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Les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire


par Boubacar GUISSE
Université Alassane Ouattara de Bouaké - Master 2 Recherche 2014
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITÉ ALASSANE OUATTARA

UNITÉ DE FORMATION ET DE RECHERCHE DES SCIENCES JURIDIQUE,

ADMINISTRATIVE ET DE GESTION

MÉMOIRE

en vue de l'obtention du Master 2 Droit public

LES RAPPORTS ENTRE LE POUVOIR

EXÉCUTIF ET LE POUVOIR LÉGISLATIF

EN CÔTE D'IVOIRE

présenté et soutenu publiquement le 23 décembre 2014 par

Boubacar GUISSÉ

Directeur de mémoire : Yédoh Sébastien LATH

Agrégé des facultés de droit, maître de conférences à l'Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan)

Co-directeur de mémoire : Karim DOSSO

Maître-assistant, directeur de l'UFR

Sciences juridique, administrative et de gestion à l'Université Alassane Ouattara (Bouaké)

Membres du jury :

Abraham Yao GADJI

Professeur à la faculté de droit de l'Université Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan (Président de jury)

Karim DOSSO

Maître-assistant à la faculté de droit de l'Université Alassane Ouattara de Bouaké (premier assesseur)

Agnéro Privat MEL

Assistant à la faculté de droit de l'Université Alassane Ouattara de Bouaké (second assesseur)

ANNÉE ACADÉMIQUE : 2013-2014

A mon défunt père, A ma chère mère, A mes soeurs et frères, A toute ma famille, A Saida Ounissi, A mes maîtres, A mes amis.

REMERCIEMENTS

La présente étude a été essentiellement entreprise à Bouaké, aux bibliothèques de l'Université Alassane Ouattara.

Elle est l'aboutissement de mois de travail auxquels un certain nombre de personnes ont contribué.

Nos pensées vont au professeur Yédoh Sébastien Lath dont la rigueur, l'exceptionnelle disponibilité et les conseils précieux ont constitué des atouts essentiels dans le parachèvement de cette étude.

Nos pensées vont également au directeur de l'Unité de formation et de recherche (UFR) des sciences juridique, administrative et de gestion, le docteur Karim Dosso, pour l'ensemble de ses conseils éclairés, ses encouragements stimulants et sa grande magnanimité.

Nous remercions également le professeur Nanga Silué, directeur des Masters 2, pour le travail abattu tout au long de ces mois et les docteurs Agnéro Privat Mel et Aboubacar Sidiki Diomandé pour toute l'aide inestimable qu'ils ont bien voulue nous donner dans le perfectionnement de ce travail.

Mes pensées vont enfin, et tout particulièrement, à ma famille ainsi qu'à mes amis et mes proches pour leur soutien sans faille, leur aide et leurs encouragements.

vii

SOMMAIRE

INTRODUCTION 1

I. DÉLIMITATION DU SUJET 3

II. DÉTERMINATION DU PROBLÈME DE DROIT 7

III. INTÉRÊTS SCIENTIFIQUE ET PRATIQUE DU SUJET 9

IV. MÉTHODOLOGIE 11

V. PLAN DE NOTRE MÉMOIRE 12
PREMIÈRE PARTIE : L'ÉQUILIBRE FORMEL ENTRE LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LE POUVOIR LÉGISLATIF

14

CHAPITRE I : LA DÉLIMITATION MATÉRIELLE DES COMPÉTENCES 15

Section I : Le domaine respectif des compétences 16

Section II : La sanction attachée à la délimitation des compétences 36

CHAPITRE II : LA COLLABORATION NÉCESSAIRE DES ORGANES 52

Section I : La collaboration concurrente des organes 52

Section II : La collaboration conjointe des organes 67

DEUXIÈME PARTIE : LE DÉSÉQUILIBRE RÉEL ENTRE LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LE POUVOIR

LÉGISLATIF 83

CHAPITRE I : L'HÉGÉMONIE DU POUVOIR EXÉCUTIF 84

Section I : Les moyens d'action efficaces sur le Parlement 84

Section II : La concentration des pouvoirs en période de crise : les pouvoirs exceptionnels 101

CHAPITRE II : L'ABAISSEMENT DU POUVOIR LÉGISLATIF 118

Section I : Le cantonnement du Parlement dans un domaine d'action étroit 118

Section II : Les initiatives bridées 136

CONCLUSION 152

INTRODUCTION

2

« Le régime présidentiel est réputé fondé sur la séparation, stricte, des pouvoirs ; il est donné comme caractérisé par l'égalité et l'équilibre des organes »1. La séparation stricte des pouvoirs signifie, qu'à côté du pouvoir législatif détenant le monopole de l'initiative législative et la pleine maîtrise de la procédure législative, existe un président de la République disposant, quant à lui, pleinement du pouvoir exécutif2 ; ces deux pouvoirs existent indépendamment l'un de l'autre et ne disposent pas de moyens d'actions réciproques : le Parlement ne peut renverser le Gouvernement et le Président ne peut dissoudre le Parlement3.

Il est, en outre, caractérisé par le mode d'élection -au suffrage universel- du président de la République. C'est cette élection au suffrage universel -au même titre que l'organe législatif donc- qui lui confère une légitimité et un prestige semblables à ceux dont jouit l'Assemblée4. Car toute autre solution ne contribuerait qu'à l'affaiblir vis-vis de la représentation nationale et à en faire un Chef d'État parlementaire, c'est-à-dire dépourvu de tout pouvoir5. Il faudrait enfin ajouter aux critères du régime présidentiel le monocéphalisme de l'exécutif : le président de la République détient à titre exclusif le pouvoir exécutif6.

C'est ce régime présidentiel que prétend établir la Constitution de 2000 à l'alinéa 7 de son préambule : « (le peuple de Côte d'Ivoire)... exprime son attachement aux valeurs démocratiques reconnues à tous les peuples libres, notamment (...) la séparation et l'équilibre des pouvoirs... ». Plusieurs éléments du texte constitutionnel vont clairement en ce sens : l'élection au suffrage universel direct du président de la République (art. 35), le caractère exclusif du pouvoir exécutif qu'il détient -renforcé par la responsabilité du Gouvernement devant lui (art. 41), l'affirmation du principe de l'irrévocabilité mutuelle des pouvoirs, c'est-à-dire l'inexistence du droit de dissolution reconnu au président de la

1 Francis V. WODIÉ, Institutions politiques et droit constitutionnel en Côte d'Ivoire, Abidjan, P.U.C.I., 1996, p. 191.

2 Ce n'est que par commodité que nous continuons à désigner par le terme de « pouvoir exécutif » une autorité, le président de la République, qui, aux termes de l'article 50 de la Constitution, détermine et conduit la politique de la Nation. La fonction présidentielle va bien au-delà de la traditionnelle exécution des lois du Parlement (Yédoh S. LATH, Systèmes politiques contemporains, Abidjan, ABC, 2013, p. 208).

3 Maurice DUVERGER, Institutions politiques et droit constitutionnel, 10e éd., Paris, P.U.F., 1968, p. 152 ; Obou OURAGA, Droit constitutionnel et sciences politiques, 3e éd., Abidjan, Les éditions ABC, 2007, p. 66 ; etc.

4 Georges BURDEAU, Droit constitutionnel et Institutions politiques, 18e éd., Paris, L.GD.J., 1977, p. 181 ; Maurice DUVERGER, op.cit., p. 181 ; Marcel PRÉLOT, Institutions politiques et droit constitutionnel, 5e éd., Paris, Dalloz, 1971, p. 87 ; Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, Institutions politiques et droit constitutionnel, 31e éd., Paris, Dalloz-Sirey, 2012, p. 152.

5 Georges BURDEAU, op.cit., p. 180-181 ; etc.

6 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 152 ; Obou OURAGA, op.cit., p. 66 ; etc.

3

République et la contrepartie de ce droit de dissolution aux mains du Parlement de renverser le Gouvernement, etc.7.

Le président de la République et l'Assemblée nationale entretiennent pourtant dans ce régime présidentiel des rapports étroits, très proches des rapports de type parlementaire. Il s'agit notamment de rapports de collaboration, qui se manifestent tout particulièrement à l'occasion de l'élaboration de la loi8. Il est, à cet égard, important de garder à l'esprit que la Constitution de 2000 -comme toutes celles qui ont régi nos institutions jusqu'à nos jours9-emprunte énormément à la Constitution française du 4 octobre 1958 qui établit -nous le savons- un régime parlementaire, quoique très rationalisé10. Or, comme l'écrit Maurice Duverger :

« Techniquement, régime parlementaire et séparation des pouvoirs sont deux choses différentes. En régime parlementaire, les organes collaborent et les fonctions sont mélangées : Gouvernement et Parlement ont des moyens d'action réciproques ; lois et règlements ne sont pas confinés dans des domaines rigoureusement délimités, mais interfèrent dans les mêmes matières. Au contraire, les régimes de séparation des pouvoirs se caractérisent par un double effort d'isolement des organes et de délimitation des fonctions »11.

De cette constatation, il est autorisé de penser que la Constitution de 2000 établit un régime hybride : dans le cadre d'un régime présidentiel, elle introduit des éléments de collaboration des pouvoirs.

C'est dans le cadre de ce régime présidentiel atypique que s'inscrit l'objet de notre étude, à savoir les rapports entre les pouvoir exécutif et législatif en Côte d'Ivoire.

I. DÉLIMITATION DU SUJET

7 La volonté de certains de doter la Côte d'Ivoire d'un régime parlementaire ou même de type mixte lors la rédaction de la Constitution de 2000 n'a d'ailleurs pas été retenue. Les rédacteurs de la Constitution de 2000 ont clairement voulu confirmer le régime présidentiel de la Constitution de 1960.

8 Initiative des lois partagée entre le Président et l'Assemblée nationale (art. 42.1), prérogatives aux mains de l'exécutif dans la procédure législative telle que l'opposition d'irrecevabilité (art. 76 et art. 78.2), la saisine du Conseil constitutionnel (art. 95.2), la demande de seconde délibération (art. 42.3), la promulgation des lois (art. 42.1), etc.

9 La constitution du 26 mars 1959, celle du 3 novembre 1960 et enfin celle du 1er août 2000.

10 Les rapports entre la Constitution française de 1958 et la plupart des Constitutions des ex-colonies françaises (Maurice A. GLÉLÉ, « La Constitution ou Loi fondamentale », in Encyclopédie juridique de l'Afrique, Abidjan-Dakar-Lomé, Les Nouvelles éditions africaines, tome I, 1989, pp. 21-52).

11 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 512.

4

Si la notion de pouvoir législatif ne pose pas tellement de problème en ce que le pouvoir législatif est sans conteste détenu et exercé par l'Assemblée nationale, celle de pouvoir exécutif doit être précisée. Jusqu'en 1990, le président de la République a cumulé les fonctions de Chef de l'État et de chef de Gouvernement réalisant le monocéphalisme de l'exécutif12. A la suite de la révision constitutionnelle du 6 novembre 1990, il est institué un poste de Premier ministre : on est ainsi passé du monocéphalisme au bicéphalisme13. Cette réforme constitutionnelle dont Obou Ouraga écrit, à juste titre, qu'elle se justifie difficilement dans un régime présidentiel -d'autant plus que le Premier ministre est formellement désigné comme le chef de Gouvernement14- sera pourtant réaffirmée dans la Constitution de 200015. Mais la distance est grande entre le droit et le fait. En droit, il y a un commencement de partage du pouvoir exécutif entre le président de la République et son Premier ministre. Celui-là ne peut, en effet, nommer les autres membres du Gouvernement et mettre fin à leurs fonctions que sur proposition de celui-ci ; le président de la République ne jouit plus d'un pouvoir discrétionnaire et inconditionné en matière de formation du Gouvernement et de révocation des ministres, ce pouvoir étant désormais subordonné à une proposition faite par le Premier ministre. Il en résulte que le pouvoir de nomination et de révocation aux mains du président de la République peut être paralysé par le pouvoir de proposition aux mains du Premier ministre16. Mais en fait, nous pouvons en douter : politiquement on voit mal comment le Premier ministre refuserait de faire la proposition de nomination d'une personnalité au sein du Gouvernement ou de révocation d'un ministre si le président de la République le lui demandait. Nous pouvons en douter d'autant plus que la situation du Premier ministre s'est précarisée depuis l'avènement de la seconde République : la Constitution ne dit plus, en effet, que le président de la République met fin aux fonctions du Premier ministre « sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement »17. Il en découle que le sort du Premier ministre -et partant celui du Gouvernement dans son ensemble- dépend désormais

12 Le président de la République est, aux termes de l'article 12 de la Constitution de 1960, « le détenteur exclusif du pouvoir exécutif » ; celui-ci n'est donc nullement partagé avec un Premier ministre qui n'existe d'ailleurs pas à cette époque (avant 1990).

13Loi constitutionnelle n° 90-1529 du 6 novembre 1990 portant modification des articles 11, 12 et 24 de la Constitution du 3 novembre 1960, Journal officiel, numéro spécial, n° 43 du mercredi 7 novembre 1990, p. 379.

14 L'article 41.2 de la Constitution de 2000 désigne le Premier ministre comme le chef du gouvernement.

15 Obou OURAGA, op.cit., p.139.

16 Francis V. WODIÉ, op.cit., p.130.

17 L'article 12.2 de la Constitution de 1960 était ainsi écrit : « Le président de la République nomme le Premier ministre, chef du Gouvernement, qui est responsable devant lui. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement ». Il en découlait en conséquence que le président de la République ne pouvait mettre fin aux fonctions du Premier ministre que sur présentation, par ce dernier, de la démission du Gouvernement. Mais sur ce point également, le droit avait peu de chances de s'appliquer car le Président pouvait toujours, en fait, contraindre à la démission le Premier ministre et son Gouvernement.

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tout entier -sur le plan juridique même- du président de la République18. Sur ce point, le droit a rejoint la réalité : si, d'aventure, le Premier ministre refusait de proposer la révocation d'un ministre ou la nomination d'une personnalité au Gouvernement, le président de la République mettrait tout simplement fin à ses fonctions (art. 41.2 de la Constitution de 2000).

D'autre part, la qualité de chef de Gouvernement reconnue au Premier ministre est vide de toute substance. Tout au plus, la Constitution lui reconnaît un rôle d'animation et de coordination de l'action gouvernementale (art. 41.2), une faculté de suppléance du président de la République (art. 53.2) et, enfin, la possibilité -seulement si le Président le veut bien- de se voir déléguer certains des pouvoirs de celui-ci. Mais cette possibilité est limitée dans le temps et dans la matière (art. 53.3) et il n'est plus le seul du reste à pouvoir en bénéficier19.

Contrairement à ses homologues des régimes semi-présidentiels africains, le Premier ministre ivoirien -et pas plus que le Gouvernement qu'il dirige- ne dispose donc pas de pouvoirs propres. Dans le régime établi par la Constitution malienne du 25 février 1992, c'est le Gouvernement -instance collégiale distincte du président de la République- qui détermine et conduit la politique de la Nation, dispose de l'administration et de la force armée (art. 53)20 et c'est le Premier ministre qui, en plus de suppléer le président de la République à la présidence des conseils et comités supérieurs de défense nationale (art. 55.4) et à la présidence du Conseil des ministres (art. 55 in fine), dirige et coordonne l'action gouvernementale (art. 55.1), assure l'exécution des lois et dispose du pouvoir réglementaire commun et est responsable de l'exécution de la politique de défense nationale (art. 55.2), etc. D'autre part, le Gouvernement et le Premier ministre prennent une part très active dans l'élaboration de la loi ordinaire et ont en charge la préparation et l'exécution des lois de finances : initiative des lois et droit d'amendement (art. 75.1, 76, etc.), saisine de la Cour constitutionnelle (art. 88, 89.2, etc.), etc. Il en résulte que le Premier ministre malien et son

18 Il convient de faire ici une mise au point : techniquement, la démission du Gouvernement -qui est liée au fait que le président de la République mette fin aux fonctions du Premier ministre- est différente de la révocation des ministres. Tandis que la démission du Gouvernement est collective et entraîne nécessairement avec elle le départ du Premier ministre, la révocation des ministres est individuelle et n'a pas d'incidence sur le sort de celui-ci.

19 Aux termes de l'article 53.1 de la Constitution de 2000 en effet : « Le président de la République peut, par décret, déléguer certains de ses pouvoirs aux membres du Gouvernement ». Sous l'empire de la Constitution de 1960, cette possibilité offerte au Président de déléguer certains de ses pouvoirs était expressément limitée au Premier ministre (art. 24.1). Le pouvoir de délégation s'est par conséquent élargi du Premier ministre à tous les ministres ; il en résulte que le Premier ministre apparaît de plus en plus comme un ministre parmi d'autres.

20 De manière générale, toutes les compétences exercées en Conseil des ministres appartiennent en fait au Gouvernement : le décret d'état d'urgence et d'état de siège (art. 76), les ordonnances (art. 74.2), les projets de lois (art. 75), etc.

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Gouvernement forment avec le président de la République un véritable bicéphalisme à la tête de l'exécutif21.

Le bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien est une illusion. Comment pouvait-il en être autrement dans un régime présidentiel ? L'institution d'un Premier ministre n'apparaît, en définitive, que comme un emprunt -parmi d'autres, nous l'avons déjà fait observer- à une Constitution établissant un régime de type parlementaire -la Constitution française du 4 octobre 1958. Mais cet emprunt s'arrête à la simple désignation et ne touche pas au fond : le Premier ministre français est doté de pouvoirs propres et le Premier ministre ivoirien reste « primus inter pares »22. Ou alors l'institution primo-ministérielle n'apparaît que comme purement accidentelle dans notre histoire constitutionnelle23. Quoiqu'il en soit, c'est le président de la République qui détient entre ses mains la réalité du pouvoir exécutif et c'est lui qui exerce chacune des compétences que nous avons vu détenir et exercer le Premier ministre et le Gouvernement d'un régime semi-présidentiel24. C'est lui qui -sans être formellement désigné comme tel- exerce sans aucune concurrence toutes les prérogatives du chef de Gouvernement25. Comme le fait observer Francis Wodié à propos de la situation sous la première République -mais l'observation vaut parfaitement pour la seconde- le fait que la Constitution désigne et qualifie toujours le président de la République détenteur exclusif du pouvoir exécutif dit tout26.

C'est cette réalité qui justifie que nous ayons -dans le cadre de cette étude relative aux rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif en Côte d'Ivoire- fait abstraction du Premier

21 Le président de la République malien nomme le Premier ministre et, sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement, met fin à ses fonctions (art. 38.1). C'est sur proposition du Premier ministre qu'il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions (art. 38.2). Cependant, comme le Gouvernement est responsable devant l'Assemblée nationale et non devant le Président (art. 54), celui-ci ne peut librement procéder ni à la nomination du Premier ministre et des ministres ni à leur révocation : il doit tenir compte de la majorité à l'Assemblée nationale. Il en résulte un bicéphalisme réel : le président de la République ne pourrait déterminer la politique nationale et la mettre en oeuvre que s'il est soutenu par la majorité ; dans le cas contraire, il y a cohabitation et l'effectivité du pouvoir exécutif est transférée au Premier ministre.

22 Littéralement « premier parmi les pairs > : le Premier ministre ivoirien « préside > le Gouvernement sans avoir de pouvoirs propres ; il n'exerce que des fonctions de représentation (Yédoh S. LATH, op.cit., p. 211).

23 Le 1er Premier ministre, Alassane Ouattara, fut nommé dans un contexte de crise politique et socio-économique aigüe aggravée par la maladie du président de la République, Houphouët-Boigny : il fit alors office de véritable chef de l'exécutif.

24 Dans la Constitution de 2000, le président de la République, détenteur exclusif du pouvoir exécutif (art. 41.1), continue tout naturellement à déterminer et à conduire la politique de la nation (art. 50), à disposer de l'initiative législative (art. 42.1), à être doté du pouvoir réglementaire (art. 42.1, 44, 72), à être le chef de l'administration et à nommer aux emplois civils et militaires (art. 46), le chef suprême de l'armée (art. 47), etc.

25 Voir note précédente.

26 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 135.

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ministre et du Gouvernement27. Il n'y a même pas à proprement parler de Gouvernement28, puisque les ministres ivoiriens ne forment pas un organe collégial et solidaire, ayant des tâches et des responsabilités propres : nommés individuellement et étant tout aussi individuellement responsables devant le Président, ils sont des collaborateurs individuels de celui-ci. Ils sont, en effet, chargés de mettre en oeuvre sa politique, chacun en ce qui le concerne et pour les tâches qui lui sont confiées. Dans le droit constitutionnel étatsunien, on parle précisément de secrétaires d'État29. Quand le Premier ministre ou tout autre ministre rentre en relation avec l'Assemblée nationale, c'est, en définitive, en tant qu'auxiliaire ou délégataire du président de la République de sorte que la substance des rapports entre organes exécutif et législatif se situe en vérité entre le président de la République et l'Assemblée nationale.

II. DÉTERMINATION DU PROBLÈME DE DROIT

Mais le régime présidentiel suppose alors qu'entre le Président ivoirien et l'Assemblée nationale, détentrice du pouvoir législatif, s'établissent séparation (spécialisation fonctionnelle et indépendance organique) et équilibre30. Dans la théorie générale même du régime présidentiel, la séparation peut n'être guère absolue31. On peut ainsi noter un certain empiètement des différents organes sur leurs fonctions réciproques : l'Assemblée nationale ivoirienne peut influer sur la fonction exécutive par les prérogatives qu'elle détient en matière budgétaire et diplomatique (art. 71) et le président de la République intervient dans la

27 Il ne saurait en effet être question, dans le cadre du régime présidentiel ivoirien, de rapports entre le Gouvernement -stricto sensu- et l'Assemblée nationale.

28 Stricto sensu, un Gouvernement n'existe que dans un régime parlementaire ou semi-parlementaire (semi-présidentiel). Il suggère l'idée d'un organe collégial solidairement responsable devant l'organe législatif et distinct du Président, chef de l'État. Ainsi dans les Constitutions africaines établissant un régime semi-présidentiel soit un titre est consacré au Gouvernement (titre IV des Constitutions du Mali et du Sénégal) soit sous un même titre, différentes sections sont consacrées au président de la République et au Gouvernement (titre III intitulé : « Du pouvoir exécutif » et sections 1 et 2 respectivement consacrées au président de la République et au Gouvernement dans la Constitution nigérienne). Au contraire, la Constitution ivoirienne ne consacre pas un titre spécifique au Premier ministre ou au Gouvernement ; le titre III consacré est ainsi intitulé : « Du président de la République et du Gouvernement » tandis que le titre IV est intitulé : « Du Parlement » ; ce qui démontre que le « Gouvernement » est simplement un outil chargé de mettre en oeuvre la politique présidentielle.

29 Le Président des États-Unis recueille simplement l'avis de ses secrétaires d'État : mais c'est lui qui décide, et pas toujours suivant l'opinion de ceux-ci. Rappelons le mot célèbre de Lincoln, seul de son opinion du Cabinet : « sept non, un oui : les oui l'emportent ».

30 Francis HAMON et Michel TROPER, Droit constitutionnel, 33e éd., Paris, L.G.D.J., 2012, p. 120 ; Carl SHMITT, Théorie de la Constitution (traduit de l'allemand Verfassungslehre par Lilyane Deroche), Paris, P.U.F., 1993, p. 321-336.

31 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 179 ; Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 153.

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fonction législative par le pouvoir réglementaire, c'est-à-dire le pouvoir de faire des actes de portée générale et impersonnelle pour compléter et préciser les lois adoptées par l'Assemblée nationale (art. 41.1, 44, 72). On peut même voir apparaître certains moyens d'action des organes l'un sur l'autre, qui sont autant d'atteintes à leur indépendance : il s'agit de moyens structurels permettant à un organe d'agir sur l'autre32. On peut ainsi partir de l'initiative des lois reconnue au président de la République, de son droit de veto suspensif33 jusque, dans certains régimes politiques étrangers, à un droit de dissolution de l'Assemblée34 ou à une procédure de destitution du Président (impeachment, en droit constitutionnel étatsunien)35. Ces assouplissements s'avèrent nécessaires car des difficultés institutionnelles et politiques graves résulteraient d'une conception intransigeante de la séparation des pouvoirs : paralysie politique, coup d'État, etc.36.

Mais le régime présidentiel -contrairement à ce que l'on pourrait être amené à croire-exige toujours qu'une égalité existe et qu'un équilibre soit maintenu entre les organes exécutif et législatif. Aucune atténuation ne peut être apportée à cette formule sans, du même coup, conduire à une déformation : si l'équilibre des pouvoirs est rompu au profit du seul Président, on aboutirait de fait à une semi-dictature, à ce régime que d'aucuns ont qualifié de présidentialiste37. Ainsi l'autorité immense détenue par le Président devrait être nécessairement contrebalancée et freinée par de véritables pouvoirs aux mains de l'Assemblée

32 Il faut donc mettre à part l'action d'un organe sur un autre par l'exercice de sa propre fonction : par une loi, l'Assemblée nationale peut orienter l'autorité de l'exécutif et par un acte de portée individuelle ou un acte matériel, le Président peut avoir une influence sur l'Assemblée.

33 Le président de la République dispose de l'initiative des lois (art. 42.1) et du veto suspensif (art. 42.3).

34 Certaines Constitutions africaines établissant un régime présidentiel reconnaissent cependant un droit de dissolution de l'Assemblée nationale au président de la République : Constitution du Burkina-Faso (art. 50), de la Guinée (art. 43), etc. On peut alors se demander si un tel régime est encore réellement présidentiel car il crée un déséquilibre entre les organes.

35 L'article II, section 4 de la Constitution des États-Unis dispose : « Le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs ».

36 Georges BURDEAU, op.cit., p. 181 ; Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 153 ; Obou OURAGA, op.cit., p.66.

37 Martin Djézou BLÉOU, « Le système constitutionnel ivoirien », in Common law et Constitutions d'Afrique et d'Haïti, Université de Moncton, Canada, 1996, p. 114 ; Jean BUCHMANN, L'Afrique noire indépendante (c'est lui qui inventa le terme de « présidentialisme ») ; Mamadi KOUROUMA, Etude du présidentialisme en Afrique noire francophone à partir des exemples guinéen et ivoirien, Thèse droit public, Paris, Université de Droit, d'économie et de sciences sociales (Paris 2), 1978, p. 16 ; Dimitri-Georges LAVROFF et Gustave PEISER, Les Constitutions africaines : l'Afrique occidentale, Paris, Pédone, 1961, p. 24 ; Obou OURAGA, op.cit., p. 67 ; Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO, « Faire et défaire la Constitution en Côte d'Ivoire, un exemple d'instabilité chronique », Draft paper presented at African Network of Constitutionnal Law Conference on Fostering Constitutionnalism in Africa, Nairobi, avril 2007, p. 10 ; Maurice-Pierre ROY, Les régimes politiques du Tiers-monde, Paris, L.G.D.J., 1977, p. 110.

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nationale38. Cette exigence d'égalité et d'équilibre dans les rapports entre le président de la République et l'Assemblée nationale est-elle respectée dans le cadre des institutions établies par la Constitution de 2000 ? Et, au-delà de la question limitée des rapports entre organes exécutif et législatif, le régime politique ivoirien est-il réellement présidentiel ?

La réponse à de telles interrogations exige, certes, de s'en référer au texte de la Constitution de 2000 mais également, au-delà du texte constitutionnel, de jeter un regard sur la pratique vécue.

III. INTÉRÊTS SCIENTIFIQUE ET PRATIQUE DU SUJET

Notre mémoire va, nous l'espérons, revêtir à la fois un intérêt scientifique et un intérêt pratique. Sur le plan de l'intérêt scientifique, l'étude des rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire s'inscrit dans les préoccupations légitimes de la pensée scientifique en droit constitutionnel. Le pouvoir exécutif ivoirien a en effet pris cette habitude fâcheuse d'intervenir de plus en plus fréquemment -en dehors de tout cadre constitutionnel et même en violation de ce cadre- dans le domaine de compétences du législateur39 sans que cela ne suscite une quelconque émotion ou une simple interrogation, sauf de la part d'une certaine doctrine attentive au respect effectif de la séparation des pouvoirs40 et de la part de l'opposition politique41. La solution au problème posé, à savoir si l'égalité et l'équilibre des

38 C'est le principe de bonne organisation formulé par Montesquieu : pour éviter le despotisme, « il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir » (De l'esprit des lois ou du rapport que les lois doivent avoir avec la Constitution de chaque gouvernement, les moeurs, le climat, le commerce, etc., Genève, 1748, Livre XI, chapitre IV, p. 242). Pour les pouvoirs du Congrès des États-Unis (Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p. 274-278).

39 L'Assemblée nationale a été ainsi constamment ignorée du processus budgétaire, le président de la République prenant des ordonnances budgétaires sans que les conditions exigées à cet effet par l'article 80 de la Constitution ne soient réunies : nous pouvons citer à titre d'exemples les ordonnances n° 2011-121 du 22 juin 2011 portant budget de l'État pour la gestion 2011 et n° 2011-480 du 28 décembre 2011 portant budget de l'État pour la gestion 2012. De même, l'organisation territoriale actuelle de la Côte d'Ivoire a d'abord résulté d'une ordonnance sans fondement constitutionnel (ordonnance n° 2011-262 du 28 septembre 2011 portant organisation générale de l'Administration). Enfin, nous pouvons citer les décisions présidentielles prises par L. Gbagbo sur le fondement de l'article 48 de la Constitution à partir du 26 août 2005 et la décision présidentielle n° 001 /PR du 11 janvier 2014 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux de commerce prise par A. Ouattara. Concernant cette dernière décision, le Conseil constitutionnel, saisi par la voie d'exception, la jugea contraire à la Constitution (Décision n° CI-2014-139/26-06/CC/SG du 26 juin 2014).

40 Pélagie N'DRI-THEOUA, « Constitutions et démocratie en Côte d'Ivoire », Revue ivoirienne des sciences juridiques et politiques, n° 1, 2014, p. 43-72 ; Félix TANO, « Constitutions et urgence budgétaire à l'épreuve des crises politiques », Revue juridique des États francophones, n° 2, avril-juin 2011, p. 147-150.

41 Mais d'une façon générale, l'opposition politique dénonce la délégation du pouvoir législatif consentie par l'Assemblée nationale au président de la République sur le fondement même des dispositions constitutionnelles (Déclaration du Secrétaire général par intérim et porte-parole du Front populaire ivoirien Docteur Richard Kodjo).

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pouvoirs sont respectés, contribuera donc à nous rendre compte de la complexité de la nature du régime politique ivoirien : régime à mi-chemin entre le régime présidentiel et le régime parlementaire ou de confusion des pouvoirs, c'est-à-dire de semi-dictature42 ? Mais il est également possible que la nature véritable du régime politique ivoirien soit, en fait, occultée par la pratique politique : la prééminence du président de la République est certes consacrée par la Constitution, mais elle semble encore plus déterminée par le fait que d'une part, les Présidents ivoiriens ont constamment bénéficié de la majorité à l'Assemblée nationale et que d'autre part, ils ont toujours été plus forts que leurs partis. Autrement dit, si le fait majoritaire basculait et que le fait personnel cessait d'exister, la prééminence du président de la République -quoique constitutionnellement consacrée- s'en trouverait affectée43.

Mais en attendant cette éventualité et sur le plan de l'intérêt pratique cette fois, le problème de l'équilibre des pouvoirs exécutif et législatif est crucial pour l'édification d'une véritable démocratie en Côte d'Ivoire et -par ricochet- pour l'avènement d'un développement économique, social et culturel tant souhaité, car il semble exister une interaction entre démocratie (c'est-à-dire, d'une part, la participation du peuple au pouvoir politique à travers le libre choix des représentants, l'élaboration démocratique des décisions et la mise en jeu de la responsabilité politique des gouvernants44 et d'autre part, la séparation des pouvoirs entre organes spécialisés et indépendants -l'exécutif, le législatif et le judiciaire- afin de garantir les droits fondamentaux des citoyens), bonne gouvernance et développement :

« La démocratie et le développement sont complémentaires et se renforcent mutuellement (...). L'histoire montre... que les expériences dans lesquelles la démocratie et le développement ont été dissociés se sont, le plus souvent, soldées par des échecs. À l'inverse, l'imbrication de la démocratisation et du développement contribue à enraciner l'une et l'autre dans la durée. En effet, si, pour se consolider, la démocratie politique doit trouver son prolongement dans des mesures économiques et sociales qui favorisent le développement, de même, toute stratégie de développement a

42 Aboubacar S. DIOMANDE, « Le régime politique ivoirien : un régime en marge des catégories traditionnelles », Revue de la recherche juridique Droit prospectif, 2013-3, p. 1453-1471 ; Yédoh S. LATH, op.cit., p. 49-87.

43 GICQUEL Jean et GICQUEL Jean-Éric, Droit constitutionnel et institutions politiques, 26e éd., Paris, Montchrestien, 2012, p.157.

44 Philippe BRAUD, Science politique : la démocratie politique, Paris, Seuil, tome I, 2003, p.

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besoin, pour être mise en oeuvre, d'être validée et renforcée par la participation démocratique »45.

IV. MÉTHODOLOGIE

Comme le titre l'indique, notre intention est d'appréhender la manière dont sont organisés les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire. Cela axe l'étude sur la lege lata, c'est-à-dire le droit positif actuellement en vigueur : la Constitution du 1er août 2000 et le règlement de l'Assemblée nationale. Mais nous jetterons également un regard sur le droit constitutionnel de la première République46.

Nous précéderons alors, en premier lieu, à l'exploitation et à l'analyse du texte constitutionnel et du règlement de l'Assemblée nationale et ferons appel à la doctrine et au droit comparé, notamment négro-africain francophone. La confrontation de la doctrine et du droit comparé d'une part et des textes constitutionnels ivoiriens en vigueur d'autre part permettra, à un autre égard, de mesurer l'écart entre la conception doctrinale (normale) des rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif dans un régime présidentiel et l'organisation effective des rapports entre le président de la République et l'Assemblée nationale en Côte d'Ivoire, détenteurs respectifs de ces deux pouvoirs47.

45 Boutros BOUTROS-GHALI, L'interaction entre démocratie et développement, rapport de synthèse publié par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), 2003, p. 10-13.

46 Le régime établi par la Constitution de 2000 diffère très peu de celui établi par la Constitution de 1960 de telle sorte que matériellement la Constitution de 2000 ressemble véritablement plus à un texte révisé (le texte révisé de la Constitution de 1960) qu'à une nouvelle Constitution. Yédoh S. LATH écrit justement que : « D'un point de vue institutionnel, la Constitution de la deuxième République est apparue moins innovante. En dehors de quelques aménagements, l'architecture institutionnelle de la première République a été maintenue au regard aussi bien des institutions politiques, des institutions juridictionnelles que des autres institutions » (op.cit., p. 207).

47 Nous faisons abstraction, dans le cadre de cette étude, des accords politiques portant arrangements constitutionnels initiés à la suite des événements des 18 et 19 septembre 2002 : accord de Marcoussis du 23 janvier 2003, accord d'Accra II du 7 mars 2003 (à la suite de l'accord d'Accra I du 29 septembre 2002) et III du 30 juillet 2004, accord de Pretoria I du 6 avril 2005 et II des 28 et 29 juin 2005, accord de Ouagadougou du 4 mars 2007 et ses quatre accords complémentaires. Il en est de même des nombreuses résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies : résolutions 1464 du 4 février 2003, 1528 du 27 février 2004, 1633 du 21 octobre 2005, 1721 du 1er novembre 2006, etc. destinés à l'organisation des pouvoirs publics pendant la période de crise. Ces accords politiques et autres résolutions du Conseil de sécurité, sans abroger formellement la Constitution du 1er août 2000, la modifiaient sur certains de ses aspects et pour un temps déterminé : ils constituent un « droit constitutionnel de crise » (Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO, Droit constitutionnel, 8e éd., Abidjan, ABC Editions, 2008, p. 232-241), de « véritables Constitutions matérielles » (Luc SINDJOUN, « Le Gouvernement de transition : éléments pour une théorie politico-constitutionnelle de l'État en crise ou en reconstruction », in Mélanges en l'honneur de Slobodan Milacic, Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, Bruylant, Bruxelles, 2008, p. 967-1011). Ils sont devenus aujourd'hui sans objet et « la Constitution de 2000 a retrouvé tout son rayonnement » (Sébastien Y. LATH, op.cit., p. 170).

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En second lieu, nous nous pencherons sur la pratique politique. En effet, les textes constitutionnels n'expliquent pas tout : les liens qui unissent le président de la République et le parti majoritaire à l'Assemblée nationale déterminent eux-mêmes les rapports entre le Président et l'Assemblée nationale (le fait majoritaire). Ce fait majoritaire (fait politique) qui bénéficie au président de la République dans ses rapports avec l'Assemblée nationale est, par ailleurs, aggravé par la faiblesse des partis, y compris, et surtout, du parti présidentiel : la plupart des électeurs en Côte d'Ivoire manifestent de l'attachement à des personnes plus qu'à des idées. De ce fait, le parti présidentiel -majoritaire à l'Assemblée nationale- n'a de raison d'être que dans la personnalité du président de la République et la prééminence de celui-ci - par rapport à l'Assemblée nationale- s'en trouve confortée.

V. PLAN DE NOTRE MÉMOIRE

Notre travail comporte quatre chapitres : ces quatre chapitres constituent le corps de notre mémoire. Nous nous livrerons à une analyse détaillée et approfondie dans chacun de ces quatre chapitres. Ces chapitres sont centrés autour d'un problème-pilier qui résulte d'un critère fondamental du régime présidentiel : l'équilibre -et l'égalité qui y est nécessairement impliquée- des pouvoirs exécutif et législatif48.

Il est nécessaire que le régime présidentiel dont les auteurs de la Constitution de 2000 ont prétendu doter la Côte d'Ivoire établisse une égalité et un équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif. Cet aspect fera l'objet des deux premiers chapitres : le premier chapitre se rapporte, par conséquent, à une délimitation plus ou moins équitable des compétences entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et le second chapitre à la nécessaire collaboration entre eux.

Mais une analyse plus approfondie de la Constitution même -au-delà des déclarations d'intention de ses auteurs- démontre que l'égalité et l'équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif ne sont qu'imparfaitement respectés. Cet autre aspect fera l'objet des deux autres chapitres : le troisième chapitre est ainsi relatif à l'hégémonie du pouvoir exécutif et le quatrième à l'abaissement du pouvoir législatif.

48 Le préambule de la Constitution du 1er août 2000 énonce en effet que : « Le peuple de Côte d'Ivoire, (...) exprime son attachement aux valeurs démocratiques reconnues à tous les peuples libres, notamment... la séparation et l'équilibre des pouvoirs (...) ».

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Ces deux aspects débouchent inéluctablement sur la problématique de la nature véritable du régime politique ivoirien : le régime politique établi par la Constitution de 2000 est-il réellement présidentiel49 ? Les développements fournis tout au long de notre mémoire pourraient constituer un début de réponse de cette interrogation.

49 Cette question vaut la peine d'être posée d'autant plus que certains auteurs avancent l'idée que le régime politique ivoirien -à l'instar des régimes politiques africains et sud-américains - serait une catégorie à part entière, distincte des catégories traditionnelles que l'on cite habituellement dans la typologie des régimes politiques. Parmi ces auteurs nous pouvons citer Gérard CONAC (« Pour une théorie du présidentialisme. Quelques réflexions sur les présidentialismes latino-américains », in Mélanges offerts à Georges Burdeau : Le pouvoir, Paris, L.G.D.J., 1977, p. 116) ; GICQUEL Jean et GICQUEL Jean-Éric, op.cit., p. 156-157 ; Yédoh S. LATH (« La pérennisation du présidentialisme dans les États d'Afrique : les repères d'un modèle africain de régime politique », communication au colloque international de Cotonou portant sur la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l'Afrique ? Colloque organisé les 8, 9 et 10 août 2012), etc. Dans le même sens : Aboubacar S. DIOMANDE (op.cit., p. 1471).

PREMIÈRE PARTIE :

L'ÉQUILIBRE FORMEL ENTRE LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LE POUVOIR LÉGISLATIF

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Un régime de séparation des pouvoirs suppose une certaine égalité des organes exécutif et législatif par laquelle l'équilibre recherché des pouvoirs est susceptible d'être réalisé. Il est ainsi souhaitable voire indispensable de conférer à chacun des organes en présence des compétences propres -et qui se contrebalancent- sur lesquelles les empiètements réciproques ne sont en principe guère tolérables ; c'est à l'intérieur de ce domaine réservé de compétences que se meuvent les pouvoirs exécutif et législatif et c'est de l'exercice de ces compétences que chacun des deux pouvoirs politiques tire sa force en présence de l'autre50. Chacun des organes exécutif et législatif étant en droit absolument puissant en son domaine réservé et parfaitement impuissant dans le domaine réservé d'en face, une collaboration s'établit de fait entre eux pour éviter des blocages institutionnels et politiques inhérents au régime présidentiel51. C'est pourquoi des mécanismes juridiques de collaboration ne sont pas eux-mêmes contraires à l'esprit d'un tel régime52. Les auteurs de la Constitution du 1er aout 2000 ont fait un tel choix : ils ont recherché l'équilibre entre le pouvoir exécutif et le Parlement d'abord par une délimitation matérielle de leurs compétences respectives (chapitre I) et ensuite par une nécessaire collaboration entre eux (chapitre II)53.

CHAPITRE I : LA DÉLIMITATION MATÉRIELLE DES COMPÉTENCES

Les titulaires respectifs des pouvoirs exécutif et législatif -le président de la République et l'Assemblée nationale- ne peuvent entretenir des rapports d'équilibre que si une délimitation équitable des compétences existe -et est respectée- entre eux. Cette délimitation équitable des compétences est en effet un frein à l'absolutisme du pouvoir en faveur de l'un

50 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 145-147 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p. 119121 ; Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO, Droit constitutionnel, 7e éd., Abidjan, Les éditions ABC, 2007, p. 101-104 ; Yédoh S. LATH, op.cit., p. 11.

51 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 153.

52 Dans un régime présidentiel, des mécanismes de collaboration pas nécessairement juridiques existent toujours entre le Président et le Parlement (Francis HAMON et Michel TROPPER, op.cit., p. 120-121 ; Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 146-147).

53 Les auteurs de la Constitution n'ont pas, de ce point de vue, fondamentalement innové puisque l'on retrouvait déjà une délimitation des compétences normatives entre les organes exécutif et législatif dans le cadre des Constitutions du 26 mars 1959 et du 3 novembre 1960 (art. 37 et art. 39 de la Constitution de 1959, art. 41 et art. 44 de la Constitution de 1960) et des mécanismes juridiques de collaboration entre eux (art. 40, 43, 44 etc. de la Constitution de 1959, art. 40, 45, etc. de la Constitution de 1960). D'autre part, en séparant les pouvoirs exécutif et législatif tout en prévoyant des mécanismes de collaboration entre eux, les constituants ivoiriens ont fait le choix d'un régime encore présidentiel mais comprenant une dose de régime parlementaire ; ce que Georges Pompidou, parlant du régime politique de la Constitution française du 4 octobre 1958, a qualifié de « régime bâtard » (un régime né d'un croisement « impur » entre régime présidentiel et régime parlementaire).

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ou l'autre des organes. C'est sans conteste dans une telle perspective que le président de la République et l'Assemblée nationale disposent chacun -en vertu de la Constitution- d'un domaine respectif de compétences (section I) et qu'à cette répartition des tâches est attachée une sanction (section II).

Section I : Le domaine respectif des compétences

Il est nécessaire que des compétences -notamment normatives- soient attachées aux pouvoirs exécutif et législatif et qu'elles constituent leurs domaines réservés respectifs. C'est ainsi qu'aux termes des articles 71 et 72 de la Constitution se trouvent établies à la fois la compétence normative de l'Assemblée nationale (paragraphe 1) et celle du président de la République (paragraphe 2)54.

Paragraphe 1 : La compétence normative du Parlement

L'article 71 de la Constitution fournit d'abord une définition matérielle de la loi constitutive du tracé originaire du domaine législatif (A). Mais ce tracé originaire est ensuite assez immensément élargi par la jurisprudence (B).

A/ La définition matérielle de la loi selon la Constitution de 2000, tracé originaire du domaine législatif55

Il y a certes une définition organique de la loi56 mais celle-ci doit être jointe à une définition matérielle : cette définition matérielle se réfère au contenu de l'acte et détermine le domaine de la loi. Le domaine législatif découle d'une part de l'article 71 de la Constitution (1) et d'autre part d'autres dispositions constitutionnelles (2).

54 Cette technique de délimitation du domaine de la loi et du règlement -déjà utilisée dans la Constitution de 1960 (art. 41 et 44.1)- est reprise par les auteurs de la Constitution de 2000 de la Constitution française du 4 octobre 1958, notamment les articles 34 et 37 de celle-ci (Karim DOSSO, L'influence du droit administratif français sur le droit administratif ivoirien, thèse pour le doctorat, Abidjan : Université de Cocody, 2006, p. 67).

55 Il y a, aux termes de l'article 71 de la Constitution de 2000, prééminence du critère matériel de la loi (René DEGNI-SEGUI, Introduction au droit, Abidjan, EDUCI, 2009, p. 83). L'article 71 de la Constitution de 2000 -qui reprend l'article 34 de la Constitution française de 1958- opère une véritable « révolution juridique » : la compétence législative du Parlement n'est plus illimitée, elle a une compétence d'attribution définie par les matières limitativement énumérées à l'article 71 (art.34 de la Constitution française) ; le président de la République acquiert, en revanche, un pouvoir normatif autonome (Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, 9e éd., Paris, Montchrestien, 2010, p. 321).

56 La loi reste l'acte élaboré par l'Assemblée nationale, suivant une certaine procédure et promulgué par le président de la République. C'est en ce sens que l'article 71.2 de la Constitution dispose que l'Assemblée nationale « vote seule la loi ».

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1. L'article 71, chef de compétence principal du législateur

L'article 71 de la Constitution énumère les matières législatives en distinguant formellement entre la fixation des règles et la détermination des principes fondamentaux (a) mais il semble que cette distinction formelle n'ait plus d'incidence sur la compétence du législateur (b).

a. La distinction formelle entre la fixation des règles et la détermination des principes fondamentaux

La Constitution de 2000, imitant en cela la Constitution française en son article 34, détermine un domaine réservé à la loi, hors duquel l'Assemblée nationale ne peut pas légiférer. L'article 71 de la Constitution délimite de deux façons essentielles ce domaine réservé à la loi. Pour certaines matières, la loi « fixe les règles » ; pour d'autres, elle « détermine les principes fondamentaux ».

Ainsi aux termes de l'article 71.3 de la Constitution sont donc matières législatives par détermination de la Constitution, les règles concernant : la citoyenneté, les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités ; la procédure selon laquelle les coutumes sont constatées et mises en harmonie avec les principes fondamentaux de la Constitution ; la détermination des crimes et délits ainsi que des peines qui leur sont applicables, la procédure pénale, l'amnistie ; l'organisation des tribunaux judicaires et administratifs et la procédure suivie devant ces juridictions ; le statut des magistrats, des officiers ministériels et des auxiliaires de justice ; le statut général de la fonction publique ; le statut du corps préfectoral ; le statut du corps diplomatique ; etc.57

En outre aux termes de l'article 71.4 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux : de l'organisation générale de l'administration ; de l'enseignement et de la recherche scientifique ; de l'organisation de la défense nationale ; du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ; du droit du travail, du droit

57 L'énumération de ces matières n'est pas exhaustive (voir article 71 de la Constitution de 2000).

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syndical et des institutions sociales ; de l'aliénation et de la gestion du domaine de l'État ; du transfert d'entreprises du secteur public au secteur privé ; etc.58.

