considérable que la sociabilité amicale occupe dans la vie des jeunes280(*), 61% des jeunes de 18 à 29 ans estimaient que les amis sont très importants dans la vie. Ils sont un vecteur important de la socialisation, de même que le fait d'appartenir à un groupe de pairs pour les adolescents. Les mêmes circonstances déclenchent des comportements affectifs sensiblement différents si l'individu est seul, devant sa télévision par exemple ou mêlé à un groupe de gens qui lui sont proches ou inconnus281(*). Les autres, à plus fortes raisons lorsque ceux-ci partagent la même passion, sont les modulateurs, exerçant selon les circonstances et leur influence un rôle d'apaisement ou d'exacerbation. De ce point de vue, les relations interpersonnelles qui se nouent entre les membres du forum nous ont apporté des éléments quant au sentiment de proximité qu'ils entretiennent entre eux alors qu'ils ne se connaissent pas nécessairement « réellement ». Bien sûr certains facteurs comme l'âge ou la proximité dû à un regroupement comme celui du forum de discussion entraînent un tutoiement instantané. On trouve également les marques de la relation à travers les interpellations directes par le véritable prénom du membre, qui sous-entend une connaissance plus intime ou encore l'utilisation de petits affectueux employant généralement un pronom possessif282(*) :

o « Et Kro arrête de te poser des questions »

o « Cette fois Juky c'est plus de l'amour c'est de la rage »

o « Lili fait ce qu'il te plait, ne change rien pour personne »

o « Yes Aurore ça faisait longtemps qu'on t'avait pas vu ici, tu nous as manqué »

o « Bonjour mon papa-loup »

o « Courage ma p'tite Manue »

De plus, lorsque l'on demande aux fans de parler de leur sentiment vis-à-vis du forum, ils le font tous dans des termes aspirant à l'amitié virtuelle, à la convivialité, à la solidarité, à la liberté, au soutien, au partage voire même à l'amour. Ils aiment à se mettre en mots surtout lorsqu'il s'agit d'évoquer leur passion et ce que cette dernière a entraîné : l'éclosion d' « une nouvelle famille », cette expression revient dans quasiment tous les messages, les fans se désignant comme membre de la Choupifamily.

Nous l'avons vu, les échanges par ordinateur permettent d'ouvrir le registre de la parole de l'intime283(*). Ce processus s'effectue de manière différente chez les filles et chez les garçons, les prédispositions à l'amour et à la sexualité n'étant pas intériorisées de la même manière284(*). Notre corpus étant presqu'entièrement féminin (nous n'avons pu interroger qu'un seul garçon), nous nous penchons donc plus généralement sur l'expression des sentiments au féminin, et dans une optique minoritaire du point de vue de la sexualité.

3. Les « choix sexuels » conditionnent-ils les choix culturels, médiatiques et virtuels ?

Nous avons posé au départ l'hypothèse qu'un grand nombre de jeunes lesbiennes sont inscrites au sein du fan-club d'Anne-Laure, du fait de son coming-out. Les résultats de l'analyse n'ont pas directement répondu par l'affirmative, mais il faut s'attarder sur certains détails pour comprendre que cela peut tout de même être le cas. Les membres ont du mal à « avouer » les raisons qui les ont poussés à soutenir une telle candidate - non pas que nous pensons qu'une candidate lesbienne ne peut être encouragée par un public homogène, mais le fait est que la grande majorité revendique une homosexualité, qui a souvent été mise au jour « grâce à Anne-Laure » selon les propos de certaines. Il serait faux de dire que ce sont les textes des chansons ou la musique d'Anne-Laure qui ont influé le soutien des membres lesbiennes du forum, étant donné que l'on n'y trouve aucune allusion à l'homosexualité, chaque texte prenant au contraire grand soin de ne pas impliquer de pronom particulier, ni de « elle », ni de « il » dans les chansons d'amour notamment. Il s'agit bien de la chanteuse elle-même. C'est pourtant la première justification que les fans nous ont donnée, en se définissant comme des sortes de « consommateurs émotionnels »285(*), ne cherchant qu'à trouver un exutoire à ses propres sentiments dans l'oeuvre de l'artiste. Les membres parlent d'une sensibilité qu'elles retrouvent dans les chansons d'Anne-Laure. Une phrase tirée d'un entretien exprime bien ce paradoxe, entre la sensibilité d'une part et le rapport à l'homosexualité d'autre part : « Ce qui m'a touché en premier, c'est sa sensibilité, elle dégageait un truc spécial, son charme, son talent, m'avaient sauté aux yeux » et elle poursuit, « elle m'avait donné les frissons un soir en interprétant une chanson de Lara Fabian sur l'homosexualité, c'est là que c'était une sorte de déclic pour moi »286(*).

Nous l'avons vu, l'étude des blogs met au jour ces différences d'affirmation. Celles qui mettent en avant leur homosexualité, comme une sorte de fierté en affichant photographies de baisers entre filles ou encore les couleurs de l'arc-en-ciel représentant le drapeau gay et lesbien, s'inscrivent dans une mouvance, que nous avions mise en lumière lors d'une première étude sur les notions de culture et de communauté homosexuelle. Le forum aborde également certains thèmes287(*), que nous pourrions retrouver sur un forum de discussions lesbiens avec des sujets relatifs au coming-out ou à l'homophobie, avec un vocabulaire presque militant : « courage » lorsque l'on évoque le coming-out d'Anne-Laure, « combativité » lorsque l'on évoque les affrontements auxquels les lesbiennes peuvent être soumises, « reconnaissance » à travers l'homosexualité d'Anne-Laure, « fierté » revenant comme un leitmotiv tout au long des messages. A l'inverse, le fait, pour certaines de nier le lien qui peut exister entre la sexualité et les choix « culturels et médiatiques » pourrait s'expliquer par une volonté d'affirmer des choix réfléchis et consentis et non des choix subis. Ces dernières auraient plutôt tendance à réfuter l'idée d'une culture spécifiquement homosexuelle et auraient pour souhait de banaliser l'existence homosexuelle.

La socialisation en matière de sexualité fait donc pleinement partie du processus de construction de l'identité sociale. Nous avons vu que l'identité se caractérise par la dualité entre une image pour soi et une image pour autrui, par la « nécessité de sauvegarder une part de ses identifications antérieures (identités héritées) et le désir de se construire de nouvelles identités (identités visées) »288(*). Le contenu des identités va dépendre de leur reconnaissance par les institutions et « partenaires » sociaux mais aussi et surtout de la trajectoire vécue par l'individu lui-même. Les lesbiennes, tout comme la majorité, construisent leur soi réel à partir des identités héritées, attribuées et visées. Le mouvement des modèles d'identification permet de comprendre comment les adolescentes, surtout si elles se reconnaissent dans une minorité, s'approprient une histoire qui n'est pas le simple reflet d'une trajectoire familiale. La cellule familiale participe dans un premier temps à la socialisation sexuelle de leur enfant. L'éducation traduit par exemple des comportements sexuels adaptés à chaque sexe permettant ainsi l'identification à un modèle sexuel. De plus, le discours ou l'absence de discours permet à l'enfant d'intérioriser une reproduction de la sexualité, d'en délimiter les tabous, le socialement acceptable. De cette façon, les adolescentes découvrant leur homosexualité ne trouvent pas, dans la majorité des cas, les réponses qui les concernent en matière de sexualité au sein du cercle familial, l'homosexualité étant un sujet peu évoqué ou alors sur le ton de la plaisanterie, de la moquerie voire même d'un rejet total. Très souvent, les individus entendent des injures sur l'homosexualité avant même de connaître leur propre sexualité289(*). Dans ce climat peu propice, les adolescentes, qui ne trouvent pas les réponses à leurs besoins ni au sein de leur famille, ni au sein de leur groupe de pairs, vont alors se lancer à la recherche de semblables. (extraits d'entretiens, montrer les indices)

III ) LE PROCESSUS DES AFFINITES ELECTIVES

Les jeunes cherchent donc des moyens de se socialiser, de se reconnaître en dépit des transformations des repères, tant au niveau familial qu'au niveau institutionnel. Nos entretiens ont tous, pour message sous-jacent, qu'il faut pouvoir se situer pour donner du sens à son existence et agir. Nous l'avons vu, la mise en scène et en récit de l'intimité et de la sexualité, le processus différentiel de construction identitaire chez les garçons et les filles290(*), ainsi que le développement des nouveaux médias entraînent une nouvelle forme de sociabilité. Une des valeurs centrales qui ressort de notre analyse est celle de l'amitié, cela tient peut être au fait que ce soit une des valeurs les plus répandues chez les jeunes en général291(*), ou peut être encore que le groupe de fans que nous avons pris pour exemple est justement un regroupement dont les membres partagent la même passion, créant irrémédiablement des affinités entre eux. De ce fait, l'association que forme le fan-club, n'est pas uniquement le cadre d'une activité, elle est surtout le lieu où l'on passe du temps avec des personnes. Ainsi, malgré le faible effectif qu'elle représente, cette association apparaît comme le lieu d'un réel investissement pour ses membres. Cependant, nous avons constaté que le niveau d'études et social étaient une variable assez pertinente dans la considération du groupe. Plus le niveau de scolarité et le niveau social sont élevés et plus les membres prennent du recul pour parler de leur expérience, pour évoquer des questions d'ordre politique comme pour aborder l'homosexualité. Enfin ce qui apparaît nettement, que ce soit dans l'analyse des messages du forum de discussions, ou dans les entretiens, ce sont les élans de solidarité des membres entre eux : une solidarité explicite à l'égard du fan-club et une solidarité parfois implicite lorsqu'il est question d'homosexualité.

1. Le groupe comme réponse à un besoin d'intimité homolatique ?

La fabrication des identités sexuées et sexuelles s'inscrit dans un processus d'expériences socialisantes comprenant des sociabilités, des modèles, des représentations, des conformités ou encore des déviances. Nous l'avons vu, la construction identitaire s'interroge à travers des dynamiques interactives. La socialisation dite secondaire, se fait au contact d'autrui : des pairs ou encore de certaines représentations médiatiques ; elle permet à l'individu d'intérioriser, de concrétiser et d'exprimer les changements identitaires qui l'affectent et participe à « l'appropriation intérieure d'un monde »292(*). La période de l'adolescence est un processus, un temps de recomposition identitaire, d'expérimentation et d'autonomisation, durant lesquels filles et garçons forment des groupes sociaux, des valeurs échappant aux processus d'institutionnalisation, voire aux normes dominantes, en créant des groupes, des sous-groupes, des contre-cultures293(*).

Nous avons utilisé pour cette partie le terme d'homolalie employé par C.Moulin et qui désigne les sociabilités entretenues entre individus de même sexe et de même âge294(*). Notre corpus est presque exclusivement féminin, cette donnée s'explique, d'une part parce que les fan-clubs ont majoritairement des participations féminines comme nous l'avons déjà vu295(*) ; d'autre part, parce que le public de l'émission Star Academy est plutôt féminin comme nous l'avons dit précédemment, et enfin parce que ce regroupement rassemble des jeunes filles qui se reconnaissent en la chanteuse ayant effectué son coming-out, selon une des nos hypothèses. Dans de telles conditions, l'homolalie est évidente : les membres du fan-club se retrouvent donc entre filles et leur âge varie peu, à quelques exceptions prés. En effet, certains membres très actifs du forum sont plus âgés que la moyenne, mais ils jouent très souvent le rôle de modérateur ou de pilier du forum, c'est-à-dire, une personne qui est présente depuis le début de la carrière de la chanteuse et qui gère plus ou moins le bon fonctionnement du site.

Les messages du forum mettent en avant cette idée d'exacerbation de la revendication de tous critères de différenciation dont parlait C.Moulin à propos du groupe des filles qui insistait sur le pronom personnel « nous » pour s'affirmer en tant que groupe : « nous les filles »296(*). Les membres emploient les mêmes expressions : « nous les fans » ou encore « nous les Choupifans ». Les féminités étudiées par C.Moulin se construisent dans un repli homolatique et donc en référence et en opposition à l'autre groupe, celui des garçons. Il n'est pas certain que le groupe des fans d'Anne-Laure se construise en réelle opposition avec un autre groupe de fans, mais il existe pourtant quelque chose qui le différencie des autres. Comme dans tous les groupes, les membres doivent se soumettre à un ou plusieurs rites de conformation, comme peut l'être le maquillage pour le groupe des filles ; le rite de conformation étant une manière pour les adolescents de constituer le socle d'un groupe social en l'inscrivant comme communauté de goûts et de pratiques, de manières d'être et d'agir. Dans le cadre d'un forum de discussions sur Internet, les rites sont tout d'abord des rites d'intégration au groupe, passant par la création d'un pseudonyme et d'un mot de passe pour pouvoir y accéder, puis par la suite de certaines règles auxquelles il faut se soumettre. C.Moulin défend l'idée selon laquelle le repli homolatique est à l'origine de la composition d'une « sous-culture de genre », s'inscrivant dans une société adolescente, elle-même située dans la société globale. Les codes, les rites, les normes et les modes de sociabilité sont propres à ces adolescents et produisent le sens construit du collectif, de l'entre soi. Nous sommes, avec le fan-club d'Anne-Laure, confrontés à une « sous-culture de goûts » mais aussi peut être à une « sous-culture de pratiques » sans se revendiquer comme telle. Il se dégage de cette revendication, un sentiment de fierté et de solidarité, que nous mettrons en parallèle avec les sentiments d'un groupe minoritaire, celui des gays et des lesbiennes, dans un prochain chapitre. Les individus cherchent à se rattacher à un groupe valorisant un certain modèle de référence correspondant à leurs propres choix identitaires, et dans lequel ils peuvent se reconnaître.

Les pairs apparaissent comme porteurs de références et de normes et le repli homolatique apparaît comme une phase de transition vers d'autres modes de sociabilités, homosexuées ou hétérosexuées. Dans notre cas, elles permettent aux membres de s'inscrire dans une classe d'âge et de sexe, mais aussi de goûts et d'exister au sein du groupe de pairs virtuel. Tout comme la presse jeune297(*), les sites Internet auxquels les jeunes participent, travaillent « l'inscription du jeune dans des communautés (musicales, de fans, de goûts, de mode, de manière d'être) où celui-ci peut trouver des alternatives ou des substituts, à l'égard des groupes familiaux et scolaires, vis-à-vis desquels il se trouve alors en décalage, en conflit, sinon en rupture »298(*). Les messages, de même que les entretiens évoquent souvent le fait qu'elles ne puissent partager leur passion avec leur entourage, leur groupe d'ami(e)s réel, car ces derniers considèrent le fait d'être fans avec mépris, et encore plus le fait d'être fan d'une chanteuse lesbienne, certaines ont fait l'expérience de l'homophobie. En effet, C.Moulin a montré, à travers l'étude de la presse jeune, qu'inconsciemment les adolescentes se plient aux exigences attendues par leur sexe ; elles évoluent « naturellement » vers un conservatisme de genre, comme si la construction identitaire passait par l'exacerbation des traits de définition des genres, afin d'exprimer clairement une identité cohérente pour soi et pour autrui. Cette presse jeune se réfère toujours à la différence entre les sexes pour fonder les identités de genre, jamais sur une appartenance culturelle ou générationnelle. Ainsi, « l'intimité homolatique se pose comme un espace d'apprentissage d'une continuité identitaire par identification au semblable et par distanciation d'avec les différences ». Les adolescentes qui se sentent en décalage avec ces valeurs dans le monde réel, peuvent se retirer et ressentir le besoin d'un repli homolatique quelque peu différent voire virtuel, où les critères dits de féminité sont plus hybrides, plus neutres, à travers le modèle d'Anne-Laure.

Cette exclusion est symbolique car elle n'est pas conscientisée. Les jeunes lesbiennes cherchent donc d'autres vecteurs d'identification entraînant la reconnaissance de leur propre corps et ainsi de leur propre sexualité. « Les adolescents doivent composer avec un corps qui se transforme physiquement [et] son émergence participe d'un processus plus large de reconstruction identitaire », le corps et le paraître vont alors devenir des enjeux de la féminité, elle-même enjeu d'un jeu de séduction voire d'une sexualité à venir. Celles qui ne rentrent pas dans la norme des critères de féminité en vigueur vont tenter de construire leur définition du genre féminin contre des modèles perçus comme contraignants et dévalorisants. Chez les lesbiennes, la masculinisation du genre peut constituer de manière générale une étape d'acceptation et de construction de leur homosexualité, comme une sorte de revendication communautaire299(*), un moyen de reconnaissance, en s'y identifiant ou en la rejetant. (extraits d'entretien)

2. La recherche de « semblables »

Cette recherche, d'un autre soi que n'offre pas forcément la société, peut s'établir au travers d'Internet, avec le développement d'une « socialité élective »300(*) que l'on peut définir comme des « communautés émotionnelles » au sens de M.Weber301(*). Les sites et forums sont accessibles avec un mot de passe ; on y entre donc après franchissement des rituels archaïques, commençant par l'apprentissage du vocabulaire et des terminologies propres à la dite communauté302(*). Sans trop nous attarder ici sur le vocable propre aux internautes (login, topic, post, forum...), nous pouvons citer les expressions que les membres de notre forum emploient entre eux et qui sont des dérivés du surnom d'Anne-Laure. Nous avons déjà évoqué les Choupifans et la Choupifamily, mais nous en avons noté toute une série : choupikiss, choupiteam, choupichef, choupiland, choupibonheur, choupifolie, choupipassion, choupirencontre, choupibise, choupistar, choupipotes, choupivoiture, choupi-anniversaire, choupifree, choupimania, choupifanesque, choupipuce, choupiheureuse, choupiesprit, choupiamitiés...et la liste est loin d'être exhaustive. Le fait de se constituer un langage commun permet aux membres de montrer leur adhésion à un certain esprit. En effet, il est question tout au long des messages de l'esprit de la Choupifamily. Cet esprit se retrouve pour une grande partie dans la catégorie que nous avons appelée, l'accueil et la solidarité entre les membres, avec très souvent une distinction entre les « anciens » du forum et les « petits nouveaux » ou les « néochoupifans » à qui il faut inculquer un certain nombre de valeurs303(*) :

o « Si tu as un souci sur le forum, je suis là pour t'expliquer »

o « Qu'est ce qu'on ferait pas pour faire partie de la Choupifamily »

o « J'espère que vous m'acceptez au sein de votre communauté choupinienne »

o « Bienvenue à tous les petits nouveaux »

Ainsi émerge un sentiment d'appartenance nouveau, une réinvention des sociabilités réduites et sélectives s'exerçant entre initiés désormais volontairement isolés du plus grand nombre, de la foule sociale. Internet permet un rapprochement impossible géographiquement dans la réalité. Il permet de donner à ces réseaux une « périodicité d'échange »304(*) qui n'est pas permise aux jeunes au vue de leurs faibles possibilités de déplacement, faute de moyens de transport autonomes et de moyens financiers suffisants. Beaucoup de membres se plaignent de ne pas pouvoir se déplacer pour assister aux concerts ou pour rencontrer d'autres membres. Ce nouvel espace, éloigné du champ social ordinaire et tout entier bâti sur le désir d'être « entre soi » mais cette recherche de semblables signifie par conséquent exclusion de ceux qui ne nous ressemblent pas. L'analyse des messages a notamment permis de révéler que les fans parlent à la première personne du pluriel et s'opposent très souvent à la troisième personne du pluriel : le « nous » s'oppose à « eux », qui n'est d'ailleurs pas clairement défini305(*) :

o « Nous sommes des Choupifans si fiers et si soudés »

o « Ils sont jaloux de nous... »

o « Est-ce qu'elle pense à nous ? »

o « Ca reflète notre communauté »

L'analyse des entretiens ainsi que de certains messages du forum ont montré que les membres pouvaient défendre certaines idées, se révolter contre certaines choses avec une certaine fierté. Les expressions de cette fierté reviennent à plusieurs reprises, et les membres sont solidaires enter eux lorsque les messages prêtent au débat. Mais encore une fois, même si le forum ne permet pas d'identifier socialement les membres, il semble que ce soit les personnes les plus âgées qui ont le regard le plus critique. La participation contestataire est alimentée par l'interactivité : soit les membres tentent de se démarquer par leurs opinions, soit elles se rangent aux côtés de celles qui ont la plus grande légitimité, c'est-à-dire, les modératrices ou les membres les plus influents du forum, les plus anciennes. Par principe, tous les messages sont interactifs. Toutefois, certains sujets ne demandent pas forcément des réponses, ils ne sont là que pour venir témoigner d'un sentiment, d'un souvenir, d'une rencontre etc...Mais la catégorie « Partage d'opinions » encourage les fans à émettre leur point de vue sur tel ou tel thème, l'interactivité est alors évidente dans des sujets comme :

o « Anne-Laure : une nouvelle icône gay ? Qu'en pensent nos membres ? »

o « Pourquoi nous l'aimons tant ? »

o « Les looks d'Anne-Laure : lequel préférez-vous ? »

o « Vous ressentez quoi ? »

o « Que pense votre entourage d'Anne-Laure ? »

o « Que représente Anne-Laure pour vous ? »

Il nous semble que l'emploi du pronom personnel « vous » implique bien une marque d'interactivité. Les membres ont conscience de s'adresser à un collectif. Ils prennent en compte le fait qu'ils n'écrivent pas que pour eux-mêmes, qu'ils vont être lu. Cette interaction se voit également lors des différentes relances ou autres interpellations ponctuant certaines réponses306(*) :

o « Vous suivez toujours »

o « Vous trouvez pas que... »

o « Vous voyez ce que je veux dire par là »

o « Si vous permettez ce terme »

o « Je ressens les mêmes choses que vous tous »

o « Elle n'est pas faite pour toi puisqu'elle préfère les filles »

o « Bon aprem à tous ceux qui liront ce message et à ce soir »

Ces forums de discussions correspondent à des machines à relier307(*). Les troubles de l'identité, rejetés dans la vie réelle, que rencontrent les jeunes, deviennent des motifs de regroupement sur Internet. Dans notre étude, le signe de ralliement, l'élément fédérateur est la chanteuse autour de laquelle gravitent un certain nombre d'éléments eux même fédérateurs, comme son homosexualité notamment. De plus, plus la passion est peu commune, plus le rôle d'Internet est important car il est difficile de recruter d'autres passionnés dans l'entourage direct. A ce sujet, les messages envoyés évoquent le site comme étant un sauveur, et remercient amplement l'équipe qui l'a instauré.

Il ne faut toutefois pas oublier, que ce qui rassemble et organise un fan-club est, au départ, un artiste, ou une passion. Ici, les membres nous révèlent que la musique et les textes d'Anne-Laure canalisent l'insatisfaction fuyante des sentiments ordinaires308(*), ils véhiculent une émotion à laquelle elles sont sensibles selon leurs propos. Cependant, tout discours sur la musique est relativement absent des messages et des entretiens. Pourtant les fans garantissent d'une certaine manière que le disque apparaît comme un moyen d'expression et de reconnaissance sociales pour des groupes qui partagent une réalité peu formulée, et qui cherchent à se définir eux-mêmes à travers une certaine communauté musicale, et en particulier chez les jeunes qui ont peu accès à d'autres modes d'identification sociale.

3. Le mouvement de fans comme recours à un collectif

Le sentiment d'appartenance est important dans le processus de construction identitaire et dans celui de la reconnaissance. La sociabilité peut s'étendre à l'appartenance associative, dont le fan-club est un exemple. Les associations peuvent être considérées comme un indice de la sociabilité générale de la collectivité humaine309(*: « la participation associative peut ainsi être saisie dans la double perspective de la formation des groupes en vue d'activités précises et de relations de pure réciprocité sans fins pratiques »310(*). Aujourd'hui, beaucoup d'associations visent l'épanouissement personnel, témoin d'un renforcement de l'individualisation croissante de la société, même si de tels groupes peuvent apparaître comme éphémères et provisoires, comme la constitution d'un public.

D.Pasquier donne une définition du terme de fan, à propos de celles et ceux dont elle a étudié les lettres pour les comédiens de la série « Hélène et les garçons »: elle dit qu'être fan, c'est « mettre plus de passion. Le fan se manifeste plus dans sa vie sociale et suit de plus près ce qui se passe autour d'une série, c'est tout. Elle rêve d'une relation idéale avec un être idéal. A un moment donné de sa propre histoire et pour un temps donné. C'est d'ailleurs une passion plus éphémère que celles qui animent bien des collectionneurs. Il faut aussi rappeler que les fans se recrutent dans des lieux sociaux et géographiques où la télévision occupe une place plus importante. Elles se recrutent dans les milieux populaires où la télévision est plus regardée qu'ailleurs et dans des zones non-urbaines où la confrontation quotidienne avec des modes de vie différents est plus rare »311(*). Le programme étudié par l'auteur et celui dont est issue Anne-Laure peuvent se recouper par les controverses qu'ils ont suscitées. La série « Hélène et les garçons » se voyait reprocher d'éloigner les adolescents de la réalité sociale et Star Academy est taxée de nombreuses critiques notamment à propos de ses candidats jugés sans talent artistique, mais également car la télé-réalité ne reflète pas la réalité sociale. L'objectif de D.Pasquier était de comprendre la relation des jeunes avec la fiction télévisuelle et de savoir comment elle était utilisée pour appréhender le monde, alors qu'elle semble très éloignée de la réalité dans laquelle les adolescents évoluent. J.Jensen défend une hypothèse intéressante, en disant que ce qui est socialement stigmatisé n'est pas tant le fait d'être fan mais l'objet de la passion : les héros de la culture populaire -les chanteurs, les comédiens de la télévision, etc- ne seraient pas dignes d'une passion312(*), c'est ce qui va pousser les fans à ce regrouper entre eux, et à se démarquer des autres. Les entretiens et les messages font très souvent état de cette non-légitimité dénoncée par leur entourage du fait d'admirer une candidate de la télé-réalité.

Le recours aux divers sous-ensembles d'Internet semble définitivement représenter pour certains utilisateurs intensifs l'ultime tentative de construire un substitut à un réel qui s'échappe, en tentant de créer de nouvelles organisations sociales, un nouvel ordre de « l'être ensemble », de nouvelles façons de rejoindre les autres, « ces autres comme soi » qui semblent plutôt participer d'un retrait vis-à-vis du monde social quotidien que d'une simple volonté d'être seul. Les refuges d'Internet regroupent sûrement une foule d'individus isolés, mais convaincus désormais de faire groupe au sein d'une communauté virtuelle s'établissant sur des mobiles communs et utilisant le même jargon. Ces regroupements tiennent de nouvelles relations sociales s'instaurant par Internet.

Le principe de toute relation sociale est l'échange ; le slogan du site officiel de l'artiste qui nous intéresse est, d'ailleurs : « bienvenue sur la planète...communiquez et échangez » ; et cela, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'un regroupement basé sur le soutien et la solidarité, même dans un but commercial de construction de carrière. L'échange se trouve au coeur du système du site Internet fonctionnant comme un gigantesque réseau ; comme pour les adeptes du téléchargement, il s'agit autant de donner que de prendre. La nature des échanges que l'on observe peuvent être multiples. La frontière est floue entre le déclenchement d'une réelle solidarité et la recherche d'intérêts personnels, tant nous avons vu que le fait de se mettre en récit et d'appartenir à un groupe solidaire peut faire parti du processus de construction de soi, et de la recherche de la reconnaissance.

