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Pratiques culturelles des Antilles françaises: l'exemple du spectacle vivant en Guadeloupe et de ses dynamiques territoriales


par Jennyfer ADNET
Université de Rouen Normandie - Master direction de projets et d'établissements culturels, parcours diversification des publics 2023
  

Disponible en mode multipage

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UFR Lettres et Sciences Humaines

Département des Métiers de la Culture

UFR Lettres et Sciences Humaines

Master 2 Direction de projets ou d'établissements

culturels

Parcours Projets culturels et diversification des publics

Jennyfer ADNET

Pratiques culturelles des Antilles françaises : l'exemple du
spectacle vivant en Guadeloupe et de ses dynamiques
territoriales

Année scolaire 2022/2023

Sous la direction de

Madame Florence Filippi

2

Introduction 3

I. L'archipel des Antilles françaises : un carrefour des

cultures 10

a) Du commerce triangulaire à la départementalisation 10

b) Le folklore et l'eurocentrisme : entre rapports de force et

acculturation 15

c) La question de la réorganisation d'une société caribéenne

plurielle 21

II. Aménagement culturel et expressions artistiques en

Guadeloupe 25

a) De la stigmatisation à la réappropriation 25

b) La création d'espaces pour un spectacle vivant guadeloupéen : contrer les institutions culturelles et affirmer

sa légitimité 30

c) La décentralisation des pouvoirs de l'État: une autonomie

avérée en matière culturelle ? 34

III. Les défis des pratiques culturelles dans une société

insulaire fragmentée 40

a) Une difficulté d'accès à la formation 40

b) Repenser la démocratisation culturelle sur un territoire

archipélique 48

c) Une coopération culturelle caribéenne : une étape à

franchir ? 54

Conclusion 58

Bibliographie/Sitographie 61

3

Introduction

« C'est tout ce que les hommes ont imaginé pour façonner le Monde, pour s'accommoder du
Monde et pour le rendre digne de l'homme. C'est ça, la culture: c'est tout ce que l'homme a
inventé pour rendre le monde vivable et la mort affrontable. »
- Aimé CÉSAIRE
(1913-2008), homme de lettres et ancien maire de Fort-de-France.

Pendant ses 50 années de mandat en tant que maire, Aimé CÉSAIRE s'est activement engagé dans la promotion des pratiques artistiques antillaises. La culture a occupé une position centrale dans sa lutte contre l'emprise idéologique coloniale, et à cet égard, il a mis au centre de son mandat une politique visant à valoriser les arts spécifiques aux Antilles françaises. La citation relevée reflète sa vision profonde de la culture en tant qu'ensemble de créations humaines visant à façonner le monde et à donner du sens à la vie. De plus, l'idée de dignité renvoie à la réaffirmation d'une identité forgée par l'histoire, par la culture et par la mémoire collective. Tous ces éléments interagissent de manière complexe et sont interdépendants, contribuant à construire sa vision globale de la culture.

L'objet de cette recherche se concentre sur l'étude des pratiques culturelles dans les Antilles françaises en se centrant particulièrement sur le domaine du spectacle vivant en Guadeloupe et son impact sur les dynamiques territoriales. Il s'agira d'observer les pratiques telles que la danse, le théâtre et les pratiques musicales, notamment traditionnelles.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, il s'avère essentiel d'esquisser une définition préliminaire de la culture. Toutefois, notons que ce concept demeure intrinsèquement complexe, englobant des notions d'une grande diversité. En effet, en sociologie, la culture est généralement définie comme l'ensemble des normes, des valeurs, des croyances, des pratiques, des symboles, des rituels, des institutions et des connaissances partagées au sein d'une société ou d'une communauté. Elle englobe les aspects matériels et immatériels de la vie sociale, et elle façonne la manière dont les individus perçoivent le monde, interagissent les uns avec les autres et construisent leur identité culturelle. La culture est une notion multidimensionnelle. C'est ainsi que ma recherche va se concentrer particulièrement sur les concepts de systèmes de valeurs, d'identité et les pratiques relatives à un groupe d'individus.

4

Le système de valeurs culturelles en Guadeloupe revêt une importance capitale dans la compréhension de la société et de la culture guadeloupéenne. Notons avant tout qu'un système de valeurs, du point de vue anthropologique, renvoie à l'ensemble des croyances, des normes, des principes et des idéaux partagés au sein d'une société ou d'une culture particulière. Il guide les comportements, les attitudes, les choix et les interactions des individus au sein de cette société. Selon Clifford Geertz, anthropologue renommé, dans son ouvrage "The Interpretation of Cultures" datant de 1973, un système de valeurs peut être défini comme "un ensemble intégré de symboles, de croyances et de pratiques à travers lesquels les hommes communiquent, perpétuent et développent leur connaissance et leurs attitudes à l'égard de la vie". En somme, il joue un rôle central dans la compréhension de la culture et de la société, car il façonne la manière dont les individus perçoivent le monde qui les entoure et agissent en conséquence. Pour le cas de la Guadeloupe, il ne peut être pleinement saisi sans tenir compte de la tension historique entre les valeurs et les influences eurocentrées qui ont caractérisé l'histoire coloniale de l'archipel et la quête d'identité et de sa résistance culturelle propre. Ainsi, il convient de mettre en lumière que l'eurocentrisme est une perspective culturelle et historique qui accorde une primauté excessive à l'Europe occidentale, notamment aux pays tels que la France, l'Angleterre et l'Espagne, au détriment des autres cultures et régions du monde. Cette recherche se propose d'explorer comment la société guadeloupéenne s'est justement forgée dans ses pratiques culturelles, en mettant particulièrement l'accent sur le spectacle vivant, qui est un reflet significatif de cette dynamique culturelle complexe.

5

Carte de la Guadeloupe (c) Wikipédia

Nichée au coeur de l'arc antillais, la Guadeloupe est un département d'outre-mer français qui s'étend sur une superficie totale d'environ 1 628 kilomètres carrés1 regroupant un archipel composé de plusieurs îles et îlots. Parmi les principales îles qui la constituent, on retrouve la Grande-Terre, la Basse-Terre, Marie-Galante et les Saintes, La Désirade, pour un total de plus de 12 îles et îlots. Elle offre un mélange fascinant de traditions africaines, européennes, asiatiques et caribéennes qui se reflète dans sa scène artistique dynamique. Ce territoire insulaire, baigné par les eaux turquoise de la mer des Caraïbes, regorge de talents variés qui s'expriment à travers une multitude de formes artistiques, du théâtre à la danse en passant par la musique, le chant et la poésie. L'énergie créative qui émane de cet archipel se nourrit de son histoire complexe, de sa diversité culturelle et de son niveau de résistances dans ses pratiques culturelles

1 Source de référence: Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE). La superficie des départements d'outre-mer. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2878639

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Néanmoins, selon Maryse CONDÉ, la culture guadeloupéenne serait « inondée par la culture française qui stérilise son talent »2. Cette observation reflète un débat culturel profondément enraciné en sur cette région, où l'influence culturelle française, résultant de l'histoire coloniale, continue de se faire sentir de manière prédominante. Pour Maryse CONDÉ, cette prédominance peut parfois étouffer la créativité locale et limiter la capacité des artistes guadeloupéens à exprimer pleinement leur identité culturelle distincte. Cette problématique soulève également cette nécessité de développer des politiques culturelles qui favorisent l'innovation artistique.

Il me paraît à présent cohérent d'aborder, dans un but de complémentarité, le concept de dynamique territoriale. Ce terme se réfère alors à l'évolution et aux changements qui se produisent dans un territoire donné au fil du temps par divers facteurs tels que l'économie, la démographie, l'histoire, la culture, l'environnement, la technologie, les politiques publiques, etc. Il est sûr que l'histoire coloniale ainsi que la culture ont influencé grandement ce phénomène, mais il n'en est pas moins que la disposition géographique de la Guadeloupe, de par son insularité et son caractère archipélique, détermine les dynamiques territoriales et l'installation de ses équipements culturels.

À cet égard, rappelons-nous du cas du Centre des Arts et de la Culture (CAC), une institution qui a joué un rôle central dans la vie culturelle de l'archipel guadeloupéen. Malgré la tentative de reprogrammation du CAC par la communauté de communes Cap Excellence en 2017, il est manifeste qu'un réel manque persiste en matière d'infrastructures, mettant ainsi en lumière les défis auxquels est confrontée la Guadeloupe dans le contexte de son évolution territoriale. Le CAC a longtemps été un pilier culturel depuis son inauguration en 1988. Au fil du temps, il a dû faire face à des défis majeurs, notamment des problèmes de financement irrégulier et des difficultés de gestion, qui témoignent des dynamiques territoriales en jeu dans la région en matière de développement culturel. Cet exemple témoigne des lacunes auxquelles peut faire face l'archipel.

Le choix de cette étude revêt une importance particulière pour explorer les atouts et les défis du développement structurel d'un territoire insulaire. Il est essentiel de comprendre pourquoi un lieu aussi riche en histoire que la Guadeloupe éprouve des difficultés à mettre en

2 Africultures « Le théâtre aux Antilles a toujours souffert d'être un parent pauvre », vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 31.

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avant ses artistes, ses infrastructures culturelles, et ses pratiques culturelles uniques. Mon intérêt pour ce sujet est profondément ancré dans mes liens personnels avec la Guadeloupe, ma région d'origine, avec la Martinique. Par le biais de cette recherche, je souhaite non seulement contribuer à l'enrichissement du débat sur le dynamisme culturel de ce territoire, mais aussi explorer ma propre identité caribéenne. Cette quête personnelle se présente avec une importance particulière pour moi, car elle me permettra d'approfondir ma compréhension des racines de ma culture tout en contribuant à enrichir le corpus universitaire. À mon goût, celui-ci présente actuellement peu de travaux sur ce sujet.

De cette manière, bien que je n'aie pas eu l'opportunité de réaliser mon stage directement en Guadeloupe, j'ai pris la décision pertinente d'effectuer mon stage en tant qu'assistante de coordination au sein de la compagnie de danse afro-caribéenne Difé Kako. Cette compagnie se consacre à la promotion des pratiques culturelles afro-caribéennes à travers une série d'initiatives variées, dont un festival itinérant aux Antilles-Guyane et en hexagone appelé le Mois Kréyol. Depuis son lancement en 2017, le festival Mois Kréyol s'engage résolument dans la promotion de la diversité culturelle et la préservation du patrimoine créole. De mon côté, j'ai eu l'opportunité de participer à la communication et à la coordination de cet événement entre avril et fin juillet 2023. Cette expérience m'a permis de me rapprocher des dynamiques culturelles sur le territoire guadeloupéen de manière indirecte avec la rencontre de la directrice artistique Chantal LOÏAL. Sa vision globale en tant qu'actrice culturelle guadeloupéenne oeuvrant sur son archipel (notamment pour le festival) a enrichi ma compréhension de la Guadeloupe en termes d'aménagement en dehors de mon héritage culturel. Une vue large a été, dans cette étude, plus que nécessaire afin de répondre à mes ambitions d'écriture citées plus haut.

Ainsi, ce mémoire explore l'avenir de ces pratiques culturelles et les enjeux liés à la réappropriation du territoire qui en découlent. Il est même nécessaire de se demander dans quelle mesure les dynamiques territoriales de la Guadeloupe ont-elles contribué à façonner les expressions artistiques distinctives de l'archipel, tout en soulevant des enjeux pour leur mise en valeur et leur sauvegarde ? Il est certain qu'un champ de lutte s'opère dans la sauvegarde de ses pratiques. Des manquements structurels sont présents mais il est tout aussi nécessaire de trouver leur origine afin de comprendre les enjeux de pérennisation.

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Cette recherche s'articule autour d'un constat fondamental : celui de la fragmentation de la Guadeloupe, tant d'un point de vue historique que géographique. Mais alors, comment expliquer que celle-ci a contribué à la diversité culturelle de l'archipel ? Depuis l'époque du commerce triangulaire jusqu'à nos jours, une série d'événements et d'épisodes ont laissé leur empreinte sur l'histoire de cet archipel. Il a fallu explorer l'histoire de mon peuple, de la colonisation à la départementalisation dans le but de mieux aborder le sujet.

Afin de mieux comprendre cette dynamique et de répondre à ces questions, j'ai effectué des recherches bibliographiques approfondies. J'ai notamment consulté la revue «Émergences Caraïbe(s) : une création théâtrale archipélique» de Africultures. Parmi les articles regroupés, les entretiens menés par Stéphanie BÉRARD avec d'anciens acteurs culturels impliqués dans les structures du spectacle vivant guadeloupéens se sont révélés comme étant des sources inestimables. Ces témoignages m'ont offert un éclairage précieux sur les parcours et les expériences de ces professionnels et m'ont incité à une réflexion approfondie pour une prise de recul nécessaire.

De plus, il m'a semblé tout aussi cohérent de faire un parallèle avec les dynamiques territoriales martiniquaises en termes d'équipements culturels. J'ai fini par me demander, dans le cadre de mes recherches, en quoi les dynamiques territoriales du territoire guadeloupéen et martiniquais, bien que distinctes, pouvaient présenter des similitudes et des divergences dans leurs impacts sur les pratiques culturelles et les infrastructures dédiées à la culture. Une comparaison entre la Guadeloupe et la Martinique pourrait ainsi permettre de mieux saisir les enjeux culturels propres à chacun de ces territoires. Ces constatations passent bien évidemment par une mise en regard des différentes installations culturelles et de leur histoire au-delà des structures déjà présentes.

En complémentarité, j'ai également tenu à examiner les établissements culturels du territoire ainsi que leurs offres. Pour mieux comprendre leur implantation, une importance a été accordée à leur place auprès des publics en examinant la démographie des communes présentant des offres culturelles et celles plus éloignées. Il m'a semblé nécessaire de partir de cette démarche afin d'observer les mécanismes de dynamismes territoriaux. Elles se résultent des habitudes culturelles des Guadeloupéens que j'ai analysées par le biais d'études officielles. Il est essentiel d'entreprendre cette démarche afin d'analyser comment le territoire s'est développé et continue à évoluer, ainsi que pour évaluer la manière dont les pratiques

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culturelles sont mises en valeur. Cette dernière passe, certes par les actions menées des acteurs culturels locaux mais aussi par l'accès aux publics.

Nous verrons donc dans un premier temps que l'archipel guadeloupéen est un carrefour des cultures. Ensuite, nous approfondirons notre analyse en examinant l'aménagement culturel et les expressions artistiques en Guadeloupe, avant de terminer par un regard sur les défis auxquels sont confrontées les pratiques culturelles dans une société insulaire fragmentée.

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I. L'archipel des Antilles françaises : un

carrefour des cultures

a) Du commerce triangulaire à la départementalisation

Il serait difficile d'examiner les pratiques culturelles propres aux Antilles françaises sans évoquer leur histoire. Bien que l'objet de ma recherche se centre particulièrement sur la Guadeloupe, il m'est important de considérer que la culture antillaise, de par ses spécificités historiques, socio-économiques, géographiques, est difficile à cerner. Le concept même d'antillanité3 pose beaucoup de questionnements. En effet, qu'est ce qui est spécifique au fait d'être antillais lorsque les territoires ont été traversés par divers épisodes ? Notons alors que la Guadeloupe et la Martinique sont premièrement peuplées par des amérindiens décimés par les navigateurs européens arrivés sur les terres du Nouveau Monde au XVIIe siècle. Entre tueries de masse, contacts avec les maladies venues d'Europe, la Caraïbe et ses premières civilisations ont connu un chapitre sanglant.

Ainsi, les français s'établissent, sous Louis XIII, à Karukera4 et à Iounacaera 5 avec l'idée de mettre sous domination les populations amérindiennes jugées comme étant inférieures. Avant ces épisodes meurtriers, les navigateurs français fournissent des témoignages de voyages entre le XVe et le XVIe siècle6. Ces contacts étaient, selon ces sources, dans des conditions propices pour un bon rapport entre « indigènes» et européens qui s'échangent les uns et les autres des savoirs culturels ou même des objets et tissus. Les Eyeris, à partir du Ve millénaire avant J-C, sont les premiers autochtones des Arawaks à peupler l'Arc de la Caraïbe avant les Kalinagos. A partir de ce premier constat historique, il ne faut alors pas limiter la culture caribéenne comme étant africaine car c'est « une idée reçue que la culture dans les Caraïbes n'est qu'une variante de l'africanité, tant elle est riche d'éléments qui proviennent de l'heritage noir. »7. Bien que ces populations furent décimées massivement, des traces de leur culture persistent aux Antilles notamment avec les techniques

3 GLISSANT, Édouard. « Le Discours antillais », Paris, Gallimard, 1997, coll. « Folio essais », p. 848.

4 Nom donné à la Guadeloupe par les indigènes.

5 Nom donné à la Martinique par les indigènes.

6 MOREAU, Jean-Pierre. « Navigation européenne dans les Petites Antilles aux XVIe et début du XVIIe siècles. » Sources documentaires, approche archéologique. In: Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 74, n°275, 2e trimestre 1987. Economie et société des Caraïbes XVII-XIXe s. (1re Partie) pp. 129-148.

7SAINVILLE, Léonard. « Les fondements négro-africains de la culture dans les Caraïbes et la lutte pour leur

sauvegarde », Présence Africaine, vol. 101-102, no. 1-2, 1977, pp. 129-157.

