UNIVERSITÉ ALASSANE OUATTARA
UNITÉ DE FORMATION ET DE RECHERCHE DES SCIENCES
JURIDIQUE,
ADMINISTRATIVE ET DE GESTION
MÉMOIRE
en vue de l'obtention du Master 2 Droit public
LES RAPPORTS ENTRE LE POUVOIR
EXÉCUTIF ET LE POUVOIR LÉGISLATIF
EN CÔTE D'IVOIRE
présenté et soutenu publiquement le 23
décembre 2014 par
Boubacar GUISSÉ
Directeur de mémoire : Yédoh
Sébastien LATH
Agrégé des facultés de droit,
maître de conférences à l'Université Félix
Houphouët-Boigny (Abidjan)
Co-directeur de mémoire : Karim DOSSO
Maître-assistant, directeur de l'UFR
Sciences juridique, administrative et de gestion à
l'Université Alassane Ouattara (Bouaké)
Membres du jury :
Abraham Yao GADJI
Professeur à la faculté de droit de
l'Université Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan
(Président de jury)
Karim DOSSO
Maître-assistant à la faculté de droit de
l'Université Alassane Ouattara de Bouaké (premier assesseur)
Agnéro Privat MEL
Assistant à la faculté de droit de
l'Université Alassane Ouattara de Bouaké (second assesseur)
ANNÉE ACADÉMIQUE : 2013-2014
A mon défunt père, A ma chère mère,
A mes soeurs et frères, A toute ma famille, A Saida Ounissi, A mes
maîtres, A mes amis.
REMERCIEMENTS
La présente étude a été
essentiellement entreprise à Bouaké, aux bibliothèques de
l'Université Alassane Ouattara.
Elle est l'aboutissement de mois de travail auxquels un
certain nombre de personnes ont contribué.
Nos pensées vont au professeur Yédoh
Sébastien Lath dont la rigueur, l'exceptionnelle disponibilité et
les conseils précieux ont constitué des atouts essentiels dans le
parachèvement de cette étude.
Nos pensées vont également au directeur de
l'Unité de formation et de recherche (UFR) des sciences juridique,
administrative et de gestion, le docteur Karim Dosso, pour l'ensemble de ses
conseils éclairés, ses encouragements stimulants et sa grande
magnanimité.
Nous remercions également le professeur Nanga
Silué, directeur des Masters 2, pour le travail abattu tout au long de
ces mois et les docteurs Agnéro Privat Mel et Aboubacar Sidiki
Diomandé pour toute l'aide inestimable qu'ils ont bien voulue nous
donner dans le perfectionnement de ce travail.
Mes pensées vont enfin, et tout
particulièrement, à ma famille ainsi qu'à mes amis et mes
proches pour leur soutien sans faille, leur aide et leurs encouragements.
vii
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
I. DÉLIMITATION DU SUJET 3
II. DÉTERMINATION DU PROBLÈME DE DROIT 7
III. INTÉRÊTS SCIENTIFIQUE ET PRATIQUE DU SUJET
9
IV. MÉTHODOLOGIE 11
V. PLAN DE NOTRE MÉMOIRE 12 PREMIÈRE
PARTIE : L'ÉQUILIBRE FORMEL ENTRE LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LE
POUVOIR LÉGISLATIF
14
CHAPITRE I : LA DÉLIMITATION MATÉRIELLE DES
COMPÉTENCES 15
Section I : Le domaine respectif des compétences 16
Section II : La sanction attachée à la
délimitation des compétences 36
CHAPITRE II : LA COLLABORATION NÉCESSAIRE DES ORGANES
52
Section I : La collaboration concurrente des organes 52
Section II : La collaboration conjointe des organes 67
DEUXIÈME PARTIE : LE DÉSÉQUILIBRE
RÉEL ENTRE LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LE POUVOIR
LÉGISLATIF 83
CHAPITRE I : L'HÉGÉMONIE DU POUVOIR EXÉCUTIF
84
Section I : Les moyens d'action efficaces sur le Parlement 84
Section II : La concentration des pouvoirs en période de
crise : les pouvoirs exceptionnels 101
CHAPITRE II : L'ABAISSEMENT DU POUVOIR LÉGISLATIF 118
Section I : Le cantonnement du Parlement dans un domaine d'action
étroit 118
Section II : Les initiatives bridées 136
CONCLUSION 152
INTRODUCTION
2
« Le régime présidentiel est
réputé fondé sur la séparation, stricte, des
pouvoirs ; il est donné comme caractérisé par
l'égalité et l'équilibre des organes »1.
La séparation stricte des pouvoirs signifie, qu'à
côté du pouvoir législatif détenant le monopole de
l'initiative législative et la pleine maîtrise de la
procédure législative, existe un président de la
République disposant, quant à lui, pleinement du pouvoir
exécutif2 ; ces deux pouvoirs existent indépendamment
l'un de l'autre et ne disposent pas de moyens d'actions réciproques : le
Parlement ne peut renverser le Gouvernement et le Président ne peut
dissoudre le Parlement3.
Il est, en outre, caractérisé par le mode
d'élection -au suffrage universel- du président de la
République. C'est cette élection au suffrage universel -au
même titre que l'organe législatif donc- qui lui confère
une légitimité et un prestige semblables à ceux dont jouit
l'Assemblée4. Car toute autre solution ne contribuerait
qu'à l'affaiblir vis-vis de la représentation nationale et
à en faire un Chef d'État parlementaire, c'est-à-dire
dépourvu de tout pouvoir5. Il faudrait enfin ajouter aux
critères du régime présidentiel le monocéphalisme
de l'exécutif : le président de la République
détient à titre exclusif le pouvoir
exécutif6.
C'est ce régime présidentiel que prétend
établir la Constitution de 2000 à l'alinéa 7 de son
préambule : « (le peuple de Côte d'Ivoire)... exprime son
attachement aux valeurs démocratiques reconnues à tous les
peuples libres, notamment (...) la séparation et l'équilibre
des pouvoirs... ». Plusieurs éléments du texte
constitutionnel vont clairement en ce sens : l'élection au suffrage
universel direct du président de la République (art. 35), le
caractère exclusif du pouvoir exécutif qu'il détient
-renforcé par la responsabilité du Gouvernement devant lui (art.
41), l'affirmation du principe de l'irrévocabilité mutuelle des
pouvoirs, c'est-à-dire l'inexistence du droit de dissolution reconnu au
président de la
1 Francis V. WODIÉ, Institutions
politiques et droit constitutionnel en Côte d'Ivoire, Abidjan,
P.U.C.I., 1996, p. 191.
2 Ce n'est que par commodité que nous
continuons à désigner par le terme de « pouvoir
exécutif » une autorité, le président de la
République, qui, aux termes de l'article 50 de la Constitution,
détermine et conduit la politique de la Nation. La fonction
présidentielle va bien au-delà de la traditionnelle
exécution des lois du Parlement (Yédoh S. LATH,
Systèmes politiques contemporains, Abidjan, ABC, 2013, p. 208).
3 Maurice DUVERGER, Institutions politiques et
droit constitutionnel, 10e éd., Paris, P.U.F., 1968, p.
152 ; Obou OURAGA, Droit constitutionnel et sciences politiques,
3e éd., Abidjan, Les éditions ABC, 2007, p. 66 ;
etc.
4 Georges BURDEAU, Droit constitutionnel et
Institutions politiques, 18e éd., Paris, L.GD.J., 1977,
p. 181 ; Maurice DUVERGER, op.cit., p. 181 ; Marcel PRÉLOT,
Institutions politiques et droit constitutionnel, 5e
éd., Paris, Dalloz, 1971, p. 87 ; Pierre PACTET et Ferdinand
MELIN-SOUCRAMANIEN, Institutions politiques et droit constitutionnel,
31e éd., Paris, Dalloz-Sirey, 2012, p. 152.
5 Georges BURDEAU, op.cit., p. 180-181 ;
etc.
6 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., p. 152 ; Obou OURAGA, op.cit., p. 66 ; etc.
3
République et la contrepartie de ce droit de
dissolution aux mains du Parlement de renverser le Gouvernement,
etc.7.
Le président de la République et
l'Assemblée nationale entretiennent pourtant dans ce régime
présidentiel des rapports étroits, très proches des
rapports de type parlementaire. Il s'agit notamment de rapports de
collaboration, qui se manifestent tout particulièrement à
l'occasion de l'élaboration de la loi8. Il est, à cet
égard, important de garder à l'esprit que la Constitution de 2000
-comme toutes celles qui ont régi nos institutions jusqu'à nos
jours9-emprunte énormément à la Constitution
française du 4 octobre 1958 qui établit -nous le savons- un
régime parlementaire, quoique très
rationalisé10. Or, comme l'écrit Maurice Duverger :
« Techniquement, régime parlementaire et
séparation des pouvoirs sont deux choses différentes. En
régime parlementaire, les organes collaborent et les fonctions sont
mélangées : Gouvernement et Parlement ont des moyens d'action
réciproques ; lois et règlements ne sont pas confinés dans
des domaines rigoureusement délimités, mais interfèrent
dans les mêmes matières. Au contraire, les régimes de
séparation des pouvoirs se caractérisent par un double effort
d'isolement des organes et de délimitation des fonctions
»11.
De cette constatation, il est autorisé de penser que la
Constitution de 2000 établit un régime hybride : dans le cadre
d'un régime présidentiel, elle introduit des
éléments de collaboration des pouvoirs.
C'est dans le cadre de ce régime présidentiel
atypique que s'inscrit l'objet de notre étude, à savoir les
rapports entre les pouvoir exécutif et législatif en Côte
d'Ivoire.
I. DÉLIMITATION DU SUJET
7 La volonté de certains de doter la
Côte d'Ivoire d'un régime parlementaire ou même de type
mixte lors la rédaction de la Constitution de 2000 n'a d'ailleurs pas
été retenue. Les rédacteurs de la Constitution de 2000 ont
clairement voulu confirmer le régime présidentiel de la
Constitution de 1960.
8 Initiative des lois partagée entre le
Président et l'Assemblée nationale (art. 42.1),
prérogatives aux mains de l'exécutif dans la procédure
législative telle que l'opposition d'irrecevabilité (art. 76 et
art. 78.2), la saisine du Conseil constitutionnel (art. 95.2), la demande de
seconde délibération (art. 42.3), la promulgation des lois (art.
42.1), etc.
9 La constitution du 26 mars 1959, celle du 3 novembre
1960 et enfin celle du 1er août 2000.
10 Les rapports entre la Constitution
française de 1958 et la plupart des Constitutions des ex-colonies
françaises (Maurice A. GLÉLÉ, « La Constitution ou
Loi fondamentale », in Encyclopédie juridique de
l'Afrique, Abidjan-Dakar-Lomé, Les Nouvelles éditions
africaines, tome I, 1989, pp. 21-52).
11 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 512.
4
Si la notion de pouvoir législatif ne pose pas
tellement de problème en ce que le pouvoir législatif est sans
conteste détenu et exercé par l'Assemblée nationale, celle
de pouvoir exécutif doit être précisée. Jusqu'en
1990, le président de la République a cumulé les fonctions
de Chef de l'État et de chef de Gouvernement réalisant le
monocéphalisme de l'exécutif12. A la suite de la
révision constitutionnelle du 6 novembre 1990, il est institué un
poste de Premier ministre : on est ainsi passé du monocéphalisme
au bicéphalisme13. Cette réforme constitutionnelle
dont Obou Ouraga écrit, à juste titre, qu'elle se justifie
difficilement dans un régime présidentiel -d'autant plus que le
Premier ministre est formellement désigné comme le chef de
Gouvernement14- sera pourtant réaffirmée dans la
Constitution de 200015. Mais la distance est grande entre le droit
et le fait. En droit, il y a un commencement de partage du pouvoir
exécutif entre le président de la République et son
Premier ministre. Celui-là ne peut, en effet, nommer les autres membres
du Gouvernement et mettre fin à leurs fonctions que sur proposition de
celui-ci ; le président de la République ne jouit plus d'un
pouvoir discrétionnaire et inconditionné en matière de
formation du Gouvernement et de révocation des ministres, ce pouvoir
étant désormais subordonné à une proposition faite
par le Premier ministre. Il en résulte que le pouvoir de nomination et
de révocation aux mains du président de la République peut
être paralysé par le pouvoir de proposition aux mains du Premier
ministre16. Mais en fait, nous pouvons en douter : politiquement on
voit mal comment le Premier ministre refuserait de faire la proposition de
nomination d'une personnalité au sein du Gouvernement ou de
révocation d'un ministre si le président de la République
le lui demandait. Nous pouvons en douter d'autant plus que la situation du
Premier ministre s'est précarisée depuis l'avènement de la
seconde République : la Constitution ne dit plus, en effet, que le
président de la République met fin aux fonctions du Premier
ministre « sur présentation par celui-ci de la démission
du Gouvernement »17. Il en découle que le sort du
Premier ministre -et partant celui du Gouvernement dans son ensemble-
dépend désormais
12 Le président de la République est,
aux termes de l'article 12 de la Constitution de 1960, « le
détenteur exclusif du pouvoir exécutif » ; celui-ci
n'est donc nullement partagé avec un Premier ministre qui n'existe
d'ailleurs pas à cette époque (avant 1990).
13Loi constitutionnelle n° 90-1529 du 6
novembre 1990 portant modification des articles 11, 12 et 24 de la Constitution
du 3 novembre 1960, Journal officiel, numéro spécial,
n° 43 du mercredi 7 novembre 1990, p. 379.
14 L'article 41.2 de la Constitution de 2000
désigne le Premier ministre comme le chef du gouvernement.
15 Obou OURAGA, op.cit., p.139.
16 Francis V. WODIÉ, op.cit.,
p.130.
17 L'article 12.2 de la Constitution de 1960
était ainsi écrit : « Le président de la
République nomme le Premier ministre, chef du Gouvernement, qui est
responsable devant lui. Il met fin à ses fonctions sur
présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement
». Il en découlait en conséquence que le
président de la République ne pouvait mettre fin aux fonctions du
Premier ministre que sur présentation, par ce dernier, de la
démission du Gouvernement. Mais sur ce point également, le droit
avait peu de chances de s'appliquer car le Président pouvait toujours,
en fait, contraindre à la démission le Premier ministre et son
Gouvernement.
5
tout entier -sur le plan juridique même- du
président de la République18. Sur ce point, le droit a
rejoint la réalité : si, d'aventure, le Premier ministre refusait
de proposer la révocation d'un ministre ou la nomination d'une
personnalité au Gouvernement, le président de la
République mettrait tout simplement fin à ses fonctions (art.
41.2 de la Constitution de 2000).
D'autre part, la qualité de chef de Gouvernement
reconnue au Premier ministre est vide de toute substance. Tout au plus, la
Constitution lui reconnaît un rôle d'animation et de coordination
de l'action gouvernementale (art. 41.2), une faculté de
suppléance du président de la République (art. 53.2) et,
enfin, la possibilité -seulement si le Président le veut bien- de
se voir déléguer certains des pouvoirs de celui-ci. Mais cette
possibilité est limitée dans le temps et dans la matière
(art. 53.3) et il n'est plus le seul du reste à pouvoir en
bénéficier19.
Contrairement à ses homologues des régimes
semi-présidentiels africains, le Premier ministre ivoirien -et pas plus
que le Gouvernement qu'il dirige- ne dispose donc pas de pouvoirs propres. Dans
le régime établi par la Constitution malienne du 25
février 1992, c'est le Gouvernement -instance collégiale
distincte du président de la République- qui détermine et
conduit la politique de la Nation, dispose de l'administration et de la force
armée (art. 53)20 et c'est le Premier ministre qui, en plus
de suppléer le président de la République à la
présidence des conseils et comités supérieurs de
défense nationale (art. 55.4) et à la présidence du
Conseil des ministres (art. 55 in fine), dirige et coordonne l'action
gouvernementale (art. 55.1), assure l'exécution des lois et dispose du
pouvoir réglementaire commun et est responsable de l'exécution de
la politique de défense nationale (art. 55.2), etc. D'autre part, le
Gouvernement et le Premier ministre prennent une part très active dans
l'élaboration de la loi ordinaire et ont en charge la préparation
et l'exécution des lois de finances : initiative des lois et droit
d'amendement (art. 75.1, 76, etc.), saisine de la Cour constitutionnelle (art.
88, 89.2, etc.), etc. Il en résulte que le Premier ministre malien et
son
18 Il convient de faire ici une mise au point :
techniquement, la démission du Gouvernement -qui est
liée au fait que le président de la République mette fin
aux fonctions du Premier ministre- est différente de la
révocation des ministres. Tandis que la démission du
Gouvernement est collective et entraîne nécessairement avec elle
le départ du Premier ministre, la révocation des ministres est
individuelle et n'a pas d'incidence sur le sort de celui-ci.
19 Aux termes de l'article 53.1 de la Constitution
de 2000 en effet : « Le président de la République peut, par
décret, déléguer certains de ses pouvoirs aux membres du
Gouvernement ». Sous l'empire de la Constitution de 1960, cette
possibilité offerte au Président de déléguer
certains de ses pouvoirs était expressément limitée au
Premier ministre (art. 24.1). Le pouvoir de délégation s'est par
conséquent élargi du Premier ministre à tous les ministres
; il en résulte que le Premier ministre apparaît de plus en plus
comme un ministre parmi d'autres.
20 De manière générale, toutes
les compétences exercées en Conseil des ministres appartiennent
en fait au Gouvernement : le décret d'état d'urgence et
d'état de siège (art. 76), les ordonnances (art. 74.2), les
projets de lois (art. 75), etc.
6
Gouvernement forment avec le président de la
République un véritable bicéphalisme à la
tête de l'exécutif21.
Le bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien est
une illusion. Comment pouvait-il en être autrement dans un régime
présidentiel ? L'institution d'un Premier ministre n'apparaît, en
définitive, que comme un emprunt -parmi d'autres, nous l'avons
déjà fait observer- à une Constitution établissant
un régime de type parlementaire -la Constitution française du 4
octobre 1958. Mais cet emprunt s'arrête à la simple
désignation et ne touche pas au fond : le Premier ministre
français est doté de pouvoirs propres et le Premier ministre
ivoirien reste « primus inter pares »22. Ou alors
l'institution primo-ministérielle n'apparaît que comme purement
accidentelle dans notre histoire constitutionnelle23. Quoiqu'il en
soit, c'est le président de la République qui détient
entre ses mains la réalité du pouvoir exécutif et c'est
lui qui exerce chacune des compétences que nous avons vu détenir
et exercer le Premier ministre et le Gouvernement d'un régime
semi-présidentiel24. C'est lui qui -sans être
formellement désigné comme tel- exerce sans aucune concurrence
toutes les prérogatives du chef de Gouvernement25. Comme le
fait observer Francis Wodié à propos de la situation sous la
première République -mais l'observation vaut parfaitement pour la
seconde- le fait que la Constitution désigne et qualifie toujours le
président de la République détenteur exclusif du
pouvoir exécutif dit tout26.
C'est cette réalité qui justifie que nous ayons
-dans le cadre de cette étude relative aux rapports entre les pouvoirs
exécutif et législatif en Côte d'Ivoire- fait abstraction
du Premier
21 Le président de la République
malien nomme le Premier ministre et, sur présentation par celui-ci de la
démission du Gouvernement, met fin à ses fonctions (art. 38.1).
C'est sur proposition du Premier ministre qu'il nomme les autres membres du
Gouvernement et met fin à leurs fonctions (art. 38.2). Cependant, comme
le Gouvernement est responsable devant l'Assemblée nationale et non
devant le Président (art. 54), celui-ci ne peut librement
procéder ni à la nomination du Premier ministre et des ministres
ni à leur révocation : il doit tenir compte de la majorité
à l'Assemblée nationale. Il en résulte un
bicéphalisme réel : le président de la République
ne pourrait déterminer la politique nationale et la mettre en oeuvre que
s'il est soutenu par la majorité ; dans le cas contraire, il y a
cohabitation et l'effectivité du pouvoir exécutif est
transférée au Premier ministre.
22 Littéralement « premier parmi les
pairs > : le Premier ministre ivoirien « préside > le
Gouvernement sans avoir de pouvoirs propres ; il n'exerce que des fonctions de
représentation (Yédoh S. LATH, op.cit., p. 211).
23 Le 1er Premier ministre, Alassane
Ouattara, fut nommé dans un contexte de crise politique et
socio-économique aigüe aggravée par la maladie du
président de la République, Houphouët-Boigny : il fit alors
office de véritable chef de l'exécutif.
24 Dans la Constitution de 2000, le
président de la République, détenteur exclusif du pouvoir
exécutif (art. 41.1), continue tout naturellement à
déterminer et à conduire la politique de la nation (art. 50),
à disposer de l'initiative législative (art. 42.1), à
être doté du pouvoir réglementaire (art. 42.1, 44, 72),
à être le chef de l'administration et à nommer aux emplois
civils et militaires (art. 46), le chef suprême de l'armée (art.
47), etc.
25 Voir note précédente.
26 Francis V. WODIÉ, op.cit., p.
135.
7
ministre et du Gouvernement27. Il n'y a même
pas à proprement parler de Gouvernement28, puisque les
ministres ivoiriens ne forment pas un organe collégial et solidaire,
ayant des tâches et des responsabilités propres : nommés
individuellement et étant tout aussi individuellement responsables
devant le Président, ils sont des collaborateurs individuels de
celui-ci. Ils sont, en effet, chargés de mettre en oeuvre sa politique,
chacun en ce qui le concerne et pour les tâches qui lui sont
confiées. Dans le droit constitutionnel étatsunien, on parle
précisément de secrétaires d'État29.
Quand le Premier ministre ou tout autre ministre rentre en relation avec
l'Assemblée nationale, c'est, en définitive, en tant
qu'auxiliaire ou délégataire du président de la
République de sorte que la substance des rapports entre organes
exécutif et législatif se situe en vérité entre le
président de la République et l'Assemblée nationale.
II. DÉTERMINATION DU PROBLÈME DE DROIT
Mais le régime présidentiel suppose alors
qu'entre le Président ivoirien et l'Assemblée nationale,
détentrice du pouvoir législatif, s'établissent
séparation (spécialisation fonctionnelle et indépendance
organique) et équilibre30. Dans la théorie
générale même du régime présidentiel, la
séparation peut n'être guère absolue31. On peut
ainsi noter un certain empiètement des différents organes sur
leurs fonctions réciproques : l'Assemblée nationale ivoirienne
peut influer sur la fonction exécutive par les prérogatives
qu'elle détient en matière budgétaire et diplomatique
(art. 71) et le président de la République intervient dans la
27 Il ne saurait en effet être question, dans
le cadre du régime présidentiel ivoirien, de rapports entre le
Gouvernement -stricto sensu- et l'Assemblée nationale.
28 Stricto sensu, un Gouvernement n'existe que dans
un régime parlementaire ou semi-parlementaire
(semi-présidentiel). Il suggère l'idée d'un organe
collégial solidairement responsable devant l'organe législatif et
distinct du Président, chef de l'État. Ainsi dans les
Constitutions africaines établissant un régime
semi-présidentiel soit un titre est consacré au Gouvernement
(titre IV des Constitutions du Mali et du Sénégal) soit sous un
même titre, différentes sections sont consacrées au
président de la République et au Gouvernement (titre III
intitulé : « Du pouvoir exécutif » et sections 1 et 2
respectivement consacrées au président de la République et
au Gouvernement dans la Constitution nigérienne). Au contraire, la
Constitution ivoirienne ne consacre pas un titre spécifique au Premier
ministre ou au Gouvernement ; le titre III consacré est ainsi
intitulé : « Du président de la République et du
Gouvernement » tandis que le titre IV est intitulé : « Du
Parlement » ; ce qui démontre que le « Gouvernement » est
simplement un outil chargé de mettre en oeuvre la politique
présidentielle.
29 Le Président des États-Unis
recueille simplement l'avis de ses secrétaires d'État : mais
c'est lui qui décide, et pas toujours suivant l'opinion de ceux-ci.
Rappelons le mot célèbre de Lincoln, seul de son opinion du
Cabinet : « sept non, un oui : les oui l'emportent ».
30 Francis HAMON et Michel TROPER, Droit
constitutionnel, 33e éd., Paris, L.G.D.J., 2012, p. 120
; Carl SHMITT, Théorie de la Constitution (traduit de
l'allemand Verfassungslehre par Lilyane Deroche), Paris, P.U.F., 1993,
p. 321-336.
31 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 179 ; Pierre
PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 153.
8
fonction législative par le pouvoir
réglementaire, c'est-à-dire le pouvoir de faire des actes de
portée générale et impersonnelle pour compléter et
préciser les lois adoptées par l'Assemblée nationale (art.
41.1, 44, 72). On peut même voir apparaître certains moyens
d'action des organes l'un sur l'autre, qui sont autant d'atteintes à
leur indépendance : il s'agit de moyens structurels permettant à
un organe d'agir sur l'autre32. On peut ainsi partir de l'initiative
des lois reconnue au président de la République, de son droit de
veto suspensif33 jusque, dans certains régimes politiques
étrangers, à un droit de dissolution de
l'Assemblée34 ou à une procédure de destitution
du Président (impeachment, en droit constitutionnel
étatsunien)35. Ces assouplissements
s'avèrent nécessaires car des difficultés
institutionnelles et politiques graves résulteraient d'une conception
intransigeante de la séparation des pouvoirs : paralysie politique, coup
d'État, etc.36.
Mais le régime présidentiel -contrairement
à ce que l'on pourrait être amené à croire-exige
toujours qu'une égalité existe et qu'un équilibre soit
maintenu entre les organes exécutif et législatif. Aucune
atténuation ne peut être apportée à cette formule
sans, du même coup, conduire à une déformation : si
l'équilibre des pouvoirs est rompu au profit du seul Président,
on aboutirait de fait à une semi-dictature, à ce régime
que d'aucuns ont qualifié de présidentialiste37. Ainsi
l'autorité immense détenue par le Président devrait
être nécessairement contrebalancée et freinée par de
véritables pouvoirs aux mains de l'Assemblée
32 Il faut donc mettre à part l'action d'un
organe sur un autre par l'exercice de sa propre fonction : par une loi,
l'Assemblée nationale peut orienter l'autorité de
l'exécutif et par un acte de portée individuelle ou un acte
matériel, le Président peut avoir une influence sur
l'Assemblée.
33 Le président de la République dispose
de l'initiative des lois (art. 42.1) et du veto suspensif (art. 42.3).
34 Certaines Constitutions africaines
établissant un régime présidentiel reconnaissent cependant
un droit de dissolution de l'Assemblée nationale au président de
la République : Constitution du Burkina-Faso (art. 50), de la
Guinée (art. 43), etc. On peut alors se demander si un tel régime
est encore réellement présidentiel car il crée un
déséquilibre entre les organes.
35 L'article II, section 4 de la Constitution des
États-Unis dispose : « Le président, le
vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis
seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation
pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs ».
36 Georges BURDEAU, op.cit., p. 181 ;
Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 153 ; Obou
OURAGA, op.cit., p.66.
37 Martin Djézou BLÉOU, « Le
système constitutionnel ivoirien », in Common law et
Constitutions d'Afrique et d'Haïti, Université de Moncton,
Canada, 1996, p. 114 ; Jean BUCHMANN, L'Afrique noire indépendante
(c'est lui qui inventa le terme de « présidentialisme »)
; Mamadi KOUROUMA, Etude du présidentialisme en Afrique noire
francophone à partir des exemples guinéen et ivoirien,
Thèse droit public, Paris, Université de Droit,
d'économie et de sciences sociales (Paris 2), 1978, p. 16 ;
Dimitri-Georges LAVROFF et Gustave PEISER, Les Constitutions africaines :
l'Afrique occidentale, Paris, Pédone, 1961, p. 24 ; Obou OURAGA,
op.cit., p. 67 ; Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO,
« Faire et défaire la Constitution en Côte d'Ivoire, un
exemple d'instabilité chronique », Draft paper presented at
African Network of Constitutionnal Law Conference on Fostering
Constitutionnalism in Africa, Nairobi, avril 2007, p. 10 ; Maurice-Pierre
ROY, Les régimes politiques du Tiers-monde, Paris, L.G.D.J.,
1977, p. 110.
9
nationale38. Cette exigence d'égalité
et d'équilibre dans les rapports entre le président de la
République et l'Assemblée nationale est-elle respectée
dans le cadre des institutions établies par la Constitution de 2000 ?
Et, au-delà de la question limitée des rapports entre organes
exécutif et législatif, le régime politique ivoirien
est-il réellement présidentiel ?
La réponse à de telles interrogations exige,
certes, de s'en référer au texte de la Constitution de 2000 mais
également, au-delà du texte constitutionnel, de jeter un regard
sur la pratique vécue.
III. INTÉRÊTS SCIENTIFIQUE ET PRATIQUE DU
SUJET
Notre mémoire va, nous l'espérons, revêtir
à la fois un intérêt scientifique et un
intérêt pratique. Sur le plan de l'intérêt
scientifique, l'étude des rapports entre le pouvoir exécutif et
le pouvoir législatif en Côte d'Ivoire s'inscrit dans les
préoccupations légitimes de la pensée scientifique en
droit constitutionnel. Le pouvoir exécutif ivoirien a en effet pris
cette habitude fâcheuse d'intervenir de plus en plus fréquemment
-en dehors de tout cadre constitutionnel et même en violation de ce
cadre- dans le domaine de compétences du législateur39
sans que cela ne suscite une quelconque émotion ou une simple
interrogation, sauf de la part d'une certaine doctrine attentive au respect
effectif de la séparation des pouvoirs40 et de la part de
l'opposition politique41. La solution au problème
posé, à savoir si l'égalité et l'équilibre
des
38 C'est le principe de bonne organisation
formulé par Montesquieu : pour éviter le despotisme, «
il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir
» (De l'esprit des lois ou du rapport que les lois doivent avoir
avec la Constitution de chaque gouvernement, les moeurs, le climat, le
commerce, etc., Genève, 1748, Livre XI, chapitre IV, p. 242). Pour
les pouvoirs du Congrès des États-Unis (Francis HAMON et Michel
TROPER, op.cit., p. 274-278).
39 L'Assemblée nationale a été
ainsi constamment ignorée du processus budgétaire, le
président de la République prenant des ordonnances
budgétaires sans que les conditions exigées à cet effet
par l'article 80 de la Constitution ne soient réunies : nous pouvons
citer à titre d'exemples les ordonnances n° 2011-121 du 22 juin
2011 portant budget de l'État pour la gestion 2011 et n° 2011-480
du 28 décembre 2011 portant budget de l'État pour la gestion
2012. De même, l'organisation territoriale actuelle de la Côte
d'Ivoire a d'abord résulté d'une ordonnance sans fondement
constitutionnel (ordonnance n° 2011-262 du 28 septembre 2011 portant
organisation générale de l'Administration). Enfin, nous pouvons
citer les décisions présidentielles prises par L. Gbagbo sur le
fondement de l'article 48 de la Constitution à partir du 26 août
2005 et la décision présidentielle n° 001 /PR du 11 janvier
2014 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux de
commerce prise par A. Ouattara. Concernant cette dernière
décision, le Conseil constitutionnel, saisi par la voie d'exception, la
jugea contraire à la Constitution (Décision n°
CI-2014-139/26-06/CC/SG du 26 juin 2014).
40 Pélagie N'DRI-THEOUA, «
Constitutions et démocratie en Côte d'Ivoire », Revue
ivoirienne des sciences juridiques et politiques, n° 1, 2014, p.
43-72 ; Félix TANO, « Constitutions et urgence budgétaire
à l'épreuve des crises politiques », Revue juridique des
États francophones, n° 2, avril-juin 2011, p. 147-150.
41 Mais d'une façon générale,
l'opposition politique dénonce la délégation du pouvoir
législatif consentie par l'Assemblée nationale au
président de la République sur le fondement même des
dispositions constitutionnelles (Déclaration du Secrétaire
général par intérim et porte-parole du Front populaire
ivoirien Docteur Richard Kodjo).
10
pouvoirs sont respectés, contribuera donc à nous
rendre compte de la complexité de la nature du régime politique
ivoirien : régime à mi-chemin entre le régime
présidentiel et le régime parlementaire ou de confusion des
pouvoirs, c'est-à-dire de semi-dictature42 ? Mais il est
également possible que la nature véritable du régime
politique ivoirien soit, en fait, occultée par la pratique politique :
la prééminence du président de la République est
certes consacrée par la Constitution, mais elle semble encore plus
déterminée par le fait que d'une part, les Présidents
ivoiriens ont constamment bénéficié de la majorité
à l'Assemblée nationale et que d'autre part, ils ont toujours
été plus forts que leurs partis. Autrement dit, si le fait
majoritaire basculait et que le fait personnel cessait d'exister, la
prééminence du président de la République -quoique
constitutionnellement consacrée- s'en trouverait
affectée43.
Mais en attendant cette éventualité et sur le
plan de l'intérêt pratique cette fois, le problème de
l'équilibre des pouvoirs exécutif et législatif est
crucial pour l'édification d'une véritable démocratie en
Côte d'Ivoire et -par ricochet- pour l'avènement d'un
développement économique, social et culturel tant
souhaité, car il semble exister une interaction entre démocratie
(c'est-à-dire, d'une part, la participation du peuple au pouvoir
politique à travers le libre choix des représentants,
l'élaboration démocratique des décisions et la mise en jeu
de la responsabilité politique des gouvernants44 et d'autre
part, la séparation des pouvoirs entre organes spécialisés
et indépendants -l'exécutif, le législatif et le
judiciaire- afin de garantir les droits fondamentaux des citoyens), bonne
gouvernance et développement :
« La démocratie et le développement sont
complémentaires et se renforcent mutuellement (...). L'histoire
montre... que les expériences dans lesquelles la démocratie et le
développement ont été dissociés se sont, le plus
souvent, soldées par des échecs. À l'inverse,
l'imbrication de la démocratisation et du développement contribue
à enraciner l'une et l'autre dans la durée. En effet, si, pour se
consolider, la démocratie politique doit trouver son prolongement dans
des mesures économiques et sociales qui favorisent le
développement, de même, toute stratégie de
développement a
42 Aboubacar S. DIOMANDE, « Le régime
politique ivoirien : un régime en marge des catégories
traditionnelles », Revue de la recherche juridique Droit
prospectif, 2013-3, p. 1453-1471 ; Yédoh S. LATH, op.cit.,
p. 49-87.
43 GICQUEL Jean et GICQUEL Jean-Éric,
Droit constitutionnel et institutions politiques, 26e éd.,
Paris, Montchrestien, 2012, p.157.
44 Philippe BRAUD, Science politique : la
démocratie politique, Paris, Seuil, tome I, 2003, p.
11
besoin, pour être mise en oeuvre, d'être
validée et renforcée par la participation démocratique
»45.
IV. MÉTHODOLOGIE
Comme le titre l'indique, notre intention est
d'appréhender la manière dont sont organisés les rapports
entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en Côte
d'Ivoire. Cela axe l'étude sur la lege lata,
c'est-à-dire le droit positif actuellement en vigueur : la
Constitution du 1er août 2000 et le règlement de
l'Assemblée nationale. Mais nous jetterons également un regard
sur le droit constitutionnel de la première
République46.
Nous précéderons alors, en premier lieu,
à l'exploitation et à l'analyse du texte constitutionnel et du
règlement de l'Assemblée nationale et ferons appel à la
doctrine et au droit comparé, notamment négro-africain
francophone. La confrontation de la doctrine et du droit comparé d'une
part et des textes constitutionnels ivoiriens en vigueur d'autre part
permettra, à un autre égard, de mesurer l'écart entre la
conception doctrinale (normale) des rapports entre les pouvoirs exécutif
et législatif dans un régime présidentiel et
l'organisation effective des rapports entre le président de la
République et l'Assemblée nationale en Côte d'Ivoire,
détenteurs respectifs de ces deux pouvoirs47.
45 Boutros BOUTROS-GHALI, L'interaction entre
démocratie et développement, rapport de synthèse
publié par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la
science et la culture (UNESCO), 2003, p. 10-13.
46 Le régime établi par la
Constitution de 2000 diffère très peu de celui établi par
la Constitution de 1960 de telle sorte que matériellement la
Constitution de 2000 ressemble véritablement plus à un texte
révisé (le texte révisé de la Constitution de 1960)
qu'à une nouvelle Constitution. Yédoh S. LATH écrit
justement que : « D'un point de vue institutionnel, la Constitution de
la deuxième République est apparue moins innovante. En dehors de
quelques aménagements, l'architecture institutionnelle de la
première République a été maintenue au regard aussi
bien des institutions politiques, des institutions juridictionnelles que des
autres institutions » (op.cit., p. 207).
47 Nous faisons abstraction, dans le cadre de cette
étude, des accords politiques portant arrangements constitutionnels
initiés à la suite des événements des 18 et 19
septembre 2002 : accord de Marcoussis du 23 janvier 2003, accord d'Accra II du
7 mars 2003 (à la suite de l'accord d'Accra I du 29 septembre 2002) et
III du 30 juillet 2004, accord de Pretoria I du 6 avril 2005 et II des 28 et 29
juin 2005, accord de Ouagadougou du 4 mars 2007 et ses quatre accords
complémentaires. Il en est de même des nombreuses
résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies :
résolutions 1464 du 4 février 2003, 1528 du 27 février
2004, 1633 du 21 octobre 2005, 1721 du 1er novembre 2006, etc.
destinés à l'organisation des pouvoirs publics pendant la
période de crise. Ces accords politiques et autres résolutions du
Conseil de sécurité, sans abroger formellement la Constitution du
1er août 2000, la modifiaient sur certains de ses aspects et
pour un temps déterminé : ils constituent un « droit
constitutionnel de crise » (Francisco MÉLÈDJE
DJÉDJRO, Droit constitutionnel, 8e éd.,
Abidjan, ABC Editions, 2008, p. 232-241), de « véritables
Constitutions matérielles » (Luc SINDJOUN, « Le Gouvernement
de transition : éléments pour une théorie
politico-constitutionnelle de l'État en crise ou en reconstruction
», in Mélanges en l'honneur de Slobodan Milacic,
Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation,
Bruylant, Bruxelles, 2008, p. 967-1011). Ils sont devenus aujourd'hui sans
objet et « la Constitution de 2000 a retrouvé tout son
rayonnement » (Sébastien Y. LATH, op.cit., p.
170).
12
En second lieu, nous nous pencherons sur la pratique
politique. En effet, les textes constitutionnels n'expliquent pas tout : les
liens qui unissent le président de la République et le parti
majoritaire à l'Assemblée nationale déterminent
eux-mêmes les rapports entre le Président et l'Assemblée
nationale (le fait majoritaire). Ce fait majoritaire (fait politique) qui
bénéficie au président de la République dans ses
rapports avec l'Assemblée nationale est, par ailleurs, aggravé
par la faiblesse des partis, y compris, et surtout, du parti
présidentiel : la plupart des électeurs en Côte d'Ivoire
manifestent de l'attachement à des personnes plus qu'à des
idées. De ce fait, le parti présidentiel -majoritaire à
l'Assemblée nationale- n'a de raison d'être que dans la
personnalité du président de la République et la
prééminence de celui-ci - par rapport à l'Assemblée
nationale- s'en trouve confortée.
V. PLAN DE NOTRE MÉMOIRE
Notre travail comporte quatre chapitres : ces quatre chapitres
constituent le corps de notre mémoire. Nous nous livrerons à une
analyse détaillée et approfondie dans chacun de ces quatre
chapitres. Ces chapitres sont centrés autour d'un problème-pilier
qui résulte d'un critère fondamental du régime
présidentiel : l'équilibre -et l'égalité qui y est
nécessairement impliquée- des pouvoirs exécutif et
législatif48.
Il est nécessaire que le régime
présidentiel dont les auteurs de la Constitution de 2000 ont
prétendu doter la Côte d'Ivoire établisse une
égalité et un équilibre entre les pouvoirs exécutif
et législatif. Cet aspect fera l'objet des deux premiers chapitres : le
premier chapitre se rapporte, par conséquent, à une
délimitation plus ou moins équitable des compétences entre
le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et le second
chapitre à la nécessaire collaboration entre eux.
Mais une analyse plus approfondie de la Constitution
même -au-delà des déclarations d'intention de ses auteurs-
démontre que l'égalité et l'équilibre entre les
pouvoirs exécutif et législatif ne sont qu'imparfaitement
respectés. Cet autre aspect fera l'objet des deux autres chapitres : le
troisième chapitre est ainsi relatif à l'hégémonie
du pouvoir exécutif et le quatrième à l'abaissement du
pouvoir législatif.
48 Le préambule de la Constitution du
1er août 2000 énonce en effet que : « Le peuple de
Côte d'Ivoire, (...) exprime son attachement aux valeurs
démocratiques reconnues à tous les peuples libres, notamment...
la séparation et l'équilibre des pouvoirs (...)
».
13
Ces deux aspects débouchent inéluctablement sur
la problématique de la nature véritable du régime
politique ivoirien : le régime politique établi par la
Constitution de 2000 est-il réellement présidentiel49
? Les développements fournis tout au long de notre mémoire
pourraient constituer un début de réponse de cette
interrogation.
49 Cette question vaut la peine d'être
posée d'autant plus que certains auteurs avancent l'idée que le
régime politique ivoirien -à l'instar des régimes
politiques africains et sud-américains - serait une catégorie
à part entière, distincte des catégories traditionnelles
que l'on cite habituellement dans la typologie des régimes politiques.
Parmi ces auteurs nous pouvons citer Gérard CONAC (« Pour une
théorie du présidentialisme. Quelques réflexions sur les
présidentialismes latino-américains », in
Mélanges offerts à Georges Burdeau : Le pouvoir, Paris,
L.G.D.J., 1977, p. 116) ; GICQUEL Jean et GICQUEL Jean-Éric,
op.cit., p. 156-157 ; Yédoh S. LATH (« La
pérennisation du présidentialisme dans les États d'Afrique
: les repères d'un modèle africain de régime politique
», communication au colloque international de Cotonou portant sur la
Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle
pour l'Afrique ? Colloque organisé les 8, 9 et 10 août 2012),
etc. Dans le même sens : Aboubacar S. DIOMANDE (op.cit., p.
1471).
PREMIÈRE PARTIE :
L'ÉQUILIBRE FORMEL ENTRE LE POUVOIR
EXÉCUTIF ET LE POUVOIR LÉGISLATIF
15
Un régime de séparation des pouvoirs suppose une
certaine égalité des organes exécutif et législatif
par laquelle l'équilibre recherché des pouvoirs est susceptible
d'être réalisé. Il est ainsi souhaitable voire
indispensable de conférer à chacun des organes en présence
des compétences propres -et qui se contrebalancent- sur lesquelles les
empiètements réciproques ne sont en principe guère
tolérables ; c'est à l'intérieur de ce domaine
réservé de compétences que se meuvent les pouvoirs
exécutif et législatif et c'est de l'exercice de ces
compétences que chacun des deux pouvoirs politiques tire sa force en
présence de l'autre50. Chacun des organes exécutif et
législatif étant en droit absolument puissant en son domaine
réservé et parfaitement impuissant dans le domaine
réservé d'en face, une collaboration s'établit de fait
entre eux pour éviter des blocages institutionnels et politiques
inhérents au régime présidentiel51. C'est
pourquoi des mécanismes juridiques de collaboration ne sont pas
eux-mêmes contraires à l'esprit d'un tel
régime52. Les auteurs de la Constitution du 1er
aout 2000 ont fait un tel choix : ils ont recherché l'équilibre
entre le pouvoir exécutif et le Parlement d'abord par une
délimitation matérielle de leurs compétences respectives
(chapitre I) et ensuite par une nécessaire collaboration entre eux
(chapitre II)53.
CHAPITRE I : LA DÉLIMITATION MATÉRIELLE
DES COMPÉTENCES
Les titulaires respectifs des pouvoirs exécutif et
législatif -le président de la République et
l'Assemblée nationale- ne peuvent entretenir des rapports
d'équilibre que si une délimitation équitable des
compétences existe -et est respectée- entre eux. Cette
délimitation équitable des compétences est en effet un
frein à l'absolutisme du pouvoir en faveur de l'un
50 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL,
op.cit., p. 145-147 ; Francis HAMON et Michel TROPER,
op.cit., p. 119121 ; Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO,
Droit constitutionnel, 7e éd., Abidjan, Les
éditions ABC, 2007, p. 101-104 ; Yédoh S. LATH, op.cit.,
p. 11.
51 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., p. 153.
52 Dans un régime présidentiel, des
mécanismes de collaboration pas nécessairement juridiques
existent toujours entre le Président et le Parlement (Francis HAMON et
Michel TROPPER, op.cit., p. 120-121 ; Jean GICQUEL et Jean-Éric
GICQUEL, op.cit., p. 146-147).
53 Les auteurs de la Constitution n'ont pas, de ce
point de vue, fondamentalement innové puisque l'on retrouvait
déjà une délimitation des compétences normatives
entre les organes exécutif et législatif dans le cadre des
Constitutions du 26 mars 1959 et du 3 novembre 1960 (art. 37 et art. 39 de la
Constitution de 1959, art. 41 et art. 44 de la Constitution de 1960) et des
mécanismes juridiques de collaboration entre eux (art. 40, 43, 44 etc.
de la Constitution de 1959, art. 40, 45, etc. de la Constitution de 1960).
D'autre part, en séparant les pouvoirs exécutif et
législatif tout en prévoyant des mécanismes de
collaboration entre eux, les constituants ivoiriens ont fait le choix d'un
régime encore présidentiel mais comprenant une dose de
régime parlementaire ; ce que Georges Pompidou, parlant du régime
politique de la Constitution française du 4 octobre 1958, a
qualifié de « régime bâtard » (un
régime né d'un croisement « impur » entre régime
présidentiel et régime parlementaire).
16
ou l'autre des organes. C'est sans conteste dans une telle
perspective que le président de la République et
l'Assemblée nationale disposent chacun -en vertu de la Constitution-
d'un domaine respectif de compétences (section I) et qu'à cette
répartition des tâches est attachée une sanction (section
II).
Section I : Le domaine respectif des compétences
Il est nécessaire que des compétences -notamment
normatives- soient attachées aux pouvoirs exécutif et
législatif et qu'elles constituent leurs domaines réservés
respectifs. C'est ainsi qu'aux termes des articles 71 et 72 de la Constitution
se trouvent établies à la fois la compétence normative de
l'Assemblée nationale (paragraphe 1) et celle du président de la
République (paragraphe 2)54.
Paragraphe 1 : La compétence normative du
Parlement
L'article 71 de la Constitution fournit d'abord une
définition matérielle de la loi constitutive du tracé
originaire du domaine législatif (A). Mais ce tracé originaire
est ensuite assez immensément élargi par la jurisprudence (B).
A/ La définition matérielle de la loi selon la
Constitution de 2000, tracé originaire du domaine
législatif55
Il y a certes une définition organique de la
loi56 mais celle-ci doit être jointe à une
définition matérielle : cette définition matérielle
se réfère au contenu de l'acte et détermine le domaine de
la loi. Le domaine législatif découle d'une part de l'article 71
de la Constitution (1) et d'autre part d'autres dispositions constitutionnelles
(2).
54 Cette technique de délimitation du
domaine de la loi et du règlement -déjà utilisée
dans la Constitution de 1960 (art. 41 et 44.1)- est reprise par les auteurs de
la Constitution de 2000 de la Constitution française du 4 octobre 1958,
notamment les articles 34 et 37 de celle-ci (Karim DOSSO, L'influence du
droit administratif français sur le droit administratif ivoirien,
thèse pour le doctorat, Abidjan : Université de Cocody, 2006, p.
67).
55 Il y a, aux termes de l'article 71 de la
Constitution de 2000, prééminence du critère
matériel de la loi (René DEGNI-SEGUI, Introduction au
droit, Abidjan, EDUCI, 2009, p. 83). L'article 71 de la Constitution de
2000 -qui reprend l'article 34 de la Constitution française de 1958-
opère une véritable « révolution juridique » :
la compétence législative du Parlement n'est plus
illimitée, elle a une compétence d'attribution définie par
les matières limitativement énumérées à
l'article 71 (art.34 de la Constitution française) ; le président
de la République acquiert, en revanche, un pouvoir normatif autonome
(Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel,
9e éd., Paris, Montchrestien, 2010, p. 321).
56 La loi reste l'acte élaboré par
l'Assemblée nationale, suivant une certaine procédure et
promulgué par le président de la République. C'est en ce
sens que l'article 71.2 de la Constitution dispose que l'Assemblée
nationale « vote seule la loi ».
17
1. L'article 71, chef de compétence principal du
législateur
L'article 71 de la Constitution énumère les
matières législatives en distinguant formellement entre la
fixation des règles et la détermination des principes
fondamentaux (a) mais il semble que cette distinction formelle n'ait plus
d'incidence sur la compétence du législateur (b).
a. La distinction formelle entre la fixation des règles
et la détermination des principes fondamentaux
La Constitution de 2000, imitant en cela la Constitution
française en son article 34, détermine un domaine
réservé à la loi, hors duquel l'Assemblée nationale
ne peut pas légiférer. L'article 71 de la Constitution
délimite de deux façons essentielles ce domaine
réservé à la loi. Pour certaines matières, la loi
« fixe les règles » ; pour d'autres, elle «
détermine les principes fondamentaux ».
Ainsi aux termes de l'article 71.3 de la Constitution sont
donc matières législatives par détermination de la
Constitution, les règles concernant : la citoyenneté, les droits
civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour
l'exercice des libertés publiques ; la nationalité, l'état
et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les
successions et les libéralités ; la procédure selon
laquelle les coutumes sont constatées et mises en harmonie avec les
principes fondamentaux de la Constitution ; la détermination des crimes
et délits ainsi que des peines qui leur sont applicables, la
procédure pénale, l'amnistie ; l'organisation des tribunaux
judicaires et administratifs et la procédure suivie devant ces
juridictions ; le statut des magistrats, des officiers ministériels et
des auxiliaires de justice ; le statut général de la fonction
publique ; le statut du corps préfectoral ; le statut du corps
diplomatique ; etc.57
En outre aux termes de l'article 71.4 de la Constitution, la
loi détermine les principes fondamentaux : de l'organisation
générale de l'administration ; de l'enseignement et de la
recherche scientifique ; de l'organisation de la défense nationale ; du
régime de la propriété, des droits réels et des
obligations civiles et commerciales ; du droit du travail, du droit
57 L'énumération de ces matières
n'est pas exhaustive (voir article 71 de la Constitution de 2000).
18
syndical et des institutions sociales ; de l'aliénation
et de la gestion du domaine de l'État ; du transfert d'entreprises du
secteur public au secteur privé ; etc.58.
Enfin les lois de finances déterminent les ressources
et les charges de l'État (art. 71.5), et les lois de programme fixent
les objectifs de l'action économique et sociale de l'État (art.
71.6). Cette énumération des matières législatives
est d'ailleurs limitative car, à la différence de l'article 34 de
la Constitution française, l'article 71 de la Constitution ivoirienne ne
prévoit la possibilité ni de la préciser ni de la
compléter59.
Il semble toutefois, en dépit de la distinction
formelle entre règles et principes, que l'on ait désormais une
lecture unitaire de la compétence du législateur.
b. Une lecture unitaire de la compétence du
législateur60
L'article 71 distingue formellement les règles que
la loi fixe des principes fondamentaux que la loi
détermine. Cette opposition est en apparence
fondée61, car on peut penser que, pour certaines questions,
le législateur devrait disposer d'une compétence plus
étendue lorsqu'il fixe les règles, l'autorité
réglementaire n'ayant plus qu'à préciser les
dernières modalités d'application62 et que pour
d'autres questions, il se limite à énoncer des orientations
générales de la réglementation -en déterminer le
principe fondamental- en laissant le soin au pouvoir exécutif
d'édicter les mesures d'application concrètes63.
Dans la pratique, la distinction entre la fixation des
règles et la détermination des principes fondamentaux d'un objet
n'est pas aisée à préciser. Si l'Assemblée
nationale veut
58 L'énumération de ces
matières n'est pas non plus exhaustive (voir article 71 de la
Constitution de 2000). L'article 71 innove sur plusieurs points par rapport
à l'article 41 de la Constitution de 1960. Il ajoute en effet à
l'énumération des matières dont la loi fixe les
règles : les statuts du corps préfectoral, du corps diplomatique,
du personnel des collectivités locales, de la fonction militaire et des
personnels de la police nationale ; l'organisation générale de
l'administration ne figure plus par ailleurs dans la liste des règles
à fixer. D'autre part, quant aux matières dont la loi
détermine les principes fondamentaux, l'article 71 ajoute par rapport
à l'article 41 de la Constitution de 1960 : l'organisation
générale de l'administration, le transfert d'entreprises du
secteur public au secteur privé, la protection de l'environnement et le
statut des partis politiques (Karim DOSSO, op.cit., p. 70). L'article
71 -à l'instar de son devancier de la Constitution de 1960 (l'article
41)- continue d'omettre les nationalisations d'entreprises du domaine de la loi
(Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 192-193).