 Ce ne sont donc pas nécessairement des biens qui s'échangent dans les relations sociales mais aussi des services, des messages, des symboles313(*)...Cette circulation va dépendre des rapports qu'entretiennent les individus entre eux. Alors que le troc et l'échange monétaire sont les formes de l'échange marchand, le partage, le don, la réciprocité, la redistribution constitue les modalités principales de l'échange non marchand314(*). Pour M.Mauss, ces échanges donnaient naissance à des liens entre les individus puisque celui qui reçoit est dans l'obligation de rendre ; et notre morale se rattache toujours à cette atmosphère du don, de l'obligation et de la liberté mêlés. Ainsi les personnes impliquées dans l'échange forment un système de prestation sociale. La mise en place de ce système est peut être favorable à l'élaboration constructiviste de la légitimité d'un regroupement telle que celui que nous étudions ici. Les échanges peuvent constituer un réseau d'entraide apportant des conseils à quiconque en demande : des conseils propos de la chanteuse comme des dates de concerts, des passages télévisés, des recherches de coupures presse (tout ce qui se trouve dans la partie appelée « Choupimédia ») ; des conseils à propos d'un problème personnel, sentimental, familial ou autre (tout ce que l'on peut trouver dans la partie « Choupifamily ») ; ou encore des conseils concernant des problèmes informatiques (tout ce que l'on trouve dans la partie « Le garage de la planète »).

Dans son dernier chapitre, D.Pasquier aborde directement la question liée aux fans et à l'élaboration d'un collectif. Elle emploie alors le terme de « communauté de fans » lorsque le « je » du téléspectateur se transforme en « nous », un être ensemble face à la télévision. La communauté des fans est celle qui se met socialement en scène de manière la plus visible. Le fan est quelqu'un qui se montre comme fan, tout d'abord vis-à-vis de son idole (justification en début de lettres, objets dérivés, posters, vêtements...). L'intégration dans un réseau d'échange et de discussion est indispensable. Isolée, le fan serait condamné à redevenir un simple téléspectateur, éventuellement plus assidue que d'autres.

Le « Nous », renvoyant à l'appartenance, que les membres utilisent très souvent, n'est pas stratégique, il sert à rétablir du lien par-delà l'exclusion symbolique et les dispositifs qui relient les individus au monde, autrement que par le travail aliénant du 19ème siècle. P.Bouvier constate que près d'un(e) Français(e) sur deux est membre d'une association, soit en 2002, plus de 21 millions de personnes âgées de 15 ans et plus. Ces adhésions recouvrent des associations de loisirs pour 37%, de défense de droit et intérêts partagés pour 36% et pour 27% de divers types : quartier, religion, troisième âge...Ces associations remplissent aujourd'hui le rôle exercé antérieurement par l'Eglise et l'Etat. Elles occupent la fonction de vecteur d'un lien social anémié par la relative fragilisation des institutions consacrées. Ainsi le « Je » s'inscrit toujours dans un groupe, une entité plus large...autant de formes d'appartenance à une réalité transindividuelle qui permettent de décliner son identité. Le lien social doit être étudié dans le contexte des dynamiques affectives qui le portent. Dans ces rassemblements, décrits par P.Bouvier comme les associations ou encore des manifestations, des repas de quartiers, cherche à se dire un sentiment ou une volonté d'exister ensemble, sur des temps plus ou moins longs et dans des implications de basse ou de plus haute intensité. « Elles mettent en scène des manières probables, nouvelles mais virtuelles, de se relier sociologiquement à l'environnement et anthropologiquement aux identités et aux attentes existentielles contemporaines ».

Cela nous renvoie à la notion de solidarité à laquelle le terme de lien social est associé, et qui revient très souvent dans notre corpus. La solidarité se définit comme l'existence de liens sociaux se manifestant par des comportements de coopération réciproque entre les membres d'un groupe. Cette notion est très déclinée chez les jeunes315(*). Dans notre cas précis, il s'agit de se demander si la solidarité qui se dégage des groupes que nous distinguons est une solidarité provisoire, utile à un moment donné dans le processus de construction identitaire ; si le lien social ainsi mis en place peut être considéré comme un vecteur de reconnaissance. Nous répondrons que les deux explications sont justes et se complètent. Cette solidarité est provisoire, d'une part entre les membres mais aussi entre les membres et leur « idole » : en effet, pour certaines, la star devient quelqu'un qui peut être présent à n'importe quel moment, comme une « planche de salut » qui aide à tout surmonter, une sorte d' « amie imaginaire ». De plus, la relative proximité d'Anne-Laure du fait de sa relative notoriété comme nous le verrons, permet de créer du lien affectif. Même si cela rentre dans une stratégie, que ce soit de sa part ou de celle de sa production, elle reste proche de ses fans, notamment en participant au forum de discussions sur son propre site. Ses messages sont autant d'occasion de ressouder l'équipe, de rétablir le lien qui semble parfois se relâcher316(*), notamment en évoquant des souvenirs, ou en tenant en haleine les fans en leur promettant une actualité chargée. Dans l'extrait qui suit, elle ressoude le groupe avec une intention claire de faire venir ses membres à ces différents concerts :

« Bonjour les Choupifans,

Après un travail acharné où j'étais un peu loin de vous, par la force des choses puisque je suis entrée en studio et j'ai multiplié les réunions et rendez-vous de toutes sortes, je suis ravie de revenir avec plein de bonnes nouvelles à vous annoncer !!!

Je suis plus qu'impatiente de vous retrouver comme quand on s'est connu au moment de la tournée Starac !

Ca a été long et difficile, mais pour les choses bien et jusqu'au bout, rien n'est laissé au hasard, et je suis très fière du travail avec mon équipe et du résultat final.

J'ai confié à Wilo les dernières news qui seront sur le site très vite, on se revoit très vite alors à Agen, Nîmes, Avignon et même en clubs cet été.

Gros gros bisous à tous et merci d'être là !!!

Anne-Laure »

Enfin, être fan de quelqu'un, c'est appartenir à une bande, à un groupe, et le choix de la star est souvent confrontée, comme nous l'avons vu à l'avis général ; prendre parti pour ou contre une star, c'est choisir son clan, affirmer ou assumer son avis, voire sa personnalité. La star peut devenir un patron-modèle317(*) qui peut déterminer l'allure extérieure de certains fans voire même un ressenti intérieur. Certaines de nos enquêtées supposent qu'un certain de membres sont « devenues lesbiennes » uniquement par rapport à Anne-Laure. (illustrations à partir des représentations)

Ainsi, un regroupement tel que celui des fans d'Anne-Laure mobilise la reconnaissance pour soi, c'est-à-dire une identification individuelle qui passe par un modèle médiatique favorisant du même coup l'émergence d'une solidarité collective, d'une reconnaissance pour autrui d'un certain mouvement, pas forcément revendicatif, pas forcément conscient, via le développement sur Internet d'un certain réseau de fan.

Les blogs mais aussi les discussions sur les forums interactifs permettent une mise en scène de l'individu, mais aussi et surtout, la validation par autrui de ce que l'on montre de soi, même si cela se fait par la procuration d'écrans318(*). Le forum apparaît comme un lieu d'échanges, de conseils et de confidences : « l'écriture sur Internet est d'abord bien souvent une image de ses émotions et de ses intuitions tendue à l'autre dans l'attente qu'il les reconnaisse et les valide »319(*). L'individu sélectionne sur Internet, le lieu de rencontre, l'univers où il peut espérer trouver le maximum de personnes partageant ses centres d'intérêts et ses préoccupations. Il n'hésite pas ainsi à mettre en mot, en récit voire même en images, son intimité pensant qu'elle sera comprise et bien accueillie par les interlocuteurs potentiels d'un forum de discussion, d'un chat ou d'un blog. Cette « culture de l'extimité »320(*) est vécue par les jeunes interrogées, à la fois comme une démonstration de soi et comme une sollicitation de reconnaissance par autrui.

Les jeunes s'emparent des médias afin d'y trouver leurs « héros » qui leur ressemblent et qui partagent leurs questions et leurs intérêts. La télé-réalité semble offrir ces images proches du réel tout en étant manipulées dans un but commercial. Les téléspectateurs sont invités, par la construction d'un tel programme notamment, à s'identifier à l'un des participants ou encore à l'ensemble des téléspectateurs : un certain nombre d'émotions communes pouvant donner une signification commune aux images, et favoriser la création d'un éventuel collectif.

Aujourd'hui, la télévision publique donne une place plus grande à des membres de catégories sociales jusque-là peu représentées : par exemple en matière de sexualité, la fonction érotique s'étant dissociée de la fonction procréative, permettant une reconnaissance plus poussée de la sexualité des femmes321(*), et de ce fait de la sexualité lesbienne. Nous pouvons dire que les émissions de télé-réalité, à commencer par le lancement de Loft Story322(*), ont permis de rendre visible des bouleversements sociaux comme « des déplacements des limites de l'intimité et des repères de l'identité, des héros radicalement différents de ceux des générations précédentes [...]»323(*).

CHAPITRE IV ) L'EXPLOITATION ET LA RECUPERATION DE LA NOTORIETE PUBLIQUE

Le choix d'éclaircir cette problématique en s'intéressant à une candidate de la télé-réalité, nous amène à penser tout d'abord en terme de production médiatique et télévisuelle et tout ce que cela comporte comme mise en scène, et comme stratégies commerciales qui vont susciter les publics324(*) : le public étant « cette partie de la population qui s'est distinguée en comprenant les ambitions d'un auteur, la complexité d'une structure textuelle ou les antécédents génériques d'une production culturelle »325(*). Le but aujourd'hui, plus que jamais, est de faire de l'audience. Pour cela, les télévisions recherchent les scandales, les scoops, ainsi elles montrent aux téléspectateurs ce qu'ils attendent et ce qu'ils jugent bon pour l'audimat même si pour cela elles doivent exercer une certaine censure symbolique comme on l'a déjà vu chez P.Bourdieu326(*). La post-télévision, notamment avec l'avènement des programmes dits de télé-réalité, est devenue un intercesseur entre le public et les stars en devenir (rappelons ici l'interactivité de ses programmes), les individus qui souhaitent acquérir rapidement une quelconque notoriété. Sans revenir sur les principes fondateurs de ce genre d'émission, il est important de souligner que ces jeunes candidats se trouvent rapidement confrontés à la réalité de la célébrité sans y être préparés. La chanteuse qui nous intéresse ici est issue de la deuxième saison de Star Academy (la saison dont on a sans doute le plus parlé médiatiquement), elle a été éliminée du jeu en novembre 2002. Le constat que nous avons pu faire, est que, encore aujourd'hui ses fans sont encore là pour la soutenir malgré les fluctuations relativement faibles de son actualité.

Dans ce chapitre, nous allons voir quels peuvent être les usages d'une telle notoriété, en déduisant de notre analyse les éléments constitutifs pour notre hypothèse d'exploitation et de récupération de l'image. Dans un but, essentiellement de reconnaissance identitaire, nous avons souligné dans le chapitre précédent, l'utilisation que les individus peuvent faire des représentations. Il faudra également tenir compte des stratégies commerciales des productions visant justement à favoriser cette identification.. Nous situons, ici, notre problématique dans une logique minoritaire, c'est-à-dire en prétendant que celle-ci puisse avoir recours à ce processus de construction identitaire médiatique à des fins de reconnaissance ou de visibilité, comme celle de l'homosexualité, après voir vu précédemment une logique juvénile plus vaste.

I ) LA TYRANNIE DE LA MINORITE

Les produits de l'industrie de masse, tout comme les produits culturels s'adressent à des publics de plus en plus ciblés. En effet, on ne compte plus le nombre de chaînes de télévision thématiques sur le câble, la presse et le nombre de sites Internet spécialisés mais aussi la complexification des genres musicaux327(*). Cela repose sur la même logique que la spécificité des candidats des émissions de télé-réalité qui se doivent de représenter chacun un type social particulier afin de séduire le plus grand nombre de téléspectateurs, afin de leur donner une raison de « ressemblance identitaire » de suivre l'émission et ceci dans un contexte de grande écoute ; les émissions de télé-réalité s'adressant à une tranche d'âge relativement étendue, même si nous savons que ce sont les jeunes qui sont les plus assidus. Cette logique peut donner lieu, comme c'est le cas pour notre groupe d'étude à des rassemblements, comme celui d'un fan-club, défendant un goût commun, une représentation commune ou des intérêts minoritaires communs. Même si lorsque celui est très exposé, il arrive de constater une disparition médiatique des marges, c'est-à-dire, dans notre cas, qu'il va s'agir de mettre en avant une reconstitution artificielle de la réalité gay et lesbienne. En effet, d'une certaine manière, l'homosexualité se banalise, certaines lois visant à lui conférer un statut de plus en plus légitimé, et cela se répercute immanquablement sur la scène médiatique, comme pour avoir une bonne conscience d'accorder une place aux gays et aux lesbiennes328(*) presque dans un respect de quotas d'images.

1. L'homosexualité à la télévision : état des lieux

Comme nous l'avons vu, la télévision tient un rôle important dans la médiatisation de l'homosexualité : elle a largement évoqué les débats sur le PACS, elle aborde aujourd'hui les questions liées au mariage et à l'homoparentalité, elle médiatise les candidats gays et lesbiennes des jeux de télé-réalité et elle est particulièrement sollicitée lors des Marches des fiertés lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles annuellement ; et depuis le 24 octobre 2004, Pink TV, la première chaîne gay et gay friendly a ouvert son antenne avec pour slogan : « la liberté, ça se regarde »329(*). Les médias parlent donc désormais volontiers de tout ce qui a trait à l'homosexualité, parfois pour des raisons positives, mais parfois pour des raisons lucratives et commerciales.

Media-G330(*) a relevé 786 émissions abordant l'homosexualité à la télévision française en 2004331(*), dont 250 sur les chaînes hertziennes qui représentent 32 % des programmes. Ces résultats, en légère augmentation, sont comparables à l'année 2003. La bonne forme des chaînes thématiques du câble depuis 2002 se confirme et les 536 programmes diffusés sur le câble et le satellite l'année dernière constituent un record absolu depuis la création de Media-G en 1997. Comme en 2003, les bouquets de chaînes consacrées au cinéma ont pour leur part diffusé un nombre élevé de programmes à thématique lesbienne ou gay en 2004.

La répartition mensuelle des scores des chaînes hertziennes indique un nombre important de programmes pendant le printemps 2004, la plupart étant liée aux débats en cours comme l'homophobie, le mariage ou l'homoparentalité. Le nombre de prime times relevés sur les chaînes hertziennes a légèrement diminué (57 en 2004 contre 60 en 2003), et reste inférieur à son niveau de 2001 (67). M6, qui était l'année dernière la chaîne ayant consacré le moins de prime times à l'homosexualité, double son score de 2003 et se place cette année en première position avec 17 soirées à thématique lesbienne ou gay, dont une programmation importante de films, téléfilms et séries.

L'actualité de l'année 2004 a été jalonnée d'événements liés à l'homosexualité qui ont largement été couverts par les journaux télévisés et les magazines d'actualité comme par exemple les mariages homosexuels aux États-Unis, puis en France à Bègles, ou les agressions homophobes comme celle de Sébastien Nouchet. Lors du premier semestre 2004, le traitement de l'information par les principales rédactions a été assez faible, notamment sur TF1, en particulier à propos de l'homophobie. Fin juin, c'est au contraire un traitement détaillé de la Marche des fiertés qui a été constaté sur la Une, tandis que France Télévisions était moins fidèle aux observations sur place lors du défilé avec des choix dans l'ensemble plutôt stéréotypés. En 2004, Arte se démarque de ses consoeurs grâce à son traitement de l'information : elle est la seule à dénoncer l'homophobie des slogans de manifestants opposés au mariage de Bègles et à apporter un éclairage original sur les difficultés des homosexuels turcs en marge de la Marche des fiertés LGBT.

Au-delà des débats de société du premier semestre 2004, la visibilité homosexuelle à la télévision a été très importante dans de nouveaux programmes de divertissement dont le concept intègre l'homosexualité comme thème principal. En 2004, deux programmes, Follement gay sur M6 et Queer sur TF1, ont déclenché un flot d'articles et de commentaires dans les médias tout en véhiculant une image particulièrement stéréotypée de l'homosexualité : icônes gays sorties de nulle part, travestissement, « branchitude », consumérisme. Non contentes de programmer des divertissements reposant sur des clichés liés à l'homosexualité, TF1 et M6 ont également croisé le fer sur le terrain de la télé-réalité avec pour la première fois en 2004 des programmes en concurrence directe, c'est-à-dire aux mêmes horaires, et une surenchère de candidats gays. Dans La Ferme célébrités, Le Chantier ou Les Colocataires, les téléspectateurs ont pu découvrir des candidats -- tous des hommes -- revendiquant leur homosexualité comme rarement ce fut le cas jusqu'ici dans ce type de programme. La télé-réalité peut résume ce que l'on peut retenir à propos de la visibilité lesbienne et gay en 2004 sur les écrans de télévision, avec certains contrastes : l'extravagant stéréotype avec Vincent McDoom dans La Ferme célébrités332(*) par exemple, ou la « normalité »333(*) avec le couple gagnant du Chantier334(*), et où la visibilité lesbienne est pratiquement inexistante à l'exception de quelques débats ou reportages sur l'homoparentalité. Rappelons que jusqu'à présent, la seule figure de l'homosexualité féminine des émissions de télé-réalité a été représentée par Anne-Laure en 2002, ou en tout cas, la seule figure visible et reconnue comme telle.

Pour certains observateurs, en particulier anglo-saxons, qui suivent l'aventure Pink TV, le danger qui guette aujourd'hui les gays à la télévision viendrait de ce genre de chaîne « ghettoisée » diront certains. Après une naissance difficile, la première chaîne gay et gay-friendly est en train de trouver sa place et a rempli ses objectifs de lancement avec 50000 abonnés. Le pari, il y a cinq ans encore, était considéré comme impossible. Aujourd'hui, il pourrait bien être gagné. Les gays ayant désormais leur chaîne, les autres télévisions n'auraient donc plus d' « efforts » à faire, comme le prouve l'exemple canadien : depuis l'arrivée de la Pride Vision TV, on ne trouve quasiment plus un programme homosexuel ni un personnage gay sur les chaînes dites « généralistes ».

2. La mise en scène du politiquement correct

D'une manière générale, la sexualité mise en avant médiatiquement permet d'augmenter les chiffres de l'audience d'un programme. Le sexe est un moyen convaincant pour interpeller le public. Si certains opérateurs d'accès à Internet ou d'accès aux chaînes câblées proposent de diffuser certaines émissions de télé-réalité dans leur intégralité, c'est-à-dire, une diffusion 22 heures sur 24335(*), les personnes s'y abonnant, attendent entre autres qu'il se passe quelque chose entre deux candidats : « Moi...ben, pour les deux premières saisons de Star Academy...euh...je m'étais abonnée à TPS pour avoir la chaîne 24 heures sur 24...bon des fois c'était l'arnaque, la caméra bloquait sur une porte pendant des heures [...] en fait je m'en foutais un peu des les voir répéter et tout...non moi ce qui m'intéressait c'était les relations qui pouvaient se faire...et qu'on nous montrait pas sur la Une... »336(*). (Compléter avec JOST sur le loft) Les ébats amoureux et/ou sexuels ayant lieu dans ce genre d'émission sont largement répandus dans les autres médias comme la presse, discuter sur Internet, tout comme cela avait été le cas pour l'histoire entre Loana et Jean-Edouard dans la première saison de Loft Story337(*). Cependant, il est évident que les médias ne parlent de la même façon de toutes les sexualités.

Même si aujourd'hui, le public n'est plus tellement appréhendé comme une masse inactive, les fonctions des médias décrites par les fonctionnalistes dans les années 60338(*) peuvent se prêter à notre regard actuel sur le sujet. Nous adhérons au fait que les médias permettent de conférer un certain prestige et une certaine célébrité aux personnalités qui y apparaissent et qui sont mis en lumière en leur donnant une certaine légitimité. Le fait de voir accéder des gays et des lesbiennes sur le devant de la scène publique permet d'une part de les considérer et d'autre part de les légitimer dans une relative mesure. Les médias jouent également le rôle de consolidateur de normes sociales en présentant à profusion les attitudes et les comportements normalement admis. Le gay ou le gay friendly font partis de la culture médiatique actuelle tout en restant cantonnés dans certains contextes. Ainsi, c'est pendant le mois de juin, mois des Gay Pride que l'Observatoire du traitement de l'homosexualité dans les médias339(*) constate le pic de représentation le plus important. Ainsi, si auparavant, les homosexuels desservaient une image stéréotypée de l'homosexualité que ce soit masculine ou féminine, aujourd'hui, avec les différents débats qui ont eu lieu que ce soit à propos du PACS ou encore à propos de l'homoparentalité, les gays et les lesbiennes à l'écran véhiculent, selon un certaine volonté des médias certainement, une image lisse et normée sous peine d'être taxée de racoleur. Thomas, gagnant de Loft Story deuxième saison, et Anne-Laure ont joué ce rôle de façon à encadrer une certaine minorité, alors que comme nous le verrons plus loin, les cultures dites homosexuelles inventées tout au long du siècle précédent se voulaient résistantes face à la normalité340(*).

Ce constat se répercute dans le discours des fans, que ce soit dans les messages du forum de discussions ou dans nos entretiens. Il coexiste deux formes de légitimation de l'homosexualité d'Anne-Laure et le degré d'implication dans une de ces deux formes va dépendre d'une part de l'âge mais aussi du niveau social et du niveau scolaire de la personne membre : les plus jeunes ont tendance à mettre en avant ses talents et à cantonner son coming out à la sphère de sa vie privée, alors que lorsque l'on se rapproche de l'âge moyen des membres, c'est-à-dire celui de la chanteuse (21 ans), il est plutôt question de mettre aussi en avant le fait que le coming-out a été une occasion de se créer une image positive ; de même les plus dotés socialement vont avoir un regard plus critique à ce sujet, en nous parlant de leur propre expérience. Ainsi, certaines voient en Anne-Laure l'icône lesbienne qui manquait au paysage médiatique français, d'autres dénoncent la mise en avant de ce côté intime de sa vie en prônant un réel cloisonnement entre ses fonctions artistiques et sa vie personnelle, ce sont souvent ceux-là qui assimile l'homosexualité à un secret341(*) :

o « En tant que gay, je peux dire que je suis fière de mon icône »

o « J'ai toujours soutenu Anne-Laure pour des raisons purement artistiques »

o « Sa sexualité ne me regarde pas »

o « Au risque de paraître un peu réac, je trouve dommage qu'Anne-Laure ait tendance à trop se livrer aux médias homos »

Ceux qui disent respecter sa vie personnelle le font sous couvert de justifications, mettant en avant notamment leur sexualité :

o « De toutes façons, je suis un mec et je suis hétéro, donc à priori je n'ai aucune chance avec elle... »

Ces derniers refusent de voir leur site se sectoriser, devenir un site pro-lesbien, et refusent l'idée que leur vie sexuelle dicte leurs goûts, leurs comportements. Portant, certaines de ces mêmes membres mettent en ligne leur vie dans des blogs, et notamment en avançant sur le terrain de l'homosexualité. Nous ne remettons pas en cause la sincérité des propos tenus dans les messages, cependant la volonté de rester quelqu'un d'ouvert et de non-circonscrit à la sphère homosexuelle de leur vie se fait largement jour.

De plus, si au commencement du forum, les sujets touchant à la sexualité de la chanteuse s'enchaînaient :

o « Anne-Laure : une nouvelle icône gay ?Je lance un sujet brûlant, qu'en pensent nos membres ? Défoulez-vous ! Je veux dire par là...ouvrez votre coeur sur ce sujet que les fans ne peuvent ignorer...pas de tabou ! »342(*)

o « Notre site gay friendly : qu'on nous traite d'homophobe me fait bien rire »343(*)

aujourd'hui, cela devient complètement tabou, et certains sujets jugés un peu trop axés sur l'homosexualité d'Anne-Laure sont clairement censurés, c'est-à-dire qu'ils sont immédiatement retirés par les modérateurs ; la nouvelle charte stipulant bien qu'il s'agit d'un site de fan et que par conséquent, la vie privée de la chanteuse devait rester privée. Nous le verrons par la suite lorsque nous aborderons les règles que ce dernier dicte à ses membres.

La publicité semble, elle aussi, un bon révélateur de la prise en compte de l'homosexualité dans les médias et ses représentations. Comme tout discours médiatisé, elle et l'objet d'un double rapport avec la société qui la produit. A la fois, reflet et symptôme, elle est en outre, du fait de sa puissance évocatrice, un acteur agissant dans les mentalités344(*). Puisqu'il s'agit d'économiser du temps et de l'espace, le discours publicitaire est un discours qui ne peut être que réducteur et simplificateur. Il n'a fait donc que renforcer, à une certaine époque, la représentation stéréotypée de l'homosexualité essentiellement masculine, même si aujourd'hui son intention est plutôt liée à la légitimité sociale croissante de l'homosexualité, mais aussi à un marketing qui tente de cibler un certain public. En effet, à la fin du millénaire, la publicité connaît un tournant avec l'émergence de cette nouvelle cible marketing bien structurée et d'un marché spécifique : les homosexuels eux mêmes jouant quelques fois encore sur les clichés345(*). Les lesbiennes semblent toutefois tenues à l'écart de ce phénomène, elles restent relativement absentes des publicités ou lorsqu'elles y apparaissent, c'est dans une imagerie hétérocentrée. En effet, la vague de ce que l'on a appelé le « porno chic » en publicité à partir de 1995, a favorisé le « développement du fantasme masculin archétypique de la lesbienne hyper-sexuée »346(*). Le fait de mettre en scène des lesbiennes contribue surtout ici à alimenter de vieux fantasmes hétérosexuels masculins, voire machistes.

Tout se passe comme s'il ne fallait pas « choquer » le public dit universel, et donc leur donner des images de l'homosexualité et de la sexualité en général qui les rassurent ou les confortent dans leurs représentations. Ainsi, lorsqu'en 1994, la première soirée du Sidaction347(*) est diffusée sur les chaînes de télévision, les reportages font quasiment l'impasse sur les modes de contamination sexuels du virus en accordant la plus grande place aux questions du sang contaminé, des drogués et de la transmission du virus de la femme enceinte à son bébé. En ce sens, la médiatisation d'une candidate lesbienne d'une émission de télé-réalité, même si elle apparaît normée, ou qu'elle est jugée comme étant un « coup médiatique », comme cela a pu être reproché au coming-out d'Amélie Mauresmo, permet une visibilité quotidienne de l'homosexualité, étant donné la proximité des participants avec le public. Comme les personnages de sitcom348(*), les candidats sont familiers : « on m'a dit qu'en matière de lutte contre l'homophobie j'avais fait beaucoup. Au départ je voulais juste qu'on m'accepte [...] mais après tu te rends compte que ça s'élargit, que tu deviens le stéréotype d'un groupe, d'une communauté »349(*).