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d'agriculture, les vestiges de leurs créations en céramique, de pierres sculptées ou encore d'argile.

En 1642, les français partirent dans une conquête d'exploitation des ressources naturelles et humaines. De l'Afrique de l'Ouest8 vers les Caraïbes, les européens ont alors déraciné massivement des individus dans le but de les soumettre à un système de domination reposant sur la culture de canne à sucre. Vers la fin du XVIIe siècle, ils étendirent leurs captations d'esclaves du Mozambique à l'Angola. Ce commerce, particulièrement gourmand, leur apporta une fortune en exportant les récoltes en Europe.

D'un besoin de main d'oeuvre peu coûteuse et d'un argumentaire reposant sur le désensauvagement des populations africaines jugées trop primitives, le commerce triangulaire vint arracher des millions d'hommes et de femmes du continent africain vers le Nouveau Monde. Cette mission civilisatrice, dissimulée sous des arguments tels que l'évangélisation, a eu un impact indiscutable sur la réorganisation de ces cultures. La nécessité de rendre plus dociles ces individus les ont fait cheminer dans les prémices d'une assimilation culturelle forcée. Au-delà des mauvais traitements physiques, de mauvais traitements psychologiques et une facture se sont opérés au sein de ces sociétés. Avec l'interdiction sous risque de mauvais traitements de parler sa langue d'origine, le système d'habitations d'esclaves mélangeait les familles et ethnies entre elles de manière à ce qu'il n'y ait aucun moyen d'intercompréhension possible. De plus, avec l'interdiction sous peine de mort de pratiquer son culte voire même de chanter et danser, ces territoires caribéens ont dû se restructurer. Tel est le résultat du Code Noir. La Guadeloupe, de surcroît, tout comme son île soeur, a dû se réadapter à un nouveau système, certes sanglant, de manière à ce qu'une nouvelle culture apparaisse. Entre le rejet imposé de l'africanité, l'assimilation à une culture européenne sous contrainte, et malgré tout, la lutte des esclaves à conserver par particules l'héritage de leur pays d'origine, le territoire guadeloupéen est un territoire pluriel.

Ainsi, la traite négrière durera jusqu'au 27 mai 1848 en Guadeloupe, date de l'abolition de l'esclavage. Il eut une première abolition en 1794 décrétée par la Convention pour que 8 ans plus tard, le système esclavagiste soit rétabli. Après 1848, toujours dans cette optique de briller économiquement grâce au marché de la canne à sucre, les békés9 sentirent le manque de main d'oeuvre à exploiter. C'est donc à cette même période, milieu du XIXe

8 Le Nigéria, le Togo, le Bénin, la Côte d'Ivoire notamment.

9 Nom des descendants de colons dans les Antilles françaises.

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siècle, qu'ils firent une campagne de ce qu'ils nommeront « l'engagement» jusqu'en Inde, notamment dans la région de Calcutta. Leurs contrats se basaient sur un engagement de cinq ans dans la culture de champs de cannes. La promesse de rémunération et de rapatriement à la fin de leur séjour de travail était un argument louable pour ces hommes et ces femmes. On remarque de cette manière que le système d'asservissement colonial persista toujours bien après l'abolition de l'esclavage et sous une autre forme beaucoup plus cadrée administrativement. Mais cela revenait au même au vu de la difficulté à s'adapter qu'ont pu éprouver les indiens dans ce qui deviendra, non pas leur territoire d'adoption, mais une véritable terre sur laquelle ils ont su s'ancrer. Les mauvais traitements physiques, et voire même, le fossé ainsi que le rejet alimenté par leur différence culturelle aussi bien du côté des afro-descendants que du côté des européens (exilés comme békés) se firent ressentir les premières décennies. Ainsi, les indiens ne furent pas rapatriés chez eux. Cette période d'embarcation vers les Caraïbes mais également vers la Réunion, Madagascar et Mayotte dura jusqu'en 1888. La Panse du Chacal, roman mêlant fiction et histoire de Raphaël CONFIANT, met bien en avant que les rapatriements ont été plus que rares et cela malgré l'achèvement de cette politique de déportation d'indiens. Finalement installés dans ce territoire sans la possibilité de retourner sur leur pays natal, ils ont dû repousser les barrières de la langue, des codes vestimentaires et leur mode de vie. Cela résulte au brassage culturel que nous connaissons maintenant des Antilles. Nous pouvons tout de même noter qu'à la fin du XIXe siècle, des engagés comptant de 600 Kongo10, 1 000 Chinois et 500 Annamites11 arrivèrent en Guadeloupe ainsi qu'en Martinique.

De cette manière, il y a eu beaucoup de contacts entre différentes ethnies. Il est question d'une culture multiple car : « il n'est pas difficile d'imaginer que la culture qui émerge de ces communautés multiraciales soit elle aussi composite, c'est-à-dire formée d'une mosaïque de valeurs et de pratiques différentes. »12. C'est inenvisageable de distordre la culture antillaise en l'examinant sous un seul point de vue européen, africain ou même asiatique. Néanmoins, bien que tous ces chapitres traumatisants prirent fin, il demeure un réel système de domination beaucoup plus subtile dans les Antilles françaises. Il s'agit finalement de l'héritage de ce système toujours présent. Quel est le moyen le plus efficace que l'éducation afin d'asservir psychologiquement un peuple ? C'est par le biais des écoles

10 Nom des engagés congolais déportés en 1848.

11 RACINE Daniel L, Dialectique culturelle et politique en Guadeloupe et Martinique, Présence Africaine, 1977/4 (N° 104), p. 7-27

12 ibidem.

13

qu'une éducation colonialiste naquit afin de mieux soumettre. Les enfants apprennent des réalités qui ne sont pas les leurs et l'enseignement laisse totalement de côté les particularités de leur territoire ainsi que celles de leur culture. L'instruction, de façon inadéquate, va calquer son système de formation et d'apprentissage sur la France avec la connaissance des quatre saisons, la géographie française, l'assimilation de classiques de la littérature française et de chansons comme seul et unique possible dans le prisme didactique. Se crée alors un véritable mimétisme culturel ombrageux et inadapté rejetant des réalités culturelles pourtant bien inscrites : la langue créole, les contes créoles issus de l'héritage africain, les spiritualités africaines et asiatiques (notamment l'hindouisme), les chants et sonorités afro-descendantes, les danses, etc. Finalement, cette citation à propos de la réfutation de la langue créole incarne réellement ce besoin d'exclure une certaine légitimité culturelle : « Nous pensons avec Dany Behelle-Gisler qu'en effet, les principales erreurs dudit inspecteur étaient, d'une part, qu'il n'y a que la culture française de valable, d'autre part, que le français est tout et le creole rien ; d'où l'exclusion de ce demier comme véhicule de connaissance, d'accession à la «culture authentique»! »13. La loi de l'assimilation de 1946, soutenue par Aimé CÉSAIRE (1913-2008) renforce ces enjeux. Rappelons celle-ci en ces termes d'après le fameux Article 1 de la loi n° 46-451 du 19 mars 1946 relatif à cette départementalisation : « Les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et la Guyane française sont érigées en départements français. »

Procès verbale 21 février 1946 dans l'article « 19 mars 1946, La République française prend des couleurs», Alban DIGNAT, 7 septembre 2019 C HERONET

13 ibidem.

14

Il est nécessaire de se rendre compte que cette loi en vigueur a bouleversé ces territoires tant à une échelle socio-économique qu'au niveau de la culture. En effet, il y a une volonté d'acculturation premièrement forcée qui s'est progressivement déployée et cela même dans ce contexte d'après-guerre. Les Antilles françaises, comptant parmi ce qu'on a appelé les 4 Vieilles Colonies aux côtés de la Guyane ainsi que de la Réunion, furent administrées par un Gouverneur sous un régime politique colonial. Ce dernier peut être considéré comme une prolongation d'un véritable système colonial où les insulaires sont considérés comme étant français mais sont, tantôt délaissés par la France puis ensevelis par des inégalités sociales. En effet, c'est aussi le résultat d'une hiérarchisation raciale avec la présence des békés, des mulâtres et indiens privilégiés à côté des noirs. En addition, les infrastructures et lois établies en hexagone étaient inexistantes sur ces territoires oubliés. L'enjeu de cette loi finalement est de jouir d'une reconnaissance en tant que citoyens français et non pas en tant que colonisés. Peu à peu, grèves et manifestations vont traverser la Guadeloupe ainsi que la Martinique afin de dénoncer les inégalités sociales qui persistent malgré tout par le biais de systèmes politiques et administratifs inadaptés aux réalités des territoires. Les promesses d'égalités n'ont pas été tenues.

Quelques années après, de 1963 à 1981, le BUMIDOM 14 a permis l'émergence d'une classe moyenne dans laquelle les antillais occupent des postes de fonctionnaires en grande masse. De l'autre côté, la classe bourgeoise antillaise réfute l'antillanité au profit d'un modèle européen qui s'alimente avec des départs vers une France hexagonale utopique. Celle qui a été représentée comme étant une terre capable de sortir les citoyens de leur précarité ou de leur ouvrir un avenir meilleur.

En ayant vu ces périodes traverser les Antilles françaises, nous pouvons dire que l'identité antillaise est un « un carrefour de civilisations » malgré les volontés de déculturation par les puissances coloniales. On ne peut nier les faits historiques qui ont finalement causé des contacts entre les diverses cultures. Ceci a résulté à la construction d'une culture à part entière et singulière. Il serait cependant nécessaire d'observer les différents champs de lutte dans la sauvegarde des rites et pratiques culturelles en Guadeloupe afin de percevoir les particularités du territoire.

14 Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre mer, un organisme public français ayant encadré les migrations des outre-mers vers l'hexagone.

15

b) Le folklore et l'eurocentrisme : entre rapports de force et acculturation

En anthropologie, le phénomène d'acculturation amène des questionnements liés aux notions de race, culture, domination, asservissement et de colonisation. Ce vocable a fait son apparition pour la première fois à la fin du XIXe siècle dans la pensée de John WESLEY. Il désignait au départ l'adoption et l'assimilation d'une autre culture. Au fur et à mesure, chercheurs et auteurs ont étendu cette notion dans la volonté de remettre en question les fondements d'une culture ayant été sujette à des interactions. J'ai notamment relevé les études des anthropologues tels que Melville HERSKOVITS (1895-1963) et Ralph LINTON (1893-1953). Ces réflexions ont notamment concerné les peuples anciennement dominés par les puissances coloniales. En effet, en se positionnant sur ce constat, l'eurocentrisme, qui part d'une volonté de rendre plus values et universelles les valeurs européennes, découle de ce processus. Il met en regard deux groupes d'individus de cultures différentes où l'une sera dans une approche moralisatrice et exemplaire tandis que l'autre sera dans une position de passivité et d'absorption. Un ressenti dans lequel, la culture dominatrice est civilisatrice et donc dans une légitimité à exercer sa force. C'est un tableau où sociétés « indigènes » se conforment à une société « élevée ». Ainsi, comme le relate Cécilia COURBOT : « (...) C'est dans ce contexte que le terme d'acculturation, alors fortement contaminé par une vision coloniale et raciste, devient si connoté qu'on lui préfère maintenant le terme « d'interactions culturelles »15 Ce véritable jeu périphrastique aspire à dissimuler, encore une fois, les paramètres et les conséquences d'un système colonial. Il s'agira selon cette pensée cahoteuse, plutôt, d'un dialogue entre des cultures et non pas d'un champ régi par des rapports de forces.

La culture antillaise a subi ce phénomène d'acculturation durant la traite négrière. Nonobstant, une particularité de ces sociétés insulaires persiste. Étant une culture récente bâtie à partir de plusieurs apports culturels, elle répond aux mécanismes de la créolisation. En nous rapprochant de sa définition linguistique où, il s'agirait du résultat de contacts de différentes langues, ce terme s'avoisine véritablement avec un concept d'interactions culturelles. Dans le domaine culturel, davantage dans un champ regroupant la langue, les pratiques artistiques, les croyances religieuses, etc., le cas des Antilles françaises a connu de véritables interactions avec d'autres groupes. Il n'est pas seulement question d'apports forcés

15 COURBOT, Cécilia. « De l'acculturation aux processus d'acculturation, de l'anthropologie à l'histoire. Petite histoire d'un terme connoté », Hypothèses, vol. 3, no. 1, 2000, pp. 121-129.

16

sous la domination coloniale, mais également d'une acclimatation avec des peuples déportés, migrants ou à la recherche de l'exil.

Il alors nécessaire de souligner que se développent des courants de pensée anti-colonialistes au sein des Antilles-Guyane, notamment grâce à des penseurs martiniquais qui vont diffuser leurs idées aussi bien dans la Caraïbes, dans les territoires d'Outre-Mer et qu'en hexagone. C'est donc dans les années 30 que se théorise la Négritude avec l'intellectuelle martiniquaise Paulette NARDAL. Elle sera reprise et introduite, à nouveau, de manière plus visible dans les écrits d'Aimé CÉSAIRE, Léon-Gontran DAMAS ainsi que Léopold SENGHOR. Cette notion conceptualise une pensée anticolonialiste ainsi qu'une prise de conscience: le fait d'être une personne noire et de surcroît afro-descendante. C'est la nécessité de se rendre compte de ses conditions, sa place dans la société et de ses spécificités aussi bien sociales que sur le plan historique. Finalement, il est question de se rendre compte de son Africanité 16 souvent mise en muselière au profit d'une Blanchité17. Par ailleurs, d'autres mouvements d'affirmation culturelle vont parcourir le XXe siècle. Une Indianité18 sera revendiquée dans les années 70 avec la prise de conscience des descendants d'engagés indiens. Enfin, sera théorisée la créolité théorisée par Edouard Glissant, pour être mise en valeur par la suite par Raphaël GLISSANT, Patrick CHAMOISEAU et Jean BERNABÉ par la publication en 1969 de Eloge à la créolité. Cette notion vient s'opposer à la négritude qui est finalement un des constitutifs de la culture antillaise : celle-ci ne se résume pas à une appartenance africaine mais à un brassage culturel multiple où se croisent des cultures variées. Nier cette spécificité serait nier le pouvoir du champ interactionniste qui a opéré durant ces siècles et également contredire l'hybridation culturelle spécifique aux cultures caribéennes. C'est avec ce paramètre que nous pouvons nous rendre compte que la créolité se manifeste comme un processus de défense où cultures indigènes et culture dominante vont coexister de manière à réinterroger les rapports d'asservissement. L'exemple de la quadrille est très évocateur. Danse sociale française du XVIIIe siècle, elle est exportée dans les Caraïbes et est toujours pratiquée de nos jours par les aînés. Elle emprunte des mouvements européens (avec une posture gardant une droiture ainsi que des codes de figures) et des mouvements de bassins afro-descendants. Cette illustration illustre la volonté des afro-descendants à garder leur singularité quand bien même les occidentaux avaient ce besoin d'imposer leurs pratiques culturelles. Comme a pu le faire figurer Jacques

16 Notion désignant ce qui est relatif à l'Afrique socio-culturellement

17 Notion désignant ce qui est relatif à l'Occident socio-culturellement

18 Notion désignant ce qui est relatif à l'Inde socio-culturellement

17

ADÉLAÏDE-MERLANDE en retranscrivant les témoignages du missionnaire Jean-Baptiste LABAT (1663-1778). Effectivement, il y a tout de même eu une forte capacité de la part des esclaves à assimiler une culture qui n'est pas la leur;

« Pour leur faire perdre l'idée de cette danse infâme, on leur en a appris plusieurs à la française comme le menuet, la courante, le passe-pied et autres, aussi bien que les branles et danses rondes, afin qu'ils puissent danser plusieurs à la fois, et sauter autant qu'ils en ont envie. J'en ai vu quantité qui s'acquittent très bien de ces exercices, et qui avaient l'oreille aussi fine et les pas aussi mesurez. que bien des gens qui se piquent de bien danser. » 19

De plus, le livre Les Marrons Syllabaire de Jean FOUCHARD publié en 1988 évoque aussi cette souplesse qu'ont eu les esclaves des Caraïbes à apprendre à jouer à la trompette, au violon, au cor, etc. Ces instruments européens importés dès le XVIIIème siècle ont également été des outils de recculturation coloniale afin de civiliser les afro-descendants.