59 L'article 34 in fine de la Constitution
française dispose au contraire que : « Les dispositions du
présent article pourront être précisées et
complétées par une loi organique ».
60 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL,
op.cit., p. 760 ; Dominique ROSSEAU, op.cit., p. 327.
61 La distinction fut respectée dans les
premières années par le Conseil constitutionnel français
avant d'être abandonnée.
62 Décision 57.1 du 27 novembre 1959.
Rec. p. 670 ; n° 62.20 du 4 décembre 1962. Rec.,
p. 34 ; 64.30 D.C. du 17 septembre 1964. Rec., p. 41.
63 Décision 63.23 D.C. du 19 février
1963. Rec., p. 29.
19
entrer dans les détails des mesures
édictées là où le président de la
République estime au contraire qu'elle devrait se borner simplement
à déterminer les principes fondamentaux, des conflits sont
à redouter. Ces difficultés perçues très tôt
par la doctrine64 seront finalement balayées par la
jurisprudence ultérieure du Conseil constitutionnel.
Celle-ci s'accorde désormais à dire que la
distinction formelle entre la fixation des règles et la
détermination des principes fondamentaux n'a pas d'incidence sur la
compétence du législateur. A une répartition horizontale
des compétences législatives et réglementaires, le Conseil
constitutionnel français a en effet substitué une
répartition verticale qui s'établit comme suit : au pouvoir
législatif revient la « mise en cause » des règles et
au pouvoir réglementaire leur « mise en oeuvre »65.
Ainsi le degré d'intervention du législateur s'arrête
à la mise en cause et ne saurait descendre jusqu'aux modalités
d'application et il ne saurait par conséquent être question de
faire une quelconque distinction entre la fixation des règles et la
détermination des principes fondamentaux par le
législateur66.
« Finalement, règles et principes se
rapprochent ou se confondent lorsqu'il s'agit de les appliquer autant... que
pour les déterminer »67.
D'autres dispositions de la Constitution -à
côté de l'article 71- concourent à définir les
matières dans lesquelles il appartient exclusivement à
l'Assemblée nationale de légiférer.
2. Les autres dispositions de la Constitution, chefs de
compétence complémentaires du législateur
L'extension du domaine législatif par ces
dispositions-là repose sur une étude plus poussée des
textes constitutionnels par la doctrine et est reconnue par la jurisprudence
64 Georges BURDEAU, op.cit., p. 607 ; Maurice
DUVERGER, op.cit., p.615.
65 C'est le critère tiré de
l'importance de la matière ; il rejoint, comme le note Jean et
Jean-Éric Gicquel, la vision de Portalis, exprimée dans son
Discours préliminaire du Code civil, en 1804 : « Les
lois sont des commandements... C'est aux lois de poser dans chaque
matière les règles fondamentales et à déterminer
les règles essentielles. Les délais d'exécution... les
objets instantanés ou variables... sont du ressort du règlement
». Et de conclure : « Les règlements sont des actes
de magistrature et les lois des actes de souveraineté «
(op.cit., p. 761).
66 Décision du 6 octobre 1976, Conseil
constitutionnel ; CHANTEBOUT Bernard, Droit constitutionnel,
29e éd., Paris, Sirey, p. 589-590 ; Jean GICQUEL et
Jean-Éric GICQUEL, ibid., p. 760-762 ; Francis HAMON et Michel
TROPER, op.cit., p. 749.
67 Alain-Gérard COHEN, « La
jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au domaine de la loi
d'après l'article 34 de la Constitution », Revue du droit
public, 1963, n° 4, p. 767 ; voir également les observations
de Louis FAVOREU et Loïc PHILIP sur la décision du Conseil
constitutionnel du 27 novembre 1959, R.A.T.P., Grandes
décisions, n°5.
20
constitutionnelle (a). Elle se fait soit par le renvoi
à la loi soit par l'autorisation par celle-ci (b).
a. Une extension reposant sur une étude plus
poussée des textes constitutionnels et reconnue par la jurisprudence
constitutionnelle
Des auteurs tels que Louis Favoreu et Loïc Philip ont
fait observer que la rédaction finalement adoptée pour l'article
37 -qui correspond à notre article 72.1- : « Les matières
autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère
réglementaire » comportait une modification très importante
par rapport à la rédaction initialement envisagée et qui
était : « Les matières autres que celles visées
à l'article 31 (devenu l'article 34 et qui correspond à notre
article 71, al. 3, 4, 5 et 6) ont un caractère réglementaire
». Cette modification paraît bien confirmer, en effet, que les
constituants n'ont pas voulu limiter le domaine législatif aux seules
matières énumérées par l'article 34 (art. 71, al. 3
et 4 de notre Constitution). Il s'en suit une conséquence majeure : les
matières législatives vont au-delà de
l'énumération de l'article 34 (art. 71, alinéas 3 et 4 de
la Constitution ivoirienne).
Cette extension du domaine législatif au-delà
de l'énumération de l'article 34 -à propos de la
Constitution française- est d'ailleurs explicitement reconnue par le
Conseil constitutionnel. Il énonce en effet que : «
Considérant que, d'après l'article 37 de la Constitution, «
les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un
caractère réglementaire » et que « ce domaine est
déterminé non seulement par l'article 34, mais aussi par
d'autres dispositions de la Constitution... »68.
Par conséquent, le domaine de la loi cerné au
moyen conjugué des articles 71 et 72.2 de la Constitution n'est pas
ainsi borné69. Il est nécessaire de se
référer à d'autres dispositions constitutionnelles
très nombreuses qui étendent la compétence de
l'Assemblé nationale.
b. Le renvoi à la loi ou l'autorisation par une loi
68 Décision du Conseil constitutionnel
français du 2 juillet 1965 (Rec., p. 75). A partir de cette
décision, le Conseil constitutionnel français reconnaît,
admet la compétence de la loi relativement à une diversité
de matières : la libre administration des collectivités locales
sur le fondement des articles 72 à 776 (C.C. 69-52 L., févr.
1969, rec., p. 21 et autres décisions), l'autorisation de la
ratification de certains traités sur celui de l'article 53 (C.C. 75-59
D.C., 30 déc., 1975, rec., p. 26), etc.
69 Francis V. WODIÉ, op.cit., p.
193.
21
En de nombreuses autres matières, la Constitution
confie ou renvoie à la loi, exige l'autorisation du législateur.
Ainsi pour la déclaration de guerre (art. 73), la prorogation
au-delà de quinze jours de l'état de siège (art. 74.2),
l'autorisation de ratifier certains traités ou d'approuver certains
accords (art. 85), la fixation des règles d'organisation et de
fonctionnement du Conseil constitutionnel ainsi que la procédure et les
délais (art. 100), la composition, l'organisation et le fonctionnement
des juridictions suprêmes (art. 102.2), les conditions d'application des
dispositions relatives au Conseil supérieur de la magistrature (art.
107), la détermination du nombre des membres, des attributions et des
règles de fonctionnement de la Haute cour de justice et de la
procédure suivie (art. 108.2), la mise en accusation du président
de la République et des ministres (art. 111), les attributions,
l'organisation et le fonctionnement du Médiateur de la République
(art. 118), les principes de la libre administration des collectivités
territoriales ainsi que de leurs compétences et de leurs ressources
(art. 119), etc.70.
Certains auteurs ont observé que ces quelques autres
articles de la Constitution renvoyant à la loi peuvent paraître
assez négligeables dans la mesure où l'article 71 contient
déjà des positions très proches sinon identiques. Par
conséquent, l'on peut penser que ces autres articles font double emploi
avec lui71. Il n'en reste pas moins de toute façon que, pour
définir le domaine de la loi, il ne faut guère se limiter
à l'article 71 de la Constitution72.
Ces autres dispositions que nous venons d'évoquer et
qui étendent le domaine de la loi sont encore inscrites dans le texte
même de la Constitution. Mais le véritable élargissement du
domaine législatif découle de la jurisprudence
constitutionnelle.
B/ L'élargissement jurisprudentiel du domaine
législatif
L'élargissement jurisprudentiel du domaine
législatif se situe à deux niveaux : d'abord dans l'affirmation
de la valeur constitutionnelle du Préambule (1) et ensuite dans
l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine
réglementaire par volontés concordantes du Parlement et de
l'exécutif (2).
70 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL,
op.cit., p. 761 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p.
749 ; Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 325 ; Francis V. WODIÉ,
ibid., p. 193.
71 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., p. 522.
72 L'article 34 (article 71 de la Constitution
ivoirienne) a perdu le monopole de la définition de la compétence
du législateur (François LUCHAIRE, « Les sources des
compétences législatives et réglementaires »,
AJDA, 1979, p. 3).
22
1. L'affirmation de la valeur constitutionnelle du
Préambule et ses conséquences au regard de la compétence
du législateur
Les juridictions françaises -et notamment le Conseil
constitutionnel- ont admis la valeur constitutionnelle du préambule de
la Constitution de 1958 et des normes auxquelles il renvoie. Cette
jurisprudence française nous intéresse à deux titres :
parce qu'elle est susceptible d'être transposée dans notre droit
constitutionnel d'une part (a) et que cette transposition entraînerait
des conséquences importantes au regard de la compétence du
législateur d'autre part (b).
a. L'extension du bloc de constitutionnalité au
Préambule, à la Déclaration universelle de 1948 et
à la Charte africaine de 198173
La valeur constitutionnelle du préambule de la
Constitution française ne semble pas faire de doute aujourd'hui
après la controverse d'avant 197174. Le Conseil d'État
français avait en effet déjà jugé que, si la
Constitution a attribué compétence au pouvoir
réglementaire pour déterminer les contraventions et les peines
assorties, c'est par dérogation au principe général
énoncé à l'article 8 de la Déclaration de 1789
à laquelle se réfère le Préambule et qui prescrit
le caractère légal des peines. Si donc seul le constituant peut
déroger à un tel principe contenu dans le préambule, c'est
que celui-ci a valeur constitutionnelle75.
Dans sa décision du 16 juillet 1971, le Conseil
constitutionnel s'est prononcé dans le même sens en
décidant de procéder à un contrôle au fond de la
conformité de la loi à la Constitution et plus
précisément à son préambule76. Ce
faisant, il reconnaît valeur constitutionnelle non seulement au
préambule de la Constitution de 1958 mais également à
la
73 Il s'agit de la Déclaration universelle
des droits de l'homme de 1948 et de la Charte africaine des droits de l'homme
et des peuples de 1981.
74 Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 98.
Jusqu'en 1971, deux écoles s'affrontent sur la valeur juridique de la
Déclaration de 1789 et du Préambule de 1946 : pour Carré
de Malberg (Contribution à la théorie générale
de l'État, p. 580) et A. Esmein (Eléments de droit
constitutionnel, Sirey, I, p. 601) par exemple, ces textes ne peuvent pas
avoir de valeur juridique tandis que pour d'autres tels que Hauriou
(Précis de droit constitutionnel, Sirey, p. 618) et Duguit
(Traité de droit constitutionnel, Paris, II, p. 184), les
déclarations ont une valeur identique à celle du texte
constitutionnel lui-même et s'imposent au législateur.
75 Conseil d'État français, section, 12
février 1960, Société Eky.
76 Le Conseil constitutionnel a d'abord posé
le principe que la liberté d'association fait partie des principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République (P.F.R.L.R.) et
solennellement réaffirmés par le préambule de la
Constitution. Il a ensuite jugé qu'une loi, qui porte atteinte à
ce principe en substituant l'autorisation préalable à la simple
déclaration préalable exigée pour la constitution des
associations, n'est pas conforme à la Constitution.
23
Déclaration de 1789 et au Préambule de 1946
auxquels il renvoie ainsi qu'aux « principes fondamentaux reconnus par les
lois de la République » visés par ce
dernier77.
Dès lors, la voie était ouverte pour ajouter
à l'énumération de l'article 34 de nouvelles
matières législatives procédant des normes visées
par le Préambule.
Cette jurisprudence française est importante au regard
même de notre droit constitutionnel car elle est susceptible d'y
être transposée. En effet, si le fait même que le
Préambule soit incorporé dans le texte de la Constitution
suffisait à lui conférer valeur constitutionnelle, celui figurant
en tête de la Constitution de 2000 possède bien une telle valeur
de même que les normes auxquelles il renvoie78.
Si donc l'on tient ainsi pour obligatoires les dispositions du
préambule de la Constitution de 2000, la liste des matières
législatives s'allonge considérablement79.
b. Les conséquences de l'affirmation de la valeur
constitutionnelle du Préambule au regard de la compétence du
législateur
L'extension du bloc de constitutionnalité au
Préambule et aux normes auxquelles il renvoie entraînerait
certaines conséquences au regard de la compétence du
législateur. En effet, le domaine d'intervention de celui-ci ne serait
plus seulement déterminé par référence exclusive au
texte même de la Constitution mais également en se fondant sur le
Préambule et les textes juridiques auxquels il renvoie : le domaine
législatif s'en trouverait élargi.
C'est ainsi que le Conseil constitution français, dans
sa décision du 28 novembre 1973, décidera que la matière
des contraventions et des peines qui leur sont applicables est
législative lorsque lesdites peines comportent des mesures privatives de
liberté. Cette décision ne pouvait prendre appui sur l'article 34
puisque la matière des contraventions et des peines qui leur sont
applicables ne figure pas dans l'énumération dudit article par
suite d'une omission qui semble délibérée, les crimes et
les délits étant eux expressément visés. Cette
77 Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 100.
78 René DEGNI-SEGUI, Droit administratif
général : l'action administrative, 4e éd.,
Abidjan, NEI-CEDA, tome II, 2012, p. 29.
79 Dans certaines de ses décisions, le
Conseil constitutionnel ivoirien a confirmé la valeur constitutionnelle
du préambule de la Constitution de 1960 : il s'agit de la
décision n° L. 001/96 du 11 décembre 1996 relative à
la Convention du 3 juillet 1996 portant création du Conseil
régional de l'épargne publique et des marchés financiers
et de la décision n° L. 005/97 du 16 juin 1997 relative à la
Convention de l'Organisation de l'Unité africaine régissant les
aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique,
adoptée le 10 septembre 1969 à Addis-Abeba (Ethiopie).
24
décision du Conseil constitutionnel est d'autant plus
significative qu'elle marque un revirement complet de sa jurisprudence
antérieure lorsque, se fondant exclusivement sur le texte de la
Constitution et précisément à son article 34, il
décidait que : « la détermination des contraventions et des
peines dont celles-ci sont assorties est de la compétence
réglementaire »80. Il a suffi au Conseil constitutionnel
de viser désormais l'article 66 et surtout les articles 8 et 9 de la
Déclaration de 1789 à laquelle renvoie le Préambule.
Si l'on tient également pour obligatoire le
préambule de la Constitution de 2000 qui renvoie à deux textes
majeurs en matière de droits de l'homme -à savoir la
Déclaration de 1948 et la Charte africaine de 198181- le
domaine législatif s'élargit puisque l'article 71 de la
Constitution renvoie à la loi toutes les matières ayant trait aux
garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des
libertés publiques82.
D'autre part, si la possibilité était reconnue
à l'Assemblée nationale d'intervenir en dehors même de son
domaine, cela contribuerait plus encore à l'élargissement de
celui-ci.
2. L'intervention de l'Assemblée nationale dans le
domaine réglementaire par volontés concordantes du
législateur et de l'exécutif
Si le Parlement veut intervenir dans le domaine
réglementaire et que le président de la République ne s'y
oppose pas, cette intervention en principe contraire à la
délimitation matérielle des compétences
législatives et réglementaires (a) ne sera cependant pas
sanctionnée par le Conseil constitutionnel (b).
a. Une intervention en principe contraire à la
délimitation matérielle de la loi par la Constitution
Initialement et en s'en tenant à la lettre de la
Constitution qui opérait la délimitation des domaines
législatif et réglementaire, le Conseil constitutionnel
français veillait très strictement à ce que la loi porte
bien sur des matières législatives prévues à
l'article 34 ou,
80 Déc. n° 63-22 du 19 février
1963, Rec. p. 27. La nouvelle jurisprudence du Conseil constitutionnel
résultant de sa décision du 28 novembre 1973 (compétence
législative en matière de contraventions et des peines
applicables) va également à l'encontre de la position
adoptée par le Conseil d'État (12 février 1960,
Société Eky).
81 Le préambule de la Constitution de 2000
ne se réfère plus à la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789. Cela traduirait, selon René
Dégni-Ségui, la volonté des auteurs de la Constitution de
2000 de couper le « cordon ombilical avec l'ex-colonisateur »
(Introduction au droit, Abidjan, EDUCI, 2009, p. 72).
82 Francis V. WODIÉ, op.cit., p.
193. Pour plus de développements sur l'extension du domaine
législatif : voir Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 322-329.
25
plus rarement, à un autre article de la Constitution.
Ainsi, une loi comportant des dispositions à caractère non
législatif -ne satisfaisant donc pas au critère matériel
de l'article 34 (notre article 71)- eût été exposée
à la censure du Conseil constitutionnel saisi par le président de
la République, le président de l'Assemblée nationale ou au
moins un dixième des députés en application de l'article
61.2 de la Constitution (notre article 95.2). Le domaine de droit commun dont
dispose le président de la République était par
conséquent un domaine exclusif et il ne pouvait en principe se montrer
généreux en autorisant le Parlement à y intervenir. Le
domaine législatif ne présenta jamais au contraire ce
caractère exclusif : le président de la République peut y
intervenir soit avec l'accord du législateur -les ordonnances de
l'article 75-soit sans son accord -les décisions présidentielles
de l'article 48 et les ordonnances budgétaires83.
Désormais, l'intervention du législateur dans le
domaine réglementaire est admise à condition de satisfaire
à certaines exigences que nous aborderons tout à l'heure. La voie
se trouve ainsi ouverte de voir des lois empiétant sur le domaine
réglementaire et qui ne seraient pas déclarées
inconstitutionnelles en cas de saisine du Conseil constitutionnel.
Certes une telle intervention de l'Assemblée nationale
est en principe contraire à la délimitation matérielle des
compétences voulue par les auteurs de la Constitution, mais elle ne
saurait dorénavant être systématiquement
censurée.
b. Une intervention non systématiquement
sanctionnée par le Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel français ne considère
plus que l'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine
réglementaire doive être sanctionnée en cas de recours
lorsque l'accord du Gouvernement et du Parlement vient à couvrir cette
intervention84. Le domaine réglementaire a été
institué au profit du seul Gouvernement et la Constitution lui donne des
moyens de le protéger des empiètements du législateur :
l'article 41 (notre article 76) lui
83 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p.
84. La délimitation des compétences législative et
réglementaire tracée par la Constitution est originairement
voulue comme étant immuable, absolue : des mécanismes sont alors
destinés à assurer, selon le mot de Francis V. Wodié,
« l'intangibilité des frontières »
(op.cit., p. 194). Mais cette intangibilité des
frontières n'est pas autant assurée au profit du domaine
législatif que du domaine réglementaire : celui-ci est
rigoureusement protégé tandis que celui-là l'est assez
faiblement.
84 Décision du 30 juillet 1982 du Conseil
constitutionnel relative à la loi sur les prix et les revenus. Cette
décision du Conseil constitutionnel constitue un véritable
tournant et est largement commentée par la doctrine : elle relativise la
limitation du domaine de la loi (Francis HAMON et Michel TROPER,
op.cit., p. 755), elle sonne le glas du critère matériel
de la loi défini à l'article 34 -notre article 71- (Jean GICQUEL
et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 34), etc.
26
permet d'opposer l'irrecevabilité aux propositions et
amendements qu'il juge ne pas être du domaine de la loi tandis que
l'article 37.2 lui permet d'obtenir la restitution de son pouvoir
réglementaire sur les matières irrégulièrement
introduites dans une loi. Dès lors que le Gouvernement consent aux
empiètements du législateur soit en s'abstenant à
l'égard d'une proposition de loi d'user de la procédure de
l'article 41 soit en déposant lui-même un projet de loi portant
sur des matières non législatives, l'irrégularité
commise -l'intervention du pouvoir législatif dans le domaine
réglementaire- est couverte85.
Dès lors, l'article 61.2 (notre article 95.2) de la
Constitution ne saurait désormais constituer une telle protection que
dans la stricte mesure où le Gouvernement aurait manifesté son
hostilité à l'intervention de l'Assemblée nationale dans
le domaine réglementaire.
En définitive, la jurisprudence du Conseil
constitutionnel et la pratique gouvernementale concordent toutes deux à
retenir une conception extensive du domaine de la loi86 au point que
certains se demandent s'il n'y a pas tout simplement un abandon du
critère matériel87. Cette conception extensive du
domaine de la loi est par ailleurs confortée par la politique
jurisprudentielle du Conseil constitutionnel qui oblige le législateur
à exercer pleinement sa compétence (théorie de
l'incompétence négative du législateur).
Bien que la compétence législative de
l'Assemblée nationale soit largement étendue et élargie,
il reste qu'elle n'est plus le seul législateur au sens large du terme.
A côté d'elle, le président de la République dispose
d'une compétence normative importante.
Paragraphe 2 : La compétence normative du
pouvoir exécutif
La compétence normative du président de la
République se ramène à ses pouvoirs réglementaire
et exécutif (A). Elle comprend en outre un pouvoir de législation
déléguée (B).
85 La décision du 30 juillet 1982,
blocage des prix, a été confirmée par une
jurisprudence constante, notamment par deux décisions du 18 juillet
1983, Démocratisation du secteur public, et du 19 janvier 1984,
Contrôle des établissements de crédits. Elle a
ensuite été tempérée par la décision du 21
avril 2005 relative à la loi sur l'avenir de l'école (Louis
FAVOREU et Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil
constitutionnel, 16e éd., Paris, Dalloz, 2011, p.
362-374) avant d'être pleinement réaffirmée
(décision n° 2012-649 DC du 15 mars 2012, cons. 10).
86 Le Conseil constitutionnel a par ailleurs
décidé que toute atteinte à un principe
général du droit ne pourra être faite que par une loi et en
incluant dans la liste tous les principes déjà
dégagés ou à dégager par le Conseil constitutionnel
(observations relatives à la décision du Conseil constitutionnel
du 26 juin 1969, Protection des sites, Grandes
décisions, n° 18) tandis que les principes
généraux de droit s'imposent au règlement selon le Conseil
d'État (Syndicat général des ingénieurs
conseils, G.A., n° 78) ; c'est une extension considérable de
la compétence législative (François LUCHAIRE, « Le
Conseil constitutionnel et la protection des libertés publiques »,
in Mélanges Waline, p. 506).
87 Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 326.
27
A/ Les pouvoirs réglementaire et exécutif
On considère de manière classique qu'il y a lieu
de faire une distinction entre règlements autonomes et règlements
dérivés (1). L'évolution de la jurisprudence
constitutionnelle précédemment analysée conduit cependant
à poser la question même du maintien de cette distinction
classique (2).
1. La distinction classique entre pouvoir réglementaire
(règlements autonomes) et pouvoir exécutif (règlements
dérivés)
La Constitution de 2000 distingue entre les pouvoirs
réglementaire et exécutif. Pour l'exercice de ces deux types de
pouvoirs, le président de la République prend des décrets
réglementaires. Mais au titre du pouvoir réglementaire, il
dispose d'une liberté d'initiative absolue (a) tandis qu'au titre du
pouvoir exécutif sa liberté d'initiative est beaucoup plus
limitée (b)88.
a. Le pouvoir réglementaire, pouvoir de législation
autonome et de droit commun
Le pouvoir réglementaire est celui en vertu duquel le
président de la République dispose d'un pouvoir de
législation autonome et de droit commun. Ce pouvoir de
législation est autonome parce qu'il n'est pas subordonné
à une loi : il intervient spontanément dans les matières
en principe exclusives de la compétence législative par suite de
la répartition matérielle des compétences entre la loi et
le règlement opérée par la Constitution et il est
directement subordonné à celle-ci et aux principes
généraux du droit, mais non à la loi89. Le
pouvoir réglementaire autonome rivalise pour ainsi dire avec le pouvoir
législatif, chacun en son domaine90.
Il est par ailleurs un pouvoir de législation de droit
commun91 puisqu'en dehors des matières
énumérées par l'article 71 et quelques autres articles de
la Constitution ressortissant de la compétence de l'Assemblée
nationale, toutes les autres matières rentrent dans le
88 Nous empruntons la judicieuse distinction entre
« pouvoir réglementaire » et « pouvoir exécutif
» à Maurice Duverger : le pouvoir réglementaire consiste
à prendre des règlements autonomes tandis que le pouvoir
exécutif est un pouvoir de mise en oeuvre des lois adoptées par
le Parlement (op.cit., p. 560-562).
89 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p.
87.
90 René DEGNI-SEGUI, Droit administratif
général : l'action administrative, 4e éd.,
Abidjan, NEI-CEDA, tome II, 2012, p. 41.
91 René DEGNI-SEGUI, Introduction au
droit, op.cit., p. 84.
28
domaine du pouvoir réglementaire : l'article 72.1
énonce en effet que : « les matières autres que celles qui
sont du domaine de la loi relèvent du domaine réglementaire
». Il en résulte que le pouvoir législatif dispose d'un
pouvoir d'attribution et que, corrélativement, le pouvoir
réglementaire est extrêmement large, les règlements
autonomes peuvent intervenir dans des domaines très
importants92.
Par ailleurs, les règlements autonomes peuvent
valablement, dans leur domaine résiduel mais extrêmement large,
modifier une loi après avis du Conseil constitutionnel si la loi est
antérieure à la Constitution de 2000 (art. 72.2). Mais cette
faculté donnée au président de la République
d'obtenir la délégalisation des lois intervenues dans le domaine
réglementaire ne vaut que pour les lois antérieures à
l'entrée en vigueur de la Constitution : celles postérieures
à l'entrée en vigueur de la Constitution intervenues dans le
domaine réglementaire échappent à toute
délégalisation.
A côté de ce pouvoir réglementaire
autonome, le président de la République conserve le droit de
faire des règlements complémentaires des lois existantes.
b. Le pouvoir exécutif, pouvoir subordonné
d'application des lois
Le président de la République conserve le droit
de faire des règlements complémentaires des lois existantes en
complétant et en précisant leurs dispositions en application de
l'article 44 de la Constitution : à cela correspond désormais la
notion précise de « pouvoir exécutif
»93.
Aux termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il
appartient toujours et en toutes matières au pouvoir
réglementaire de mettre en oeuvre les prescriptions législatives,
c'est-à-dire d'arrêter les modalités d'application de ces
prescriptions94. Il n'est donc pas nécessaire que la loi
demande explicitement un décret d'application pour que le
92 Georges BURDEAU, op.cit., p. 607 ;
Maurice DUVERGER, op.cit., p. 561 et 616 ; Obou OURAGA,
op.cit., p. 232 ; Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 193 ;
etc.
93 Avant 1958, le pouvoir réglementaire
faisait partie du pouvoir exécutif : le pouvoir réglementaire
était destiné à l'application des lois. Mais un embryon de
pouvoir réglementaire distinct du pouvoir exécutif proprement dit
existait mais se limitait à l'ordre public et aux services publics.
Depuis 1958, c'est le pouvoir exécutif qui fait partie du pouvoir
réglementaire : l'application des lois n'est désormais qu'un
aspect d'un pouvoir plus large. C'est pourquoi l'on use parfois du terme de
« pouvoir réglementaire » pour parler de l'application
même des lois ; de même, on continue à parler plus
généralement de « pouvoir exécutif » parlant du
président de la République alors que son pouvoir va
désormais bien au-delà de la seule application des lois.
94 Raymond ODENT, Contentieux
administratif, Fascicule I, Les cours de droit, Paris, 1970-1971.
p. 191. Même si le Parlement exerçait la plénitude de sa
compétence législative, le Conseil constitutionnel admet que le
pouvoir réglementaire pourrait toujours intervenir pour préciser
les mesures d'application de la loi.
29
Gouvernement puisse intervenir95. Le Parlement ne
peut d'ailleurs pas se substituer à ce pouvoir exécutif, puisque
le Conseil constitutionnel lui refuse le droit d'intervenir à
l'égard des règlements d'application conformes à la
loi96. Cela devrait logiquement conduire, en contrepartie, à
un changement de la jurisprudence du Conseil d'État, admettant qu'une
loi ne pouvait être appliquée, quand elle renvoyait à un
règlement pour préciser ses dispositions, et que ce
règlement n'avait pas été pris par l'exécutif. Mais
en l'état actuel du droit positif, le président de la
République se trouve investi à l'égard des lois d'un
véritable droit de veto suspensif : il peut, en s'abstenant de prendre
les décrets d'application requis, priver d'effet les lois votées
par l'Assemblée nationale97.
Le pouvoir exécutif reste toutefois tenu de respecter
la loi qu'il ne peut enfreindre, sinon le règlement pourra être
annulé par le moyen d'un recours pour excès de pouvoir.
La distinction entre le pouvoir réglementaire et le
pouvoir exécutif du président de la République
-opérée par la lettre de la Constitution- peut difficilement
être maintenue au regard de l'évolution de la jurisprudence
constitutionnelle.
2. De l'obsolescence de la distinction classique entre
règlements autonomes et règlements dérivés :
l'assimilation jurisprudentielle du pouvoir réglementaire au pouvoir
exécutif
La conception classique (une conception matérielle) de
la répartition des compétences entre le règlement et la
loi avait confiné celle-ci dans un domaine d'intervention assez
étroit quand celui-là bénéficiait au contraire d'un
domaine le plus large possible98 (a). La tradition
républicaine devait pourtant être plus forte puisque
l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle est allée dans
le sens d'une remise en cause de l'approche matérielle99
(b).
95 Si la loi demandait explicitement un
décret d'application au Gouvernement, celui-ci intervient alors
généralement par un décret en Conseil d'État. Mais
sans que la loi n'en fasse la demande, le Gouvernement peut toujours
intervenir. Cette situation n'est pas sans susciter des critiques de la
doctrine (Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD, Le gouvernement de
la France sous la Ve République, 4e
éd., Paris, Dalloz, 1992, p. 381) mais force est d'admettre qu'une
limitation du pouvoir réglementaire d'application des lois exigerait
sans doute une modification de la Constitution.
96 Décision du Conseil constitutionnel
français du 27 novembre 1959 (J.O., Débats parlement,
Sénat, 2 décembre). Voir également Francisco
MÉLÈDJE DJÉDJRO, op.cit., p. 450-452.
97 Bernard CHANTEBOUT, op.cit., p. 592.
98 Maurice DUVERGER, op.cit., pp. 561 et
615.
99 Bernard CHANTEBOUT, ibid., p. 588 ;
René DEGNI-SEGUI, Droit administrative général :
l'action administrative..., p. 43-45 ; Jean GICQUEL et Jean-Éric
GICQUEL, op.cit., p. 755 ; Dominique ROUSSEAU, op.cit., p.
328. Au colloque d'Aix-en-Provence organisé les 2 et 3 décembre
1977, la doctrine -au vu d'une jurisprudence constitutionnelle qui a sans cesse
élargi le domaine législatif- admet que « la
révolution juridique
a. 30
L'approche matérielle de la répartition des
compétences législatives et réglementaires
On a longtemps d'abord considéré, en se fiant
à l'article 71, que le Parlement légiférait de deux
façons : soit en fixant les règles soit en déterminant les
principes fondamentaux. Le législateur devrait donc disposer d'une
compétence plus étendue lorsqu'il fixe les règles que
lorsqu'il détermine les principes fondamentaux. Une telle distinction
entraînerait des conséquences sur le pouvoir exécutif du
président de la République : dans le premier cas, celui-ci
n'aurait pas à intervenir ou en tout cas son intervention serait assez
limitée tandis que dans le second cas son intervention est
nécessaire et de grande ampleur100.
Parallèlement à la compétence du
législateur ainsi définie, on considérait que la
compétence réglementaire elle-même se subdivisait en deux
domaines différents : d'une part, il était autorisé, en
application de l'article 72, à prendre des règlements dits
autonomes dans les matières autres que celles qui relèvent du
domaine de la loi et d'autre part, il pouvait aussi, en vertu du pouvoir
d'assurer l'exécution des lois qui lui est reconnu par l'article 44,
prendre des règlements dits d'application des lois et se situant par
conséquent dans le cadre de l'article 71 et plus
généralement du domaine législatif.
Cette interprétation des dispositions
constitutionnelles relatives aux compétences respectives du
président de la République et de l'Assemblée nationale
consacrée à la fois dans l'esprit même des auteurs de la
Constitution, par la doctrine et par la jurisprudence constitutionnelle des
premières années peut être difficilement maintenue au
regard de l'évolution ultérieure de cette dernière.
b. La remise en cause de l'approche matérielle au
regard de l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle
La distinction classique entre les règlements autonomes
et les règlements d'application des lois est remise en cause au regard
de la jurisprudence constitutionnelle. Si le Conseil d'État
procède toujours à un contrôle différencié
des deux sortes de règlements dans la mesure où il ne peut
confronter les premiers à des lois par hypothèse inexistantes ni
les seconds à la Constitution en raison de la théorie de la
loi-écran101, le Conseil constitutionnel
n'a pas eu lieu » (Jean Rivero) ; ce constat prend tout
son sens avec la décision précitée du Conseil
constitutionnel français du 30 juillet 1982.
100 Bernard CHANTEBOUT, ibid., p. 583.
101 René CHAPUS, Droit administratif
général, 3e éd. Paris, tome I, 1987, p.
481.
31
assimile quant à lui -de manière indirecte dans
sa jurisprudence relative à la loi- les deux types de
règlements.
La jurisprudence constitutionnelle a recréé
l'unité du pouvoir réglementaire en assignant aux dispositions
constitutionnelles délimitant les domaines législatif et
réglementaire une signification différente de celle qui avait
été, jusque-là, admise. Selon cette signification
nouvelle, l'article 37 (notre article 72.1) détermine l'étendue
du pouvoir réglementaire qui s'exerce lorsque le législateur
n'est pas ou pas encore intervenu et également, lorsqu'il est intervenu,
pour préciser les modalités d'application des lois102.
L'article 21 (notre article 44) détermine pour sa part l'autorité
investie du pouvoir réglementaire général, à savoir
le Premier ministre (le président de la République, dans notre
régime politique).
Il en découle deux conséquences majeures : d'une
part, il n'existe aucunement un pouvoir réglementaire autonome distinct
du pouvoir réglementaire dérivé103 et d'autre
part le pouvoir législatif dispose désormais et à
l'égard de toutes les matières d'un pouvoir de mise en
cause104. On aboutit ainsi timidement mais incontestablement
à un retour au critère organique de la loi.
En définitive, l'évolution de la jurisprudence
du Conseil constitutionnel montre clairement une remise en cause de la
distinction classique entre règlements autonomes et règlements
dérivés par une assimilation du pouvoir réglementaire au
pouvoir exécutif : le pouvoir réglementaire dont dispose le
président de la République est presque toujours un pouvoir de
mise en application des lois105.
102 Décision 76.94 du 2 décembre 1976,
Rec., p. 67 : « Considérant que la Constitution, en son
article 37, réserve au législateur la fixation des règles
concernant les droits civiques... et laisse, en vertu de son article 37, au
pouvoir réglementaire le soin d'édicter les mesures
nécessaires pour l'application de ces règles ». Ainsi le
degré d'intervention du législateur s'arrête à la
« mise en cause » (de toute matière) et ne saurait descendre
jusqu'aux modalités d'application laissées au pouvoir
réglementaire. Cette conception condamne deux idées bien
distinctes : celle de la distinction entre « la loi fixe les règles
» et « la loi détermine les principes fondamentaux » et
celle de l'existence même d'un pouvoir réglementaire autonome
distinct du pouvoir réglementaire dérivé.
103 Louis FAVOREU, « Les règlements autonomes
n'existent pas », Revue française de droit administratif,
1987, p. 871 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p.750-751.
104 Francis HAMON et Michel TROPER, ibid. ; René
DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 45.
105 Du domaine réglementaire autonome, on est
passé à un « domaine de compétence
partagée avec priorité au règlement » (Bernard
CHANTEBOUT, op.cit., p. 590) ; René DEGNI-SEGUI, ibid.
; Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit., p. 759.
Certes un domaine réglementaire opposable au législateur existe,
mais il n'est pas aussi étendu que l'on avait pu le croire. Le Conseil
constitutionnel se montre assez subtil : il déclare en effet, dans la
décision précitée du 30 juillet 1982, que la Constitution
« a voulu, à côté du domaine de la loi,
32
En revanche, le président de la République peut
se voir investir d'un véritable pouvoir de législation à
condition bien sûr d'en obtenir la délégation expresse de
l'Assemblée nationale.
B / Le pouvoir de législation
déléguée
Le président de la République peut se voir
temporairement autoriser à légiférer sur les
matières normalement réservées à la
compétence de l'Assemblée nationale. Ce pouvoir de
législation déléguée est soumis à des
conditions de mise en oeuvre (1) et obéit à un régime
juridique (2).
1. Les conditions de mise en oeuvre du pouvoir de
législation déléguée
Le pouvoir de législation déléguée
ne peut être mis en oeuvre au profit du pouvoir exécutif que si
certaines conditions sont satisfaites. Il faut d'une part le vote d'une loi
d'habilitation (a) et d'autre part des conditions plus formelles (b).
a. L'autorisation législative
Aux termes de l'article 75, « le président de la
République peut, pour l'exécution de son programme, demander
à l'Assemblée nationale l'autorisation de prendre par
ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont
normalement du domaine de la loi ». Plusieurs conditions tenant à
l'autorisation législative découlent de cette disposition.
Le président de la République doit d'abord
saisir l'Assemblée nationale, au moyen d'un projet de loi d'habilitation
en principe106, d'une demande d'autorisation de prendre des
ordonnances. L'Assemblée nationale peut accorder cette autorisation par
l'adoption d'une loi d'habilitation ; celle-ci accorde au président de
la République l'autorisation de prendre des ordonnances.
reconnaitre à l'autorité réglementaire
un domaine propre ». (Pierre PACTET et Ferdinand
MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 535).
106 Le demande d'autorisation par voie d'amendement est
cependant acceptée par le Conseil constitutionnel français (CC
n° 2006-534 DC du 16 mars 2006, Loi pour le retour à l'emploi...,
cons. 5) et est qualifiée par une certaine doctrine d' «
habilitation furtive » (Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, « Chronique
constitutionnelle française », Pouvoirs, n° 125, p.
171).
33
C'est pour faciliter au président de la
République « l'exécution de son programme » que le
législateur l'autorise à prendre des « mesures qui sont
normalement du domaine de la loi ».
S'agissant des matières législatives sur
lesquelles peuvent porter les ordonnances, le Conseil constitutionnel
français veille à ce qu'elles soient fixées avec une
précision suffisante. Si la loi d'habilitation n'est pas suffisamment
précise, il n'hésite pas à utiliser la technique des
décisions de conformité sous réserve et à
énoncer lui-même les précisions lui paraissant
nécessaires et que le Gouvernement (le président de la
République, dans le régime politique ivoirien) devra par
conséquent observer, sous le contrôle éventuel du juge
administratif107.
Il y a également les conditions tenant aux
délais impartis au président de la République. Il s'agit
d'une part du délai que fixe la loi d'habilitation et pendant lequel le
Président est autorisé à prendre des ordonnances ; d'autre
part, l'intervention du président de la République dans le
domaine législatif étant en principe soumis à un
contrôle ultérieur de l'Assemblée nationale, la loi doit
également impartir au président de la République un second
délai - nécessairement plus long que le premier- pour
déposer le projet de loi de ratification. Enfin, il faut noter
l'exigence jurisprudentielle de respecter de la Constitution. Cette exigence va
de soi et s'applique à la loi d'habilitation comme à toute loi en
principe108.
A ces conditions de fond s'ajoutent nécessairement des
conditions de forme tenant à l'édiction des ordonnances.
b. L'édiction des ordonnances
Aux conditions tenant à l'autorisation
législative et qui se ramènent à des conditions de fond
s'ajoutent des conditions plus formelles. Les ordonnances doivent avant tout
être prises dans le délai imparti au président de la
République. Elles peuvent faire l'objet d'un avis du Conseil
constitutionnel, doivent avoir été
délibérées en Conseil des ministres109 et
être
107 La décision du Conseil constitutionnel 86-208 des
1er et 2 juillet 1986 relative à l'élection des
députés et autorisant le Gouvernement à délimiter
par ordonnances les circonscriptions électorales est tout à fait
représentative de cette technique.
108 Le Conseil constitutionnel va même plus loin et
rappelle que la loi d'habilitation ne saurait « avoir ni pour objet ni
pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui
sont confiés en application de l'article 38 de la Constitution, du
respect des règles et principes de valeur constitutionnelle »
(Décision 86-208 des 1er et 2 juillet 1986). Ce qui lui
permet de développer son contrôle sur les matières
visées et sur les pouvoirs conférés par la loi.
109 La délibération des ordonnances en Conseil
des ministres a une double origine constitutionnelle : d'une part, l'article 75
qui dispose : « (...) Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres
après avis éventuel du
34
revêtues de la signature du président de la
République ; en outre, les ordonnances entrent en vigueur dès
leur publication.
Les actes édictés par le président de la
République en vertu de son pouvoir de législation
délégué obéissent en outre à un certain
régime juridique.
2. Le régime juridique des ordonnances de l'article 75
De la distorsion entre leur auteur et leur contenu
résulte un caractère hybride affectant le régime juridique
des ordonnances. Celui-ci est dominé par les deux délais
prévus par la loi d'habilitation : le délai imparti pour prendre
des ordonnances (a) et le délai imparti pour déposer le projet de
loi de ratification (b).
a. De la publication des ordonnances au délai de
dépôt de la loi de ratification
Dès leur publication, les ordonnances entrent en
vigueur et déploient leurs effets juridiques : elles peuvent, dans le
cadre de l'autorisation parlementaire, modifier, abroger, remplacer les lois
existantes ou édicter des mesures nouvelles. Cependant, elles demeurent
des actes administratifs bien qu'ayant une finalité législative
et, en cette qualité, sont susceptibles de recours contentieux et
annulables par le juge administratif110 ; d'autre part, elles ne
peuvent déroger ni à la Constitution ni aux principes
généraux de droit111. Contrairement à ce qui a
pu être soutenu112, l'Assemblée nationale n'est pas
dessaisie de son droit de légiférer sur les matières
déléguées de sorte que, pendant le premier délai,
sur la même matière, deux types de compétences
-présidentielle et parlementaire- peuvent s'exercer
concomitamment113.
Conseil constitutionnel (...)» et d'autre part, l'article
51 : « (...) Le Conseil des ministres délibère
obligatoirement (...) des projets de lois, d'ordonnances et des décrets
réglementaires (...) ».
110 Conseil d'État, 3 novembre 1960, Damiani.
111 Les ordonnances prises par le président de la
République en matière législative en vertu de l'article 38
(article 75 Constitution ivoirienne) de la Constitution sont soumises au
respect des principes généraux de droit proprement dits (Conseil
d'État, 24 novembre 1961, Fédération nationale des
syndicats de police). Alors que l'on sait que ces principes
généraux de droit ne s'imposent pas au législateur.
112 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 47 ; Obou
OURAGA, op.cit., p. 233.
113 L'article 76 de la Constitution n'autorise à
prononcer l'irrecevabilité qu'à l'encontre des propositions et
amendements qui ne sont pas du domaine de la loi. L'omission voulue par les
auteurs des Constitutions de 1960 (art. 46) et de 2000 (art. 76) autorise
l'interprétation du non-dessaisissement de l'Assemblée nationale
dans le cadre de la loi d'habilitation. Francis Wodié écrit
toutefois qu' « en bonne et stricte logique (technique) juridique, la
délégation de compétence (pouvoir) entraîne ipso
jure dessaisissement de l'autorité délégante pendant tout
le temps de cette délégation ; ainsi l'autorité
délégante ne peut évoquer pendant ce temps
(délai)
35
Lorsque le délai imparti pour prendre des ordonnances
est expiré, les ordonnances demeurent des actes réglementaires.
Le président de la République ne peut plus prendre de nouvelles
ordonnances puisque l'autorisation législative qui lui avait
été accordée a pris fin et il ne peut pas davantage,
à l'égard des ordonnances déjà
édictées et pour la même raison, modifier celles de leurs
dispositions ayant un caractère législatif. Concernant
l'Assemblée nationale, il n'est pas exact de dire qu'elle recouvre sa
compétence sur les matières qui avaient fait l'objet de la loi
d'habilitation car, ainsi que nous l'avons déjà indiqué,
elle n'a jamais perdu cette compétence ; mais elle dispose seule
désormais de la faculté de modifier les ordonnances
édictées. Nous sommes donc en présence d'une
catégorie d'actes à valeur réglementaire, susceptibles en
tant que tels d'annulation par le juge administratif, mais dont les
dispositions matériellement législatives ne peuvent être
modifiées que par la loi et non par le règlement.
Dès que ce premier délai est expiré, il
faut envisager un régime juridique différent de celui que nous
venons d'étudier.
b. Après l'expiration du délai de
dépôt de la loi de ratification
Deux hypothèses doivent être distinguées
selon que le président de la République a déposé ou
non à temps le projet de loi de ratification sur le bureau de
l'Assemblée nationale.
Si le président de la République n'a pas
déposé à temps le projet de loi de ratification, les
ordonnances prises deviennent caduques : il s'agit donc d'une simple abrogation
et non d'une nullité ab initio. Le simple dépôt du
projet de loi de ratification par le président de la République
suffit : si le projet est déposé mais ne vient pas en discussion,
les ordonnances demeurent des actes administratifs avec les implications que
cela comporte.
Si le président de la République dépose
à temps le projet de loi de ratification, trois hypothèses
peuvent être distinguées. D'abord, l'Assemblée nationale
bien que saisie dans le délai ne se prononce pas : les ordonnances
continuent à s'appliquer avec leur nature d'actes administratifs.
Ensuite, l'Assemblée nationale refuse de ratifier les ordonnances prises
et elles
une affaire comprise dans la délégation de
compétence ; d'où le rejet de la concurrence de
compétences pendant ce délai » (op.cit., p.
199).
36
deviennent caduques. Enfin, elle ratifie les
ordonnances114 et celles-ci acquièrent force de loi pour
l'avenir et échappent à tout recours contentieux.
Mais le Conseil constitutionnel peut être amené
à apprécier la conformité à la Constitution de
certaines ordonnances auxquelles la confirmation parlementaire -exercée
le cas échéant en les modifiant- a conféré valeur
législative. Ce faisant, le président de la République
pourrait saisir le Conseil constitutionnel au titre de l'article 72.2 pour lui
demander de constater que certaines dispositions d'une ordonnance ayant acquis
valeur législative sont matériellement réglementaires.
La répartition des compétences entre
l'Assemblée nationale et le président de la République
telle qu'opérée par la Constitution n'est pas sans susciter
d'éventuels empiètements d'un organe sur le domaine de
compétences de l'autre. Des procédures sont donc prévues
pour non seulement protéger les domaines respectifs du président
de la République et de l'Assemblée nationale mais
également pour sanctionner les ingérences réciproques.
Section II : La sanction attachée à la
délimitation des compétences
La distinction entre matières législatives et
matières réglementaires établie par la Constitution peut
s'avérer insuffisamment précise. Il est également presque
inévitable que chacun des organes soit amené à
étendre ses compétences au-delà de son domaine propre. En
prévision de telles situations, se trouvent être assurées
la protection du domaine réglementaire (paragraphe 1) aussi bien que
celle du domaine législatif (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La protection du domaine
réglementaire
La protection du domaine réglementaire est
organisée par la Constitution elle-même. Cette protection est
rigoureuse car elle est à la fois a priori (A) et a
posteriori (B).
A/ Une protection a priori : l'opposition
d'irrecevabilité de l'article 76
114 L'article 75 impose, à peine de caducité, le
dépôt d'un projet de loi de ratification « avant la date
fixée par la loi d'habilitation ». Il n'interdit pas pour autant
que la ratification puisse intervenir par l'adoption d'un texte de loi
différent du projet déposé et ayant un objet plus
étendu, de sorte que le projet de loi de ratification ne pourrait plus
avoir qu'une fonction conservatoire, en évitant la caducité des
ordonnances.
37
La protection a priori prévue à
l'article 76 de la Constitution résulte de l'accord nécessaire
entre les présidents de la République et de l'Assemblée
nationale (1). Mais les députés ne sont pas
désarmés devant cet accord intervenu entre les organes de la
même majorité : ils peuvent le contester devant le Conseil
constitutionnel (2).
1. Un accord nécessaire entre les présidents de la
République et de l'Assemblée nationale
Une irrecevabilité peut être
décidée contre les propositions et amendements de lois qui ne
sont pas du domaine législatif. Il faut pour cela que le
président de la République soulève une opposition
d'irrecevabilité (a) et que le président de l'Assemblée
nationale la retienne (b).
a. Un moyen de défense invoqué par le
président de la République
Les propositions de lois et les amendements parlementaires qui
ne sont pas du domaine de la loi sont irrecevables. Cette règle est une
conséquence logique de la délimitation des domaines de
compétences législatives et réglementaires puisque
l'Assemblée nationale ne peut intervenir en dehors de son domaine de
compétences propre.
La Constitution ne précise pas l'autorité qui a
qualité pour soulever l'irrecevabilité. Mais étant
donné qu'il s'agit de protéger le domaine réglementaire
des empiètements éventuels du législateur, il est logique
d'admettre que cette prérogative revienne au président de la
République. C'est d'ailleurs cette solution que fournit le
règlement de l'Assemblée nationale en son article
54.3115 qui précise que l'irrecevabilité est
prononcée par le président de l'Assemblée nationale
après avis de la conférence des présidents ou à la
demande du président de la République.
Il est à noter que l'irrecevabilité n'est
dirigée ici que contre les propositions et les amendements d'origine
parlementaire. Mais le règlement de l'Assemblée nationale en son
article 54.3 inclut également dans le champ des irrecevabilités
les projets de lois qui ne sont pas du domaine de la loi116.
115 C'est l'ancien article 52.3 du règlement de
l'Assemblée nationale avant sa modification par la résolution
n° 2006 A du 1er juin 2006.
116 Outre le fait que cette disposition est
inconstitutionnelle, elle est de surcroît illogique :
l'irrecevabilité de l'article 76 doit être analysée comme
un moyen de protection du domaine réglementaire et dès lors que
le président de la République lui-même dépose un
projet de loi dont certaines dispositions empiètent sur le domaine
réglementaire, il va sans dire qu'il consent à ces
empiètements.
38
Aussi longtemps que la proposition ou l'amendement n'est pas
voté, le président de la République peut soulever
l'irrecevabilité en demandant au président de l'Assemblée
nationale de la prononcer. Dans certains régimes politiques
étrangers, ce droit appartient à l'exécutif même
pour défendre la compétence législative que le Parlement
lui a déléguée si bien que la délégation a
pour effet de déposséder complètement le Parlement des
questions qu'il a prêtées à la réglementation
gouvernementale ; c'est la solution notamment en droit constitutionnel
béninois117.
Mais le président de la République ne dispose
pas de la faculté de décider unilatéralement de
l'irrecevabilité. Il doit nécessairement s'adresser au
président de l'Assemblée nationale qui doit accepter de donner
une suite favorable à sa demande.
b. Un moyen de défense accepté par le
président de l'Assemblée nationale
Si le président de la République soulève
l'irrecevabilité, il faut encore que le président de
l'Assemblée nationale admette que la proposition ou l'amendement contre
lesquels l'irrecevabilité est invoquée empiètent bien sur
le domaine réglementaire. La décision d'irrecevabilité
est, aux termes de l'article 76.1 de la Constitution, une prérogative
constitutionnelle du président de l'Assemblée nationale.
Si le président de l'Assemblée nationale
conteste l'irrecevabilité invoquée par le président de la
République, celui-ci pourra saisir le Conseil constitutionnel. Mais en
raison de la nature de notre régime politique et plus encore du contexte
politique ivoirien, il semble hypothétique que le président de
l'Assemblée fasse de la résistance à une demande
exprimée par le Chef de l'État : il est donc plus certain que les
volontés concordantes de l'un et de l'autre empêchent la poursuite
de la discussion de la proposition ou de l'amendement jugé
irrecevable.