3. Les recours du minoritaire

Lorsqu'un programme aborde le sujet de l'homosexualité, le message qu'il transmet va d'abord être reçu par des spectateurs ou des auditeurs attentifs, c'est-à-dire, relativement concernés par le sujet : ce sont toujours les personnes déjà intéressées par la problématique d'un message qui sont disponibles pour le recevoir, et ensuite tenter de le faire diffuser d'une manière plus large. En ce sens, les festivals de cinéma gay et lesbien touchent avant tout un public gay et lesbien et que très minoritairement le grand public.

Les gays et les lesbiennes ayant conscience de faire partis d'une minorité, ont besoin, comme toute personne cherchant des repères constructifs, d'une image, ils sont donc à l'affût du moindre appel, de la moindre ambiguïté, de la moindre révélation, quitte à déformer parfois quelque peu les images, et quitte à, comme nous le verrons plus après, à ériger certaines célébrités en icônes sous couverts de quelques doutes ou simplement parce qu'elles ont à un moment donné joué la carte de l'ambiguïté sexuelle, que ce soit dans l'attitude ou dans les oeuvres. Ainsi, les membres interrogés nous ont fait part de leur prise de conscience de l'homosexualité d'Anne-Laure, en mettant soit en avant une sensibilité différente, un look différent ou tout simplement la mise en marche de leur « sens pratique » :

o « Sa sensibilité a été pour moi...un déclic »350(*)

o « Je dirais tout simplement qu'elle avait un style différent des autres »351(*)

o « J'avais lu un article disant que dans le château, il y avait une fille qui avait dit qu'elle était lesbienne...du coup j'ai regardé et bon ben j'avais compris de suite que c'était elle »352(*)

o « J'ai accroché sur son look »353(*)

o « Je l'ai su dés la première fois que je l'ai vue qu'elle était gay...ça doit être mon antenne »354(*)

De plus, ces images récupérées sont mises en avant dans différents médias et alimentent l'existence de certains goûts communs aux gays et/ou aux lesbiennes, de sorte à construire artificiellement l'idée d'une culture médiatique propre. Le groupe minoritaire valide son entrée dans le majoritaire par la récupération et l'appropriation de certaines représentations, de certains codes, de certaines figures. Tout le groupe minoritaire est sensé se retrouver dans ces représentations, moyennant à un niveau plus ou moins conscient, un but, un cadre de référence et un vécu commun, entraînant une idée de cohésion du groupe, c'est-à-dire « la totalité du champ des forces ayant pour effet de maintenir ensemble les membres d'un groupe et de résister aux forces de désintégration, de l'attrait global du groupe pour tous ses membres, l'accent pouvant être mis tantôt sur l'aspect fonctionnel de contrôle, de normalisation, de pression vers l'uniformité, tantôt sur l'aspect émotionnel de spontanéité collective et le sentiment du « nous » de « l'être ensemble » »355(*).

Dans notre cas, les facteurs de la cohésion du groupe proviennent d'une part de critères socio-affectif, les membres du groupe de fans ont un attrait pour un but et/ou un goût commun, un attrait pour l'action collective notamment à travers l'existence du forum de discussions, et l'attrait pour l'appartenance au groupe favoriser par l'emploi massif du « nous »; et d'autre part, de critères opératoires et fonctionnels, c'est-à-dire, que le fan-club a aussi des fins informatives sur l'artiste dont chaque membre est demandeur. Cela signifie aussi que certains membres ont des rôles bien précis dans cette action collective et qu'il existe pour cela un leader. Ici, le leader est représenté par les modérateurs du site. Il a des fonctions socio-opératoires : il s'occupe des opérations concernant l'information et la méthode de travail (les modérateurs dictent les normes du forum de discussions), des opérations concernant la coordination des apports et des efforts (ils mobilisent les fans pour les événements) et des opérations concernant les prises de décisions. Il a également des fonctions socio-affectives : les modérateurs interviennent à la stimulation et au soutien des membres et à la facilitation sociale, c'est-à-dire, qu'ils arrangent les différents problèmes d'entente dans le groupe. Et enfin, il est l'intermédiaire entre l'artiste et les fans. Celle que l'on nomme la « Choupichef » est très souvent citée dans les messages des membres, comme si le site était devenu le site de Wilo (pseudonyme de la modératrice en chef, et l'initiatrice du site et du forum) plus que le site officiel d'Anne-laure. Les membres usent de termes honorifiques pour parler d'elle, il peut ici s'agir d'une véritable forme d'affection, ou d'une stratégie visant à obtenir les faveurs de la personne qui détient le pouvoir sur le forum356(*) :

o « Merci Chef de remettre les choses à leur place »

o « [...] ma Webmother »

o « [...] ma Wilo qui compte tant »

o « [...] ma petite Wilo [...] ma pupuce »

o « Pour moi, tu es un être exceptionnel »

o « Tu es tout simplement parfaite »

o « Pour moi Planète, c'est avant tout chez Wilo...et après seulement arrive la Choup' »

En effet, les modérateurs ont le pouvoir de faire évoluer les membres vers des statuts plus importants ; nous avons pu déjà noté les différentes distinctions existantes, elles sont valorisantes et valorisées aux yeux de tous, elles confèrent une certaine légitimité357(*) :

o « T'as de la chance, moi j'en ai marre d'être planétalienne »

o « Tu n'as juste qu'à être présente et actif sur le forum et ton tour viendra »

Ainsi, pour engendrer une certaine reconnaissance, le minoritaire va récupérer un certain nombre d'images, d'oeuvres ou de personnalités à son compte, même si au départ tous ces éléments vont partis d'un univers symbolique commun qu'il partage avec le majoritaire. Les conduites des minoritaires apparaissent comme des réponses à des impératifs de la société majoritaire et leur propre identité se déploie dans un premier temps à partir d'une reprise des impératifs qui leur sont donnés par la culture majoritaire où ils vivent et dont ils dépendent358(*).

Certains programmes ont donné lieu à de véritables « cérémonies télévisuelles » regroupant le public assidu, les fans de telle ou telle série par exemple. Dynasty a pu jouer un rôle important dans des communautés gays américaines parce que ces publics avaient pris l'habitude de se rassembler lors des diffusions359(*). De plus, être fan de Dynasty et participer aux soirées organisées lors de chaque diffusion d'un épisode, c'est d'abord affirmer son homosexualité. Ces soirées fonctionnent donc comme des rites d'affirmation permettant le partage identitaire. La communauté, comprise comme une sorte de tribu ou de clan, y réaffirme sa présence et y reconstitue son unité.

II ) LA GESTION DE L'IMAGE

Les images que diffusent les médias sont contrôlées, mises en scène, voire même manipulées et censurées. Les masses culturelles peuvent s'illustrer par le système totalitaire360(*), profitant du désarroi d'un public pour s'installer en proposant une certaine image maintenue dans les représentations collectives dont le rôle est de sceller l'union des masses. Certains produits culturels ou images font obstacles à la réalité, sont utopistes mais sont largement diffusés, « et les stars qui vendent ces produits sont les façades des industries du divertissement »361(*). Star Academy pré-fabrique des stars, et Anne-Laure aussi est façonnée d'une certaine manière, sa production voulant gommer quelque peu l'image de l'icône lesbienne362(*) qu'elle est devenue malgré elle après son coming-out discret mais repris dans la presse. Aujourd'hui, la télévision semble régir un certain nombre de représentations majoritaires mais aussi minoritaires comme nous l'avons vu, elle a le pouvoir de « montrer les choses » au plus grand nombre, et elle offre au public ce que celui-ci demande. Nous avons vu qu'elle permettait de créer du lien, le fan-club est l'exemple de ce lien ; mais comme toute production médiatique, le fan-club est aussi géré parfois par des manipulations et des censures.

1. Des usages de la notoriété : le cas des icônes gays et lesbiennes

Les médias font parfois référence, à travers une émission de télévision, d'un reportage ou dans les colonnes people de l'actualité de certains sites gays ou lesbiens, à ce que l'on appelle les icônes gays ou dans un moindre cas, les icônes lesbiennes. La presse gay que nous avions étudiée auparavant validait largement leur existence, un magazine avait même été lancé, sans succès, et se proclamait « magazine de la culture gay »363(*) véhiculant un certain nombre d'égéries des gays de toutes sortes.

Les icônes gays sont généralement des femmes, des artistes, des chanteuses. Aujourd'hui, ce terme est couramment employé, pour parler par exemple de Madonna, Mylène Farmer, Barbara ou encore Sheila. Certains vont mettre en avant le fait que ce qui attire les gays, ce ne serait pas la femme mais l'essence absolue de la femme, sa représentation fantasmée, son image parfaite364(*). Ainsi, les gays s'éprendraient des divas, symbole de la femme idéale et inaccessible, même si nous sommes en droit de questionner la légitimité de considérer certaines chanteuses comme Sheila ou Kylie Minogue comme des divas. Cet amour sans désir trouverait même sa réalisation dans un « fétichisme des plus fervents », certains vont jusqu'à écrire qu'elles sont « les stars incontestées du panthéon gay » et formeraient « incontestablement une culture gay ». Ces artistes cultivent plus ou moins leur rôle d'icône gay.

Cet engouement est différent chez les lesbiennes : on parle d'icône lesbienne, lorsqu'une certaine personnalité révèle son homosexualité, comme c'est le cas actuellement pour Amélie Mauresmo ou Anne-Laure. Nous avons fait l'expérience en tapant « icônes lesbiennes » dans un moteur de recherche sur Internet, puis « icônes gays ». Les premiers résultats nous renvoyaient à des noms tels que la chanteuse à l'image ambiguë Tracy Chapman, la série lesbienne « The L Word », Amélie Mauresmo, la chanteuse lesbienne Mélissa Etheridge, le groupe russe lesbien Tatu, les marseillaises du groupe des Belladonna, la comédienne Ellen Degeneres de la série « Ellen ! » ouvertement lesbienne, ou encore le groupe lesbien Indigo Girls ; les seconds résultats renvoyaient à des noms comme Dalida, Mylène Farmer ou Madonna.

Ce constat peut s'expliquer par le fait que les lesbiennes, plus que les gays cherchent à se voir représenter car elles sont le plus souvent soumises à l'indifférence. La visibilité va alors se trouver au coeur même des enjeux liés à la reconnaissance des droits des minorités dans l'espace public. De plus en plus, les lesbiennes produisent leur propre image dans les médias et le discours public. Dés lors, il ne s'agit plus uniquement d'être filmés par la caméra comme un objet de regard, mais aussi d'intervenir directement sur l'image de soi que les médias et les discours publics reproduisent et font circuler. Dans cette logique de marché, le droit d'être vu et entendu, d'être visible, devient un part essentielle d'une « économie identitaire dans laquelle la marchandisation du corps lesbien est une valeur à la hausse dans la mesure où sont respectés les préceptes capitalistes de la saine compétition pour le maintien de l'ordre social365(*) ». Il en découle des conséquences sur la façon de s'auto-présenter comme lesbienne. Cette économie identitaire va avoir une influence sur la perception de l'identité lesbienne. Ce que l'on voit à l'écran va immanquablement se ressentir dans l'espace public.

La mise en avant d'icônes est investie, comme la valorisation de culte médiatique366(*), de revendications identitaires, elle fédère les membres d'une même génération ou d'une même minorité autour de styles de vie ou goûts communs, elle traduit des stratégies d'affirmation de soi, elle apparaît comme rassembleuse et distinctive, puisque c'est quelquefois en fonction des goûts et des valeurs que nous sommes renseignés sur l'affiliation identitaire d'une personne.

2. L'éphémérité et la multiplicité de l'«être star» : le rôle du fan-club dans la construction d'une carrière

Aujourd'hui, la première remarque que l'on peut faire est qu'il faut d'abord passer à la télévision pour pouvoir espérer devenir « star » ; nous prenons ce mot au sens médiatique du terme, étant donné que n'importe qui passant à la télévision devient une star, il n'y a plus vraiment de mythe367(*) autour des vedettes du petit écran. Au sein des émissions de télé-réalité, la vocation artistique qui fait le plus recette est celle de la chanson. Les chaînes françaises, comme TF1 ou M6, l'ont bien compris en créant une filiale, une société de production de disques. Ce qui explique le rôle du média télévision dans la promotion d'un artiste. Il s'agit alors d'un phénomène de masse « vite fabriqué, vite consommé et vite jeté ». La musique que la télévision propose est un simple produit marketing destiné à vendre toujours plus de disques, notamment aux adolescents, cible privilégiée des ventes.

Ainsi, la télé-réalité aide à devenir célèbre rapidement mais ne promet une carrière d'artiste, ce procédé est contesté par certains comme étant la starisation de l'artiste moderne comme la première marche vers la disparition de l'artiste, vers la transformation progressive de l'art en instrument de communication. Pierre-Yves Garcin, directeur commercial de « Une musique », filiale disque de TF1 parle d'alliance objective entre la télévision et la musique, il confirme alors un fait établi : la musique est désormais un simple business, le disque, un pur produit et le chanteur, une marionnette dont les fils sont tirés à la fois par les maisons de disques et par la télévision. Prenons le seul exemple de Star Academy qui développe une véritable économie parallèle notamment par la création de produits dérivés et la vente de ses licences. Pour Star Academy saison 3, TF1 a remporté 130 millions d'euros rien qu'en produits dérivés, appels téléphoniques et surtout en recettes publicitaires (Star Academy saison 2 : 105 millions d'euros, Star Academy saison 1: 60 millions d'euros). De plus, la liaison entre télévision et musique a des répercutions sur d'autres secteurs comme la presse pour adolescents et la presse people. TF1 a lancé le « Star Ac Mag », un mensuel vendus environ à 350 000 exemplaires où l'on parle des candidats du moment, des candidats précédents mais également d'artistes en vogue et touchant le même public que celui de Star academy. Le coming-out d'Anne-Laure est bien sûr pas ou peu abordé dans les magazines pour jeunes368(*) où l'on préfère évoquer son côté « sportive, battante » ou poser à côté de son idole « venue assister au show », Amélie Mauresmo ou encore dire qu'elle « apprend à être féminine », un seul article titrait : « il n'y a pas de honte à préférer les filles ». La presse dite « people », au contraire, s'oriente plus généralement sur la vie sentimentale des célébrités et Anne-Laure ne fut pas épargnée, on la voit notamment en compagnie de sa petite amie de l'époque, ou tout dernièrement à la une d'un magazine avec celle qui va devenir sa femme en Belgique dans les mois à venir.

Ce marché fonctionne sur l'identification, les producteurs ont vite compris que les cibles étaient les adolescentes qui s'identifient de plus en plus à leur soeur aînée ou à leurs idoles et adoptent les codes de l'adolescence où l'apparence est décisive. A travers leurs mimiques, elles s'essaient à être. C'est le travail de l'identité. Or les normes de l'apparence sont fortement induites par les médias, la publicité et le star system. Nos enquêtés nous ont parfois révélé qu'elles avaient adopté pour un temps l'apparence vestimentaire d'Anne-Laure.

Nous sommes ici dans un monde marchand où règne le profit avant toute chose. Les caractères internes du star-system sont ceux même du grand capitalisme industriel, marchand et financier. Le star-system est d'abord une fabrication369(*). Le site Internet pourrait d'ailleurs être utilisé comme portail avec des arrières pensées commerciales et lucratives, comme peuvent l'être les sites destinés à des groupes spécifiques comme par exemple, le site Adventice de vente en ligne de produits socio-culturels entre autres, qui s'adressent aux gays et aux lesbiennes. Cette contrainte économique doit être prise en compte dans la construction de la notoriété qui doit forcément obéir à une loi du marché qui offre donc une logique d'action propre à celui-ci370(*).

Dans un contexte de guerre concurrentielle, le système médiatique a frénétiquement besoin de célébrités. Il veut les produire vite et les exploiter à chaud. C'est exactement ce qui se passe après que les candidats soient sortis du château de Star Academy. De la même façon que la série « Hélène et les garçons » étudiée par D. Pasquier, Star Academy génère de grands groupes de fans qui passent d'abord par la constitution d'un public, d'une audience. Le cadre autour de la série est le même que celui que l'on trouve autour de l'émission. Il est géré par une société de production, plus ou moins, indépendamment de la chaîne qui diffuse le programme, il donne lieu à des fanzines consacrés exclusivement à la série ou à l'émission, il se décline en une multitude d'objets merchandising et donne donc l'occasion aux fans de devenir de véritables petits collectionneurs (Images Panini, tee-shirts, casquettes, disques, livres, vidéos, vêtements et accessoires en tout genre), sachant que la collection sera éphémère ; la série « Hélène et les garçons » ne pouvant pas durer éternellement et une promotion de Star Academy ne durant qu'une année (après on choisit de suivre tel ou tel personne qui continue une carrière en solo ou bien on se replonge dans la nouvelle promotion de l'année).

Autour de ce fan-club, autour de l'artiste gravite un certain nombre de personnes. Même s'il s'agit ici d'un art mineur, on pourrait considérer ce groupe de personnes comme un réseau qui coordonnerait leurs activités pour la production d'une oeuvre371(*), ou même d'une artiste. La production aurait donc une dimension collective, H.S.Becker parle de réseaux coopératifs372(*) avec une segmentation du travail en tâches diverses allant de la conception des idées à l'appréciation et la critique. Les préoccupations esthétiques, financières et professionnelles sont différentes de celles de l'artiste. Chacun obéit à des normes et à des préoccupations propres. L'artiste est dépendant d'une part des ressources matérielles mais aussi, et peut être même surtout, des ressources humaines pour produire et se faire connaître. La mobilisation des ressources va plus ou moins influer sur le projet initial de l'artiste.

Dans notre cas, les ressources humaines ont la plus grande importance. Pour notre part, ces ressources engloberaient également le public, sans qui il n'y aurait pas d'artiste, de vedette. C'est à travers le public que peut se construire une quelconque notoriété mais aussi à travers les intermédiaires spécialisés qui s'en occupent, en obéissant à des intérêts souvent différents de ceux des artistes dont ils diffusent les oeuvres. Ici nous parlons des producteurs, des attachés de presse...du monde des affaires qui fait également parti du monde de l'art. Il peut, comme le montre certains messages, parfois y avoir des conflits entre la production qui veut générer une certaine image de son artiste, le public qui se réapproprie cette image comme il le souhaite (notamment en érigeant Anne-Laure en icône lesbienne) et les fans qui sont entre les deux et qui tentent de gérer la carrière de l'artiste de façon à suivre les exigences de la production tout en mettant en avant certains aspects de leur vie personnelle. Ces personnes cherchent à « produire » et diffuser l'oeuvre la plus rentable et pas toujours forcément pour son côté esthétique. A ce sujet, nous avons pu participer à la discussion concernant le choix du premier single d'Anne-Laure ; malgré l'unanimité que faisaient certains titres forts, comme notamment un titre contre la pédophilie, le producteur a opté pour un titre plus commercial, plus passe-partout et traitant d'un sujet léger, et surtout pas tabou. Nous voyons bien sûr les enjeux que peuvent représenter la sortie du tout premier single. L'art commercial est fait pour répondre à une demande de plus en plus éphémère.

D'une manière générale, la constitution sur Internet d'un fan-club tend à produire le phénomène grandissant de la carrière de l'artiste autant qu'il le décrit.

2. La mise en place d'un système normé : les règles du fan-club

Ainsi, il nous paraît juste d'inclure le regroupement des fans dans ces réseaux coopératifs. Il semble être au coeur d'un système mis en place au profit de l'artiste. Derrière un effort de solidarité à l'oeuvre dans un tel rassemblement de personnes, la production y voit peut-être des enjeux économiques importants. Ce thème a fait l'objet d'un questionnement. Il est, en effet, paradoxal d'avancer qu'il peut y avoir des solidarités d'un certain type dans un tel système, d'autant plus lorsque l'on sait qu'il provient d'un système encore plus construit et médiatisé qu'est celui d'un programme télévisé comme Star Academy.

Ce regroupement pourrait se définir en terme d'équipe au sens de Goffman373(*), comme un ensemble de personnes coopérant à la mise en scène d'une routine particulière. En étant membre d'une équipe, les acteurs se trouvent placés dans une étroite relation d'interdépendance mutuelle. Cette mise en scène se retrouve, notamment dans les messages émanant de la production d'Anne-Laure ou bien des modérateurs du site Internet et du forum. C'est le cas en particulier des messages de mise à contribution ou de mobilisation qui s'avèrent être bien réglés et organisés par la production dans le but de promouvoir au mieux la carrière de l'artiste. Le producteur « dicte » en quelques sortes l'attitude que les fans doivent avoir. Il fait très attention à l'image de sa protégée, et cette image passe évidemment par le fan-club, par les fans. Selon E.Goffman, tout membre de l'équipe a le pouvoir de « vendre la mèche », de casser le spectacle par une conduite inappropriée.

Voilà ce que les membres ont pu recevoir lors de la sortie du premier single d'Anne-Laure :

Sujet:

Soutien intensif au "démarrage médiatique" d'Anne Laure

 

Anne-Laure, à 1 mois de la sortie de son single, est à un tournant décisif de sa "vraie" carrière.
Le succès de son single, et pour cela la campagne de promotion radio TV qui va l'introduire, sera décisive.

Le Producteur fait appel au partenariat et au "relais" des fans, par l'intermédiaire des administrateurs de ses 2 sites Planète et AL.net qui sont plus que jamais unis dans leur soutien à Anne-Laure.
Il faut appuyer cette campagne et garantir son succès. Mais il faut le faire avec intelligence et avec naturel, et pas de manière excessive et fanatique. Pour cela nous avons décidé de ne pas faire un affichage de consignes publiques sur nos forums.
Voici la méthode que nous proposons :
1/ Nous ferons figurer , au fur et à mesure, dans le forum A-L officiel, les dates de passage d'A-L sur les radios, et les coordonnées (phone ou mail) de la radio. Nous ouvrons pour cela un post "passages radio d'A-L" dans le forum A-L officiel.
2/ Ensuite, chaque fois que le titre est entendu sur une radio, le fan qui l'a entendu pourra appeler la radio pour dire qu'il a aimé. Surtout, il pourra faire passer l'info à son "réseau" ou poster dans le forum single -album des sujets tel que " j'ai entendu Imagine sur telle radio"...en donnant le jour et l'heure, mais sans donner de consigne de "matraquage". A partir de ces infos, vous pourrez, à votre tour, appeller le media, ou lui envoyer un email pour dire que vous avez aimé, remercier, redemander le titre, etc...
Soyez NATURELS, ne montrez pas que vous êtes fans de la première heure, il faut que la radio ait envie de vous croire et de vous faire plaisir (sinon, ça peut faire l'effet inverse).
3/ Utilisez votre "réseau" d'amis (mail, msn, MP...) pour faire passer vos infos. Anne-laure a besoin de chacun.

Retransmettez ce message à vos amis. Si vous l'avez reçu en email, quand vous le retransmettrez à vos amis prenez soin d'effacer la liste des destinataires précédents, pour ne pas multiplier les risques de diffusions de virus !
Merci à tous. Votre action dans les deux mois à venir, même si elle vous paraît microscopique, sera décisive.
La choupiteam d'Annelaure.net

1ère action concrète : samedi 9 octobre Montivilliers. Anne-Laure sur Radio Résonance
02.35.28.78.7 ou par mail (directement sur le site
www.resonance.best.cd )

Cathy et la choupiteam.
Bisous.

Le forum exige des règles : il faut bien sûr se respecter les uns les autres, ne pas tenir de propos déplacés, respecter la vie privée d'Anne-Laure, tout un ensemble de règles éthiques et juridiques mais aussi une sorte d'habitus de membre, chacun doit savoir où poster son message, il faut pour cela respecter les catégories du forum, les modérateurs étant là pour rappeler à l'ordre ceux qui se tromperaient. Il existe d'ailleurs une charte qui figure en annexes. Les anciens membres sont là pour rappeler les « nouveaux » à l'ordre, pour leur inculquer les règles en vigueur. Ils vont employer un ton supérieur et bienveillant alors que les nouveaux ne vont cesser de s'auto-justifier à chaque fois qu'ils vont poster un sujet374(*) :

o « Je vous écris ce post pour m' excuser de ma trop rare présence »

o « Je sais que je vais me faire taper sur les doigts parce que ce mail n'a rien à voir avec Choupi mais... »

o « je suis désolée du message qui va suivre »

Les anciens se considèrent un peu comme la relève de l'équipe modératrice. Beaucoup proposent leur service afin de « soulager » le travail des modérateurs. Quelquefois leur zèle conduit à une trop grande distance avec les nouveaux membres. Quelques sujets ont été lancés afin de se plaindre de la difficulté de s'intégrer sur le forum : « c'est cool d'être apprentie choupifan mais c'est chaud de s'intégrer quand on débarque... »375(*). Ainsi nous avons bien ici le sentiment de l'existence d'un clan, d'une tribu et des problèmes d'intégration que cela engendre.

Les nombreuses justifications, les auto-justifications qui ont été repérées très souvent en début de sujet montrent également à quel point les membres tiennent compte des autres. En effet, tout est fait pour ne pas les choquer, les offusquer, les déranger, un peu comme s'il y avait des codes à respecter. Il y a plusieurs sortes de justification. Celles qui justifient le fait de dire certaines choses par des excuses (1), ou encore des affirmations(2), ou encore des caractéristiques propres à la personne (3). Par exemple :

(1)

o « Pardonnez moi si vous l'avez déjà lu »

o « Afin de ne pas raconter ma vie (on me l'a assez reproché à mon arrivée, je crois alors que je ne vais pas recommencer)... »

o « Désolé d'avoir ouvert un sujet parlant de moi »

(2)

o « Nous parlons moins d'homosexualité que d'autres sites sur elle, c'est vrai ! »

o « Je sais que tous les fans d'AL ne sont pas homos... »

(3)

o « Avant qu'on me traite d'homophobe, je précise que pour moi, le terme « gougnette » est affectueusement gentil et vice-versa »

o « De toutes façons, je suis un mec et je suis hétéro... »

o « Je précise que je suis un gars hétéro... »

o « Je suis homo, j'ai 35 ans... »

Les justifications permettent également de ne pas « sortir » du cadre du forum, c'est-à-dire, étant donné que les règles sont strictes et que les modérateurs veillent à ce qui est dit, le fait de se justifier minimise ce qui pourrait éventuellement déranger et ainsi cela permet au membre en question d'éviter la sanction ou la réprimande. Les guillemets comme les parenthèses ont également, une valeur de justification, et sont utilisés notamment pour des termes qui peuvent être discutables et discutés, des termes qui ne sont pas neutres. Ils peuvent aussi être utilisés lorsqu'un membre emploie un mot ou une expression qui ne peut se comprendre qu'entres membres. Dans les rares sujets évoquant clairement l'homosexualité, les guillemets sont massivement employés : « gougnette », la « communauté gay », un passage « obligé » qui ne la suivra pas forcément toute sa carrière, [...] ne fait que « victimiser » la différence, devenir la « mascotte », « coming out », communauté « lesbienne », certains consommateurs « hétéros », sa « différence », « sexualité », « gay friendly », je viens « prendre de ses nouvelles », un site « neutre », « homosexualité », qu'elle soit « récupérée » par la « communauté », des personnes « comme elle ». Ce qui révèle une sorte de malaise face à ces sujets, malaise qui se justifie par la censure des modérateurs à ce propos.