Toujours dans cette volonté civilisatrice, les esclaves étaient formés par des pratiques théâtrales européennes. J'ai trouvé pertinent d'étudier cette discipline sous cette période car elle est très révélatrice pour cette partie qui s'appuie sur les notions de folklorisme et d'eurocentrisme. Ainsi, emportés au milieu du XVIIIe siècle, ces répertoires de classiques français étaient un moyen de propager les spécificités de la culture occidentale et de l'assimiler. Cela constitue de véritables divertissements pour les colons ainsi que pour les commerçants blancs demandeurs d'un dynamisme en termes de vie culturelle. Ils étaient certainement nostalgiques des cours européennes. Ainsi, les esclaves étaient emmenés à mimer et à s'adonner aux jeux des acteurs français. Ces derniers se présentaient comme étant des exemples à suivre dans cette politique d'assimilation. Notons alors que c'est particulièrement à Saint Pierre, ancienne capitale de la Martinique, que se produisaient en grande partie ce type d'évènements, selon l'ethnologue spécialisé en musique Jacques ROSEMAIN. De ce fait, la vie théâtrale européenne rayonnait de manière considérable en ce lieu de façon à ce Saint Pierre soit considéré comme étant la capitale culturelle et artistique des Antilles avec Port-au-Prince à Haïti. Entre cultures folkloriques et cultures savantes, la place du théâtre avait une place se voulant privilégiée au sein de ces anciennes colonies. Les colons voyaient un grand intérêt à bâtir des constructions dédiées aux spectacles afin d'avoir des points de diffusion et de représentation de la culture française:

19 ADÉLAÏDE-MERLANDE, Jacques. (1999). « Problématique d'une histoire de la fête aux Antilles françaises: de la fête Caraïbe à la fête républicaine ( xviie

siècle...1849) ». Bulletin de la Société d'Histoire de la Guadeloupe, 2000, pp. 21-32

18

« Le théâtre est à son apogée dans les colonies avant la Révolution française et les conventions métropolitaines y sont scrupuleusement imitées jusque dans le choix des bâtiments : en 1780 est édifié à Pointe-à-Pitre un théâtre arborant les bustes de Molière, Corneille et Racine tandis que s'érige en Martinique à Saint-Pierre en 1786 (...) ». 20

Ces activités et lieux tendent au fur et à mesure des décennies suivantes à s'effacer à cause des troubles causés par les marrons 21 :

« Des pièces et des opéras y sont régulièrement joués ; des bals de carnaval sont également célébrés dans ce théâtre où se tiennent parfois des réunions politiques. À la fin du XVIIIe siècle, les troubles révolutionnaires réduisent très nettement l'activité théâtrale : quelques comédiens royalistes font de brefs passages en Martinique cependant qu'en Guadeloupe les représentations du théâtre de Pointe-à-Pitre, édifié en 1780, sont suspendues et remplacées par le « spectacle » des colons guillotinés par les Républicains«. » 22

On remarque alors que la place de ces pratiques culturelles européennes voulues comme étant dominantes n'a pas survécu matériellement. L'idée que ces dernières soient plus values et légitimes d'exister resteront cependant dans les imaginaires coloniaux.

Manifestation de musiques afro-descendantes aux Antilles françaises à l'époque coloniale (c) Archives départementales de Guadeloupe

Ajoutons qu'il existait cependant bel et bien des danses et médiums artistiques afro-descendants que les esclaves conservaient et transportaient avec eux malgré leur

20 BÉRARD, Stéphanie. « Petite histoire du théâtre francophone et créolophone : de la scène coloniale aux dramaturgies antillaises contemporaines», Africultures, vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 24-29.

21 Nom donné aux esclaves fugitifs en Amérique et dans les Caraïbes.

22 Ibidem.

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déracinement jusqu'aux Amériques. Le gwo-ka, manifestation immatérielle de la guadeloupéanité en est un élément important de cette dernière. Sous ce vocable se hisse un rassemblement d'arts afro-descendant multiple : entre chant, conte, danse et musique toujours rythmé au son de famille de tambours que l'on nomme ka. D'après les récits des colons, ces pratiques musicales se manifestaient lors de rassemblements et de rondes festifs d'esclaves sous l'appellation de bamboula ou encore gwo tanbou. Avec un choeur qui se calque au répondè (répondeur en français) donnant le ton et les paroles, les danses et les percussions sont improvisées bien qu'elles répondent à un répertoire de 10 rythmes.

Cet héritage afro-descendant demeurera pendant un moment malheureusement dévalorisé. Les spécificités des personnes afro-descendantes ont été mises sous silence et dans une invisibilisation forcée créant alors des champs de lutte entre eurocentrisme et créolité. L'esthétique des danses et musiques, après 1848, sera considérée comme mauvaise et folklorique. Les pratiques culturelles seront réduites aux personnes venant de la campagne et marginalisées. C'est à partir de 1946, avec la loi de la départementalisation que ces traditions afro-descendantes seront remises au goût du jour avec le tourisme de masse. L'intérêt est de divertir les touristes et de les attirer tout en créant un imaginaire sur le territoire, aussi bien en Guadeloupe qu'en Martinique. Cependant, les images renvoyées aux Antilles se lient étroitement à une exotisation malsaine que des auteurs martiniquais tels que Suzanne CÉSAIRE et Raphaël CONFIANT vont qualifier de « doudouisantes ». Cet amas de stéréotypes culturels va être un combat et une lutte menée par les mouvements anti-colonialistes antillais. Les hexagonaux ne voyaient en ces territoires que par leurs bienfaits divertissants, exotiques et pittoresques.

En ayant observé la présence du gwo-ka en Guadeloupe, il est important d'aborder les épisodes qui ont marqué les années 60. En effet, la redécouverte de danses traditionnelles avec la gwoka mais surtout des danses martiniquaises telles que le danmyé23 ou le bèlè24 est un des éléments qui va matérialiser un besoin d'émancipation à l'acculturation. Ces pratiques culturelles sont mises à bas par l'élite noire, que l'on qualifie d'assimilées, et les békés qui les jugeaient néfastes. Afro-descendantes, ces pratiques sont considérées comme émanant des « cultures populaires ». Ces manifestations culturelles subissent un regard méprisant des classes privilégiées qui vont même les considérer comme étant « subalternes ». L'enjeu va être de revaloriser le patrimoine caribéen issu de cultures afrodescendantes et de lutter contre

23 Danse de combat martiniquaise afro-descendante similaire à la capoeira.

24 Pratique artistique martinique afro-descendante qui entrecroise danse, chant, musique et conte.

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l'acculturation, amie du colonialisme. Les groupements anti-colonialistes et des associations culturelles vont essayer de valoriser au mieux ces pratiques en s'axant sur leur symbolique et leur historique comme le souligne l'auteur de cette citation25 : « Pour ces jeunes militants, la « musique des mornes » constitue une source d'inspiration qu'ils identifient aux nègres marrons qui, réfugiés dans les collines et les moyennes mon- tagnes pour échapper à l'esclavage, maniaient le tambour pour transmettre leurs messages. ». Le vocable musique de mornes renvoie aux hauteurs dans lesquelles les marrons, figures de révoltés afro-descendants, allaient se réfugier afin de préparer leurs attaques et fuites. Ainsi, cet héritage est très important dans les cultures caribéennes :

« Les chants et les danses bèlè sont construits comme des actes de résistance culturelle et politique, au point de confondre le paysan des mornes et l'esclave fugitif dans un même personnage mythique pour lequel s'imagine la litanie de l'esclave, celle qui lui aurait permis de se libérer du système esclavagiste au moyen de la puissance des rythmes du tambour, tant sur le plan spirituel que sur le plan physique »26.

Exclure cet élément culturel reviendrait à rompre avec les actes de résistances au-delà d'une négation de pratiques dites de mornes. Nous pouvons également noter que ces appellations furent attribuées dans un aspect absolument négatif de la part des occidentaux.

Ainsi, au sein de ce paradigme de mondialisation contemporaine, la créolisation n'a en effet pas été épargnée par les affects de l'acculturation. Il y aurait un plan sur lequel se tient ce processus comme l'explique l'article Stratégies d'acculturation : cause ou effet des caractéristiques psychosociales ? L'exemple de migrants d'origine algérienne de René MOKOUNKOLO et Daniel PASQUIER à travers cette citation : « Quatre stratégies d'acculturation en découlent, à savoir : l'assimilation, l'intégration, la séparation et la marginalisation. Lorsque les migrants adoptent des éléments de la culture d'accueil et s'éloignent de ceux de leur culture d'origine, il s'agit de l'assimilation. ». Pouvons-nous, dans le cas des Antilles françaises et de surcroît, de la Guadeloupe, parler d'une assimilation culturelle en prenant en compte les revers de la créolisation ? Selon Edouard GLISSANT, pionnier du mouvement de la créolité, la culture antillaise serait une culture composite ayant connu le passage d'autres cultures. Cependant, d'après l'auteur, il n'est en aucun cas question d'altérer la culture de ces individus de sa substantifique moelle car tous ces épisodes de

25 RACINE Daniel L. « Dialectique culturelle et politique en Guadeloupe et Martinique », Présence Africaine, 1977, p. 7-27.

26 Ibidem.

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dominations, déportations et migrations ont contribué à la construction d'une culture et de pratiques culturelles propres au peuple antillais.

D'un autre point de vue, pour certains caribéens, affirmer ce mécanisme serait aussi affirmer l'humiliation subie du fait de la colonisation. Ils sont donc amenés à être dans des situations de combat. La culture créole connaît différents folklores et influences se partageant entre les colonisateurs européens et les indigènes (esclaves africains, indiens engagés, engagés Kongo). Cette diversité, finalement vécue comme étant écrasante, est difficile à faire coexister car il faut affirmer ces deux pendants. Un enjeu se dresse alors : s'émanciper de cette culture imposée sous couvert de se faire traiter d'aliéné. D'un côté, les caractéristiques diverses et riches de cette culture sont portées fièrement par une partie de la population et d'un autre côté (même si cette partie demeure minoritaire), elles sont vécues comme étant un mauvais souvenir.

c) La question de la réorganisation d'une société caribéenne plurielle

La réorganisation des territoires des Antilles françaises va de pair avec celle des pratiques culturelles. Il s'agit donc de faire coexister ces éléments dans un contexte qui n'est pas favorable au développement d'une culture de sauvegarde. De plus, comme nous l'avons vu, le peuple antillais est récent. Leurs spécificités ont été bâties à partir de couches successives d'évènements historiques ainsi que l'arrivée de populations diverses. Il est certain que la problématique où il faut faire coexister cette pluralité culturelle est importante. Dès lors qu'une perception mosaïque émerge, de nouveaux paramètres quant à la perception du monde de ces peuples s'activent. Il semble donc incohérent d'observer la Guadeloupe, tout comme la Martinique d'un point de vue homogène.

Pour aller plus loin, nous pouvons certainement parler d'une crise identitaire en s'appuyant sur un phénomène de dépossession de soi. Encore une fois, la Guadeloupe et la Martinique sont constituées de différentes couches culturelles de peuples déportés et immigrés. De cette manière, il y a déjà eu un effort à fournir afin de trouver un équilibre tout en sachant que les derniers peuples arrivants ont été les congolais, chinois, vietnamiens, laotiens, les libanais et syriens à la fin du XIXe siècle. Le point commun rassemblant ces populations est d'ordre géographique dès lors qu'ils tentent de s'intégrer comme ils peuvent

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au territoire d'arrivée. Un phénomène de dépossession progresse autant du côté des peuples déportés et que les peuples immigrés : les valeurs ancestrales ont été laissées dans leur pays d'origine. En associant des groupes n'ayant pas les mêmes pratiques, des interrogations d'ordre identitaire fusent. Ainsi, comment gérer ce multiculturalisme sur un si petit territoire ? La créolisation a été, comme nous l'avons vu, une réponse face à ces bouleversements sociaux. Toujours est-il que des problèmes de reconnaissance et de positionnement par rapport à une France hexagonale coloniale ont ébranlé les consciences. La catégorisation de ces peuples restaient alors flou : pour citer un exemple, les engagés indiens n'auront accès à la nationalité française qu'en 1923. Cependant, le système politique colonial sous lequel sont placées la Martinique ainsi que la Guadeloupe laisse tout de même un sentiment d'étrangeté au sein des populations encore une fois victimes d'inégalités sociales malgré un attachement, bien que inconstant à l'hexagone.

Si nous ajoutons l'intégration de la politique d'assimilation en 1946, il est indéniable que cette dernière a eu un impact considérable sur le développement socio-culturel des Antilles françaises. Mais il est important de prendre en compte que cette assimilation a eu lieu dans les Antilles françaises dès la création de la Charte de Richelieu de 1635, celle qui stipule que « tous les habitants des isles sont français ». Toujours dans cette même idée de calquage, la Jurisprudence générale du royaume en matière civile, commerciale et criminelle, de 1745 affirme que « les colonies doivent se conformer à la coutume de Paris ». Il s'agissait dès lors de mener une vie semblable aux codes métropolitains sans jouir des mêmes droits sociaux.

La nouvelle loi de 1946 est pensée comme étant un ajustement politique et social. Quand bien même il est question d'un nouveau chapitre entre les outre-mer et l'hexagone, son appellation a suscité des réactions comme celle d'Aimé CÉSAIRE : « Qu'est-ce-que l'assimilation ? (...) C'est une doctrine politique et philosophique qui tend à faire disparaître les particularités propres à un peuple et à tuer sa personnalité. Eh bien, je le dis tout net : l'assimilation ainsi entendue et ainsi définie, je suis contre l'assimilation »27. En effet, le terme assimilé est renvoyé à une idéologie dégradante, uniformisante sur un certain modèle auprès de territoires ayant déjà leurs particularités. C'est pour cette raison que nous parlerons plus tard d'une loi de départementalisation. Cette politique a été voulue comme étant un nouveau souffle, néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que cette décision a solidifié les

27 Propos tenus après sa rupture avec le Parti Communiste en octobre 1956.

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rapports de dépendance de ces territoires insulaires envers la France hexagonale. Entre exportation alimentaire massive, calquage des réalités socio-culturelles hexagonales, une volonté d'unification est perceptible. Sans doute, la question de légitimer la soumission culturelle et sociale de ces peuples à un modèle français trouve ses éléments de réponse dans cette catégorisation de « départements français ». Dès lors qu'il s'agisse de départements français « à part entières », les puissances politiques concentrées en France hexagonale voient un intérêt d'assimilation culturelle et non pas seulement politique. Selon la définition du CNRTL, la notion sociologique du terme assimilation se définit en ces termes : « Processus par lesquels un groupe social modifie les individus qui lui viennent de l'extérieur et les intègre à sa propre civilisation. ». Nous pouvons nous rendre compte que l'assimilation tient à ajuster, voire estropier les spécificités des individus afin de les faire intégrer un environnement régi par des codes plus ou moins semblables. Encore une fois, il est question d'une perception du monde imposée sous le motif d'une citoyenneté et d'un besoin de reconnaissance sur un pied d'égalité.

La réorganisation sociale de la Guadeloupe ainsi que de la Martinique a été semée d'embûches dès les épisodes de la colonisation. Malgré cette politique de départementalisation mettant fin à un régime colonial, des auteurs tels que Patrick CHAMOISEAU vont tout de même exprimer qu'il s'agit « (...) d'une forme de colonisation plus cruelle, laquelle a conduit à l'anéantissement de l'être antillais par un procédé d'aliénation culturelle »28. Cette politique aurait en plus de cela été un moyen d'étendre un eurocentrisme où la culture française serait plus-value que celle du martiniquais et du guadeloupéen. De plus, l'auteur ajoutera « La départementalisation nous sépara de nous-mêmes. Le soutien au `Développement' (mot-culte) suscita l'extinction des esprits autonomes »29. En effet, quelles perspectives de développement culturel peuvent subsister dès lors que l'on impose à un peuple pluriel un système de valeurs ethno-centrées ? Patrick CHAMOISEAU souligne alors un processus de dépossession qui n'a cessé d'accroître au fur et à mesure des épisodes allant des plantations jusqu'au BUMIDOM. En prenant en compte ces constatations, une main reste apposée sur le fonctionnement de ces territoires. Lionel ARNAUD explique tout aussi bien dans son article en s'appuyant sur la Martinique, cette idée selon laquelle les habitants se voient fragilisés par le phénomène d'acculturation: « (...)

28 CAMARA, El hadji. « Les Antilles françaises et la départementalisation : de la domination « silencieuse » postcoloniale à l'aseptisation identitaire chez Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau. Voix plurielles, 2020, pp. 139-150

29 Ibidem.

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ce n'est plus le colonisé en tant qu'homme qui se trouve dévalorisé, mais davantage le patrimoine culturel dont il est le produit. Un phénomène aggravé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale par une politique de « développement » sans croissance appuyée par l'arrivée massive de produits venus d'ailleurs, l'avancée inexorable des zones commerciales, l'omniprésence de la télévision dans les foyers. »30. De cette manière, les différents mouvements ayant parcouru l'histoire des Antilles françaises ont perturbé le développement du patrimoine culturel des individus.

Toujours dans cette pensée de dépossession, Edouard GLISSANT souligne cette notion d'homme universel31 faisant face à celle de l'homme pluriel32. Ces deux figures schématisent donc la volonté d'assimilation aux revers ethnocentriques auprès de l'Autre possesseur de son individualité. Cette dernière va s'affaiblir, peu importe la richesse de ses constituants identitaires. Une réorganisation doit donc opérer, et, selon l'auteur, elle serait possible par la Relation 33 entre ces deux figures sans pour autant tomber dans un écrasement. Il s'agirait alors de reconnaître les différences de chacun, un processus par lequel le multiculturalisme n'est plus ennemi mais un réel composant de la société voulue.

En effet, d'après l'article de El Hadji CAMANA sur la départementalisation des Antilles françaises, le processus de créolisation « suppose que les éléments culturels mis en présence doivent obligatoirement être `équivalents en valeur' pour que cette créolisation s'effectue réellement »34. Il est toujours question de cette mise à un pied d'égalité, mais la subtilité réside dans le fait que cette égalité n'extrait en aucun cas les particularités propres aux antillais. Ces dernières sont à prendre en considération dans leur intégralité et de manière à légitimer leur existence : c'est de cette façon que nous parviendrons à réorganiser ces sociétés d'un point de vue culturel et social. Aucune pratique ou vision du monde ne devrait être plus value qu'une autre. L'union ne devrait donc pas s'établir par le biais d'une unification mais plutôt par une prise de conscience de ces différences.