Mais bien heureusement, il existe une procédure
constitutionnelle permettant aux députés de l'opposition de
contester devant le Conseil constitutionnel cet accord intervenu entre les
organes de la même majorité.
117 L'article 104.2 de la Constitution béninoise
dispose que : « S'il apparaît que la proposition ou l'amendement
sont contraires à une délégation accordée en vertu
de l'article 102 de la présente Constitution, le Gouvernement peut
opposer l'irrecevabilité ». L'article 102 de la Constitution
béninoise est celui qui prévoit le pouvoir de législation
déléguée.
39
2. La contestation de l'accord entre les présidents de
la République et de l'Assemblée nationale
La contestation par les députés de l'opposition
de l'accord intervenu entre les présidents de la République et de
l'Assemblée nationale en matière d'irrecevabilité des
propositions et amendements entraîne la saisine du Conseil
constitutionnel (a). Celui-ci apparaît en définitive comme le juge
suprême des décisions d'irrecevabilité de l'article 76
(b).
a. La saisine du Conseil constitutionnel par les
députés
Les députés qui contesteraient la
décision d'irrecevabilité ne sont pas désarmés car
ils pourraient toujours saisir le Conseil constitutionnel afin que celui-ci
tranche la difficulté. Cette faculté ouverte aux
députés -le seuil requis est le quart des députés
au moins- par l'article 76 in fine de la Constitution est importante
car elle donne en pratique une arme aux députés de l'opposition
entendant contester l'irrecevabilité prononcée par le
président de l'Assemblée nationale à la demande d'un
président de la République du même bord politique.
Évidemment, le président de la République dispose lui
aussi de la faculté de saisir le Conseil constitutionnel pour contester
la décision du président de l'Assemblée nationale refusant
de prononcer l'irrecevabilité qu'il demande118. Mais le
contexte politique ivoirien rend improbable, nous l'avons déjà
dit, un tel conflit entre ces deux organes.
Dans le cadre de la Constitution béninoise, l'accord du
Gouvernement et du président de l'Assemblée nationale
désarme au contraire les députés auteurs de la proposition
déclarée irrecevable. Ils ne disposent pas de la faculté
de saisir la Cour constitutionnelle : le Gouvernement et le président de
l'Assemblée nationale -appartenant à une même
majorité politique- pourraient de la sorte s'entendre -l'un soulevant
l'irrecevabilité et l'autre la prononçant- pour enterrer
systématiquement toutes les propositions et amendements des
118 Article 76 de la Constitution : « (...) En cas de
contestation, le Conseil constitutionnel, saisi par le président de
la République ou par un quart des députés au moins,
statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine
(...)». Il apparaît donc que le président de
l'Assemblée nationale ne dispose pas, en cette matière, de la
faculté de saisir le Conseil constitutionnel. Il faut donc
s'étonner de ce que le règlement de l'Assemblée nationale,
en son article 54.3, dispose qu' « en cas de désaccord entre eux
(entre le président de la République et le président de
l'Assemblée nationale), le Président (de l'Assemblée
nationale) peut consulter le Conseil constitutionnel... ». Ensuite,
l'arbitrage exercé en ce cas par le Conseil constitutionnel étant
bien décisionnel en ce qu'il statue au contentieux, il convient de ne
pas prendre au pied de la lettre cet article 54.3 qui dispose qu' « en cas
de désaccord entre eux, le président peut consulter le
Conseil constitutionnel... ». Enfin le délai imparti au Conseil
constitutionnel pour statuer est de quinze jours aux termes de la Constitution
et non de huit jours comme l'énonce le règlement de
l'Assemblée nationale (art. 54.3).
40
députés de l'opposition sans que ceux-ci ne
puissent contester cette décision devant le juge constitutionnel.
Celui-ci ne peut être saisi que dans le cas où le président
de l'Assemblée nationale refuserait de prononcer l'irrecevabilité
demandée par le Gouvernement : saisie par l'un ou par l'autre, la Cour
constitutionnelle statuerait dans un délai de huit jours (art.
104.3).
La faculté ouverte aux députés de
contester l'accord intervenu entre le président de l'Assemblée
nationale et le président de la République -deux organes de la
même majorité-limite par conséquent l'arbitraire du pouvoir
d'État en matière de décisions d'irrecevabilité
à l'encontre des propositions et amendements en faisant en
définitive du Conseil constitutionnel le seul juge de
l'appréciation des décisions d'irrecevabilité.
b. Le Conseil constitutionnel, seul juge des décisions
d'irrecevabilité
La saisine du Conseil constitutionnel suspend la discussion de
la proposition de loi ou de l'amendement au sujet desquels se sont
élevées les contestations quant à leur
irrecevabilité. Si le Conseil constitutionnel ne statue pas dans le
délai qui lui est imparti119, le texte est
réputé recevable et l'Assemblée nationale est
autorisée à l'examiner.
Si le président de la République n'agit pas au
stade de la procédure législative pour opposer
l'irrecevabilité à la proposition de loi empiétant sur le
domaine réglementaire, il peut encore -après que cette
proposition de loi est définitivement adoptée- la
déférer à la censure du Conseil constitutionnel : c'est
une des modalités de la protection a
posteriori120.
B/ Une protection a posteriori : le contrôle de
constitutionnalité et le déclassement des lois
La protection a posteriori du domaine
réglementaire consiste essentiellement en un contrôle de
constitutionnalité des lois votées (1) et en la
possibilité de déclasser certaines lois intervenues avant
l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000 (2).
1. Le contrôle de constitutionnalité de la loi
119 Ce délai est de quinze jours aux termes de
l'article 76.2 et non de huit jours comme l'affirme le règlement de
l'Assemblée nationale en son article 54.3 ; il conviendrait de corriger
les nombreuses contradictions qui existent entre la Constitution et le
règlement de l'Assemblée nationale, notamment celles relatives
à la question des irrecevabilités de l'article 76 de la
Constitution (voir à cet effet la note précédente).
120 La protection est a posteriori en ce sens que la
proposition a franchi le stade de l'adoption et est devenue loi ; le Conseil
constitutionnel, s'il juge qu'il y a inconstitutionnalité, n'intervient
qu'à titre « curatif » et non préventif.
41
Le contrôle de constitutionnalité des lois se
présente comme un moyen « curatif » de l'empiètement de
la loi sur le domaine réglementaire (a). Mais le sort de la loi
déclarée inconstitutionnelle dépend de la forme de la
déclaration d'inconstitutionnalité (b).
a. Un moyen curatif de l'empiètement de la loi sur le
domaine réglementaire
Lorsque la proposition (ou l'amendement) a été
adoptée et qu'elle est par conséquent devenue loi, elle peut
encore, avant sa promulgation, être déférée au
Conseil constitutionnel saisi par le président de la République,
le président de l'Assemblée nationale ou un dixième au
moins des députés ou par les groupes
parlementaires121.
L'article 95.2 de la Constitution permet au président
de la République de demander aux juges constitutionnels de censurer cet
empiètement de la loi sur le domaine réglementaire : si ceux-ci
reconnaissent qu'il y a bien transgression du critère matériel de
la loi par le texte voté, les dispositions réglementaires
pourront en être extirpées.
La saisine du Conseil constitutionnel est, entre les mains du
président de la République ou des autres organes de la
majorité, un moyen efficace de protection du domaine
réglementaire. Le Président peut en effet s'abstenir de
promulguer la loi jusqu'à l'expiration du délai de promulgation
qui est de quinze jours et la déférer ensuite, avant l'expiration
de ce délai, aux juges constitutionnels. Au contraire, rien ne
l'empêche, s'il n'entend pas contester une loi, de la promulguer
dès les premières heures suivant la transmission qui lui en est
faite privant ainsi les députés (de l'opposition) d'exercer leur
droit de saisine du Conseil constitutionnel.
Dès que le Conseil constitutionnel est saisi, le
délai de promulgation cesse de courir, il est suspendu jusqu'à sa
décision qui doit être rendue dans le délai maximum de
quinze jours (article 77 in fine). Au cas où le Conseil
constitutionnel déclare que la loi contestée est conforme
à la Constitution, le Président devra en principe se
résoudre à la promulguer. Mais
121 Les articles 77.1 et 95.2 posent un problème de
qualité de rédaction de la Constitution : l'article 77.1 portant
exactement sur le même objet que l'article 95.2 ne mentionne pas le
président de la République comme l'une des autorités
pouvant saisir le Conseil constitutionnel et n'indique pas que la saisine de
celui-ci suspend le délai de promulgation tandis que l'article 95.2
n'indique pas le délai dans lequel doit statuer le Conseil
constitutionnel saisi, de sorte que l'on doit lire les deux articles
séparément pour avoir une vue d'ensemble sur la question de la
saisine du Conseil constitutionnel en matière de lois. Il aurait
été plus cohérent de rédiger sous le même
article ces divers éléments en évitant ainsi cet
impression de redondance et d'insuffisance des deux articles.
42
si le Conseil décide que la loi comporte
réellement des dispositions non législatives, son sort
dépendra de la forme de la déclaration
d'inconstitutionnalité.
b. Le sort de la loi empiétant sur le domaine
réglementaire et déclarée inconstitutionnelle
Le sort de la loi déclarée inconstitutionnelle
en raison de son empiètement sur le domaine réglementaire
dépend de la forme de la déclaration
d'inconstitutionnalité. Celle-ci peut en effet revêtir deux formes
: soit le Conseil constitutionnel estime que la disposition inconstitutionnelle
est inséparable du reste du texte, auquel cas la loi tout entière
ne peut être promulguée ou appliquée122 soit il
estime que les dispositions inconstitutionnelles peuvent être
séparées du texte, auquel cas le président de la
République peut, ou bien promulguer le texte amputé desdites
dispositions -en occurrence les dispositions non législatives- ou bien
demander une seconde délibération de la loi à
l'Assemblée nationale afin de substituer de nouvelles dispositions
conformes à la Constitution à celles qui ont été
déclarées inconstitutionnelles123 (art. 42.3 de la
Constitution).
Une autre modalité de la protection a posteriori
aux mains du pouvoir exécutif est la délégalisation
des textes de forme législative.
2. La délégalisation des textes de forme
législative
La délégalisation des textes de forme
législative permet au président de la République d'obtenir
le déclassement par voie de décret de certaines lois
adoptées avant la délimitation des domaines législatif et
réglementaire opérée par la Constitution de 2000 (a). Mais
cette procédure de délégalisation est beaucoup moins
radicale en régime politique ivoirien qu'en d'autres régimes
politiques africains (b).
122 L'article 28 de la loi du 5 août 1978 à
laquelle la Constitution du 3 novembre 1960 (muette sur la question du
contrôle de constitutionnalité) renvoyait, dispose -reprenant en
cela l'article 62 de la Constitution française du 4 octobre 1958- que :
« Aucune disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut
être promulguée ou entrer en vigueur ». Il s'ensuit que la
déclaration d'inconstitutionnalité d'une loi s'oppose seulement
à sa promulgation et à son application, la loi
déclarée inconstitutionnelle n'est par conséquent ni nulle
ni annulée.
123 La solution dégagée par le juge
constitutionnel français dans sa décision du 23 août 1985
(n° 85-197 D.C) relative à la loi sur l'évolution de la
Nouvelle-Calédonie a été reprise par le législateur
ivoirien dans la loi du 16 août 1994 relative au Conseil constitutionnel
en ses articles 27 et 28 qui disposent respectivement « qu'au cas
où le Conseil constitutionnel décide que la loi contient une
disposition contraire à la Constitution et inséparable de
l'ensemble de cette loi, celle-ci ne peut être promulguée »
et qu'en revanche « dans le cas où la Conseil constitutionnel
décide que la loi contient une disposition contraire à la
Constitution sans constater en même temps qu'elle est inséparable
de l'ensemble de cette loi, le Président de la République peut
soit promulguer la loi à l'exception de cette disposition soit
demander à l'Assemblée nationale une nouvelle lecture
».
a.
43
Un moyen de reclassement des lois adoptées avant la
délimitation des domaines législatif et réglementaire
opérée par la Constitution de 2000
De nombreuses lois ont été adoptées
depuis la naissance de la République de Côte d'Ivoire et -par
l'effet de la délimitation des domaines législatif et
réglementaire opérée par la Constitution de 2000- elles
portent après coup sur des matières non législatives. Ces
lois sont dénommées des « textes de forme législative
» en ce qu'elles se caractérisent par la dissociation des
critères matériel et organique qui définissent
désormais la loi : organiquement, ce sont des lois parce qu'ayant
été adoptées par des organes législatifs mais
matériellement elles portent sur des matières devenues
réglementaires124.
Le président de la République peut obtenir le
déclassement de ces lois en les modifiant par décret : il doit
simplement le faire après un avis du Conseil constitutionnel. Cette
procédure connue sous le nom de délégalisation ou de
décrétalisation permet de rétablir une unité rompue
-par l'effet de la Constitution de 2000- de la forme et du fond des lois
intervenues pendant quarante ans.
La procédure de délégalisation est
traditionnelle dans la plupart des régimes politiques africains
connaissant une délimitation des compétences législatives
et réglementaires ; ainsi la Constitution du Niger, en son article 103.2
énonce que : « les textes de forme législative intervenus en
ces matières antérieurement à l'entrée en vigueur
de la présente Constitution, peuvent être modifiés par
décret pris après avis de la Cour constitutionnelle ».
Mais elle est moins radicale en droit constitutionnel
ivoirien en ce qu'elle est inexistante à l'égard des lois
intervenues après l'entrée en vigueur de la Constitution de
2000.
b. Un moyen de reclassement inexistant à
l'égard des lois intervenues après l'entrée en vigueur de
la Constitution de 2000
Le moyen offert au président de la République
d'obtenir le déclassement -en les modifiant par décrets- des lois
intervenues dans des matières devenues législatives par l'effet
de la Constitution de 2000 se limite aux lois votées avant la
délimitation des domaines législatif et réglementaire : il
ne peut pas modifier par décret des lois votées après
l'entrée en
124 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 194-195.
44
vigueur de la Constitution et qui n'ont pas été
déférées au Conseil constitutionnel avant leur
promulgation125.
Dans le régime politique malien, l'exercice du pouvoir
réglementaire aboutissant à modifier des lois peut se produire
dans deux hypothèses : ou bien les lois en question ont
été votées avant la délimitation des domaines
législatif et réglementaire opérée par la
Constitution ; ou bien des lois votées après cette
délimitation n'ont pas été déférées
à la Cour constitutionnelle avant leur promulgation. Dans la
première hypothèse, le Gouvernement peut modifier librement les
lois existantes par décret : il est simplement obligé de le faire
par décret après avis de la Cour suprême (art. 73.2 de la
Constitution malienne). Au contraire, dans le second cas, il ne peut le faire
que si la Cour constitutionnelle a déclaré le caractère
réglementaire de ces lois : si un Gouvernement, par négligence ou
par volonté politique délibérée, ne
défère pas à la Cour constitutionnelle, avant
promulgation, une loi intervenant hors du domaine réservé au
pouvoir législatif, ses successeurs ne seront pas enchaînés
par sa décision, puisqu'ils pourront ainsi la remettre en cause devant
la Cour constitutionnelle et la modifier ensuite par décret (art. 73.3).
Des solutions similaires à ou proches de celle fournie dans la
Constitution malienne existent également dans plusieurs autres
Constitutions africaines126.
De même que le domaine réglementaire, le domaine
législatif est également protégé d'éventuels
empiètements du pouvoir exécutif.
Paragraphe 2 : La protection du domaine
législatif
La protection du domaine législatif est assurée
soit par le recours pour excès de pouvoir (A) soit par divers autres
moyens notamment la déréglementation de facto des textes
de forme réglementaire (nous avons convenu de l'appeler ainsi) et la
théorie jurisprudentielle de l'incompétence négative du
législateur (B).
A/ Un moyen de protection aléatoire mais efficace : le
recours pour excès de pouvoir
125 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 207.
126 Constitution du Sénégal (art. 76.2) et autres
Constitutions africaines...
45
Le recours pour excès de pouvoir apparaît comme
un véritable contrôle de constitutionnalité des
règlements (1). Le sort réservé aux règlements
déclarés inconstitutionnels est d'ailleurs plus prononcé
que celui des lois déclarées comme telles (2).
1. Un véritable contrôle de
constitutionnalité des règlements empiétant sur le domaine
législatif127
Le recours pour excès de pouvoir est un moyen curatif
de l'empiètement du règlement sur le domaine législatif
(a) mais il reste fermé au Parlement tout en étant ouvert aux
citoyens (b).
a. Un moyen curatif de l'inconstitutionnalité du
règlement en raison de son empiètement sur le domaine
législatif
Parce qu'il n'existe aucune protection préventive -la
contrepartie de l'opposition d'irrecevabilité à l'encontre des
propositions qui ne sont pas du domaine de la loi- contre les règlements
susceptibles d'empiéter sur le domaine de la loi, le règlement
même inconstitutionnel continuera cependant à s'appliquer. Le
recours pour excès de pouvoir qui sera éventuellement
formé contre ce règlement ne peut alors apparaître que
comme un moyen « curatif » de son inconstitutionnalité : il
intervient a posteriori, alors que l'empiètement est
réalisé et que le règlement inconstitutionnel est devenu
exécutoire et a déjà commencé à produire ses
effets.
Nous parlons bien de règlement inconstitutionnel. Car
le juge administratif -la chambre administrative de la Cour suprême- est
bel et bien un juge de la constitutionnalité, et pas seulement un juge
de la légalité stricto sensu, des actes
administratifs128. Ce contrôle de constitutionnalité
permet au juge administratif d'imposer le respect, par les actes
administratifs, de la norme constitutionnelle : un décret du
président de la République qui excéderait la
compétence réglementaire c'est-à-dire qui
empièterait sur le domaine législatif
127 Jean-Marc SAUVE, Justice administrative et État
de droit, intervention à l'Institut d'études judiciaires de
l'Université Panthéon-Assas sur le thème "Justice
administrative et État de droit", le lundi 10 février 2014.
128 Si un règlement est déféré
à la censure de la chambre administrative de la Cour suprême en
raison de son empiètement sur le domaine législatif et que
celle-ci procède à un examen dudit règlement, le
contrôle qu'elle exerce est bien un contrôle de
constitutionnalité : elle vérifie, au regard de la Constitution
et notamment de son article 71, si le règlement porte sur l'une des
matières que les auteurs de la Constitution ont laissée à
la compétence du législateur. Le seul contrôle que le juge
administratif se refuse à exercer est celui de la
constitutionnalité des lois qui, aux termes de la Constitution, revient
au Conseil constitutionnel.
46
en méconnaissance des dispositions constitutionnelles
serait contraire à la Constitution et pourrait être
annulé.
Mais à la différence de la contestation de la
loi ouverte aux organes de la majorité - présidents de la
République et de l'Assemblée nationale, députés du
parti au pouvoir- par la saisine du Conseil constitutionnel, la contestation du
règlement reste fermée aux députés (au pouvoir
législatif) -et en pratique à l'opposition parlementaire- et
n'est ouverte qu'aux citoyens par la saisine de la chambre administrative de la
Cour suprême.
b. Un moyen de recours fermé au Parlement mais ouvert aux
citoyens
Ce ne sont ni le président de l'Assemblée
nationale ni les députés qui peuvent former le recours contre le
règlement inconstitutionnel. Ce recours ne peut être formé
que par un particulier qui doit avoir la qualité d'ester en justice et
un intérêt pour agir. Une étude plus approfondie de cette
question, relevant du contentieux administratif129, exigerait de
trop longs développements mais rappelons simplement ici que la
qualité de requérant est entendue de manière assez
libérale par la jurisprudence administrative. La saisine du juge
administratif par les seuls citoyens (à l'exclusion des
députés ?) ne semble pas par conséquent une
modalité de saisine moins démocratique que la saisine du Conseil
constitutionnel qui est, elle, expressément consacrée au profit
de l'exécutif et des autres organes de la majorité : de
très nombreux citoyens peuvent en effet être fondés
à attaquer un règlement inconstitutionnel. D'autre part, si le
délai de recours contre le règlement inconstitutionnel est
relativement court -deux mois- au-delà duquel aucun recours pour
excès de pouvoir n'est recevable, une exception d'irrecevabilité
pourra toujours être soulevée contre un règlement en cours
d'instance.
Le recours pour excès de pouvoir exercé devant
la chambre administrative de la Cour suprême paraît donc être
-contrairement à ce que l'on eût pu penser- une contrepartie assez
équitable du contrôle de constitutionnalité des lois
exercé par le Conseil constitutionnel130. Le sort
réservé au règlement déclaré
inconstitutionnel par le juge de l'excès de pouvoir est d'ailleurs plus
sévère que celui de la loi déclarée comme telle par
le Conseil constitutionnel.
129 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 67-81 ;
René DEGNI-SEGUI, Droit administratif général : le
contrôle juridictionnel, 3e éd., Abidjan, CEDA,
tome III, 2003.
130 Le fait que, par exemple, le recours pour excès de
pouvoir ne soit pas suspensif en ce que le règlement contesté
continue à produire ses effets jusqu'à la décision
éventuelle d'annulation est compensé par le fait que si cette
décision d'annulation intervenait, le règlement
disparaîtrait ex numc et ab initio, c'est-à-dire
comme s'il n'avait jamais été pris (René DEGNI-SEGUI,
ibid.).
47
2. Le sort du règlement déclaré
inconstitutionnel en raison de son empiètement sur le domaine
législatif
Le règlement reconnu comme violant la Constitution -en
occurrence en raison de son empiètement sur le domaine
législatif- sera annulé par le juge de l'excès de pouvoir
(a) et les effets de cette annulation sont plus prononcés que ceux
résultant de la déclaration d'inconstitutionnalité des
lois (b).
a. La déclaration d'annulation des règlements
empiétant sur le domaine législatif (...)
Si le règlement est reconnu comme empiétant sur
le domaine législatif, la chambre administrative de la Cour
suprême l'annulera. La décision d'annulation a une portée
absolue au double plan personnel et temporel.
Rationae personae, la décision d'annulation
possède l'autorité absolue de chose jugée. L'annulation
produit effet à l'égard de tous. L'article 75 de la loi n°
94-4440 du 16 août 1994 relative à la Cour
suprême131 reconnaît expressément cette
autorité aux décisions d'annulation : « l'arrêt de la
chambre administrative annulant en tout ou partie un acte administratif a effet
à l'égard de tous ». Par conséquent, l'arrêt
d'annulation doit être publié au Journal officiel (art. 75.2 de la
loi). Le bénéfice de l'autorité absolue de chose
jugée à la décision d'annulation s'explique par le
caractère objectif du recours pour excès de pouvoir, qui est un
procès fait non à une partie -dans ce cas, au président de
la République- mais à un acte.
Rationae temporis, le règlement annulé
est réputé n'être jamais intervenu et il disparaît en
principe avec tous ses effets : c'est l'effet rétroactif de l'annulation
pour excès de pouvoir, qui confère au recours pour excès
de pouvoir sa puissance et son efficacité132.
Par tous ces caractères, la déclaration
d'annulation du règlement inconstitutionnel par la chambre
administrative en raison de son empiètement sur le domaine
législatif est plus sévère dans ses effets que la
déclaration d'inconstitutionnalité de la loi par le Conseil
constitutionnel.
b. (...) entraînant des effets plus prononcés
que ceux résultant de la déclaration
d'inconstitutionnalité des lois empiétant sur le domaine
réglementaire
131 Journal officiel de la République de Côte
d'Ivoire, septembre 1994, p. 714.
132 Conseil d'État, 26 décembre 1925, R.D.P., 126,
32.
48
Le sort réservé aux règlements
annulés est plus sévère que celui qui frappe les lois
déclarées inconstitutionnelles. En effet, la loi
déclarée inconstitutionnelle ne peut simplement pas être
promulguée ou appliquée. Il en résulte que la loi
déclarée inconstitutionnelle n'est pas annulée : elle
survit à la déclaration d'inconstitutionnalité qui
s'oppose uniquement à ce qu'elle soit promulguée ou
appliquée. Par cette solution, le constituant a certainement voulu
préservé le pouvoir d'appréciation et de décision
du législateur. On peut ici rappeler la décision du Conseil
constitutionnel français en date du 23 août 1985 relative à
la loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie : « lorsque,
par l'effet d'une décision du Conseil constitutionnel, il apparaît
que certaines dispositions de la loi non conformes à la Constitution,
sans la rendre dans son ensemble contraire à la Constitution, peuvent au
cours de la nouvelle délibération se voir substituer de nouvelles
dispositions conformes à la Constitution... », la loi ainsi rendue
conforme à la Constitution, sera promulguée et
appliquée.
Si le législateur pourra reprendre la loi
déclarée inconstitutionnelle et l'accorder à la
Constitution pour qu'ensuite, elle puisse être promulguée ou
appliquée, le président de la République doit au
contraire, en tant que de besoin, reconstituer le passé comme si le
règlement annulé n'était jamais
intervenu133.
Deux autres moyens de protection du domaine législatif
en plus de celui que nous venons de voir -l'un aux mains des
députés et l'autre d'origine jurisprudentielle- sont la
déréglementation de facto des textes de forme
réglementaire et la théorie de l'incompétence
négative du législateur.
B/ Les autres moyens de protection du domaine
législatif
L'un de ces moyens -la déréglementation de
facto des textes de forme réglementaire-est politique (1) et
l'autre -la théorie de l'incompétence négative du
législateur- est d'origine jurisprudentielle (2).
133 Pour les conditions relatives au recours pour excès
de pouvoir : Martin Djézou BLÉOU, Les grands arrêts de
la jurisprudence administrative ivoirienne, Abidjan, CNDJ, 2014, p.
339-347.
49
1. La déréglementation de facto des
textes de forme réglementaire, moyen politique de protection du domaine
législatif134
Le dépôt et l'adoption d'une proposition de loi
sur la matière objet du règlement contesté peut aboutir
à une déréglementation de fait de celui-ci (a). Mais il
faut compter avec la réponse du président de la République
et les conséquences susceptibles d'en résulter (b).
a. Le dépôt et l'adoption d'une proposition de
loi sur la matière objet du règlement contesté
Si le président de la République prend un
règlement sur une des matières réservées à
la compétence de l'Assemblée nationale, les députés
de l'opposition pourraient déposer une proposition de loi sur la
même matière afin de faire échec à la tentative du
président de la République et tenter de rétablir à
leur tour la matière irrégulièrement soustraite par
celui-ci au domaine de la loi.
Cette procédure est la contrepartie politique de la
faculté institutionnelle offerte au président de la
République de délégaliser les textes de forme
législative intervenus avant la délimitation des domaines
législatif et réglementaire par la Constitution de 2000.
Les textes de forme réglementaire n'étant que
des règlements en la forme en ce qu'ils ont été pris par
une autorité réglementaire -le président de la
République- tandis qu'au fond ils ne portent pas sur des matières
autres que celles qui relèvent du domaine de la loi comme l'exige
l'article 72.2 de la Constitution135, l'adoption de la proposition
de loi sur la matière objet dudit texte de forme réglementaire
conduirait au reclassement, à la restitution de cette matière
dans le domaine législatif. Nous assisterions ainsi à une
procédure de déréglementation ou de légalisation
qui -sans être expressément consacrée par la Constitution-
n'y serait pas moins conforme.
134 Cette déréglementation est de fait et elle
est politique car n'étant pas expressément consacrée par
la Constitution, même si elle ne lui est en rien contraire. D'autre part,
nous parlons de déréglementation des « textes de forme
réglementaire » par analogie au terme constitutionnel de «
textes de forme législative » ; les textes de forme
réglementaire ne sont que des règlements en la forme mais ils
portent sur des matières que la Constitution a réservées
à la compétence du législateur.
135 Nous distinguons les textes de forme
réglementaire des textes de valeur législative. Les
premiers comme les seconds sont des textes organiquement réglementaires
et matériellement législatifs mais tandis que les premiers sont
inconstitutionnels, se situant en dehors de tout cadre constitutionnel, les
seconds sont parfaitement conformes à la Constitution. Ils sont soit des
décisions présidentielles prises en vertu de l'article 48 soit
des ordonnances prises en vertu de l'article 75.
50
Mais il faut compter avec l'attitude que le président
de la République pourrait observer en face d'un tel acte de
défiance à son égard.
b. La réponse du président de la République
et ses conséquences
Le président de la République pourrait ne pas
rester passif devant une telle procédure de
déréglementation. Il se peut ainsi qu'il use de moyens en sa
disposition pour tenir en échec une telle tentative.
Il pourrait par exemple opposer l'irrecevabilité
à la proposition tendant à la
déréglementation'36, auquel cas le Conseil
constitutionnel -saisi par lui ou par les députés-tranchera la
difficulté. Ce faisant, le Conseil constitutionnel statuera et
décidera si la matière litigieuse relève de l'un ou de
l'autre domaine ; il pourrait décider que la matière ressortit au
domaine législatif et, dans ce cas, la proposition suit le cours normal
de la procédure législative.
Mais si le Président craint une telle
éventualité et s'il est assuré de sa majorité
à l'Assemblée nationale, il laissera venir la proposition en
discussion car il a évidemment toutes les chances de la voir
rejetée. Ainsi, la proposition sera écartée, le
règlement restera en application, sans que le Conseil constitutionnel
ait été consulté et que, par conséquent, les
controverses aient été tranchées'37. Le
succès de la procédure de déréglementation de
facto des textes de forme réglementaire est donc, on le voit, plus
que douteux.
Mais le Conseil constitutionnel s'est efforcé de mettre
sur pied une théorie de l'incompétence négative du
législateur qui tend à préserver l'intégrité
du domaine législatif.
2. La théorie de l'incompétence négative
du législateur, moyen jurisprudentiel de protection du domaine
législatif
(b)'38.
En raison de la théorie jurisprudentielle de
l'incompétence négative du législateur, celui-ci ne peut
pas non seulement se lier lui-même dans l'exercice de sa
compétence législative (a) mais également abandonner cette
compétence législative -en dehors de tout cadre constitutionnel-
au président de la République
136 L'opposition d'irrecevabilité prévue à
l'article 76 de la Constitution de 2000.
137 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., p.529.
138 Bernard CHANTEBOUT, op.cit., p. 591-593.
a.
51
L'incapacité du législateur à se lier
lui-même dans l'exercice de sa compétence législative
Le Conseil constitutionnel français a
expressément rappelé que « le législateur ne peut
lui-même se lier, qu'une loi peut toujours et sans condition,
fût-ce implicitement, abroger ou modifier une loi antérieure ou y
déroger ». Il s'ensuit que si une loi réserve au
Gouvernement l'initiative législative dans un secteur
déterminé, ces dispositions « sont dépourvues de tout
effet juridique et ne peuvent limiter en rien le droit d'initiative du
Gouvernement et des membres du Parlement, qu'elles ne sauraient pas davantage
empêcher le vote dans l'avenir de lois contraires auxdites dispositions
»139.
Le second aspect de l'incompétence négative du
législateur est son incapacité à abandonner ou à
déléguer sa compétence législative au profit de
l'exécutif en dehors de tout cadre constitutionnel.
b. L'incapacité du législateur à
abandonner ou à déléguer sa compétence
législative au président de la République en dehors de
tout cadre constitutionnel
Le législateur ne peut pas non plus s'abstenir
d'exercer la plénitude de sa compétence législative et
abandonner -en dehors de l'habilitation législative- au président
de la République la fixation de certaines règles ou le champ
d'application de règles que la loi pose140.
Si les compétences -notamment normatives- sont
réparties entre le président de la
République et le Parlement et que cette
répartition des compétences est protégée en ce que
les empiètements réciproques sont sanctionnés, il est
également nécessaire -pour la vitalité même du
régime politique- que les deux organes du pouvoir politique collaborent
entre eux141. Par
139 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit. p. 525 ; décision n° 82.142 D.C. du 27 juillet
1982, Rec. p. 52.
140 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL,
op.cit., p. 762 ; Francis HAMON et Michel TROPER, op.cit., p.
757-758 ; Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD, op.cit.,
p.381 ; Conseil constitutionnel, 19 et 20 juillet 1983,
Démocratisation du secteur public et 26 juillet 1984,
Services de radiotélévision sur réseau
câblé.
141 Même dans un régime présidentiel
-régime de séparation des pouvoirs- l'exécutif et le
législatif sont amenés en fait à collaborer entre eux
(Yédoh S. LATH, op.cit., p. 34). Mais le fait qu'une telle
collaboration soit institutionnellement prévue par les dispositions de
la Constitution de 2000 pose la question déjà soulevée de
la nature véritablement présidentielle du régime politique
ivoirien car comme l'écrit Maurice Duverger, « techniquement,
régime parlementaire et régime de séparation des pouvoirs
sont deux choses différentes. En régime parlementaire, les
organes collaborent et les fonctions sont mélangées... Au
contraire, les régimes de séparation des pouvoirs se
caractérisent par un double effort d'isolement des organes et de
délimitation des fonctions » (op.cit., p. 512).
52
cette collaboration des pouvoirs, on évite la paralysie
du système politique -et le risque de putsch inhérent à
une telle paralysie- et la monocratie du pouvoir.
CHAPITRE II : LA COLLABORATION NÉCESSAIRE DES
ORGANES
La collaboration des pouvoirs exécutif et
législatif est d'abord rendue nécessaire par les faits. En effet,
la délimitation plus ou moins équitable des compétences
opérée en droit ayant contribué à
l'hégémonie de chacun des organes dans son domaine propre, leur
impuissance respective au regard du domaine de l'autre les contraint -en dehors
même de tout texte- à collaborer en eux. Mais la Constitution
ivoirienne prévoit ensuite expressément une telle collaboration.
Celle-ci se fait de deux façons : soit que les organes exécutif
et législatif exercent concurremment certaines compétences
(section I) soit qu'ils les exercent conjointement (section II) même si
-nous allons le voir- la ligne de démarcation n'est pas toujours claire
entre compétences concurrentes et compétences
conjointes142.
Section I : La collaboration concurrente des organes
La collaboration concurrente des organes ou concurrence des
compétences s'explique par le fait que chacun des pouvoirs
exécutif et législatif peut prendre de lui-même
l'initiative de ces compétences et les exercer sans avoir pour cela
nécessairement besoin de l'autre. Le président de la
République et l'Assemblée nationale collaborent de manière
concurrente aussi bien en matière d'initiatives (paragraphe 1) qu'en
matière de situations exceptionnelles (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les prérogatives d'initiative
La concurrence des compétences se manifeste en
matière de sessions extraordinaires de l'Assemblée nationale (A)
et en matière d'initiative législative et de révision
constitutionnelle (B).
142 Pour certaines compétences en effet, il peut y
avoir à la fois collaboration concurrente et collaboration
conjointe entre les organes exécutif et législatif ou
encore l'exercice concret de la collaboration est difficilement classifiable
dans l'un ou l'autre des deux schémas de collaboration que nous avons
distingués.
53
A/ En matière de sessions extraordinaires
La réunion en sessions extraordinaires de
l'Assemblée nationale se fait à la demande du président de
la République ou à celle des députés (1). En cette
matière, celui-là et ceux-ci sont placés sur un pied de
stricte égalité en ce qu'il y a indifférence selon que la
cause de ladite réunion provienne du président de la
République ou au contraire des députés,
indifférence dont nous nous rendrons compte en étudiant
l'inexistence de limites temporelles relatives aux sessions extraordinaires
(2).
1. La réunion de l'Assemblée nationale en sessions
extraordinaires
Si la demande de réunion de l'Assemblée
nationale doit être formulée soit par le Chef de l'État
soit par les députés (a), la convocation est juridiquement faite
par le président de l'Assemblée nationale (b).
a. La formulation de la demande par le président de la
République ou par les députés
Si l'Assemblée nationale se réunit de droit en
sessions ordinaires aux dates fixées par la Constitution, la
réunion en sessions extraordinaires doit être demandée. Le
droit de demander une session extraordinaire appartient concurremment au
président de la République et à la majorité absolue
des députés.
Le président de la République et les
députés -à condition d'atteindre le seuil de la
majorité absolue fixé par la Constitution- sont placés sur
un pied de stricte égalité en ce qu'ils disposent d'un même
droit à formuler la demande tendant à la réunion de
l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires. Dans le cadre de la
Constitution du Niger, les députés ne peuvent demander la
réunion de l'Assemblée nationale qu'à la majorité
des deux cinquième (art. 92.1). Ce qui constitue une majorité
plus difficile à atteindre et a pour conséquence de rendre moins
ouverte la faculté des députés à demander une
réunion en sessions extraordinaires.
La demande faite par le président de la
République ou par la majorité absolue des députés,
le président de l'Assemblée nationale intervient pour convoquer
la réunion en sessions extraordinaires.
54
b. La convocation par le président de l'Assemblée
nationale
Si la demande est formulée -par le président de
la République ou par la majorité absolue des
députés- il revient ensuite au président de
l'Assemblée nationale de convoquer la réunion en session
extraordinaire de l'Assemblée nationale.
La convocation est ainsi faite juridiquement par le
président de l'Assemblée nationale : seul lui dispose de cette
faculté, même s'il semble que sa compétence soit
liée à partir du moment où la demande est clairement
formulée par le président de la République ou par la
majorité absolue des députés143. Dans la
Constitution du Mali, les sessions extraordinaires sont au contraire
convoquées -soit à la demande du Premier ministre soit à
celle de la majorité des députés- par le président
de la République (art. 67). Nous retrouvons cette même solution en
droit constitutionnel nigérien (art. 92.2) et français (art.
30)144. Le droit constitutionnel ivoirien tend par
conséquent, en cette matière, à préserver
l'égalité déjà notée entre le
président de la République et les députés : cette
égalité serait rompue si l'on donnait à l'un ou aux autres
le droit de convoquer juridiquement la session extraordinaire.
Évidemment toutes ces dispositions relatives à la réunion
de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires ne sont pas
gratuites : elles peuvent revêtir une importance politique capitale ainsi
que nous le verrons.
Par ailleurs, il y a indifférence -relativement
à certaines considérations temporelles-selon que l'origine de la
convocation soit une demande du président de la République ou au
contraire une demande des députés.
2. L'inexistence de limites temporelles tenant aux demandes de
réunion de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires et
à la durée de celles-ci et ses conséquences
143 Dans la Constitution du Sénégal, le
Parlement est réuni en session extraordinaire soit sur demande de plus
de la moitié des députés adressée au
président de l'Assemblée nationale soit sur décision du
président de la République (art. 63.4). Il ne semble donc pas
nécessaire, une fois la demande des députés
formulée ou la décision du président de la
République prise, que le président de l'Assemblée
nationale convoque la réunion de la session extraordinaire : ce qui
démontre, sur le plan du droit comparé, sa compétence
liée en matière de convocation des sessions extraordinaires.
144 C'est ainsi que le Président français de
Gaulle refusa le 18 mars 1960 de déférer à la demande de
la majorité absolue des députés tendant à la
réunion de l'Assemblée nationale en session extraordinaire. Ce
refus fut critiqué par la doctrine jugeant que la compétence du
président de la République de convoquer la réunion de
l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires est liée.
55
Il y a indifférence selon la cause -demande faite par
le président de la République ou par les députés-
de la convocation de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires.
Cette indifférence se manifeste au niveau de l'inexistence de limites
temporelles tenant aux demandes de réunion en sessions extraordinaires
et au niveau de la durée de celles-ci d'une part (a) et elle
entraîne certaines conséquences d'autre part (b).
a. L'inexistence de limites temporelles tenant aux demandes de
réunion de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires et
à la durée de celles-ci
L'inexistence de limites temporelles est relative aux demandes
de réunion de l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires
et à leur durée.
La Constitution ne pose aucune limite particulière aux
demandes de réunions de l'Assemblée nationale en sessions
extraordinaires. A chaque moment, le président de la République
ou la majorité absolue des députés peuvent formuler la
demande tendant à ces réunions sans aucune entrave. Dans la
Constitution malienne, seul le Premier ministre peut demander une nouvelle
session extraordinaire avant l'expiration du mois suivant le décret de
clôture de la dernière session extraordinaire (art. 66 in
fine). Il en découle a contrario qu'il existe une limite
temporelle à la demande des députés tendant à la
réunion en sessions extraordinaires : ils doivent attendre
l'écoulement du délai d'un mois après le décret de
clôture d'une session extraordinaire précédente.
D'autre part, la seule limitation de durée des sessions
extraordinaires de l'Assemblée nationale tient à
l'épuisement de l'ordre du jour sur lequel est faite la convocation. La
Constitution ne distingue pas à cet égard selon que la
convocation de la session extraordinaire est faite sur demande du
président de la République ou sur celle de la majorité
absolue des députés. Dans la plupart des régimes
politiques africains, la réunion des sessions extraordinaires est
limitée dans le temps soit de façon absolue c'est-à-dire
en ce qui concerne toute session extraordinaire soit de façon
discriminée en distinguant entre l'origine de la demande. Dans le
premier cas, nous pouvons citer la Constitution du Niger où la
durée des sessions extraordinaires ne peut excéder quinze jours
(art. 92 in fine)145 ; dans le second cas la Constitution
malienne où, lorsque la session extraordinaire est convoquée sur
demande de la
145 La Constitution du Bénin (art. 88) et la
Constitution du Sénégal (art. 63.5) limitent également la
durée de toutes les sessions extraordinaires à quinze jours.
56
majorité des députés, le décret de
clôture intervient dès que l'ordre du jour a été
épuisé et au plus tard quinze jours à compter de sa
réunion (art. 66.2)146.
Toutes ces dispositions relatives aux limites temporelles
posées à la réunion de l'Assemblée nationale en
sessions extraordinaires ou à leur inexistence revêtent une
importance politique particulière ainsi que l'on s'en rendra compte dans
les conséquences qu'elles entraînent.
b. Les conséquences de l'inexistence de limites
temporelles posées aux demandes de réunion en sessions
extraordinaires et à leur durée
La réunion en sessions extraordinaires de
l'Assemblé nationale peut être d'une très grande importance
politique : elle peut avoir été demandée aux fins de
législation ou de contrôle de l'action du Gouvernement.
C'est pourquoi certains régimes politiques africains
posent des limites temporelles strictes aux demandes de réunion en
sessions extraordinaires, surtout lorsqu'elles émanent des
députés. Dans le régime politique malien, les
députés ne peuvent demander une nouvelle session extraordinaire
avant l'écoulement du délai d'un mois après le
décret de clôture d'une session extraordinaire
précédente. En outre, lorsque la session extraordinaire est tenue
à la demande des députés, elle est limitée dans le
temps -quinze jours dans la Constitution malienne- et même si l'ordre du
jour n'est pas épuisé.
Ces deux limites temporelles ont pour effet d'empêcher
que l'Assemblée nationale ne cherche -en se réunissant
constamment en sessions extraordinaires- à siéger permanemment :
par ce moyen, elle pourrait plus efficacement exercer ses prérogatives
de législation, de contrôle de l'action gouvernementale et -dans
un régime parlementaire comme celui du Mali-de mise en jeu de la
responsabilité du Gouvernement. Ce n'est donc que lorsque la session
extraordinaire se tient à la demande du Premier ministre qu'elle n'est
circonscrite dans aucune durée précise : tout dépendra en
fin de compte du Premier ministre et du président de la
République et en ce cas, la session extraordinaire -parce qu'ayant
été demandée par l'un et pouvant être fermée
par l'autre par décret à n'importe quel moment- ne comporte aucun
risque politique particulier ni pour l'un ni pour l'autre.
146 Par raisonnement a contrario, lorsque la session
extraordinaire est tenue à la demande du Premier ministre, aucune limite
temporelle n'est posée à sa durée.
57
Le Président ivoirien ne dispose pas d'une telle
maîtrise sur la durée des sessions extraordinaires de
l'Assemblée nationale et la Constitution ne fixe elle-même aucune
durée à celles-ci147. Il en résulte que les
députés peuvent non seulement demander à tout moment une
session extraordinaire de l'Assemblée nationale -inexistence de limite
temporelle posée à la demande- mais celle-ci peut encore
siéger aussi longtemps qu'elle le désire -inexistence de limite
temporelle posée à la durée148. Il reste aux
députés ivoiriens d'user de ce moyen constitutionnel qui leur est
offert pour exercer plus pleinement leurs prérogatives.
La concurrence des compétences entre les pouvoirs
exécutif et législatif se manifeste également en
matière d'initiative législative et de révision
constitutionnelle.
B/ En matière législative et constitutionnelle
Le président de la République et
l'Assemblée nationale collaborent également et de manière
concurrente en matière d'initiative législative (1) et de
révision constitutionnelle (2).
1. En matière d'initiative législative
Conformément à l'article 42 de la Constitution,
l'initiative des lois appartient concurremment au président de la
République et aux députés. D'un point de vue
terminologique, il faut distinguer entre les projets de lois (a) et les
propositions de loi (b).
a. Les projets de loi
Dans de nombreux régimes politiques, le
Président ne dispose pas d'une telle prérogative soit que le
pouvoir exécutif en est formellement privé soit qu'elle est
transférée à un autre organe de l'exécutif. Ainsi
dans le régime politique étatsunien, le président ne
dispose guère de l'initiative législative149 tandis
que dans les régimes de type parlementaire
147 Le pouvoir exécutif ne dispose également pas
de la maîtrise de la durée des sessions extraordinaires dans les
régimes politiques du Bénin, du Sénégal et du
Niger. Mais la Constitution elle-même y fixe tout de même une
limite temporelle.
148 L'article 63 in fine dispose simplement que :
« Les sessions extraordinaires sont closes sitôt l'ordre du jour
épuisé »
149 La Constitution américaine est à la
vérité muette sur la question de savoir si le Président
dispose de l'initiative des lois ; Georges Washington avait pensé qu'il
pouvait directement déposer des projets de loi. Ses successeurs y ont
renoncé de façon formelle. Cependant, le Président n'en
est pas moins l'instigateur réel de la législation.
58
elle appartient au Premier ministre (art. 75 de la
Constitution malienne, art. 109 de la Constitution
nigérienne)150.
Les projets de loi peuvent être soumis pour avis au
Conseil constitutionnel (art. 52) et au Conseil économique et social
(art. 113), les projets de loi de programme à caractère
économique doivent être soumis à l'avis du Conseil
économique et social (art. 113.2). La plupart de ces avis ne sont pas
obligatoires ou, en tout cas, leurs contenus ne lient pas le président
de la République. Dans la Constitution béninoise, il lui est au
contraire fait obligation de soumettre ses projets de lois à l'avis de
la Cour suprême (art. 105.2)151.
Les projets de loi ayant été obligatoirement
soumis à la délibération du Conseil des ministres (art.
51.2) sont ensuite déposés sur le bureau de l'Assemblée
nationale et envoyés à l'examen de la commission
compétente ou d'une commission spéciale de l'Assemblée
nationale (art. 52.5 du règlement). Cependant, le projet de loi peut
être retiré par le président de la République
même quand sa discussion est commencée (art. 53.1 du
règlement).
Le président de la République dispose
également et nécessairement du droit d'amendement. Il peut ainsi
demander une révision de certaines parties du projet de loi qu'il a
déposé antérieurement152.
Si dans la pratique institutionnelle les initiatives d'origine
présidentielle ont plus de chances d'aboutir c'est-à-dire
d'être adoptées que les initiatives d'origine parlementaire,
celles-ci ne s'en trouvent pas moins consacrées.
b. Les propositions de loi
Les propositions de loi sont les initiatives de loi
émanant des membres de l'Assemblée nationale ; les
députés disposent en outre du droit d'amendement (article 78.1).
Ils déposent propositions et amendements soit à titre individuel
soit à titre collectif au nom des membres d'un groupe
parlementaire153. Les conditions de recevabilité de la
proposition de loi sont
150 L'article 109 de la Constitution du Niger est ainsi
libellé : « Le Gouvernement a l'initiative des lois concurremment
avec les membres de l'Assemblée nationale » ; nous retrouvons
à peu près la même rédaction à l'article 75
de la Constitution malienne.
151 La même obligation pèse le Gouvernement
malien qui, aux termes de l'article 75.2, doit soumettre ses projets de lois
à l'avis de la Cour suprême. Mais l'avis qui est émis par
la Cour suprême ne lie pas le Gouvernement.
152 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 201-202.
153 La Constitution de la première République,
en son article 13.1, disposait déjà que : « Le
président de la République a l'initiative des lois concurremment
avec les membres de l'Assemblée nationale ». Il est donc
59
prévues aux articles 51 et 52 du règlement de
l'Assemblée nationale et sont pratiquement les mêmes que celles du
projet de loi. Toutefois, les propositions et amendements d'origine
parlementaire ne sont pas susceptibles d'être soumis aux avis du Conseil
constitutionnel ou à ceux du Conseil économique et social ou
encore moins aux délibérations du Conseil des ministres.
Cependant les propositions et amendements d'origine parlementaire sont quelque
peu restreints notamment par le mécanisme des irrecevabilités des
articles 76 et 78 qui ne jouent qu'à sens unique, c'est-à-dire
qu'elles ne valent qu'à l'égard des seuls propositions et
amendements des députés. En outre et à la
différence du projet de loi, la proposition ne peut être
retirée par son auteur ou ses auteurs que si elle est reprise par un
autre ou d'autres députés ; dans le cas contraire, la discussion
sur la proposition de loi continue (art. 54.1 du règlement de
l'Assemblée nationale) et elle est envoyée dans la commission
compétente ou dans une commission spéciale de l'Assemblée
nationale pour être débattue.
Le partage des initiatives est également prévu
et organisé en matière de révision constitutionnelle.
2. En matière de révision constitutionnelle
Qu'il soit d'origine présidentielle ou parlementaire,
le texte de révision passe par les étapes successives de la prise
en considération par l'Assemblée nationale (a) et de l'adoption
définitive soit par référendum soit par vote parlementaire
(b). A chacune de ces étapes, il y a une indifférence au regard
de l'origine présidentielle ou parlementaire de l'initiative de
révision.
a. La prise en considération de l'initiative de
révision par l'Assemblée nationale indépendamment de son
origine
Conformément à l'article 124 de la Constitution,
l'initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment,
comme c'est le cas pour l'initiative législative, au président de
la République et aux membres de l'Assemblée nationale ; ceux-ci
peuvent exercer leur droit d'initiative de révision constitutionnelle
à titre individuel ou collectif154. On
étonnant que Francis Wodié, traitant de
l'initiative législative d'origine parlementaire sous la première
République, écrive : « Cette initiative ne doit pas
revêtir un caractère collectif... pouvant n'émaner que d'un
député » (op.cit., p. 200-201).
154 S'agissant des propositions de révision
constitutionnelle, certaines Constitutions disposent expressément
qu'elles ne peuvent s'exercer qu'à titre collectif ; ainsi en est-il de
la Constitution gabonaise en son article 116
60
distingue ici également, du point de vue
terminologique, les projets et les propositions de révision.
(...) »156.
Pour être prise en considération, le projet ou la
proposition de révision doit être voté par
l'Assemblée nationale à la majorité des 2/3 des
députés effectivement en fonction (art. 125) ; à ce stade,
les deux précédentes Constitutions ivoiriennes exigeaient une
majorité encore plus renforcée155. Dans d'autres
systèmes constitutionnels africains et au même stade de la
procédure, il suffit seulement d'une majorité simple ; ainsi la
Constitution sénégalaise dispose en son article 103 alinéa
3 que « le projet ou la proposition de révision de la Constitution
est adopté par les assemblées selon la procédure de
l'article 71
Ainsi pris en considération, le texte portant
révision constitutionnelle doit être définitivement
adopté soit par référendum soit par vote parlementaire.
b. L'adoption définitive du texte de révision et
l'option ouverte au président de la République
indépendamment de l'origine de l'initiative de révision
Le texte ainsi adopté, au lieu de pouvoir être
promulgué comme dans la procédure législative ordinaire,
ne devient définitif en principe que s'il est approuvé par
référendum à la majorité absolue des suffrages
exprimés (art. 126.1).