Enfin les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État (art. 71.5), et les lois de programme fixent les objectifs de l'action économique et sociale de l'État (art. 71.6). Cette énumération des matières législatives est d'ailleurs limitative car, à la différence de l'article 34 de la Constitution française, l'article 71 de la Constitution ivoirienne ne prévoit la possibilité ni de la préciser ni de la compléter59.

Il semble toutefois, en dépit de la distinction formelle entre règles et principes, que l'on ait désormais une lecture unitaire de la compétence du législateur.

b. Une lecture unitaire de la compétence du législateur60

L'article 71 distingue formellement les règles que la loi fixe des principes fondamentaux que la loi détermine. Cette opposition est en apparence fondée61, car on peut penser que, pour certaines questions, le législateur devrait disposer d'une compétence plus étendue lorsqu'il fixe les règles, l'autorité réglementaire n'ayant plus qu'à préciser les dernières modalités d'application62 et que pour d'autres questions, il se limite à énoncer des orientations générales de la réglementation -en déterminer le principe fondamental- en laissant le soin au pouvoir exécutif d'édicter les mesures d'application concrètes63.

Dans la pratique, la distinction entre la fixation des règles et la détermination des principes fondamentaux d'un objet n'est pas aisée à préciser. Si l'Assemblée nationale veut

58 L'énumération de ces matières n'est pas non plus exhaustive (voir article 71 de la Constitution de 2000). L'article 71 innove sur plusieurs points par rapport à l'article 41 de la Constitution de 1960. Il ajoute en effet à l'énumération des matières dont la loi fixe les règles : les statuts du corps préfectoral, du corps diplomatique, du personnel des collectivités locales, de la fonction militaire et des personnels de la police nationale ; l'organisation générale de l'administration ne figure plus par ailleurs dans la liste des règles à fixer. D'autre part, quant aux matières dont la loi détermine les principes fondamentaux, l'article 71 ajoute par rapport à l'article 41 de la Constitution de 1960 : l'organisation générale de l'administration, le transfert d'entreprises du secteur public au secteur privé, la protection de l'environnement et le statut des partis politiques (Karim DOSSO, op.cit., p. 70). L'article 71 -à l'instar de son devancier de la Constitution de 1960 (l'article 41)- continue d'omettre les nationalisations d'entreprises du domaine de la loi (Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 192-193).

59 L'article 34 in fine de la Constitution française dispose au contraire que : « Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique ».

60 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 760 ; Dominique ROSSEAU, op.cit., p. 327.

61 La distinction fut respectée dans les premières années par le Conseil constitutionnel français avant d'être abandonnée.

62 Décision 57.1 du 27 novembre 1959. Rec. p. 670 ; n° 62.20 du 4 décembre 1962. Rec., p. 34 ; 64.30 D.C. du 17 septembre 1964. Rec., p. 41.

63 Décision 63.23 D.C. du 19 février 1963. Rec., p. 29.

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entrer dans les détails des mesures édictées là où le président de la République estime au contraire qu'elle devrait se borner simplement à déterminer les principes fondamentaux, des conflits sont à redouter. Ces difficultés perçues très tôt par la doctrine64 seront finalement balayées par la jurisprudence ultérieure du Conseil constitutionnel.

Celle-ci s'accorde désormais à dire que la distinction formelle entre la fixation des règles et la détermination des principes fondamentaux n'a pas d'incidence sur la compétence du législateur. A une répartition horizontale des compétences législatives et réglementaires, le Conseil constitutionnel français a en effet substitué une répartition verticale qui s'établit comme suit : au pouvoir législatif revient la « mise en cause » des règles et au pouvoir réglementaire leur « mise en oeuvre »65. Ainsi le degré d'intervention du législateur s'arrête à la mise en cause et ne saurait descendre jusqu'aux modalités d'application et il ne saurait par conséquent être question de faire une quelconque distinction entre la fixation des règles et la détermination des principes fondamentaux par le législateur66.

« Finalement, règles et principes se rapprochent ou se confondent lorsqu'il s'agit de les appliquer autant... que pour les déterminer »67.

D'autres dispositions de la Constitution -à côté de l'article 71- concourent à définir les matières dans lesquelles il appartient exclusivement à l'Assemblée nationale de légiférer.

2. Les autres dispositions de la Constitution, chefs de compétence complémentaires du législateur

L'extension du domaine législatif par ces dispositions-là repose sur une étude plus poussée des textes constitutionnels par la doctrine et est reconnue par la jurisprudence

64 Georges BURDEAU, op.cit., p. 607 ; Maurice DUVERGER, op.cit., p.615.

65 C'est le critère tiré de l'importance de la matière ; il rejoint, comme le note Jean et Jean-Éric Gicquel, la vision de Portalis, exprimée dans son Discours préliminaire du Code civil, en 1804 : « Les lois sont des commandements... C'est aux lois de poser dans chaque matière les règles fondamentales et à déterminer les règles essentielles. Les délais d'exécution... les objets instantanés ou variables... sont du ressort du règlement ». Et de conclure : « Les règlements sont des actes de magistrature et les lois des actes de souveraineté « (op.cit., p. 761).

66 Décision du 6 octobre 1976, Conseil constitutionnel ; CHANTEBOUT Bernard, Droit constitutionnel, 29e éd., Paris, Sirey, p. 589-590 ; Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, ibid., p. 760-762 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p. 749.

67 Alain-Gérard COHEN, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au domaine de la loi d'après l'article 34 de la Constitution », Revue du droit public, 1963, n° 4, p. 767 ; voir également les observations de Louis FAVOREU et Loïc PHILIP sur la décision du Conseil constitutionnel du 27 novembre 1959, R.A.T.P., Grandes décisions, n°5.

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constitutionnelle (a). Elle se fait soit par le renvoi à la loi soit par l'autorisation par celle-ci (b).

a. Une extension reposant sur une étude plus poussée des textes constitutionnels et reconnue par la jurisprudence constitutionnelle

Des auteurs tels que Louis Favoreu et Loïc Philip ont fait observer que la rédaction finalement adoptée pour l'article 37 -qui correspond à notre article 72.1- : « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire » comportait une modification très importante par rapport à la rédaction initialement envisagée et qui était : « Les matières autres que celles visées à l'article 31 (devenu l'article 34 et qui correspond à notre article 71, al. 3, 4, 5 et 6) ont un caractère réglementaire ». Cette modification paraît bien confirmer, en effet, que les constituants n'ont pas voulu limiter le domaine législatif aux seules matières énumérées par l'article 34 (art. 71, al. 3 et 4 de notre Constitution). Il s'en suit une conséquence majeure : les matières législatives vont au-delà de l'énumération de l'article 34 (art. 71, alinéas 3 et 4 de la Constitution ivoirienne).

Cette extension du domaine législatif au-delà de l'énumération de l'article 34 -à propos de la Constitution française- est d'ailleurs explicitement reconnue par le Conseil constitutionnel. Il énonce en effet que : « Considérant que, d'après l'article 37 de la Constitution, « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire » et que « ce domaine est déterminé non seulement par l'article 34, mais aussi par d'autres dispositions de la Constitution... »68.

Par conséquent, le domaine de la loi cerné au moyen conjugué des articles 71 et 72.2 de la Constitution n'est pas ainsi borné69. Il est nécessaire de se référer à d'autres dispositions constitutionnelles très nombreuses qui étendent la compétence de l'Assemblé nationale.

b. Le renvoi à la loi ou l'autorisation par une loi

68 Décision du Conseil constitutionnel français du 2 juillet 1965 (Rec., p. 75). A partir de cette décision, le Conseil constitutionnel français reconnaît, admet la compétence de la loi relativement à une diversité de matières : la libre administration des collectivités locales sur le fondement des articles 72 à 776 (C.C. 69-52 L., févr. 1969, rec., p. 21 et autres décisions), l'autorisation de la ratification de certains traités sur celui de l'article 53 (C.C. 75-59 D.C., 30 déc., 1975, rec., p. 26), etc.

69 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 193.

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En de nombreuses autres matières, la Constitution confie ou renvoie à la loi, exige l'autorisation du législateur. Ainsi pour la déclaration de guerre (art. 73), la prorogation au-delà de quinze jours de l'état de siège (art. 74.2), l'autorisation de ratifier certains traités ou d'approuver certains accords (art. 85), la fixation des règles d'organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel ainsi que la procédure et les délais (art. 100), la composition, l'organisation et le fonctionnement des juridictions suprêmes (art. 102.2), les conditions d'application des dispositions relatives au Conseil supérieur de la magistrature (art. 107), la détermination du nombre des membres, des attributions et des règles de fonctionnement de la Haute cour de justice et de la procédure suivie (art. 108.2), la mise en accusation du président de la République et des ministres (art. 111), les attributions, l'organisation et le fonctionnement du Médiateur de la République (art. 118), les principes de la libre administration des collectivités territoriales ainsi que de leurs compétences et de leurs ressources (art. 119), etc.70.

Certains auteurs ont observé que ces quelques autres articles de la Constitution renvoyant à la loi peuvent paraître assez négligeables dans la mesure où l'article 71 contient déjà des positions très proches sinon identiques. Par conséquent, l'on peut penser que ces autres articles font double emploi avec lui71. Il n'en reste pas moins de toute façon que, pour définir le domaine de la loi, il ne faut guère se limiter à l'article 71 de la Constitution72.

Ces autres dispositions que nous venons d'évoquer et qui étendent le domaine de la loi sont encore inscrites dans le texte même de la Constitution. Mais le véritable élargissement du domaine législatif découle de la jurisprudence constitutionnelle.

B/ L'élargissement jurisprudentiel du domaine législatif

L'élargissement jurisprudentiel du domaine législatif se situe à deux niveaux : d'abord dans l'affirmation de la valeur constitutionnelle du Préambule (1) et ensuite dans l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire par volontés concordantes du Parlement et de l'exécutif (2).

70 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 761 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p. 749 ; Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 325 ; Francis V. WODIÉ, ibid., p. 193.

71 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 522.

72 L'article 34 (article 71 de la Constitution ivoirienne) a perdu le monopole de la définition de la compétence du législateur (François LUCHAIRE, « Les sources des compétences législatives et réglementaires », AJDA, 1979, p. 3).

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1. L'affirmation de la valeur constitutionnelle du Préambule et ses conséquences au regard de la compétence du législateur

Les juridictions françaises -et notamment le Conseil constitutionnel- ont admis la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution de 1958 et des normes auxquelles il renvoie. Cette jurisprudence française nous intéresse à deux titres : parce qu'elle est susceptible d'être transposée dans notre droit constitutionnel d'une part (a) et que cette transposition entraînerait des conséquences importantes au regard de la compétence du législateur d'autre part (b).

a. L'extension du bloc de constitutionnalité au Préambule, à la Déclaration universelle de 1948 et à la Charte africaine de 198173

La valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution française ne semble pas faire de doute aujourd'hui après la controverse d'avant 197174. Le Conseil d'État français avait en effet déjà jugé que, si la Constitution a attribué compétence au pouvoir réglementaire pour déterminer les contraventions et les peines assorties, c'est par dérogation au principe général énoncé à l'article 8 de la Déclaration de 1789 à laquelle se réfère le Préambule et qui prescrit le caractère légal des peines. Si donc seul le constituant peut déroger à un tel principe contenu dans le préambule, c'est que celui-ci a valeur constitutionnelle75.

Dans sa décision du 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel s'est prononcé dans le même sens en décidant de procéder à un contrôle au fond de la conformité de la loi à la Constitution et plus précisément à son préambule76. Ce faisant, il reconnaît valeur constitutionnelle non seulement au préambule de la Constitution de 1958 mais également à la

73 Il s'agit de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981.

74 Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 98. Jusqu'en 1971, deux écoles s'affrontent sur la valeur juridique de la Déclaration de 1789 et du Préambule de 1946 : pour Carré de Malberg (Contribution à la théorie générale de l'État, p. 580) et A. Esmein (Eléments de droit constitutionnel, Sirey, I, p. 601) par exemple, ces textes ne peuvent pas avoir de valeur juridique tandis que pour d'autres tels que Hauriou (Précis de droit constitutionnel, Sirey, p. 618) et Duguit (Traité de droit constitutionnel, Paris, II, p. 184), les déclarations ont une valeur identique à celle du texte constitutionnel lui-même et s'imposent au législateur.

75 Conseil d'État français, section, 12 février 1960, Société Eky.

76 Le Conseil constitutionnel a d'abord posé le principe que la liberté d'association fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (P.F.R.L.R.) et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution. Il a ensuite jugé qu'une loi, qui porte atteinte à ce principe en substituant l'autorisation préalable à la simple déclaration préalable exigée pour la constitution des associations, n'est pas conforme à la Constitution.

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Déclaration de 1789 et au Préambule de 1946 auxquels il renvoie ainsi qu'aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » visés par ce dernier77.

Dès lors, la voie était ouverte pour ajouter à l'énumération de l'article 34 de nouvelles matières législatives procédant des normes visées par le Préambule.

Cette jurisprudence française est importante au regard même de notre droit constitutionnel car elle est susceptible d'y être transposée. En effet, si le fait même que le Préambule soit incorporé dans le texte de la Constitution suffisait à lui conférer valeur constitutionnelle, celui figurant en tête de la Constitution de 2000 possède bien une telle valeur de même que les normes auxquelles il renvoie78.

Si donc l'on tient ainsi pour obligatoires les dispositions du préambule de la Constitution de 2000, la liste des matières législatives s'allonge considérablement79.

b. Les conséquences de l'affirmation de la valeur constitutionnelle du Préambule au regard de la compétence du législateur

L'extension du bloc de constitutionnalité au Préambule et aux normes auxquelles il renvoie entraînerait certaines conséquences au regard de la compétence du législateur. En effet, le domaine d'intervention de celui-ci ne serait plus seulement déterminé par référence exclusive au texte même de la Constitution mais également en se fondant sur le Préambule et les textes juridiques auxquels il renvoie : le domaine législatif s'en trouverait élargi.

C'est ainsi que le Conseil constitution français, dans sa décision du 28 novembre 1973, décidera que la matière des contraventions et des peines qui leur sont applicables est législative lorsque lesdites peines comportent des mesures privatives de liberté. Cette décision ne pouvait prendre appui sur l'article 34 puisque la matière des contraventions et des peines qui leur sont applicables ne figure pas dans l'énumération dudit article par suite d'une omission qui semble délibérée, les crimes et les délits étant eux expressément visés. Cette

77 Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 100.

78 René DEGNI-SEGUI, Droit administratif général : l'action administrative, 4e éd., Abidjan, NEI-CEDA, tome II, 2012, p. 29.

79 Dans certaines de ses décisions, le Conseil constitutionnel ivoirien a confirmé la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution de 1960 : il s'agit de la décision n° L. 001/96 du 11 décembre 1996 relative à la Convention du 3 juillet 1996 portant création du Conseil régional de l'épargne publique et des marchés financiers et de la décision n° L. 005/97 du 16 juin 1997 relative à la Convention de l'Organisation de l'Unité africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, adoptée le 10 septembre 1969 à Addis-Abeba (Ethiopie).

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décision du Conseil constitutionnel est d'autant plus significative qu'elle marque un revirement complet de sa jurisprudence antérieure lorsque, se fondant exclusivement sur le texte de la Constitution et précisément à son article 34, il décidait que : « la détermination des contraventions et des peines dont celles-ci sont assorties est de la compétence réglementaire »80. Il a suffi au Conseil constitutionnel de viser désormais l'article 66 et surtout les articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 à laquelle renvoie le Préambule.

Si l'on tient également pour obligatoire le préambule de la Constitution de 2000 qui renvoie à deux textes majeurs en matière de droits de l'homme -à savoir la Déclaration de 1948 et la Charte africaine de 198181- le domaine législatif s'élargit puisque l'article 71 de la Constitution renvoie à la loi toutes les matières ayant trait aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques82.

D'autre part, si la possibilité était reconnue à l'Assemblée nationale d'intervenir en dehors même de son domaine, cela contribuerait plus encore à l'élargissement de celui-ci.

2. L'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire par volontés concordantes du législateur et de l'exécutif

Si le Parlement veut intervenir dans le domaine réglementaire et que le président de la République ne s'y oppose pas, cette intervention en principe contraire à la délimitation matérielle des compétences législatives et réglementaires (a) ne sera cependant pas sanctionnée par le Conseil constitutionnel (b).

a. Une intervention en principe contraire à la délimitation matérielle de la loi par la Constitution

Initialement et en s'en tenant à la lettre de la Constitution qui opérait la délimitation des domaines législatif et réglementaire, le Conseil constitutionnel français veillait très strictement à ce que la loi porte bien sur des matières législatives prévues à l'article 34 ou,

80 Déc. n° 63-22 du 19 février 1963, Rec. p. 27. La nouvelle jurisprudence du Conseil constitutionnel résultant de sa décision du 28 novembre 1973 (compétence législative en matière de contraventions et des peines applicables) va également à l'encontre de la position adoptée par le Conseil d'État (12 février 1960, Société Eky).

81 Le préambule de la Constitution de 2000 ne se réfère plus à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Cela traduirait, selon René Dégni-Ségui, la volonté des auteurs de la Constitution de 2000 de couper le « cordon ombilical avec l'ex-colonisateur » (Introduction au droit, Abidjan, EDUCI, 2009, p. 72).

82 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 193. Pour plus de développements sur l'extension du domaine législatif : voir Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 322-329.

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plus rarement, à un autre article de la Constitution. Ainsi, une loi comportant des dispositions à caractère non législatif -ne satisfaisant donc pas au critère matériel de l'article 34 (notre article 71)- eût été exposée à la censure du Conseil constitutionnel saisi par le président de la République, le président de l'Assemblée nationale ou au moins un dixième des députés en application de l'article 61.2 de la Constitution (notre article 95.2). Le domaine de droit commun dont dispose le président de la République était par conséquent un domaine exclusif et il ne pouvait en principe se montrer généreux en autorisant le Parlement à y intervenir. Le domaine législatif ne présenta jamais au contraire ce caractère exclusif : le président de la République peut y intervenir soit avec l'accord du législateur -les ordonnances de l'article 75-soit sans son accord -les décisions présidentielles de l'article 48 et les ordonnances budgétaires83.

Désormais, l'intervention du législateur dans le domaine réglementaire est admise à condition de satisfaire à certaines exigences que nous aborderons tout à l'heure. La voie se trouve ainsi ouverte de voir des lois empiétant sur le domaine réglementaire et qui ne seraient pas déclarées inconstitutionnelles en cas de saisine du Conseil constitutionnel.

Certes une telle intervention de l'Assemblée nationale est en principe contraire à la délimitation matérielle des compétences voulue par les auteurs de la Constitution, mais elle ne saurait dorénavant être systématiquement censurée.

b. Une intervention non systématiquement sanctionnée par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel français ne considère plus que l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire doive être sanctionnée en cas de recours lorsque l'accord du Gouvernement et du Parlement vient à couvrir cette intervention84. Le domaine réglementaire a été institué au profit du seul Gouvernement et la Constitution lui donne des moyens de le protéger des empiètements du législateur : l'article 41 (notre article 76) lui

83 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 84. La délimitation des compétences législative et réglementaire tracée par la Constitution est originairement voulue comme étant immuable, absolue : des mécanismes sont alors destinés à assurer, selon le mot de Francis V. Wodié, « l'intangibilité des frontières » (op.cit., p. 194). Mais cette intangibilité des frontières n'est pas autant assurée au profit du domaine législatif que du domaine réglementaire : celui-ci est rigoureusement protégé tandis que celui-là l'est assez faiblement.

84 Décision du 30 juillet 1982 du Conseil constitutionnel relative à la loi sur les prix et les revenus. Cette décision du Conseil constitutionnel constitue un véritable tournant et est largement commentée par la doctrine : elle relativise la limitation du domaine de la loi (Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p. 755), elle sonne le glas du critère matériel de la loi défini à l'article 34 -notre article 71- (Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 34), etc.

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permet d'opposer l'irrecevabilité aux propositions et amendements qu'il juge ne pas être du domaine de la loi tandis que l'article 37.2 lui permet d'obtenir la restitution de son pouvoir réglementaire sur les matières irrégulièrement introduites dans une loi. Dès lors que le Gouvernement consent aux empiètements du législateur soit en s'abstenant à l'égard d'une proposition de loi d'user de la procédure de l'article 41 soit en déposant lui-même un projet de loi portant sur des matières non législatives, l'irrégularité commise -l'intervention du pouvoir législatif dans le domaine réglementaire- est couverte85.

Dès lors, l'article 61.2 (notre article 95.2) de la Constitution ne saurait désormais constituer une telle protection que dans la stricte mesure où le Gouvernement aurait manifesté son hostilité à l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire.

En définitive, la jurisprudence du Conseil constitutionnel et la pratique gouvernementale concordent toutes deux à retenir une conception extensive du domaine de la loi86 au point que certains se demandent s'il n'y a pas tout simplement un abandon du critère matériel87. Cette conception extensive du domaine de la loi est par ailleurs confortée par la politique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel qui oblige le législateur à exercer pleinement sa compétence (théorie de l'incompétence négative du législateur).

Bien que la compétence législative de l'Assemblée nationale soit largement étendue et élargie, il reste qu'elle n'est plus le seul législateur au sens large du terme. A côté d'elle, le président de la République dispose d'une compétence normative importante.

Paragraphe 2 : La compétence normative du pouvoir exécutif

La compétence normative du président de la République se ramène à ses pouvoirs réglementaire et exécutif (A). Elle comprend en outre un pouvoir de législation déléguée (B).

85 La décision du 30 juillet 1982, blocage des prix, a été confirmée par une jurisprudence constante, notamment par deux décisions du 18 juillet 1983, Démocratisation du secteur public, et du 19 janvier 1984, Contrôle des établissements de crédits. Elle a ensuite été tempérée par la décision du 21 avril 2005 relative à la loi sur l'avenir de l'école (Louis FAVOREU et Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 16e éd., Paris, Dalloz, 2011, p. 362-374) avant d'être pleinement réaffirmée (décision n° 2012-649 DC du 15 mars 2012, cons. 10).

86 Le Conseil constitutionnel a par ailleurs décidé que toute atteinte à un principe général du droit ne pourra être faite que par une loi et en incluant dans la liste tous les principes déjà dégagés ou à dégager par le Conseil constitutionnel (observations relatives à la décision du Conseil constitutionnel du 26 juin 1969, Protection des sites, Grandes décisions, n° 18) tandis que les principes généraux de droit s'imposent au règlement selon le Conseil d'État (Syndicat général des ingénieurs conseils, G.A., n° 78) ; c'est une extension considérable de la compétence législative (François LUCHAIRE, « Le Conseil constitutionnel et la protection des libertés publiques », in Mélanges Waline, p. 506).

87 Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 326.

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A/ Les pouvoirs réglementaire et exécutif

On considère de manière classique qu'il y a lieu de faire une distinction entre règlements autonomes et règlements dérivés (1). L'évolution de la jurisprudence constitutionnelle précédemment analysée conduit cependant à poser la question même du maintien de cette distinction classique (2).

1. La distinction classique entre pouvoir réglementaire (règlements autonomes) et pouvoir exécutif (règlements dérivés)

La Constitution de 2000 distingue entre les pouvoirs réglementaire et exécutif. Pour l'exercice de ces deux types de pouvoirs, le président de la République prend des décrets réglementaires. Mais au titre du pouvoir réglementaire, il dispose d'une liberté d'initiative absolue (a) tandis qu'au titre du pouvoir exécutif sa liberté d'initiative est beaucoup plus limitée (b)88.

a. Le pouvoir réglementaire, pouvoir de législation autonome et de droit commun

Le pouvoir réglementaire est celui en vertu duquel le président de la République dispose d'un pouvoir de législation autonome et de droit commun. Ce pouvoir de législation est autonome parce qu'il n'est pas subordonné à une loi : il intervient spontanément dans les matières en principe exclusives de la compétence législative par suite de la répartition matérielle des compétences entre la loi et le règlement opérée par la Constitution et il est directement subordonné à celle-ci et aux principes généraux du droit, mais non à la loi89. Le pouvoir réglementaire autonome rivalise pour ainsi dire avec le pouvoir législatif, chacun en son domaine90.

Il est par ailleurs un pouvoir de législation de droit commun91 puisqu'en dehors des matières énumérées par l'article 71 et quelques autres articles de la Constitution ressortissant de la compétence de l'Assemblée nationale, toutes les autres matières rentrent dans le

88 Nous empruntons la judicieuse distinction entre « pouvoir réglementaire » et « pouvoir exécutif » à Maurice Duverger : le pouvoir réglementaire consiste à prendre des règlements autonomes tandis que le pouvoir exécutif est un pouvoir de mise en oeuvre des lois adoptées par le Parlement (op.cit., p. 560-562).

89 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 87.

90 René DEGNI-SEGUI, Droit administratif général : l'action administrative, 4e éd., Abidjan, NEI-CEDA, tome II, 2012, p. 41.

91 René DEGNI-SEGUI, Introduction au droit, op.cit., p. 84.

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domaine du pouvoir réglementaire : l'article 72.1 énonce en effet que : « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi relèvent du domaine réglementaire ». Il en résulte que le pouvoir législatif dispose d'un pouvoir d'attribution et que, corrélativement, le pouvoir réglementaire est extrêmement large, les règlements autonomes peuvent intervenir dans des domaines très importants92.

Par ailleurs, les règlements autonomes peuvent valablement, dans leur domaine résiduel mais extrêmement large, modifier une loi après avis du Conseil constitutionnel si la loi est antérieure à la Constitution de 2000 (art. 72.2). Mais cette faculté donnée au président de la République d'obtenir la délégalisation des lois intervenues dans le domaine réglementaire ne vaut que pour les lois antérieures à l'entrée en vigueur de la Constitution : celles postérieures à l'entrée en vigueur de la Constitution intervenues dans le domaine réglementaire échappent à toute délégalisation.

A côté de ce pouvoir réglementaire autonome, le président de la République conserve le droit de faire des règlements complémentaires des lois existantes.

b. Le pouvoir exécutif, pouvoir subordonné d'application des lois

Le président de la République conserve le droit de faire des règlements complémentaires des lois existantes en complétant et en précisant leurs dispositions en application de l'article 44 de la Constitution : à cela correspond désormais la notion précise de « pouvoir exécutif »93.

Aux termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il appartient toujours et en toutes matières au pouvoir réglementaire de mettre en oeuvre les prescriptions législatives, c'est-à-dire d'arrêter les modalités d'application de ces prescriptions94. Il n'est donc pas nécessaire que la loi demande explicitement un décret d'application pour que le

92 Georges BURDEAU, op.cit., p. 607 ; Maurice DUVERGER, op.cit., p. 561 et 616 ; Obou OURAGA, op.cit., p. 232 ; Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 193 ; etc.

93 Avant 1958, le pouvoir réglementaire faisait partie du pouvoir exécutif : le pouvoir réglementaire était destiné à l'application des lois. Mais un embryon de pouvoir réglementaire distinct du pouvoir exécutif proprement dit existait mais se limitait à l'ordre public et aux services publics. Depuis 1958, c'est le pouvoir exécutif qui fait partie du pouvoir réglementaire : l'application des lois n'est désormais qu'un aspect d'un pouvoir plus large. C'est pourquoi l'on use parfois du terme de « pouvoir réglementaire » pour parler de l'application même des lois ; de même, on continue à parler plus généralement de « pouvoir exécutif » parlant du président de la République alors que son pouvoir va désormais bien au-delà de la seule application des lois.

94 Raymond ODENT, Contentieux administratif, Fascicule I, Les cours de droit, Paris, 1970-1971. p. 191. Même si le Parlement exerçait la plénitude de sa compétence législative, le Conseil constitutionnel admet que le pouvoir réglementaire pourrait toujours intervenir pour préciser les mesures d'application de la loi.

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Gouvernement puisse intervenir95. Le Parlement ne peut d'ailleurs pas se substituer à ce pouvoir exécutif, puisque le Conseil constitutionnel lui refuse le droit d'intervenir à l'égard des règlements d'application conformes à la loi96. Cela devrait logiquement conduire, en contrepartie, à un changement de la jurisprudence du Conseil d'État, admettant qu'une loi ne pouvait être appliquée, quand elle renvoyait à un règlement pour préciser ses dispositions, et que ce règlement n'avait pas été pris par l'exécutif. Mais en l'état actuel du droit positif, le président de la République se trouve investi à l'égard des lois d'un véritable droit de veto suspensif : il peut, en s'abstenant de prendre les décrets d'application requis, priver d'effet les lois votées par l'Assemblée nationale97.

Le pouvoir exécutif reste toutefois tenu de respecter la loi qu'il ne peut enfreindre, sinon le règlement pourra être annulé par le moyen d'un recours pour excès de pouvoir.

La distinction entre le pouvoir réglementaire et le pouvoir exécutif du président de la République -opérée par la lettre de la Constitution- peut difficilement être maintenue au regard de l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle.

2. De l'obsolescence de la distinction classique entre règlements autonomes et règlements dérivés : l'assimilation jurisprudentielle du pouvoir réglementaire au pouvoir exécutif

La conception classique (une conception matérielle) de la répartition des compétences entre le règlement et la loi avait confiné celle-ci dans un domaine d'intervention assez étroit quand celui-là bénéficiait au contraire d'un domaine le plus large possible98 (a). La tradition républicaine devait pourtant être plus forte puisque l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle est allée dans le sens d'une remise en cause de l'approche matérielle99 (b).

95 Si la loi demandait explicitement un décret d'application au Gouvernement, celui-ci intervient alors généralement par un décret en Conseil d'État. Mais sans que la loi n'en fasse la demande, le Gouvernement peut toujours intervenir. Cette situation n'est pas sans susciter des critiques de la doctrine (Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD, Le gouvernement de la France sous la Ve République, 4e éd., Paris, Dalloz, 1992, p. 381) mais force est d'admettre qu'une limitation du pouvoir réglementaire d'application des lois exigerait sans doute une modification de la Constitution.

96 Décision du Conseil constitutionnel français du 27 novembre 1959 (J.O., Débats parlement, Sénat, 2 décembre). Voir également Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO, op.cit., p. 450-452.

97 Bernard CHANTEBOUT, op.cit., p. 592.

98 Maurice DUVERGER, op.cit., pp. 561 et 615.

99 Bernard CHANTEBOUT, ibid., p. 588 ; René DEGNI-SEGUI, Droit administrative général : l'action administrative..., p. 43-45 ; Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 755 ; Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 328. Au colloque d'Aix-en-Provence organisé les 2 et 3 décembre 1977, la doctrine -au vu d'une jurisprudence constitutionnelle qui a sans cesse élargi le domaine législatif- admet que « la révolution juridique

a. 30

L'approche matérielle de la répartition des compétences législatives et réglementaires

On a longtemps d'abord considéré, en se fiant à l'article 71, que le Parlement légiférait de deux façons : soit en fixant les règles soit en déterminant les principes fondamentaux. Le législateur devrait donc disposer d'une compétence plus étendue lorsqu'il fixe les règles que lorsqu'il détermine les principes fondamentaux. Une telle distinction entraînerait des conséquences sur le pouvoir exécutif du président de la République : dans le premier cas, celui-ci n'aurait pas à intervenir ou en tout cas son intervention serait assez limitée tandis que dans le second cas son intervention est nécessaire et de grande ampleur100.

Parallèlement à la compétence du législateur ainsi définie, on considérait que la compétence réglementaire elle-même se subdivisait en deux domaines différents : d'une part, il était autorisé, en application de l'article 72, à prendre des règlements dits autonomes dans les matières autres que celles qui relèvent du domaine de la loi et d'autre part, il pouvait aussi, en vertu du pouvoir d'assurer l'exécution des lois qui lui est reconnu par l'article 44, prendre des règlements dits d'application des lois et se situant par conséquent dans le cadre de l'article 71 et plus généralement du domaine législatif.

Cette interprétation des dispositions constitutionnelles relatives aux compétences respectives du président de la République et de l'Assemblée nationale consacrée à la fois dans l'esprit même des auteurs de la Constitution, par la doctrine et par la jurisprudence constitutionnelle des premières années peut être difficilement maintenue au regard de l'évolution ultérieure de cette dernière.

b. La remise en cause de l'approche matérielle au regard de l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle

La distinction classique entre les règlements autonomes et les règlements d'application des lois est remise en cause au regard de la jurisprudence constitutionnelle. Si le Conseil d'État procède toujours à un contrôle différencié des deux sortes de règlements dans la mesure où il ne peut confronter les premiers à des lois par hypothèse inexistantes ni les seconds à la Constitution en raison de la théorie de la loi-écran101, le Conseil constitutionnel

n'a pas eu lieu » (Jean Rivero) ; ce constat prend tout son sens avec la décision précitée du Conseil constitutionnel français du 30 juillet 1982.

100 Bernard CHANTEBOUT, ibid., p. 583.

101 René CHAPUS, Droit administratif général, 3e éd. Paris, tome I, 1987, p. 481.

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assimile quant à lui -de manière indirecte dans sa jurisprudence relative à la loi- les deux types de règlements.

La jurisprudence constitutionnelle a recréé l'unité du pouvoir réglementaire en assignant aux dispositions constitutionnelles délimitant les domaines législatif et réglementaire une signification différente de celle qui avait été, jusque-là, admise. Selon cette signification nouvelle, l'article 37 (notre article 72.1) détermine l'étendue du pouvoir réglementaire qui s'exerce lorsque le législateur n'est pas ou pas encore intervenu et également, lorsqu'il est intervenu, pour préciser les modalités d'application des lois102. L'article 21 (notre article 44) détermine pour sa part l'autorité investie du pouvoir réglementaire général, à savoir le Premier ministre (le président de la République, dans notre régime politique).

Il en découle deux conséquences majeures : d'une part, il n'existe aucunement un pouvoir réglementaire autonome distinct du pouvoir réglementaire dérivé103 et d'autre part le pouvoir législatif dispose désormais et à l'égard de toutes les matières d'un pouvoir de mise en cause104. On aboutit ainsi timidement mais incontestablement à un retour au critère organique de la loi.

En définitive, l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel montre clairement une remise en cause de la distinction classique entre règlements autonomes et règlements dérivés par une assimilation du pouvoir réglementaire au pouvoir exécutif : le pouvoir réglementaire dont dispose le président de la République est presque toujours un pouvoir de mise en application des lois105.

102 Décision 76.94 du 2 décembre 1976, Rec., p. 67 : « Considérant que la Constitution, en son article 37, réserve au législateur la fixation des règles concernant les droits civiques... et laisse, en vertu de son article 37, au pouvoir réglementaire le soin d'édicter les mesures nécessaires pour l'application de ces règles ». Ainsi le degré d'intervention du législateur s'arrête à la « mise en cause » (de toute matière) et ne saurait descendre jusqu'aux modalités d'application laissées au pouvoir réglementaire. Cette conception condamne deux idées bien distinctes : celle de la distinction entre « la loi fixe les règles » et « la loi détermine les principes fondamentaux » et celle de l'existence même d'un pouvoir réglementaire autonome distinct du pouvoir réglementaire dérivé.

103 Louis FAVOREU, « Les règlements autonomes n'existent pas », Revue française de droit administratif, 1987, p. 871 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p.750-751.

104 Francis HAMON et Michel TROPER, ibid. ; René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 45.

105 Du domaine réglementaire autonome, on est passé à un « domaine de compétence partagée avec priorité au règlement » (Bernard CHANTEBOUT, op.cit., p. 590) ; René DEGNI-SEGUI, ibid. ; Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 759. Certes un domaine réglementaire opposable au législateur existe, mais il n'est pas aussi étendu que l'on avait pu le croire. Le Conseil constitutionnel se montre assez subtil : il déclare en effet, dans la décision précitée du 30 juillet 1982, que la Constitution « a voulu, à côté du domaine de la loi,

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En revanche, le président de la République peut se voir investir d'un véritable pouvoir de législation à condition bien sûr d'en obtenir la délégation expresse de l'Assemblée nationale.

B / Le pouvoir de législation déléguée

Le président de la République peut se voir temporairement autoriser à légiférer sur les matières normalement réservées à la compétence de l'Assemblée nationale. Ce pouvoir de législation déléguée est soumis à des conditions de mise en oeuvre (1) et obéit à un régime juridique (2).

1. Les conditions de mise en oeuvre du pouvoir de législation déléguée

Le pouvoir de législation déléguée ne peut être mis en oeuvre au profit du pouvoir exécutif que si certaines conditions sont satisfaites. Il faut d'une part le vote d'une loi d'habilitation (a) et d'autre part des conditions plus formelles (b).

a. L'autorisation législative

Aux termes de l'article 75, « le président de la République peut, pour l'exécution de son programme, demander à l'Assemblée nationale l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Plusieurs conditions tenant à l'autorisation législative découlent de cette disposition.

Le président de la République doit d'abord saisir l'Assemblée nationale, au moyen d'un projet de loi d'habilitation en principe106, d'une demande d'autorisation de prendre des ordonnances. L'Assemblée nationale peut accorder cette autorisation par l'adoption d'une loi d'habilitation ; celle-ci accorde au président de la République l'autorisation de prendre des ordonnances.

reconnaitre à l'autorité réglementaire un domaine propre ». (Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 535).

106 Le demande d'autorisation par voie d'amendement est cependant acceptée par le Conseil constitutionnel français (CC n° 2006-534 DC du 16 mars 2006, Loi pour le retour à l'emploi..., cons. 5) et est qualifiée par une certaine doctrine d' « habilitation furtive » (Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, « Chronique constitutionnelle française », Pouvoirs, n° 125, p. 171).

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C'est pour faciliter au président de la République « l'exécution de son programme » que le législateur l'autorise à prendre des « mesures qui sont normalement du domaine de la loi ».

S'agissant des matières législatives sur lesquelles peuvent porter les ordonnances, le Conseil constitutionnel français veille à ce qu'elles soient fixées avec une précision suffisante. Si la loi d'habilitation n'est pas suffisamment précise, il n'hésite pas à utiliser la technique des décisions de conformité sous réserve et à énoncer lui-même les précisions lui paraissant nécessaires et que le Gouvernement (le président de la République, dans le régime politique ivoirien) devra par conséquent observer, sous le contrôle éventuel du juge administratif107.

Il y a également les conditions tenant aux délais impartis au président de la République. Il s'agit d'une part du délai que fixe la loi d'habilitation et pendant lequel le Président est autorisé à prendre des ordonnances ; d'autre part, l'intervention du président de la République dans le domaine législatif étant en principe soumis à un contrôle ultérieur de l'Assemblée nationale, la loi doit également impartir au président de la République un second délai - nécessairement plus long que le premier- pour déposer le projet de loi de ratification. Enfin, il faut noter l'exigence jurisprudentielle de respecter de la Constitution. Cette exigence va de soi et s'applique à la loi d'habilitation comme à toute loi en principe108.

A ces conditions de fond s'ajoutent nécessairement des conditions de forme tenant à l'édiction des ordonnances.

b. L'édiction des ordonnances

Aux conditions tenant à l'autorisation législative et qui se ramènent à des conditions de fond s'ajoutent des conditions plus formelles. Les ordonnances doivent avant tout être prises dans le délai imparti au président de la République. Elles peuvent faire l'objet d'un avis du Conseil constitutionnel, doivent avoir été délibérées en Conseil des ministres109 et être

107 La décision du Conseil constitutionnel 86-208 des 1er et 2 juillet 1986 relative à l'élection des députés et autorisant le Gouvernement à délimiter par ordonnances les circonscriptions électorales est tout à fait représentative de cette technique.

108 Le Conseil constitutionnel va même plus loin et rappelle que la loi d'habilitation ne saurait « avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont confiés en application de l'article 38 de la Constitution, du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle » (Décision 86-208 des 1er et 2 juillet 1986). Ce qui lui permet de développer son contrôle sur les matières visées et sur les pouvoirs conférés par la loi.

109 La délibération des ordonnances en Conseil des ministres a une double origine constitutionnelle : d'une part, l'article 75 qui dispose : « (...) Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis éventuel du

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revêtues de la signature du président de la République ; en outre, les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication.

Les actes édictés par le président de la République en vertu de son pouvoir de législation délégué obéissent en outre à un certain régime juridique.

2. Le régime juridique des ordonnances de l'article 75

De la distorsion entre leur auteur et leur contenu résulte un caractère hybride affectant le régime juridique des ordonnances. Celui-ci est dominé par les deux délais prévus par la loi d'habilitation : le délai imparti pour prendre des ordonnances (a) et le délai imparti pour déposer le projet de loi de ratification (b).

a. De la publication des ordonnances au délai de dépôt de la loi de ratification

Dès leur publication, les ordonnances entrent en vigueur et déploient leurs effets juridiques : elles peuvent, dans le cadre de l'autorisation parlementaire, modifier, abroger, remplacer les lois existantes ou édicter des mesures nouvelles. Cependant, elles demeurent des actes administratifs bien qu'ayant une finalité législative et, en cette qualité, sont susceptibles de recours contentieux et annulables par le juge administratif110 ; d'autre part, elles ne peuvent déroger ni à la Constitution ni aux principes généraux de droit111. Contrairement à ce qui a pu être soutenu112, l'Assemblée nationale n'est pas dessaisie de son droit de légiférer sur les matières déléguées de sorte que, pendant le premier délai, sur la même matière, deux types de compétences -présidentielle et parlementaire- peuvent s'exercer concomitamment113.

Conseil constitutionnel (...)» et d'autre part, l'article 51 : « (...) Le Conseil des ministres délibère obligatoirement (...) des projets de lois, d'ordonnances et des décrets réglementaires (...) ».

110 Conseil d'État, 3 novembre 1960, Damiani.

111 Les ordonnances prises par le président de la République en matière législative en vertu de l'article 38 (article 75 Constitution ivoirienne) de la Constitution sont soumises au respect des principes généraux de droit proprement dits (Conseil d'État, 24 novembre 1961, Fédération nationale des syndicats de police). Alors que l'on sait que ces principes généraux de droit ne s'imposent pas au législateur.

112 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 47 ; Obou OURAGA, op.cit., p. 233.

113 L'article 76 de la Constitution n'autorise à prononcer l'irrecevabilité qu'à l'encontre des propositions et amendements qui ne sont pas du domaine de la loi. L'omission voulue par les auteurs des Constitutions de 1960 (art. 46) et de 2000 (art. 76) autorise l'interprétation du non-dessaisissement de l'Assemblée nationale dans le cadre de la loi d'habilitation. Francis Wodié écrit toutefois qu' « en bonne et stricte logique (technique) juridique, la délégation de compétence (pouvoir) entraîne ipso jure dessaisissement de l'autorité délégante pendant tout le temps de cette délégation ; ainsi l'autorité délégante ne peut évoquer pendant ce temps (délai)

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Lorsque le délai imparti pour prendre des ordonnances est expiré, les ordonnances demeurent des actes réglementaires. Le président de la République ne peut plus prendre de nouvelles ordonnances puisque l'autorisation législative qui lui avait été accordée a pris fin et il ne peut pas davantage, à l'égard des ordonnances déjà édictées et pour la même raison, modifier celles de leurs dispositions ayant un caractère législatif. Concernant l'Assemblée nationale, il n'est pas exact de dire qu'elle recouvre sa compétence sur les matières qui avaient fait l'objet de la loi d'habilitation car, ainsi que nous l'avons déjà indiqué, elle n'a jamais perdu cette compétence ; mais elle dispose seule désormais de la faculté de modifier les ordonnances édictées. Nous sommes donc en présence d'une catégorie d'actes à valeur réglementaire, susceptibles en tant que tels d'annulation par le juge administratif, mais dont les dispositions matériellement législatives ne peuvent être modifiées que par la loi et non par le règlement.

Dès que ce premier délai est expiré, il faut envisager un régime juridique différent de celui que nous venons d'étudier.

b. Après l'expiration du délai de dépôt de la loi de ratification

Deux hypothèses doivent être distinguées selon que le président de la République a déposé ou non à temps le projet de loi de ratification sur le bureau de l'Assemblée nationale.

Si le président de la République n'a pas déposé à temps le projet de loi de ratification, les ordonnances prises deviennent caduques : il s'agit donc d'une simple abrogation et non d'une nullité ab initio. Le simple dépôt du projet de loi de ratification par le président de la République suffit : si le projet est déposé mais ne vient pas en discussion, les ordonnances demeurent des actes administratifs avec les implications que cela comporte.

Si le président de la République dépose à temps le projet de loi de ratification, trois hypothèses peuvent être distinguées. D'abord, l'Assemblée nationale bien que saisie dans le délai ne se prononce pas : les ordonnances continuent à s'appliquer avec leur nature d'actes administratifs. Ensuite, l'Assemblée nationale refuse de ratifier les ordonnances prises et elles

une affaire comprise dans la délégation de compétence ; d'où le rejet de la concurrence de compétences pendant ce délai » (op.cit., p. 199).

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deviennent caduques. Enfin, elle ratifie les ordonnances114 et celles-ci acquièrent force de loi pour l'avenir et échappent à tout recours contentieux.

Mais le Conseil constitutionnel peut être amené à apprécier la conformité à la Constitution de certaines ordonnances auxquelles la confirmation parlementaire -exercée le cas échéant en les modifiant- a conféré valeur législative. Ce faisant, le président de la République pourrait saisir le Conseil constitutionnel au titre de l'article 72.2 pour lui demander de constater que certaines dispositions d'une ordonnance ayant acquis valeur législative sont matériellement réglementaires.

La répartition des compétences entre l'Assemblée nationale et le président de la République telle qu'opérée par la Constitution n'est pas sans susciter d'éventuels empiètements d'un organe sur le domaine de compétences de l'autre. Des procédures sont donc prévues pour non seulement protéger les domaines respectifs du président de la République et de l'Assemblée nationale mais également pour sanctionner les ingérences réciproques.

Section II : La sanction attachée à la délimitation des compétences

La distinction entre matières législatives et matières réglementaires établie par la Constitution peut s'avérer insuffisamment précise. Il est également presque inévitable que chacun des organes soit amené à étendre ses compétences au-delà de son domaine propre. En prévision de telles situations, se trouvent être assurées la protection du domaine réglementaire (paragraphe 1) aussi bien que celle du domaine législatif (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La protection du domaine réglementaire

La protection du domaine réglementaire est organisée par la Constitution elle-même. Cette protection est rigoureuse car elle est à la fois a priori (A) et a posteriori (B).

A/ Une protection a priori : l'opposition d'irrecevabilité de l'article 76

114 L'article 75 impose, à peine de caducité, le dépôt d'un projet de loi de ratification « avant la date fixée par la loi d'habilitation ». Il n'interdit pas pour autant que la ratification puisse intervenir par l'adoption d'un texte de loi différent du projet déposé et ayant un objet plus étendu, de sorte que le projet de loi de ratification ne pourrait plus avoir qu'une fonction conservatoire, en évitant la caducité des ordonnances.

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La protection a priori prévue à l'article 76 de la Constitution résulte de l'accord nécessaire entre les présidents de la République et de l'Assemblée nationale (1). Mais les députés ne sont pas désarmés devant cet accord intervenu entre les organes de la même majorité : ils peuvent le contester devant le Conseil constitutionnel (2).

1. Un accord nécessaire entre les présidents de la République et de l'Assemblée nationale

Une irrecevabilité peut être décidée contre les propositions et amendements de lois qui ne sont pas du domaine législatif. Il faut pour cela que le président de la République soulève une opposition d'irrecevabilité (a) et que le président de l'Assemblée nationale la retienne (b).

a. Un moyen de défense invoqué par le président de la République

Les propositions de lois et les amendements parlementaires qui ne sont pas du domaine de la loi sont irrecevables. Cette règle est une conséquence logique de la délimitation des domaines de compétences législatives et réglementaires puisque l'Assemblée nationale ne peut intervenir en dehors de son domaine de compétences propre.