Le fan-club se trouve donc dans une double position, celle de défendre les intérêts d'une artiste sous couvert de défendre les intérêts de ses membres, cependant ces derniers peuvent l'utiliser dans un souci de cohésion, de lien social avec ceux qui leur ressemblent, mais toujours en prétextant le faire dans le cadre d'un goût commun pour la chanteuse ici représentée.

III ) LA MOBILISATION ET LE SOUTIEN DES FANS

Ce terme de fan est assez récent dans notre vocabulaire, il date de 1958, il est une abréviation du mot anglais fanatic, signifiant admirateur. Le fan, serait alors, d'après le dictionnaire usuel : un admirateur enthousiaste d'une vedette. Ce terme semble être indissociable de l'avènement de la pop music avec l'engouement des jeunes gens pour des groupes comme les Beatles ou des chanteurs comme Elvis Presley. Le peu d'études sociologiques faites à ce sujet portent d'ailleurs sur ces artistes là considérés comme des mythes, comme des objets de culte. Ce culte donne à voir la formation d'une sorte de « groupe religieux »376(*) autour d'une figure charismatique largement sacralisée et célébrée comme celle du King. A partir de ce groupe peut s'élaborer une identité sociale et collective, se créer du sens collectif, des significations individuelles, alors que l'on tend à constater la fin des grands dispositifs producteurs de sens. Dans ce cas là, on peut parler de communauté émotionnelle ou même de fratrie imaginaire, et le fait d'être fan joue sur la construction identitaire des individus377(*). Aujourd'hui, la star est de plus en plus banalisée, elle devient plus présente et plus intime, elle est souvent à la disposition de ses admirateurs, nous ne sommes plus dans le registre mythique des stars hollywoodiennes de la grande époque du cinéma décrite par E.Morin378(*).

1. Retour sur la notion de fan

Le terme « fanatique » provient du latin « fanaticus » signifiant  « le serviteur du temple », et de « fanum » qui signifie « le temple », il est employé ainsi depuis 1532. C'est à partir de la seconde moitié du 18ème siècle que l'on parle du verbe « fanatiser », c'est-à-dire, rendre fanatique : ses discours fanatisent les foules, on peut citer ici l'exemple de la montée des fascismes en Europe avec à leur tête des dictateurs capables de telle fascination sur la population. Le fanatisme se définit alors comme l'attitude de celui qui croit de façon aveugle à un dogme, un homme, une idée, un parti...et qui se comporte en conséquence. Au 18ème siècle, le mot fanatisme est opposé à celui de philosophie. Le fanatique est celui dont la conviction est telle qu'elle le rend incapable de juger par lui-même, ni d'envisager, ou même de tolérer, tout autre option que la sienne. Comme l'explique le philosophe Alain, paradoxalement, le fanatique s'appuie sur cette idée juste selon laquelle « il n'est point de vérité qui subsiste sans serment à soi » : considérant abusivement son opinion comme une vérité, le fanatique refuse en conséquence d'en changer ou qu'autrui puisse en avoir une différente. Il existe beaucoup d'a priori sur les fans, ils apparaissent quelquefois comme une « [...] sorte d'adolescent aliéné, dépourvu de personnalité, manipulé par l'industrie du show-business [...] »379(*).

Le parcours de fan pourrait, selon certaines transpositions, ressembler, dans la forme, à la construction de la carrière de déviant380(*) au sens où l'entendait H.S.Becker, et notre analyse, parallèlement à celle de C.Le Bart va nous guider dans notre démarche. Le fan va passer par un certain nombre d'étapes. La première est celle de la découverte de la passion : les fans utilisent la thématique de la révélation pour l'évoquer, il est même parfois question d'un avant et d'un après381(*) :

o « C'est mon modèle »

o « Elle représente la femme idéale »

o « C'est la femme parfaite »

o « Grâce à elle, je me suis découverte »

o « Elle m'a appris indirectement à accepter mon attirance...à faire le premier pas qui a changé ma vie »

Même s'il ne s'agit pas ici, comme le veut H.S.Becker d'une transgression d'une norme définit institutionnellement ou non, le fait de se particulariser en étant fan de tel ou tel artiste permet d'éviter de se conformer aux autres, sauf dans le cas des phénomènes de mode. Dans cette première étape, les médias jouent un rôle très important, ainsi que l'environnement dans lequel le fan évolue. Dans notre cas, il s'agit le plus souvent du milieu familial, qui peut être conciliant et compréhensif ( « Mes parents trouvaient que c'était bien que je découvre une autre vision de la chanson grâce à elle, il m'encourageait à soutenir cette artiste »382(*)) ou hostile ( « Ma famille ne comprend pas qu'on puisse admirer une personne qui a cette différence »383(*) ).

La deuxième étape peut donc être celle de l'étiquetage du fan, et ce d'autant plus si l'objet de sa passion n'est pas considéré comme un objet légitime, comme cela peut être le cas pour les candidats de télé-réalité, et encore plus lorsque l'objet de la passion est lui-même stigmatisé, comme cela peut être le cas pour Anne-Laure384(*) :

o « [mes parents] n'apprécient pas trop sa différence, ils pensent que la cultive aussi »

o « Anne-Laure = lesbienne, je déteste cette mentalité. On me traite aussi de lesbienne, alors je réponds oui, et on me regarde comme si j'étais bizarre »

o « Bien sûr j'ai eu droit aux questions genre : tu l'aimes parce qu'elle est homo ? »

Cette étape entraîne la formation d'un univers à soi comme le lieu d'affirmation identitaire, pouvant être symbolisé soit par le lieu de vie comme la chambre du fan, soit par son blog virtuel, soit encore par son intrusion dans un forum de discussions concernant l'objet de sa passion. L'environnement familial joue, dans cette étape, le rôle de médiateur. Il participe au processus de « domestication de la passion ». C'est un « espace intermédiaire entre l'exclusivité symbolisée par la chambre (où se déchaîne la passion) et la censure imposée par la vie sociale »385(*).

Enfin, la dernière étape dont H.S.Becker fait état est celle de l'entrée dans un groupe déviant organisé qui va développer chez les individus une identité déviante. Ici, il peut être question de l'adhésion des individus à un fan-club, ou au moins la quête du semblable : la passion n'est pas seulement une affaire d'individualisation, elle aussi prétexte à relation sociale. Au contact des autres fans se développent des stratégies identitaires d'affirmation de soi de plus en plus importantes, il faut montrer et afficher sa passion et l'inscription dans un fan-club est un rapprochement symbolique avec la communauté imaginaire. Ce dernier offre des modèles d'affirmation et de légitimation de la passion, il met à dispositions des ressources identitaires collectives et confère à ses membres, fierté, conviction et solidarité, d'autant plus dans un contexte où ils sont discrédité et marginalisé, comme nous avons pu le voir dans le cas des icônes gays et lesbiennes. Les messages utilisant ce genre de vocabulaire thématique ne sont pas en reste, les membres n'hésitent pas à mettre en avant la subjectivité de leur propos, demandant des conseils, relatant leurs expériences. Elles argumentent par la ressemblance des expériences, que ce soit des expériences de fans, de jeunes filles adolescentes ou de jeunes filles qui se découvrent lesbiennes et qui sont confrontées à l'homophobie dans leur vie « réelle » quotidienne.

Mais derrière cette forme de solidarité se tissent également des concurrences entre les fans, d'une sorte de compétition, notamment autour d'un concours de proximité : « [...] moi, j'ai son numéro de portable », « je la connais bien [...] », « son père m'a parlé plusieurs fois [...] »386(*)...Cela n'a aucune valeur pour les non-fans, d'où l'importance de connaître des semblables, cela permettant également de se donner une certaine valeur, et d'être reconnu parmi les autres. Le groupe a donc ses attributs et les posséder confère une légitimité supplémentaire sur les autres, comme nous avons pu le voir lors de notre pré-enquête, le fait d'avoir été choisi pour travailler au côté d'Anne-Laure nous glorieux à nos dépens. Cela nous permet de penser les fans en terme de catégorie, chacun ayant une attitude particulière, le rendant un peu singulier face aux autres.

Le magazine Technikart387(*) a publié un dossier sur les fans. Il a élaboré une typologie du fan, qui n'a rien de sociologique mais qui nous montre l'ampleur du phénomène. Il distingue 12 catégories de fans :

- Le fan anachronique, fan de l'artiste mort. Mort en tout cas d'un point de vue artistique (Wham, Duran Duran par exemple).

- Le fan érudit, fan d'artiste ayant suscité une analyse aussi volumineuse qu'éternellement renouvelable (Beatles par exemple).

- Le fan collectionneur, il collectionne tout de son idole et court les conventions du disques pour concurrencer les autres fans (Mylène farmer).

- Le fan midinette, fan de l'artiste caméléon, qui s'adonne à de multiples changement, physique, conceptuel ou musical (Madonna).

- Le fan autiste, fan discret qui correspond avec d'autres rares fans, il est fan de l'artiste maudit (Jim Morrisson).

- Le fan intime, le fan qui croit que son idole est son ami, il trouve des similitudes entre sa vie et les paroles de ses chansons (Alanis Morissette)

- Le fan politisé, qui a une solide conscience sociale et la conviction de partager avec son artiste préféré des autres valeurs autres que musicales (Noir désir, Manu Chao, Bob Marley).

- Le fan clone, fan de l'artiste créature dont il cherche à s'approprier l'apparence (The Cure, Kiss).

- Le fan anorak, capable de suivre son artiste préféré pendant toute une tournée (Johnny Halliday).

- Le fan apôtre, entièrement dévoué à l'artiste messie qu'il croit chargé d'une mission (Kurt Cobain).

- Le fan stalker, il connaît tout de l'artiste et est capable de tout même du pire, c'est le cas de Mark Chapman qui, pour lui témoigner son affection, assassina son idole John Lennon (Bjork).

- Le fan fétichiste, fan de l'artiste idole (Elvis Presley).

En ce qui concerne les fans que nous nous somme proposés d'étudier, 4 catégories nous semblent pertinentes du point de vue de l'analyse. Le fan midinette paraît incontournable lorsque l'on évoque les émissions de télé-réalité comme Star academy ; le fan intime, étant donné la proximité d'Anne-Laure avec son public, elle reste encore très accessible ; le fan anorak, constat que nous avons pu faire au cours de notre observation ; et enfin le cas du fan politisé pourrait également se rencontrer, étant donné qu'Anne-Laure peut représenter, même sans le vouloir, une icône lesbienne, comme nous avons pu l'évoquer auparavant.

2. L'opération de traduction : le cas du coming out

Dans notre corpus, la politisation du fan n'est pas conscientisée, voire inexistante. Les fans se contentent d'évoquer le talent d'Anne-Laure qui a orienté leur choix, et mettent une distance avec le caractère jugé privé de sa vie personnelle et sexuelle, comme nous avons fait le constat à plusieurs reprises. Pourtant, nous sommes parvenus à déceler la réappropriation des enjeux du coming-out de la chanteuse, que ce soit dans les messages étudiés sur le forum de discussions ou à travers les entretiens que nous avons mené.

M.Bozon fait état d'un paradoxe en montrant que la visibilité et la relative acceptation sociale d'orientations sexuelles alternatives ont permis de redéfinir à l'époque contemporaine, « l'horizon de l'expérience sexuelle pour tous les individus, même si paradoxalement cette extériorisation semble pourtant aller à rebours du processus historique de privatisation et de cantonnement des manifestations sexuelles ordinaires à l'intimité »388(*).

Le coming-out apparaît comme un rite de passage à la fois personnel et politique, car dire son homosexualité, c'est s'inscrire dans un certain groupe, une certaine communauté qui s'inscrit elle-même sur le devant de la scène politique389(*) : c'est l'expression communautaire d'une expérience privée. A partir des années 60, la politisation de l'intimité et de la sexualité a été mise à l'ordre du jour. Il s'agissait de faire débattre publiquement de questions jusque-là dissimulées dans le non-dit du fonctionnement de la famille patriarcale390(*). Cela a favorisé une prise de conscience et une croissance du mouvement gay et lesbien à l'époque permettant de lutter contre les multiples discriminations. Auparavant, la sociabilité et le style de vie homosexuels étaient fondés sur une grande capacité d'adaptation, l'usage de langages codés et un art de la double vie391(*).

Ainsi, devant des images leur renvoyant une certaine image d'eux-mêmes, les gays et les lesbiennes peuvent devenir des « consommateurs émotionnels »392(*), comme nous avons pu le voir lorsque les fans d'Anne-Laure évoque la sensibilité commune qu'elles retrouvent dans ses compositions. Nous voyons comment certains produits parviennent à entrer dans la vie affective de leurs publics393(*). L'engagement du téléspectateur est plus grand lorsque le sujet le touche : « c'est l'ouverture de l'oeuvre qui rend possible l'installation de la passion dans la durée »394(*), notamment lorsque celle-ci permet de s'en réapproprier les enjeux395(*), en opérant une traduction de du contenu de l'oeuvre, soit en s'identifiant à l'artiste, ou encore en imaginant une sorte de « bricolages identitaires »396(*) leur permettant de « coller » au mieux avec les images et les représentations. Ce bricolage identitaire permettant notamment aux individus de rejoindre un certain groupe, de se donner une raison d'être fan de quelqu'un, ou encore pour espérer en retour la même reconnaissance que celle qui est accordée à l'artiste lui-même. Nous reviendrons plus loin sur cette reconnaissance de substitution. Pour certaines Anne-Laure apparaît comme une grille de lecture des événements de leur vie.

C'est le public qui confère en dernière instance du sens à l'oeuvre, c'est lui qui décode les messages, en acceptant, négociant ou rejetant la lecture institutionnelle, celle de la majorité, selon ses propres caractéristiques sociales397(*), même si les contenus médiatiques sont des mises en scène prévues par avance par les productions. La consommation médiatique est une forme d'affirmation de soi.

3. La constitution d'un « clan »

L'étape que nous venons de décrire est certainement un moyen de créer du lien supplémentaire que celui accordait par le simple fait de se passionner pour un même objet, car au-delà de la passion commune, il fait émerger un sentiment de solidarité envers une certaine cause.

Peu d'études sociologiques ont été faites sur le sujet, les seules qui existent traitent généralement des chanteurs ou groupes mythiques, comme les Beatles ou plus massivement Elvis Presley. Les fans du King ne sont bien sûr pas étudiés de la même façon que nous nous sommes attachés à étudier les fans d'Anne-Laure, le phénomène est bien différent, pour le moment en tous les cas. Autour de Presley s'est développé un véritable culte qui s'inscrit dans le cadre plus vaste de la mutation des formes du croire. Ce culte donne à voir la formation d'un « groupe religieux » autour d'une figure charismatique largement sacralisée et célébrée. G.Segré a montré à partir de ce groupe, comment pouvait s'élaborer une identité sociale et collective, comment pouvait se créer du sens collectif, des significations individuelles, alors que l'on tend à constater la fin des grands dispositifs producteurs de sens398(*). Sans aller jusqu'à parler de mythe ou de culte, les constats qu'a opérés Gabriel Segré pourraient dans une certaine mesure, s'appliquer à n'importe quel artiste et à ses fans. Il parle de ces derniers en terme de communauté émotionnelle liée par leur attachement à l'artiste, porteur de traits charismatiques. Ils constituent alors une sorte de fratrie imaginaire. Les fans partagent certaines valeurs et références. Ils connaissent les mêmes épreuves, affrontent moqueries et parfois mépris, se confrontent à l'étonnement, à l'incompréhension ou à la stigmatisation. Ils se rencontrent et se côtoient dans les fans-clubs. La dimension communautaire du fan-club peut reposer sur un langage spécifique, une certaine mémoire collective, des codes de reconnaissance. Le groupe se dote d'une représentation de lui-même, dans notre étude de cas, il s'est même donné un nom : les Choupifans. Pour le cas d'Elvis Presley, cette représentation est renforcée et développée après la mort du chanteur.

Le fan-club est a une fonction intégratrice qui s'auto-célèbre comme une communauté, notamment avec l'emploi massif du pronom personnel « nous » et un vocabulaire presque religieux avec notamment l'emploi du verbe « croire » et du terme « hommage »399(*) :

o « Nous croyons en elle »

o « Hommage à une personne qui nous a réuni ici »

Le sentiment du « nous collectif » est présent dans de nombreux messages déposés par les Choupifans sur les forums de la chanteuse dont il est question ici. Ce sentiment se trouve renforcé lors des rassemblements lors de concerts ou simplement lors de rencontres entre fans qui sont régulièrement organisées. Chaque admirateur prend conscience de l'existence du groupe, et de sa propre appartenance à celui-ci, il se dote d'une identité individuelle et collective, qu'il soit « fan de Presley » ou « choupifans ». Le « nous collectif » est quelquefois opposé aux « autres », aux « non-fans », ou dans le cas présent aux « ré- tracteurs de star academy », ce qui renforce la cohésion du groupe et valide son existence. Certains textes ou messages ne peuvent faire sens que pour un lecteur ou un auditeur déjà en possession d'une certaine connaissance minimale de la chanteuse. La représentation du groupe par lui-même est une donnée valorisée et valorisante, on trouve souvent sur les forums des messages prônant la fierté d'être fans, la fierté de défendre tel artiste, comme nous l'avons vu plus avant.

Le groupe s'inscrit également symboliquement sur la scène sociale. Les membres peuvent porter les attributs du groupe, les signes de reconnaissance : pour Elvis, l'auteur cite le sigle TCB (Taking Care of Business) qui était inscrit sur une de ses bagues, résume l'esprit Elvis. Puis, les vêtements, eux-mêmes signifient l'appartenance au groupe des admirateurs. En ce qui concerne Anne-Laure, nous avons pu voir que les fans suivaient la mode plus ou moins lancée par elle et ses camarades durant les émissions ou même pendant la tournée (superposition de ceinture cloutée, tee-shirt déchiré ou customisé, baskets converses remises au goût du jour...), les fans portent également des tee-shirt à l'effigie de la chanteuse ou encore des accessoires telle qu'une casquette ou un sac marqué avec ses initiales AL ou ALS.

L'intégration du fan dans un réseau d'échange et de discussion est indispensable. Isolé, le fan serait condamné à redevenir un simple spectateur ou téléspectateur, éventuellement plus assidue que les autres400(*). Autrefois, ces échanges passaient par l'inscription dans un fan-club organisé comme une association ayant pour but de regrouper « épistolairement » des admirateurs d'un artiste. Aujourd'hui, avec la prolifération d'artistes via la télévision, la notoriété est de plus en plus précaire et éphémère, et c'est grâce à Internet que peuvent circuler rapidement les informations et se constituer des mouvements de soutien aux artistes, pour finalement créer une version moderne des fan-clubs, les fan-sites. Le multimédia va donc permettre de regrouper certaines personnes qui admirent, un peu partout en France ou ailleurs (dans notre étude, il s'agit essentiellement de la France, de la Belgique et de la Suisse), le même artiste à travers des sites qui lui sont consacrés. Il est donc adapté à un groupement dispersé géographiquement dont les membres doivent se reconnaître et se trouver. Internet répond donc à un double effet, d'une part un effet de rupture et d'isolement et d'autre part un effet de création, de formation de ce que certains qualifient de cybertribus401(*).

Ces deux effets sont complémentaires car le relâchement ou la dissolution des liens sociaux traditionnels permettent une recomposition du social, un nouveau tissage de la socialité. Les sites personnels seraient l'expression des passions individuelles et les sites des minorités actives ou des groupes d'affinités, l'expression des passions collectives. Ainsi, la société d'aujourd'hui, loin d'être individualiste, se caractérise par la multiplication des groupes d'affinités, de partage des passions, des sentiments, des idées, des croyances402(*). Nous voyons ici que le concept d'historicité à son importance dans la perspective constructiviste, c'est-à-dire que le mot « construction » renvoie tout à la fois aux produits des élaborations antérieures et aux processus en cours de restructuration. L'historicité est majeure selon un triple aspect403(*) : le monde social se construit à partir des pré-constructions passées (ici la notion de solidarité et de lien social par exemple), les formes sociales passées sont reproduites, appropriées, déplacées et transformées alors que d'autres sont inventées, dans les pratiques et les interactions de la vie quotidienne des acteurs ( transformation et nouvelles formes de lien social) et enfin cet héritage du passé ainsi que ce travail de restructuration quotidien permettent d'élargir le champ des possibles pour le futur (importance des nouvelles technologies dans les nouvelles limites du lien social).

CHAPITRE V ) LES RESEAUX DE SOLIDARITE AU SEIN DE LA « COMMUNAUTE VIRTUELLE » COMME ENJEUX D'UNE RECONNAISSANCE MINORITAIRE

Le fait de se constituer en groupe, ou plus formellement en communauté favorise la légitimation du groupe dans les actions qu'il peut entreprendre404(*). On comprend ainsi le phénomène des fans, et peut être d'autant plus celui des fans d'Anne-Laure. Nous avons souligné lors de notre analyse, des marques d'un tel processus d'intégration au sein des forums de discussions. Ce processus impliquerait que soient définis et acceptés des buts communs à l'entreprise collective, que les individus partagent un certain nombre de pratiques et de croyances communes, qu'il existe des interactions entre les membres du groupe. Ce travail d'incorporation et d'apprentissage est l'oeuvre de la socialisation, dans le cas de l'apprentissage de la citoyenneté chez D.Schnapper, c'est la socialisation à l'école qui joue un rôle très important ; mais dans notre cas, il ne s'agit pas du même type de socialisation. Dans le troisième chapitre, nous avons évoqué le processus de construction identitaire et sexuelle des adolescentes de notre corpus, qui peuvent se trouver en rupture avec leur socialisation primaire, du fait des non-dits qui peuvent encore planer sur l'homosexualité. Le fan-club ou fan-site que nous étudions tient lieu, selon notre hypothèse, d'une instance socialisatrice, que ce soit au niveau de l'homosexualité ou plus généralement au niveau du groupe de pairs virtuel que les jeunes se créent, tout comme peuvent l'être différents médias, comme la presse gay et lesbienne, qui apparaît comme une sorte de ciment social405(*).

Nous l'avons déjà remarqué lors d'un précédent travail, il existerait une socialisation homosexuelle ; citons Michael Pollack qui disait : « on ne naît pas homosexuel, on apprend à l'être406(*) ». La majorité des homosexuels dans la société actuelle, même s'ils s'acceptent comme tels, portent en eux un conflit existentiel permanent. L'homophobie407(*) intériorisée n'a pas de fin : elle ressurgit, sous différentes formes, tout au long du cycle vital. Elle complique la perception que gays et lesbiennes ont d'eux-mêmes et des autres ; elle régit plus ou moins leurs relations interpersonnelles ainsi que leur projet de vie et leur vision du monde, et c'est elle qui engendre le phénomène communautaire comme organe de résistance. De cela, il peut dériver une image de soi dévalorisée, du moins durant la période de l'adolescence ou plus généralement dans la période où l'on découvre sa (homo)sexualité. Cette sensation diffuse d'être désavantagé est rarement verbalisée comme telle et n'est pas nécessairement consciente, mais engage un réflexe collectif.

I ) LE PARTAGE D'EXPERIENCES « HOMOSOCIALISATRICES »

La conception de l'homosexualité contemporaine va impliquer un certain nombre de choses, comme le choix d'un style de vie, le fait d'affronter les discriminations sociales, le fait de vivre publiquement plutôt que caché et un sentiment de fierté. Aujourd'hui, on pourrait dire que l'on « cultive » son homosexualité. Nous avons questionné dans une étude précédente, les notions de communauté et de culture homosexuelle. En recherchant les traces de l'histoire collective des homosexuels, « histoire secrète » pour reprendre les mots de Marguerite Yourcenar, il apparaît que c'est dans les arts et plus spécialement dans la littérature, au moins jusqu'à la fin des années 60, que les sources sont les plus nombreuses et les matériaux les plus riches. Sous des formes diverses, c'est donc d'abord la littérature qui a hébergé le militantisme homosexuel permettant de dire à la fois la marginalité, la solitude, la souffrance et la révolte. Les entretiens que nous avions menés confirmaient le fait qu'elle offre aux gays et aux lesbiennes, des repères, des modèles de façon temporaire, éphémère...Selon l'historien et philosophe D.Eribon, « c'est en fouillant les bibliothèques que les gays inventent leur vie »411(*). Aujourd'hui, les médias jouent le même rôle, mais de façon beaucoup plus accessible et surtout visible, et font entrer directement les gays et les lesbiennes sur le devant de la scène, de façon plus ou moins détournée.

1. La découverte de l'homosexualité

Aujourd'hui, les grandes interrogations sur l'identité renvoient fréquemment à la question de la culture. Les crises culturelles sont dénoncées comme des crises d'identité. La culture serait le fondement de la recherche identitaire des individus.

L'identité n'est ni une réalité totalement objective ni totalement subjective, elle se définit essentiellement dans un cadre relationnel, elle est un construit qui s'élabore dans une relation qui oppose un groupe aux autres groupes avec lesquels il est en contact412(*). C'est pourquoi les groupes d'appartenance, que ce soit un regroupement minoritaire comme les lesbiennes ou un fan-club se définit le plus souvent en opposition avec un « autrui » pas forcément caractérisé, mais qui permet de se positionner dans les relations sociales. Dire que l'on appartient à tel ou tel groupe renseigne sur notre identité, parfois de manière approximative et parfois à l'aide de nombreux préjugés. En effet, nous avons déjà noté que certaines fans d'Anne-Laure sont stigmatisées, par le simple fait qu'elles admirent une chanteuse lesbienne, ce même constat s'observe pour les fans de la joueuse de tennis Amélie Mauresmo.

Cette conception de l'identité comme manifestation relationnelle permet de dépasser l'alternative objectivisme / subjectivisme. C'est dans l'ordre des relations entre les groupes sociaux qu'il faut chercher à saisir le phénomène identitaire. Selon F.Barth, l'identité est un mode de catégorisation utilisé par les groupes sociaux pour organiser leurs échanges. Ainsi, pour définir l'identité d'un groupe, ce qui importe, ce n'est pas d'inventorier l'ensemble de ses traits culturels distinctifs, mais de repérer parmi ces traits ceux qui sont utilisés par les membres du groupe pour affirmer et maintenir une distinction culturelle. En ce sens, l'identité est toujours un rapport à l'autre, elle est résultante d'un processus d'identification au sein d'une situation relationnelle, elle est relative car elle peut évoluer si la situation change ; certains préféreront parler de concept d'identification plutôt que celui d'identité413(*). L'identification peut alors fonctionner comme affirmation ou comme assignation identitaire et l'identité serait toujours un compromis entre une auto-identité définie par soi, et une exo-identité définie par les autres. Cette exo-identité, dans une situation de domination, se traduit par la stigmatisation des groupes minoritaires et va aboutir dans ces cas là à une identité négative. Ainsi, nous pouvons voir apparaître chez les dominés des sentiments de mépris de soi, liés à l'acceptation et à l'intériorisation de l'image de soi construite par les autres.