Mais le président de la République peut
décider de ne pas faire intervenir directement le peuple et soumettre le
projet ou la proposition à l'Assemblée nationale. Dans ce cas,
une majorité spéciale est requise car le projet ou la proposition
ne deviendra loi constitutionnelle que s'il ou elle a réuni en sa faveur
la majorité des 4/5 des membres de l'Assemblée nationale
effectivement en fonction (art. 126.3). Cette faculté laissée au
président de la République de choisir discrétionnairement
entre le référendum et l'Assemblée nationale n'existe pas
dans la Constitution malienne où le texte (le projet ou la proposition
de révision) ne sera définitif qu'après avoir
été approuvé par référendum (art. 118.2).
alinéa 2 qui dispose : « (...) Toute proposition
de révision doit être déposée au bureau de
l'Assemblée nationale par au moins un tiers des
députés ou au bureau du Sénat par au moins un
tiers des sénateurs (...) ».
155 La Constitution de 1959 disposait en son article 67.1 :
« le projet ou la proposition de révision doit être
voté à la majorité des trois quarts des membres de
l'Assemblée » et la Constitution de 1960 en son article 72.1
disposait : « pour être prise en considération, le projet ou
la proposition de révision doit être voté à la
majorité des trois quarts des membres composant l'Assemblée
nationale ».
156 Le fait qu'à ce stade de la procédure de
révision constitutionnelle, la Constitution sénégalaise ne
demande que la majorité simple (la majorité à laquelle
sont adoptés les projets et propositions de lois ordinaires) ne semble
pas étranger à l'autre fait que l'on se trouve, là, dans
un système à Parlement bicaméral : la facilité de
prise en considération du texte de révision résultant de
son adoption à la majorité simple est contrebalancée par
l'exigence du vote, en termes identiques, dans les deux chambres du
Parlement de ce texte de révision.
61
Cependant, la faculté ouverte au Président
ivoirien est limitée car le recours au référendum devient
obligatoire dès lors que le projet ou la proposition de révision
porte sur certains objets limitativement énumérés par
l'article 126.2 de la Constitution. Cet alinéa énonce : «
est obligatoirement soumis au référendum le projet ou la
proposition de révision ayant pour objet l'élection du
président de la République, l'exercice du mandat
présidentiel, la vacance de la présidence et la procédure
de révision de la présente Constitution ».
Enfin, le texte portant révision de la Constitution
approuvé par référendum ou par la voie parlementaire est
promulgué par le président de la République
(art.126.4).
La concurrence des compétences entre le
président de la République et l'Assemblée nationale se
manifeste également mais d'une façon originale dans le domaine
des situations exceptionnelles157.
Paragraphe 2 : Les situations exceptionnelles
Les situations exceptionnelles étudiées ici sont
l'état de siège et l'état d'urgence158. Pour
l'un comme pour l'autre, il faut une initiative du président de la
République (A). Mais l'Assemblée nationale prend le relai de
celui-ci et exerce ainsi un contrôle (B).
A/ Une initiative prise par le président de la
République
Les impératifs de l'urgence (1) justifient le droit
reconnu au président de la République de déclarer
l'état de siège et l'état d'urgence par décret en
Conseil des ministres (2).
1. Les impératifs de l'urgence
L'initiative exercée par le président de la
République en cette matière est subordonnée à la
survenance de certaines circonstances plus ou moins restrictives (1). Mais le
président de la République reste bien évidemment
maître de l'appréciation de celles-ci (2).
157 La concurrence des compétences réside dans
le fait que, dans un premier temps, c'est le président de la
République qui déclenche la mise en oeuvre de l'état de
siège et de l'état d'urgence et que, dans un second temps, c'est
l'Assemblée nationale qui reprend le relai. En cela réside
également l'originalité d'une telle concurrence des
compétences.
158 Les règles relatives à l'état de
siège et à l'état d'urgence sont fixées, aux termes
de l'article 71 de la Constitution, par la loi.
a. 62
La survenance de circonstances plus ou moins restrictives
(...)
En ce qui concerne l'état de
siège159, sa déclaration est subordonnée
à un péril imminent résultant d'une guerre
étrangère, d'une guerre civile ou d'une insurrection à
main armée : ce sont donc bien les situations dans lesquelles les
nécessités militaires s'imposent qui sont visées.
Quant à l'état d'urgence160, il peut
être déclaré « en cas de péril imminent
résultant d'atteintes graves à l'ordre public » et, en
outre, en cas de « calamités publiques », ce qui vise les
catastrophes telles qu'inondations, tremblements de terre, explosions, etc. Le
recours à la notion d'ordre public montre que les considérations
de police l'emportent sur les préoccupations de défense.
Les circonstances justifiant la mise en application de
l'état de siège sont donc liées aux seules situations de
conflit armé et en cela elles sont beaucoup moins larges que celles
susceptibles de justifier la déclaration de l'état d'urgence.
Mais dans les deux cas, elles sont laissées à
l'appréciation du président de la République.
b. (...) laissées en définitive à
l'appréciation du président de la République
C'est en définitive le président de la
République qui apprécie à sa seule convenance les
circonstances nécessaires à la mise en application des
états de siège et d'urgence. En ce domaine, il dispose d'une
compétence non seulement exclusive mais également
discrétionnaire. Nous pouvons faire ici un rapprochement avec
l'appréciation des conditions de mise en oeuvre de l'article 48 par le
président de la République.
Toutefois le président de la République est tenu
de respecter certaines formes dont la principale est de prendre le
décret en Conseil des ministres.
2. La déclaration par décret en Conseil des
ministres
159 L'état de siège est organisé par les
lois du 9 août 1849 et 3 avril 1878 rendues applicables en Côte
d'Ivoire par le décret du 30 décembre 1916.
160 L'état d'urgence est institué par la loi
n° 59-231 novembre 1959.
63
La déclaration de l'état de siège et
celle de l'état d'urgence relèvent de la même
procédure : la décision est prise par décret en Conseil
des ministres (art. 74)161. Dans les deux cas, le décret
définit l'espace territorial concerné (a) et entraîne des
effets exorbitants (b).
a. Une déclaration définissant l'espace
territorial concerné
Le décret désigne le territoire auquel il
s'applique et détermine sa durée d'application. Le décret
par lequel sont déclarés l'état de siège et
l'état d'urgence peut donc concerner aussi bien une partie que
l'ensemble du territoire162. C'est là une différence
fondamentale avec ce qu'il conviendrait d'appeler l'état de crise,
c'est-à-dire le régime prévu par l'article 48 de la
Constitution163 : celui-ci ne peut en effet être
appliqué qu'à l'ensemble du territoire national.
La déclaration de l'état de siège et de
l'état d'urgence entraîne surtout des effets exorbitants du droit
commun au profit de l'administration militaire ou civile et en
réalité - nous le verrons- au profit du président de la
République.
b. Une déclaration entraînant des effets
exorbitants : la mise en vacances de la légalité164
La déclaration de l'état de siège emporte
trois séries de conséquences. D'abord, l'autorité
militaire est substituée à l'autorité civile dans
l'exercice de la police du maintien de l'ordre. En pratique, un partage des
compétences de police s'instaure entre elles : l'autorité
militaire se réserve celles qui lui paraissent nécessaires pour
faire face à ses responsabilités et laisse le surplus aux
autorités civiles. Ensuite, les pouvoirs de police remis aux
autorités militaires ont une étendue supérieure à
la normale. L'extension porte sur quatre points : 1° l'autorité
militaire peut procéder à des perquisitions de jour et de nuit ;
2° elle peut ordonner la remise des armes et munitions appartenant
à des particuliers ; 3° elle peut interdire les
161 L'article 74 de la Constitution ne concerne que
l'état de siège. En ce qui concerne l'état d'urgence, sa
déclaration initialement réservée au législateur,
relève depuis une ordonnance française du 15 avril 1960, de la
même procédure que celle de l'état de siège.
162 L'article premier de la loi n° 59-231 du 7 novembre
1959 sur l'état d'urgence dispose en effet que « l'état
d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du
territoire de la République... ».
163 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 92-96.
164 L'état de siège et l'état d'urgence
ont pour effet de mettre en vacances la légalité, ils soustraient
« l'administration du respect de la légalité..., substituent
une légalité « d'exception », une
légalité de crise » (René DEGNI-SEGUI,
op.cit., p. 92).
64
publications et les réunions susceptibles
d'entraîner des désordres ; et enfin elle peut éloigner les
repris de justice et les personnes non domiciliées dans la zone en
état de siège165.
Il faut souligner le caractère limitatif de cette
énumération : le droit commun subsiste pour le surplus.
Sans aller dans le détail des choses, notons simplement
que les effets de l'état d'urgence sont essentiellement une extension
des pouvoirs de police : l'autorité de police (ministre de
l'intérieur), qui reste l'autorité civile normale, à la
différence du régime de l'état de siège, se voit
investir de pouvoirs qui dérogent profondément au droit
commun166.
Ainsi par le seul effet de la déclaration de
l'état de siège ou de l'état d'urgence, la
légalité est mise « en vacances »167 et une
légalité de crise s'y substitue. L'autorité qui
bénéficie surtout de cette légalité de crise est le
président de la République en sa double qualité de chef
suprême des armées et de président du Conseil
supérieur de la défense (art. 47) et de chef l'administration
(art. 46).
C'est en raison de cette mise en vacances de la
légalité par le décret de déclaration de
l'état de siège et de l'état d'urgence au profit du
président de la République qu'un contrôle de
l'Assemblée nationale -par sa reprise en main de la situation-
s'avère nécessaire.
B/ Un contrôle exercé par l'Assemblée
nationale
Le contrôle de l'Assemblée nationale en
matière de légalité de crise s'articule autour de deux
mécanismes : l'autorisation de prorogation qu'elle peut accorder ou
refuser (1) et sa réunion de plein droit (2).
1. L'autorisation de prorogation accordée par
l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale ne peut être tenue à
l'écart de la matière de la légalité de crise que
provisoirement. Au-delà d'un certain délai, elle doit
nécessairement intervenir et la poursuite ou non du régime de
crise dépendra uniquement d'elle. Elle exerce de la sorte un
165 René DEGNI-SEGUI, ibid., p. 95.
166 René DEGNI-SEGUI, ibid., p. 96.
167 Maurice BOURJOL, Droit administratif : l'action
administrative, Masson et Cie éditeurs, Paris, tome II, 1972, p.
89.
65
contrôle de la durée d'application des situations
exceptionnelles (a) et reprend la main au président de la
République (b).
a. Le contrôle de la durée d'application de la
période de la légalité de crise
La prorogation de l'état de siège -aux termes
de l'article 74.2 de la Constitution- et de l'état d'urgence
au-delà de quinze jours ne peut être autorisée que par
l'Assemblée nationale168. Nous retrouvons des dispositions
similaires dans le cadre de la quasi-totalité des régimes
politiques africains mais le délai au-delà duquel une
autorisation parlementaire devrait intervenir varie d'un régime à
un autre : ce délai peut être de quinze (art. 101.3 de la
Constitution béninoise, art. 105 de la Constitution nigérienne),
de douze (art. 69.2 de la Constitution sénégalaise) ou même
de dix jours (art. 72.2 de la Constitution malienne), etc. D'autre part, le
décret déclarant l'état d'urgence doit
nécessairement fixer la durée de son application aux termes de
l'article 3 de la loi n° 59-231 du 7 novembre 1959 sur l'état
d'urgence169.
Le président de la République n'a donc pas la
faculté -comme c'est le cas du régime prévu par l'article
48 de la Constitution- de poursuivre l'application de l'état de
siège et de l'état d'urgence indéfiniment avec aucune
autre limite temporelle que ce que sa volonté lui impose : il devra
nécessairement solliciter l'autorisation de l'Assemblée nationale
au-delà de quinze jours d'application de l'état de siège
et de l'état d'urgence170.
Au-delà de cette période de quinze jours,
l'Assemblée nationale reprend la main car c'est désormais d'elle
et d'elle seule que dépendra désormais la poursuite ou non du
régime de la légalité de crise.
b. La reprise en main par l'Assemblée nationale
168 « L'état de siège est
décrété en Conseil des ministres. L'Assemblée
nationale se réunit alors de plein droit si elle n'est pas en session.
La prorogation de l'état de siège au-delà de quinze jours
ne peut être autorisée que par l'Assemblée nationale,
à la majorité simple des députés » (art. 74 de
la Constitution du 1er août 2000).
169 Le décret de déclaration de l'état
d'urgence est en tant que tel susceptible de recours contentieux devant la
chambre administrative de la Cour suprême. De la sorte, il est possible
pour le juge ivoirien d'exercer un contrôle efficace sur la durée
d'application de l'état d'urgence édictée dans le
décret.
170 Nous verrons en effet, dans les pages qui suivent, comment
le président de la République reste maître de la
durée d'application de l'état de crise (mise en oeuvre de
l'article 48). Mais dans le domaine de l'état de siège et de
l'état d'urgence, il ne dispose évidemment pas d'un tel
privilège.
66
Initialement le président de la République peut
mettre en oeuvre l'état de siège et l'état d'urgence sans
même que l'Assemblée nationale ne soit simplement consultée
à leur sujet. Dans la Constitution béninoise au contraire, le
président de la République ne peut décréter
l'état de siège et l'état d'urgence qu'après une
consultation préalable de l'Assemblée nationale (art.
101.3)171.
Cette manière d'écarter l'Assemblée
nationale ne peut cependant être que provisoire ainsi que nous l'avons
précédemment observé. Aux termes du délai de quinze
jours, l'Assemblée nationale reprend en effet la main au
président de la République : la poursuite de l'état de
siège et de l'état d'urgence ne procède plus du
décret en Conseil des ministres mais de la loi. Ici se manifeste d'une
manière dépourvue de toute ambiguïté la concurrence
des compétences -concurrence par succession pourrait-on dire- entre le
président de la République et l'Assemblée nationale.
Mais l'intervention de l'Assemblée nationale ne
s'arrête pas à ce niveau. Elle se réunit en outre de plein
droit.
2. La réunion de plein droit de l'Assemblée
nationale
Aux termes de l'article 74.1 de la Constitution,
l'Assemblée nationale se réunit de plein droit dès que
l'état de siège est décrété en Conseil des
ministres172. Cette disposition originale (a) revêt une
finalité politique importante (b).
a. Une disposition originale
L'exigence de la réunion de plein droit de
l'Assemblée nationale en cas de mise en application de l'état de
siège est une disposition originale que l'on retrouvait
déjà dans la Constitution de 1960173. Mais on ne la
retrouve généralement guère dans le cadre des autres
régimes politiques africains. La Constitution du Niger la prévoit
cependant en son article 105 de même que la Constitution du
Sénégal qui l'étend par ailleurs à l'état
d'urgence puisque son article 69 dispose que : « L'état de
siège, comme l'état d'urgence, est décrété
par le président
171 La Constitution du Niger exige quant à elle que
l'état de siège soit décrété en Conseil des
ministres après avis du bureau de l'Assemblée nationale (art. 105
de la Constitution).
172 La Constitution ne prévoyant pas l'état
d'urgence, peut-on également exiger la réunion de plein droit de
l'Assemblée nationale en cas de sa mise en oeuvre ?
173 L'article 43 de la Constitution de 1960 exigeait
également la réunion de plein droit de l'Assemblée
nationale dès que l'état de siège est
décrété en Conseil des ministres.
67
de la République. L'Assemblée nationale se
réunit alors de plein droit, si elle n'est pas en session ».
Elle n'est pas sans rappeler l'exigence formulée
à l'article 48 de la réunion de plein droit de l'Assemblée
nationale en cas de mise en oeuvre des pouvoirs exceptionnels par le
président de la République. Comme en ce domaine que nous
étudierons dans les développements ultérieurs, la
réunion de plein droit de l'Assemblée nationale a une
finalité politique importante.
b. Une disposition à finalité politique
La réunion de plein droit de l'Assemblée
nationale pendant la mise en application de l'état de siège (et
de l'état d'urgence ?) est très importante car les
députés ont la faculté d'ouvrir un débat sur la
décision de mettre en jeu l'état de siège (et
l'état d'urgence ?). Et contrairement à l'hypothèse de
l'article 48, cette réunion de plein droit de l'Assemblée
nationale est un contrôle politique réel car doté d'une
sanction certaine : elle pourrait en effet décider de mettre un terme
à la légalité de crise décidée par le
président de la République.
A côté des compétences concurrentes la
collaboration du président de la République et de
l'Assemblée nationale se manifeste également par des
compétences conjointes.
Section II : La collaboration conjointe des organes
Ces compétences sont conjointes en ce qu'elles
appartiennent au président de la République et à
l'Assemblée nationale et doivent être exercées par l'un et
par l'autre ensemble (en accord). C'est un concours et non une concurrence de
compétences. Ce type de collaboration vaut aussi bien en matière
de référendum législatif (paragraphe 1) qu'en
matière de traités et accords internationaux (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le référendum
législatif
En dehors du référendum constituant prévu
à l'article 126, la Constitution institue ce que la doctrine
dénomme le référendum législatif. Celui-ci ouvre au
président de la République de larges possibilités (A) tout
en reconnaissant à l'Assemblée nationale des garanties (B).
68
A/ De larges possibilités ouvertes au président de
la République
Le domaine du référendum qu'institue l'article
43 est vaste et imprécis (1) mais il semble qu'il soit tout de
même limité à l'adoption d'une loi ordinaire (2).
1. Un domaine vaste et imprécis (...)
Le domaine de l'article 43 est vaste en ce que l'objet du
texte ou de la question sur lequel peut porter le référendum est
défini de manière vague et imprécise (a). Il en
découle une étendue immense de l'objet en cause (b).
a. Un objet défini de façon vague et
imprécise
Le président de la République peut «
soumettre tout texte ou toute question qui lui paraît devoir
exiger la consultation directe du peuple ». L'objet de l'article 43 est
vague et imprécis : il se contente de dire « tout texte » ou
« toute question » à la seule condition que le
président de la République juge discrétionnairement que ce
texte ou cette question est de nature à justifier une consultation
directe du peuple174. Dans certains régimes politiques
africains, l'objet du texte ou de la question du référendum est
défini de manière plus précise. Ainsi cet objet peut
être toute question d'intérêt national, un projet de loi
portant sur l'organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d'un
accord d'union ou tendant à autoriser la ratification d'un
traité175 (art. 41 de la Constitution du Mali) ou une
question relative à la promotion et au renforcement des droits de
l'homme, à l'intégration sous-régionale ou
régionale et à l'organisation des pouvoirs publics (art. 58 de la
Constitution du Bénin). Rien d'aussi précis dans la Constitution
ivoirienne.
Il résulte du caractère vague et imprécis
de l'objet du référendum prévu à l'article 43 que
le président de la République dispose en régime ivoirien
de très larges possibilités en la matière.
174 L'article 43 de la Constitution de 2000 ne fait que
reprendre à peu de mots près l'article 14 de la Constitution de
1960 qui disposait que : « Le président de la République,
après accord du bureau de l'Assemblée nationale, peut soumettre
au référendum tout texte ou toute question qui lui paraît
devoir exiger la consultation directe du peuple. Lorsque le
référendum a conclu à l'adoption du projet, le
président de la République le promulgue dans les délais
prévus à l'article précédent ».
175 Les traités dont il s'agit sont ceux qui, sans
être contraires à la Constitution, auraient des incidences sur le
fonctionnement des institutions. Quant aux traités contraires à
la Constitution, il faudrait au préalable une révision de la
Constitution avant que la ratification de ces traités ne puisse
intervenir.
69
b. Une étendue immense de l'objet en cause
Il est certain que le texte ou la question que le
président de la République peut soumettre à la
consultation directe du peuple soit un projet de loi destiné à
être promulgué en cas d'adoption puisque -comme nous le verrons-
les députés n'ont guère la possibilité de soumettre
au référendum une proposition de loi. Sous la seule exigence de
la forme d'un projet de loi, le président de la République peut
soumettre à la consultation directe du peuple tout texte ou toute
question sans que son choix soit limité relativement à un objet
quelconque. Tandis que dans la plupart des régimes politiques africains,
l'option ouverte au président de la République de soumettre une
question ou un texte au référendum est limité à un
objet précis - comme nous l'avons précédemment vu- celle
qui est donnée au Président ivoirien est en principe
illimitée quant à son objet. Cet objet peut être aussi bien
un projet de loi sur l'organisation des pouvoirs publics, comportant
approbation d'un accord d'union ou tendant à la ratification d'un
traité qu'un texte relatif aux droits de l'homme... Le fait que les
auteurs de la Constitution n'aient pas défini avec précision un
objet quelconque autorise une telle interprétation176.
En dépit des possibilités très larges
ouvertes au président de la République, le domaine du
référendum n'est pas sans bornes : il semble strictement
limité à l'adoption d'une loi ordinaire.
2. (...) mais limité à l'adoption d'une loi
ordinaire
Aussi vaste et imprécis que l'on puisse le concevoir,
le domaine du référendum institué par l'article 43 ne
saurait conduire ni à l'adoption d'une loi constitutionnelle (a) ni
même à celle d'une loi organique (b).
a. L'impossibilité d'adopter une loi constitutionnelle
176 Les auteurs des Constitutions de 1960 et de 2000 ont sans
doute gardé à l'esprit le fait que l'article 11 de la
Constitution française insérait le président de la
République dans des limites trop strictes (l'un des rédacteurs de
la Constitution française, Miche Debré, reconnaissait d'ailleurs
ce caractère étroit de l'article 11, « La Constitution de
1958, sa raison d'être, son évolution », Revue
française de science politique, n° 5, 1978, p. 836). Aussi
ont-ils souhaité que le président de la République, dans
le cadre du régime ivoirien, dispose de plus larges possibilités
relativement à l'objet du référendum de l'article 43.
70
Le président de la République ne peut pas
réviser la Constitution par la voie de l'article 43. La procédure
de révision constitutionnelle est en effet prévue aux articles
124 à 127 regroupés sous le titre XIV intitulé « De
la révision de la Constitution ». L'intitulé de ce titre est
aussi clair qu'exclusif : il institue à titre exclusif la
procédure de révision de la Constitution. C'est ce qu'affirme de
manière tout à fait clair le Conseil constitutionnel dans un avis
en 2003177. D'autre part, s'il était possible de
réviser la Constitution par le moyen de l'article 43, concurremment avec
les articles du titre XIV, il serait possible de ne pas respecter les
interdictions posées par ce dernier puisqu'il ne les reprend pas,
même par référence : ce qui serait absurde et ne saurait
être admis178. Par ailleurs et en droit comparé, le
Conseil d'État français a émis un avis allant dans le sens
de ce que l'article 11 -équivalent de l'article 43 de la Constitution
ivoirienne- ne pouvait être interprété comme instituant une
procédure de révision constitutionnelle parallèle à
celle de l'article 89 -les articles 124 à 127 de la Constitution
ivoirienne179.
La Constitution nigérienne est quant à elle tout
à fait explicite sur l'impossibilité de réviser la
Constitution par la voie de l'article 60 instituant le référendum
législatif180.
D'autre part, il semble également que le champ des lois
organiques lui-même ne soit pas non plus couvert par le
référendum législatif de l'article 43.
b. L'impossibilité d'adopter une loi organique
D'autre part, il semble que la loi organique -dont la
procédure d'élaboration est fixée à l'article 78.8
de la Constitution181- soit elle aussi exclue du champ
d'intervention de l'article 43.
Le référendum législatif permet au
président de la République de passer par-dessus la tête des
députés en soumettant directement au peuple une question dont
l'Assemblée nationale
177 Avis n° 004/CC/SG du 17 décembre 2003 du
Conseil constitutionnel demandé par le Président L. Gbagbo
(Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO, Les grands arrêts de
la jurisprudence constitutionnelle ivoirienne, CNDJ, p. 476480).
178 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., p. 499.
179 Lors de la vive controverse qui avait vu jour suite
à sa décision de réviser la Constitution par la voie de
l'article 11, le général de Gaulle avait soumis au Conseil
d'État pour avis le projet de loi portant révision. L'avis
émis par le Conseil d'État le 1er octobre 1962, devant
en principe rester secret, sera dévoilé par le journal Le
Monde. En dépit de l'avis du Conseil d'État, qui allait dans
le même sens que la majeure partie de la doctrine, le projet de loi
devait être soumis à référendum et aboutir à
la révision de la Constitution.
180 Il semble qu'il n'y a que la Constitution
sénégalaise qui permette au président de la
République de procéder à la révision
constitutionnelle par le biais de l'article 51.1 instituant le «
référendum législatif ».
181 Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD,
op.cit., p. 102-103.
71
devrait en principe connaître. La Constitution a donc
reconnu à celle-ci certaines garanties qui demeurent toutefois assez
faibles.
B/ Les garanties de l'Assemblée nationale
Le référendum institué par l'article 43
conduisant de fait au dessaisissement de l'Assemblée nationale sur une
question, la Constitution lui a reconnu des garanties (1). Mais celles-ci
mériteraient en retour d'être renforcées car elles
demeurent faibles (2).
1. La reconnaissance de garanties à l'Assemblée
nationale
Les garanties reconnues à l'Assemblée nationale
résident essentiellement dans la consultation obligatoire du bureau de
l'Assemblée nationale (a). Mais cette consultation laisse le
Président libre de sa décision de recourir ou non au
référendum (b).
a. Une consultation obligatoire du bureau de l'Assemblée
nationale (...)
Le président de la République -au lieu
d'emprunter la voie « normale » de la procédure
législative ordinaire donnant lieu à une loi parlementaire- peut
recourir à la consultation directe du peuple. Cela se traduit en cas de
succès par l'adoption d'une loi référendaire. De la sorte,
il pourrait s'agir pour le président de la République de
court-circuiter l'Assemblée nationale en appelant directement au peuple
par-dessus la tête des députés. La Constitution de 2000
institue donc ce qu'une certaine doctrine a appelé le
référendum de substitution sans intervention
parlementaire182.
C'est la raison pour laquelle la mise en oeuvre du
référendum nécessite la consultation du bureau de
l'Assemblée nationale : sans cette formalité, le président
de la République ne peut valablement recourir au
référendum.
La consultation -certes obligatoire- du bureau de
l'Assemblée nationale ne lie pourtant nullement le président de
la République qui reste maître de sa décision.
b. (...) ne liant pas le président de la
République
182 Marcel PRÉLOT, op.cit., p.609.
72
Si le président de la République est
obligé de consulter l'Assemblée nationale, il n'est pas tenu de
suivre l'avis qui sera émis à la suite de cette consultation :
même si l'Assemblée nationale exprimait son désaccord, elle
ne dispose d'aucun moyen pour empêcher le président de la
République de poursuivre la procédure référendaire.
Nous sommes donc bien en deçà de ce que prévoyaient les
textes de la Constitution de 1960 : celle-ci exigeait en effet non pas la
consultation du bureau de l'Assemblée nationale -consultation donnant
lieu à un avis éventuellement négatif mais que le
président de la République n'est pas obligé de suivre-
mais son accord ; cet accord impliquait la nécessaire approbation par le
bureau de l'Assemblée nationale de la volonté du président
de la République de recourir au référendum. A
défaut de cet accord, le président de la République ne
pouvait pas recourir au référendum (art. 14.1 de la Constitution
de 1960).
Les garanties reconnues à l'Assemblée nationale
-une consultation obligatoire mais dont le contenu ne lie pas le
président de la République- mériteraient cependant
d'être renforcées car elles sont assez faibles.
2. La faiblesse des garanties reconnues à
l'Assemblée nationale
Les garanties reconnues à l'Assemblée nationale
dans la mise en oeuvre du processus référendaire sont assez
faibles. Cette faiblesse tient au fait que seul le président de la
République dispose de l'initiative référendaire (a) et
qu'il peut directement consulter le peuple à tout moment (b).
a. L'initiative référendaire, prérogative
exclusive du pouvoir exécutif
L'initiative référendaire est exclusivement
détenue par le président de la République qui l'exerce par
ailleurs de manière tout à fait libre. Elle n'est ni
partagée ni encadrée ou soumise à un pouvoir de
proposition.
A la suite de la révision constitutionnelle de 2008, la
Constitution française prévoit désormais, à
côté de l'initiative du président de la République
en matière de référendum, celle émanant des
parlementaires183 -un cinquième d'entre eux- et soutenue par
les électeurs -un dixième de ceux-ci. Le président de la
République n'a donc plus le monopole de l'initiative en
183 Avant la révision constitutionnelle intervenue en
France en 2008, le référendum prévu par l'article 11 ne
pouvait porter que sur un projet de loi. Désormais il peut
également porter sur une proposition de loi.
73
matière de référendum184.
D'autre part, dans le régime politique malien, le président de la
République ne peut recourir au référendum que sur
proposition du Gouvernement ou sur proposition de l'Assemblée nationale
; sans l'une ou l'autre proposition, le Chef de l'État ne peut user du
référendum : même s'il n'est pas obligé de suivre
l'une ou l'autre proposition refusant d'user du droit qui est le sien de
soumettre le texte à référendum malgré la
suggestion du Gouvernement ou de l'Assemblée nationale, le
président de la République ne dispose pas lui-même de
l'initiative (art. 41).
Toutes ces dispositions -inexistantes en droit constitutionnel
ivoirien- participent d'un équilibre des rapports entre le
président de la République et le Parlement trop souvent en faveur
du premier et au détriment du second. Il ne serait par conséquent
pas superflu, dans le souci même de rééquilibrage entre le
Chef de l'État ivoirien et l'Assemblée nationale, de songer
à faire évoluer les dispositions constitutionnelles actuelles.
Une pareille réflexion peut être également
faite sur le moment de la consultation référendaire.
b. Le moment de la consultation référendaire
Le président de la République est libre d'user
de la prérogative qui lui est offerte par l'article 43 de la
Constitution à tout moment. Il n'y a aucune limite temporelle
relativement à l'usage de ce droit. Dans la Constitution
française, lorsque le référendum a lieu sur proposition
gouvernementale, il s'agit visiblement d'un moyen de passer outre à
l'opposition du Parlement, d'en appeler directement au peuple par-dessus la
tête de ses représentants : c'est pourquoi le
référendum ne peut avoir lieu en dehors des sessions
parlementaires, pendant que les chambres sont pour ainsi dire réduites
au silence. Ce n'est que lorsque le référendum a lieu sur
proposition conjointe des assemblées qu'il peut avoir lieu en tout temps
: cela ne traduit pas une volonté de contournement du Parlement mais
suppose au contraire qu'en face d'un grand problème, qui divise
l'opinion, le Parlement laisse à la nation elle-même le soin de se
prononcer185.
Toutes ces prescriptions -en particulier la faculté de
l'Assemblée nationale d'avoir un pouvoir de proposition du
référendum ou même un droit d'initiative
référendaire et l'exigence que le référendum ait
lieu pendant la durée des sessions parlementaires- sont de nature
à
184 Dispositions de l'article 11 de la Constitution
française à la suite de la loi constitutionnelle de 2008.
185 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 532.
74
renforcer le caractère concerté du
référendum entre le président de la République et
l'Assemblée nationale ; mais elles sont inexistantes dans notre
système constitutionnel.
Un autre champ privilégié de la collaboration
entre le président de la République et l'Assemblée
nationale concerne les engagements internationaux de la Côte d'Ivoire.
Paragraphe 2 : Les traités et accords
internationaux
Si le président de la République joue un
rôle prépondérant en matière d'engagements
internationaux (A), celle-ci n'est guère exclusive de toute intervention
de l'Assemblée nationale (B).
A/ Le rôle du président de la République en
matière d'engagements internationaux
Le rôle que joue le président de la
République en matière d'engagements internationaux dépend
évidemment de la distinction entre traités et accords
internationaux (1). Cette distinction détermine en effet la
compétence qui est la sienne en cette matière (2).
1. La distinction entre traités et accords
internationaux
La Constitution opère une distinction simple entre
traités soumis à ratification et accords internationaux non
soumis à ratification (a). Mais cette distinction simple est rendue
complexe par l'existence d'une catégorie d'accords internationaux qui,
quoique non soumis à ratification, doivent toutefois être
approuvés (b).
a. Une distinction simple entre traités soumis à
ratification et accords internationaux non soumis à ratification
Aux termes de l'article 84 de la Constitution, le
président de la République négocie et ratifie les
traités et les accords internationaux. La Constitution distingue ainsi
formellement entre les traités et les accords internationaux.
Les premiers font l'objet d'un formalisme important et
impliquent une procédure assez longue : conclus au nom du
Président, ils sont soumis à ratification et n'entrent en vigueur
qu'après l'échange des instruments de ratification. Les seconds
sont des actes plurilatéraux à
75
procédure courte : également conclus au nom du
Président, ils ne sont pas soumis à ratification et entrent en
vigueur dès leur signature.
Il convient à ce niveau de faire une clarification :
l'article 84 dispose que le président de la République
ratifie les traités et accords internationaux186.
Les accords internationaux devraient donc, à l'instar des
traités, être dûment ratifiés ; or en principe ces
accords entrent en vigueur dès leur signature. Le constituant ivoirien
a-t-il confondu ratification (qui ne concerne que les traités) et
approbation (qui ne concerne que certains accords internationaux non soumis
à ratification)187 ou encore a-t-il voulu entendre exclure la
possibilité pour l'État ivoirien de s'engager sous la forme d'un
accord en forme simplifiée ? Le fait qu'il distingue formellement entre
traités et accords internationaux nous incline vers la première
hypothèse : dans le cas d'un accord en forme simplifiée, la
ratification exigée par la Constitution doit être entendue comme
une simple approbation donnée par le président de la
République188.
Mais la distinction simple en traités soumis à
ratification et accords internationaux non soumis à ratification est
rendue complexe par l'existence d'une catégorie hybride d'engagements
internationaux.
b. Une distinction rendue complexe par l'existence d'une
catégorie hybride d'accords internationaux
La Constitution de 2000 introduit dans cette distinction
simple entre traités soumis à ratification et accords
internationaux non soumis à ratification un élément de
complication. Cet élément de complication résulte de ce
que les articles 85, 86 et 87 font référence à la
nécessaire ratification (comprendre : « approbation ») de
certains accords, pourtant non soumis à la ratification : ce ne sont ni
des traités parce que n'étant pas soumis à la ratification
ni des accords en forme simplifiée parce qu'étant tout de
même soumis à une approbation (ils
186 De même les articles 85, 86 et 87 de la Constitution
parlent de « ratification » de traités et accords
internationaux.
187 La confusion peut tenir notamment du fait qu'en droit
international, ratification et approbation ne se distinguent guère ; le
droit international ne connait que la ratification tandis que l'approbation est
purement un acte de droit interne résultant, dans certains cas, d'une
exigence constitutionnelle propre à un État.
188 Conseil d'État 13 juillet 1965,
Société Navigator, Rec. p.422, conclusions Fournier :
« ... dans le cas d'un accord dit en forme simplifiée,
c'est-à-dire négocié sans que le président de la
République ait à délivrer de pleins pouvoirs, la
ratification exigée par la Constitution doit être entendue comme
une simple approbation donnée par le Chef de l'État... cette
approbation peut notamment résulter de la signature par le
président de la République d'un décret de publication
dudit accord au Journal officiel ». L'accord en cause avait
été passé sous l'empire de la Constitution de 1946 mais,
sur ce point, le problème se présente de la même
manière dans le cadre de la Constitution de 1958.
76
n'entrent en vigueur qu'après celle-ci) ; ces accords
entrent dans une catégorie intermédiaire,
généralement mais pas seulement parce qu'ils ont un objet
figurant dans l'énumération de l'article 84, ce qui implique par
ailleurs une intervention de l'Assemblée nationale189.
Toutes les distinctions que nous venons de voir influent sur
les compétences du président de la République en
matière d'engagements internationaux.
2. La négociation, la signature et la ratification ou
l'approbation des traités et accords internationaux, actes du
président de la République
Le président de la République négocie
traités et accords internationaux d'une part (a) et il les signe et les
ratifie ou les approuve d'autre part (b).
a. La négociation des traités et des accords
internationaux
La Constitution réserve au président de la
République la compétence en matière de négociation
des traités et accords internationaux (art. 84). Dans certains
régimes politiques africains, le président de la
République ne dispose pleinement de la compétence de
négocier qu'à l'égard des engagements en forme solennelle
et, en ce qui concerne les accords, il doit être seulement tenu
informé des négociations tendant à leur conclusion ; ainsi
l'article 114 de la Constitution du Mali dispose que : « le
président de la République négocie... les traités.
Il est informé de toute négociation tendant à la
conclusion d'un accord international non soumis à ratification
»190. Une telle disposition -similaire à l'article 52 de
la Constitution française-ne semble pas sans lien avec la nature
parlementaire du régime politique malien.
Ainsi, aussi bien pour les engagements en forme solennelle que
pour les accords en forme simplifiée, le président de la
République ivoirien dispose d'un rôle primordial puisqu'il assume
des fonctions d'impulsion, de direction et de décision, prenant des
initiatives, désignant des plénipotentiaires, signant les lettres
de pleins pouvoirs, fixant des objectifs, diffusant des instructions et faisant
connaître ses décisions ; mais le Ministre des affaires
189 L'article 85 de la Constitution dispose que certains
traités ou accords -en raison de leur objet- nécessitent, avant
de pouvoir être ratifiés ou approuvés, le vote d'une loi y
autorisant ; mais cette disposition implique également que les accords
portant sur l'un des objets définis à l'article 85 devront
être approuvés.
190 A l'instar de la Constitution du Mali, d'autres
Constitutions africaines opèrent le même type de distinction :
l'article 113 de la Constitution gabonaise, etc. Mais plusieurs autres
Constitutions choisissent, sur ce point, la même solution que le
constituant ivoirien : art. 168 de la Constitution du Niger, art. 114 de la
Constitution du Bénin, etc.
77
étrangères assume, sous l'autorité du
président de la République, les tâches touchant les
contacts diplomatiques et les procédures
administratives191.
Les compétences reconnues au président de la
République s'étendent également à la signature et
à la ratification ou à l'approbation des traités et des
accords internationaux.
b. La signature et la ratification ou l'approbation des
traités et des accords internationaux
Le président de la République dispose par
ailleurs indirectement, en matière de traités et d'accords
internationaux, de la signature par laquelle sont authentifiés les
textes des traités et des accords conclus par la Côte d'Ivoire. En
effet, cette signature sera apposée sur le texte du traité ou de
l'accord conclu par la Côte d'Ivoire par un agent de l'exécutif
c'est-à-dire du président de la République exerçant
pour l'occasion les fonctions de plénipotentiaire. Pour les accords,
nous l'avons déjà dit, la signature a un effet exorbitant car
elle donne de jure force obligatoire en liant l'État
signataire.
En outre, le président de la République peut
seul en principe ratifier ou approuver les traités et les accords
internationaux. La ratification est réservée aux engagements en
forme solennelle et l'approbation aux accords en forme simplifiée. Par
la ratification, le Chef de l'État confirme la signature
déjà donnée par ses représentants
plénipotentiaires et exprime le consentement de l'État ivoirien
à être lié par le traité. Quant à
l'approbation, elle est surtout un acte de droit interne résultant, dans
certains cas, d'une exigence constitutionnelle propre ; ainsi les accords non
soumis à ratification mais portant sur certains objets
énumérés à l'article 85 de la Constitution devront
toutefois être approuvés192. Dans les régimes
politiques malien et français précédemment
évoqués, la compétence de ratifier les traités et
celle d'approuver
191 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., p. 502-503.
192 Dans leurs effets, la ratification et l'approbation se
distinguent en ce sens que la première donne, sur le plan international,
force obligatoire au traité qui entre en vigueur au moment de
l'échange des instruments de ratification (un État peut
d'ailleurs refuser de ratifier puisque, précisément, il n'est pas
encore lié) tandis que la seconde, lorsqu'elle est rendue
nécessaire et même si elle comporte des effets assez proches de la
ratification, se situe dans un contexte très différent, car
l'État devrait être lié dès la signature de l'accord
et ne devrait pas pouvoir refuser d'approuver. Sur le plan pratique, les
différences entre ratification et approbation s'estompent : les
juridictions françaises considèrent en effet, que non seulement
l'approbation mais également la ratification ne peuvent être
appréhendées et identifiées qu'à travers le
décret de publication faute sans doute, pour elles, de pouvoir
contrôler l'échange des lettres de ratification. En d'autres
termes, le décret de publication, qui a normalement pour objet
d'introduire les engagements internationaux, quels qu'ils soient, en droit
interne, est aussi pour les juges le seul acte faisant foi que la ratification
ou l'approbation est bien intervenue.
78
les accords reviennent à des autorités
différentes : la première compétence revient au
président de la République et la seconde compétence au
Gouvernement193.
La matière des engagements internationaux n'est
cependant pas exclusive de toute intervention de l'Assemblée
nationale.
B/ L'intervention de l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale intervient à deux titres :
soit en autorisant par une loi la ratification ou l'approbation d'un engagement
international (1) soit par la possibilité ouverte aux
députés de saisir le Conseil constitutionnel de certains
engagements internationaux (2).
1. Les cas d'autorisations préalables par une loi
Les cas d'autorisations préalables par une loi
ordinaire concernent d'abord les engagements internationaux visés
à l'article 85 de la Constitution (a) mais par l'effet de la loi du 5
août 1978 tous les engagements internationaux soumis à
ratification doivent ensuite être autorisés par une loi (b).
a. Des seuls engagements internationaux visés à
l'article 85 (...)
L'article 85 énumère limitativement des
traités et des accords pour lesquels la ratification ou l'approbation
doivent être autorisées par une loi : ce sont les traités
de paix, les traités ou accords relatifs à l'organisation
internationale et ceux qui modifient les lois internes de
l'État194. Mais le président de la République
peut toujours prendre l'initiative de demander l'autorisation de
l'Assemblée nationale même lorsque ce n'est pas obligatoire.
L'Assemblée nationale devrait en principe voter sur le projet de loi
(demandant l'autorisation de ratifier ou d'approuver) et non pas sur les
dispositions même de l'engagement international à ratifier ou
à approuver.
Le Conseil d'État français n'exerce cependant
pour l'heure aucun contrôle sur la régularité de la
ratification d'un traité ou de l'approbation d'un accord195.
Il y a là la
193 Art. 114 de la Constitution malienne, art. 53 de la
Constitution française.
194 Ces dispositions sont littéralement reprises de
celles qui figuraient dans l'article 54 de la Constitution du 3 novembre
1960.
195 Conseil d'État, 5 février 1926,
Dame Caraco, Rec. 125 ; D. 927.3.1., note Deveaux.
79
manifestation de la notion d'actes de
gouvernement196. Cette solution de la jurisprudence française
ne semble toutefois pas satisfaisante ; la section du rapport et des
études du Conseil d'État a d'ailleurs relevé dans un
rapport adopté le 25 avril 1985 que l'absence de contrôle du juge
sur le respect des dispositions de l'article 53 (notre article 85) de la
Constitution qui fixent les cas où l'intervention d'une loi autorisant
la ratification ou l'approbation est obligatoire « présente
l'inconvénient de laisser dépourvues de sanctions
juridictionnelles des ratifications ou des approbations » qui, en
violation de l'article 53, n'auraient pas été autorisées
par le Parlement. Le même rapport a posé la question de savoir si
un contrôle juridictionnel ne découlerait pas
nécessairement des dispositions combinées des articles 53 et
55197.
Originairement seule la ratification ou l'approbation des
engagements internationaux visés à l'article 85 devait
nécessairement être autorisée par la loi. Mais par l'effet
d'une loi, l'autorisation législative préalable à la
ratification ou à l'approbation est obligatoire pour tous les
engagements internationaux soumis à ratification.
b. (...) à tous les engagements internationaux soumis
à ratification par l'effet de la loi du 5 août 1978
L'article 23 de la loi du 5 août 1978 semble ouvrir plus
largement le champ du contrôle parlementaire en y incluant tous les
engagements internationaux soumis à ratification198. Ainsi
tous les engagements internationaux soumis à ratification -et non plus
seulement ceux visés à l'article 85 de la Constitution- doivent
être soumis au vote des députés avant que le
président de la République ne puisse valablement les ratifier. La
simple faculté ouverte au président de la République de
prendre l'initiative de demander l'autorisation de l'Assemblée nationale
pour les engagements internationaux non énumérés à
l'article 85 devient -par l'effet de la loi du 5 août 1978- une
obligation dès lors qu'il s'agit d'engagements internationaux soumis
à ratification.
196 Conseil d'État, 19 février 1875, Prince
Napoléon.
197 Cet article correspond aux articles 85 et 87 de la
Constitution ivoirienne. L'article 53 (notre article 85) énumère
les traités ou accords requérant une autorisation parlementaire
préalablement à toute ratification ou approbation tandis que
l'article 55 (article 87) énonce que les traités et accords
régulièrement ratifiés ou approbation ont, dès leur
publication, une autorité supérieure à celle des lois ; il
découle de ces dispositions que la régularité de la
ratification ou de l'approbation conditionne la supériorité du
traité ou de l'accord sur la loi et que d'autre part, cette
régularité doit pouvoir être examinée par le
juge.
198 L'article 23 de la loi du 5 août 1978, bien qu'il
renforce le contrôle parlementaire et juridictionnel en matière
d'engagements internationaux, semble toutefois être inconstitutionnel.
80
Quoique cette loi soit extensive du contrôle
parlementaire en matière d'engagements internationaux, le
problème de sa constitutionnalité se pose en ce qu'elle
transforme une faculté ouverte au président de la
République en une obligation.
Mais l'article 23 de la loi ne mentionne pas les accords
internationaux non soumis à ratification : le Président reste par
conséquent libre -en dehors de ceux énumérés
à l'article 85- de les approuver sans les soumettre préalablement
à l'autorisation de l'Assemblée nationale.
L'autre voie par laquelle l'Assemblée nationale exerce
un contrôle sur les engagements internationaux de la Côte d'Ivoire
est la possibilité ouverte aux députés de saisir le
Conseil constitutionnel de la constitutionnalité de certains engagements
internationaux.
2. La saisine du Conseil constitutionnel
Seuls sont susceptibles de faire l'objet d'un contrôle
de constitutionnalité les engagements nécessitant avant toute
ratification ou approbation une autorisation parlementaire, c'est-à-dire
ceux qui sont visés par l'article 85 de la Constitution199.
Il existe deux voies différentes par lesquelles les
députés peuvent saisir la Conseil constitutionnel200 :
la voie de l'article 86 (a) et celle de l'article 95.2 (b).
a. La voie de l'article 86
Aux termes de l'article 86, le Conseil constitutionnel peut
être saisi des engagements internationaux visés à l'article
85 par le président de la République, le président de
l'Assemblée nationale ou par un quart au moins des
députés. Dans la Constitution nigérienne, la Cour
constitutionnelle peut être saisie, outre par le président de la
République et le président de l'Assemblée nationale, par
un dixième des députés (art. 170) ; ce qui est le
même seuil exigé pour la saisine de la Cour constitutionnelle en
matière de contrôle de constitutionnalité des lois (art.
131.2)201.
199 François LUCHAIRE, « Article 54 », in La
Constitution de la République française, 1980.
200 Le contrôle de constitutionnalité ne concerne
que les engagements internationaux qui, appelant une intervention du Parlement,
ne sont pas encore introduits dans l'ordre interne. Une fois introduits, tout
contrôle de constitutionnalité est exclu.
201 C'est la même solution fournie par l'article 54 de la
Constitution française du 4 octobre 1958.
81
La saisine du Conseil constitutionnel par un quart des
députés au moins reste toutefois importante car elle permet
à l'opposition de contester devant le Conseil constitutionnel la
validité au regard de la Constitution ivoirienne des engagements
internationaux négociés par le président de la
République. Limiter la saisine du Conseil constitutionnel aux
présidents de la République et de l'Assemblée nationale
aurait pu se révéler inefficace en ce que ni l'un ni l'autre,
appartenant le plus souvent au même bord politique202,
n'auraient entrepris de contester devant le Conseil constitutionnel un
engagement international négocié par le président de la
République. C'est pourquoi il conviendrait de « démocratiser
» plus encore ce droit de saisine en ramenant par exemple le seuil
exigé au dixième des députés.
L'autre voie par laquelle les députés peuvent
saisir le Conseil constitutionnel de la constitutionnalité d'un
engagement international est l'article 95.2.
b. La voie de l'article 95.2
Elle peut pallier les insuffisances de l'article 86. La voie
de l'article 95 permet en effet à tout groupe parlementaire ou à
un dixième des députés de former un recours contre la loi
d'autorisation de la ratification ou de l'approbation d'un engagement
international ; ce faisant, le Conseil constitutionnel pourrait vérifier
la conformité de l'engagement international lui-même à la
Constitution203.
La voie de l'article 95.2 présente une similitude avec
celle de l'article 86 : elles ne peuvent être utilisées que pour
les engagements visés à l'article 85 de la Constitution
c'est-à-dire ceux nécessitant une autorisation parlementaire.
Cependant par la voie de l'article 95.2, les députés (au moins un
dixième d'entre eux) ne défèrent que la loi d'autorisation
de la ratification ou de l'approbation ; par conséquent les
députés ne peuvent saisir le Conseil constitutionnel
qu'après le vote et avant la promulgation de ladite loi alors que par la
voie de
202 Le président de la République et le
président de l'Assemblée nationale ont toujours
été, jusqu'à nos jours, du même bord politique :
sous Houphouët-Boigny (1960-1993), les présidents de
l'Assemblée nationale furent Philippe Yacé puis Konan
Bédié ; sous Konan Bédié (1993-1999), ce furent
Charles Donwahi et Emile Brou ; sous Laurent Gbagbo (2000-2010), Mamadou
Koulibaly (2000-2010) et enfin Alassane Ouattara (depuis 2010) appartient au
même parti politique (Rassemblement des républicains) que
Guillaume Soro, président de l'Assemblée nationale (depuis
2011).
203 C'est ce qui ressort d'une décision du Conseil
constitutionnel français en date du 30 décembre 1976. Les groupes
d'opposition, qui ne pouvaient pas à l'époque saisir le Conseil
constitutionnel au titre de l'article 54 (article 86 de la Constitution
ivoirienne), se sont autorisés à le faire avant la promulgation
de la loi autorisant la ratification ou l'approbation, en application de
l'article 61 alinéa 2 (notre article 95). Le Conseil constitutionnel a,
en outre, adopté à l'occasion une démarche audacieuse
(Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 507).
Cette solution a été confirmée par les décisions
ultérieures du 17 juillet 1980 et du 19 juillet 1983.
82
l'article 86, c'est l'engagement international lui-même
qui est déféré -avant le vote de la loi autorisant sa
ratification ou son approbation- au Conseil constitutionnel et la saisine de ce
dernier suspend toute possibilité de discussion ou de vote d'une loi
d'autorisation.
Que ce soit par la voie de l'article 86 ou par celle de
l'article 95.2, si le Conseil constitutionnel estime qu'un engagement
international comporte des clauses contraires à la Constitution,
l'autorisation de le ratifier ou de l'approuver ne peut intervenir
qu'après une révision de la Constitution.
Tous les aspects que nous avons analysés jusqu'à
maintenant démontrent la séparation, l'équilibre et la
collaboration des pouvoirs exécutif et législatif en Côte
d'Ivoire. Mais la réalité est un déséquilibre
profond entre les titulaires respectifs de ces deux pouvoirs.
DEUXIÈME PARTIE :
LE DÉSÉQUILIBRE RÉEL ENTRE LE
POUVOIR EXÉCUTIF ET LE POUVOIR LÉGISLATIF
84
Au-delà de l'équilibre somme toute formelle
entre les pouvoirs exécutif et législatif, un
déséquilibre -bien réel et substantiel- caractérise
la réalité des rapports qu'ils entretiennent. Si ce
déséquilibre résultait simplement du fait politique
-c'est-à-dire de la concordance de vues entre le président de la
République et l'Assemblée nationale- il ne serait en
définitive qu'un fait contingent voire normal et peu susceptible du
reste d'intéresser le droit constitutionnel. Mais le
déséquilibre est ici fondé au plan juridique et
institutionnel même. Ainsi l'un des organes en présence -le
pouvoir exécutif- se voit doter de moyens d'action efficaces sur l'autre
-le Parlement- sans que la réciproque ne soit vraie. Il peut par
ailleurs -sous le faix de certaines circonstances- concentrer tous les pouvoirs
en réduisant du même coup les prérogatives de
l'Assemblée en peau de chagrin. D'autre part, l'Assemblée voit
ses pouvoirs considérablement réduits tant du fait de son
cantonnement dans un domaine étroit que du fait que ses initiatives sont
bridées, enchaînées. Ce déséquilibre
juridique et institutionnel est une anomalie voire une dénaturation du
régime présidentiel204. Pourtant c'est un tel
déséquilibre qui traduit la réalité des rapports
entre les pouvoirs exécutif et législatif en Côte d'Ivoire.
Ce déséquilibre se manifeste d'une part par
l'hégémonie du pouvoir exécutif (chapitre I) et d'autre
part par l'abaissement du pouvoir législatif (chapitre II).
CHAPITRE I : L'HÉGÉMONIE DU POUVOIR
EXÉCUTIF
La rupture de l'équilibre entre les pouvoirs
exécutif et législatif dénote clairement d'une
déformation du régime présidentiel. Théoriquement
cette rupture peut se faire au profit de l'un ou de l'autre des organes ; en
pratique cependant, c'est le président de la République -
l'exécutif donc- qui en bénéficie : le président de
la République dispose d'une position hégémonique en face
du Parlement. L'hégémonie du pouvoir exécutif
apparaît -on le sait-comme un caractère distinctif du
régime présidentialiste. Elle est assurée ici comme
ailleurs par des moyens d'action efficaces que détient le chef de
l'exécutif sur le Parlement (section I) et par la concentration des
pouvoirs à son profit en période de crise (section II).
Section I : Les moyens d'action efficaces sur le
Parlement
204 Martin Djézou BLÉOU op.cit. p. 114
; Dimitri-Georges LAVROFF et Gustave PEISER, op.cit., p. ; Francisco
MÉLÈDJE DJÉDJRO, op.cit., p. 10 ; etc.
85
Les moyens d'action de l'exécutif sur le Parlement sont
nombreux et efficaces. Ils permettent en effet à l'organe qui les
détient -le Chef de l'État- d'agir et d'influer sur les
prérogatives de la représentation nationale. Ces moyens d'action
efficaces sont le droit d'information et le pouvoir de participation d'une part
(paragraphe 1) et le pouvoir d'intervention d'autre part (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le droit d'information et le pouvoir de
participation
Les travaux de l'Assemblée nationale ont lieu sous la
conduite de son bureau et, dans une certaine mesure, de sa conférence
des présidents. Ils se font également pour une large part dans le
cadre des commissions parlementaires. L'hégémonie du
président de la République est manifeste en ce sens qu'il dispose
d'un droit d'information et d'un pouvoir de participation sur le bureau et la
conférence des présidents (A) et sur les commissions
parlementaires (B).
A/ Le droit d'information sur le bureau et la conférence
des présidents
La conduite des travaux parlementaire est assurée par
le bureau et la conférence des présidents. Sur l'un et l'autre,
le président de la République a un droit d'information
résultant à la fois du fait politique (1) et du fait
institutionnel (2).
1. Le fait politique du droit d'information
Parce que le parti présidentiel est le parti
majoritaire soit seul soit en alliance avec d'autres formations
politiques205, il écrase de son poids la composition du
bureau (a) et de la conférence des présidents (b). Cette
situation renforce l'influence du président de la République sur
ces formations internes de l'Assemblée nationale.
a. Le poids du parti présidentiel majoritaire dans la
composition du bureau
205 Le parti présidentiel est nécessairement le
parti majoritaire pour au moins deux raisons. D'abord, parce que le
président de la République est toujours issu d'une formation
politique (même un Président non issu d'une quelconque formation
politique n'aurait pas moins besoin d'une majorité parlementaire capable
de soutenir son programme politique). Ensuite, parce que les élections
présidentielle et législatives ont lieu la même
année, ce qui a pour conséquence de dégager une
majorité parlementaire conforme aux vues du Président
élu.
86
Le bureau comprend le président de l'Assemblée
nationale, les vice-présidents, les secrétaires et les questeurs
; il est largement dominé par le parti présidentiel.
Élu pour la durée de la législature (art.
65 de la Constitution), le président de l'Assemblée nationale
dispose de deux types d'attributions : constitutionnelles et parlementaires. Au
titre des premières, il assure l'intérim du président de
la République (art. 40), doit être consulté par celui-ci
avant la mise en oeuvre des pouvoirs exceptionnels (art. 48), nomme certains
membres du Conseil constitutionnel (art. 91), peut saisir celui-ci dans
certaines conditions (art. 95.2 ; art. 86, etc.), statue sur
l'irrecevabilité des propositions de lois soulevée par le
président de la République (art. 76) etc. Au titre des secondes,
il établit l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée, dirige les
débats, fait observer le règlement, maintient l'ordre et la
discipline, veille à la sûreté interne et externe de
l'Assemblée, etc. Les présidents de l'Assemblée nationale
ont toujours appartenu au camp présidentiel voire ont été
des hommes de main du président de la
République206.
Le bureau de l'Assemblée nationale comprend en outre
onze vice-présidents, douze secrétaires et deux questeurs (art. 4
du règlement), élus au scrutin de liste à la
majorité relative pour un an renouvelable chaque année, à
la première séance de la première session ordinaire
d'avril, sur proposition du président de l'Assemblée
nationale (art. 6). Ils appartiennent également presque tous au
camp présidentiel (art. 4 in fine).
C'est ce bureau dominé par le parti présidentiel
qui préside, en la personne de son président ou, en cas
d'empêchement de celui-ci, de l'un de ses vice-présidents, les
délibérations de l'Assemblée nationale.
Le parti présidentiel majoritaire écrase
également de son poids la conférence des présidents.
b. Le poids du parti présidentiel majoritaire dans la
composition de la conférence des présidents
La conférence des présidents réunit le
président et les vice-présidents de l'Assemblée nationale,
les présidents des six commissions générales, les
présidents des commissions spéciales et les présidents des
groupes parlementaires. Outre le président de l'Assemblée
206 Il en fut ainsi pour chacun des présidents de
l'Assemblée nationale : Philippe Yacé (1959-1980), H. Konan
Bédié (1980-1993), Charles Donwahi (1993-1997), Emile Brou
(1997-1999), Mamadou Koulibaly (2000-2012) et Guillaume Soro (depuis 2012).
87
nationale, les autres membres de la conférence
appartiennent pour la plupart au camp présidentiel207.
La conférence des présidents est
convoquée par son président -le président de
l'Assemblée nationale- au début de chaque session et chaque fois
que le besoin s'en fait sentir et elle joue un rôle important concernant
la fixation de l'ordre du jour (art. 20.1) et l'organisation des débats.
La question de la fixation de l'ordre du jour est fondamentale et sera
abordée ultérieurement lorsque nous verrons que le
président de la République exerce un droit de regard de fait sur
la conférence des présidents.
Le droit d'information ne tient pas seulement du fait que le
parti présidentiel -qui soutient le président de la
République- dispose d'une majorité confortable à
l'Assemblée nationale. Il tient également du fait
institutionnel.
2. Le fait institutionnel du droit d'information et ses
conséquences
Le fait institutionnel résulte de ce que le
règlement de l'Assemblée nationale consacre un droit
d'information du président de la République sur le bureau et la
conférence des présidents (a) entraînant de facto
un droit de regard (b).
a. L'institutionnalisation du droit d'information
Le règlement de l'Assemblée nationale consacre
un droit d'information du président de la République sur le
bureau et sur la conférence des présidents. Dès que le
bureau est formé, le président de l'Assemblée nationale a
en effet l'obligation d'en informer le président de la République
(art. 7 du règlement). Par ailleurs, celui-ci est avisé du jour
et de l'heure retenus pour la réunion de la conférence des
présidents (art. 20.4 du règlement) et est informé de
l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale (art. 20.6).
Le droit d'information consacré au profit du
président de la République s'est vite transformé en un
droit de regard.
b. Un droit de regard de facto
207 Ainsi en est-il notamment des onze vice-présidents et
des présidents des six commissions permanentes.
88
Le droit d'information entraîne un droit de regard
c'est-à-dire une prérogative à influencer le bureau et la
conférence des présidents à la fois quant à leur
composition et quant à leurs activités208.
S'agissant de leur composition, nous avons déjà
souligné que le fait politique (le fait majoritaire) permettait au parti
présidentiel de s'arroger la part du lion face aux groupes minoritaires
; et comme le parti présidentiel est lié voire soumis au
président de la République, il ne fait pas de doute que cette
composition se fera conformément aux directives que celui-ci pourrait
donner à son bord209.
En ce qui concerne leurs activités, le président
de la République -disposant du droit à être informé
du jour et de l'heure de la réunion de la conférence des
présidents- peut influer sur la proposition qu'elle fera relativement
à la fixation de l'ordre du jour de la séance
plénière210. Cependant le pouvoir dont dispose le
président de la République à cet égard reste
largement en deçà des prérogatives de l'exécutif
dans d'autres régimes politiques africains. Ainsi l'article 84 de la
Constitution sénégalaise dispose que : « l'inscription, par
priorité, à l'ordre du jour d'un projet de loi ou d'une
proposition de loi ou d'une déclaration de politique
générale est de droit si le président de la
République ou le premier ministre en fait la demande ».
La conférence des présidents -et indirectement
le président de la République- joue par ailleurs un rôle
important quant à l'organisation des débats.
Le droit d'information ne se limite pas au bureau et à
la conférence des présidents, il s'étend également
aux travaux des commissions où il est doublé d'un pouvoir de
participation.
B/ Le droit d'information et le pouvoir de participation sur les
travaux des commissions
208 Le droit d'information consacré par le
règlement de l'Assemblée nationale sur le bureau et la
conférence des présidents est susceptible d'influencer l'objet
sur lequel porte ce droit à savoir la composition et les
activités du bureau et de la conférence.
209 L'élection de Guillaume Soro à la
présidence de l'Assemblée nationale reflète une telle
situation. Cette élection, qui posait par ailleurs un problème
juridique relatif à son âge, ne fut possible que sur une
intervention directe du Chef de l'État, Alassane Ouattara.
210 La conférence des présidents joue un
rôle important dans la fixation de l'ordre du jour de l'Assemblée
nationale : elle donne son accord relativement à l'établissement
de l'ordre du jour par le président de l'Assemblée (art. 20.1 du
règlement). Il est indéniable, cependant, que le président
de la République joue un rôle important à cet égard
car il exerce une influence certaine à la fois sur le président
de l'Assemblée et sur la conférence des présidents. Mais
le rôle déterminant revient à l'Assemblée nationale
(art. 20 al. 5 et 8).
89
Le droit d'information sur les commissions parlementaires
tient également du fait politique (1) et du fait institutionnel (2).
1. La cause politique du droit d'information sur les
commissions
Le règlement de l'Assemblée nationale, aux
termes des articles 13 et 18, distingue entre les commissions permanentes (a)
et les commissions spéciales (b) sur lesquelles le parti
présidentiel -et par ricochet le président de la
République- exerce une véritable domination.
a. La domination du parti présidentiel majoritaire dans la
composition des commissions permanentes
Les commissions permanentes sont au nombre de six. Ce sont :
la commission des affaires générales et institutionnelles, la
commission des affaires économiques et financières, la commission
des affaires sociales et culturelles, la commission des relations
extérieures, la commission de la sécurité et de la
défense et la commission de l'environnement (art.13 du
règlement). L'augmentation du nombre de commissions permanentes par
rapport à la première République211 est une
avancée du point de vue de leur efficacité et rien
n'empêche que ce nombre augmente encore puisque qu'il n'en existe pas de
limitation dans la Constitution212.
Chaque commission comporte un nombre égal de
députés. Le bureau de l'Assemblée nationale établit
la liste des candidats aux différentes commissions permanentes
après consultation des groupes parlementaires ; cette liste est soumise
à la ratification de l'Assemblée nationale (art. 14.1 du
règlement). Mais les règles en matière de
désignation demeurent floues et imprécises car l'on ne sait pas
avec exactitude en quoi consiste cette ratification213. Quoi qu'il
en soit, il est certain que le système permet au parti majoritaire -le
parti présidentiel- de composer plus ou moins à sa guise les
différentes commissions.
Les bureaux des commissions permanentes reflètent cette
domination du parti présidentiel : les présidences de ces
commissions permanentes ont été ainsi
régulièrement
211 Les commissions nouvellement créées sont
donc la commission de la sécurité et de la défense et la
commission de l'environnement.
212 La Constitution se contente de parler de «
commissions » sans en préciser ni la nature (distinction entre
« commissions permanentes » et « commissions spéciales
») ni le nombre ; c'est le règlement de l'Assemblée
nationale qui fait une telle précision (art. 13). Il suffirait donc, en
principe, que les députés prennent l'initiative d'augmenter le
nombre de commissions permanentes de l'Assemblée nationale.
213 Obou OURAGA, op.cit., p. 240.
90
assumées par des députés du parti
présidentiel voire par des hommes de confiance du président de la
République.
Les commissions spéciales n'échappent pas non
plus à la domination du parti présidentiel et partant du
président de la République.
b. La domination du parti présidentiel majoritaire dans la
composition des commissions spéciales
Parallèlement aux commissions permanentes,
l'Assemblée nationale peut constituer des commissions spéciales
pour un objet déterminé et dont l'existence prend fin dès
lors que les projets ou propositions ayant nécessité leur
création font l'objet d'une décision définitive soit
qu'ils ont été adoptés soit qu'ils ont été
rejetés ou retirés (art. 18 du règlement).
Les commissions spéciales ivoiriennes se
différencient de celles existant dans le régime politique
français actuel. D'abord, parce que leur existence -de même que
celle des commissions permanentes d'ailleurs- découle directement du
règlement de l'Assemblée nationale, la Constitution
elle-même n'évoquant que des « commissions » sans aucune
précision214. Ensuite, parce que ces commissions
spéciales sont l'exception tandis que les commissions permanentes sont
la règle : les textes sont en priorité soumis à l'examen
d'une commission permanente et les commissions spéciales ne seront
saisies que par dérogation215.
Le parti présidentiel exerce sur leur composition la
même domination qu'il exerce sur les commissions permanentes
(président, bureau, rapporteur, etc.) car la désignation de ses
membres se fait sur proposition de la conférence des présidents
elle-même dominée par le parti présidentiel (art. 18.2 du
règlement).
Outre leur composition, leur mode d'organisation (se
constituer en sous-commissions), leur compétence (examiner des textes,
les modifier en exerçant le droit d'amendement...), leur saisine
(à la diligence du président de l'Assemblée nationale et
en fonction des projets ou propositions entrant dans leur compétence...)
obéissent au même régime que les commissions
permanentes.
214 Article 48 de la Constitution du 3 novembre 1960 et
article 83, alinéas 1 et 2 de la Constitution du 1er
août 2000.
215 Le renvoi d'un texte à une commission
spéciale n'est pas en effet de droit car il doit être
décidé par l'Assemblée nationale (art. 55.2 du
règlement).
91
Le droit d'information présidentiel sur les commissions
parlementaires résultant du simple fait politique -la domination du
parti présidentiel au sein de l'Assemblée nationale-sera
expressément consacré par le droit, d'où le fait
institutionnel.
2. Le fait institutionnel du droit d'information et du pouvoir
de participation et leurs conséquences
Le fait institutionnel du droit d'information
présidentiel doit se conjuguer avec l'institutionnalisation d'un pouvoir
de participation (a). Ces deux faits entraînent certaines
conséquences à savoir un pouvoir aux mains du président de
la République à orienter les travaux des commissions
parlementaires (b).
a. Le fait institutionnel du droit d'information et du pouvoir de
participation
Le président de la République doit être
informé de l'ordre du jour des travaux des commissions de
l'Assemblée nationale ; cet ordre du jour lui est communiqué en
principe deux jours avant la réunion de la commission (art. 56.1 du
règlement). Les propositions de lois et de résolutions sont en
outre transmises au Gouvernement dans les quarante-huit heures suivant leur
dépôt (art. 52.5). Ces dispositions prescrites par le
règlement de l'Assemblée nationale ne peuvent avoir d'autre but
que celui de permettre au président de la République d'exercer
une influence certaine sur les travaux des commissions parlementaires.
D'autre part, les ministres ont accès aux commissions
et, à la demande de celles-ci, sont entendus conformément
à l'article 83 de la Constitution (art. 56.2 du règlement). Il ne
s'agit là en principe que d'un moyen d'information ouvert aux
commissions, à charge pour les ministres d'éclairer celles-ci.
Mais en fait, le président de la République est parvenu à
faire de ce moyen d'information ouvert aux commissions un instrument pour
influencer -par l'entremise de ses ministres- les travaux de ces
dernières. C'est dire que le moyen d'information institué de
jure au profit des commissions est devenu un pouvoir de participation
de facto aux mains des ministres et, en réalité, du
président de la République. Ce pouvoir de participation est
d'autant plus assis que l'on voit mal comment les commissions - dominées
par le parti présidentiel majoritaire- pourraient refuser d'entendre les
ministres -car
92
elles seules peuvent en droit formuler la demande d'entendre
ces derniers- si le président de la République en exprimait le
souhait216.
Les conséquences qui découlent du droit
d'information sur les commissions et du pouvoir de participation à leurs
travaux sont inéluctablement un pouvoir d'orientation de ceux-ci.
b. Les conséquences du droit d'information et du
pouvoir de participation : un pouvoir d'orientation des travaux des
commissions
Les projets et propositions de loi doivent être soumis
à l'une des six commissions permanentes ou, à défaut,
à une commission spécialement désignée à cet
effet. Pour chaque texte, une seule commission est saisie au fond et en
fonction des projets ou propositions entrant dans leur compétence (art.
55 du règlement). Les membres de la commission ont le droit d'amendement
(art. 78.1 de la Constitution, art. 60 du règlement). Si tous les
députés peuvent participer aux débats de toutes les
commissions, seuls les membres de la commission considérée y
disposent du droit de vote. Les décisions de la commission sont prises
à la majorité absolue des suffrages exprimés (art. 62.1).
La commission désigne en son sein un rapporteur et suit le cheminement
du texte tout au long de la procédure législative.
D'autre part, les commissions parlementaires ont un pouvoir
d'instruction et d'investigation, elles exercent de la sorte une influence
importante sur la procédure législative.
Par le droit d'être informé sur les travaux des
commissions, le président de la République peut, s'il le
désire, agir pour influencer les travaux effectués au sein des
commissions. Pour ce faire, il dispose non seulement de moyens politiques mais
également de moyens institutionnels.
Par le droit de participation qu'il est parvenu à tirer
de l'article 83 de la Constitution, il peut -par l'entremise de ses ministres-
influer sur le cours des délibérations des commissions
216 Il n'en serait autrement que si le président de la
République ne disposait pas de majorité parlementaire conforme
à ses vues ou s'il existait au sein du parti présidentiel
majoritaire une opposition interne au président de la République,
deux hypothèses encore irréalisées. Dans ces cas, comment
fonctionnerait le régime ?
93
et en orienter l'issue. Les exemples de vigoureuses
interventions présidentielles lors de la participation des ministres aux
réunions des commissions sont légion217.
Outre le droit d'information sur les formations internes de
l'Assemblée nationale qu'il tient à la fois du droit et du fait,
le président de la République dispose d'un pouvoir
d'intervention. Ainsi il ne se contente pas d'influencer les travaux
parlementaires par le droit d'information qu'il détient, il intervient
directement dans les prérogatives de l'Assemblée nationale.
Paragraphe 2 : Le pouvoir d'intervention
Le président de la République intervient dans
les prérogatives traditionnelles et essentielles de l'Assemblée
nationale que sont le vote de la loi (A) et celui du budget (B).
A/ Dans le domaine législatif
L'intervention du président de la République
dans le domaine législatif se situe dans son droit de veto à
l'encontre des lois votées par l'Assemblée nationale (1) et dans
la promulgation de celles-ci (2).
1. Le veto présidentiel
Aux termes de l'article 42.3 de la Constitution, le
président de la République peut demander une seconde
délibération des lois votées par l'Assemblée
nationale. Cette demande de seconde délibération en apparence (a)
apparaît en réalité comme un droit de veto (b).
a. Une demande de seconde délibération en
apparence
Avant la promulgation, le président de la
République peut exiger de l'Assemblée nationale le
réexamen de la loi adoptée (art. 42.3 de la Constitution de
2000). Il peut également, dans le même délai, exiger que la
seconde délibération n'ait lieu que lors de la session ordinaire
suivant la session au cours de laquelle le texte a été
adopté en première lecture (art. 42.4 de la Constitution).
217 Ainsi à la séance de la Commission des
affaires générales et institutionnelles consacrée aux
privatisations en mai 1994, le Gouvernement Kablan Duncan s'opposa, au nom du
président de la République, avec force et victorieusement,
à un amendement émanant d'un député.
94
L'Assemblée nationale peut, lors de cette seconde
délibération, soit confirmer les termes de la loi telle qu'elle a
été adoptée en première lecture soit adopter les
modifications souhaitées par le Président. Mais dans l'un et
l'autre cas, le vote devant sanctionner cette seconde
délibération ne sera acquis qu'à la majorité
renforcée des deux tiers des députés présents (art.
42 in fine de la Constitution, art. 76.3 du règlement). Cette
disposition mérite que l'on s'y penche : non seulement les modifications
souhaitées par le Président ne pourront être
adoptées mais également les députés ne pourront
maintenir leur position antérieure qu'à la majorité des
deux tiers. Ce deuxième aspect l'emporte nettement sur le premier
car si le constituant avait voulu faciliter l'adoption des modifications
souhaitées par le président de la République, il aurait
seulement exigé la majorité simple. En exigeant une
majorité renforcée, celle des deux tiers, le constituant insiste
plutôt sur le moyen de pression offert au Président sur
l'Assemblée nationale. Certes la majorité renforcée ne
facilite pas du même coup l'adoption des modifications souhaitées
par le président de la République (ce qui n'est d'ailleurs pas
l'objectif recherché par le constituant) mais elle rend surtout
hypothétique la confirmation, dans ses termes initiales de la
première lecture, de la loi dont le président de la
République ne veut pas et qu'il a de ce fait renvoyé pour une
seconde lecture (ce qui est en définitive le but recherché par le
constituant).
A l'analyse et par référence au droit
comparé notamment au droit étatsunien, la demande de seconde
délibération consacrée par la Constitution apparaît
en réalité comme un véritable droit de veto
présidentiel.
b. Un droit de veto présidentiel en
réalité
La demande de nouvelle ou de seconde
délibération218 est consacrée dans de
nombreuses Constitutions africaines. Ainsi dans la Constitution malienne, le
président de la République se voit conférer le droit de
demander, dans le délai fixé pour la promulgation, une nouvelle
délibération de la loi ou de certains de ses articles (art.40.2).
Le Parlement peut accéder à la demande présidentielle de
reconsidérer sa position initiale mais il demeure libre
218 Il convient, ici, de faire une clarification
terminologique entre nouvelle et seconde délibération. La
Constitution ivoirienne parle de « seconde délibération
» et la Constitution française de «nouvelle
délibération ». Les deux termes désignent donc la
même réalité : le Président demande au Parlement
d'examiner à nouveau une partie ou la totalité de la loi. Dans
l'ordre constitutionnel français, il ne faut toutefois pas confondre la
nouvelle délibération, qui est une compétence du
Président et a lieu après l'adoption du texte, et la seconde
délibération par laquelle le Gouvernement peut, pendant les
débats parlementaires et avant l'adoption du texte, demander un
réexamen de certaines de ses dispositions (pratique courante lors de
l'examen des lois de finances).
95
de la maintenir sans y être empêché par une
difficulté institutionnelle particulière, car lors de ce
réexamen de la loi aucune majorité spéciale n'est requise.
Par conséquent, il est rare que le président de la
République use du droit que lui confère la Constitution de
demander une nouvelle lecture de la loi étant quasiment assuré
qu'il n'obtiendra pas satisfaction à l'issue de celle-ci.
Exiger une majorité renforcée lors de la
nouvelle délibération en transforme profondément la nature
en en faisant un véritable droit de veto par lequel le président
de la République peut avec aisance faire plier le Parlement suite
à l'adoption d'une loi qu'il désapprouve. Il faut donc
s'étonner de la position d'Obou Ouraga :
« (...) A défaut de cette majorité des deux
tiers, les amendements ou modifications souhaités par le
président de la République seront inopérants. Dans ce cas,
il aura l'obligation de promulguer le texte initial qui lui a été
précédemment transmis »219.
En réalité, le constituant ivoirien s'est
clairement engagé dans la voie d'offrir au président de la
République un moyen de pression, imitant en cela la démarche des
constituants étatsuniens220 : pour maintenir sa position de
départ, l'Assemblée nationale doit le faire à la
majorité des deux tiers des députés
présents221. A défaut de cette majorité
renforcée lors de la seconde délibération, la loi quoique
valablement adoptée lors de sa première lecture tombe soit en
totalité soit en partie selon que la demande de seconde
délibération portait sur l'ensemble de ses dispositions ou sur
certains de ses articles222 ; il n'y a pas par conséquent
à la promulguer.
Mais en l'état actuel du régime politique
ivoirien où il y a rarement eu discordance de vues entre
l'Assemblée nationale et le président de la République ou
mieux, où il y a presque toujours eu inféodation de la
première au second, le Président n'a guère encore eu
besoin de
219 Obou OURAGA, op.cit., p. 242.
220 Article I, section 7, clauses 1 et 2 de la Constitution
des États-Unis ; Bernard CHANTEBOUT, Droit constitutionnel,
29e éd., 2012, p. 108.
221 Cette majorité des 2/3 des députés
présents (art. 42 in fine, art. 76.3 du règlement) est
moins renforcée que la majorité exigée alors par la
Constitution de 1960 puisque celle-ci, en son article 13 in fine,
disposait que : « le vote pour cette seconde délibération
est acquis à la majorité des deux tiers des membres composant
l'Assemblée nationale ». Il est donc étonnant de lire
Obou Ouraga, en parlant de la situation sous la IIe
République, écrire que : « (...) pour cette seconde
délibération, le vote de la loi est n'est acquis qu'à la
majorité des deux tiers des membres de l'Assemblée
nationale... » (op.cit, p. 242).
222 François V. WODIÉ, op.cit., p. 213.
96
faire usage de l'arme du veto. L'autre type d'intervention
présidentielle dans le domaine législatif -la promulgation- est
quant à lui d'un usage plus fréquent.
2. La promulgation
Consacrée par l'article 42.1 de la Constitution, la
promulgation apparaît certes comme une compétence liée du
président de la République (a) mais elle est essentielle à
la validité des lois adoptées (b).
a. Une compétence liée du président de la
République
La promulgation est l'acte par lequel le président de
la République constate la régularité de l'adoption de la
loi, authentifie ou certifie le texte de la loi, déclare la loi valable
et donne aux autorités publiques l'ordre de l'exécuter et de la
faire exécuter223. En promulguant la loi, le président
de la République ne fait pas oeuvre législative, il se borne
à reconnaitre que la loi a régulièrement pris naissance et
donne par conséquent l'ordre de l'exécuter. C'est en ce sens que
la promulgation diffère de la sanction.
La promulgation constitue dès lors pour
l'autorité qui en est constitutionnellement investie, à savoir le
président de la République en droit ivoirien (art. 42.2), moins
une prérogative qu'une obligation devant être satisfaite dans le
délai prévu par la Constitution c'est-à-dire quinze jours
suivant la transmission de la loi ou, en cas d'urgence, cinq jours (art. 42.1).
Autrement dit, le président de la République dispose d'une
compétence liée de promulguer la loi votée par
l'Assemblée nationale224. C'est ce qui ressort des termes de
l'article 42.1 de la Constitution de 2000 qui dispose que « le
président de la République assure la promulgation des
lois... ». L'indicatif devant être tenu, en droit, pour
l'impératif225 et sous réserve des facultés de
demander une nouvelle délibération de la loi ou de certains de
ses articles et de saisir le Conseil constitutionnel et du choix de la date
à l'intérieur du délai de quinze jours, le
président de la République a l'obligation de promulguer la loi
dès lors que
223 Cette définition de la promulgation se
réfère au décret français de 1876 et rejoint la
définition donnée par de nombreux auteurs notamment Georges
Burdeau (op.cit., p. 630), Raymond Carré de Malberg (voir Obou
OURAGA, op.cit., p. 245), Pierre PACTET et Ferdinand
MELIN-SOUCRAMANIEN (op.cit., p. 423), etc. Elle est d'ailleurs celle
que fournie le Conseil d'État français dans sa décision du
8 février 1974, Commune de Montory : « La promulgation est
l'acte par lequel le Chef d'État atteste l'existence de la loi et donne
l'ordre aux autorités d'observer et de faire observer cette loi
».
224 Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD,
op.cit., p. 178 ; Francis V. WODIÉ, op.cit., pp.
214215.
225 Obou OURAGA, op.cit., p. 244 ; Francis V.
WODIÉ, op.cit., p. 214.
97
celle-ci a été régulièrement
adoptée226. Par ailleurs, l'exigence d'un délai de
promulgation prouve l'existence à la charge du président de la
République d'une compétence liée.
Même si la promulgation est une compétence
liée du président de la République, elle n'en est pas
moins une condition au moins formelle de la validité des lois
adoptées par le Parlement.
b. Une compétence essentielle à la validité
de la loi
La nature liée de la compétence de promulguer la
loi dans le délai prévu par la Constitution est renforcée
par l'existence d'une sanction s'attachant dorénavant au défaut
de promulgation. Aux termes de l'article 42.2 de la Constitution de 2000,
lorsqu'une loi n'est pas promulguée par le président de la
République jusqu'à l'expiration des délais prévus,
ladite loi « est déclarée exécutoire par le Conseil
constitutionnel saisi par le président de l'Assemblée nationale,
si elle est conforme à la Constitution ». En conséquence, le
président de la République n'a plus la possibilité de
jure -comme sous la première République- d'annihiler
l'effectivité de la loi par le refus de la
promulgation227.
Mais l'existence même d'une telle sanction prouve que la
promulgation est une condition au moins formelle de validité de la loi :
si le président de la République refusait de promulguer une loi
et que le président de l'Assemblée nationale s'abstenait -en
raison de son alignement politique sur le Président- de saisir le
Conseil constitutionnel afin que celui-ci déclare éventuellement
la loi exécutoire, on aboutirait à la même situation que
celle qui aurait existé si la Constitution ne prévoyait pas de
sanction au défaut de promulgation et la loi quoique valablement
adoptée ne serait pas applicable.
De là, il apparaît que la promulgation
-même si elle n'est qu'un acte de constatation de l'existence de
la loi votée, même si elle n'a qu'un effet déclaratif
de la force exécutoire de
226 A la séance du 16 mai 1975 de la Commission
élargie de l'Assemblée nationale en vue de la révision de
l'article 11 de la Constitution de 1960, M. Camille Alliali, ministre de la
Justice et représentant du Gouvernement, précisait : «
La promulgation est l'ordre donné au président de la
République de rendre exécutoire telle loi. Le
Président est mis en demeure de faire exécuter la loi ».
Cette position du droit positif conforte la position doctrinale
défendue, auparavant, par Carré de Malberg et par d'autres selon
laquelle le président de la République est tenu de promulguer la
loi du fait que la volonté législative s'impose d'une
façon supérieure à lui et que l'adoption de la loi par
le Parlement contient implicitement un véritable ordre de
promulgation.
227 Sous la première République, le
président de la République est parvenu, en refusant de promulguer
certaines lois votées par l'Assemblée nationale, à
enterrer définitivement celles-ci. On cite de façon assez
classique le cas de la loi du 20 mars 1963 portant Code domanial qui, faute
d'avoir été promulguée par le Président
Houphouët-Boigny, n'est pas applicable.
98
celle-ci et ne constitue qu'une compétence
liée à la charge du président de la
République- est bien une condition au moins formelle de validité
de la loi et n'en demeure pas moins par conséquent une arme aux mains du
Président -à condition qu'il ait le soutien du président
de l'Assemblée nationale en raison de l'article 42.2- par laquelle il
peut faire échec à la volonté du
Parlement228.
Le pouvoir d'intervention du président de la
République s'étend également au domaine sensible du
budget.
B/ Dans le domaine budgétaire et le pouvoir de
substitution
Le vote du budget est -avec le vote de la loi- une
prérogative essentielle de l'Assemblée nationale (1). Le pouvoir
d'intervention du président de la République lui permet pourtant
de la déposséder de cette prérogative très
importante (2).
1. Le vote du budget, prérogative essentielle de
l'Assemblée nationale
Le vote du budget est une prérogative essentielle de
l'Assemblée nationale parce que le budget est un acte gouvernemental
essentiel et que son autorisation préalable apparaît par
conséquent comme une forme capitale du contrôle parlementaire.
a. Le budget, acte gouvernemental essentiel
Sur le plan politique et constitutionnel, le budget
apparaît comme un acte gouvernemental essentiel. En effet, toute
réalisation d'un programme concret se traduit par des dépenses
nouvelles, par des accroissements ou des réductions de dépenses
anciennes, par l'établissement d'impôts ou de taxes, par des
dégrèvements ou par des surcharges fiscales,
etc.229.
De ce fait, toute la réalisation de la politique
qu'entend mener le président de la République et son Gouvernement
passe nécessairement par le budget. C'est en raison de cette dimension
que l'autorisation préalable du budget par l'Assemblée nationale
est susceptible d'être une forme capitale du contrôle parlementaire
sur l'activité gouvernementale.
228 Obou OURAGA, op.cit., p. 247.
229 Marcel PRÉLOT, op.cit., p. 777.
99
b. L'autorisation préalable du budget, forme capitale du
contrôle parlementaire
L'autorisation préalable du budget est une forme
capitale du contrôle de l'activité gouvernementale. En
exerçant le « pouvoir de la bourse », l'Assemblée
nationale devrait pouvoir être en mesure d'imposer sa volonté au
président de la République ou du moins d'infléchir celle
du Président.
Historiquement, c'est par le vote du budget que les chambres
sont parvenues à prendre de l'ascendant sur les rois. Ainsi en France,
dès la Révolution, est reconnu le droit pour la nation de
concéder des subsides, d'en déterminer la quotité, d'en
limiter la durée, d'en faire la répartition, d'en assigner
l'emploi, d'en demander le compte, d'en exiger la publication (cahiers du Tiers
de Paris)230.
Il est par conséquent regrettable le fait que
l'Assemblée nationale puisse être dessaisie de sa
prérogative traditionnelle et essentielle de voter le budget.
2. La dépossession de l'Assemblée nationale du vote
du budget
L'Assemblée nationale peut se trouver dessaisie du vote
du budget au profit du président de la République soit que
celui-ci mette en vigueur le projet de loi de finances par ordonnance (a) soit
qu'il l'établisse définitivement par ordonnance (b).
a. La mise en vigueur du projet de loi de finances par ordonnance
budgétaire
Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée
dans un délai de soixante-dix jours après le dépôt
du projet de loi de finances, la Constitution établit une
dérogation fondamentale au principe traditionnel selon lequel seul le
Parlement peut autoriser la perception des recettes et l'engagement des
dépenses publiques : les dispositions du projet peuvent être mises
en vigueur par ordonnance (art. 80.3). C'est donc la carence de
l'Assemblée nationale qui se trouve être sanctionnée. Cette
disposition de l'article 80.3 de la Constitution ne s'applique toutefois qu'au
cas où l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée, et
non au refus d'adopter
230 Marcel PRÉLOT, ibid.
100
le budget. On retrouve des dispositions semblables dans de
nombreux régimes politiques africains231.
Au contraire, la carence du président de la
République résultant notamment du retard dans le
dépôt du projet de loi de finances à l'Assemblée
nationale232 n'implique pas la disparition des prérogatives
de l'exécutif. Aux termes de l'article 80 in fine de la
Constitution, le président de la République demande alors
d'urgence à l'Assemblée nationale l'autorisation de reprendre le
budget de l'année précédente par douzième
provisoire. Technique héritée des IIIe et
IVe Républiques françaises en cas de retard dans le
vote de la loi de finances, les douzièmes provisoires sont des
autorisations budgétaires dérogatoires au principe
d'annualité budgétaire en ce que tout en permettant à
l'administration de procéder à la perception des recettes pour
toute l'année, elles ne permettent de payer les dépenses
qu'à concurrence d'un douzième environ des crédits ouverts
l'année précédente et une répartition des
crédits entre ministères pour une période (provisoire)
d'un ou plusieurs mois233. Cette technique des douzièmes
provisoires est en vigueur dans de nombreux régimes politiques africains
notamment au Bénin et au Niger234. Le retard du
président de la République ou du Gouvernement n'entraîne
donc que l'accélération du vote de l'autorisation du
douzième provisoire.
Le pouvoir d'intervention du président de la
République dans le domaine budgétaire pourrait revêtir des
caractères plus extrêmes par l'établissement
définitif du projet de loi de finances par ordonnance.
b. L'établissement définitif du projet de loi de
finances par ordonnance budgétaire
La mise en vigueur par ordonnance du projet de loi de finances
n'est que provisoire car le président de la République devra,
dans un délai de quinze jours, saisir l'Assemblée
231 Constitutions du Bénin (art. 110.1), du Mali (art. 77
in fine), du Sénégal (art.), du Niger (art.), etc.
232 Le projet de loi de finances doit être
déposé et distribué à l'Assemblée nationale
au plus tard le premier mardi du mois d'octobre.
233 Louis DUBOIS et Gustave PEISER, Droit public,
10e éd., 1989, Dalloz, p. 194.
234 Aux termes de l'article 111 de la Constitution du
Bénin, « si le projet de loi de finances n'a pas pu être
déposé en temps utile pour être promulgué avant le
début de l'exercice, le président de la République demande
d'urgence à l'Assemblée nationale l'autorisation
d'exécuter les recettes et les dépenses de l'État par
douzièmes provisoires » ; l'article 114 in fine de la
Constitution du Niger reprend, à quelques différences de
rédaction près, cet article de la Constitution
béninoise.
101
nationale convoquée en session extraordinaire aux fins
de ratification de ladite ordonnance (art. 80.4 de la
Constitution)235.
Au cours de cette session extraordinaire, l'Assemblée
nationale retrouve son droit de voter le budget et elle pourra dès lors
soit adopter le projet de loi de finances soit le repousser,
c'est-à-dire en pratique soit ratifier l'ordonnance de mise en vigueur
soit refuser de la ratifier en la repoussant. Mais si à la fin de cette
session extraordinaire elle ne se prononce toujours pas, le budget est
définitivement établi par ordonnance (art. 80.5)236.
C'est aux termes seulement de cette session extraordinaire et dans le cas
où l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée sur le
budget et non dans le cas où elle l'aurait repoussé que le
pouvoir de substitution encore provisoire à l'issue de la mise en
vigueur du projet de loi de finances par ordonnance devient cette fois
définitif : le budget est définitivement établi par
ordonnance.
Ces dispositions sont très importantes car elles
atténuent la brutalité de la dépossession de
l'Assemblée nationale : celle-ci ne se retrouvera définitivement
dépossédée au profit du président de la
République que si, une seconde fois lors de la session extraordinaire,
elle faillit à se prononcer sur le projet de loi de
finances237. Dans la Constitution française au contraire,
dès que le Gouvernement met en vigueur par ordonnance le projet de
finances, la dépossession du Parlement est définitive : la
mise en vigueur par ordonnance du projet de loi implique par
conséquent établissement définitif par ordonnance
dudit projet (art. 47).
Jusque-là, la prééminence du
président de la République par rapport à
l'Assemblée nationale se traduit par ses pouvoirs d'information et
d'intervention. Mais ces pouvoirs-là supposent encore que
l'Assemblée nationale reste détentrice du pouvoir
législatif. La dictature constitutionnelle que le président de la
République exerce en vertu de l'article 48 entraîne au contraire
une confusion des pouvoirs législatif et exécutif dans sa seule
personne.
Section II : La concentration des pouvoirs en
période de crise : les pouvoirs exceptionnels
La prééminence du président de la
République est particulièrement perceptible en ce domaine
puisqu'elle se manifeste tant au niveau de l'appréciation de la
réalisation des
235 Disposition reprise de l'article 51, al. 4 de la Constitution
du 3 novembre 1960.
236 Disposition reprise de l'article 51, al. 5 de la Constitution
du 3 novembre 1960.
237 Nous retrouvons les mêmes dispositions dans les
Constitutions du Bénin (art. 110) et du Niger (art. 114).
102
conditions de mise en oeuvre de l'article 48 (paragraphe 1)
qu'à celui de l'étendue, immense, des pouvoirs exceptionnels dont
il dispose en période de crise (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'appréciation exclusive,
discrétionnaire et souveraine de la réalisation des conditions de
mise en oeuvre de l'article 48 par le président de la
République
Théoriquement, la Constitution a fixé d'une
manière dépourvue de toute ambiguïté les conditions
dans lesquelles la concentration des pouvoirs entre les mains du
président de la République pourrait être mise en oeuvre.
Mais force est de reconnaître qu'à quelques conditions de
formalité près (A), le Président dispose d'une
véritable compétence exclusive, discrétionnaire et
souveraine en matière d'appréciation de la réalisation des
conditions de fond de mise en oeuvre de l'article 48 (B).
A/ Les conditions de forme ou... de simples formalités
Les conditions de forme sont essentiellement au nombre de
deux. Mais ainsi que nous nous en rendrons aisément compte, elles
n'apparaissent que comme de simples formalités pour le président
de la République. En effet, celui-ci doit simplement quoique
obligatoirement consulter certaines autorités238 d'une part
(1) et adresser un message à la Nation d'autre part (2).
1. La consultation obligatoire de certaines autorités
La consultation obligatoire de certaines autorités
qu'exige la Constitution suscite quelques difficultés
d'interprétation (a). Quoi qu'il en soit, cette formalité ne
touche cependant pas au pouvoir discrétionnaire du président de
la République (b).
a. Une difficulté d'interprétation certes (...)
238 La consultation du président de l'Assemblée
nationale et du président du Conseil constitutionnel est certes
obligatoire mais les avis qu'ils émettront ou les réserves qu'ils
formuleront ne lient nullement le président de la République. En
cela se manifeste le caractère purement formaliste de la consultation
obligatoire exigée par la Constitution dès lors que le
président de la République veut mettre en application les
pouvoirs de crise (pouvoirs de l'article 48).
103
La Constitution dispose que le président de la
République prend « les mesures exceptionnelles exigées par
ces circonstances après consultation obligatoire du président
de l'Assemblée nationale et de celui du Conseil constitutionnel
».
L'exégèse purement littérale conduirait
à penser que la consultation dont il s'agit est obligatoire toutes les
fois que le président de la République envisage de prendre des
mesures exceptionnelles sur le fondement de l'article 48. Il ne serait
donc pas obligatoire pour le président de la République de
consulter les présidents de l'Assemblée nationale et du Conseil
constitutionnel sur sa décision de recourir à l'article 48.
Mais l'interprétation consacrée veut que la
consultation obligatoire des autorités constitutionnellement
désignées à cet effet soit une condition de mise en jeu de
l'article 48 c'est-à-dire préalable à
celle-ci239.
Mais quelle que soit l'interprétation relative au
moment exact de la consultation exigée par la Constitution, cette
consultation ne touche pas au pouvoir discrétionnaire du
président de la République.
b. (...) mais ne touchant pas au pouvoir discrétionnaire
du président de la République
La consultation obligatoire des autorités
susmentionnées ne touche pas au pouvoir discrétionnaire du
président de la République. En d'autres termes, le Chef de
l'État, s'il est constitutionnellement tenu de consulter les
présidents de l'Assemblée nationale et du Conseil
constitutionnel, n'est guère obligé de suivre l'avis émis
par l'un et l'autre à la suite de cette consultation.
Tout au plus la consultation des présidents de
l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel peut retarder la
mise en jeu de l'article 48 ; et les avis émis par eux -au cas où
ils seraient négatifs- pourraient seulement constituer un motif
politique de prudence ou de renoncement de la part du président de la
République. La consultation des présidents de l'Assemblée
nationale et du Conseil constitutionnel et leurs avis éventuellement
négatifs ne
239 Georges BURDEAU, op.cit., p. 655 ; Maurice
DUVERGER, op.cit, p. 536 ; Louis DUBOUIS et Gustave PEISER,
op.cit., p. 58 ; Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., pp. 394-395 ; Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD,
op.cit., p. 195 ; Obou OURAGA, op.cit., pp. 174-175. Cette
interprétation est corroborée par le fait que la consultation du
Conseil constitutionnel sur les mesures exceptionnelles est
consacrée dans un alinéa différent de l'article 16 de la
Constitution française (à l'alinéa 3). La Constitution
ivoirienne ne reprend pas précisément cet alinéa 16.3. de
la Constitution française.
104
peuvent donc pas empêcher juridiquement le
président de la République ni de mettre en oeuvre l'article 48 ni
de prendre les mesures exceptionnelles exigées par les
circonstances240.
Une autre formalité à remplir par le
président de la République est le message adressé à
la Nation.
2. Le message à la Nation
Une autre formalité doit être également
remplie par le président de la République : il doit informer la
Nation par un message. Le message n'est pas préalable aux mesures
exceptionnelles prises par le président de la République en vertu
de l'article 48 : il leur est au contraire postérieur puisqu'il a
justement pour but d'informer la Nation des mesures qui sont prises. Par le
message qu'il adresse ainsi à la Nation, le président de la
République dispose d'un moyen légal de justifier aux yeux de
l'opinion non seulement sa décision de recourir à l'article 48
mais également les mesures exceptionnelles qu'il a prises ou entend
prendre.
En définitive, la consultation obligatoire des
présidents de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel
et le message à la Nation n'apparaissent que comme de pures
formalités à remplir pour un président de
République désireux de recourir à l'article 48 : ils ne
constituent guère un obstacle difficile à franchir.
Les conditions de fond dont on aurait pu penser qu'elles sont
beaucoup plus restrictives sont -comme on le verra- libéralement
interprétées par le président de la République.
B/ Les conditions de fond, des conditions libéralement
interprétées
Les conditions de fond tiennent à des aspects plus
substantiels, c'est-à-dire liées à l'avènement de
faits concrets et constatables. Mais elles ne constituent pas elles non plus
des obstacles insurmontables pour le président de la République.
L'explication en est toute simple : il y a l'énonciation
théorique des conditions de fond (1) et le problème -plus
crucial- de leur appréciation pratique (2).
1. L'énonciation théorique des conditions de
fond
240 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 536 ; Pierre PACTET
et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 395 ; Obou OURAGA,
op.cit., p. 176.
105
Le président de la République ne peut user des
pouvoirs de l'article 48 que si deux conditions cumulatives sont réunies
: il faut d'une part que certaines circonstances exceptionnelles surviennent
(a) et que d'autre part la survenance de ces circonstances exceptionnelles
entraîne une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs
publics constitutionnels (b).
a. La survenance de certaines circonstances
exceptionnelles241
La survenance de ces circonstances exceptionnelles est la
première condition de fond de mise en oeuvre de l'article 48.
La survenance de circonstances exceptionnelles tient à
ce qu'une menace grave et immédiate porte sur les institutions de la
République, l'indépendance de la Nation,
l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses
engagements internationaux. Dès lors qu'une telle circonstance survient,
le président de la République est fondé à mettre en
oeuvre les pouvoirs de l'article 48.
Cette condition est donc largement exprimée : il suffit
en effet d'une simple « menace », à condition qu'elle soit
« grave et immédiate ». Ainsi et comme le faisait
déjà observé Maurice Duverger :
« Un mouvement insurrectionnelle ou un complot important
peuvent constituer une menace de ce genre contre les institutions ; un
ultimatum d'un État étranger ou l'occupation par lui de
territoires rentrent dans l'idée de menace contre l'indépendance
de la Nation ; la volonté affirmée du Parlement de
dénoncer un traité existant ou la simple victoire
électorale de partisans de cette dénonciation seraient une menace
grave et immédiate contre l'exécution de nos engagements
internationaux ; enfin, une révolte locale... correspond à une
menace contre l'intégrité de la Nation »242.
Les auteurs s'accordent donc pour dire que cette
première condition qui a trait à la survenance de circonstances
exceptionnelles est immense243, vague244,
imprécise245,
241 Ce que nous nommons, ici, circonstances exceptionnelles
sont les circonstances de fait énoncées par l'article 48 de la
Constitution et qui sont susceptibles de justifier la mise en oeuvre des
pouvoirs de crise.
242 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 535.
243 Maurice DUVERGER, op. cit., p. 535.
244 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 535. ; Pierre PACTET,
op.cit., p. 395.
245 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., p. 395.
106
subjective246. Cela ouvre la porte à une
interprétation assez libérale -une appréciation
discrétionnaire- de cette première condition par le
président de la République.
Mais cette première condition doit être
réunie à une seconde condition beaucoup plus restrictive.
b. L'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs
publics constitutionnels
Le président de la République ne peut recourir
à l'article 48 que si l'une des circonstances que l'on vient de
décrire conduit au fait que « le fonctionnement régulier
des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». Maurice
Duverger fit observer que cette seconde condition ne figurait pas dans le
projet initial de la Constitution française du 4 octobre 1958 et qu'elle
y a été ajoutée postérieurement devant
l'émotion soulevée par la rédaction initiale : le sens de
cette seconde condition -que la Constitution ivoirienne reprend en son article
48- est donc clairement de limiter le recours à l'article
16247. Dans le même ordre d'idées, cette seconde
condition ne figurait pas non plus à l'article 19 de la Constitution du
3 novembre 1960 : en rajoutant cette seconde condition à l'article 48,
les rédacteurs de la Constitution de 2000 ont voulu restreindre une
faculté que ceux de 1960 avait entendue élargir.
Cette seconde condition constitue bien avec la première
des conditions cumulatives : la survenance de l'une des circonstances
exceptionnelles ne saurait justifier le recours aux pouvoirs de crise si en
même temps cette circonstance exceptionnelle n'entraînait pas
l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics
constitutionnels248. Dans le cadre du régime politique
burkinabè postrévolutionnaire au contraire, cette seconde
condition apparaît comme alternative avec la première ; ainsi aux
termes de l'article 59 de sa Constitution : « lorsque les institutions du
Faso, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de
246 Obou OURAGA, op.cit., p. 174.
247 Maurice DUVERGER, op.cit, p. 536.
248 Dans le cadre de la plupart des Constitutions africaines
consacrant les pouvoirs exceptionnels en période de crise, les deux
conditions (de fond) apparaissent en effet comme cumulatives : l'une et
l'autre de ces conditions sont nécessaires (article 50 de la
Constitution du Mali, article 52 de la Constitution du Sénégal,
article 26 de la Constitution du Gabon, article 67 de la Constitution du Niger,
etc.). La Constitution burkinabè semble par conséquent l'une des
rares en Afrique, parmi celles qui consacrent l'état de crise, à
présenter les conditions de fond de mise en oeuvre des pouvoirs
exceptionnels comme alternatives : le Président du Faso peut prendre des
mesures exceptionnelles lorsque l'une des circonstances exceptionnelles
survient alors même que le fonctionnement régulier des pouvoirs
publics constitutionnels n'est aucunement interrompu ou menacé, et
vice versa. Mais dans les faits, n'en est-il pas de même,
également, dans le cadre du régime des pouvoirs de l'article 48
de la Constitution ivoirienne ?
107
son territoire ou l'exécution de ses engagements sont
menacées d'une manière grave et immédiate et/ou que le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est
interrompu, le président du Faso prend... les mesures
exigées par ces circonstances... ».
Toutefois certaines difficultés résultent de
l'interprétation de cette condition relative à l'interruption du
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels et qui
posent le problème plus général de l'appréciation
des conditions de fond de mise en vigueur des pouvoirs de l'article 48.
2. L'appréciation pratique des conditions de fond par le
président de la République
Le président de la République dispose en la
matière, à quelques formalités près
déjà analysées, d'une compétence exclusive,
discrétionnaire et souveraine qui se manifeste tant dans
l'appréciation de la condition relative à la survenance des
circonstances exceptionnelles (a) que dans celle qui a trait à
l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics
constitutionnels (b).
a. L'appréciation de la condition relative à la
survenance de circonstances exceptionnelles
Elle est discrétionnairement appréciée
par le président de la République. D'abord, parce que la
Constitution laisse entendre que cette condition est réalisée
lorsque « les institutions de la République, l'indépendance
de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution
de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière
grave et immédiate... ». Autrement dit, une simple menace
pesant sur les institutions républicaines, l'indépendance
nationale, l'intégrité territoriale ou l'exécution des
engagements internationaux ne suffit pas à elle seule à justifier
le recours à l'article 48 ; il faudrait en plus que cette menace soit
grave et immédiate et seul le Président peut décider
qu'une menace donnée revêt bien de tels caractères.
Il faut ensuite distinguer entre la menace grave et
immédiate susceptible de porter sur l'intégrité du
territoire et les autres types de menaces. Dans le premier cas,
l'évaluation de la situation résulte de considérations
objectives ; ainsi il n'y eut aucune difficulté à se rendre
compte que l'occupation par divers groupes armés dont le Mouvement
patriotique de Côte
108
d'Ivoire de toute la partie septentrionale du pays
consécutivement à l'échec de la tentative de putsch du 19
septembre 2002 constituait bien une menace à l'intégrité
du territoire249.
Mais tout autre est l'hypothèse des autres types de
menaces. Un même évènement comme une révolte locale
à l'image de celle du canton guébié en 1970 pourrait
être ainsi assimilée à la fois à une menace contre
les institutions de la République, l'indépendance de la Nation,
l'intégrité du territoire ou même contre l'exécution
des engagements internationaux de la Côte d'Ivoire. On ne voit d'ailleurs
pas ce qui pourrait priver le président de la République
d'interpréter dans le sens qui lui permet justement de mettre en oeuvre
l'article 48 quel que évènement que ce soit. C'est ce qui a
conduit certains auteurs à qualifier la condition relative à la
survenance de circonstances exceptionnelles de subjective250 et
d'autres à considérer que l'article 48 portait en lui un risque
mortel pour le régime251.
Un tel risque est d'autant plus réel que
l'interprétation de la condition relative à l'interruption du
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels n'est pas
plus rassurante.
b. L'interprétation de la condition relative à
l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics
constitutionnels
Pour certains, il faudrait que les pouvoirs publics
constitutionnels cessent effectivement de fonctionner. Pour d'autres, il n'est
guère nécessaire d'en arriver à une telle situation avant
de pouvoir recourir à l'article 48 car la finalité de celui-ci
est justement d'éviter un tel chaos : sans que les pouvoirs publics
constitutionnels soient dans une incapacité matérielle de
fonctionner, la seule hypothèque morale pesant sur eux en raison de la
survenance d'une des circonstances exceptionnelles est suffisante à
justifier le recours à l'article 48.
La Constitution du Bénin est l'une des rares sur le
continent à être parfaitement explicite sur la question ; aux
termes de son article 68 en effet : « lorsque les institutions de la
République, l'indépendance de la Nation,
l'intégrité du territoire national ou l'exécution des
engagements internationaux sont menacés de manière grave et
immédiate et que le
249 Voir l'avis n° 003/CC/SG du 17 décembre 2003
du Conseil constitutionnel ivoirien demandé par le Président
Laurent Gbagbo sur la situation prévalant en Côte d'Ivoire depuis
le 19 septembre 2002 (Francisco MÉLÈDJE DJÉDJRO,
op.cit., p. 472 ; Luc SINDJOUN, Les grandes décisions de la
justice constitutionnelle africaine, Droit constitutionnel
jurisprudentiel et politiques constitutionnelles au prisme des systèmes
politiques africains, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 357-360).
250 Obou OURAGA, op.cit., p. 174.
251 Maurice DUVERGER, op.cit., p.
109
fonctionnement régulier des pouvoirs publics
constitutionnels est menacé ou interrompu, le président de
la République... prend en Conseil des ministres les mesures
exceptionnelles exigées... ».
C'est en l'absence d'une telle clarté de l'article 48
de la Constitution ivoirienne qu'il a pu être soutenu que, pendant la
crise politico-militaire (2002-2010), lorsque le Président Laurent
Gbagbo décida d'appliquer l'article 48, la condition qui a trait
à l'interruption des pouvoirs publics constitutionnels n'était
pas remplie252. Le chef de l'État a, au contraire, en
décidant malgré tout de recourir à l'article 48,
interprété d'une manière large la condition visée.
On peut, à cet égard, rapprocher son attitude de celle du
Général de Gaulle lorsqu'il décida le 23 avril 1961 de
recourir à l'article 16 de la Constitution française.
En définitive, la condition relative à
l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics
constitutionnels, si elle est qualifiée par certains
d'objective253, n'en est pas moins par conséquent
subjectivement interprétée par le président de la
République.
Cette situation est porteuse de périls graves d'autant
plus que la portée des pouvoirs exceptionnels que le Président
exerce en période de crise est très considérable.
Paragraphe 2 : La portée des pouvoirs
exceptionnels en période de crise
La portée des pouvoirs exceptionnels est immense (A) et
le contrôle de l'exercice de ces pouvoirs par le Président
paraît insuffisant (B).
A/ L'étendue immense des pouvoirs exceptionnels
Les pouvoirs exceptionnels sont immensément
étendus d'une part, en raison des prérogatives que vise l'article
48 (1) et d'autre part, parce que l'application de l'article 48 entraîne
une suspension de fait des règles constitutionnelles (2).
1. Les pouvoirs visés par l'article 48
Les pouvoirs visés par l'article 48 sont très
étendus (a) mais ils ne sont pas illimités (b).
252 Obou OURAGA, ibid., p. 175.
253 Obou OURAGA, op.cit., p. 174.
110
a. Des pouvoirs très étendus (...)
Les pouvoirs de l'article 48 sont quasiment illimités.
On ne trouve ici ni de limitation par l'objet ni de limitation par le but,
même si cette dernière limitation y est nécessairement
impliquée.
Le président de la République peut prendre, en
vertu de l'article 48, « les mesures exceptionnelles exigées par
les circonstances ». Le texte est vague et immense : parce que les
circonstances en cause sont elles-mêmes exceptionnelles, rien de ce qui
peut y parer n'est interdit au Président. Il concentre entre ses mains
tous les pouvoirs politiques : il dispose de la plénitude des pouvoirs
exécutif et législatif. En d'autres termes, le Président
exerce, pendant la durée d'application de l'article 48, une
véritable dictature rei publicae servandae, pour sauver la
République254.
Dans la Constitution du Maroc, l'article 59 autorise le Roi
à « prendre les mesures qu'imposent la défense de
l'intégrité territoriale et le retour, dans un moindre
délai, au fonctionnement normal des institutions constitutionnelles
» mais il ajoute : « les libertés et droits fondamentaux
prévus par la présente Constitution demeurent garantis ». Il
en résulte que le Roi ne peut suspendre l'ensemble des droits et
libertés fondamentaux constitutionnellement consacrés : ses
pouvoirs sont donc fortement limités dans leur objet255. Rien
de semblable dans l'article 48 : le président de la République
peut intervenir dans tous les domaines, supprimer tous les droits et garanties
des citoyens, etc.
D'autre part, aucune limitation par le but n'apparaît
clairement à l'article 48 : les mesures exceptionnelles que le
Président est autorisé à prendre ne sont pas explicitement
guidées vers la poursuite d'une fin déterminée. Dans la
Constitution nigérienne, l'article 67, alinéa 4 dispose que :
« les mesures exceptionnelles doivent être inspirées par la
volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les
moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission ». Le fait que
cette finalité des mesures exceptionnelles n'apparaisse pas clairement
dans le texte constitutionnel ivoirien ne signifie pas qu'elle n'y soit pas
254 Dans une dictature au sens précis du droit, le
dictateur est nommé pour une mission déterminée : rei
gerandae, pour une tâche à accomplir, belli gerandae
causa, pour faire la guerre, seditionis sedendae causa, pour
étouffer une sédition ou encore, d'une façon plus
générale, rei publicae servandae, pour sauver la
République.
255 La même limitation par l'objet existe dans la
Constitution du Bénin qui dispose : « (...) le président de
la République, après consultation du président de
l'Assemblée nationale et du président de la Cour
constitutionnelle, prend en Conseil des ministres les mesures
exigées par les circonstances sans que les droits des citoyens garantis
par la Constitution soient suspendus (...) » (art. 68).
111
impliquée : il est clair que les mesures
exceptionnelles doivent être prises par le président de la
République dans l'esprit du retour à la normalité
constitutionnelle.
b. (...) mais quelque peu limités
Les pouvoirs exceptionnels sont certes très
étendus mais ils ne sont pas illimités. Outre le fait qu'ils
doivent être exercés dans l'esprit du retour à la
normalité constitutionnelle et que l'Assemblée nationale se
réunisse de plein droit, la principale limitation aux pouvoirs
exceptionnels est l'impossibilité de réviser la Constitution.
L'impossibilité de procéder à une
révision de la Constitution par le biais de l'article 48 résulte
implicitement de l'esprit dans lequel les pouvoirs exceptionnels doivent
être exercés : les mesures exceptionnelles doivent être
inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics
constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur
mission. Ce qui doit s'entendre des institutions en place au moment de la mise
en oeuvre de l'article 48 et qui ne peuvent donc faire l'objet d'aucune
modification256. D'autre part, il y a lieu de faire un lien avec
l'article 127 de la Constitution qui dispose qu' « aucune procédure
de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il
est porté atteinte à l'intégrité du territoire
»257.
Cette position qui résulte d'une interprétation
doctrinale258 sera validée par le Conseil constitutionnel
français259. Dans de nombreux régimes politiques
africains, l'interdiction résulte des termes explicites de la
Constitution ; ainsi l'article 116.10 de la Constitution du Gabon dispose que :
« la révision de la Constitution ne peut être entamée
ou achevée en cas
256 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., p. 395.
257 L'atteinte à l'intégrité du
territoire qui constitue, aux termes de l'article 127, une limite temporelle au
pouvoir de révision est par ailleurs une des circonstances
énoncées à l'article 48 et qui, conjuguée avec
l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics
constitutionnels, justifie la mise en oeuvre de l'article 48. D'autre part,
l'atteinte à l'intégrité du territoire est susceptible
d'entraîner les autres circonstances de l'article 48 que sont la menace
grave et immédiate sur les institutions de la République,
l'indépendance de la nation et l'exécution des engagements
internationaux.
258 Georges BURDEAU, op.cit., p. 655 ; Maurice
DUVERGER, op.cit., p. 538 ; Pierre PACTET et Ferdinand
MELIN-SOUCRAMANIEN, op.cit., p. 395.
259 Décision n° 92-312 D.C du 2 septembre 1992 :
« Considérant que sous réserve, d'une part, des limitations
touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la
Constitution ne peut être engagée ou poursuivie, qui
résulte des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte
constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du
cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles... ».
(Dominique ROUSSEAU, op.cit., p. 224).
112
d'intérim de la présidence de la
République, de recours aux pouvoirs de crise de l'article 26
ci-dessus ou d'atteinte à l'intégrité du
territoire... »260.
Les pouvoirs exceptionnels sont encore plus étendus par
un fait que l'on oublie souvent : parce que les règles
constitutionnelles sont suspendues, le Président apparaît comme un
organe régulateur du cadre constitutionnel.
2. La suspension des règles constitutionnelles
Dans l'application de l'article 48, on a une suspension de
fait des règles constitutionnelles. La parenthèse de la dictature
constitutionnelle qui s'ouvre en est marquée par le fait que le
Président a non seulement la maîtrise de la durée
d'application de l'article 48 (a) mais il régule également par
lui-même les rapports entre les pouvoirs publics pendant cette
période (b).
a. La maîtrise de la durée d'application de
l'article 48
Normalement l'article 48 n'a plus à s'appliquer
dès lors que les circonstances qui ont justifié sa mise en
vigueur ont cessé et que les pouvoirs publics constitutionnels sont de
nouveau en mesure de fonctionner régulièrement. A la
réalité, de même que le Président a la pleine
maîtrise de la mise en jeu de l'article 48, il dispose seul de la
possibilité d'y mettre fin : la décision de mettre fin à
l'application des pouvoirs exceptionnels est laissée à son
entière appréciation sans contrôle ni sanction.
Il n'existe en effet aucun moyen constitutionnel à la
portée ni de l'Assemblée nationale ni des autres pouvoirs publics
pour obliger le Président à mettre fin à l'application de
l'article 48. Dans le régime politique français d'avant la
révision constitutionnelle de 2008, nous étions dans une
situation similaire261. Désormais les règles y sont
changées puisque la mise en application de l'article 16 est en une
certaine façon limitée dans le temps : au bout de trente jours
d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel a
désormais la
260 L'interdiction de réviser la Constitution pendant
la période d'exercice des pouvoirs exceptionnels existe explicitement
dans de nombreuses Constitutions africaines : Constitution du
Sénégal (art. 52.3) et autres.
261 Ainsi en 1961, l'application de l'article 16
décidée le 23 avril a été prolongée jusqu'au
29 septembre c'est-à-dire bien au-delà du retour du
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. Dans
l'arrêt Rubin de Servens du 2 mars 1962, le Conseil
d'État précisait d'ailleurs que la décision de mettre en
oeuvre les pouvoirs exceptionnels est « un acte de gouvernement dont il
n'appartient pas au Conseil d'État d'apprécier ni la
légalité ni la durée d'application ».
113
possibilité -sur demande de soixante
députés ou sénateurs ou des présidents des
assemblées-d'examiner si les conditions ayant donné lieu à
leur mise en oeuvre sont toujours réunies ; au bout de soixante jours,
le Conseil constitutionnel se saisit lui-même. Des dispositions voisines
à celles ajoutées à l'article 16 de la Constitution
française à l'issue de la révision de 2008 existent dans
certaines Constitutions africaines. Ainsi l'article 67 in fine de la
Constitution nigérienne donne la possibilité à
l'Assemblée nationale d'apprécier à la majorité
absolue de ses membres la durée d'exercice des pouvoirs exceptionnels et
d'y mettre fin en cas d'abus 262!
La Président ivoirien régule en outre -en sa
qualité de gardien de la Constitution- les rapports entre les pouvoirs
publics pendant la période de la dictature constitutionnelle.
b. La régulation des rapports entre les pouvoirs publics
pendant l'application de l'article
48
Le Conseil constitutionnel français, saisi par le
président de l'Assemblée nationale, s'est refusé le 14
septembre 1961 à émettre un avis sur les rapports entre les
pouvoirs publics pendant l'application de l'article 16. Ce refus de la part du
Conseil constitutionnel est un argument de ce que, pendant l'application des
pouvoirs exceptionnels, il y a une suspension de fait de la Constitution comme
nous l'avons précédemment signalé : puisque l'on n'est
plus à proprement parler dans le cadre de la Constitution, le Conseil
constitutionnel -organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs
publics constitutionnels en période normale- n'a plus à
émettre d'avis sur les rapports que devraient entretenir entre eux ces
pouvoirs publics constitutionnels. Dès lors, c'est
l'interprétation donnée par le président de la
République, gardien de la Constitution, qui doit prévaloir.
Le Président se retrouve ainsi en position de se
substituer au Conseil constitutionnel dans le rôle que celui-ci tient en
période normale dans la régulation des rapports entre les
pouvoirs publics constitutionnels. En d'autres termes, outre le fait qu'il
dispose en vertu de l'article 48 de pouvoirs exceptionnels, le président
de la République détermine le contenu des pouvoirs de
l'Assemblée nationale en période de crise comme nous le
constaterons dans les développements ultérieurs.
262 Aux termes de l'article 69 de la Constitution
béninoise, l'Assemblée nationale peut également fixer un
délai à l'issue duquel le président de la
République ne peut plus prendre de mesures exceptionnelles.
114
Les pouvoirs exceptionnels ne sont pas seulement immenses dans
leur contenu ; le contrôle que suppose leur portée
considérable est assez faible.
B/ La faiblesse du contrôle de l'exercice des pouvoirs
exceptionnels
La dictature qu'exerce le Président en vertu de
l'article 48 est encore une dictature constitutionnelle et non une dictature de
fait. Cela suppose non seulement que cette dictature est prévue et
encadrée mais également qu'un certain contrôle existe. Si
le contrôle politique est faible voire illusoire (1), le contrôle
juridictionnel existe bel et bien même si l'on peut regretter son
insuffisance (2).
1. L'illusion du contrôle politique
Le contrôle politique de l'exercice des pouvoirs
exceptionnels est illusoire en ce que la réunion de plein droit de
l'Assemblée nationale en période de crise (a) n'empêche pas
que ses pouvoirs soient considérablement réduits (b).
a. La réunion de plein droit de l'Assemblée
nationale
La Constitution exige que pendant l'exercice des pouvoirs
exceptionnels l'Assemblée nationale se réunisse de plein droit.
On aurait pu penser que, puisque l'Assemblée nationale se réunit
de plein droit dès que l'article 48 est mis en application, elle aurait
la faculté d'ouvrir un débat sur la décision du
Président de mettre en jeu les pouvoirs exceptionnels. Seulement si,
théoriquement, cette hypothèse n'est pas à écarter,
force est de reconnaitre qu'en fait il ne pourrait s'agir que d'un
contrôle illusoire, parce que dépourvu de sanction.
La seule finalité efficace de la réunion de
plein droit de l'Assemblée nationale pourrait être de traduire en
Haute Cour le Président s'il abusait de ses pouvoirs
exceptionnels263.
La réunion de plein droit de l'Assemblée
nationale apparaît ainsi décevante car elle est en
deçà de ce que l'on aurait pu espérer. Mais ce n'est pas
tout : les pouvoirs qui sont les siens en période normale se trouvent
être encore fortement réduits.
b. La réduction des pouvoirs de l'Assemblée
nationale
263 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 539.
115
Comme aucun texte constitutionnel ne prévoit les
conditions de fonctionnement de l'Assemblée nationale et du
président de la République pendant la période
d'application de l'article 48, c'est au président de la
République qu'il devrait appartenir, en vertu de sa qualité de
gardien de la Constitution (art.34), de régler cette question. Les
pouvoirs de l'Assemblée nationale dépendront donc de
l'interprétation donnée à la Constitution par le Chef de
l'État.
Deux hypothèses sont à distinguer selon que l'on
se trouve dans ou hors des sessions normales de l'Assemblée nationale.
La première hypothèse est celle de la coïncidence de la
réunion de plein droit avec une session normale de l'Assemblée
nationale : réunie en session ordinaire l'Assemblée nationale
conserverait, malgré l'application de l'article 48, son pouvoir de
contrôle et de législation pour autant qu'il ne s'agisse pas de
mesures prises ou à prendre en vertu de l'article 48. L'Assemblée
nationale peut donc aussi bien exercer son contrôle sur l'action du
Gouvernement que voter des lois, mais sans concurrencer le Président qui
s'est saisi de la plénitude du pouvoir législatif. La seconde
hypothèse est celle où la réunion de plein droit de
l'Assemblée nationale se situe hors d'une session normale : dès
lors la réunion de l'Assemblée nationale ne pourrait avoir aucun
aboutissement législatif.
Ces règles relatives au pouvoir de l'Assemblée
nationale découlent en fait de l'interprétation donnée par
le Président de Gaulle à la Constitution française pendant
la période d'exercice des pouvoirs exceptionnels en 1961264.
Mais rien n'empêche que le Président ivoirien s'approprie une
telle interprétation pendant la mise en oeuvre de l'article 48 et
réduise ainsi de manière considérable les pouvoirs de
l'Assemblée nationale durant toute cette période.
Il en découle par conséquent que non seulement
le contrôle politique que l'on aurait pu espérer de la
réunion de plein droit de l'Assemblée nationale se
révèle en définitive illusoire car dépourvue de
sanction265 mais également, et plus grave, que ses pouvoirs
sont tributaires de la volonté du président de la
République. Il ne reste dès lors que de s'en remettre au
contrôle juridictionnel même si celui-ci, l'on s'en rendra compte,
est insuffisant.
2. L'insuffisance du contrôle juridictionnel
264 L'interprétation donnée à la
Constitution française de 1958 par le Général de Gaulle
pendant la mise en application de l'article 16 se fit à travers deux
textes : le message du 25 avril 1961 et la lettre du 31 août 1961. Le
premier texte correspond à l'hypothèse dans laquelle la
réunion de plein droit de l'Assemblée nationale coïncide
avec ses sessions normales et le second texte correspond à celle dans
laquelle la réunion de plein droit de l'Assemblée nationale se
situe en dehors de ses sessions normales.
265 Georges BURDEAU, op.cit., pp. 656-657.
116
Il convient de distinguer entre la décision initiale de
mise en oeuvre de l'article 48 qui constitue un acte de gouvernement
insusceptible de recours contentieux (a) et les décisions prises en
vertu de l'article 48 au cours de sa période d'application (b).
a. La décision d'user de l'article 48, acte de
gouvernement insusceptible de recours contentieux
Le Conseil d'État français considère que
la décision du président de la République de recourir
à l'article 16 constitue un acte de gouvernement. En effet, cette
décision réalise immédiatement une confusion organique des
pouvoirs au profit du président de la République et elle
bouleverse ipso facto la répartition des compétences
entre les pouvoirs constitutionnels266. Le Conseil d'État
s'interdit par conséquent d'en apprécier la
légalité interne et de l'examiner au fond tout en marquant,
cependant, son désir d'en contrôler la régularité
externe267.
Encore convient-il de souligner qu'il s'agit tout au plus
d'une constatation de l'existence de la décision et faut-il marquer les
limites d'un tel contrôle : le Conseil d'État n'apprécie
pas en effet si les circonstances de fait permettaient le recours à
l'article 16 et si les conditions mises par celui-ci à son application
étaient effectivement remplies ; de plus, la simple constatation de la
régularité formelle de la décision ne constitue pas une
garantie bien efficace : « tout contrôle intervenant a
posteriori » de la part du Conseil d'État « serait ou
inutile -si la décision d'appliquer l'article 16 est conforme à
la Constitution- ou dérisoire -si elle ne l'est pas » : on
serait alors « en présence d'un coup d'État que le
Parlement n'aurait pu éviter et il serait trop tard pour le condamner
»268.
En définitive et par transposition de cette
jurisprudence française dans le droit ivoirien, aucun contrôle
juridictionnel pas plus que politique d'ailleurs n'est par conséquent
possible relativement à la décision d'ouvrir le régime des
pouvoirs exceptionnels.
Contrairement à la décision initiale de recourir
à l'article 48, les décisions prises par le président de
la République en vertu de cet article ne constituent pas quant à
elles des actes de gouvernement et sont par conséquent susceptibles du
contrôle juridictionnel.
266 C.E., 19 février 1875, Prince
Napoléon.
267 Dans l'arrêt Rubin de Servens, le Conseil
d'État note en effet que la décision de recourir à
l'article 16 a été « prise après consultation
officiel du Premier ministre et des présidents des assemblées et
après avis du Conseil constitutionnel ».
268 Conclusions du commissaire du gouvernement
Jean-François Henri sous l'affaire Rubin de Servens.
117
b. Le contrôle des seules décisions de nature
réglementaire et des mesures individuelles d'application
En présence d'une confusion des pouvoirs
législatif et exécutif entre les mains d'une même
autorité, le Conseil d'État distingue, parmi les décisions
prises, celles qui ont une nature législative et celles qui ont une
nature réglementaire269. En l'espèce, sa tâche
se trouve facilitée par le partage institué par la Constitution
entre les matières législatives et réglementaires.
Si en appliquant l'article 48, le Président prend des
décisions portant sur des matières législatives -de telles
mesures qui échappent toujours à la censure du juge- lui sont
a fortiori soustraites en ce cas. Mais si le Président prend
une décision de nature réglementaire, elle sera soumise au
régime commun270. Cependant, la jurisprudence relative
à la période d'application de l'article 48 n'offre pas d'exemple
de décision présidentielle de nature réglementaire soumise
au contrôle du juge, la plupart des décisions prises ayant eu un
caractère législatif.
Il ne reste donc que les mesures individuelles d'application
des décisions -que ces décisions soient de nature
législative ou réglementaire- qui peuvent être en fait plus
efficacement déférées au Conseil d'État par la voie
du recours pour excès de pouvoir271. Encore faut-il souligner
que, leur légalité s'appréciant par rapport à la
décision qui leur sert de fondement, le Conseil d'État n'en a pas
toujours fourni une interprétation susceptible de donner une grande
portée à son contrôle. Ainsi le juge tiendra
nécessairement pour légale la mesure individuelle
méconnaissant une disposition de nature législative ou un
principe général du droit que la décision qui lui sert de
fondement aura précisément entendu modifier ou écarter.
Les pouvoirs énormes du Président à la
fois dans le cadre constitutionnel et en dehors de ce cadre constitutionnel ne
seraient pas en soi une mauvaise chose si ces pouvoirs étaient
contrebalancés -comme c'est normalement le cas dans un régime
présidentiel (la doctrine des checks and balances)- par un
Parlement libre et puissant272. Malheureusement, l'Assemblée
nationale -institutionnellement enchaînée par la Constitution et
politiquement inféodée au Président- ne fait contrepoids
à celui-ci que de manière assez marginale.
269 C.E., 30 juillet 1880, Brousse ; C.E., 28 novembre
1873, Élections de Maisons-Alfort, etc.
270 C.E., 16 mars 1962, Rubin de Servens.
271 C.E., 23 octobre 1964, D'Oriano.
272 Bernard CHANTEBOUT, op.cit., p. 309-310.
118
CHAPITRE II : L'ABAISSEMENT DU POUVOIR
LÉGISLATIF
Le déséquilibre des rapports entre les pouvoirs
exécutif et législatif constaté dans
l'hégémonie présidentielle est aggravé par la
faiblesse parlementaire. Il en résulte que l'Assemblée nationale
ne peut faire efficacement contrepoids aux pouvoirs énormes du
président de la République. Cette réalité
s'explique au moins par deux faits : d'une part, l'Assemblée nationale
est strictement cantonnée dans un domaine d'action étroit
(section I) et d'autre part ses initiatives sont bridées (section
II).
Section I : Le cantonnement du Parlement dans un domaine
d'action étroit
Le cantonnement de l'Assemblée nationale résulte
lui-même de deux faits : le mode de délimitation de ses
compétences (paragraphe 1) et le caractère unilatéral des
mécanismes de protection des compétences au détriment du
domaine législatif (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le mode de délimitation des
compétences
Nous l'avons déjà évoqué, la
Constitution procède à une répartition des
compétences normatives entre le président de la République
et l'Assemblée nationale. Une telle délimitation des
compétences s'est faite par l'inversion de l'équilibre -longtemps
en faveur du Parlement- dans les rapports entre les pouvoirs exécutif et
législatif (A) : il en résulte un déséquilibre en
faveur du Président. Il n'est par ailleurs guère certain
aujourd'hui que l'on assiste au rétablissement de l'équilibre des
rapports en faveur de l'Assemblée nationale (B).
A/ L'inversion de l'équilibre dans les rapports entre
le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif au détriment
du second
Originairement, le Parlement bénéficiait d'un
domaine illimité d'attributions273 (1). La
Constitution de 2000 -imitant en cela la Constitution française de 1958-
va au contraire l'enfermer dans un domaine d'attributions strictement
délimité (2).
1. D'un domaine illimité d'attributions (...)
273 L'adage anglais, « Parliament can do anything
except turn a woman into a man and a man into a woman » (le Parlement
peut tout faire sauf changer un homme en une femme et une femme en un homme),
traduit bien la toute-puissance du Parlement.
119
Avant 1958, la loi se définissait en droit
français comme l'acte voté par l'organe qui la faisait :
était loi tout acte fait par le Parlement dans les formes de la
procédure législative. En vertu de ce critère organique,
toute tentative pour déterminer l'existence d'un domaine
réglementaire par nature, se trouva vouée à
l'échec. Il en résultait un domaine illimité et exclusif
d'intervention au profit du Parlement (a) quand le Gouvernement devait se
contenter d'un domaine limité et dérivé (b).
a. Un domaine illimité et exclusif d'intervention au
profit d'un Parlement souverain
Avant l'avènement de la Ve
République, la loi se définissait comme l'acte voté par
l'organe qui la faisait : était loi, tout acte fait par le Parlement,
dans les formes de la procédure législative, abstraction faite de
son contenu. C'est le Parlement lui-même qui imprime le caractère
de loi aux règles qu'il édicte en forme de loi274.
Le domaine d'intervention du Parlement n'est pas seulement
illimité en ce que tout acte voté par lui est loi et que nul ne
saurait précisément empêcher qu'il intervienne en quel que
domaine que ce soit : il est également exclusif de toute autre
compétence. Cette exclusivité du champ d'intervention de la loi
fait obstacle à une quelconque répartition matérielle des
compétences entre le Parlement et le Gouvernement.
La pratique des décrets-lois surtout à partir de
1948 ne put remettre en cause le principe fondamental selon lequel tout acte
voté par le Parlement en la forme législative avait force de loi.
En vertu de ce critère organique et formel, toute tentative pour
déterminer l'existence d'un domaine réglementaire par nature, se
trouva vouée à l'échec275 et la matière
éventuelle de la loi continuait à s'étendre à
l'infini.
D'autre part, la loi n'était subordonnée au
respect de la Constitution qu'en théorie. Mais aucune procédure
n'était réellement organisée pour faire respecter cette
subordination des lois
274 Raymond Carré de Malberg écrivait ainsi :
« Pour qu'une règle soit législative, il est
indispensable, et aussi suffisant, qu'elle soit l'oeuvre du pouvoir
législatif, c'est-à-dire de l'organe en qui réside, de
façon exclusive, ce pouvoir. La notion de loi est donc
indépendante de toute condition ayant trait au contenu de l'acte
législatif. C'est une notion qui, quelles que soient les bases
rationnelles et foncières dudit concept, est d'ordre purement formel ;
car elle n'est conditionnée que par l'origine de l'acte, par la
qualité de son auteur et la forme de son adoption »
(Confrontation de la théorie de la formation du droit, p.
31 et 38).
275 La loi du 17 août 1948 instituant notamment le
procédé de l'extension du pouvoir réglementaire, ne
pouvait restreindre par la voie législative la faculté
constitutionnelle du Parlement à exercer le pouvoir législatif
sur l'ensemble des matières. Le Conseil d'État estima d'ailleurs
dans un avis du 6 février 1953 que le procédé de
l'extension du pouvoir réglementaire était subordonné
à certaines conditions, à défaut desquelles il serait
contraire à l'article 13 de la Constitution.
120
à la Constitution276. Carré de
Malberg estimait d'ailleurs que cette lacune correspondait à l'esprit
même du système républicain français, basé
sur la conception de Jean-Jacques Rousseau, qui considère la loi comme
« l'expression de la volonté générale
»277.
Puisque le Parlement disposait -en raison de la
souveraineté de la loi- d'un champ d'intervention illimité et
exclusif, il s'en suivait nécessairement que le Gouvernement ne pouvait
prétendre qu'à un domaine d'intervention limité et
subordonné par rapport à celui du Parlement.
b. Un domaine limité et dérivé
concédé à un exécutif subordonné
Il résulte que -le Parlement étant seul
compétent dès lors qu'il s'agissait de la réglementation
juridique de toute question, de toute activité et en tout domaine- des
deux pouvoirs législatif et exécutif, l'un est par son
appellation même le supérieur de l'autre : il pose les
règles que le second applique278.
C'est sur la base de cette hiérarchie entre les
autorités étatiques que furent fixés jusqu'en 1958 les
domaines respectifs de la loi et du règlement ; le pouvoir
réglementaire -en dehors du recours périodique à la
pratique des décrets-lois- ne pouvait pas intervenir
spontanément, il ne pouvait intervenir qu'en application d'une loi
votée par le Parlement. Subordonné à l'autorité de
la loi, il ne pouvait l'enfreindre et ne disposait pas de matières
propres à lui. Il est demeuré, selon l'expression
consacrée par les juristes, un simple « pouvoir
dérivé ».
276 Le Comité constitutionnel n'exerçait qu'un
embryon de contrôle de constitutionnalité des lois et son
intervention était très limitée (article 91 de la
Constitution française de la IVe République).
277 Raymond Carré de Malberg écrivait
également : « Car ainsi que l'avait dit l'article 6 de la
Déclaration, tous les citoyens se trouvent représentés,
c'est-à-dire présents dans l'Assemblée législative
au moment de la confection des lois -celles-ci, par l'effet de cette
représentation, sont donc l'oeuvre du peuple lui-même,
c'est-à-dire du souverain. Mais, de ce concept représentatif il
résulte aussi que le Parlement, puisqu'il représente le
souverain, en détient la puissance dans ce qu'elle a de suprême.
Ses pouvoirs législatifs ou autres participent de la souveraineté
dont il est investi. Tranchons le mot, ce Parlement, conçu comme le
représentant de la nation, devient effectivement le souverain »
(op.cit., p. 20).
La Constitution de 1791 et la jurisprudence du Conseil
d'État et de la Cour de Cassation tirent la conséquence, sous les
IIIe et IVe Républiques, qu' « il n'y a point
d'autorité supérieure à celle des lois ».
278 Marcel PRÉLOT, op.cit., p. 456.
121
L'élaboration par le Parlement conférait ainsi
à la loi une supériorité sur le règlement et sur
tous les autres actes juridiques. Le principe de légalité
obligeait ainsi tous les actes du Gouvernement, des ministres, des
autorités administratives, etc., à se conformer aux
lois279.
Seule une intervention du pouvoir constituant aurait pu
modifier de façon permanente cet équilibre dans les rapports
entre la loi et le règlement au profit de ce dernier et il ne manquera
pas de se produire en 1958.
2. (...) à un domaine limité d'attributions du
pouvoir législatif
L'avènement de la Constitution du 4 octobre 1958 met un
terme à la souveraineté du Parlement et au domaine
illimité de la loi. La Constitution de la Ve
République est parvenue à un tel résultat en consacrant la
supériorité de la Constitution tout en l'assortissant
désormais d'une sanction. Les différentes Constitutions de notre
histoire constitutionnelle s'inscrivent toutes dans un tel schéma.
Désormais, le Parlement devrait se résoudre à n'intervenir
que dans un domaine restrictivement défini (a) et le Conseil
constitutionnel veille à ce qu'il ne sorte point de ce domaine (b).
a. Un domaine réservé mais restreint octroyé
au Parlement
La Constitution de 1958 a totalement bouleversé la
notion de loi -le bouleversement de la notion de budget sera
ultérieurement étudié- dans le but clair de limiter le
rôle du Parlement ; elle est suivie en cela par toutes les Constitutions
ivoiriennes y compris celle qui régit actuellement nos institutions.
Ce qui caractérise la Constitution de 1958 par rapport
à celles des Républiques précédentes, et qui
caractérise la nôtre, c'est que les pouvoirs du Parlement sont
très diminués : la restriction du pouvoir législatif en
particulier, par l'adoption d'une définition matérielle de la loi
tout à fait étrangère à la tradition
française, confine les assemblées dans un domaine d'action
très étroit.
Le Parlement ne peut plus agir dans tous les domaines
désormais ; il ne peut plus intervenir partout pour définir les
cadres de l'action gouvernementale : l'innovation fondamentale de la
Constitution de 1958 -innovation dont nous avons hérité dans
toutes nos Constitutions depuis 1959- est de déterminer un domaine
réservé à la loi, en dehors duquel le
279 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, op.cit.,
p.755-756.
122
Parlement ne peut pas légiférer. Nous avons
déjà passé en revue ces différentes matières
et n'y reviendrons plus ici. Mais retenons qu'en dehors de ces matières
ainsi énumérées par la Constitution et notamment son
article 34 -article 71 de la Constitution ivoirienne- toutes les
matières sont réglées par le
règlement280. Il y a donc là une atteinte
incontestable aux prérogatives de la représentation
nationale281.
Une autre atteinte à la toute-puissance du Parlement
est la constitutionnalisation de la pratique auparavant interdite des
décrets-lois282. Désormais, le pouvoir exécutif
peut directement intervenir dans le domaine législatif à
condition que le Parlement lui en donne l'autorisation. En bonne théorie
juridique, cette délégation du pouvoir législatif devrait
déposséder pendant une certaine durée le Parlement du
droit de légiférer sur le domaine délégué.
Le domaine du Parlement n'est plus ainsi seulement limité par rapport
à l'état du droit antérieur à 1958, il n'est plus
désormais exclusif.
Ce qui traduit sans doute le mieux cette perte de
souveraineté de la loi283 et de l'organe législatif
est le contrôle de constitutionnalité des lois.
b. Le Conseil constitutionnel, gardien traditionnel du
cantonnement du Parlement dans son domaine réservé
La loi est constitutionnellement définie comme l'acte
voté par le Parlement (élément organique) et portant sur
l'une des matières énumérées par l'article 71 ou
par quelques autres articles de la Constitution (élément
matériel). L'existence d'un critère matériel est par
conséquent certaine et ses contours sont bien
délimités.
280 Le corollaire de la délimitation du domaine
législatif par énumération des matières
législatives a pour conséquence directe d'étendre
considérablement le domaine du règlement autonome
jusque-là limité à la police et à l'organisation
des services publics. Les règlements autonomes sont de véritables
lois (au sens large) et ils échappent, en raison justement de leur
autonomie, au contrôle de légalité que le Conseil
d'État exerce normalement sur les actes administratifs. Ils ne sont
soumis qu'au respect des principes généraux du droit et de la
Constitution.
281 Georges BURDEAU, op.cit., p. 605.
282 La constitutionnalisation des décrets -lois, autrefois
interdits, résulte des articles 38 français et 75 ivoirien.
283 Depuis 1958, le Parlement a cessé de
représenter seule la souveraineté et, pendant la durée de
la législature, de l'accaparer. L'autorité suprême reste le
peuple lui-même s'exprimant par les votations et les élections. Le
principe théorique formulé par Adhémar Esmein, et
méconnu sous les Républiques précédentes
régies par le parlementarisme absolu, trouve ainsi à s'appliquer
: « Le pouvoir n'est point, pour les assemblées, un droit
propre, c'est une fonction que la Constitution leur confie, non pour en
disposer à leur gré, mais pour l'exercer elles-mêmes
d'après les lois constitutionnelles. Seul le souverain peut faire une
semblable attribution, et le pouvoir législatif n'est pas le souverain,
mais simplement le délégué du souverain »
(Revue politique et parlementaire, août 1894).
123
Le Conseil constitutionnel veille dès lors très
strictement, lorsqu'il est saisi, à ce que la loi porte bien sur les
matières énumérées à l'article
71284 ou beaucoup plus exceptionnellement, à un autre article
de la Constitution285. Cette jurisprudence s'accorde très
bien avec le caractère propre du Conseil constitutionnel, lequel
apparaît comme un organe régulateur des compétences
veillant à protéger l'exécutif des empiètements du
Parlement.
De ce fait, le Conseil constitutionnel apparaît comme le
gardien du cantonnement de l'Assemblée nationale dans ses attributions
limitativement énumérées alors que le président de
la République et le Gouvernement échappent pour nombre de leurs
actes à tout contrôle de sa part286.
Il semble par ailleurs incertain que ce cantonnement du
Parlement prenne fin par suite d'une nouvelle inversion de l'équilibre
des rapports.
B/ L'incertitude d'une nouvelle inversion de
l'équilibre dans les rapports entre le pouvoir législatif et le
pouvoir exécutif au profit du premier
L'incertitude d'une nouvelle inversion des rapports entre
l'Assemblée nationale et le président de la République au
profit de celle-là s'explique par deux faits au moins : d'une part, la
non-transposition en droit ivoirien de la jurisprudence constitutionnelle
française extensive des compétences du législateur (1) et
d'autre part, l'impossibilité d'étendre ces compétences
par les autres voies (2).
1. La non-transposition de la jurisprudence constitutionnelle
française extensive des compétences du législateur
Si la transposition de la jurisprudence constitutionnelle
française serait souhaitable en ce qu'elle est extensive des
compétences du législateur (a), force est de reconnaître
que cette transposition n'est pas effective dans notre droit constitutionnel
(b).
284 Dans une décision en date du 18 janvier 1962, le
Conseil constitutionnel décide que le législateur n'est pas
habilité à légiférer « dans une matière
qui n'est pas au nombre de celles réservées à sa
compétence par l'article 34 de la Constitution » et, dans une autre
décision en date du 10 juin 1969, qu'il doit demeurer dans le cadre
« des principes fondamentaux ou des règles que l'article 34 de la
Constitution a réservé à la compétence du
législateur ».
285 Ces décisions sont très peu nombreuses.
Cependant, pour une référence à l'article 74 de la
Constitution, cf. n° 71-44 DC du 16 juillet 1971. Rec., p. 75.
286 Tel est le cas des décisions présidentielles
de l'article 16 (notre article 48) ainsi que des « actes de gouvernement
», pour lesquelles le Conseil d'État s'est toujours reconnu
incompétent.
124
a. Une transposition souhaitable
On sait que le domaine de loi fut matériellement
délimité par référence quasi-exclusive à
l'article 34 de la Constitution française, suivie en cela par toutes les
différentes Constitutions ivoiriennes. Cependant, l'évolution de
la jurisprudence constitutionnelle intervenue en France devait
considérablement élargir le domaine de la loi.
Cette évolution trouve son point de départ dans
sa décision du 16 juillet1971287 lorsque le Conseil
constitutionnel décide pour la première fois de procéder
à un contrôle au fond de la conformité de la loi à
la Constitution et plus précisément à son
Préambule. Dès cette décision, la voie s'est
trouvée ouverte pour ajouter à l'énumération de
l'article 34 de nouvelles matières législatives procédant
non seulement d'autres articles de la Constitution mais également des
normes visées par le Préambule, c'est-à-dire de la
Déclaration de 1789, du Préambule de 1946 et des principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Le pas décisif est franchi par une décision du
28 novembre 1973 dans laquelle le Conseil constitutionnel décide que la
matière des contraventions et des peines qui leur sont applicables est
législative lorsque lesdites peines comportent des mesures privatives de
liberté288. Cette décision ne pouvait pas prendre
appui sur l'article 34289. Il a suffi au Conseil constitutionnel,
pour aller au-delà de l'article 34, de viser également l'article
66 et surtout le Préambule.
Une telle jurisprudence a pour conséquence que les
matières législatives vont au-delà de
l'énumération de l'article 34. En réalité, le
Conseil constitutionnel peut, en interprétant le Préambule et les
normes auxquelles il se réfère, en étendre la liste assez
largement. Il est par conséquent clair que le domaine législatif
est loin d'être aussi étroitement délimité et
assigné qu'on avait pu le croire.
La transposition de cette jurisprudence française en
droit constitutionnel ivoirien serait souhaitable en ce qu'elle contribuerait
à atténuer la brutalité du cantonnement de
l'Assemblée
287 Déc. n°71-44 DC du 16 juillet 1971.
Rec., p. 29.
288 Déc. n°73-80 du 28 novembre 1973. Rec., p. 75.
Il est également significatif que cette décision du Conseil
constitutionnel va à l'encontre de la position adoptée par le
Conseil d'État (Société Eky, 12 février
1960, J.P.C., 1960 II 11629 bis note Vedel) et qu'elle se
situe en marge de celle adoptée par la Cour de Cassation (Crim. 26
février 1974. 269. Chr. L. Hamon, 83).
289 La matière des contraventions et des peines qui
leur sont applicables ne figure pas en effet dans l'énumération
de l'article 34 par suite d'une omission délibérée, les
crimes et délits étant eux expressément visés.
125
nationale découlant de la délimitation trop
étroite du domaine législatif par l'article 71 de la Constitution
de 2000, mais elle n'est pas -ou pas encore- effective.
b. Une transposition non effective
Cette jurisprudence constitutionnelle française
extensive du domaine législatif ne peut, telle quelle, être
transposée en droit constitutionnel ivoirien parce qu'elle ne s'accorde
pas avec l'esprit de nos institutions. En effet, en droit constitutionnel
ivoirien comme en droit constitutionnel français, il existe des
matières législatives par énumération ou par renvoi
ou invitation de la Constitution à la loi. Mais le fait fondamental
demeure que la Constitution tend tout entière à cantonner
l'Assemblée nationale dans des limites bien précises -limites
tracées principalement par l'article 71 pour ce qui concerne le pouvoir
législatif de l'Assemblée nationale- en dehors desquelles elle ne
peut pas se mouvoir.
En outre, cette jurisprudence émane d'une juridiction
française, c'est-à-dire d'une juridiction étrangère
et elle ne peut s'appliquer de plein droit dans notre régime
politique290.
Toutefois le Conseil constitutionnel ivoirien pourrait
valablement s'en inspirer pour élargir le domaine législatif
défini par l'article 71 et quelques autres articles de la Constitution.
Pour cela, il lui suffirait, procédant en cela de la même
manière que le Conseil français, de contrôler la
conformité d'une loi soumise à son examen au préambule de
la Constitution de 2000 et d'inclure dans le domaine législatif une
matière non prévue à l'article 71 en visant le
Préambule ou les normes auxquelles il renvoie, c'est-à-dire la
Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981. Il en
résulterait une extension considérable du domaine
législatif.
Mais pour l'heure le Conseil constitutionnel ivoirien ne s'est
pas -ou pas encore-engagé dans une telle voie. Il en résulte que
le domaine législatif reste circonscrit à l'article 71 et
quelques autres articles de la Constitution et ne s'étend pas aux
matières législatives procédant éventuellement des
normes auxquelles renvoie le Préambule.
Il en est ainsi d'autant plus que les autres voies par
lesquelles on aurait pu espérer une extension du domaine
législatif demeurent fermées.
290 La transposition de plano de cette jurisprudence
comme celle plus générale des décisions des juridictions
françaises en droit ivoirien porterait incontestablement atteinte
à la souveraineté juridique de la Côte d'Ivoire. Mais rien
n'empêche que les juridictions ivoiriennes s'inspirent, dans les
décisions qu'elles prennent, des décisions rendues sur les
mêmes questions par des juridictions étrangères.
126
2. La fermeture des autres voies d'extension des
compétences législatives
La fermeture des autres voies d'extension des
compétences législatives résulte de l'impossibilité
d'étendre l'énumération de l'article 71 de la Constitution
par une loi organique (a) et de l'incertitude de l'intervention de
l'Assemblée nationale dans le domaine de compétences du
président de la République (b).
a. L'impossibilité d'étendre
l'énumération de l'article 71 par une loi
Suivant l'exemple de la Constitution française du 4
octobre 1958, la quasi-totalité des Constitutions africaines y compris
ivoiriennes procèdent à une délimitation matérielle
de la loi291. Cette délimitation matérielle du domaine
de la loi empruntée à la Constitution de la Ve République
française apparaît même comme plus rigoureuse dans les
Constitutions africaines. En effet, l'article 34 in fine de la
Constitution française, après avoir énuméré
les matières législatives, dispose toutefois que : « les
dispositions du présent article pourront être
précisées et complétées par une loi
organique ». Une telle possibilité n'existe pas dans la
Constitution ivoirienne ni dans la plupart des Constitutions africaines
opérant une répartition des matières entre les pouvoirs
législatif et exécutif. La Constitution du Sénégal
est l'une des rares en Afrique à prévoir une telle
possibilité ; ainsi son article 67 in fine est une
transposition littérale de l'article 34 in fine de la
Constitution française292.
Il résulte de l'impossibilité d'étendre
l'énumération des matières législatives par une loi
organique voulue par les auteurs de la Constitution ivoirienne que la
distinction horizontale entre les domaines de la loi et du règlement est
fermée, étanche et sans possibilité
d'adaptation293. Les constituants ivoiriens de 2000 sont donc
allés plus loin dans leur volonté d'enserrement du Parlement dans
un domaine défini et délimité en dehors duquel il ne peut
pas sortir ; une telle volonté d'assurer au président de la
République un domaine réglementaire irréductible est
d'ailleurs traditionnelle en droit constitutionnel ivoirien294.
291 Constitutions du Bénin (art. 98), du Mali (art. 70),
du Sénégal (art. 67), etc.
292 Cet article 67 in fine de la Constitution
sénégalaise est ainsi libellé : « Les dispositions du
présent article pourront être précisées et
complétées par une loi organique ».
293 Obou OURAGA, op.cit., p.234.
294 Ni la Constitution de 1959 ni celle de 1960 ne
prévoyaient la possibilité d'étendre
l'énumération des matières législatives par le
procédé d'une loi organique.
127
Il ne reste donc plus qu'une voie ouverte à
l'Assemblée nationale pour élargir son domaine législatif
: celle de son intervention dans le domaine réglementaire. Mais une
telle intervention semble incertaine.
b. L'incertitude de l'intervention de l'Assemblée
nationale dans le domaine réglementaire
L'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine
réglementaire serait une voie par laquelle elle pourrait élargir
son domaine législatif. Ainsi, une loi pourrait comporter des
dispositions portant sur des matières que ni l'article 71 ni d'autres
articles de la Constitution ne réservent à la compétence
du législateur. Mais une telle intervention n'est pas certaine en droit
constitutionnel ivoirien.
D'abord, il faudrait que le président de la
République consente à un tel empiètement. S'il voulait
empêcher l'Assemblée nationale d'intervenir hors du domaine de la
loi, il pourrait s'opposer au cours de la procédure législative
et par la voie de l'irrecevabilité de l'article 76 de la Constitution
à la proposition ou à l'amendement295.
Ensuite, il faudrait également que le Conseil
constitutionnel ne considère pas que cette intervention de
l'Assemblée nationale dans le domaine réglementaire doive
être sanctionnée en cas de recours fondé sur l'article 95.2
de la Constitution. La jurisprudence constitutionnelle française
énonçant que « la Constitution n'a pas entendu frapper
d'inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire
contenue dans une loi »296 par consentement mutuel du Parlement
et du Gouvernement ne peut pas en effet s'appliquer de plano en droit
ivoirien à moins que le Conseil constitutionnel ivoirien ne la reprenne
à son compte.
Le contrôle du cantonnement de l'Assemblée
nationale dans des limites très étroites est efficacement
assuré par des mécanismes aux mains du Président. Au
contraire, l'Assemblée nationale ne dispose pas d'autant de moyens pour
empêcher les empiètements de l'exécutif sur le domaine
législatif. Il en résulte un caractère unilatéral
des mécanismes de protection des compétences.
295 Pour la procédure de l'irrecevabilité de
l'article 76, voir les développements précédents.
296 Grandes décisions, n° 35. Cette
décision du 30 juillet 1982, « blocage des prix » a
été confirmée par une jurisprudence constante, notamment
par deux décisions du 18 juillet 1983, « démocratisation
du secteur public », et du 19 janvier 1984, « contrôle
des établissements de crédits ».
128
Paragraphe 2 : Le caractère unilatéral
des mécanismes de protection des compétences
Le caractère unilatéral des mécanismes de
protection des compétences résulte de ce que le domaine
réglementaire est rigoureusement protégé (A) tandis que la
protection du domaine législatif est incertaine (B).
A/ Une protection rigoureuse du domaine réglementaire
La protection du domaine réglementaire du
président de la République est efficacement assurée si
celui-ci veut bien user des armes que lui donne la Constitution297.
Cette protection est à la fois préventive (1) et a posteriori
(2).
1. Une protection préventive : l'opposition
d'irrecevabilité
Le président de la République peut soulever une
opposition d'irrecevabilité contre toute proposition de loi qu'il juge
comme empiétant sur le domaine réglementaire qui est le sien (a).
Mais si l'auteur de cette proposition n'est pas d'accord avec la
décision d'irrecevabilité prononcée par le
président de l'Assemblée nationale, il saisira le Conseil
constitutionnel qui dira en définitive si la proposition empiète
bien sur le domaine réglementaire (b).
a. L'opposition d'irrecevabilité, soulevée par le
président de la République
Si l'Assemblée nationale tente d'intervenir sur une
matière non législative, le Président a la
possibilité de l'arrêter net. Dès le dépôt de
la proposition ou de l'amendement, il peut lui opposer une exception
d'irrecevabilité (art. 54.3 du règlement). Celle-ci est le
corollaire de la répartition des matières entre les deux
pouvoirs, législatif et réglementaire : c'est un moyen de
protéger le Président contre les empiètements du Parlement
qui, jusqu'à la révolution juridique de la Constitution
française de la Ve République298,
rappelons-le, fut tout puissant.
Cette protection préventive aux mains du
président de la République ou du Gouvernement est une disposition
habituelle que l'on retrouve dans tous les régimes
297 René DEGNI-SEGUI, Introduction au droit,
Abidjan, EDUCI, 2009, p. 85.
298 Jean-Louis QUERMONNE et Dominique CHAGNOLLAUD,
op.cit., p. 351. La révolution juridique est le bouleversement
radical de l'état du droit sous les Républiques
antérieures à la Constitution du 4 octobre 1958 : le Parlement
souverain disposant de la plénitude des pouvoirs sera désormais
cantonné dans des limites strictes définies par la Constitution
et un Conseil constitutionnel, gardien de ce cantonnement, est
créé.
129
politiques africains consacrant la répartition des
matières entre exécutif et le Parlement. Ainsi, aux termes de
l'article 104.1 de la Constitution béninoise : « les propositions,
projets et amendements qui ne sont pas du domaine de la loi sont irrecevables.
(...) ».
Toutefois, le pouvoir exécutif -président de la
République ou Premier ministre ou Gouvernement selon les régimes
politiques- n'a que la faculté d'opposer, c'est-à-dire de
demander l'irrecevabilité car il appartient en définitive
à une autre autorité -le président de l'Assemblée
nationale- de prononcer l'irrecevabilité, c'est-à-dire de la
décider ou non (art. 76.1). Il faut noter au passage que celui-ci peut
valablement prononcer l'irrecevabilité d'office, c'est-à-dire
sans que le président de la République n'en ait formulé la
demande : il suffit pour cela qu'il prenne l'avis de la conférence des
présidents (art. 54.3 du règlement).
Si le président de l'Assemblée nationale est
d'accord avec l'irrecevabilité invoquée par le président
de la République, il la prononcera et la proposition ou l'amendement ne
pourront plus être discutés mais les députés qui
entendent contester sa décision pourraient toujours saisir le Conseil
constitutionnel. Mais si le président de l'Assemblée nationale
refusait de donner une suite favorable à la requête du
président de la République, ce dernier pourrait également
saisir le Conseil constitutionnel. Dans tous les cas, celui-ci reste en
définitive le juge de l'irrecevabilité en raison de la
matière.
b. La saisine du Conseil constitutionnel en cas de
désaccord
Si l'irrecevabilité est soulevée par le
président de la République -en fait par ses ministres- lors de la
procédure législative, le président de l'Assemblée
nationale se chargera de la prononcer. C'est ce cas qui est le plus susceptible
de se produire compte tenu de contexte politique ivoirien où
présidents de la République et de l'Assemblée nationale
appartiennent toujours à une même majorité. Mais il n'est
pas complètement exclu qu'il refuse de prononcer l'irrecevabilité
demandée par le président de la République.
Dans l'un et l'autre cas, la Constitution a prévu la
possibilité de contester la décision du président de
l'Assemblée nationale en saisissant le Conseil constitutionnel (article
76.2). Cette possibilité est ouverte à la fois au
président de la République et à un quart des
députés299. Une telle égalité entre les
parties devant la décision du président de l'Assemblée
nationale n'existe
299 La proposition tendant à la reconnaissance au
député auteur de la proposition ou de l'amendement le droit de
saisir le Conseil constitutionnel a été finalement rejetée
de l'article 17 de la loi n° 94-439 du 16 août 1994 relative au
Conseil constitutionnel.
130
cependant pas dans tous les régimes politiques
africains. Ainsi aux termes de l'article 104.3 de la Constitution
béninoise « en cas de contestation..., la Cour constitutionnelle,
saisie par le président de l'Assemblée nationale ou le
Gouvernement, statue dans un délai de huit jours » ; les
députés béninois -contestant une décision
d'irrecevabilité prononcée par le président de
l'Assemblée nationale- n'ont donc pas la faculté de saisir la
Cour constitutionnelle300.
Le Conseil constitutionnel ainsi saisi par le président
de la République ou par un quart au moins des députés
décidera si la proposition ou l'amendement en cause est bien du domaine
législatif ou si au contraire ils empiètent sur le domaine
réglementaire. Quelle que soit la décision que prendra le juge
constitutionnel, il est certain qu'il veillera à ce que
l'Assemblée nationale reste bien dans le cadre des limites que lui a
fixées l'article 71 de la Constitution et quelques autres articles
établissant la compétence législative.
En plus de la protection préventive de son domaine
réglementaire, le président de la République dispose entre
ses mains d'une protection a posteriori.
2. Une protection a posteriori
La protection a posteriori du domaine
réglementaire consiste en un déclassement des dispositions
matériellement réglementaires des lois intervenues avant
l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000 (a) et en une
déclaration d'inconstitutionnalité des mêmes dispositions
mais intervenues, cette fois, après l'entrée en vigueur de la
Constitution (b).
a. La déclassement des dispositions
matériellement réglementaires des lois intervenues avant
l'entrée en vigueur de la Constitution de 2000
L'article 72.2 de la Constitution donne la faculté au
président de la République de modifier par décret les lois
et ordonnances intervenues avant la Constitution de 2000 et portant sur les
matières devenues législatives en vertu de celle-ci : il faut
pour cela un décret pris après avis du Conseil constitutionnel.
On retrouve des dispositions similaires dans toutes les Constitutions
africaines reconnaissant au président de la République ou au
Gouvernement un domaine réglementaire autonome. Ainsi l'article 100.2 de
la Constitution béninoise dispose que « les textes de forme
législative intervenus en ces matières antérieurement
à
300 Il en également ainsi dans le cadre des Constitution
du Sénégal (art. 83.2), de la France (art. 41.2), etc.
131
l'entrée en vigueur de la présente Constitution
peuvent être modifiés par décret pris après avis de
la Cour constitutionnelle ».
Il est toutefois à noter que cette procédure de
délégalisation ne vaut que pour les textes en forme
législative intervenus avant l'entrée en vigueur de la
Constitution de 2000. La même observation vaut également pour la
délégalisation telle que consacrée par de nombreuses
Constitutions africaines (art. 100.2 de la Constitution du Bénin, 103.2
de la Constitution du Niger, etc.). Dans d'autres régimes politiques
africains en revanche, la délégalisation vaut autant pour les
textes de forme législative intervenus avant l'entrée en vigueur
de la Constitution que pour ceux intervenus après cette entrée en
vigueur (art. 76.2 de la Constitution du Sénégal). Ainsi
même si un Gouvernement ne défère pas au juge
constitutionnel, avant sa promulgation, une loi intervenant dans le domaine
réglementaire, lui ou ses successeurs ne sont pas enchaînés
par cette décision puisqu'ils pourront toujours - c'est-à-dire
même après la promulgation de la loi- la remettre en cause devant
le juge constitutionnel et la modifier par décret.
Le Président ivoirien ne disposant pas de chaînes
aussi solides pour contenir l'Assemblée nationale, devra pour sa part
s'en remettre à la déclaration d'inconstitutionnalité des
lois votées après l'entrée en vigueur de la Constitution
s'il estime qu'elles empiètent sur le domaine réglementaire.
b. La déclaration d'inconstitutionnalité des
dispositions matériellement réglementaires des lois
postérieures à l'entrée en vigueur de la Constitution de
2000
Si le président de la République n'use pas de la
faculté qui lui est offerte de soulever l'irrecevabilité de
l'article 76.1 tendant à faire échec à une proposition ou
à un amendement empiétant sur le domaine réglementaire, il
peut toujours, après son adoption mais avant sa promulgation,
déférer la loi au contrôle et à la censure
éventuelle du Conseil constitutionnel (art. 95.2 de la Constitution).
Le président de la République qui estime que la
loi adoptée par l'Assemblée nationale ignore les limites du
domaine législatif dispose d'une arme efficace lorsque son droit de
saisine du Conseil constitutionnel est conjugué avec son droit de
promulgation des lois. Tout en s'abstenant de promulguer la loi qu'il conteste,
il saisira, avant l'expiration du délai de promulgation, le Conseil
constitutionnel : il évite ainsi que la loi ne soit
déclarée exécutoire à l'expiration dudit
délai de promulgation (art. 42.2 de la Constitution). Au contraire, il
pourrait
132
immédiatement promulguer une loi qu'il ne conteste pas
avant même que les autres titulaires du droit de saisine ne puissent la
déférer au Conseil constitutionnel la rendant ainsi
inattaquable301.
Si le Conseil constitutionnel est saisi, il doit statuer dans
un délai de quinze jours à compter de sa saisine, le délai
de promulgation étant évidemment suspendu (art. 77 in fine
de la Constitution). Si une disposition est déclarée
inconstitutionnelle, elle ne peut être promulguée ou
appliquée (art. 99 de la Constitution). Si ladite disposition n'est pas
inséparable de l'ensemble de la loi, le président de la
République peut soit promulguer la loi amputée de ses
dispositions censurées soit demander une seconde
délibération de la loi.
Il peut toutefois arriver que le Conseil constitutionnel,
saisi par le président de la République, ne lui donne pas
satisfaction en estimant que les dispositions litigieuses ont bien un
caractère législatif. Mais le président de la
République n'est pas désarmé pour autant car il peut -au
lieu de promulguer la loi- en demander une seconde délibération
soit dans son ensemble soit en certains de ses articles : cette seconde
délibération -on l'oublie souvent-enterre quasiment la loi
puisqu'à défaut de la majorité des 2/3 exigée, elle
est censée tomber.
Contrairement à un domaine réglementaire qui est
efficacement protégé, la protection du domaine législatif
est incertaine.
B/ Une protection incertaine du domaine législatif
L'incertitude de la protection du domaine législatif
résulte de l'inexistence de moyens constitutionnels de sa
protection302 (1). En conséquence, celle-ci ne peut se faire
que par des voies détournées (2).
1. L'inexistence de moyens constitutionnels de protection du
domaine législatif aux mains des députés
Il n'existe pas de moyens constitutionnels de protection du
domaine législatif aux mains des députés. Si l'inexistence
de protection préventive contre les projets de décrets
réglementaires susceptibles d'empiéter sur le domaine
législatif est compréhensible (a), celle
301 Le président de la République n'est
guère obligé d'attendre les derniers jours du délai de
promulgation pour promulguer la loi. Mais il peut attendre le dernier moment
afin de permettre aux titulaires du droit de saisine du Conseil constitutionnel
(en particulier les députés de l'opposition) d'exercer leur
droit.
302 René DEGNI-SEGUI, op.cit., p. 83.
133
de la possibilité de déférer les
décrets réglementaires à la censure du Conseil
constitutionnel l'est beaucoup moins (b).
a. L'inexistence d'une protection préventive contre les
projets de décrets réglementaires empiétant sur le domaine
législatif
A l'égard des projets de décrets
réglementaires susceptibles d'empiéter sur le domaine
législatif, les députés ne disposent d'aucune
faculté pour faire échec à cet empiètement. Il n'y
a pas de contrepartie, aux mains des députés, de
l'irrecevabilité de l'article 76 de la Constitution dont dispose le
président de la République pour faire échec aux
propositions et amendements d'origine parlementaire susceptibles
d'empiéter sur le domaine réglementaire.
L'inexistence d'une protection préventive contre les
projets de décrets réglementaires se justifie toutefois par le
fait qu'étant des actes administratifs unilatéraux, ils sont
formulés par le président de la République seul et n'ont
pas par conséquent à être soumis à la
délibération de l'Assemblée nationale303. C'est
la nature même des décrets réglementaires qui rend donc
impossible une opposition d'irrecevabilité à leur encontre. Et
même si leur nature le permettait, encore aurait-il fallu qu'une telle
irrecevabilité fût prévue par la Constitution.
Tout au plus, le président de la République
peut, s'il le désire, soumettre pour avis au Conseil constitutionnel les
projets de décrets réglementaires avant leur examen en Conseil
des ministres (art. 52). Cet avis du Conseil constitutionnel pourrait mettre en
lumière les empiètements éventuels du projet de
décret réglementaire sur le domaine législatif mais le
président de la République reste, là encore, libre de
faire fi de ses observations.
Si l'on peut parfaitement comprendre l'inexistence d'une
procédure d'irrecevabilité opposable aux projets de
décrets réglementaires en ce que cela nuirait gravement à
l'action gouvernementale, l'inexistence de la possibilité de
déférer au contrôle du Conseil constitutionnel les
décrets réglementaires et de la possibilité de
reclassement de la matière inconstitutionnellement introduite dans le
domaine réglementaire est beaucoup moins compréhensible et plus
éloquente des rapports qu'entretiennent les pouvoirs exécutif et
législatif.
303 Aux termes de l'article 51 de la Constitution, les projets
de décrets réglementaires sont obligatoirement soumis à la
délibération du Conseil des ministres. Mais la nature
présidentielle du régime politique ivoirien fait qu'en
définitive, le Conseil des ministres se présente comme un organe
purement consultatif dont l'avis - requis en certaines matières- laisse
le Président libre de la décision définitive.
134
b. L'inexistence de la possibilité de
déférer les décrets réglementaires empiétant
sur le domaine législatif à la censure du Conseil constitutionnel
et du déclassement de ces règlements
Si le président de la République -en vertu de
son pouvoir réglementaire qu'il tient de l'article 72.1 de la
Constitution- prend un décret réglementaire portant sur des
matières législatives, l'Assemblée nationale ne peut l'en
empêcher. Cet empiètement-type du règlement sur le domaine
de la loi est destiné à se prolonger dans le temps jusqu'à
un éventuel recours devant le juge administratif. Il n'existe en effet
aucun moyen constitutionnel à la disposition des députés
ou du président de l'Assemblée nationale pour saisir le Conseil
constitutionnel d'une telle violation des frontières tracées par
la Constitution entre domaines législatif et réglementaire ni
permettant au Conseil constitutionnel de statuer.
Il aurait été pourtant plus logique et plus
juste de donner aux députés des moyens constitutionnels de
protection du domaine législatif des empiètements
éventuels du président de la République. Cela n'aurait
été au demeurant que la contrepartie de la faculté offerte
au président de la République de déférer au Conseil
constitutionnel les lois votées par l'Assemblée nationale. Sur ce
point, il est intéressant de voir que dans la Constitution du Gabon,
l'article 84 dispose que : « la Cour constitutionnelle statue
obligatoirement sur la constitutionnalité des lois organiques et des
lois avant leur promulgation, des actes réglementaires censés
porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux
libertés publiques (...) » ; si le contrôle
exercé, ici, ne concerne qu'une catégorie
déterminée d'actes réglementaires, la possibilité
se trouve incontestablement ouverte pour la Cour constitutionnelle d'exercer un
contrôle de constitutionnalité sur les actes de
l'exécutif304.
En raison de l'absence d'une disposition semblable dans la
Constitution ivoirienne, il faut donc s'en remettre à une protection du
domaine législatif par des voies indirectes et
détournées.
2. Une protection par des voies indirectes et
détournées
304 Nous retrouvons une disposition similaire dans la
Constitution béninoise en son article 117. Mais dans les deux cas (les
Constitutions gabonaise et béninoise), la Constitution ne dit pas qui a
compétence pour saisir la Cour constitutionnelle. La Constitution du 3
novembre 1960, profondément modifiée à la suite de la
révision du 2 juillet 1998, prévoyait en son article 46.3 que :
« les décrets réglementaires notamment en matière de
libertés publiques peuvent être déférés au
Conseil constitutionnel par le président de chaque assemblée ou
par un quart des députés ».
135
Puisque les auteurs de la Constitution ne se sont pas
particulièrement préoccupés de la protection du domaine
législatif, celle-ci ne peut dès lors se faire que par des voies
indirectes, détournées. Ce sont d'une part, la saisine
éventuelle de la chambre administrative de la Cour suprême par la
voie d'un recours pour excès de pouvoir (a) et d'autre part, la
procédure de déréglementation de facto (b).
a. La saisine éventuelle de la chambre administrative
par la voie d'un recours pour excès de pouvoir305
Un règlement qui empiète sur le domaine
législatif, bien qu'inconstitutionnel, entre en application puisque les
députés ne disposent pas de la faculté de saisir le
Conseil constitutionnel ; celui-ci n'a pas non plus la possibilité de
statuer. Pour que ce règlement soit annulé, il faut attendre
qu'un administré saisisse d'un recours pour excès de pouvoir le
juge administratif et que celui-ci se prononce. Le juge administratif -la
chambre administrative de la Cour suprême- exercera un contrôle de
constitutionnalité de l'acte réglementaire et l'annulera s'il est
contraire à la Constitution, en l'occurrence s'il empiète sur les
matières législatives306.
Le contrôle de constitutionnalité de l'acte
réglementaire par le juge administratif est un procédé
indirect et moins énergique de protection du domaine législatif.
D'abord, parce que ce n'est pas l'Assemblée nationale qui peut former le
recours. Celui-ci ne peut être formé que par le particulier se
sentant lésé par le règlement. En fait, il y aura toujours
quelqu'un à avoir intérêt à voir le règlement
annulé et, par conséquent, à former le recours. Mais il
reste que le moyen de défense n'est pas ouvert aux
députés. Ensuite, le recours pour excès de pouvoir n'est
pas une protection préventive à la différence de
l'irrecevabilité de l'article 76.1 de la Constitution. Le juge est saisi
alors que le règlement est exécutoire et le recours est
enfermé dans un délai court de deux mois à partir de la
publication de l'acte. Enfin, le recours n'est pas suspensif car le
règlement continuera à produire ses effets tant que l'annulation
n'aura pas été prononcée. Malgré toutes ces
insuffisances, le recours pour excès de pouvoir semble bien pourtant la
seule voie de protection efficace du domaine législatif.
305 Il s'agit de la chambre administrative de la Cour
suprême.
306 Le juge administratif est bien juge de la
constitutionnalité, et pas seulement de la légalité
stricto sensu. Le seul contrôle qu'il se refuse à exercer
est celui de la constitutionnalité des lois qui, dans le respect de
l'office, revient au Conseil constitutionnel. C'est ce qu'affirme sans
détour le Conseil d'État français dans un arrêt
Deprez et Baillard (Sect., 5 janvier 2005, n° 257341,
Rec. p. 1) dans lequel il précise que « l'article 61 de la
Constitution du 4 octobre 1958 a confié au Conseil constitutionnel le
soin d'apprécier la conformité d'une loi à la Constitution
».
136
Le succès de l'autre voie indirecte de protection du
domaine législatif -une procédure de
déréglementation de facto des décrets
réglementaires- reste en effet sujet à caution.
b. La procédure de déréglementation
de facto : la proposition de loi sur la matière objet du
règlement contesté
Un moyen détourné dont les députés
pourraient user pour faire échec à l'empiètement de
l'autorité réglementaire sur le domaine législatif est de
déposer une proposition de loi sur la matière qui vient de faire
l'objet du règlement contesté pour essayer de la rétablir
dans le domaine législatif. Si cette proposition de loi était
adoptée, cela rétablirait dans le domaine législatif la
matière qui y avait été inconstitutionnellement soustraite
par le règlement : on assisterait ainsi à une procédure de
déréglementation de facto.
Cette procédure de déréglementation
risque cependant de demeurer une hypothèse gratuite, c'est-à-dire
peu susceptible d'aboutir. En effet, le président de la
République peut opposer l'opposition d'irrecevabilité de
l'article 76, auquel cas le Conseil constitutionnel tranchera la
difficulté. Mais comme il est possible que tel ait été en
définitive le but recherché par les députés auteurs
de la proposition de loi de déclassement, le président de la
République -craignant que le Conseil constitutionnel ne déclare
la matière législative- s'abstiendra de soulever
l'irrecevabilité. S'il est assuré de sa majorité comme
cela a toujours été le cas depuis 1959, il laissera venir la
proposition en discussion car ayant toutes les chances d'en obtenir le rejet.
La proposition écartée, le règlement éventuellement
inconstitutionnel continuera à s'appliquer, sans que le Conseil
constitutionnel ne se fût prononcé et que les controverses eussent
été tranchées.
Cantonnée dans un domaine étroitement
défini et mal protégé, les initiatives de
l'Assemblée nationale sont par ailleurs bridées.
Section II : Les initiatives bridées
Les initiatives de l'Assemblée nationale sont
doublement bridées et précisément là où
elles devraient être le plus libre possible, c'est-à-dire au plan
législatif (paragraphe 1) et au plan financier (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Au plan législatif
137
Conformément à l'article 42, l'initiative des
lois appartient concurremment au président de la République et
aux députés. En droit, il n'y a pas de différences entre
projets et propositions de lois mais celles-ci n'ont pas les mêmes
chances d'aboutissement que ceux-là. Cet état de fait tient
à des entraves politique (A) et institutionnelle (B) posées aux
propositions de lois.
A/ L'entrave politique aux propositions de lois émanant
des députés de la majorité et de l'opposition
L'entrave politique aux propositions de lois réside
essentiellement dans l'existence d'une majorité parlementaire de soutien
au programme du président de la République. Le fait majoritaire
et la discipline de parti au sein de cette majorité parlementaire (1),
certainement nécessaires à la réalisation du programme de
Gouvernement, entraînent nonobstant des conséquences peu fastes
pour le prestige de l'Assemblée nationale (2).
1. Le fait majoritaire et la discipline de parti au sein de la
majorité parlementaire
Le président de la République apparaît
comme le chef d'une majoritaire parlementaire au sein de laquelle règne
une discipline stricte autour de sa personne. Ce fait fondamental de la science
politique ivoirienne entraîne une quasi-inexistence de propositions de
lois émanant des députés de la majorité d'une part
(a) et assure une mort certaine aux propositions de lois émanant des
députés de l'opposition parlementaire d'autre part (b).
a. Une quasi-inexistence de propositions de lois émanant
des députés de la majorité
Le fait majoritaire explique et aggrave la rareté des
initiatives parlementaires, spécifiquement celles émanant des
députés de la majorité. Dès la veille de
l'indépendance, le parti présidentiel est en effet constamment
demeuré le parti majoritaire soit seul soit en alliance avec d'autres
formations politiques. Ainsi de 1959 à 1999, le Parti
démocratique de Côte d'Ivoire a détenu à lui seul la
quasi-totalité des sièges à l'Assemblée nationale
sans qu'en fait le multipartisme, à partir de 1990, eût
changé grand-chose à cette réalité307 ;
à partir de 2000 jusqu'en 2010, le Front populaire ivoirien -en
alliance, il est vrai, avec des députés
307 Sous la dernière législature de la
première République, la répartition des sièges
était ainsi faite : P.D.C.I. (parti présidentiel) : 150/225 ;
R.D.R. : 13 ; F.P.I. : 12 et sièges non alloués : 50.
138
d'autres formations politiques- est parvenu à obtenir
la majorité absolue des sièges308 et enfin depuis
2011, le Rassemblement des républicains détient à lui tout
seul presque la majorité absolue309. Ce fait majoritaire doit
être conjugué avec la stricte discipline de parti au sein de la
majorité parlementaire.
Cette discipline de parti au sein de la majorité
parlementaire a elle-même une explication résidant dans la
personne du président de la République, leader
emblématique, historique et/ou charismatique du parti
présidentiel. Il en fut ainsi, à divers degrés, sous les
différentes présidences de la République si l'on met entre
parenthèses la période transitoire ouverte avec le coup
d'État du 24 décembre 1999310 : sous celle, d'abord,
d'Houphouët-Boigny et de Konan Bédié ; sous celle, ensuite,
de Laurent Gbagbo et enfin depuis 2010 sous celle d'Alassane Ouattara. Le
président de la République -incarnant toujours à lui tout
seul le parti présidentiel- cristallise et renforce une discipline
rigoureuse autour des orientations et des directives qu'il détermine.
Ces deux faits expliquent que le président de la
République -leader naturel du parti présidentiel et par
conséquent chef de la majorité parlementaire- non seulement
obtienne le vote de ses projets de lois mais également que les
députés de la majorité lui délaissent toute
initiative en matière législative. Il en résulte une
rareté des propositions de lois émanant des députés
de la majorité parlementaire.
Quant au sort réservé aux propositions de lois
formulées par les députés de l'opposition dans un tel
contexte, l'on peut aisément le deviner.
b. Les propositions de lois émanant des
députés de l'opposition, des propositions mort-nées
Les députés de l'opposition disposent
théoriquement de l'initiative en matière législative. En
réalité, s'ils peuvent toujours exercer cette initiative
législative en soumettant à l'Assemblée nationale des
propositions de lois et des amendements, ils ont peu de chances de les voir
adoptés. L'explication en est toute simple : elle réside à
la fois dans le fait majoritaire en faveur du parti présidentiel que
nous avons précédemment analysé mais surtout dans le
fait
308 Sous la première législature de la seconde
République : F.P.I. (parti présidentiel) : 96/225 ; P.D.C.I. : 94
; Indépendants : 22 ; R.D.R. : 5 ; P.I.T. : 4 ; M.F.A. : 1 ; U.D.C.I. :
1 et sièges non alloués : 2.
309 La répartition des sièges sous la
2e législature de la seconde République se fait comme
suit : R.D.R. : 127/255 ; P.D.C.I. : 77 ; les non-inscrits : 35 ; U.D.P.C.I. :7
; R.H.D.P. : 4 et M.F.A. : 3.
310 Après le coup d'État du 24 décembre
1999, tous les pouvoirs publics constitutionnels ont été dissouts
par le Général Robert Guéi à l'exception de la Cour
suprême.
139
que cette majorité parlementaire -en
réalité le président de la République- est peu
disposée à voir adoptées des lois issues de propositions
de députés de l'opposition.
A la différence donc du droit d'initiative
législative des députés de la majorité
parlementaire qui ne s'exerce même pas puisque ces derniers
préfèrent le délaisser au président de la
République, celui émanant des députés de
l'opposition se manifeste bien et beau et leurs propositions sont même
discutées mais elles demeurent vouées à l'échec.
Dès lors, le droit d'initiative législative apparaît avoir
un but détourné : le député de l'opposition qui
dépose une proposition de loi est certainement conscient de son sort
définitif mais précisément, il espère
démontrer par le rejet même de sa proposition le peu de
disposition de la part de la majorité parlementaire -et partant du
président de la République- à permettre certaines
réformes.
Le fait majoritaire que nous venons d'étudier et les
autres éléments qui s'agglutinent à ce fait majoritaire
(fait personnel, discipline de parti, etc.) entraînent certaines
conséquences qui ne participent pas de l'équilibre dans les
rapports entre le président de la République et
l'Assemblée nationale.
2. Les conséquences du fait majoritaire sur le prestige
de l'Assemblée nationale
Les conséquences du fait majoritaire sont que d'une
part, il y a un faible taux des propositions de lois dans la production
législative (a) et d'autre part, l'Assemblée nationale est
ravalée au rang de faire-valoir du président de la
République (b).
a. Un faible taux des propositions de lois dans la production
législative
La plupart des lois qui sont adoptées à
l'Assemblée nationale proviennent non des initiatives des
députés -que ce soit ceux de la majorité ou, encore moins,
ceux de l'opposition- mais du président de la République. Ce
phénomène est perceptible dans tous les régimes politiques
où Gouvernement et Parlement participent à l'élaboration
de la loi311.
Cette situation pose la question de l'effectivité du
droit d'initiative législative d'origine parlementaire consacré
à l'article 42 de la Constitution. Ce droit d'initiative
législative
311 Pierre Pactet écrit ainsi en parlant de la
situation française : «... au cours de l'année civile 1991,
141 projets de lois ont été déposés et 80
adoptés, cependant que 915 propositions de lois étaient
déposées et 14 adoptées » (op.cit., p.
423).
140
d'origine parlementaire tend en effet à devenir de plus
en plus théorique, à être dépourvu de toute
substance : il n'y a que le président de la République ou le
Gouvernement -selon le régime politique- qui exerce véritablement
le droit d'initiative législative que leur reconnaît la
Constitution. A ce rythme, l'on peut se poser la question de savoir si
l'initiative législative d'origine parlementaire ne tombera pas en
désuétude.
Plus fondamentalement encore, nous pouvons nous poser la
question de l'actualité de la séparation des pouvoirs
législatif et exécutif. A la séparation classique entre
organe législatif et organe exécutif se serait en effet
substitué, selon Maurice Duverger, la séparation entre le pouvoir
de la majorité ou pouvoir d'État et le pouvoir de l'opposition ou
pouvoir tribunicien. Le premier détient à la fois le pouvoir de
légiférer et le pouvoir d'exécuter ; le second le pouvoir
de contrôler312.
Si l'on s'en tenait à cette nouvelle forme de
séparation des pouvoirs reposant davantage sur un critère
politique que sur un critère institutionnel, il en résulterait
que l'Assemblée nationale -composante législative du pouvoir de
la majorité à côté de sa composante exécutive
qui est le président de la République- serait ravalée au
rang de faire-valoir de ce dernier.
b. Le ravalement de l'Assemblée nationale au rang de
faire-valoir du président de la République
En conséquence de ce qui vient d'être
analysé à savoir d'une part, le fait que les
députés de la majorité parlementaire n'exercent quasiment
pas leur droit d'initiative législative et d'autre part, le fait que
ceux de l'opposition -bien qu'ils l'exercent- voient leurs propositions
toujours rejetées, il découle le fait devenu habituel dans la
plupart des régimes politiques où Gouvernement et Parlement
collaborent à l'élaboration de la loi313 que la
plupart des lois qui sont adoptées à l'Assemblée nationale
proviennent de projets du président de la République ou du
Gouvernement.
Le fait que la plupart des lois votées à
l'Assemblée nationale provienne de projets de l'exécutif ne
serait pas grave en lui-même si ces lois faisaient l'objet -tout au long
de la procédure législative- de débats contradictoires,
d'une véritable délibération, d'amendements substantiels,
etc. Malheureusement, les projets de lois déposés par le
président de la
312 Catherine CLESSIS et al., Droit
constitutionnel, Paris, Montchrestien, 1995, pp. 47-48.
313 Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN,
op.cit., p. 423.
141
République font seulement l'objet d'une ratification
quasi-systématique à la fois en commission et en séance
plénière. En effet, les députés n'ont en fait ni la
possibilité de modifier le texte en commission -les membres du
Gouvernement s'y opposant très souvent et victorieusement- ni en fait
celle de rejeter le texte, le parti majoritaire disposant de la majorité
des sièges nécessaires à leur adoption : les textes
déposés par le président de la République sont par
conséquent purement et simplement entérinés en leur
état.
Cette situation a pu faire dire à certains que
l'Assemblée nationale -conçue pour être, dans un
régime présidentiel, un contrepoids au pouvoir du
président de la République- est devenue une caisse de
résonance de ce dernier.
A l'entrave politique posée aux propositions de lois
résultant, somme toute, d'un phénomène aléatoire
(le fait majoritaire), il faudrait également ajouter un
phénomène plus invariable, moins casuel, c'est-à-dire les
entraves institutionnelles.
B/ Les entraves institutionnelles spécifiques aux
propositions de lois émanant des députés de
l'opposition
Des entraves institutionnelles sont susceptibles d'être
posées à toutes les propositions de lois d'où qu'elles
émanent. Mais comme les députés de la majorité ont
abandonné leur droit d'initiative législative au président
de la République ainsi que nous l'avons vu, c'est contre les
propositions de lois émanant des députés de l'opposition
que seront opposées plus spécifiquement ces entraves
institutionnelles. Ce sont d'une part, les irrecevabilités (1) et
d'autre part, les autres types d'entraves institutionnelles (2).
1. Les irrecevabilités, entraves institutionnelles
majeures aux propositions de lois
Ce sont d'une part, l'irrecevabilité contre les
propositions susceptibles d'empiéter sur le domaine réglementaire
et d'autre part, l'irrecevabilité en matière
financière.
La première a été abondamment
étudiée jusqu'à maintenant. Il s'agit seulement de
rappeler, ici, qu'elle entrave les seules propositions de lois et les
amendements d'origine parlementaire. Elle ne concerne par conséquent
guère les projets de lois et les amendements
142
d'origine gouvernementale : ce qui serait d'ailleurs absurde
car il s'agirait en fait de chercher à protéger le
président de la République de lui-même314!
Si le président de l'Assemblée nationale est
bien d'accord, le président de la République pourrait
étouffer dans l'oeuf toutes les propositions de lois
déposées par les députés de l'opposition que ces
propositions soient ou non susceptibles d'empiéter sur le domaine
réglementaire, le but étant moins de protéger ce
domaine-là que d'annihiler toute démarche législative
émanant de l'opposition. Il serait intéressant de voir à
cet égard quelle serait l'attitude du Conseil constitutionnel : saisi
par l'opposition, pourrait-il manifester une réelle indépendance
à cette occasion et faire taire les critiques le jugeant à la
solde du président de la République315 ?
Le deuxième type d'irrecevabilité opposable aux
propositions de lois -spécifiquement celles qui émanent des
députés de l'opposition- concerne la matière
financière et sera étudié plus amplement dans les
développements suivants.
2. D'autres entraves institutionnelles aux propositions de
lois
D'autres entraves institutionnelles sont opposables aux
propositions de lois et elles méritent que l'on s'y penche même
si, évidemment, elles ne sont pas de la même importance que celles
qui découlent de la Constitution. Ces entraves procèdent en effet
du règlement de l'Assemblée nationale et sont prévues par
deux de ses dispositions : l'article 56.1 (a) et l'article 56.2316
(b).
a. L'article 56, alinéa 1 du règlement de
l'Assemblée nationale
Aux termes de l'article 56, alinéa 1 du
règlement de l'Assemblée nationale, toute proposition de loi qui
est repoussée par les députés ne peut être
réintroduite avant le délai de trois mois. Une telle entrave
tenant à une limite temporelle ne concerne évidemment que les
seules propositions de lois : si un projet de loi était repoussé,
il n'y aurait aucun empêchement
314 Si le président de la République
dépose lui-même un projet de loi empiétant sur le domaine
réglementaire, c'est dire qu'il consent, à n'en point douter,
à l'empiètement de la loi sur le domaine que la Constitution lui
a pourtant réservé (le domaine réglementaire).
315 Nous reviendrons sur le problème de
l'indépendance du Conseil constitutionnel, et plus
généralement du pouvoir judiciaire, à l'égard du
pouvoir exécutif dans la conclusion de notre travail.
316 C'est l'ancien article 54, alinéas 1 et 2 du
règlement de l'Assemblée nationale avant sa modification par la
résolution de 2006.
143
pour le président de la République de le
soumettre à nouveau à la délibération des
députés. Mais c'est là une hypothèse peu probable
de se produire en l'état actuel du fonctionnement du régime.
Cette disposition tire en réalité la conclusion
d'un fait : le rejet des propositions de lois des députés de
l'opposition. En effet, comme les députés de la majorité
parlementaire ne déposeront que très rarement des propositions de
loi pour les raisons précédemment évoquées, les
seules propositions de lois qui seront formulées le seront par les
députés de l'opposition. Le règlement de
l'Assemblée nationale interdit donc de réintroduire avant trois
mois une proposition de loi rejetée : il évite ainsi que les
députés de l'opposition ne harcèlent constamment
l'Assemblée nationale avec des propositions certes condamnées
à rester lettre morte mais dont le dépôt, l'envoi en
commission et la discussion en plénière pourraient
réellement gêner le travail de l'Assemblée nationale. Par
l'effet de l'article 56, alinéa 1 du règlement de
l'Assemblée nationale, les députés de l'opposition se
trouvent privés d'un certain moyen de harcèlement et de pression
à l'égard de la majorité parlementaire et partant du
président de la République317.
A cette première entrave institutionnelle
résultant du règlement de l'Assemblée nationale nous
devons en ajouter une deuxième : celle découlant de son article
56, alinéa 2.
b. L'article 56, alinéa 2 du règlement de
l'Assemblée nationale
Aux termes de l'article 56, alinéa 2 du
règlement de l'Assemblée nationale, la proposition de loi -et non
pas le projet de loi- sur laquelle l'Assemblée nationale ne s'est pas
prononcée devient caduque de plein droit à la clôture de la
deuxième session ordinaire qui suit celle au cours de laquelle elle a
été déposée. Mais elle peut être reprise en
l'état dans un délai d'un mois (art. 56, alinéa 3).
Les initiatives de l'Assemblée nationale ne sont pas
seulement bridées au plan législatif, elles le sont
également relativement à un domaine très sensible puisque
celui-ci conditionne toute la politique gouvernementale.
Paragraphe 2 : Au plan financier
317 On pourrait rapprocher une telle pratique du
filibustering ayant cours aux États-Unis, même s'il s'agit de
deux pratiques assez différentes.
144
Les initiatives parlementaires sont non seulement restreintes
en matière financière (A) mais également, et plus grave
encore, il existe un déficit évident du contrôle
parlementaire en cette matière (B).
A/ Les restrictions aux initiatives parlementaires en
matière financière
Ces restrictions résultent de la suppression de
principe de l'initiative parlementaire en matière de dépenses (1)
et de l'interdiction des cavaliers budgétaires (2).
1. La suppression de principe de l'initiative parlementaire en
matière de dépenses
Cette suppression est générale et absolue (a) et
sans possibilité de contestation pour les députés (b).
a. Une suppression générale et absolue (...)
La première restriction à l'initiative
parlementaire en matière financière résulte de l'article
78.2 de la Constitution aux termes duquel une irrecevabilité peut
être opposée aux propositions et amendements déposés
par les députés lorsque leur adoption aurait pour
conséquence soit une diminution des ressources publiques soit la
création ou l'aggravation d'une charge publique. Elle serait
justifiée par l'exigence constitutionnelle de voter le budget en
équilibre (art. 80.2 de la Constitution)318; on observera,
toutefois, que le même type d'irrecevabilité est consacré
en certains régimes politiques où il n'est pourtant pas
obligatoire de voter le budget en équilibre (art. 40 de la Constitution
française). D'autre part, il est à noter que
l'irrecevabilité dont il s'agit ne peut pas s'appliquer aux projets et
aux amendements du président de la République ou du
Gouvernement.
La Constitution ivoirienne -comparativement à l'article
17 de la Constitution française de 1946- a poussé dans un sens
plus général et plus absolu l'interdiction du droit d'initiative
parlementaire en matière financière et elle y a
procédé de trois manière : d'abord, en étendant
l'interdiction des propositions aux amendements ; ensuite, en visant à
la fois les propositions et amendements tendant à augmenter les
dépenses et ceux tendant à diminuer les recettes et enfin, en
décidant qu'elle vaut aussi bien pendant la discussion budgétaire
qu'en dehors de celle-ci.
318 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 209.
145
Seules les propositions et amendements tendant à
supprimer ou à réduire effectivement une dépense ou
à créer ou à accroître une recette seront alors
recevables319. Mais dès lors que la proposition ou
l'amendement est accompagné d'une proposition d'augmentation de recettes
ou d'économies équivalentes compensant ainsi la diminution des
recettes ou l'augmentation des dépenses, l'irrecevabilité ne joue
plus320.
Ce qui est toutefois grave en matière
d'irrecevabilité financière, c'est que les députés
ne disposent pas de la possibilité de contester la décision
d'irrecevabilité prononcée contre leurs propositions.
b. (...) sans possibilité de contestation à la
disposition des députés
La compétence pour soulever l'irrecevabilité
revient au président de la République -en pratique à ses
ministres- puisque l'irrecevabilité a pour objet de protéger le
projet de loi de finances contre une diminution de ressources publiques ou une
augmentation de charges publiques. Mais c'est du président de
l'Assemblée nationale que dépend la décision sur la
recevabilité ou l'irrecevabilité. Par conséquent, c'est
lui qui détermine la portée de l'article 78.2.
Mais si le président de l'Assemblée nationale
prend une décision et que celle-ci est contestée soit par les
députés ou la Commission des finances soit par le Gouvernement,
force est de reconnaître -puisque la Constitution garde le silence sur la
question- qu'il est inenvisageable que le Conseil constitutionnel puisse
être saisi. Dans ces conditions, il faut conclure que la décision
du président de l'Assemblée est sans recours : si celui-ci
décide de l'irrecevabilité, le texte ne peut recevoir aucune
suite et les députés ne peuvent que s'incliner et s'il la
déclare recevable, la procédure législative se poursuit et
le Gouvernement ne peut s'opposer au vote321.
Toutefois, le président de la République
conserve une dernière possibilité, très efficace. Il peut,
en effet, soumettre au Conseil constitutionnel la loi votée mais non
encore promulguée
319 C'est l'interprétation restrictive que donne
d'ailleurs l'article 42 de l'ancienne ordonnance organique française du
2 janvier 1959 de l'article 40 de la Constitution française du 4 octobre
1958.
320 Article 78 in fine de la Constitution du
1er juillet 2000. Cette atténuation de l'interdiction est
également consacrée par la plupart des Constitutions africaines
mais elle n'existe pas à l'article 40 de la Constitution
française. Cependant, en dehors même de l'hypothèse
où la proposition ou l'amendement serait accompagné d'une
compensation financière, il reste que les députés peuvent
toujours employer des moyens détournés pour faire échec
aux dispositions constitutionnelles : réductions indicatives de
crédits ou refus de discuter les crédits, etc.
321 Francis V. WODIÉ, op.cit., p. 209.
146
en vertu de l'article 95.2 de la Constitution. Le Conseil
constitutionnel statuera dès lors sur la constitutionnalité de
ladite loi au regard de l'article 78.2322 et sera ainsi
amené, de manière indirecte, à apprécier le
bien-fondé de la décision du président de
l'Assemblée nationale. En revanche, les députés contestant
la décision d'irrecevabilité du président de
l'Assemblée nationale ne disposent pas de la même faculté
puisque, naturellement, la décision d'irrecevabilité enterre
définitivement la proposition.
L'interdiction des cavaliers budgétaires prive par
ailleurs l'Assemblé nationale d'un moyen de pression sur le
président de la République.
2. L'interdiction des cavaliers budgétaires
Si l'interdiction des cavaliers budgétaires se justifie
au plan purement technique (a), il n'en reste pas moins qu'elle prive les
députés d'un moyen de pression sur le président de la
République et son Gouvernement (b).
a. Une mesure se justifiant sur le plan technique (...)
Toute mesure étrangère à l'objet d'une
loi de finances est un cavalier budgétaire323. L'objet d'une
loi de finances est fixé par la Constitution elle-même en son
article 71.1 disposant que : « les lois de finances déterminent
les ressources et les charges de l'État » et par la loi
organique du 05 juin 2014324 en son article 2 disposant que les lois
de finances déterminent, pour un exercice, la nature, le montant et
l'affectation des ressources et des charges de l'État et qu'elles
tiennent comptent d'un équilibre économique et financier qu'elles
déterminent sur la base des objectifs et des résultats des
programmes définis dans le cadre des missions de
l'État325. L'article 47 de la loi organique française
du 1er août 2001 maintient également la prohibition des
cavaliers budgétaires326. En cas de méconnaissance de
l'article 47 de ladite loi, la disjonction de la disposition non
financière du projet de loi de finances
322 Le Conseil constitutionnel français a d'ailleurs
déjà été appelé à rendre son
arbitrage en la matière dans sa décision du 20 janvier 1961, D.
1962, p. 177, note L. Hamon.
323
http://fr.jurispedia.org/index.php/,
consulté le dimanche 9 novembre 2014, à 13h 43.
324 Loi organique n° 2014-339 du 05 juin 2014 relative aux
lois de finances.
325 Voir également l'article 1er, al.
1er de la loi organique française du 1er
août 2001 relative aux lois de finances et l'article 40 de la directive
de l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine).
326 Cette loi (L.O.L.F.) abroge l'ordonnance organique du 2
janvier 1959.
147
soumis à l'examen du Conseil d'État est de droit
et le Conseil constitutionnel censure l'adjonction ou l'amendement
étranger à l'objet de la loi de finances
votée327.
Sur un plan purement technique, l'interdiction des cavaliers
budgétaires, tout comme celle plus générale des
amendements sans lien avec le texte en discussion, se justifie pleinement car
elle permet une certaine rationalité dans la procédure
législative (budgétaire). Tous les amendements ou adjonctions
dont on aura ainsi à connaître dans le débat
budgétaire devront nécessairement présenter un rapport
certain avec l'objet de la loi de finances ou ne pas être
étrangers, par leur nature, à celui-ci. De la sorte, on
évite un gonflement des projets de lois de finances, un allongement
inconsidéré des débats budgétaires et la loi de
finances adoptée reste conforme à son objet328.
Toutefois, l'interdiction des cavaliers budgétaires
-et, en passant, celle plus générale des amendements qui sont
sans rapport avec l'objet du texte auquel ils se rapportent- prive les
députés d'un véritable moyen de pression sur le pouvoir
exécutif.
b. (...) mais privant l'Assemblée nationale d'un moyen
de pression sur le pouvoir exécutif329
Sous les Républiques françaises
précédentes, les parlementaires inséraient dans la loi de
finances, sous forme d'amendements, des dispositions étrangères
à son objet afin de s'assurer de leur adoption. Le Gouvernement n'avait
d'autres choix que celui d'accepter ces dispositions puisqu'il lui importait
avant tout que le projet de loi de finances soit adopté. De la sorte,
les parlementaires pouvaient voir adoptées des mesures dont le
Gouvernement ne voulait pas et qu'il aurait, à d'autres occasions,
rejetées. Avec l'avènement de la Ve République
française et l'interdiction des cavaliers budgétaires par la
Constitution qui l'instaure -interdiction reprise dans la Constitution
ivoirienne- les parlementaires ne disposent
327 Le Conseil constitutionnel pourrait se fonder sur
l'article 47 de la loi organique du 1er août 2001 (art. 42 de
l'ancienne ordonnance organique du 2 janvier 1959).
328 Petit lexique parlementaire,
http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/lexique.asp,
consulté le dimanche 9 novembre 2014, à 12h 09.
329 « Toutes ces limitations juridiques du pouvoir
financier du parlement ont un seul et unique but, celui d'assurer la
prééminence du gouvernement dans le processus d'adoption de la
loi de finances. Elles sont d'ailleurs considérées comme
incontournables même dans les régimes les plus
démocratiques du monde occidental du fait de la technicité de
plus en plus grande des questions financières nationales et
internationales et du peu d'intérêt que suscite le débat
budgétaires chez les parlementaires » (Kossi SOMALI, Le
parlement dans le nouveau constitutionalisme en Afrique. Essai d'analyse
comparée à partir des exemples du Bénin du Burkina Faso et
du Togo, thèse droit public, Lille, Université du droit et
de la santé - Lille 2 (Ecole doctorale n° 74), 2008, p.
317-318).
148
plus d'une arme aussi efficace que les cavaliers
budgétaires en face du pouvoir exécutif qui leur permettaient de
faire passer en force des mesures importantes.
En plus des restrictions apportées aux initiatives
parlementaires en matière financière, il y existe
également un déficit criant de contrôle parlementaire.
B/ Le déficit de contrôle parlementaire en
matière financière
Les règles restrictives dont a fait l'objet le pouvoir
financier entraîne un déficit du contrôle parlementaire en
matière financière. Ce déficit résulte d'une part,
de l'insuffisance du délai de délibération sur le projet
de loi de finances (1) et d'autre part, de la restriction des principes
classiques du droit budgétaire gouvernant la présentation du
budget (2).
1. L'insuffisance du délai de délibération
sur le projet de loi de finances
Le délai court laissé à
l'Assemblée nationale se justifie par la nécessité
d'adopter le projet de loi de finances avant le début de l'exercice
budgétaire (a). Mais ce délai est illusoire pour examiner un
dossier aussi complexe que le projet de loi de finances (b).
a. Un délai destiné à assurer l'adoption
de la loi de finances avant le début de l'exercice budgétaire
En vertu de la règle de l'antériorité
exigeant que la loi de finances soit votée avant le début de
l'année budgétaire, la Constitution fait obligation à
l'Assemblée nationale, dès le dépôt du projet de loi
de finances le premier mardi du mois d'octobre, de se prononcer dans les
soixante-dix jours. Autrement dit, l'Assemblée nationale devra
émettre un vote au plus tard le 15 décembre330. Si
elle ne parvient pas à se prononcer aux termes de ce délai et
seulement au cas où elle ne se prononce pas331, elle est
dessaisie du pouvoir que lui confère la Constitution d'autoriser le
budget car le président de la République se trouve en mesure de
mettre en vigueur par ordonnance le projet de loi de finances (art. 80.3 de la
Constitution).
330 Cette date du 15 décembre est la limite
extrême du délai imparti à l'Assemblée nationale
mais elle peut varier en fonction de la date où tombe le premier mardi
d'octobre.
331 L'hypothèse dans laquelle l'Assemblée
nationale se prononcerait, mais rejetterait le projet de loi de finances ne
joue pas : le président de la République ne pourrait pas, dans ce
cas, mettre en vigueur le projet de loi de finances par ordonnance.
149
Dès lors, le pouvoir d'autorisation de
l'Assemblée nationale en matière financière devient au
cours d'une session extraordinaire convoquée à cet effet un
pouvoir de ratification de l'ordonnance budgétaire de mise en vigueur du
projet de loi de finances (art. 80.4).
Ce délai de soixante-dix jours est pourtant illusoire
pour l'examen d'un dossier aussi complexe que le projet de loi de finances.
b. Un délai illusoire pour l'examen d'un dossier aussi
complexe332
Il est illusoire de penser que l'Assemblée nationale
puisse se prononcer amplement sur le projet de loi de finances dans une
période aussi courte de soixante-dix jours.
Il faudrait alors changer de manière radicale le mode
des sessions parlementaires pour les adapter à l'examen des lois des
finances.
L'autre raison du déficit de contrôle
parlementaire en matière financière résulte de la
restriction des principes classiques du droit budgétaire dans la
présentation du budget.
2. La restriction des principes budgétaires dans la
présentation du budget de l'État
Les principes budgétaires ont un aspect politique
important au regard du contrôle parlementaire (a). Les
aménagements apportés à ces principes s'analysent pour
certains d'entre eux en une véritable restriction du pouvoir financier
du Parlement, c'est-à-dire une limitation de son contrôle sur le
budget de l'État333 (b).
a. Les incidences vertueuses du respect des principes
budgétaires sur le contrôle parlementaire
332 Les questions financières sont très
techniques et assez complexes pour les députés qui s'y
intéressent peu (Kossi SOMALI, op.cit., p. 319).
333 Georges Burdeau écrivait justement que : «
Historiquement, la compétence financière, spécialement le
consentement à l'impôt, a été la première
prérogative du Parlement. C'est pour obtenir des subsides que les rois
convoquèrent des assemblées représentatives et c'est pour
contrôler la politique du monarque qu'elles s'affirmèrent seules
habilitées à en fournir les moyens, c'est-à-dire les
deniers prélevés sur le patrimoine des contribuables »
(op.cit., p. 614). Le pouvoir financier est une arme
essentielle du Parlement en face de l'exécutif : par ce pouvoir
financier, il peut parvenir à contrôler toute la politique
gouvernementale. A contrario, la restriction de ce pouvoir financier
ne peut être que désavantageuse pour le Parlement dans ses
rapports avec le pouvoir exécutif, or c'est à cette situation que
l'on aboutit dans l'état actuel de notre droit et de celui de plusieurs
autres pays.
150
Le respect des principes budgétaires assure
l'efficacité du contrôle parlementaire sur l'exécution du
budget de l'État par les autorités gouvernementale et
administrative. Le principe d'annualité permet d'assurer
l'efficacité du contrôle parlementaire en imposant une
périodicité assez brève afin que soit respectée
l'obligation du consentement à l'impôt.
Le principe d'unité -exigeant que toutes les
opérations de dépenses et de recettes soient retracées
dans un document unique et que la loi de finances prévoie et autorise
l'ensemble des recettes et des charges de l'État- permet un
contrôle accru des députés sur les finances publiques par
la clarté de la présentation du budget (vérifier si le
budget est réellement en équilibre, éviter l'existence de
comptes hors-budget, mettre en évidence le volume total des
dépenses de l'État).
Le principe d'universalité -impliquant le rassemblement
en une seule masse de l'ensemble des recettes brutes sur laquelle doit
s'imputer l'ensemble des dépenses brutes-interdit la compensation des
dépenses et des recettes qui permettrait de dissimuler certaines charges
ou certaines dépenses aux députés334 et
l'affectation d'une recette déterminée à une
dépense déterminée.
Le principe de spécialité -imposant d'indiquer
précisément le montant et la nature des opérations
prévues par la loi de finances- permet au Parlement de limiter de
façon étroite la liberté d'action du pouvoir
exécutif et de contrôler en même temps toute la vie
administrative335.
Certains aménagements que subissent les principes
budgétaires constituent cependant de véritables atteintes au
contrôle parlementaire.
b. Les incidences négatives de certaines
dérogations aux principes budgétaires sur le contrôle
parlementaire
Certaines dérogations aux principes budgétaires
sont source d'insuffisance, d'inefficacité ou même d'absence pure
et simple de contrôle parlementaire. Une telle situation est grave car le
pouvoir financier de l'Assemblée nationale constitue une arme majeure
entre
334 Une caisse noire est une réserve d'argent, le plus
souvent illicite, servant à financer des actions souvent illicites
(l'enrichissement des personnalités publiques notamment). Pour
l'histoire de la caisse noire, voir Henri VINCENOT, La vie quotidienne dans
les chemins de fer au XIXe siècle, pp. 53-54.
335 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 622.
151
ses mains dans ses rapports avec le Président et
l'administration336. Le principe d'unité n'est pas ainsi
toujours respecté. Ce sont surtout les comptes spéciaux qui
permettent d'égarer le contrôle parlementaire puisque,
précisément, ils retracent des opérations de recettes et
de dépenses effectuées hors du budget
général337. Concernant la
débudgétisation, elle peut se faire soit en reportant certaines
des dépenses que l'État supportait jusque-là vers les
budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor -dans ce cas,
le contrôle parlementaire est toujours possible car les dépenses
restent dans les comptes publics- soit en reportant certaines dépenses
vers des personnes morales privées ou publiques, auquel cas le
contrôle parlementaire devient impossible338.
Les dérogations au principe d'universalité ont
pour conséquence directe de permettre que certaines dépenses et
certaines recettes de l'État ne soient pas soumises aux
députés et échappent ainsi à tout contrôle
parlementaire.
Quant au principe de spécialité, il n'est
qu'imparfaitement respecté notamment en ce qui concerne les services
votés. Les crédits relatifs à ces services sont en effet
reconduits par un vote global et unique339. L'Assemblée
nationale n'exerce par conséquent un contrôle
détaillé que sur les mesures nouvelles qui ne représentent
qu'une part relativement réduite de la masse budgétaire, les
services votés représentant la plus grande partie de celle-ci.
336 L'ineffectivité ou l'inefficacité du
contrôle parlementaire qu'elles résultent du fait institutionnel
(ineffectivité ou inefficacité résultant des textes) ou du
fait politique (ineffectivité ou inefficacité résultant,
au contraire, du fait que l'Assemblée nationale, depuis
l'indépendance, a été rarement autre chose qu'une «
caisse de résonnance ») est très grave : il faut en effet y
voir la cause, avec le manque d'indépendance véritable de la
justice, des nombreuses malversations et gabegies financières
constatées au plus haut sommet de l'État. S'il n'est possible ni
pour l'Assemblée nationale de « regarder dans la bouche du
grilleur d'arachides » ni pour la justice de sanctionner ce dernier,
le développement économique et social tant souhaité dans
les discours politiques tardera à devenir une réalité.
337 Georges BURDEAU, op.cit., p. 635.
338 La débudgétisation va parfois encore plus
loin ; il arrive en effet que l'État fasse peser sur d'autres personnes
morales que lui le financement de certaines dépenses qu'il avait coutume
d'assurer. Le Conseil constitutionnel contrôle toutefois cette
pratique.
339 Déjà à l'étape de la
préparation du document budgétaire par le ministre de
l'économie et des finances sur délégation du
président de la République, étape antérieure au
vote à l'Assemblée nationale, l'évaluation
prévisionnelle des dépenses et des recettes publiques se fait par
la méthode du calcul des « services votés » qui
consiste à prendre pour base le budget antérieurement
exécuté auquel il est ajouté les « mesures acquises
» représentées par une diminution des crédits en cas
de suppression par l'État de charges exceptionnelles.
CONCLUSION
153
Il semble qu'un certain équilibre soit respecté
entre les différents organes de l'exécutif et du
législatif ivoiriens. Cet équilibre se manifeste, d'abord, par un
partage des compétences normatives entre le président de la
République et l'Assemblée nationale. L'un et l'autre disposent,
en effet, d'une compétence normative propre : le président de la
République du pouvoir réglementaire et l'Assemblée
nationale du pouvoir de faire des lois340. Ce partage des
compétences normatives est par ailleurs sanctionné,
c'est-à-dire que ni le président de la République ni
l'Assemblée nationale ne peuvent, en principe, intervenir en dehors de
leurs domaines de compétences respectifs341 ; s'ils le
faisaient, cette irrégularité s'exposerait notamment à une
déclaration d'annulation -en ce qui concerne les décrets
réglementaires- ou à une déclaration
d'inconstitutionnalité -en ce qui concerne les lois342. Mais,
comme il est également nécessaire que les organes exécutif
et législatif ne soient pas isolés en ce que cela comporterait
des risques de paralysie, la Constitution a prévu, en de nombreux
domaines, une collaboration étroite entre eux343. C'est sur
ce plan que se manifeste, ensuite, l'équilibre des pouvoirs
exécutif et législatif. Cette collaboration part de la
matière des prérogatives d'initiative (en matière de
sessions extraordinaires du Parlement, d'initiatives législative et de
révision constitutionnelle), à celle des situations
exceptionnelles (état de siège et état d'urgence), du
référendum législatif et des engagements
internationaux344.
Il apparaît plus fondamentalement, cependant, que
l'équilibre entre le président de la République et
l'Assemblée nationale soit plus apparent, plus formel que réel.
L'hégémonie du pouvoir exécutif -du président de la
République- et l'abaissement corrélatif du pouvoir
législatif -de l'Assemblée nationale- le montrent clairement. La
première se traduit, en premier lieu, par le droit d'information et le
pouvoir d'intervention dont dispose le président de la République
à l'égard de l'Assemblée nationale. Concernant le droit
d'information, le Chef de l'État tient un droit d'information sur le
bureau et la conférence des présidents d'une
340 Le partage des compétences normatives est
opéré par les articles 71 et 72 de la Constitution. La
compétence normative du président de la République
établie en vertu de l'article 72, qu'il faut distinguer de sa
compétence de mise en application des lois (art. 44), est un pouvoir
autonome, indépendant, c'est-à-dire qu'elle n'est pas soumise
à la loi ; ce pouvoir réglementaire rivalise avec le pouvoir
législatif, il est maître en son domaine.
341 Il est toutefois possible au président de la
République d'intervenir dans le domaine législatif en accord avec
l'Assemblée nationale (art. 75) ou sans l'accord de celle-ci (art.
48).
342 C'est la chambre administrative de la Cour suprême
qui peut déclarer la nullité des actes réglementaires du
président de la République, tandis que la déclaration
d'inconstitutionnalité des lois revient au Conseil constitutionnel.
343 L'aspect de la collaboration entre les pouvoirs
exécutif et législatif l'emporte clairement, dans le
schéma constitutionnel ivoirien, sur l'aspect de leur isolement
réciproque.
344 L'aspect de l'équilibre entre les pouvoirs
exécutif et législatif a fait l'objet de toute la première
partie de notre développement.
154
part et sur les travaux des commissions parlementaires d'autre
part. Concernant le pouvoir d'intervention, il s'étend au domaine
législatif par le droit de veto présidentiel sur les lois
votées à l'Assemblée nationale et au domaine
budgétaire par l'établissement du projet de loi de finances par
ordonnance345. L'hégémonie du président de la
République prend un caractère plus extrême, en second lieu,
lorsqu'il en vient à se substituer purement et simplement à
l'Assemblée nationale dans la fonction législative par la mise en
oeuvre de l'article 48346. Quant à l'abaissement des pouvoirs
de l'Assemblée nationale -seconde manifestation du
déséquilibre, cela empêche qu'elle fasse efficacement
contrepoids aux pouvoirs énormes du président de la
République. La faiblesse de ses pouvoirs provient, d'abord, de ce
qu'elle est strictement cantonnée dans un domaine d'action étroit
: la manière dont sont délimitées ses compétences
l'oblige à ne se mouvoir que dans un espace assez
restreint347 et, même à l'intérieur de cet
espace, elle n'est guère à l'abri des empiètements du
président de la République, car les mécanismes de
protection des compétences présentent un caractère
unilatéral (les compétences du Président sont très
bien protégées et celles de l'Assemblée nationale le sont
beaucoup moins)348. Elle provient, ensuite, de ce que les
initiatives dont dispose l'Assemblée nationale sont bridées : au
plan législatif, il existe à la fois des entraves politiques aux
propositions des députés de la majorité et de l'opposition
et des entraves institutionnelles consistant essentiellement à des
irrecevabilités opposables aux propositions faites par tout
député, et particulièrement aux députés de
l'opposition ; au plan financier, des restrictions sont apportées aux
initiatives parlementaires et il y a un déficit de contrôle
parlementaire en matière financière349.
Il était ainsi nécessaire de se pencher sur le
problème de l'équilibre des pouvoirs exécutif et
législatif. En effet, cela a permis de nous rendre compte de la
complexité de la nature du régime politique ivoirien,
régime à mi-chemin entre le régime parlementaire et le
345 La demande de seconde délibération est, en
effet, un véritable droit de veto aux mains du président de la
République (art. 42) et, en matière budgétaire, le
Président a la faculté, sous certaines conditions, de dessaisir
l'Assemblée nationale du vote de la loi de finances (art. 80).
346 Inutilisés sous la première
République (art. 19 de la Constitution de 1960), les pouvoirs
exceptionnels le seront, pour la première fois de notre histoire
constitutionnelle, pendant la crise politico-militaire (2002-2010), par le
Président L. Gbagbo. Les décisions prises en vertu de l'article
48 de la Constitution auront notamment permis à tous les signataires de
l'accord politique de Linas-Marcoussis de se présenter aux
élections présidentielles de 2010.
347 Le fait pour les auteurs de la Constitution d'avoir
défini un domaine de compétences duquel le Parlement ne peut pas
sortir (art. 71 et autres), porte incontestablement atteinte, comme a pu le
soutenir un auteur, aux prérogatives de la représentation
nationale.
348 Les auteurs de la Constitution de 2000 ne se sont pas, en
effet, particulièrement préoccupés de la protection du
domaine législatif ; celle-ci ne peut ainsi se faire que par des voies
détournées, indirectes.
349 C'est la deuxième partie de notre
développement relative au déséquilibre réel entre
les pouvoirs exécutif et législatif.
155
régime présidentiel ou, plus simplement,
régime de confusion des pouvoirs au profit du président de la
République. La question est toutefois loin d'être tranchée,
d'autant plus que la pratique sous la seconde République, et pas plus
que sous la première du reste, ne nous a guère encore
donné l'occasion de voir fonctionner les institutions dans le
schéma d'une non-coïncidence entre majorité
présidentielle et majorité parlementaire : si le Président
se trouvait en présence d'une Assemblée nationale dominée
par l'opposition, les rapports entre lui et l'Assemblée nationale
pourraient se rééquilibrer, voire tourner à l'avantage de
cette dernière350. Dès lors, le
présidentialisme consacré dans la Constitution elle-même
pourrait, à l'épreuve de la pratique de la cohabitation entre un
Président et une Assemblée opposés, s'atténuer
fortement. C'est dire que le régime politique dont les auteurs de la
Constitution de 2000 ont voulu doter la Côte d'Ivoire est peut-être
plus fonction des liens politiques réels entre le président de la
République et le parti majoritaire à l'Assemblée nationale
que d'une simple lecture (théorique) de la Constitution351.
Quoiqu'il en soit, il y a un intérêt pratique certain à
résoudre la difficulté : l'édification d'un État de
droit -et par ricochet l'essor économique et social- est intimement
liée à une séparation effective des pouvoirs, à un
équilibre satisfaisant entre eux352.
Le déséquilibre des pouvoirs au profit du
président de la République peut être, en effet, source de
risques pour le régime établi par la Constitution : puisque le
Président dispose de presque tous les pouvoirs sans contrepoids efficace
à sa prééminence -le pouvoir judiciaire ne constitue
même pas, en réalité, un contrepoids- il pourrait
aisément faire un putsch contre les pouvoirs publics constitutionnels.
Nous pensons, en particulier, à cet article 48 qui lui permet
d'accaparer tous les pouvoirs sans -en réalité- aucun
contrôle ni politique ni juridictionnel353. Il conviendrait,
dès lors, de procéder -par la voie d'une révision
constitutionnelle ou de l'établissement d'une nouvelle Constitution-
à un rééquilibrage dans les rapports qu'entretiennent le
Président et l'Assemblée, en dotant celle-ci de pouvoirs plus
renforcés. La limitation du nombre de mandats présidentiels est,
déjà, une atténuation de la grande
350 Une telle hypothèse n'est guère gratuite ;
si elle ne s'est pas encore produite, c'est en raison du système de
parti unique (1960-1990) et, après 1990, de la fraude électorale
assurant à l'ex-parti unique la quasi-totalité des sièges
(1990-1999) ou encore du boycott des élections législatives par
des partis politiques significatifs (boycott par le R.D.R. des
législatives de 2000 et boycott par le F.P.I. de celles de 2011).
351 Les liens politiques réels entre le
Président et l'Assemblée sont très déterminants.
Ils expliquent, en effet, pourquoi les députés n'usent pas de
moyens de contrôle pourtant efficaces sur l'action gouvernementale. Il
s'agit notamment des moyens d'information (les questions orale et écrite
et la commission d'enquête) et du vote de résolutions de
recommandations au Gouvernement consacrés à l'article 82.
352 Boutros BOUTROS-GHALI, L'interaction entre
démocratie et développement, op.cit., rapport de
synthèse publié par l'Organisation des Nations Unies pour
l'éducation, la science et la culture (UNESCO), 2003, p. 10-13.
353 Maurice DUVERGER, op.cit., p. 539-540.
156
puissance du Président : celui-ci a d'énormes
pouvoirs, mais pour un temps limité, sous peine d'aboutir à un
pouvoir personnel et dictatorial354. Mais cette limitation est
insuffisante, car les risques demeurent pendant l'exercice du mandat
présidentiel.
Mais, un rééquilibrage même profond des
seuls rapports entre le Président et l'Assemblée ne suffirait
pas. Il faudrait également prendre en compte cette nouvelle
séparation des pouvoirs qui ne se fait plus, dans les faits, entre les
pouvoirs exécutif et législatif, mais entre le pouvoir
d'État et le pouvoir tribunicien : la majorité (le pouvoir
d'État) possède à la fois le pouvoir exécutif pour
gouverner et le pouvoir législatif pour légiférer tandis
que l'opposition (le pouvoir tribunicien) ne peut pas empêcher les
titulaires du pouvoir d'État de prendre des décisions, des
décrets et d'adopter les lois qu'ils veulent355. De ce fait,
il faudrait, là encore, pour rééquilibrer le pouvoir de
gouverner-légiférer aux mains d'un même parti,
institutionnaliser et renforcer les prérogatives du parti ou de la
coalition de l'opposition356.
D'autre part, il faudrait également assurer une
indépendance effective du pouvoir judiciaire357 et du Conseil
constitutionnel. Concernant le Conseil constitutionnel plus
spécifiquement, il est incompréhensible qu'une institution aussi
importante dans la vie institutionnelle et politique nationale358
soit aussi inféodée au président de la République
et aux autres organes de la majorité qui en choisissent tous les
membres, y compris son président359! Il faudrait, par
conséquent, transformer ce Conseil constitutionnel en une
354 La prépondérance du président de la
République dans les schémas constitutionnels africains
conjuguée avec la difficile pratique de la démocratie impose, ici
plus qu'ailleurs, non seulement une limitation du nombre de mandats
présidentiels dans les textes mais également la renonciation, de
la part des Présidents africains, à des modifications
intempestives des dispositions constitutionnelles relatives à une telle
limitation. Les réactions vigoureuses, au sein de la
société civile, de l'opposition politique ou même de
l'armée, à ces manipulations de la Constitution à des fins
de présidences à vie sont alors compréhensibles. Comment
ne pas penser, à cet effet, à la destitution du Président
nigérien, Mamadou Tandja, par l'armée en 2010 et, plus
près de nous encore, à la formidable révolution populaire
burkinabè du 31 octobre 2014 qui a mis fin à 27 ans de pouvoir
autocratique et monarchisant du Président Blaise Compaoré ?
355 Maurice DUVERGER, Echec au Roi, Paris, Albin Michel,
1978, p. 298 et s.
356 On pourrait, suivant en cela l'exemple tunisien, accorder
de plein droit à l'opposition la présidence de la Commission des
finances ou le poste de rapporteur au sein de la Commission des relations
extérieures (art. 60 de la Constitution tunisienne).
357 La promesse du candidat A. Ouattara à la veille du
second tour de l'élection présidentielle de 2010 relativement au
Conseil supérieur de la magistrature : il avait, dans le débat
qui l'opposa au candidat L. Gbagbo, critiqué le fait que la
présidence de ce Conseil soit assurée par le président de
la République (art. 104 de la Constitution).
358 Le Conseil constitutionnel est en effet juge de la
constitutionnalité des lois et l'organe régulateur du
fonctionnement des pouvoirs publics (art. 88 de la Constitution).
359 En dehors des membres de droit qui sont les anciens
présidents de la République, tous les conseillers
constitutionnels sont choisis pour moitié par le président de la
République et pour l'autre moitié par le président de
l'Assemblée nationale (art. 89) ; le président de l'institution
est, en outre, nommé par le président
157
véritable juridiction rendant des décisions en
droit et indépendante des autorités politiques : le Conseil
constitutionnel doit devenir une Cour constitutionnelle à l'image de
celles qui exercent un contrôle de constitutionnalité dans de
nombreux États africains360.
de la République (art. 90). Comment ne pas penser,
à cet égard, à la crise postélectorale de 2010-2011
et au discrédit jeté sur le Conseil constitutionnel suite
à sa proclamation successive et contradictoire de deux vainqueurs du
second tour de la présidentielle de 2010 ?
360 Robert BADINTER, « Une longue marche : du Conseil
constitutionnel à la Cour constitutionnelle », in Nouveaux
Cahiers du Conseil, cahier n° 25, août 2009. Au Niger par
exemple, les sept membres de la Cour constitutionnelle sont nommés par
décret du président de la République (pour six ans non
renouvelables), mais celui-ci ne peut en proposer qu'un seul tandis que les six
autres membres sont désignés comme suit : un proposé par
le bureau de l'Assemblée nationale, deux magistrats élus par
leurs pairs, un avocat élu par ses pairs, un enseignant-chercheur
titulaire d'un doctorat en droit public élu par ses pairs et un
représentant des associations de défense des droits humains et de
promotion de la démocratie, titulaire au moins d'un diplôme de
3e cycle en droit public élu par les collectifs de ces
associations (art. 121 de la Constitution nigérienne). Par ailleurs, le
président de l'institution est élu par ses pairs pour une
durée de trois ans renouvelable (art. 123).
BIBLIOGRAPHIE
I. Ouvrages
A. Ouvrages généraux
V' ACKA Sohuily Félix, Droit administratif
général, Abidjan, collection mémo-collection, 2004,
296 p.
V' BRAUD Philippe, Science politique : la
démocratie politique, Paris, Seuil, tome I, 2003, 242 p.
V' BURDEAU Georges, Droit constitutionnel et
institutions politiques, 18e éd., Paris, L.G.D.J., 1977,
690 p.
V' CARRÉ DE MALBERG Raymond, Contribution
à la théorie générale de l'État, Paris,
Dalloz, rééd. 2004, 1475 p.
V' CHANTEBOUT Bernard, Droit constitutionnel,
29e éd., Paris, Sirey, 2012, 656 p.
V' CLESSIS Catherine et al., Droit
constitutionnel, Paris, Montchrestien, 1997, 367 p.
V' COMBACAU Jean et SUR Serge, Droit
international public, 10e éd., Paris, Montchrestien,
2012, 820 p.
V' COULIBALY Alban Alexandre, Le système
politique ivoirien : de la colonie à la IIe République,
Abidjan, L'Harmattan, 2010, 178 p.
V' DAILLIER Patrick et al., Droit
international public, 8e éd., Paris, L.G.D.J., 2009,
1709 p.
II
V' DEGNI-SEGUI René, Droit administratif
général : l'organisation administrative, 4e éd.,
Abidjan, NEI-CEDA, tome I, 2013, 272 p.
V' DEGNI-SEGUI René, Droit administratif
général : l'action administrative, 4e éd.,
Abidjan, NEI-CEDA, tome II, 2013, 446 p.
V' DEGNI-SEGUI, Droit administratif
général : le contrôle juridictionnel de
l'administration, 4e éd., Abidjan, NÉI-CEDA, tome
III, 2013, 303 p.
V' DEGNI-SEGUI René, Introduction au
droit, Abidjan, EDUCI, 2009, 383 p.
V' DEGNI-SEGUI René, Les droits de l'homme
en Afrique noire francophone (théories et réalités),
Abidjan, CEDA, 2001, 344 p.
V' DUBOIS Louis et PEISER Gustave, Droit
public, 20e éd., Paris, Dalloz, 2011, 320 p.
V' DUVERGER Maurice, Échec au roi,
Paris, Albin Michel, 1977, 249 p.
V' DUVERGER Maurice, Institutions politiques et
droit constitutionnel, 10e éd., Paris, P.U.F., 1968, 808
p.
V' GICQUEL Jean et GICQUEL Jean-Éric,
Droit constitutionnel, 26e éd., Paris,
Montchrestien, 2012, 882 p.
V' GONIDEC Pierre-François et
GLÉLÉ Maurice (sous la dir.), Encyclopédie juridique
de l'Afrique, Abidjan-Dakar-Lomé, Les Nouvelles éditions
africaines, tome I, L'État et le droit, 1989, 477 p.
V' HAMON Francis et TROPER Michel, Droit
constitutionnel, 33e éd., Paris, L.G.D.J., 2012, 908
p.
V' KOBO Pierre-Claver, Droit administratif
général, Abidjan, Les éditions ABC, tomes I et II,
2004, 114 p.
III
V' LATH Yédoh Sébastien,
Systèmes politiques contemporains (Systèmes politiques
étrangers. Système politique ivoirien), Abidjan, ABC, 2013,
308 p.
V' LAVROFF Dmitri-Georges et PEISER Gustave, Les
Constitutions africaines : l'Afrique occidentale, Paris, A. Pédone,
1961, 391 p.
V' MÉLÈDJE DJÉDJRO Francisco,
Droit constitutionnel, 8e éd., Abidjan, ABC
éditions, 2008, 365 p.
V' MESCHERIAKOFF Alain-Serge, Le droit
administratif ivoirien, Paris, Economica, 1982, 247 p.
V' MONTESQUIEU Charles-Louis de Secondat, De
l'esprit des lois, Paris, Flammarion, tome I, 1999, 510 p.
V' MONTESQUIEU Charles-Louis de Secondat, De
l'esprit des lois, Paris, Flammarion, tome II, 1999, 638 p.
V' NANDJUI Danho Pierre, La
prééminence constitutionnelle du président de la
République en Côte d'Ivoire, Abidjan, L'Harmattan, 2004, 164
p.
V' NANDJUI Danho Pierre, Connaissance du
Parlement ivoirien, Abidjan, L'Harmattan, 2000, 84 p.
V' OULAYE Hubert, Droit constitutionnel et
institutions politiques, Fascicule université de Cocody, 1996, 218
p.
V' OURAGA Obou, Droit constitutionnel et science
politique, 3e éd, Abidjan, Les éditions ABC,
2007, 314 p.
V' PACTET Pierre et MELIN-SOUCRAMANIEN Ferdinand,
Institutions politiques et droit constitutionnel, 31e
éd., Paris, Dalloz-Sirey, 2012, 640 p.
V' PRÉLOT Marcel et BOULOUIS Jean,
Institutions politiques et droit constitutionnel, 11e
éd., Paris, Dalloz, 1990, 944 p.
V' QUERMONNE Jean-Louis et CHAGNOLLAUD Dominique,
Le gouvernement de la France sous la Ve République,
4e éd., Paris, Dalloz, 1991, 719 p.
V' RIVERO Jean, Libertés publiques,
6e éd., Paris, P.U.F., tome 1, Les droits de l'homme, 1991,
318 p.
V' ROY Maurice-Pierre, Les régimes
politiques du tiers-monde, Paris, L.G.D.J., 1977, 615 p.
V' SCHMITT Carl, Théorie de la
Constitution, traduit de l'allemand par Lilyane Deroche (titre de
l'original : Verfassungslehre), Paris, P.U.F., 1993, 576 p.
V' WODIÉ Francis Vangah, Institutions
politiques et droit constitutionnel, Abidjan, PUCI, 1996, 625 p.
B. Ouvrages spécialisés
V' AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, Droit
parlementaire, 4e éd., Paris, Montchrestien, 2010, 482
p.
V' ODENT Raymond, Contentieux administratif,
Paris, Dalloz-Sirey, tome I (fascicules 1 à 3), 2007, 1051 p.
V' ROUSSEAU Dominique, Droit du contentieux
constitutionnel, 9e éd., Paris, Montchrestien, 2010, 586
p.
iv
II. Articles
V
V' AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, « Chronique
constitutionnelle française », Pouvoirs, n° 125,
2007, pp. 159-184.
V' BADINTER Robert, « Une longue marche : du
Conseil constitutionnel à la Cour constitutionnelle », Nouveaux
cahiers du Conseil constitutionnel, cahier n° 25, août
2009 (
http://www.conseil-constitutionnel/français/nouveaux-cahiers-du- conseil/cahier-n-25/une-longue-marche-du-conseil-onstitutionnel-a-la-cour-constitutionnelle.51690.html,
consulté le 14 février 2015, à 20h00).
V' BLÉOU Martin Djézou, « Le
système constitutionnel ivoirien », in Common law et
Constitutions d'Afrique et d'Haïti, Université de Moncton,
Canada, 1996, p. 114.
V' BOGNON René Djénoan, « La
situation de Côte d'Ivoire : présidentialisme et
représentation nationale », in Les nouvelles Constitutions
africaines . la transition démocratique, Henri Roussillon (dir.),
Toulouse, Presse de l'IEP de Toulouse, 1995, p. 87-99.
V' COHEN Alain-Gérard, « La jurisprudence
du Conseil constitutionnel relative au domaine de la loi d'après
l'article 34 de la Constitution », Revue de droit public, 1963,
n° 4, p. 767.
V' CONAC Gérard, « Pour une
théorie du présidentialisme. Quelques réflexions sur les
présidentialismes latino-américains », in
Mélanges offerts à Georges Burdeau . le pouvoir, Paris,
L.G.D.J., 1977, pp. 115-148.
V' DEBRÉ Michel, « La Constitution de
1958, sa raison d'être, son évolution », Revue
française de science politique, n° 5, 1978, pp. 817-839.
V' DIOMANDÉ Aboubacar Sidiki, « Le
régime politique ivoirien : un régime en marge des
catégories traditionnelles », Revue de la recherche juridique
droit prospectif, 2003-3, pp. 1453-1471.
vi
V' DOSSO Karim, « Le Premier ministre dans la
crise ivoirienne », Revue de la recherche juridique droit
prospectif, 2008-4, n° 124, pp. 2369-2394.
V' DOSSO Karim, « Les pratiques
constitutionnelles dans les pays d'Afrique noire francophone :
cohérences et incohérences », Revue française de
droit constitutionnel, 2012/2 n° 90, pp. 57-85.
V' FALL Alioune Badara, « La charte africaine
des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et
régionalisme », Pouvoirs, n° 129, 2009, pp.
77-100.
V' FAVOREU Louis, « Les règlements
autonomes n'existent pas », Revue française de droit
administratif, 1987, pp. 871 et s.
V' GAUDUSSON Jean Du Bois De, « Le
mimétisme postcolonial, et après ? », Pouvoirs,
n° 129, 2009, pp. 45-55.
V' GICQUEL Jean, « Le présidentialisme
négro-africain : l'exemple camerounais », in Mélanges
offerts à Georges Burdeau : le pouvoir, Paris, L.G.D.J., 1977, pp.
701-725.
V' LATH Yédoh Sébastien, « La
pérennisation du présidentialisme dans les États d'Afrique
: les repères d'un modèle africain de régime politique
», communication au colloque international de Cotonou portant sur la
Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle
pour l'Afrique ? Colloque organisé les 8, 9 et 10 août
2012.
V' LUCHAIRE François, « Le Conseil
constitutionnel et la protection des droits et des libertés du citoyen
», in Mélanges offerts à Marcel Waline : le juge et le
droit public, Paris, L.G.D.J., 1974, p. 572 et s.
V' MAMBO Paterne, « Les rapports entre la
Constitution et les accords politiques dans les États africains :
réflexions sur la légalité constitutionnelle en
période de crise », McGill Law Journal/Revue de droit de
McGill, vol. 57, n° 4, 2012, pp. 921-952.
VII
V' MATHIEU Bertrand, « La part de la loi, la
part du règlement. De la limitation de la compétence
réglementaire à la limitation de la compétence
législative », Pouvoirs, 2005/3, n° 114, pp.
73-87.
V' MEL Agnéro Privat, « La
réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif
ivoirien », Revue française de droit constitutionnel,
2008/3, n° 75, pp. 513-549.
V' MÉLÈDJE DJÉDJRO Francisco,
« Faire et défaire la Constitution en Côte d'Ivoire, un
exemple d'instabilité chronique », Draft paper presented at
African Network of Constitutionnal Law conference on Fostering
Constitutionnalism in Africa, Nairobi, avril 2007, 25 p.
V' MÉLÈDJE DJÉDJRO Francisco,
« Le contentieux électoral en Afrique », Pouvoirs,
n° 129, 2009, pp. 139-155.
V' MILLARD Éric, « Le modèle
français : deux formes de présidentialisation du régime
parlementaire », in Teoria Politica, 2013, pp. 211-231.
V' MODERNE Franck, « Les avatars du
présidentialisme dans les États latino-américains »,
Pouvoirs, n° 98, 2001/3, pp.63-87.
V' N'DRI-THÉOUA Pélagie, «
Constitutions et démocraties en Côte d'Ivoire », Revue
ivoirienne de sciences juridiques et politiques, n° 1, 2014, p.
43-72.
V' SINDJOUN Luc, « Le Gouvernement de transition
: éléments pour une théorie politico-constitutionnelle de
l'État en crise ou en reconstruction », in Mélanges en
l'honneur de Slobodan Milacic, Démocratie et liberté : tension,
dialogue, confrontation, Bruylant, 2008, p. 967-1011.
V' TANO Félix, « Constitutionnalisme et
urgence budgétaire à l'épreuve des crises politiques
», Revue juridique et politique des États francophones,
n° 2, avril-juin 2011, p. 147-150.
VIII
III. Thèses de doctorat et mémoire de
D.É.A
A. Thèses de doctorat
V' BLÉOU Martin Djézou, Le
Président de la République ivoirienne, Thèse de
doctorat d'État, Faculté de droit, Nice, 12 juillet 1984, 412
p.
V' BOUGRAB Jeannette, Aux origines
constitutionnelles de la IVe République, Thèse
droit public, Paris, Dalloz, 2002, 768 p.
V' DOSSO Karim, L'influence du droit administratif
français sur le droit administratif ivoirien, Thèse droit
public, Abidjan, Université de Cocody, 2006, 356 p.
V' EHUENI Innocent Manza, Les accords politiques
dans la résolution des conflits armés internes en Afrique,
Thèse droit public, La Rochelle, Université de La Rochelle, 2011,
719 p.
V' KOUROUMA Mamadi, Étude du
présidentialisme en Afrique noire francophone à partir des
exemples guinéen et ivoirien, Thèse droit public, Paris,
Université de droit, d'économie et de sciences sociales (Paris
2), 1978, 410 p.
V' LATTE Wesley Okon, La fonction
législative en Côte d'Ivoire : processus législatif et
production législative, Thèse droit public, Bordeaux,
Université Bordeaux 4, 1996, 632 p.
V' N'GUESSAN Assi Georges, Le système
constitutionnel ivoirien, Thèse d'État en droit,
Montpellier, Université de Montpellier 1, 1983, 415 p.
V' SOMALI Kossi, Le parlement dans le nouveau
constitutionnalisme en Afrique. Essai d'analyse comparée à partir
des exemples du Bénin, du Burkina Faso et du Togo, Thèse
droit public, Lille, Université du Droit et de la Santé - Lille 2
(École doctorale n° 74), 2008, 495 p.
ix
B. Mémoire de D.É.A
V' COSSALTER Philippe, Les grands arrêts de la
jurisprudence administrative, Mémoire pour le D.E.A. en droit
public, Paris, Université Panthéon-Assas (Paris II), 1999, 167
p.
IV Recueils de jurisprudence
V' BLÉOU Martin Djézou, Les grands
arrêts de la jurisprudence administrative ivoirienne, Abidjan, CNDJ,
2014, 484 p.
V' BONICHOT Jean-Claude et al., Les grands
arrêts du contentieux administratif, 3e éd.,
Paris, Dalloz, 2011, 1378 p.
V' FAVOREU Louis et PHILIP Loïc, Les grandes
décisions du Conseil constitutionnel, 16e éd.,
Paris, Dalloz, 2011, 591 p.
V' LONG Marceau et al., Les grands
arrêts de la jurisprudence administrative, 17e
éd., Paris, Dalloz, 2009, 980 p.
V' MÉLÈDJE DJÉDJRO Francisco,
Les grands arrêts de la jurisprudence constitutionnelle
ivoirienne, Abidjan, CNDJ, 2014, 671 p.
V' SINDJOUN Luc, Les grandes décisions de la
justice constitutionnelle africaine. Droit constitutionnel jurisprudentiel au
prisme des systèmes politiques africains, Bruxelles, Bruylant,
2009, 598 p.
V. Lexiques et vocabulaire juridiques
X
V' AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, Lexique de droit
constitutionnel, 4e éd., Paris, Que sais-je ? n°
3655, P.U.F., 2013, 128 p.
V' CORNU Gérard, Vocabulaire juridique,
9e éd., Paris, PUF, 2011, 1095 p.
V' GUILLIEN Raymond et VINCENT Jean, Lexique des
termes juridiques, 14e éd., Paris, Dalloz, 2003, 619
p.
xi
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS v
SOMMAIRE vii
INTRODUCTION 1
I. DÉLIMITATION DU SUJET 3
II. DÉTERMINATION DU PROBLÈME DE DROIT 7
III. INTÉRÊTS SCIENTIFIQUE ET PRATIQUE DU SUJET
9
IV. MÉTHODOLOGIE 11
V. PLAN DE NOTRE MÉMOIRE 12
PREMIÈRE PARTIE : L'ÉQUILIBRE FORMEL ENTRE
LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LE POUVOIR LÉGISLATIF
14
CHAPITRE I : LA DÉLIMITATION MATÉRIELLE DES
COMPÉTENCES 15
Section I : Le domaine respectif des compétences 16
Paragraphe 1 : La compétence normative du Parlement 16
A/ La définition matérielle de la loi selon
la Constitution de 2000, tracé originaire du
domaine législatif 16
1. L'article 71, chef de compétence principal du
législateur 17
a. La distinction formelle entre la fixation des règles
et la détermination des principes
fondamentaux 17
b. Une lecture unitaire de la compétence du
législateur 18
2. Les autres dispositions de la Constitution, chefs de
compétence complémentaires du
législateur 19
a. Une extension reposant sur une étude plus
poussée des textes constitutionnels et
reconnue par la jurisprudence constitutionnelle 20
b. Le renvoi à la loi ou l'autorisation par une loi 20
B/ L'élargissement jurisprudentiel du domaine
législatif 21
1. L'affirmation de la valeur constitutionnelle du
Préambule et ses conséquences au
regard de la compétence du législateur 22
a. L'extension du bloc de constitutionnalité au
Préambule, à la Déclaration universelle
de 1948 et à la Charte africaine de 1981 22
b. Les conséquences de l'affirmation de la valeur
constitutionnelle du Préambule au
regard de la compétence du législateur 23
2. L'intervention de l'Assemblée nationale dans le domaine
réglementaire par volontés
concordantes du législateur et de l'exécutif 24
a. xii
Une intervention en principe contraire à la
délimitation matérielle de la loi par la
Constitution 24
b. Une intervention non systématiquement
sanctionnée par le Conseil constitutionnel
25
Paragraphe 2 : La compétence normative du pouvoir
exécutif 26
A/ Les pouvoirs réglementaire et exécutif 27
1. La distinction classique entre pouvoir réglementaire
(règlements autonomes) et
pouvoir exécutif (règlements dérivés)
27
a. Le pouvoir réglementaire, pouvoir de
législation autonome et de droit commun 27
b. Le pouvoir exécutif, pouvoir subordonné
d'application des lois 28
2. De l'obsolescence de la distinction classique entre
règlements autonomes et règlements dérivés :
l'assimilation jurisprudentielle du pouvoir réglementaire au pouvoir
exécutif 29
a. L'approche matérielle de la répartition des
compétences législatives et
réglementaires 30
b. La remise en cause de l'approche matérielle au regard
de l'évolution de la
jurisprudence constitutionnelle 30
B / Le pouvoir de législation
déléguée 32
1. Les conditions de mise en oeuvre du pouvoir de
législation déléguée 32
a. L'autorisation législative 32
b. L'édiction des ordonnances 33
2. Le régime juridique des ordonnances de l'article 75
34
a. De la publication des ordonnances au délai de
dépôt de la loi de ratification 34
b. Après l'expiration du délai de
dépôt de la loi de ratification 35
Section II : La sanction attachée à la
délimitation des compétences 36
Paragraphe 1 : La protection du domaine réglementaire
36
A/ Une protection a priori : l'opposition
d'irrecevabilité de l'article 76 36
1. Un accord nécessaire entre les présidents de la
République et de l'Assemblée
nationale 37
a. Un moyen de défense invoqué par le
président de la République 37
b. Un moyen de défense accepté par le
président de l'Assemblée nationale 38
2. La contestation de l'accord entre les présidents de la
République et de l'Assemblée
nationale 39
a. La saisine du Conseil constitutionnel par les
députés 39
b. Le Conseil constitutionnel, seul juge des décisions
d'irrecevabilité 40 B/ Une protection a posteriori : le
contrôle de constitutionnalité et le déclassement des
lois
40
xiii
1. Le contrôle de constitutionnalité de la loi
40
a. Un moyen curatif de l'empiètement de la loi sur le
domaine réglementaire 41
b. Le sort de la loi empiétant sur le domaine
réglementaire et déclarée
inconstitutionnelle 42
2. La délégalisation des textes de forme
législative 42
a. Un moyen de reclassement des lois adoptées avant la
délimitation des domaines
législatif et réglementaire opérée
par la Constitution de 2000 43
b. Un moyen de reclassement inexistant à l'égard
des lois intervenues après l'entrée
en vigueur de la Constitution de 2000 43
Paragraphe 2 : La protection du domaine législatif 44
A/ Un moyen de protection aléatoire mais efficace : le
recours pour excès de pouvoir 44
1. Un véritable contrôle de
constitutionnalité des règlements empiétant sur le
domaine
législatif 45
a. Un moyen curatif de l'inconstitutionnalité du
règlement en raison de son
empiètement sur le domaine législatif 45
b. Un moyen de recours fermé au Parlement mais ouvert aux
citoyens 46
2. Le sort du règlement déclaré
inconstitutionnel en raison de son empiètement sur le
domaine législatif 47
a. La déclaration d'annulation des règlements
empiétant sur le domaine législatif (...)
47
b. (...) entraînant des effets plus prononcés que
ceux résultant de la déclaration
d'inconstitutionnalité des lois empiétant sur le
domaine réglementaire 47
B/ Les autres moyens de protection du domaine législatif
48
1. La déréglementation de facto des textes
de forme réglementaire, moyen politique de
protection du domaine législatif 49
a. Le dépôt et l'adoption d'une proposition de loi
sur la matière objet du règlement
contesté 49
b. La réponse du président de la République
et ses conséquences 50
2. La théorie de l'incompétence négative du
législateur, moyen jurisprudentiel de
protection du domaine législatif 50
a. L'incapacité du législateur à se lier
lui-même dans l'exercice de sa compétence
législative 51
b. L'incapacité du législateur à abandonner
ou à déléguer sa compétence législative
au
président de la République en dehors de tout cadre
constitutionnel 51
CHAPITRE II : LA COLLABORATION NÉCESSAIRE DES ORGANES
52
Section I : La collaboration concurrente des organes 52
Paragraphe 1 : Les prérogatives d'initiative 52
xiv
A/ En matière de sessions extraordinaires 53
1. La réunion de l'Assemblée nationale en sessions
extraordinaires 53
a. La formulation de la demande par le président de la
République ou par les députés
53
b. La convocation par le président de l'Assemblée
nationale 54
2. L'inexistence de limites temporelles tenant aux demandes de
réunion de l'Assemblée
nationale en sessions extraordinaires et à la durée
de celles-ci et ses conséquences 54
a. L'inexistence de limites temporelles tenant aux demandes de
réunion de
l'Assemblée nationale en sessions extraordinaires et
à la durée de celles-ci 55
b. Les conséquences de l'inexistence de limites
temporelles posées aux demandes de
réunion en sessions extraordinaires et à leur
durée 56
B/ En matière législative et constitutionnelle
57
1. En matière d'initiative législative 57
a. Les projets de loi 57
b. Les propositions de loi 58
2. En matière de révision constitutionnelle 59
a. La prise en considération de l'initiative de
révision par l'Assemblée nationale
indépendamment de son origine 59
b. L'adoption définitive du texte de révision et
l'option ouverte au président de la
République indépendamment de l'origine de
l'initiative de révision 60
Paragraphe 2 : Les situations exceptionnelles 61
A/ Une initiative prise par le président de la
République 61
1. Les impératifs de l'urgence 61
a. La survenance de circonstances plus ou moins restrictives
(...) 62
b. (...) laissées en définitive à
l'appréciation du président de la République 62
2. La déclaration par décret en Conseil des
ministres 62
a. Une déclaration définissant l'espace
territorial concerné 63
b. Une déclaration entraînant des effets
exorbitants : la mise en vacances de la légalité
63
B/ Un contrôle exercé par l'Assemblée
nationale 64
1. L'autorisation de prorogation accordée par
l'Assemblée nationale 64
a. Le contrôle de la durée d'application de la
période de la légalité de crise 65
b. La reprise en main par l'Assemblée nationale 65
2. La réunion de plein droit de l'Assemblée
nationale 66
a. Une disposition originale 66
b. Une disposition à finalité politique 67
xv
Section II : La collaboration conjointe des organes 67
Paragraphe 1 : Le référendum législatif
67
A/ De larges possibilités ouvertes au président de
la République 68
1. Un domaine vaste et imprécis (...) 68
a. Un objet défini de façon vague et
imprécise 68
b. Une étendue immense de l'objet en cause 69
2. (...) mais limité à l'adoption d'une loi
ordinaire 69
a. L'impossibilité d'adopter une loi constitutionnelle
69
b. L'impossibilité d'adopter une loi organique 70
B/ Les garanties de l'Assemblée nationale 71
1. La reconnaissance de garanties à l'Assemblée
nationale 71
a. Une consultation obligatoire du bureau de l'Assemblée
nationale (...) 71
b. (...) ne liant pas le président de la
République 71
2. La faiblesse des garanties reconnues à
l'Assemblée nationale 72
a. L'initiative référendaire, prérogative
exclusive du pouvoir exécutif 72
b. Le moment de la consultation référendaire 73
Paragraphe 2 : Les traités et accords internationaux 74
A/ Le rôle du président de la République en
matière d'engagements internationaux 74
1. La distinction entre traités et accords internationaux
74
a. Une distinction simple entre traités soumis à
ratification et accords internationaux
non soumis à ratification 74
b. Une distinction rendue complexe par l'existence d'une
catégorie hybride d'accords
internationaux 75
2. La négociation, la signature et la ratification ou
l'approbation des traités et accords
internationaux, actes du président de la République
76
a. La négociation des traités et des accords
internationaux 76
b. La signature et la ratification ou l'approbation des
traités et des accords
internationaux 77
B/ L'intervention de l'Assemblée nationale 78
1. Les cas d'autorisations préalables par une loi 78
a. Des seuls engagements internationaux visés à
l'article 85 (...) 78
b. (...) à tous les engagements internationaux soumis
à ratification par l'effet de la loi
du 5 août 1978 79
2. La saisine du Conseil constitutionnel 80
a. La voie de l'article 86 80
xvi
b. La voie de l'article 95.2 81
DEUXIÈME PARTIE : LE DÉSÉQUILIBRE
RÉEL ENTRE LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LE POUVOIR
LÉGISLATIF 83
CHAPITRE I : L'HÉGÉMONIE DU POUVOIR EXÉCUTIF
84
Section I : Les moyens d'action efficaces sur le Parlement 84
Paragraphe 1 : Le droit d'information et le pouvoir de
participation 85
A/ Le droit d'information sur le bureau et la conférence
des présidents 85
1. Le fait politique du droit d'information 85
a. Le poids du parti présidentiel majoritaire dans la
composition du bureau 85
b. Le poids du parti présidentiel majoritaire dans la
composition de la conférence
des présidents 86
2. Le fait institutionnel du droit d'information et ses
conséquences 87
a. L'institutionnalisation du droit d'information 87
b. Un droit de regard de facto 87
B/ Le droit d'information et le pouvoir de participation sur les
travaux des commissions 88
1. La cause politique du droit d'information sur les commissions
89
a. La domination du parti présidentiel majoritaire dans
la composition des
commissions permanentes 89
b. La domination du parti présidentiel majoritaire dans
la composition des
commissions spéciales 90
2. Le fait institutionnel du droit d'information et du pouvoir de
participation et leurs
conséquences 91
a. Le fait institutionnel du droit d'information et du pouvoir
de participation 91
b. Les conséquences du droit d'information et du pouvoir
de participation : un pouvoir
d'orientation des travaux des commissions 92
Paragraphe 2 : Le pouvoir d'intervention 93
A/ Dans le domaine législatif 93
1. Le veto présidentiel 93
a. Une demande de seconde délibération en
apparence 93
b. Un droit de veto présidentiel en réalité
94
2. La promulgation 96
a. Une compétence liée du président de la
République 96
b. Une compétence essentielle à la validité
de la loi 97
B/ Dans le domaine budgétaire et le pouvoir de
substitution 98
1. Le vote du budget, prérogative essentielle de
l'Assemblée nationale 98
a. Le budget, acte gouvernemental essentiel 98
xvii
b. L'autorisation préalable du budget, forme capitale du
contrôle parlementaire 99
2. La dépossession de l'Assemblée nationale du vote
du budget 99
a. La mise en vigueur du projet de loi de finances par
ordonnance budgétaire 99
b. L'établissement définitif du projet de loi de
finances par ordonnance budgétaire 100
Section II : La concentration des pouvoirs en période de
crise : les pouvoirs exceptionnels 101
Paragraphe 1 : L'appréciation exclusive,
discrétionnaire et souveraine de la réalisation des
conditions de mise en oeuvre de l'article 48 par le
président de la République 102
A/ Les conditions de forme ou... de simples formalités
102
1. La consultation obligatoire de certaines autorités
102
a. Une difficulté d'interprétation certes (...)
102
b. (...) mais ne touchant pas au pouvoir discrétionnaire
du président de la République
103
2. Le message à la Nation 104
B/ Les conditions de fond, des conditions libéralement
interprétées 104
1. L'énonciation théorique des conditions de fond
104
a. La survenance de certaines circonstances exceptionnelles
105
b. L'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs
publics constitutionnels 106
2. L'appréciation pratique des conditions de fond par le
président de la République 107
a. L'appréciation de la condition relative à la
survenance de circonstances
exceptionnelles 107
b. L'interprétation de la condition relative à
l'interruption du fonctionnement régulier
des pouvoirs publics constitutionnels 108
Paragraphe 2 : La portée des pouvoirs exceptionnels en
période de crise 109
A/ L'étendue immense des pouvoirs exceptionnels 109
1. Les pouvoirs visés par l'article 48 109
a. Des pouvoirs très étendus ( ) 110
b. (...) mais quelque peu limités 111
2. La suspension des règles constitutionnelles 112
a. La maîtrise de la durée d'application de
l'article 48 112
b. La régulation des rapports entre les pouvoirs publics
pendant l'application de
l'article 48 113
B/ La faiblesse du contrôle de l'exercice des pouvoirs
exceptionnels 114
1. L'illusion du contrôle politique 114
a. La réunion de plein droit de l'Assemblée
nationale 114
b. La réduction des pouvoirs de l'Assemblée
nationale 114
xviii
2. L'insuffisance du contrôle juridictionnel 115
a. La décision d'user de l'article 48, acte de
gouvernement insusceptible de recours
contentieux 116
b. Le contrôle des seules décisions de nature
réglementaire et des mesures
individuelles d'application 117
CHAPITRE II : L'ABAISSEMENT DU POUVOIR LÉGISLATIF 118
Section I : Le cantonnement du Parlement dans un domaine d'action
étroit 118
Paragraphe 1 : Le mode de délimitation des
compétences 118
A/ L'inversion de l'équilibre dans les rapports
entre le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif au détriment du second 118
1. D'un domaine illimité d'attributions (...) 118
a. Un domaine illimité et exclusif d'intervention au
profit d'un Parlement souverain
119
b. Un domaine limité et dérivé
concédé à un exécutif subordonné 120
2. (...) à un domaine limité d'attributions du
pouvoir législatif 121
a. Un domaine réservé mais restreint
octroyé au Parlement 121
b. Le Conseil constitutionnel, gardien traditionnel du
cantonnement du Parlement
dans son domaine réservé 122
B/ L'incertitude d'une nouvelle inversion de
l'équilibre dans les rapports entre le pouvoir
législatif et le pouvoir exécutif au profit du
premier 123
1. La non-transposition de la jurisprudence constitutionnelle
française extensive des
compétences du législateur 123
a. Une transposition souhaitable 124
b. Une transposition non effective 125
2. La fermeture des autres voies d'extension des
compétences législatives 126
a. L'impossibilité d'étendre
l'énumération de l'article 71 par une loi 126
b. L'incertitude de l'intervention de l'Assemblée
nationale dans le domaine
réglementaire 127
Paragraphe 2 : Le caractère unilatéral des
mécanismes de protection des compétences 128
A/ Une protection rigoureuse du domaine réglementaire
128
1. Une protection préventive : l'opposition
d'irrecevabilité 128
a. L'opposition d'irrecevabilité, soulevée par le
président de la République 128
b. La saisine du Conseil constitutionnel en cas de
désaccord 129
2. Une protection a posteriori 130
a. La déclassement des dispositions matériellement
réglementaires des lois
intervenues avant l'entrée en vigueur de la Constitution
de 2000 130
xix
b. La déclaration d'inconstitutionnalité des
dispositions matériellement réglementaires des lois
postérieures à l'entrée en vigueur de la Constitution de
2000
131
B/ Une protection incertaine du domaine législatif 132
1. L'inexistence de moyens constitutionnels de protection du
domaine législatif aux
mains des députés 132
a. L'inexistence d'une protection préventive contre les
projets de décrets
réglementaires empiétant sur le domaine
législatif 133
b. L'inexistence de la possibilité de
déférer les décrets réglementaires empiétant
sur le domaine législatif à la censure du Conseil constitutionnel
et du déclassement de ces
règlements 134
2. Une protection par des voies indirectes et
détournées 134
a. La saisine éventuelle de la chambre administrative par
la voie d'un recours pour
excès de pouvoir 135
b. La procédure de déréglementation de
facto : la proposition de loi sur la matière
objet du règlement contesté 136
Section II : Les initiatives bridées 136
Paragraphe 1 : Au plan législatif 136
A/ L'entrave politique aux propositions de lois
émanant des députés de la majorité et de
l'opposition 137
1. Le fait majoritaire et la discipline de parti au sein de la
majorité parlementaire 137
a. Une quasi-inexistence de propositions de lois émanant
des députés de la majorité
137
b. Les propositions de lois émanant des
députés de l'opposition, des propositions
mort-nées 138
2. Les conséquences du fait majoritaire sur le prestige de
l'Assemblée nationale 139
a. Un faible taux des propositions de lois dans la production
législative 139
b. Le ravalement de l'Assemblée nationale au rang de
faire-valoir du président de la
République 140
B/ Les entraves institutionnelles spécifiques aux
propositions de lois émanant des députés
de l'opposition 141
1. Les irrecevabilités, entraves institutionnelles
majeures aux propositions de lois 141
2. D'autres entraves institutionnelles aux propositions de lois
142
a. L'article 56, alinéa 1 du règlement de
l'Assemblée nationale 142
b. L'article 56, alinéa 2 du règlement de
l'Assemblée nationale 143
Paragraphe 2 : Au plan financier 143
A/ Les restrictions aux initiatives parlementaires en
matière financière 144
xx
1. La suppression de principe de l'initiative parlementaire en
matière de dépenses 144
a. Une suppression générale et absolue (...)
144
b. (...) sans possibilité de contestation à la
disposition des députés 145
2. L'interdiction des cavaliers budgétaires 146
a. Une mesure se justifiant sur le plan technique ( )
146
b. (...) mais privant l'Assemblée nationale d'un moyen de
pression sur le pouvoir
exécutif 147
B/ Le déficit de contrôle parlementaire en
matière financière 148
1. L'insuffisance du délai de délibération
sur le projet de loi de finances 148
a. Un délai destiné à assurer l'adoption de
la loi de finances avant le début de
l'exercice budgétaire 148
b. Un délai illusoire pour l'examen d'un dossier aussi
complexe 149
2. La restriction des principes budgétaires dans la
présentation du budget de l'État 149
a. Les incidences vertueuses du respect des principes
budgétaires sur le contrôle
parlementaire 149
b. Les incidences négatives de certaines
dérogations aux principes budgétaires sur le
contrôle parlementaire 150
CONCLUSION 152
BIBLIOGRAPHIE i
|