La Constitution ne précise pas l'autorité qui a qualité pour soulever l'irrecevabilité. Mais étant donné qu'il s'agit de protéger le domaine réglementaire des empiètements éventuels du législateur, il est logique d'admettre que cette prérogative revienne au président de la République. C'est d'ailleurs cette solution que fournit le règlement de l'Assemblée nationale en son article 54.3115 qui précise que l'irrecevabilité est prononcée par le président de l'Assemblée nationale après avis de la conférence des présidents ou à la demande du président de la République.

Il est à noter que l'irrecevabilité n'est dirigée ici que contre les propositions et les amendements d'origine parlementaire. Mais le règlement de l'Assemblée nationale en son article 54.3 inclut également dans le champ des irrecevabilités les projets de lois qui ne sont pas du domaine de la loi116.

115 C'est l'ancien article 52.3 du règlement de l'Assemblée nationale avant sa modification par la résolution n° 2006 A du 1er juin 2006.

116 Outre le fait que cette disposition est inconstitutionnelle, elle est de surcroît illogique : l'irrecevabilité de l'article 76 doit être analysée comme un moyen de protection du domaine réglementaire et dès lors que le président de la République lui-même dépose un projet de loi dont certaines dispositions empiètent sur le domaine réglementaire, il va sans dire qu'il consent à ces empiètements.

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Aussi longtemps que la proposition ou l'amendement n'est pas voté, le président de la République peut soulever l'irrecevabilité en demandant au président de l'Assemblée nationale de la prononcer. Dans certains régimes politiques étrangers, ce droit appartient à l'exécutif même pour défendre la compétence législative que le Parlement lui a déléguée si bien que la délégation a pour effet de déposséder complètement le Parlement des questions qu'il a prêtées à la réglementation gouvernementale ; c'est la solution notamment en droit constitutionnel béninois117.

Mais le président de la République ne dispose pas de la faculté de décider unilatéralement de l'irrecevabilité. Il doit nécessairement s'adresser au président de l'Assemblée nationale qui doit accepter de donner une suite favorable à sa demande.

b. Un moyen de défense accepté par le président de l'Assemblée nationale

Si le président de la République soulève l'irrecevabilité, il faut encore que le président de l'Assemblée nationale admette que la proposition ou l'amendement contre lesquels l'irrecevabilité est invoquée empiètent bien sur le domaine réglementaire. La décision d'irrecevabilité est, aux termes de l'article 76.1 de la Constitution, une prérogative constitutionnelle du président de l'Assemblée nationale.

Si le président de l'Assemblée nationale conteste l'irrecevabilité invoquée par le président de la République, celui-ci pourra saisir le Conseil constitutionnel. Mais en raison de la nature de notre régime politique et plus encore du contexte politique ivoirien, il semble hypothétique que le président de l'Assemblée fasse de la résistance à une demande exprimée par le Chef de l'État : il est donc plus certain que les volontés concordantes de l'un et de l'autre empêchent la poursuite de la discussion de la proposition ou de l'amendement jugé irrecevable.

Mais bien heureusement, il existe une procédure constitutionnelle permettant aux députés de l'opposition de contester devant le Conseil constitutionnel cet accord intervenu entre les organes de la même majorité.

117 L'article 104.2 de la Constitution béninoise dispose que : « S'il apparaît que la proposition ou l'amendement sont contraires à une délégation accordée en vertu de l'article 102 de la présente Constitution, le Gouvernement peut opposer l'irrecevabilité ». L'article 102 de la Constitution béninoise est celui qui prévoit le pouvoir de législation déléguée.

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2. La contestation de l'accord entre les présidents de la République et de l'Assemblée nationale

La contestation par les députés de l'opposition de l'accord intervenu entre les présidents de la République et de l'Assemblée nationale en matière d'irrecevabilité des propositions et amendements entraîne la saisine du Conseil constitutionnel (a). Celui-ci apparaît en définitive comme le juge suprême des décisions d'irrecevabilité de l'article 76 (b).

a. La saisine du Conseil constitutionnel par les députés

Les députés qui contesteraient la décision d'irrecevabilité ne sont pas désarmés car ils pourraient toujours saisir le Conseil constitutionnel afin que celui-ci tranche la difficulté. Cette faculté ouverte aux députés -le seuil requis est le quart des députés au moins- par l'article 76 in fine de la Constitution est importante car elle donne en pratique une arme aux députés de l'opposition entendant contester l'irrecevabilité prononcée par le président de l'Assemblée nationale à la demande d'un président de la République du même bord politique. Évidemment, le président de la République dispose lui aussi de la faculté de saisir le Conseil constitutionnel pour contester la décision du président de l'Assemblée nationale refusant de prononcer l'irrecevabilité qu'il demande118. Mais le contexte politique ivoirien rend improbable, nous l'avons déjà dit, un tel conflit entre ces deux organes.

Dans le cadre de la Constitution béninoise, l'accord du Gouvernement et du président de l'Assemblée nationale désarme au contraire les députés auteurs de la proposition déclarée irrecevable. Ils ne disposent pas de la faculté de saisir la Cour constitutionnelle : le Gouvernement et le président de l'Assemblée nationale -appartenant à une même majorité politique- pourraient de la sorte s'entendre -l'un soulevant l'irrecevabilité et l'autre la prononçant- pour enterrer systématiquement toutes les propositions et amendements des

118 Article 76 de la Constitution : « (...) En cas de contestation, le Conseil constitutionnel, saisi par le président de la République ou par un quart des députés au moins, statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...)». Il apparaît donc que le président de l'Assemblée nationale ne dispose pas, en cette matière, de la faculté de saisir le Conseil constitutionnel. Il faut donc s'étonner de ce que le règlement de l'Assemblée nationale, en son article 54.3, dispose qu' « en cas de désaccord entre eux (entre le président de la République et le président de l'Assemblée nationale), le Président (de l'Assemblée nationale) peut consulter le Conseil constitutionnel... ». Ensuite, l'arbitrage exercé en ce cas par le Conseil constitutionnel étant bien décisionnel en ce qu'il statue au contentieux, il convient de ne pas prendre au pied de la lettre cet article 54.3 qui dispose qu' « en cas de désaccord entre eux, le président peut consulter le Conseil constitutionnel... ». Enfin le délai imparti au Conseil constitutionnel pour statuer est de quinze jours aux termes de la Constitution et non de huit jours comme l'énonce le règlement de l'Assemblée nationale (art. 54.3).

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députés de l'opposition sans que ceux-ci ne puissent contester cette décision devant le juge constitutionnel. Celui-ci ne peut être saisi que dans le cas où le président de l'Assemblée nationale refuserait de prononcer l'irrecevabilité demandée par le Gouvernement : saisie par l'un ou par l'autre, la Cour constitutionnelle statuerait dans un délai de huit jours (art. 104.3).

La faculté ouverte aux députés de contester l'accord intervenu entre le président de l'Assemblée nationale et le président de la République -deux organes de la même majorité-limite par conséquent l'arbitraire du pouvoir d'État en matière de décisions d'irrecevabilité à l'encontre des propositions et amendements en faisant en définitive du Conseil constitutionnel le seul juge de l'appréciation des décisions d'irrecevabilité.

b. Le Conseil constitutionnel, seul juge des décisions d'irrecevabilité

La saisine du Conseil constitutionnel suspend la discussion de la proposition de loi ou de l'amendement au sujet desquels se sont élevées les contestations quant à leur irrecevabilité. Si le Conseil constitutionnel ne statue pas dans le délai qui lui est imparti119, le texte est réputé recevable et l'Assemblée nationale est autorisée à l'examiner.

Si le président de la République n'agit pas au stade de la procédure législative pour opposer l'irrecevabilité à la proposition de loi empiétant sur le domaine réglementaire, il peut encore -après que cette proposition de loi est définitivement adoptée- la déférer à la censure du Conseil constitutionnel : c'est une des modalités de la protection a posteriori120.

B/ Une protection a posteriori : le contrôle de constitutionnalité et le déclassement des lois

La protection a posteriori du domaine réglementaire consiste essentiellement en un contrôle de constitutionnalité des lois votées (1) et en la possibilité de déclasser certaines lois intervenues avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000 (2).

1. Le contrôle de constitutionnalité de la loi

119 Ce délai est de quinze jours aux termes de l'article 76.2 et non de huit jours comme l'affirme le règlement de l'Assemblée nationale en son article 54.3 ; il conviendrait de corriger les nombreuses contradictions qui existent entre la Constitution et le règlement de l'Assemblée nationale, notamment celles relatives à la question des irrecevabilités de l'article 76 de la Constitution (voir à cet effet la note précédente).

120 La protection est a posteriori en ce sens que la proposition a franchi le stade de l'adoption et est devenue loi ; le Conseil constitutionnel, s'il juge qu'il y a inconstitutionnalité, n'intervient qu'à titre « curatif » et non préventif.

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Le contrôle de constitutionnalité des lois se présente comme un moyen « curatif » de l'empiètement de la loi sur le domaine réglementaire (a). Mais le sort de la loi déclarée inconstitutionnelle dépend de la forme de la déclaration d'inconstitutionnalité (b).

a. Un moyen curatif de l'empiètement de la loi sur le domaine réglementaire

Lorsque la proposition (ou l'amendement) a été adoptée et qu'elle est par conséquent devenue loi, elle peut encore, avant sa promulgation, être déférée au Conseil constitutionnel saisi par le président de la République, le président de l'Assemblée nationale ou un dixième au moins des députés ou par les groupes parlementaires121.

L'article 95.2 de la Constitution permet au président de la République de demander aux juges constitutionnels de censurer cet empiètement de la loi sur le domaine réglementaire : si ceux-ci reconnaissent qu'il y a bien transgression du critère matériel de la loi par le texte voté, les dispositions réglementaires pourront en être extirpées.

La saisine du Conseil constitutionnel est, entre les mains du président de la République ou des autres organes de la majorité, un moyen efficace de protection du domaine réglementaire. Le Président peut en effet s'abstenir de promulguer la loi jusqu'à l'expiration du délai de promulgation qui est de quinze jours et la déférer ensuite, avant l'expiration de ce délai, aux juges constitutionnels. Au contraire, rien ne l'empêche, s'il n'entend pas contester une loi, de la promulguer dès les premières heures suivant la transmission qui lui en est faite privant ainsi les députés (de l'opposition) d'exercer leur droit de saisine du Conseil constitutionnel.

Dès que le Conseil constitutionnel est saisi, le délai de promulgation cesse de courir, il est suspendu jusqu'à sa décision qui doit être rendue dans le délai maximum de quinze jours (article 77 in fine). Au cas où le Conseil constitutionnel déclare que la loi contestée est conforme à la Constitution, le Président devra en principe se résoudre à la promulguer. Mais

121 Les articles 77.1 et 95.2 posent un problème de qualité de rédaction de la Constitution : l'article 77.1 portant exactement sur le même objet que l'article 95.2 ne mentionne pas le président de la République comme l'une des autorités pouvant saisir le Conseil constitutionnel et n'indique pas que la saisine de celui-ci suspend le délai de promulgation tandis que l'article 95.2 n'indique pas le délai dans lequel doit statuer le Conseil constitutionnel saisi, de sorte que l'on doit lire les deux articles séparément pour avoir une vue d'ensemble sur la question de la saisine du Conseil constitutionnel en matière de lois. Il aurait été plus cohérent de rédiger sous le même article ces divers éléments en évitant ainsi cet impression de redondance et d'insuffisance des deux articles.

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si le Conseil décide que la loi comporte réellement des dispositions non législatives, son sort dépendra de la forme de la déclaration d'inconstitutionnalité.

b. Le sort de la loi empiétant sur le domaine réglementaire et déclarée inconstitutionnelle

Le sort de la loi déclarée inconstitutionnelle en raison de son empiètement sur le domaine réglementaire dépend de la forme de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci peut en effet revêtir deux formes : soit le Conseil constitutionnel estime que la disposition inconstitutionnelle est inséparable du reste du texte, auquel cas la loi tout entière ne peut être promulguée ou appliquée122 soit il estime que les dispositions inconstitutionnelles peuvent être séparées du texte, auquel cas le président de la République peut, ou bien promulguer le texte amputé desdites dispositions -en occurrence les dispositions non législatives- ou bien demander une seconde délibération de la loi à l'Assemblée nationale afin de substituer de nouvelles dispositions conformes à la Constitution à celles qui ont été déclarées inconstitutionnelles123 (art. 42.3 de la Constitution).

Une autre modalité de la protection a posteriori aux mains du pouvoir exécutif est la délégalisation des textes de forme législative.

2. La délégalisation des textes de forme législative

La délégalisation des textes de forme législative permet au président de la République d'obtenir le déclassement par voie de décret de certaines lois adoptées avant la délimitation des domaines législatif et réglementaire opérée par la Constitution de 2000 (a). Mais cette procédure de délégalisation est beaucoup moins radicale en régime politique ivoirien qu'en d'autres régimes politiques africains (b).

122 L'article 28 de la loi du 5 août 1978 à laquelle la Constitution du 3 novembre 1960 (muette sur la question du contrôle de constitutionnalité) renvoyait, dispose -reprenant en cela l'article 62 de la Constitution française du 4 octobre 1958- que : « Aucune disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ou entrer en vigueur ». Il s'ensuit que la déclaration d'inconstitutionnalité d'une loi s'oppose seulement à sa promulgation et à son application, la loi déclarée inconstitutionnelle n'est par conséquent ni nulle ni annulée.

123 La solution dégagée par le juge constitutionnel français dans sa décision du 23 août 1985 (n° 85-197 D.C) relative à la loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie a été reprise par le législateur ivoirien dans la loi du 16 août 1994 relative au Conseil constitutionnel en ses articles 27 et 28 qui disposent respectivement « qu'au cas où le Conseil constitutionnel décide que la loi contient une disposition contraire à la Constitution et inséparable de l'ensemble de cette loi, celle-ci ne peut être promulguée » et qu'en revanche « dans le cas où la Conseil constitutionnel décide que la loi contient une disposition contraire à la Constitution sans constater en même temps qu'elle est inséparable de l'ensemble de cette loi, le Président de la République peut soit promulguer la loi à l'exception de cette disposition soit demander à l'Assemblée nationale une nouvelle lecture ».

a.

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Un moyen de reclassement des lois adoptées avant la délimitation des domaines législatif et réglementaire opérée par la Constitution de 2000

De nombreuses lois ont été adoptées depuis la naissance de la République de Côte d'Ivoire et -par l'effet de la délimitation des domaines législatif et réglementaire opérée par la Constitution de 2000- elles portent après coup sur des matières non législatives. Ces lois sont dénommées des « textes de forme législative » en ce qu'elles se caractérisent par la dissociation des critères matériel et organique qui définissent désormais la loi : organiquement, ce sont des lois parce qu'ayant été adoptées par des organes législatifs mais matériellement elles portent sur des matières devenues réglementaires124.

Le président de la République peut obtenir le déclassement de ces lois en les modifiant par décret : il doit simplement le faire après un avis du Conseil constitutionnel. Cette procédure connue sous le nom de délégalisation ou de décrétalisation permet de rétablir une unité rompue -par l'effet de la Constitution de 2000- de la forme et du fond des lois intervenues pendant quarante ans.

La procédure de délégalisation est traditionnelle dans la plupart des régimes politiques africains connaissant une délimitation des compétences législatives et réglementaires ; ainsi la Constitution du Niger, en son article 103.2 énonce que : « les textes de forme législative intervenus en ces matières antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente Constitution, peuvent être modifiés par décret pris après avis de la Cour constitutionnelle ».

Mais elle est moins radicale en droit constitutionnel ivoirien en ce qu'elle est inexistante à l'égard des lois intervenues après l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000.

b. Un moyen de reclassement inexistant à l'égard des lois intervenues après l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000

Le moyen offert au président de la République d'obtenir le déclassement -en les modifiant par décrets- des lois intervenues dans des matières devenues législatives par l'effet de la Constitution de 2000 se limite aux lois votées avant la délimitation des domaines législatif et réglementaire : il ne peut pas modifier par décret des lois votées après l'entrée en

124 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 194-195.

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vigueur de la Constitution et qui n'ont pas été déférées au Conseil constitutionnel avant leur promulgation125.

Dans le régime politique malien, l'exercice du pouvoir réglementaire aboutissant à modifier des lois peut se produire dans deux hypothèses : ou bien les lois en question ont été votées avant la délimitation des domaines législatif et réglementaire opérée par la Constitution ; ou bien des lois votées après cette délimitation n'ont pas été déférées à la Cour constitutionnelle avant leur promulgation. Dans la première hypothèse, le Gouvernement peut modifier librement les lois existantes par décret : il est simplement obligé de le faire par décret après avis de la Cour suprême (art. 73.2 de la Constitution malienne). Au contraire, dans le second cas, il ne peut le faire que si la Cour constitutionnelle a déclaré le caractère réglementaire de ces lois : si un Gouvernement, par négligence ou par volonté politique délibérée, ne défère pas à la Cour constitutionnelle, avant promulgation, une loi intervenant hors du domaine réservé au pouvoir législatif, ses successeurs ne seront pas enchaînés par sa décision, puisqu'ils pourront ainsi la remettre en cause devant la Cour constitutionnelle et la modifier ensuite par décret (art. 73.3). Des solutions similaires à ou proches de celle fournie dans la Constitution malienne existent également dans plusieurs autres Constitutions africaines126.

De même que le domaine réglementaire, le domaine législatif est également protégé d'éventuels empiètements du pouvoir exécutif.

Paragraphe 2 : La protection du domaine législatif

La protection du domaine législatif est assurée soit par le recours pour excès de pouvoir (A) soit par divers autres moyens notamment la déréglementation de facto des textes de forme réglementaire (nous avons convenu de l'appeler ainsi) et la théorie jurisprudentielle de l'incompétence négative du législateur (B).

A/ Un moyen de protection aléatoire mais efficace : le recours pour excès de pouvoir

125 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 207.

126 Constitution du Sénégal (art. 76.2) et autres Constitutions africaines...

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Le recours pour excès de pouvoir apparaît comme un véritable contrôle de constitutionnalité des règlements (1). Le sort réservé aux règlements déclarés inconstitutionnels est d'ailleurs plus prononcé que celui des lois déclarées comme telles (2).

1. Un véritable contrôle de constitutionnalité des règlements empiétant sur le domaine législatif127

Le recours pour excès de pouvoir est un moyen curatif de l'empiètement du règlement sur le domaine législatif (a) mais il reste fermé au Parlement tout en étant ouvert aux citoyens (b).

a. Un moyen curatif de l'inconstitutionnalité du règlement en raison de son empiètement sur le domaine législatif

Parce qu'il n'existe aucune protection préventive -la contrepartie de l'opposition d'irrecevabilité à l'encontre des propositions qui ne sont pas du domaine de la loi- contre les règlements susceptibles d'empiéter sur le domaine de la loi, le règlement même inconstitutionnel continuera cependant à s'appliquer. Le recours pour excès de pouvoir qui sera éventuellement formé contre ce règlement ne peut alors apparaître que comme un moyen « curatif » de son inconstitutionnalité : il intervient a posteriori, alors que l'empiètement est réalisé et que le règlement inconstitutionnel est devenu exécutoire et a déjà commencé à produire ses effets.

Nous parlons bien de règlement inconstitutionnel. Car le juge administratif -la chambre administrative de la Cour suprême- est bel et bien un juge de la constitutionnalité, et pas seulement un juge de la légalité stricto sensu, des actes administratifs128. Ce contrôle de constitutionnalité permet au juge administratif d'imposer le respect, par les actes administratifs, de la norme constitutionnelle : un décret du président de la République qui excéderait la compétence réglementaire c'est-à-dire qui empièterait sur le domaine législatif

127 Jean-Marc SAUVE, Justice administrative et État de droit, intervention à l'Institut d'études judiciaires de l'Université Panthéon-Assas sur le thème "Justice administrative et État de droit", le lundi 10 février 2014.

128 Si un règlement est déféré à la censure de la chambre administrative de la Cour suprême en raison de son empiètement sur le domaine législatif et que celle-ci procède à un examen dudit règlement, le contrôle qu'elle exerce est bien un contrôle de constitutionnalité : elle vérifie, au regard de la Constitution et notamment de son article 71, si le règlement porte sur l'une des matières que les auteurs de la Constitution ont laissée à la compétence du législateur. Le seul contrôle que le juge administratif se refuse à exercer est celui de la constitutionnalité des lois qui, aux termes de la Constitution, revient au Conseil constitutionnel.

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en méconnaissance des dispositions constitutionnelles serait contraire à la Constitution et pourrait être annulé.

Mais à la différence de la contestation de la loi ouverte aux organes de la majorité - présidents de la République et de l'Assemblée nationale, députés du parti au pouvoir- par la saisine du Conseil constitutionnel, la contestation du règlement reste fermée aux députés (au pouvoir législatif) -et en pratique à l'opposition parlementaire- et n'est ouverte qu'aux citoyens par la saisine de la chambre administrative de la Cour suprême.

b. Un moyen de recours fermé au Parlement mais ouvert aux citoyens

Ce ne sont ni le président de l'Assemblée nationale ni les députés qui peuvent former le recours contre le règlement inconstitutionnel. Ce recours ne peut être formé que par un particulier qui doit avoir la qualité d'ester en justice et un intérêt pour agir. Une étude plus approfondie de cette question, relevant du contentieux administratif129, exigerait de trop longs développements mais rappelons simplement ici que la qualité de requérant est entendue de manière assez libérale par la jurisprudence administrative. La saisine du juge administratif par les seuls citoyens (à l'exclusion des députés ?) ne semble pas par conséquent une modalité de saisine moins démocratique que la saisine du Conseil constitutionnel qui est, elle, expressément consacrée au profit de l'exécutif et des autres organes de la majorité : de très nombreux citoyens peuvent en effet être fondés à attaquer un règlement inconstitutionnel. D'autre part, si le délai de recours contre le règlement inconstitutionnel est relativement court -deux mois- au-delà duquel aucun recours pour excès de pouvoir n'est recevable, une exception d'irrecevabilité pourra toujours être soulevée contre un règlement en cours d'instance.

Le recours pour excès de pouvoir exercé devant la chambre administrative de la Cour suprême paraît donc être -contrairement à ce que l'on eût pu penser- une contrepartie assez équitable du contrôle de constitutionnalité des lois exercé par le Conseil constitutionnel130. Le sort réservé au règlement déclaré inconstitutionnel par le juge de l'excès de pouvoir est d'ailleurs plus sévère que celui de la loi déclarée comme telle par le Conseil constitutionnel.

129 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 67-81 ; René DEGNI-SEGUI, Droit administratif général : le contrôle juridictionnel, 3e éd., Abidjan, CEDA, tome III, 2003.

130 Le fait que, par exemple, le recours pour excès de pouvoir ne soit pas suspensif en ce que le règlement contesté continue à produire ses effets jusqu'à la décision éventuelle d'annulation est compensé par le fait que si cette décision d'annulation intervenait, le règlement disparaîtrait ex numc et ab initio, c'est-à-dire comme s'il n'avait jamais été pris (René DEGNI-SEGUI, ibid.).

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2. Le sort du règlement déclaré inconstitutionnel en raison de son empiètement sur le domaine législatif

Le règlement reconnu comme violant la Constitution -en occurrence en raison de son empiètement sur le domaine législatif- sera annulé par le juge de l'excès de pouvoir (a) et les effets de cette annulation sont plus prononcés que ceux résultant de la déclaration d'inconstitutionnalité des lois (b).

a. La déclaration d'annulation des règlements empiétant sur le domaine législatif (...)

Si le règlement est reconnu comme empiétant sur le domaine législatif, la chambre administrative de la Cour suprême l'annulera. La décision d'annulation a une portée absolue au double plan personnel et temporel.

Rationae personae, la décision d'annulation possède l'autorité absolue de chose jugée. L'annulation produit effet à l'égard de tous. L'article 75 de la loi n° 94-4440 du 16 août 1994 relative à la Cour suprême131 reconnaît expressément cette autorité aux décisions d'annulation : « l'arrêt de la chambre administrative annulant en tout ou partie un acte administratif a effet à l'égard de tous ». Par conséquent, l'arrêt d'annulation doit être publié au Journal officiel (art. 75.2 de la loi). Le bénéfice de l'autorité absolue de chose jugée à la décision d'annulation s'explique par le caractère objectif du recours pour excès de pouvoir, qui est un procès fait non à une partie -dans ce cas, au président de la République- mais à un acte.

Rationae temporis, le règlement annulé est réputé n'être jamais intervenu et il disparaît en principe avec tous ses effets : c'est l'effet rétroactif de l'annulation pour excès de pouvoir, qui confère au recours pour excès de pouvoir sa puissance et son efficacité132.

Par tous ces caractères, la déclaration d'annulation du règlement inconstitutionnel par la chambre administrative en raison de son empiètement sur le domaine législatif est plus sévère dans ses effets que la déclaration d'inconstitutionnalité de la loi par le Conseil constitutionnel.

b. (...) entraînant des effets plus prononcés que ceux résultant de la déclaration d'inconstitutionnalité des lois empiétant sur le domaine réglementaire

131 Journal officiel de la République de Côte d'Ivoire, septembre 1994, p. 714.

132 Conseil d'État, 26 décembre 1925, R.D.P., 126, 32.

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Le sort réservé aux règlements annulés est plus sévère que celui qui frappe les lois déclarées inconstitutionnelles. En effet, la loi déclarée inconstitutionnelle ne peut simplement pas être promulguée ou appliquée. Il en résulte que la loi déclarée inconstitutionnelle n'est pas annulée : elle survit à la déclaration d'inconstitutionnalité qui s'oppose uniquement à ce qu'elle soit promulguée ou appliquée. Par cette solution, le constituant a certainement voulu préservé le pouvoir d'appréciation et de décision du législateur. On peut ici rappeler la décision du Conseil constitutionnel français en date du 23 août 1985 relative à la loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie : « lorsque, par l'effet d'une décision du Conseil constitutionnel, il apparaît que certaines dispositions de la loi non conformes à la Constitution, sans la rendre dans son ensemble contraire à la Constitution, peuvent au cours de la nouvelle délibération se voir substituer de nouvelles dispositions conformes à la Constitution... », la loi ainsi rendue conforme à la Constitution, sera promulguée et appliquée.

Si le législateur pourra reprendre la loi déclarée inconstitutionnelle et l'accorder à la Constitution pour qu'ensuite, elle puisse être promulguée ou appliquée, le président de la République doit au contraire, en tant que de besoin, reconstituer le passé comme si le règlement annulé n'était jamais intervenu133.

Deux autres moyens de protection du domaine législatif en plus de celui que nous venons de voir -l'un aux mains des députés et l'autre d'origine jurisprudentielle- sont la déréglementation de facto des textes de forme réglementaire et la théorie de l'incompétence négative du législateur.

B/ Les autres moyens de protection du domaine législatif

L'un de ces moyens -la déréglementation de facto des textes de forme réglementaire-est politique (1) et l'autre -la théorie de l'incompétence négative du législateur- est d'origine jurisprudentielle (2).

133 Pour les conditions relatives au recours pour excès de pouvoir : Martin Djézou BLÉOU, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative ivoirienne, Abidjan, CNDJ, 2014, p. 339-347.

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1. La déréglementation de facto des textes de forme réglementaire, moyen politique de protection du domaine législatif134

Le dépôt et l'adoption d'une proposition de loi sur la matière objet du règlement contesté peut aboutir à une déréglementation de fait de celui-ci (a). Mais il faut compter avec la réponse du président de la République et les conséquences susceptibles d'en résulter (b).

a. Le dépôt et l'adoption d'une proposition de loi sur la matière objet du règlement contesté

Si le président de la République prend un règlement sur une des matières réservées à la compétence de l'Assemblée nationale, les députés de l'opposition pourraient déposer une proposition de loi sur la même matière afin de faire échec à la tentative du président de la République et tenter de rétablir à leur tour la matière irrégulièrement soustraite par celui-ci au domaine de la loi.

Cette procédure est la contrepartie politique de la faculté institutionnelle offerte au président de la République de délégaliser les textes de forme législative intervenus avant la délimitation des domaines législatif et réglementaire par la Constitution de 2000.

Les textes de forme réglementaire n'étant que des règlements en la forme en ce qu'ils ont été pris par une autorité réglementaire -le président de la République- tandis qu'au fond ils ne portent pas sur des matières autres que celles qui relèvent du domaine de la loi comme l'exige l'article 72.2 de la Constitution135, l'adoption de la proposition de loi sur la matière objet dudit texte de forme réglementaire conduirait au reclassement, à la restitution de cette matière dans le domaine législatif. Nous assisterions ainsi à une procédure de déréglementation ou de légalisation qui -sans être expressément consacrée par la Constitution- n'y serait pas moins conforme.

134 Cette déréglementation est de fait et elle est politique car n'étant pas expressément consacrée par la Constitution, même si elle ne lui est en rien contraire. D'autre part, nous parlons de déréglementation des « textes de forme réglementaire » par analogie au terme constitutionnel de « textes de forme législative » ; les textes de forme réglementaire ne sont que des règlements en la forme mais ils portent sur des matières que la Constitution a réservées à la compétence du législateur.

135 Nous distinguons les textes de forme réglementaire des textes de valeur législative. Les premiers comme les seconds sont des textes organiquement réglementaires et matériellement législatifs mais tandis que les premiers sont inconstitutionnels, se situant en dehors de tout cadre constitutionnel, les seconds sont parfaitement conformes à la Constitution. Ils sont soit des décisions présidentielles prises en vertu de l'article 48 soit des ordonnances prises en vertu de l'article 75.

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Mais il faut compter avec l'attitude que le président de la République pourrait observer en face d'un tel acte de défiance à son égard.

b. La réponse du président de la République et ses conséquences

Le président de la République pourrait ne pas rester passif devant une telle procédure de déréglementation. Il se peut ainsi qu'il use de moyens en sa disposition pour tenir en échec une telle tentative.

Il pourrait par exemple opposer l'irrecevabilité à la proposition tendant à la déréglementation'36, auquel cas le Conseil constitutionnel -saisi par lui ou par les députés-tranchera la difficulté. Ce faisant, le Conseil constitutionnel statuera et décidera si la matière litigieuse relève de l'un ou de l'autre domaine ; il pourrait décider que la matière ressortit au domaine législatif et, dans ce cas, la proposition suit le cours normal de la procédure législative.

Mais si le Président craint une telle éventualité et s'il est assuré de sa majorité à l'Assemblée nationale, il laissera venir la proposition en discussion car il a évidemment toutes les chances de la voir rejetée. Ainsi, la proposition sera écartée, le règlement restera en application, sans que le Conseil constitutionnel ait été consulté et que, par conséquent, les controverses aient été tranchées'37. Le succès de la procédure de déréglementation de facto des textes de forme réglementaire est donc, on le voit, plus que douteux.

Mais le Conseil constitutionnel s'est efforcé de mettre sur pied une théorie de l'incompétence négative du législateur qui tend à préserver l'intégrité du domaine législatif.

2. La théorie de l'incompétence négative du législateur, moyen jurisprudentiel de protection du domaine législatif

(b)'38.

En raison de la théorie jurisprudentielle de l'incompétence négative du législateur, celui-ci ne peut pas non seulement se lier lui-même dans l'exercice de sa compétence législative (a) mais également abandonner cette compétence législative -en dehors de tout cadre constitutionnel- au président de la République

136 L'opposition d'irrecevabilité prévue à l'article 76 de la Constitution de 2000.

137 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p.529.

138 Bernard CHANTEBOUT, op.cit., p. 591-593.

a.

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L'incapacité du législateur à se lier lui-même dans l'exercice de sa compétence législative

Le Conseil constitutionnel français a expressément rappelé que « le législateur ne peut lui-même se lier, qu'une loi peut toujours et sans condition, fût-ce implicitement, abroger ou modifier une loi antérieure ou y déroger ». Il s'ensuit que si une loi réserve au Gouvernement l'initiative législative dans un secteur déterminé, ces dispositions « sont dépourvues de tout effet juridique et ne peuvent limiter en rien le droit d'initiative du Gouvernement et des membres du Parlement, qu'elles ne sauraient pas davantage empêcher le vote dans l'avenir de lois contraires auxdites dispositions »139.

Le second aspect de l'incompétence négative du législateur est son incapacité à abandonner ou à déléguer sa compétence législative au profit de l'exécutif en dehors de tout cadre constitutionnel.

b. L'incapacité du législateur à abandonner ou à déléguer sa compétence législative au président de la République en dehors de tout cadre constitutionnel

Le législateur ne peut pas non plus s'abstenir d'exercer la plénitude de sa compétence législative et abandonner -en dehors de l'habilitation législative- au président de la République la fixation de certaines règles ou le champ d'application de règles que la loi pose140.

Si les compétences -notamment normatives- sont réparties entre le président de la

République et le Parlement et que cette répartition des compétences est protégée en ce que les empiètements réciproques sont sanctionnés, il est également nécessaire -pour la vitalité même du régime politique- que les deux organes du pouvoir politique collaborent entre eux141. Par

139 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit. p. 525 ; décision n° 82.142 D.C. du 27 juillet 1982, Rec. p. 52.

140 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 762 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p. 757-758 ; Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD, op.cit., p.381 ; Conseil constitutionnel, 19 et 20 juillet 1983, Démocratisation du secteur public et 26 juillet 1984, Services de radiotélévision sur réseau câblé.

141 Même dans un régime présidentiel -régime de séparation des pouvoirs- l'exécutif et le législatif sont amenés en fait à collaborer entre eux (Yédoh S. LATH, op.cit., p. 34). Mais le fait qu'une telle collaboration soit institutionnellement prévue par les dispositions de la Constitution de 2000 pose la question déjà soulevée de la nature véritablement présidentielle du régime politique ivoirien car comme l'écrit Maurice Duverger, « techniquement, régime parlementaire et régime de séparation des pouvoirs sont deux choses différentes. En régime parlementaire, les organes collaborent et les fonctions sont mélangées... Au contraire, les régimes de séparation des pouvoirs se caractérisent par un double effort d'isolement des organes et de délimitation des fonctions » (op.cit., p. 512).

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cette collaboration des pouvoirs, on évite la paralysie du système politique -et le risque de putsch inhérent à une telle paralysie- et la monocratie du pouvoir.

CHAPITRE II : LA COLLABORATION NÉCESSAIRE DES ORGANES

La collaboration des pouvoirs exécutif et législatif est d'abord rendue nécessaire par les faits. En effet, la délimitation plus ou moins équitable des compétences opérée en droit ayant contribué à l'hégémonie de chacun des organes dans son domaine propre, leur impuissance respective au regard du domaine de l'autre les contraint -en dehors même de tout texte- à collaborer en eux. Mais la Constitution ivoirienne prévoit ensuite expressément une telle collaboration. Celle-ci se fait de deux façons : soit que les organes exécutif et législatif exercent concurremment certaines compétences (section I) soit qu'ils les exercent conjointement (section II) même si -nous allons le voir- la ligne de démarcation n'est pas toujours claire entre compétences concurrentes et compétences conjointes142.

Section I : La collaboration concurrente des organes

La collaboration concurrente des organes ou concurrence des compétences s'explique par le fait que chacun des pouvoirs exécutif et législatif peut prendre de lui-même l'initiative de ces compétences et les exercer sans avoir pour cela nécessairement besoin de l'autre. Le président de la République et l'Assemblée nationale collaborent de manière concurrente aussi bien en matière d'initiatives (paragraphe 1) qu'en matière de situations exceptionnelles (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les prérogatives d'initiative

La concurrence des compétences se manifeste en matière de sessions extraordinaires de l'Assemblée nationale (A) et en matière d'initiative législative et de révision constitutionnelle (B).

142 Pour certaines compétences en effet, il peut y avoir à la fois collaboration concurrente et collaboration conjointe entre les organes exécutif et législatif ou encore l'exercice concret de la collaboration est difficilement classifiable dans l'un ou l'autre des deux schémas de collaboration que nous avons distingués.

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A/ En matière de sessions extraordinaires

La réunion en sessions extraordinaires de l'Assemblée nationale se fait à la demande du président de la République ou à celle des députés (1). En cette matière, celui-là et ceux-ci sont placés sur un pied de stricte égalité en ce qu'il y a indifférence selon que la cause de ladite réunion provienne du président de la République ou au contraire des députés, indifférence dont nous nous rendrons compte en étudiant l'inexistence de limites temporelles relatives aux sessions extraordinaires (2).

1. La réunion de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires

Si la demande de réunion de l'Assemblée nationale doit être formulée soit par le Chef de l'État soit par les députés (a), la convocation est juridiquement faite par le président de l'Assemblée nationale (b).

a. La formulation de la demande par le président de la République ou par les députés

Si l'Assemblée nationale se réunit de droit en sessions ordinaires aux dates fixées par la Constitution, la réunion en sessions extraordinaires doit être demandée. Le droit de demander une session extraordinaire appartient concurremment au président de la République et à la majorité absolue des députés.

Le président de la République et les députés -à condition d'atteindre le seuil de la majorité absolue fixé par la Constitution- sont placés sur un pied de stricte égalité en ce qu'ils disposent d'un même droit à formuler la demande tendant à la réunion de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires. Dans le cadre de la Constitution du Niger, les députés ne peuvent demander la réunion de l'Assemblée nationale qu'à la majorité des deux cinquième (art. 92.1). Ce qui constitue une majorité plus difficile à atteindre et a pour conséquence de rendre moins ouverte la faculté des députés à demander une réunion en sessions extraordinaires.

La demande faite par le président de la République ou par la majorité absolue des députés, le président de l'Assemblée nationale intervient pour convoquer la réunion en sessions extraordinaires.

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b. La convocation par le président de l'Assemblée nationale

Si la demande est formulée -par le président de la République ou par la majorité absolue des députés- il revient ensuite au président de l'Assemblée nationale de convoquer la réunion en session extraordinaire de l'Assemblée nationale.

La convocation est ainsi faite juridiquement par le président de l'Assemblée nationale : seul lui dispose de cette faculté, même s'il semble que sa compétence soit liée à partir du moment où la demande est clairement formulée par le président de la République ou par la majorité absolue des députés143. Dans la Constitution du Mali, les sessions extraordinaires sont au contraire convoquées -soit à la demande du Premier ministre soit à celle de la majorité des députés- par le président de la République (art. 67). Nous retrouvons cette même solution en droit constitutionnel nigérien (art. 92.2) et français (art. 30)144. Le droit constitutionnel ivoirien tend par conséquent, en cette matière, à préserver l'égalité déjà notée entre le président de la République et les députés : cette égalité serait rompue si l'on donnait à l'un ou aux autres le droit de convoquer juridiquement la session extraordinaire. Évidemment toutes ces dispositions relatives à la réunion de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires ne sont pas gratuites : elles peuvent revêtir une importance politique capitale ainsi que nous le verrons.

Par ailleurs, il y a indifférence -relativement à certaines considérations temporelles-selon que l'origine de la convocation soit une demande du président de la République ou au contraire une demande des députés.

2. L'inexistence de limites temporelles tenant aux demandes de réunion de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires et à la durée de celles-ci et ses conséquences

143 Dans la Constitution du Sénégal, le Parlement est réuni en session extraordinaire soit sur demande de plus de la moitié des députés adressée au président de l'Assemblée nationale soit sur décision du président de la République (art. 63.4). Il ne semble donc pas nécessaire, une fois la demande des députés formulée ou la décision du président de la République prise, que le président de l'Assemblée nationale convoque la réunion de la session extraordinaire : ce qui démontre, sur le plan du droit comparé, sa compétence liée en matière de convocation des sessions extraordinaires.

144 C'est ainsi que le Président français de Gaulle refusa le 18 mars 1960 de déférer à la demande de la majorité absolue des députés tendant à la réunion de l'Assemblée nationale en session extraordinaire. Ce refus fut critiqué par la doctrine jugeant que la compétence du président de la République de convoquer la réunion de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires est liée.

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Il y a indifférence selon la cause -demande faite par le président de la République ou par les députés- de la convocation de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires. Cette indifférence se manifeste au niveau de l'inexistence de limites temporelles tenant aux demandes de réunion en sessions extraordinaires et au niveau de la durée de celles-ci d'une part (a) et elle entraîne certaines conséquences d'autre part (b).

a. L'inexistence de limites temporelles tenant aux demandes de réunion de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires et à la durée de celles-ci

L'inexistence de limites temporelles est relative aux demandes de réunion de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires et à leur durée.

La Constitution ne pose aucune limite particulière aux demandes de réunions de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires. A chaque moment, le président de la République ou la majorité absolue des députés peuvent formuler la demande tendant à ces réunions sans aucune entrave. Dans la Constitution malienne, seul le Premier ministre peut demander une nouvelle session extraordinaire avant l'expiration du mois suivant le décret de clôture de la dernière session extraordinaire (art. 66 in fine). Il en découle a contrario qu'il existe une limite temporelle à la demande des députés tendant à la réunion en sessions extraordinaires : ils doivent attendre l'écoulement du délai d'un mois après le décret de clôture d'une session extraordinaire précédente.

D'autre part, la seule limitation de durée des sessions extraordinaires de l'Assemblée nationale tient à l'épuisement de l'ordre du jour sur lequel est faite la convocation. La Constitution ne distingue pas à cet égard selon que la convocation de la session extraordinaire est faite sur demande du président de la République ou sur celle de la majorité absolue des députés. Dans la plupart des régimes politiques africains, la réunion des sessions extraordinaires est limitée dans le temps soit de façon absolue c'est-à-dire en ce qui concerne toute session extraordinaire soit de façon discriminée en distinguant entre l'origine de la demande. Dans le premier cas, nous pouvons citer la Constitution du Niger où la durée des sessions extraordinaires ne peut excéder quinze jours (art. 92 in fine)145 ; dans le second cas la Constitution malienne où, lorsque la session extraordinaire est convoquée sur demande de la

145 La Constitution du Bénin (art. 88) et la Constitution du Sénégal (art. 63.5) limitent également la durée de toutes les sessions extraordinaires à quinze jours.

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majorité des députés, le décret de clôture intervient dès que l'ordre du jour a été épuisé et au plus tard quinze jours à compter de sa réunion (art. 66.2)146.

Toutes ces dispositions relatives aux limites temporelles posées à la réunion de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires ou à leur inexistence revêtent une importance politique particulière ainsi que l'on s'en rendra compte dans les conséquences qu'elles entraînent.

b. Les conséquences de l'inexistence de limites temporelles posées aux demandes de réunion en sessions extraordinaires et à leur durée

La réunion en sessions extraordinaires de l'Assemblé nationale peut être d'une très grande importance politique : elle peut avoir été demandée aux fins de législation ou de contrôle de l'action du Gouvernement.

C'est pourquoi certains régimes politiques africains posent des limites temporelles strictes aux demandes de réunion en sessions extraordinaires, surtout lorsqu'elles émanent des députés. Dans le régime politique malien, les députés ne peuvent demander une nouvelle session extraordinaire avant l'écoulement du délai d'un mois après le décret de clôture d'une session extraordinaire précédente. En outre, lorsque la session extraordinaire est tenue à la demande des députés, elle est limitée dans le temps -quinze jours dans la Constitution malienne- et même si l'ordre du jour n'est pas épuisé.

Ces deux limites temporelles ont pour effet d'empêcher que l'Assemblée nationale ne cherche -en se réunissant constamment en sessions extraordinaires- à siéger permanemment : par ce moyen, elle pourrait plus efficacement exercer ses prérogatives de législation, de contrôle de l'action gouvernementale et -dans un régime parlementaire comme celui du Mali-de mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement. Ce n'est donc que lorsque la session extraordinaire se tient à la demande du Premier ministre qu'elle n'est circonscrite dans aucune durée précise : tout dépendra en fin de compte du Premier ministre et du président de la République et en ce cas, la session extraordinaire -parce qu'ayant été demandée par l'un et pouvant être fermée par l'autre par décret à n'importe quel moment- ne comporte aucun risque politique particulier ni pour l'un ni pour l'autre.

146 Par raisonnement a contrario, lorsque la session extraordinaire est tenue à la demande du Premier ministre, aucune limite temporelle n'est posée à sa durée.

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Le Président ivoirien ne dispose pas d'une telle maîtrise sur la durée des sessions extraordinaires de l'Assemblée nationale et la Constitution ne fixe elle-même aucune durée à celles-ci147. Il en résulte que les députés peuvent non seulement demander à tout moment une session extraordinaire de l'Assemblée nationale -inexistence de limite temporelle posée à la demande- mais celle-ci peut encore siéger aussi longtemps qu'elle le désire -inexistence de limite temporelle posée à la durée148. Il reste aux députés ivoiriens d'user de ce moyen constitutionnel qui leur est offert pour exercer plus pleinement leurs prérogatives.

La concurrence des compétences entre les pouvoirs exécutif et législatif se manifeste également en matière d'initiative législative et de révision constitutionnelle.

B/ En matière législative et constitutionnelle

Le président de la République et l'Assemblée nationale collaborent également et de manière concurrente en matière d'initiative législative (1) et de révision constitutionnelle (2).

1. En matière d'initiative législative

Conformément à l'article 42 de la Constitution, l'initiative des lois appartient concurremment au président de la République et aux députés. D'un point de vue terminologique, il faut distinguer entre les projets de lois (a) et les propositions de loi (b).

a. Les projets de loi

Dans de nombreux régimes politiques, le Président ne dispose pas d'une telle prérogative soit que le pouvoir exécutif en est formellement privé soit qu'elle est transférée à un autre organe de l'exécutif. Ainsi dans le régime politique étatsunien, le président ne dispose guère de l'initiative législative149 tandis que dans les régimes de type parlementaire

147 Le pouvoir exécutif ne dispose également pas de la maîtrise de la durée des sessions extraordinaires dans les régimes politiques du Bénin, du Sénégal et du Niger. Mais la Constitution elle-même y fixe tout de même une limite temporelle.

148 L'article 63 in fine dispose simplement que : « Les sessions extraordinaires sont closes sitôt l'ordre du jour épuisé »

149 La Constitution américaine est à la vérité muette sur la question de savoir si le Président dispose de l'initiative des lois ; Georges Washington avait pensé qu'il pouvait directement déposer des projets de loi. Ses successeurs y ont renoncé de façon formelle. Cependant, le Président n'en est pas moins l'instigateur réel de la législation.

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elle appartient au Premier ministre (art. 75 de la Constitution malienne, art. 109 de la Constitution nigérienne)150.

Les projets de loi peuvent être soumis pour avis au Conseil constitutionnel (art. 52) et au Conseil économique et social (art. 113), les projets de loi de programme à caractère économique doivent être soumis à l'avis du Conseil économique et social (art. 113.2). La plupart de ces avis ne sont pas obligatoires ou, en tout cas, leurs contenus ne lient pas le président de la République. Dans la Constitution béninoise, il lui est au contraire fait obligation de soumettre ses projets de lois à l'avis de la Cour suprême (art. 105.2)151.

Les projets de loi ayant été obligatoirement soumis à la délibération du Conseil des ministres (art. 51.2) sont ensuite déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale et envoyés à l'examen de la commission compétente ou d'une commission spéciale de l'Assemblée nationale (art. 52.5 du règlement). Cependant, le projet de loi peut être retiré par le président de la République même quand sa discussion est commencée (art. 53.1 du règlement).

Le président de la République dispose également et nécessairement du droit d'amendement. Il peut ainsi demander une révision de certaines parties du projet de loi qu'il a déposé antérieurement152.