Cependant, un changement de situation ne pourrait-il pas modifier l'image d'un groupe ? L'identité deviendrait donc l'enjeu de luttes sociales. Tous les groupes n'ont pas la même autorité pour nommer et se nommer, seuls ceux qui disposent de l'autorité légitime peuvent imposer leurs propres définitions d'eux-mêmes et des autres414(*). L'ensemble des définitions identitaires fonctionne comme un système de classement qui fixe les positions respectives de chaque groupe. IL va s'agir pour le groupe qui se voit assigné une identité négative, de transformer cette exo-identité en identité positive. Cela pourra se traduire par exemple, par le retournement du stigmate, comme dans le cas de la Gay Pride. Le sentiment d'une injustice collectivement subie peut entraîner chez les membres d'un groupe victime d'une discrimination un sentiment fort d'appartenance à la collectivité, un sentiment de fierté revendiquée. Ce thème réapparaît très souvent dans les messages du forum : « fière d'être Choupifan », cette expression résonne presque comme un slogan militant.

Aujourd'hui, la politisation et la mise en public du privé, de l'intime415(*) permet à certaines de se retrouver dans une configuration peu consensuelle de la féminité voire même de la sexualité. Ces représentations sont de plus en plus précocement accessibles par le biais des médias. Ces images vont participer au processus d'apprentissage social et culturel de la sexualité, et par conséquent du genre, ou inversement. Au départ, l'éducation traduit des comportements sexuels adaptés à chaque sexe. De plus, le discours ou l'absence de discours permet à l'enfant ou à l'adolescent d'intérioriser une représentation de la sexualité, d'en délimiter les tabous, le socialement acceptable. De cette façon, les adolescentes lesbiennes ne peuvent se définir dans ces discours de façon positive, l'homosexualité n'étant pas un sujet majoritairement voire nullement abordé dans la cellule familiale. Elles s'enferment alors dans ce qu'on appelle le placard, sorte de secret, de place négociée qui leur est d'emblée destinée. Il y a derrière ce terme tout un processus d'assujettissement416(*) sous-jacent, comme un allant de soi. Ainsi, les lesbiennes vont créer leur identité personnelle à partir d'une identité assignée. Accéder au placard par la force des choses, c'est exécuter un processus de rupture avec la socialisation primaire et familiale, et effectuer ce que l'on pourrait appeler, dans le cadre d'une socialisation secondaire, une homosocialisation. Pour se faire, l'adolescence doit être le moment de « renégocier le pouvoir des parents en terme de droit d'intrusion, de regard sur les choix initiés, et revendiquer une marge d'intimité déjà existante »417(*), au sein de la famille, l'adolescente va devoir se construire des espaces objectifs et/ou symboliques d'intimité nécessaires à cette autonomie partielle418(*). Dans l'étude que nous menons actuellement, cet espace pourrait être représenté par la création d'un réseau de sociabilité à travers Internet ou encore tout simplement la recherche d'images ou de représentations appropriées. Ces représentations, médiatiques notamment, « offertes » au public vont interférer avec la construction de soi en tant que lesbienne. Cette « culture du visible »419(*) renvoie à la présence des lesbiennes dans l'espace public qui se joue selon certaines négociations avec les valeurs hétérosexuelles de base. Etre visible, c'est s'inscrire sur la scène politique, enjeux de la reconnaissance. Cette visibilité doit s'insérer dans des cases déjà existantes, c'est pourquoi on dit qu'elle est négociée et qu'elle intéresse particulièrement les rapports de genre qui régissent la société occidentale.

2. Le rapport aux autres et la « tyrannie de la majorité »

Les minorités, quelles soient sexuelles ou autres, doivent toujours de manière consciente ou non, se référer à une certaine majorité représentant l'universel, et cela que l'on se réclame d'un courant « séparatiste » ou du courant opposé, « assimilationniste » dont nous avons fait la distinction dans le premier chapitre, et que l'on retrouve chez les membres du forum, de manière un peu moins explicite. Dans tous les cas, ces deux positions mentionnent mais ne remettent pas en cause l'idée que les homosexuels seront toujours une minorité et que leur statut minoritaire préexiste à l'oppression qu'ils subissent. Or dans une perspective différente, nous pourrions dire que se conformer aux normes ou construire des sous-mondes alternatifs, considèrent de la même façon comme immuable le principe de domination hétérosexiste, reconnaissant en ne les contestant pas les principes de division et de hiérarchisation qui sont à l'origine de l'oppression.

Historiquement, la minorité est devenue le référent de groupes dominés qui cherchent à réclamer leurs droits et à resignifier les catégories initialement destinées à les assujettir. Même si elle apparaît comme le résultat d'un travail de mobilisation politique, elle finit pourtant par être perçue comme ce qui fonde ce travail plutôt que comme sa conséquence, et en vient à être conçue comme la réunion « naturelle » d'individus donnés, selon leur qualité préexistantes, semblables ou identiques420(*). De cette façon, dans cette conception essentialiste, toute personne gay ou lesbienne doit se définir et surtout se dire par rapport à ce système de référence et de classement.

Dans ce cadre, nous pouvons replacer les significations que revêt le stigmate au sens d'E.Goffman421(*). Un stigmate est un attribut qui discrédite a priori son possesseur, et entraîne des sanctions sociales comme l'infériorisation, l'exclusion ou encore des violences physiques. Il insiste sur le fait que le stigmate désigne moins un attribut qu'une relation dans laquelle le terme stigmatisé (ici, l'homosexualité) est inséparable du terme opposé (l'hétérosexualité). Le stigmate renvoie autant à la catégorie à proprement parler qu'aux réactions sociales qu'elle suscite et aux efforts du stigmatisé pour y échapper ou pour dissimuler qu'il y appartient. C'est la réception sociale du stigmate qui le constitue en tant que stigmate, c'est donc bien le rapport à la majorité qui définit le stigmatisé, et dans l'imaginaire de cette majorité, le stigmate est la cause universelle de tous les goûts et de toutes les actions du stigmatisé. E.Goffman distingue les identités stigmatisables et les identités stigmatisées, deux conceptions qui appellent des stratégies de gestion différentes : la personne stigmatisable s'attache à la gestion de l'information à l'égard de son stigmate (cacher ou dévoiler son homosexualité) ; la personne stigmatisée doit gérer la tension entre la norme sociale et sa réalité personnelle (se confronter aux réactions hostiles). Ces deux types d'identités constituent les deux grandes phases de la vie homosexuelle : d'abord la période qui précède le coming-out, durant laquelle l'identité reste stigmatisable ; ensuite celle qui le succède, lors de laquelle elle devient stigmatisée. Le stigmate sépare d'abord les stigmatisés de la majorité universelle. Mais les stigmatisés sont aussi divisés entre eux par une hiérarchisation interne, qui valorise les plus « normaux » des stigmatisés, et par une haine de soi, qui se projette sur les images de soi que renvoient les semblables. Ce constat se retrouve dans nos entretiens lorsque les enquêtés évoquent l'homosexualité et le fait qu'elles ne sont « pas comme les autres », qu'elles sont « féminines » ; il y a là un véritable rejet de l'image masculine de l'homosexualité féminine :

o « Je suis une fille assez féminine dans l'ensemble »422(*)

o « Je voudrais bien changer les mentalités sur la femme lesbienne, parce que la lesbienne est vu comme une fille mec...alors qu'elles ne sont pas toutes comme ça...j'en suis la preuve vivante... »423(*)

o « On nous fait croire (à propos de la série L Word) que toutes les lesbiennes sont aussi belles et féminines, alors que non »424(*)

o « ce qui m'a fait halluciné, c'est que toutes les filles dans les concerts étaient habillées en sportwear...sans vouloir être méprisante...pas étonnant qu'après les gens pensent que les goudous ne savent pas s'habiller »425(*)

Pourtant, rejeter cette image, c'est encore l'accepter comme référent. La lesbienne masculine est donc une construction identitaire qui parle aussi bien de l'oppression que de la création de soi. Enfin, le stigmate sépare l'homosexuel de lui-même, en introduisant une discontinuité entre son identité privée et sa personnalité publique.

Mais le stigmate n'est pas passivement reçu : il fait l'objet de luttes symboliques, de conflits de définition et de redéfinition Cependant, la logique de résistance ; lorsqu'elle se contente de chercher à renverser le stigmate en fierté, en s'appuyant sur celui-ci pour mobiliser les stigmatisés, court toujours le risque d'achever ce que la stigmatisation cherchait à produire : la naturalisation du stigmate et du groupe qui se mobilise pour le contester426(*).

Le rapport aux autres passe également par l'existence de stéréotypes et de clichés qui sont le plus souvent, comme nous l'avons déjà mentionné, par les médias. En effet, ils favorisent les constructions imaginaires427(*). Souvent le public se forge par la télévision ou la publicité une idée d'un groupe social avec lequel il n'a aucun contact. Les représentations qui sont faites des gays et des lesbiennes, tantôt comme des efféminés, tantôt que des filles aux allures masculines, qui sont filtrées par le discours des médias et qui sont ainsi perpétuées dans les discours quotidiens, parfois de manière légère en plaisantant, parfois de manière méprisante, s'impriment dans les esprits. Le stéréotype serait principalement le fait d'un apprentissage social. Notre culture définit donc pour nous, et préalablement, les représentations des types sociaux auxquels nous sommes directement ou indirectement confrontés. Par exemple, l'injure et le langage nous précèdent ; or c'est très souvent dans l'injure qu'une personne se découvrant gay ou lesbienne se voit, et comprend qu'il sera défini. Ils acquièrent ainsi le sentiment de honte et de mépris avant même de découvrir leur propre sexualité. L'injure va définir le rapport aux autres et au monde428(*). Ainsi, en intériorisant le stéréotype discriminant, les gays et les lesbiennes sont amenés à l'activer dans leur propre comportement, notamment en apprenant à dissimuler leur homosexualité dans certaines situations.

3. Le besoin de se regrouper et de se reconnaître

Quand une personne découvre ou accepte en elle-même une identité minoritaire, elle le fait généralement dans un esprit d'appartenance429(*). Elle peut se sentir marginalisée, incomprise, ou même exclue de la société dans son ensemble, mais elle s'intègre également à une collectivité et acquiert plus ou moins un sentiment d'appartenance. L'identité minoritaire peut impliquer, la plupart du temps un sens de la communauté et peut être même un motif de fierté : nous soulignons à plusieurs reprises l'emploi d'expressions communautaires et solidaritaires. L'appartenance et le sentiment collectif naissent de cette intériorisation d'un ensemble de modèles culturels et de valeurs communes spécifiques qui définissent une identité personnelle indissolublement liée à une identité collective. Ce sentiment collectif peut prendre la forme d'un véritable mouvement social qui devient alors l'espace où s'expriment et se cristallisent, non seulement des identités collectives mais aussi des façons de vivre et une certaine insertion dans la société430(*), ce que peuvent rechercher les jeunes en mal de reconnaissance.

Les homosexuels vont donc se socialiser en tant que tels en suivant les repères que peuvent leur proposer par exemple les médias, en rupture avec la socialisation antérieure qu'ils ont pu recevoir. Cette socialisation passerait alors aussi par le fait de se trouver des modèles et de soutenir une candidate lesbienne inscrite dans une émission de télé-réalité.

Notre précédent travail sur l'existence d'une culture homosexuelle, nous a permis de constater, que même si nous ne pouvions pas affirmer son existence, celle-ci était utile à un moment donné dans la construction identitaire et culturelle des individus se découvrant gay ou lesbienne. C'est-à-dire que le fait de connaître un certain nombre d'éléments d'une sorte de patrimoine gay et/ou lesbien va conditionner la compétence, au sens ethnométhodologique431(*), des acteurs de la communauté ou qui souhaitent appartenir à cette communauté. Dans une interaction, l'essentiel est d'être reconnu en tant que membre par le groupe, pour cela, il faut montrer sa compétence, en exhiber les caractéristiques en manifestant qu'on appartient bien au groupe. Nous pourrions penser que le fait de défiler pour sa première Gay pride marque une sorte d'entrée dans la communauté gay et lesbienne, tout comme le fait de faire son coming-out.

Il existe trois sortes de compétence : tout d'abord la compétence culturelle, c'est-à-dire, l'aptitude qu'a un membre d'une communauté à interagir avec les autres membres déjà compétents, qui possèdent des croyances ; puis la compétence linguistique, qui est un pré-requis pour participer aux actions, c'est l'aptitude à communiquer, à interpréter, à connaître les stratégies d'emploi des expressions et avoir la connaissance des contraintes sociales pesant dans les interactions dans lesquelles nous sommes, c'est une compétence communicationnelle. Nous pourrions entendre par-là tout ce que nous appelons, les codes, les symboles homosexuels, ce qui permet également de savoir à quel moment et dans quelle situation, il est possible de montrer voire d'afficher son homosexualité, mais aussi toutes les expressions renvoyant à des références connues des gays et des lesbiennes, références que nous pourrions retrouver dans un certain nombre de magazines432(*) destinés aux gays et aux lesbiennes ou dans un certain nombre de films ou de séries télévisées mettant en scène des personnages gays et lesbiens. Enfin, il y a la compétence interactionnelle. En effet, la compétence n'est pas seulement la connaissance, si les individus doivent montrer ce qu'ils savent, il faut bien que d'autres membres reconnaissent cette connaissance.

Ce besoin de se regrouper et de se reconnaître développe donc un sentiment d'appartenance à un groupe, dont les membres ont les mêmes caractéristiques que nous, les mêmes difficultés, les mêmes intérêts, ou encore les mêmes goûts. Le réflexe du minoritaire, et encore plus si celui-ci est dans une position de stigmatisé433(*), sera donc de se replier sur des semblables, de mettre en oeuvre un système de valeurs particulier, de s'intégrer parfois dans une vie corporative...pouvant entraîner la création d'une presse spécialisée, d'un groupe, d'une chaîne de télévision, d'un site Internet...

II ) DE L'EXISTENCE D'UNE COMMUNAUTE VIRTUELLE OU REELLE : LEGITIMATION ET ARGUMENTATION

L'analyse de l'énonciation, que nous avons utilisée au cours de cette recherche, s'organise sur des principes issus de la linguistique. Elle part du principe que tout message implique une interaction, car la parole s'adresse toujours plus ou moins explicitement à un interlocuteur. Il s'agit de trouver dans les messages les marques de l'interaction, dans les textes mais aussi dans les images. L'analyse de l'énonciation se fait à travers l'analyse des formes rhétoriques. Elle s'attache à relever les marques, les indices d'opinion, de jugement, ce qui peut manifester une sollicitation. En ce sens, dans un regroupement comme ceux que nous nous sommes proposés d'étudier, des regroupements dits minoritaires, en référence à la norme hétérosociale, on se doit d'accorder une grande importance à un porte-parole dont l'opinion sera, en quelque sorte le fil conducteur, le guide de ceux qui sont inclus dans le groupe, ou ceux qui voudraient en faire partie. Ce porte-parole pourrait être, la rédaction du magazine par exemple, ou dans notre recherche actuelle, les différents modérateurs du forum de discussion de notre corpus. En effet, ces personnes peuvent vues comme des leaders et transmettent les règles en vigueur sur les forums mais aussi une certaine attitude à adopter. L'argumentation ne vise pas qu'une adhésion intellectuelle, elle vise aussi l'action, ou au moins, une disposition à l'action434(*). Le forum de discussions qui nous a intéressé tient lieu de fan-club, il s'agit donc avant tout de discussions de fans, cependant l'analyse a rapidement révélé qu'il y avait d'autres enjeux que celui d'un simple soutien ou d'une simple adhésion musicale. En effet, l'hypothèse est posée qu'il existerait des enjeux en terme de reconnaissance lesbienne. A travers cette jeune chanteuse, les fans organisent certains arguments en faveur de la légitimité de leur sexualité, malgré les dits et les non-dits que nous avons soulignés.

Nous partirons ici du contre-pied de cette reconnaissance, c'est-à-dire, de ce qui fait qu'il y a un besoin de reconnaissance spécifique. La raison en est, qu'aujourd'hui encore, malgré les relatives évolutions juridiques concernant l'homosexualité, et par là même, sa plus grande visibilité, le point de vue dominant n'en reste pas moins celui d'une sexualité en marge de la sexualité légitime et légitimée qu'est l'hétérosexualité. Face à ces constats, les gays et les lesbiennes doivent jouer des arguments pour faire face à la force des représentations, que ce soit au niveau du langage ordinaire ou des images, et accéder une certaine reconnaissance par différents moyens car finalement : « comment se révolter contre une catégorisation socialement imposée sinon en s'organisant en une catégorie construite selon cette catégorisation, et en faisant ainsi exister les classifications et les restrictions auxquelles elle entend résister ? »435(*).

1. La persistance d'une rhétorique homophobe

Création du Pacs, élection d'un maire homosexuel, visibilité médiatique démultipliée, inscription récurrente dans le débat politique : la décennie 1995-2005 a donné lieu à un bouleversement de la place de l'homosexualité dans la vie publique française. Elle se situe désormais par rapport au majoritaire, notamment avec les sondages d'opinion, ce qui implique d'exister comme réalité et comme enjeu à ses yeux, et non plus d'être cantonné à la marginalité. Nous pourrions parler d' « évolution » tant la cause homosexuelle est, historiquement, une lutte du minoritaire pour une reconnaissance en tant que composante à part entière du corps social. Entre tolérance et reconnaissance, les avancées de l'opinion n'épuisent cependant pas la question de la place de l'homosexualité dans la société française, elles en déplacent les frontières. Un renversement résume à lui seul cette mutation : celui des questions posées dans les enquêtes d'opinion. En effet, à la question traditionnelle « Si vous appreniez que votre fils est homosexuel, quelle serait votre réaction ? » s'est substituée « Si vous aviez un ami qui tient des propos homophobes... ? »436(*). Certes dans les sondages, les Français manifestent une réelle réprobation vis-à-vis des expressions d'homophobie : en février 2004, 80% d'entre eux se disaient ainsi favorables à ce que les insultes ou injures homophobes soient réprimées aussi sévèrement que les insultes racistes ou antisémites, contre 15% défavorables à une telle mesure. Mais, au-delà de cette condamnation de principe, la persistance et la vivacité des attitudes homophobes transparaissent dans les enquêtes d'opinion. Nous le voyons à travers les minorités parfois importantes qui se démarquent des évolutions favorables aux homosexuels : le fait qu'en 2004, 31% des personnes interrogées jugent que « les homosexuels ont une sexualité anormale » et 20% qu'ils « ne sont pas vraiment des personnes comme les autres » n'est ni négligeable, ni anodin. D'autres indicateurs donnent également la mesure du malaise : 41% des Français s'accordent ainsi à dire que « les homosexuels devraient éviter de montrer qu'ils le sont dans les lieux publics, en s'embrassant dans la rue par exemple ». Citons également la persistance du fantasme de perversion des enfants par les homosexuels, voire l'association entre homosexualité et pédophilie, également révélatrice de l'existence d'un irréductible fond d'homophobie dans l'opinion : pratiquement un Français sur quatre (23%) estime que « certaines professions où l'on est en contact permanent avec des enfants devraient être interdites aux homosexuels ». Plus grave encore, se révèle une passivité qui confine parfois à la légitimation des actes de discrimination ou d'homophobie. Ainsi, quand 31% des Français jugeaient en 2001 qu'un gay ou une lesbienne avait moins de chances que les autres, à qualification ou diplômes équivalents, de décrocher un travail, une formation ou une promotion, ils n'étaient que 60% à trouver cela injuste contre 37% qui relativisaient plus ou moins la gravité de ces différences de traitement437(*). A l'automne 2004, alors qu'un Français sur deux a le sentiment d'une augmentation importante des actes et attitudes homophobes, ils ne sont que 43% à juger que cela montre l'importance de l'homophobie en France ; tandis que 25% pensent que cela « relève d'un problème d'insécurité plus général » et surtout, que 28% y voient « le résultat d'une visibilité trop grande des homosexuels qui devraient être plus discrets »438(*). De telles attitudes contribuent à expliquer que 7% des personnes interrogées se disent d'accord avec l'opinion selon laquelle « les violences contre les homosexuels sont parfois compréhensibles ». Aussi minoritaire soit-elle, cette complaisance affichée envers les violences homophobes est significative, parce que particulièrement difficile à exprimer dans le cadre d'un sondage tant elle est « politiquement incorrecte », de l'existence, dans les tréfonds de l'opinion publique, d'une forme de haine-répulsion envers les gays et les lesbiennes.

Aujourd'hui, depuis un siècle, la rhétorique homophobe est plus sophistiquée, elle ne se contente plus seulement d'un lexique et de quelques syntaxes rudimentaires. Elle est surtout devenue consciente d'elle-même. Jusqu'à présent, le discours homophobe était unanime, allait de soi, était évident ; maintenant il est discuté. Ainsi, il a dû ajuster ses outils linguistiques à la situation nouvelle, pour à la fois justifier ses présupposés idéologiques, remodeler son image sociale et combattre ses adversaires politiques439(*). La rhétorique homophobe est désormais plus argumentée. Cependant, ce discours reste difficile à circonscrire car il n'est pas le propre d'un groupe social identifié avec sa rhétorique propre, sa doctrine officielle, ses textes, ses références et ses porte-parole. Ce discours est, en effet, prononcé de manières hétérogènes, par tous les clivages, dans tous les milieux. Ce discours omniprésent est tout de même ramené à quelques lieux ordinaires où il puise l'essentiel de ses arguments. Ces lieux sont comme des réservoirs où chacun peut trouver la matière nécessaire pour étayer sa thèse.

A l'origine, il y a les lieux pseudo-théoriques formant l'armature savante des discours homophobes dont le dispositif argumentatif s'accroît. Ils sont employés pour durcir les prises de position les plus conservatrices. De ce fait, les positions les plus violentes peuvent passer pour des discours d'experts. Avant ces théories relevaient de la théologie, de la morale et de la médecine et employaient des mots tels que péché, débauche, contre-nature, maladie, tare pour qualifier l'homosexualité : « l'homosexualité est un stigmate fonctionnel de dégénérescence et une tare névro-psychopathologique »440(*). L'homosexualité était donc considérée comme une maladie mentale, ce qui avait immanquablement des répercutions sur l'opinion publique. Aujourd'hui, on invoquerait plutôt la psychanalyse ou les sciences sociales avec de nouveaux concepts mis à l'honneur comme celui de narcissisme, de perversion, d'altérité, d'ordre symbolique ou de différence des sexes.

Mais la rhétorique homophobe emprunte aussi à certains discours moins savants, les lieux communs au sens technique, qui relèvent plus de l'opinion générale, celle observée dans les sondages, que de la science officielle. Le plus important est sans doute celui de l'hétérosexisme ou la croyance profonde en une téléologie hétérosexuelle du désir qui finalise à priori l'individu. Ici l'homosexualité met en danger cette finalité hétérosexuelle du désir et ce, à tous les niveaux : menace pour l'individu, le couple, la famille, la nation, l'espèce humaine frappée par la stérilité de cette contagion homosexuelle. L'hétérosexisme contient en germe la stigmatisation de toute personne homosexuelle. De plus cet argument repose sur des lois et des institutions, spécifiquement érigées pour les personnes homosexuelles.

Cette homophobie se fonde sur une misogynie. Dans cette perspective, rien n'est plus avilissant pour un homme que de ressembler à une femme, alors l'image de l'homme homosexuel est évidemment celle de l'efféminé, inspirant mépris et quolibets- il faut noter sur ce point que l'homophobie s'exerce sur la sexualité et par le fait l'apparence des personnes, que cette sexualité soit réelle ou supposée. Inversement la femme homosexuelle semble plus masculine, elle est alors assimilée à une orgueilleuse imposture puisqu'elle refuse de rester à la juste place qui lui assigne sa condition première. Or les images de la rhétorique homophobe sont réversibles et malléables. En effet, on peut aussi reprocher aux gays d'être trop virils. Leur goût pour le sport, la musculation est manifestement inauthentique. La même chose est dénoncée chez les lesbiennes qui seraient trop féminines pour être honnêtes. L'homme doit être viril ni trop, ni trop peu et la femme doit être féminine ni trop, ni trop peu également. Mais si les gays et les lesbiennes sont arrivés à trouver un juste milieu, le discours homophobe va considérer que la situation est pire car il les soupçonne de vouloir se fondre dans la masse pour mieux tromper le monde. Et finalement, la « folle » est préférable car plus reconnaissable et donc plus rassurante, les médias tentent ces dernières années de trouver un équilibre entre ces deux figures.

Toute cette argumentation homophobe est mise en forme selon différentes stratégies. Tout d'abord les stratégies de définition, c'est-à-dire, qui utilisent la définition même du mot « homosexualité » pour ainsi dénoncer l'amour du même sexe, le refus de l'altérité, le repli sur soi, la fermeture voire même la ghettoïsation. Cette stratégie permet de dérouler toutes les conséquences voulues à partir d'une simple définition, elle enferme les êtres dans leur essence présumée. Ainsi, l'homophobie semble être fondée en raison. Une fois posée, explicitement ou implicitement, cette définition peut devenir une arme redoutable, une structure mentale absolue, principe de vision et de division du monde social. Cette définition est ensuite étendue à d'autres réalités différentes et hétérogènes, c'est ce que l'on appelle l'amalgame. Par exemple le fait d'associer l'homosexualité à la pédérastie, la pédophilie, à la perversion, la débauche, la drogue ou encore le sida : « Où placera-t-on la frontière, pour un enfant adopté, entre l'homosexualité et la pédophilie »441(*) ou autres slogans issus de la manifestation anti-Pacs tenue à Paris le 31 janvier 1999 « Les homosexuels d'aujourd'hui sont les pédophiles de demain »...

L'autre stratégie est l'injonction simple. Elle consiste à définir non pas ce qu'est l'homosexualité mais ce qu'elle devrait être, notamment l'injonction à la virilité, à la féminité, à la discrétion, à la chasteté, à la sublimation du désir sexuel. Le discours homophobe apparaît ainsi comme un discours normatif intériorisé dés l'enfance. Ce discours est intériorisé et nous le retrouvons chez nos enquêtés les plus jeunes.

L'injonction peut également être double. Elle consiste alors à proférer des injonctions contradictoires selon la nécessité du temps. Ainsi l'injonction à la normalité fut longtemps un motif privilégié du discours homophobe. Mais lorsque les gays et les lesbiennes commencèrent à demander la reconnaissance légale, cette revendication a été critiquée car elle mettait en péril la norme sociale. De la sorte, ceux qui avaient exhorté les homosexuels à la normalité, leur reprochaient désormais leur volonté d'intégration sociale, les exhortant au contraire à être subversifs. Nous pouvons citer les discours des débats actuels sur l'homoparentalité.

Enfin, nous citerons la stratégie de la culpabilisation et ses effets rhétoriques de la honte que le discours homophobe suscite et entretient : de peur d'être stigmatisées comme telles, des personnes homosexuelles sont prêtes à entendre sans rien dire les formules les plus violentes ou les plus insultantes du discours social, cela est très souvent le cas sur le lieu de travail. Ainsi, il plane toujours une sorte d'autocesure, de mauvaise conscience. Ces personnes renonceront peut être à certaines libertés individuelles pour ne pas déranger l'ordre symbolique et moral qu'on leur oppose. Cette violence symbolique442(*) est donc légitimée par les stigmatisés eux-mêmes car elle fait partie de la socialisation primaire. Très souvent cette homophobie qualifiée de sociale n'a pas besoin de s'exprimer pour s'exercer. Tout célèbre le couple hétérosexuel : les parents, l'entourage, le cinéma, la télévision, les livres pour enfants...Edith Cresson, Premier ministre en 1991 affirmait : « l'hétérosexualité, c'est mieux ».