30 ARNAUD Lionel. « De la résistance culturelle à l'action par et sur la culture en Martinique. Éléments pour une analyse des mouvements culturels », Sociologie, 2022, pp. 361-379

31 Ibidem.

32 Ibidem.

33 Ibidem.

34 Ibidem.

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II. Aménagement culturel et expressions

artistiques en Guadeloupe

a) De la stigmatisation à la réappropriation

La danse, la musique et les manifestations artistiques telles que le théâtre et les contes sont, comme nous avons pu le remarquer, prépondérantes dans les Antilles françaises. Le spectacle vivant tient donc une place importante avec des spécificités propres au processus de créolisation. Après avoir questionné les problématiques de l'eurocentrisme aux côtés de ce qui est et a été considéré comme étant folklorique, il est question dans cette partie d'examiner les dynamiques culturelles propres à l'archipel guadeloupéen. De quelle façon se manifestent-elles sur un territoire où s'opèrent de véritables luttes ? Quels en sont les résultats au niveau des dynamiques territoriales ? Afin d'élargir cette réflexion, il est intéressant d'aborder une nouvelle fois le cas du théâtre antillais. En effet, bien que l'une de ses spécificités est d'avoir été emporté par les colons durant le XVIIe siècle, il est tout aussi caractéristique de son bassin caribéen. Étant une pratique étroitement proche des codes de la tradition orale afro-descendante, nous remarquons que cette réappropriation du théâtre s'explique par la présence des contes. Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT le soulignent également dans leur ouvrage Lettres créoles : tracées antillaises et continentales de la littérature, 1635-1975 :

« De toute éternité, sitôt après l'effondrement des habitations, la saynète, petite comédie quasi spontanée, avait fait son apparition dans les lieux de la vie collective : marchés, presbytères, salles paroissiales, petits spectacles de quartiers, fêtes scolaires... Tout un chacun y participait, enfants et grandes personnes, dans un mélange naturel de créole et de français; et les occasions de saynètes étaient nombreuses. [...] D'où provenait la saynète ? Du conteur bien sûr.»

Au-delà des pièces importées d'un répertoire français et imposées pour un mimétisme culturel, il existait réellement des pratiques théâtrales créoles, bien que spontanées. Ces pratiques déambulantes et présentes dans les champs de cannes s'inspirent des codes du conte antillais en y reprenant aussi le créole en tant que langue d'interprétation. L'oralité et la mise en scène permises dans ces deux champs de création expliquent cette souplesse qu'ont eu les antillais à s'approprier le théâtre. Ce sont pour ces raisons qu'il n'existe pas de traces écrites témoignant ces évènements en dehors des pièces de théâtres européennes.

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Cependant, durant le XIXe siècle, la production théâtrale diminue en Guadeloupe ainsi qu'au sein de son île soeur. Pour cause, une montée de maladies virales ne cesse d'accroître sur les deux territoires empêchant alors l'activité des comédiens sur scène. Malgré ces difficultés, les colons parviennent à introduire une nouvelle écriture théâtrale sur la base d'un critère inédit : une écriture en créole. L'un des dramaturges les plus connus implanté en Guadeloupe fut le français Paul BAUDOT, qui, au XIXe siècle réécrivait des classiques en langue créole. La motivation principale était de divertir les cours bourgeoises demandant de l'exotisme.

Il est tout de même observable qu'au début du XXe siècle, toujours dans l'archipel guadeloupéen, le théâtre créolophone détient toujours une place indéniable. Ce dernier se porte comme revendication identitaire. Il anime le besoin de rompre avec les chaînes d'une acculturation en se saisissant d'un médium artistique qui s'est imposé de force. La comédie est le genre privilégié à Pointe-à-Pitre avec un répertoire de classiques français transposés en langue créole. Malheureusement, dans les années 50 la troupe française de Jean GOSSELIN va venir entraver les ambitions du théâtre créolophone. En jouant des pièces de théâtre d'un répertoire parisien en Guadeloupe et en Martinique. Ces actions vont de pair avec la politique d'assimilation voulue et renforcée depuis 1946. Les associations et compagnies de théâtre locales se dissipent peu à peu dans l'obscurité. Le théâtre devient une pratique et un divertissement tourné principalement pour une élite bourgeoise privilégiée dans un contexte où inégalités sociales règnent dans les Antilles françaises. Les répertoires en créole vont davantage susciter l'attention de classes populaires dans les communes rurales avec des initiatives comme les après-midis culturelles. Avec des jeux d'improvisations totales, ces pièces de théâtres n'auront malheureusement que peu de traces écrites. Il faudra attendre le milieu du siècle pour observer la croissance d'un théâtre antillais avec des auteurs guadeloupéens et martiniquais dont le célèbre Aimé CÉSAIRE. Ce temps marque une affirmation et une présence car ces auteurs vont exprimer dans leurs écrits des revendications liées à des problématiques sociales et politiques propres à leurs réalités. Il n'est plus question de se calquer aux canons français : d'après Stéphanie BÉRARD dans son article Petite histoire du théâtre francophone et créolophone de la scène coloniale aux dramaturgies antillaises contemporaines, ce théâtre finalement:

« est aussi l'agitation qui règne à cette époque sur la scène sociale et politique antillaise les grèves, les manifestations étudiantes et ouvrières se multiplient et mettent en lumière le mécontentement grandissant d'une population déçue par la départementalisation

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et par la France qui pratique une politique d'assimilation sans tenir compte des spécificités culturelles, linguistiques, économiques et sociales des îles.».

Au-delà d'être un médium artistique et culturel, le théâtre dans les Caraïbes françaises des années 60 se mue en une arme de dénonciation.

Soirée léwoz,

Article Et revoilà le temps des « léwòz » en Guadeloupe par Yvor J. LAPINARD, 14 avril 2023 C France-Antilles

Ces mouvements anti-assimilationnistes se sont nourris, à la même période, par la pratique du gwoka en Guadeloupe. Souvent rattaché au domaine des champs de cannes et des faubourgs, ce médium artistique s'apprête en une arme d'affranchissement culturel et de revendication identitaire avec la création d'espaces. Les lieux de performances existaient déjà depuis la période coloniale avec : l'espace urbain et les soirées léwoz traditionnelles et particularisées en Guadeloupe. La rue se manifeste comme un environnement propre au phénomène de reculturation en Guadeloupe avec la production, l'écoute et la pratique musicale. Ces éléments témoignent et révèlent la relation qu'entretient le peuple avec sa culture : il y a une notion de liberté qui se dégage avec l'expression de l'individualité possible avec le contact à l'autre, la vie en communauté. Ces moments de vie culturelle sont possibles grâce à la classe ouvrière des années 60 ainsi que les classes les plus modestes car rappelons-le, les classes bourgeoises voyaient d'un mauvais oeil les pratiques culturelles afrodescendantes. C'est ainsi que ces classes sociales vont se comporter en de véritables leviers en faveur de la diffusion culturelle notamment dans les espaces publics (la rue notamment). Ils sont réinvestis et repensés de manière symbolique : les personnes de grands mornes ont finalement eux aussi droit d'exprimer leur identité culturelle et de faire valoir celle-ci dans l'espace public, qu'il s'agisse aussi bien du centre ville ou bien de zones rurales.

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Ces lieux sont donc très importants en Guadeloupe notamment dans l'univers gwoka. Des associations d'apprentissage ont par la suite commencé à s'implanter sur l'archipel, permettant la pérennisation de cet univers et une transmission vers les jeunes générations. C'est par ce processus que le champ politique s'est armé du gwoka avec l'émergence des manifestations sociales rythmées par celui-ci. Ces nouveaux éléments constitutifs du gwoka sont à l'origine d'une expression contemporaine pas seulement rattachée aux systèmes de la canne à sucre. L'ajout de tels paramètres confirment l'idée que BOURDIEU avait de la notion de « mouvement culturel ». Il désigne alors divers courants artistiques dans le domaine académique : la peinture, la littérature, la musique etc. Il existe cependant, selon l'auteur et son texte Les Règles de l'art, un art social venant de mouvements culturels. Il se détache de l'Etat et se soucie du peuple. L'art peut alors prendre des positions politiques comme nous pouvons le constater avec le théâtre et le gwoka.

Si le contexte socio-historique des Antilles françaises a fortement influencé le rapport à la culture, il n'en est pas moins du tourisme. De la date de la départementalisation à 1971, un véritable plan de politique touristique se dessine dans un besoin de développer la Guadeloupe. Ces actions s'accompagnent d'installations d'équipements touristiques et d'hôtels performants. De ce constat, une volonté d'ouvrir et de développer une attractivité d'une part d'un point de vue national puis international est caractéristique de cette période car un tourisme de masse est notable des années 90 aux années 2000. Il va favoriser la pratique de ce qu'appelle Monique DESROCHES le spectacle touristique35 avec l'émergence de scènes musicales dédiées au divertissement des visiteurs sur l'archipel. Le gwoka est ainsi encore une fois mis au devant de la scène mais également la kalenda, danse afro-descendante associée à la fertilité. Encore une fois, il y a un déplacement symbolique: ces deux pratiques empreintes spirituellement et associées aux plantations se déplacent dans un environnement de divertissement. Dès lors, une nouvelle trajectoire est donnée aux pratiques culturelles traditionnelles guadeloupéennes.

35 MARCOUX-GENDRON, Caroline. « Compte rendu de Monique Desroches Territoires musicaux mis en scène. » Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal. Intersections, 2011, p. 139-146.

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Pochette disque Groupe Folklorique Martiniquais

Danseurs et musiciens sont engagés par les offices du tourisme dans le but d'augmenter l'attractivité du territoire auprès des vacanciers. Nous pouvons citer en Martinique, le Groupe folklorique martiniquais, qui, comme le fait présager de son appellation, nourrit finalement une image doudouisante des danses antillaises. Cette nécessité d'attiser l'intérêt et l`émerveillement des touristes fut totalement intéressée même si ces actions ont contribué à la réhabilitation de ces danses dites de vyé nèg36 dans des espaces accueillant le plus grand nombre. Il s'agissait cependant bel et bien d'une tourisficiation d'une culture considérée comme étant indigène : un imaginaire colonial avec des minorités se prêtant en spectacle, présentées en tenues traditionnelles et accompagnées de chansons clichées sous les cocotiers.

Néanmoins, afin de mettre en avant les pratiques culturelles issues de la traite négrière sur un territoire insulaire, il faut passer par la reconnaissance auprès des institutions politiques. Le Ministère de la Culture et la Direction des Affaires Culturelles contribue au rayonnement de pratiques culturelles de manière symbolique avec des subventions. Le maintien des pratiques artistiques dans l'espace urbain émane en effet d'une continuité historique mais aussi d'un manque d'infrastructures dédiées. Ne pas mettre en valeur le patrimoine caribéen, ni même investir en ces fins accentue un phénomène d'exclusion dans la scène culturelle. Les Antilles, dans ce cas-là, ne sont que des admirateurs passifs d'une

36 Vieux nègre en créole.

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diversité de productions artistiques et culturelles présente hors de leur territoire: c'est comme si on leur ôtait la parole pour n'être que des spectateurs. Une remise en question de la légitimité s'opère. En partant de ce postulat, la volonté est de faire des Antilles un point de relais de la culture française en niant en partie les traditions afro-descendantes de ces territoires. Ainsi, dès les années 60 afin de contrer les politiques d'assimilation bien installées, les habitants et professionnels vont oeuvrer pour la visibilité et à la transmission de pratiques artistiques et culturelles avec la création de structures mais surtout d'associations.

b) La création d'espaces pour un spectacle vivant guadeloupéen : contrer les institutions culturelles et affirmer sa légitimité

Comme nous l'avons partiellement vu, le manque d'infrastructures dédiées à la culture en Guadeloupe va nourrir ce besoin de s'affranchir des institutions culturelles que l'on va considérer comme étant légitimes. Avec un réel manque de salles de production et de diffusion comme les théâtres, salles de concerts, opéras, etc., les habitants se retrouvent extorqués de lieux d'expression artistique divers bien qu'il existe des lieux que nous verrons dans la troisième partie de ce mémoire. Les espaces restent cependant limités.

La création d'espaces est alors nécessaire. Sans espaces de production, les pratiques culturelles sont dissimulées au plus grand nombre. Un lieu d'exploitation de spectacles voire même d'éducation artistique permet de nourrir un lien avec les habitants et leur culture locale. Il mobilise des individus munis de conscience et attise dans une certaine mesure une sensibilité et une curiosité. C'est donc, en un sens que les espaces d'expressions viennent interroger le rapport qu'entretiennent les institutions culturelles avec les mouvements culturels. Ces derniers se définissent selon Lionel ARNAUD comme étant une « volonté de mobiliser et d'organiser de façon concertée et stratégique une variété de ressources humaines, techniques et financières, doublée d'une transmission méthodique d'un ensemble de manières d'être, de penser et de sentir. »37. Les mouvements culturels constituent donc l'identité d'un groupe d'humains. En partant suivant l'idée qu'il s'agirait d'un ensemble de manières de pensées : les pratiques culturelles d'un groupe donné peuvent s'exprimer dans un espace que lui-même aura désigné. Ce procédé réinterroge alors les espaces dédiés à la

37 ARNAUD Lionel. « De la résistance culturelle à l'action par et sur la culture en Martinique. Éléments pour une analyse des mouvements culturels », Sociologie, 2022 (Vol. 13), pp. 361-379.

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culture : nous nous rendons compte que ces derniers peuvent faire sens hors-les-murs. De plus, comme le développe l'article du même auteur, les espaces élitistes dédiés à la culture, bien que le Ministère de la Culture et de la Communication tende à démocratiser l'accès à ceux-ci, apparaissent comme inaccessibles pour les publics marginalisés. Qu'il soit question d'âge, de classe sociale, de genre ou même de leur couleur de peau. Il y a un réel sentiment d'illégitimité qui se dégage sur une population comptant 34% d'individus vivant sous le seuil de pauvreté contre 14% en Hexagone en 2017 selon l'étude de l'INSEE38. Ces chiffres restent tout de même récents et révélateurs de la situation de la Guadeloupe.

En faisant interagir ces éléments ensembles, il est indéniable que les manières de vivre et de concevoir le monde sont réécrites afin de pouvoir espérer un moyen de survie. L'espace public comme lieu de création et de production ouvre aussi une diversification des publics où les générations se mélangent. Ne perdons pas de vue que la famille est une notion importante dans ces sociétés. Un lien intergénérationnel se tisse de la même manière que l'art vient au public : ce dernier fait partie de la création artistique car il est souvent inclus par la danse, la musique et les interactions entre conteur et public dans la sphère des contes.

La manifestation de ces évènements culturels en dehors des sphères dites élitistes s'établissent en majorité avec des codes. Tel est le cas pour les swaré léwoz, élément incontournable de l'univers gwoka. Ces soirées avaient autrefois lieu le dimanche, de manière clandestine durant la période de l'esclavage. Néanmoins, elles ont été reprises post-esclavage le vendredi et le samedi soir lors de fêtes communales et patronales sur la Grand-Terre et la Basse Terre en grande partie. Étant ouvertes et gratuites à tous, elles ont lieu dans des salles closes ou des lieux ouverts dédiés.

L'île soeur, la Martinique, se prête de son côté depuis les années 70 à des swaré bélè. Elle naquirent de la volonté de militants anti-assimilationnistes martiniquais qui voyaient une nécessité à reconnaître le monde négro-martiniquais. Ce souhait reflète en effet le besoin de légitimité à appartenir à un patrimoine culturel reconnu et à part entière. Dans la même veine que les swaré léwoz, ces soirées bèlè régissent à des codes : elles commencent le samedi soir dans une salle des fêtes. Ces moments de vie culturelle apparaissent dans des lieux que l'on va considérer comme étant « non dédiés à la culture ». Pourtant, la mobilisation de publics et

38 Études officielles de l'INSEE, 12 % des Guadeloupéens en situation de grande pauvreté en 2018, 11 novembre 2022 https://www.insee.fr/fr/statistiques/6468373#:~:text=En%20Guadeloupe%2C%2034%20%25%20de%20la,%C3 %A0%2014%20%25%20en%20France%20m%C3%A9tropolitaine

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l'existence de pratiques artistiques pérennes ont été possibles par l'investissement dans ces espaces.