Si dans la pratique institutionnelle les initiatives d'origine présidentielle ont plus de chances d'aboutir c'est-à-dire d'être adoptées que les initiatives d'origine parlementaire, celles-ci ne s'en trouvent pas moins consacrées.

b. Les propositions de loi

Les propositions de loi sont les initiatives de loi émanant des membres de l'Assemblée nationale ; les députés disposent en outre du droit d'amendement (article 78.1). Ils déposent propositions et amendements soit à titre individuel soit à titre collectif au nom des membres d'un groupe parlementaire153. Les conditions de recevabilité de la proposition de loi sont

150 L'article 109 de la Constitution du Niger est ainsi libellé : « Le Gouvernement a l'initiative des lois concurremment avec les membres de l'Assemblée nationale » ; nous retrouvons à peu près la même rédaction à l'article 75 de la Constitution malienne.

151 La même obligation pèse le Gouvernement malien qui, aux termes de l'article 75.2, doit soumettre ses projets de lois à l'avis de la Cour suprême. Mais l'avis qui est émis par la Cour suprême ne lie pas le Gouvernement.

152 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 201-202.

153 La Constitution de la première République, en son article 13.1, disposait déjà que : « Le président de la République a l'initiative des lois concurremment avec les membres de l'Assemblée nationale ». Il est donc

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prévues aux articles 51 et 52 du règlement de l'Assemblée nationale et sont pratiquement les mêmes que celles du projet de loi. Toutefois, les propositions et amendements d'origine parlementaire ne sont pas susceptibles d'être soumis aux avis du Conseil constitutionnel ou à ceux du Conseil économique et social ou encore moins aux délibérations du Conseil des ministres. Cependant les propositions et amendements d'origine parlementaire sont quelque peu restreints notamment par le mécanisme des irrecevabilités des articles 76 et 78 qui ne jouent qu'à sens unique, c'est-à-dire qu'elles ne valent qu'à l'égard des seuls propositions et amendements des députés. En outre et à la différence du projet de loi, la proposition ne peut être retirée par son auteur ou ses auteurs que si elle est reprise par un autre ou d'autres députés ; dans le cas contraire, la discussion sur la proposition de loi continue (art. 54.1 du règlement de l'Assemblée nationale) et elle est envoyée dans la commission compétente ou dans une commission spéciale de l'Assemblée nationale pour être débattue.

Le partage des initiatives est également prévu et organisé en matière de révision constitutionnelle.

2. En matière de révision constitutionnelle

Qu'il soit d'origine présidentielle ou parlementaire, le texte de révision passe par les étapes successives de la prise en considération par l'Assemblée nationale (a) et de l'adoption définitive soit par référendum soit par vote parlementaire (b). A chacune de ces étapes, il y a une indifférence au regard de l'origine présidentielle ou parlementaire de l'initiative de révision.

a. La prise en considération de l'initiative de révision par l'Assemblée nationale indépendamment de son origine

Conformément à l'article 124 de la Constitution, l'initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment, comme c'est le cas pour l'initiative législative, au président de la République et aux membres de l'Assemblée nationale ; ceux-ci peuvent exercer leur droit d'initiative de révision constitutionnelle à titre individuel ou collectif154. On

étonnant que Francis Wodié, traitant de l'initiative législative d'origine parlementaire sous la première République, écrive : « Cette initiative ne doit pas revêtir un caractère collectif... pouvant n'émaner que d'un député » (op.cit., p. 200-201).

154 S'agissant des propositions de révision constitutionnelle, certaines Constitutions disposent expressément qu'elles ne peuvent s'exercer qu'à titre collectif ; ainsi en est-il de la Constitution gabonaise en son article 116

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distingue ici également, du point de vue terminologique, les projets et les propositions de révision.

(...) »156.

Pour être prise en considération, le projet ou la proposition de révision doit être voté par l'Assemblée nationale à la majorité des 2/3 des députés effectivement en fonction (art. 125) ; à ce stade, les deux précédentes Constitutions ivoiriennes exigeaient une majorité encore plus renforcée155. Dans d'autres systèmes constitutionnels africains et au même stade de la procédure, il suffit seulement d'une majorité simple ; ainsi la Constitution sénégalaise dispose en son article 103 alinéa 3 que « le projet ou la proposition de révision de la Constitution est adopté par les assemblées selon la procédure de l'article 71

Ainsi pris en considération, le texte portant révision constitutionnelle doit être définitivement adopté soit par référendum soit par vote parlementaire.

b. L'adoption définitive du texte de révision et l'option ouverte au président de la République indépendamment de l'origine de l'initiative de révision

Le texte ainsi adopté, au lieu de pouvoir être promulgué comme dans la procédure législative ordinaire, ne devient définitif en principe que s'il est approuvé par référendum à la majorité absolue des suffrages exprimés (art. 126.1).

Mais le président de la République peut décider de ne pas faire intervenir directement le peuple et soumettre le projet ou la proposition à l'Assemblée nationale. Dans ce cas, une majorité spéciale est requise car le projet ou la proposition ne deviendra loi constitutionnelle que s'il ou elle a réuni en sa faveur la majorité des 4/5 des membres de l'Assemblée nationale effectivement en fonction (art. 126.3). Cette faculté laissée au président de la République de choisir discrétionnairement entre le référendum et l'Assemblée nationale n'existe pas dans la Constitution malienne où le texte (le projet ou la proposition de révision) ne sera définitif qu'après avoir été approuvé par référendum (art. 118.2).

alinéa 2 qui dispose : « (...) Toute proposition de révision doit être déposée au bureau de l'Assemblée nationale par au moins un tiers des députés ou au bureau du Sénat par au moins un tiers des sénateurs (...) ».

155 La Constitution de 1959 disposait en son article 67.1 : « le projet ou la proposition de révision doit être voté à la majorité des trois quarts des membres de l'Assemblée » et la Constitution de 1960 en son article 72.1 disposait : « pour être prise en considération, le projet ou la proposition de révision doit être voté à la majorité des trois quarts des membres composant l'Assemblée nationale ».

156 Le fait qu'à ce stade de la procédure de révision constitutionnelle, la Constitution sénégalaise ne demande que la majorité simple (la majorité à laquelle sont adoptés les projets et propositions de lois ordinaires) ne semble pas étranger à l'autre fait que l'on se trouve, là, dans un système à Parlement bicaméral : la facilité de prise en considération du texte de révision résultant de son adoption à la majorité simple est contrebalancée par l'exigence du vote, en termes identiques, dans les deux chambres du Parlement de ce texte de révision.

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Cependant, la faculté ouverte au Président ivoirien est limitée car le recours au référendum devient obligatoire dès lors que le projet ou la proposition de révision porte sur certains objets limitativement énumérés par l'article 126.2 de la Constitution. Cet alinéa énonce : « est obligatoirement soumis au référendum le projet ou la proposition de révision ayant pour objet l'élection du président de la République, l'exercice du mandat présidentiel, la vacance de la présidence et la procédure de révision de la présente Constitution ».

Enfin, le texte portant révision de la Constitution approuvé par référendum ou par la voie parlementaire est promulgué par le président de la République (art.126.4).

La concurrence des compétences entre le président de la République et l'Assemblée nationale se manifeste également mais d'une façon originale dans le domaine des situations exceptionnelles157.

Paragraphe 2 : Les situations exceptionnelles

Les situations exceptionnelles étudiées ici sont l'état de siège et l'état d'urgence158. Pour l'un comme pour l'autre, il faut une initiative du président de la République (A). Mais l'Assemblée nationale prend le relai de celui-ci et exerce ainsi un contrôle (B).

A/ Une initiative prise par le président de la République

Les impératifs de l'urgence (1) justifient le droit reconnu au président de la République de déclarer l'état de siège et l'état d'urgence par décret en Conseil des ministres (2).

1. Les impératifs de l'urgence

L'initiative exercée par le président de la République en cette matière est subordonnée à la survenance de certaines circonstances plus ou moins restrictives (1). Mais le président de la République reste bien évidemment maître de l'appréciation de celles-ci (2).

157 La concurrence des compétences réside dans le fait que, dans un premier temps, c'est le président de la République qui déclenche la mise en oeuvre de l'état de siège et de l'état d'urgence et que, dans un second temps, c'est l'Assemblée nationale qui reprend le relai. En cela réside également l'originalité d'une telle concurrence des compétences.

158 Les règles relatives à l'état de siège et à l'état d'urgence sont fixées, aux termes de l'article 71 de la Constitution, par la loi.

a. 62

La survenance de circonstances plus ou moins restrictives (...)

En ce qui concerne l'état de siège159, sa déclaration est subordonnée à un péril imminent résultant d'une guerre étrangère, d'une guerre civile ou d'une insurrection à main armée : ce sont donc bien les situations dans lesquelles les nécessités militaires s'imposent qui sont visées.

Quant à l'état d'urgence160, il peut être déclaré « en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » et, en outre, en cas de « calamités publiques », ce qui vise les catastrophes telles qu'inondations, tremblements de terre, explosions, etc. Le recours à la notion d'ordre public montre que les considérations de police l'emportent sur les préoccupations de défense.

Les circonstances justifiant la mise en application de l'état de siège sont donc liées aux seules situations de conflit armé et en cela elles sont beaucoup moins larges que celles susceptibles de justifier la déclaration de l'état d'urgence. Mais dans les deux cas, elles sont laissées à l'appréciation du président de la République.

b. (...) laissées en définitive à l'appréciation du président de la République

C'est en définitive le président de la République qui apprécie à sa seule convenance les circonstances nécessaires à la mise en application des états de siège et d'urgence. En ce domaine, il dispose d'une compétence non seulement exclusive mais également discrétionnaire. Nous pouvons faire ici un rapprochement avec l'appréciation des conditions de mise en oeuvre de l'article 48 par le président de la République.

Toutefois le président de la République est tenu de respecter certaines formes dont la principale est de prendre le décret en Conseil des ministres.

2. La déclaration par décret en Conseil des ministres

159 L'état de siège est organisé par les lois du 9 août 1849 et 3 avril 1878 rendues applicables en Côte d'Ivoire par le décret du 30 décembre 1916.

160 L'état d'urgence est institué par la loi n° 59-231 novembre 1959.

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La déclaration de l'état de siège et celle de l'état d'urgence relèvent de la même procédure : la décision est prise par décret en Conseil des ministres (art. 74)161. Dans les deux cas, le décret définit l'espace territorial concerné (a) et entraîne des effets exorbitants (b).

a. Une déclaration définissant l'espace territorial concerné

Le décret désigne le territoire auquel il s'applique et détermine sa durée d'application. Le décret par lequel sont déclarés l'état de siège et l'état d'urgence peut donc concerner aussi bien une partie que l'ensemble du territoire162. C'est là une différence fondamentale avec ce qu'il conviendrait d'appeler l'état de crise, c'est-à-dire le régime prévu par l'article 48 de la Constitution163 : celui-ci ne peut en effet être appliqué qu'à l'ensemble du territoire national.

La déclaration de l'état de siège et de l'état d'urgence entraîne surtout des effets exorbitants du droit commun au profit de l'administration militaire ou civile et en réalité - nous le verrons- au profit du président de la République.

b. Une déclaration entraînant des effets exorbitants : la mise en vacances de la légalité164

La déclaration de l'état de siège emporte trois séries de conséquences. D'abord, l'autorité militaire est substituée à l'autorité civile dans l'exercice de la police du maintien de l'ordre. En pratique, un partage des compétences de police s'instaure entre elles : l'autorité militaire se réserve celles qui lui paraissent nécessaires pour faire face à ses responsabilités et laisse le surplus aux autorités civiles. Ensuite, les pouvoirs de police remis aux autorités militaires ont une étendue supérieure à la normale. L'extension porte sur quatre points : 1° l'autorité militaire peut procéder à des perquisitions de jour et de nuit ; 2° elle peut ordonner la remise des armes et munitions appartenant à des particuliers ; 3° elle peut interdire les

161 L'article 74 de la Constitution ne concerne que l'état de siège. En ce qui concerne l'état d'urgence, sa déclaration initialement réservée au législateur, relève depuis une ordonnance française du 15 avril 1960, de la même procédure que celle de l'état de siège.

162 L'article premier de la loi n° 59-231 du 7 novembre 1959 sur l'état d'urgence dispose en effet que « l'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire de la République... ».

163 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 92-96.

164 L'état de siège et l'état d'urgence ont pour effet de mettre en vacances la légalité, ils soustraient « l'administration du respect de la légalité..., substituent une légalité « d'exception », une légalité de crise » (René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 92).

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publications et les réunions susceptibles d'entraîner des désordres ; et enfin elle peut éloigner les repris de justice et les personnes non domiciliées dans la zone en état de siège165.

Il faut souligner le caractère limitatif de cette énumération : le droit commun subsiste pour le surplus.

Sans aller dans le détail des choses, notons simplement que les effets de l'état d'urgence sont essentiellement une extension des pouvoirs de police : l'autorité de police (ministre de l'intérieur), qui reste l'autorité civile normale, à la différence du régime de l'état de siège, se voit investir de pouvoirs qui dérogent profondément au droit commun166.

Ainsi par le seul effet de la déclaration de l'état de siège ou de l'état d'urgence, la légalité est mise « en vacances »167 et une légalité de crise s'y substitue. L'autorité qui bénéficie surtout de cette légalité de crise est le président de la République en sa double qualité de chef suprême des armées et de président du Conseil supérieur de la défense (art. 47) et de chef l'administration (art. 46).

C'est en raison de cette mise en vacances de la légalité par le décret de déclaration de l'état de siège et de l'état d'urgence au profit du président de la République qu'un contrôle de l'Assemblée nationale -par sa reprise en main de la situation- s'avère nécessaire.

B/ Un contrôle exercé par l'Assemblée nationale

Le contrôle de l'Assemblée nationale en matière de légalité de crise s'articule autour de deux mécanismes : l'autorisation de prorogation qu'elle peut accorder ou refuser (1) et sa réunion de plein droit (2).

1. L'autorisation de prorogation accordée par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale ne peut être tenue à l'écart de la matière de la légalité de crise que provisoirement. Au-delà d'un certain délai, elle doit nécessairement intervenir et la poursuite ou non du régime de crise dépendra uniquement d'elle. Elle exerce de la sorte un

165 René DEGNI-SEGUI, ibid., p. 95.

166 René DEGNI-SEGUI, ibid., p. 96.

167 Maurice BOURJOL, Droit administratif : l'action administrative, Masson et Cie éditeurs, Paris, tome II, 1972, p. 89.

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contrôle de la durée d'application des situations exceptionnelles (a) et reprend la main au président de la République (b).

a. Le contrôle de la durée d'application de la période de la légalité de crise

La prorogation de l'état de siège -aux termes de l'article 74.2 de la Constitution- et de l'état d'urgence au-delà de quinze jours ne peut être autorisée que par l'Assemblée nationale168. Nous retrouvons des dispositions similaires dans le cadre de la quasi-totalité des régimes politiques africains mais le délai au-delà duquel une autorisation parlementaire devrait intervenir varie d'un régime à un autre : ce délai peut être de quinze (art. 101.3 de la Constitution béninoise, art. 105 de la Constitution nigérienne), de douze (art. 69.2 de la Constitution sénégalaise) ou même de dix jours (art. 72.2 de la Constitution malienne), etc. D'autre part, le décret déclarant l'état d'urgence doit nécessairement fixer la durée de son application aux termes de l'article 3 de la loi n° 59-231 du 7 novembre 1959 sur l'état d'urgence169.

Le président de la République n'a donc pas la faculté -comme c'est le cas du régime prévu par l'article 48 de la Constitution- de poursuivre l'application de l'état de siège et de l'état d'urgence indéfiniment avec aucune autre limite temporelle que ce que sa volonté lui impose : il devra nécessairement solliciter l'autorisation de l'Assemblée nationale au-delà de quinze jours d'application de l'état de siège et de l'état d'urgence170.

Au-delà de cette période de quinze jours, l'Assemblée nationale reprend la main car c'est désormais d'elle et d'elle seule que dépendra désormais la poursuite ou non du régime de la légalité de crise.

b. La reprise en main par l'Assemblée nationale

168 « L'état de siège est décrété en Conseil des ministres. L'Assemblée nationale se réunit alors de plein droit si elle n'est pas en session. La prorogation de l'état de siège au-delà de quinze jours ne peut être autorisée que par l'Assemblée nationale, à la majorité simple des députés » (art. 74 de la Constitution du 1er août 2000).

169 Le décret de déclaration de l'état d'urgence est en tant que tel susceptible de recours contentieux devant la chambre administrative de la Cour suprême. De la sorte, il est possible pour le juge ivoirien d'exercer un contrôle efficace sur la durée d'application de l'état d'urgence édictée dans le décret.

170 Nous verrons en effet, dans les pages qui suivent, comment le président de la République reste maître de la durée d'application de l'état de crise (mise en oeuvre de l'article 48). Mais dans le domaine de l'état de siège et de l'état d'urgence, il ne dispose évidemment pas d'un tel privilège.

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Initialement le président de la République peut mettre en oeuvre l'état de siège et l'état d'urgence sans même que l'Assemblée nationale ne soit simplement consultée à leur sujet. Dans la Constitution béninoise au contraire, le président de la République ne peut décréter l'état de siège et l'état d'urgence qu'après une consultation préalable de l'Assemblée nationale (art. 101.3)171.

Cette manière d'écarter l'Assemblée nationale ne peut cependant être que provisoire ainsi que nous l'avons précédemment observé. Aux termes du délai de quinze jours, l'Assemblée nationale reprend en effet la main au président de la République : la poursuite de l'état de siège et de l'état d'urgence ne procède plus du décret en Conseil des ministres mais de la loi. Ici se manifeste d'une manière dépourvue de toute ambiguïté la concurrence des compétences -concurrence par succession pourrait-on dire- entre le président de la République et l'Assemblée nationale.

Mais l'intervention de l'Assemblée nationale ne s'arrête pas à ce niveau. Elle se réunit en outre de plein droit.

2. La réunion de plein droit de l'Assemblée nationale

Aux termes de l'article 74.1 de la Constitution, l'Assemblée nationale se réunit de plein droit dès que l'état de siège est décrété en Conseil des ministres172. Cette disposition originale (a) revêt une finalité politique importante (b).

a. Une disposition originale

L'exigence de la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale en cas de mise en application de l'état de siège est une disposition originale que l'on retrouvait déjà dans la Constitution de 1960173. Mais on ne la retrouve généralement guère dans le cadre des autres régimes politiques africains. La Constitution du Niger la prévoit cependant en son article 105 de même que la Constitution du Sénégal qui l'étend par ailleurs à l'état d'urgence puisque son article 69 dispose que : « L'état de siège, comme l'état d'urgence, est décrété par le président

171 La Constitution du Niger exige quant à elle que l'état de siège soit décrété en Conseil des ministres après avis du bureau de l'Assemblée nationale (art. 105 de la Constitution).

172 La Constitution ne prévoyant pas l'état d'urgence, peut-on également exiger la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale en cas de sa mise en oeuvre ?

173 L'article 43 de la Constitution de 1960 exigeait également la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale dès que l'état de siège est décrété en Conseil des ministres.

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de la République. L'Assemblée nationale se réunit alors de plein droit, si elle n'est pas en session ».

Elle n'est pas sans rappeler l'exigence formulée à l'article 48 de la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale en cas de mise en oeuvre des pouvoirs exceptionnels par le président de la République. Comme en ce domaine que nous étudierons dans les développements ultérieurs, la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale a une finalité politique importante.

b. Une disposition à finalité politique

La réunion de plein droit de l'Assemblée nationale pendant la mise en application de l'état de siège (et de l'état d'urgence ?) est très importante car les députés ont la faculté d'ouvrir un débat sur la décision de mettre en jeu l'état de siège (et l'état d'urgence ?). Et contrairement à l'hypothèse de l'article 48, cette réunion de plein droit de l'Assemblée nationale est un contrôle politique réel car doté d'une sanction certaine : elle pourrait en effet décider de mettre un terme à la légalité de crise décidée par le président de la République.

A côté des compétences concurrentes la collaboration du président de la République et de l'Assemblée nationale se manifeste également par des compétences conjointes.

Section II : La collaboration conjointe des organes

Ces compétences sont conjointes en ce qu'elles appartiennent au président de la République et à l'Assemblée nationale et doivent être exercées par l'un et par l'autre ensemble (en accord). C'est un concours et non une concurrence de compétences. Ce type de collaboration vaut aussi bien en matière de référendum législatif (paragraphe 1) qu'en matière de traités et accords internationaux (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le référendum législatif

En dehors du référendum constituant prévu à l'article 126, la Constitution institue ce que la doctrine dénomme le référendum législatif. Celui-ci ouvre au président de la République de larges possibilités (A) tout en reconnaissant à l'Assemblée nationale des garanties (B).

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A/ De larges possibilités ouvertes au président de la République

Le domaine du référendum qu'institue l'article 43 est vaste et imprécis (1) mais il semble qu'il soit tout de même limité à l'adoption d'une loi ordinaire (2).

1. Un domaine vaste et imprécis (...)

Le domaine de l'article 43 est vaste en ce que l'objet du texte ou de la question sur lequel peut porter le référendum est défini de manière vague et imprécise (a). Il en découle une étendue immense de l'objet en cause (b).

a. Un objet défini de façon vague et imprécise

Le président de la République peut « soumettre tout texte ou toute question qui lui paraît devoir exiger la consultation directe du peuple ». L'objet de l'article 43 est vague et imprécis : il se contente de dire « tout texte » ou « toute question » à la seule condition que le président de la République juge discrétionnairement que ce texte ou cette question est de nature à justifier une consultation directe du peuple174. Dans certains régimes politiques africains, l'objet du texte ou de la question du référendum est défini de manière plus précise. Ainsi cet objet peut être toute question d'intérêt national, un projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d'un accord d'union ou tendant à autoriser la ratification d'un traité175 (art. 41 de la Constitution du Mali) ou une question relative à la promotion et au renforcement des droits de l'homme, à l'intégration sous-régionale ou régionale et à l'organisation des pouvoirs publics (art. 58 de la Constitution du Bénin). Rien d'aussi précis dans la Constitution ivoirienne.

Il résulte du caractère vague et imprécis de l'objet du référendum prévu à l'article 43 que le président de la République dispose en régime ivoirien de très larges possibilités en la matière.

174 L'article 43 de la Constitution de 2000 ne fait que reprendre à peu de mots près l'article 14 de la Constitution de 1960 qui disposait que : « Le président de la République, après accord du bureau de l'Assemblée nationale, peut soumettre au référendum tout texte ou toute question qui lui paraît devoir exiger la consultation directe du peuple. Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet, le président de la République le promulgue dans les délais prévus à l'article précédent ».

175 Les traités dont il s'agit sont ceux qui, sans être contraires à la Constitution, auraient des incidences sur le fonctionnement des institutions. Quant aux traités contraires à la Constitution, il faudrait au préalable une révision de la Constitution avant que la ratification de ces traités ne puisse intervenir.

69

b. Une étendue immense de l'objet en cause

Il est certain que le texte ou la question que le président de la République peut soumettre à la consultation directe du peuple soit un projet de loi destiné à être promulgué en cas d'adoption puisque -comme nous le verrons- les députés n'ont guère la possibilité de soumettre au référendum une proposition de loi. Sous la seule exigence de la forme d'un projet de loi, le président de la République peut soumettre à la consultation directe du peuple tout texte ou toute question sans que son choix soit limité relativement à un objet quelconque. Tandis que dans la plupart des régimes politiques africains, l'option ouverte au président de la République de soumettre une question ou un texte au référendum est limité à un objet précis - comme nous l'avons précédemment vu- celle qui est donnée au Président ivoirien est en principe illimitée quant à son objet. Cet objet peut être aussi bien un projet de loi sur l'organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d'un accord d'union ou tendant à la ratification d'un traité qu'un texte relatif aux droits de l'homme... Le fait que les auteurs de la Constitution n'aient pas défini avec précision un objet quelconque autorise une telle interprétation176.

En dépit des possibilités très larges ouvertes au président de la République, le domaine du référendum n'est pas sans bornes : il semble strictement limité à l'adoption d'une loi ordinaire.

2. (...) mais limité à l'adoption d'une loi ordinaire

Aussi vaste et imprécis que l'on puisse le concevoir, le domaine du référendum institué par l'article 43 ne saurait conduire ni à l'adoption d'une loi constitutionnelle (a) ni même à celle d'une loi organique (b).

a. L'impossibilité d'adopter une loi constitutionnelle

176 Les auteurs des Constitutions de 1960 et de 2000 ont sans doute gardé à l'esprit le fait que l'article 11 de la Constitution française insérait le président de la République dans des limites trop strictes (l'un des rédacteurs de la Constitution française, Miche Debré, reconnaissait d'ailleurs ce caractère étroit de l'article 11, « La Constitution de 1958, sa raison d'être, son évolution », Revue française de science politique, n° 5, 1978, p. 836). Aussi ont-ils souhaité que le président de la République, dans le cadre du régime ivoirien, dispose de plus larges possibilités relativement à l'objet du référendum de l'article 43.

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Le président de la République ne peut pas réviser la Constitution par la voie de l'article 43. La procédure de révision constitutionnelle est en effet prévue aux articles 124 à 127 regroupés sous le titre XIV intitulé « De la révision de la Constitution ». L'intitulé de ce titre est aussi clair qu'exclusif : il institue à titre exclusif la procédure de révision de la Constitution. C'est ce qu'affirme de manière tout à fait clair le Conseil constitutionnel dans un avis en 2003177. D'autre part, s'il était possible de réviser la Constitution par le moyen de l'article 43, concurremment avec les articles du titre XIV, il serait possible de ne pas respecter les interdictions posées par ce dernier puisqu'il ne les reprend pas, même par référence : ce qui serait absurde et ne saurait être admis178. Par ailleurs et en droit comparé, le Conseil d'État français a émis un avis allant dans le sens de ce que l'article 11 -équivalent de l'article 43 de la Constitution ivoirienne- ne pouvait être interprété comme instituant une procédure de révision constitutionnelle parallèle à celle de l'article 89 -les articles 124 à 127 de la Constitution ivoirienne179.

La Constitution nigérienne est quant à elle tout à fait explicite sur l'impossibilité de réviser la Constitution par la voie de l'article 60 instituant le référendum législatif180.

D'autre part, il semble également que le champ des lois organiques lui-même ne soit pas non plus couvert par le référendum législatif de l'article 43.

b. L'impossibilité d'adopter une loi organique

D'autre part, il semble que la loi organique -dont la procédure d'élaboration est fixée à l'article 78.8 de la Constitution181- soit elle aussi exclue du champ d'intervention de l'article 43.

Le référendum législatif permet au président de la République de passer par-dessus la tête des députés en soumettant directement au peuple une question dont l'Assemblée nationale

177 Avis n° 004/CC/SG du 17 décembre 2003 du Conseil constitutionnel demandé par le Président L. Gbagbo (Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO, Les grands arrêts de la jurisprudence constitutionnelle ivoirienne, CNDJ, p. 476480).

178 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 499.

179 Lors de la vive controverse qui avait vu jour suite à sa décision de réviser la Constitution par la voie de l'article 11, le général de Gaulle avait soumis au Conseil d'État pour avis le projet de loi portant révision. L'avis émis par le Conseil d'État le 1er octobre 1962, devant en principe rester secret, sera dévoilé par le journal Le Monde. En dépit de l'avis du Conseil d'État, qui allait dans le même sens que la majeure partie de la doctrine, le projet de loi devait être soumis à référendum et aboutir à la révision de la Constitution.

180 Il semble qu'il n'y a que la Constitution sénégalaise qui permette au président de la République de procéder à la révision constitutionnelle par le biais de l'article 51.1 instituant le « référendum législatif ».

181 Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD, op.cit., p. 102-103.

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devrait en principe connaître. La Constitution a donc reconnu à celle-ci certaines garanties qui demeurent toutefois assez faibles.

B/ Les garanties de l'Assemblée nationale

Le référendum institué par l'article 43 conduisant de fait au dessaisissement de l'Assemblée nationale sur une question, la Constitution lui a reconnu des garanties (1). Mais celles-ci mériteraient en retour d'être renforcées car elles demeurent faibles (2).

1. La reconnaissance de garanties à l'Assemblée nationale

Les garanties reconnues à l'Assemblée nationale résident essentiellement dans la consultation obligatoire du bureau de l'Assemblée nationale (a). Mais cette consultation laisse le Président libre de sa décision de recourir ou non au référendum (b).

a. Une consultation obligatoire du bureau de l'Assemblée nationale (...)

Le président de la République -au lieu d'emprunter la voie « normale » de la procédure législative ordinaire donnant lieu à une loi parlementaire- peut recourir à la consultation directe du peuple. Cela se traduit en cas de succès par l'adoption d'une loi référendaire. De la sorte, il pourrait s'agir pour le président de la République de court-circuiter l'Assemblée nationale en appelant directement au peuple par-dessus la tête des députés. La Constitution de 2000 institue donc ce qu'une certaine doctrine a appelé le référendum de substitution sans intervention parlementaire182.

C'est la raison pour laquelle la mise en oeuvre du référendum nécessite la consultation du bureau de l'Assemblée nationale : sans cette formalité, le président de la République ne peut valablement recourir au référendum.

La consultation -certes obligatoire- du bureau de l'Assemblée nationale ne lie pourtant nullement le président de la République qui reste maître de sa décision.

b. (...) ne liant pas le président de la République

182 Marcel PRÉLOT, op.cit., p.609.

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Si le président de la République est obligé de consulter l'Assemblée nationale, il n'est pas tenu de suivre l'avis qui sera émis à la suite de cette consultation : même si l'Assemblée nationale exprimait son désaccord, elle ne dispose d'aucun moyen pour empêcher le président de la République de poursuivre la procédure référendaire. Nous sommes donc bien en deçà de ce que prévoyaient les textes de la Constitution de 1960 : celle-ci exigeait en effet non pas la consultation du bureau de l'Assemblée nationale -consultation donnant lieu à un avis éventuellement négatif mais que le président de la République n'est pas obligé de suivre- mais son accord ; cet accord impliquait la nécessaire approbation par le bureau de l'Assemblée nationale de la volonté du président de la République de recourir au référendum. A défaut de cet accord, le président de la République ne pouvait pas recourir au référendum (art. 14.1 de la Constitution de 1960).

Les garanties reconnues à l'Assemblée nationale -une consultation obligatoire mais dont le contenu ne lie pas le président de la République- mériteraient cependant d'être renforcées car elles sont assez faibles.

2. La faiblesse des garanties reconnues à l'Assemblée nationale

Les garanties reconnues à l'Assemblée nationale dans la mise en oeuvre du processus référendaire sont assez faibles. Cette faiblesse tient au fait que seul le président de la République dispose de l'initiative référendaire (a) et qu'il peut directement consulter le peuple à tout moment (b).

a. L'initiative référendaire, prérogative exclusive du pouvoir exécutif

L'initiative référendaire est exclusivement détenue par le président de la République qui l'exerce par ailleurs de manière tout à fait libre. Elle n'est ni partagée ni encadrée ou soumise à un pouvoir de proposition.

A la suite de la révision constitutionnelle de 2008, la Constitution française prévoit désormais, à côté de l'initiative du président de la République en matière de référendum, celle émanant des parlementaires183 -un cinquième d'entre eux- et soutenue par les électeurs -un dixième de ceux-ci. Le président de la République n'a donc plus le monopole de l'initiative en

183 Avant la révision constitutionnelle intervenue en France en 2008, le référendum prévu par l'article 11 ne pouvait porter que sur un projet de loi. Désormais il peut également porter sur une proposition de loi.

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matière de référendum184. D'autre part, dans le régime politique malien, le président de la République ne peut recourir au référendum que sur proposition du Gouvernement ou sur proposition de l'Assemblée nationale ; sans l'une ou l'autre proposition, le Chef de l'État ne peut user du référendum : même s'il n'est pas obligé de suivre l'une ou l'autre proposition refusant d'user du droit qui est le sien de soumettre le texte à référendum malgré la suggestion du Gouvernement ou de l'Assemblée nationale, le président de la République ne dispose pas lui-même de l'initiative (art. 41).

Toutes ces dispositions -inexistantes en droit constitutionnel ivoirien- participent d'un équilibre des rapports entre le président de la République et le Parlement trop souvent en faveur du premier et au détriment du second. Il ne serait par conséquent pas superflu, dans le souci même de rééquilibrage entre le Chef de l'État ivoirien et l'Assemblée nationale, de songer à faire évoluer les dispositions constitutionnelles actuelles.

Une pareille réflexion peut être également faite sur le moment de la consultation référendaire.

b. Le moment de la consultation référendaire

Le président de la République est libre d'user de la prérogative qui lui est offerte par l'article 43 de la Constitution à tout moment. Il n'y a aucune limite temporelle relativement à l'usage de ce droit. Dans la Constitution française, lorsque le référendum a lieu sur proposition gouvernementale, il s'agit visiblement d'un moyen de passer outre à l'opposition du Parlement, d'en appeler directement au peuple par-dessus la tête de ses représentants : c'est pourquoi le référendum ne peut avoir lieu en dehors des sessions parlementaires, pendant que les chambres sont pour ainsi dire réduites au silence. Ce n'est que lorsque le référendum a lieu sur proposition conjointe des assemblées qu'il peut avoir lieu en tout temps : cela ne traduit pas une volonté de contournement du Parlement mais suppose au contraire qu'en face d'un grand problème, qui divise l'opinion, le Parlement laisse à la nation elle-même le soin de se prononcer185.

Toutes ces prescriptions -en particulier la faculté de l'Assemblée nationale d'avoir un pouvoir de proposition du référendum ou même un droit d'initiative référendaire et l'exigence que le référendum ait lieu pendant la durée des sessions parlementaires- sont de nature à

184 Dispositions de l'article 11 de la Constitution française à la suite de la loi constitutionnelle de 2008.

185 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 532.

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renforcer le caractère concerté du référendum entre le président de la République et l'Assemblée nationale ; mais elles sont inexistantes dans notre système constitutionnel.

Un autre champ privilégié de la collaboration entre le président de la République et l'Assemblée nationale concerne les engagements internationaux de la Côte d'Ivoire.

Paragraphe 2 : Les traités et accords internationaux

Si le président de la République joue un rôle prépondérant en matière d'engagements internationaux (A), celle-ci n'est guère exclusive de toute intervention de l'Assemblée nationale (B).

A/ Le rôle du président de la République en matière d'engagements internationaux

Le rôle que joue le président de la République en matière d'engagements internationaux dépend évidemment de la distinction entre traités et accords internationaux (1). Cette distinction détermine en effet la compétence qui est la sienne en cette matière (2).

1. La distinction entre traités et accords internationaux

La Constitution opère une distinction simple entre traités soumis à ratification et accords internationaux non soumis à ratification (a). Mais cette distinction simple est rendue complexe par l'existence d'une catégorie d'accords internationaux qui, quoique non soumis à ratification, doivent toutefois être approuvés (b).

a. Une distinction simple entre traités soumis à ratification et accords internationaux non soumis à ratification

Aux termes de l'article 84 de la Constitution, le président de la République négocie et ratifie les traités et les accords internationaux. La Constitution distingue ainsi formellement entre les traités et les accords internationaux.

Les premiers font l'objet d'un formalisme important et impliquent une procédure assez longue : conclus au nom du Président, ils sont soumis à ratification et n'entrent en vigueur qu'après l'échange des instruments de ratification. Les seconds sont des actes plurilatéraux à

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procédure courte : également conclus au nom du Président, ils ne sont pas soumis à ratification et entrent en vigueur dès leur signature.

Il convient à ce niveau de faire une clarification : l'article 84 dispose que le président de la République ratifie les traités et accords internationaux186. Les accords internationaux devraient donc, à l'instar des traités, être dûment ratifiés ; or en principe ces accords entrent en vigueur dès leur signature. Le constituant ivoirien a-t-il confondu ratification (qui ne concerne que les traités) et approbation (qui ne concerne que certains accords internationaux non soumis à ratification)187 ou encore a-t-il voulu entendre exclure la possibilité pour l'État ivoirien de s'engager sous la forme d'un accord en forme simplifiée ? Le fait qu'il distingue formellement entre traités et accords internationaux nous incline vers la première hypothèse : dans le cas d'un accord en forme simplifiée, la ratification exigée par la Constitution doit être entendue comme une simple approbation donnée par le président de la République188.

Mais la distinction simple en traités soumis à ratification et accords internationaux non soumis à ratification est rendue complexe par l'existence d'une catégorie hybride d'engagements internationaux.

b. Une distinction rendue complexe par l'existence d'une catégorie hybride d'accords internationaux

La Constitution de 2000 introduit dans cette distinction simple entre traités soumis à ratification et accords internationaux non soumis à ratification un élément de complication. Cet élément de complication résulte de ce que les articles 85, 86 et 87 font référence à la nécessaire ratification (comprendre : « approbation ») de certains accords, pourtant non soumis à la ratification : ce ne sont ni des traités parce que n'étant pas soumis à la ratification ni des accords en forme simplifiée parce qu'étant tout de même soumis à une approbation (ils

186 De même les articles 85, 86 et 87 de la Constitution parlent de « ratification » de traités et accords internationaux.

187 La confusion peut tenir notamment du fait qu'en droit international, ratification et approbation ne se distinguent guère ; le droit international ne connait que la ratification tandis que l'approbation est purement un acte de droit interne résultant, dans certains cas, d'une exigence constitutionnelle propre à un État.

188 Conseil d'État 13 juillet 1965, Société Navigator, Rec. p.422, conclusions Fournier : « ... dans le cas d'un accord dit en forme simplifiée, c'est-à-dire négocié sans que le président de la République ait à délivrer de pleins pouvoirs, la ratification exigée par la Constitution doit être entendue comme une simple approbation donnée par le Chef de l'État... cette approbation peut notamment résulter de la signature par le président de la République d'un décret de publication dudit accord au Journal officiel ». L'accord en cause avait été passé sous l'empire de la Constitution de 1946 mais, sur ce point, le problème se présente de la même manière dans le cadre de la Constitution de 1958.

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n'entrent en vigueur qu'après celle-ci) ; ces accords entrent dans une catégorie intermédiaire, généralement mais pas seulement parce qu'ils ont un objet figurant dans l'énumération de l'article 84, ce qui implique par ailleurs une intervention de l'Assemblée nationale189.

Toutes les distinctions que nous venons de voir influent sur les compétences du président de la République en matière d'engagements internationaux.

2. La négociation, la signature et la ratification ou l'approbation des traités et accords internationaux, actes du président de la République

Le président de la République négocie traités et accords internationaux d'une part (a) et il les signe et les ratifie ou les approuve d'autre part (b).

a. La négociation des traités et des accords internationaux

La Constitution réserve au président de la République la compétence en matière de négociation des traités et accords internationaux (art. 84). Dans certains régimes politiques africains, le président de la République ne dispose pleinement de la compétence de négocier qu'à l'égard des engagements en forme solennelle et, en ce qui concerne les accords, il doit être seulement tenu informé des négociations tendant à leur conclusion ; ainsi l'article 114 de la Constitution du Mali dispose que : « le président de la République négocie... les traités. Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d'un accord international non soumis à ratification »190. Une telle disposition -similaire à l'article 52 de la Constitution française-ne semble pas sans lien avec la nature parlementaire du régime politique malien.

Ainsi, aussi bien pour les engagements en forme solennelle que pour les accords en forme simplifiée, le président de la République ivoirien dispose d'un rôle primordial puisqu'il assume des fonctions d'impulsion, de direction et de décision, prenant des initiatives, désignant des plénipotentiaires, signant les lettres de pleins pouvoirs, fixant des objectifs, diffusant des instructions et faisant connaître ses décisions ; mais le Ministre des affaires

189 L'article 85 de la Constitution dispose que certains traités ou accords -en raison de leur objet- nécessitent, avant de pouvoir être ratifiés ou approuvés, le vote d'une loi y autorisant ; mais cette disposition implique également que les accords portant sur l'un des objets définis à l'article 85 devront être approuvés.

190 A l'instar de la Constitution du Mali, d'autres Constitutions africaines opèrent le même type de distinction : l'article 113 de la Constitution gabonaise, etc. Mais plusieurs autres Constitutions choisissent, sur ce point, la même solution que le constituant ivoirien : art. 168 de la Constitution du Niger, art. 114 de la Constitution du Bénin, etc.

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étrangères assume, sous l'autorité du président de la République, les tâches touchant les contacts diplomatiques et les procédures administratives191.

Les compétences reconnues au président de la République s'étendent également à la signature et à la ratification ou à l'approbation des traités et des accords internationaux.

b. La signature et la ratification ou l'approbation des traités et des accords internationaux

Le président de la République dispose par ailleurs indirectement, en matière de traités et d'accords internationaux, de la signature par laquelle sont authentifiés les textes des traités et des accords conclus par la Côte d'Ivoire. En effet, cette signature sera apposée sur le texte du traité ou de l'accord conclu par la Côte d'Ivoire par un agent de l'exécutif c'est-à-dire du président de la République exerçant pour l'occasion les fonctions de plénipotentiaire. Pour les accords, nous l'avons déjà dit, la signature a un effet exorbitant car elle donne de jure force obligatoire en liant l'État signataire.

En outre, le président de la République peut seul en principe ratifier ou approuver les traités et les accords internationaux. La ratification est réservée aux engagements en forme solennelle et l'approbation aux accords en forme simplifiée. Par la ratification, le Chef de l'État confirme la signature déjà donnée par ses représentants plénipotentiaires et exprime le consentement de l'État ivoirien à être lié par le traité. Quant à l'approbation, elle est surtout un acte de droit interne résultant, dans certains cas, d'une exigence constitutionnelle propre ; ainsi les accords non soumis à ratification mais portant sur certains objets énumérés à l'article 85 de la Constitution devront toutefois être approuvés192. Dans les régimes politiques malien et français précédemment évoqués, la compétence de ratifier les traités et celle d'approuver

191 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 502-503.

192 Dans leurs effets, la ratification et l'approbation se distinguent en ce sens que la première donne, sur le plan international, force obligatoire au traité qui entre en vigueur au moment de l'échange des instruments de ratification (un État peut d'ailleurs refuser de ratifier puisque, précisément, il n'est pas encore lié) tandis que la seconde, lorsqu'elle est rendue nécessaire et même si elle comporte des effets assez proches de la ratification, se situe dans un contexte très différent, car l'État devrait être lié dès la signature de l'accord et ne devrait pas pouvoir refuser d'approuver. Sur le plan pratique, les différences entre ratification et approbation s'estompent : les juridictions françaises considèrent en effet, que non seulement l'approbation mais également la ratification ne peuvent être appréhendées et identifiées qu'à travers le décret de publication faute sans doute, pour elles, de pouvoir contrôler l'échange des lettres de ratification. En d'autres termes, le décret de publication, qui a normalement pour objet d'introduire les engagements internationaux, quels qu'ils soient, en droit interne, est aussi pour les juges le seul acte faisant foi que la ratification ou l'approbation est bien intervenue.

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les accords reviennent à des autorités différentes : la première compétence revient au président de la République et la seconde compétence au Gouvernement193.

La matière des engagements internationaux n'est cependant pas exclusive de toute intervention de l'Assemblée nationale.

B/ L'intervention de l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale intervient à deux titres : soit en autorisant par une loi la ratification ou l'approbation d'un engagement international (1) soit par la possibilité ouverte aux députés de saisir le Conseil constitutionnel de certains engagements internationaux (2).

1. Les cas d'autorisations préalables par une loi

Les cas d'autorisations préalables par une loi ordinaire concernent d'abord les engagements internationaux visés à l'article 85 de la Constitution (a) mais par l'effet de la loi du 5 août 1978 tous les engagements internationaux soumis à ratification doivent ensuite être autorisés par une loi (b).

a. Des seuls engagements internationaux visés à l'article 85 (...)

L'article 85 énumère limitativement des traités et des accords pour lesquels la ratification ou l'approbation doivent être autorisées par une loi : ce sont les traités de paix, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale et ceux qui modifient les lois internes de l'État194. Mais le président de la République peut toujours prendre l'initiative de demander l'autorisation de l'Assemblée nationale même lorsque ce n'est pas obligatoire. L'Assemblée nationale devrait en principe voter sur le projet de loi (demandant l'autorisation de ratifier ou d'approuver) et non pas sur les dispositions même de l'engagement international à ratifier ou à approuver.

Le Conseil d'État français n'exerce cependant pour l'heure aucun contrôle sur la régularité de la ratification d'un traité ou de l'approbation d'un accord195. Il y a là la

193 Art. 114 de la Constitution malienne, art. 53 de la Constitution française.

194 Ces dispositions sont littéralement reprises de celles qui figuraient dans l'article 54 de la Constitution du 3 novembre 1960.

195 Conseil d'État, 5 février 1926, Dame Caraco, Rec. 125 ; D. 927.3.1., note Deveaux.

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manifestation de la notion d'actes de gouvernement196. Cette solution de la jurisprudence française ne semble toutefois pas satisfaisante ; la section du rapport et des études du Conseil d'État a d'ailleurs relevé dans un rapport adopté le 25 avril 1985 que l'absence de contrôle du juge sur le respect des dispositions de l'article 53 (notre article 85) de la Constitution qui fixent les cas où l'intervention d'une loi autorisant la ratification ou l'approbation est obligatoire « présente l'inconvénient de laisser dépourvues de sanctions juridictionnelles des ratifications ou des approbations » qui, en violation de l'article 53, n'auraient pas été autorisées par le Parlement. Le même rapport a posé la question de savoir si un contrôle juridictionnel ne découlerait pas nécessairement des dispositions combinées des articles 53 et

55197.

Originairement seule la ratification ou l'approbation des engagements internationaux visés à l'article 85 devait nécessairement être autorisée par la loi. Mais par l'effet d'une loi, l'autorisation législative préalable à la ratification ou à l'approbation est obligatoire pour tous les engagements internationaux soumis à ratification.

b. (...) à tous les engagements internationaux soumis à ratification par l'effet de la loi du 5 août 1978

L'article 23 de la loi du 5 août 1978 semble ouvrir plus largement le champ du contrôle parlementaire en y incluant tous les engagements internationaux soumis à ratification198. Ainsi tous les engagements internationaux soumis à ratification -et non plus seulement ceux visés à l'article 85 de la Constitution- doivent être soumis au vote des députés avant que le président de la République ne puisse valablement les ratifier. La simple faculté ouverte au président de la République de prendre l'initiative de demander l'autorisation de l'Assemblée nationale pour les engagements internationaux non énumérés à l'article 85 devient -par l'effet de la loi du 5 août 1978- une obligation dès lors qu'il s'agit d'engagements internationaux soumis à ratification.

196 Conseil d'État, 19 février 1875, Prince Napoléon.

197 Cet article correspond aux articles 85 et 87 de la Constitution ivoirienne. L'article 53 (notre article 85) énumère les traités ou accords requérant une autorisation parlementaire préalablement à toute ratification ou approbation tandis que l'article 55 (article 87) énonce que les traités et accords régulièrement ratifiés ou approbation ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ; il découle de ces dispositions que la régularité de la ratification ou de l'approbation conditionne la supériorité du traité ou de l'accord sur la loi et que d'autre part, cette régularité doit pouvoir être examinée par le juge.

198 L'article 23 de la loi du 5 août 1978, bien qu'il renforce le contrôle parlementaire et juridictionnel en matière d'engagements internationaux, semble toutefois être inconstitutionnel.

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Quoique cette loi soit extensive du contrôle parlementaire en matière d'engagements internationaux, le problème de sa constitutionnalité se pose en ce qu'elle transforme une faculté ouverte au président de la République en une obligation.