Avant même de connaître sa propre sexualité, le jeune gay ou la jeune lesbienne sait qu'il ou elle est potentiellement insultable. Le sentiment homosexuel est forcément condamné donc la personne qui éprouve ce sentiment est forcément condamnable et le sait. En effet, l'homophobie est présente dans le langage ordinaire. Elle englobe les insultes dans la rue mais aussi tous les discours théoriques d'obédience juridique, psychanalytique et anthropologique, qui visent à confirmer ou à justifier l'ordre inégalitaire institué entre homosexuels et hétérosexuels443(*). Le langage exprime depuis des siècles, une norme hétérosexiste. Le monde reste vu à travers le prisme de l'homme normal, c'est-à-dire, hétérosexuel qui perpétue sa domination sociale par le langage courant. Les mots de l'homosexualité sont dés lors pour beaucoup, les mots de l'homophobie ; c'est le risque encouru, dans la dynamique sociale, par toute désignation de groupe humain qui procède par classification sur la base de critères normatifs, source de tous les préjugés et de toutes les discriminations. L'injure sera l'image de l'homosexuel efféminé que le langage renverra en priorité de l'homosexuel. Ce processus de féminisation de l'homosexuel fait référence à la passivité. On ne retrouve pas cette équivalence chez les lesbiennes. On parle de « folle » pour les gays, on emploie donc un terme féminin ; et on parle de « camioneuse » pour les lesbiennes, le terme est féminisé. Mais cette stigmatisation ne touche pas que les homosexuels. En effet, pour Daniel Welzer-Lang, « c'est le dénigrement des qualités considérées comme féminines chez les hommes, et dans une certaine mesure, des qualités dites masculines chez les femmes » qui engendre l'insulte. Ainsi, il relit « l'homophobie particulière qui s'exerce à l'encontre des gays et des lesbiennes, et l'homophobie générale, qui prend racine dans la construction et la hiérarchisation des genres masculin et féminin »444(*). L'insulte « pédé » peut également frapper un homme hétérosexuel dans la mesure où, au-delà de l'orientation sexuelle, elle dénonce un manquement à la « parfaite » virilité que suppose la construction sociale du masculin. L'opinion publique regorge toujours de stéréotypes sur les homosexuels comme par exemple, les danseurs, les coiffeurs, les filles aux cheveux courts...etc...

D'une manière générale, nous pouvons affirmer que c'est dans le langage que l'on retrouve les stratégies plus ou moins ritualisées de la lutte symbolique445(*). Kant a démontré que le langage a une efficacité symbolique de construction de la réalité et de ce fait, la nomination va structurer la perception du monde social des agents. L'institutionnalisation à travers laquelle s'accomplissent les opérations de nomination permet de « faire le monde en le nommant ». De cette façon, les termes injurieux envers les homosexuels participent de ce processus. Cette représentation a d'autant plus de force quand il s'agit d'un discours scientifique, comme nous l'avons vu. L'action sur le monde social vise à produire et imposer des représentations, et ainsi à faire ou défaire les groupes, issus de ces représentations. De plus, cette action va agir également sur les actions collectives qu'ils peuvent entreprendre pour transformer le monde social conformément à leurs intérêts en produisant, en reproduisant ou en détruisant les représentations qui rendent visibles ces groupes pour eux-mêmes et pour les autres.

2. L'affirmation et le militantisme en faveur de la reconnaissance

La presse gay que nous avions étudié mettait en avant un certain nombre de personnages historiques, littéraires ou autres artistes, tous homosexuels en vantant leurs oeuvres. Nous avions constaté une mise en avant des références donc la reconnaissance est incontestable, reconnaissance qui participerait à la légitimation de l'homosexualité.

Si l'homosexualité est bien issue de la discrimination, les gays et les lesbiennes représentaient autrefois le mal et devaient lutter pour la tolérance, pour exister, aujourd'hui c'est contre l'homophobie qu'ils doivent se défendre.

A partir de ces constats, comment peut s'élaborer le processus de reconnaissance des homosexuels ? Il faut se détacher du système dominant et inconsciemment (ou consciemment) homophobe de notre société. Nous pouvons citer en vrac les exemples de la Gay Pride, des dénominations libérées du joug médical (gay et lesbienne), des associations, des porte-parole, des images des homosexuels par eux-mêmes, de la presse gay...Ces exemples transcendent les différents traitements médiatiques qu'a connu l'homosexualité : le silence, la condamnation, la dérision. En effet, pour P.Bourdieu, il faut « briser » l'adhésion au monde du sens commun, en rompant avec l'ordre ordinaire, et en produisant un nouveau sens commun446(*) qui serait la manifestation publique et la reconnaissance collective de certain groupe.

Déjà dans un précédent travail de maîtrise, nous nous étions attardés sur une presse gay en soumettant le corpus pictural à l'analyse dite de la « rhétorique de l'image447(*) » de R.Barthes afin d'observer une certaine mise en scène de l'homosexualité en vue de la construction sociale d'une culture homosexuelle. En effet, ce qui ressortait le plus d'une telle analyse était le fait que les images étaient ancrées dans une certaine norme reconnue par la communauté gay, et défendue par la rédaction du magazine en question. Les images qui étaient mises en scène visaient à influer sur le lecteur, obéissant dans un certain sens à certains codes, normes ou mêmes à certains clichés. L'analyse sémiologique de R.Barthes est parfaitement adaptée aux images publicitaires qui sont construites à partir d'une intention, comme par exemple, la couverture d'un magazine. Ces dernières sont en effet, le fruit d'une intention de construction du sens de l'image, dans la mesure où elles doivent être la vitrine du produit. Ainsi, le graphisme, le choix de l'image et des titres accrocheurs révèlent le positionnement et l'identité revendiquée par le magazine. La signification est intentionnelle par la transmission claire de signifiés en vue d'une meilleure lecture. Le message iconique ou symbolique qui est connoté, nécessite souvent un savoir d'ordre culturel, même s'il est parfois difficile de le distinguer du message littéral, dénoté. Le spectateur reçoit en même temps le message perceptif et le message culturel, et cette confusion correspond à la fonction de l'image de masse. La lecture de l'image va donc dépendre du « savoir » du lecteur, de sa situation culturelle, et de tout un apprentissage de signes.

Rappelons que les argumentations effectives s'inscrivent toujours dans le cadre d'une interaction. On se justifie toujours par rapport à quelqu'un, ou par rapport à soi-même quelquefois. Le postulat veut que « tout discours est une construction collective » ou « une réalisation interactive ». Les différents participants de l'interaction exercent les uns sur les autres un réseau d'influences mutuelles448(*). Le sens d'un énoncé est le produit d'un travail collaboratif, l'émetteur et le récepteur sont actifs et procèdent à des opérations de codage et de décodage. Les divers procédés de rhétoriques, comme celui de R.Barthes ne peut se faire donc qu'en présence, réelle, fictive ou virtuelle, d'un auditoire qui va représenter l'ensemble de ceux sur lesquels l'orateur veut influer par son argumentation.

Dans le cas d'un magazine gay et lesbien, les journalistes exercent leur pouvoir d'argumentation sur une cible bien précise car ceux qui lisent ces magazines sont à priori positionner sexuellement parlant. De la même façon, les personnes se rendant sur les forums de discussions Internet soutenant une jeune chanteuse lesbienne sont susceptibles d'être sexuellement marquées, quoi que ce soit un peu moins évident que dans notre premier exemple, car malgré l'analyse à laquelle nous venons de soumettre notre corpus, rien n'est clairement dit. En ce sens, le vecteur qu'est Internet permet une approche en terme de « communauté virtuelle ». Pour permettre l'adhésion de son auditoire, celui qui veut convaincre doit procéder à des choix dans son discours : « toute argumentation implique une sélection préalable, sélection des faits et des valeurs, leur description d'une façon particulière, dans un certain langage et avec une insistance qui varie selon l'importance qu'on leur accorde »449(*). Dans notre étude actuelle, l'orateur, lequel peut être soit un des modérateurs du forum, soit même un autre membre -mais qui a une relative importance au sein du forum- va utiliser, pour convaincre, des arguments en faveur de la promotion de la chanteuse d'une part, mais également en faveur d'une concentration communautaire voire familiale que les membres du forum sont sensés constituer, et cela dans un langage que tous les membres peuvent clairement identifier et surtout s'approprier. Ces messages, ces discours ont pour fonction de créer la présence de certains éléments à la conscience de l'auditoire. Nous constatons le même processus dans les pages du magazine de notre premier corpus.

Dans une communication argumentée, il faut avant tout comprendre ce que l'autre veut dire. Cette étape est nécessaire pour l'adhésion. Pour se faire comprendre et tenter de convaincre, il faut donc s'appuyer et employer des principes reconnus par tous, des lieux communs, des institutions sociales selon E.Durkheim450(*). Les procédures d'argumentation comportent donc bien des éléments sociaux reconnaissables comme tels et quasiment autonomes, ils ne relèvent pas seulement des processus psychologiques individuels. Les différentes sociétés aux différentes cultures offrent donc une multitude de lieux communs utilisables dans une argumentation afin d'être interprété par tous. Dans notre cas, nous avons déjà posé, dans le cadre d'une construction sociale d'une culture gay, l'hypothèse d'une mémoire collective451(*), commune aux gays et lesbiennes, qui regrouperaient les différents éléments jalonnant l'histoire du mouvement homosexuel mais aussi les expériences communes de la socialisation primaire voire secondaire que les acteurs sont amenés à vivre en position de minoritaire. Cette « connaissance partagée »452(*) par les interlocuteurs constitue sans doute l'élément le plus important du contexte. Dans le cas, d'un forum de discussion, il peut s'agir également d'une « histoire conversationnelle commune » autour du sujet principal du forum, c'est-à-dire la chanteuse ; le cotexte a été appréhendé comme étant les événements survenus dans sa courte carrière, les membres évoquent par exemple son évolution dans l'émission Star Academy, la tournée Star Academy à laquelle elle a participé, et autres souvenirs connus de tous au sein des membres. Ainsi, les membres du forum forment un certain groupe « virtuel », ils ne se connaissent pas nécessairement dans la réalité mais en s'inscrivant à ce fan-club à travers Internet, ils adhérent à un certain nombre d'idées et contractent en quelque sorte, un genre d'engagement tacite qu'il n'est plus permis de rompre arbitrairement. Comme le montre M.Gilbert453(*) dans le fait de marcher ensemble à deux, une situation pourtant éphémère. Elle y voit le véritable atome du social, la source même de ce qui constitue, à des niveaux plus complexes, une nation, une communauté. Lorsque deux personnes marchent ensemble dans la rue et que l'une d'elle accélère soudain, l'autre attend d'elle des justifications. Ce même constat a été vérifié lors de notre analyse de messages du forum de discussions, dans la catégorie « Coups de gueule » notamment.. En effet, lorsqu'un membre veut quitter le groupe, il doit se livrer à toute une série de justifications, et suscite parfois l'incompréhension des autres, comme si le fait de faire parti d'un groupe, celui du fan-club, entraînait certaines obligations, sous forme d'accord, de contrat.

3. La mobilisation et la solidarité comme ressources identitaires

Le collectif ainsi formé, répond, on l'a vu, aux attentes d'un groupe de fans d'une part mais également, à un besoin de reconnaissance identitaire, c'est du moins ce que nous avons supposé, au vue de la faiblesse des moyens de reconnaissance d'une population minoritaire, et des discours majoritairement homophobes à certains degrés de notre société. Le choix des membres de se réunir au sein de ce forum pour défendre cette chanteuse plutôt qu'une autre, n'est donc pas dénué de rationalité, de même que les arguments qui sont développés par certains membres qui « avouent » plus explicitement que d'autres leur attachement à cette chanteuse du fait de son homosexualité et en laquelle ils et surtout elles, peuvent se reconnaître. Comme le préconisait M.Weber, il faut donc tenir compte des motivations de l'acteur. Cependant, nous avons constaté que les membres de ce forum donnent des raisons, que V.Pareto appellerait de « bonnes raisons », c'est-à-dire des raisons jugées moralement parlant acceptables ; on retrouve la stratégie appliquée de la culpabilisation de la rhétorique homophobe. En effet, très peu de membres mettent en avant l'homosexualité de la chanteuse comme vecteur de leur engouement. Or, il est bien évident qu'il y a un lien d'après notre recherche. Ces raisons peuvent se faire sous la pression du groupe et ne sont pas forcément effectives aux individus454(*). Avec le modèle de l'action rationnelle, le processus de mobilisation est appréhendé comme un rassemblement de ressources rares permettant de « rémunérer » une participation individuelle qui ne va pas de soi. En effet, l'individu est rationnel et procède à un calcul coût / avantage. Dans son paradoxe, M.Olson455(*) démontre que la mobilisation n'est ni automatique, ni spontanée. Si les individus rationnels partagent un intérêt, ici en faveur de la reconnaissance minoritaire, cela ne suffit pas à les mobiliser. Par exemple, si l'enjeu est l'obtention d'un avantage collectif et s'il n'y a pas de pression sur les individus pour les inciter à agir, chaque individu pourra profiter des avantages acquis par l'engagement des autres membres du groupe. L'individu n'a pas intérêt à participer à l'action collective puisqu'elle a un coût, ici il s'agit de se faire « mal voir » par les autres en abordant des sujets jugés « privés » comme celui de l'homosexualité, par certains modérateurs et certains membres. Le risque est que si tout le monde raisonne ainsi, alors il n'y aura pas d'action collective, ce que R.Boudon appellerait un effet pervers. Certains des paradoxes peuvent s'expliquer par la socialisation et la culture. Il serait alors question d'une contrainte sociale et culturelle456(*) qui fixeraient les logiques d'argumentations et d'action des individus. Les cadres pré-formés de l'esprit imposeraient une certaine perception, ces cadres de référence orienteraient la décision. En tant que sujet encore tabou, l'homosexualité, et notamment celle revendiquée de la chanteuse, n'est pas mise en avant dans les arguments des fans, pour expliquer leur engouement au collectif du forum.

Parler d'action collective dans le cadre d'un fan-club pourrait être jugé un peu inadéquat, cependant, on peut tout à fait replacer cette situation dans une situation bien plus globale comme celle de la reconnaissance d'un mouvement social minoritaire. Pour dépasser le paradoxe Olsonien, A.Obershall457(*) introduit les liens unissant les individus du mouvement social aux groupes supérieurs et de pouvoir, et les liens existant au sein même du groupe du mouvement social. La mobilisation sera d'autant plus aisée que les groupes concernés par l'action collective sont plus organisés. Ce modèle croise donc deux dimensions : la première au niveau de la cohésion sociale du groupe, plus la cohésion est forte, plus le potentiel de mobilisation sera élevé, d'où un grand effort de revendication communautaire, que ce soit dans la presse gay et lesbienne ou dans les messages du forum de discussions, avec notamment l'emploi massif du « nous » pour convaincre de l'appartenance des individus; la deuxième au niveau de l'intégration du groupe à la société globale, surtout avec les groupes supérieurs de la pyramide sociale et politique, la segmentation sera propice à la mobilisation.

La participation au collectif offre à l'individu la possibilité de revendiquer de l'appartenance. En ce sens, l'individu cherchant des repères, va agir selon son affectivité, cela s'oppose à la théorie du calcul de M.Olson. On pourrait dire qu'il va être guidé par son expérience, ses idées, ses valeurs. L'action collective répond à un besoin de resserrer les solidarités sociales au sein de son groupe d'appartenance. La dimension identitaire est encore plus forte si le groupe se heurte à une stigmatisation de la part de la société globale. Cela peut être le cas des communautés homosexuelles, qui au départ ne s'érigent pas contre un adversaire mais plutôt pour une reconnaissance de leur identité.

D'une façon générale, nous pouvons dire que « la répression de l'homosexualité a historiquement nourri la détermination de l'exprimer »458(*), et à son tour, la détermination de l'exprimer a historiquement renforcé le désir de réprimer l'homosexualité. Par conséquent, de ces deux termes du couple expression / répression, il serait faux de croire que les progrès de l'un affaiblissent nécessairement l'autre. Les deux peuvent, au contraire, se renforcer mutuellement. Ainsi, si le spectateur lambda voit dans la présence de plus en plus importante et visible de l'homosexualité, au cinéma, à la télévision, dans la rue, dans les journaux et magazines, une évolution des mentalités, mais il faut garder à l'esprit que cette plus grande visibilité peut faire ressurgir des regains d'homophobie, quelle qu'elle soit.

III ) LE FAN-CLUB : UN PRETEXTE MOBILISATEUR ?

L'homophobie, le besoin de reconnaissance, le processus de construction identitaire, l'organisation réflexive autour de la sexualité, la redéfinition des territoires de l'intime, tous ces moments de vie auxquels chacun est soumis, essentiellement dans le cadre de la jeunesse dans notre étude de cas, nécessitent un certain d'outils mais aussi d'interactions pour pouvoir « faciliter » le passage d'un moment à un autre, ou pour leur donner une cohérence. Pour ce faire, l'offre associative s'accroît de plus en plus, chaque « caractéristique » sociale peut se retrouver dans une association, une corporation, voire même se recouper. Il y en France environ 880 000 associations à ce jour459(*) Ce chiffre progresse peu ce qui veut dire que le nombre de créations s'équilibre avec celui des dissolutions. On sait que la durée de vie moyenne d'une association n'excède pas 3 ans et que la dissolution est rarement prononcée. Les associations gays et lesbiennes établies de manière physique dans un local ou un établissement, c'est-à-dire, présente ailleurs que sur Internet, se comptent environ à 800 d'après une estimation d'un annuaire spécialisé460(*). De ce constat va découler la dernière partie de ce travail récapitulant les différents points comme autant d'enjeux dans une lutte toujours plus poussée pour la reconnaissance, composante la plus socialement considérée dans le processus de construction identitaire.

1. La mobilisation autour d'une artiste : la construction de la notoriété

Comme nous l'avons déjà mentionné, le public est activé par l'oeuvre. La signification de l'objet ou de l'oeuvre va susciter le comportement du public461(*) : l'oeuvre peut refléter l'esprit de l'auteur, et le travail du public consistera à retrouver l'auteur dans cette oeuvre ; elle peut également déployer une structure qui devra être déchiffrée par le public ; ou encore elle peut exploiter un univers bien connu dont les stéréotypes doivent être reconnus par le public.

En effet, le public peut être capable d'associer à l'oeuvre un projet d'auteur, lui-même déterminé par une biographie particulière. Cet acte de réception peut être conçu comme celui d'une sensibilité commune, c'est-à-dire que le public va chercher à retrouver dans l'oeuvre des éléments familiers auxquels il est sensible, du fait de sa position, quelle soit minoritaire ou autre : il peut s'agir alors de former des « communautés d'interprétation attachées à des stratégies interprétatives spécifiques »462(*). Il peut y avoir dans les oeuvres telles qu'elles soient, des notations se rapportant à des cadres communs de la vie sociale, c'est-à-dire que certaines connotations pouvant répondre à certains clichés usuels que seul un certain public peut interpréter comme tels. Ses oeuvres peuvent être le prétexte autour duquel se construisent des communautés spectatorielles avec leurs valeurs, leurs usages, leurs rituels.

Ses théories peuvent s'illustrer notamment par des oeuvres littéraires telles celles de Jean Genet. Tout au long de son oeuvre, il analyse ce que signifie être un minoritaire463(*). Il recense les manières qu'invente l'ordre social pour intérioriser la honte dans le coeur des parias, et invite paradoxalement les individus voués au rejet des autres à revendiquer ce sentiment : transformer la honte en orgueil permet, en effet, une reformulation par les parias eux-mêmes, individuellement et collectivement, de leur subjectivité. J.Genet développe l'idée d'une esthétique de l'existence, qui ne saurait jamais trouver de fin, par le moyen de laquelle les dominés peuvent se créer eux-mêmes et façonner une nouvelle culture et de nouvelles formes de relations. C'est une politique du minoritaire qui se met en place.

Les stéréotypes peuvent être pensés comme un facteur de cohésion sociale, un élément constructif dans le rapport à soi et à l'autre. En effet, certaines communautés minoritaires défendent leur identité contre toute menace d'assimilation et donc de disparition par la réaffirmation de leurs stéréotypes d'origine. L'adhésion à une « opinion entérinée, une image partagée, permet par ailleurs à l'individu de proclamer indirectement son allégeance au groupe dont il désire faire partie. Il exprime en quelque sorte symboliquement son identification à une collectivité en assumant ses modèles stéréotypés »464(*). C'est dans ce sens que le stéréotype favorise l'intégration sociale de l'individu.

La mobilisation autour d'un artiste va donc lui apporter une certaine notoriété qui va reposer aussi sur son public, c'est-à-dire, que le public va conditionner le déroulement de la carrière de l'artiste. En ayant été récupéré par un certain nombre de fans, le coming-out d'Anne-Laure lui vaut de s'insérer dans un cadre défini de la notoriété. Elle est étiquetée en tant que chanteuse lesbienne et a du mal à faire « oublier » cette image afin d'élargir son public, d'autant plus qu'elle est issue d'un programme télévisé suscitant de nombreuses controverses. Ceci explique peut être le fait que les modérateurs du site essaient de limiter les sujets concernant l'homosexualité. Il est difficile de doser la subversion que peut représenter le fait d'être une artiste lesbienne et la commercialisation à laquelle doivent se soumettre les artistes. Anne-laure a pris clairement le parti de ne pas être une artiste lesbienne dans ses compositions tout en ne cachant pas sa vie amoureuse aux médias.

Le forum se veut discret à ce propos, pourtant les chiffres parlent d'eux-mêmes, malgré que ce soit un site de fans, les messages concernant l'album d'Anne-Laure et ses prestations médiatiques sont en nombre dérisoire contre les messages concernant des sujets prêtant à discussions dans le cadre de la vie personnelle des membres ou de celle de la chanteuse mais toujours sous couvert du couperet des modérateurs pour ne pas être trop explicite, eux même sous couvert, nous le supposons, de la production directe d'Anne-Laure.

2. La mobilisation pour soi : une reconnaissance de substitution ?

Il est donc difficile de concevoir qu'une starification aussi formatée que celle d'une artiste conçue par la télévision - même si cette dernière tend à se défaire de ces liens - puisse engendrer des formes de solidarité aussi importantes que celles que nous avons constaté au sein du fan-club. Il serait quasiment paradoxal d'imaginer qu'un monde marchand exerçant parfois autant de censure symbolique, comme nous l'avons vu, entraîne la formation presque communautaire d'un groupe. Cependant, le besoin de se voir représenté à l'écran pour un groupe minoritaire et de façon aussi proche de la réalité que peut l'être une émission de télé-réalité, a pu être comblé par ce biais là. En effet, en France, les images de l'homosexualité féminine sont rares, malgré la diffusion de certaines séries américaines, mais qui ne représentent pas forcément la vie réelle : le seul exemple est la série « Lword » diffusée en prime time durant l'été sur canal plus. Cette série, bien que mettant en scène uniquement des personnages lesbiens et évoquant des situations auxquelles les lesbiennes peuvent être confrontées, le fait dans un contexte idyllique et hollywoodien, ne favorisant pas forcément une identification morale et sociale adaptée aux adolescentes que nous retrouvons sur le forum d'Anne-Laure.

Ainsi, l'identification permet une meilleure acceptation de soi, une possible intégration dans un réseau qui nous lie à des personnes qui nous ressemblent, et qui nous apportent la reconnaissance espérée.

D'une façon générale, la vie commune est imposée aux individus, qui ont besoin de la reconnaissance d'autrui pour exister, l'absence de considération étant le plus grand mal de l'Homme. Nous avons constaté que le champ des relations humaines est semblable au marché, c'est un échange de satisfaction de besoins, et que toute coexistence est une forme de reconnaissance465(*).

Au sein du groupe social minoritaire qui nous préoccupe ici, il peut y avoir deux sortes de reconnaissance pour les individus membres. Il peut s'agir d'une reconnaissance de conformité, ou d'une reconnaissance de distinction ; c'est l'opposition que nous avons déjà établie entre les partisans d'une homosexualité discrète et qui souhaitent obéir aux même schémas que l'hétérosexualité, et les partisans d'une homosexualité subversive. Mais pour l'une ou l'autre, il est toujours question de stratégies de défenses sociales. L'individu peut se demander si la non-reconnaissance ne touche pas tous ceux qui sont comme lui (toutes les femmes, tous les gays...pour ne prendre que ces exemples) , dans ce cas, la violence qu'il subissait individuellement fait place à une révolte sociale dont le but est de transformer les institutions de sorte qu'elles accordent le respect et la considération à ceux qui en manquaient.

Cependant, au lieu d'une reconnaissance officielle, il est loisible d'en obtenir une autre, une reconnaissance par procuration notamment, grâce à l'attention, voire à l'admiration que suscite tel personnage célèbre, comme une forme de reconnaissance substitutive. Il s'agit donc d'une forme d'idolâtrie entraînant des phénomènes de satisfaction par transfert. Ainsi la reconnaissance que je porte à mon idole rejaillit sur moi. L'autre avantage que cela procure est celui de se sentir appartenir à un groupe, à nos yeux également prestigieux, celui des admirateurs de la vedette où chacun est confirmé de sa conviction par celle des autres. Je bénéficie de ce que j'ai moi-même produit, à savoir de la communauté à laquelle j'adhère. Le groupe des Choupifans, ici étudié, s'est peut être construit dans cette optique là, de façon plus ou moins consciente. Le fait qu'Anne-Laure ait révélé son homosexualité entraîne d'une certaine façon de la part de ses admiratrices une reconnaissance substitutive à l'égard de leur propre homosexualité. En s'érigeant en groupe, voire en réseau, voire en communauté virtuelle, elles aspirent peut être à une reconnaissance, certes de la notoriété de leur idole qu'elles veulent voir réussir, mais aussi peut être bien à une reconnaissance personnelle et collective. Il s'agit alors de défendre une artiste en laquelle on croit, mais surtout une artiste qui a dit son homosexualité. L'effet de reconnaissance substitue au désir de connaître les autres, le besoin de s'y reconnaître, de reconnaître le même466(*).

Nous laisserons de côté ici, les dérives de l'idolâtrie que constitue le fanatisme où le fait de se battre pour son groupe, pour l'identité collective, pourrait entraîner la haine des autres-différents. Il n'est pas question de cela dans notre cas, le regroupement de fans est quelque chose de ludique au départ. C'est d'ailleurs ce qui ressort visuellement des messages avec l'utilisation par les membres de dessins, de smileys, de photographies, de couleurs ; un peu de la même façon qu'Anne-Laure à réussi à assumer sa personnalité467(*) en participant à ce qui n'est, concrètement, qu'un jeu télévisé d'une genre un peu particulier.

3. La mobilisation identitaire : enjeu d'un collectif

Pour clore ce chapitre, nous voudrions revenir sur le terme de « communauté virtuelle » qui nous a préoccupé ici. Nous l'avons pensé dans cette dernière partie, plutôt comme une entité plus vaste que celle du regroupement sur Internet. En effet, nous avons posé la communauté comme quelque chose qui dépasse l'individu et dans laquelle il s'insère en prenant conscience d'un certain nombre de choses, ici sa sexualité. Une certaine reconnaissance identitaire homosexuelle se créé, comme nous l'avons vu, car il existe toujours une rhétorique homophobe qui présume tous les individus comme hétérosexuels. Nous n'affirmons pas qu'il existe une communauté homosexuelle mais nous supposons fortement qu'il existe, au moins, en germe une idée communautaire fondée sur une appartenance minoritaire.

Les mouvements sociaux, comme tout autre regroupement collectif sont aussi des moments privilégiés de construction et de maintenance des identités. L'identité est à la fois « le sentiment subjectif d'une unité personnelle, d'un principe fédérateur du moi, et un travail permanent de maintenance et d'adaptation de ce moi à un environnement mobile »468(*). Elle est aussi « le fruit d'un travail incessant de négociation entre des actes d'attribution, des principes d'identification venant d'autrui et des actes d'appartenance qui visent à exprimer l'identité pour soi, les catégories dans lesquelles l'individu entend être perçu ». Ainsi, l'action protestataire ou militante constitue un terrain propice à ce travail identitaire. Elle constitue un acte public de prise de position qui va classer les individus, pour eux-mêmes et au regard des autres469(*).

Le militantisme ou le fait d'appartenir à un groupe constitue une « forme d'institution de réassurance permanente d'une identité valorisante »470(*). En effet, l'acteur investit dans un collectif, organisé pour défendre une cause quelle qu'elle soit, se trouve en accord avec sa biographie individuelle. Le simple fait de partager et de parler avec les autres membres de ce collectif vient réactiver le sentiment d'appartenance. Cette dimension identitaire prend une place très importante dans le travail de mobilisation des groupes qui se heurtent à une forte stigmatisation ou qui doivent gérer des images sociales plutôt négatives. La mobilisation des gays et des lesbiennes passe par un moment identitaire initial où le militantisme ne se déploie pas tant contre un adversaire mais plutôt comme un travail du groupe sur lui-même, une sorte de « célébration identitaire »471(*).

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ANNEXES

INDEX DES ANNEXES

ANNEXES METHODOLOGIQUES

Annexe I : La pré-enquête

Présentation du journal de terrain

Annexe II : L'observation du site Internet

Présentation du site Planéteannelaure

Page d'accueil du site et du forum

La charte du forum

Le sexe et l'âge des membres

Annexe III : L'analyse quantitative des messages

La grille de catégorisation des messages

Exemple de messages - extrait du corpus

Annexe IV : Les entretiens

Le guide d'entretien et le portrait des enquêtés

Retranscription de l'entretien test

ANNEXES D'ILLUSTRATION CHIFFREES

L'homosexualité à la télévision (les chiffres de Média-G)

Les chiffres de l'homophobie (établis par SOS Homophobie)

Les premiers résultats de la lesbophobie

Les audiences des prime time Star Academy 2002 (chiffres Médiamat / Médiamétrie)

AUTRES ANNEXES

Description d'une émission Star Academy

Informations complémentaires concernant le site annelaure.net

Les paroles des chansons d'Anne-Laure

* 1 On citera ici l'association « Gare ! » des gays et lesbiennes de la SNCF, l'association « Telles & Tels » du groupe France Telecom, l'association « Energay » des industries électriques et gazières...

* 2 Rapport « Homosexualité et télévision 2004 » réalisé par Média G, l'observatoire du traitement de l'homosexualité dans les médias ( www.media-g.net). Voir le rapport en annexe.

* 3 ECO U. La guerre du faux, Grasset, Paris, 1985

* 4 EHRENBERG A. L'individu incertain, Ed. Pluriel, Calmann-Lévy, Paris, 1995

* 5 ROUX D. & TEYSSIER J.P. Les enjeux de la télé-réalité, Economica, Paris, 2003

* 6 EHRENBERG A. op.cit

* 7 EHRENBERG A. op.cit., p.300

* 8 MORIN E. L'esprit du temps, Grasset, Paris, 1975

* 9 BOURDIEU P. Sur la télévision, Raison d'agir éditions, Paris, 1996

* 10 Le principe de l'émission Star Academy est d' « enfermer » environ 16 participants dans un château afin qu'ils puissent apprendre le métier de chanteur grâce à des cours (chant, expression scénique, sport, danse et théâtre). Chaque semaine 3 candidats sont nominés par les professeurs comme étant les moins bons élèves. Durant toute la semaine, le public vote par téléphone et par SMS pour « sauver » leur candidat préféré. C'est à la fin de la semaine, sur le prime-time que les résultats sont donnés.

* 11 MORIN E. op.cit.

* 12 SMITH A. La richesse des nations, Hatier, Paris, 1973

* 13 MORIN E. op.cit.

* 14 BOLTANSKI L.&THEVENOT L. De la justification. Les économies de la grandeur, Gallimard, Paris, 1991

* 15 BOURDIEU P. op.cit.

* 16 Le principe de cette émission est simplement de faire vivre ensemble dans un loft un certain nombre de candidats, de les filmer 24 heures sur 24. Ce sont les candidats qui se nominent entre eux et c'est le public qui vote pour « sauver » son candidat préféré. Les gagnants sont le couple restant en dernière semaine, il gagne une importante somme d'argent.

* 17 HENNION A. Les professionnels du disque. Une sociologie des variétés, Ed. Métailié, Paris, 1981

* 18 HENNION A. op.cit

* 19 MORIN E. Les stars, Le seuil, Coll. Points, Paris, 1972

* 20 MORIN E. op.cit.

* 21 Sorte de soirée thématique consacrée à l'homosexualité sur la chaîne payante du paysage audiovisuel.

* 22 Série anglaise puis reprise par des américains qui racontent la vie de trentenaires gays.

* 23 Emission de télévision abordant différents thèmes autour de la sexualité et de l'homosexualité.

* 24 in Têtu n°100, Mai 2005, ce n'est pas un hasard que ce soit un « média communautaire » qui le dise, on peut aussi penser que les homosexuels sont des consommateurs à part entière...En effet, Têtu est le magazine mensuel national gay et lesbien.

* 25 MORIN E. Les stars, Le seuil, Coll. Points, Paris, 1972

* 26 ESQUENAZI J.P. Sociologie des publics, La découverte, Coll. Repères, Paris, 2003

* 27 LAZARSFELD P.F. & MERTON R.K. « Mass communication, popular taste, and organized social action » in The process and effects of mass communication, University of Illinois press, Chicago, 1962 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 28 ADORNO T. & HORKHEIMER M. La production industrielle des biens culturels in La dialectique de la raison, Gallimard/Tel, Paris, 1974

* 29 LAHIRE B. L'homme pluriel, Nathan, Paris, 1998

* 30 HALL S. « Codage, décodage » in Réseaux n°68, 1994 (1977), pp 27-39

* 31 BOBO J. « The color purple : Black Women as cultural readers » in PRIBRAM (éd.) Female Spectators, Verso, Londres, 1988 in ESQUENAZI J.P. op.cit

* 32 ESQUENAZI J.P. op.cit

* 33 RADWAY J.  Reading the romance, University of Carolina Press, Londres, 1991 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 34 DAYAN D. « Le double corps du spectateur » in PROUX (éd.) Accusé de réception, L'Harmattan, Paris, 1998

* 35 HARTLEY J. Tele-ology, Routledge, Londres, 1992 in ESQUENAZI J.P. op.cit

* 36 HARTLEY J. Uses of television, Routledge, Londres, 1999 in ESQUENAZI J.P. op.cit

* 37 STAIGER J. Interpreting films, Princeton University Press, 1992 & Perverse Spectators, New York University Press, 2000 in ESQUENAZI J.P. op.cit

* 38 PASQUIER D. La culture des sentiments, Ed. Maison des sciences de l'homme, Paris, 1999

* 39 MEHL D. « Une téléphilie bien tempérée : les jeunes et la télévision, enquête au lycée de Chelles » in Médias Pouvoirs n°35, 1994

* 40 PASQUIER D. Cultures lycéennes : la tyrannie de la majorité, Editions Autrement, Collection Mutations n°235, Paris, 2005, p.82

* 41 MOULIN C. Féminités adolescentes. Itinéraires personnels et fabrication des identités sexuées, Presse Universitaire de Rennes, Rennes, 2005

* 42 GIDDENS A. La transformation de l'intimité. Sexualité, amour et érotisme dans les sociétés modernes, Ed. La Rouergue / Chambon, Rodez, Paris, 2004 (trad.)

* 43 BOZON M. Sociologie de la sexualité, Nathan Université, Coll.128, Paris, 2002

* 44 GALLAND O. & ROUDET B. Les valeurs de jeunes. Tendances en France depuis 20 ans, L'harmattan, Coll. Débats jeunesses, Paris, 2001

* 45 KAUFMAN J.C. L'invention de soi. Une théorie de l'identité, Hachette Littérature, A.Colin, Paris, 2004

* 46 MOULIN C. op.cit

* 47 BOZON M. op.cit.

* 48 BOZON M. op.cit.

* 49 HONNETH A. « Visibilité et invisibilité : sur l'épistémologie de la « reconnaissance » » in La revue du MAUSS n°23, 1er semestre 2004

* 50 ROUSSEL Y. « Le mouvement homosexuel français face aux stratégies identitaires » in Les temps Modernes, Mai-juin 1995

* 51 Nous employons les termes « gay » et « lesbienne » plutôt que celui d' « homosexuel(le) » car il nous semble qu'ils permettent mieux de participer à un processus de construction en tant qu'ils renvoient à une certaine politique de l'identité.

* 52 JAMES W. « Principles of Psychology », Encyclopaedia Britanica vol.53, Londres, 1952 (1890) in BAUGNET L. L'identité sociale, Dunod, Paris, 1998

* 53 COOLEY C. «The social self»  in GORDON C. & GERGEN K.J. «The self in Social Interaction, Vol. 1: Classic and Contemporary Perspectives», Wiley, New-York, 1902 in BAUGNET L. op.cit.

* 54 GOFFMAN E. La présentation de soi dans la vie quotidienne, Ed. de Minuit, Tome 1, Paris, 1973

* 55 DUBAR C. La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, A.Colin, Paris, 1991

* 56 MOSCOVICI S. Psychologie des minorités actives, PUF, Paris, 1979

* 57 DUBAR C. La crise des identités. L'interprétation d'une mutation, PUF, Coll. Le lien social, Paris, 2000

* 58 KAUFMANN J.C. op.cit.

* 59 FASSIN E. L'inversion de la question homosexuelle, Ed. Amsterdam, Paris, 2005

* 60 FASSIN E. « Démocratie sexuelle » in OGIEN R. & BILLIER J.C. Comprendre la sexualité, Revue de philosophie et de sciences sociales n°6, PUF, Paris, 2005

* 61 BOZON M. op.cit.

* 62 GIDDENS A. op.cit

* 63 BOZON M. & GIAMI A. « Les scripts sexuels ou la mise en forme du désir. Présentation de l'article de John Gagnon » in Actes de la recherche en sciences sociales n°128, Juin 1999

* 64 KAUFMANN J.C. op.cit.

* 65 MENDES-LEITE R. Le sens de l'altérité. Penser les (homo)sexualités, L'Harmattan, Coll. Sexualité humaine, Paris, 2000

* 66 ERIBON D. Papiers d'identité. Intervention sur la question gay, Fayard, paris, 2000

* 67 CHAMBERLAND L. « Présentation du fléau social au fait social : l'étude des homosexualités » in Sociologie et sociétés Vol XXIX n°1, Printemps 1997

* 68 LESSELIER C. Formes de résistances et d'expression lesbiennes dans les années 50 et 60 en France in Le séminaire gai, site Internet http://semgai.free.fr

* 69 ROUSSEL Y. op.cit.

* 70 GUILLAUMIN C. L'idéologie raciste, Gallimard, Folio Essai, Paris, 2002

* 71 KAUFMANN J.C. op.cit.

* 72 FRASER N. « Justice sociale, redistribution et reconnaissance » in La revue du MAUSS n°23, 1er semestre 2004

* 73 TODOROV T. La vie commune, Seuil, Paris, 1995

* 74 RENAULT E. « Reconnaissance, institutions, injustice » in La revue du MAUSS n°23, 1er semestre 2004

* 75 ALTHUSSER L. « Idéologie et appareils idéologiques d'Etat » in Positions, Editions sociales, 1976

* 76 RICOEUR P. Parcours de la reconnaissance, Ed. Stock, Paris, 2004

* 77 HABER S. « Hegel vu depuis la reconnaissance » in La revue du MAUSS n°23, 1er semestre 2004

* 78 GOFFMAN E. La mise en scène de la vie quotidienne 2. Les relations en public, Minuit, Paris, 1973

* 79 DUBAR C. 1991, op.cit.

* 80 BECKER H.S. Outsiders, Ed. Métailié, Paris, 1985 (1963)

* 81 CASTEL R. & HAROCHE C. Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi. Entretiens sur les constructions de l'individu moderne, Fayard, Paris, 2001

* 82 GOFFMAN E. Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Ed. de Minuit, Paris, 1975

* 83 ERIBON D. (dir.) Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, Paris, 2003

* 84 GUILLAUMIN C. Sexe, race et pratique du pouvoir. L'idée de nature, Côté femmes, Paris, 1992 (1978)

* 85 WITTIG M. La pensée straight, Balland, Paris, 2000

* 86 HABER S. op.cit.

* 87 HONNETH A. op.cit.

* 88 Voir les chiffres en annexes.

* 89 Notre analyse nous a conduit à considérer Sheila, Mylène Farmer, Madonna, Kylie Minogue, Barbara, Dalida, Sylvie Vartan etc...comme des icônes gays.

* 90 L'exemple le plus actuel est celui du lancement de la chaîne thématique homosexuelle Pink TV qui réactive ces clichés. En effet, lorsqu'on regarde la grille des programmes, on y trouve entre les reportages et les émissions d'actualité consacrés à l'homosexualité et au mélange des genres, des programmes tels que : la série Wonder Woman, un document sur la diva Julia Migenes, un concert de Marianne Faithfull...L'hypothèse que l'on pourrait admettre ici serait simplement de parler d'une recherche d'un certain esthétisme chez les gays.

* 91 Voir les statistiques de l'association SOS Homophobie en annexes.

* 92 RUANO-BORBALAN J.C. (dir.) L'identité. L'individu, le groupe, la société, Ed. Sciences Humaines, Auxerre, 1998

* 93 HOGG M.A. & ABRAMS D. «Social identifications: A Social Psychology of Intergroup Processes», Routhledge, New-York, 1988 in BAUGNET L. L'identité sociale, Dunod, Paris, 1998

* 94 RICOEUR P. op.cit.

* 95 LAZZERI C. & CAILLE A. « La reconnaissance aujourd'hui : enjeux théoriques, éthiques et politiques du concept » in La revue du MAUSS n°23, 1er semestre 2004

* 96 RIVIERE C. & PIETTE A. Nouveaux idoles, nouveaux cultes. Dérives de la sacralité, L'Harmattan, Coll. Mutations et complexité, Paris, 1990

* 97 SEGRE G. Le culte Presley, PUF, Paris, 2003

* 98 DUBAR C. op.cit.

* 99 LICOPPE C. & BEAUDOIN V. La construction électronique du social : les sites persos in Réseaux n°116, vol XX, 2002

* 100 HENNION A. La passion musicale, Métailié, paris, 1993

* 101 BARNES J.A. « Class and Committees in a norwegian Island Parish » in Human Relations  n°7, 1954 in MERCKLE P. Sociologie des réseaux sociaux, La découverte, Coll. Repères, Paris, 2004

* 102 MERCKLE P. op.cit.

* 103 FORSE M. « Les réseaux sociaux chez Simmel : les fondements d'un modèle individualiste et structural » in DEROCHE-FORSE M. & LANGLOIS S. « Réseaux sociaux, structures et rationalités » in L'Année sociologique vol 47 n°1, 1997, pp 27-35

* 104 DEGENNE A. & FORSE M. Les réseaux sociaux. Une approche structurale en sociologie, Armand Colin, Coll. « U », Paris, 1994

* 105 FERRAND A. « La structure des systèmes de relation », in L'année sociologique Vol 47 n°1, 1997, pp 37-54 in MERCKLE P. op.cit.

* 106 BECKER H.S. op.cit.

* 107 FORSE M. « Les réseaux de sociabilité : un état des lieux »  in L'année sociologique n°41, 1991, pp 247-264

* 108 LARMET G. « La sociabilité alimentaire s'accroît » in Economie et statistique n°352-353, 2002 in MERCKLE P. op.cit.

* 109 CHOQUET O. « Les sorties, une occasion de contacts » in Economie et statistique n°214, 1988 in MERCKLE P. op.cit.

* 110 LEMEL Y. « La fréquentation du café » in Données sociales n°3, 1978 in MERCKLE P. op.cit.

BOZON M. « La fréquentation des cafés dans une petite ville ouvrière » in Ethnologie française n°2, 1982 in MERCKLE P. op.cit.

* 111 POCIELLO C. Les cultures sportives, PUF, Paris, 1995 in MERCKLE P. op.cit.

TRAVERT M. « Le football de pied d'immeuble » in Ethnologie française n°2, tome XXVII, 1997 in MERCKLE P. op.cit.

* 112 FORSE M. op. cit

* 113 BLANPAIN N. & PAN KE SHON J.L. « Les français se parlent de moins en moins » in INSEE Première n°571, 1998 in MERCKLE P. op.cit.

* 114 LELONG T. & THOMAS F. « Usages domestiques de l'internet, familles et sociabilités: une lecture de la bibliographie », in GUICHARD E. (dir.) Comprendre les usages d'internet, Presses de l'école normale Supérieure, Paris, 2001

* 115 LIN N. « Les ressources sociales: une théorie du capital social » in Revue française de sociologie, XXXVI-4, Octobre-décembre 1995 in MERCKLE P. op.cit.

* 116 DEGENNE A. & FORSE M. op cit

* 117 PARLEBAS P. Sociométrie, réseaux et communications, PUF, Paris, 1992 in MERCKLE P. op.cit.

* 118 DUBOST J. « Editorial », in Revue internationale de psychosociologie vol 2, n°3, numéro spécial « Villes et communautés », 1995 in PROULX S. & LATZKO-TOTH G. « La virtualité comme catégories pour penser le social : l'usage de la notion de communauté virtuelle » in Sociologie et société vol XXXII 2

* 119 WINKIN Y. La nouvelle communication , Seuil, Paris, 1984 in PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op.cit.

* 120 TONNIES F. Communauté et société : catégories fondamentales de la sociologie pure, Retz-CEPL, 1977 (1887)

* 121 MOATTI M. La vie cachée d'Internet: réseaux, tribus, accros, Imago, Paris, 2002

* 122 PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op.cit.

* 123 RHEINGOLD H. Les communautés virtuelles (trad. Lumbroso L.), Addison-Wesley, Paris, 1995

* 124 DOEL M. & CLARKE D. Virtual Worlds, Simulation, Suppletion, Seduction ant Simulacra in CRANG M., CRANG P. & MAY J. (dir) Virtual geographies. Bodies, spaces and relations, Routhledge, londres, 1999 in PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op.cit.

* 125 WEISSBERG J.L. Présences à distance. Déplacement virtuel et réseaux numériques. Pourquoi nous ne croyons plus la télévision, L'harmattan, Paris, 1999

* 126 DELEUZE G. L'actuel et le virtuel in DELEUZE G. & PARNET C. Dialogues (nouvelle édition), Flammarion, Paris, 1996 in PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op.cit.

* 127 TURKLE S. Life on the screen: Identity in the Age of the Internet, Simon & Schuster, New-York, 1995 in PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op.cit.

* 128 PLANT S. On the Matrix : Cyberfeminists Simulations, in SHIELDS R. (dir.) Culture of Internet, Virtual Spaces, Real Histories, Living Bodies, Sage, Londres, 1996 in PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op.cit.&

WILLSON M. Community in the Abstract: A Political and Ethical Dilemma?, in HOLMES D. Virtual Politics: Identity & Community in Cyberspace, Sage, Londres, 1997 in PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op.cit.

* 129 STONE A. Will the real Body please stand up ?: Boundery Stories about Virtual Cultures, in BENEDIKT M. (dir.) Cyberspace: First Steps, MIT Press, Cambridge, 1991 in PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op.cit.

* 130 BOUVIER P. Le lien social, Gallimard, Folio essais, Paris, 2005

* 131 BECKER H.S op.cit.

* 132 BOUVIER P. op.cit.

* 133 BOUVIER P. op.cit.

* 134 BOUVIER P. op.cit.

* 135 ANDERSON B. Imagined Communities. Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, (édition revisée), Verso, New-York, 1991 in PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op.cit.

* 136 DAYAN D. op.cit.

* 137 LAHIRE B. op.cit.

* 138 FERNBACK J. The Individual within the Collective: Virtual Ideology and Realization of Collective Principles, in JONES S.G. (dir.) Virtual Culture, Sage, California, 1997 in PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op.cit.

* 139 BERGER P. & LUCKMAN T. La construction sociale de la réalité, Méridiens-Klincksieck, Paris, 1986 (1ère édition 1966)

* 140 WOLTON D. Sortir de la communication médiatisée, in Manières de voir, n°46, 1999 in PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op.cit.

* 141 MATTELARD A. L'invention de la communication, La découverte, Paris, 1994 in PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op.cit.

* 142 LE BON G. Psychologie des foules, Retz-CEPL, Paris, 1975 (1895)

* 143 BOUVIER P. op.cit.

* 144 PROULX S. & LATZKO-TOTH G. op cit.

* 145 RIVIERE C. & PIETTE A.(dir.) op.cit.

* 146 RAMONET I. (Dir.) Combats pour les médias, Manière de voir 80, Le monde Diplomatique, Avril-Mai 2005

* 147 Le journal de terrain figure en annexe.

* 148 Ce constat se confirme avec les statistiques des membres du forum.

* 149 Nous verrons en effet que pour intégrer le forum du site Internet, il faut s'inscrire puis s'identifier comme membre avec ce que l'on appelle un login, un nom d'utilisateur, plus couramment appelé un pseudonyme.

* 150 Ce terme semble peut être plus approprié ici que celui de fan-club. Cependant les deux expressions seront utilisées pour désigner à peu prés la même chose.

* 151 Cette expression provient du surnom donné à Anne-Laure durant l'émission Star Academy : Choupi.

* 152 Nous verrons que les blogs sont des sortes de journaux intimes mis en ligne par les internautes.

* 153 Certains fans ont en effet créé des pages personnelles sur la chanteuse sur Internet.

* 154 En annexes figurent de nombreuses pages de ce site afin d'illustrer nos propos.

* 155 Informations complémentaires en annexes.

* 156 Nous entendons par membre actif, un membre qui passerait régulièrement sur le forum de discussion en laissant des messages ou en créant des sujets de conversation.

* 157 BARDIN L. L'analyse de contenu, PUF, Paris, 1977

* 158 Quelquefois, nous trouvons également le terme « topic » pour désigner un sujet.

* 159 Nous avons conservé donc 5 messages issus de la catégorie « De Choupinette à Anne-Laure Sibon », 20 messages issus de la catégorie « 100% officiel » et 122 issus de la catégorie « Choupi'net Avenue ».

* 160 LE BART C. « Les fans des Beatles : sociologie d'une passion », Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2000

* 161 KAUFMANN J.C. « L'entretien compréhensif », A.Colin, Coll.128, Paris, 1996

* 162 Nous étions déjà inscrits dans ces forums ce qui nous a permis d'y accéder sans difficulté.

* 163 Une boîte à lettres électroniques privée est attribuée à chacun des membres.

* 164 Une liste assez complète des membres ayant un blog étant disponible dans une des rubriques du forum de Planèteannelaure.

* 165 Voir les chiffres statistiques en annexes.

* 166 BLANCHET A. & GOTMAN A. « L'enquête et ses méthodes : l'entretien », Nathan Université, Coll.128, Paris, 1992

* 167 BLANCHET A. & GOTMAN A. op.cit.

* 168 BLANCHET A. & GOTMAN A. op.cit.

* 169 LARDELLIER P. « Le pouce et la souris : enquête sur la culture numérique des ados », Fayard, Paris, 2006

* 170 BLANCHET A. & GOTMAN A. op.cit.

* 171 KERBRAT-ORECCHIONI C. L'énonciation. De la subjectivité dans le langage, A. Colin, Paris, 1980

* 172 BENVENISTE E. in Langages n°17, in MAINGUENEAU D.  Initiation aux méthodes de l'analyse du discours, Hachette, Paris, 1976

* 173 BENVENISTE E. Problèmes de linguistique général, Gallimard, Paris, 1966 in MAINGUENEAU D. op.cit.

* 174 BENVENISTE E. op.cit. in MAINGUENEAU D. op.cit.

* 175 MAINGUENEAU D. Analyser les textes de communication, Dunod, Paris, 1998

* 176 JAKOBSON R. Essai de linguistique générale, Ed. du minuit, Paris, 1963 in KERBRAT-ORECCHIONI C. L'énonciation. De la subjectivité dans le langage, A. Colin, Paris, 1980

* 177 KERBRAT-ORECCHIONI C. (1980) op.cit.

* 178 KERBRAT-ORECCHIONI C. Les interactions verbales, A. Colin, Paris, 1990

* 179 MAINGUENEAU D. (1998) op.cit.

* 180 GOFFMAN E. in KERBRAT-ORECCHIONI C. Les interactions verbales (Tome 1), A.Colin, Paris, 1990

* 181 STALNAKER R. in KERBRAT-ORECCHIONI C. op.cit.

* 182 HALBWACHS M. Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, Paris, 1994 (1925)

* 183 MAINGUENEAU D. Analyser les textes de communication, Dunod, Paris, 1998

* 184 Voir cette charte en annexes.

* 185 GRICE P « Logique et conversation » (trad.fr.) in Communication n°30, 1979

* 186 EHRENBERG A. L'individu incertain, Ed. Pluriel, Calmann-Lévy, paris, 1995

* 187 KERBRAT-ORECCHIONI C. Les interactions verbales (tome 2), A.Colin, Paris, 1990

* 188 Le mot de passe accompagne le « pseudo » : surnom que l'on emprunte pour se rendre sur un forum de discussion, une messagerie instantanée ou un jeu en ligne ; LARDELLIER P. op.cit.

* 189 Voici des exemples de mots utilisés par les internautes en général, et pas seulement au sein du groupe qui nous intéresse ici :

- ADSL : Asymetric Digital Subscriber Line, c'est-à-dire « ligne d'abonné numérique à débit asymétrique », technologie permettant de transporter des données numériques sur une ligne téléphonique classique et d'atteindre des débits très importants (plusieurs centaines de Kbit/s.

- Blog : nous avons déjà vu la définition plus avant.

- Chat : mot d'origine nord-américaine (to chat = discuter) définissant le dialogue électronique, une conversation numérique synchrone.

- MP3 : Motion Picture Expert Group ; il s'agit d'un format permettant de compresser de la musique tout en conservant une très grande qualité, et de l'échanger sur Internet.

- Net : abréviation communément employée pour désigner le réseau Internet.

- Peer to peer : il s'agit de l'échange de données (sons, images...) entre internautes.

- Webcam : petite caméra numérique connectée à l'ordinateur et au réseau, permettant de chatter en joignant son image vidéo à l'écrit.

In LARDELLIER P. op.cit.