Un bon nombre de paramètres est à prendre en compte dans cette nécessité d'affranchissement. J'ai tenu aussi à noter l'hétérogénéité de l'archipel constitué de plusieurs îles mais aussi de zones rurales importantes autour de Pointe-à-Pitre et Les Abymes. Ces enclavements ont résulté à la préservation de pratiques culturelles car ils constituent un mode organisationnel d'une société. Les plus aisés vont se situer dans les mêmes zones tandis que les groupes sociaux issues de classes populaires et marginalisées vont graviter également dans les mêmes points. Lionel ARNAUD souligne ce phénomène de hiérarchisation sociale allant de pair avec les pratiques culturelles. Lorsque nous savons que les classes aisées méprisaient les expressions artistiques indigènes, une répression envers celle-ci s'opère lorsque les groupes sociaux des quartiers populaires et de communes rurales progressent à la sauvegarde de leur culture. De plus, la Guadeloupe et la Martinique connaissent à peu près la même histoire, il en va de même pour ces phénomènes d'enclavement:

« Jusqu'aux années 1950-1960, la pratique du tambour, de la musique et des danses bèlè se maintenait dans les régions rurales les plus reculées, véritables « zones refuges » qui, via une sorte de mécanisme homéostatique, contenaient dans certaines limites l'oppression qu'exerce l'État français dans les vallées et le littoral.».39

Nous pouvons faire ce constat : ces modes de vie hiérarchisés ont garanti une certaine protection quant à la pratique de musiques et danses afro-descendantes.

Il est nécessaire de se rappeler que depuis les années 60, un bon nombre d'associations culturelles fleurissent autant en Guadeloupe qu'en Martinique. Nous pouvons alors citer le combat de Victor TREFFE qui a oeuvré durant cette période à la préservation des danses en Martinique auprès des jeunes par la création d'associations tels que Rénovation Culturelle, Lavwa Pitjan. De manière globale, ces associations sont principalement à destination de la jeunesse et s'ancrent dans un processus de revalorisation et d'union sociale. La transmission va de pair avec la vie en communauté. D'autres pratiques telles que la quadrille, danse sociale répandue en Grande-Terre et à Marie Galante, sont remises au goût du jour depuis les années 90 avec des actions. En effet cette danse rurale a été pendant des décennies oubliée, pour cause : elle renvoyait aux anciens et à la ruralité. Aujourd'hui cette

39 ARNAUD, Lionel. « Chapitre 1. Du bélé des mornes au bélé des villes, La politique des tambours. Cultures populaires et contestations postcoloniales en Martinique », sous la direction de Arnaud Lionel. Karthala, 2021, pp. 29-61.

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image est néanmoins restée mais il est certain que les actions associatives de l'archipel ont permis la pérennité de la quadrille. Ces différentes présences témoignent d'un besoin de légitimation, comme l'implantation du conte créole dans les écoles scolaires. Cette pratique culturelle a longtemps été rattachée aux zones campagnardes reculées et aux veillées mortuaires dans le but de divertir et unir de manière conviviale les proches du défunt. Ce déplacement vers le champ scolaire et périscolaire dénote une volonté de transmettre des fondamentaux culturels, mais plus encore, de partager une expression artistique fondamentale dans la société afro-caribéenne : l'oralité. Nous pouvons constater que ces dispositions prises par le peuple s'assemblent de façon à redessiner un univers caribéen à part entière pour abattre l'hégémonie culturelle occidentale.

Du côté du théâtre, nous pouvons observer les bribes de son histoire en Guadeloupe avec le parcours de Michèle MONTANTIN. J'ai choisi, dans cette étude, de me concentrer sur son interview40 retranscrite dans Africultures. Ainsi, nommée en 1983 directrice du Centre d'Action Culturelle, l'enjeu de son poste a été la diffusion des spectacles théâtraux pluridisciplinaires. Dramaturge guadeloupéenne, son goût pour le théâtre naît dès l'enfance à la lecture de textes et classiques que son père avait. Dans les années 70, elle part étudier en France le théâtre et le métier de comédienne et de menteuse en scène au Centre universitaire international de formation et de recherche dramatique de Nancy créé par Jack LANG. On se rend compte également de la nécessité de quitter son archipel pour pouvoir accéder à des formations dans le spectacle vivant. Dès son retour en Guadeloupe en 1973, elle fait face à une montée d'indépendantiste rejetant l'eurocentrisme et la culture des dominants. Cela témoignait déjà l'avenir du territoire. Cette prise de conscience va diviser l'île entre : les locaux assimilés à la culture française que l'on va qualifier d'élites et les indépendantistes. Des attaques terroristes de la part des indépendantistes marqueront ainsi la Guadeloupe, des événements qui ont marqué au fer rouge l'archipel et qui sont pourtant peu connus. Dans ce contexte, Michèle MONTANTIN imagine alors que le théâtre pourra apporter des vertus réparatrices. Elle pense que la création peut réellement unir le peuple et contribuer à une cohésion sociale. Le théâtre véhicule des messages politiques et sociaux et est selon elle un bon outil. Ainsi, elle considère que « le théâtre est un atelier du « faire ensemble » On remarque dans ce cheminement d'idées que le théâtre réinterroge la vie sociale, tout comme les autres médiums artistiques guadeloupéens émanant du spectacle vivant. Mais est-ce

40 Africultures, « Textes En Paroles. Retour sur 40 ans de théâtre en Guadeloupe avec Michèle Montantin », 2010, pp. 190-197.

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vraiment possible sur un territoire fragmenté de par sa situation géographique et traumatisé par son histoire ? De plus, un apriori sur le théâtre subsistait chez les élus locaux de l'époque, pourtant considérés comme étant une élite: le théâtre antillais n'est fait que pour la farce et le divertissement. Pour eux, l'intérêt de créer un établissement de théâtre avec des comédiens classiques ou des créations sur un ton plus grave n'avait que peu d'intérêt. Pourtant, des pièces ont été jouées en créole, mais les comédiens tombent vite dans un piège, comme Maryse CONDÉ l'expliquait dans son interview. En effet, selon Michèle MONTANTIN « Les traductions ou adaptations en langue créole doivent éviter le piège d'une vision folkloriste, certaines traductions-adaptations dérivant trop souvent vers l'apparence du conte, la comédie créole, la farce, comme si la langue créole ne pouvait pas devenir langue de création mais uniquement vecteur social. ». Les pièces de théâtre en créole auront de bons jours devant eux s'ils ne se limitent pas à la traduction de textes ou même à la farce. Il faudrait manier un autre ton pour la mettre en valeur.

Les formes théâtrales diverses étaient donc stigmatisées. Michel MONTANTIN s'opposa à ces discours car cantonner la Guadeloupe à un genre, surtout que la farce n'était absolument pas la ligne d'horizon de son établissement. Ce serait restrictif au vu des auteurs tel que Maryse Condé, écrivant des textes aux genres diversifiés. Il fallait donc mettre en valeur les talents de l'archipel, mais les élus locaux n'étaient pas de cet avis. Les guadeloupéens n'auraient pas cette culture où les classes populaires peuplent en majorité le territoire. Ils ne saisissaient donc pas la mission de l'ex-directrice qui était de diversifier les publics et ouvrir à tous le théâtre peu importe son genre. Il ne devait pas toucher de classe élitiste. En plus de ce besoin incontestable, ce lieu se devait d'être bien situé car rappelons-le, la Guadeloupe est un archipel.

L'Artchipel, labellisée scène nationale, fut tout de même créée en 1996. En un espace pluridisciplinaire, il offre non seulement une programmation théâtrale mais aussi événementielle avec des concerts, de la danse traditionnelle et contemporaine. Après avoir vu sur ce dernier point les problématiques liées à la création d'espaces, il est nécessaire de comprendre et définir les axes d'action de la Région au sujet des politiques culturelles.

c) La décentralisation des pouvoirs de l'État : une autonomie avérée en matière culturelle?

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est peut-être nécessaire de noter une particularité française : il s'agit du Ministère de la Culture. Créé par le décret du 24 juillet

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1959, son but a été de rendre accessible la culture à une plus large audience, d'enrichir l'esprit des français en leur permettant une ouverture sur l'art et la culture. Pour ce fait, il y a effectivement eu un point très important sur l'enseignement artistique ainsi que la création artistique. C'est un souci d'égalité et de démocratisation culturelle qui découle en rendant accessibles des lieux et en créant plus des infrastructures, des enseignements. Avant cela, le préambule de l'article 13 de la Constitution de 1946 a été replacé en 1958 dans les discours afin de rendre légitime et logique ce point: « La nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat.». Plus que jamais la culture est un droit. Il y a un besoin de l'argumenter avec des principes de lois fondamentales.

Par la suite, plusieurs mesures ont été prises afin de promouvoir la culture et de la rendre accessible au plus grand nombre. Ces décisions se reflètent dans différentes lois, dont celles relatives à la décentralisation et la déconcentration du pouvoir où les collectivités (qui se composent des communes, régions, départements) atteignent au fur et à mesure plus d'autonomie. Ainsi, nous pouvons à présent citer 3 lois importantes promulguées dans les années 80 : la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État et la loi du 22 juillet 1983 relatif au transfert des compétences également.

Ainsi, la loi de 1982 relative à la décentralisation des pouvoirs de l'Etat dans les institutions culturelles permet une progression vers une autonomie dans les départements et régions françaises. Notons que cette loi précède la création de la Région Guadeloupe et son irrigation en tant que collectivité territoriale ce qui va participer à une évolution notable. La loi n° 82-1171 du 31 décembre 1982 portant organisation des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion correspond de ce fait à un nouveau tournant dans l'administration des territoires d'Outre-mer. L'article I stipule que : « Le conseil régional règle par ses délibérations les affaires de la région. Il a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région et l'aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son identité, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des départements et des communes. ». Ces conseils régionaux comportent ainsi, selon l'Article III, quarante et un membres chacun. Ils sont assistés par un comité économique et social et un autre relatif à la culture, à

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l'éducation et enfin à l'environnement. Un nouvel aspect est aussi mis au goût du jour avec ces mesures prises, à savoir, une généralisation de la consultation des conseils généraux et régionaux. Ils sont sollicités pour la consultation de textes de lois, d'ordonnances, décrets. En effet, l'Article VI abrogé de la même loi souligne que « Le conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement est obligatoirement et préalablement consulté lors de la préparation du plan de développement et d'équipement de la région et de l'élaboration du projet de budget de la région en ce qui concerne l'éducation, la culture, la protection des sites, de la faune, de la flore et le tourisme.» A partir de ce moment, le territoire s'administre à un double statut de région-département qui lui confère un mode d'administration particulier. Nous verrons cela avec plus de précision après avoir un bref constat de l'évolution de la Guadeloupe en matière de politique culturelle.

Rappelons par ailleurs que le budget alloué à la culture n'est plus géré par l'Etat mais par une autre entité : la Direction Régionales et Affaires Culturelles présente dans chaque région de France ainsi que l'Action Régionale de Développement Culturel. La présence de ces identités politiques sur les territoires ont alors pour but de s'adapter aux besoins en matière culturelle de la population locale. Les financements sont donc gérés de manière autonome pour les projets artistiques et culturels et les équipements culturels. Ainsi, les pratiques artistiques relatives à la richesse culturelle de chaque région ont la possibilité d'être habilitées grâce à la victoire de la gauche. Un besoin de diversité culturelle afin de prôner la richesse de la France est mise à l'honneur. Ce transfert de compétences fut, aux yeux des antillais, une nouvelle opportunité pour vaincre les affres de l'assimilation culturelle. La prise en compte de l'individualité des départements français et l'adaptation des lois et réglementation hexagonale aux réalités de chacun de ces territoires est au centre des besoins. Une stabilité de gouvernance et de gestion institutionnelle va de pair avec l'essor économique voulu. De plus, dès lors que les infrastructures gèrent de manière autonome leurs activités, une nouvelle attention est accordée aux pratiques culturelles. Elle est alors plus ciblée et les subventions nationales allouées aux associations locales peuvent jouir d'une gestion plus centralisée sur les besoins des habitants.

Les pouvoirs exécutifs sont transmis aux présidents de Régions et ne sont plus relatifs aux préfets comme c'était le cas auparavant. Ces lois permettent un meilleur équilibre et de donner également le choix à la population de choisir ses élus. Ils disposent de compétences sous différentes échelles : la culture, le sport, la promotion de la langue régionale, l'éducation

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populaire, etc. Il n'est plus question d'une « unité de la nation française », aujourd'hui, ce sont les collectivités territoriales qui assurent 70% des finances en matière culturelle.

Les lois relatives à la décentralisation impliquent un intérêt pour la population et les différentes régions/départements français qui mènent des dispositifs qui leur sont propres. Elles contribuent donc, en plus de faire rayonner ces territoires de manière singulière, à rendre compte de ce que c'est la diversité culturelle, mais plus encore à se focaliser sur des problématiques qui leur sont propres. Les collectivités mettent en place des dispositifs avec, en grande partie, leurs moyens. Cependant, il ne faudrait pas oublié cette loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer qui appuie bien sur des thématiques sociales :

« Résorber les écarts de niveaux de développement en matière économique, sociale, sanitaire, de protection et de valorisation environnementales ainsi que de différence d'accès aux soins, à l'éducation, à la formation professionnelle, à la culture, aux services publics, aux nouvelles technologies et à l'audiovisuel entre le territoire hexagonal et leur territoire ».

C'est un des devoirs de l'Etat français et les collectivités se mobilisent également pour faire respecter cela.

Avec un budget alloué annuellement par l'Etat, les politiques culturelles sont définies

par la Région Guadeloupe. Celles-ci s'articulent sur les axes suivants:

- La gestion et la rénovation patrimoniale

- Le volet du livre et de l'édition

- Le cinéma

- La valorisation du spectacle vivant et notamment des festivals

- L'enseignement artistique et culturel

- Le soutien des artistes et des espaces d'arts visuels contemporains

- Le soutien de projets musicaux ponctuels

En complémentarité avec les pouvoirs de la Région, la Direction des Affaires Culturelles s'occupe de mettre en exécution ces politiques culturelles. Le président de la Région détient l'autorité bien que la DAC s'adonne à des qualités d'expertise et de conseil auprès des collectivités territoriales et partenaires culturels divers. Siégée à Baillif, dans le nord de la Basse-Terre, elle intervient dans le développement culturel de l'ensemble de l'archipel avec l'aide des collectivités locales (Saint Martin et Saint Barthélémy). Elle se spécialise dans la valorisation, la protection, la promotion et la conservation du patrimoine

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culturel guadeloupéen. Pour ce faire, la DAC se spécialise dans le soutien à la création artistique, la diffusion des actions culturelles et le soutien des industries culturelles locales en ne perdant pas de vue les valeurs d'enseignement culturel, de transmission et de démocratisation de la culture. Une attention particulière est donnée à l'éducation artistique et à la diversification des publics.

Toujours dans une coordination, le Conseil départemental de la Guadeloupe tient des engagements de solidarité quant à l'accès à la culture avec notamment l'animation culturel et l'éducation artistique auprès des publics spécifiques (collégiens, personnes en situation de handicap, personnes âgées et bénéficiaires du RSA) par le biais de dispositifs (ex : ateliers dans les écoles). Il se spécialise également dans la valorisation du patrimoine culturel immatériel guadeloupéen dont la langue et la culture créole. Ainsi, cette entité politique veille au dynamisme du territoire en soutenant des projets culturels et artistiques portés par des artistes locaux, des associations, infrastructures ou encore collectivités territoriales. Le Conseil départemental sert également d'appui financier en mettant en place des dispositifs d'aide dans les milieux artistiques en tenant des résidences artistiques et en se chargeant en partie d'un volet de diffusion artistique.

Cependant, la répartition des budgets par région demeure inégalitaire : les sièges principaux comme le Ministère de la Culture qui se trouve à Paris. La situation insulaire de la Guadeloupe comme de la Martinique provoque des ralentissement quant à l'essor des équipements culturels. Pour pouvoir illustrer ce propos, j'ai choisi de faire un comparatif entre la Guadeloupe et Strasbourg : d'une part car en terme de superficie et de démographie, ces territoires sont plus ou moins comparables et d'autres part car la Ville de Strasbourg jouit d'une vie culturelle dynamique bien quand bien même elle se situe au Grand-Est. De cette façon, le bilan budgétaire inscrit sur le site internet de la Région Guadeloupe indique une somme allouée à la culture et aux activités sportifs de 6 233 987 € en 2020 sur environ 383 559 habitants. Du côté de Strasbourg, l'Institut Montaigne dénote un montant de 46,3 millions d'euros en 2018 sur 281 512 habitants. Nous pouvons voir dans ces données un véritable écart se dessiner et confirmer que les promesses d'égalité sociale ne sont pas réellement tenues à ce niveau. Après des mouvements et des revendications anti-hégémoniques face aux puissances assimilationnistes, la Guadeloupe a oeuvré pour la reconnaissance de sa culture ainsi que ses besoins liés aux infrastructures. Face à ces difficultés, les habitants du territoire se sont bien rendus compte qu'un besoin d'autonomie

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est indispensable dans la gestion de leur patrimoine et pratiques culturelles ce qui explique alors le création d'un bon nombre d'associations culturelles présentes sur l'archipel. Il y a non seulement un besoin de reconnaissance identitaire prôné mais aussi un besoin de préservation culturelle à explorer par ces biais cités.

Nous l'avons remarqué, les directives prises par l'Etat français auprès de ses régions, et plus encore, celles d'Outre-mer tendent à la pondération d'une égalité sociale et une reconnaissance. Il est question des spécificités culturelles de chacun des territoires en prenant en compte leurs caractéristiques. Malgré ces nouvelles administrations régionales, du fait de la décentralisation, nous faisons face au maintien d'inégalités au sein de la Guadeloupe et plus généralement, des Outre-Mer. La caractère insulaire et outre-Atlantique de ces territoires mettent au défi leur développement lorsque, malgré tout, les pouvoirs généraux siègent à Paris. Nous verrons alors, en arpentant cette réflexion, les conséquences de cette insularité d'un oeil précis.