Mais l'article 23 de la loi ne mentionne pas les accords internationaux non soumis à ratification : le Président reste par conséquent libre -en dehors de ceux énumérés à l'article 85- de les approuver sans les soumettre préalablement à l'autorisation de l'Assemblée nationale.

L'autre voie par laquelle l'Assemblée nationale exerce un contrôle sur les engagements internationaux de la Côte d'Ivoire est la possibilité ouverte aux députés de saisir le Conseil constitutionnel de la constitutionnalité de certains engagements internationaux.

2. La saisine du Conseil constitutionnel

Seuls sont susceptibles de faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité les engagements nécessitant avant toute ratification ou approbation une autorisation parlementaire, c'est-à-dire ceux qui sont visés par l'article 85 de la Constitution199. Il existe deux voies différentes par lesquelles les députés peuvent saisir la Conseil constitutionnel200 : la voie de l'article 86 (a) et celle de l'article 95.2 (b).

a. La voie de l'article 86

Aux termes de l'article 86, le Conseil constitutionnel peut être saisi des engagements internationaux visés à l'article 85 par le président de la République, le président de l'Assemblée nationale ou par un quart au moins des députés. Dans la Constitution nigérienne, la Cour constitutionnelle peut être saisie, outre par le président de la République et le président de l'Assemblée nationale, par un dixième des députés (art. 170) ; ce qui est le même seuil exigé pour la saisine de la Cour constitutionnelle en matière de contrôle de constitutionnalité des lois (art. 131.2)201.

199 François LUCHAIRE, « Article 54 », in La Constitution de la République française, 1980.

200 Le contrôle de constitutionnalité ne concerne que les engagements internationaux qui, appelant une intervention du Parlement, ne sont pas encore introduits dans l'ordre interne. Une fois introduits, tout contrôle de constitutionnalité est exclu.

201 C'est la même solution fournie par l'article 54 de la Constitution française du 4 octobre 1958.

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La saisine du Conseil constitutionnel par un quart des députés au moins reste toutefois importante car elle permet à l'opposition de contester devant le Conseil constitutionnel la validité au regard de la Constitution ivoirienne des engagements internationaux négociés par le président de la République. Limiter la saisine du Conseil constitutionnel aux présidents de la République et de l'Assemblée nationale aurait pu se révéler inefficace en ce que ni l'un ni l'autre, appartenant le plus souvent au même bord politique202, n'auraient entrepris de contester devant le Conseil constitutionnel un engagement international négocié par le président de la République. C'est pourquoi il conviendrait de « démocratiser » plus encore ce droit de saisine en ramenant par exemple le seuil exigé au dixième des députés.

L'autre voie par laquelle les députés peuvent saisir le Conseil constitutionnel de la constitutionnalité d'un engagement international est l'article 95.2.

b. La voie de l'article 95.2

Elle peut pallier les insuffisances de l'article 86. La voie de l'article 95 permet en effet à tout groupe parlementaire ou à un dixième des députés de former un recours contre la loi d'autorisation de la ratification ou de l'approbation d'un engagement international ; ce faisant, le Conseil constitutionnel pourrait vérifier la conformité de l'engagement international lui-même à la Constitution203.

La voie de l'article 95.2 présente une similitude avec celle de l'article 86 : elles ne peuvent être utilisées que pour les engagements visés à l'article 85 de la Constitution c'est-à-dire ceux nécessitant une autorisation parlementaire. Cependant par la voie de l'article 95.2, les députés (au moins un dixième d'entre eux) ne défèrent que la loi d'autorisation de la ratification ou de l'approbation ; par conséquent les députés ne peuvent saisir le Conseil constitutionnel qu'après le vote et avant la promulgation de ladite loi alors que par la voie de

202 Le président de la République et le président de l'Assemblée nationale ont toujours été, jusqu'à nos jours, du même bord politique : sous Houphouët-Boigny (1960-1993), les présidents de l'Assemblée nationale furent Philippe Yacé puis Konan Bédié ; sous Konan Bédié (1993-1999), ce furent Charles Donwahi et Emile Brou ; sous Laurent Gbagbo (2000-2010), Mamadou Koulibaly (2000-2010) et enfin Alassane Ouattara (depuis 2010) appartient au même parti politique (Rassemblement des républicains) que Guillaume Soro, président de l'Assemblée nationale (depuis 2011).

203 C'est ce qui ressort d'une décision du Conseil constitutionnel français en date du 30 décembre 1976. Les groupes d'opposition, qui ne pouvaient pas à l'époque saisir le Conseil constitutionnel au titre de l'article 54 (article 86 de la Constitution ivoirienne), se sont autorisés à le faire avant la promulgation de la loi autorisant la ratification ou l'approbation, en application de l'article 61 alinéa 2 (notre article 95). Le Conseil constitutionnel a, en outre, adopté à l'occasion une démarche audacieuse (Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 507). Cette solution a été confirmée par les décisions ultérieures du 17 juillet 1980 et du 19 juillet 1983.

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l'article 86, c'est l'engagement international lui-même qui est déféré -avant le vote de la loi autorisant sa ratification ou son approbation- au Conseil constitutionnel et la saisine de ce dernier suspend toute possibilité de discussion ou de vote d'une loi d'autorisation.

Que ce soit par la voie de l'article 86 ou par celle de l'article 95.2, si le Conseil constitutionnel estime qu'un engagement international comporte des clauses contraires à la Constitution, l'autorisation de le ratifier ou de l'approuver ne peut intervenir qu'après une révision de la Constitution.

Tous les aspects que nous avons analysés jusqu'à maintenant démontrent la séparation, l'équilibre et la collaboration des pouvoirs exécutif et législatif en Côte d'Ivoire. Mais la réalité est un déséquilibre profond entre les titulaires respectifs de ces deux pouvoirs.

DEUXIÈME PARTIE :

LE DÉSÉQUILIBRE RÉEL ENTRE LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LE POUVOIR LÉGISLATIF

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Au-delà de l'équilibre somme toute formelle entre les pouvoirs exécutif et législatif, un déséquilibre -bien réel et substantiel- caractérise la réalité des rapports qu'ils entretiennent. Si ce déséquilibre résultait simplement du fait politique -c'est-à-dire de la concordance de vues entre le président de la République et l'Assemblée nationale- il ne serait en définitive qu'un fait contingent voire normal et peu susceptible du reste d'intéresser le droit constitutionnel. Mais le déséquilibre est ici fondé au plan juridique et institutionnel même. Ainsi l'un des organes en présence -le pouvoir exécutif- se voit doter de moyens d'action efficaces sur l'autre -le Parlement- sans que la réciproque ne soit vraie. Il peut par ailleurs -sous le faix de certaines circonstances- concentrer tous les pouvoirs en réduisant du même coup les prérogatives de l'Assemblée en peau de chagrin. D'autre part, l'Assemblée voit ses pouvoirs considérablement réduits tant du fait de son cantonnement dans un domaine étroit que du fait que ses initiatives sont bridées, enchaînées. Ce déséquilibre juridique et institutionnel est une anomalie voire une dénaturation du régime présidentiel204. Pourtant c'est un tel déséquilibre qui traduit la réalité des rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif en Côte d'Ivoire. Ce déséquilibre se manifeste d'une part par l'hégémonie du pouvoir exécutif (chapitre I) et d'autre part par l'abaissement du pouvoir législatif (chapitre II).

CHAPITRE I : L'HÉGÉMONIE DU POUVOIR EXÉCUTIF

La rupture de l'équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif dénote clairement d'une déformation du régime présidentiel. Théoriquement cette rupture peut se faire au profit de l'un ou de l'autre des organes ; en pratique cependant, c'est le président de la République - l'exécutif donc- qui en bénéficie : le président de la République dispose d'une position hégémonique en face du Parlement. L'hégémonie du pouvoir exécutif apparaît -on le sait-comme un caractère distinctif du régime présidentialiste. Elle est assurée ici comme ailleurs par des moyens d'action efficaces que détient le chef de l'exécutif sur le Parlement (section I) et par la concentration des pouvoirs à son profit en période de crise (section II).

Section I : Les moyens d'action efficaces sur le Parlement

204 Martin Djézou BLÉOU op.cit. p. 114 ; Dimitri-Georges LAVROFF et Gustave PEISER, op.cit., p. ; Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO, op.cit., p. 10 ; etc.

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Les moyens d'action de l'exécutif sur le Parlement sont nombreux et efficaces. Ils permettent en effet à l'organe qui les détient -le Chef de l'État- d'agir et d'influer sur les prérogatives de la représentation nationale. Ces moyens d'action efficaces sont le droit d'information et le pouvoir de participation d'une part (paragraphe 1) et le pouvoir d'intervention d'autre part (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le droit d'information et le pouvoir de participation

Les travaux de l'Assemblée nationale ont lieu sous la conduite de son bureau et, dans une certaine mesure, de sa conférence des présidents. Ils se font également pour une large part dans le cadre des commissions parlementaires. L'hégémonie du président de la République est manifeste en ce sens qu'il dispose d'un droit d'information et d'un pouvoir de participation sur le bureau et la conférence des présidents (A) et sur les commissions parlementaires (B).

A/ Le droit d'information sur le bureau et la conférence des présidents

La conduite des travaux parlementaire est assurée par le bureau et la conférence des présidents. Sur l'un et l'autre, le président de la République a un droit d'information résultant à la fois du fait politique (1) et du fait institutionnel (2).

1. Le fait politique du droit d'information

Parce que le parti présidentiel est le parti majoritaire soit seul soit en alliance avec d'autres formations politiques205, il écrase de son poids la composition du bureau (a) et de la conférence des présidents (b). Cette situation renforce l'influence du président de la République sur ces formations internes de l'Assemblée nationale.

a. Le poids du parti présidentiel majoritaire dans la composition du bureau

205 Le parti présidentiel est nécessairement le parti majoritaire pour au moins deux raisons. D'abord, parce que le président de la République est toujours issu d'une formation politique (même un Président non issu d'une quelconque formation politique n'aurait pas moins besoin d'une majorité parlementaire capable de soutenir son programme politique). Ensuite, parce que les élections présidentielle et législatives ont lieu la même année, ce qui a pour conséquence de dégager une majorité parlementaire conforme aux vues du Président élu.

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Le bureau comprend le président de l'Assemblée nationale, les vice-présidents, les secrétaires et les questeurs ; il est largement dominé par le parti présidentiel.

Élu pour la durée de la législature (art. 65 de la Constitution), le président de l'Assemblée nationale dispose de deux types d'attributions : constitutionnelles et parlementaires. Au titre des premières, il assure l'intérim du président de la République (art. 40), doit être consulté par celui-ci avant la mise en oeuvre des pouvoirs exceptionnels (art. 48), nomme certains membres du Conseil constitutionnel (art. 91), peut saisir celui-ci dans certaines conditions (art. 95.2 ; art. 86, etc.), statue sur l'irrecevabilité des propositions de lois soulevée par le président de la République (art. 76) etc. Au titre des secondes, il établit l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée, dirige les débats, fait observer le règlement, maintient l'ordre et la discipline, veille à la sûreté interne et externe de l'Assemblée, etc. Les présidents de l'Assemblée nationale ont toujours appartenu au camp présidentiel voire ont été des hommes de main du président de la République206.

Le bureau de l'Assemblée nationale comprend en outre onze vice-présidents, douze secrétaires et deux questeurs (art. 4 du règlement), élus au scrutin de liste à la majorité relative pour un an renouvelable chaque année, à la première séance de la première session ordinaire d'avril, sur proposition du président de l'Assemblée nationale (art. 6). Ils appartiennent également presque tous au camp présidentiel (art. 4 in fine).

C'est ce bureau dominé par le parti présidentiel qui préside, en la personne de son président ou, en cas d'empêchement de celui-ci, de l'un de ses vice-présidents, les délibérations de l'Assemblée nationale.

Le parti présidentiel majoritaire écrase également de son poids la conférence des présidents.

b. Le poids du parti présidentiel majoritaire dans la composition de la conférence des présidents

La conférence des présidents réunit le président et les vice-présidents de l'Assemblée nationale, les présidents des six commissions générales, les présidents des commissions spéciales et les présidents des groupes parlementaires. Outre le président de l'Assemblée

206 Il en fut ainsi pour chacun des présidents de l'Assemblée nationale : Philippe Yacé (1959-1980), H. Konan Bédié (1980-1993), Charles Donwahi (1993-1997), Emile Brou (1997-1999), Mamadou Koulibaly (2000-2012) et Guillaume Soro (depuis 2012).

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nationale, les autres membres de la conférence appartiennent pour la plupart au camp présidentiel207.

La conférence des présidents est convoquée par son président -le président de l'Assemblée nationale- au début de chaque session et chaque fois que le besoin s'en fait sentir et elle joue un rôle important concernant la fixation de l'ordre du jour (art. 20.1) et l'organisation des débats. La question de la fixation de l'ordre du jour est fondamentale et sera abordée ultérieurement lorsque nous verrons que le président de la République exerce un droit de regard de fait sur la conférence des présidents.

Le droit d'information ne tient pas seulement du fait que le parti présidentiel -qui soutient le président de la République- dispose d'une majorité confortable à l'Assemblée nationale. Il tient également du fait institutionnel.

2. Le fait institutionnel du droit d'information et ses conséquences

Le fait institutionnel résulte de ce que le règlement de l'Assemblée nationale consacre un droit d'information du président de la République sur le bureau et la conférence des présidents (a) entraînant de facto un droit de regard (b).

a. L'institutionnalisation du droit d'information

Le règlement de l'Assemblée nationale consacre un droit d'information du président de la République sur le bureau et sur la conférence des présidents. Dès que le bureau est formé, le président de l'Assemblée nationale a en effet l'obligation d'en informer le président de la République (art. 7 du règlement). Par ailleurs, celui-ci est avisé du jour et de l'heure retenus pour la réunion de la conférence des présidents (art. 20.4 du règlement) et est informé de l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale (art. 20.6).

Le droit d'information consacré au profit du président de la République s'est vite transformé en un droit de regard.

b. Un droit de regard de facto

207 Ainsi en est-il notamment des onze vice-présidents et des présidents des six commissions permanentes.

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Le droit d'information entraîne un droit de regard c'est-à-dire une prérogative à influencer le bureau et la conférence des présidents à la fois quant à leur composition et quant à leurs activités208.

S'agissant de leur composition, nous avons déjà souligné que le fait politique (le fait majoritaire) permettait au parti présidentiel de s'arroger la part du lion face aux groupes minoritaires ; et comme le parti présidentiel est lié voire soumis au président de la République, il ne fait pas de doute que cette composition se fera conformément aux directives que celui-ci pourrait donner à son bord209.

En ce qui concerne leurs activités, le président de la République -disposant du droit à être informé du jour et de l'heure de la réunion de la conférence des présidents- peut influer sur la proposition qu'elle fera relativement à la fixation de l'ordre du jour de la séance plénière210. Cependant le pouvoir dont dispose le président de la République à cet égard reste largement en deçà des prérogatives de l'exécutif dans d'autres régimes politiques africains. Ainsi l'article 84 de la Constitution sénégalaise dispose que : « l'inscription, par priorité, à l'ordre du jour d'un projet de loi ou d'une proposition de loi ou d'une déclaration de politique générale est de droit si le président de la République ou le premier ministre en fait la demande ».

La conférence des présidents -et indirectement le président de la République- joue par ailleurs un rôle important quant à l'organisation des débats.

Le droit d'information ne se limite pas au bureau et à la conférence des présidents, il s'étend également aux travaux des commissions où il est doublé d'un pouvoir de participation.

B/ Le droit d'information et le pouvoir de participation sur les travaux des commissions

208 Le droit d'information consacré par le règlement de l'Assemblée nationale sur le bureau et la conférence des présidents est susceptible d'influencer l'objet sur lequel porte ce droit à savoir la composition et les activités du bureau et de la conférence.

209 L'élection de Guillaume Soro à la présidence de l'Assemblée nationale reflète une telle situation. Cette élection, qui posait par ailleurs un problème juridique relatif à son âge, ne fut possible que sur une intervention directe du Chef de l'État, Alassane Ouattara.

210 La conférence des présidents joue un rôle important dans la fixation de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale : elle donne son accord relativement à l'établissement de l'ordre du jour par le président de l'Assemblée (art. 20.1 du règlement). Il est indéniable, cependant, que le président de la République joue un rôle important à cet égard car il exerce une influence certaine à la fois sur le président de l'Assemblée et sur la conférence des présidents. Mais le rôle déterminant revient à l'Assemblée nationale (art. 20 al. 5 et 8).

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Le droit d'information sur les commissions parlementaires tient également du fait politique (1) et du fait institutionnel (2).

1. La cause politique du droit d'information sur les commissions

Le règlement de l'Assemblée nationale, aux termes des articles 13 et 18, distingue entre les commissions permanentes (a) et les commissions spéciales (b) sur lesquelles le parti présidentiel -et par ricochet le président de la République- exerce une véritable domination.

a. La domination du parti présidentiel majoritaire dans la composition des commissions permanentes

Les commissions permanentes sont au nombre de six. Ce sont : la commission des affaires générales et institutionnelles, la commission des affaires économiques et financières, la commission des affaires sociales et culturelles, la commission des relations extérieures, la commission de la sécurité et de la défense et la commission de l'environnement (art.13 du règlement). L'augmentation du nombre de commissions permanentes par rapport à la première République211 est une avancée du point de vue de leur efficacité et rien n'empêche que ce nombre augmente encore puisque qu'il n'en existe pas de limitation dans la Constitution212.

Chaque commission comporte un nombre égal de députés. Le bureau de l'Assemblée nationale établit la liste des candidats aux différentes commissions permanentes après consultation des groupes parlementaires ; cette liste est soumise à la ratification de l'Assemblée nationale (art. 14.1 du règlement). Mais les règles en matière de désignation demeurent floues et imprécises car l'on ne sait pas avec exactitude en quoi consiste cette ratification213. Quoi qu'il en soit, il est certain que le système permet au parti majoritaire -le parti présidentiel- de composer plus ou moins à sa guise les différentes commissions.

Les bureaux des commissions permanentes reflètent cette domination du parti présidentiel : les présidences de ces commissions permanentes ont été ainsi régulièrement

211 Les commissions nouvellement créées sont donc la commission de la sécurité et de la défense et la commission de l'environnement.

212 La Constitution se contente de parler de « commissions » sans en préciser ni la nature (distinction entre « commissions permanentes » et « commissions spéciales ») ni le nombre ; c'est le règlement de l'Assemblée nationale qui fait une telle précision (art. 13). Il suffirait donc, en principe, que les députés prennent l'initiative d'augmenter le nombre de commissions permanentes de l'Assemblée nationale.

213 Obou OURAGA, op.cit., p. 240.

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assumées par des députés du parti présidentiel voire par des hommes de confiance du président de la République.

Les commissions spéciales n'échappent pas non plus à la domination du parti présidentiel et partant du président de la République.

b. La domination du parti présidentiel majoritaire dans la composition des commissions spéciales

Parallèlement aux commissions permanentes, l'Assemblée nationale peut constituer des commissions spéciales pour un objet déterminé et dont l'existence prend fin dès lors que les projets ou propositions ayant nécessité leur création font l'objet d'une décision définitive soit qu'ils ont été adoptés soit qu'ils ont été rejetés ou retirés (art. 18 du règlement).

Les commissions spéciales ivoiriennes se différencient de celles existant dans le régime politique français actuel. D'abord, parce que leur existence -de même que celle des commissions permanentes d'ailleurs- découle directement du règlement de l'Assemblée nationale, la Constitution elle-même n'évoquant que des « commissions » sans aucune précision214. Ensuite, parce que ces commissions spéciales sont l'exception tandis que les commissions permanentes sont la règle : les textes sont en priorité soumis à l'examen d'une commission permanente et les commissions spéciales ne seront saisies que par dérogation215.

Le parti présidentiel exerce sur leur composition la même domination qu'il exerce sur les commissions permanentes (président, bureau, rapporteur, etc.) car la désignation de ses membres se fait sur proposition de la conférence des présidents elle-même dominée par le parti présidentiel (art. 18.2 du règlement).

Outre leur composition, leur mode d'organisation (se constituer en sous-commissions), leur compétence (examiner des textes, les modifier en exerçant le droit d'amendement...), leur saisine (à la diligence du président de l'Assemblée nationale et en fonction des projets ou propositions entrant dans leur compétence...) obéissent au même régime que les commissions permanentes.

214 Article 48 de la Constitution du 3 novembre 1960 et article 83, alinéas 1 et 2 de la Constitution du 1er août 2000.

215 Le renvoi d'un texte à une commission spéciale n'est pas en effet de droit car il doit être décidé par l'Assemblée nationale (art. 55.2 du règlement).

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Le droit d'information présidentiel sur les commissions parlementaires résultant du simple fait politique -la domination du parti présidentiel au sein de l'Assemblée nationale-sera expressément consacré par le droit, d'où le fait institutionnel.

2. Le fait institutionnel du droit d'information et du pouvoir de participation et leurs conséquences

Le fait institutionnel du droit d'information présidentiel doit se conjuguer avec l'institutionnalisation d'un pouvoir de participation (a). Ces deux faits entraînent certaines conséquences à savoir un pouvoir aux mains du président de la République à orienter les travaux des commissions parlementaires (b).

a. Le fait institutionnel du droit d'information et du pouvoir de participation

Le président de la République doit être informé de l'ordre du jour des travaux des commissions de l'Assemblée nationale ; cet ordre du jour lui est communiqué en principe deux jours avant la réunion de la commission (art. 56.1 du règlement). Les propositions de lois et de résolutions sont en outre transmises au Gouvernement dans les quarante-huit heures suivant leur dépôt (art. 52.5). Ces dispositions prescrites par le règlement de l'Assemblée nationale ne peuvent avoir d'autre but que celui de permettre au président de la République d'exercer une influence certaine sur les travaux des commissions parlementaires.

D'autre part, les ministres ont accès aux commissions et, à la demande de celles-ci, sont entendus conformément à l'article 83 de la Constitution (art. 56.2 du règlement). Il ne s'agit là en principe que d'un moyen d'information ouvert aux commissions, à charge pour les ministres d'éclairer celles-ci. Mais en fait, le président de la République est parvenu à faire de ce moyen d'information ouvert aux commissions un instrument pour influencer -par l'entremise de ses ministres- les travaux de ces dernières. C'est dire que le moyen d'information institué de jure au profit des commissions est devenu un pouvoir de participation de facto aux mains des ministres et, en réalité, du président de la République. Ce pouvoir de participation est d'autant plus assis que l'on voit mal comment les commissions - dominées par le parti présidentiel majoritaire- pourraient refuser d'entendre les ministres -car

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elles seules peuvent en droit formuler la demande d'entendre ces derniers- si le président de la République en exprimait le souhait216.

Les conséquences qui découlent du droit d'information sur les commissions et du pouvoir de participation à leurs travaux sont inéluctablement un pouvoir d'orientation de ceux-ci.

b. Les conséquences du droit d'information et du pouvoir de participation : un pouvoir d'orientation des travaux des commissions

Les projets et propositions de loi doivent être soumis à l'une des six commissions permanentes ou, à défaut, à une commission spécialement désignée à cet effet. Pour chaque texte, une seule commission est saisie au fond et en fonction des projets ou propositions entrant dans leur compétence (art. 55 du règlement). Les membres de la commission ont le droit d'amendement (art. 78.1 de la Constitution, art. 60 du règlement). Si tous les députés peuvent participer aux débats de toutes les commissions, seuls les membres de la commission considérée y disposent du droit de vote. Les décisions de la commission sont prises à la majorité absolue des suffrages exprimés (art. 62.1). La commission désigne en son sein un rapporteur et suit le cheminement du texte tout au long de la procédure législative.

D'autre part, les commissions parlementaires ont un pouvoir d'instruction et d'investigation, elles exercent de la sorte une influence importante sur la procédure législative.

Par le droit d'être informé sur les travaux des commissions, le président de la République peut, s'il le désire, agir pour influencer les travaux effectués au sein des commissions. Pour ce faire, il dispose non seulement de moyens politiques mais également de moyens institutionnels.

Par le droit de participation qu'il est parvenu à tirer de l'article 83 de la Constitution, il peut -par l'entremise de ses ministres- influer sur le cours des délibérations des commissions

216 Il n'en serait autrement que si le président de la République ne disposait pas de majorité parlementaire conforme à ses vues ou s'il existait au sein du parti présidentiel majoritaire une opposition interne au président de la République, deux hypothèses encore irréalisées. Dans ces cas, comment fonctionnerait le régime ?

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et en orienter l'issue. Les exemples de vigoureuses interventions présidentielles lors de la participation des ministres aux réunions des commissions sont légion217.

Outre le droit d'information sur les formations internes de l'Assemblée nationale qu'il tient à la fois du droit et du fait, le président de la République dispose d'un pouvoir d'intervention. Ainsi il ne se contente pas d'influencer les travaux parlementaires par le droit d'information qu'il détient, il intervient directement dans les prérogatives de l'Assemblée nationale.

Paragraphe 2 : Le pouvoir d'intervention

Le président de la République intervient dans les prérogatives traditionnelles et essentielles de l'Assemblée nationale que sont le vote de la loi (A) et celui du budget (B).

A/ Dans le domaine législatif

L'intervention du président de la République dans le domaine législatif se situe dans son droit de veto à l'encontre des lois votées par l'Assemblée nationale (1) et dans la promulgation de celles-ci (2).

1. Le veto présidentiel

Aux termes de l'article 42.3 de la Constitution, le président de la République peut demander une seconde délibération des lois votées par l'Assemblée nationale. Cette demande de seconde délibération en apparence (a) apparaît en réalité comme un droit de veto (b).

a. Une demande de seconde délibération en apparence

Avant la promulgation, le président de la République peut exiger de l'Assemblée nationale le réexamen de la loi adoptée (art. 42.3 de la Constitution de 2000). Il peut également, dans le même délai, exiger que la seconde délibération n'ait lieu que lors de la session ordinaire suivant la session au cours de laquelle le texte a été adopté en première lecture (art. 42.4 de la Constitution).

217 Ainsi à la séance de la Commission des affaires générales et institutionnelles consacrée aux privatisations en mai 1994, le Gouvernement Kablan Duncan s'opposa, au nom du président de la République, avec force et victorieusement, à un amendement émanant d'un député.

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L'Assemblée nationale peut, lors de cette seconde délibération, soit confirmer les termes de la loi telle qu'elle a été adoptée en première lecture soit adopter les modifications souhaitées par le Président. Mais dans l'un et l'autre cas, le vote devant sanctionner cette seconde délibération ne sera acquis qu'à la majorité renforcée des deux tiers des députés présents (art. 42 in fine de la Constitution, art. 76.3 du règlement). Cette disposition mérite que l'on s'y penche : non seulement les modifications souhaitées par le Président ne pourront être adoptées mais également les députés ne pourront maintenir leur position antérieure qu'à la majorité des deux tiers. Ce deuxième aspect l'emporte nettement sur le premier car si le constituant avait voulu faciliter l'adoption des modifications souhaitées par le président de la République, il aurait seulement exigé la majorité simple. En exigeant une majorité renforcée, celle des deux tiers, le constituant insiste plutôt sur le moyen de pression offert au Président sur l'Assemblée nationale. Certes la majorité renforcée ne facilite pas du même coup l'adoption des modifications souhaitées par le président de la République (ce qui n'est d'ailleurs pas l'objectif recherché par le constituant) mais elle rend surtout hypothétique la confirmation, dans ses termes initiales de la première lecture, de la loi dont le président de la République ne veut pas et qu'il a de ce fait renvoyé pour une seconde lecture (ce qui est en définitive le but recherché par le constituant).

A l'analyse et par référence au droit comparé notamment au droit étatsunien, la demande de seconde délibération consacrée par la Constitution apparaît en réalité comme un véritable droit de veto présidentiel.

b. Un droit de veto présidentiel en réalité

La demande de nouvelle ou de seconde délibération218 est consacrée dans de nombreuses Constitutions africaines. Ainsi dans la Constitution malienne, le président de la République se voit conférer le droit de demander, dans le délai fixé pour la promulgation, une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles (art.40.2). Le Parlement peut accéder à la demande présidentielle de reconsidérer sa position initiale mais il demeure libre

218 Il convient, ici, de faire une clarification terminologique entre nouvelle et seconde délibération. La Constitution ivoirienne parle de « seconde délibération » et la Constitution française de «nouvelle délibération ». Les deux termes désignent donc la même réalité : le Président demande au Parlement d'examiner à nouveau une partie ou la totalité de la loi. Dans l'ordre constitutionnel français, il ne faut toutefois pas confondre la nouvelle délibération, qui est une compétence du Président et a lieu après l'adoption du texte, et la seconde délibération par laquelle le Gouvernement peut, pendant les débats parlementaires et avant l'adoption du texte, demander un réexamen de certaines de ses dispositions (pratique courante lors de l'examen des lois de finances).

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de la maintenir sans y être empêché par une difficulté institutionnelle particulière, car lors de ce réexamen de la loi aucune majorité spéciale n'est requise. Par conséquent, il est rare que le président de la République use du droit que lui confère la Constitution de demander une nouvelle lecture de la loi étant quasiment assuré qu'il n'obtiendra pas satisfaction à l'issue de celle-ci.

Exiger une majorité renforcée lors de la nouvelle délibération en transforme profondément la nature en en faisant un véritable droit de veto par lequel le président de la République peut avec aisance faire plier le Parlement suite à l'adoption d'une loi qu'il désapprouve. Il faut donc s'étonner de la position d'Obou Ouraga :

« (...) A défaut de cette majorité des deux tiers, les amendements ou modifications souhaités par le président de la République seront inopérants. Dans ce cas, il aura l'obligation de promulguer le texte initial qui lui a été précédemment transmis »219.

En réalité, le constituant ivoirien s'est clairement engagé dans la voie d'offrir au président de la République un moyen de pression, imitant en cela la démarche des constituants étatsuniens220 : pour maintenir sa position de départ, l'Assemblée nationale doit le faire à la majorité des deux tiers des députés présents221. A défaut de cette majorité renforcée lors de la seconde délibération, la loi quoique valablement adoptée lors de sa première lecture tombe soit en totalité soit en partie selon que la demande de seconde délibération portait sur l'ensemble de ses dispositions ou sur certains de ses articles222 ; il n'y a pas par conséquent à la promulguer.

Mais en l'état actuel du régime politique ivoirien où il y a rarement eu discordance de vues entre l'Assemblée nationale et le président de la République ou mieux, où il y a presque toujours eu inféodation de la première au second, le Président n'a guère encore eu besoin de

219 Obou OURAGA, op.cit., p. 242.

220 Article I, section 7, clauses 1 et 2 de la Constitution des États-Unis ; Bernard CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, 29e éd., 2012, p. 108.

221 Cette majorité des 2/3 des députés présents (art. 42 in fine, art. 76.3 du règlement) est moins renforcée que la majorité exigée alors par la Constitution de 1960 puisque celle-ci, en son article 13 in fine, disposait que : « le vote pour cette seconde délibération est acquis à la majorité des deux tiers des membres composant l'Assemblée nationale ». Il est donc étonnant de lire Obou Ouraga, en parlant de la situation sous la IIe République, écrire que : « (...) pour cette seconde délibération, le vote de la loi est n'est acquis qu'à la majorité des deux tiers des membres de l'Assemblée nationale... » (op.cit, p. 242).

222 François V. WODIÉ, op.cit., p. 213.

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faire usage de l'arme du veto. L'autre type d'intervention présidentielle dans le domaine législatif -la promulgation- est quant à lui d'un usage plus fréquent.

2. La promulgation

Consacrée par l'article 42.1 de la Constitution, la promulgation apparaît certes comme une compétence liée du président de la République (a) mais elle est essentielle à la validité des lois adoptées (b).

a. Une compétence liée du président de la République

La promulgation est l'acte par lequel le président de la République constate la régularité de l'adoption de la loi, authentifie ou certifie le texte de la loi, déclare la loi valable et donne aux autorités publiques l'ordre de l'exécuter et de la faire exécuter223. En promulguant la loi, le président de la République ne fait pas oeuvre législative, il se borne à reconnaitre que la loi a régulièrement pris naissance et donne par conséquent l'ordre de l'exécuter. C'est en ce sens que la promulgation diffère de la sanction.

La promulgation constitue dès lors pour l'autorité qui en est constitutionnellement investie, à savoir le président de la République en droit ivoirien (art. 42.2), moins une prérogative qu'une obligation devant être satisfaite dans le délai prévu par la Constitution c'est-à-dire quinze jours suivant la transmission de la loi ou, en cas d'urgence, cinq jours (art. 42.1). Autrement dit, le président de la République dispose d'une compétence liée de promulguer la loi votée par l'Assemblée nationale224. C'est ce qui ressort des termes de l'article 42.1 de la Constitution de 2000 qui dispose que « le président de la République assure la promulgation des lois... ». L'indicatif devant être tenu, en droit, pour l'impératif225 et sous réserve des facultés de demander une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles et de saisir le Conseil constitutionnel et du choix de la date à l'intérieur du délai de quinze jours, le président de la République a l'obligation de promulguer la loi dès lors que

223 Cette définition de la promulgation se réfère au décret français de 1876 et rejoint la définition donnée par de nombreux auteurs notamment Georges Burdeau (op.cit., p. 630), Raymond Carré de Malberg (voir Obou OURAGA, op.cit., p. 245), Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN (op.cit., p. 423), etc. Elle est d'ailleurs celle que fournie le Conseil d'État français dans sa décision du 8 février 1974, Commune de Montory : « La promulgation est l'acte par lequel le Chef d'État atteste l'existence de la loi et donne l'ordre aux autorités d'observer et de faire observer cette loi ».

224 Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD, op.cit., p. 178 ; Francis V. WODIÉ, op.cit., pp. 214215.

225 Obou OURAGA, op.cit., p. 244 ; Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 214.

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celle-ci a été régulièrement adoptée226. Par ailleurs, l'exigence d'un délai de promulgation prouve l'existence à la charge du président de la République d'une compétence liée.

Même si la promulgation est une compétence liée du président de la République, elle n'en est pas moins une condition au moins formelle de la validité des lois adoptées par le Parlement.

b. Une compétence essentielle à la validité de la loi

La nature liée de la compétence de promulguer la loi dans le délai prévu par la Constitution est renforcée par l'existence d'une sanction s'attachant dorénavant au défaut de promulgation. Aux termes de l'article 42.2 de la Constitution de 2000, lorsqu'une loi n'est pas promulguée par le président de la République jusqu'à l'expiration des délais prévus, ladite loi « est déclarée exécutoire par le Conseil constitutionnel saisi par le président de l'Assemblée nationale, si elle est conforme à la Constitution ». En conséquence, le président de la République n'a plus la possibilité de jure -comme sous la première République- d'annihiler l'effectivité de la loi par le refus de la promulgation227.

Mais l'existence même d'une telle sanction prouve que la promulgation est une condition au moins formelle de validité de la loi : si le président de la République refusait de promulguer une loi et que le président de l'Assemblée nationale s'abstenait -en raison de son alignement politique sur le Président- de saisir le Conseil constitutionnel afin que celui-ci déclare éventuellement la loi exécutoire, on aboutirait à la même situation que celle qui aurait existé si la Constitution ne prévoyait pas de sanction au défaut de promulgation et la loi quoique valablement adoptée ne serait pas applicable.

De là, il apparaît que la promulgation -même si elle n'est qu'un acte de constatation de l'existence de la loi votée, même si elle n'a qu'un effet déclaratif de la force exécutoire de

226 A la séance du 16 mai 1975 de la Commission élargie de l'Assemblée nationale en vue de la révision de l'article 11 de la Constitution de 1960, M. Camille Alliali, ministre de la Justice et représentant du Gouvernement, précisait : « La promulgation est l'ordre donné au président de la République de rendre exécutoire telle loi. Le Président est mis en demeure de faire exécuter la loi ». Cette position du droit positif conforte la position doctrinale défendue, auparavant, par Carré de Malberg et par d'autres selon laquelle le président de la République est tenu de promulguer la loi du fait que la volonté législative s'impose d'une façon supérieure à lui et que l'adoption de la loi par le Parlement contient implicitement un véritable ordre de promulgation.

227 Sous la première République, le président de la République est parvenu, en refusant de promulguer certaines lois votées par l'Assemblée nationale, à enterrer définitivement celles-ci. On cite de façon assez classique le cas de la loi du 20 mars 1963 portant Code domanial qui, faute d'avoir été promulguée par le Président Houphouët-Boigny, n'est pas applicable.

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celle-ci et ne constitue qu'une compétence liée à la charge du président de la République- est bien une condition au moins formelle de validité de la loi et n'en demeure pas moins par conséquent une arme aux mains du Président -à condition qu'il ait le soutien du président de l'Assemblée nationale en raison de l'article 42.2- par laquelle il peut faire échec à la volonté du Parlement228.

Le pouvoir d'intervention du président de la République s'étend également au domaine sensible du budget.

B/ Dans le domaine budgétaire et le pouvoir de substitution

Le vote du budget est -avec le vote de la loi- une prérogative essentielle de l'Assemblée nationale (1). Le pouvoir d'intervention du président de la République lui permet pourtant de la déposséder de cette prérogative très importante (2).

1. Le vote du budget, prérogative essentielle de l'Assemblée nationale

Le vote du budget est une prérogative essentielle de l'Assemblée nationale parce que le budget est un acte gouvernemental essentiel et que son autorisation préalable apparaît par conséquent comme une forme capitale du contrôle parlementaire.

a. Le budget, acte gouvernemental essentiel

Sur le plan politique et constitutionnel, le budget apparaît comme un acte gouvernemental essentiel. En effet, toute réalisation d'un programme concret se traduit par des dépenses nouvelles, par des accroissements ou des réductions de dépenses anciennes, par l'établissement d'impôts ou de taxes, par des dégrèvements ou par des surcharges fiscales, etc.229.

De ce fait, toute la réalisation de la politique qu'entend mener le président de la République et son Gouvernement passe nécessairement par le budget. C'est en raison de cette dimension que l'autorisation préalable du budget par l'Assemblée nationale est susceptible d'être une forme capitale du contrôle parlementaire sur l'activité gouvernementale.

228 Obou OURAGA, op.cit., p. 247.

229 Marcel PRÉLOT, op.cit., p. 777.

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b. L'autorisation préalable du budget, forme capitale du contrôle parlementaire

L'autorisation préalable du budget est une forme capitale du contrôle de l'activité gouvernementale. En exerçant le « pouvoir de la bourse », l'Assemblée nationale devrait pouvoir être en mesure d'imposer sa volonté au président de la République ou du moins d'infléchir celle du Président.

Historiquement, c'est par le vote du budget que les chambres sont parvenues à prendre de l'ascendant sur les rois. Ainsi en France, dès la Révolution, est reconnu le droit pour la nation de concéder des subsides, d'en déterminer la quotité, d'en limiter la durée, d'en faire la répartition, d'en assigner l'emploi, d'en demander le compte, d'en exiger la publication (cahiers du Tiers de Paris)230.

Il est par conséquent regrettable le fait que l'Assemblée nationale puisse être dessaisie de sa prérogative traditionnelle et essentielle de voter le budget.

2. La dépossession de l'Assemblée nationale du vote du budget

L'Assemblée nationale peut se trouver dessaisie du vote du budget au profit du président de la République soit que celui-ci mette en vigueur le projet de loi de finances par ordonnance (a) soit qu'il l'établisse définitivement par ordonnance (b).

a. La mise en vigueur du projet de loi de finances par ordonnance budgétaire

Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée dans un délai de soixante-dix jours après le dépôt du projet de loi de finances, la Constitution établit une dérogation fondamentale au principe traditionnel selon lequel seul le Parlement peut autoriser la perception des recettes et l'engagement des dépenses publiques : les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance (art. 80.3). C'est donc la carence de l'Assemblée nationale qui se trouve être sanctionnée. Cette disposition de l'article 80.3 de la Constitution ne s'applique toutefois qu'au cas où l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée, et non au refus d'adopter

230 Marcel PRÉLOT, ibid.

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le budget. On retrouve des dispositions semblables dans de nombreux régimes politiques africains231.

Au contraire, la carence du président de la République résultant notamment du retard dans le dépôt du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale232 n'implique pas la disparition des prérogatives de l'exécutif. Aux termes de l'article 80 in fine de la Constitution, le président de la République demande alors d'urgence à l'Assemblée nationale l'autorisation de reprendre le budget de l'année précédente par douzième provisoire. Technique héritée des IIIe et IVe Républiques françaises en cas de retard dans le vote de la loi de finances, les douzièmes provisoires sont des autorisations budgétaires dérogatoires au principe d'annualité budgétaire en ce que tout en permettant à l'administration de procéder à la perception des recettes pour toute l'année, elles ne permettent de payer les dépenses qu'à concurrence d'un douzième environ des crédits ouverts l'année précédente et une répartition des crédits entre ministères pour une période (provisoire) d'un ou plusieurs mois233. Cette technique des douzièmes provisoires est en vigueur dans de nombreux régimes politiques africains notamment au Bénin et au Niger234. Le retard du président de la République ou du Gouvernement n'entraîne donc que l'accélération du vote de l'autorisation du douzième provisoire.

Le pouvoir d'intervention du président de la République dans le domaine budgétaire pourrait revêtir des caractères plus extrêmes par l'établissement définitif du projet de loi de finances par ordonnance.

b. L'établissement définitif du projet de loi de finances par ordonnance budgétaire

La mise en vigueur par ordonnance du projet de loi de finances n'est que provisoire car le président de la République devra, dans un délai de quinze jours, saisir l'Assemblée

231 Constitutions du Bénin (art. 110.1), du Mali (art. 77 in fine), du Sénégal (art.), du Niger (art.), etc.

232 Le projet de loi de finances doit être déposé et distribué à l'Assemblée nationale au plus tard le premier mardi du mois d'octobre.

233 Louis DUBOIS et Gustave PEISER, Droit public, 10e éd., 1989, Dalloz, p. 194.

234 Aux termes de l'article 111 de la Constitution du Bénin, « si le projet de loi de finances n'a pas pu être déposé en temps utile pour être promulgué avant le début de l'exercice, le président de la République demande d'urgence à l'Assemblée nationale l'autorisation d'exécuter les recettes et les dépenses de l'État par douzièmes provisoires » ; l'article 114 in fine de la Constitution du Niger reprend, à quelques différences de rédaction près, cet article de la Constitution béninoise.

101

nationale convoquée en session extraordinaire aux fins de ratification de ladite ordonnance (art. 80.4 de la Constitution)235.

Au cours de cette session extraordinaire, l'Assemblée nationale retrouve son droit de voter le budget et elle pourra dès lors soit adopter le projet de loi de finances soit le repousser, c'est-à-dire en pratique soit ratifier l'ordonnance de mise en vigueur soit refuser de la ratifier en la repoussant. Mais si à la fin de cette session extraordinaire elle ne se prononce toujours pas, le budget est définitivement établi par ordonnance (art. 80.5)236. C'est aux termes seulement de cette session extraordinaire et dans le cas où l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée sur le budget et non dans le cas où elle l'aurait repoussé que le pouvoir de substitution encore provisoire à l'issue de la mise en vigueur du projet de loi de finances par ordonnance devient cette fois définitif : le budget est définitivement établi par ordonnance.

Ces dispositions sont très importantes car elles atténuent la brutalité de la dépossession de l'Assemblée nationale : celle-ci ne se retrouvera définitivement dépossédée au profit du président de la République que si, une seconde fois lors de la session extraordinaire, elle faillit à se prononcer sur le projet de loi de finances237. Dans la Constitution française au contraire, dès que le Gouvernement met en vigueur par ordonnance le projet de finances, la dépossession du Parlement est définitive : la mise en vigueur par ordonnance du projet de loi implique par conséquent établissement définitif par ordonnance dudit projet (art. 47).

Jusque-là, la prééminence du président de la République par rapport à l'Assemblée nationale se traduit par ses pouvoirs d'information et d'intervention. Mais ces pouvoirs-là supposent encore que l'Assemblée nationale reste détentrice du pouvoir législatif. La dictature constitutionnelle que le président de la République exerce en vertu de l'article 48 entraîne au contraire une confusion des pouvoirs législatif et exécutif dans sa seule personne.

Section II : La concentration des pouvoirs en période de crise : les pouvoirs exceptionnels

La prééminence du président de la République est particulièrement perceptible en ce domaine puisqu'elle se manifeste tant au niveau de l'appréciation de la réalisation des

235 Disposition reprise de l'article 51, al. 4 de la Constitution du 3 novembre 1960.

236 Disposition reprise de l'article 51, al. 5 de la Constitution du 3 novembre 1960.

237 Nous retrouvons les mêmes dispositions dans les Constitutions du Bénin (art. 110) et du Niger (art. 114).

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conditions de mise en oeuvre de l'article 48 (paragraphe 1) qu'à celui de l'étendue, immense, des pouvoirs exceptionnels dont il dispose en période de crise (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'appréciation exclusive, discrétionnaire et souveraine de la réalisation des conditions de mise en oeuvre de l'article 48 par le président de la République

Théoriquement, la Constitution a fixé d'une manière dépourvue de toute ambiguïté les conditions dans lesquelles la concentration des pouvoirs entre les mains du président de la République pourrait être mise en oeuvre. Mais force est de reconnaître qu'à quelques conditions de formalité près (A), le Président dispose d'une véritable compétence exclusive, discrétionnaire et souveraine en matière d'appréciation de la réalisation des conditions de fond de mise en oeuvre de l'article 48 (B).

A/ Les conditions de forme ou... de simples formalités

Les conditions de forme sont essentiellement au nombre de deux. Mais ainsi que nous nous en rendrons aisément compte, elles n'apparaissent que comme de simples formalités pour le président de la République. En effet, celui-ci doit simplement quoique obligatoirement consulter certaines autorités238 d'une part (1) et adresser un message à la Nation d'autre part (2).

1. La consultation obligatoire de certaines autorités

La consultation obligatoire de certaines autorités qu'exige la Constitution suscite quelques difficultés d'interprétation (a). Quoi qu'il en soit, cette formalité ne touche cependant pas au pouvoir discrétionnaire du président de la République (b).

a. Une difficulté d'interprétation certes (...)

238 La consultation du président de l'Assemblée nationale et du président du Conseil constitutionnel est certes obligatoire mais les avis qu'ils émettront ou les réserves qu'ils formuleront ne lient nullement le président de la République. En cela se manifeste le caractère purement formaliste de la consultation obligatoire exigée par la Constitution dès lors que le président de la République veut mettre en application les pouvoirs de crise (pouvoirs de l'article 48).

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La Constitution dispose que le président de la République prend « les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation obligatoire du président de l'Assemblée nationale et de celui du Conseil constitutionnel ».

L'exégèse purement littérale conduirait à penser que la consultation dont il s'agit est obligatoire toutes les fois que le président de la République envisage de prendre des mesures exceptionnelles sur le fondement de l'article 48. Il ne serait donc pas obligatoire pour le président de la République de consulter les présidents de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel sur sa décision de recourir à l'article 48.

Mais l'interprétation consacrée veut que la consultation obligatoire des autorités constitutionnellement désignées à cet effet soit une condition de mise en jeu de l'article 48 c'est-à-dire préalable à celle-ci239.

Mais quelle que soit l'interprétation relative au moment exact de la consultation exigée par la Constitution, cette consultation ne touche pas au pouvoir discrétionnaire du président de la République.

b. (...) mais ne touchant pas au pouvoir discrétionnaire du président de la République

La consultation obligatoire des autorités susmentionnées ne touche pas au pouvoir discrétionnaire du président de la République. En d'autres termes, le Chef de l'État, s'il est constitutionnellement tenu de consulter les présidents de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, n'est guère obligé de suivre l'avis émis par l'un et l'autre à la suite de cette consultation.