* 190 KERBRAT-ORECCHIONI C. Les interactions verbales (tome 2), A.Colin, Paris, 1990

* 191 KERBRAT-ORECCHIONI C. op.cit.

* 192 BARTHES R. « L'ancienne rhétorique » in Communications n°16, 1966

* 193 BENVENISTE Problèmes de linguistique générale, Gallimard, Paris, 1966 in MAINGUENEAU D. op.ct.

* 194 CULIOLI A. « Sur quelques contradictions en linguistique » in Communication n°20, Mai 1973

* 195 KERBRAT-ORECCHIONI C. op cit

* 196 On appelle axiologiques, les termes impliquant un jugement de valeur comme les termes péjoratifs ou mélioratifs.

* 197 Par exemple, la phrase « cette maison est grande » signifie « cette maison est plus grande que la norme de grandeur pour une maison d'après l'idée que je m'en fais (elle-même fondée sur mon expérience personnelle des maisons) ».

* 198 Par exemple, « cet arbre est beau » signifie « plus beau que la moyenne des arbres - ou d'autres types d'arbres que je prends implicitement pour modèle - d'après la conception que j'ai de la beauté pour un arbre » ou encore « c'est beau les arbres » signifie « plus beau que d'autres catégories d'objets ».

* 199 DUCROT O. Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique, Hermann, Paris, 1972

* 200 Il existe une graduation entre « il semble à x que P... », « x estime que P ...» ou « x pense que P... » et « x est sûr que P... ».

* 201 MAINGUENEAU D. op.cit.(1976)

* 202 GUILLAUMIN C. L'idéologie raciste, Gallimard, Folio Essai, Paris, 2002

* 203 MAINGUENEAU D. op.cit. (1976)

* 204 MUCCHIELLI A. Les méthodes qualitatives, PUF, Coll. Que sais-je, Paris, 1991

* 205 BERTAUX D. Les récits de vie, Nathan Université, Coll.128, Paris, 1997

* 206 BLANCHET A.& GOTMAN A. op.cit

* 207 BLANCHET A.&GOTMAN A. op.cit.

* 208 BLANCHET A.&GOTMAN A. op.cit

* 209 BARDIN L. op.cit.

* 210 DONNAT O. Les pratiques culturelles des français. Enquête 1997, La documentation française, Paris, 1998

* 211 GALLAND O. « Individualisation des moeurs et choix culturels » in DONNAT O. & TOLILA P. (dir.) Les publics de la culture : politiques publiques et équipements culturels, Presses de Sciences Po, Paris, 2003

* 212 BOZON M. Sociologie de la sexualité, Nathan Université, Coll. 128, Paris, 2002

* 213 MOULIN C. Féminités adolescentes : itinéraires personnels et fabrication des identités sexuées, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2005

* 214 DAYAN D. in PASQUIER D. La culture des sentiments, Ed. Maison des sciences de l'homme, Paris, 1999

* 215 PASQUIER D. (1999) op.cit.

* 216 PASQUIER D. Cultures lycéennes : la tyrannie de la majorité, Ed. Autrement, Coll. Mutations n°235, Paris, 2005

* 217 LE BART C. Les fans des Beatles : sociologie d'une passion, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2000

* 218 PASQUIER D. (1999) op.cit.

* 219 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 220 CHALVON & PASQUIER 1990, PASQUIER 1995, NEVEU 1996, CHAMPAGNE 1971

* 221 Anne-Laure in La dixième muse n°3, juillet-août 2003

* 222 Citations extraites de différents messages du forum de discussions de différents membres.

* 223 PASQUIER D. (1999) op.cit.

* 224 Anne-Laure in La dixième muse op.cit.

* 225 LAROUSSINIE C. Fan Mania, Ed. de la Martinière Jeunesse, Paris, 2000

* 226 in entretien n°14

* 227 in entretien n°15

* 228 ESQUENAZI J.P. Sociologie des publics, La découverte, Coll. Repères, Paris, 2003

* 229 LAHIRE B. L'homme pluriel, Nathan, Paris, 1998

* 230 PASQUIER D. « Chère Hélène : les usages sociaux des séries collège » in Réseaux n°70, 1995

* 231 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 232 LARDELLIER P. Le pouce et la souris : enquête sur la culture numérique des ados, Fayard, Paris, 2005

* 233 LARDELLIER P. op.cit.

* 234 RUI S. « La foule sentimentale: récit amoureux, média et réflexivité » in Réseaux n°70, 1995

* 235 RUI S. op.cit.

* 236 LARDELLIER P. op.cit.

* 237 MSN Messenger est la messagerie instantanée de Microsoft. Il s'agit d'un mode de communication par ordinateur qui permet d'échanger en temps réel avec un petit groupe de personnes, tous connectés en même temps.

* 238 LARDELLIER P. op.cit.

* 239 in entretien n°6

* 240 MARTIN O. « L'Internet des 10-20 ans, une ressource pour une communication autonome » in Réseaux vol XXII n°123, 2004

* 241PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 242 METTON C. « Les usages de l'Internet par les collégiens. Explorer les mondes sociaux depuis le domicile » in Réseaux vol XXII n°123, 2004

* 243 in entretien n°7

* 244 extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 245 in entretien n°2

* 246 MOATTI M. La vie cachée d'Internet: réseaux, tribus, accros, Imago, Paris, 2002

* 247 MOATTI M. op.cit.

* 248 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 249 MOATTI M. op.cit.

* 250 LARDELLIER P. op.cit.

* 251 Certains opérateurs mettent en avant l'appartenance à une même tribu : on entendait parlait de tribus « nomad » chez Bouygues Télécom (Nomad étant un forfait sans engagement) ou « Do you speak Orange ?» (Parlez-vous Orange ?) comme s'il y avait un langage propre à cette opérateur.

* 252 MOATTI M. op.cit.

* 253 in entretien MSN n°2

* 254 in entretien MSN n°4

* 255 in entretien n°8

* 256 extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 257 LE BART C. op.cit.

* 258 GIDDENS A. La transformation de l'intimité. Sexualité, amour et érotique dans les sociétés modernes, Ed. La Rouergue/Chambon, Paris, 2004 (trad.)

* 259 On notera par exemple en France, une évolution des pratiques sexuelles entre l'enquête Simon (1972) et l'enquête ACSF (1993) sur le comportement sexuel des français, comme notamment la banalisation de la sexualité orale.

* 260 BOZON M. op.cit.

* 261 GIDDENS A. op.cit.

* 262 On évoque à longueur de reportages la blogosphère, la blogmania ou encore la blogattitude.

* 263 ALLARD L. «Express Yourself ! Les pages perso: entre légitimation technologique de l'individualisme expressif et authenticité réflexive peer to peer» in Réseaux vol XXI n°117, 2003

* 264 RUI S. op.cit.

* 265 BOZON M. op.cit.

* 266 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 267 GIDDENS A. op.cit.

* 268 LAGRANGE H. & LHOMOND B. (dir.) L'entrée des jeunes dans la sexualité. Le comportement des jeunes dans le contexte du sida, La découverte, Paris, 1997

* 269 MOULIN C. op.cit.

* 270 GIAMI A. « Pour une éducation sexualisée » in Information sociale n°55, 1990 in MOULIN C. op.cit. p.160

* 271 BOZON M. op.cit.

* 272 PASQUIER D. (1995) op.cit.

* 273 BOZON M. op.cit.

* 274 GAGNON J.H. « Les usages explicites t implicites de la perspective des scripts sexuels dans les recherches sur la sexualité : présentation de Michel Bozon et Alain Giami » in Actes de recherches en sciences sociales n°128, Juin 1999, pp 73-79

* 275 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 276 JASPARD M. Sociologie des comportements sexuels, La découverte, Coll. Repères, paris, 2005 (nouvelle ed.)

* 277 GIDDENS A. op.cit.

* 278 LE BRETON D. Les passions ordinaires. Anthropologie des émotions, Petite Bibliothèque Payot, 2004 (1998)

* 279 PASQUIER D. (1995) op.cit.

* 280 GALLAND O. & ROUDET B. Les valeurs des jeunes. Tendances en France depuis 20 ans, L'Harmattan, Coll. Débats jeunesses, Paris, 2001

* 281 LE BRETON D. op.cit.

* 282 extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 283 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 284 JASPARD M. op ;cit.

* 285 ADORNO T. « Types d'attitudes musicales » in Introduction à la sociologie de la musique, Contrechamps, Paris, 1974

* 286 in entretien n°2

* 287 Ces thèmes apparaissent en début de corpus, dans les débuts du forum, puis disparaissent au fil du temps, comme subissant une forme de censure

* 288 DUBAR C. La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, A.Colin, Paris, 1991

* 289 ERIBON D. Réflexion sur la question gay, Fayard, Paris, 1999

* 290 MOULIN C. op.cit.

* 291 GALLAND O. & ROUBET B. (dir.) op.cit.

* 292 BERGER P. & LUCKMANN T. La construction sociale de la réalité, Méridien Klincksieck, Paris, 1986

* 293 FIZE M. « Sociologie de l'adolescence » in Société n°42, 1993

* 294 MOULIN C. op.cit.

* 295 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 296 MOULIN C. op.cit.

* 297 MOULIN C. op.cit.

* 298 CHARON J.M. La presse des jeunes, La découverte, Paris, 2002

* 299 CARAGLIO M. « Les lesbiennes dites masculines ou quand la masculinité n'est qu'un paysage » in Nouvelles Questions Féministes n°1 Vol. 18, 1997, pp 58-75

* 300 MAFFESOLI M. Le temps des tribus, Méridien Klincksieck, Paris, 1988

* 301 WEBER M. Economie et société, Plon, Paris, 1971

* 302 MOATTI M. op.cit.

* 303 extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 304 PASQUIER D. (2005) op.cit.

* 305 extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 306 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 307 MOATTI M. op.cit.

* 308 HENNION A. Les professionnels du disque. Une sociologie des variétés, A.Métailié, Paris, 1981

* 309 AGULHON M. Le cercle dans la France bourgeoise, 1810-1848. Etude d'une mutation de sociabilité, A.Colin, Paris, 1977 in GALLAND O.& ROUDET B. op.cit.

* 310 GALLAND O.& ROUDET B. op.cit. p.149

* 311 PASQUIER D. (1999) op.cit.

* 312 JENSEN J. « Fandom as pathology : the consequence of characterisation » in Lewis L. The adoring audience. Fan culture and popular media, Routledge, Londres, 1992 in PASQUIER D. (1999)

* 313 MAUSS M. « Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïque »s in L'année sociologique, 2nde série, 1923-1924, T. 1

* 314 POLANYI K. & ARENSBERG C. Les systèmes économiques dans l'histoire et dans la théorie, Larousse, Paris 1975 (1957)

* 315 GALLAND O. & ROUDET B. (dir.) op.cit.

* 316 Ce constat peut se faire par faible nombre de messages pour une époque donnée, ou encore par les tensions qui s'observent parfois sur certains messages.

* 317 MORIN E. Les stars, Le seuil, Coll. Points, Paris, 1972

* 318 LARDELLIER P. op.cit.

* 319 TISSERON S. L'intimité surexposée, Hachette littératures, Paris, 2001

* 320 TISSERON S. op.cit.

* 321 HITE S. Le nouveau rapport Hite, J'ai lu, Paris, 2004

* 322 TISSERON S. op.cit.

* 323 TISSERON S. op.cit.

* 324 ESQUENAZI J.P. Sociologie des publics, La découverte, Coll. Repères, Paris, 2003

* 325 ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 326 BOURDIEU P. Sur la télévision, Raisons d'agir éditions, Paris, 1996

* 327 MIEGE B. Les industries du contenu face à l'ordre informationnel, PUG, Grenoble, 2000 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 328 A ce propos, Anne-Laure déclare à propos de la directrice de casting qui lui a donné sa chance de participer à l'émission : « elle m'a dit qu'elle adorait mon look de sportive...finalement il lui manquait juste la goudou du château ! » in La dixième muse n°3, juillet-août 2003

* 329 Le site Internet de la chaîne nous la présente : « PinkTV, la première chaîne gay et « gay friendly » du PAF a ouvert son antenne le 25 octobre 2004. A la pointe des tendances, PinkTV est une chaîne généraliste associant culture et glamour. Elle est destinée aux gays, filles et garçons, et à tous ceux qui ont envie d'une télé différente construite autour de la liberté, de la tolérance, de l'humour et de la séduction. PinkTV, c'est une diffusion 24H / 24 et 7 jours / 7 avec une programmation riche et diversifiée. PinkTV, c'est tous les jours la découverte de nouveaux talents, de courants culturels émergents, ou encore des dernières tendances mode, design, musique...
PinkTV, c'est chaque semaine des films, des documentaires, des séries, des courts-métrages qui vous ressemblent... et du X qui nous rassemble. PinkTV, c'est une fenêtre d'expression pour que chacun puisse échanger et partager son expérience au travers de débats, de talk-shows, de petites annonces... »
in www.pinktv.fr

* 330 Média-G est l'observatoire du traitement de l'homosexualité dans les médias. Il est présent sur Internet via un site et publie chaque année un bilan de l'année écoulée concernant la télévision et l'homosexualité. Ce site est réalisé par des bénévoles et est publié gratuitement grâce à l'association Soutenir Média-G.

* 331 Nous nous basons sur le compte rendu Média-G pour l'année 2004, le bilan 2005 n'étant pas encore édité.

* 332 Cette émission avait pour but de faire vivre des célébrités dans une ferme à la campagne, sans tout le confort moderne. Vincent McDoom était un des participants, il se définit comme quelqu'un d'androgyne. On a pu le voir évoluer dans la ferme avec ses hauts-talons, son maquillage et ses grands chapeaux.

* 333 Nous employons ici le terme de «normalité» pour évoquer le fait que ce couple était présenté aux côtés de couples hétérosexuels et que la volonté de la chaîne était ne pas les différencier.

* 334 Cette émission avait pour but de faire participer un certain nombre de couple, mariés ou non, à la construction d'une maison. Le couple gagnant à l'issu d'éliminations successives, par les autres candidats puis par le public, devenait propriétaire de cette maison.

* 335 Des fournisseurs d'accès à Internet ou aux chaînes câblées proposent une chaîne spécialement conçue pour diffuser tout au long de la journée les images tournées dans les émissions de télé-réalité ; les candidats bénéficiant de deux heures non filmées par jour.

* 336 In entretien n°8

* 337 Ces deux candidats s'étaient autorisés quelques ébats sexuels dans la piscine du Loft, et ces images ont été largement reprises et utilisées par la suite.

* 338 LAZARSFELD P.F. & MERTON R.K. «Mass communication, popular taste, and organized social action» in The Process and Effetcs of Mass Communication, University of Illinois Press, Chicago, 1962 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 339 http://www.media-g.net. Voir en annexes.

* 340 ERIBON D. Papiers d'identité. Intervention sur la question gay, Fayard, Paris, 2000

* 341 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions lorsque la question du coming-out d'Anne-Laure avait été posé.

* 342 Message ouvert par Wilo, la modératrice du forum le 14 janvier 2003

* 343 Message ouvert par Slayer, un membre influant du forum le 4 décembre 2002

* 344 ERIBON D. (dir.) Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, Paris, 2003

* 345 Exemple d'un spot publicitaire pour la lessive Vizir mettant en scène un couple d'homosexuels efféminés et utilisant des clichés de référence.

* 346 ERIBON D. (2003) op.cit.

* 347 Soirée dont le but est de collecter des fonds pour la recherche contre le sida.

* 348 PASQUIER D. La culture des sentiments, Ed. Maison des sciences de l'homme, Paris, 1999

* 349 Anne-Laure in La dixième muse n°3, juillet-août 2003

* 350 in entretien n°2

* 351 in entretien n°1

* 352 in entretien test

* 353 in entretien MSN n°1

* 354 in entretien MSN n°3

* 355 MAISONNEUVE J. La dynamique des groupes, PUF, Coll. Que sais-je, Paris, 1968

* 356 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 357 Idem.

* 358 GUILLAUMIN C. L'idéologie raciste, Gallimard, Folio Essai, Paris, 2002

* 359 FEUER J. Seeing Through the Eighties, Duke University Press, Durham, 1995 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 360 ARENDT H. Le système totalitaire, Points/Seuil, Paris, 1972

* 361 ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 362 Ce constat s'est largement fait ressentir durant notre observation de pré-enquête.

* 363 Egéries n°1 (l'exemplaire pilote) décembre 2004/janvier 2005

* 364 LELAIT D. Gay Culture, Ed. Anne Carrière, Paris, 1998

* 365 NADEAU C. op.cit

* 366 LE GUERN P. (dir.) Les cultes médiatiques : culture fan et oeuvres cultes, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2002

* 367 MORIN E. Les stars, Le seuil, Coll. Points, Paris, 1972

* 368 Star Ac Mag n°2 Hors Série, Juin 2003

* 369 MORIN E. op.cit

* 370 BOLTANSKI L. & THEVENOT L. De la justification. Les économies de la grandeur, Gallimard, Paris, 1991

* 371 BECKER H.S. Les mondes de l'art, Flammarion (trad.), Paris, 1988

* 372 BECKER H.S. Le monde de l'art, Flammarion (trad.), Paris, 1988

* 373 GOFFMAN E. La mise en scène de la vie quotidienne, Editions de minuit, Paris, 1973

* 374 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 375 Extrait illustratif d'un message d'une nouvelle inscrite sur le forum de discussions

* 376 SEGRE G. La communauté des fans d'Elvis Presley. De la fraternité élective au « groupe religieux , in Socio-Anthropologie n°10

* 377 LE BART C. Les fans des Beatles : sociologie d'une passion, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2000

* 378 MORIN E. op.cit.

* 379 LEWIS L.A. (dir.) The Adoring Audience, Routledge, Londres, 1992 in LE BART C. Les fans des Beatles: sociologie d'une passion, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2000

* 380 BECKER H.S. Outsiders, Ed. Métailié, Paris, 1985 (1963)

* 381 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 382 in entretien MSN n°1

* 383 in entretien MSN n°2

* 384 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 385 LE BART C. op.cit.

* 386 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 387 Tecknikart n°84, juillet-août 2004

* 388 BOZON M. Sociologie de la sexualité, Nathan Université, Coll.128, Paris, 2002, p.40

* 389 FASSIN E. L'inversion de la question homosexuelle, Ed. Amsterdam, Paris, 2005

* 390 BOZON M. op.cit. p.66

* 391 TAMAGNE F. Mauvais genre. Une histoire des représentations de l'homosexualité, Ed. LM, Coll. Les reflets du savoir, Paris, 2001

* 392 ADORNO T. « Types d'attitudes musicales » in Introduction à la sociologie de la musique, Contrechamps, Paris, 1974 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 393 ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 394 LE BART C. op.cit.

* 395 STAIGER J. « Interpreting films », Princeton University Press, 1992 & « Perverse Spectators », New York University Press, 2000 in ESQUENAZI J.P. op.cit

* 396 LE BART C. op.cit.

* 397 SCANNELL P. « L'intentionnalité communicationnelle dans les émissions de radio et de télévision » in Réseaux n°68, 1994

* 398 SEGRE G. La communauté des fans d'Elvis Presley. De la fraternité élective au « groupe religieux », in Socio-anthropologie n°10

* 399 Extraits illustratifs de messages des forums de discussions.

* 400 PASQUIER D. La culture des sentiments, éditions Maison des sciences de l'Homme, Paris, 1999

* 401 MOATTI M. La vie cachée d'Internet: réseaux, tribus, accros, Imago, Paris, 2002

* 402 MAFFESOLI M. Le temps des tribus, La table ronde, Paris, 2000 (1988)

* 403 CORCUFF P. Les nouvelles sociologies, Nathan Université, Coll. 128, Paris, 1995

* 404 SCHNAPPER D. La communauté des citoyens. Sur l'idée moderne de nation, Gallimard, Paris, 1994

* 405 RAMBACH A. & RAMBACH M. La culture gaie et lesbienne, Fayard, Paris, 2003

* 406 POLLACK M. « L'homosexualité masculine ou le bonheur dans le ghetto ? » in Communications n°35, 1982

* 407 Donnons quelques définitions de l'homophobie :

· Celle du grand dictionnaire terminologique408

Homophobie : phobie de l'homosexualité (rubrique psychologie)

Homophobe : personne qui craint ou hait les homosexuels (rubrique sociologie)

· Celle de l'Encyclopédie Larousse409

Homophobie : rejet de l'homosexualité, hostilité systématique à l'égard des homosexuels

Homophobe : qui est hostile à l'homosexualité, aux homosexuels.

· Celle de l'Encyclopédie Hachette410

Homophobie : peur de l'homosexualité et des contacts, émotionnels ou autres, avec les personnes du même sexe que soi. Hostilité marquée, attitude méprisante ou haineuse à l'endroit des personnes homosexuelles. L'homophobie de certains groupes d'extrême-droite. Synonyme : hétérosexisme.

Homophobe : qui est marqué par l'homophobie. Une législation homophobe.

* 411 in Têtu n°62, décembre 2001

* 412 BARTH F. « Les groupes ethniques et leurs frontières » (trad. Française, 1ère éd en anglais, 1969) in POUTIGNAT P. & STREIFF-FENART J. « Théorie de l'ethnicité », PUF, Paris, 1995 in CUCHE D. La notion de culture en sciences sociales, La découverte, Coll. Repères, Paris, 1996

* 413 GALISSOT R. « Sous l'identité, le procès d'identification » in L'homme et la société n°83, 1987 in CUCHE D. op.cit.

* 414 BOURDIEU P. « L'identité de la représentation » in Actes de la recherche en sciences sociales n°35, 1980, pp 63-72

* 415 FASSIN E. & FABRE C. Liberté, égalité, sexualités, Ed. Belfont, Coll.10/18, Paris, 2003

* 416 ERIBON D. Réflexion sur la question gay, Fayard, Paris, 1999

* 417 MOULIN C. op.cit.

* 418 BOZON M. Sociologie de la sexualité, Nathan Université, Coll.128, Paris, 2002

* 419 NADEAU N. « Sexualité et espace public : visibilité lesbienne dans le cinéma récent » in Sociologie et sociétés, vol.XXIX n°1, Printemps 1997

* 420 ERIBON D. (dir.) op.cit.

* 421 GOFFMAN E. Stigmates. Les usages sociaux des handicaps, Ed. de Minuit, Paris, 1975

* 422 in entretien n°14

* 423 in entretien n°11

* 424 in entretien MSN n°6

* 425 in entretien test

* 426 ERIBON (dir.) op.cit.

* 427 AMOSSY R. &HERSCHBERG PIERROT A. Stéréotypes et clichés, Nathan Université, Coll.128, Paris, 1997

* 428 ERIBON D. Papiers d'identité. Intervention sur la question gay, Fayard, Paris, 2000

* 429 CASTENADA M. Comprendre l'homosexualité, Ed. Michel Lafont, Paris, 1999

* 430 NEVEU E. Sociologie des mouvements sociaux, La découverte, Coll. Repères, Paris, 1996

* 431 CORCUFF P. Les nouvelles sociologies, Nathan Université, Coll.128, Paris, 1995

* 432 Citons Têtu pour les gays, et La dixième muse ou Oxydo pour les lesbiennes.

* 433 GOFFMAN E. Stigmates. Les usages sociaux des handicaps, Ed. de Minuit, Paris, 1975

* 434 PERELMAN C. L'empire rhétorique. Rhétorique et argumentation, Ed. Vrin, Paris, 2002

* 435 BOURDIEU P. « Quelques questions sur le mouvement gay et lesbien » in La domination masculine, Seuil, Paris, 1998

* 436 Enquête Ipsos-Têtu (février 2004)

* 437 Euro-baromètre n°57 (Printemps 2001), EORG/ Commission européenne

* 438 Enquêtes Ipsos-Têtu (Février et Novembre 2004)

* 439 TIN L.G. (dir.) Dictionnaire de l'homophobie, PUF, Paris, 2003

* 440 VON KRAFFT-EBVING R.«Psychopathia sexualis«, 1886 in TIN L.G. op.cit.

* 441 Propos tenus par Christine Boutin, députée UDF et membre du Conseil pontifical de la famille, 1998

* 442 BOURDIEU P. La domination masculine, Ed. du seuil, Paris, 1998

* 443 ERIBON D. « Ce que l'injure me dit. Quelques remarques sur le racisme et la discrimination » in L'homophobie, comment la définir, comment la combattre ?, Ed. Prochoix, Paris, 1999 in TIN L.G. (dir.) op.cit.

* 444 WELZER-LANG D. « La face cachée du masculin » in DORAIS M., DUTEY P. & WELZER-LANG D. (dir.) La peur de l'autre en soi, VLB, Montréal, 1994 in TIN L.G. (dir.) op.cit.

* 445 BOURDIEU P. Ce que parler veut dire. L'économie des échanges linguistiques, Fayard, Paris, 1982

* 446 BOURDIEU P. Op.cit

* 447 BARTHES R. « La rhétorique de l'image » in Communication n°04, 1964, pp 40-51

* 448 KERBRAT-ORECCHIONI C. Des intercations verbales (T.1) , A. Colin, Paris, 1990

* 449 PERELMAN C. Op.cit

* 450 DURKHEIM E. Les règles de la méthode sociologique, PUF, Paris, 2002

* 451 HALBWACHS M. Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, Paris, 1994 (1925)

* 452 KERBRAT-ORECCHIONI C. Les interactions verbales, A. Colin, Paris, 1990

* 453 GILBERT M. Marcher ensemble : essais sur les fondements des phénomènes collectifs, PUF, Paris, 2003

* 454 BOUVIER A. Philosophie des sciences sociales, PUF, Paris, 1999

* 455 OLSON M. La logique de l'action collective, PUF, Paris, 1978 (1966) in NEVEU E. Sociologie des mouvements sociaux, La découverte, Coll. Repères, Paris, 1996

* 456 BOUVIER A. op.cit

* 457 OBERSHALL A. Social conflicts and social movements, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1973 in NEVEU E. op.cit.

* 458 ERIBON D. Réflexions sur la question gay, Fayard, Paris, 1999

* 459 http://www.loi1901.com, au 24.05.06

* 460 D'après l'annuaire France Queer Ressources Directory (http://www.france.qrd.org) au 24.05.06

* 461 ESQUENAZI J.P. Sociologie des publics, La découverte, Coll. Repères, Paris, 2003

* 462 FISH S. Is There a Text in This Class ?, Harvard University Press, Cambridge, 1980 in ESQUENAZI J.P. op.cit.

* 463 ERIBON D. Une morale du minoritaire, Fayard, Paris, 2001

* 464 AMOSSY R. & HERSCHBERG PIERROT A. op.cit.

* 465 TODOROV T. La vie commune, Seuil, Paris, 1995

* 466 AUGE M. Le sens de l'autre, Fayard, Paris, 1994

* 467 Elle évoque ce fait dans son livre : SIBON Anne-Laure, Telle quelle !, Michel Lafon, Paris, 2003

* 468 DUBAR C. La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin, Paris, 1991

* 469 NEVEU E. op.cit.

* 470 HUNT S. & BENFORD D. «Identity Talk« in Journal of Contemporary Ethnography vol.22, 1994 in NEVEU E. op.cit.

* 471 NEVEU E. op.cit.






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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984