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III. Les défis des pratiques culturelles dans une

société insulaire fragmentée

a) Une difficulté d'accès à la formation

Durant mon entretien avec Chantal LOÏAL, en mars 2023, avant d'intégrer la compagnie Difé Kako en tant que stagiaire, nous avons discuté à propos du sujet de ma recherche. Selon la directrice artistique, une réelle difficulté d'accès et de production se fait ressentir en Guadeloupe. En effet, il faut savoir que l'un des volets le plus important de la compagnie de danse est de promouvoir et valoriser la culture afro-caribéenne aussi bien en France Hexagonale qu'aux Antilles-Guyane. C'est en mettant en lumière ce point que Chantal LOÏAL m'a fait part de son désarroi face à la situation en Guadeloupe. Elle se rend compte qu'il y a tout à faire en termes d'installation et d'action culturelle. Pour cause, les politiques culturelles ne sont pas respectées bien que j'aie pu citer dans ma partie précédentes les engagements en matière de politiques culturelles que la Région Guadeloupe a défini.

La directrice artistique a ainsi clairement identifié un besoin criant en matière d'installation d'infrastructures culturelles et de mise en place d'actions culturelles sur l'île. Elle considère qu'il est impératif de travailler à l'amélioration de la diffusion artistique et, plus important encore, à un meilleur accompagnement des artistes locaux. Chantal LOÏAL est consciente que la réalité sur le terrain ne correspond pas toujours aux intentions de la Région. C'est précisément pour cette raison qu'elle s'investit davantage aux Antilles-Guyane. Elle croit en la nécessité de repenser et de renforcer les politiques culturelles dans la région. Le festival Mois Kréyol, par exemple, offre aux artistes une mobilité et une opportunité de promotion à travers un large éventail de disciplines artistiques. Cela représente une alternative précieuse aux dispositifs locaux qui sont souvent limités en termes de champ d'action et de diversité artistique. La compagnie, en partenariat avec des communes de l'archipel tel que le Moule et le Gosier, oeuvre à la valorisation des pratiques artistiques caribéennes avec des associations locales sur le territoire. Il s'agit non seulement de mettre en lumières ces médiums artistiques mais aussi de donner une chance aux artistes d'avoir de se produire de manière itinérante.

Pour revenir sur la notion de production artistique, mais aussi pour introduire mon propos quant à la difficulté d'accès à la création et à la production culturelle, j'ai choisi de

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reprendre les mots de Maryse CONDÉ. La Guadeloupe serait effectivement inondée par la culture française. Je me suis penchée sur son interview retranscrit dans Africultures pour appuyer mon propos mais aussi pour choisir l'exemple du théâtre qui est extrêmement révélateur. Elle remarque ainsi que « Si on regarde les pièces locales, elles ont toutes pour modèle des séries télévisées. Il n'y a pas de possibilité de création autonome. Il y a trop de faux modèles qui circulent en Guadeloupe et en Martinique.»41. Ce n'est pas par hasard que l'auteure fait ce constat. En regardant du côté de la République haïtienne, il y a une richesse de production artistique au point où un véritable foisonnement est observable.

Durant ma recherche sur les pratiques théâtrales dans la Caraïbe, j'avais déjà pu remarquer que la Martinique et Haïti avaient une place importante et non négligeable en matière de de production théâtrale pour les colons. Haïti n'a alors pas perdu sa réputation créative malgré les difficultés économiques, des artistes s'exportent internationalement : notons par exemple Jean D'AMÉRIQUE, dramaturge né à Port au Prince. Bien qu'il ne soit pas question de productions essentiellement en créole, ses oeuvres sont marquées par une authenticité caribéenne avec l'introduction d'éléments culturels comme le vaudou. Ayant déjà pu assister à une de ses pièces, Opéra poussière, au CDN de Rouen en 2022, ces éléments m'ont frappé l'esprit : il est possible d'être antillais et d'avoir des oeuvres qui traduisent, transmettent des codes propres à ma culture caribéenne. Quelque chose que je n'ai que rarement pu constater, d'un point de vue personnel, du côté des dramaturges des Antilles françaises. De plus, cet artiste s'exporte de manière internationale.

Ma réflexion s'est articulée sur les difficultés qu'éprouve l'archipel à trouver son autonomie, les moyens qu'elle met en oeuvre afin d'aller au plus près de son épanouissement. Cependant, il faut bien prendre en compte la difficulté de création et de renouvellement artistique dans des champs qui ont été tournés vers des élites. Tel est le cas du théâtre selon Maryse CONDÉ, cependant, il est tout de même nécessaire de faire un constat plus large et de ne pas cantonner la créolité répondant à un prisme plus important que d'autres : celui de la langue. A mon avis, le théâtre antillais doit, effectivement, valoriser les langues créoles mais aussi et surtout se diversifier en matière de production artistique et technique sur les bases de l'écriture. C'est de cette manière que je rejoins l'auteure lorsqu'elle expose un souci de formation. Les artistes, et pas seulement les comédiens, doivent être encadrés dans un environnement de professionnalisation. Un grand nombre d'artistes autodidactes peuplent la

41 Africultures « Le théâtre aux Antilles a toujours souffert d'être un parent pauvre », vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 30-33.

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Guadeloupe, ce qui n'est pas une mauvaise chose mais cela peut desservir le territoire. Comment s'épanouir artistiquement, avoir accès à un moyen de production artistique lorsque les espaces sont peu nombreux ? Voire méconnus à cause de problèmes de visibilité ? Ces problématiques demeurent un réel frein pour ces artistes qui ont besoin de se développer.

Pour illustrer mes propos, rapprochons-nous encore de l'exemple du théâtre avec les propos de Stéphanie BÉRARD :

« La Guadeloupe et la Martinique sont très en retard en matière de professionnalisation en comparaison avec les îles voisines : Cuba, la Jamaïque, Trinidad disposent de troupes nationales et d'écoles d'art dramatique ; rien de tel pour les Antilles françaises où l'absence d'un conservatoire d'art dramatique se fait cruellement sentir. Le Diplôme d'Etudes Théâtrales (DETUAG) mis en place par Michèle Césaire en 1996 a aujourd'hui disparu. » 42.

La gravité de la situation fait écho à ce que Chantal LOÏAL a pu m'expliquer durant notre entretien. Ce sont des lacunes qui poussent à un ralentissement le rayonnement artistique : cela met en désavantage autant les artistes, obligés de migrer en France hexagonale, au Canada ou encore aux Etats-Unis généralement afin de mieux s'exporter et se former. L'archipel ne compte que quelques centres de professionnalisation de danses contemporaines et traditionnelles ainsi que d'arts dramatiques répartis avec lacune sur le territoire (essentiellement sur la Grande-Terre et la Basse-Terre). En faisant mes recherches, j'ai fait face à cette difficulté de répertorier les structures car, en effet, il y a beaucoup plus de compagnies et d'associations oeuvrant à la valorisation et à la transmission des arts que d'établissements officiels. Quelques noms d'établissements de formation sont tout de même relevables tels que :

- Le centre de Danse et d'Études Chorégraphiques Lenablou aux Abymes destiné aux enfants qui enseigne la danse contemporaine, modern jazz, classique, hip hop, dancehall, gwo ka, etc.

- L'école Liliane Bimont à Baie Mahault qui enseigne la danse contemporaine, modern jazz, classique, hip hop ainsi que la dancehall et le théâtre ouvert à tous.

- Espace danse Wargnier à Basse-Terre à destination des enfants enseignant la danse contemporaine, modern jazz, classique, hip hop, dancehall, gwo ka, etc.

42 BÉRARD, Stéphanie. « Panorama sur l'archipélisme théâtral de la Caraïbe », Africultures, vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 14-23.

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- Le centre culturel Sonis situé aux Abymes, ouvert à tous, est orienté vers une pluridisciplinarité avec des formations à la musique contemporaine et traditionnelle, aux arts visuels et scéniques.

Il est indéniable que des manquements sont présents. Ce maigre nombre de centres et d'écoles ne suffisent pas à la population, et allons plus loin, pour un territoire comptant alors 6 îles. Il n'y a pas de conservatoires à proprement dit en plus d'une précarité de formation artistique lorsqu'il est question d'école de danse, de musique ou de théâtre. Il est important de constater que les trois centres de formations cités se basent sur les deux plus grandes îles de la Guadeloupe et sont majoritairement à destination des enfants. Il n'y a pas de diversification au niveau des publics visés sur les critères d'âge et de localisation. Comment un habitant de la Désirade peut-il s'orienter vers une de ces écoles quotidiennement ? La question est aussi : faudrait-il finalement inaugurer une école de formation artistique pluridisciplinaire et le basé à Pointe à Pitre, la capitale pour rester dans un principe de centralisation ? Je me rends compte de la difficulté que peut être l'implantation de multiples centres et écoles de formation artistique sur les différentes îles constituant l'archipel. Mais la nécessité de bâtir un point de professionnalisation est nécessaire avant toute chose. Cela constituerait dans un premier temps un grand pas.

Ces manquements résultent aussi bien au manque de reconnaissance des artistes : les pratiques vont alors être considérées comme étant amatrices et remettre en question la professionnalisation de ces derniers. Des actions vont, malgré tout, être prises par les Antilles françaises dans le but d'oeuvrer contre le manque de moyens et d'espaces professionnels avec par exemple l'association Collectif des Espaces de Diffusion Artistique et Culturelle créée en 2009. Ce système de réseautage culturel rassemble au total 9 centres culturels guadeloupéens est nécessaire dans la lutte contre la précarité en matière culturelle sur les deux territoires. Subventionné par la Région Guadeloupe et par la DAC, il se spécialise dans le spectacle vivant avec le développement de contact de structures artistiques afin de faciliter les tournées de concerts, danses et même de théâtre hors-les-murs ce qui est encourageant pour l'avenir. Ainsi, le réseautage reste un moyen nécessaire à la promotion artistique et pour circuler sur tout le territoire.

En parallèle, les artistes du Centres des Arts et de la Culture se plaignent dans leurs revendications politiques d'un manque de normes contemporaines quant à la préservation

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d'objets culturels. L'effervescence de nouveaux outils technologiques peut aussi l'expliquer et de cette manière dépouiller de moyens les populations locales déjà écartées de scènes artistiques majeures. Cette explication rejoint ma précédente pensée en rapport avec un schéma de légitimation culturelle. Les artistes sont contraints de créer leurs propres espaces, ou bien, ce sont les professionnelles qui doivent s'armer d'idées afin de pérenniser les actions de leur lieu et constituer un carnet d'adresses non-négligeable face à leur manque de moyens matériels. Ainsi, cela explique la naissance d'associations telles que Collectif des Espaces de Diffusion Artistique et Culturelle ou encore de Textes en Parole, ce dernier, qui, existant depuis 2003 sous l'initiative d'acteurs culturels comme que Michèle MONTANTIN, s'active à la promotion des écritures théâtrales caribéennes. Sur plusieurs champs d'action, il est question d'un devoir de diffusion mais aussi de formation avec une logique d'essaimage professionnelle en liant artistes, compagnies, associations et professionnels de la sphère théâtrale. Finalement, il existe tout de même quelques espaces qui symbolisent une force de proposition en termes de ressources pour les acteurs du secteur. Ajoutons à cela qu'avec notamment les subventions de la DAC, d'ARTCENA, le Ministère des Outre-Mers, la Région et le Département de Guadeloupe ainsi que quelques communes, un festival gratuit et itinérant a pu avoir lieu du 26 juin au 1er juillet 2023. Cela a permis aux professionnels non seulement de parcourir artistiquement les île de la Basse-Terre et de Grande-Terre et d'autant plus de se former auprès de ARTCENA par le biais d'ateliers. En approfondissant ma recherche, j'ai pu constater un volet de ces ateliers/rencontres dont une intitulée Construire un budget de production et d'exploitation. Ce regard porté sur le développement des acteurs culturels est surprennant car il répond à des problématiques actuelles. Nous pouvons alors citer le scandal actuel dont fait l'objet le centre caribéen d'expression et de mémoire de l'esclavage , le Mémorial ACte. Plutôt axé sur les arts visuels, le lieu se trouve actuellement fermé jusqu'à nouvel ordre depuis le 23 août 2023. Cet exemple met en exergue la nécessité de former les professionnels à la direction d'établissements culturels sous l'angle de la gouvernance.

Bien que les initiatives soient en bon nombre, il n'y a, encore une fois, pas de formations importantes de longue durée. Ce que suggère alors Dominique DAESLCHER, ancienne conseillère du spectacle vivant, de l'action culturelle et de la coopération régionale à la DAC de Martinique, c'est consolider les actions de développement sur des principes de création, diffusion et formation. Tout cela en tissant des liens avec les collectivités locales et l'Etat. C'est ce qu'elle explique dans son interview menée en 2010 dans Africultures. Ce

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point est en effet non négligeable comme elle le souligne parfaitement: « Accompagner, c'est encourager les rencontres avec d'autres artistes, la formation continue, les projets de création métissée... Or élaborer un projet culturel sur un territoire ça se construit à petits points, c'est de la broderie ! »43. Avant de s'exporter en dehors du territoire, il faut d'abord s'assurer que les équipements culturels se nourrissent mutuellement et soient dans une démarche d'accompagnement avec la mutualisation d'espaces. Les politiques culturelles dictées par les forces régionales semblent ne tenir qu'à moitié. Les revendications des espaces de création et d'éducation artistique le font remarquer. Il est alors peu vraisemblable de se rendre compte, au fur et à mesure de mon étude, que ce sont souvent des professionnels, des artistes ou bien même des non-professionnels qui oeuvrent au respect des principes voulus par la Région.

Néanmoins, d'autres espaces de représentation artistiques sont présents sur l'archipel bien qu'ils présentent des limites observables. Nous pouvons citer le centre culturel Sonis inauguré depuis 2002, qui est non seulement un lieu de formation mais également un lieu de production équipé d'une salle de 250 places pour la programmation de concerts, de spectacles et de rencontres. Cela reste à mon goût assez limité pas seulement pour la population guadeloupéenne car les Abymes compte en 2015 selon l'INSEE 55 306 habitants. Ces paramètres renforcent ces critères de manque d'accessibilité et de formation car les inscriptions aux cours sont bien évidemment très limitées. De plus, comme nous l'avons vu, il existe la scène nationale l'Artchipel présente à Basse-Terre depuis 1996, cette scène nationale financée par l'Etat tient des missions de diffusion et d'accompagnement d'artistes par le biais de dispositifs de résidences de création. Avec le Centre des Arts et de la Culture basé à Pointe-à-Pitre, le territoire jouissait de emplacements dynamiques à la diffusion et au divertissement culturel. Néanmoins, le CAC a été abandonné depuis 2009 après des travaux par manque de moyens budgétaires. Ce lieu ne connaît aucune gouvernance pour l'instant bien qu'il ait été repris depuis 2015 par la Communauté d'Agglomération Cap Excellence dans son volet de dynamisme culturel. Des travaux sont, selon l'entité, prévus pour les mois à venir mais il n'en reste pas moins qu'un manque se fait ressentir lorsque des moyens ont été déployés par les fonds nationaux et européens avec un total de 26 milliards d'euros. Cela témoigne, selon le collectif Awtis Rézistans d'une mauvaise gestion des collectivités et plus encore, d'un désintérêt porté par l'Hexagone. Il m'aurait été intéressant d'interviewer le

43 Africultures « Pour une politique culturelle sur mesure dans la Caraïbe », vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 42-45.

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collectif mais ces derniers m'ont fait comprendre que la distance géographique rendait mon étude compliquée auprès d'eux. Je peux tout de même confirmer que ce lieu pluridisciplinaire s'implantait fièrement dans la capitale avec une programmation foisonnante et des offres culturelles intéressantes. Ma famille voyait ce lieu en un espace de prédilection de divertissement ainsi que de formation artistique. Il s'engageait depuis sa construction à la diffusion de spectacles mais aussi à la formation culturelle avec des cours de danses traditionnelles et contemporaines, des cours de musique et d'ateliers de gwo ka. Il demeure toujours ouvert avec des propositions culturelles, néanmoins, le manque de pouvoirs administratifs dessert le lieu qui était autrefois géré par la municipalité.

En comparaison, la Martinique connaît un essor culturel divergent du cas de la Guadeloupe. Elle se montre en avance depuis ces 60 dernières années. Pour cause, la dominance culturelle de Fort-de-France l'explique en plus du combat de l'auteur et ancien maire de Fort-de-France de 1945 à 2001, Aimé CÉSAIRE. Il a mené une vive lutte à l'égard de la promotion des arts et de la culture sur son île avec des initiatives telles que la création du Festival Culturel de Fort-de-France en 1970 au Théâtre Municipal. Avant ces évènements, la première prise de conscience d'une ouverture d'animation culturelle et ainsi de programmation a été les représentations théâtrales martiniquaises dans l'espace public bien qu'il existait depuis le début des années 60 le Théâtre Municipal et l'association du Théâtre Populaire Martiniquais au Lamentin. L'éclosion des projets d'Aimé CÉSAIRE s'est manifestée par le besoin de mettre en valeur les pratiques culturelles folkloriques martiniquaises tout en laissant un espace de formation aux amateurs. En 1971, le maire de Fort-de-France proposa donc le projet du centre socio-culturel de Dillon spécialisé dans les arts scéniques et les pratiques artistiques folkloriques où des médiums artistiques tels que la danse et la musique traditionnelle martiniquaise comme le bèlè ou la biguine. Ce centre, ouvert à tous, constitue encore de nos jours le dynamisme culturel de la Martinique. Il se positionne autour de sept centres culturels régis sous le statut d'association loi 1901 et répertoriés sur le site de la Ville de Fort-de-France. Ils oeuvrent pour la formation et la préservation des pratiques artistiques. Tout comme la Guadeloupe, la Martinique connaît une forte concentration d'associations culturelles sur plusieurs de ses villes, mais à la différence, les structures culturelles s'implantent d'une toute autre façon à la capitale et se développent dans une volonté de pérennisation.

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Pour revenir aux actions menées par l'ancien maire de Fort-de-France, nous pouvons alors relever le Service Municipal d'Action Culturelle, inauguré en 1975 et basé à la capitale. Il accompagna le Festival Culturel de la ville, car celui-ci, connaissant un fort essor en termes de formations et de stages représentait une charge budgétaire trop lourde pour la municipalité. Ce lieu pluridisciplinaire existe toujours aujourd'hui et permet des stages dans le domaine du théâtre, des arts visuels. Dans la même veine, l'association Centre Martiniquais d'Action Culturelle naît en 1974, de la volonté du Ministère de la Culture et du Conseil Régional à Fort-de-France. Il apparaît dans la mission d'action culturelle pensée par ces différentes entités en 1971 pour les besoins en matière culturelle de la Martinique. Un grand volet autour du développement de la production artistique et culturelle locale est relevé durant cette période où la culture locale est mise à la même échelle que les productions culturelles hexagonales. Ainsi, cet établissement se préfigure en un lieu de création, de diffusion ainsi que de recherche favorisant les relations entre les professionnels tout en allant à la recherche du public et c'est en 1992 qu'il fut labellisé comme étant scène nationale. Il a récemment fusionné avec la scène artistique réputée qu'est l'Atrium. Ouvert depuis 1998, ce dernier a également été financé par le Ministère de la Culture et de l'Outre-Mer, le Conseil Régional et en plus de cela par la ville de Fort-de-France. Ces deux lieux distincts s'ouvrent une programmation éclectique avec des spectacles de danses, du théâtre, des concerts et des expositions d'arts visuels.

Nous pouvons nous apercevoir que les efforts de mise en place d'équipement et de dynamisme territorial menés par Aimé Césaire ont été très favorables au maintien d'une vie culturelle. Cependant, tout comme en Guadeloupe, il n'y a pas de conservatoire sur l'île. Depuis octobre 2021, le président du conseil exécutif de Martinique, Serge LETCHIMY a pour mission d'inaugurer un Conservatoire de musique et d'arts en Martinique44 afin d'y transmettre non seulement les arts plastiques mais aussi les arts scéniques sur 3 à 4 cycles. La Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) imagine ce projet courant 2023. La Guadeloupe doit continuer à persévérer dans ses initiatives. Les collectivités territoriales ainsi que la Région sont des acteurs qu'il ne faut pas perdre de vue étant donné leurs pouvoirs. Ces entités se doivent de soutenir les structures sans les laisser dans le flou et s'engager à être des forces en termes de propositions.

44 Rédaction Martinique 1er, « Le projet du "Conservatoire de Musique et d'Arts de Martinique" est lancé » 21 octobre 2021 URL : https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/le-projet-du-conservatoire-de-musique-et-d-arts-de-martinique-est-lance -1133815.html

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Ainsi, les politiques culturelles dictées par les forces régionales semblent ne tenir qu'à moitié sur l'archipel guadeloupéen. Les revendications des espaces de création et d'éducation artistique le font remarquer. Persiste alors ce réel besoin de directives à mettre en place pour le développement de l'archipel dans le domaine de la culture.

b) Repenser la démocratisation culturelle sur un territoire archipélique

Les axes de démocratie et de démocratisation s'ancrent dans les politiques culturelles de l'Etat après la Seconde Guerre mondiale. Nous les connaissons sous André MALRAUX (1959 -1969) et Jack LANG (1981-1986 et 1988-1993). L'enjeu est de donner accès à la culture au plus grand nombre des français. Néanmoins, ces deux notions restent différentes dans leurs approches : André MALRAUX défendait la démocratisation de la culture, se basant sur l'accès de tous à un art élitiste lorsque Jack LANG voyait par la démocratie culturelle, la possibilité de mettre sur un pied d'égalité les diversités artistiques accessibles au plus grand nombre. Dans les deux cas de figure, ces modèles se fondent sur des principes de soutien à la création, le développement des structures, l'aide à la production et l'enseignement artistique. La démocratie culturelle permet cependant une participation directe et active des citoyens à la vie culturelle ainsi qu'à une dimension créative. Il y a une notion de diversification des publics et de production culturelle tout en réduisant des écarts sociaux.

Après avoir examiné ces termes, il m'a semblé important de centrer mon propos sur le principe de démocratie culturelle. En effet, comme nous avons pu le percevoir, la Guadeloupe compte énormément d'établissements pluridisciplinaires. En ayant remarqué cela dans ma recherche, je me suis rappelée des mécanismes de créolisation dont fait l'objet mon peuple. Elle se répercute dans une certaine mesure au niveau des pratiques culturelles et de la structuration culturelle qui en découle avec des établissements comme tel. Les Antilles et donc la Guadeloupe sont plurielles. Il y a une multiplicité artistique ce qui doit engendrer une multiplicité des publics. Ce sont des éléments à prendre en compte dans l'étude de ces territoires insulaires.

L'acheminement de notre réflexion arrive à présent sur les moyens à mettre en oeuvre pour aller au plus près des principes de démocratie culturelle voulus par les engagements de

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la Région Guadeloupe. Néanmoins, il reste important de remettre en perspective les revendications des acteurs culturels de l'archipel. Comme expliqué dans la précédente partie, il y a une précarité au niveau des équipements culturels et de la formation, celle-ci va bien évidemment de pair avec les problématiques d'archipélisation. C'est sur ce point que cette partie va dans un premier temps se centrer en prenant appuie sur l'interview d' Alain FOIX, un journaliste et critique du théâtre et opérateur culturel guadeloupéen. Il a été le directeur de l'Artchipel. Dans son intervention auprès de Africultures retranscrite en 2010, il livre les limites de la création théâtrale en Guadeloupe en prenant tout autant en compte les espaces de représentation et de formation artistiques lacunaires sur le territoire.

Ainsi, des problèmes persistent, non seulement dans la diversification des espaces, mais aussi dans la diversification et le développement des publics. J'ai pris l'exemple du cas d'une salle de spectacle pluridisciplinaire telle que l'Artchipel pour rendre compte des problématiques d'archipélisation : basée la commune de Basse-Terre, dans le sud-ouest de l'île de la Basse-Terre, des problèmes d'accessibilité à la culture se fait ressentir au niveau de la population. Le parcours d'Alain FOIX en tant que directeur soulève bien cette faille:

« Il faut aller chercher les publics où ils se trouvent. Or la ville de Basse-Terre n'a que 13 000 habitants, dont beaucoup d'administratifs en congé le vendredi. Cela ne donnait pas de possibilité de développement de public et créait des problèmes de gestion pour venir jusqu'à Basse-Terre puisque les frais d'approche sont exorbitants. » 45

Sylvie CHALAYE, dans son article Archipélisme et création contemporaine dans la Caraïbe française : pour une « é-margence » diasporique datant de 2010 rejoint dans sa réflexion les quelques points que j'ai cité. De plus l'éloignement dû à l'insularité pousse à une fascination pour l'hexagone qui se place en une terre des chances et opportunités comme nous avons pu le comprendre. La difficulté d'accès aux oeuvres qu'éprouve les publics ne peut que se faire ressentir du côté des artistes à la recherche de reconnaissance mais aussi auprès des professionnels de la culture.

45 Africultures « Le théâtre d'une identité en mouvement», vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 38-41.

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Carte du réseau Karulis en 2018 (c) Karulis

Par ailleurs, les problèmes liés au manque de transports en commun en Guadeloupe accentuent ce phénomène d'éclatement au niveau des publics. Le service de transport Karulis, créé en 2004, ne dessert que les communes de la zone Cap Excellence en plus de Sainte Anne et le François. En 2009 encore, des grèves importantes traversaient l'archipel avec des revendications politiques à propos des conditions de vie précaires et laissées au dépourvu à cause de l'insularité. Le collectif Liyannaj Kont Pwofitasyon46 rapportait déjà dans son discours le manque de mise en place de services de transports sur tout l'archipel. La voiture est le mode de transport privilégié pour les personnes excentrées du plan desservi par Karulis. A partir de ces considération, il est important de remarquer que, certes, l'archipélisation oblige une distanciation entre chaque îles, mais comment développer un contact avec des publics venant de communes de parts et d'autres de la Basse-Terre et de la Grande-Terre, rappelons-le, reliées par le Pont de l'Alliance ? Cet éclatement géographique ne facilite guère la circulation des oeuvres et perturbe un accès à la culture égal à tous. Au-delà de cela, les conditions de vie difficiles doivent être prises au sérieux par l'Etat français car tous ces critères paramètrent avec lacunes le quotidien des guadeloupéens. La commune de Petit-Canal, au nord de la Grande-Terre s'est bien rendue compte de ces problématiques en mettant en place des dispositifs pour ses habitants excentrés de la culture. La précarité rentre en compte dans cette problématique et rend la dimension de démocratisation culturelle peu vraisemblable. Durant ma formation en master de direction de projets et d'établissements culturelles parcours diversification des publics, nous avons pu, de par la création de projets fictifs mettre en oeuvre des idées afin de toucher les publics sans

46 Collectif guadeloupéen qui regroupe organismes syndicaux, associatifs, politiques. Il a été à l'origine de la grève de 2009 ayant touché l'archipel.

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bafouer les principes de démocratisation culturelle. Le manque d'accessibilité pour les personnes précaires relève d'une discrimination. Je me suis alors demandée de quelle manière les acteurs politiques de la Guadeloupe peuvent opérer afin de rendre accessible la culture au plus grand nombre lorsque l'on sait que l'éloignement géographique est une des problématiques les plus courantes.

Ainsi, j'ai pu lire dans le média France-Antilles47 le projet, porté par Rodrigue VIRASSAMY, président du centre social La Source dans la commune de Petit-Canal. Il a été pensé de manière à mutualiser les moyens et afin de rendre possible l'accès à la culture pour les publics exclus de la vie culturelle en Guadeloupe. Avec des bus gratuits pour les habitants de ces communes, l'accessibilité aux lieux de représentation, principalement sur la commune de Basse-Terre et la zone Cap Excellence, est possible. Financé par la Préfecture, il s'agit d'une proposition à l'appel à projet de 2022 « Stratégie nationale de prévention de lutte contre la pauvreté ». De cette manière, ce projet Kilté épi penti est acté depuis 2023 et selon mes constatations, il est nécessaire de déployer ce type d'actions sur les communes excentrées en Basse-Terre.

Cap Excellence demeure la zone d'attractivité culturelle. En effet, les politiques culturelles de cette communauté d'agglomérations, gouvernées par la directrice Jocelyne DARIL sont orientées vers la mise en valeur du patrimoine culturel qui se hisse en un véritable atout du développement local. Les territoires regroupant la communauté, et surtout Pointe-à-Pitre, relèvent de zones prioritaires qu'il ne faut pas mettre de côté. Entre la précarité, la délinquance et des lacunes sur le plan de l'enseignement scolaire, Cap Excellence oeuvre à redonner une attractivité à ces communes tout en mettant les habitants au coeur des actions menées. C'est pour cette raison que le CAC a été récupéré dans un besoin d'animation et d'éducation culturel orientés principalement auprès de ces publics prioritaires de par les critères cités précédemment. Cependant, un retard se fait ressentir comme nous avons pu le constater et retarde le rayonnement ainsi que la liaison culturelle entre Pointe-à-Pitre, Baie Mahault et les Abymes permise par le réseau des transports en communs Karulis. Le plan du réseau a été pensé de manière à, effectivement, lier les habitants et également à rendre plus confortable et adapté l'accessibilité aux lieux de spectacles en

47 Rédaction France-Antilles, « Mutualiser un bus solidaire pour aller à la rencontre de l'art et la

culture »,juin 2023.

URL :

https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/actualite/social/mutualiser-un-bus-solidaire-pour-aller-a-la-rencontre-d e-lart-et-la-culture-938213.php

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fonction de la distance ainsi que des horaires de programmation. Il s'agit d'une mutualisation des moyens, bien qu'elle soit bien érigée, il demeure tout de même l'exclusion des habitants dépourvus de transports en commun. Il est cependant envisageable que le projet conçu à Petit-Canal s'étende sur le territoire car le rayonnement ne peut pas seulement se faire sur trois communes de proximité. L'ensemble des habitants ont besoin d'avoir accès à ces équipements et cette problématique doit également servir aux artistes.

De nombreux projets ont été créés par la communauté d'agglomération et nous pouvons citer Cap Excellence en théâtre engagé dans la démocratisation du théâtre en portant les pratiques amatrices comme professionnelles et la formation de ces dernières. De plus, les politiques culturelles sont tournées vers les enfants avec des projets comme Démos centré sur la pratique d'instruments de musique en orchestre, rendant accessibles et gratuits des cours de musique sur chaque année scolaire. Cette action cible, depuis 2017, les jeunes enfants de 7 à 14 ans. Avec ces prises de mesures, la culture devient un partage et un droit.

Par rapport à son île soeur, la Martinique connaît un grand essor au niveau du développement de ses politiques culturelles. Pour cause, la situation géographique de la Guadeloupe scinde, encore une fois, d'une part l'accessibilité des lieux culturels, les publics mais aussi l'organisation administrative. L'article de Stéphanie BERARD48 met en exergue ce manque d'uniformité qui se résulte dans la gestion des équipements culturels. Le centre administratif de la Guadeloupe est en effet basé à la commune de Basse-Terre car nous y trouvons à la fois le Conseil Régional, le Conseil Départemental mais aussi la Direction des Affaires Culturelles. Il aurait été plus logique de concentrer les forces administratives là où il y a une plus grande concentration d'habitants qui se répartissent comme Pointe-à-Pitre, les Abymes et le Gosier. La ville de Pointe-à-Pitre se présente en un point de concentration administrative plus cohérente d'un point de vue stratégique car il s'agit de la capitale de la Guadeloupe et c'est aussi en ce lieu voire à ses environs (la communauté de communes Cap-Excellence pour être plus précise) que se concentrent le plus de structures culturelles. En reprenant les lignes de l'auteure, une nouvelle fois, la répartition démographique est inégalitaire, nous pouvons percevoir un véritable morcellement comparé à la Martinique:

« En Martinique, 381 427 habitants se répartissent sur une superficie de 1128 km2 avec une concentration sur l'agglomération de Fort-de-France et de Schoelcher qui abritent plus d'un quart de la population totale martiniquaise. En Guadeloupe continentale, la

48 BÉRARD, Stéphanie. « Panorama sur l'archipélisme théâtral de la Caraïbe », Africultures, vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 14-23

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population est beaucoup plus éparpillée sur un territoire de 1438 km2, on compte 21 000 habitants à Pointe-à-Pitre et 12 000 à Basse-Terre sur une population globale de 453 000 habitants. »49.

La concentration des pouvoirs administratifs en Martinique sont situés, comme il l'est suggéré à la capitale qu'est Fort-de-France avec la Collectivité Territoriale de Martinique ainsi que la DAC et à Schoelcher avec le Conseil Régional de Martinique. Notons alors que la ville de Schoelcher est une ville avoisinant la capitale de l'île comparé à Pointe à Pitre et Basse-Terre qui comptent environ 60 kilomètres de distance.

De surcroît, j'ai pu remarquer en entrecroisant mes lectures et la situation de la Guadeloupe que la fragmentation se fait aussi bien démographiquement que idéologiquement. Un enfermement des populations mène intrinsèquement à une marginalisation. De ce fait, une enquête sur les habitudes culturelles des habitants d'Outre Mer a été élaborée par l'INSEE avec le département des études de la prospective des statistiques et de la documentation. Il s'agit de la première étude de ce caractère auprès de ces territoires. Elle a été réalisée avant le COVID en 2018 elle révèle une réalité concernant la fréquentation de lieux culturels tant au niveau du spectacle vivant qu'au niveau des arts visuels. En effet:

« La fréquentation des musées, des théâtres et des salles de cinéma reste inférieure à celle de l'Hexagone. Souvent, l'offre culturelle y est moins développée en Martinique par exemple, 200 films sortent en salle tous les ans contre 700 en France hexagonale. Et parfois, cette offre disponible ne correspond pas forcément aux attentes des populations. Sur un an, 43% des Martiniquais se sont rendus au cinéma, 40% en Guadeloupe, 38% en Guyane, 44% à La Réunion, contre 62% en France hexagonale. ».

Avec cette étude assez générale, nous pouvons constater qu'il est possible qu'un désintérêt persiste au sujet des offres culturelles. Sans doute par rapport aux effets de la stratification sociale, aussi appelée hiérarchisation sociale, définie par la classe sociale, le bagage culturel et l'éducation qui gravitent les uns autour des autres. De même, les pratiques culturelles varient selon le sexe, le niveau de formation, la catégorie socio-professionnelle et la tranche d'unité urbaine. Mon cours en sociologie des publics dispensé en première année de Master m'a été bénéfique pour l'analyse suivante. Je peux affirmer que la notion de goût est en grande partie socialement construite selon Pierre BOURDIEU. Il met en exergue le fait que celui-ci est le produit de la position sociale de par les critères qui suivent:

49 Ibidem.

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- Capital économique étant la capacité d'un individu à acquérir des biens selon la logique de Karl MARX.

- Capital social qui ajoute de la complexité dans une approche économique : cette stratification est produite de manière dominante par le critère économique, mais d'autres éléments interviennent. C'est la capacité de pouvoir mobiliser des relations pour en obtenir une contrepartie économique ou symbolique.

- Capital culturel qui se constitue de biens matérialisés et de biens immatériels avec la notion d'habitus. Il s'agit de la prédispositions à apprécier ; on intègre inconsciemment des systèmes de valeur qui nous font apprécier ou déprécier des goûts). L'habitus est déterminant dans les pratiques sociales et culturelles. Par l'intermédiaire de notre environnement, nous modelons nos goûts.

A partir de cette réflexion large, plusieurs hypothèses sont envisageables face à la différence de fréquentation des lieux dédiés à la culture en hexagone et aux Antilles. Au-delà de l'éloignement géographique ainsi que la classe sociale, l'habitus joue un rôle indéniable. Dans mon chapitre abordant les pratiques folkloriques, je me suis rendue compte qu'il y a effectivement une autre façon de concevoir la culture en Guadeloupe ce qui résulte à un tout autre paramètre dans le mode de consommation de la culture. Ceci peut alors expliquer ce qui semble, du point de vue de L'INSEE, être un dysfonctionnement. De mon analyse, il s'agit de plusieurs facteurs incluant la distanciation socio-démographique, financière et enfin le critère de l'habitus. L'axe de démocratisation culturelle voulu par la Région tend à prendre en considération ces aspects au fur et à mesure des années avec des actions.

c) Une coopération culturelle caribéenne : une étape à franchir?

Les entretiens passés par Africultures grâce à Sylvie CHALAYE auprès des acteurs culturels en Guadeloupe ont été une ressource intéressante. Bien que son étude se concentre sur le théâtre, de réelles notions en faveur du développement des infrastructures culturelles en découlent. Les différents parcours cités peuvent alors donner des clés en termes de pistes d'amélioration.

Dans cette grande partie, j'ai mis en avant le fait que les difficultés d'épanouissement et de diffusion poussent les artistes à s'exporter en hexagone, et plus encore, à l'étranger. Il me semble cependant nécessaire de développer une coopération culturelle régionale dans le

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bassin des Caraïbes. Pour résumer, mon observation se fait de cette manière : mutualiser les moyens au niveau des infrastructures, développer des réseaux professionnels, accompagner et soutenir les artistes guadeloupéens par le biais de dispositifs est indispensable. En addition, se rapprocher au plus près des politiques culturelles voulues par la Région, rendre la culture accessible au plus grand nombre tout en prenant en compte les besoins de la population afin que les propositions artistiques coïncident. En ayant rempli les devoirs que j'ai relevé, il est logique de s'intéresser au rayonnement du territoire. Une expansion culturelle inter-caribéenne doit avoir lieu dans un premier temps car ce serait intéressant, d'une part d'un point de vue culturelle de par la proximité géographique mais aussi en termes de liaison. Dominique DAESCHLER relève alors que « les artistes bien souvent ne sont pas très enclins à ce type de circulation et à faire oeuvre de développement en faveur des territoires de proximité, ils sont plus attirés par une diffusion à l'étranger et vers le vieux continent. Or la circulation de proximité est un engagement citoyen, elle apprend aussi aux artistes à s'adapter et les prépare à des tournées internationales.»50. Des échanges et rencontres devraient cependant constituer un levier pour le développement de nos territoires.

La coopération interrégionale en tant que nouveau niveau de lecture m'a amené à rechercher les connexions entre la Guadeloupe et la Caraïbe qui ont pu s'établir. L'association Textes en Paroles créée en 2003 et initiée en partie par Michèle MONTANTIN a su faire exporter les oeuvres de la Caraïbe en partant de la Guadeloupe. A la même période s'institue, par l'accord de la DRAC, le Comité d'Experts Pour le Théâtre. Ces espaces de lectures et de performances théâtrales comptaient, de cette manière, un comité d'auteurs et d'universitaires internationaux. Il ne s'agissait donc pas seulement de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane mais aussi d'Haïti, qui, comme nous le savons, se propulse particulièrement dans ce champ artistique. Comme nous pouvons le constater, il est plutôt question d'une connexion franco-créolophone ce qui résulte ainsi à un réseautage de production, de promotion ainsi que de création. Des rencontres annuelles avaient lieu par le biais d'appels à projets d'écritures et des sélections de textes par le comité. Avec des engagements à la diffusion théâtrale, des textes sélectionnés comme celui de Marie Thérèse PICARD en 2008 ont été interprétés dans les Caraïbes et en France. Il y a une possibilité de nourrir une effervescence culturelle sur ces régions francophones en ouvrant des portes et en élargissant des publics toujours à proximité. C'est également ce que tend à faire l'Artchipel en faisant circuler des spectacles d'artistes

50 « Pour une politique culturelle sur mesure dans la Caraïbe », Africultures, vol. 80-81, no. 1-2, 2010, pp. 42-45.

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pluridisciplinaires et internationaux dans l'enceinte de son établissement par le biais de résidences artistiques et avec la possibilité de programmer des artistes internationaux.

Incontestablement, les liens et échanges au coeur même des Caraïbes sont une aubaine au développement de la Guadeloupe, et plus large, du bassin caribéen. J'ai tenu à me renseigner sur les projets de coopération culturelle entre la Caraïbe et l'Union Européenne, lancé depuis le 13 novembre 2019 durant le Forum de la Paix de Paris. Ainsi, l'UNESCO s'est uni avec l'UE et L'Institut International TRANSCULTURA. Cette dernière, créée en 1988 et constituée d'universitaires, a pour objectif d'établir un lien anthropologique entre l'Europe et les territoires non-occidentaux pour une réflexion plus élargie des cultures. Par le biais de leur projet tourné vers les Caraïbes, ces entités s'engagent auprès des 17 territoires de la Caraïbes. A ce jour, sont comptés : Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, la Barbade, Bélize, Cuba, la Dominique, la République dominicaine, la Grenade, la Guyane, Haïti, la Jamaïque, Montserrat, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, le Suriname et enfin Trinité-et-Tobago. Les Antilles françaises ne font malheureusement pas partie, pour l'instant, de cette union mais j'ai trouvé cela intéressant d'observer des actions de cette nature mises en oeuvre dans les Caraïbes. L'un des volets de ce projet vise à favoriser l'accès à la formation mais aussi à créer des emplois et des dispositifs de professionnalisation tout en contribuant aux problématiques liées au développement durable plus que jamais au coeur de nos sociétés. En permettant l'épanouissement et l'entraide interrégionale, les opportunités de circulations, de réseautages, de diffusion sont consolidées. Cuba porte fièrement ce programme avec son centre de formation culturel et créatif. L'objectif sera, par ailleurs, d'accroître la mobilité des jeunes qui se forment aux métiers de la culture et des industries créatives par le biais de dons de bourses et l'octroi de formations. Grâce aux fonds européens, les frais liés au déplacement, l'hébergement sont pris en charge par le centre. De plus, en mai dernier un appel à projet a été lancé pour que 17 femmes caribéennes âgées de 18 à 35 ans se forment aux métiers du management culturel sur 14 jours intensifs. En parallèle des cours sont ouverts à La Havana pour les mois à venir apprenant les métiers de la musique, la création de scénarios, les métiers de la mode, etc. Plusieurs institutions de Cuba sont associées au programme comme l'Université des Indes Occidentales, le Collège Universitaire San Gerónimo de La Havane, le Higher Institute for Industrial Design, l'Office of the City Historian et le Ministère de la Culture de Cuba.

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Ainsi, j'aurais aimé me pencher de plus près sur toutes ces initiatives pour pouvoir y observer les résultats, cependant, elles sont beaucoup trop récentes pour que je puisse les constater. Après avoir résumé les objectifs et les actions de ce programme, il reste tout de même certain que les Antilles françaises doivent s'inscrire durablement dans des programmes de cette envergure. Cela leur serait bénéfique et les aides européennes constituent un tremplin pour oeuvrer au développement de territoires. J'ai tout de même relevé un projet issu du programme européen INTERREG qui s'est étendu de septembre 2019 à avril 2020. Le projet «Un espace d'expression et de promotion des cultures caribéennes populaires acte ii » a réuni la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Sainte Lucie, Trinité-et-Tobago ainsi que Cuba autour de la valorisation et la promotion des musiques populaires caribéennes, les danses, la gastronomie et la vannerie. Avec un coût total de 1 160 686 €, il a réuni plus de 15 partenaires comptant la ville de Sainte Marie en Martinique, la DRAC de Martinique ainsi que des associations et établissements de l'île accompagnés des autres territoires cités.

Ces initiatives permettent une meilleure connaissance des territoires ainsi que leurs pratiques culturelles de façon à les propulser. Il est question d'échanges, de circulations tout autant qu'une connaissance réciproque. Celle-ci peut être intéressante afin de mutualiser les équipements culturels à l'avenir ou encore d'exporter des artistes avec leurs pratiques artistiques. Pour aller plus loin, il est tout aussi question de construire des projets culturels qui prennent en compte les identités propres de chaque région des Caraïbes bien qu'elles soient dans une certaine mesure similaires. Il serait alors intéressant pour la Guadeloupe de s'inscrire dans ces programmes lorsqu'on remarque que des structures telles que Textes en Paroles ont été pensées dans un besoin de coopération interrégionale. La scène qu'est l'Artchipel peut s'inscrire davantage en tant que point de diffusion et de promotion pour les artistes caribéens internationaux. Nous avons pu pointer du doigt un manque d'accès à la formation. Bien évidemment, combler cette lacune est plus que nécessaire mais il est envisageable de se former au sein même de sa zone géographique qu'est la Caraïbe. Cela peut être un atout incontestable et une possibilité parmi les autres lorsque l'on sait que les artistes et professionnels migrent en hexagone ou dans les pays de l'Amérique du Nord afin de s'épanouir. L'intérêt particulier que je vois dans cet objet passe aussi par le fait de pouvoir naviguer d'un environnement à un autre avec des problématiques plus ou moins similaires. Il y a un enjeu d'identification et d'appartenance fort en tant que caribéen. L'insularité joue une place importante dans la structuration des territoires, et comme j'ai pu le détailler, elle va influer sur la manière de concevoir la culture.

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Conclusion

En conclusion, cette recherche nous a permis de plonger au coeur des dynamiques culturelles en Guadeloupe, en mettant en lumière les complexités et les défis qui jalonnent ce territoire insulaire. Nous avons constaté que l'histoire de la Guadeloupe, marquée par une série d'événements et d'influences culturelles diverses, a donné naissance à une culture hybride et riche en diversité.

Afin de comprendre la conséquence des dynamiques territoriales de cette région sur les pratiques artistiques et leur préservation, il a été important de me pencher sur l'histoire de l'archipel. Marquée en partie par l'esclavage et la départementalisation, ces épisodes ont profondément influencé ses pratiques culturelles. Le commerce triangulaire, d'une part, a donné naissance à une culture créolisée, imprégnée d'influences africaines, européennes et asiatiques, qui se manifeste dans la musique, la danse, le théâtre et la tradition orale. La départementalisation, quant à elle, a entraîné une intégration culturelle plus qu'étroite avec la France hexagonale, favorisant la diffusion de la culture française en Guadeloupe. C'est de cette manière que nous avons pu observer des champs de lutte et de sauvegarde s'opérer et des notions se soulever telles que l'eurocentrisme face au folklorisme. Au-delà de la fragmentation dû à l'insularité, une fragmentation idéologique, dû à l'histoire et ses répercussions, s'est construite dans les consciences du peuple. Elle a exalté une culture occidentale plus-value d'un côté et a fait surgir, d'un autre, un besoin de réappropriation identitaire en passant par la pratique artistique d'un héritage afro-descendant.

La départementalisation a poussé d'autant plus à une réorganisation de cette société sur le plan structurel. Cependant, l'intégration culturelle a également suscité des débats sur l'identité guadeloupéenne. Encore une fois, elle a mis en lumière les tensions entre l'appartenance à l'hexagone et la préservation de la culture locale du fait de l'assimilation. Malgré ces défis, de nombreuses associations culturelles en Guadeloupe ont cherché à réaffirmer leur identité à travers la mise en avant de l'univers gwoka, les musiques afro-descendantes, le théâtre créole ainsi que la pratique du conte.

De ce fait, à travers mes recherches, j'ai pu observer que la manière de concevoir la culture est toute autre sur mon archipel. Par manque de moyens mais avec une volonté de préservation, des espaces se sont créés par l'initiative du peuple et des associations avant de

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passer par les politiques culturelles de la Région Guadeloupe. En effet, ces actions ont mis en exergue une question de légitimité à exercer des pratiques culturelles locales en dehors des institutions culturelles élitistes.

La fragmentation de l'archipel joue également un rôle dans les dynamiques culturelles ainsi que les pratiques artistiques comme j'ai pu le soulever. Ces éléments influent non seulement la préservation des pratiques culturelles locales mais aussi l'accessibilité des offres déjà peu nombreuses à cause de moyens faibles malgré les politiques culturelles définies par la Région. L'accessibilité aux oeuvres pour le plus grand nombre est tout autant lacunaire que la possibilité de formation artistique ce que bafoue le principe de démocratisation culturelle voulue.

Cependant, les institutions artistiques en Guadeloupe se caractérisent principalement par leur multidisciplinarité, ce qui reflète une vision culturelle hybride. L'Artchipel et le CAC, bien que ce dernier ait été réhabilité par un collectif, en sont des exemples notables. À l'avenir, il est impératif de persévérer dans nos efforts pour préserver cette richesse culturelle tout en développant de nouvelles initiatives visant à favoriser l'épanouissement des artistes et du public. La démocratisation culturelle doit demeurer au coeur de nos préoccupations, tout en reconnaissant la diversité des formes artistiques et en encourageant la réappropriation du territoire par sa population.

En définitive, cette étude nous rappelle que la culture guadeloupéenne, malgré les défis auxquels elle est confrontée, demeure une source d'inspiration et de résilience. Elle incarne la richesse de la diversité culturelle et souligne l'importance de la notion d'identité en passant par les pratiques artistiques. Il est essentiel d'adopter des approches contemporaines pour la gestion des équipements culturels, notamment en mutualisant les ressources, en établissant des réseaux professionnels et en promouvant une politique de coopération interrégionale. En d'autres termes, les perspectives d'amélioration passent par la mise en place de réseaux de collaboration culturelle, permettant aux artistes et aux praticiens culturels de s'inspirer mutuellement et d'échanger des idées et des ressources. Il est également nécessaire de revoir le budget alloué par l'État pour soutenir les initiatives telles que celles présentées dans cette étude afin de garantir une véritable démocratisation culturelle en Guadeloupe.

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Dans le contexte guadeloupéen, la notion de dynamique territoriale se réfère aux notions de fragmentation et d'archipélisation. Cette dernière exerce une influence significative sur les pratiques culturelles, dévoilant à la fois des richesses et des difficultés. Cette diversité est à la fois une source d'enrichissement et un défi à relever. La dispersion géographique complexifie la préservation et la diffusion de ces expressions culturelles uniques. Malgré ces obstacles, l'archipélisation renforce la diversité culturelle de la Guadeloupe, une richesse qui mérite d'être préservée.

Il est néanmoins nécessaire de reconnaître les limites de notre travail. Ces limites nous rappellent l'importance de poursuivre la recherche et l'exploration pour une compréhension plus complète et nuancée. Bien que nous ayons cherché à inclure diverses perspectives, y compris celles des communautés locales, des artistes et des acteurs culturels, il est possible que certaines voix n'aient pas été suffisamment représentées, ce qui pourrait affecter la profondeur de notre compréhension. Des ressources limitées ont pu influencer certains aspects de notre méthodologie, tels que le nombre d'entretiens, les lieux étudiés ou d'autres paramètres. Cette limitation peut avoir des répercussions sur la généralisation de nos résultats. C'est aussi de cette manière que j'espère trouver à l'avenir des ressources plus vastes sur le sujet, ne serait-ce que l'implantation et la création de centres sur l'archipel, des initiatives lancées par des acteurs culturels car je ne doute pas de l'existence de celles-ci. Il serait alors nécessaire de mettre en lumière ces prises mesures précieuses car il m'a fallu du temps pour faire des recherches comme par exemple la mutualisation des moyens établies à Petit-Canal pour rendre plus accessibles les lieux culturels sur l'archipel.

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Rédaction France-Antilles, « Mutualiser un bus solidaire pour aller à la rencontre de l'art et la culture », juin 2023.

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Rédaction La Première, « Une étude inédite révèle les pratiques culturelles en Outre-mer », décembre 2022.

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