Tout au plus la consultation des présidents de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel peut retarder la mise en jeu de l'article 48 ; et les avis émis par eux -au cas où ils seraient négatifs- pourraient seulement constituer un motif politique de prudence ou de renoncement de la part du président de la République. La consultation des présidents de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel et leurs avis éventuellement négatifs ne

239 Georges BURDEAU, op.cit., p. 655 ; Maurice DUVERGER, op.cit, p. 536 ; Louis DUBOUIS et Gustave PEISER, op.cit., p. 58 ; Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., pp. 394-395 ; Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD, op.cit., p. 195 ; Obou OURAGA, op.cit., pp. 174-175. Cette interprétation est corroborée par le fait que la consultation du Conseil constitutionnel sur les mesures exceptionnelles est consacrée dans un alinéa différent de l'article 16 de la Constitution française (à l'alinéa 3). La Constitution ivoirienne ne reprend pas précisément cet alinéa 16.3. de la Constitution française.

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peuvent donc pas empêcher juridiquement le président de la République ni de mettre en oeuvre l'article 48 ni de prendre les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances240.

Une autre formalité à remplir par le président de la République est le message adressé à la Nation.

2. Le message à la Nation

Une autre formalité doit être également remplie par le président de la République : il doit informer la Nation par un message. Le message n'est pas préalable aux mesures exceptionnelles prises par le président de la République en vertu de l'article 48 : il leur est au contraire postérieur puisqu'il a justement pour but d'informer la Nation des mesures qui sont prises. Par le message qu'il adresse ainsi à la Nation, le président de la République dispose d'un moyen légal de justifier aux yeux de l'opinion non seulement sa décision de recourir à l'article 48 mais également les mesures exceptionnelles qu'il a prises ou entend prendre.

En définitive, la consultation obligatoire des présidents de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel et le message à la Nation n'apparaissent que comme de pures formalités à remplir pour un président de République désireux de recourir à l'article 48 : ils ne constituent guère un obstacle difficile à franchir.

Les conditions de fond dont on aurait pu penser qu'elles sont beaucoup plus restrictives sont -comme on le verra- libéralement interprétées par le président de la République.

B/ Les conditions de fond, des conditions libéralement interprétées

Les conditions de fond tiennent à des aspects plus substantiels, c'est-à-dire liées à l'avènement de faits concrets et constatables. Mais elles ne constituent pas elles non plus des obstacles insurmontables pour le président de la République. L'explication en est toute simple : il y a l'énonciation théorique des conditions de fond (1) et le problème -plus crucial- de leur appréciation pratique (2).

1. L'énonciation théorique des conditions de fond

240 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 536 ; Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 395 ; Obou OURAGA, op.cit., p. 176.

105

Le président de la République ne peut user des pouvoirs de l'article 48 que si deux conditions cumulatives sont réunies : il faut d'une part que certaines circonstances exceptionnelles surviennent (a) et que d'autre part la survenance de ces circonstances exceptionnelles entraîne une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels (b).

a. La survenance de certaines circonstances exceptionnelles241

La survenance de ces circonstances exceptionnelles est la première condition de fond de mise en oeuvre de l'article 48.

La survenance de circonstances exceptionnelles tient à ce qu'une menace grave et immédiate porte sur les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux. Dès lors qu'une telle circonstance survient, le président de la République est fondé à mettre en oeuvre les pouvoirs de l'article 48.

Cette condition est donc largement exprimée : il suffit en effet d'une simple « menace », à condition qu'elle soit « grave et immédiate ». Ainsi et comme le faisait déjà observé Maurice Duverger :

« Un mouvement insurrectionnelle ou un complot important peuvent constituer une menace de ce genre contre les institutions ; un ultimatum d'un État étranger ou l'occupation par lui de territoires rentrent dans l'idée de menace contre l'indépendance de la Nation ; la volonté affirmée du Parlement de dénoncer un traité existant ou la simple victoire électorale de partisans de cette dénonciation seraient une menace grave et immédiate contre l'exécution de nos engagements internationaux ; enfin, une révolte locale... correspond à une menace contre l'intégrité de la Nation »242.

Les auteurs s'accordent donc pour dire que cette première condition qui a trait à la survenance de circonstances exceptionnelles est immense243, vague244, imprécise245,

241 Ce que nous nommons, ici, circonstances exceptionnelles sont les circonstances de fait énoncées par l'article 48 de la Constitution et qui sont susceptibles de justifier la mise en oeuvre des pouvoirs de crise.

242 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 535.

243 Maurice DUVERGER, op. cit., p. 535.

244 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 535. ; Pierre PACTET, op.cit., p. 395.

245 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 395.

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subjective246. Cela ouvre la porte à une interprétation assez libérale -une appréciation discrétionnaire- de cette première condition par le président de la République.

Mais cette première condition doit être réunie à une seconde condition beaucoup plus restrictive.

b. L'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels

Le président de la République ne peut recourir à l'article 48 que si l'une des circonstances que l'on vient de décrire conduit au fait que « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». Maurice Duverger fit observer que cette seconde condition ne figurait pas dans le projet initial de la Constitution française du 4 octobre 1958 et qu'elle y a été ajoutée postérieurement devant l'émotion soulevée par la rédaction initiale : le sens de cette seconde condition -que la Constitution ivoirienne reprend en son article 48- est donc clairement de limiter le recours à l'article 16247. Dans le même ordre d'idées, cette seconde condition ne figurait pas non plus à l'article 19 de la Constitution du 3 novembre 1960 : en rajoutant cette seconde condition à l'article 48, les rédacteurs de la Constitution de 2000 ont voulu restreindre une faculté que ceux de 1960 avait entendue élargir.

Cette seconde condition constitue bien avec la première des conditions cumulatives : la survenance de l'une des circonstances exceptionnelles ne saurait justifier le recours aux pouvoirs de crise si en même temps cette circonstance exceptionnelle n'entraînait pas l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels248. Dans le cadre du régime politique burkinabè postrévolutionnaire au contraire, cette seconde condition apparaît comme alternative avec la première ; ainsi aux termes de l'article 59 de sa Constitution : « lorsque les institutions du Faso, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de

246 Obou OURAGA, op.cit., p. 174.

247 Maurice DUVERGER, op.cit, p. 536.

248 Dans le cadre de la plupart des Constitutions africaines consacrant les pouvoirs exceptionnels en période de crise, les deux conditions (de fond) apparaissent en effet comme cumulatives : l'une et l'autre de ces conditions sont nécessaires (article 50 de la Constitution du Mali, article 52 de la Constitution du Sénégal, article 26 de la Constitution du Gabon, article 67 de la Constitution du Niger, etc.). La Constitution burkinabè semble par conséquent l'une des rares en Afrique, parmi celles qui consacrent l'état de crise, à présenter les conditions de fond de mise en oeuvre des pouvoirs exceptionnels comme alternatives : le Président du Faso peut prendre des mesures exceptionnelles lorsque l'une des circonstances exceptionnelles survient alors même que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels n'est aucunement interrompu ou menacé, et vice versa. Mais dans les faits, n'en est-il pas de même, également, dans le cadre du régime des pouvoirs de l'article 48 de la Constitution ivoirienne ?

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son territoire ou l'exécution de ses engagements sont menacées d'une manière grave et immédiate et/ou que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président du Faso prend... les mesures exigées par ces circonstances... ».

Toutefois certaines difficultés résultent de l'interprétation de cette condition relative à l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels et qui posent le problème plus général de l'appréciation des conditions de fond de mise en vigueur des pouvoirs de l'article 48.

2. L'appréciation pratique des conditions de fond par le président de la République

Le président de la République dispose en la matière, à quelques formalités près déjà analysées, d'une compétence exclusive, discrétionnaire et souveraine qui se manifeste tant dans l'appréciation de la condition relative à la survenance des circonstances exceptionnelles (a) que dans celle qui a trait à l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels (b).

a. L'appréciation de la condition relative à la survenance de circonstances exceptionnelles

Elle est discrétionnairement appréciée par le président de la République. D'abord, parce que la Constitution laisse entendre que cette condition est réalisée lorsque « les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate... ». Autrement dit, une simple menace pesant sur les institutions républicaines, l'indépendance nationale, l'intégrité territoriale ou l'exécution des engagements internationaux ne suffit pas à elle seule à justifier le recours à l'article 48 ; il faudrait en plus que cette menace soit grave et immédiate et seul le Président peut décider qu'une menace donnée revêt bien de tels caractères.

Il faut ensuite distinguer entre la menace grave et immédiate susceptible de porter sur l'intégrité du territoire et les autres types de menaces. Dans le premier cas, l'évaluation de la situation résulte de considérations objectives ; ainsi il n'y eut aucune difficulté à se rendre compte que l'occupation par divers groupes armés dont le Mouvement patriotique de Côte

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d'Ivoire de toute la partie septentrionale du pays consécutivement à l'échec de la tentative de putsch du 19 septembre 2002 constituait bien une menace à l'intégrité du territoire249.

Mais tout autre est l'hypothèse des autres types de menaces. Un même évènement comme une révolte locale à l'image de celle du canton guébié en 1970 pourrait être ainsi assimilée à la fois à une menace contre les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité du territoire ou même contre l'exécution des engagements internationaux de la Côte d'Ivoire. On ne voit d'ailleurs pas ce qui pourrait priver le président de la République d'interpréter dans le sens qui lui permet justement de mettre en oeuvre l'article 48 quel que évènement que ce soit. C'est ce qui a conduit certains auteurs à qualifier la condition relative à la survenance de circonstances exceptionnelles de subjective250 et d'autres à considérer que l'article 48 portait en lui un risque mortel pour le régime251.

Un tel risque est d'autant plus réel que l'interprétation de la condition relative à l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels n'est pas plus rassurante.

b. L'interprétation de la condition relative à l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels

Pour certains, il faudrait que les pouvoirs publics constitutionnels cessent effectivement de fonctionner. Pour d'autres, il n'est guère nécessaire d'en arriver à une telle situation avant de pouvoir recourir à l'article 48 car la finalité de celui-ci est justement d'éviter un tel chaos : sans que les pouvoirs publics constitutionnels soient dans une incapacité matérielle de fonctionner, la seule hypothèque morale pesant sur eux en raison de la survenance d'une des circonstances exceptionnelles est suffisante à justifier le recours à l'article 48.

La Constitution du Bénin est l'une des rares sur le continent à être parfaitement explicite sur la question ; aux termes de son article 68 en effet : « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité du territoire national ou l'exécution des engagements internationaux sont menacés de manière grave et immédiate et que le

249 Voir l'avis n° 003/CC/SG du 17 décembre 2003 du Conseil constitutionnel ivoirien demandé par le Président Laurent Gbagbo sur la situation prévalant en Côte d'Ivoire depuis le 19 septembre 2002 (Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO, op.cit., p. 472 ; Luc SINDJOUN, Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine, Droit constitutionnel jurisprudentiel et politiques constitutionnelles au prisme des systèmes politiques africains, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 357-360).

250 Obou OURAGA, op.cit., p. 174.

251 Maurice DUVERGER, op.cit., p.

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fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est menacé ou interrompu, le président de la République... prend en Conseil des ministres les mesures exceptionnelles exigées... ».

C'est en l'absence d'une telle clarté de l'article 48 de la Constitution ivoirienne qu'il a pu être soutenu que, pendant la crise politico-militaire (2002-2010), lorsque le Président Laurent Gbagbo décida d'appliquer l'article 48, la condition qui a trait à l'interruption des pouvoirs publics constitutionnels n'était pas remplie252. Le chef de l'État a, au contraire, en décidant malgré tout de recourir à l'article 48, interprété d'une manière large la condition visée. On peut, à cet égard, rapprocher son attitude de celle du Général de Gaulle lorsqu'il décida le 23 avril 1961 de recourir à l'article 16 de la Constitution française.

En définitive, la condition relative à l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels, si elle est qualifiée par certains d'objective253, n'en est pas moins par conséquent subjectivement interprétée par le président de la République.

Cette situation est porteuse de périls graves d'autant plus que la portée des pouvoirs exceptionnels que le Président exerce en période de crise est très considérable.

Paragraphe 2 : La portée des pouvoirs exceptionnels en période de crise

La portée des pouvoirs exceptionnels est immense (A) et le contrôle de l'exercice de ces pouvoirs par le Président paraît insuffisant (B).

A/ L'étendue immense des pouvoirs exceptionnels

Les pouvoirs exceptionnels sont immensément étendus d'une part, en raison des prérogatives que vise l'article 48 (1) et d'autre part, parce que l'application de l'article 48 entraîne une suspension de fait des règles constitutionnelles (2).

1. Les pouvoirs visés par l'article 48

Les pouvoirs visés par l'article 48 sont très étendus (a) mais ils ne sont pas illimités (b).

252 Obou OURAGA, ibid., p. 175.

253 Obou OURAGA, op.cit., p. 174.

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a. Des pouvoirs très étendus (...)

Les pouvoirs de l'article 48 sont quasiment illimités. On ne trouve ici ni de limitation par l'objet ni de limitation par le but, même si cette dernière limitation y est nécessairement impliquée.

Le président de la République peut prendre, en vertu de l'article 48, « les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances ». Le texte est vague et immense : parce que les circonstances en cause sont elles-mêmes exceptionnelles, rien de ce qui peut y parer n'est interdit au Président. Il concentre entre ses mains tous les pouvoirs politiques : il dispose de la plénitude des pouvoirs exécutif et législatif. En d'autres termes, le Président exerce, pendant la durée d'application de l'article 48, une véritable dictature rei publicae servandae, pour sauver la République254.

Dans la Constitution du Maroc, l'article 59 autorise le Roi à « prendre les mesures qu'imposent la défense de l'intégrité territoriale et le retour, dans un moindre délai, au fonctionnement normal des institutions constitutionnelles » mais il ajoute : « les libertés et droits fondamentaux prévus par la présente Constitution demeurent garantis ». Il en résulte que le Roi ne peut suspendre l'ensemble des droits et libertés fondamentaux constitutionnellement consacrés : ses pouvoirs sont donc fortement limités dans leur objet255. Rien de semblable dans l'article 48 : le président de la République peut intervenir dans tous les domaines, supprimer tous les droits et garanties des citoyens, etc.

D'autre part, aucune limitation par le but n'apparaît clairement à l'article 48 : les mesures exceptionnelles que le Président est autorisé à prendre ne sont pas explicitement guidées vers la poursuite d'une fin déterminée. Dans la Constitution nigérienne, l'article 67, alinéa 4 dispose que : « les mesures exceptionnelles doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission ». Le fait que cette finalité des mesures exceptionnelles n'apparaisse pas clairement dans le texte constitutionnel ivoirien ne signifie pas qu'elle n'y soit pas

254 Dans une dictature au sens précis du droit, le dictateur est nommé pour une mission déterminée : rei gerandae, pour une tâche à accomplir, belli gerandae causa, pour faire la guerre, seditionis sedendae causa, pour étouffer une sédition ou encore, d'une façon plus générale, rei publicae servandae, pour sauver la République.

255 La même limitation par l'objet existe dans la Constitution du Bénin qui dispose : « (...) le président de la République, après consultation du président de l'Assemblée nationale et du président de la Cour constitutionnelle, prend en Conseil des ministres les mesures exigées par les circonstances sans que les droits des citoyens garantis par la Constitution soient suspendus (...) » (art. 68).

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impliquée : il est clair que les mesures exceptionnelles doivent être prises par le président de la République dans l'esprit du retour à la normalité constitutionnelle.

b. (...) mais quelque peu limités

Les pouvoirs exceptionnels sont certes très étendus mais ils ne sont pas illimités. Outre le fait qu'ils doivent être exercés dans l'esprit du retour à la normalité constitutionnelle et que l'Assemblée nationale se réunisse de plein droit, la principale limitation aux pouvoirs exceptionnels est l'impossibilité de réviser la Constitution.

L'impossibilité de procéder à une révision de la Constitution par le biais de l'article 48 résulte implicitement de l'esprit dans lequel les pouvoirs exceptionnels doivent être exercés : les mesures exceptionnelles doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Ce qui doit s'entendre des institutions en place au moment de la mise en oeuvre de l'article 48 et qui ne peuvent donc faire l'objet d'aucune modification256. D'autre part, il y a lieu de faire un lien avec l'article 127 de la Constitution qui dispose qu' « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire »257.

Cette position qui résulte d'une interprétation doctrinale258 sera validée par le Conseil constitutionnel français259. Dans de nombreux régimes politiques africains, l'interdiction résulte des termes explicites de la Constitution ; ainsi l'article 116.10 de la Constitution du Gabon dispose que : « la révision de la Constitution ne peut être entamée ou achevée en cas

256 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 395.

257 L'atteinte à l'intégrité du territoire qui constitue, aux termes de l'article 127, une limite temporelle au pouvoir de révision est par ailleurs une des circonstances énoncées à l'article 48 et qui, conjuguée avec l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels, justifie la mise en oeuvre de l'article 48. D'autre part, l'atteinte à l'intégrité du territoire est susceptible d'entraîner les autres circonstances de l'article 48 que sont la menace grave et immédiate sur les institutions de la République, l'indépendance de la nation et l'exécution des engagements internationaux.

258 Georges BURDEAU, op.cit., p. 655 ; Maurice DUVERGER, op.cit., p. 538 ; Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 395.

259 Décision n° 92-312 D.C du 2 septembre 1992 : « Considérant que sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution ne peut être engagée ou poursuivie, qui résulte des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles... ». (Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 224).

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d'intérim de la présidence de la République, de recours aux pouvoirs de crise de l'article 26 ci-dessus ou d'atteinte à l'intégrité du territoire... »260.

Les pouvoirs exceptionnels sont encore plus étendus par un fait que l'on oublie souvent : parce que les règles constitutionnelles sont suspendues, le Président apparaît comme un organe régulateur du cadre constitutionnel.

2. La suspension des règles constitutionnelles

Dans l'application de l'article 48, on a une suspension de fait des règles constitutionnelles. La parenthèse de la dictature constitutionnelle qui s'ouvre en est marquée par le fait que le Président a non seulement la maîtrise de la durée d'application de l'article 48 (a) mais il régule également par lui-même les rapports entre les pouvoirs publics pendant cette période (b).

a. La maîtrise de la durée d'application de l'article 48

Normalement l'article 48 n'a plus à s'appliquer dès lors que les circonstances qui ont justifié sa mise en vigueur ont cessé et que les pouvoirs publics constitutionnels sont de nouveau en mesure de fonctionner régulièrement. A la réalité, de même que le Président a la pleine maîtrise de la mise en jeu de l'article 48, il dispose seul de la possibilité d'y mettre fin : la décision de mettre fin à l'application des pouvoirs exceptionnels est laissée à son entière appréciation sans contrôle ni sanction.

Il n'existe en effet aucun moyen constitutionnel à la portée ni de l'Assemblée nationale ni des autres pouvoirs publics pour obliger le Président à mettre fin à l'application de l'article 48. Dans le régime politique français d'avant la révision constitutionnelle de 2008, nous étions dans une situation similaire261. Désormais les règles y sont changées puisque la mise en application de l'article 16 est en une certaine façon limitée dans le temps : au bout de trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel a désormais la

260 L'interdiction de réviser la Constitution pendant la période d'exercice des pouvoirs exceptionnels existe explicitement dans de nombreuses Constitutions africaines : Constitution du Sénégal (art. 52.3) et autres.

261 Ainsi en 1961, l'application de l'article 16 décidée le 23 avril a été prolongée jusqu'au 29 septembre c'est-à-dire bien au-delà du retour du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. Dans l'arrêt Rubin de Servens du 2 mars 1962, le Conseil d'État précisait d'ailleurs que la décision de mettre en oeuvre les pouvoirs exceptionnels est « un acte de gouvernement dont il n'appartient pas au Conseil d'État d'apprécier ni la légalité ni la durée d'application ».

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possibilité -sur demande de soixante députés ou sénateurs ou des présidents des assemblées-d'examiner si les conditions ayant donné lieu à leur mise en oeuvre sont toujours réunies ; au bout de soixante jours, le Conseil constitutionnel se saisit lui-même. Des dispositions voisines à celles ajoutées à l'article 16 de la Constitution française à l'issue de la révision de 2008 existent dans certaines Constitutions africaines. Ainsi l'article 67 in fine de la Constitution nigérienne donne la possibilité à l'Assemblée nationale d'apprécier à la majorité absolue de ses membres la durée d'exercice des pouvoirs exceptionnels et d'y mettre fin en cas d'abus 262!

La Président ivoirien régule en outre -en sa qualité de gardien de la Constitution- les rapports entre les pouvoirs publics pendant la période de la dictature constitutionnelle.

b. La régulation des rapports entre les pouvoirs publics pendant l'application de l'article

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Le Conseil constitutionnel français, saisi par le président de l'Assemblée nationale, s'est refusé le 14 septembre 1961 à émettre un avis sur les rapports entre les pouvoirs publics pendant l'application de l'article 16. Ce refus de la part du Conseil constitutionnel est un argument de ce que, pendant l'application des pouvoirs exceptionnels, il y a une suspension de fait de la Constitution comme nous l'avons précédemment signalé : puisque l'on n'est plus à proprement parler dans le cadre de la Constitution, le Conseil constitutionnel -organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels en période normale- n'a plus à émettre d'avis sur les rapports que devraient entretenir entre eux ces pouvoirs publics constitutionnels. Dès lors, c'est l'interprétation donnée par le président de la République, gardien de la Constitution, qui doit prévaloir.

Le Président se retrouve ainsi en position de se substituer au Conseil constitutionnel dans le rôle que celui-ci tient en période normale dans la régulation des rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels. En d'autres termes, outre le fait qu'il dispose en vertu de l'article 48 de pouvoirs exceptionnels, le président de la République détermine le contenu des pouvoirs de l'Assemblée nationale en période de crise comme nous le constaterons dans les développements ultérieurs.

262 Aux termes de l'article 69 de la Constitution béninoise, l'Assemblée nationale peut également fixer un délai à l'issue duquel le président de la République ne peut plus prendre de mesures exceptionnelles.

114

Les pouvoirs exceptionnels ne sont pas seulement immenses dans leur contenu ; le contrôle que suppose leur portée considérable est assez faible.

B/ La faiblesse du contrôle de l'exercice des pouvoirs exceptionnels

La dictature qu'exerce le Président en vertu de l'article 48 est encore une dictature constitutionnelle et non une dictature de fait. Cela suppose non seulement que cette dictature est prévue et encadrée mais également qu'un certain contrôle existe. Si le contrôle politique est faible voire illusoire (1), le contrôle juridictionnel existe bel et bien même si l'on peut regretter son insuffisance (2).

1. L'illusion du contrôle politique

Le contrôle politique de l'exercice des pouvoirs exceptionnels est illusoire en ce que la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale en période de crise (a) n'empêche pas que ses pouvoirs soient considérablement réduits (b).

a. La réunion de plein droit de l'Assemblée nationale

La Constitution exige que pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels l'Assemblée nationale se réunisse de plein droit. On aurait pu penser que, puisque l'Assemblée nationale se réunit de plein droit dès que l'article 48 est mis en application, elle aurait la faculté d'ouvrir un débat sur la décision du Président de mettre en jeu les pouvoirs exceptionnels. Seulement si, théoriquement, cette hypothèse n'est pas à écarter, force est de reconnaitre qu'en fait il ne pourrait s'agir que d'un contrôle illusoire, parce que dépourvu de sanction.

La seule finalité efficace de la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale pourrait être de traduire en Haute Cour le Président s'il abusait de ses pouvoirs exceptionnels263.

La réunion de plein droit de l'Assemblée nationale apparaît ainsi décevante car elle est en deçà de ce que l'on aurait pu espérer. Mais ce n'est pas tout : les pouvoirs qui sont les siens en période normale se trouvent être encore fortement réduits.

b. La réduction des pouvoirs de l'Assemblée nationale

263 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 539.

115

Comme aucun texte constitutionnel ne prévoit les conditions de fonctionnement de l'Assemblée nationale et du président de la République pendant la période d'application de l'article 48, c'est au président de la République qu'il devrait appartenir, en vertu de sa qualité de gardien de la Constitution (art.34), de régler cette question. Les pouvoirs de l'Assemblée nationale dépendront donc de l'interprétation donnée à la Constitution par le Chef de l'État.

Deux hypothèses sont à distinguer selon que l'on se trouve dans ou hors des sessions normales de l'Assemblée nationale. La première hypothèse est celle de la coïncidence de la réunion de plein droit avec une session normale de l'Assemblée nationale : réunie en session ordinaire l'Assemblée nationale conserverait, malgré l'application de l'article 48, son pouvoir de contrôle et de législation pour autant qu'il ne s'agisse pas de mesures prises ou à prendre en vertu de l'article 48. L'Assemblée nationale peut donc aussi bien exercer son contrôle sur l'action du Gouvernement que voter des lois, mais sans concurrencer le Président qui s'est saisi de la plénitude du pouvoir législatif. La seconde hypothèse est celle où la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale se situe hors d'une session normale : dès lors la réunion de l'Assemblée nationale ne pourrait avoir aucun aboutissement législatif.

Ces règles relatives au pouvoir de l'Assemblée nationale découlent en fait de l'interprétation donnée par le Président de Gaulle à la Constitution française pendant la période d'exercice des pouvoirs exceptionnels en 1961264. Mais rien n'empêche que le Président ivoirien s'approprie une telle interprétation pendant la mise en oeuvre de l'article 48 et réduise ainsi de manière considérable les pouvoirs de l'Assemblée nationale durant toute cette période.

Il en découle par conséquent que non seulement le contrôle politique que l'on aurait pu espérer de la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale se révèle en définitive illusoire car dépourvue de sanction265 mais également, et plus grave, que ses pouvoirs sont tributaires de la volonté du président de la République. Il ne reste dès lors que de s'en remettre au contrôle juridictionnel même si celui-ci, l'on s'en rendra compte, est insuffisant.

2. L'insuffisance du contrôle juridictionnel

264 L'interprétation donnée à la Constitution française de 1958 par le Général de Gaulle pendant la mise en application de l'article 16 se fit à travers deux textes : le message du 25 avril 1961 et la lettre du 31 août 1961. Le premier texte correspond à l'hypothèse dans laquelle la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale coïncide avec ses sessions normales et le second texte correspond à celle dans laquelle la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale se situe en dehors de ses sessions normales.

265 Georges BURDEAU, op.cit., pp. 656-657.

116

Il convient de distinguer entre la décision initiale de mise en oeuvre de l'article 48 qui constitue un acte de gouvernement insusceptible de recours contentieux (a) et les décisions prises en vertu de l'article 48 au cours de sa période d'application (b).

a. La décision d'user de l'article 48, acte de gouvernement insusceptible de recours contentieux

Le Conseil d'État français considère que la décision du président de la République de recourir à l'article 16 constitue un acte de gouvernement. En effet, cette décision réalise immédiatement une confusion organique des pouvoirs au profit du président de la République et elle bouleverse ipso facto la répartition des compétences entre les pouvoirs constitutionnels266. Le Conseil d'État s'interdit par conséquent d'en apprécier la légalité interne et de l'examiner au fond tout en marquant, cependant, son désir d'en contrôler la régularité externe267.

Encore convient-il de souligner qu'il s'agit tout au plus d'une constatation de l'existence de la décision et faut-il marquer les limites d'un tel contrôle : le Conseil d'État n'apprécie pas en effet si les circonstances de fait permettaient le recours à l'article 16 et si les conditions mises par celui-ci à son application étaient effectivement remplies ; de plus, la simple constatation de la régularité formelle de la décision ne constitue pas une garantie bien efficace : « tout contrôle intervenant a posteriori » de la part du Conseil d'État « serait ou inutile -si la décision d'appliquer l'article 16 est conforme à la Constitution- ou dérisoire -si elle ne l'est pas » : on serait alors « en présence d'un coup d'État que le Parlement n'aurait pu éviter et il serait trop tard pour le condamner »268.

En définitive et par transposition de cette jurisprudence française dans le droit ivoirien, aucun contrôle juridictionnel pas plus que politique d'ailleurs n'est par conséquent possible relativement à la décision d'ouvrir le régime des pouvoirs exceptionnels.

Contrairement à la décision initiale de recourir à l'article 48, les décisions prises par le président de la République en vertu de cet article ne constituent pas quant à elles des actes de gouvernement et sont par conséquent susceptibles du contrôle juridictionnel.

266 C.E., 19 février 1875, Prince Napoléon.

267 Dans l'arrêt Rubin de Servens, le Conseil d'État note en effet que la décision de recourir à l'article 16 a été « prise après consultation officiel du Premier ministre et des présidents des assemblées et après avis du Conseil constitutionnel ».

268 Conclusions du commissaire du gouvernement Jean-François Henri sous l'affaire Rubin de Servens.

117

b. Le contrôle des seules décisions de nature réglementaire et des mesures individuelles d'application

En présence d'une confusion des pouvoirs législatif et exécutif entre les mains d'une même autorité, le Conseil d'État distingue, parmi les décisions prises, celles qui ont une nature législative et celles qui ont une nature réglementaire269. En l'espèce, sa tâche se trouve facilitée par le partage institué par la Constitution entre les matières législatives et réglementaires.

Si en appliquant l'article 48, le Président prend des décisions portant sur des matières législatives -de telles mesures qui échappent toujours à la censure du juge- lui sont a fortiori soustraites en ce cas. Mais si le Président prend une décision de nature réglementaire, elle sera soumise au régime commun270. Cependant, la jurisprudence relative à la période d'application de l'article 48 n'offre pas d'exemple de décision présidentielle de nature réglementaire soumise au contrôle du juge, la plupart des décisions prises ayant eu un caractère législatif.

Il ne reste donc que les mesures individuelles d'application des décisions -que ces décisions soient de nature législative ou réglementaire- qui peuvent être en fait plus efficacement déférées au Conseil d'État par la voie du recours pour excès de pouvoir271. Encore faut-il souligner que, leur légalité s'appréciant par rapport à la décision qui leur sert de fondement, le Conseil d'État n'en a pas toujours fourni une interprétation susceptible de donner une grande portée à son contrôle. Ainsi le juge tiendra nécessairement pour légale la mesure individuelle méconnaissant une disposition de nature législative ou un principe général du droit que la décision qui lui sert de fondement aura précisément entendu modifier ou écarter.

Les pouvoirs énormes du Président à la fois dans le cadre constitutionnel et en dehors de ce cadre constitutionnel ne seraient pas en soi une mauvaise chose si ces pouvoirs étaient contrebalancés -comme c'est normalement le cas dans un régime présidentiel (la doctrine des checks and balances)- par un Parlement libre et puissant272. Malheureusement, l'Assemblée nationale -institutionnellement enchaînée par la Constitution et politiquement inféodée au Président- ne fait contrepoids à celui-ci que de manière assez marginale.

269 C.E., 30 juillet 1880, Brousse ; C.E., 28 novembre 1873, Élections de Maisons-Alfort, etc.

270 C.E., 16 mars 1962, Rubin de Servens.

271 C.E., 23 octobre 1964, D'Oriano.

272 Bernard CHANTEBOUT, op.cit., p. 309-310.

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CHAPITRE II : L'ABAISSEMENT DU POUVOIR LÉGISLATIF

Le déséquilibre des rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif constaté dans l'hégémonie présidentielle est aggravé par la faiblesse parlementaire. Il en résulte que l'Assemblée nationale ne peut faire efficacement contrepoids aux pouvoirs énormes du président de la République. Cette réalité s'explique au moins par deux faits : d'une part, l'Assemblée nationale est strictement cantonnée dans un domaine d'action étroit (section I) et d'autre part ses initiatives sont bridées (section II).

Section I : Le cantonnement du Parlement dans un domaine d'action étroit

Le cantonnement de l'Assemblée nationale résulte lui-même de deux faits : le mode de délimitation de ses compétences (paragraphe 1) et le caractère unilatéral des mécanismes de protection des compétences au détriment du domaine législatif (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le mode de délimitation des compétences

Nous l'avons déjà évoqué, la Constitution procède à une répartition des compétences normatives entre le président de la République et l'Assemblée nationale. Une telle délimitation des compétences s'est faite par l'inversion de l'équilibre -longtemps en faveur du Parlement- dans les rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif (A) : il en résulte un déséquilibre en faveur du Président. Il n'est par ailleurs guère certain aujourd'hui que l'on assiste au rétablissement de l'équilibre des rapports en faveur de l'Assemblée nationale (B).

A/ L'inversion de l'équilibre dans les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif au détriment du second

Originairement, le Parlement bénéficiait d'un domaine illimité d'attributions273 (1). La Constitution de 2000 -imitant en cela la Constitution française de 1958- va au contraire l'enfermer dans un domaine d'attributions strictement délimité (2).

1. D'un domaine illimité d'attributions (...)

273 L'adage anglais, « Parliament can do anything except turn a woman into a man and a man into a woman » (le Parlement peut tout faire sauf changer un homme en une femme et une femme en un homme), traduit bien la toute-puissance du Parlement.

119

Avant 1958, la loi se définissait en droit français comme l'acte voté par l'organe qui la faisait : était loi tout acte fait par le Parlement dans les formes de la procédure législative. En vertu de ce critère organique, toute tentative pour déterminer l'existence d'un domaine réglementaire par nature, se trouva vouée à l'échec. Il en résultait un domaine illimité et exclusif d'intervention au profit du Parlement (a) quand le Gouvernement devait se contenter d'un domaine limité et dérivé (b).

a. Un domaine illimité et exclusif d'intervention au profit d'un Parlement souverain

Avant l'avènement de la Ve République, la loi se définissait comme l'acte voté par l'organe qui la faisait : était loi, tout acte fait par le Parlement, dans les formes de la procédure législative, abstraction faite de son contenu. C'est le Parlement lui-même qui imprime le caractère de loi aux règles qu'il édicte en forme de loi274.

Le domaine d'intervention du Parlement n'est pas seulement illimité en ce que tout acte voté par lui est loi et que nul ne saurait précisément empêcher qu'il intervienne en quel que domaine que ce soit : il est également exclusif de toute autre compétence. Cette exclusivité du champ d'intervention de la loi fait obstacle à une quelconque répartition matérielle des compétences entre le Parlement et le Gouvernement.

La pratique des décrets-lois surtout à partir de 1948 ne put remettre en cause le principe fondamental selon lequel tout acte voté par le Parlement en la forme législative avait force de loi. En vertu de ce critère organique et formel, toute tentative pour déterminer l'existence d'un domaine réglementaire par nature, se trouva vouée à l'échec275 et la matière éventuelle de la loi continuait à s'étendre à l'infini.

D'autre part, la loi n'était subordonnée au respect de la Constitution qu'en théorie. Mais aucune procédure n'était réellement organisée pour faire respecter cette subordination des lois

274 Raymond Carré de Malberg écrivait ainsi : « Pour qu'une règle soit législative, il est indispensable, et aussi suffisant, qu'elle soit l'oeuvre du pouvoir législatif, c'est-à-dire de l'organe en qui réside, de façon exclusive, ce pouvoir. La notion de loi est donc indépendante de toute condition ayant trait au contenu de l'acte législatif. C'est une notion qui, quelles que soient les bases rationnelles et foncières dudit concept, est d'ordre purement formel ; car elle n'est conditionnée que par l'origine de l'acte, par la qualité de son auteur et la forme de son adoption » (Confrontation de la théorie de la formation du droit, p. 31 et 38).

275 La loi du 17 août 1948 instituant notamment le procédé de l'extension du pouvoir réglementaire, ne pouvait restreindre par la voie législative la faculté constitutionnelle du Parlement à exercer le pouvoir législatif sur l'ensemble des matières. Le Conseil d'État estima d'ailleurs dans un avis du 6 février 1953 que le procédé de l'extension du pouvoir réglementaire était subordonné à certaines conditions, à défaut desquelles il serait contraire à l'article 13 de la Constitution.

120

à la Constitution276. Carré de Malberg estimait d'ailleurs que cette lacune correspondait à l'esprit même du système républicain français, basé sur la conception de Jean-Jacques Rousseau, qui considère la loi comme « l'expression de la volonté générale »277.

Puisque le Parlement disposait -en raison de la souveraineté de la loi- d'un champ d'intervention illimité et exclusif, il s'en suivait nécessairement que le Gouvernement ne pouvait prétendre qu'à un domaine d'intervention limité et subordonné par rapport à celui du Parlement.

b. Un domaine limité et dérivé concédé à un exécutif subordonné

Il résulte que -le Parlement étant seul compétent dès lors qu'il s'agissait de la réglementation juridique de toute question, de toute activité et en tout domaine- des deux pouvoirs législatif et exécutif, l'un est par son appellation même le supérieur de l'autre : il pose les règles que le second applique278.

C'est sur la base de cette hiérarchie entre les autorités étatiques que furent fixés jusqu'en 1958 les domaines respectifs de la loi et du règlement ; le pouvoir réglementaire -en dehors du recours périodique à la pratique des décrets-lois- ne pouvait pas intervenir spontanément, il ne pouvait intervenir qu'en application d'une loi votée par le Parlement. Subordonné à l'autorité de la loi, il ne pouvait l'enfreindre et ne disposait pas de matières propres à lui. Il est demeuré, selon l'expression consacrée par les juristes, un simple « pouvoir dérivé ».

276 Le Comité constitutionnel n'exerçait qu'un embryon de contrôle de constitutionnalité des lois et son intervention était très limitée (article 91 de la Constitution française de la IVe République).

277 Raymond Carré de Malberg écrivait également : « Car ainsi que l'avait dit l'article 6 de la Déclaration, tous les citoyens se trouvent représentés, c'est-à-dire présents dans l'Assemblée législative au moment de la confection des lois -celles-ci, par l'effet de cette représentation, sont donc l'oeuvre du peuple lui-même, c'est-à-dire du souverain. Mais, de ce concept représentatif il résulte aussi que le Parlement, puisqu'il représente le souverain, en détient la puissance dans ce qu'elle a de suprême. Ses pouvoirs législatifs ou autres participent de la souveraineté dont il est investi. Tranchons le mot, ce Parlement, conçu comme le représentant de la nation, devient effectivement le souverain » (op.cit., p. 20).

La Constitution de 1791 et la jurisprudence du Conseil d'État et de la Cour de Cassation tirent la conséquence, sous les IIIe et IVe Républiques, qu' « il n'y a point d'autorité supérieure à celle des lois ».

278 Marcel PRÉLOT, op.cit., p. 456.

121

L'élaboration par le Parlement conférait ainsi à la loi une supériorité sur le règlement et sur tous les autres actes juridiques. Le principe de légalité obligeait ainsi tous les actes du Gouvernement, des ministres, des autorités administratives, etc., à se conformer aux lois279.

Seule une intervention du pouvoir constituant aurait pu modifier de façon permanente cet équilibre dans les rapports entre la loi et le règlement au profit de ce dernier et il ne manquera pas de se produire en 1958.

2. (...) à un domaine limité d'attributions du pouvoir législatif

L'avènement de la Constitution du 4 octobre 1958 met un terme à la souveraineté du Parlement et au domaine illimité de la loi. La Constitution de la Ve République est parvenue à un tel résultat en consacrant la supériorité de la Constitution tout en l'assortissant désormais d'une sanction. Les différentes Constitutions de notre histoire constitutionnelle s'inscrivent toutes dans un tel schéma. Désormais, le Parlement devrait se résoudre à n'intervenir que dans un domaine restrictivement défini (a) et le Conseil constitutionnel veille à ce qu'il ne sorte point de ce domaine (b).

a. Un domaine réservé mais restreint octroyé au Parlement

La Constitution de 1958 a totalement bouleversé la notion de loi -le bouleversement de la notion de budget sera ultérieurement étudié- dans le but clair de limiter le rôle du Parlement ; elle est suivie en cela par toutes les Constitutions ivoiriennes y compris celle qui régit actuellement nos institutions.

Ce qui caractérise la Constitution de 1958 par rapport à celles des Républiques précédentes, et qui caractérise la nôtre, c'est que les pouvoirs du Parlement sont très diminués : la restriction du pouvoir législatif en particulier, par l'adoption d'une définition matérielle de la loi tout à fait étrangère à la tradition française, confine les assemblées dans un domaine d'action très étroit.

Le Parlement ne peut plus agir dans tous les domaines désormais ; il ne peut plus intervenir partout pour définir les cadres de l'action gouvernementale : l'innovation fondamentale de la Constitution de 1958 -innovation dont nous avons hérité dans toutes nos Constitutions depuis 1959- est de déterminer un domaine réservé à la loi, en dehors duquel le

279 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p.755-756.

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Parlement ne peut pas légiférer. Nous avons déjà passé en revue ces différentes matières et n'y reviendrons plus ici. Mais retenons qu'en dehors de ces matières ainsi énumérées par la Constitution et notamment son article 34 -article 71 de la Constitution ivoirienne- toutes les matières sont réglées par le règlement280. Il y a donc là une atteinte incontestable aux prérogatives de la représentation nationale281.

Une autre atteinte à la toute-puissance du Parlement est la constitutionnalisation de la pratique auparavant interdite des décrets-lois282. Désormais, le pouvoir exécutif peut directement intervenir dans le domaine législatif à condition que le Parlement lui en donne l'autorisation. En bonne théorie juridique, cette délégation du pouvoir législatif devrait déposséder pendant une certaine durée le Parlement du droit de légiférer sur le domaine délégué. Le domaine du Parlement n'est plus ainsi seulement limité par rapport à l'état du droit antérieur à 1958, il n'est plus désormais exclusif.

Ce qui traduit sans doute le mieux cette perte de souveraineté de la loi283 et de l'organe législatif est le contrôle de constitutionnalité des lois.

b. Le Conseil constitutionnel, gardien traditionnel du cantonnement du Parlement dans son domaine réservé

La loi est constitutionnellement définie comme l'acte voté par le Parlement (élément organique) et portant sur l'une des matières énumérées par l'article 71 ou par quelques autres articles de la Constitution (élément matériel). L'existence d'un critère matériel est par conséquent certaine et ses contours sont bien délimités.

280 Le corollaire de la délimitation du domaine législatif par énumération des matières législatives a pour conséquence directe d'étendre considérablement le domaine du règlement autonome jusque-là limité à la police et à l'organisation des services publics. Les règlements autonomes sont de véritables lois (au sens large) et ils échappent, en raison justement de leur autonomie, au contrôle de légalité que le Conseil d'État exerce normalement sur les actes administratifs. Ils ne sont soumis qu'au respect des principes généraux du droit et de la Constitution.

281 Georges BURDEAU, op.cit., p. 605.

282 La constitutionnalisation des décrets -lois, autrefois interdits, résulte des articles 38 français et 75 ivoirien.

283 Depuis 1958, le Parlement a cessé de représenter seule la souveraineté et, pendant la durée de la législature, de l'accaparer. L'autorité suprême reste le peuple lui-même s'exprimant par les votations et les élections. Le principe théorique formulé par Adhémar Esmein, et méconnu sous les Républiques précédentes régies par le parlementarisme absolu, trouve ainsi à s'appliquer : « Le pouvoir n'est point, pour les assemblées, un droit propre, c'est une fonction que la Constitution leur confie, non pour en disposer à leur gré, mais pour l'exercer elles-mêmes d'après les lois constitutionnelles. Seul le souverain peut faire une semblable attribution, et le pouvoir législatif n'est pas le souverain, mais simplement le délégué du souverain » (Revue politique et parlementaire, août 1894).

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Le Conseil constitutionnel veille dès lors très strictement, lorsqu'il est saisi, à ce que la loi porte bien sur les matières énumérées à l'article 71284 ou beaucoup plus exceptionnellement, à un autre article de la Constitution285. Cette jurisprudence s'accorde très bien avec le caractère propre du Conseil constitutionnel, lequel apparaît comme un organe régulateur des compétences veillant à protéger l'exécutif des empiètements du Parlement.

De ce fait, le Conseil constitutionnel apparaît comme le gardien du cantonnement de l'Assemblée nationale dans ses attributions limitativement énumérées alors que le président de la République et le Gouvernement échappent pour nombre de leurs actes à tout contrôle de sa part286.

Il semble par ailleurs incertain que ce cantonnement du Parlement prenne fin par suite d'une nouvelle inversion de l'équilibre des rapports.

B/ L'incertitude d'une nouvelle inversion de l'équilibre dans les rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif au profit du premier

L'incertitude d'une nouvelle inversion des rapports entre l'Assemblée nationale et le président de la République au profit de celle-là s'explique par deux faits au moins : d'une part, la non-transposition en droit ivoirien de la jurisprudence constitutionnelle française extensive des compétences du législateur (1) et d'autre part, l'impossibilité d'étendre ces compétences par les autres voies (2).

1. La non-transposition de la jurisprudence constitutionnelle française extensive des compétences du législateur

Si la transposition de la jurisprudence constitutionnelle française serait souhaitable en ce qu'elle est extensive des compétences du législateur (a), force est de reconnaître que cette transposition n'est pas effective dans notre droit constitutionnel (b).

284 Dans une décision en date du 18 janvier 1962, le Conseil constitutionnel décide que le législateur n'est pas habilité à légiférer « dans une matière qui n'est pas au nombre de celles réservées à sa compétence par l'article 34 de la Constitution » et, dans une autre décision en date du 10 juin 1969, qu'il doit demeurer dans le cadre « des principes fondamentaux ou des règles que l'article 34 de la Constitution a réservé à la compétence du législateur ».

285 Ces décisions sont très peu nombreuses. Cependant, pour une référence à l'article 74 de la Constitution, cf. n° 71-44 DC du 16 juillet 1971. Rec., p. 75.

286 Tel est le cas des décisions présidentielles de l'article 16 (notre article 48) ainsi que des « actes de gouvernement », pour lesquelles le Conseil d'État s'est toujours reconnu incompétent.

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a. Une transposition souhaitable

On sait que le domaine de loi fut matériellement délimité par référence quasi-exclusive à l'article 34 de la Constitution française, suivie en cela par toutes les différentes Constitutions ivoiriennes. Cependant, l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle intervenue en France devait considérablement élargir le domaine de la loi.

Cette évolution trouve son point de départ dans sa décision du 16 juillet1971287 lorsque le Conseil constitutionnel décide pour la première fois de procéder à un contrôle au fond de la conformité de la loi à la Constitution et plus précisément à son Préambule. Dès cette décision, la voie s'est trouvée ouverte pour ajouter à l'énumération de l'article 34 de nouvelles matières législatives procédant non seulement d'autres articles de la Constitution mais également des normes visées par le Préambule, c'est-à-dire de la Déclaration de 1789, du Préambule de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Le pas décisif est franchi par une décision du 28 novembre 1973 dans laquelle le Conseil constitutionnel décide que la matière des contraventions et des peines qui leur sont applicables est législative lorsque lesdites peines comportent des mesures privatives de liberté288. Cette décision ne pouvait pas prendre appui sur l'article 34289. Il a suffi au Conseil constitutionnel, pour aller au-delà de l'article 34, de viser également l'article 66 et surtout le Préambule.

Une telle jurisprudence a pour conséquence que les matières législatives vont au-delà de l'énumération de l'article 34. En réalité, le Conseil constitutionnel peut, en interprétant le Préambule et les normes auxquelles il se réfère, en étendre la liste assez largement. Il est par conséquent clair que le domaine législatif est loin d'être aussi étroitement délimité et assigné qu'on avait pu le croire.

La transposition de cette jurisprudence française en droit constitutionnel ivoirien serait souhaitable en ce qu'elle contribuerait à atténuer la brutalité du cantonnement de l'Assemblée

287 Déc. n°71-44 DC du 16 juillet 1971. Rec., p. 29.

288 Déc. n°73-80 du 28 novembre 1973. Rec., p. 75. Il est également significatif que cette décision du Conseil constitutionnel va à l'encontre de la position adoptée par le Conseil d'État (Société Eky, 12 février 1960, J.P.C., 1960 II 11629 bis note Vedel) et qu'elle se situe en marge de celle adoptée par la Cour de Cassation (Crim. 26 février 1974. 269. Chr. L. Hamon, 83).

289 La matière des contraventions et des peines qui leur sont applicables ne figure pas en effet dans l'énumération de l'article 34 par suite d'une omission délibérée, les crimes et délits étant eux expressément visés.

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nationale découlant de la délimitation trop étroite du domaine législatif par l'article 71 de la Constitution de 2000, mais elle n'est pas -ou pas encore- effective.

b. Une transposition non effective

Cette jurisprudence constitutionnelle française extensive du domaine législatif ne peut, telle quelle, être transposée en droit constitutionnel ivoirien parce qu'elle ne s'accorde pas avec l'esprit de nos institutions. En effet, en droit constitutionnel ivoirien comme en droit constitutionnel français, il existe des matières législatives par énumération ou par renvoi ou invitation de la Constitution à la loi. Mais le fait fondamental demeure que la Constitution tend tout entière à cantonner l'Assemblée nationale dans des limites bien précises -limites tracées principalement par l'article 71 pour ce qui concerne le pouvoir législatif de l'Assemblée nationale- en dehors desquelles elle ne peut pas se mouvoir.

En outre, cette jurisprudence émane d'une juridiction française, c'est-à-dire d'une juridiction étrangère et elle ne peut s'appliquer de plein droit dans notre régime politique290.

Toutefois le Conseil constitutionnel ivoirien pourrait valablement s'en inspirer pour élargir le domaine législatif défini par l'article 71 et quelques autres articles de la Constitution. Pour cela, il lui suffirait, procédant en cela de la même manière que le Conseil français, de contrôler la conformité d'une loi soumise à son examen au préambule de la Constitution de 2000 et d'inclure dans le domaine législatif une matière non prévue à l'article 71 en visant le Préambule ou les normes auxquelles il renvoie, c'est-à-dire la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981. Il en résulterait une extension considérable du domaine législatif.

Mais pour l'heure le Conseil constitutionnel ivoirien ne s'est pas -ou pas encore-engagé dans une telle voie. Il en résulte que le domaine législatif reste circonscrit à l'article 71 et quelques autres articles de la Constitution et ne s'étend pas aux matières législatives procédant éventuellement des normes auxquelles renvoie le Préambule.

Il en est ainsi d'autant plus que les autres voies par lesquelles on aurait pu espérer une extension du domaine législatif demeurent fermées.

290 La transposition de plano de cette jurisprudence comme celle plus générale des décisions des juridictions françaises en droit ivoirien porterait incontestablement atteinte à la souveraineté juridique de la Côte d'Ivoire. Mais rien n'empêche que les juridictions ivoiriennes s'inspirent, dans les décisions qu'elles prennent, des décisions rendues sur les mêmes questions par des juridictions étrangères.

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2. La fermeture des autres voies d'extension des compétences législatives

La fermeture des autres voies d'extension des compétences législatives résulte de l'impossibilité d'étendre l'énumération de l'article 71 de la Constitution par une loi organique (a) et de l'incertitude de l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine de compétences du président de la République (b).

a. L'impossibilité d'étendre l'énumération de l'article 71 par une loi

Suivant l'exemple de la Constitution française du 4 octobre 1958, la quasi-totalité des Constitutions africaines y compris ivoiriennes procèdent à une délimitation matérielle de la loi291. Cette délimitation matérielle du domaine de la loi empruntée à la Constitution de la Ve République française apparaît même comme plus rigoureuse dans les Constitutions africaines. En effet, l'article 34 in fine de la Constitution française, après avoir énuméré les matières législatives, dispose toutefois que : « les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique ». Une telle possibilité n'existe pas dans la Constitution ivoirienne ni dans la plupart des Constitutions africaines opérant une répartition des matières entre les pouvoirs législatif et exécutif. La Constitution du Sénégal est l'une des rares en Afrique à prévoir une telle possibilité ; ainsi son article 67 in fine est une transposition littérale de l'article 34 in fine de la Constitution française292.

Il résulte de l'impossibilité d'étendre l'énumération des matières législatives par une loi organique voulue par les auteurs de la Constitution ivoirienne que la distinction horizontale entre les domaines de la loi et du règlement est fermée, étanche et sans possibilité d'adaptation293. Les constituants ivoiriens de 2000 sont donc allés plus loin dans leur volonté d'enserrement du Parlement dans un domaine défini et délimité en dehors duquel il ne peut pas sortir ; une telle volonté d'assurer au président de la République un domaine réglementaire irréductible est d'ailleurs traditionnelle en droit constitutionnel ivoirien294.

291 Constitutions du Bénin (art. 98), du Mali (art. 70), du Sénégal (art. 67), etc.

292 Cet article 67 in fine de la Constitution sénégalaise est ainsi libellé : « Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique ».

293 Obou OURAGA, op.cit., p.234.

294 Ni la Constitution de 1959 ni celle de 1960 ne prévoyaient la possibilité d'étendre l'énumération des matières législatives par le procédé d'une loi organique.

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Il ne reste donc plus qu'une voie ouverte à l'Assemblée nationale pour élargir son domaine législatif : celle de son intervention dans le domaine réglementaire. Mais une telle intervention semble incertaine.

b. L'incertitude de l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire

L'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire serait une voie par laquelle elle pourrait élargir son domaine législatif. Ainsi, une loi pourrait comporter des dispositions portant sur des matières que ni l'article 71 ni d'autres articles de la Constitution ne réservent à la compétence du législateur. Mais une telle intervention n'est pas certaine en droit constitutionnel ivoirien.

D'abord, il faudrait que le président de la République consente à un tel empiètement. S'il voulait empêcher l'Assemblée nationale d'intervenir hors du domaine de la loi, il pourrait s'opposer au cours de la procédure législative et par la voie de l'irrecevabilité de l'article 76 de la Constitution à la proposition ou à l'amendement295.

Ensuite, il faudrait également que le Conseil constitutionnel ne considère pas que cette intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire doive être sanctionnée en cas de recours fondé sur l'article 95.2 de la Constitution. La jurisprudence constitutionnelle française énonçant que « la Constitution n'a pas entendu frapper d'inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi »296 par consentement mutuel du Parlement et du Gouvernement ne peut pas en effet s'appliquer de plano en droit ivoirien à moins que le Conseil constitutionnel ivoirien ne la reprenne à son compte.

Le contrôle du cantonnement de l'Assemblée nationale dans des limites très étroites est efficacement assuré par des mécanismes aux mains du Président. Au contraire, l'Assemblée nationale ne dispose pas d'autant de moyens pour empêcher les empiètements de l'exécutif sur le domaine législatif. Il en résulte un caractère unilatéral des mécanismes de protection des compétences.

295 Pour la procédure de l'irrecevabilité de l'article 76, voir les développements précédents.

296 Grandes décisions, n° 35. Cette décision du 30 juillet 1982, « blocage des prix » a été confirmée par une jurisprudence constante, notamment par deux décisions du 18 juillet 1983, « démocratisation du secteur public », et du 19 janvier 1984, « contrôle des établissements de crédits ».

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Paragraphe 2 : Le caractère unilatéral des mécanismes de protection des compétences

Le caractère unilatéral des mécanismes de protection des compétences résulte de ce que le domaine réglementaire est rigoureusement protégé (A) tandis que la protection du domaine législatif est incertaine (B).

A/ Une protection rigoureuse du domaine réglementaire

La protection du domaine réglementaire du président de la République est efficacement assurée si celui-ci veut bien user des armes que lui donne la Constitution297. Cette protection est à la fois préventive (1) et a posteriori (2).

1. Une protection préventive : l'opposition d'irrecevabilité

Le président de la République peut soulever une opposition d'irrecevabilité contre toute proposition de loi qu'il juge comme empiétant sur le domaine réglementaire qui est le sien (a). Mais si l'auteur de cette proposition n'est pas d'accord avec la décision d'irrecevabilité prononcée par le président de l'Assemblée nationale, il saisira le Conseil constitutionnel qui dira en définitive si la proposition empiète bien sur le domaine réglementaire (b).

a. L'opposition d'irrecevabilité, soulevée par le président de la République

Si l'Assemblée nationale tente d'intervenir sur une matière non législative, le Président a la possibilité de l'arrêter net. Dès le dépôt de la proposition ou de l'amendement, il peut lui opposer une exception d'irrecevabilité (art. 54.3 du règlement). Celle-ci est le corollaire de la répartition des matières entre les deux pouvoirs, législatif et réglementaire : c'est un moyen de protéger le Président contre les empiètements du Parlement qui, jusqu'à la révolution juridique de la Constitution française de la Ve République298, rappelons-le, fut tout puissant.

Cette protection préventive aux mains du président de la République ou du Gouvernement est une disposition habituelle que l'on retrouve dans tous les régimes

297 René DEGNI-SEGUI, Introduction au droit, Abidjan, EDUCI, 2009, p. 85.

298 Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD, op.cit., p. 351. La révolution juridique est le bouleversement radical de l'état du droit sous les Républiques antérieures à la Constitution du 4 octobre 1958 : le Parlement souverain disposant de la plénitude des pouvoirs sera désormais cantonné dans des limites strictes définies par la Constitution et un Conseil constitutionnel, gardien de ce cantonnement, est créé.

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politiques africains consacrant la répartition des matières entre exécutif et le Parlement. Ainsi, aux termes de l'article 104.1 de la Constitution béninoise : « les propositions, projets et amendements qui ne sont pas du domaine de la loi sont irrecevables. (...) ».

Toutefois, le pouvoir exécutif -président de la République ou Premier ministre ou Gouvernement selon les régimes politiques- n'a que la faculté d'opposer, c'est-à-dire de demander l'irrecevabilité car il appartient en définitive à une autre autorité -le président de l'Assemblée nationale- de prononcer l'irrecevabilité, c'est-à-dire de la décider ou non (art. 76.1). Il faut noter au passage que celui-ci peut valablement prononcer l'irrecevabilité d'office, c'est-à-dire sans que le président de la République n'en ait formulé la demande : il suffit pour cela qu'il prenne l'avis de la conférence des présidents (art. 54.3 du règlement).

Si le président de l'Assemblée nationale est d'accord avec l'irrecevabilité invoquée par le président de la République, il la prononcera et la proposition ou l'amendement ne pourront plus être discutés mais les députés qui entendent contester sa décision pourraient toujours saisir le Conseil constitutionnel. Mais si le président de l'Assemblée nationale refusait de donner une suite favorable à la requête du président de la République, ce dernier pourrait également saisir le Conseil constitutionnel. Dans tous les cas, celui-ci reste en définitive le juge de l'irrecevabilité en raison de la matière.

b. La saisine du Conseil constitutionnel en cas de désaccord

Si l'irrecevabilité est soulevée par le président de la République -en fait par ses ministres- lors de la procédure législative, le président de l'Assemblée nationale se chargera de la prononcer. C'est ce cas qui est le plus susceptible de se produire compte tenu de contexte politique ivoirien où présidents de la République et de l'Assemblée nationale appartiennent toujours à une même majorité. Mais il n'est pas complètement exclu qu'il refuse de prononcer l'irrecevabilité demandée par le président de la République.

Dans l'un et l'autre cas, la Constitution a prévu la possibilité de contester la décision du président de l'Assemblée nationale en saisissant le Conseil constitutionnel (article 76.2). Cette possibilité est ouverte à la fois au président de la République et à un quart des députés299. Une telle égalité entre les parties devant la décision du président de l'Assemblée nationale n'existe

299 La proposition tendant à la reconnaissance au député auteur de la proposition ou de l'amendement le droit de saisir le Conseil constitutionnel a été finalement rejetée de l'article 17 de la loi n° 94-439 du 16 août 1994 relative au Conseil constitutionnel.

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cependant pas dans tous les régimes politiques africains. Ainsi aux termes de l'article 104.3 de la Constitution béninoise « en cas de contestation..., la Cour constitutionnelle, saisie par le président de l'Assemblée nationale ou le Gouvernement, statue dans un délai de huit jours » ; les députés béninois -contestant une décision d'irrecevabilité prononcée par le président de l'Assemblée nationale- n'ont donc pas la faculté de saisir la Cour constitutionnelle300.

Le Conseil constitutionnel ainsi saisi par le président de la République ou par un quart au moins des députés décidera si la proposition ou l'amendement en cause est bien du domaine législatif ou si au contraire ils empiètent sur le domaine réglementaire. Quelle que soit la décision que prendra le juge constitutionnel, il est certain qu'il veillera à ce que l'Assemblée nationale reste bien dans le cadre des limites que lui a fixées l'article 71 de la Constitution et quelques autres articles établissant la compétence législative.

En plus de la protection préventive de son domaine réglementaire, le président de la République dispose entre ses mains d'une protection a posteriori.

2. Une protection a posteriori

La protection a posteriori du domaine réglementaire consiste en un déclassement des dispositions matériellement réglementaires des lois intervenues avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000 (a) et en une déclaration d'inconstitutionnalité des mêmes dispositions mais intervenues, cette fois, après l'entrée en vigueur de la Constitution (b).

a. La déclassement des dispositions matériellement réglementaires des lois intervenues avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000

L'article 72.2 de la Constitution donne la faculté au président de la République de modifier par décret les lois et ordonnances intervenues avant la Constitution de 2000 et portant sur les matières devenues législatives en vertu de celle-ci : il faut pour cela un décret pris après avis du Conseil constitutionnel. On retrouve des dispositions similaires dans toutes les Constitutions africaines reconnaissant au président de la République ou au Gouvernement un domaine réglementaire autonome. Ainsi l'article 100.2 de la Constitution béninoise dispose que « les textes de forme législative intervenus en ces matières antérieurement à

300 Il en également ainsi dans le cadre des Constitution du Sénégal (art. 83.2), de la France (art. 41.2), etc.

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l'entrée en vigueur de la présente Constitution peuvent être modifiés par décret pris après avis de la Cour constitutionnelle ».

Il est toutefois à noter que cette procédure de délégalisation ne vaut que pour les textes en forme législative intervenus avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000. La même observation vaut également pour la délégalisation telle que consacrée par de nombreuses Constitutions africaines (art. 100.2 de la Constitution du Bénin, 103.2 de la Constitution du Niger, etc.). Dans d'autres régimes politiques africains en revanche, la délégalisation vaut autant pour les textes de forme législative intervenus avant l'entrée en vigueur de la Constitution que pour ceux intervenus après cette entrée en vigueur (art. 76.2 de la Constitution du Sénégal). Ainsi même si un Gouvernement ne défère pas au juge constitutionnel, avant sa promulgation, une loi intervenant dans le domaine réglementaire, lui ou ses successeurs ne sont pas enchaînés par cette décision puisqu'ils pourront toujours - c'est-à-dire même après la promulgation de la loi- la remettre en cause devant le juge constitutionnel et la modifier par décret.

Le Président ivoirien ne disposant pas de chaînes aussi solides pour contenir l'Assemblée nationale, devra pour sa part s'en remettre à la déclaration d'inconstitutionnalité des lois votées après l'entrée en vigueur de la Constitution s'il estime qu'elles empiètent sur le domaine réglementaire.

b. La déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions matériellement réglementaires des lois postérieures à l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000

Si le président de la République n'use pas de la faculté qui lui est offerte de soulever l'irrecevabilité de l'article 76.1 tendant à faire échec à une proposition ou à un amendement empiétant sur le domaine réglementaire, il peut toujours, après son adoption mais avant sa promulgation, déférer la loi au contrôle et à la censure éventuelle du Conseil constitutionnel (art. 95.2 de la Constitution).

Le président de la République qui estime que la loi adoptée par l'Assemblée nationale ignore les limites du domaine législatif dispose d'une arme efficace lorsque son droit de saisine du Conseil constitutionnel est conjugué avec son droit de promulgation des lois. Tout en s'abstenant de promulguer la loi qu'il conteste, il saisira, avant l'expiration du délai de promulgation, le Conseil constitutionnel : il évite ainsi que la loi ne soit déclarée exécutoire à l'expiration dudit délai de promulgation (art. 42.2 de la Constitution). Au contraire, il pourrait

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immédiatement promulguer une loi qu'il ne conteste pas avant même que les autres titulaires du droit de saisine ne puissent la déférer au Conseil constitutionnel la rendant ainsi inattaquable301.

Si le Conseil constitutionnel est saisi, il doit statuer dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine, le délai de promulgation étant évidemment suspendu (art. 77 in fine de la Constitution). Si une disposition est déclarée inconstitutionnelle, elle ne peut être promulguée ou appliquée (art. 99 de la Constitution). Si ladite disposition n'est pas inséparable de l'ensemble de la loi, le président de la République peut soit promulguer la loi amputée de ses dispositions censurées soit demander une seconde délibération de la loi.

Il peut toutefois arriver que le Conseil constitutionnel, saisi par le président de la République, ne lui donne pas satisfaction en estimant que les dispositions litigieuses ont bien un caractère législatif. Mais le président de la République n'est pas désarmé pour autant car il peut -au lieu de promulguer la loi- en demander une seconde délibération soit dans son ensemble soit en certains de ses articles : cette seconde délibération -on l'oublie souvent-enterre quasiment la loi puisqu'à défaut de la majorité des 2/3 exigée, elle est censée tomber.

Contrairement à un domaine réglementaire qui est efficacement protégé, la protection du domaine législatif est incertaine.

B/ Une protection incertaine du domaine législatif

L'incertitude de la protection du domaine législatif résulte de l'inexistence de moyens constitutionnels de sa protection302 (1). En conséquence, celle-ci ne peut se faire que par des voies détournées (2).

1. L'inexistence de moyens constitutionnels de protection du domaine législatif aux mains des députés

Il n'existe pas de moyens constitutionnels de protection du domaine législatif aux mains des députés. Si l'inexistence de protection préventive contre les projets de décrets réglementaires susceptibles d'empiéter sur le domaine législatif est compréhensible (a), celle

301 Le président de la République n'est guère obligé d'attendre les derniers jours du délai de promulgation pour promulguer la loi. Mais il peut attendre le dernier moment afin de permettre aux titulaires du droit de saisine du Conseil constitutionnel (en particulier les députés de l'opposition) d'exercer leur droit.

302 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 83.

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de la possibilité de déférer les décrets réglementaires à la censure du Conseil constitutionnel l'est beaucoup moins (b).

a. L'inexistence d'une protection préventive contre les projets de décrets réglementaires empiétant sur le domaine législatif

A l'égard des projets de décrets réglementaires susceptibles d'empiéter sur le domaine législatif, les députés ne disposent d'aucune faculté pour faire échec à cet empiètement. Il n'y a pas de contrepartie, aux mains des députés, de l'irrecevabilité de l'article 76 de la Constitution dont dispose le président de la République pour faire échec aux propositions et amendements d'origine parlementaire susceptibles d'empiéter sur le domaine réglementaire.

L'inexistence d'une protection préventive contre les projets de décrets réglementaires se justifie toutefois par le fait qu'étant des actes administratifs unilatéraux, ils sont formulés par le président de la République seul et n'ont pas par conséquent à être soumis à la délibération de l'Assemblée nationale303. C'est la nature même des décrets réglementaires qui rend donc impossible une opposition d'irrecevabilité à leur encontre. Et même si leur nature le permettait, encore aurait-il fallu qu'une telle irrecevabilité fût prévue par la Constitution.

Tout au plus, le président de la République peut, s'il le désire, soumettre pour avis au Conseil constitutionnel les projets de décrets réglementaires avant leur examen en Conseil des ministres (art. 52). Cet avis du Conseil constitutionnel pourrait mettre en lumière les empiètements éventuels du projet de décret réglementaire sur le domaine législatif mais le président de la République reste, là encore, libre de faire fi de ses observations.

Si l'on peut parfaitement comprendre l'inexistence d'une procédure d'irrecevabilité opposable aux projets de décrets réglementaires en ce que cela nuirait gravement à l'action gouvernementale, l'inexistence de la possibilité de déférer au contrôle du Conseil constitutionnel les décrets réglementaires et de la possibilité de reclassement de la matière inconstitutionnellement introduite dans le domaine réglementaire est beaucoup moins compréhensible et plus éloquente des rapports qu'entretiennent les pouvoirs exécutif et législatif.

303 Aux termes de l'article 51 de la Constitution, les projets de décrets réglementaires sont obligatoirement soumis à la délibération du Conseil des ministres. Mais la nature présidentielle du régime politique ivoirien fait qu'en définitive, le Conseil des ministres se présente comme un organe purement consultatif dont l'avis - requis en certaines matières- laisse le Président libre de la décision définitive.

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b. L'inexistence de la possibilité de déférer les décrets réglementaires empiétant sur le domaine législatif à la censure du Conseil constitutionnel et du déclassement de ces règlements

Si le président de la République -en vertu de son pouvoir réglementaire qu'il tient de l'article 72.1 de la Constitution- prend un décret réglementaire portant sur des matières législatives, l'Assemblée nationale ne peut l'en empêcher. Cet empiètement-type du règlement sur le domaine de la loi est destiné à se prolonger dans le temps jusqu'à un éventuel recours devant le juge administratif. Il n'existe en effet aucun moyen constitutionnel à la disposition des députés ou du président de l'Assemblée nationale pour saisir le Conseil constitutionnel d'une telle violation des frontières tracées par la Constitution entre domaines législatif et réglementaire ni permettant au Conseil constitutionnel de statuer.

Il aurait été pourtant plus logique et plus juste de donner aux députés des moyens constitutionnels de protection du domaine législatif des empiètements éventuels du président de la République. Cela n'aurait été au demeurant que la contrepartie de la faculté offerte au président de la République de déférer au Conseil constitutionnel les lois votées par l'Assemblée nationale. Sur ce point, il est intéressant de voir que dans la Constitution du Gabon, l'article 84 dispose que : « la Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur la constitutionnalité des lois organiques et des lois avant leur promulgation, des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques (...) » ; si le contrôle exercé, ici, ne concerne qu'une catégorie déterminée d'actes réglementaires, la possibilité se trouve incontestablement ouverte pour la Cour constitutionnelle d'exercer un contrôle de constitutionnalité sur les actes de l'exécutif304.

En raison de l'absence d'une disposition semblable dans la Constitution ivoirienne, il faut donc s'en remettre à une protection du domaine législatif par des voies indirectes et détournées.

2. Une protection par des voies indirectes et détournées

304 Nous retrouvons une disposition similaire dans la Constitution béninoise en son article 117. Mais dans les deux cas (les Constitutions gabonaise et béninoise), la Constitution ne dit pas qui a compétence pour saisir la Cour constitutionnelle. La Constitution du 3 novembre 1960, profondément modifiée à la suite de la révision du 2 juillet 1998, prévoyait en son article 46.3 que : « les décrets réglementaires notamment en matière de libertés publiques peuvent être déférés au Conseil constitutionnel par le président de chaque assemblée ou par un quart des députés ».

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Puisque les auteurs de la Constitution ne se sont pas particulièrement préoccupés de la protection du domaine législatif, celle-ci ne peut dès lors se faire que par des voies indirectes, détournées. Ce sont d'une part, la saisine éventuelle de la chambre administrative de la Cour suprême par la voie d'un recours pour excès de pouvoir (a) et d'autre part, la procédure de déréglementation de facto (b).

a. La saisine éventuelle de la chambre administrative par la voie d'un recours pour excès de pouvoir305

Un règlement qui empiète sur le domaine législatif, bien qu'inconstitutionnel, entre en application puisque les députés ne disposent pas de la faculté de saisir le Conseil constitutionnel ; celui-ci n'a pas non plus la possibilité de statuer. Pour que ce règlement soit annulé, il faut attendre qu'un administré saisisse d'un recours pour excès de pouvoir le juge administratif et que celui-ci se prononce. Le juge administratif -la chambre administrative de la Cour suprême- exercera un contrôle de constitutionnalité de l'acte réglementaire et l'annulera s'il est contraire à la Constitution, en l'occurrence s'il empiète sur les matières législatives306.

Le contrôle de constitutionnalité de l'acte réglementaire par le juge administratif est un procédé indirect et moins énergique de protection du domaine législatif. D'abord, parce que ce n'est pas l'Assemblée nationale qui peut former le recours. Celui-ci ne peut être formé que par le particulier se sentant lésé par le règlement. En fait, il y aura toujours quelqu'un à avoir intérêt à voir le règlement annulé et, par conséquent, à former le recours. Mais il reste que le moyen de défense n'est pas ouvert aux députés. Ensuite, le recours pour excès de pouvoir n'est pas une protection préventive à la différence de l'irrecevabilité de l'article 76.1 de la Constitution. Le juge est saisi alors que le règlement est exécutoire et le recours est enfermé dans un délai court de deux mois à partir de la publication de l'acte. Enfin, le recours n'est pas suspensif car le règlement continuera à produire ses effets tant que l'annulation n'aura pas été prononcée. Malgré toutes ces insuffisances, le recours pour excès de pouvoir semble bien pourtant la seule voie de protection efficace du domaine législatif.

305 Il s'agit de la chambre administrative de la Cour suprême.

306 Le juge administratif est bien juge de la constitutionnalité, et pas seulement de la légalité stricto sensu. Le seul contrôle qu'il se refuse à exercer est celui de la constitutionnalité des lois qui, dans le respect de l'office, revient au Conseil constitutionnel. C'est ce qu'affirme sans détour le Conseil d'État français dans un arrêt Deprez et Baillard (Sect., 5 janvier 2005, n° 257341, Rec. p. 1) dans lequel il précise que « l'article 61 de la Constitution du 4 octobre 1958 a confié au Conseil constitutionnel le soin d'apprécier la conformité d'une loi à la Constitution ».

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Le succès de l'autre voie indirecte de protection du domaine législatif -une procédure de déréglementation de facto des décrets réglementaires- reste en effet sujet à caution.

b. La procédure de déréglementation de facto : la proposition de loi sur la matière objet du règlement contesté

Un moyen détourné dont les députés pourraient user pour faire échec à l'empiètement de l'autorité réglementaire sur le domaine législatif est de déposer une proposition de loi sur la matière qui vient de faire l'objet du règlement contesté pour essayer de la rétablir dans le domaine législatif. Si cette proposition de loi était adoptée, cela rétablirait dans le domaine législatif la matière qui y avait été inconstitutionnellement soustraite par le règlement : on assisterait ainsi à une procédure de déréglementation de facto.

Cette procédure de déréglementation risque cependant de demeurer une hypothèse gratuite, c'est-à-dire peu susceptible d'aboutir. En effet, le président de la République peut opposer l'opposition d'irrecevabilité de l'article 76, auquel cas le Conseil constitutionnel tranchera la difficulté. Mais comme il est possible que tel ait été en définitive le but recherché par les députés auteurs de la proposition de loi de déclassement, le président de la République -craignant que le Conseil constitutionnel ne déclare la matière législative- s'abstiendra de soulever l'irrecevabilité. S'il est assuré de sa majorité comme cela a toujours été le cas depuis 1959, il laissera venir la proposition en discussion car ayant toutes les chances d'en obtenir le rejet. La proposition écartée, le règlement éventuellement inconstitutionnel continuera à s'appliquer, sans que le Conseil constitutionnel ne se fût prononcé et que les controverses eussent été tranchées.

Cantonnée dans un domaine étroitement défini et mal protégé, les initiatives de l'Assemblée nationale sont par ailleurs bridées.

Section II : Les initiatives bridées

Les initiatives de l'Assemblée nationale sont doublement bridées et précisément là où elles devraient être le plus libre possible, c'est-à-dire au plan législatif (paragraphe 1) et au plan financier (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Au plan législatif

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Conformément à l'article 42, l'initiative des lois appartient concurremment au président de la République et aux députés. En droit, il n'y a pas de différences entre projets et propositions de lois mais celles-ci n'ont pas les mêmes chances d'aboutissement que ceux-là. Cet état de fait tient à des entraves politique (A) et institutionnelle (B) posées aux propositions de lois.

A/ L'entrave politique aux propositions de lois émanant des députés de la majorité et de l'opposition

L'entrave politique aux propositions de lois réside essentiellement dans l'existence d'une majorité parlementaire de soutien au programme du président de la République. Le fait majoritaire et la discipline de parti au sein de cette majorité parlementaire (1), certainement nécessaires à la réalisation du programme de Gouvernement, entraînent nonobstant des conséquences peu fastes pour le prestige de l'Assemblée nationale (2).

1. Le fait majoritaire et la discipline de parti au sein de la majorité parlementaire

Le président de la République apparaît comme le chef d'une majoritaire parlementaire au sein de laquelle règne une discipline stricte autour de sa personne. Ce fait fondamental de la science politique ivoirienne entraîne une quasi-inexistence de propositions de lois émanant des députés de la majorité d'une part (a) et assure une mort certaine aux propositions de lois émanant des députés de l'opposition parlementaire d'autre part (b).

a. Une quasi-inexistence de propositions de lois émanant des députés de la majorité

Le fait majoritaire explique et aggrave la rareté des initiatives parlementaires, spécifiquement celles émanant des députés de la majorité. Dès la veille de l'indépendance, le parti présidentiel est en effet constamment demeuré le parti majoritaire soit seul soit en alliance avec d'autres formations politiques. Ainsi de 1959 à 1999, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire a détenu à lui seul la quasi-totalité des sièges à l'Assemblée nationale sans qu'en fait le multipartisme, à partir de 1990, eût changé grand-chose à cette réalité307 ; à partir de 2000 jusqu'en 2010, le Front populaire ivoirien -en alliance, il est vrai, avec des députés

307 Sous la dernière législature de la première République, la répartition des sièges était ainsi faite : P.D.C.I. (parti présidentiel) : 150/225 ; R.D.R. : 13 ; F.P.I. : 12 et sièges non alloués : 50.

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d'autres formations politiques- est parvenu à obtenir la majorité absolue des sièges308 et enfin depuis 2011, le Rassemblement des républicains détient à lui tout seul presque la majorité absolue309. Ce fait majoritaire doit être conjugué avec la stricte discipline de parti au sein de la majorité parlementaire.

Cette discipline de parti au sein de la majorité parlementaire a elle-même une explication résidant dans la personne du président de la République, leader emblématique, historique et/ou charismatique du parti présidentiel. Il en fut ainsi, à divers degrés, sous les différentes présidences de la République si l'on met entre parenthèses la période transitoire ouverte avec le coup d'État du 24 décembre 1999310 : sous celle, d'abord, d'Houphouët-Boigny et de Konan Bédié ; sous celle, ensuite, de Laurent Gbagbo et enfin depuis 2010 sous celle d'Alassane Ouattara. Le président de la République -incarnant toujours à lui tout seul le parti présidentiel- cristallise et renforce une discipline rigoureuse autour des orientations et des directives qu'il détermine.

Ces deux faits expliquent que le président de la République -leader naturel du parti présidentiel et par conséquent chef de la majorité parlementaire- non seulement obtienne le vote de ses projets de lois mais également que les députés de la majorité lui délaissent toute initiative en matière législative. Il en résulte une rareté des propositions de lois émanant des députés de la majorité parlementaire.

Quant au sort réservé aux propositions de lois formulées par les députés de l'opposition dans un tel contexte, l'on peut aisément le deviner.

b. Les propositions de lois émanant des députés de l'opposition, des propositions mort-nées

Les députés de l'opposition disposent théoriquement de l'initiative en matière législative. En réalité, s'ils peuvent toujours exercer cette initiative législative en soumettant à l'Assemblée nationale des propositions de lois et des amendements, ils ont peu de chances de les voir adoptés. L'explication en est toute simple : elle réside à la fois dans le fait majoritaire en faveur du parti présidentiel que nous avons précédemment analysé mais surtout dans le fait

308 Sous la première législature de la seconde République : F.P.I. (parti présidentiel) : 96/225 ; P.D.C.I. : 94 ; Indépendants : 22 ; R.D.R. : 5 ; P.I.T. : 4 ; M.F.A. : 1 ; U.D.C.I. : 1 et sièges non alloués : 2.

309 La répartition des sièges sous la 2e législature de la seconde République se fait comme suit : R.D.R. : 127/255 ; P.D.C.I. : 77 ; les non-inscrits : 35 ; U.D.P.C.I. :7 ; R.H.D.P. : 4 et M.F.A. : 3.

310 Après le coup d'État du 24 décembre 1999, tous les pouvoirs publics constitutionnels ont été dissouts par le Général Robert Guéi à l'exception de la Cour suprême.

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que cette majorité parlementaire -en réalité le président de la République- est peu disposée à voir adoptées des lois issues de propositions de députés de l'opposition.

A la différence donc du droit d'initiative législative des députés de la majorité parlementaire qui ne s'exerce même pas puisque ces derniers préfèrent le délaisser au président de la République, celui émanant des députés de l'opposition se manifeste bien et beau et leurs propositions sont même discutées mais elles demeurent vouées à l'échec. Dès lors, le droit d'initiative législative apparaît avoir un but détourné : le député de l'opposition qui dépose une proposition de loi est certainement conscient de son sort définitif mais précisément, il espère démontrer par le rejet même de sa proposition le peu de disposition de la part de la majorité parlementaire -et partant du président de la République- à permettre certaines réformes.

Le fait majoritaire que nous venons d'étudier et les autres éléments qui s'agglutinent à ce fait majoritaire (fait personnel, discipline de parti, etc.) entraînent certaines conséquences qui ne participent pas de l'équilibre dans les rapports entre le président de la République et l'Assemblée nationale.

2. Les conséquences du fait majoritaire sur le prestige de l'Assemblée nationale

Les conséquences du fait majoritaire sont que d'une part, il y a un faible taux des propositions de lois dans la production législative (a) et d'autre part, l'Assemblée nationale est ravalée au rang de faire-valoir du président de la République (b).

a. Un faible taux des propositions de lois dans la production législative

La plupart des lois qui sont adoptées à l'Assemblée nationale proviennent non des initiatives des députés -que ce soit ceux de la majorité ou, encore moins, ceux de l'opposition- mais du président de la République. Ce phénomène est perceptible dans tous les régimes politiques où Gouvernement et Parlement participent à l'élaboration de la loi311.

Cette situation pose la question de l'effectivité du droit d'initiative législative d'origine parlementaire consacré à l'article 42 de la Constitution. Ce droit d'initiative législative

311 Pierre Pactet écrit ainsi en parlant de la situation française : «... au cours de l'année civile 1991, 141 projets de lois ont été déposés et 80 adoptés, cependant que 915 propositions de lois étaient déposées et 14 adoptées » (op.cit., p. 423).

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d'origine parlementaire tend en effet à devenir de plus en plus théorique, à être dépourvu de toute substance : il n'y a que le président de la République ou le Gouvernement -selon le régime politique- qui exerce véritablement le droit d'initiative législative que leur reconnaît la Constitution. A ce rythme, l'on peut se poser la question de savoir si l'initiative législative d'origine parlementaire ne tombera pas en désuétude.

Plus fondamentalement encore, nous pouvons nous poser la question de l'actualité de la séparation des pouvoirs législatif et exécutif. A la séparation classique entre organe législatif et organe exécutif se serait en effet substitué, selon Maurice Duverger, la séparation entre le pouvoir de la majorité ou pouvoir d'État et le pouvoir de l'opposition ou pouvoir tribunicien. Le premier détient à la fois le pouvoir de légiférer et le pouvoir d'exécuter ; le second le pouvoir de contrôler312.

Si l'on s'en tenait à cette nouvelle forme de séparation des pouvoirs reposant davantage sur un critère politique que sur un critère institutionnel, il en résulterait que l'Assemblée nationale -composante législative du pouvoir de la majorité à côté de sa composante exécutive qui est le président de la République- serait ravalée au rang de faire-valoir de ce dernier.

b. Le ravalement de l'Assemblée nationale au rang de faire-valoir du président de la République

En conséquence de ce qui vient d'être analysé à savoir d'une part, le fait que les députés de la majorité parlementaire n'exercent quasiment pas leur droit d'initiative législative et d'autre part, le fait que ceux de l'opposition -bien qu'ils l'exercent- voient leurs propositions toujours rejetées, il découle le fait devenu habituel dans la plupart des régimes politiques où Gouvernement et Parlement collaborent à l'élaboration de la loi313 que la plupart des lois qui sont adoptées à l'Assemblée nationale proviennent de projets du président de la République ou du Gouvernement.

Le fait que la plupart des lois votées à l'Assemblée nationale provienne de projets de l'exécutif ne serait pas grave en lui-même si ces lois faisaient l'objet -tout au long de la procédure législative- de débats contradictoires, d'une véritable délibération, d'amendements substantiels, etc. Malheureusement, les projets de lois déposés par le président de la

312 Catherine CLESSIS et al., Droit constitutionnel, Paris, Montchrestien, 1995, pp. 47-48.

313 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 423.

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République font seulement l'objet d'une ratification quasi-systématique à la fois en commission et en séance plénière. En effet, les députés n'ont en fait ni la possibilité de modifier le texte en commission -les membres du Gouvernement s'y opposant très souvent et victorieusement- ni en fait celle de rejeter le texte, le parti majoritaire disposant de la majorité des sièges nécessaires à leur adoption : les textes déposés par le président de la République sont par conséquent purement et simplement entérinés en leur état.

Cette situation a pu faire dire à certains que l'Assemblée nationale -conçue pour être, dans un régime présidentiel, un contrepoids au pouvoir du président de la République- est devenue une caisse de résonance de ce dernier.

A l'entrave politique posée aux propositions de lois résultant, somme toute, d'un phénomène aléatoire (le fait majoritaire), il faudrait également ajouter un phénomène plus invariable, moins casuel, c'est-à-dire les entraves institutionnelles.

B/ Les entraves institutionnelles spécifiques aux propositions de lois émanant des députés de l'opposition

Des entraves institutionnelles sont susceptibles d'être posées à toutes les propositions de lois d'où qu'elles émanent. Mais comme les députés de la majorité ont abandonné leur droit d'initiative législative au président de la République ainsi que nous l'avons vu, c'est contre les propositions de lois émanant des députés de l'opposition que seront opposées plus spécifiquement ces entraves institutionnelles. Ce sont d'une part, les irrecevabilités (1) et d'autre part, les autres types d'entraves institutionnelles (2).

1. Les irrecevabilités, entraves institutionnelles majeures aux propositions de lois

Ce sont d'une part, l'irrecevabilité contre les propositions susceptibles d'empiéter sur le domaine réglementaire et d'autre part, l'irrecevabilité en matière financière.

La première a été abondamment étudiée jusqu'à maintenant. Il s'agit seulement de rappeler, ici, qu'elle entrave les seules propositions de lois et les amendements d'origine parlementaire. Elle ne concerne par conséquent guère les projets de lois et les amendements

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d'origine gouvernementale : ce qui serait d'ailleurs absurde car il s'agirait en fait de chercher à protéger le président de la République de lui-même314!

Si le président de l'Assemblée nationale est bien d'accord, le président de la République pourrait étouffer dans l'oeuf toutes les propositions de lois déposées par les députés de l'opposition que ces propositions soient ou non susceptibles d'empiéter sur le domaine réglementaire, le but étant moins de protéger ce domaine-là que d'annihiler toute démarche législative émanant de l'opposition. Il serait intéressant de voir à cet égard quelle serait l'attitude du Conseil constitutionnel : saisi par l'opposition, pourrait-il manifester une réelle indépendance à cette occasion et faire taire les critiques le jugeant à la solde du président de la République315 ?

Le deuxième type d'irrecevabilité opposable aux propositions de lois -spécifiquement celles qui émanent des députés de l'opposition- concerne la matière financière et sera étudié plus amplement dans les développements suivants.

2. D'autres entraves institutionnelles aux propositions de lois

D'autres entraves institutionnelles sont opposables aux propositions de lois et elles méritent que l'on s'y penche même si, évidemment, elles ne sont pas de la même importance que celles qui découlent de la Constitution. Ces entraves procèdent en effet du règlement de l'Assemblée nationale et sont prévues par deux de ses dispositions : l'article 56.1 (a) et l'article 56.2316 (b).

a. L'article 56, alinéa 1 du règlement de l'Assemblée nationale

Aux termes de l'article 56, alinéa 1 du règlement de l'Assemblée nationale, toute proposition de loi qui est repoussée par les députés ne peut être réintroduite avant le délai de trois mois. Une telle entrave tenant à une limite temporelle ne concerne évidemment que les seules propositions de lois : si un projet de loi était repoussé, il n'y aurait aucun empêchement

314 Si le président de la République dépose lui-même un projet de loi empiétant sur le domaine réglementaire, c'est dire qu'il consent, à n'en point douter, à l'empiètement de la loi sur le domaine que la Constitution lui a pourtant réservé (le domaine réglementaire).

315 Nous reviendrons sur le problème de l'indépendance du Conseil constitutionnel, et plus généralement du pouvoir judiciaire, à l'égard du pouvoir exécutif dans la conclusion de notre travail.

316 C'est l'ancien article 54, alinéas 1 et 2 du règlement de l'Assemblée nationale avant sa modification par la résolution de 2006.

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pour le président de la République de le soumettre à nouveau à la délibération des députés. Mais c'est là une hypothèse peu probable de se produire en l'état actuel du fonctionnement du régime.

Cette disposition tire en réalité la conclusion d'un fait : le rejet des propositions de lois des députés de l'opposition. En effet, comme les députés de la majorité parlementaire ne déposeront que très rarement des propositions de loi pour les raisons précédemment évoquées, les seules propositions de lois qui seront formulées le seront par les députés de l'opposition. Le règlement de l'Assemblée nationale interdit donc de réintroduire avant trois mois une proposition de loi rejetée : il évite ainsi que les députés de l'opposition ne harcèlent constamment l'Assemblée nationale avec des propositions certes condamnées à rester lettre morte mais dont le dépôt, l'envoi en commission et la discussion en plénière pourraient réellement gêner le travail de l'Assemblée nationale. Par l'effet de l'article 56, alinéa 1 du règlement de l'Assemblée nationale, les députés de l'opposition se trouvent privés d'un certain moyen de harcèlement et de pression à l'égard de la majorité parlementaire et partant du président de la République317.

A cette première entrave institutionnelle résultant du règlement de l'Assemblée nationale nous devons en ajouter une deuxième : celle découlant de son article 56, alinéa 2.

b. L'article 56, alinéa 2 du règlement de l'Assemblée nationale

Aux termes de l'article 56, alinéa 2 du règlement de l'Assemblée nationale, la proposition de loi -et non pas le projet de loi- sur laquelle l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée devient caduque de plein droit à la clôture de la deuxième session ordinaire qui suit celle au cours de laquelle elle a été déposée. Mais elle peut être reprise en l'état dans un délai d'un mois (art. 56, alinéa 3).

Les initiatives de l'Assemblée nationale ne sont pas seulement bridées au plan législatif, elles le sont également relativement à un domaine très sensible puisque celui-ci conditionne toute la politique gouvernementale.

Paragraphe 2 : Au plan financier

317 On pourrait rapprocher une telle pratique du filibustering ayant cours aux États-Unis, même s'il s'agit de deux pratiques assez différentes.

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Les initiatives parlementaires sont non seulement restreintes en matière financière (A) mais également, et plus grave encore, il existe un déficit évident du contrôle parlementaire en cette matière (B).

A/ Les restrictions aux initiatives parlementaires en matière financière

Ces restrictions résultent de la suppression de principe de l'initiative parlementaire en matière de dépenses (1) et de l'interdiction des cavaliers budgétaires (2).

1. La suppression de principe de l'initiative parlementaire en matière de dépenses

Cette suppression est générale et absolue (a) et sans possibilité de contestation pour les députés (b).

a. Une suppression générale et absolue (...)

La première restriction à l'initiative parlementaire en matière financière résulte de l'article 78.2 de la Constitution aux termes duquel une irrecevabilité peut être opposée aux propositions et amendements déposés par les députés lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. Elle serait justifiée par l'exigence constitutionnelle de voter le budget en équilibre (art. 80.2 de la Constitution)318; on observera, toutefois, que le même type d'irrecevabilité est consacré en certains régimes politiques où il n'est pourtant pas obligatoire de voter le budget en équilibre (art. 40 de la Constitution française). D'autre part, il est à noter que l'irrecevabilité dont il s'agit ne peut pas s'appliquer aux projets et aux amendements du président de la République ou du Gouvernement.

La Constitution ivoirienne -comparativement à l'article 17 de la Constitution française de 1946- a poussé dans un sens plus général et plus absolu l'interdiction du droit d'initiative parlementaire en matière financière et elle y a procédé de trois manière : d'abord, en étendant l'interdiction des propositions aux amendements ; ensuite, en visant à la fois les propositions et amendements tendant à augmenter les dépenses et ceux tendant à diminuer les recettes et enfin, en décidant qu'elle vaut aussi bien pendant la discussion budgétaire qu'en dehors de celle-ci.

318 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 209.

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Seules les propositions et amendements tendant à supprimer ou à réduire effectivement une dépense ou à créer ou à accroître une recette seront alors recevables319. Mais dès lors que la proposition ou l'amendement est accompagné d'une proposition d'augmentation de recettes ou d'économies équivalentes compensant ainsi la diminution des recettes ou l'augmentation des dépenses, l'irrecevabilité ne joue plus320.

Ce qui est toutefois grave en matière d'irrecevabilité financière, c'est que les députés ne disposent pas de la possibilité de contester la décision d'irrecevabilité prononcée contre leurs propositions.

b. (...) sans possibilité de contestation à la disposition des députés

La compétence pour soulever l'irrecevabilité revient au président de la République -en pratique à ses ministres- puisque l'irrecevabilité a pour objet de protéger le projet de loi de finances contre une diminution de ressources publiques ou une augmentation de charges publiques. Mais c'est du président de l'Assemblée nationale que dépend la décision sur la recevabilité ou l'irrecevabilité. Par conséquent, c'est lui qui détermine la portée de l'article 78.2.

Mais si le président de l'Assemblée nationale prend une décision et que celle-ci est contestée soit par les députés ou la Commission des finances soit par le Gouvernement, force est de reconnaître -puisque la Constitution garde le silence sur la question- qu'il est inenvisageable que le Conseil constitutionnel puisse être saisi. Dans ces conditions, il faut conclure que la décision du président de l'Assemblée est sans recours : si celui-ci décide de l'irrecevabilité, le texte ne peut recevoir aucune suite et les députés ne peuvent que s'incliner et s'il la déclare recevable, la procédure législative se poursuit et le Gouvernement ne peut s'opposer au vote321.

Toutefois, le président de la République conserve une dernière possibilité, très efficace. Il peut, en effet, soumettre au Conseil constitutionnel la loi votée mais non encore promulguée

319 C'est l'interprétation restrictive que donne d'ailleurs l'article 42 de l'ancienne ordonnance organique française du 2 janvier 1959 de l'article 40 de la Constitution française du 4 octobre 1958.

320 Article 78 in fine de la Constitution du 1er juillet 2000. Cette atténuation de l'interdiction est également consacrée par la plupart des Constitutions africaines mais elle n'existe pas à l'article 40 de la Constitution française. Cependant, en dehors même de l'hypothèse où la proposition ou l'amendement serait accompagné d'une compensation financière, il reste que les députés peuvent toujours employer des moyens détournés pour faire échec aux dispositions constitutionnelles : réductions indicatives de crédits ou refus de discuter les crédits, etc.

321 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 209.

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en vertu de l'article 95.2 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel statuera dès lors sur la constitutionnalité de ladite loi au regard de l'article 78.2322 et sera ainsi amené, de manière indirecte, à apprécier le bien-fondé de la décision du président de l'Assemblée nationale. En revanche, les députés contestant la décision d'irrecevabilité du président de l'Assemblée nationale ne disposent pas de la même faculté puisque, naturellement, la décision d'irrecevabilité enterre définitivement la proposition.

L'interdiction des cavaliers budgétaires prive par ailleurs l'Assemblé nationale d'un moyen de pression sur le président de la République.

2. L'interdiction des cavaliers budgétaires

Si l'interdiction des cavaliers budgétaires se justifie au plan purement technique (a), il n'en reste pas moins qu'elle prive les députés d'un moyen de pression sur le président de la République et son Gouvernement (b).

a. Une mesure se justifiant sur le plan technique (...)

Toute mesure étrangère à l'objet d'une loi de finances est un cavalier budgétaire323. L'objet d'une loi de finances est fixé par la Constitution elle-même en son article 71.1 disposant que : « les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État » et par la loi organique du 05 juin 2014324 en son article 2 disposant que les lois de finances déterminent, pour un exercice, la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'État et qu'elles tiennent comptent d'un équilibre économique et financier qu'elles déterminent sur la base des objectifs et des résultats des programmes définis dans le cadre des missions de l'État325. L'article 47 de la loi organique française du 1er août 2001 maintient également la prohibition des cavaliers budgétaires326. En cas de méconnaissance de l'article 47 de ladite loi, la disjonction de la disposition non financière du projet de loi de finances

322 Le Conseil constitutionnel français a d'ailleurs déjà été appelé à rendre son arbitrage en la matière dans sa décision du 20 janvier 1961, D. 1962, p. 177, note L. Hamon.

323 http://fr.jurispedia.org/index.php/, consulté le dimanche 9 novembre 2014, à 13h 43.

324 Loi organique n° 2014-339 du 05 juin 2014 relative aux lois de finances.

325 Voir également l'article 1er, al. 1er de la loi organique française du 1er août 2001 relative aux lois de finances et l'article 40 de la directive de l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine).

326 Cette loi (L.O.L.F.) abroge l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.

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soumis à l'examen du Conseil d'État est de droit et le Conseil constitutionnel censure l'adjonction ou l'amendement étranger à l'objet de la loi de finances votée327.

Sur un plan purement technique, l'interdiction des cavaliers budgétaires, tout comme celle plus générale des amendements sans lien avec le texte en discussion, se justifie pleinement car elle permet une certaine rationalité dans la procédure législative (budgétaire). Tous les amendements ou adjonctions dont on aura ainsi à connaître dans le débat budgétaire devront nécessairement présenter un rapport certain avec l'objet de la loi de finances ou ne pas être étrangers, par leur nature, à celui-ci. De la sorte, on évite un gonflement des projets de lois de finances, un allongement inconsidéré des débats budgétaires et la loi de finances adoptée reste conforme à son objet328.

Toutefois, l'interdiction des cavaliers budgétaires -et, en passant, celle plus générale des amendements qui sont sans rapport avec l'objet du texte auquel ils se rapportent- prive les députés d'un véritable moyen de pression sur le pouvoir exécutif.

b. (...) mais privant l'Assemblée nationale d'un moyen de pression sur le pouvoir exécutif329

Sous les Républiques françaises précédentes, les parlementaires inséraient dans la loi de finances, sous forme d'amendements, des dispositions étrangères à son objet afin de s'assurer de leur adoption. Le Gouvernement n'avait d'autres choix que celui d'accepter ces dispositions puisqu'il lui importait avant tout que le projet de loi de finances soit adopté. De la sorte, les parlementaires pouvaient voir adoptées des mesures dont le Gouvernement ne voulait pas et qu'il aurait, à d'autres occasions, rejetées. Avec l'avènement de la Ve République française et l'interdiction des cavaliers budgétaires par la Constitution qui l'instaure -interdiction reprise dans la Constitution ivoirienne- les parlementaires ne disposent

327 Le Conseil constitutionnel pourrait se fonder sur l'article 47 de la loi organique du 1er août 2001 (art. 42 de l'ancienne ordonnance organique du 2 janvier 1959).

328 Petit lexique parlementaire, http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/lexique.asp, consulté le dimanche 9 novembre 2014, à 12h 09.

329 « Toutes ces limitations juridiques du pouvoir financier du parlement ont un seul et unique but, celui d'assurer la prééminence du gouvernement dans le processus d'adoption de la loi de finances. Elles sont d'ailleurs considérées comme incontournables même dans les régimes les plus démocratiques du monde occidental du fait de la technicité de plus en plus grande des questions financières nationales et internationales et du peu d'intérêt que suscite le débat budgétaires chez les parlementaires » (Kossi SOMALI, Le parlement dans le nouveau constitutionalisme en Afrique. Essai d'analyse comparée à partir des exemples du Bénin du Burkina Faso et du Togo, thèse droit public, Lille, Université du droit et de la santé - Lille 2 (Ecole doctorale n° 74), 2008, p. 317-318).

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plus d'une arme aussi efficace que les cavaliers budgétaires en face du pouvoir exécutif qui leur permettaient de faire passer en force des mesures importantes.

En plus des restrictions apportées aux initiatives parlementaires en matière financière, il y existe également un déficit criant de contrôle parlementaire.

B/ Le déficit de contrôle parlementaire en matière financière

Les règles restrictives dont a fait l'objet le pouvoir financier entraîne un déficit du contrôle parlementaire en matière financière. Ce déficit résulte d'une part, de l'insuffisance du délai de délibération sur le projet de loi de finances (1) et d'autre part, de la restriction des principes classiques du droit budgétaire gouvernant la présentation du budget (2).

1. L'insuffisance du délai de délibération sur le projet de loi de finances

Le délai court laissé à l'Assemblée nationale se justifie par la nécessité d'adopter le projet de loi de finances avant le début de l'exercice budgétaire (a). Mais ce délai est illusoire pour examiner un dossier aussi complexe que le projet de loi de finances (b).

a. Un délai destiné à assurer l'adoption de la loi de finances avant le début de l'exercice budgétaire

En vertu de la règle de l'antériorité exigeant que la loi de finances soit votée avant le début de l'année budgétaire, la Constitution fait obligation à l'Assemblée nationale, dès le dépôt du projet de loi de finances le premier mardi du mois d'octobre, de se prononcer dans les soixante-dix jours. Autrement dit, l'Assemblée nationale devra émettre un vote au plus tard le 15 décembre330. Si elle ne parvient pas à se prononcer aux termes de ce délai et seulement au cas où elle ne se prononce pas331, elle est dessaisie du pouvoir que lui confère la Constitution d'autoriser le budget car le président de la République se trouve en mesure de mettre en vigueur par ordonnance le projet de loi de finances (art. 80.3 de la Constitution).

330 Cette date du 15 décembre est la limite extrême du délai imparti à l'Assemblée nationale mais elle peut varier en fonction de la date où tombe le premier mardi d'octobre.

331 L'hypothèse dans laquelle l'Assemblée nationale se prononcerait, mais rejetterait le projet de loi de finances ne joue pas : le président de la République ne pourrait pas, dans ce cas, mettre en vigueur le projet de loi de finances par ordonnance.

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Dès lors, le pouvoir d'autorisation de l'Assemblée nationale en matière financière devient au cours d'une session extraordinaire convoquée à cet effet un pouvoir de ratification de l'ordonnance budgétaire de mise en vigueur du projet de loi de finances (art. 80.4).

Ce délai de soixante-dix jours est pourtant illusoire pour l'examen d'un dossier aussi complexe que le projet de loi de finances.

b. Un délai illusoire pour l'examen d'un dossier aussi complexe332

Il est illusoire de penser que l'Assemblée nationale puisse se prononcer amplement sur le projet de loi de finances dans une période aussi courte de soixante-dix jours.

Il faudrait alors changer de manière radicale le mode des sessions parlementaires pour les adapter à l'examen des lois des finances.

L'autre raison du déficit de contrôle parlementaire en matière financière résulte de la restriction des principes classiques du droit budgétaire dans la présentation du budget.

2. La restriction des principes budgétaires dans la présentation du budget de l'État

Les principes budgétaires ont un aspect politique important au regard du contrôle parlementaire (a). Les aménagements apportés à ces principes s'analysent pour certains d'entre eux en une véritable restriction du pouvoir financier du Parlement, c'est-à-dire une limitation de son contrôle sur le budget de l'État333 (b).

a. Les incidences vertueuses du respect des principes budgétaires sur le contrôle parlementaire

332 Les questions financières sont très techniques et assez complexes pour les députés qui s'y intéressent peu (Kossi SOMALI, op.cit., p. 319).

333 Georges Burdeau écrivait justement que : « Historiquement, la compétence financière, spécialement le consentement à l'impôt, a été la première prérogative du Parlement. C'est pour obtenir des subsides que les rois convoquèrent des assemblées représentatives et c'est pour contrôler la politique du monarque qu'elles s'affirmèrent seules habilitées à en fournir les moyens, c'est-à-dire les deniers prélevés sur le patrimoine des contribuables » (op.cit., p. 614). Le pouvoir financier est une arme essentielle du Parlement en face de l'exécutif : par ce pouvoir financier, il peut parvenir à contrôler toute la politique gouvernementale. A contrario, la restriction de ce pouvoir financier ne peut être que désavantageuse pour le Parlement dans ses rapports avec le pouvoir exécutif, or c'est à cette situation que l'on aboutit dans l'état actuel de notre droit et de celui de plusieurs autres pays.

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Le respect des principes budgétaires assure l'efficacité du contrôle parlementaire sur l'exécution du budget de l'État par les autorités gouvernementale et administrative. Le principe d'annualité permet d'assurer l'efficacité du contrôle parlementaire en imposant une périodicité assez brève afin que soit respectée l'obligation du consentement à l'impôt.

Le principe d'unité -exigeant que toutes les opérations de dépenses et de recettes soient retracées dans un document unique et que la loi de finances prévoie et autorise l'ensemble des recettes et des charges de l'État- permet un contrôle accru des députés sur les finances publiques par la clarté de la présentation du budget (vérifier si le budget est réellement en équilibre, éviter l'existence de comptes hors-budget, mettre en évidence le volume total des dépenses de l'État).

Le principe d'universalité -impliquant le rassemblement en une seule masse de l'ensemble des recettes brutes sur laquelle doit s'imputer l'ensemble des dépenses brutes-interdit la compensation des dépenses et des recettes qui permettrait de dissimuler certaines charges ou certaines dépenses aux députés334 et l'affectation d'une recette déterminée à une dépense déterminée.

Le principe de spécialité -imposant d'indiquer précisément le montant et la nature des opérations prévues par la loi de finances- permet au Parlement de limiter de façon étroite la liberté d'action du pouvoir exécutif et de contrôler en même temps toute la vie administrative335.

Certains aménagements que subissent les principes budgétaires constituent cependant de véritables atteintes au contrôle parlementaire.

b. Les incidences négatives de certaines dérogations aux principes budgétaires sur le contrôle parlementaire

Certaines dérogations aux principes budgétaires sont source d'insuffisance, d'inefficacité ou même d'absence pure et simple de contrôle parlementaire. Une telle situation est grave car le pouvoir financier de l'Assemblée nationale constitue une arme majeure entre

334 Une caisse noire est une réserve d'argent, le plus souvent illicite, servant à financer des actions souvent illicites (l'enrichissement des personnalités publiques notamment). Pour l'histoire de la caisse noire, voir Henri VINCENOT, La vie quotidienne dans les chemins de fer au XIXe siècle, pp. 53-54.

335 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 622.

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ses mains dans ses rapports avec le Président et l'administration336. Le principe d'unité n'est pas ainsi toujours respecté. Ce sont surtout les comptes spéciaux qui permettent d'égarer le contrôle parlementaire puisque, précisément, ils retracent des opérations de recettes et de dépenses effectuées hors du budget général337. Concernant la débudgétisation, elle peut se faire soit en reportant certaines des dépenses que l'État supportait jusque-là vers les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor -dans ce cas, le contrôle parlementaire est toujours possible car les dépenses restent dans les comptes publics- soit en reportant certaines dépenses vers des personnes morales privées ou publiques, auquel cas le contrôle parlementaire devient impossible338.

Les dérogations au principe d'universalité ont pour conséquence directe de permettre que certaines dépenses et certaines recettes de l'État ne soient pas soumises aux députés et échappent ainsi à tout contrôle parlementaire.

Quant au principe de spécialité, il n'est qu'imparfaitement respecté notamment en ce qui concerne les services votés. Les crédits relatifs à ces services sont en effet reconduits par un vote global et unique339. L'Assemblée nationale n'exerce par conséquent un contrôle détaillé que sur les mesures nouvelles qui ne représentent qu'une part relativement réduite de la masse budgétaire, les services votés représentant la plus grande partie de celle-ci.

336 L'ineffectivité ou l'inefficacité du contrôle parlementaire qu'elles résultent du fait institutionnel (ineffectivité ou inefficacité résultant des textes) ou du fait politique (ineffectivité ou inefficacité résultant, au contraire, du fait que l'Assemblée nationale, depuis l'indépendance, a été rarement autre chose qu'une « caisse de résonnance ») est très grave : il faut en effet y voir la cause, avec le manque d'indépendance véritable de la justice, des nombreuses malversations et gabegies financières constatées au plus haut sommet de l'État. S'il n'est possible ni pour l'Assemblée nationale de « regarder dans la bouche du grilleur d'arachides » ni pour la justice de sanctionner ce dernier, le développement économique et social tant souhaité dans les discours politiques tardera à devenir une réalité.

337 Georges BURDEAU, op.cit., p. 635.

338 La débudgétisation va parfois encore plus loin ; il arrive en effet que l'État fasse peser sur d'autres personnes morales que lui le financement de certaines dépenses qu'il avait coutume d'assurer. Le Conseil constitutionnel contrôle toutefois cette pratique.

339 Déjà à l'étape de la préparation du document budgétaire par le ministre de l'économie et des finances sur délégation du président de la République, étape antérieure au vote à l'Assemblée nationale, l'évaluation prévisionnelle des dépenses et des recettes publiques se fait par la méthode du calcul des « services votés » qui consiste à prendre pour base le budget antérieurement exécuté auquel il est ajouté les « mesures acquises » représentées par une diminution des crédits en cas de suppression par l'État de charges exceptionnelles.

CONCLUSION

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Il semble qu'un certain équilibre soit respecté entre les différents organes de l'exécutif et du législatif ivoiriens. Cet équilibre se manifeste, d'abord, par un partage des compétences normatives entre le président de la République et l'Assemblée nationale. L'un et l'autre disposent, en effet, d'une compétence normative propre : le président de la République du pouvoir réglementaire et l'Assemblée nationale du pouvoir de faire des lois340. Ce partage des compétences normatives est par ailleurs sanctionné, c'est-à-dire que ni le président de la République ni l'Assemblée nationale ne peuvent, en principe, intervenir en dehors de leurs domaines de compétences respectifs341 ; s'ils le faisaient, cette irrégularité s'exposerait notamment à une déclaration d'annulation -en ce qui concerne les décrets réglementaires- ou à une déclaration d'inconstitutionnalité -en ce qui concerne les lois342. Mais, comme il est également nécessaire que les organes exécutif et législatif ne soient pas isolés en ce que cela comporterait des risques de paralysie, la Constitution a prévu, en de nombreux domaines, une collaboration étroite entre eux343. C'est sur ce plan que se manifeste, ensuite, l'équilibre des pouvoirs exécutif et législatif. Cette collaboration part de la matière des prérogatives d'initiative (en matière de sessions extraordinaires du Parlement, d'initiatives législative et de révision constitutionnelle), à celle des situations exceptionnelles (état de siège et état d'urgence), du référendum législatif et des engagements internationaux344.

Il apparaît plus fondamentalement, cependant, que l'équilibre entre le président de la République et l'Assemblée nationale soit plus apparent, plus formel que réel. L'hégémonie du pouvoir exécutif -du président de la République- et l'abaissement corrélatif du pouvoir législatif -de l'Assemblée nationale- le montrent clairement. La première se traduit, en premier lieu, par le droit d'information et le pouvoir d'intervention dont dispose le président de la République à l'égard de l'Assemblée nationale. Concernant le droit d'information, le Chef de l'État tient un droit d'information sur le bureau et la conférence des présidents d'une

340 Le partage des compétences normatives est opéré par les articles 71 et 72 de la Constitution. La compétence normative du président de la République établie en vertu de l'article 72, qu'il faut distinguer de sa compétence de mise en application des lois (art. 44), est un pouvoir autonome, indépendant, c'est-à-dire qu'elle n'est pas soumise à la loi ; ce pouvoir réglementaire rivalise avec le pouvoir législatif, il est maître en son domaine.

341 Il est toutefois possible au président de la République d'intervenir dans le domaine législatif en accord avec l'Assemblée nationale (art. 75) ou sans l'accord de celle-ci (art. 48).

342 C'est la chambre administrative de la Cour suprême qui peut déclarer la nullité des actes réglementaires du président de la République, tandis que la déclaration d'inconstitutionnalité des lois revient au Conseil constitutionnel.

343 L'aspect de la collaboration entre les pouvoirs exécutif et législatif l'emporte clairement, dans le schéma constitutionnel ivoirien, sur l'aspect de leur isolement réciproque.

344 L'aspect de l'équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif a fait l'objet de toute la première partie de notre développement.

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part et sur les travaux des commissions parlementaires d'autre part. Concernant le pouvoir d'intervention, il s'étend au domaine législatif par le droit de veto présidentiel sur les lois votées à l'Assemblée nationale et au domaine budgétaire par l'établissement du projet de loi de finances par ordonnance345. L'hégémonie du président de la République prend un caractère plus extrême, en second lieu, lorsqu'il en vient à se substituer purement et simplement à l'Assemblée nationale dans la fonction législative par la mise en oeuvre de l'article 48346. Quant à l'abaissement des pouvoirs de l'Assemblée nationale -seconde manifestation du déséquilibre, cela empêche qu'elle fasse efficacement contrepoids aux pouvoirs énormes du président de la République. La faiblesse de ses pouvoirs provient, d'abord, de ce qu'elle est strictement cantonnée dans un domaine d'action étroit : la manière dont sont délimitées ses compétences l'oblige à ne se mouvoir que dans un espace assez restreint347 et, même à l'intérieur de cet espace, elle n'est guère à l'abri des empiètements du président de la République, car les mécanismes de protection des compétences présentent un caractère unilatéral (les compétences du Président sont très bien protégées et celles de l'Assemblée nationale le sont beaucoup moins)348. Elle provient, ensuite, de ce que les initiatives dont dispose l'Assemblée nationale sont bridées : au plan législatif, il existe à la fois des entraves politiques aux propositions des députés de la majorité et de l'opposition et des entraves institutionnelles consistant essentiellement à des irrecevabilités opposables aux propositions faites par tout député, et particulièrement aux députés de l'opposition ; au plan financier, des restrictions sont apportées aux initiatives parlementaires et il y a un déficit de contrôle parlementaire en matière financière349.

Il était ainsi nécessaire de se pencher sur le problème de l'équilibre des pouvoirs exécutif et législatif. En effet, cela a permis de nous rendre compte de la complexité de la nature du régime politique ivoirien, régime à mi-chemin entre le régime parlementaire et le

345 La demande de seconde délibération est, en effet, un véritable droit de veto aux mains du président de la République (art. 42) et, en matière budgétaire, le Président a la faculté, sous certaines conditions, de dessaisir l'Assemblée nationale du vote de la loi de finances (art. 80).

346 Inutilisés sous la première République (art. 19 de la Constitution de 1960), les pouvoirs exceptionnels le seront, pour la première fois de notre histoire constitutionnelle, pendant la crise politico-militaire (2002-2010), par le Président L. Gbagbo. Les décisions prises en vertu de l'article 48 de la Constitution auront notamment permis à tous les signataires de l'accord politique de Linas-Marcoussis de se présenter aux élections présidentielles de 2010.

347 Le fait pour les auteurs de la Constitution d'avoir défini un domaine de compétences duquel le Parlement ne peut pas sortir (art. 71 et autres), porte incontestablement atteinte, comme a pu le soutenir un auteur, aux prérogatives de la représentation nationale.

348 Les auteurs de la Constitution de 2000 ne se sont pas, en effet, particulièrement préoccupés de la protection du domaine législatif ; celle-ci ne peut ainsi se faire que par des voies détournées, indirectes.

349 C'est la deuxième partie de notre développement relative au déséquilibre réel entre les pouvoirs exécutif et législatif.

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régime présidentiel ou, plus simplement, régime de confusion des pouvoirs au profit du président de la République. La question est toutefois loin d'être tranchée, d'autant plus que la pratique sous la seconde République, et pas plus que sous la première du reste, ne nous a guère encore donné l'occasion de voir fonctionner les institutions dans le schéma d'une non-coïncidence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire : si le Président se trouvait en présence d'une Assemblée nationale dominée par l'opposition, les rapports entre lui et l'Assemblée nationale pourraient se rééquilibrer, voire tourner à l'avantage de cette dernière350. Dès lors, le présidentialisme consacré dans la Constitution elle-même pourrait, à l'épreuve de la pratique de la cohabitation entre un Président et une Assemblée opposés, s'atténuer fortement. C'est dire que le régime politique dont les auteurs de la Constitution de 2000 ont voulu doter la Côte d'Ivoire est peut-être plus fonction des liens politiques réels entre le président de la République et le parti majoritaire à l'Assemblée nationale que d'une simple lecture (théorique) de la Constitution351. Quoiqu'il en soit, il y a un intérêt pratique certain à résoudre la difficulté : l'édification d'un État de droit -et par ricochet l'essor économique et social- est intimement liée à une séparation effective des pouvoirs, à un équilibre satisfaisant entre eux352.

Le déséquilibre des pouvoirs au profit du président de la République peut être, en effet, source de risques pour le régime établi par la Constitution : puisque le Président dispose de presque tous les pouvoirs sans contrepoids efficace à sa prééminence -le pouvoir judiciaire ne constitue même pas, en réalité, un contrepoids- il pourrait aisément faire un putsch contre les pouvoirs publics constitutionnels. Nous pensons, en particulier, à cet article 48 qui lui permet d'accaparer tous les pouvoirs sans -en réalité- aucun contrôle ni politique ni juridictionnel353. Il conviendrait, dès lors, de procéder -par la voie d'une révision constitutionnelle ou de l'établissement d'une nouvelle Constitution- à un rééquilibrage dans les rapports qu'entretiennent le Président et l'Assemblée, en dotant celle-ci de pouvoirs plus renforcés. La limitation du nombre de mandats présidentiels est, déjà, une atténuation de la grande

350 Une telle hypothèse n'est guère gratuite ; si elle ne s'est pas encore produite, c'est en raison du système de parti unique (1960-1990) et, après 1990, de la fraude électorale assurant à l'ex-parti unique la quasi-totalité des sièges (1990-1999) ou encore du boycott des élections législatives par des partis politiques significatifs (boycott par le R.D.R. des législatives de 2000 et boycott par le F.P.I. de celles de 2011).

351 Les liens politiques réels entre le Président et l'Assemblée sont très déterminants. Ils expliquent, en effet, pourquoi les députés n'usent pas de moyens de contrôle pourtant efficaces sur l'action gouvernementale. Il s'agit notamment des moyens d'information (les questions orale et écrite et la commission d'enquête) et du vote de résolutions de recommandations au Gouvernement consacrés à l'article 82.

352 Boutros BOUTROS-GHALI, L'interaction entre démocratie et développement, op.cit., rapport de synthèse publié par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), 2003, p. 10-13.

353 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 539-540.

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puissance du Président : celui-ci a d'énormes pouvoirs, mais pour un temps limité, sous peine d'aboutir à un pouvoir personnel et dictatorial354. Mais cette limitation est insuffisante, car les risques demeurent pendant l'exercice du mandat présidentiel.

Mais, un rééquilibrage même profond des seuls rapports entre le Président et l'Assemblée ne suffirait pas. Il faudrait également prendre en compte cette nouvelle séparation des pouvoirs qui ne se fait plus, dans les faits, entre les pouvoirs exécutif et législatif, mais entre le pouvoir d'État et le pouvoir tribunicien : la majorité (le pouvoir d'État) possède à la fois le pouvoir exécutif pour gouverner et le pouvoir législatif pour légiférer tandis que l'opposition (le pouvoir tribunicien) ne peut pas empêcher les titulaires du pouvoir d'État de prendre des décisions, des décrets et d'adopter les lois qu'ils veulent355. De ce fait, il faudrait, là encore, pour rééquilibrer le pouvoir de gouverner-légiférer aux mains d'un même parti, institutionnaliser et renforcer les prérogatives du parti ou de la coalition de l'opposition356.

D'autre part, il faudrait également assurer une indépendance effective du pouvoir judiciaire357 et du Conseil constitutionnel. Concernant le Conseil constitutionnel plus spécifiquement, il est incompréhensible qu'une institution aussi importante dans la vie institutionnelle et politique nationale358 soit aussi inféodée au président de la République et aux autres organes de la majorité qui en choisissent tous les membres, y compris son président359! Il faudrait, par conséquent, transformer ce Conseil constitutionnel en une

354 La prépondérance du président de la République dans les schémas constitutionnels africains conjuguée avec la difficile pratique de la démocratie impose, ici plus qu'ailleurs, non seulement une limitation du nombre de mandats présidentiels dans les textes mais également la renonciation, de la part des Présidents africains, à des modifications intempestives des dispositions constitutionnelles relatives à une telle limitation. Les réactions vigoureuses, au sein de la société civile, de l'opposition politique ou même de l'armée, à ces manipulations de la Constitution à des fins de présidences à vie sont alors compréhensibles. Comment ne pas penser, à cet effet, à la destitution du Président nigérien, Mamadou Tandja, par l'armée en 2010 et, plus près de nous encore, à la formidable révolution populaire burkinabè du 31 octobre 2014 qui a mis fin à 27 ans de pouvoir autocratique et monarchisant du Président Blaise Compaoré ?

355 Maurice DUVERGER, Echec au Roi, Paris, Albin Michel, 1978, p. 298 et s.

356 On pourrait, suivant en cela l'exemple tunisien, accorder de plein droit à l'opposition la présidence de la Commission des finances ou le poste de rapporteur au sein de la Commission des relations extérieures (art. 60 de la Constitution tunisienne).

357 La promesse du candidat A. Ouattara à la veille du second tour de l'élection présidentielle de 2010 relativement au Conseil supérieur de la magistrature : il avait, dans le débat qui l'opposa au candidat L. Gbagbo, critiqué le fait que la présidence de ce Conseil soit assurée par le président de la République (art. 104 de la Constitution).

358 Le Conseil constitutionnel est en effet juge de la constitutionnalité des lois et l'organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics (art. 88 de la Constitution).

359 En dehors des membres de droit qui sont les anciens présidents de la République, tous les conseillers constitutionnels sont choisis pour moitié par le président de la République et pour l'autre moitié par le président de l'Assemblée nationale (art. 89) ; le président de l'institution est, en outre, nommé par le président

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véritable juridiction rendant des décisions en droit et indépendante des autorités politiques : le Conseil constitutionnel doit devenir une Cour constitutionnelle à l'image de celles qui exercent un contrôle de constitutionnalité dans de nombreux États africains360.

de la République (art. 90). Comment ne pas penser, à cet égard, à la crise postélectorale de 2010-2011 et au discrédit jeté sur le Conseil constitutionnel suite à sa proclamation successive et contradictoire de deux vainqueurs du second tour de la présidentielle de 2010 ?

360 Robert BADINTER, « Une longue marche : du Conseil constitutionnel à la Cour constitutionnelle », in Nouveaux Cahiers du Conseil, cahier n° 25, août 2009. Au Niger par exemple, les sept membres de la Cour constitutionnelle sont nommés par décret du président de la République (pour six ans non renouvelables), mais celui-ci ne peut en proposer qu'un seul tandis que les six autres membres sont désignés comme suit : un proposé par le bureau de l'Assemblée nationale, deux magistrats élus par leurs pairs, un avocat élu par ses pairs, un enseignant-chercheur titulaire d'un doctorat en droit public élu par ses pairs et un représentant des associations de défense des droits humains et de promotion de la démocratie, titulaire au moins d'un diplôme de 3e cycle en droit public élu par les collectifs de ces associations (art. 121 de la Constitution nigérienne). Par ailleurs, le président de l'institution est élu par ses pairs pour une durée de trois ans renouvelable (art. 123).

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V' GUILLIEN Raymond et VINCENT Jean, Lexique des termes juridiques, 14e éd., Paris, Dalloz, 2003, 619 p.

xi

TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS v

SOMMAIRE vii

INTRODUCTION 1

I. DÉLIMITATION DU SUJET 3

II. DÉTERMINATION DU PROBLÈME DE DROIT 7

III. INTÉRÊTS SCIENTIFIQUE ET PRATIQUE DU SUJET 9

IV. MÉTHODOLOGIE 11

V. PLAN DE NOTRE MÉMOIRE 12

PREMIÈRE PARTIE : L'ÉQUILIBRE FORMEL ENTRE LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LE POUVOIR LÉGISLATIF

14

CHAPITRE I : LA DÉLIMITATION MATÉRIELLE DES COMPÉTENCES 15

Section I : Le domaine respectif des compétences 16

Paragraphe 1 : La compétence normative du Parlement 16

A/ La définition matérielle de la loi selon la Constitution de 2000, tracé originaire du

domaine législatif 16

1. L'article 71, chef de compétence principal du législateur 17

a. La distinction formelle entre la fixation des règles et la détermination des principes

fondamentaux 17

b. Une lecture unitaire de la compétence du législateur 18

2. Les autres dispositions de la Constitution, chefs de compétence complémentaires du

législateur 19

a. Une extension reposant sur une étude plus poussée des textes constitutionnels et

reconnue par la jurisprudence constitutionnelle 20

b. Le renvoi à la loi ou l'autorisation par une loi 20

B/ L'élargissement jurisprudentiel du domaine législatif 21

1. L'affirmation de la valeur constitutionnelle du Préambule et ses conséquences au

regard de la compétence du législateur 22

a. L'extension du bloc de constitutionnalité au Préambule, à la Déclaration universelle

de 1948 et à la Charte africaine de 1981 22

b. Les conséquences de l'affirmation de la valeur constitutionnelle du Préambule au

regard de la compétence du législateur 23

2. L'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire par volontés

concordantes du législateur et de l'exécutif 24

a. xii

Une intervention en principe contraire à la délimitation matérielle de la loi par la

Constitution 24

b. Une intervention non systématiquement sanctionnée par le Conseil constitutionnel

25

Paragraphe 2 : La compétence normative du pouvoir exécutif 26

A/ Les pouvoirs réglementaire et exécutif 27

1. La distinction classique entre pouvoir réglementaire (règlements autonomes) et

pouvoir exécutif (règlements dérivés) 27

a. Le pouvoir réglementaire, pouvoir de législation autonome et de droit commun 27

b. Le pouvoir exécutif, pouvoir subordonné d'application des lois 28

2. De l'obsolescence de la distinction classique entre règlements autonomes et règlements dérivés : l'assimilation jurisprudentielle du pouvoir réglementaire au pouvoir

exécutif 29

a. L'approche matérielle de la répartition des compétences législatives et

réglementaires 30

b. La remise en cause de l'approche matérielle au regard de l'évolution de la

jurisprudence constitutionnelle 30

B / Le pouvoir de législation déléguée 32

1. Les conditions de mise en oeuvre du pouvoir de législation déléguée 32

a. L'autorisation législative 32

b. L'édiction des ordonnances 33

2. Le régime juridique des ordonnances de l'article 75 34

a. De la publication des ordonnances au délai de dépôt de la loi de ratification 34

b. Après l'expiration du délai de dépôt de la loi de ratification 35

Section II : La sanction attachée à la délimitation des compétences 36

Paragraphe 1 : La protection du domaine réglementaire 36

A/ Une protection a priori : l'opposition d'irrecevabilité de l'article 76 36

1. Un accord nécessaire entre les présidents de la République et de l'Assemblée

nationale 37

a. Un moyen de défense invoqué par le président de la République 37

b. Un moyen de défense accepté par le président de l'Assemblée nationale 38

2. La contestation de l'accord entre les présidents de la République et de l'Assemblée

nationale 39

a. La saisine du Conseil constitutionnel par les députés 39

b. Le Conseil constitutionnel, seul juge des décisions d'irrecevabilité 40
B/ Une protection a posteriori : le contrôle de constitutionnalité et le déclassement des lois

40

xiii

1. Le contrôle de constitutionnalité de la loi 40

a. Un moyen curatif de l'empiètement de la loi sur le domaine réglementaire 41

b. Le sort de la loi empiétant sur le domaine réglementaire et déclarée

inconstitutionnelle 42

2. La délégalisation des textes de forme législative 42

a. Un moyen de reclassement des lois adoptées avant la délimitation des domaines

législatif et réglementaire opérée par la Constitution de 2000 43

b. Un moyen de reclassement inexistant à l'égard des lois intervenues après l'entrée

en vigueur de la Constitution de 2000 43

Paragraphe 2 : La protection du domaine législatif 44

A/ Un moyen de protection aléatoire mais efficace : le recours pour excès de pouvoir 44

1. Un véritable contrôle de constitutionnalité des règlements empiétant sur le domaine

législatif 45

a. Un moyen curatif de l'inconstitutionnalité du règlement en raison de son

empiètement sur le domaine législatif 45

b. Un moyen de recours fermé au Parlement mais ouvert aux citoyens 46

2. Le sort du règlement déclaré inconstitutionnel en raison de son empiètement sur le

domaine législatif 47

a. La déclaration d'annulation des règlements empiétant sur le domaine législatif (...)

47

b. (...) entraînant des effets plus prononcés que ceux résultant de la déclaration

d'inconstitutionnalité des lois empiétant sur le domaine réglementaire 47

B/ Les autres moyens de protection du domaine législatif 48

1. La déréglementation de facto des textes de forme réglementaire, moyen politique de

protection du domaine législatif 49

a. Le dépôt et l'adoption d'une proposition de loi sur la matière objet du règlement

contesté 49

b. La réponse du président de la République et ses conséquences 50

2. La théorie de l'incompétence négative du législateur, moyen jurisprudentiel de

protection du domaine législatif 50

a. L'incapacité du législateur à se lier lui-même dans l'exercice de sa compétence

législative 51

b. L'incapacité du législateur à abandonner ou à déléguer sa compétence législative au

président de la République en dehors de tout cadre constitutionnel 51

CHAPITRE II : LA COLLABORATION NÉCESSAIRE DES ORGANES 52

Section I : La collaboration concurrente des organes 52

Paragraphe 1 : Les prérogatives d'initiative 52

xiv

A/ En matière de sessions extraordinaires 53

1. La réunion de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires 53

a. La formulation de la demande par le président de la République ou par les députés

53

b. La convocation par le président de l'Assemblée nationale 54

2. L'inexistence de limites temporelles tenant aux demandes de réunion de l'Assemblée

nationale en sessions extraordinaires et à la durée de celles-ci et ses conséquences 54

a. L'inexistence de limites temporelles tenant aux demandes de réunion de

l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires et à la durée de celles-ci 55

b. Les conséquences de l'inexistence de limites temporelles posées aux demandes de

réunion en sessions extraordinaires et à leur durée 56

B/ En matière législative et constitutionnelle 57

1. En matière d'initiative législative 57

a. Les projets de loi 57

b. Les propositions de loi 58

2. En matière de révision constitutionnelle 59

a. La prise en considération de l'initiative de révision par l'Assemblée nationale

indépendamment de son origine 59

b. L'adoption définitive du texte de révision et l'option ouverte au président de la

République indépendamment de l'origine de l'initiative de révision 60

Paragraphe 2 : Les situations exceptionnelles 61

A/ Une initiative prise par le président de la République 61

1. Les impératifs de l'urgence 61

a. La survenance de circonstances plus ou moins restrictives (...) 62

b. (...) laissées en définitive à l'appréciation du président de la République 62

2. La déclaration par décret en Conseil des ministres 62

a. Une déclaration définissant l'espace territorial concerné 63

b. Une déclaration entraînant des effets exorbitants : la mise en vacances de la légalité

63

B/ Un contrôle exercé par l'Assemblée nationale 64

1. L'autorisation de prorogation accordée par l'Assemblée nationale 64

a. Le contrôle de la durée d'application de la période de la légalité de crise 65

b. La reprise en main par l'Assemblée nationale 65

2. La réunion de plein droit de l'Assemblée nationale 66

a. Une disposition originale 66

b. Une disposition à finalité politique 67

xv

Section II : La collaboration conjointe des organes 67

Paragraphe 1 : Le référendum législatif 67

A/ De larges possibilités ouvertes au président de la République 68

1. Un domaine vaste et imprécis (...) 68

a. Un objet défini de façon vague et imprécise 68

b. Une étendue immense de l'objet en cause 69

2. (...) mais limité à l'adoption d'une loi ordinaire 69

a. L'impossibilité d'adopter une loi constitutionnelle 69

b. L'impossibilité d'adopter une loi organique 70

B/ Les garanties de l'Assemblée nationale 71

1. La reconnaissance de garanties à l'Assemblée nationale 71

a. Une consultation obligatoire du bureau de l'Assemblée nationale (...) 71

b. (...) ne liant pas le président de la République 71

2. La faiblesse des garanties reconnues à l'Assemblée nationale 72

a. L'initiative référendaire, prérogative exclusive du pouvoir exécutif 72

b. Le moment de la consultation référendaire 73

Paragraphe 2 : Les traités et accords internationaux 74

A/ Le rôle du président de la République en matière d'engagements internationaux 74

1. La distinction entre traités et accords internationaux 74

a. Une distinction simple entre traités soumis à ratification et accords internationaux

non soumis à ratification 74

b. Une distinction rendue complexe par l'existence d'une catégorie hybride d'accords

internationaux 75

2. La négociation, la signature et la ratification ou l'approbation des traités et accords

internationaux, actes du président de la République 76

a. La négociation des traités et des accords internationaux 76

b. La signature et la ratification ou l'approbation des traités et des accords

internationaux 77

B/ L'intervention de l'Assemblée nationale 78

1. Les cas d'autorisations préalables par une loi 78

a. Des seuls engagements internationaux visés à l'article 85 (...) 78

b. (...) à tous les engagements internationaux soumis à ratification par l'effet de la loi

du 5 août 1978 79

2. La saisine du Conseil constitutionnel 80

a. La voie de l'article 86 80

xvi

b. La voie de l'article 95.2 81

DEUXIÈME PARTIE : LE DÉSÉQUILIBRE RÉEL ENTRE LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LE POUVOIR

LÉGISLATIF 83

CHAPITRE I : L'HÉGÉMONIE DU POUVOIR EXÉCUTIF 84

Section I : Les moyens d'action efficaces sur le Parlement 84

Paragraphe 1 : Le droit d'information et le pouvoir de participation 85

A/ Le droit d'information sur le bureau et la conférence des présidents 85

1. Le fait politique du droit d'information 85

a. Le poids du parti présidentiel majoritaire dans la composition du bureau 85

b. Le poids du parti présidentiel majoritaire dans la composition de la conférence

des présidents 86

2. Le fait institutionnel du droit d'information et ses conséquences 87

a. L'institutionnalisation du droit d'information 87

b. Un droit de regard de facto 87

B/ Le droit d'information et le pouvoir de participation sur les travaux des commissions 88

1. La cause politique du droit d'information sur les commissions 89

a. La domination du parti présidentiel majoritaire dans la composition des

commissions permanentes 89

b. La domination du parti présidentiel majoritaire dans la composition des

commissions spéciales 90

2. Le fait institutionnel du droit d'information et du pouvoir de participation et leurs

conséquences 91

a. Le fait institutionnel du droit d'information et du pouvoir de participation 91

b. Les conséquences du droit d'information et du pouvoir de participation : un pouvoir

d'orientation des travaux des commissions 92

Paragraphe 2 : Le pouvoir d'intervention 93

A/ Dans le domaine législatif 93

1. Le veto présidentiel 93

a. Une demande de seconde délibération en apparence 93

b. Un droit de veto présidentiel en réalité 94

2. La promulgation 96

a. Une compétence liée du président de la République 96

b. Une compétence essentielle à la validité de la loi 97

B/ Dans le domaine budgétaire et le pouvoir de substitution 98

1. Le vote du budget, prérogative essentielle de l'Assemblée nationale 98

a. Le budget, acte gouvernemental essentiel 98

xvii

b. L'autorisation préalable du budget, forme capitale du contrôle parlementaire 99

2. La dépossession de l'Assemblée nationale du vote du budget 99

a. La mise en vigueur du projet de loi de finances par ordonnance budgétaire 99

b. L'établissement définitif du projet de loi de finances par ordonnance budgétaire 100

Section II : La concentration des pouvoirs en période de crise : les pouvoirs exceptionnels 101

Paragraphe 1 : L'appréciation exclusive, discrétionnaire et souveraine de la réalisation des

conditions de mise en oeuvre de l'article 48 par le président de la République 102

A/ Les conditions de forme ou... de simples formalités 102

1. La consultation obligatoire de certaines autorités 102

a. Une difficulté d'interprétation certes (...) 102

b. (...) mais ne touchant pas au pouvoir discrétionnaire du président de la République

103

2. Le message à la Nation 104

B/ Les conditions de fond, des conditions libéralement interprétées 104

1. L'énonciation théorique des conditions de fond 104

a. La survenance de certaines circonstances exceptionnelles 105

b. L'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels 106

2. L'appréciation pratique des conditions de fond par le président de la République 107

a. L'appréciation de la condition relative à la survenance de circonstances

exceptionnelles 107

b. L'interprétation de la condition relative à l'interruption du fonctionnement régulier

des pouvoirs publics constitutionnels 108

Paragraphe 2 : La portée des pouvoirs exceptionnels en période de crise 109

A/ L'étendue immense des pouvoirs exceptionnels 109

1. Les pouvoirs visés par l'article 48 109

a. Des pouvoirs très étendus ( ) 110

b. (...) mais quelque peu limités 111

2. La suspension des règles constitutionnelles 112

a. La maîtrise de la durée d'application de l'article 48 112

b. La régulation des rapports entre les pouvoirs publics pendant l'application de

l'article 48 113

B/ La faiblesse du contrôle de l'exercice des pouvoirs exceptionnels 114

1. L'illusion du contrôle politique 114

a. La réunion de plein droit de l'Assemblée nationale 114

b. La réduction des pouvoirs de l'Assemblée nationale 114

xviii

2. L'insuffisance du contrôle juridictionnel 115

a. La décision d'user de l'article 48, acte de gouvernement insusceptible de recours

contentieux 116

b. Le contrôle des seules décisions de nature réglementaire et des mesures

individuelles d'application 117

CHAPITRE II : L'ABAISSEMENT DU POUVOIR LÉGISLATIF 118

Section I : Le cantonnement du Parlement dans un domaine d'action étroit 118

Paragraphe 1 : Le mode de délimitation des compétences 118

A/ L'inversion de l'équilibre dans les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir

législatif au détriment du second 118

1. D'un domaine illimité d'attributions (...) 118

a. Un domaine illimité et exclusif d'intervention au profit d'un Parlement souverain

119

b. Un domaine limité et dérivé concédé à un exécutif subordonné 120

2. (...) à un domaine limité d'attributions du pouvoir législatif 121

a. Un domaine réservé mais restreint octroyé au Parlement 121

b. Le Conseil constitutionnel, gardien traditionnel du cantonnement du Parlement

dans son domaine réservé 122

B/ L'incertitude d'une nouvelle inversion de l'équilibre dans les rapports entre le pouvoir

législatif et le pouvoir exécutif au profit du premier 123

1. La non-transposition de la jurisprudence constitutionnelle française extensive des

compétences du législateur 123

a. Une transposition souhaitable 124

b. Une transposition non effective 125

2. La fermeture des autres voies d'extension des compétences législatives 126

a. L'impossibilité d'étendre l'énumération de l'article 71 par une loi 126

b. L'incertitude de l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine

réglementaire 127

Paragraphe 2 : Le caractère unilatéral des mécanismes de protection des compétences 128

A/ Une protection rigoureuse du domaine réglementaire 128

1. Une protection préventive : l'opposition d'irrecevabilité 128

a. L'opposition d'irrecevabilité, soulevée par le président de la République 128

b. La saisine du Conseil constitutionnel en cas de désaccord 129

2. Une protection a posteriori 130

a. La déclassement des dispositions matériellement réglementaires des lois

intervenues avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000 130

xix

b. La déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions matériellement réglementaires des lois postérieures à l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000

131

B/ Une protection incertaine du domaine législatif 132

1. L'inexistence de moyens constitutionnels de protection du domaine législatif aux

mains des députés 132

a. L'inexistence d'une protection préventive contre les projets de décrets

réglementaires empiétant sur le domaine législatif 133

b. L'inexistence de la possibilité de déférer les décrets réglementaires empiétant sur le domaine législatif à la censure du Conseil constitutionnel et du déclassement de ces

règlements 134

2. Une protection par des voies indirectes et détournées 134

a. La saisine éventuelle de la chambre administrative par la voie d'un recours pour

excès de pouvoir 135

b. La procédure de déréglementation de facto : la proposition de loi sur la matière

objet du règlement contesté 136

Section II : Les initiatives bridées 136

Paragraphe 1 : Au plan législatif 136

A/ L'entrave politique aux propositions de lois émanant des députés de la majorité et de

l'opposition 137

1. Le fait majoritaire et la discipline de parti au sein de la majorité parlementaire 137

a. Une quasi-inexistence de propositions de lois émanant des députés de la majorité

137

b. Les propositions de lois émanant des députés de l'opposition, des propositions

mort-nées 138

2. Les conséquences du fait majoritaire sur le prestige de l'Assemblée nationale 139

a. Un faible taux des propositions de lois dans la production législative 139

b. Le ravalement de l'Assemblée nationale au rang de faire-valoir du président de la

République 140

B/ Les entraves institutionnelles spécifiques aux propositions de lois émanant des députés

de l'opposition 141

1. Les irrecevabilités, entraves institutionnelles majeures aux propositions de lois 141

2. D'autres entraves institutionnelles aux propositions de lois 142

a. L'article 56, alinéa 1 du règlement de l'Assemblée nationale 142

b. L'article 56, alinéa 2 du règlement de l'Assemblée nationale 143

Paragraphe 2 : Au plan financier 143

A/ Les restrictions aux initiatives parlementaires en matière financière 144

xx

1. La suppression de principe de l'initiative parlementaire en matière de dépenses 144

a. Une suppression générale et absolue (...) 144

b. (...) sans possibilité de contestation à la disposition des députés 145

2. L'interdiction des cavaliers budgétaires 146

a. Une mesure se justifiant sur le plan technique ( ) 146

b. (...) mais privant l'Assemblée nationale d'un moyen de pression sur le pouvoir

exécutif 147

B/ Le déficit de contrôle parlementaire en matière financière 148

1. L'insuffisance du délai de délibération sur le projet de loi de finances 148

a. Un délai destiné à assurer l'adoption de la loi de finances avant le début de

l'exercice budgétaire 148

b. Un délai illusoire pour l'examen d'un dossier aussi complexe 149

2. La restriction des principes budgétaires dans la présentation du budget de l'État 149

a. Les incidences vertueuses du respect des principes budgétaires sur le contrôle

parlementaire 149

b. Les incidences négatives de certaines dérogations aux principes budgétaires sur le

contrôle parlementaire 150

CONCLUSION 152

BIBLIOGRAPHIE i






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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand