Second lecteur : Romain Huët
Institut catholique de Paris
Faculté de Sciences Sociales et Economiques
Master 2
Politiques environnementales et management du
développement durable
MEMOIRE DE RECHERCHE
Compréhension du processus d'engagement
écologique
L'importance du collectif, des connaissances et des
émotions
pour une transformation intérieure et
extérieure de nos représentations
Laurie Benisti
Directrice de mémoire : Caroline
Quazzo
Année universitaire 2018-2019
Remerciements
Je remercie d'abord ma directrice de mémoire Caroline
Quazzo, dont les idées et conseils m'ont chaque fois aidée
à voir plus clair, et dont le positivisme et les encouragements m'ont
chaque fois remotivée en période de doute.
Merci à François Benichou pour sa gentillesse,
sa bienveillance et son soutien pour ce mémoire et tout au long de mon
stage.
Un grand merci à Gaëlle, Luc, Valentin, Alix,
Juliette, Angèle d'avoir accepté de se livrer et de m'avoir
partagé leur histoire. Un merci tout particulier à Juju et
Angélou, mes deux amies de coeur dans ce chemin de vie que nous avons
pris. Merci à Guillaume et Thibaud pour leur temps et leur expertise
précieuse dans ma réflexion.
Merci à Avenir Climatique et à chacune des
personnes qui contribue à faire de cette association ce qu'elle est.
Un immense merci aux 187 personnes qui ont pris le temps de
répondre au long questionnaire que je leur ai proposé.
Au-delà de vos idées, vos nombreux mots d'encouragements
laissés à la fin du questionnaire m'ont profondément
touchée et donné une vraie force et motivation dans ce
travail.
Enfin, je remercie ma famille, mes piliers, pour leur aide,
leur soutien et leurs encouragements. Papa et Jéjé pour vos
conseils toujours constructifs et raisonnés, Cloclo pour tes talents de
motivatrice et ton aide, et surtout Maman pour ta présence, ton soutien
et tes relectures si précieux. Je vous aime de tout mon coeur !
Sommaire
INTRODUCTION 1
PARTIE 1 : REVUE DE LITTERATURE 3
I- Tableau de la situation actuelle 3
1) Constats et mécanismes des crises
socio-écologiques 3
2) Implications de ces constats 7
3) Moyens d'actions face à ces constats 10
II- Les blocages psychologiques à la prise de conscience
et à l'engagement 12
1) Barrières cognitives 12
2) Barrières sociales 13
3) Barrières émotionnelles 15
4) Barrières culturelles 16
5) Conséquences des barrières 17
III- Le processus de prise de conscience et d'engagement
écologiques 18
1) La conscientisation (Paulo Freire) 19
2) L'échelle de conscience (Paul Chefurka) 19
3) La courbe du deuil (Elisabeth Kübler-Ross) sous le
prisme de la collapsologie et de l'écopsychologie
(Pablo Servigne et Joanna Macy) 20
Bilan de la revue de littérature 24
PARTIE 2 : ENQUÊTE DE TERRAIN 27
Méthodologie de l'enquête de terrain 27
1) Formulation des hypothèses de recherche 27
2) Objectivation participante : expérience personnelle
d'engagement écologique 28
3) Présentation des méthodes de recherche 33
I- Entretiens individuels : histoires de prise de conscience et
d'engagement 35
1) Méthodologie 35
2) Présentation des personnes 36
3) Description et analyse 38
4) Conclusions 51
II- Participation observante - Avenir Climatique 53
1) Méthodologie 53
2) Description et analyse 54
3) Conclusions 61
III- Questionnaire sur le processus d'engagement
écologique 63
1) Méthodologie 63
2) Description et analyse 65
3) Conclusions 71
BILAN DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN 73
Hypothèse 1 : Connaissance 73
Hypothèse 2 : Groupe 73
Hypothèse 3 : Transformation 74
Hypothèse 4 : Emotions 75
PRECONISATIONS 76
Pour des personnes conscientes mais pas ou peu engagées
76
Pour des personnes engagées 76
Pour des structures collectives 77
Pour la recherche 77
BIBLIOGRAPHIE 79
ANNEXES 80
Entretiens individuels 80
Annexe 1 : Retranscription d'entretien - Thibaud Griessinger
80
Annexe 2 : Guide des entretiens individuels sur le processus
d'engagement 84
Annexe 3 : Retranscription - Valentin 85
Annexe 4 : Retranscription - Juliette 91
Annexe 5 : Retranscription - Alix 95
Annexe 6 : Retranscription - Angèle 100
Annexe 7 : Retranscription - Gaëlle 105
Annexe 8 : Retranscription - Luc 108
Annexe 9 : Guide d'entretien - Guillaume Martin 113
Annexe 10 : Synthèse d'entretien - Guillaume Martin 114
Questionnaire 117
Annexe 11 : Méthodologie de la répartition des
groupes 117
Annexe 12 : Profil des répondants 118
Annexe 13 : Réponses - Conscience et connaissance des
enjeux 119
Annexe 14 : Réponses - Niveau d'engagement 122
Annexe 15 : Réponses - Blocages et leviers d'engagement
124
Annexe 16 : Réponses - Emotions 129
1
INTRODUCTION
« Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs
». Ce sont les mots prononcés le 2 septembre 2002 par Jacques
Chirac au sujet du réchauffement climatique. « Notre maison
brûle, littéralement ». Ce sont les mots prononcés le
22 août 2019 par Emmanuel Macron au sujet des intenses feux de
forêts qui touchent l'Amazonie depuis fin juillet. 17 ans ont
passé, notre maison brûle toujours, les flammes se propagent, et
nous regardons toujours ailleurs. Le constat est grave et fait maintenant
consensus au sein de la communauté scientifique : si on ne change pas
radicalement nos façons de produire et de consommer, et donc aussi de
vivre et de penser, nous connaîtrons des catastrophes sans
précédent et un effondrement de notre civilisation. Mais
malgré ces perspectives, ce changement n'a pas lieu. Tous les voyants
sont au rouge. Nous avons certes entamé une transition, mais très
lente, faite de « petits pas », et notre système n'est pas
fondamentalement remis en question, malgré l'urgence de le faire.
Collectivement comme individuellement, nous continuons à produire,
à consommer, à vivre comme si demain allait être comme
aujourd'hui, comme si nos modes de vie actuels étaient durables et
pouvaient perdurer.
Comment expliquer ce décalage entre la conscience
collective de la gravité et de l'urgence des crises, et les changements
très superficiels qui s'opèrent, à la fois collectivement
et individuellement ? Vaste question, à laquelle de nombreux auteurs et
spécialistes se sont déjà intéressés. Cette
inertie, bien qu'elle puisse paraître incompréhensible au vu des
enjeux, peut s'expliquer par de nombreux facteurs. Parmi eux, la
barrière culturelle est très importante : nous agissons et
pensons en fonction de croyances et représentations qui sont construites
socialement et collectivement, et se sont construites au cours de nos vies. Or,
les changements qu'imposerait la situation dans laquelle nous nous trouvons
impliqueraient une remise en question fondamentale de beaucoup de ces
représentations. Pour le philosophe Dominique Bourg, il faut «
repenser notre manière de voir le monde, c'est-à-dire notre
manière d'être au monde ». On comprend dès lors toute
la difficulté qu'impose cette transition lorsque notre vie est
ancrée dans un tout autre fonctionnement.
Mais de plus en plus de personnes font ce cheminement
aujourd'hui. Depuis la démission de Nicolas Hulot du gouvernement, il
semble y avoir un processus d'engagement collectif pour une partie de la
population. Il est encore temps, Youth for Climate, Le Manifeste pour un
réveil écologique, la Bascule, ou encore Extinction Rebellion,
autant de mouvements au sein desquels des citoyens s'en-gagent, travaillent et
militent pour des changements radicaux et pour faire face aux crises. Ces
personnes peuvent aussi s'engager dans leur métier, dans leur quotidien,
dans leur mode de vie afin de construire des façons d'agir et de penser
plus durables et résilientes. Il existe aussi des degrés
très
2
variables d'engagement. De façon plus
générale, l'engagement écologique consiste à
prendre parti par son action et par ses discours pour plus de durabilité
et pour le respect de l»environnement.
Face à ce décalage et à la
nécessité de l'engagement, la compréhension du
processus d'engagement écologique est fondamentale et sera
l'objectif de ce mémoire. Comment une personne consciente des
enjeux écologiques mais pas ou peu engagée en vient à
s'engager et à faire de ces enjeux une priorité dans sa vie ?
Quels sont les facteurs clés d'engagement d'une personne ? Comment
l'engagement est-il vécu et qu'implique-t-il pour la personne ?
La compréhension du processus d'engagement poursuit donc un
double objectif : mieux comprendre les facteurs de l'engagement, mais aussi
mieux comprendre l'impact de l'engagement, d'un point de vue personnel et d'un
point de vue collectif.
Pour répondre à ces questions, ce mémoire
se divise en deux grandes parties : un volet théorique via la revue de
littérature et un volet empirique via l'enquête de terrain. La
revue de littérature a pour but à la fois de contextualiser notre
objet de recherche, tout en présentant l'état de la recherche
existante sur ce sujet, afin de dégager des pistes de réponses et
des hypothèses qui seront ensuite testées par l'enquête de
terrain.
Dans la revue de littérature, nous aborderons d'abord
les constats qui sous-tendent la prise de conscience, puis nous analyserons les
différents types de blocages qui entravent l'engagement, et enfin nous
présenterons et analyserons trois modèles du processus de prise
de conscience et d'engagement écologiques.
3
PARTIE 1 : REVUE DE LITTERATURE
I- Tableau de la situation actuelle
« Entrer dans la réalité profonde du
monde est infiniment dangereux. Il s'y mêle l'horreur et la merveille et
toujours nous demeurons suspendus entre les deux », Jacques Masui.
Cette partie a pour objectif de comprendre les connaissances
et les fondements qui sous-tendent l'engagement écologique. Pour cela,
nous essaierons d'abord de dresser les principaux constats écologiques
et sociaux, puis les implications de ces constats, et enfin comment y faire
face.
1) Constats et mécanismes des crises
socio-écologiques
Nos sociétés industrielles connaissent une
série de problèmes environnementaux, socio-économiques et
politiques graves et indéniables. Dans la 1ère partie
de son ouvrage « Comment tout peut s'effondrer », Pablo
Servigne présente cinq problèmes fondamentaux de nos
sociétés modernes en prenant l'image de la voiture pour
symboliser la civilisation industrielle.
a) La grande accélération
Après un démarrage lent et progressif au milieu
du XIXème siècle, la voiture prend de la vitesse et entame une
ascension fulgurante appelée « la grande accélération
». En effet, depuis la révolution industrielle, de très
nombreux paramètres de nos sociétés et de notre
environnement montrent une allure exponentielle. C'est ce que représente
ce « tableau de bord », très connu parmi les scientifiques, et
qui décrit très bien la nouvelle époque géologique
appelée Anthropocène1.
1 Anthropocène : époque où les humains sont
devenus une force qui bouleverse les grands cycles du système-Terre.
Terme popularisé à la fin du XXème siècle par le
météorologue et chimiste de l'atmosphère Paul Joseph
Crutzen prix Nobel de chimie en 1995.
4
Figure 1 : Le tableau de bord de
l'Anthropocène
Source : W.Steffen et al. « The trajectory of the
Anthropocene : The Great Acceleration », The An-thropocene Review, 2015
Population, PIB, consommation d'eau, d'énergie,
transports, télécommunication, tourisme, en même temps
qu'émissions de gaz à effets de serre, acidification des
océans, déforestation... La tendance est claire et
présente partout : nous sommes dans une société
marquée par l'accélération et la croissance exponentielle,
dans un monde où des plafonds existent.
b) Des ressources limitées
Au fur et à mesure qu'elle accélère, la
voiture épuise peu à peu les ressources dont elle est devenue
dépendante. Parmi ces ressources : les énergies fossiles, qui
représentent 80% de notre production d'énergie et dont nous
sommes totalement dépendants. Or, selon l'Agence internationale de
l'énergie, le pic mondial de pétrole conventionnel a
été franchi en 2006. Nous nous trouvons au-jourd'hui sur un
plateau, après lequel nous connaîtrons le déclin. Les
spécialistes s'accordent au-jourd'hui à dire que l'ère du
pétrole facilement accessible est révolue. Ces limites desquelles
nous nous rapprochons touchent d'autres ressources que nous exploitons. Une
étude récente2 a par exemple évalué la
probabilité pour 88 ressources non renouvelables de se retrouver en
situation de pénurie avant 2030 : argent, indium, lithium... des
ressources utilisées pour la fabrication d'éoliennes, de cellules
photovoltaïques et de batteries. Philippe Bihouix, spécialiste des
ressources et auteur de
2 C. Clugston, « Inscreasing global non renewable natural
resource scarcity - An analysis », Energy Bulletin, vol. 4,
n°6, 2010
5
« l'Age des Low Tech », explique : « Nous
pourrions nous permettre des tensions sur l'une ou l'autre des ressources,
énergie ou métaux. Mais le défi est que nous devons
maintenant y faire face à peu près en même temps. »,
ce qui pose un problème de taille puisqu'il faut de l'énergie
pour extraire des métaux, et il faut extraire des métaux pour
produire de l'énergie renouvelable.
c) Frontières planétaires et points de
bascule
En plus d'un réservoir qui se vide, la voiture a
franchi les bords de la route et se trouve dans une zone instable avec des
obstacles imprévisibles. Le franchissement des bords de route, c'est ce
que les scientifiques appellent les frontières planétaires, et
les obstacles, ce sont les « tipping points » ou « points de
bascule ».
Le climat est la plus connue de ces frontières
invisibles, car, cela fait maintenant consensus au sein de la communauté
scientifique, elle pourrait provoquer à elle seule des catastrophes
globales, massives et brutales, qui pourraient mener à la fin de la
civilisation, voire de l'espèce humaine. Mais il y en a d'autres :
déclin de la biodiversité, acidification des océans,
perturbation du cycle du phosphore et de l'azote, pollution chimique... Dans
une étude publiée en 2009 et mise à jour en
20153, une équipe internationale de chercheurs a
identifié 9 frontières planétaires vitales à ne pas
franchir pour éviter de basculer dans une situation dangereuse et
irréversible ; or 4 ont été identifiées comme
déjà franchies. Non seulement chacune de ces frontières
peut à elle seule provoquer un emballement et des catastrophes
irréversibles, mais en plus il existe des liens, des connexions entre
tous ces phénomènes, qui font qu'ils viennent se renforcer les
uns les autres dans un effet domino que l'on ne maîtrise pas et que l'on
ne perçoit pas. L'aspect systémique des crises est donc
central.
Lorsque l'on dépasse une frontière, les
réponses du système-Terre deviennent très
imprévisibles, et le risque de dépasser des points de basculement
augmente très fortement. Pour mieux comprendre ces tipping
points, imaginons un interrupteur sur lequel on exerce une pression
croissante. On sent que l'interrupteur est sous pression et prêt à
céder, mais on ne peut pas en prévoir le moment exact. D'un coup,
l'interrupteur bascule. Pour les écosystèmes, la situation est
comparable : ils subissent des perturbations régulières qui leur
font progressivement perdre leur capacité de résilience,
jusqu'à atteindre un point de rupture (tipping point), un seuil
invisible au-delà duquel l'écosys-tème s'effondre de
manière brutale et imprévisible. En 2008, une équipe de
climatologue a recensé 14 « éléments de basculement
climatiques », dont le permafrost en Sibérie, les courants
océaniques atlantiques, la forêt amazonienne, les calottes
glaciaires4... Non seulement chacun peut accélérer le
changement climatique de façon catastrophique, mais en plus
déclencher les autres dans un effet domino incontrôlable.
D'où la volonté du GIEC de limiter la hausse de la
température à 2°C : au-delà,
3 W.Steffen et al, « Planetary boundaries : Guiding
human development on a changing planet », Science, sous presse,
2015
4 T.M. Lenton et al, « Tipping elements in the
Earth's climate system », Proceedings of the National Academy of
Sciences, vol. 105, n°6, 2008, p1786-1793.
6
on prend le risque de dépasser la frontière et
de connaitre des effets d'emballement et des points de bascule
dévastateurs et irréversibles.
Dans le cas de l'interrupteur, nous pouvons décider
d'enlever notre doigt facilement et éviter ainsi son basculement ; mais
dans la situation actuelle, la voiture est toujours en pleine
accélération, a déjà dépassé des
barrières, et nous ne savons pas si nous pourrons l'arrêter avant
qu'elle n'atteigne les points de bascule.
d) Un système ultra-verrouillé
D'autant plus que la pédale
d'accélérateur et la direction de la voiture semblent
bloqués. Nos sociétés sont maintenues par de
véritables verrouillages socio-techniques (lock in).
L'efficacité des systèmes en place rend difficile d'en sortir,
surtout quand une compétition s'est instaurée entre pays. En se
mondialisant, notre société industrielle a étendu ses
verrouillages sociotechniques ; nous connaissons en fait un « gobal
lock-in ». Nous sommes arrivés à un tel niveau de
développement et de complexité, et un tel niveau de
mondialisation, que nous ne pouvons en sortir sous risque de
déstabiliser complètement nos économies et vies qui en
découlent. Ce global lock-in peut être illustré par trois
exemples. Dans le champ financier, ces dernières années, la
finance se concentre en un nombre très réduit d'immenses
institutions financières, qui sont devenues « too big to
fail » (trop grands pour faire faillite) et « too big to
jail » (trop grandes pour aller en prison). Notre dépendance
aux énergies fossiles est probablement le plus grand verrouillage de
l'histoire : presque tout ce que nous connaissons en dépend. Il en va de
même pour la croissance : nos institutions ne sont pas adaptées
à un monde sans croissance, puisqu'elles ont été
conçues par et pour la croissance. Sans croissance, le système
économique risquerait d'imploser sous des dettes qui ne seraient jamais
remboursées.
Nous semblons nous trouver dans une situation inextricable :
nous avons créé des systèmes gigantesques et
dévastateurs, mais qui sont devenus en même temps indispensables
au maintien des conditions de vie de milliards de personnes. Servigne
résume la situation ainsi : « Pour espérer survivre, notre
civilisation doit lutter contre les sources de sa puissance et de sa
stabilité, c'est-à-dire se tirer une balle dans le pied. »
Autrement dit, si nous décidons de lever le pied de
l'accélérateur pour éviter ou limiter l'accident à
venir, nous risquons aussi de provoquer un accident.
e) Des systèmes ultra fragiles et
vulnérables
Enfin, l'habitacle de la voiture est de plus en plus fragile
et vulnérable, et pourrait céder à tout moment.
L'hyperglobalisation et la complexification caractéristiques de nos
sociétés ont transformé l'économie mondiale en un
système hautement complexe où tout est devenu
interconnecté, augmentant aussi considérablement la
vulnérabilité et la fragilité de ces systèmes.
C'est le cas dans le champ de la finance, dans les chaînes
d'approvisionnement, et dans nos réseaux (transports,
électriques, télécommunication...). La moindre
perturbation peut se répandre comme une traînée de poudre,
avoir
7
des effets en chaîne et provoquer des
dégâts considérables sur le système global. Par des
chaînes d'approvisionnement optimisées et des stocks se
renouvelant sans cesse, le système économique mondial a
gagné en efficacité mais perdu en résilience. Or, nous
sommes devenus totalement dépendants de ce système complexe :
« Très peu de gens savent survivre sans supermarché, sans
carte de crédit ou sans station-service. Quand une civilisation devient
hors-sol, c'est-à-dire lorsqu'une majorité de ses habitants n'a
plus de liens directs avec le système-Terre (la terre, l'eau, le bois,
les animaux, les plantes, etc.), la population devient entièrement
dépendante de la structure artificielle qui la maintient dans cet
état. Si cette structure, de plus en plus puissante mais de plus en plus
vulnérable, s'écroule, c'est la survie de l'ensemble de la
population qui pourrait ne plus être assurée
».
Nous avons donc vu, par le biais de la synthèse
scientifique faite par Pablo Servigne, que nous accélérons dans
un monde de ressources finies, en franchissant des barrières
planétaires qui ne devraient pas l'être, que nous allons si vite
que nous n'arrivons plus à freiner, et que nous avons créé
des degrés d'interconnexion et de complexité qui nous rendent de
plus en plus fragiles et vulnérables.
2) Implications de ces constats
Face à tous ces constats, il est maintenant clair que
la voiture ne pourra pas s'en sortir indemne. Les catastrophes sont en effet
déjà présentes et vont inévitablement se renforcer,
et il y a un risque élevé que nos civilisations s'effondrent, ce
qui impose des changements nécessaires, radicaux et urgents.
a) Les catastrophes en cours et à
venir
Aujourd'hui déjà, des catastrophes sont en
cours. Hausse globale des températures, événements
climatiques extrêmes, effondrement de la biodiversité,
montée des eaux, acidification des océans, pollution de l'air,
déforestations... ces phénomènes ont déjà un
impact considérable d'un point de vue humain, environnemental, et
économique. L'exemple de la biodiversité est l'un des plus
parlants : selon le WWF (World Wildlife Foundation), sur les 40
dernières années, nous avons perdu plus de 60% des animaux
sauvages. Cela fait maintenant consensus, la 6ème extinction
de masse est en cours. Autre exemple : l'OMS estime à 7 millions le
nombre de personnes qui meurent prématurément chaque année
dans le monde à cause de la pollution, et 48000 morts par an en
France.
De plus, certaines crises sont enclenchées et vont
inévitablement se renforcer dans les années à venir.
Même si l'on arrivait à entreprendre des changements radicaux,
rapides et efficaces - ce qui est peu probable au vu des constats
précédemment énoncés - les effets des changements
climatiques continueront à se mettre en oeuvre dans les prochaines
décennies. Il s'agit en effet d'un phénomène
différé dans le temps : les émissions que nous
émettons aujourd'hui ont un impact dans les
8
décennies suivantes. Même logique pour la
biodiversité : l'extinction d'une espèce a un impact sur toute la
chaîne alimentaire, entraînant d'autres espèces dans un
effet domino difficilement arrêtable. Le rapport publié en mai
2019 par l'IPBES, le « GIEC de la biodiversité », estime qu'1
million d'es-pèces vont disparaître dans les années
à venir. L'ONU a estimé à 250 millions le nombre de
réfugiés climatiques à horizon 2050, ce qui risque de
provoquer une crise migratoire sans précédent.
Les conséquences sur les écosystèmes et
sur les sociétés humaines sont déjà visibles et
graves, et vont inévitablement se renforcer dans les années
à venir et causer des catastrophes naturelles, humaines,
économiques et sociales.
b) Un effondrement de nos civilisations industrielles
?
De plus en plus de spécialistes évoquent
même la probabilité d'un effondrement de nos civilisations
industrielles. C'est la thèse centrale du livre de Pablo Servigne et
Raphaël Stevens « Comment tout peut s'effondrer », qui ont
créé le concept de collapsologie, « l'exercice
transdisciplinaire d'étude de l'effondrement de notre civilisation
industrielle et de ce qui pourrait lui succéder ». Selon eux,
l'étude approfondie des 5 paramètres que nous avons
présentés précédemment (accélération
de nos sociétés, limites planétaires, frontières
planétaires et points de bascule, verrouillage socio-technique et
fragilité de nos systèmes) mène à la conclusion
qu'un effondrement de notre civilisation est très probable, voire
inévitable.
Un effondrement peut être défini par une
diminution rapide et importante de la population et/ou de sa complexité.
Une autre définition a été formulée par l'ancien
ministre de l'environnement Yves Cochet comme une « situation dans
laquelle les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement,
énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis
à une majorité de la population par des services encadrés
par la loi ». De tels effondrements ont déjà eu lieu dans
l'histoire de l'humanité. Jared Diamond, dans son livre «
Effondrement », étudie la façon dont des civilisations
passées (Mayas, île de paques, vikings...) se sont
effondrées, afin d'en tirer des leçons. Cinq facteurs entrent
toujours potentiellement en jeu : des dommages environnementaux, un changement
climatique, des voisins hostiles, des rapports de dépendance avec des
partenaires commerciaux, et les réponses apportées par une
société à ces problèmes ; des facteurs
réunis aujourd'hui. Il a aussi mis en évidence le fait qu'un
effondrement ne se produit pas de façon brutale, mais sur des
durées parfois très longues. Certains considèrent
d'ailleurs que nous serions déjà dans une période
d'effondrement. Diamond note que la grande différence entre les
effondrements passés et la situation actuelle est qu'au-jourd'hui, nous
vivons dans une civilisation mondialisée et interconnectée, et
donc que le risque d'ef-fondrement pèse sur la civilisation humaine dans
sa globalité, et non plus sur une civilisation isolée. Enfin,
à la différence de nombreuses prédictions de fin du monde
et notamment de l'eschatologie basées sur des croyances ou des
religions, les théories de l'effondrement n'annoncent pas la fin du
9
monde, mais évoquent, en s'appuyant sur des
données scientifiques, la possibilité de la fin d'un monde, celui
de nos sociétés thermo-industriels et de notre civilisation.
c) Des changements nécessaires, radicaux et
urgents
Si certains spécialistes estiment que l'effondrement
est inévitable, voire déjà en cours, d'autres postulent
qu'il est encore possible de l'éviter, mais à condition que des
changements radicaux soient mis en oeuvre rapidement. Ici, nous donnons au mot
« radical » son sens originel, qui vient du latin radicalis,
dérivé de radix (« racine ») et signifie
agir sur la cause profonde que l'on veut modifier. Il faudrait donc remettre en
question et repenser totalement et fondamentalement nos modèles
économiques, de production, de consommation et sociétaux.
Actuellement, le chemin pris par les sociétés
occidentales n'implique pas de remise en question fondamentale de nos
systèmes. Les modèles du développement durable et de
croissance verte misent avant tout sur le déploiement de technologies et
des comportements plus sobres, qui permettraient d'éviter l'effondrement
de la civilisation tout en maintenant une croissance économique globale.
Cela implique ce qu'on appelle un découplage, c'est-à-dire la
séparation entre la croissance économique et la consommation de
ressources et d'énergies (et donc l'impact environnemental). Cette
idée représente la pensée dominante dans laquelle
s'inscrivent entreprises, politiques et population. Pourtant, de nombreux
spécialistes ont montré que ce découplage absolu
était impossible, qu'il n'a aucun fondement scientifique et qu'il n'a
jamais eu lieu. Aujourd'hui, on vit même plutôt un «
surcouplage ». Le seul espoir reposerait sur le fait de trouver et de
mettre en oeuvre rapidement une innovation ou technologie
révolutionnaire à la fois non polluante et non consommatrice
d'énergie et de ressources. Or, il est fort probable que cela n'arrive
pas à très court terme.
Trois grandes possibilités se distinguent donc. La
première est que nous entreprenions des changements radicaux rapidement,
mais avec le risque de provoquer des crises économiques et
financières à court terme. L'autre option est la transition
écologique, le développement durable, ou encore croissance verte,
qui misent sur le découplage entre croissance et impact environnemental,
avec cependant une forte probabilité que ce découplage ne
fonctionne pas, que ces changements ne se fassent pas assez vite, trop
superficiellement, et une forte probabilité d'un effondrement de nos
civilisations à moyen terme voire court terme. Enfin, et c'est le chemin
que nous sommes en train de suivre globalement, nous pouvons ne rien changer
fondamentalement - c'est le cas par exemple des Etats-Unis - et empirer la
situation, auquel cas la probabilité d'un effondrement est presque
certaine.
Ainsi, que nous le subissions (catastrophes, effondrement) ou
que nous le décidions (changements radicaux, mobilisation
générale), nous allons connaître des bouleversements
profonds ; nous ne vivrons pas demain comme aujourd'hui. Mais la collapsologie
et ces perspectives pessimistes - mais réalistes, cela ne fait plus de
doute - ne sont pas pour autant fatalistes. Au contraire, pour Pablo
10
Servigne et Raphaël Stevens, elles sont une invitation,
voire une injonction à agir, partout et en profondeur. Face à ces
constats et à ces perspectives, que pouvons-nous faire ?
3) Moyens d'actions face à ces constats
Que l'effondrement et les catastrophes soient évitables
ou non, il est essentiel d'agir, à la fois pour en limiter les
conséquences, et pour d'ores et déjà construire de
nouvelles façons de penser et de faire. Les moyens et leviers d'actions
sont nombreux, et chaque personne a un rôle à jouer. Joanna Macy,
par son ouvrage « Ecopsychologie pratique et rituels pour la terre »,
propose un guide pratique pour aider chacun d'entre nous à prendre part
à la « révolution silencieuse » qui est en marche,
qu'elle appelle le « Changement de cap », ou le passage radical d'une
société de croissance industrielle autodestructrice à une
société compatible avec la vie. Macy décrit trois
dimensions complémentaires et interdépendantes de ce Changement
de cap.
a) Résister et atténuer
Le premier pilier regroupe toutes les actions ayant pour but
de limiter et ralentir la destruction de la vie en cours. Il peut s'agir du
travail politique, législatif, et judiciaire, qui vise par exemple
à limiter les émissions de gaz à effet de serre, la
déforestation ou la production de déchets. Il peut
également s'agir d'actions directes comme des boycotts ou des actions de
désobéissance civile visant à inciter les politiques et
les grandes puissances économiques à entreprendre les changements
et transformations qui s'imposent. Selon Joanna Macy, ceux qui agissent en ce
sens peuvent ressentir beaucoup d'anxiété, d'exaspération
et d'épuisement. Selon elle, il s'agit en effet du travail le plus
difficile, mais qui est nécessaire et utile car il fait gagner du temps
et sert à sauver des vies et des écosystèmes.
b) Construire des alternatives
Le deuxième pilier consiste à analyser les
causes structurelles de la situation tout en pensant et entreprenant la
création d'institutions et de modèles alternatifs. Pour limiter
les dommages créés par nos sociétés, il est en
effet important d'en comprendre les dynamiques. Selon Joanna Macy, ce travail
permet aussi d'éviter de diaboliser des personnes mais de les
comprendre, une philosophie qui rappelle Spinoza et son fameux « ne pas se
moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester, mais comprendre ».
Pour Joanna Macy, c'est un travail difficile car il faut du courage et de la
confiance dans notre sens commun pour regarder le tableau de nos
sociétés avec réalisme. Cette deuxième dimension du
Changement de Cap comprend aussi la création d'alternatives à ce
système, les deux efforts allant de pair. Selon elle, « les actions
qui bourgeonnent de nos esprits et de nos mains peuvent sembler marginales,
mais elles contiennent les graines du futur ».
11
c) Changer nos façons de voir le monde et de nous
voir dans le monde
Le troisième grand champ d'action concerne un
changement des perceptions de la réalité sur les plans cognitif
et spirituel. Il s'agit du pilier le plus fondamental pour Joanna Macy. C'est
un pilier qui s'impose de plus en plus comme une des clés du changement,
et qui semble depuis peu commencer à germer dans la
société française. De plus en plus d'auteurs, d'artistes,
d'écrivains, et de citoyens s'emparent de la question et travaillent sur
la construction de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires positifs,
désirables et humains. Selon Dominique Bourg, « le seul choix qui
nous reste est de repenser notre manière de voir le monde,
c'est-à-dire notre manière d'être au monde ». Ainsi,
selon lui, ce changement de perception se fait aussi par notre façon
d'agir et notre façon d'être. Cela rejoint la
célèbre citation de Gandhi : « sois le changement que tu
veux voir dans le monde ». Cela peut inclure d'autres façons de
voyager, de consommer, de travailler, de vivre en société... Pour
Joanna Macy, « ces révélations et ces expériences
sont absolument nécessaires pour nous libérer de l'emprise de la
société de croissance industrielle. Elles nous offrent des
objectifs plus nobles et des plaisirs plus profonds ».
Ainsi, « le grand tournant » ne pourra advenir que
si nous conjuguons trois niveaux d'action : résister,
c'est-à-dire refuser les projets industriels catastrophiques pour
l'environnement (c'est ce que font les opposants à la construction de
l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à l'exploitation des gaz de
schiste, à l'hégémonie de Monsanto...) ; préparer
et mettre en place le monde de demain (expérimenter d'autres sources
d'énergie, d'autres modes d'éducation, une autre économie,
une autre manière de vivre ensemble...) ; et surtout, en amont,
opérer un changement intérieur en reconsidérant notre
vision de nous-mêmes et de notre place dans la nature.
Par cet état des lieux rapide de la situation actuelle,
nous avons cherché à présenter les fondements du processus
de prise de conscience et d'engagement étudiés. Nous connaissons
une crise socio-écologique vaste, complexe, sans précédent
et caractérisée par la diversité et par l'intercon-nexion
de problèmes environnementaux, socioéconomiques, politiques,
culturels et psychosociaux. Cette crise a déjà des
conséquences catastrophiques, qui vont se renforcer dans les
années à venir, allant jusqu'à menacer la survie
même de la civilisation, voire de l'humanité telle qu'on la
connait. Mais ces constats pessimistes et réalistes ne sont pas
fatalistes, et d'innombrables moyens d'action existent pour changer de cap :
cela passe à la fois par limiter au maximum notre impact, par penser et
créer des modèles plus résilients et durables, et par
réinventer notre façon de penser, de voir et d'être au
monde, à l'autre et à nous-même.
12
Mais nous sommes soumis à de nombreux blocages qui nous
empêchent de prendre conscience de tous ces éléments et de
prendre part au Changement de Cap que décrit Joanna Macy, qui doute
alors de sa réussite :
« Bien que nous discernions le Changement de cap et
que nous prenions courage dans ses activités multiples, nous n'avons
aucune certitude qu'il arrivera à temps. Nous ne pouvons prédire
ce qui arrivera en premier : le point de non-retour, celui où nous ne
pourrons plus arrêter la destruction des systèmes qui soutiennent
les formes de vie complexes, ou le moment où les éléments
d'une société soutenable détermineront la direction du
système entier. Si le Changement de cap devait échouer, ce ne
serait pas par manque de technologie ou d'information, mais par manque de
volonté politique. Lorsque nous sommes confus ou apeurés et que
l'adver-sité nous frappe, il est très facile de se retrouver le
coeur et l'esprit engourdis. Les dangers que nous encourons à
présent sont si omniprésents et en même temps si difficiles
à distinguer - et douloureux à voir quand on arrive à les
regarder en face - que cette anesthésie nous touche tous. Tout le monde
en est affecté. Personne n'est immunisé contre le doute, la
dénégation ou l'incrédulité quant à la
gravité de notre situation et à notre capacité à
changer cet état de fait. Et pourtant, au-delà de tous les
dangers encourus, des changements climatiques aux guerres nucléaires,
aucun n'est aussi grave que notre paralysie. Cette insensibilité de
l'esprit et du coeur nous afflige déjà, dans les diversions que
nous créons en tant que citoyens et en tant que nations, dans les
querelles que nous choisissons, les objectifs que nous poursuivons, les
articles que nous achetons. Alors, ouvrons les yeux. Examinons à quoi
cette paralysie correspond et comment elle se produit. Reconnectés
à notre désir le plus profond, nous serons capables de prendre
part à ce Changement de cap. Nous choisirons la vie. »
Alors, à quoi est due cette paralysie ? Pourquoi, face
à de telles perspectives et face à un risque qui touche à
notre survie même, pourquoi chacun n'agit-il pas en conséquence
?
II- Les blocages psychologiques à la prise de
conscience et à l'engagement
« Si on ne questionne pas nos barrières mentales,
on restera dans nos prisons », François Taddei
Il existe de très nombreuses raisons qui expliquent
pourquoi la prise de conscience et le passage à l'action sont si
difficiles. Les recherches dans le domaine sont foisonnantes, et les blocages
à l'ac-tion et à la prise de conscience sont très nombreux
et encore difficiles à catégoriser et prioriser. Beaucoup de
raisons sont structurelles et au-delà du contrôle de l'individu,
comme nous l'avons vu avec le verrouillage sociotechnique de nos
sociétés. Mais ces blocages structurels ne peuvent expliquer
à eux-seuls l'inaction, et ne signifient pas que l'on ne peut rien faire
; il y a aussi de nombreux blocages psychologiques que nous pouvons chacun
réussir à lever. Nous présenterons ici les principales
barrières cognitives, sociales, émotionnelles, et culturelles
à la prise de conscience et à l'enga-gement écologiques,
ainsi que leurs conséquences.
1) Barrières cognitives
Le premier grand type de barrière tient à notre
connaissance des enjeux, et à la capacité limitée du
cerveau à recevoir et traiter ces informations.
Cela inclut d'abord la capacité limitée du
cerveau humain à penser à long terme et loin de nous. La
psychologue Robert Gifford, qui a étudié ce qu'il appelle les
« Dragons de l'Inactions », parle d'
13
« ignorance du cerveau primitif ».
L'instinct de survie qui a guidé l'humanité pendant des
milliers d'années a en effet rendu nos cerveaux plus aptes à
utiliser notre instinct pour la résolution de l'im-médiat concret
et visible, plutôt que notre raison pour la résolution du
lointain. Or, les changements climatiques et autres crises
socio-écologiques ne sont pas toujours immédiatement perceptibles
et tangibles dans nos sociétés occidentales. Cette
distance à la fois temporelle et spatiale rend
difficile le traitement de l'information par le cerveau, qui, sans
expérience et projection émotionnelle, privilégie les
problèmes de court terme et touchant la personne de plus près.
Daniel Gilbert, professeur de psychologie à Harvard explique cyniquement
: « De nombreux écologistes disent que le changement climatique est
trop rapide. En fait, il est trop lent. Trop lent pour obtenir notre attention
». Mais tout cela est de moins en moins vrai, et malheureusement c'est
l'expérience de canicules, d'inondations, d'effondrement de la
biodiversité de plus en plus intenses et fréquents, qui
contribuent actuellement à un certain éveil des consciences.
Certains estiment d'ailleurs que seules des catastrophes qui nous toucheront
gravement permettront une vraie prise de conscience et de vrais changements.
Gifford évoque aussi ce qu'il appelle un «
engourdissement environnemental » (environmental
numbness), qui peut se manifester de deux façons. Lorsqu'un trop
grand nombre d'informations parvient à l'individu, il peut s'y habituer
ou les éviter : « l'attention se rétrécit à
mesure que l'accoutu-mance augmente ». C'est ce qu'on appelle aussi
communément la fatigue environnementale (green fatigue)
qui peut aussi se manifester par une réaction d'exaspération face
au discours ou aux informations catastrophistes, qui mène à faire
un rejet de l'information et à bloquer la connaissance. Cet
engourdissement environnemental peut aussi se manifester par le fait que les
changements se produisent de façon graduelle, et que nos cerveaux
n'arrivent pas à les percevoir et à les intégrer. La fable
de la grenouille plongée dans une casserole d'eau bouillante illustre
bien ce concept. Si on la plonge directement dans de l'eau bouillante, la
grenouille saute et s'échappe, mais si la grenouille est
déjà dans la casserole et que la température monte
progressivement, elle ne bouge pas et meurt. Philippe Bihouix appelle ce
phénomène le « décalage du point de
référence » (shifting baseline),
c'est-à-dire que nous avons du mal à visualiser et à
mesurer le changement de référentiel qui se produit. On s'est par
exemple habitués peu à peu au fait de voir moins de papillons,
moins de grenouilles... L'information et la connaissance s'en retrouvent
biaisées.
Ainsi, le trop-plein d'informations, les changements graduels,
et la distance temporelle et géographique par rapport à
l'information peuvent constituer de fortes barrières à la prise
de conscience et l'engagement. Mais les barrières cognitives sont aussi
intimement liées aux rapports sociaux que l'on entretient.
2) Barrières sociales
Nos relations et représentations sociales peuvent
constituer de fortes entraves à la prise de conscience et à
l'engagement écologiques.
14
D'abord, notre pensée et nos comportements ont tendance
à s'aligner sur les pensées et comportements dominants. Selon
Robert Gifford, les individus comparent en effet régulièrement
leurs actions avec celles des autres, et tirent des normes sociales
subjectives et comportementales de leurs observations sur ce qui doit
être la ligne de conduite « appropriée ». Mai, les
attitudes conformistes ne sont pas passives, car elles contribuent aussi
à construire et entretenir les normes dominantes. Selon l'anthropologue,
historien et philosophe René Girard, ces normes se construisent dans le
mimétisme mutuel du désir de l'autre. C'est ce qu'il appelle le
désir mimétique, c'est-à-dire le fait que
« l'homme désire toujours selon le désir de l'autre ».
Or, si le désir dominant est celui de la consommation ostentatoire, de
la richesse, de la mode vestimentaire, des voyages exotiques, etc, la plupart
se conforment à ce désir et contribuent à renforcer ces
représentations communes. Cette théorie rejoint celle du
philosophe Jean-Louis Vullierme, qui parle « d'interaction
spéculaire » (spéculaire = relatif au miroir).
Selon lui, la société est un système de
représentations croisées entre individus. Chaque schème
est différent, mais tous tendent à s'adapter mutuellement au fur
et à mesure que se multiplient les rapports sociaux. La
résistance des mentalités face à la crise
écologique serait donc issue de cette attente et actions
réflexives : on pense et on agit, souvent inconsciemment, par rapport
aux pensées et aux actions des autres, de peur de se retrouver exclu ou
marginalisé. Nous nous retrouvons dans une situation de
conformisme global.
D'autre part, nous pouvons avoir tendance à minimiser
notre responsabilité d'action lorsque nous nous comparons aux autres.
Selon Gifford, le risque d'inéquité est souvent
perçu comme une raison de ne pas agir ; c'est le fameux « pourquoi
devrais-je changer si les autres ne changent pas ? », ou encore «
Pourquoi devrais-je faire des efforts et arrêter de prendre l'avion si
tout le monde continue à prendre l'avion ? ». Au-delà de
cette réticence à agir par rapport à d'autres qui
n'agiraient pas, de nombreuses personnes pensent qu'elles ne peuvent rien faire
en tant qu'individus face à des changements et des crises d'une telle
ampleur. C'est le sentiment d'impuissance acquise,
c'est-à-dire le sentiment de ne pas pouvoir affecter son environnement.
Ce sentiment peut se transformer en fatalisme si l'individu n'agit pas parce
qu'il considère que rien ne peut être fait, que « c'est foutu
». Enfin, d'autres considèrent que ce n'est pas de leur
responsabilité d'agir : nous vivons dans un monde si complexe et nous
sommes si nombreux qu'il y a une très forte dilution de
responsabilité. Individuellement, on ne se sent pas responsable
et on laisse la tâche à ceux qui ont plus d'impact et plus de
responsabilités dans la situation. Ainsi, d'après un sondage de
l'Union Européenne en 2014, seul un Européen sur quatre pense
avoir un rôle personnel à jouer dans le combat contre le
changement climatique. Cela peut aussi s'expliquer par une
méconnaissance sur les moyens d'action.
Nous voyons donc que nos façons de penser et d'agir
dépendent largement des représentations sociales et du regard des
autres, de notre désir d'intégration et de conformisme aux normes
sociales, ainsi que de la vision que nous avons de notre capacité et de
notre responsabilité d'agir. Notre rapport aux autres nous amène
aussi à intérioriser et à refouler nos émotions sur
ces enjeux.
15
3) Barrières émotionnelles
Selon Joanna Macy, l'inertie comportementale face aux crises
que nous connaissons peut s'ex-pliquer par un refoulement de nos
émotions. Le refoulement désigne le fait de ne pas oser ou de ne
pas s'autoriser à exprimer un sentiment, qui reste cependant
présent inconsciemment.
Les raisons de ce refoulement sont nombreuses. Dans nos
cultures occidentales, l'expérience de la douleur et d'émotions
négatives est considérée comme dysfonctionnelle, ce qui
nous mène la plupart du temps à les ignorer, de peur de perdre
contrôle. L'état de notre monde, et les crises humaines et
environnementales déjà en cours sont si graves et
inquiétantes, que nous évitons de les regarder en face par
peur de souffrir. De plus, si un citoyen intégré
dans le système occidental fait cet effort de regarder les constats et
les crises en face, une grande partie de sa vie peut perdre de son sens et de
sa valeur. On ferme donc les yeux de peur de désespérer
et de nous retrouver paralysés. Il y a aussi derrière ce
refoulement, une peur de culpabiliser. Il est difficile, au
sein du système dans lequel nous vivons, de se nourrir, de s'habiller,
de se déplacer, de se loger sans avoir un certain impact
écologique ou social. Mais nous n'aimons pas nous sentir coupables, donc
nous jetons un voile dessus. Toutes ces émotions sont aussi
refoulées du fait du regard des autres. La confiance, l'optimisme et la
positivité sont des marques caractéristiques de nos
sociétés modernes, et il existe une peur de
paraître morbide, négatif ou pessimiste qui provoque un
refoulement de ces sentiments. De façon générale, la
culture dominante dissocie raison d'émotion, et les réponses
teintées d'émotions sont souvent prises pour un signe de
faiblesse, d'instabilité, de non-fiabilité, alors que
l'impassibilité est vue comme une preuve de « solidité
émotionnelle ». Il y a donc une peur de paraître
faible en exprimant ses émotions, surtout si celles-ci sont
négatives.
Or, selon Joanna Macy, se confronter à ces
émotions est une étape essentielle dans la prise de conscience et
l'engagement écologiques. Selon elle, « notre douleur pour le
monde, faite de la peur, de la colère, de la tristesse et de la
culpabilité que nous ressentons au nom de la vie sur Terre n'est pas
seulement largement répandue. Elle est naturelle et saine. Elle n'est
dysfonctionnelle que dans la mesure où elle est incomprise et
refoulée ». Plus que cela, ressentir, exprimer et accepter ces
émotions permettraient de prendre conscience et de passer à
l'action, car les émotions ont une influence capitale sur nos jugements
et nos décisions, et sont l'un des principaux déclencheurs des
comportements humains. Pour Joanna Macy, « cette douleur est le prix de la
conscience dans un monde menacé et souffrant ».
Ainsi, le déni et l'inaction peuvent aussi s'expliquer
par l'évitement de ces sentiments de douleur, de souffrance, de
culpabilité ou encore de peur de paraître morbide ou faible. Comme
pour les barrières sociales, on voit que beaucoup
d'éléments entravant notre prise de conscience et notre
engagement viennent des représentations et des croyances qui nous
guident et guident nos sociétés.
16
4) Barrières culturelles
Nos croyances et nos représentations sont si
présentes et ancrées en nous, qu'elles influencent la plupart de
nos actes, et agissent comme les principales barrières à la prise
de conscience et à l'engagement.
L'historien Yuval Noah Harari, dans son livre « Sapiens :
une brève histoire de l'humanité » décrit comment de
grands récits et mythes ont permis de construire et développer
nos sociétés et déterminent aujourd'hui notre façon
de penser et d'être. Selon lui, depuis la Révolution cognitive,
l'Homo Sapiens vit dans une double réalité : la
réalité objective, qui regroupe tout ce qui existe physiquement,
comme les arbres, les rivières, ou les animaux, et la
réalité imaginaire, qui regroupe ce qui n'existe que dans notre
imagination, comme l'argent, les nations, ou les religions. Harari explique
qu'il nous est très difficile de prendre conscience et de comprendre
l'ordre imaginaire de ces récits, parce qu'ils sont incorporés au
monde matériel, parce qu'ils façonnent nos désirs, et
parce qu'ils sont intersubjectifs. Par exemple, l'argent n'a pas d'existence
objective, il s'agit d'une construction imaginaire de l'homme, mais qui peut se
matérialiser par des billets de banque ou par des coquillages, qui
façonne nos désirs par l'importance qu'il a acquis dans la
société, et qui existe et a de la valeur dans la conscience de
tous. Il est donc devenu difficile de l'appréhender comme quelque chose
d'imaginaire, et il est devenu totalement intégré à nos
façons de penser et d'agir. Les récits ne sont pas
intrinsèquement mauvais ; ce sont eux qui ont permis la
coopération et le développement de nos sociétés.
Mais ils deviennent dangereux dès lors qu'ils construisent des
façons de penser et d'agir qui ont des conséquences
néfastes. Or, selon Harari, « au fil du temps, la
réalité imaginaire est devenue toujours plus puissante, au point
que de nos jours, la survie même des rivières, des arbres et des
animaux dépend de la grâce des entités imaginaires
».
En effet, la plupart des récits dominants actuels
entrent en contradiction avec les changements qu'imposeraient la lutte pour le
respect de la vie et pour la survie de l'humanité. Selon Robert Gifford,
l'idéologie et la vision du monde occidentales, fondés sur le
capitalisme et la croissance, portent de nombreuses contradictions avec
l'action environnementale. Nous sommes tous, individuellement et
collectivement, tellement conditionnés par ces récits et
croyances qu'il nous est particulièrement difficile de s'en
détacher. Par exemple, pour réduire notre impact, il faudrait
drastiquement réduire notre consommation (de biens vestimentaires,
informatiques, de loisirs...), or la croyance de la consommation comme
condition nécessaire au bonheur est très ancrée dans nos
mentalités, ce qui nous empêche de la réduire malgré
son impact. L'importance de l'apparence physique, des vêtements, de
l'argent, du travail, de la technologie, du voyage... tous ces
éléments sont des récits collectifs que nous avons
construits, qui déterminent nos désirs, notre façon
d'être et de penser, et qui entrent bien souvent en contradiction avec le
changement de mentalité et de comportements qu'impose la sauvegarde de
la vie.
17
Enfin, nos récits et représentations ont
créé des habitudes fortes qu'il est difficile de changer. Prendre
sa voiture, manger de la viande, faire ses courses au supermarché...
autant d'habitudes qui sont encore profondément ancrées dans
notre culture occidentale.
5) Conséquences des barrières
Les différents types de barrières psychologiques
- non exhaustives - que nous avons présentées mènent
à différents types de réactions ou de comportements face
aux constats et aux implications écologiques.
La dissonance cognitive est une des
principales conséquences des barrières culturelles. Ce concept a
été formulé pour la première fois par le
psychologue Leon Festinger dans son ouvrage A theory of cognitive
dissonance (1957). Il s'agit d'une situation de malaise, de tension dans
lequel se trouve un individu quand il est en présence
d'éléments cognitifs5 contradictoires. Dès lors
qu'il y a un décalage entre intention et action, entre conscience et
engagement, il y a dissonance cognitive. Par exemple, une personne consciente
des enjeux environnementaux mais dont le travail n'est pas en accord, voire est
incompatible avec l'écologie, est en situation de dissonance.
Cela peut créer des sentiments de
culpabilité, de frustration et de mal-être, mais pour les
éviter, nous développons inconsciemment des comportements et
stratégies visant à réduire cette dissonance. Selon
Festinger, « pour ne pas se mettre psychiquement en danger, l'individu a
besoin de maintenir une certaine cohérence entre ses croyances, ses
attentes et ses actes. Quand la dissonance est trop grande, cela provoque une
réaction de négation, de rejet, d'évitement ou d'oubli.
» Il existe donc plusieurs façons de réduire la dissonance
cognitive. La personne peut réduire les éléments
dissonants en évitant, en ignorant ou en minimisant
toutes les informations qui entrent en contradiction avec ses croyances ou
valeurs. Une autre façon de réduire la dissonance est
d'aug-menter les éléments consonants en renforçant ses
croyances ou en justifiant son comportement. Pour cela, nous avons tendance
à chercher et privilégier des informations confirmant nos
idées, et accorder moins de poids aux hypothèses et informations
allant à l'encontre de ses conceptions ; c'est ce qu'on appelle le
biais de confirmation. Enfin, nous pouvons réduire la
dissonance en ajoutant des éléments de justification
à nos croyances ou à nos comportements. Par exemple,
nous pouvons justifier le fait de prendre l'avion par le fait que nous avons
fait des efforts pendant l'année pour réduire notre bilan
carbone. Plus les croyances sont ancrées, plus le déni et la
justification sont forts, plus les croyances se renforcent, dans une boucle de
rétroaction difficilement arrêtable.
5 Un élément cognitif désigne tout ce qui
est susceptible de devenir objet de connaissance : comportement, opinion,
croyance, réaction, sensation...
18
Ainsi, les barrières cognitives, sociales,
émotionnelles et culturelles que nous avons présentées
peuvent mener à des situations de dissonance cognitive, de déni,
et d'évitement très puissants, qui expliquent l'inertie, et la
difficulté à prendre conscience et à agir. Nous n'avons
ici vu que les principaux blocages psychologiques, il en existe beaucoup
d'autres. De plus, au-delà de ces blocages psychologiques, il existe de
très nombreux blocages structurels et sociétaux dépendant
moins de nous : l'accélération et le manque de temps, la pression
sociale autour du travail, de l'argent, les verrous techniques et
économiques, le manque d'alternatives pour certains domaines... L'aspect
systémique de ces blocages est aussi très important à
noter : tous ces blocages sont reliés entre eux, se cumulent et se
renforcent les uns les autres, et se manifestent à la fois
psychologiquement, socialement, comportementalement et neurologiquement, ce qui
explique aussi la diversité des recherches et des disciplines, et la
difficulté à identifier des catégories et une vision
linéaire de ces phénomènes. Mais la littérature
étudiée nous a mené à conclure que la plupart de
ces barrières sont liées aux représentations culturelles,
aux croyances et aux récits que nous avons construits, qui constituent
donc le principal verrou à la prise de conscience et à
l'engagement écologiques. Lorsqu'il s'agit de notre vision du monde, du
sens de notre vie, et de notre avenir qui sont remis en question, la phase de
déni peut être très longue, et la prise de conscience
difficile. Cela permet aussi de comprendre que changer véritablement ses
habitudes de vies et s'engager passe nécessairement par une
dé-construction et une reconstruction de notre façon de voir le
monde, et donc par un transformation intérieure profonde.
Alors, face à la puissance et la diversité de
ces blocages, comment cette transformation intérieure a-t-elle lieu ?
Comment ce processus est-il vécu ? Malgré cette diversité
et complexité de barrières, il suffit parfois d'un verrou qui
saute pour que les autres suivent, dans un processus de changements et de
libération profonds.
III- Le processus de prise de conscience et d'engagement
écologiques
« Un coeur qui s'ouvre peut contenir tout l'univers
», Joanna Macy
« Il y a des choses qu'on ne voit comme il faut qu'avec
des yeux qui ont pleuré », Henri Lacordaire
« Je ne crois pas que nous puissions corriger quoi que
ce soit dans le monde extérieur, que nous n'ayons corrigé
nous-même », Etty Hillesum
La prise de conscience et d'engagement a peu été
étudiée en tant que processus. Nous avons réuni trois
types d'approches qui nous semblent pertinentes et complémentaires, et
que nous présenterons à tour de rôle, en essayant de mettre
en évidence à chaque fois leurs apports et leurs limites.
1) 19
La conscientisation (Paulo Freire)
Le pédagogue brésilien Paulo Freire, connu pour
ses travaux et sa pratique de l'éducation comme moyen militant et
politique de conscientisation et de libération, identifie trois niveaux
de conscience dans un processus de changement profond.
Le premier niveau correspond à ce qu'il appelle la
« conscience magique ». Il s'agit du degré de
conscience le plus aliéné ; la conscience est dépendante
et soumise, les personnes manquent de distance suffisante avec la
réalité pour l'objectiver et l'aborder de manière
critique. Puis un processus de construction des savoirs et
d'alphabétisation culturelle permet de dépasser l'ignorance.
C'est la conscience naïve, qui amène les personnes
à soupçonner ce que peut être la véritable raison de
l'ordre des choses et de la réalité. Enfin, le troisième
niveau correspond à la conscience critique. Les
personnes prennent conscience de la réalité socioculturelle qui
moule leur vie, et comprennent l'ampleur du potentiel qu'elles ont pour
transformer la réalité et se transformer elles-mêmes comme
partie de cette réalité.
On retrouve dans son raisonnement trois
éléments clés qui permettent de dépasser
l'igno-rance et de se libérer de notre dépendance aux croyances :
la connaissance et la construction des savoirs, la conscience des
éléments qui nous déterminent, et la conscience de notre
capacité à agir dessus. Un autre élément
intéressant est la portée libératrice de ce processus.
Enfin, selon lui, l'action est centrale dans ce processus : la conscientisation
sans action, ne créerait qu'une illusion de changement. La
réflexion et l'action s'alimentent l'une l'autre dans un aller-retour
que Paulo Freire nomme l'action réflexive, c'est-à-dire le fait
de mettre la réflexion au coeur de l'action en vue à la fois de
l'améliorer et d'en apprendre. La conscientisation permet alors, selon
Freire, de s'émanciper et de se libérer des oppressions.
L'approche de Freire n'est cependant pas liée aux
enjeux écologiques, même elle peut facilement s'y appliquer.
Limites
2) L'échelle de conscience (Paul Chefurka)
Dans son article « Gravir l'échelle de la
conscience » (climbing the ladder of awareness), le
chercheur canadien Paul Chefurka propose une échelle de prise de
conscience en 5 étapes.
La 1ère étape est celle du
sommeil profond. La personne ne semble pas voir de
problème fondamental. Si problème il y a, c'est qu'il n'y a pas
assez de ce qu'il y a déjà (croissance, emplois, salaires,
développement...). Puis, la personne prend conscience d'un
problème fondamental qui retient toute son attention. Ce peut
être le changement climatique, la biodiversité, le pic
pétrolier, la pollution, les inégalités, les migrations...
Cela peut mener à devenir un ardent militant pour la cause choisie.
Ensuite, la personne prend conscience de la diversité des
problèmes. Elle cherche à les hiérarchiser selon
leur urgence et leur force d'impact, sans forcément les relier entre
eux. Dans un
20
quatrième temps, la personne prend conscience
des interconnexions entre les problèmes. Tout devient
systémique, les solutions isolées ne fonctionnent plus. Il y a
une tendance à se rapprocher de cercles restreints de personnes aux vues
similaires pour échanger et approfondir leur compréhension.
Enfin, la personne prend conscience que la situation englobe tous les aspects
de la vie. Ces aspects incluent tout ce que nous faisons au quotidien, comment
nous le faisons, nos relations... La personne prend conscience qu'on n'est plus
face à un problème que l'on doit résoudre, mais face
à un predicament (=situation inextricable qui
ne peut être résolue). Il faut donc apprendre à vivre avec,
et on prend conscience des bouleversements inévitables à venir.
On a le sentiment d'être complètement dépassé, tout
est remis en question. Il y a un risque réel de dépression.
Nous voyons donc que la connaissance est au coeur du processus
de prise de conscience de Paul Chefurka. L'élément au coeur du
processus de prise de conscience est la conscience des interconnexions entre
les problèmes et du côté systémique de la situation.
Deux autres éléments sont importants selon lui : la conscience
que la situation englobe tous les aspects de notre vie, et la conscience qu'il
s'agit d'un problème qui ne peut être résolu
complètement et qu'il faut donc accepter. L'intérêt de
cette approche est donc de comprendre les grandes étapes de la prise de
conscience des problèmes de notre civilisation, et de souligner
l'importance primordiale du systémique.
Mais la notion d'engagement et d'action n'est pas du tout
présente dans cette échelle, et se concentre sur un aspect certes
important, mais limité de la prise de conscience. Surtout, l'approche ne
se concentre pas sur les apports de la prise de conscience. La perspective est
très négative, la dernière étape se terminant sur
une situation sans issue et un risque de dépression. Mais Chefurka
précise tout de même dans son article que pour faire face au
désespoir de la 5ème étape, deux routes
semblent se dégager : un chemin intérieur, consistant à
repenser notre façon d'être au monde par une forme de
développement personnel et/ou un chemin extérieur, consistant
à agir pour s'adapter et devenir plus résilient. Ainsi,
contrairement à Freire, l'approche de Chefurka présente l'action
comme un résultat du processus de prise de conscience plutôt que
comme une partie intégrante de celui-ci.
3) La courbe du deuil (Elisabeth Kübler-Ross) sous le prisme
de la collapsologie et de l'écopsy-chologie (Pablo Servigne et Joanna
Macy)
La psychiatre Elisabeth Kübler-Ross a
développé en 1969 une théorie portant sur les
différents stades émotionnels par lesquels passe une personne qui
apprend sa mort prochaine : déni, colère, marchandage,
dépression et acceptation. Elle a également appliqué ces
étapes à toute forme de perte difficile (emploi, divorce,
infertilité...). Aujourd'hui, de plus en plus de personnes vivent ce
processus dans leur prise de conscience écologique. Pablo Servigne et
Joanna Macy expliquent tous deux avoir ressenti et retrouvé ces
étapes dans les réactions des publics qu'ils ont
rencontrés. En effet, comme nous l'avons vu dans les
précédentes parties, prendre conscience des catastrophes en
21
cours et à venir, d'un possible effondrement de nos
civilisations, et de la nécessité de remettre en question et de
changer radicalement nos façons de vivre et de penser, peut être
vécu comme un véritable effondrement intérieur.
L'illustration suivante a été
réalisée par le facilitateur graphique Matthieu Van Niel, et
présente les différentes étapes par lesquels une personne
passe dans ce processus.
Figure 2 : Collapsologie et courbe du deuil
Source : Mathieu Van Niel
a) Déni
La première étape, souvent la plus longue, est
le déni, que nous avons déjà évoqué, et qui
peut impliquer une attitude consistant soit à nier, à ignorer ou
à éviter les informations, et à réprimer ses
émotions. Ici, si l'on considère le « choc » comme
l'information selon laquelle nos civilisations pourraient s'effondrer, la phase
de déni peut-être très longue, voire insurmontable.
b) Colère et peur
La personne peut aussi passer par une étape de
colère et/ou de peur. Selon Pablo Servigne, la colère est «
une forme d'expression de la peine et de la souffrance, et surtout la preuve
d'une grande sensibilité à l'injustice. La colère peut
aussi signifier une volonté, une rage de vivre, et même
de vivre ensemble ». Elle peut mener à vouloir
désigner des coupables et des responsables. La peur se manifeste plus
comme de l'anxiété et de l'angoisse, qui peuvent nous paralyser
lorsque l'on pense au futur. Mais les études sont partagées sur
l'impact de ces sentiments sur l'engagement : certaines montrent qu'ils sont
positifs, d'autres l'inverse. Il ne semble finalement pas y avoir de
corrélation, et d'autres facteurs sont à prendre en compte.
c) Marchandise et négociation
La phase de marchandise, ou de négociation peut
consister à vouloir trouver des moyens alternatifs sans aller aux
racines des problèmes ; Mathieu Van Niel a choisi l'exemple de la
voiture électrique, mais la principale manifestation de la marchandise
est sûrement la croyance aux technologies comme moyen de nous sauver.
Cette étape peut inclure les phénomènes du biais de
confirmation et de la justification que nous avons évoqués
précédemment, et qui permettent de réduire la dissonance
ou de fuir la souffrance.
d) Dépression et
éco-anxiété
Lorsque l'on réussit à faire face aux
problèmes, à notre capacité limitée à les
résoudre, et donc au risque d'effondrement, le choc peut être
rude. Comme le soulignait Chefurka dans son échelle, il y a un risque
réel de dépression associé à la prise de conscience
écologique. La personne peut se sentir complètement
dépassée, ne plus trouver de sens à sa vie si celle-ci est
ancrée dans le système et contribue aux crises en cours. «
C'est vraiment le bazar, plus rien n'a de sens », illustre Matthieu Van
Niel. Plus largement, pour désigner la souffrance et l'angoisse
liées à l'état du monde et à la perspective d'un
effondrement, le terme d'éco-anxiété a été
développé en 2011 par la psychiatre et chercheuse
Véronique Lapaige. C'est un phénomène récent auquel
commencent tout juste à s'intéresser les psychologues et
psychanalystes, au vu de la multiplication de sa manifestation. Il est
toutefois important de distinguer éco-anxiété et
dépression : la dépression est une maladie, tandis que
l'éco-anxiété n'en est pas une mais peut mener à la
dépression. Une des principales critiques de la collapsologie porte sur
le risque de démobilisation, de dépression et de comportements
surviva-listes que la perspective d'un effondrement peut provoquer. Mais
l'éco-anxiété peut aussi être une véritable
source de motivation et d'engagement : « le nombre d'éco-anxieux
croit de jour en jour, et heureusement (...). Parce que
précisément, c'est ce phénomène
d'éco-anxiété qui va nous permettre de faire face, de nous
engager, à différents niveaux, face à l'ampleur des
impacts environnementaux », estime Véronique Lapaige. Ses propos
rejoignent la pensée de Joanna Macy, qui, comme nous l'avons vu,
considère que la « douleur est le prix de la conscience dans un
monde menacé et souffrant. Dans tous les organismes, la souffrance a une
finalité : celle d'un signal d'alarme. Non seulement elle est naturelle,
mais c'est une composante indispensable de notre guérison collective
».
22
e) Acceptation et renouveau
23
Selon Joanna Macy, cette phase de souffrance et de
désespoir serait en effet nécessaire, libératrice et
régénératrice. Lorsque nous commençons à
participer et à nous épanouir dans la construction de nouvelles
façons de penser et de vivre, nous entrons dans la phase d'acceptation
et de renouveau.
Cette phase se construit à la fois dans la
réflexion et dans l'action. D'une part, faire face à nos
contradictions et aux catastrophes écologiques peut nous amener à
réfléchir et à se poser des questions fondamentales sur
notre place dans le monde et sur le sens de notre vie. D'autre part, l'action
et l'engagement permettent de construire de nouvelles façons de se voir,
de voir l'autre et de voir le monde. Ainsi, selon Servigne, « l'action
n'est pas l'aboutissement d'un processus, mais elle fait partie
intégrante du processus de transition intérieure. C'est elle qui
permet dès le début de la prise de conscience de sortir d'une
position d'impuissance inconfortable en apportant quotidiennement des
satisfactions qui maintiennent optimistes. Ce sont d'abord de petites actions
qui paraissent insignifiantes, puis de plus conséquentes, suivant les
gratifications que chacun a pu tirer des premières. C'est en agissant
que notre imaginaire se transforme ». Ainsi, ce processus
de réflexion et d'action liées peuvent permettre de
(re)définir son soi profond, son rapport aux autres, et son rapport au
monde, ce qui peut être source de joie et de bonheur profonds. Joanna
Macy explique que ce processus peut libérer une énergie
créatrice renforcée, et permettre de « recouvrer sa passion
pour la vie, sa créativité innée et sauvage ».
D'autres auteurs ont étudié l'aspect libérateur et
créateur de la prise de conscience : pour Murphy, « la conscience
est un seuil qui, une fois franchi, nous ouvre tout un univers : langage,
objectivité, connaissance, curiosité, apprentissage
créatif, action subjective, motivation intérieure, espoir,
intention, libre choix - bref, un univers où nous pouvons jouer un
rôle actif », et pour Rouillard : « La liberté est
proportionnelle au degré de conscience d'un être, laquelle est
elle-même et de manière implicite proportionnelle au degré
de responsabilité qu'il ressent ». Les notions de liberté et
de pouvoir d'action, de responsabilité, semblent intimement
liées. Pour autant, il est important de noter qu'il ne s'agit pas d'un
processus linéaire, qu'il est possible de faire des allers-retours entre
désespoir et joie, voire de ressentir des sentiments contradictoires en
même temps. Comme le résume Mathieu Van Niel sur son illustration
: « C'est pas simple, c'est pas facile, mais c'est beau ». Aussi,
toutes les étapes ne sont pas forcément vécues, et pas
forcément dans cet ordre, et Pablo Servigne précise
également que cette courbe n'est pas une norme applicable pour tous,
mais un repère utile pour beaucoup.
Cette approche du processus de prise de conscience par le
prisme des émotions est particulièrement intéressante car
elle nous permet de réaliser l'importance de l'expression de nos
émotions pour nous engager et changer pleinement. Surtout, elle peut se
révéler très utile pour accompagner et aider les personnes
dans leur cheminement ; c'était la vocation première de la courbe
de deuil de Kübler-Ross pour ses patients. Pablo Servigne explique que la
connaissance même de cette courbe peut représenter une vraie
libération et un vrai soulagement, car la personne réalise que
ses émotions
24
sont naturelles, que le processus de changement est long,
dynamique, et complexe, et qu'il finit par déboucher sur un horizon plus
serein. Aider et accompagner les personnes dans ce cheminement et dans leur
rapport à leur environnement est d'ailleurs l'objet de
l'écopsychologie portée par Joanna Macy. Enfin, l'approche montre
que pour dépasser le stade du désespoir et du sentiment
d'impuis-sance, un des éléments clés est de prendre
conscience de sa capacité et de sa responsabilité d'agir en
prenant part et en s'épanouissant dans un processus d'action et de
réflexion reconstructeurs. On retrouve ici la pensée de Paulo
Freire, pour qui la conscience de sa capacité d'agir, l'action et la
réflexion sont tous trois essentiels et reliés.
Cependant, l'échelle ne permet pas toujours de
comprendre ce qui permet de passer d'une étape à une autre, et
notamment pour la phase de déni. On peut également se demander si
passer par cette phase de dépression, de désespoir est «
nécessaire », comme semble l'indiquer Joanna Macy, et questionner
les risques que cela peut entraîner
Ces trois approches révèlent des processus
complémentaires. Les échelles de Freire et de Chefurka mettent
l'accent sur l'importance de la connaissance et de la construction des savoirs
dans ce processus. Freire parle « d'alphabétisation culturelle
» et de « conscientisation », tandis que Che-furka souligne
l'importance de la conscience du systémique. Les approches de Macy,
Servigne, et de Freire soulignent l'aspect libérateur de ce cheminement,
qui, par un processus de réflexion et d'action s'alimentant l'un
l'autre, permettrait à la personne de recouvrir son pouvoir d'action, et
de se redéfinir dans son rapport à soi, aux autres et au monde.
Cela permettrait à la personne de se transformer, et de transformer la
réalité imaginaire qui nous guide. Enfin, Macy et Servigne, en
reprenant la courbe de deuil développée par Elisabeth
Kübler-Ross, montrent que le processus de prise de conscience peut
être vécu comme un véritable deuil : faire face aux crises,
aux constats et aux implications peut à la fois
désespérer, faire peur et rendre triste, et en même temps
remettre en question tout le sens d'une vie. Mais faire le deuil de la
société et de mode de vie peut être vécu comme un
processus libérateur, régénérateur et
créateur.
« Il fallait que nous changions du tout au tout notre
attitude à l'égard de la vie. Il fallait que nous apprenions par
nous-même et, de plus, il fallait que nous montrions à ceux qui
étaient en proie au désespoir que l'important n'était pas
ce que nous attendions de la vie, mais ce que nous apportions à la vie.
Au lieu de se demander si la vie avait un sens, il fallait s'imaginer que
c'était à nous de donner un sens à la vie à chaque
jour et à chaque heure ».
Bilan de la revue de littérature
Nous avons d'abord vu la complexité, la
diversité, et l'interdépendance de toutes les crises que nous
connaissons, qui ont déjà des conséquences
catastrophiques, et qui pourraient mener à un
25
effondrement de la civilisation telle qu'on la connait. Que
nous le subissions ou que nous le choisissions, des changements radicaux dans
nos modes de production, de consommation, d'organisation et de vie sont
inévitables. Les moyens d'action ne manquent pas, et nous pouvons agir
pour à la fois limiter les dégâts, créer de
nouvelles façons de faire, et changer nos façons de penser.
(Tableau 1)
Mais individuellement, la prise de conscience et le passage
à l'action sont très difficiles, et, en plus de barrières
politiques et socio-techniques, ils sont soumis à de nombreux blocages
psychologiques. Difficulté à percevoir et interpréter les
informations, volonté de se conformer aux normes sociales, refoulement
de nos émotions, et surtout, puissance des récits et croyances
dominants qui déterminent notre façon d'être et d'agir ;
toutes ces barrières s'érigent ensemble comme une montagne entre
nous et le chemin de la durabilité. Une montagne qui semble
infranchissable, et provoque des sentiments de culpabilité, de
frustration, de mal-être lorsqu'on la regarde en face, et des
comportements de déni, d'évitement et de justification pour
éviter de la gravir. (Tableau 2)
Mais cette montagne n'est pas infranchissable. Lorsqu'on
réalise la nécessité de l'emprunter, il faut changer du
tout au tout sa façon de penser et de vivre, ce qui peut se
révéler très difficile, mais finalement initiatique. En
effet, en agissant, réfléchissant, ressentant et exprimant des
émotions, on peut prendre conscience de notre pouvoir d'action, de notre
rôle, mettre en accord et ajuster nos pensées et nos actions, et
ainsi finalement se reconstruire dans une démarche de conciliation
respectueuse et durable entre soi, les autres et le monde. (Tableau
3).
Ainsi, le processus d'engagement écologique semblerait
être un processus transformateur intérieur et extérieur
libérateur (Hypothèse principale)
Tableau 1 : Résumé de la partie
1 - Fondements de la prise de conscience et de l'engagement
Constats
|
- un monde d'exponentielles
- un monde de ressources finies : les limites auxquelles nous
nous heurtons
- le franchissement de barrières et la proximité
avec des points de bascule
- le verrouillage sociotechnique de nos sociétés
qui empêchent le changement
- la fragilité et vulnérabilité croissantes
de nos sociétés
|
Implica- tions
|
- les catastrophes en cours et inévitables à
venir
- la probabilité d'un effondrement
- la nécessaire remise en question fondamentale de nos
modèles
|
Actions
|
- limiter les dégâts (atténuation et
adaptation)
- comprendre la situation et créer des alternatives -
changer de paradigme culturel
|
Tableau 2 : Résumé de la partie
2 - Barrières psychologiques à la prise de conscience et à
l'engage-ment
Type de barrières
|
Manifestations
|
Conséquences
|
Barrières cognitives
|
- cerveau primitif, distances
- fatigue environnementale
- décalage du point de référence
|
- dissonance cognitive - impuissance acquise - déni,
réactance
|
Barrières sociales
|
- normes sociales, désir mimétique, interaction
spéculaire
|
26
|
- conformisme, ignorance concertée, conditionnement
collectif
- dilution de responsabilité
|
- évitement, fuite - justifications
|
Barrières émotion- nelles
|
- peur de souffrir, de désespérer, de cul-
pabiliser
- peur de paraître morbide, de paraître faible
|
Barrières culturelles
|
- récits et croyances - habitudes
|
Tableau 3 : Résumé de la partie
3 - Processus de prise de conscience
|
Conscientisation Paulo Freire
|
Echelle de conscience Paul Chefurka
|
Courbe de deuil Elisabeth Kübler Ross Macy
et Servigne
|
Etapes
|
- conscience magique - conscience naïve
- conscience critique
|
- sommeil profond
- un problème fondamental
- plusieurs problèmes hiérarchisés -
plusieurs problèmes intercon- nectés
- predicament
|
- déni
- colère et peur
- marchandage
- dépression et éco-anxiété
- acceptation et renouveau
|
Eléments clés de la prise
de conscience
|
- connaissance (« alphabé- tisation culturelle
»)
- conscience des détermi- nants
- conscience de son pou- voir d'action
- action / réflexion
|
Connaissance de :
- l'interconnexion entre les pro- blèmes
- la situation englobe tous les as- pects de nos vies
- le pb ne peut être résolu (predi-
cament)
|
- accepter et exprimer ses émotions
- souffrance et désespoir - conscience de son pou-voir
d'action
- action / réflexion
|
Résultat
|
- libération, émancipation - la personne contribue
à transformer la réalité
|
- action politique - action intérieure
|
- Redéfinition de soi, de son rapport aux autres, de son
rapport au monde - Libération, création, éner-gie, joie
- la personne contribue à construire de nouveaux
récits et imaginaires
|
Apports
|
- éducation au coeur du changement
- nécessité d'action/ré- flexion
|
Importance des interconnexions, du côté
systémique des crises
|
- peut aider, accompagner et soulager les personnes vivant ce
processus
- processus libérateur et
transformateur, à la fois pour la personne et pour
l'imaginaire collectif
|
Limites
|
Non reliée aux enjeux éco- logiques
|
- Facteur explicatif limité
- L'action ne fait pas partie du pro- cessus mais en est un
résultat
|
Ne prend pas en compte les
premières étapes, part à partir d'un
choc.
|
27
PARTIE 2 : ENQUÊTE DE TERRAIN
Méthodologie de l'enquête de terrain
1) Formulation des hypothèses de recherche
Pour répondre à notre objet d'étude,
à savoir la compréhension du processus d'engagement
écologique, nous essaierons à la fois de comprendre comment une
personne consciente mais bloquée en vient à s'engager, et
qu'est-ce que cet engagement implique. La revue de littérature nous a
déjà permis d'aborder des pistes de réponses, que nous
allons ici présenter, pour ensuite les tester et les explorer dans notre
enquête de terrain.
Nous avons vu que la connaissance était au coeur des
trois approches du processus de prise de conscience présentées.
Aujourd'hui, la grande majorité de la population française a
connaissance et conscience des changements climatiques, de l'extinction de la
biodiversité, de la pollution atmosphérique, des océans,
de la déforestation... Mais combien ont une connaissance approfondie des
mécanismes climatiques ? Des limites et barrières
planétaires, des effets de seuil, des boucles de rétroaction ?
Combien ont conscience de la complexité et des interconnexions entre ces
crises ? De leurs origines, de leurs implications ? Il n'existe pas
d'étude approfondie sur ces degrés de connaissance, mais une
étude de l'OFCE a révélé que le niveau de
connaissances factuelles sur les changements climatiques des français
était dans l'ensemble « faibles à passables ». Or, pour
s'engager, il est essentiel de saisir l'urgence et l'importance des changements
nécessaires, et donc pour cela d'appro-fondir les connaissances. Nous
postulons donc qu'une connaissance approfondie et systémique des
crises socio-écologiques, de leurs causes, de leurs implications et de
leur complexité est un levier clé d'engagement
écologique.
Mais la connaissance n'est pas suffisante seule. Nous l'avons
vu, les blocages sociaux sont extrêmement forts, et la puissance du
conformisme est telle que même avec une connaissance approfondie des
crises que nous traversons, une personne se plaçant dans un groupe
social très peu sensibilisé aura du mal à s'en extraire et
à agir et penser différemment. Mais ces mécanismes de
mimétisme et de conformisme peuvent devenir une force et des leviers
d'engagement s'ils fonctionnent dans l'autre sens. Nous posons donc que
le processus d'engagement écologique individuel passe
nécessairement par le groupe, le collectif.
En s'engageant individuellement et collectivement, les
personnes sont amenées, au fil du temps, à expérimenter
des actions, à les mettre en oeuvre, à en apprendre, et donc,
à changer et lever les blocages culturels à la prise de
conscience et à l'engagement. Les approches de Freire ainsi que de
28
Joanna Macy via la courbe du deuil mettent en évidence
la transformation des personnes par ce processus, et la transformation
conséquence progressive des représentations sociales. En
s'enga-geant, les personnes se transforment progressivement dans leur rapport
à soi, aux autres, et au monde, ce qui mènerait, via les
mécanismes d'interaction spéculaire et de désir
mimétique étudiés précédemment, à une
transformation conséquente progressive des récits collectifs et
de la réalité imaginaire. Freire et Macy évoquent tous
deux l'aspect libérateur de ces transformations : la personne, peu
à peu, réduit les dissonances cognitives, comprend ses
déterminants, vient à s'en émanciper, comprend son pouvoir
d'action et construit de nouveaux modes de pensée et d'action. Ainsi,
le processus d'engagement écologique serait un processus de
transformation intérieure et extérieure
libérateur.
Ces transformations profondes peuvent être difficiles
à vivre, mais aussi source de bonheur et de joie. Comme l'a
étudié Joanna Macy, elles peuvent être vécues comme
un effondrement intérieur, comme une perte de sens, et mener à
des situations de stress, d'angoisse, de tristesse, voire de dépression
si le choc ou la dissonance cognitive sont trop grands, ou le contexte
personnel trop difficile. Mais ces émotions peuvent être
déclencheurs de prise de conscience et d'engagement, et celui-ci mener
à des émotions positives qui vont renforcer l'engagement dans un
cercle vertueux. Les émotions semblent donc centrales dans ce processus
: elles sont souvent refoulées, participant à l'inertie face
à la gravité et la complexité de la situation, mais
peuvent se révéler motrices de l'enga-gement lorsqu'elles sont
exprimées, acceptées et comprises. Ainsi, nous postulons que
l'accepta-tion, l'expression, la compréhension et l'utilisation
des émotions sont fondamentales et motrices dans le processus
d'engagement écologique.
Il convient de souligner l'aspect systémique
de ces hypothèses et la complexité du
processus d'engagement : la connaissance, le groupe, la transformation et les
émotions sont des éléments clés du processus, mais
ce ne sont pas les seuls, et ils sont complémentaires, fonctionnent
ensemble, et peuvent se renforcer les uns les autres en fonctionnant par
rétroaction. Il sera donc intéressant d'étu-dier ces liens
dans l'enquête de terrain.
2) Objectivation participante : expérience personnelle
d'engagement écologique Méthodologie
Le choix de ce sujet de mémoire a largement
été motivé et construit à partir de convictions
personnelles, et à partir de ma propre expérience de processus
d'engagement écologique. Ce rapport étroit au sujet peut
comporter le risque de vouloir imposer ma vision des choses et la projeter dans
ma recherche de terrain, interprétant la pratique des agents par ce
prisme. C'est pour réduire ce risque que le sociologue français
Pierre Bourdieu a développé la notion d'objectivation
participante,
un travail central consistant à objectiver le rapport
subjectif du sociologue à son objet. A noter que nous apportons une
nuance à cette notion d'objectivation participante, car nous
considérons qu'il n'est pas possible, ni même souhaitable
d'objectiver totalement son rapport à l'objet d'étude. Nous
pensons qu'il faut trouver un juste milieu entre l'utilisation de son propre
vécu et convictions, et la recherche de terrain. Autrement dit,
mon expérience et mon vécu peuvent et doivent être pris en
compte dans la recherche, mais il faut veiller à ce que cette recherche
et le terrain ne soient pas utilisés pour appuyer mes pensées,
mais pour les éclairer.
Pour mieux comprendre son rapport à l'objet et veiller
à ne pas déroger à cette règle, il est important
d'effectuer un travail de réflexivité. Pour Bourdieu, la
réflexivité est le travail par lequel la science sociale «
se prenant elle-même pour objet, se sert de ses propres armes pour se
comprendre et se contrôler ». Selon lui, la capacité pour le
sociologue de considérer la relation qu'il entretient avec son objet
constitue un moyen d'améliorer la qualité scientifique de ses
travaux. L'objectivation participante est donc un processus
d'auto-analyse du rapport à l'objet, de son propre parcours pour rendre
la recherche plus rigoureuse.
Ici, l'objectivation participante va un peu plus loin qu'une
compréhension de mon rapport à l'objet, puisque j'ai vécu
mon objet d'étude. Il s'agira donc d'analyser mon propre
vécu du processus d'engagement. Au-delà de l'objectif
d'objectivation, ce travail peut aussi constituer un cas d'étude
intéressant, ayant une vision assez complète de comment il s'est
déroulé et a été vécu. Cependant, ce travail
n'est pas inclus dans l'analyse du mémoire, puisqu'elle serait contraire
à la règle énoncée précédemment. Elle
pourra être mise en lien par le lecteur, mais pour cette recherche, ce
récit cherche essentiellement à comprendre le rapport du
chercheur à son objet d'étude. C'est un exercice délicat,
d'abord car il implique de se livrer personnellement, et aussi parce qu'il peut
y avoir un manque de recul sur l'analyse de son propre parcours, et une
subjectivité qui ne permet pas forcément de saisir tous ses
déterminants.
J'ai donc essayé de retracer mon processus
d'engagement, et ai ainsi distingué 5 grandes phases de ce processus,
que je décrirai en précisant pour chacune le niveau de
connaissance, le niveau d'engagement et les émotions liées. A
noter que ce travail a été fait et rédigé avant les
entretiens individuels et avant la revue de littérature, afin de ne pas
être influencée par le récit d'autres personnes.
Description du cheminement
29
Phase 1 - Ignorance et blocages :
30
Description : J'ai grandi dans un
milieu aisé et ai toujours connu un grand confort matériel,
financier et humain. Pendant la première partie de ma vie,
jusqu'à mes 18 ans environ, j'ai vécu dans une ignorance
écologique totale. En grandissant, et à partir de ma licence
d'économie-gestion, j'ai commencé à avoir quelques
informations sur ces enjeux, qui m'ont tout de suite paru importants, mais qui
pour autant ne m'ont pas fait changer dans mon comportement et mes actions. Je
portais de l'intérêt pour ces sujets, sans savoir comment m'en
emparer, et donc sans m'en emparer. Mon quotidien, ma routine et mes habitudes
étaient bien plus forts que cet intérêt et je ne me posais
pas même la question du rôle ou de l'impact que je pouvais avoir
à mon échelle.
Connaissance des enjeux :
très faible
Engagement : Pendant ces 18
années, j'ai été ultra-consommatrice : de vêtements,
de nourriture, de séries, d'énergie... j'étais dans une
attitude très passive et inactive.
Emotions : insouciance,
passivité, inconscience
Phase 2 - Déclic visuel et recherche de sens
:
Description : Pendant mon
échange universitaire de L3 que j'ai eu la chance d'effectuer en
Australie pendant 6 mois, j'ai pu voir des impacts des changements climatiques
de mes yeux, notamment lors d'une randonnée sur un glacier qui
était noir de terre. Il y avait un vieux panneau avec une photo du
même paysage que j'avais sous les yeux, mais sur cette photo le paysage
était blanc de glace. Cette expérience a été un
vrai déclic et m'a poussée à m'informer plus en profondeur
sur ces sujets. Ce processus a été long, ne s'est pas fait du
jour au lendemain, mais en rentrant en France et en reprenant des études
qui n'incluaient quasiment pas ces enjeux pourtant essentiels, j'ai
développé un besoin de trouver et de donner du sens à ce
que je faisais. Ce n'était pas le cas dans mes études, alors j'ai
décidé d'en changer, et de faire un master en
développement durable.
Connaissance des enjeux : faible,
informations dans les médias et sur internet
Engagement : Cette période en
licence s'est accompagnée de premières petites actions,
éco-gestes notamment, mais il y a globalement eu peu de changement dans
mes habitudes de vie quotidiennes. Emotions : pendant
l'expérience visuelle : choc, tristesse, incompréhension,
questionnements. Après : volonté de comprendre, de trouver du
sens et de se sentir utile. Insatisfaction, stress, dissonance
Phase 3 - Formation au développement durable et
découverte de sens :
Description : Ce master a
été un véritable changement et étape clé
dans mon cheminement. Il m'a fait découvrir de nombreuses
thématiques (gestion des déchets, de l'eau, de l'énergie,
biodiversité, RSE, politiques publiques...), m'a fait comprendre la
nécessité et surtout les possibilités d'actions pour la
transition écologique. J'étais convaincue de la pertinence du
développement durable et ne remettait pas fondamentalement en question
nos systèmes et modes de vie.
31
Connaissance des enjeux : moyenne,
connaissance globale des enjeux mais superficielle, cours se focalisant plus
sur les actions que sur le constat, et ne comportant pas d'état des
lieux approfondi et de dimension systémique des problèmes.
Engagement : intégration dans
les études, éco-gestes, mode de vie plus écologique
(courses, déchets, consommation alimentaire, baisse globale de
consommation...)
Emotions : satisfaction,
cohérence, bien-être, positivité et optimisme
Phase 4 - Effondrement intérieur et remises en
question :
Description : Cette étape a
été la plus importante mais aussi la plus difficile. Par le biais
de mon engagement au sein de l'association Avenir Climatique, par le biais de
rencontres, de lectures, d'ap-profondissement et d'une meilleure
compréhension et expertise de ces sujets, j'ai pris toute la mesure de
la gravité de la situation dans laquelle nous sommes. J'ai pris
conscience que si nous ne changeons pas radicalement et très rapidement
nos façons de produire, de consommer, et plus globalement de penser et
de vivre, nous connaîtrons des catastrophes sans précédent
et un effondrement de nos civilisations. Comprendre et accepter cela a
été difficile car beaucoup de blocages sont entrés en jeu
(refus, déni, dissonance cognitive, conditionnement...) et que cela a
remis en question énormément de choses dans ma vie et ma vision
du monde. Ce constat a impliqué une remise en question du fondement et
du fonctionnement mêmes de notre système, de mon rôle et de
ma place dans celui-ci, et donc aussi un bouleversement et une remise en
question intérieurs.
Connaissance des enjeux : bonne,
lectures scientifiques, compréhension des origines, des
mécanismes et des conséquences des changements climatiques, des
rétroactions positives, effets de seuils, de l'interconnexion entre les
crises, du côté systémique des problèmes...
Engagement : début
d'engagement associatif, beaucoup plus de simplicité dans le mode de
vie, se recentrer sur l'essentiel, le social, l'humain, le savoir et la
créativité.
Émotions : dans le constat et
la compréhension des enjeux, je me suis sentie triste, impuissante,
dépassée, perdue pendant cette période. J'ai ressenti
beaucoup de réconfort en vivant ce cheminement en même temps que
deux de mes amies, ça a été d'une grande force.
Phase 5 - Reconstruction et engagement :
Description : Aujourd'hui, après cette
période de doutes, j'ai trouvé beaucoup de réponses et de
réconfort dans l'engagement associatif et militant, et dans les
relations humaines. J'ai compris que chacun avait un rôle à jouer
dans la construction de nouveaux récits et représentations via
notre façon d'être, nos valeurs, nos relations sociales, nos
discours et nos actions.
Connaissance des enjeux : je commence
à avoir une bonne connaissance globale et systémique, et essaie
maintenant d'approfondir les sujets. Je me rends compte aussi de
l'étendue de mon ignorance sur tant de choses, et de ma volonté
d'apprendre toujours plus.
32
Engagement : ces enjeux sont la
priorité numéro 1 de tout ce que j'entreprends. Je m'engage de
plus en plus avec Avenir Climatique, participe à des actions militantes,
et continue à évoluer dans mon mode de vie, dans mes
représentations et croyances. Je suis aussi beaucoup plus engagée
via les discours que je porte auprès de mes proches notamment.
Émotions : Il m'arrive encore
de me sentir impuissante, triste et frustrée en voyant les catastrophes
se multiplier, la situation empirer sans que rien ne change fondamentalement.
Il y a par périodes de la fatigue voire de l'épuisement quand ces
enjeux sont omniprésents dans ma tête et dans mon quotidien. Il y
a aussi souvent un fort sentiment de frustration de ne pas toujours
réussir à convaincre ses proches. Mais dans l'engagement, dans le
collectif, et les échanges humains et sociaux, je ressens beaucoup de
réconfort, d'espoir, de bienveillance et d'optimisme, et finalement
beaucoup d'épanouis-sement et de bonheur. Je passe par des hauts et des
bas mais globalement, les émotions positives prennent largement le
dessus. Finalement, je n'ai jamais ressenti autant d'émotions et aussi
intensément, autant dans le positif que dans le négatif. Je
n'avais jamais été aussi malheureuse, et je n'avais jamais
été aussi heureuse dans le même temps. Et je ne me suis
jamais sentie aussi vivante.
Conclusions sur ma position par rapport à l'objet
d'étude
Choix de l'objet d'étude
C'est en prenant du recul sur ma propre expérience, en
réalisant la difficulté et la lenteur de cette prise de
conscience, l'importance et le nombre de blocages, la difficulté
émotionnelle liée, et, face à ces difficultés, en
réalisant le gain au bout du chemin, en termes d'impact, de
mobilisation, d'enga-gement, mais aussi en termes de sens donné à
sa vie et de bien-être et cohérence personnelle et collective, que
j'ai eu envie de travailler sur ce sujet, afin de comprendre s'il était
vécu de façon similaire, et de pouvoir avoir des clés de
compréhension pour accompagner d'autres personnes dans ce
cheminement.
De l'intérêt d'une subjectivité
objectivée
Nous voyons déjà des illustrations des
éléments évoqués dans la partie
méthodologie. En effet, on voit que la construction de mes
hypothèses a été fortement influencée par mon
expérience : toutes pourraient être validées en lisant la
description de mon processus. Cependant, ces hypothèses ont aussi
été construites par la revue de littérature, et, surtout,
la recherche de terrain aura vocation à éclairer (confirmer,
invalider, ou compléter) ces hypothèses. Ainsi, avec des
éléments permettant de tester, d'approfondir et d'explorer les
réflexions, et en gardant à l'esprit mes déterminants et
les risques liés, mon expérience à l'origine des
hypothèses de départ peuvent devenir une force et un facilitateur
de compréhension. Ce rapport personnel au sujet a été
délicat et parfois difficile à gérer, mais j'ai en tout
cas essayé de l'utiliser au mieux et de la façon la plus
rigoureuse.
33
3) Présentation des méthodes de recherche
L'enquête de terrain a donc pour objectif de mieux
comprendre le processus d'engagement écologique en testant, explorant et
approfondissant les hypothèses introduites précédemment et
résumées ci-dessous :
1) Le processus d'engagement écologique passe par une
connaissance approfondie et systémique des enjeux, de leurs causes et de
leurs implications
2) Le processus d'engagement écologique est
nécessairement collectif
3) Le processus d'engagement écologique est un
processus de transformation intérieure et extérieure
libérateur
4) L'acceptation, l'expression, la compréhension et
l'utilisation des émotions sont fondamentales et motrices dans le
processus d'engagement écologique
Pour améliorer notre compréhension du processus
et tester ces hypothèses, trois méthodes de recherche
complémentaires ont été utilisées : entretiens
individuels semi-directifs, participation observante au sein de l'association
Avenir Climatique, et questionnaire. Nous présenterons brièvement
chacune des méthodes de recherche afin d'avoir une vue d'ensemble de
notre enquête de terrain et de comprendre sa logique, mais nous
présenterons la méthodologie détaillée propre
à chacune dans la description de l'enquête de terrain.
Entretiens individuels de personnes engagées
Pour mieux comprendre le processus d'engagement, il
était essentiel de pouvoir recueillir des témoignages de
personnes engagées, afin de comprendre leur chemin de vie, ce qui les
avait amenées à s'engager, et comment elles vivaient aujourd'hui
leur engagement. Je me suis donc entretenue avec 6 membres de l'association
Avenir Climatique, ce qui a permis de faire le lien avec la participation
observante, et ainsi d'analyser le processus d'engagement à la fois dans
le contexte individuel et dans le contexte collectif.
Participation observante à Avenir Climatique
L'association Avenir Climatique a en effet été
le terrain d'étude de ma participation observante. Il s'agit d'une
association créée en 2007 et qui oeuvre à la
sensibilisation aux enjeux énergie-climat. L'objectif était de
comprendre les liens entre engagement individuel et collectif, et l'impact de
cette association sur le processus d'engagement de ses membres. Je me suis
également entretenue avec Guillaume Martin, membre actif de
l'association, sur les facteurs clés d'engagement de l'association.
Questionnaire
34
Enfin, au fil de ma recherche, il m'a paru important de
pouvoir sortir du cadre d'Avenir Climatique afin de prendre de la distance de
ce contexte pouvant être limité de par la subjectivité
inhérente à mon statut de participante. J'ai donc
réalisé un questionnaire afin de toucher des profils plus
diversifiés et d'avoir une vision plus large de ce processus.
Entretien individuel avec un
chercheur
J'ai aussi réalisé un entretien avec Thibaud
Griessinger, chercheur en sciences comportementales au ACTE Lab, afin de
bénéficier de l'avis d'un professionnel travaillant sur ces
questions au quotidien. Le ACTE Lab est un organisme indépendant de
recherche appliquée dont l'objectif est de développer une
Approche Comportementale de la Transition Energétique (ACTE). Sa mission
est « d'explorer les facteurs cognitifs et environnementaux modulant les
comportements individuels et collectifs et de mettre ces connaissances au
service de la transformation des modes de vie et d'organisation ». Cet
entretien sera utilisé de façon transversale dans la description
et l'analyse de terrain pour expliquer, appuyer ou remettre en question
certains points au fil des trois parties. La retranscription partielle de
l'entretien se trouve en annexe 1.
Ainsi, l'enquête de terrain a cherché à
être la plus holistique possible, en comptant sur quatre axes
complémentaires :
1) Des contextes individuels d'engagement via les entretiens
individuels
2) Un contexte collectif d'engagement via la participation
observante
3) Des données plus globales et diversifiées via
le questionnaire
4) L'avis spécialiste via un entretien individuel avec un
chercheur en sciences comportementales
Tableau résumé des méthodes de
recherche :
Parties
|
Méthode de recherche
|
Objectifs
|
Stratégie de collecte des don-
nées
|
1
|
Entretiens indi- viduels
|
- analyse du processus à l'échelle individuelle
|
- 6 entretiens semi-dirigés
- Guide d'entretiens
- Retranscriptions d'entretiens
|
2
|
Participation observante Avenir Clima- tique
|
- analyse du processus à l'échelle individuelle et
collective - comprendre les facteurs d'en- gagement au sein de l'associa-
tion
|
- Participation ACademy + UEDAC - Journal de bord
- 1 entretien semi-dirigé (guide + synthèse
d'entretien)
|
3
|
Questionnaire
|
- données plus globales et di- versifiées
- comprendre les différences entre des personnes
très enga- gées et peu engagées
|
- question ouvertes et fermées
- approche holistique et décontrac-tée
- 187 répondants divisés en trois groupes selon
leurs réponses
- analyse quantitative et qualitative
|
Trans- versal
|
Entretien indi-cialiste viduel
|
- bénéficier de l'avis d'un spé-
|
- entretien semi-dirigé avec un cher-cheur en sciences
comportemen-tales du ACTE Lab
|
35
Nous aborderons donc successivement ces trois parties, en
présentant pour chacune :
1) La méthodologie employée, son
intérêt et ses limites
2) La description et l'analyse des résultats
3) Une conclusion faisant le lien avec les hypothèses
I- Entretiens individuels : histoires de prise de conscience et
d'engagement 1) Méthodologie
Pour mieux comprendre le processus d'engagement, il
était d'abord fondamental de pouvoir l'explorer à travers le
vécu de personnes engagées, de comprendre leur cheminement et la
façon dont ils vivent leur engagement. J'ai donc pu m'entretenir avec 6
personnes membres de l'association Avenir Climatique. La place de l'association
a été peu abordée dans ces entretiens, car l'objectif
était avant tout de comprendre le cheminement et le ressenti de la
personne dans son quotidien, et que le rôle du collectif sera surtout
analysé dans la partie II.
Il est de plus important de spécifier que ces personnes
sont aujourd'hui tous des amis, plus ou moins proches (ils l'étaient
avant ou le sont devenus après). Cette proximité avec les
personnes interrogées comportait le risque ou la limite que les
systèmes de représentations des personnes s'adaptent au mien, ou
soient similaires de par l'appartenance des personnes au même collectif
(cf interaction spéculaire). Mais ce qui nous intéresse ici est
le chemin qui les a menés à l'engagement, et comment ils vivent
l'engagement, ce qui revêt un caractère plus personnel. Le
questionnaire (partie III) permet de plus de sortir de ce contexte collectif
pour tester les hypothèses. Surtout, la proximité avec
les personnes interrogées a été un grand avantage.
En effet, par cette relation amicale, les personnes étaient en
confiance pour se livrer, et se sont effectivement livrées de
façon très libre et honnête, malgré le
côté parfois très personnel de ce qu'elles me racontaient
et malgré le dictaphone qui enregistrait leurs propos mais qu'ils ont
tous vite oublié. Le fait de connaître ces personnes, de les voir
évoluer au sein d'Avenir Climatique, et de mettre en lien ces
éléments avec le récit qu'ils m'ont fait m'a permis
d'avoir une vision assez complète et claire de leur processus
d'engagement écologique.
La méthode d'entretien choisie a été
l'entretien semi-directif, en s'appuyant sur un guide d'entretien, mais en
gardant une souplesse dans son suivi afin de privilégier le suivi du
raisonnement et du récit de la personne. Ces entretiens se sont faits
dans des contextes informels (soit chez moi soit dans un café) afin de
mettre à l'aise la personne et qu'elle se sente dans une discussion
informelle et donc libre. Le guide a été très important
pour garder une structure globale similaire au fil des 6 entretiens.
36
A chaque fois, trois grandes parties ont été
abordées dans une approche holistique du processus d'engagement : la
première avait pour objectif de comprendre le niveau de conscience et
d'engage-ment de la personne, la seconde de comprendre ce qui l'avait
amenée là, et la troisième de comprendre comment la
personne vivait son engagement aujourd'hui.
Avant d'analyser les points clés du processus
d'engagement qui sont ressortis de ces entretiens, nous présenterons
brièvement les 6 profils.
2) Présentation des personnes
Annexe 2 : Guide des entretiens individuels
Il est vivement conseillé de lire les
retranscriptions complètes des entretiens, au fil de la
présentation de chaque profil, pour avoir une compréhension
complète de chaque parcours.
Valentin a 21 ans. Sa prise de conscience
s'est faite très tôt, mais son engagement a été plus
tardif. Dès la 6ème, un documentaire lui a fait
prendre conscience du problème de la surpêche des requins, qui a
fonctionné comme un déclic pour lui, et lui a fait
réaliser l'aspect systémique des choses. Valentin a
commencé à réfléchir à la possibilité
d'un effondrement dès la classe de 1ère, avec
notamment la lecture du Manuel de transition de Rob Hopkins. Cette
période a été très difficile, car dans la petite
ville où il vivait, il était seul dans son cheminement, il
n'avait personne à qui en parler, et n'avait pas de moyen de s'engager.
Mais Valentin a pu sortir de cette phase difficile en déménageant
à Paris pour un service civique dans une association promouvant
l'économie sociale et solidaire, en rencontrant des personnes qui
pensaient comme lui, et en agissant et s'engageant au quotidien. « Cette
année à Paris m'a vraiment débloqué. Je m'engage
beaucoup plus, je suis beaucoup plus en phase avec moi-même, avec mes
idées. J'ai beaucoup plus de recul sur mes actions au quotidien ou de
manière générale sur ma vie personnelle ». Annexe
3 : Retranscription - Valentin
Juliette a 23 ans. Depuis qu'elle est petite,
elle a toujours porté de l'intérêt pour les enjeux
écologiques, mais sans aller plus loin dans la connaissance et dans
l'engagement ; tout cela restait distant et flou. Le film Demain a
été un premier déclic qui lui a donné envie d'agir
et de s'engager, et qui l'a menée à faire un master en
développement durable. Ce master a été une grosse
étape qui l'a petit à petit amenée à mieux
comprendre les enjeux. Puis elle a commencé à entendre parler des
théories de l'effondrement et de collapsologie par son début
d'engagement à Avenir Climatique. Avec d'autres questionnements
personnels sur sa vie, ces découvertes ont eu un « effet boule de
neige », et elle a vécu une période difficile où
« plus rien n'avait de sens ». Aujourd'hui, c'est dans l'engagement,
notamment avec Avenir Climatique, et dans les relations humaines, qu'elle
retrouve du sens et de la joie. Annexe 4 : Retranscription - Juliette
37
Alix a 29 ans. Il a vécu à
l'étranger entre ses 6 et ses 15 ans : en Côte d'Ivoire pendant 3
ans, au Cameroun pendant 3 ans, en Guadeloupe pendant 3 ans. Lorsqu'il est
rentré à Paris, au fil des années, il s'est rendu compte
qu'il était sur une « pente descendante vers la virtualité,
l'apparence ». Alix a ensuite enchaîné les
expériences, ne trouvant chaque fois pas de sens à ce qu'il
faisait. Il est tombé dans une phase de dépression, de burnout :
« je n'avais pas envie de me lever pour aller bosser parce que je ne
voyais pas de sens à mon job ». Cela l'a fait se questionner plus
globalement sur le sens de sa vie, de la vie et de nos sociétés.
Au fil des recherches et des questionnements, il a découvert les
théories de l'effondrement, qui ont été un vrai
déclic pour lui en lui permettant de mieux comprendre les enjeux et d'y
voir plus clair. Par la conscience de son rôle, par la philosophie, par
les rencontres et par l'engagement, Alix a finalement trouvé le sens qui
lui manquait et est aujourd'hui épanoui et en accord avec ses
valeurs. Annexe 5 : Retranscription - Alix
Angèle a 23 ans. Elle a toujours eu
une sensibilité, une civilité écologique, qu'elle estime
tenir de son père qui est horticulteur et qu'elle aide chaque
été. Elle est rapidement devenue engagée, de par notamment
son alimentation végétarienne, et son intérêt pour
l'humanitaire. Après des études qui manquaient de sens, elle est
entrée dans un master de développement durable, qui lui « a
ouvert à une grande partie de ce qui a suivi ». Puis elle a
découvert les théories de l'effondrement, qui l'ont à la
fois désespérée et motivée. Aujourd'hui, elle
trouve de l'espoir et de la joie dans son engagement citoyen et militant,
notamment à Avenir Climatique, et dans le partage et l'humain. Annexe
6 : Retranscription - Angèle
Gaëlle a 22 ans. Son engagement
écologique est d'abord passé par l'alimentation via le
végétarisme. Elle a ensuite eu besoin de convaincre ses proches,
et pour cela de se renseigner et de s'informer plus en profondeur. C'est de
cette façon qu'elle a pris conscience de la gravité des
changements climatiques, mais aussi des interconnexions avec les autres crises,
et du risque d'effondrement de nos civilisations. Bien que cela lui faisait du
bien d'avoir des personnes avec qui parler d'autres choses, elle se sentait
seule dans ses questionnements, et a donc cherché une association ou un
groupe duquel se rapprocher. C'est là qu'elle a découvert Avenir
Climatique, qui lui a permis de beaucoup réduire les émotions
négatives via les rencontres et l'engagement dans le projet EduClimat.
Aujourd'hui, elle prépare une thèse sur les modélisations
du cycle du carbone et l'impact sur les calottes glaciaires au laboratoire des
sciences du climat et de l'environnement, mais se pose des questions sur
l'utilité et l'impact de ce travail par rapport à un travail plus
actif de sensibilisation à plein temps. Annexe 7 : Retranscription -
Gaëlle
Luc a 25 ans. Il a grandi à Toulouse
entre la ville et la campagne, a fait une école d'ingénieur et
travaille aujourd'hui en tant que consultant énergie-climat à
B&L Evolution pour accompagner des
38
territoires sur des plans climat. Pendant son année de
césure, son voyage humanitaire de 3 mois à Madagascar lui a
ouvert l'esprit et fait remettre en question beaucoup de choses dans son mode
de vie. Le vrai déclic pour lui a été pendant ses 3 mois
de chômage après ses études, lorsqu'il a eu du temps pour
approfondir les sujets. Il parle d'un « engrenage » qui l'a
poussé à s'engager, à s'informer, à mettre en
accord son quotidien, son métier, avec ces enjeux. Annexe 8 :
Retranscription - Luc
3) Description et analyse
Nous voyons déjà, par la présentation
rapide de ces profils (et l'éventuelle lecture des retranscriptions),
qu'il existe de grandes similarités dans ces parcours. Nous pouvons
cependant faire une distinction entre les parcours de Valentin d'une part,
d'Alix d'autre part, et de Juliette, Angèle, Gaëlle, et Luc d'autre
part.
Pour ces derniers, il y a au départ une
sensibilité, un intérêt et une conscience de ces enjeux,
puis une découverte plus approfondie des mécanismes, des enjeux,
de leurs implications, puis une période difficile de remises en question
et de bouleversements voire d'effondrement intérieur pour certains, et,
enfin, un engagement associatif, personnel, professionnel, et des rencontres
permettant de retrouver du sens et de la joie.
Pour Valentin, la temporalité a été
différente : il a été conscient des enjeux et de leur
gravité très tôt, mais est resté seul pendant de
nombreuses années, ne sachant à qui en parler ou comment
s'enga-ger. La période de doutes et de déprime a
été beaucoup plus longue, et il n'y a pas eu de choc ou
d'effondrement, mais l'engagement s'est fait ensuite via le groupe et les
rencontres. Il a l'impression de « s'être construit dans l'autre
sens ».
Enfin, pour Alix, c'est plus le contexte qui différait.
Plus âgé, il était déjà dans la vie active et
ce sont ses expériences professionnelles qui lui ont fait prendre
conscience du manque de sens. Ces questionnements sont venus avant la
découverte des théories de l'effondrement, qui ne sont donc pas
arrivées pour lui comme un choc ou un effondrement intérieur,
mais plutôt comme un déclic voire un soulagement qui lui a permis
de comprendre et de mettre un mot sur ce qu'il ressentait, et de passer
à l'action.
On voit donc que la temporalité et les contextes ont
été différents, il y a souvent des facteurs
déclenchants, des déclics spécifiques au contexte de la
personne. Mais dans ces 6 cheminements, nous retrouvons des facteurs
clés communs : l'importance de la connaissance, notamment via les
théories de l'effondrement, l'effet du groupe et de l'engagement,
notamment via Avenir Climatique, et le rôle central des émotions,
autant positives que négatives, dans ce processus.
Approfondissement des connaissances et
théories de l'effondrement comme déclencheurs de
l'engagement
Pour chacune des 6 personnes, la volonté de s'engager
est passée par une connaissance approfondie des enjeux
écologiques. Les théories de l'effondrement ont joué une
place importante pour tous, souvent via le livre de Pablo Servigne, Comment
tout peut s'effondrer.
Pour Alix, qui était en pleine période de
doutes, de perte et de recherche de sens, les théories de l'effondrement
ont été comme un éclaircissement de tous ses
questionnements : « C'est comme si tu avais une pelote de noeuds, et que
tu trouvais le petit truc sur lequel tirer et tout devient limpide. Ça a
permis de mettre un mot sur l'intuition qu'il y a quelque chose qui ne
fonctionne pas, il y a un truc qui cloche. Ce n'est pas la perspective
d'effondrement, mais finalement plus la compréhension, le modèle
qui amène à ce fait là. Le fait que tout est lié.
De comprendre par quoi c'est lié, par quoi ça a un
impact. Là, ça a été... waouh. Ça a
été ah ouais, ok, là je réalise, je comprends
l'am-pleur du truc et... Ah c'était complètement dingue,
c'était complètement dingue. » On voit ici que ce n'est pas
la perspective de l'effondrement qui l'a le plus marqué, mais la
compréhension des mécanismes qui amènent à cette
perspective.
Dans cette compréhension, la vision systémique
des problèmes a été centrale chez les 6 personnes.
Gaëlle explique ainsi : « j'ai commencé à comprendre
que ce n'était pas juste un problème, que tout
était connecté, que toute la société, tout le
système allait mal ». On retrouve ici l'échelle de
conscience de Chefurka : souvent, les personnes partaient d'un problème
: l'alimentation ou l'humanitaire pour Angèle, l'alimentation aussi pour
Gaëlle, les requins pour Valentin... puis réalisaient la
diversité, l'interconnexion des crises, et enfin que ce problème
était présent partout. « Tu vois tout par ce
prisme-là », explique Juliette.
Ainsi, par la collapsologie notamment, mais aussi par d'autres
sources (ont été cités Jancovici, le manuel de transition
de Rob Hopkins ou encore le rapport Meadows), les personnes ont approfondi
leurs connaissances en réalisant notamment :
- l'aspect systémique des crises (« tout est
lié »)
- la globalité et l'origine des problèmes («
toute la société, tout le système (va) mal »)
- les liens entre les crises et son propre quotidien
- les implications de ces constats (possible effondrement de
nos civilisations, impossibilité d'un statu quo)
39
Implications émotionnelles des théories
de l'effondrement
40
Pour chacun, l'approfondissement des connaissances a
été difficile, à des degrés divers, mais tous ont
été impactés en comprenant les mécanismes en jeu et
donc l'ampleur et la gravité de la situation.
Pour Angèle, « ça a provoqué
beaucoup de peine. C'était à la fois
désespérant, à la fois enrageant de se dire qu'on est un
peu seuls à se préoccuper de ça, et en même temps
j'avais parfois envie de m'amuser comme tout le monde, et en même temps
je me disais comment est-ce qu'on peut s'amuser alors qu'il y a ces
questions-là ». Il y a donc non seulement la peine des perspectives
que ces constats imposent, mais il y a aussi une remise en question
personnelle sur son mode de vie et sur soi, face à ces
perspectives et à ces constats. Thibaud Griessinger, chercheur en
sciences comportementales, explique en effet que : « Si tu te rends compte
que ton mode de vie est délétère, ça
nécessite de remettre en cause un certain nombre de certitudes et de
représentations qui s'étaient stabilisées, sur lesquelles
tu t'appuyais pour aller de l'avant sur autre chose. Donc en effet, tu vas
t'attaquer à des bases que tu pensais stables. C'est anxiogène,
ça conduit à des périodes de stress, de doutes, de remises
en question etc. » Gaëlle explique ainsi : « Ça a un peu
été un effondrement personnel. Une perte de sens.
On t'a toujours dit il faut faire ça, avoir tel
métier... Et en fait, tu réalises que ça n'a pas de sens,
que notre société telle qu'elle est ne pourra pas continuer bien
longtemps. ». Pour Luc aussi, ces connaissances ont impliqué des
remises en question de son mode de vie : « Quand t'es au courant que
factuellement, on va dans la mauvaise direction à grande vitesse, c'est
difficile après de se dire qu'on peut continuer comme ça. Et
ça impacte toute ta vie, parce qu'on fait des choses tout le temps qui
ont des impacts, ça remet tout en question. » Pour Angèle,
« c'est un peu comme un deuil, je suppose »,
rappelant les réflexions de Joana Macy et de Pablo Servigne sur la
courbe du deuil.
Pour Alix, le ressenti a été différent
car il ne trouvait déjà pas de sens dans son travail et son
quotidien ; comprendre pourquoi et y mettre un mot a plus été
synonyme de soulagement et de renouveau que de deuil. Il
explique ainsi : « Après, il s'en est suivi du coup que je
n'étais pas forcément plus heureux de comprendre ça
(rires). Mais au moins je pouvais mettre un mot là-dessus. Il y a
d'abord eu du soulagement de me dire, je ne suis pas fou. Parce que dans mon
quotidien où j'es-sayais d'en parler autour de moi c'était
difficile. Donc du soulagement d'abord. Ensuite de la tristesse de se dire on
est peut-être foutus. Et puis un sentiment de renaissance, de renouveau
de me dire : ok, maintenant que j'ai compris ce qui me gênait dans mon
mode de vie, voilà, je sais comment je peux agir là-dessus et
essayer de vivre mieux. »
Pour Valentin, ce passage à l'action a
été plus long, et il avertit sur les risques que ces constats
peuvent impliquer dans certains contextes « Je pense que c'est un truc qui
peut te transformer en
41
quelqu'un de pas bien. Pendant plusieurs années, je
faisais que me ressasser des données stressantes, je n'avais personne
à qui en parler. Et c'était complètement inefficace.
J'étais peut-être plus averti que d'autres personnes mais je ne
faisais rien, rien n'avait de sens. C'était une période où
j'étais un peu en mode zombie. Je n'avais pas trop de volonté, ni
d'attrait pour quoi que ce soit ». Il ajoute plus tard : « Je pense
qu'il y a des gens que ça va juste détruire et qui vont rester
comme ça. Si j'avais dû rester dans mon village, je ne vois pas
très bien où j'en serais et comment je m'en serais sorti ».
On voit ici toute l'importance d'être entouré et bien
accompagné psychologiquement dans ce cheminement. Angèle
résume ainsi : « Je pense qu'il y a vraiment un passage de se
rendre compte de tout ça, et il est plus ou moins difficile selon
comment on est entouré ».
Nous avons donc vu que l'approfondissement des connaissances
pouvait mener à :
- de la peine et de la tristesse de la situation et des
perspectives
- un effondrement intérieur, une remise en question et une
perte de sens dans sa vie et dans la
société
- un soulagement et du sens dans la compréhension des
problèmes
- une motivation et une envie d'agir et de changer,
l'impossibilité de ne rien faire ou de rester
indifférent
Que ce soit pour trouver du réconfort, pour trouver du
sens, et/ou concrétiser cette envie d'agir, la
place du groupe a eu une grande importance dans chaque
parcours.
Les rencontres et le groupe comme moyen d'engagement,
de partage et de joie
En effet, en leur demandant ce qui les avait aidés
à sortir de cette phase difficile liée à la
compréhension des constats et des théories de l'effondrement,
c'est la plupart du temps l'aspect social et collectif qui est ressorti. «
Le fait de ne pas être seule m'a énormément aidée
», explique Juliette. Pour Angèle, « ça aide beaucoup
d'être entourée et de se dire que si tu vas dans une direction, tu
n'y vas pas tout seul ». Comme on l'a vu, pour Valentin, qui a
passé plusieurs années seul avec ces questionnements, c'est en
déménageant à Paris et en rencontrant d'autres personnes
qu'il a pu remonter la pente : « je me dis que je ne suis pas le seul
à porter le fardeau du monde sur les épaules. (...) Le fait de
rencontrer des gens qui pensent la même chose que toi, ça ta
rassérène beaucoup ». Gaëlle était aussi un peu
seule dans son cheminement, et elle a « ressenti le besoin de (se)
rapprocher de personnes, de milieux qui (la) comprennent » ; c'est de ce
besoin et en faisant des recherches qu'elle a découvert Avenir
Climatique. On voit donc que l'engagement de groupe peut venir du
besoin de partage et de réconfort.
Ce partage et l'aspect collectif de l'engagement est souvent
source de moments de joie et d'épa-nouissement : pour
Angèle, « ça crée des moments de solidarité
qui sont incroyables et source de
42
joie ». Pour Gaëlle aussi, « le fait d'avoir
rencontré d'autres personnes, ça a beaucoup enlevé les
émotions négatives. » Même son de cloche pour Juliette
: « le fait de voir que je ne suis pas seule. Je pense que c'est vraiment
ça qui me tire vers le haut. Qui me fait voir la lumière au bout
du tunnel. Qui me fait dire « il y a quelque chose, il y a des gens, il y
a des pensées, il y a des idées ». Juliette ajoute : «
c'est des moments presque euphoriques parfois, quand j'ai
passé du temps avec des gens qui sont exactement dans les mêmes
pensées, qui agissent pour ça, dans lesquels je me retrouve...
(...), plein de critères qui font que tout est décuplé,
une sorte d'intensité, d'énergie. »
Pour Juliette, en plus du réconfort et de la
joie, l'aspect social a eu un impact important sur son
engagement. « J'ai rencontré des gens qui sont rapidement
devenus des modèles. Ça m'a plus poussé à agir en
me disant « si je veux être cohérente avec ce groupe, cette
asso, il faut que ça suive derrière ». Sans rien m'imposer,
mais une sorte de pression que je me mettais moi-même. Ça
impliquait des choix. Pendant des années, j'ai eu peur d'être
hors-système : il fallait que j'aie des habits à la mode, que je
sois dans une université cool... Certains trucs que je plaçais
à un niveau important. Et en fait aujourd'hui ces trucs là c'est
presque la honte. C'est bizarre, mais il y a certains trucs qui faisaient que
j'étais une fille cool. Mais aujourd'hui avec ces gens-là que
j'ai rencontrés, ce serait ridicule parce que ce serait
dérisoire. J'accorde beaucoup d'importance à ce qu'on pense de
moi, donc en étant en cohérence avec les gens avec qui je suis,
je tends vers un truc qui me ressemble plus et qui leur ressemble plus et qui
est plus en cohérence avec ce pour quoi on se bat. Une sorte
d'écosystème. » Ce témoignage est très
intéressant car il illustre comment les notions de norme sociale, de
désir mimétique et d'interaction spéculaire que nous avons
abordées dans la revue de littérature peuvent fonctionner dans
l'autre sens et au profit de nouveaux récits et imaginaires. Le
système de représentations d'une personne peut ainsi
évoluer grâce à l'engagement collectif.
Cela implique aussi une certaine difficulté
à jongler entre différents écosystèmes,
avec des normes sociales, des façons de penser et d'agir très
différentes. Ainsi, pour Juliette, « Ce qui est dur, c'est de
toujours dépendre d'un système. Mon mode de vie en soi n'a pas
changé drastiquement. Je vis toujours au même endroit, les
mêmes amis. J'ai toujours cette espèce de socle de ma vie. Du coup
c'est difficile d'évoluer tellement et tellement vite
intérieurement et de rester les deux pieds bloqués dans un
système et un mode de vie qu'on subit parce qu'on ne peut pas tout
quitter du jour au lendemain non plus. » Et d'ajouter : « ces
espèces d'obligations et de cases à cocher qui n'ont plus de sens
et qui me retiennent comme si j'avais un boulet au pieds et que ça me
retenait, que ça me faisait couler et que j'avais beau nager de toutes
mes forces pour en sortir, ce me retient. A un moment ça va
lâcher... ». Pour Angèle : « C'est difficile de
convaincre les gens, et de ne pas être avec des personnes comme toi.
Ça rend fou parce que j'ai l'impression que la question de
l'environ-nement c'est le truc primordial aujourd'hui, que tu devrais te lever
et penser à ça, te coucher et penser à ça.
»
43
Malgré cette difficulté, certains ont aussi
évoqué l'importance des groupes moins sensibilisés
dans leur engagement. Pour Juliette, le fait de rester attachée
à ce socle et à d'autres groupes sociaux peu ou pas
engagés est une force : « au quotidien, (...) il y a encore des
éléments qui confirment mon engagement, qui me font avancer. Je
parle surtout des retours que j'ai sur l'écologie, des retours de mes
proches ou des gens que je rencontre, qui parfois ne comprennent pas ce combat,
posent des questions, ou me mettent en colère par un scepticisme ou une
nonchalance ou un cynisme par rapport à ce que je fais ou à
l'écologie. Ce sont des déclencheurs quotidiens qui me rappellent
pourquoi je fais ça, ça me donne l'envie de les convaincre, de
leur montrer que j'ai raison de me battre pour ça, d'avoir mis ça
au centre de ma vie, qu'il y a des raisons de s'inquiéter et que tout le
monde devrait s'engager, et que ce n'est pas moi qui suis censée
être vue comme marginale ». Gaëlle a aussi expliqué
qu'au moment où elle se posait « plein de questions intenses et
assez dures », le fait d'être avec des gens peu sensibilisés
lui permettait de se « vider le cerveau ». Valentin évoque
aussi l'importance des groupes moins sensibilisés, et d'une
complémentarité entre les différents groupes sociaux :
« Il y a à la fois besoin de fréquenter des gens qui pensent
comme toi pour voir que t'es pas tout seul, des gens moyennement
sensibilisés avec qui tu peux faire de la « propagande », et
aussi des gens qui n'en ont rien à foutre pour juste parler d'autre
chose. Il faut aussi avoir des relations comme ça, des relations
diverses. » Luc souligne aussi l'importance de savoir «
déconnecter », à la fois pour pouvoir alléger la
« charge mentale » que cela peut provoquer, et aussi pour ne pas
rester enfermé dans un même cercle : « quand t'es dans ta
bulle, tu ne vois pas forcément le reste, tu penses que tout est partout
comme ça alors que pas du tout. » Enfin, selon lui, être avec
des groupes moins sensibilisés est aussi une façon de se
sensibiliser lui-même : « le fait d'être proac-tif et d'en
parler autour de toi, c'est une forme d'engagement, ça te donne des
responsabilités et une mission d'exemplarité, les gens vont
regarder ce que tu fais, te suivre parfois. Du coup ça influence aussi
ma manière de faire, ma manière d'agir, parce qu'il faut
être en accord avec ce que je dis. Et donc ça m'engage et me
sensibilise moi-même. »
On voit donc que pour les 6 personnes, l'aspect social et
collectif a été central dans la prise de conscience et dans
l'engagement. Et ce à différents niveaux :
- le groupe peut être source de partage, de
réconfort et de moments de joie
- le système de représentations d'une personne
peut évoluer via les interactions au sein du groupe d'engagement
- il peut y avoir une difficulté à faire partie
de groupes sociaux aux systèmes de valeurs et de représentations
différents
- cette difficulté et le fait de rester attaché
aux autres groupes sociaux peut être une force et permettre de renforcer
l'engagement
44
Divers degrés et formes
d'engagement
Au fil de ces entretiens, différentes formes
d'engagement ont été abordées. Nous les avons
distinguées en trois groupes : l'engagement quotidien (mode de vie),
l'engagement professionnel (métier ou études), et l'engagement
collectif (associatif, militantisme).
Engagement quotidien :
L'engagement quotidien concerne tout ce qui peut être fait
dans le mode de vie d'une personne pour
limiter son impact écologique, et construire de nouveaux
modes de vie. Ont été évoqués dans les
entretiens :
- l'alimentation via des produits locaux, de saison, bio
- l'alimentation via un régime végétarien,
végétalien, ou une baisse de la consommation de viande
- une réduction des déchets pour tendre vers le
zéro déchet
- une baisse générale des biens de consommation
- privilégier l'occasion au neuf
- privilégier les mobilités douces
- changer sa façon de voyager, ne plus prendre l'avion
Cet engagement au quotidien n'est pas toujours facile, et les
personnes avaient conscience de leurs limites. Juliette explique ainsi : «
je sais que je ne suis pas au maximum mais j'essaie. En tout cas j'essaie
d'être consciente d'absolument tout ce que je fais et de savoir que si je
fais quelque chose qui ne va pas dans le sens de la planète, au moins je
le sais. Ce qui est difficile, c'est de changer des habitudes ancrées
depuis des années. » Et : « je trouve ça difficile tous
ces changements, ces éco-gestes quand tu es dans un mode de vie, dans un
système qui ne te facilite pas la tâche ». Alix évoque
aussi ces difficultés : « j'ai grandi dans une
société de consommation, donc il y a des choses qui restent.
(...) Je ne suis pas critique, mais je suis conscient qu'il y a des
améliorations à beaucoup d'égards qui pourraient
être faites. Je suis en train de travailler là-dessus. »
Valentin, quant à lui, explique avoir provisoirement fait « machine
arrière » sur ses engagements au quotidien. Il explique
s'être restreint pendant plusieurs années, avoir découvert
de nouvelles choses à Paris, et vouloir ainsi « savoir comment
est-ce que, de manière générale, quelqu'un de ma
génération vit, avant de revenir comme avant ». Il explique
que cela est aussi dû à son mode de vie parisien bien rempli et au
manque de temps pour par exemple cuisiner ou faire des courses.
Engagement professionnel :
L'engagement professionnel concerne l'intégration de
ces enjeux dans le métier et/ou dans les études. Dans les 6 cas,
l'intégration de ces enjeux dans leur métier est une condition
évidente : Juliette explique : « il est hors de question que je
fasse un métier qui ne porte pas en son coeur ces
45
questions ». Pour Valentin : « Je ne m'imagine pas
du tout ne pas intégrer ces enjeux dans mon métier, ne serait-ce
que par sécurité personnelle. Je n'ai pas du tout envie de faire
un métier qui contribue à pérenniser ce système et
qui ne m'amène pas dans un futur particulièrement radieux, autant
dans le mode de vie actuel que si tout se casse la gueule. » Valentin
souligne d'ailleurs, parmi toutes les formes d'engagement, l'importance de
l'engagement professionnel : « Je pense que l'en-gagement professionnel
est une des clés de voûte. Créer un métier pour
rendre sa zone d'implanta-tion plus résiliente, je pense que c'est une
des actions les plus efficaces sur le court terme, et qui peut le plus
traverser les crises. Car tu vas vraiment faire des choses qui vont rester.
» Alix aussi place ces enjeux « en 1ère ligne
» dans son métier.
Au fil des entretiens, le ressenti concernant cette partie a
été qu'il s'agissait de l'aspect le plus difficile à
entreprendre, ou celui qui posait le plus de questionnements. En effet, sur les
6 personnes, seul Luc se voyait continuer son travail actuel (consultant dans
le cabinet de conseil B&L Evolution pour accompagner les territoires sur
des plans climat) toute sa vie. « C'est super stimulant, ça me
plait et je me vois faire ça toute ma vie parce que c'est un but
à côté duquel on ne peut pas passer ».
Alix est volontairement au chômage depuis quelques mois,
ayant démissionné de son ancien travail dans lequel il ne
trouvait pas de sens. Il se focalise aujourd'hui sur un projet de
création d'entreprise de vêtements éthiques en lin, avec un
double objectif écologique et social. Il explique que sa vision du
travail a changé, et que son projet n'est pas pensé « dans
une optique de (s')enrichir mais de pouvoir proposer des alternatives utiles
».
Angèle et Juliette, après avoir effectué
leur stage de fin d'études dans des structures où elles ont
douté de l'utilité, de l'impact et du sens de leur mission, ont
toutes deux décidé de prendre une année pour se consacrer
à des projets associatifs et militants, et pour aller à la
rencontre de personnes et d'alternatives. Juliette explique son raisonnement :
« Quand je parlais du système qui me retiens et que je subis
encore, je vais essayer de m'en détacher petit à petit. C'est
pour ça que je fais le choix de ne pas trouver un métier comme on
l'entend l'année prochaine. Pour me rapprocher de mes valeurs, que tout
mon écosystème soit en lien avec ça et que j'arrête
de subir des situations et d'être retenue par des obligations, par ce
système et tout ce qu'il engendre. Donc ma vision future c'est de me
détacher petit à petit de ça. »
Quant à Gaëlle, qui effectue une thèse sur
les modélisations climatiques, elle se dit en « dilemme
intérieur », et se questionne sur l'impact de ce travail : «
je me dis que chaque temps compte, et que les 8h par jour que je passe au
bureau je pourrais les passer à autre chose. Est-ce que je ne ferais pas
mieux de faire autre chose pendant ce temps ? Parce que certes je vais
apprendre plein de
46
choses sur mon sujet, mais la recherche c'est pas mal de temps
devant un ordi à coder des trucs, à faire tourner des
simulations, et pendant ce temps tu ne sensibilises pas grand monde. »
Valentin évoque la notion de devoir en lien avec
l'engagement professionnel : « Pour moi le choix du métier est une
question de devoir. Je me demande plutôt « qu'est-ce que je dois
faire ». Le sens du devoir est un sentiment qui prévaut beaucoup
pour moi. C'est quelque chose qu'on a beaucoup oublié, et qui va devoir
revenir en force. On y pense même plus, quand on demande « pourquoi
tu fais ça », soit ils pensent que c'est parce que tu vas en
retirer un bénéfice, soit parce que tu aimes. Alors qu'en fait il
y a une troisième chose, juste le fait qu'il faut le faire. » De
façon similaire, Angèle se pose la question de son métier
sous le prisme de la nécessité et, « en se posant cette
question, finalement, ce qui (lui) vient à l'esprit c'est de faire de
l'agriculture ou de la boulangerie. Parce qu'il faut manger ! ».
Engagement collectif :
L'engagement collectif désigne l'engagement se faisant
au sein d'un groupe ayant un objectif d'intérêt
général commun : ce peut être une association, un groupe
militant, un groupe politique, un groupe citoyen, un groupe d'habitants de
quartier... Dans le cas des 6 personnes, c'est surtout l'aspect associatif, via
Avenir Climatique, qui a eu un rôle central. Nous l'avons
déjà abordé dans la partie précédente, et
l'analyserons plus en détails dans la partie participation observante.
Les 6 personnes ont toutes indiqué accorder une grande partie de leur
temps à l'association, voire pour certains aussi à d'autres
associations.
Nous avons également évoqué l'engagement
militant via la participation à des manifestations, des marches pour le
climat, des grèves, des boycotts ou encore des actions de
désobéissance civile. La désobéissance civile est
intéressante à étudier, car c'est un mode d'engagement et
d'action avancé et en plein développement. Certains n'y ont
jamais participé, comme Gaëlle par manque de temps et d'occasion,
ou comme Luc, pour qui l'aspect illégal et l'image que cela renvoie
à la société font « un peu peur ». Juliette et
Angèle ont toutes deux découvert ce mode d'action
récemment et participé à une action. « C'était
très intense et fort » pour Juliette, et « super motivant
» pour Angèle. Valentin est engagé à ANVCOP21, mais
n'est pas convaincu de la vraie utilité de ce type d'action « C'est
peut-être plus pour évacuer la pression et être avec des
gens qui se bougent que je fais ça. Je me demande s'il n'y a pas
certains engagements que je fais juste pour évacuer la pression
plutôt que pour changer le monde. » Enfin, Alix considère ce
type d'action comme très important : « Je pense que les changements
de société viendront de nos actes civils. Je trouve ça
très dangereux de respecter des règles quoiqu'il arrive.
Certaines règles ne sont pas bonnes à suivre et il faut savoir en
bafouer certaines pour faire changer les choses ».
47
Engagement culturel ?
Enfin, d'autres types d'engagement ont aussi été
évoqués, moins pratiques et plus dans le discours et le
comportement. Par exemple, pour Angèle, « le fait d'habiter en
communauté, de créer du lien, de tenter de vivre avec
bienveillance, je pense que c'est une forme d'engagement et des choses qu'il
faut qu'on développe parce qu'on va en avoir besoin ». Pour Luc,
comme déjà présenté précédemment, le
fait d'être proactif et d'en parler autour de soi est aussi une forme
d'engagement. Il évoque aussi le fait d'essayer de
réfléchir et de penser de nouvelles façons de voyager, qui
soient à la fois attrayantes et respectueuses de l'environnement. Ainsi,
on pourrait considérer que le fait de vouloir construire de nouvelles
représentations, de nouveaux récits basés à la fois
sur l'humain et sur le respect de l'environnement via le discours et la
façon de penser pourrait constituer une autre forme d'engagement, un
engagement culturel.
On a donc vu, via l'exploration des différentes formes
d'engagement des personnes :
- il semble y avoir trois grands types d'engagement
(quotidien, professionnel et collectif) et divers degrés d'engagement
pour chacun
- les personnes ne semblent pas concentrer leurs efforts dans
l'engagement quotidien
- les notions d'utilité, de devoir et de
nécessité sont centrales dans l'engagement professionnel - on
pourrait distinguer une quatrième forme d'engagement : un engagement
culturel, qui viserait
au changement de mentalités (il peut être
transversal aux trois autres, et se retrouve à la fois
dans le discours et dans les actions)
Une certaine similarité et intensité
dans les émotions, tant positives que négatives
Maintenant que nous avons une compréhension plus
précise des types d'engagement des personnes, comment l'engagement
est-il vécu ? Les émotions sont-elles plus positives ou
négatives ? Pour Juliette, « C'est un doux mélange des deux
», révélant bien la diversité et la palette
d'émotions vécues et racontées par les 6 personnes.
Un des principaux facteurs d'épanouissement de
l'engagement est de se sentir en accord avec ses valeurs, et
de pouvoir contribuer à construire une société
meilleure. Alix explique ainsi : Ce qui m'attristait, c'était
plus ma situation personnelle et de me dire que je suis un pion du
système et que je ne sers à rien. Maintenant je sens mon
rôle et mon utilité. On agit tous sur notre environnement au
quotidien. » Et : « ça me rend heureux de pouvoir me dire que
je contribue à mon échelle de construire la société
telle que j'aimerais qu'elle soit (...) Aujourd'hui je me sens
complètement en accord, et c'est source de satisfaction ». Pour
Gaëlle, « le fait de sentir son impact fait se sentir mieux »,
et elle parle aussi de « la satisfaction de voir son
impact sur les proches qui commencent à être
48
sensibilisés et à changer. » Luc aussi
explique : « Ça procure du plaisir, de la satisfaction d'être
en accord avec ses valeurs. T'as aussi des opportunités de
redécouvrir plein de choses que t'aurais pas forcément
pensé ou fait et qui vont être super et que tu vas vivre
pleinement justement parce que c'est en accord avec tes valeurs. »
Est aussi revenu le sentiment de fierté
d'agir. Juliette parle d'une « fierté d'appartenir
à un mouvement, de m'investir là-dedans ». Pour Luc : «
c'est aussi positif parce que tu as l'impression d'être un peu là
en précurseur. T'as l'impression d'apporter quelque chose et de faire
avancer les choses sur un sujet qui est hyper important. Il y a une part de
fierté, et une satisfaction de transmettre des savoirs que j'ai sur le
sujet que d'autres n'ont pas forcément. »
L'excitation du défi et du challenge
à relever est aussi beaucoup revenue. Luc explique ainsi : « C'est
un énorme défi, et c'est très challengeant. Pouvoir
être à la hauteur de ce défi et pouvoir répondre
à certaines problématiques, c'est hyper
stimulant. Moi, ça me stimule. Et comme c'est stimulant,
ça me procure aussi pas mal de bien-être et de bonheur. J'ai envie
qu'on réussisse. Je trouve que c'est aussi une belle aventure. Et on le
voit, quand on est engagés avec des gens qui sont un peu pareil, il y a
des moments où tu te dis on va révolutionner ça, on va
écrire de nouveaux récits, on va repenser des modes de
transports, du coup ça ouvre plein de nouvelles portes, de nouvelles
opportunités et ça j'adore. » Angèle parle aussi de
« l'excitation de créer un truc, d'être dans un énorme
projet » ; « C'est quand même fou ce qu'on vit là, c'est
aussi super fédérateur et motivant. » Cette stimulation et
motivation se retrouve aussi dans les propos de Valentin, pour qui « c'est
une période rêvée pour avoir du recul sur le monde, sur
l'humanité, sur la planète, sur le sens de la vie, sur
toi-même. (...) Je pense que ça peut permettre d'être plus
maître de nous-même, le fait de se poser les bonnes questions
à cette époque. ».
Enfin, nous l'avons déjà abordé, l'aspect
social et collectif de l'engagement est souvent source de moments de
joie.
Mais pour tous, il subsiste encore des moments difficiles au
quotidien. Certains sont parfois en colère, comme
Juliette : « Parfois j'ai envie de secouer les gens en disant bon il est
temps au moins d'être conscient, d'arrêter de se mettre des
oeillères. (...) Mais tout ça prend du temps et c'est normal
» ou encore : « Quand je vois que même sur des chaines
nationales il y a des propos climatosceptiques qui sont tenus... là
c'est vraiment de la colère parce que je n'ai pas de moyen d'action sur
ces gens-là ». Angèle également : « La
colère contre les autres, qui sont cons, et la colère contre
moi-même qui suis peu indulgente et qui me permet de dire que les autres
sont cons. »
49
La tristesse et la peine subsistent aussi.
Angèle explique : « Parfois je lis des choses et ça me fait
pleurer parce que c'est trop injuste. Les espèces animales en voie de
disparition, ça peut me faire pleurer. De savoir comment on
élève des animaux dans des abattoirs, ça peut me faire
pleurer. Qu'il y ait des gens qui travaillent dans ces abattoirs, et qui n'ont
soit pas le choix soit qui ne se rendent plus compte parce qu'ils sont victimes
d'un système, ça aussi ça peut me faire pleurer. »
Pour Gaëlle, « les moments où ça ne va
pas, c'est plus sur des trucs précis et spécifiques. Par exemple,
à l'élection de Bolsonaro au Brésil, je me suis sentie
mal, je me suis dit ah ouais on n'y arrivera jamais. Ça arrive parfois
». Cette peur de ne pas y arriver se retrouve aussi chez
Luc : « Un peu de peur. Peur qu'on n'arrive pas à relever ce
défi et des conséquences que ça peut engendrer sur des
guerres, sur des populations, des minorités. Un peu de peur, et je n'ai
pas envie que ça arrive. »
Luc ressent aussi « un peu de
frustration, parce qu'on nous le dit depuis longtemps, on sait
aussi ce qu'on peut faire, mais ce n'est pas du tout une conscience
partagée par tout le monde, et les règles ne sont pas à la
hauteur. Donc de la frustration, parce que c'est chiant, ça fait chier.
» Il parle aussi de la frustration et des difficultés qu'il a
à convaincre ses proches : « tu as l'impression de passer pour le
rabat-joie ».
Enfin, Valentin décrit un sentiment plus diffus, plus
global : « le fait de ressasser tout ça, d'avoir tout ça en
arrière-plan, toutes ces choses négatives, c'est pesant »,
en évoquant alors le concept
d'éco-anxiété.
De façon plus générale, certains ont
affirmé ressentir beaucoup plus d'émotions, et
de façon plus intense, qu'avant leur engagement :
« j'affirme plus mes émotions aujourd'hui, et elles sont souvent
plus intenses, que ce soit dans la joie ou dans la peine », explique
Angèle. Juliette explique aussi : « C'est difficile de mettre un
mot sur une émotion, mais il y a une sorte de puissance dans ce que je
vis, dans ce que je ressens, où n'importe quelle rencontre, n'importe
quelle action va être décuplée, je vais le ressentir de
manière plus importante que les émotions que je ressens dans le
quotidien. Ça accentue tout, mais le positif comme le négatif,
ça accentue tout. Et c'est des moments presque euphoriques parfois
». Elle explique aussi comment comprendre l'origine de ses émotions
l'a libérée : « Cette colère dont je parle, c'est des
trucs qui ont toujours été là. C'est comme si ça me
donnait un espace-temps, une sorte de truc intemporel pour sortir mes
émotions. Depuis toute petite je suis en colère, pas à ma
place, je sens que je suis en décalage. Et là c'est comme si pour
la 1ère fois il y avait une légitimité, une raison
à toutes ces émotions que j'ai ressenties toute ma vie. Je pense
que ça me donne un espace pour laisser parler ces émotions et les
justifier. Parfois je ne savais pas pourquoi j'étais en colère et
triste, et là je sais pourquoi. Même s'il ne faut pas voir toutes
ces émotions
50
par le prisme de ce combat, c'est un gros poids qui explique
beaucoup de choses. » Ce témoignage fait écho à
Joanna Macy, qui explique que l'expression et la compréhension de ses
émotions en lien avec l'état du monde peut se
révéler libérateur et fonctionner comme un déclic,
comme un soulagement. Dans son entretien, Thibaud Griessinger souligne le
risque de paralysie face aux émotions négatives provoquées
par ces enjeux, et l'importance de la gestion des émotions
et de la régulation émotionnelle afin de le
réduire pour qu'elles soient génératrices d'action
plutôt que de paralysie : « Mieux les émotions sont
gérées, utilisées à bon escient, plus elles sont
facteur de changement. Plus tu les subis, plus tu es incapable d'identifier ce
qui les déclenche et ce à quoi elles peuvent te servir, et plus
ça va être facteur de paralysie »
De façon globale, les sentiments positifs
étaient plus prégnants et les personnes se disaient surtout
optimistes. Souvent pessimistes sur le constat et les crises, mais optimistes
sur l'humain et le social.
Finalement, on voit que les émotions ont un rôle
central dans le processus d'engagement. Voici les principales conclusions des 6
témoignages analysés :
- Les émotions fonctionnent à la fois comme
résultat et comme moteur de l'engagement. Globalement, il semble que ce
sont plus les émotions négatives qui mènent à
l'engagement, et les émotions positives qui en sont le résultat,
puis les émotions positives tout comme négatives permettent
d'entretenir et de renforcer l'engagement.
- La prise de conscience et l'engagement mènent
à une libération des émotions qui sont ressenties de
façon plus intense
- Le processus de prise de conscience et d'engagement peut
permettre une compréhension de l'origine de ses émotions, ce qui
peut être source de soulagement ou de libération
- L'engagement est source de joie et d'épanouissement plus
que de peine
Un processus de changements personnels
On a déjà entrevu, via la connaissance,
l'engagement, le groupe et les émotions, comment ce processus pouvait
contribuer à changer les personnes.
Ainsi, à la question de savoir si ce processus l'avait
changé, Alix répond : « Complètement.
Complètement. Ça a complètement changé ma
façon d'aborder les choses, d'aborder l'autre. Ça a
été un revirement total ». Pour Juliette aussi, les
changements en cours sont considérables. Elle explique : « Je pense
que je me suis construite socialement dans un certain milieu (social,
éducatif, affectif) autour de certaines choses. Maintenant que je suis
investie, je remets en question ces choses, je remets en question la
manière dont j'ai été éduquée, dont je me
suis comportée avec les gens, dont j'ai construit mes relations, mon
rapport aux choses, au monde. Ces trucs-là sont en train
de prendre moins de place pour laisser la place aux valeurs
qui ont toujours été là mais un peu cachées : la
solidarité, le militantisme, les relations plus simples, plus
humaines... ça a toujours été là mais
elles prenaient moins d'importance que le côté parisien,
être inclue dans certains groupes, ressembler à certaines
personnes... Toute cette espèce d'image sociale qu'on se
construit, c'est en train de devenir dérisoire par rapport au
combat qu'on porte. » Les notions de construction et de remise en question
qu'elle évoque illustrent la pensée de Freire que nous avons
étudiée, selon lequel la prise de conscience passe par une
conscience des croyances et représentations qui nous déterminent,
et une remise en question de celles-ci. Gaëlle aussi explique : « Je
pense que des valeurs qui étaient déjà là se sont
affirmées. La compassion, l'affirmation des convictions notamment.
»
Pour Valentin, « le fait de (s')engager (lui) permet
d'avoir beaucoup plus d'énergie qu'avant, (il) fai(t)
les choses avec plus de force ». Il évoque
l'importance qu'a eu pour lui le fait de se connaître et de comprendre sa
psychologie : « Il y a aussi le fait de m'analyser moi-même, et
faire des ponts entre ça et d'autres choses de ma psychologie. Car
encore une fois, tout est lié dans ta psychologie. Il n'y a pas d'un
côté l'éco-anxiété et les relations sociales.
Ça déteint sur tout. Donc tu prends du recul sur toi-même.
Le fait de s'autoanalyser permet de voir où il faut agir. Le travail que
j'ai fait sur moi-même il y a quelques temps, je le rapprocherais plus du
développement personnel. Le fait de maîtriser sa construction
psychologique : d'avoir tellement de recul sur toi-même que tu es capable
de redisposer les trucs comme tu veux. Je pense que c'est la principale
façon d'aller de l'avant. T'autoanalyser, te compartimenter, comprendre
comment tu es structuré. Une fois que tu as ce recul-là tu peux
agir. Parce que quand c'est juste des sentiments diffus dont tu ne sais pas
pourquoi ils arrivent, tu es juste prisonnier de toi-même. Je pense que
toutes ces choses, les relations sociales, aller à Paris, agir, j'ai pu
commencer à faire tout ça avec énergie parce que
j'ai appris à me con-naitre. Tant que tu ne te connais
pas, tu ne peux pas vraiment agir. » Valentin se dit en ce sens
intéressé par l'écopsychologie, car il pense que « la
crise environnementale touche à beaucoup de points sensibles dans la
psychologie humaine ».
Nous avons donc vu que le processus d'engagement pouvait
menait à une remise en question et une évolution du rapport
à soi, aux autres et au monde :
- Rapport à soi : meilleure connaissance de soi, plus
d'énergie, de force
- Rapport aux autres : relations plus simples, plus humaines,
plus de solidarité, moins d'impor-tance à l'image sociale qu'on
se construit et au regard des autres
- Rapport au monde : évolution de ses
représentations
4) Conclusions
51
Le tableau suivant résume les principaux points
abordés :
52
Tableau résumé des principales conclusions
des entretiens individuels
Eléments clés du processus
|
Conclusions
|
Approfondisse- ment des
connais- sances
|
- aspect systémique des crises
- globalité et origine des problèmes
- liens entre les crises et son propre quotidien
- implications de ces constats, théories de
l'effondrement
|
Implications émo- tionnelles
|
- peine et tristesse de la situation et des perspectives
- effondrement intérieur, remise en question et perte de
sens dans sa vie et dans la société
ou soulagement et sens dans la compréhension des
problèmes
- motivation et envie d'agir et de changer
|
Collectif
|
- le groupe peut être source de partage, de
réconfort et de moments de joie
- le système de représentations d'une personne peut
évoluer via les interactions au sein du
groupe d'engagement
- il peut y avoir une difficulté à faire partie
de groupes sociaux aux systèmes de valeurs et
de représentations différents
- cette difficulté et le fait de rester attaché
aux autres groupes sociaux peut être une force et permettre de
renforcer l'engagement (importance de ne pas se restreindre à ce groupe
et s'extraire des autres).
|
Formes d'engage- ment
|
- il semble y avoir trois grands types d'engagement (quotidien,
professionnel et collectif) et
divers degrés d'engagement pour chacun
- les personnes ne semblent pas concentrer leurs efforts dans
l'engagement quotidien
- notions d'utilité, de devoir et de
nécessité centrales dans l'engagement professionnel
- possible quatrième forme d'engagement : l'engagement
culturel
|
Impact émotionnel de l'engagement
|
- les émotions fonctionnent à la fois comme
résultat et comme moteur de l'engagement
o les émotions négatives sont déclencheur
de l'engagement
o l'engagement est source d'émotions positives
o les émotions positives tout comme négatives
permettent d'entretenir et de renfor-cer l'engagement
- la prise de conscience et l'engagement mènent
à une libération et un intensification des émotions
- la prise de conscience et l'engagement peut permettre une
compréhension de l'origine de ses émotions, ce qui peut
être source de soulagement ou de libération
|
Transformations
|
- le processus d'engagement mène à une remise en
question et évolution du rapport à soi,
aux autres et au monde
o rapport à soi : meilleure connaissance de soi, plus
d'énergie et plus de force
o rapport aux autres : relations plus simples, plus humaines,
plus de solidarité, moins d'importance à l'image sociale qu'on se
construit et au regard des autres
o rapport au monde : évolution de ses
représentations
|
|
Pour résumer le processus dans les grandes lignes,
à l'origine, divers facteurs comme un intérêt, une
sensibilité de base ou une perte et un questionnement
de sens peuvent mener à approfondir les connaissances
de la situation. Cet approfondissement des connaissances fait
prendre
53
conscience de l'ampleur, de la gravité, et de l'aspect
systémique des crises, ainsi que de la possibilité d'un
effondrement de nos civilisations industrielles. Cette compréhension
peut mener à de la peine, et soit à un
soulagement si la personne était en perte de sens, soit
à un effondrement ou un deuil intérieur si ces
constats remettent en question la vision qu'ils avaient du monde, de leur vie
et de leur avenir. Elle mène aussi à une volonté
d'agir, et une volonté de se rapprocher de personnes ayant les
mêmes questionnements. Pour cela, les personnes s'engagent dans
un collectif et entrent alors dans une boucle d'engagement
via les personnes, les connaissances, l'action et les émotions.
Au fil de ce processus, les personnes évoluent voire se transforment
dans le rapport à soi, aux autres et au monde.
Ce résumé permet d'avoir une idée
générale du processus d'engagement, mais il reste
général : ces cheminements nous ont aussi montré que
le processus incluait aussi des facteurs personnels, propres au
contexte, à la personnalité, à l'histoire de chacun
(ex : voyages, lieux de vie, entourage...). Cependant, dans les 6
cheminements que nous avons analysés, la connaissance, le collectif,
l'action et les émotions ont tous joué un rôle central.
Enfin, il est important de souligner que, bien qu'il puisse
être analysé de façon linéaire dans les grandes
lignes, ce processus n'est pas linéaire : de nombreux
facteurs entrent en jeu, se renforcent les uns les autres et il y a
d'importantes rétroactions entre chaque
élément.
Nous avons vu, au travers ces entretiens, l'aspect central du
groupe dans le processus d'engagement écologique. Pour mieux le
comprendre, nous allons donc maintenant approfondir et analyser l'enga-gement
dans le contexte du collectif, au sein de l'association Avenir Climatique.
II- Participation observante - Avenir Climatique
En effet, l'engagement individuel et l'engagement collectif
écologiques semblent intimement liés. L'objectif de cette partie
est d'explorer ces liens à travers la participation observante du
chercheur au sein d'Avenir Climatique (AC), une association de sensibilisation
aux enjeux énergie-climat, et en essayant de comprendre le processus
d'engagement au sein de ce contexte collectif.
1) Méthodologie
Le choix du terme de participation observante plutôt
qu'observation participante est volontaire et justifié par la place
prégnante de la participation par rapport à l'observation pendant
ma démarche de recherche. Dans son article sur l'usage et la
justification de la notion de participation observante (PO) en sciences
sociales, Bastien Soulé résume ainsi les enjeux du terme de PO :
« Très fortement
54
impliqués sur leur terrain, voire
enchâssés dans celui-ci, les chercheurs recourant au terme de PO
revendiquent un rapport singulier au terrain, qui les place en décalage
avec « la bonne pratique méthodologique » relatée dans
les manuels : observer et participer à parts égales, en veillant
à ne pas sacrifier l'un au bénéfice de l'autre. » En
effet, mon rôle de recherche et d'observation est resté au second
plan, étant avant tout participante et partie prenante des
événements. Mais Soulé souligne les avantages de ce
positionnement, qui permet d'enrichir considérablement l'analyse par
l'expé-rience et le vécu des éléments
étudiés, à condition que le travail de
réflexivité soit effectué.
J'ai donc essayé d'effectuer ce travail de
réflexivité et d'observation via un journal de bord, sur le
moment si cela était possible, ou sur mon temps personnel, lorsque je
privilégiais la participation. Enfin, j'ai également
réalisé un entretien avec Guillaume Martin, membre actif de
l'association, au cours duquel nous avons évoqué les facteurs
clés d'engagement d'AC. La méthodologie de cet entretien est la
même que pour les autres ; le guide et la synthèse de l'entretien
sont en annexe. Annexe 9 : Guide d'entretien - Guillaume Martin
Annexe 10 : Synthèse d'entretien - Guillaume
Martin
2) Description et analyse
Présentation de l'association
Schéma du fonctionnement de
l'association
55
Ce schéma permet de mieux comprendre le fonctionnement
de l'association. L'association forme des membres afin qu'ils puissent à
leur tour informer et sensibiliser des structures (universités,
écoles, associations...) ou des citoyens (proches, famille, amis,
étudiants...). Les structures et les citoyens bénéficient
des outils et des actions de l'association, et fournissent un feedback
essentiel pour à la fois enrichir la réflexion et
améliorer continuellement leur démarche. L'individu formé
participe activement à la vie de l'association à la fois en
relayant son action et en étant force de proposition pour
améliorer ou porter de nouveaux projets. Ici, nous explorerons plus
spécifiquement les liens entre individu (le membre) et l'association (le
collectif).
Pour cela, l'analyse s'appuiera sur la participation à
deux projets de l'association : l'ACademy et l'UEDAC, les deux principaux
projets permettant de recruter des membres (les autres étant plus
tournées vers la sensibilisation extérieure). L'ACademy
est une formation en quatre week-ends sur l'an-née permettant
de former une centaine de personnes chaque année à
présenter une conférence de sensibilisation aux enjeux
énergie-climat (appelée « The Big Conf », ou TBC).
L'UEDAC est l'Univer-sité d'Eté
Décontractée d'Avenir Climatique, une semaine ouverte aux membres
et aux nouveaux pour à la fois apprendre, débattre,
réfléchir à l'avenir de l'association, mais aussi profiter
de la nature, des temps libres et des vacances.
Par la participation observante et par l'entretien
réalisés, nous avons distingué 3 facteurs clés
d'en-gagement de l'association : la connaissance, le pouvoir et la
liberté d'action, et le collectif.
L'association comme moyen de monter en
connaissances et en compétences
Pour Guillaume, l'objectif central de l'association est de
donner les clés de compréhension des enjeux
énergie-climat. L'association a été créée
par un groupe d'ingénieurs, et a en son coeur la rigueur technique et
scientifique des messages et informations qu'elle porte et transmet. Le fait de
s'axer plus sur le constat que sur les solutions est volontaire : l'objectif
est d'outiller les personnes pour qu'elles soient à même
de prendre elles-mêmes leurs décisions. Guillaume
explique ainsi : « Dans la Big Conf, on ne dit pas ce qu'il faut faire,
mais on donne les clés pour que les personnes comprennent la situation
et arrivent aux bonnes conclusions d'action tous seuls. Autre exemple : pour le
bilan carbone, on ne dit pas ce qu'il faut faire, mais la personne regarde sa
situation, où elle en est, et identifie elle-même les actions qui
lui correspondent par rapport à la marge de manoeuvre qu'elle veut lui
donner. » Thibaud Griessinger confirme : « on voit très bien
que c'est compliqué de sensibiliser sur des actions spécifiques.
Quand AC le fait en mettant l'emphase sur l'énergie, là c'est
plus intéressant car c'est plus facile de voir à l'échelle
individuelle comment tu peux arriver à faire le lien entre ton mode de
vie et ces problématiques, et tu peux toi-même être
constructeur d'actions que tu peux mettre en place ». Angèle,
Juliette, Alix, Luc et Valentin ont tous les cinq participé à
l'ACademy
56
l'année dernière, et l'approfondissement des
connaissances conséquent a, comme nous l'avons vu, largement
contribué à leur engagement.
Au-delà d'une transmission et d'un approfondissement
des connaissances, l'ACademy permet aussi aux participants de monter en
compétences diverses : prise de parole, sensibilisation,
organisation d'événement, communication... Ce peut être
à un niveau supérieur pour les formateurs : une dizaine de
personnes participant à l'ACademy cette année vont devenir
formateurs l'année prochaine, ce qui va leur permettre à la fois
de monter encore en connaissance, mais aussi de développer des
compétences de prise de parole, d'organisation... La palette de
compétences à développer est très large, et
certains papillonnent de projet en projet chaque année en fonction des
compétences qu'ils souhaitent développer.
Au-delà des connaissances et compétences
transmises aux membres, il y a une volonté constante
d'amélioration continue et de co-construction des savoirs. Par
exemple, sur l'outil informatique d'échanges d'AC, framateam, un canal
de discussion est dédié au partage d'informations, aux questions,
aux débats, pour pouvoir évoluer ensemble dans les savoirs. Lors
des week-ends de l'ACademy et lors de l'UEDAC, un tableau
références est affiché, où chacun peut ajouter ses
conseils de lectures, documentaires, films, podcasts... Un projet de
climathèque est aussi en cours, afin de répertorier les
principales sources de données et de savoir à disposition. C'est
aussi dans les discussions, dans les échanges, les débats ou
présentations organisés que peut se construire et transmettre la
connaissance.
On voit donc que la connaissance des enjeux est un levier
d'engagement individuel, mais aussi que chaque personne contribue aussi
à cette connaissance et à l'engagement collectif.
Pouvoir et liberté d'action comme leviers
Un autre aspect clé de l'engagement des personnes au
sein de l'association est bien sûr le fait de pouvoir agir et sentir son
impact. Au-delà de la participation aux projets, des conférences
réalisées et de leur impact, c'est aussi au sein même de
l'association que les personnes peuvent ressentir leur liberté et
pouvoir d'action. Une grande place est en effet laissée à
l'autonomisation, à la participation et à la prise
d'initiatives.
Pour cela, l'organisation globale d'AC est horizontale.
Guillaume explique : « Avenir Climatique n'a pas d'organigramme, pas de
bureau, pas de hiérarchie, pas de chef. Il y a des personnes qui sortent
du lot pour gérer les choses, certaines font partie du CADAC (Conseil
d'Administration d'Avenir Climatique). L'organisation se veut la plus
horizontale possible, à la fois pour que l'association ne repose pas sur
1 ou 2 personnes, mais aussi et surtout pour que chacun se sente libre et
légitime de faire
57
des choses, sans avoir à rendre de comptes. »
Aussi, cette volonté de liberté d'initiative se retrouve dans la
gestion et l'organisation des événements. Par exemple, à
l'UEDAC, la semaine est complètement auto-gérée,
c'est-à-dire que les participants sont garants et responsables de la
cuisine, du rangement, du bon entretien, mais aussi de l'organisation
d'ateliers. Il y avait en effet des créneaux spécifiques sur
lesquels les participants étaient libres de proposer un atelier, une
discussion, un jeu... autour de ces enjeux. Ce modèle
d'organisation permet de donner du pouvoir aux membres, qui se sentent acteur
et ont un rôle à jouer au sein de l'association, tout
comme face à aux crises de nos sociétés.
Une grande liberté est aussi laissée dans les
propositions d'idées et dans la prise d'initiative. Des espaces y sont
même spécifiquement dédiés. A la fin de l'ACademy,
lors du week-end 4 est organisé un Forum Ouvert pour laisser libre court
aux propositions des participants pour l'association. Il y a d'abord eu un
temps de propositions libres, où tous pouvaient lancer des idées
de tous ordres ; une trentaine en est ressortie. Puis, il y a eu un temps de
vote pour les projets les plus intéressants, et une dizaine ont
été retenus. Enfin, des groupes se sont formés afin de
discuter et approfondir ces idées, les personnes pouvant passer de
groupe en groupe en trois temps différents. Aujourd'hui, plusieurs
projets proposés et discutés lors de ce forum ouvert sont en
cours de réalisation ou ont été réalisés.
Par exemple, l'internationalisation de la Big Conf, qui est en cours de
traduction et d'adap-tation des données dans plusieurs langues. Un autre
exemple est le projet ACcostage Climatique, qui, après cette idée
lancée lors du Forum, a pu être réalisé cette
année, en partant de zéro et avec seulement quelques mois de
préparation. 13 membres de l'association sont partis 5 jours à
bord de 2 voiliers sur les côtes bretonnes, s'arrêtant de ville en
ville pour organiser des ateliers ou conférences de sensibilisation
autour des enjeux énergie-climat. Ce projet est en voie de devenir un
projet structurant de l'association autour du voyage et de la construction de
nouvelles représentations du voyage. On voit donc qu'il y a une
très grande liberté d'initiatives qui contribue à
l'engagement au sein de l'association. Guillaume voit en fait AC comme
un « véhicule qui peut permettre aux gens de faire des choses
autour de l'énergie et du climat ».
Il y a aussi une liberté laissée dans la
façon de transmettre les messages. Pour Guillaume, « La
seule chose dont on doit être garant est la justesse du discours d'un
point de vue technique et scientifique, mais il est essentiel que les personnes
se sentent libres de porter des projets de la façon qu'elles le
souhaitent. C'est par exemple pour cela que la conclusion de TBC reste vague :
pour laisser aux personnes la possibilité de la faire comme ils le
souhaitent, de se l'approprier. C'est important que les gens adaptent
même le contenu de la conférence pour se sentir à l'aise
avec. Mettre plus ou moins d'émotions, parler de telle ou telle chose,
parler de soi personnellement, être plutôt pessimiste ou
plutôt optimiste... Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise façon de
la faire, mais une bonne façon de la faire par rapport à toi, par
rapport à ta personnalité, par rapport aussi au moment
58
où tu en es dans ta vie... ». Dans les week-ends
de travail de l'ACademy, des temps spécifiques sont ainsi
dédiés à la personnalisation de la Big Conf.
Thibaud Griessinger souligne l'aspect émancipateur de
ce pouvoir d'action : « A partir du moment où tu te sens en
contrôle de ton environnement, tu te sens agent de ta transformation, de
ton destin (...). C'est beaucoup plus émancipateur d'être acteur
de son environnement que de le subir »
Ainsi, la notion de liberté est de pouvoir d'action
permis par le collectif est centrale dans le processus d'engagement
écologique, et elle permet dans le même temps de nourrir l'action
collective par la construction et l'amélioration de projets
conséquente.
Le sentiment d'appartenance à un collectif
comme moteur de l'engagement
Par cette année passée à Avenir
Climatique, j'ai pu observer et vivre, comme tous les membres le
décrivent, un très fort sentiment d'appartenance à
une communauté. Pour Guillaume, « en termes
d'identité, Avenir Climatique est vraiment une bande de potes. Les
personnes prennent généralement beaucoup de temps de façon
bénévole. C'est lié certes au message important qu'ils
veulent passer, à la cause noble portée, mais s'ils le font c'est
aussi parce qu'ils se sentent bien avec le reste des membres. Entre nous, on
parle souvent de « communauté » ou de « famille » en
parlant d'AC. La bière ou le verre de la soirée est aussi dans
l'ADN de l'asso : après chaque événement AC, les membres
vont prendre ensemble un verre. L'UEDAC aussi est un peu marketée.
» En évoluant au sein d'un groupe portant des valeurs communes,
réunie et agissant autour d'un objectif commun, les membres construisent
des relations sociales enrichissantes et épanouissantes.
Ce sentiment d'appartenance peut aussi être moteur de
l'engagement via les normes sociales qui se construisent au sein du groupe. Les
membres essaient en effet d'être exemplaire et en cohérence avec
leurs valeurs, et les personnes arrivant dans le groupe vont avoir tendance
à vouloir se faire accepter, à être en accord avec le
groupe, à se conformer aux normes sociales, et donc à s'engager.
On se souvient du témoignage de Juliette qui expliquait que les membres
étaient devenus comme des « modèles », qui l'avaient
poussée à agir en se disant « si je veux être
cohérente avec ce groupe, cette asso, il faut que ça suive
derrière ». L'exemplarité au sein de l'association s'incarne
essentiellement par les individus, à la fois dans leurs discours, dans
leurs relations sociales et dans leurs actions. L'engagement collectif
peut donc permettre de faire évoluer les représentations de
l'individu (transformation intérieure).
Ces représentations et valeurs s'adaptent au fur et
à mesure via des mécanismes d'interaction spéculaire. Ces
représentations évoluent d'autant plus dans un contexte où
les membres se posent de nombreuses questions sur leurs croyances, sur les
récits et les représentations, et où la construction
59
de nouveaux récits est un des objectifs de
l'association. Ainsi, l'association devient aussi un espace où les
membres peuvent construire ensemble de nouveaux récits et
représentations, ce qui peut aussi renforcer leurs sentiments de pouvoir
d'action et leur épanouissement. Par exemple, pendant l'UEDAC, un espace
de discussion sur le rapport au corps a été lancé
spontanément suite à des questionnements sur la mixité ou
non des douches communes. Au fil des échanges, les questionnements se
sont multipliés : pourquoi les hommes semblent être plus à
l'aise que les femmes avec la nudité ? Qu-est-ce qui nous gêne
dans la nudité ? Le regard de l'autre ? Le regard de l'autre sexe ? La
sexualisation du corps ? Quels sont les déterminants culturels qui
mènent à la pudeur et l'intimité du corps ? Faut-il faire
évoluer ces représentations ? Ou au contraire ? Cet exemple
illustre bien un moment d'échange et de réflexion
intéressant sur un sujet tabou et déterminé par beaucoup
de représentations de nos sociétés modernes, où
chacun a pu réfléchir à ses propres
représentations, les questionner et peut-être les faire
évoluer. Ainsi, au sein de l'association, les individus, par les
idées qu'ils apportent individuellement mais aussi par les temps de
réflexion dédiés et par les interactions, construisent de
nouvelles représentations collectives (transformation
extérieure).
Le sentiment d'appartenance au groupe est tel que,
combiné à la détermination et la force que mettent les
membres dans leur lutte et dans la sensibilisation, il est fréquent
d'entendre des personnes extérieures parler d'AC comme d'une secte, en
plaisantant. Cela révèle aussi, au-delà des aspects
positifs que nous avons évoqués ci-dessous, une des limites de
cet aspect communautaire de l'association, qui peut bloquer certaines personnes
à y entrer. En effet, l'association, bien qu'elle se veuille
aparti-sane, comprend des individus ancrés politiquement d'un certain
côté du débat, ce qui peut parfois bloquer des personnes
n'ayant pas les mêmes positions. Un débat à ce sujet a
été lancé lors de l'Assemblée
Générale de l'association, qui a eu lieu pendant l'UEDAC.
Certains membres les plus à droite se sont dit mal à l'aise
d'exprimer certaines opinions en redoutant qu'elles seraient
caricaturées. Le risque invoqué est à la fois d'exclure
des personnes malgré l'objectif de sensibilisation et d'inclusion du
plus grand nombre, mais aussi de se couper de certaines critiques pertinentes
et de s'enfermer sur ses opinions, rendant plus difficile le travail de
vulgarisation et la position relativement « neutre » de
l'association. Finalement, il a été souligné une
nécessité de vigilance et d'ouverture d'esprit dans les
propos à la fois dans les moments formels mais aussi informels,
où les réflexions peuvent être faites plus naturellement et
inconsciemment du fait de la proximité relationnelle entre les
membres.
L'importance du bien-être des membres et la
place croissante laissée aux émotions
Dans notre entretien, Guillaume a souligné que
l'épanouissement de chacun était essentiel, à la fois
parce que le message porté par des personnes épanouies a plus de
résonnance et d'impact, mais aussi et surtout parce que le fait
que les membres puissent s'épanouir et s'en rendent compte favorise leur
engagement.
60
Cet épanouissement a pu s'observer et s'analyser chez
les membres comme étant le résultat des trois facteurs
présentés : une montée en connaissances et en
compétences, une conscience et mise en oeuvre de son pouvoir d'action,
et un fort sentiment d'appartenance et d'adhésion au collectif. Une
membre de l'association évoquait, lors de l'atelier
d'écopsychologie de l'UEDAC, un sentiment « d'ex-tase »
parfois ressenti dans l'engagement collectif, sentiment faisant écho aux
« moments presque euphoriques » décrits par Juliette. Autre
illustration de cet épanouissement de l'engagement collectif, les
participants parlent parfois entre eux de « déprime post-UEDAC
» ou de « déprime post we ACademy » tant les moments
vécus sont stimulants et épanouissants. A la fin de cette semaine
comme à la fin de chaque week-end de l'ACademy, j'ai pu observer, via
les discussions, via les mails, les messages, et mon ressenti, une grande
énergie, force et motivation chez les participants.
Aussi, pour assurer l'épanouissement dont parle
Guillaume, l'expression des émotions s'est récemment
révélée être un élément important.
Guillaume explique qu'« historiquement, AC est une association
d'ingénieurs un peu « froids et renfermés ». Ça
a beaucoup changé dernièrement, avec des personnes qui ont
amené de l'émotion, de la culture, des éléments un
peu moins « rationnels » dans l'asso et dans les projets. »
L'ACademy a par exemple intégré un temps
spécifique dédié au partage des émotions
vécues dans l'engagement. Guillaume explique qu'il s'agit d'un de ses
ateliers préférés à l'ACademy : celui des «
sensibilisateurs anonymes », où les participants échangent
sur leurs difficultés à convaincre, à vivre leur
engagement. « C'est en fait un atelier qui a été
complètement improvisé il y a deux ans ; il y avait beaucoup de
discussions, les gens étaient très émotionnels, on a
ressenti le besoin de faire ça. Et depuis, c'est resté !
»
Autre exemple clé à l'UEDAC : cette
année, pour la première fois, un atelier de 2h30 a
été consacré au partage des émotions. L'objectif
était de créer un espace pour pouvoir exprimer les
émotions liées à notre engagement, sans qu'il y ait de
débat ou d'objectif de résultat ou de productivité,
simplement pour exprimer ces émotions. L'atelier est parti de la
question suivante : « Quelle émotion vous fait le plus avancer dans
votre combat écologique ? ». Les participants ont été
invités à réfléchir quelques minutes à leur
réponse, puis à se lever et marcher dans le champ où nous
étions, en attendant de rencontrer quelqu'un, et alors de lui demander
son émotion, et former un groupe si elle était similaire. Cela a
permis de former différents groupes de discussion de plus petite taille,
en fonction des émotions de chacun. Parmi les émotions
invoquées, il y a eu la colère, l'angoisse, la tristesse, la
joie, l'espoir, l'alignement (entre ses valeurs et son engagement)...
Globalement, les émotions positives ont regroupé bien plus de
personnes. Chaque groupe a eu un temps d'échange et de discussion, puis
tous les groupes se sont retrouvés pour partager leurs échanges.
Au-delà des résultats de ces
61
échanges, qui, bien qu'intéressants, ne sont pas
ici notre objet d'étude, cet atelier a révélé
l'impor-tance du partage des émotions pour souder le collectif. Cet
atelier a en effet été un moment très fort et intense pour
tous les participants. Chacun a parlé de ses difficultés, de ses
joies, de son engagement, de sa vie, du monde actuel... Certains ont
pleuré, de tristesse, de joie. A la fin, alors que l'atelier prenait
fin, une participante a demandé qu'on reste encore quelques instants,
même si personne n'avait rien à ajouter. Alors, le groupe est
resté, enchaînant les moments de silence, et les nouvelles prises
de paroles. On sentait, dans ces minutes de silence, la puissance des
émotions planer au-dessus du groupe et en nous. Et, dans un de ces
silences, une des participantes a demandé : « est-ce que vous avez
pas tous envie de vous faire un câlin ? », une phrase qui peut faire
rire mais très révélatrice de la puissance collective de
ce moment. Cet atelier a été central dans ma recherche, car il
m'a fait réaliser la force et l'énergie qui sortaient de ce
groupe, ainsi que l'importance du partage des émotions pour
créer du lien, souder le collectif et favoriser
l'engagement.
A noter qu'il y a eu une différence notable dans le
ressenti des participants entre l'atelier des sensibilisateurs anonymes de
l'ACademy et l'atelier d'écopsychologie de l'UEDAC. En effet, l'atelier
de l'ACademy est très vite entré dans des débats, chacun
donnant son opinion et réagissant aux réflexions de l'un ou de
l'autre, alors que l'atelier de l'UEDAC a été
présenté tout de suite comme un moment d'expression,
d'écoute, et non de débat ou de réflexion sur les
solutions. L'impact a été très différent. Dans le
1er atelier, ce qui est principalement ressorti est le contenu des
débats et les différences d'opinion, tandis que dans le second,
la plupart des participants ont souligné combien mettre des mots sur
leurs émotions, les exprimer, les partager et écouter d'autres
les partager était un grand soulagement, une grande aide, et faisait du
bien.
Le Pôle Culturel de l'association, récemment
créé, propose aussi un espace d'expression des émotions
via ses ateliers d'écritures, qui portent souvent sur les ressentis, les
émotions, les nouveaux récits et représentations... Ce
sont aussi de forts moments de partage, et de soulagement ou de bien-être
pour les membres de pouvoir réfléchir, mettre des mots, et
exprimer et partager leurs ressentis.
3) Conclusions
Tableau résumé des principales conclusions
Facteurs d'engagement
|
Conclusions
|
Connaissances
|
- monter en connaissances et en compétences
- co-construction et amélioration continue des savoirs
|
Pouvoir et liberté d'action
|
- modèle d'organisation horizontal permet de donner du
pouvoir et de faire sentir ce pouvoir d'action aux membres
- Liberté d'initiatives
|
62
|
- liberté dans la façon de transmettre le
message
|
Communauté
|
- sentiment d'appartenance à une communauté
- exemplarité et les normes sociales du groupe
permettent de faire évoluer les représentations et pratiques des
individus
- les interactions et espaces de réflexions permettent
de construire de nouvelles représentations collectives
- importance d'une vigilance et ouverture d'esprit dans les
propos
|
Bien-être et
épanouisse- ment
|
- l'épanouissement est source d'engagement
- la connaissance, le pouvoir et la liberté d'action,
ainsi que l'aspect humain sont trois facteurs importants et
complémentaires d'épanouissement
- l'expression et le partage des émotions est un
facteur d'épanouissement à la fois personnel et collectif
|
On voit donc que l'engagement individuel et collectif sont
intimement liés, et que les liens se font souvent à double sens.
L'association transmet à l'individu les connaissances nécessaires
à l'enga-gement, alors que les individus coconstruisent et
améliorent ensemble cette connaissance. La liberté d'initiatives
et les projets de l'associations permettent à l'individu de s'engager et
de sentir son pouvoir d'actions, alors que les individus nourrissent
l'association de leurs initiatives et actions au sein de l'association.
L'exemplarité et les normes sociales du groupe permettent à
l'individu de faire évoluer ses pratiques et représentations, en
même temps que les réflexions et interactions des individus
permettent de faire évoluer les représentations du collectif.
Enfin, le collectif peut fournir des espaces d'expression et de partage
d'émotions, qui permettent de renforcer la solidarité, la
cohésion et le groupe.
Là encore, l'aspect systémique des facteurs
d'engagement est important à souligner : ces éléments
fonctionnent ensemble : connaissance, pouvoir d'action et groupe sont
complémentaires et se renforcent entre eux. Le tout permet aux membres
de trouver dans l'engagement collectif un fort épanouissement, qui
renforce encore leur engagement (tant collectif que quotidien et
professionnel). On voit aussi à quel point, via la connaissance, le
pouvoir d'action et les relations humaines, l'engage-ment collectif peut
être source de changements et transformations. Ainsi, lors des deux
dernières Assemblées Générales de l'association, un
membre a à chaque fois versé des larmes d'émotions en
expliquant que « l'association (avait) changé sa vie »,
suscitant des réactions similaires d'autres membres, et suscitant un
moment d'émotion fédérateur et là encore
engageant.
Nous avons maintenant une meilleure compréhension du
processus d'engagement écologique, en l'ayant étudié sous
le prisme individuel puis collectif. Mais cette compréhension est
limitée par l'angle restreint qu'elle comporte, ayant choisi des
individus faisant partie du même collectif. C'est pourquoi
63
nous avons complété notre démarche par un
questionnaire destiné à toucher un plus grand nombre de
personnes, mais aussi une plus grande diversité de profils.
III- Questionnaire sur le processus d'engagement
écologique 1) Méthodologie
Le questionnaire se voulait le plus holistique
possible par rapport au vécu de la personne, afin qu'elle
puisse avoir la vision la plus complète de son cheminement. Le
questionnaire a ainsi été construit en 5 parties :
1) Conscience des enjeux
2) Niveau d'engagement
3) Blocages et déclics
4) Emotions
5) Processus et cheminement
Le questionnaire a été construit de façon
humaine et chaleureuse : il comportait une introduction
expliquant ma démarche, utilisait le tutoiement, des notes d'humour, et
une conclusion engagée. Cela avait pour objectif et a permis,
d'après les retours particulièrement positifs que j'en ai eu, de
mettre les personnes dans de bonnes conditions pour répondre au
questionnaire, et de le rendre attractif et agréable à faire
malgré sa longueur (entre 20 minutes et 1h selon le temps de
réflexion des personnes). Le questionnaire alternait questions
fermées et questions ouvertes, afin notamment de disposer de
données qualitatives, parfois plus complètes et libres,
d'éviter des réponses orientées, mais aussi afin de
permettre un espace de réflexion et d'expression aux
répondants.
Le questionnaire a été essentiellement
diffusé sur les réseaux sociaux, sur des groupes plutôt
engagés, ainsi qu'auprès de mes proches (engagés et peu
engagés), et dans les milieux et structures de mes proches peu
engagés.
Le questionnaire ne se veut pas représentatif :
son objectif était de comprendre les différences entre
un groupe de personnes conscientes et engagées, et un groupe de
personnes conscientes et non ou peu engagées. En effet, pour analyser
les réponses du questionnaire, j'ai divisé les 187
répondants en trois groupes, selon leur niveau de conscience et
d'engagement. Cette division en groupes s'est faite selon les réponses
à certaines questions. Une « note » de 1 à 3 a
été attribuée pour chaque question puis une moyenne a
été faite sur le niveau de conscience puis sur le niveau
d'engagement, la moyenne entre les deux donnant le numéro de groupe de
la personne. La méthodologie précise de cette répartition
se trouve en annexe 11.
64
Ce travail a permis de former trois groupes :
- Groupe 1 : peu conscients et pas engagés ?
2 personnes
- Groupe 2 : conscients mais pas ou peu engagés ?
80 personnes
- Groupe 3 : très conscients et engagés ?
105 personnes
Nous voyons donc que seulement 2 personnes se sont
retrouvées dans le groupe 1, dont une clima-tosceptique. Les
données de ce groupe n'ont pas fait l'objet d'une analyse, à la
fois parce que les données ne sont pas représentatives, mais
aussi et surtout parce que notre sujet d'étude porte sur le passage
à l'engagement de personnes déjà conscientes des enjeux.
Le passage de personnes pas conscientes voire pas d'accord sur les enjeux
environnementaux relève de toutes autres logiques et pourrait faire
l'objet d'un tout autre travail. Il était cependant important de
distinguer ce groupe, dont les logiques et les résultats sont
très différents. Nous avons donc analysé les
réponses de 185 personnes, avec une petite
surreprésentation de personnes très engagées (105
personnes, soit 57%) par rapport aux personnes peu engagées (80
personnes, soit 43%). Les données relatives au profil des
répondants se trouvent en annexe 12.
Il convient aussi de noter que cette méthodologie
d'analyse des réponses a nécessité beaucoup de temps
(extraction des données sur excel, formules pour distinguer les groupes
et analyser certaines données, formules, extractions pour chaque
question et chaque groupe, mise en forme sur un tableau word, analyse...). En
raison de cette méthodologie, de la longueur du questionnaire et d'un
manque de temps dans ma démarche de recherche, je n'ai malheureusement
pas pu analyser la totalité du questionnaire, et notamment les
réponses ouvertes. Mais ce ne sont pas des réponses perdues, ces
données sont d'une grande richesse et pourront faire l'objet d'un
approfondissement et d'une analyse après ce mémoire. En
annexe se trouvent donc seulement une partie des résultats du
questionnaire, et seule une partie de ces résultats a fait l'objet d'une
analyse.
Enfin, à noter qu'il existe plusieurs biais à ce
questionnaire, liés :
- A sa construction. Certains répondants ont fait part
d'une orientation dans certaines questions. J'avais ce risque à l'esprit
en construisant le questionnaire, et j'ai essayé d'orienter le moins
possible les questions (notamment en laissant la réponse ouverte lorsque
des réponses fermées auraient impliqué la projection de
mes propres réponses et donc une orientation), mais, comme un objectif
secondaire de ce questionnaire était aussi d'aider les personnes
à faire le point sur leur engagement, j'ai voulu y apporter des notes
d'encouragement, notamment lors de la conclusion qui était très
engagée et sortait quelque peu de mon rôle de chercheur, entrant
plus dans un rôle de chercheur engagé. Cela a pu paraître
comme un manque d'objectivité dans la construction du questionnaire.
- Aux réponses des personnes. Certaines questions
nécessitaient une autoévaluation (de son degré
d'engagement, de son niveau de conscience...), ce qui peut être
sur-évalué ou sous-évalué selon le caractère
de la personne.
- A la distinction des groupes, qui aurait pu être
encore plus rigoureuse dans la méthodologie. Mais cette distinction
s'est révélée pertinente au vu de l'analyse des
résultats, et a l'intérêt d'avoir un bon aperçu des
principales différences entre un groupe engagé et un groupe peu
engagé.
2) Description et analyse
Nous décrirons et analyserons les résultats des
deux groupes sur leur conscience des enjeux, sur leur engagement, blocages et
leviers d'engagement, et enfin sur leur rapport aux émotions.
Conscience des enjeux et vision des crises
Données complètes à retrouver en
Annexe 13
Globalement, les personnes ont conscience de la gravité
des crises : la moyenne du degré de gravité estimé est de
8,56/10 pour le groupe 2, et de 9,56/10 pour le groupe 3. Seulement 3% de la
totalité des personnes interrogées, soit 6 personnes sur 187,
estiment improbable la possibilité d'un effondrement de nos
civilisations. On voit donc qu'il y a une conscience globale de la
gravité des crises et de la possibilité d'un
effondrement. Il y a cependant une différence notable entre les
2 groupes : 67% des personnes du groupe 2 le considèrent comme «
probable, très probable ou certain », contre 95% dans le groupe
3.
67% du groupe 3 considèrent comme improbable ou peu
probable que nous réussissions à mettre en oeuvre une transition
écologique et solidaire, contre 58% dans le groupe 2. Ainsi,
globalement, la plupart ne croit en la réussite d'une
transition, et les personnes engagées y croient moins que celles non
engagées. Les résultats du questionnaire ont aussi
révélé un grand différentiel dans la
croyance en la technologie pour faire face aux crises : à
l'affirmation « nous allons développer des innovations
technologiques qui permettront de faire face aux changements climatiques
», 61% du groupe 2 a répondu probable, très probable ou
certain, contre seulement 26% dans le groupe 3. Enfin, le groupe
engagé a tendance à plus croire en la capacité de la
société civile à se mobiliser : 62% du groupe 3
considèrent comme probable, très probable ou certain une «
mobilisation et révolution sans précédent de la
société civile qui permettraient de mettre en place des
changements radicaux », contre 52% pour le groupe 2.
65
Les résultats du questionnaire révèlent donc
:
66
- une conscience globale de la gravité des crises et de
la possibilité d'un effondrement de nos civilisations
- une tendance d'évolution des représentations
au fil de l'engagement : plus une personne est engagée, :
o plus elle croit en la probabilité d'un effondrement
o moins elle croit en la réussite d'une transition
écologique et solidaire
o moins elle croit en la capacité de la technologie
à faire face aux crises
o plus elle croit en la capacité de la
société civile à changer les choses
Niveau d'engagement, blocages et leviers
Données complètes à retrouver en annexe
14 et annexe 15
Le questionnaire a aussi révélé des
différences notables selon le type d'engagement. D'abord,
l'en-gagement quotidien semble ancré dans les deux groupes
: 99% des personnes du groupe 3 se disent engagées ou
très engagées, contre 87% dans le groupe 2. Cependant, le
différentiel est plus élevé si l'on prend juste la
réponse « très engagé » : 77% dans le groupe 3,
contre seulement 31% dans le groupe 2, ce qui révèle un
engagement quotidien limité du groupe 2. Cette tendance d'un engagement
plus en profondeur du groupe 3 au quotidien se confirme dans les
différents types de pratiques analysées.
Tableau résumé des degrés
d'engagement selon le type de pratique au quotidien :
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
|
Engagés ou très engagés
|
Très engagés
|
Engagés ou très engagés
|
Très engagés
|
Tri des déchets
|
91%
|
60%
|
97%
|
78%
|
Réduction des déchets
|
86%
|
42%
|
98%
|
71%
|
Réduction consommation de viande
|
82%
|
44%
|
99%
|
77%
|
Consommer mieux (alimentaire : bio, local, de saison)
|
84%
|
59%
|
98%
|
72%
|
Consommer mieux (biens de con- sommation)
|
84%
|
42%
|
98%
|
82%
|
Consommer moins (biens de con- sommation)
|
81%
|
41%
|
98%
|
77%
|
Mobilités douces
|
77%
|
52%
|
90%
|
66%
|
Limiter trajets en avion
|
58%
|
40%
|
89%
|
68%
|
Limiter impact numérique
|
32%
|
9%
|
54%
|
14%
|
|
Nous voyons en effet que la majorité des personnes se
considèrent « engagées » ou « très
engagées » sur la plupart des pratiques, à l'exception de
l'impact numérique, et avec un petit différentiel
67
entre entre les deux groupes, mais que ce différentiel
est bien plus grand pour la seule réponse « très
engagée », révélant un engagement quotidien
plus profond et ancré dans le groupe 3 que dans le groupe 2.
Dans l'engagement professionnel, 82% du groupe 3 se dit
engagé ou très engagé contre 57% dans le groupe 2. Cette
différence révèle que l'engagement professionnel
semble être une étape importante du processus d'engagement.
Le différentiel est encore plus grand pour l'engagement
collectif. Pour l'engagement associatif, 67% du groupe 3 se dit engagé
ou très engagé contre 25% dans le groupe 2. Enfin, pour
l'engagement militant, 65% des personnes se disent engagées ou
très engagées (30% très engagés), contre seulement
10% dans le groupe 2 (0% très engagés). De plus, dans les
questions portant sur les leviers d'engagement, on voit que l'engagement
collectif a eu une forte influence dans le groupe des personnes
engagées. En effet, 63% estiment que l'engagement associatif a eu une
influence, grande ou très grande influence sur leur prise de conscience
et leur engagement, et 57% pour l'engagement militant. Ces chiffres ne sont
respectivement qu'à 26% et 13% dans le groupe 2. L'engagement
collectif semble donc être une étape clé du processus
d'engagement écologique.
Certaines des questions cherchaient à évaluer
l'importance de la connaissance dans le processus d'engagement. Or, 66% des
personnes du groupe 2 estiment que le manque de connaissance n'a pas ou peu
d'influence sur leur engagement, et 56% dans le groupe 3. Cela peut
paraître surprenant à l'égard des hypothèses et des
résultats précédemment dressés. Mais ces chiffres
peuvent s'expli-quer facilement. Pour le groupe 3, très engagé,
le résultat parait logique si l'on considère que les
connaissances ont déjà été approfondies.
D'ailleurs, il peut même paraître à l'inverse surprenant que
43% des personnes du groupe 3 considèrent que le manque de connaissance
des enjeux a une influence, une grande influence ou une très grande
influence sur leur engagement. Concernant le groupe 2, on peut supposer que les
personnes, conscientes des enjeux, n'ont pas conscience de leurs lacunes de
compréhension. En fait, le manque de connaissance ne constitue pas
directement un blocage à l'engagement ; il est plus juste de dire que
c'est l'approfondissement des connaissances qui constitue un levier
d'engagement. Et, en effet, les chiffres le valident : 86% des personnes du
groupe 2 considèrent qu'une meilleure connaissance des mécanismes
en jeu a pu favoriser leur engagement. Le pourcentage s'élève
à 98% dans le groupe 3. L'approfondissement des connaissances se
révèle donc être un facteur clé d'engagement.
On voit aussi, dans les leviers d'actions, que la lecture est
privilégiée par rapport aux supports audio-visuels dans le groupe
des personnes engagées : 91% disent qu'une ou des lectures
spécifiques ont eu une importance, contre 73% dans le groupe 2. Pour les
supports audiovisuels, ces chiffres s'élèvent à 89% pour
le groupe 3 et 80% pour le groupe 2. On voit aussi qu'un cours ou une formation
a plus d'influence dans le groupe 3 : 56% vs 42%.
68
Le manque de temps constitue un blocage pour
76% des personnes dans le groupe 2, 69% dans le groupe 3. Le fait d'avoir plus
de temps pour se renseigner et s'engager a eu une influence, grande ou
très grande influence dans 82% des cas dans le groupe 3, contre 65% dans
le groupe 2. Les deux autres blocages clés observés sont le
manque de moyens d'action (73% pour le groupe 2, 61% pour le
groupe 3), et les habitudes (62% pour le groupe 2, 57% pour le
groupe 3).
Ainsi, nous avons vu que :
- les pratiques écologiques quotidiennes sont de plus en
plus profondes et ancrées au fil de l'en-
gagement
- l'engagement professionnel est une étape importante du
processus d'engagement
- l'engagement collectif est une étape clé du
processus d'engagement
- l'approfondissement des connaissances est un facteur
clé d'engagement
- le manque de temps, le manque de moyens d'action et les
habitudes de vie semblent être des
blocages importants à l'engagement
Rapport aux émotions
Données complètes à retrouver en annexe
16
Le questionnaire a aussi révélé des
différences notables dans le rapport aux émotions des deux
groupes. Les sentiments d'impuissance et de peur sont présents plus
souvent dans le groupe 2 que dans le groupe 3 : 59% ressentent souvent ou
très souvent de l'impuissance dans le groupe 2, contre 42% dans le
groupe 3, et 44% de la peur, contre 31% dans le groupe 3. A l'inverse, les
sentiments de lassitude et d'épuisement sont présents plus
souvent dans le groupe 3 que dans le groupe 2 : 35% ressentent souvent ou
très souvent de la lassitude, contre 24% pour le groupe 2, et 26% de
l'épuise-ment dans le groupe 3, contre 14% dans le groupe 2 (42% du
groupe 2 n'en ressentent jamais, contre seulement 22% dans le groupe 2). Enfin,
certaines émotions comme la frustration, la colère, la tristesse,
la culpabilité se retrouvent à peu près autant dans les
deux groupes. Ainsi, les personnes engagées peuvent ressentir
plus souvent de la lassitude ou de l'épuisement, mais l'engage-ment
semble diminuer les sentiments d'impuissance et de peur.
Le plus grand différentiel concerne le sentiment de
détermination, que 41% du groupe 3 ressentent très souvent (79%
souvent ou très souvent), contre seulement 15% dans le groupe 2 (63%
souvent ou très souvent). De même, 46% ressentent de l'excitation
souvent ou très souvent, contre 25% dans le groupe 3 (très
souvent : 14% vs 5%), les chiffres étant quasiment similaires pour le
sentiment de satisfaction. La joie est ressentie très souvent ou
très souvent par 53% des personnes du groupe 3, contre 29% dans le
groupe 2. Enfin, le sentiment de fierté est présent souvent ou
très souvent pour 59% des personnes du groupe 3, contre 30% pour les
personnes du groupe 2. On voit donc que les
69
émotions positives comme la
détermination, la satisfaction, l'excitation, la joie ou la
fierté semblent plus souvent présentes chez les personnes
engagées que chez les personnes non engagées.
De façon plus générale, nous pouvons
noter que les personnes du groupe 3 semblent ressentir plus souvent des
émotions : la réponse « très souvent »
représente 17% du total des réponses, contre 11% pour le groupe,
tandis la réponse « jamais » représente 21% pour le
groupe 2 et 12% pour le groupe 3. D'autres réponses vont en ce sens :
à l'affirmation « je ressens des émotions positives
très intenses », 19% des personnes du groupe 3 ont répondu
très souvent, contre 8% pour le groupe 2. Aussi, 47% des personnes du
groupe 3 indiquent exprimer leurs émotions négatives souvent ou
très souvent, contre 37% dans le groupe 2. Enfin, 35% du groupe 3 estime
utiliser ses émotions souvent, contre 25% pour le groupe 2 (18% ne le
font jamais dans le groupe 2, contre 8% dans le groupe 3). Ainsi,
l'engagement pourrait mener à une libération des
émotions, ressenties plus souvent et plus intensément, ainsi
qu'à une meilleure gestion de ses émotions.
Une autre question de cette partie portait sur la
personnalité des personnes. Une série de qualificatifs a
été proposée, et la personne devait indiquer à quel
degré ces qualificatifs lui correspondaient. Quelques différences
entre les deux groupes peuvent être observées dans les
différents qualificatifs proposés. 51% des personnes du groupe 3
se considèrent « complètement » curieux, contre 41%
dans le groupe 2. 44% se considèrent complètement sensibles, 33%
dans le groupe 2. Pour 71% du groupe 3, le qualificatif « heureux »
leur correspondait complètement, contre 60% dans le groupe 2. Enfin, les
plus grands différentiels concernaient les qualificatifs «
libéré » et « créatif » : 57% du groupe 3
ont indiqué que la créativité leur correspondait beaucoup
ou complètement, contre 40% dans le groupe 2 ; 63% pour l'aspect
libéré dans le groupe 3, contre 49% dans le groupe 2. Ainsi,
l'engagement pourrait rendre les personnes plus créatives, plus
libres, plus sensibles, plus curieuses et plus heureuses.
Enfin, a été abordée la question de
l'importance de facteurs plus généraux ayant une influence sur la
vie de la personne. Dans le groupe 2, 39% indiquent que le regard de l'autre a
une influence, une grande influence ou une très grande influence, contre
26% dans le groupe 3. En ce qui concerne l'importance de l'argent, le chiffre
s'élève à 46% pour le groupe 2 et à 26% pour le
groupe 3. Concernant le besoin de consommation, 45% du groupe 3 indiquent qu'il
n'a pas d'influence sur leur vie, contre 28% dans le groupe 2 (Influence,
grande ou très grande : 19% groupe 3 vs 29% groupe 2). Enfin, la peur de
l'autre ou la méfiance ont une grande influence chez 11% des personnes
dans le groupe 2, contre seulement 1% dans le groupe 3. Ainsi, le
processus d'engagement pourrait diminuer l'importance du regard des autres,
l'importance de l'argent, l'importance de la consommation ainsi que la peur ou
ma méfiance de l'autre.
70
Nous soulignons l'usage du conditionnel dans les trois
derniers paragraphes : il est en effet difficile de tirer des conclusions
certaines de ces éléments, et d'imputer directement les
différentiels observés à l'engagement. En effet, la
personnalité et le rapport aux émotions d'une personne se
construit par de très nombreux facteurs, qu'il faudrait analyser en
détails pour pouvoir en tirer des conclusions. De plus, on pourrait
aussi supposer que c'est parce que les personnes étaient sensibles,
heureuses, libres et créatives qu'elles ont pu s'engager. Cependant, ces
différences sont tout de même importantes et à prendre en
compte, et recoupent aussi des éléments observés dans les
entretiens individuels et dans la participation observante, d'où
l'intérêt d'en faire des hypothèses.
Le questionnaire a donc révélé que :
- l'engagement peut mener à de la lassitude et de
l'épuisement
- l'engagement peut diminuer les sentiments d'impuissance et de
peur
- l'engagement peut mener à une libération des
émotions (plus souvent et plus intensément)
- l'engagement peut mener à plus de détermination,
de satisfaction, d'excitation, de joie et de
fierté
- l'engagement peut rendre les personnes plus créatives,
libres, sensibles, curieuses et heu-
reuses
- l'engagement peut diminuer l'importance du regard des autres,
de l'argent, de la consommation,
et de la peur ou de la méfiance de l'autre
Importance de l'introspection
Au-delà de l'objectif de recherche, ce questionnaire
avait aussi pour objectif de permettre à des personnes de faire le point
sur leur engagement, et éventuellement de les sensibiliser. Au final,
cet objectif secondaire s'est avéré utile dans la recherche ! En
effet, les nombreux retours positifs que j'ai eus en fin de questionnaire ont
montré l'importance de faire le point sur soi, l'importance de
l'intros-pection, et l'importance du développement personnel
qu'évoquait Valentin dans son entretien.
Voici quelques extraits de réponses qui en attestent :
- « En fait ce questionnaire m'a fait du bien. Je pense
qu'un des enjeux climatiques est l'évolu-tion des pensées, et
faire l'exercice d'écrire aide énormément car il force
à organiser ses idées et je me rends compte à quel point
mes idées ont besoin de décanter. Merci ! »
- « Merci beaucoup pour cette introspection, mettre
à l'écrit des choses qui se passent générale-
ment à l'oral ou en pensées m'a fait un bien fou.
Cela m'a fait à la fois réaliser où j'en étais
vraiment, comment continuer à avancer, à sourire, à mettre
mes idées au clair. »
71
- « Merci pour ce questionnaire, qui m'a permis de prendre
un peu de temps pour réellement m'auto-évaluer et
réfléchir au pourquoi & comment. »
- « Merci pour ce questionnaire, d'exprimer sa
pensée face à un ordinateur qui ne te juge pas permet de se
libérer de certaines contraintes. On a peur ni d'être ignorant, ni
d'être arrogant. J'ai passé un bon moment »
- « Ce questionnaire m'a fait réfléchir sur
plein de trucs, merci ! »
Ainsi, nous voyons que réfléchir sur
soi peut être facteur d'engagement et une façon de mieux vivre son
engagement.
3) Conclusions
Tableau résumé des principales
conclusions
Thème
|
Conclusions
|
Vision des crises
|
- il y a une conscience globale de la gravité des crises
et de la possibilité d'un
effondrement de nos civilisations
- tendance d'évolution des représentations : plus
une personne est engagée, :
o plus elle croit en la probabilité d'un effondrement
o moins elle croit en la réussite d'une transition
écologique et solidaire
o moins elle croit en la capacité de la technologie
à faire face aux crises
o plus elle croit en la capacité de la
société civile à changer les choses
|
|
Engagement
|
- les pratiques écologiques quotidiennes sont de plus en
plus profondes et an-
crées au fil de l'engagement
- l'engagement professionnel est une étape importante
du processus d'enga- gement
- l'engagement collectif est une étape clé du
processus d'engagement
- l'approfondissement des connaissances est un facteur clé
d'engagement
- le manque de temps, le manque de moyens d'action et les
habitudes de vie
semblent être des blocages importants à
l'engagement
- la réflexion sur soi peut être facteur de
bien-être et d'engagement
|
Emotions
|
- l'engagement peut mener à de la lassitude et de
l'épuisement
- l'engagement peut diminuer les sentiments d'impuissance et de
peur
- l'engagement peut mener à une libération des
émotions (plus souvent et plus
intensément)
|
Transformation
|
- l'engagement peut mener à plus de détermination,
de satisfaction, d'excita-
tion, de joie et de fierté
- l'engagement peut rendre les personnes plus
créatives, libres, sensibles, cu- rieuses et heureuses
|
72
- l'engagement peut diminuer l'importance du regard des autres,
de l'argent, de la consommation, et de la peur ou de la méfiance de
l'autre
BILAN DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN
Les entretiens individuels, la participation observante à
Avenir Climatique et le questionnaire nous ont permis d'explorer les
hypothèses que nous avions posées, souvent de les valider, et de
les approfondir. Nous reviendrons ici sur chacune des hypothèses en
résumant les principales conclusions tirées de l'enquête de
terrain.
Hypothèse 1 : Connaissance
Le processus d'engagement écologique passe par une
connaissance approfondie et systémique des enjeux, de leurs causes et de
leurs implications
L'enquête de terrain a permis de montrer que la
connaissance était au coeur du processus d'engagement. Valentin
résume ainsi l'importance d'approfondir la compréhension
et la connaissance de ces enjeux pour mieux avancer : « Tous les
facteurs sont tirés au maximum dans toutes les directions, que ce soit
au niveau psychologique, philosophique, écologique, social,
économique, politique... on n'a jamais été dans une
société aussi extrême qu'aujourd'hui. Une fois que tu
comprends tout ça, enfin une fois que tu as commencé à
comprendre tout ça, car je ne pense pas qu'on soit capables en une vie
d'avoir un recul total sur tout ça, ça peut permettre de te faire
grandir beaucoup plus rapidement qu'avant ». En effet, la
complexité des sociétés dans lesquelles nous vivons, la
diversité des crises et des enjeux, leur aspect systémique, et
leur ampleur inédite sont tels qu'ils sont difficiles à saisir.
La population globale a aujourd'hui conscience des problèmes
environnementaux, mais la connaissance reste faible, et comprendre la
nécessité et l'urgence d'agir est une condition clé
à une action efficace.
Nous avons vu que différents
éléments étaient cruciaux à saisir dans cet
approfondissement de connaissances : l'aspect systémique des
crises, la globalité et l'origine des problèmes, les liens entre
les crises et son propre quotidien, et les implications de ces constats et la
possibilité d'un effondrement de nos civilisations.
Enfin, nous avons aussi évoqué
différentes façons d'approfondir ces
connaissances. Beaucoup passent par des lectures (ex : comment tout
peut s'effondrer, le manuel de transition de Rob Hopkins, le rapport Meadows,
les rapports du GIEC), d'autres par des supports audiovisuels.
L'approfondissement des connaissances peut aussi se faire via l'engagement
professionnel ou via les études par des formations ; le rôle de
l'éducation est en ce sens central. Enfin, il peut aussi se faire par
l'engagement collectif, à la fois grâce à des structures
transmettant des savoirs, mais aussi par les échanges et la
co-construction de savoirs au sein d'un collectif.
73
Hypothèse 2 : Groupe
74
Le processus d'engagement écologique est
nécessairement collectif
Nous avons vu que les personnes rejoignaient un collectif pour
deux raisons principales : l'envie et le besoin d'agir, et l'envie et le besoin
de se rapprocher de personnes vivant les mêmes cheminements. Le
collectif est donc un moyen, pour la personne, de trouver du réconfort,
du partage, de la joie dans les échanges, ainsi qu'un moyen de sentir
son pouvoir d'action.
Il peut alors y avoir une boucle d'engagement qui entraine la
personne à la fois à monter en compétences et en
connaissances, à agir, se sentir utile et sentir son pouvoir d'action,
et à des rencontres humaines et en vivant des moments sociaux collectifs
forts. Ainsi, la personne s'épanouit dans son engagement ce qui la
conforte dans sa démarche. Nous voyons donc que l'engagement
collectif est lui-même facteur d'engagement écologique globale de
la personne.
Aussi, le collectif a une importance centrale dans la
construction de nouveaux récits et de nouvelles
représentations. En effet, le système de
représentations et de pratiques d'une personne peut évoluer via
les normes sociales et interactions au sein du groupe d'engagement, tandis que
les interactions et réflexions permises par les individus au sein du
collectif permettent de construire de nouvelles représentations
collectives. Le collectif contribue ainsi à la transformation
intérieure et extérieure des mentalités et des
pratiques.
Hypothèse 3 : Transformation
Le processus d'engagement écologique est un
processus de transformation intérieure et extérieure
libérateur
Le processus d'engagement, via notamment le collectif, donc,
peut effectivement mener à des bouleversements intérieurs
profonds. Le terme est cependant à nuancer, car pour certaines
personnes, l'engagement peut se faire de façon continue, et s'il n'a pas
impliqué un choc ou une phase d'effondrement intérieure, il peut
s'agir d'évolutions plus que de transformations.
L'enquête de terrain nous a donc permis de montrer que
l'engagement écologique pouvait mener à des changements
profonds dans son rapport à soi, aux autres et au monde. Dans
son rapport à soi, l'engagement peut impliquer une meilleure
connaissance de soi, mais aussi plus d'éner-gie, de force, plus de
détermination, de satisfaction, plus de créativité, de
curiosité, et finalement plus de joie. Dans son rapport aux autres, nous
avons observé que l'engagement pouvait mener à des relations plus
simples, plus humaines, basées sur l'entraide, la solidarité et
la confiance, et une importance moins grande donnée à l'image
sociale et au regard des autres. Enfin, dans notre rapport au monde,
l'engagement peut mener à une évolution de nos
représentations avec une importance moins grande à la
technologie, à l'argent ou à la consommation, et une importance
plus grande aux relations humaines, au collectif ou encore à la
nature.
75
Transformation intérieure et extérieure vont de
pair dans un contexte collectif. En effet, comme nous l'avons souligné
pour l'hypothèse précédente et comme étudié
dans la revue de littérature via la notion d'interaction
spéculaire, nos croyances et représentations communes se
construisent par l'adaptation mutuelles de nos représentations
individuelles au fur et à mesure que se multiplient nos rapports
sociaux. Dans le contexte actuel et dans des collectifs engagés
imprégnés de la volonté de changer de récits, les
transformations intérieures et extérieures sont
intimement liées et en cours de co-construction.
Hypothèse 4 : Emotions
L'acceptation, l'expression, la compréhension et
l'utilisation des émotions sont fondamentales et motrices dans le
processus d'engagement écologique
Enfin, nous avons vu que les émotions avaient un
rôle central dans le processus d'engage-ment écologique. Elles
peuvent être à la fois déclencheur et résultat de
l'engagement, et en sont le principal moteur.
Les émotions négatives peuvent
être un déclencheur d'engagement. En effet, nous avons vu
que l'approfondissement des enjeux et la compréhension de la
gravité de la situation et de ses implications pouvait mener à
une phase d'effondrement intérieur, de bouleversement de sa vision du
monde, de sa vie et de son avenir. Cela peut provoquer une perte de sens qui
peut-être plus ou moins difficile à vivre selon le contexte de son
quotidien, et selon son entourage. Pour retrouver du sens, la personne cherche
à s'engager ou à se rapprocher de personnes traversant les
mêmes questionnements. On voit donc que les émotions
négatives sont inévitables pour des personnes qui
approfondiraient les connaissances, mais qu'elles provoquent comme un choc qui
permet ensuite de passer à l'action, avec un impact bien plus important
qu'avant, et aussi avec plus d'épanouissement.
En effet, l'engagement écologique, via l'action,
l'utilité, la connaissance et le groupe, peut être source de
satisfaction, de cohérence, de fierté, d'excitation, et
finalement de joie et d'épanouisse-ment, comme cela a été
décrit, d' « euphorie » ou d'« extase », ce qui
vient renforcer cet engagement. Cet engagement n'est pas tout le temps facile,
il peut aussi mener à de la lassitude, de la frustration, de la peine ou
de la colère, mais ces sentiments peuvent aussi permettre d'entretenir
et de motiver l'engagement. De façon globale, les entretiens
individuels, la participation observante ainsi que le questionnaire ont
montré que l'engagement était avant tout source
d'émotions positives plus que négatives. L'engagement
peut aussi mener à une libération des émotions,
ressenties à la fois plus souvent, et de façon plus
intense.
Aussi, nous avons vu que le fait de comprendre ces
émotions, mais aussi de pouvoir les exprimer et les partager
était important en termes de bien-être, et pouvait être
à la fois source de soulagement, et facteur de consolidation de liens
sociaux et du collectif.
76
PRECONISATIONS
Alors, que faire maintenant ? Comment utiliser ces conclusions
et ce travail pour les rendre utiles ? L'objectif de cette partie est de
proposer des préconisations, des pistes à suivre pour s'engager,
et pour bien vivre son engagement. Il s'agit de pistes, de propositions ayant
pour but d'aider et aiguiller des personnes. Le lecteur, quel que soit son
profil et son rapport à l'engagement, est aussi invité à
réfléchir à ses pistes d'action.
Pour des personnes conscientes mais pas ou peu engagées
C'est le cas de la plupart des personnes en France
aujourd'hui, et c'était l'objet de ce mémoire que de comprendre
comment passer de la conscience non engagée à la conscience
engagée. La première piste consiste à approfondir
les connaissances. Nous avons vu toutes les implications que cela
pouvait avoir, mais c'est un vrai facteur d'engagement, et il est central, dans
les crises et les moments que nous connaissons et dans une telle
complexité, de comprendre les mécanismes en jeu et ses
implications.
La deuxième préconisation est de se
rapprocher de groupes ou de personnes engagées pour
échanger. Nous l'avons vu, cet aspect est central pour pouvoir
agir et monter en compétences et connaissances, mais il est aussi bien
souvent source d'épanouissement ! Il peut s'agir d'associations (de tous
types), de groupements citoyens, de personnes spécifiques...
Pour des personnes engagées
Pour des personnes engagées, les préconisations
à tirer de ce travail sont nombreuses. D'abord, il convient de souligner
l'importance de prendre soin de soi et des autres.
L'épanouissement, nous l'avons vu, est en effet central dans
l'engagement : c'est un fort moteur, à la fois d'engagement personnel,
mais aussi de sensibilisation. Pour cela, un des moyens est de pouvoir
soigner ses émotions, autant positives que négatives
: savoir les exprimer, les partager, les comprendre, est un travail
important qui peut être source de bien-être et de soulagement
à la fois pour la personne, mais aussi pour ceux avec qui la personne
les partage. Cela peut aussi contribuer à faire évoluer les
représentations et la place des émotions dans nos
sociétés.
Une autre conclusion est d'éviter de se
refermer ou critiquer les groupes moins engagés. Ce sont des
sentiments normaux : au vu de la gravité de la situation, il est
légitime d'être en colère ou de ne pas comprendre des
personnes qui ne changent pas leur mode de vie. Il est aussi normal d'avoir des
difficultés à rester avec des personnes ayant moins de valeurs en
commun. Cependant,
77
nous avons vu l'importance qu'avait le fait de garder ces
socles, à la fois pour ne pas s'enfermer dans ses positions et rester
ouverts d'esprits, pour aussi apprendre d'eux, et pour aussi essayer de les
engager. Les blocages sont nombreux et l'inertie compréhensible ;
comprendre l'inaction sera bien plus utile et efficace que de la critiquer.
Une autre préconisation qui en découle est
d'essayer d'accompagner et aider des personnes à entreprendre
cet engagement. Les personnes engagées, par leur cheminement,
peuvent épauler des personnes le vivant ; cela peut passer par de la
sensibilisation, par des partages d'expérience, par des conseils, ou
simplement par des échanges, de l'écoute, de la
compréhension et de l'entraide.
Pour des structures collectives
Nous l'avons vu via l'exemple d'Avenir Climatique, le
rôle du collectif est central dans l'engagement écologique. Ainsi,
les structures (de tous types, même des entreprises, si leur
activité fait de ces enjeux une priorité) ont un rôle
important à jouer pour mettre en oeuvre des éléments qui
pourront permettre de favoriser l'engagement écologique.
Pour cela, il est important de pouvoir fournir à
ses membres les clés de compréhension et de connaissance
des sujets qu'elle porte. Une autre piste est de créer
un esprit de cohésion, de solidarité et de partage au sein du
collectif. Enfin, créer des espaces de partage et
d'expression des émotions est une façon d'accompagner
les personnes dans leur cheminement mais aussi de souder les liens et renforcer
la cohésion.
Pour la recherche
Par ce mémoire, et par les lectures entreprises, j'ai
aussi découvert le potentiel et l'importance de la recherche pour mieux
comprendre les mécanismes de l'engagement dans un contexte où
tout va très vite, où les avis divergent, et où il est
parfois difficile de s'y retrouver.
Donc, une piste évidente serait d'approfondir
les sujets abordés dans ce mémoire pour améliorer la
compréhension du processus d'engagement. En effet, le travail
s'est voulu très global pour avoir une vision d'ensemble et
systémique du processus d'engagement, mais beaucoup
d'éléments mériteraient d'être approfondis, comme
par exemple le rôle des émotions, ou encore la transformation des
personnes ou l'évolution des représentations.
Aussi, par les entretiens individuels et par le questionnaire
réalisé, j'ai compris le potentiel de la recherche comme
outil de sensibilisation. Au-delà du travail de diffusion de ce
mémoire, qui n'a
78
pas pour seule vocation de valider mon année
universitaire, mais aussi d'être lu par le plus grand nombre, c'est aussi
la démarche de recherche qui s'est révélée
intéressante quant à notre objet d'études. En effet, les
entretiens et questionnaires ont permis aux participants de les aider dans
leurs questionnements, et pour certains de renforcer leur engagement. On
pourrait donc voir la démarche de recherche aussi comme un moyen
d'engagement, avec pour objectif de rendre la recherche plus accessible et
vulgarisée.
Finalement, nous avons vu les difficultés liées
au processus d'engagement écologique : de nombreux blocages, un
processus pouvant être long, la difficulté émotionnelle
liée... Mais, face à ces difficultés, le gain au bout du
chemin est considérable. En termes d'impact d'abord, parce que cet
engagement contribue non seulement à construire des modes de vie
beaucoup plus durables et résilients, mais aussi souvent à mettre
tout son quotidien, via son métier et/ou via son engagement associatif
et militant, au service de l'action et de la réflexion autour d'enjeux
cruciaux et vitaux de notre temps. Mais aussi en termes de sens donné
à sa vie, de bien-être et de cohérence personnelle et
collective.
79
BIBLIOGRAPHIE
· Servigne Pablo & Stevens Raphaël (2015) -
Comment tout peut s'effondrer - Petit manuel de collapsologie à l'usage
des générations présentes - Seuil, 2015
· Servigne Pablo, Stevens Raphaël, et Chapelle
Gauthier (2015) - Une autre fin du monde est possible - Seuil, 2018
· Diamond Jared, Effondrement, Gallimard, 2006
· Bihouix Philippe, L'âge des low tech, Seuil,
2014
· Macy Joanna, Ecopsychologie pratique et rituels pour la
Terre, Le Souffle d'or, 2008
· Harari Yuval Noah - Sapiens, une brève histoire de
l'humanité - Albin Michel, 2015
· Bohler Sebastien, le bug humain, Robert Laffont, 2019
· Gifford Robert, The dragons of inaction : psychological
barriers that limit climate change mitigation and adaptation. American
Psychologist, 2011
· Chefurka Paul, Climbing the ladder of awareness, 2012
· Soulé Bastien, Observation participante ou
participation observante ? Usages et justifications de la notion de
participation observante en sciences sociales, Recherches Qualitatives Vol.
27(1), pp127-140, 2007
80
ANNEXES
Entretiens individuels
Annexe 1 : Retranscription d'entretien - Thibaud Griessinger
Retour au mémoire
Thibaud est chercheur consultant en sciences du comportement
appliquées aux questions de transition écologique. Il travaille
au ACTE Lab (Approche Comportementale de la Transition Ecologique), qui a pour
mission d'accompagner des collectivités territoriales ou des
associations pour les aider à comprendre les points de blocages de
changements de comportements, et comprendre comment adapter les
stratégies et les outils pour les rendre les plus efficaces possible. Le
ACTE Lab fait à la fois du conseil (utiliser les connaissances et les
méthodologies pour optimiser les outils et les moyens d'actions), et de
la recherche (avoir une meilleure compréhension des blocages). Il s'agit
donc à la fois d'utiliser les connaissances déjà acquises,
et d'en formuler de nouvelles ; de faire des ponts entre la recherche
académique et le terrain.
L'entretien avait pour objectif de mieux comprendre le
changement de comportement via le prisme d'un chercheur travaillant sur ces
questions au quotidien. Ce document est une retranscription partielle de
l'entretien : il contient les extraits les plus importants de l'entretien
vis-à-vis de notre objet d'étude.
Sur le niveau de connaissances des enjeux
écologiques
Distinction entre connaissances d'ordre global et
d'ordre pratique : « Il y a des connaissances qui peuvent
être d'ordre très globales, c'est-à-dire par exemple il y a
un réchauffement climatique qui prend son origine dans nos
émissions de carbone, de gaz à effet de serre. Ce sont des
connaissances globales, physiques sur la compréhension des
mécanismes. Et il y a des connaissances plus d'ordre pratique,
c'est-à-dire comment mon mode de vie, le mode d'organisation de la
société dans laquelle je m'inclue est émettrice de carbone
et participe au dérèglement climatique. Donc là, ce sont
des connaissances un peu plus ancrées dans le quotidien, qui sont dans
mes modes de transport, d'alimentation... ce qui cause ça et à
quel point est-ce que ça cause ça. Donc il y a différents
niveaux de connaissances, et il y a déjà beaucoup à
creuser sur c'est quoi avoir conscience du problème, de quel
problème on parle, et surtout d'avoir conscience de la complexité
du problème, et ça c'est quelque chose de très difficile.
»
Niveau de connaissance global avancé dans la
société française : « Par exemple, les
sondages qui sont faits par l'ADEME, essaient de mesurer le niveau de
connaissance global. Sur ces sondages, le niveau de conscience des
problèmes est assez élevé, et à peu près
constant. »
Conscience grandissante de l'implication de nos modes
de vies sur la situation écologique : « Par exemple, le
tri a été très vite acquis, sur les déplacements,
l'alimentation, ça commence à bouger. Et on voit que ce n'est pas
dû simplement à la facilité de le faire, mais à la
conscience que ces actions posent un problème d'un point de vue
environnemental. » Une tendance cependant difficile à
évaluer, car les sondages n'abordent jamais ces niveaux de
granularité.
Importance de développer une
compréhension de la complexité et de l'aspect systémique
de ces enjeux pour pouvoir avoir des changements de comportements
efficaces. C'est sûrement sur cet aspect qu'il y a beaucoup de
progrès à faire sur la connaissance des enjeux de la population.
« Là où c'est difficile, c'est que quand tu as une
sensibilisation qui n'est pas faite comme AC le fait, qui est faite sur une
liste de choses à faire, c'est
81
compliqué parce que les écogestes sont
dépendants de tout un tas de choses. Quand on dit de remplacer les sacs
en plastique par des sacs en papier mais qu'en fait les sacs en papier
consomment énormément d'eau, quand on dit mange moins de viande
mais en fait manger du quinoa ou des avocats produits à l'autre bout du
monde pollue, et que finalement c'était une viande élevée
localement en plein air où il n'y a pas les mêmes problèmes
que la viande venant d'argentine par exemple où il y a une
déforestation massive... En fait, on voit très bien que c'est
compliqué de sensibiliser sur des actions spécifiques. Quand AC
le fait en mettant l'emphase sur l'énergie, là c'est plus
intéressant car c'est plus facile de voir à l'échelle
individuelle comment tu peux arriver à faire le lien entre ton mode de
vie et ces problématiques, et tu peux toi-même être
constructeur d'actions que tu peux mettre en place, toi-même tu peux vite
voir si la voiture ou la trottinette électriques sont vraiment
écolos. Donc ce sont des stratégies de l'ordre de
l'heuristique qui peuvent porter leurs fruits. »
Sur le « intention-action gap » et les
blocages à l'engagement
Décalage entre l'intention et l'action
: « Le « intention action gap », c'est quand on voit
que des personnes qui ont l'intention, qui savent quoi faire, qui veulent
faire, se trouvent bornés par leur propre capacité de changement,
par la capacité de changement du groupe social dans lequel ils sont, et
par l'environnement technique et physique, le système socio-technique.
Donc il y a différents niveaux d'obstacles, de barrières, qui
vont limiter le passage de l'intention à l'action. Et les blocages
comportementaux, sur lesquels travaille le ACTE Lab, sont une partie du
problème, ce n'est pas tout. Il y a besoin de faire bouger les choses
à l'échelle politique, économique, et également
à l'échelle comportementale, à la fois individuelle et
collective. Les imaginaires et nouveaux récits entrent dans le collectif
et dans le comportement. En fait, il y a des boucles de
rétroaction entre tous ces blocages qui font que si une part de
la population fait des efforts à son échelle, change de
récits, d'imaginaire, de rapport à l'environnement... il y a de
grandes chances que ça se transmette en changement du marché, que
les industriels s'adaptent, et aussi en pressions fortes sur les élus.
Et ça marche dans l'autre sens. Ces boucles de rétroaction ne
sont en général pas prises en compte dans les rapports
prospectifs de B&L, de Carbone 4. Donc c'est compliqué, mais on
arrive à différents points de blocages : les habitudes, les
normes sociales, les représentations, la capacité de faire
attention et d'être conscient de ça à chaque minute...
»
Différents types de blocages selon le type de
population et selon le contexte : « Il y a des blocages plus
d'ordre culturel ou social, d`autres plus de l'ordre de l'habitude ou physique.
Donc ça dépend de l'échelle socio-économique.
Après, même si elle est liée il y a l'échelle
géographique. Il y a l'échelle d'âge aussi. Donc en
fonction de la population à laquelle tu t'intéresses, il y aura
différents points de blocages. Notre boulot est d'essayer de comprendre,
en fonction des comportements et des populations, quels sont les points de
blocages les plus importants. Dans le covoiturage par exemple, il y a des
blocages plus de l'ordre de la confiance : laisser entrer quelqu'un dans son
espace personnel, d'arriver à se synchroniser... ce sont des types de
blocages très spécifiques à ce comportement. Il y a des
blocages très différents sur la consommation de viande :
ça va toucher aux pratiques alimentaires, à la culture, à
la physionomie aussi car tu peux avoir des carences... »
Distinction entre action et pratique :
« L'action ça va être de recycler : t'as un emballage, tu le
mets dans une poubelle. Une pratique, c'est par exemple le transport. Parce que
ça va s'inclure dans toute une planification de ta journée, dans
un rapport à ta mobilité différent. Diminuer ta
consommation de viande ça peut être une action, mais aussi se
rapprocher de la pratique si ça implique une évolution de ton
quotidien. Donc toutes les actions ne sont pas égales parce qu'elles
s'incluent plus ou moins dans un contexte individuel et nécessitent plus
ou moins d'expertise, de connaissance. Quand l'action est dépendante
d'autres actions, on parle de pratique. Si c'est une action
indépendante, on parle d'action. Donc c'est une autre distinction
importante à prendre en compte : plus l'action est dépendante
d'autres, plus ça va être difficile. Les pratiques sont plus
difficiles à changer que des actions individuelles. Comprendre les
interdépendances entre actions et pratiques est une des clés pour
essayer de faire opérer des changements de mode de vie et pas des
actions spécifiques. »
82
Sur les principaux récits et croyances en
contradiction avec les changements de modèle
Le récit de la déconnexion à la
nature : « Le récit le plus fort, c'est
peut-être le fait qu'on se soit déconnecté de notre
environnement. La chaîne d'interaction avec notre environnement
s'agrandit. Entre ce que tu consommes et la manière dont c'est produit,
la chaîne s'est allongée jusqu'au point qu'il peut y a voir des
dizaines d'étapes entre les deux. Il y a une déconnexion forte
entre le rapport à la terre et la production, et la consommation. Donc
il y a déjà ce récit qui s'est créé de cette
non-nécessité d'avoir un rapport aux ressources directement, et
qu'on peut être indépendant de l'environnement dans lequel on se
situe. Je ne sais pas comment on pourrait appeler ça, la
dématérialisation peut-être. De penser qu'on peut
s'abstraire des contraintes géographiques, saisonnières,
environnementales, et qu'on peut avoir tout tout le temps, en permanence. C'est
un récit fort. »
Le récit libéral : « Le
récit libéral un récit extrêmement fort qui est de
dire que n'importe qui peut changer, peut s'abstraire de son environnement, de
son contexte, quand on veut on peut... Cette espèce de truc de la
motivation où le libre-arbitre suffit et c'est la condition
nécessaire et suffisante au changement. C'est un récit qui est
pas mal ancré et qui pose tout un tas de problèmes. Un des
problèmes majeurs que ça pose, c'est le fait qu'on
considère que dans un environnement où on va te faciliter
l'accès à la consommation, aux ressources, tu as les mêmes
capacités à te restreindre, à te contrôler. Ce
récit est faux dans la mesure où une partie de notre
capacité d'inhibition et de contrôle est dépendante de
notre environnement. A partir du moment où c'est difficile pour toi
d'avoir accès à du sucre, à du plaisir... parce que ton
environnement ne permet pas d'avoir accès à tout, tout de suite,
ton environnement le contraint. On arrive à s'équilibrer parce
qu'on n'a pas tout, tout de suite. Mais une fois que cette friction est
baissée, il n'y a plus de contrôle qui vient de l'envi-ronnement,
donc tout repose sur ta capacité à te contrôler, à
t'inhiber. C'est là où on puise dans nos propres ressources, on a
conservé la capacité de penser qu'on était capables de
ça avant, et que notre environnement n'était pas une forme de
contrainte. Un autre problème du récit libéral est
l'aspect individualiste qu'il implique : en tant qu'individu, on pourrait se
passer de la collectivité ou du groupe. Mais c'est un truc que les
sciences du comportement mettent à bas, en disant que si t'es tout seul
tu peux t'en tirer en oubliant le fait que quand t'es dans une structure
socio-technique, c'est la production du groupe. Donc on a tendance à
penser qu'on peut s'en tirer seul parce qu'on a tout à disposition : les
magasins, la sécu... Mais si on se retrouve seul dans une jungle, dans
un champ, on ne s'en sortira pas... Donc il y a toujours ce récit, qui
est le même en fait, le récit libéral, de l'individu seul
et libre, la pensée qu'on peut s'extraire de tout, qu'on peut être
libre de toute attache sociale, environnementale... »
Sur les émotions et le changement de
comportement
Fonction des émotions : « En
science cognitive, il y a 6 émotions qui ont des caractéristiques
et une portée évolutive. Une émotion provoque une
réaction assez rapide qui va passer par tout un tas de processus
d'ana-lyse, de réflexion, de contrôle d'inhibition etc et ont pour
but d'envoyer un signal rapide aux autres ou vers soi-même. C'est une
fonction de ressenti mais aussi de communication et d'expression dans une
perspective émotive. Donc ces émotions ne sont pas là par
hasard, elles ont un intérêt. Et elles ont des
conséquences. Par exemple, à partir du moment où tu as
peur, tu ne vas pas être dans l'analyse ou dans la réflexion.
Souvent, dans les émotions, on met aussi des réactions, ou des
sentiments, des ressentis. Là c'est de différente nature. Si on
met l'anxiété dedans, c'est un stress continu qui peut être
déclenché par une inadéquation entre tes
représentations et tes actions, la dissonance cognitive. Ca peut
être du stress parce qu'on a plus de planification claire, on est dans
l'incertain, extrêmement stressant et anxiogène. Donc là on
ne va pas être dans quelque chose de moteur. »
Impact émotionnel des changements :
« A partir du moment où des représentations sont remises en
question, ça va provoquer des émotions d'anxiété,
de stress face à l'incertain. Ces émotions vont mener à
mettre
en place tout un tas de ressources pour refaire sens. Si tu
te rends compte que ton mode de vie est délétère,
ça nécessite de remettre en cause un certain nombre de certitudes
et de représentations qui s'étaient stabilisées, sur
lesquelles tu t'appuyais pour aller de l'avant sur autre chose. Donc en effet,
tu vas t'attaquer à des bases que tu pensais stables. C'est
anxiogène, ça conduit à des périodes de stress,
d'anxiété, de doutes, de remises en question etc. Dans un
contexte social, ça peut aussi conduire à la peur de l'exclusion
de l'autre, facteur de stress aussi. »
Refoulement des émotions négatives
« Il y a aussi un récit de l'optimiste, cette
espèce d'injonction à être tout le temps optimiste,
assertif. Comme un récit qu'il y avait à l'époque que
l'erreur était inacceptable, elle n'était pas du tout vue comme
un signal d'apprentissage comme ça l'est réellement. Il y a une
injonction à ne pas montrer ses émotions négatives. C'est
de l'ordre du narratif, on est dans les normes sociales. A partir du moment
où normativement c'est considéré comme mal vu, que tu vas
être mal accepté si tu parles trop de tes problèmes parce
qu'il faut être positif, ça peut être
générateur de stress, de refoulement, donc négatif.
»
Hygiène mentale : « Mais il y a
des possibilités de faire en sorte de diminuer la souffrance pour
être plus confortable face à l'incertain, plus flexible
cognitivement, d'accepter le doute, d'avoir une vision complexe des choses...
on entre dans des changements de dispositions mentales, de gestion cognitive.
C'est là où il faut avoir ce que certains appellent une «
hygiène mentale » qui te permet d'être confortable dans ces
milieux. On peut imaginer la situation inverse. Là, c'est une situation
proactive où tu te dis il faut changer, donc tu te mets à
remettre en question tout un tas de trucs. Mais tu peux avoir une situation
dans laquelle tu vas considérer comme acquis ta situation
financière, ton accès aux ressources, à l'eau potable...
Imagine demain il y a un blackout ou un stress hydrique. Tu vas te retrouver
dans une situation d'incertitudes où tu ne vas pas du tout savoir
gérer l'aléa, l'incertain. Tu vas pas du tout savoir remettre en
question certains trucs. Donc que ce soit dans le fait de le subir ou
d'être proactif, dans les 2 cas il y a un intérêt à
faciliter cette flexibilité mentale pour faire en sorte de moins subir
ces émotions qui sont extrêmement coûteuse en
énergie. Donc c'est là où il y a besoin de
stratégies de régulation émotionnelle, d'acceptation du
doute ou de l'incertain. »
Régulation émotionnelle et gestion des
émotions :« Mieux les émotions sont
gérées, utilisées à bon escient, plus elles sont
facteur de changement. Plus tu les subis, plus tu es incapable d'identifier ce
qui les déclenche et ce à quoi elles peuvent te servir, et plus
ça va être facteur de paralyse. La régulation
émotionnelle est pas mal utilisée en psychologie clinique, elle a
pour but de faire en sorte de moins subir de situation, qu'il y ait moins
d'émotions qui viennent directement dans une situation de nature
à déclencher des émotions négatives, et que tu
puisses arriver à être dans la proposition et dans la projection.
Il y a des stratégies de régulation émotionnelle qui
peuvent porter leurs fruits sur ces questions. Plus t'arrives à
gérer tes émotions, plus ça peut être moteur. Et
à noter que réguler ses émotions, ce n'est pas les
refouler, c'est les accepter, et les utiliser à bon escient »
Sur l'aspect libérateur de la prise de
conscience :
« A partir du moment où tu te sens en
contrôle de ton environnement, tu te sens agent de ta transformation, de
ton destin. Ce doit être une émotion proactive, ça peut
être moteur aussi avec les autres, pour développer une
intelligence. C'est sûr que c'est beaucoup plus émancipateur
d'être acteur de son environnement que de le subir. A partir du moment
où tu perçois ton environnement comme plus contrôlable, tu
le perçois comme moins hostile, et ça te met dans une
prédisposition à pouvoir te projeter plus facilement, de
coopérer, être moins orienté sur le court terme ou la
survie. »
83
Sur la recherche :
84
Recherche et émotions : « La
question des émotions est rarement ou jamais abordée de front en
recherche sur les questions écologiques. C'est peut-être
clairement un point aveugle. C'est une piste de réflexion
intéressante. Mais encore une fois, l'idée serait de comprendre
ce qui va générer ces émotions, de comprendre ce qui les
fait survenir qui nous intéresse. Plus essayer de diminuer le stress,
l'anxiété, les émotions négatives. Donc comprendre
ce qui peut les faire émerger et faire en sorte de faciliter ça.
En fait, il y a un doctorant qui vient d'entrer en thèse à Oxford
et qui bosse avec nous, qui lui va aborder les questions de bien-être en
écologie. Il est spécialisé dans les conditions
évolutives au bien-être : ce qui garantit le bien-être et
quel rôle joue le bien-être dans une perspective
évolutionniste. Comment on peut concilier le bien-être avec le
sacrifice. Est-ce que c'est forcément incompatible, est-ce qu'il y a des
manières de le rendre compatibles, ça nécessite de
comprendre ce qu'est le bien-être et comment il émerge. »
Recherche et transformation des personnes :
« Je pense qu'il y a des conditions à
l'émancipation qui doivent prendre en compte les connaissances qu'on a
sur ce qui paralyse, ce qui ne paralyse pas... Là je pense que les
sciences du comportement ont beaucoup de choses à apporter sur essayer
de planifier une transformation cadrée pour ne pas tomber dans la
paralysie. Ce sont des travaux intéressants à faire. Les
conditions de bon accompagnement de la transformation des personnes »
Recherche et désobéissance civile
: « Les chercheurs commencent à s'intéresser un peu
aux actions de désobéissance. C'est intéressant, tu te
sens reprendre possession d'une certaine forme d'agentivité, mais c'est
cadré, et c'est ce qui permet d'engager. Les sociologues
s'intéressent un peu à la désobéissance civile. Sur
le côté émancipateur du groupe dans ce genre d'actions. Je
ne suis pas sûr qu'il y ait d'études en psychologie. Mais les
approches sont complémentaires, et il y aurait un travail super
intéressant à faire sur ces questions avec un regard sociologie +
psychologie ».
Conciliation entre urgence écologique et
lenteur du processus de recherche : « Il y a eu aussi que cette
urgence-là fait une pression supplémentaire. Maintenant, je suis
beaucoup plus rationnel dans les choix que je fais. Il y a des trucs où
avant où j'aurais dit on prend le temps, je fais ça. Maintenant
je fais un calcul à chaque fois de est-ce que ça a un impact et
est-ce que ça m'intéresse. J'essaie de maximiser l'impact des
choix. Ça facilite aussi les choses parce que ça élague
les possibles, ça donne un cap. Mais c'est frustrant, parce que tous les
mois où on est sur un projet, on voit le temps passer. Qui vient du fait
que la recherche est un processus lent, et d'aligner ça avec l'urgence
écologique ce n'est pas évident. Des fois tu as envie de vivre
sur l'instant, mais tu te dis il faut du long terme. Allier des
stratégies long terme avec une urgence, c'est là le plus dur,
mais c'est le plus vertueux, il ne faut pas se précipiter. Ça
prend du temps de penser les choses, de les réfléchir, de bien
les comprendre pour guider l'action... C'est long, mais c'est
nécessaire. Il faut arriver à catalyser les connaissances
accumulées pour les pousser vers une action en réponse à
une urgence. C'est une équation hyper difficile à
résoudre, mais nécessaire. Et ça cadre la recherche,
ça oriente la recherche vers l'action, ça donne un cap. Il faut
aussi une pluridisciplinarité. »
Retour au mémoire
Annexe 2 : Guide des entretiens individuels sur le
processus d'engagement
Niveau de conscience et d'engagement de la
personne Objectif : mieux comprendre le profil et la vision du
monde de la personne
|
Profil
|
·
|
Peux-tu te présenter ?
|
Niveau de conscience Vision du monde et de
l'éco-
logie
|
·
|
Considères-tu avoir une bonne connaissance des enjeux
écologiques et so-ciaux ? Comment t'informes-tu ?
|
|
85
|
· Que penses-tu de la situation écologique et
sociale aujourd'hui ?
· Est-ce qu'il y a un problème, une crise que tu as
tendance à prioriser ? (Changements climatiques, pollution,
biodiversité...)
· Est-ce que tu penses qu'on peut s'en « sortir »
? Ou penses-tu que nos civilisations industrielles vont s'effondrer ?
· Quels sont les principaux leviers d'action / solutions
pour toi ?
|
Niveau d'engagement Traduction de cette
vision du monde dans le quotidien
|
· Que fais-tu dans ton quotidien et dans ton mode de vie
pour limiter ton impact écologique ?
· Comment intègres-tu ces questions dans ton
métier ou tes études ?
· Est-ce que tu peux m'en dire plus sur ton engagement
associatif ?
· Participes-tu à des actions collectives,
militantes ?
· Autre type d'engagement, d'action entrepris ?
· Est-ce qu'il y a un type d'action/d'engagement que tu
considères comme le plus important dans tout ce que l'on vient
d'évoquer ?
|
Décalage Conscience / Ac-
tion
|
· Est-ce que tu as parfois l'impression que tes actions,
ton mode de vie sont en décalage avec tes intentions et ta conscience
écologique ? Exemples ?
· Comment l'expliques-tu ?
|
Cheminement de la personne
Objectif : mieux comprendre le cheminement, l'histoire de la
personne, ce qui l'a menée à avoir cette vision du
monde
|
Question générale
|
· Est-ce que tu serais capable de me raconter, de
retracer ton cheminement écologique ? (Les différentes
étapes par lesquelles tu es passé, des événements
ou expériences, des « déclics » ...)
|
Transition personnelle
|
· Est-ce que tu penses que ta prise de conscience et ton
engagement écolo-giques t'ont changé personnellement ? En quoi
?
|
Ressenti et émotions de la personne
aujourd'hui
Objectif : mieux comprendre comment la personne vit sa prise
de conscience et son engagement ajd
|
Aujourd'hui
|
· Quels sont tes sentiments dominants aujourd'hui ?
· Quels sont les sentiments négatifs que tu
ressens le plus souvent ? Par quoi sont-ils provoqués ? Qu'est-ce qui
est le plus dur au quotidien ?
· Qu'est-ce qui t'aide le plus dans les moments difficiles
?
· Quels sont les sentiments positifs que tu ressens le
plus souvent ? Par quoi sont-ils provoqués ?
· Est-ce que ton entourage comprend ton cheminement et
engagement ?
|
Futur
|
· Es-tu plutôt optimiste ou pessimiste en pensant
à l'avenir ?
· Comment imagines-tu le monde et toi-même dans une
trentaine d'années ?
|
|
Retour au mémoire
Annexe 3 : Retranscription - Valentin
21 ans, service civique dans une association qui promeut
l'économie sociale et solidaire dans le 13ème
arrondissement de Paris. A grandi toute sa vie à Aix-en-Provence, a
vécu 1 an à Rome, habite à Paris depuis septembre 2018.
Connaissance :
Je pense avoir une vision globale des choses. J'arrive
à bien comprendre les enjeux et liens entre chaque sujet. Mais je n'ai
pas forcément de connaissance précise, chiffrée,
sourcée, avec des noms d'auteurs en tête pour chaque sujet. Je
serais capable de présenter de manière cohérente tout ce
qui se passe ces temps-ci mais si ensuite les gens me posent des questions plus
précises, je ne saurais pas forcément immédiatement
leur
86
répondre. Sur les sources d'informations, il y a eu
plusieurs livres mais là c'est essentiellement internet. C'est à
travers les réseaux sociaux, donc ce que mes amis vont partager. Il y a
l'effet boucle, algorithme qui va me permettre d'avoir du contenu
approprié. Et des sites d'information : Reporterre, Médiapart
principalement, un peu le Monde. Il y a aussi mes discussions avec d'autres
personnes. Le fait que j'habite à Paris me permet d'être en
contact avec des personnes qui me font découvrir des sujets vers
lesquels je ne me serais jamais penché tout seul et ça accroit
beaucoup ma connaissance - entre autres - des enjeux environnementaux et
sociaux.
Gravité des crises :
Il y a une période où ça me bouffait
énormément le moral et j'y pensais tout le temps. Aujourd'hui,
par instinct de survie en fait, j'y pense beaucoup moins, même si je
continue à agir et en parler autour de moi, mais au quotidien j'essaie
d'évacuer au maximum. Donc mon opinion dessus est qu'on a vraiment
dépassé un point de non-retour et qu'on ne va pas s'en sortir par
le haut. C'est vrai que je suis assez pessimiste. Il n'y a pas trop
d'avancées qui... enfin il faudrait en fait avoir changé de
civilisation d'ici 2 ans quoi d'après les experts... Donc c'est vrai que
ce serait assez utopiste. Qu'est-ce que je pense de la gravité de la
situation ? C'est tellement énorme que j'arrive même pas à
vraiment en parler, parce que dès que tu en parles à la hauteur
de la crise, t'as l'impression d'exagérer.
Leviers d'action :
Les 1ers que je recommande aux gens, ce sont plus les actions
individuelles car je pense que c'est quand même ce qui est le plus
gratifiant. Réduire sa consommation de viande, essayer d'acheter au
maximum bio, local, réduire drastiquement sa consommation de tout ce qui
n'est pas nécessaire (vêtements, objets qui nous entourent...),
être vraiment dans le sobre. Je pense qu'un des leviers d'action c'est de
devenir minimaliste et de manière quand même assez radicale, pas
juste dire « j'ai 100 t-shirts je vais en garder que 50 », de
vraiment aller à la source et de déconsommer à fond. C'est
déjà une grosse étape.
L'étape suivante, c'est de s'engager
professionnellement, donc de faire en sorte soit de changer son métier
de l'intérieur, soit de créer son métier dans une approche
résiliente.
Ensuite s'engager au niveau politique. Mais je pense que
ça ne sert à rien tant que les gens n'ont pas modifié leur
mode de vie et n'ont pas agi sur leur métier. Parce que c'est bien beau
d'agir politiquement mais on est en démocratie, donc les politiciens
qu'on a, c'est nous qui les avons élus et ils se font corrompre avec des
multinationales et des lobbys à qui nous on donne notre argent en fait.
Donc je pense que c'est quand même principalement notre faute. Agir
politiquement contre des gens qu'on a mis en place, c'est complètement
idiot. Je pense qu'on les fera tomber en leur coupant l'herbe sous le pied, pas
en leur disant « arrêtez de faire ça » alors que
derrière on leur donne de l'argent et des bulletins de vote.
Engagement dans le quotidien
Ces temps-ci je suis un peu en train de faire machine
arrière sur mes engagements, comme une période transitoire parce
que j'avais trop pris d'un seul coup, c'était plus gérable. Ma
prise de conscience arrive assez tôt, ça fait depuis presque tout
le temps que je suis sensibilisé (même si c'était
superficiel au début et que ça a évolué). Ce qui
fait que je n'ai jamais vraiment « profité », je me suis
toujours posé des questions un peu stressantes. Et de manière
générale je n'ai pas l'impression de m'être construit dans
le même ordre que les autres en fait. Du coup j'ai l'impression qu'il y a
beaucoup de gens aujourd'hui qui quand ils étaient au collège ou
lycée, ils profitaient. Par exemple, je n'ai jamais voyagé en
avion. Alors qu'il y en a qui ont bien eu le temps de s'éclater.
Maintenant en fait, j'ai l'impression qu'ils ont peut-être plus de recul
que moi sur ça. Alors que moi ça a été un peu
« réprimé » depuis tout le temps. Du coup je suis dans
une phase où j'essaie de juste « lâcher » sur beaucoup
de trucs pendant quelques mois, pour ensuite peut-être reprendre de
bonnes bases et savoir comment est-ce que, de manière
générale, quelqu'un de ma génération vit avant de
revenir comme avant. Et puis le train de vie à Paris est quand
même assez stressant. Par exemple les plats préparés, ce
serait assez dur pour moi de m'en passer, parce que c'est ultra pratique, et
que même si ça crée plein de surembal-lage et que c'est pas
du tout des produits locaux ni bio, je n'ai pas le temps de cuisiner. Et si
j'ai le temps de cuisiner, je me fais des pâtes et c'est pas du tout
équilibré. Pour avoir des fruits, légumes et tout
ça, je n'ai pas
87
le temps de cuisiner ou la flemme. Donc là j'ai
énormément de déchets, mais vu tous les efforts que je
fais à côté, et surtout si c'est une phase transitoire, je
peux me le permettre. Donc sur mes engagements, paradoxalement, je suis dans
une phase où j'en ai de moins en moins mais de manière
volontaire, dans une phase provisoire.
Il y a deux trois trucs que je garde, par exemple être
végétarien ou ne pas prendre l'avion.
C'est surtout sur le zéro déchet que je ne fais
pas d'effort. Sur internet aussi, je ne me pose pas trop de questions sur ma
consommation numérique. J'ai un peu lâché sur ces
trucs-là, en me disant que dans quelques mois ou quelques années,
je reprendrai. Comme je serai consolidé sur les trucs sur lesquels
j'agis maintenant, je pourrai aussi passer là-dessus.
Engagement professionnel :
Au niveau de mes études, comme j'ai ces pensées
là depuis le lycée, je ne me suis jamais projeté dans un
parcours « standard ». J'ai fait toutes mes études sans aucune
vision d'avenir, sans me poser les questions. J'ai l'impression de me poser les
questions aujourd'hui que tout le monde se posait quand il était au
lycée. En fait j'étais tellement préoccupé sur des
sujets plus larges quand j'étais au lycée que je ne me posais
vraiment pas de questions de savoir ce que je voulais faire. J'ai
terminé ma licence à contre-coeur, j'aurais voulu arrêter
avant. Quand je suis arrivé en fin de licence, ça ne m'est
même pas passé par la tête de continuer en master, parce que
j'avais vraiment besoin de faire autre chose. Donc je suis monté
à Paris, j'ai fait ce service civique et je ne regrette vraiment pas,
c'était une bonne idée. Et maintenant que ça fait
plusieurs mois que je ne fais que des choses que j'aime, où je
fréquente des gens de l'associatif et que j'ai le temps de
réfléchir, je recommence à me poser la question de
reprendre un master pour ensuite m'engager professionnellement en faveur de la
transition, pour acquérir des compétences pour ensuite
créer un métier lié à tout ça.
Je ne m'imagine pas du tout ne pas intégrer ces enjeux
dans mon métier, ne serait-ce que par sécurité
personnelle. Je n'ai pas du tout envie de faire un métier qui contribue
à pérenniser ce système et qui ne m'amène pas dans
un futur particulièrement radieux, autant dans le mode de vie actuel que
si tout se casse la gueule.
Engagement collectif :
Je fais mon service civique dans une association qui fait de
l'économie sociale et solidaire. Dans le même temps, je me suis
engagé à Coexister, une association qui met ensemble des jeunes
de différentes convictions, religieuses (chrétien, musulman,
juif...) ou non religieuses (athée, agnostique), et ensemble on va faire
des actions de sensibilisation. Ça peut paraitre hors sujet mais en fait
ça a tout à voir car je considère que cette
société ne pourra avancer que s'il y a du lien social qui se
tisse et que si tout le monde travaille main dans la main. Donc Coexister
rentre vraiment dans mon engagement écologique. Et ce que je constate
aussi, c'est qu'à Coexister il y a énormément de gens qui
ont une vision globale des choses et qui commencent à parler du pb des
réfugiés climatiques par exemple, qui est très en lien
avec l'association car ils vont venir de pays avec des cultures religieuses
différentes.
Le deuxième engagement c'est Avenir Climatique.
Le troisième ANV COP21, qui organise des actions non
violentes. Je vais participer mardi à une action non violente
d'ailleurs, en tant que team leader, ce sera la 1ère fois que
je vais prendre un petit poste à responsabilité là-dedans.
Et ça fait 3-4 actions que j'ai faites depuis le début de
l'année. Je ne suis pas convaincu de la vraie utilité de ce type
d'action. C'est peut-être plus pour évacuer la pression et
être avec des gens qui se bougent que je fais ça. Je me demande
s'il n'y a pas certains engagements que je fais juste pour évacuer la
pression plutôt que pour changer le monde.
Actions plus utiles que d'autres :
Je pense que l'engagement professionnel est une des
clés de voûte. Je pense que créer un métier pour
rendre sa zone d'implantation plus résiliente, je pense que c'est une
des actions les plus efficaces sur le court terme, et qui peut le plus
traverser les crises. Car tu vas vraiment faire des choses qui vont rester.
Alors que le système politique, je ne suis pas sûr qu'il soit
possible ni souhaitable qu'il évolue de manière continue. Je
pense qu'il y aura un moment où il faudra faire une rupture. Les petites
avancées ridicules qu'on arrive à obtenir à coups de main
rouges sur le siège de Total, je les considère que comme des
choses qui contribuent à radicaliser mais
88
dans le bon sens du terme notre génération, mais
ça n'aura pas de sens tant qu'il n'y aura pas d'actions de plus grande
envergure. La Vème république, par exemple,
intrinsèquement n'est pas capable de mener des actions à la
hauteur des enjeux, et là on parle que de la France (que 1% de la
population mondiale). Je ne pense pas qu'elle acceptera de se changer
radicalement.
Les trois choses les plus importantes vont être de
tisser du lien social de manière à ce que ce ne soit pas une
brèche dans laquelle les tensions puissent éclater le jour
où les choses empirent, s'engager professionnellement, et être
prêt le jour où il va falloir changer de système de
façon beaucoup plus poussée qu'aujourd'hui. Mais je pense que
d'ici un mois tu me reposes la question et j'aurai peut-être
changé d'avis. Tout ce que je dis, je n'en suis pas non plus super
sûr. C'est tellement nébuleux, il y a tellement de choses à
prendre en compte, que je suis encore dans un période où je
teste, et si ça se trouve d'ici un an j'aurai encore changé
d'opinion.
Cheminement :
En primaire, mes enseignants et la mère d'un ami
étaient très écolos et nous avaient fait pas mal de
sensibilisation. Donc je me demande si ce n'est pas un peu grâce à
eux qu'il y a beaucoup de gens de ma classe de primaire qui sont assez
politisés maintenant. Ils nous faisaient faire des potagers en CP, CE1.
La mère d'un ami nous avait fait des petites interventions.
Je me souviens qu'en 6ème j'avais vu un
documentaire, le Seigneur des mers, qui parlait de la surpêche des
requins. C'est là que j'ai eu un 1er traumatisme
écologique. Pendant pas mal de temps, je n'arrêtais pas de parler
autour de moi des requins, les gens ne comprenaient pas trop. Il y avait des
images ultra choquantes de surpêche des requins : 100 millions de requins
qui se faisaient tuer chaque année pour des trucs complètement
idiots, juste pour leurs ailerons, pour de la bouffe, pour des plats inutiles.
Alors que les requins, c'était bien expliqué dans le docu, sont
vraiment une des clés de voûte de l'écosystème des
océans. S'il n'y a plus de requin, les petits poissons se multiplient et
tout est déséquilibré. C'était la
1ère fois où j'ai eu une vision un peu
systémique d'un problème. Je pense que ça a
été un des déclics.
A partir de là, de la 6ème
jusqu'à aujourd'hui, ça a été une escalade
constante, il n'y a pas vraiment eu plus de déclic que ça,
ça a été progressif. Je pense que la
1ère fois où j'ai commencé à
réfléchir à la possibilité d'un effondrement,
c'était en 1ère-terminale. En fait, un autre
déclic peut-être a été de lire le manuel de
transition de Rob Hopkins. En fait c'était lui le 1er vrai
collapsologue, parce que c'est le 1er qui a vraiment fait des liens
entre crise climatique et crise du pétrole. C'était un peu le
préquel de « Comment tout peut s'effondrer », parce que
c'était un début de prise de conscience systémique du
problème. Et à partir de là, de moi-même je me suis
aussi posé la question des métaux. Et c'est qu'ensuite que
ça a été confirmé par Comment tout peut
s'effondrer. Ce livre n'a pas été trop un déclic pour moi,
ça n'a fait que confirmer des choses que j'avais lues par-ci
par-là, mais ça a quand même été une lecture
importante.
Je pense que c'est aussi un peu pour ça que mes
études ont bifurqué dans une direction complètement
différente. Si je n'avais pas eu cette prise de conscience, je pense que
je serais resté dans une voie littéraire, prépa, tout
ça. Alors que quand on a toutes ces données en tête et
qu'on n'a pas trop de recul, ça n'a pas de sens du tout. Et ça a
fait que pendant pas mal d'année, comme j'étais dans une petite
ville où rien ne bougeait et où les gens n'avaient pas trop de
conscience, il y avait aussi un sentiment d'impuissance, et peut-être
même de supériorité, parce que j'étais en mode
« mais pourquoi les gens sont aussi cons ». Je pense que c'est un
truc qui peut contribuer à te transformer en quelqu'un de pas bien.
Pendant plusieurs années, je faisais que me ressasser des données
stressantes, je n'avais personne à qui en parler. Et c'était
complètement inefficace. J'étais peut-être plus averti que
d'autres personnes mais je ne faisais rien, rien n'avait de sens.
C'était une période où j'étais un peu en mode
zombie. Je n'avais pas trop de volonté, ni d'attrait pour quoi que ce
soit. Je m'engageais un peu dans des assos mais sans plus. Je me laissais un
peu guidé par les années universitaires. Ce n'est que maintenant
que je suis arrivé à Paris et que j'ai rencontré des gens
qui pensent comme moi, que je me suis calmé. Je me dis que je ne suis
pas le seul à porter le fardeau du monde sur les épaules. Alors
que quand tu es juste entouré de familles et d'amis qui s'en fichent, tu
es un peu en mode « c'est moi qui sais tout ». Et le fait de
rencontrer des gens qui pensent la même chose que toi, ça te
rassérène beaucoup. C'est sûr qu'on ne doit pas rester
qu'entre nous, mais quand personne ne pense comme toi tu finis par devenir
fou.
89
Cette année à Paris m'a vraiment
débloqué. Je m'engage beaucoup plus, je suis beaucoup plus en
phase avec moi-même, avec mes idées. J'ai beaucoup plus de recul
sur mes actions au quotidien ou de manière générale sur ma
vie personnelle.
Ça faisait des années que j'étais dans
mon coin, avec mes idées, je pensais à ça seul pendant des
années. Paris m'a permis de m'aérer, de me sentir plus actif.
Mine de rien, c'est que dans les grandes villes qu'on a des possibilités
d'action à la hauteur des sentiments négatifs que peut provoquer
la prise de conscience écologique contemporaine. Ça a
peut-être changé depuis, mais à l'époque
c'était nul, il n'y avait rien qui se passait quand tu voulais
t'engager. En plus à l'époque au lycée tu es très
passif, il n'y a pas la culture d'être actif, de l'enga-gement, ce
n'était pas mon caractère à l'époque.
Changement personnel
Je me suis toujours vu là-dedans. Il n'y a pas eu un
avant/après prise de conscience. D'aussi loin que je me souvienne je me
suis toujours intéressé à ça. Ce n'est pas comme
certaines personnes qui avaient une certaine vision du monde qui a
bifurqué, moi ça a été assez continu. Au contraire,
j'essaie aujourd'hui de rester engagé écologiquement, tout en
évacuant tous les trucs toxiques que ça avait entrainé
chez moi depuis des années (le fait d'être un peu
dégouté de tout). Là je suis en train de lutter à
travers des trucs qui n'ont rien à voir avec l'écologie (le
karaté, des trucs qui n'ont rien à voir...) pour essayer
d'évacuer les côtés négatifs de la prise de
conscience écologique. Je n'avais pas vraiment réfléchi
à cette question, mais ça ne m'a pas vraiment changé.
Emotions négatives
Comme ça fait longtemps, que c'était progressif,
j'ai peut-être moins de sentiments négatifs mais peut-être
plus pernicieux, plus profonds et agissent plus de manière inconsciente.
Je commence à prendre conscience que ça avait déteint sur
tous les aspects de ma vie. Je m'intéresse d'ailleurs à
l'écopsychologie car je pense que la crise environnementale touche
à beaucoup de points sensibles dans la psychologie humaine. Les gens qui
utilisent tout le temps les mots effondrement, destruction, se
détruisent avec des termes négatifs. Je me demande comment
ça a pu déteindre pour moi. Je pense qu'il ne faut pas trop se
morfondre dans ce genre d'idées car ça déteint sur tous
les aspects de ta vie de manière très profonde et inconsciente,
et c'est difficile d'en sortir. Je pense qu'il y a des gens que ça va
juste détruire et qui vont rester comme ça. Si j'avais dû
rester dans mon village, je vois pas très bien où j'en serais et
comment je m'en serais sorti.
Je ne me reconnais pas forcément dans les
émotions de tristesse, de colère... Mais le fait de ressasser
tout ça, d'avoir tout ça en arrière-plan, toutes ces
choses négatives, c'est pesant. Il n'y a pas trop de mot pour le
décrire. Il faudrait en inventer un. Sollastalgie,
écoanxiété. En fait le mot existe, ça correspond
assez à ce sentiment négatif omniprésent (que j'arrive de
plus en plus à évacuer ces temps-cis).
C'est inévitable, les sentiments négatifs, mais
il ne faut pas que ce soit une fin en soi.
Façons de sortir de
l'éco-anxiété :
J'ai besoin de penser à autre chose, par des
activités comme la méditation ou le karaté, ou par des
relations sociales avec des personnes moins sensibilisées. Il y a
à la fois besoin de fréquenter des gens qui pensent comme toi
pour voir que t'es pas tout seul, des gens moyennement sensibilisés avec
qui tu peux faire de la « propagande », et aussi des gens qui n'en
ont rien à foutre pour juste parler d'autre chose. Il faut aussi avoir
des relations comme ça, des relations diverses.
Il y a aussi le fait de m'analyser moi-même, et faire
des ponts entre ça et d'autres choses de ma psychologie. Car encore une
fois, tout est lié dans ta psychologie. Il n'y a pas d'un
côté l'éco-anxiété et les relations sociales.
Ça déteint sur tout. Donc tu prends du recul sur toi-même.
Le fait de s'autoanalyser permet de voir où il faut agir. Le travail que
j'ai fait sur moi-même il y a quelques temps, je le rapprocherais plus du
développement personnel. Le fait de maîtriser sa construction
psychologique : d'avoir tellement de recul sur toi-même que tu es capable
de redisposer les trucs comme tu veux. Je pense que c'est la principale
façon d'aller de l'avant. T'autoanalyser, te compartimenter, comprendre
comment tu es structuré. Une fois que tu as ce recul-là tu peux
agir. Parce que quand c'est juste des sentiments diffus dont tu ne sais pas
pourquoi ils arrivent, tu es juste prisonnier de toi-même. Je pense que
toutes ces choses, les relations sociales, aller à Paris, agir, j'ai
pu
90
commencer à faire tout ça avec énergie
parce que j'ai appris à me connaitre. Tant que tu ne te connais pas, tu
ne peux pas vraiment agir.
Sentiments positifs :
On est dans une période tellement extrême. C'est
une période rêvée pour avoir du recul sur le monde, sur
l'humanité, sur la planète, sur le sens de la vie, sur
toi-même... qu'à n'importe quelle autre époque. On est dans
une époque complètement caricaturale. J'ai l'impression que tous
les facteurs sont tirés au maximum dans toutes les directions, que ce
soit au niveau psychologique, philosophique, écologique, social,
économique, politique... on n'a jamais été dans une
société aussi extrême qu'aujourd'hui. Une fois que tu
comprends tout ça, enfin une fois que tu as commencé à
comprendre tout ça car je ne pense pas qu'on soit capables en une vie
d'avoir un recul total sur tout ça, ça peut permettre de te faire
grandir beaucoup plus rapidement qu'avant. J'ai l'impression que les gens qui
ont conscience de tout ça sont beaucoup plus matures. J'ai l'im-pression
aussi que notre génération (jeune) a beaucoup plus de recul que
la génération précédente. Ça dépend
sur quoi, pas sur les trucs de la vie quotidienne, mais sur le long terme en
tout cas. Je pense que ça peut permettre d'être plus maître
de nous-même, le fait de se poser les bonnes questions à cette
époque. Le fait de m'engager me permet d'avoir beaucoup plus
d'énergie qu'avant, je fais les choses avec plus de force. C'est aussi
une notion de devoir. Par exemple, mon engagement professionnel, j'ai du mal
à en parler autour de moi. Parce qu'on me demande souvent « quel
métier tu as envie de faire, quel métier te correspond
», mais ce n'est pas la question que je me pose. C'est une question
secondaire. Pour moi le choix du métier est une question de devoir. Je
me demande plutôt « qu'est-ce que je dois faire ». Le
sens du devoir est un sentiment qui prévaut beaucoup pour moi. C'est
quelque chose qu'on a beaucoup oublié, et qui va devoir revenir en
force. On y pense même plus, quand on demande « pourquoi tu fais
ça », soit ils pensent que c'est parce que tu vas en retirer un
bénéfice, soit parce que tu aimes. Alors qu'en fait il y a une
troisième chose, juste le fait qu'il faut le faire.
Optimiste ou pessimiste
Ça dépend du point de vue.
Je me suis largement habitué à l'idée que
le 21ème siècle allait mal se passer. Ça ne me
provoque plus grand-chose. Si jamais je décrivais ma vision du futur,
certains seraient terrifiés parce que ce serait super négatif.
Mais moi ça ne me dérange plus.
Je pense plus à comment sera l'humanité dans 150
ans. Rien n'empêche qu'il y ait encore des universités, des gens
qui aient du sens à leur vie. Les gens vivront peut-être moins
longtemps, les gens auront une espérance de vie plus courte. Entre
temps, il y aura eu une baisse de la population. Mais quand j'en parle,
ça ne m'évoque rien de particulier ; Les gens me
définiraient comme pessimiste. Mais la question que je me pose c'est
est-ce que dans 150 ans les gens auront toujours une culture de laquelle ils
seront fiers, est-ce qu'ils seront toujours empathiques envers des gens qui
viennent de pays qui devront bouger pour des raisons politiques ou quoi, est-ce
qu'on leur transmettra des bonnes valeurs, est-ce qu'on aura un sens à
notre vie, des relations sociales. C'est largement possible. Les
aborigènes d'Australie ont vécu 40 000 ans dans un désert
stérile. Ils vivaient dans un environnement plus dur.
J'ai confiance dans le fait qu'on puisse leur léguer
quelque chose. Qu'il n'y ait pas une coupure entre au-jourd'hui et demain,
qu'on leur lègue une culture et un sens à leur vie.
Je me définirais plus comme optimiste dans le sens
où je ne suis pas collapse et apocalypse. Je sais qu'il y a quand
même la possibilité que les écosystèmes s'effondrent
complètement et que la terre soit anéantie et que
l'humanité disparaisse, mais je ne vois pas trop l'intérêt
de se poser la question. Je sais qu'il faut agir au maximum, il faut mettre
l'accélérateur à fond pour freiner à fond. Le
principal c'est de faire tout ce qui est en notre pouvoir, de se radicaliser,
mais il n'y a pas d'intérêt à se dire « si ça
se trouve ce sera pas assez on va tous mourir », à ce
moment-là on ne fait rien. Les seuls trucs qui retiennent mon attention,
ce sont les scénarios (même si ce ne sont pas les seuls) où
il y a une humanité qui est transmise. Là je me dis qu'on peut
transmettre quelque chose, ça a toujours du sens d'écrire des
livres, des films, de perpétuer la culture pour qu'elle soit transmise.
Je suis peut-être pessimiste mais pas défaitiste.
91
Vision dans 30 ans
Je pense que ce que je voudrais c'est avoir une certaine
indépendance alimentaire. Mais ne pas être qu'agri-culteur, avoir
une activité à côté. Avoir un petit potager pour me
nourrir. Et un métier à côté que je suis en train de
décider.
Je n'ai pas non plus envie d'habiter à la campagne,
j'aimerais bien habiter près d'une ville, car il y a plus
d'ac-tivités culturelles, associatives... Il y aura un minimum de
confort qui restera dans les villes, alors qu'il n'y aura probablement plus
rien dans les campagnes. Peut-être quelque chose
d'intermédiaire.
Au niveau de la société en elle-même,
c'est impossible de prévoir. On peut s'imaginer des scénarios
probables, mais dire lequel est le plus probable c'est impossible.
Retour au mémoire
Annexe 4 : Retranscription - Juliette
Fin de master de développement durable, fin de stage de
fin d'étude. A décidé de ne pas travailler l'année
pro pour se focaliser sur des projets plus associatifs et militants.
Connaissance des enjeux, sources d'informations
:
Je pense progresser assez rapidement. A partir du moment
où tu as un socle de connaissance, tout va assez vite. J'ai longtemps
été dans le flou, mais en étant formée à
animer une conférence et à comprendre les enjeux autour de
l'énergie et du climat, j'ai compris beaucoup de choses, ça m'a
donné une base de connaissances. Tous les articles ou interviews que je
lis, je les comprends mieux. Je comprends mieux les enjeux, je comprends mieux
ce qui se passe, c'est moins flou. Je n'ai pas une connaissance très
très développée, mais qui vient petit à petit.
Comment je m'informe ? Beaucoup d'articles, de sites internet un peu
alternatifs, et aussi par les rencontres, les débats, les discussions,
j'apprends beaucoup, et j'ai envie d'en apprendre plus.
Gravité des crises :
C'est la merde... je pense qu'on ne se rend pas compte de ce
qui se passe. C'est le plus grand défi de l'humanité, on n'a
jamais eu à faire face à de tels changements, de tels
phénomènes. En fait, j'ai l'impression qu'on ne se rend pas
compte. Evidemment que c'est grave, que c'est même dramatique, que si on
ne fait rien il va y avoir des conséquences, mais je pense qu'on
n'imagine même pas à quel point. Ce n'est pas normal qu'on ne s'en
rende pas compte et qu'on ne fasse rien pour agir. Même moi à mon
niveau personnel c'est difficile. Mais je pense que c'est important qu'on ait
conscience de ce qui se passe pour s'investir et pour être prêt
à ce qui va nous arriver, même psychologiquement.
Je pense qu'on va s'en sortir mais pas comme on l'entend.
Quand on pense « s'en sortir », c'est retrouver ce qu'on avait, c'est
sauver les meubles, c'est rester dans la même situation globalement. Dans
ce cas-là, non je pense qu'on ne va pas s'en sortir. Mais si on se dit
s'en sortir c'est plus créer quelque chose d'autre et qu'on arrive
à faire survivre des espèces et recréer une
société, oui on va s'en sortir. Je ne vois pas le futur comme
quelque chose d'apocalyptique où tout crame et il n'y a plus personne
sur terre. On va s'en sortir, mais de manière alternative,
différente. Oui, il va y avoir des dommages, des pertes, ça c'est
sûr. Mais on va créer quelque chose, j'en suis sûre. C'est
pour ça qu'il faut qu'on se bouge dès maintenant, pour
créer quelque chose pour après, et pour atténuer les
effets de ce qui va arriver.
Pour moi toutes les crises sont liées, j'ai trop de mal
à les différencier. Tout est lié. Tout est
interdépendant, il n'y a pas de hiérarchie.
Leviers d'action :
Changer les politiques. Et l'économie. C'est ce qui
fait qu'on est dans un tel système aujourd'hui, c'est le capitalisme, ce
qui régit tout ce qui se passe autour de nous. Aujourd'hui, si on veut
un changement drastique, il
92
faut un changement de système, et ça c'est au
niveau politique. Il faut redéfinir les priorités,
redéfinir la répartition des pouvoirs... Au niveau
économique aussi, il faut un système complètement
différent, arrêter cette recherche de profit tout le temps. Il
faudrait se tourner vers l'économie sociale et solidaire,
l'économie circulaire. Il y a aussi le niveau individuel, citoyen.
Engagement au quotidien :
Tout ce qui est éco-gestes, ce n'est pas assez mais
ça fait quand même partie du changement. J'essaie, je sais que je
ne suis pas au maximum mais j'essaie. En tout cas j'essaie d'être
consciente d'absolument tout ce que je fais et de savoir que si je fais qqchose
qui ne va pas dans le sens de la planète, au moins je le sais. Ce qui
est difficile, c'est de changer des habitudes ancrées depuis des
années. Je mange encore de la viande, c'est difficile d'y renoncer, par
exemple quand tu vis chez tes parents ou quand tu ne te fais pas ta propre
cuisine, c'est difficile d'imposer ça aux autres, de te détacher
de tout ça. Il y a aussi un côté affectif, par exemple
quand tu as toujours mangé la blanquette de veau de ton papa, du jour au
lendemain d'arrêter d'en manger c'est un peu compliqué. Je trouve
ça difficile tous ces changements, ces écogestes quand tu es dans
un mode de vie, dans un système qui ne te facilite pas la
tâche...
Engagement professionnel et citoyen :
Pour moi il est hors de question que je fasse un métier
qui ne porte pas en son coeur ces questions. C'est une condition essentielle.
Il y a eu le manifeste pour un réveil écologique qui a fait une
grille d'entretien pour les recruteurs. Je trouve ça génial. Je
ne sais pas encore ce que je ferai, ce n'est pas facile de trouver quelque
chose qui nous corresponde dans ces contextes, mais je sais que ce sera
intimement lié.
Je fais partie de l'association Avenir Climatique, jusqu'ici
j'ai reçu une formation sur les enjeux énergie-climat, et
l'année prochaine je vais être plus active en devenant coach pour
transmettre ce que j'ai appris.
Je commence aussi à découvrir la
désobéissance civile, j'ai fait une action il y a peu de temps,
c'était très intense et fort.
Processus d'engagement :
J'ai toujours été touché et
intéressée par les enjeux écologiques, mais sans
m'investir ou aller plus loin ; ça restait distant et flou.
Le 1er déclic a été le film
Demain, c'est un film qui m'a chamboulée, je suis sortie en me disant
« il faut que j'agisse », « c'est possible d'agir, tout le monde
peut le faire ». C'est le côté positif, alternatif des choses
qui m'a touchée et donné envie d'agir. J'avais une sorte de
responsabilité. J'ai développé une sensibilité pour
ces enjeux, mais ça restait encore un peu flou.
Et quand je suis tombée par hasard sur internet sur le
master DD, alors que je n'avais pas du tout pensé à cette voie
avant, j'ai tout de suite pensé au film et ça a fait sens. Je
suis entrée dans ce master et je me suis sentie complètement
à ma place. Ça a été une grosse étape dans
mon engagement, et puis le reste est venu petit à petit : plus
j'apprenais, plus je faisais des rencontres, plus je discutais, plus la prise
de conscience s'ancrait en moi, plus j'étais au courant de la
variété de crises, des interconnexions...
Et puis, la grosse claque, ça a été la
découverte des théories de l'effondrement. J'ai toujours su que
nos sociétés étaient vouées à leur perte, et
qu'il allait se passer quelque chose. Ça m'a toujours parlé en
tout cas. J'ai commencé à entendre parler de collapsologie
à Avenir Climatique. Tout de suite, ça a fait sens. Rien ne m'a
paru improbable, tout était fondé, il y avait un mot sur un
phénomène dont tout le monde était au courant mais que
personne n'ose vraiment mettre sur le devant de la scène parce que
ça fait peur, ça peut rebuter. C'est arrivé à un
moment de questionnement global de ma vie. Ça a eu un effet très
accentué. C'était dans un moment où je me questionnais sur
le sens de ma vie, de mes études, de mon travail. Ça a
été un effet boule de neige. Ça n'a pas été
facile. Tu vois tout par ce prisme-là. C'était difficile de me
positionner... De prendre le métro, d'aller au travail, de faire ces
choses-là basiques quand tu es dans une période de déprime
liée à la collapsologie où plus rien n'avait de sens.
93
Mais j'ai compris ensuite que la collapsologie n'était
pas seulement l'effondrement, mais c'était aussi la remontée et
comment se reconstruire. Ça a été mieux parce que je me
suis dit que c'était un combat dans lequel il fallait s'investir pour
construire ce nouveau monde. Même si je ne peux rien faire pour lutter
contre un effondrement, je peux faire partie de ceux qui adaptent le
système à ce qui va se passer, qui créent des solutions en
amont. Donc le fait de vouloir m'investir, m'engager, de me sentir utile et
d'être en cohérence m'a aidée. Le fait de ne pas être
seule m'a aussi énormément aidée.
Et pour ça, Avenir Climatique a été une
étape clé qui a vraiment ancré mon engagement
écologique dans ma vie, dans ma personnalité, qui m'a
donné les clés de compréhension et d'action, et qui a fait
que je ne pourrais plus prendre une autre voie.
Aujourd'hui, au quotidien, même si je sais maintenant
que je suis à ma place en luttant contre l'urgence climatique, il y a
encore des éléments qui confirment mon engagement, qui me font
avancer. Je parle surtout des retours que j'ai sur l'écologie, des
retours de mes proches ou des gens que je rencontre, qui parfois ne comprennent
pas ce combat, posent des questions, ou me mettent en colère par un
scepticisme ou une nonchalance ou un cynisme par rapport à ce que je
fais ou à l'écologie. Ce sont des déclencheurs quotidiens
qui me rappellent pourquoi je fais ça, ça me donne l'envie de les
convaincre, de leur montrer que j'ai raison de me battre pour ça,
d'avoir mis ça au centre de ma vie, qu'il y a des raisons de
s'inquiéter et que tout le monde devrait s'engager, et que ce n'est pas
moi qui suis censée être vue comme marginale.
Changement personnel :
Oui, je pense. Je pense que ça n'a pas forcément
changé fondamentalement, mais que ça a réveillé
quelque chose. Que ça a réveillé quelque chose qui
était toujours là mais qui était enfoui. Oui, ça
m'a changée. Ça a priorisé certains sujets, il y a des
choses que je ne peux plus faire, qui n'ont plus de sens. Ou qui ont un sens
différent, sur la question des voyages notamment. Par rapport à
ma famille, à mes amis... Parce que j'appré-hende les choses
d'une autre façon. Je suis en train de changer forcément parce
que je me rends compte que tout est lié à ça.
Je pense que ça a réveillé le
côté « me battre pour une cause ». J'ai toujours su que
j'avais ça en moi, j'ai toujours été très en
colère, dans la confrontation, mais sans que ce soit fondé
vraiment. Là je comprends enfin pourquoi. Il y a certains trucs qui
étaient étouffés pour laisser la place à qui
j'étais vraiment. C'est pas forcément des trucs qui ont
été réveillés mais d'autres qui ont
été atténués. Je pense que je me suis construite
socialement dans un certain milieu (social, éducatif, affectif) autour
de certaines choses. Maintenant que je suis investie, je remets en question ces
choses, je remets en question la manière dont j'ai été
éduquée, dont je me suis comportée avec les gens, dont
j'ai construit mes relations, mon rapport aux choses, au monde. Ces trucs
là sont en train de prendre moins de place pour laisser la place aux
valeurs qui ont toujours été là mais un peu cachées
: la solidarité, le militantisme, les relations plus simples, plus
humaines... ça a toujours été là mais elles
prenaient moins d'importance que le côté parisien, être
inclue dans certains groupes, ressembler à certaines personnes... Toute
cette espèce d'image sociale qu'on se construit, c'est en train de
devenir dérisoire par rapport au combat qu'on porte.
Importance du groupe :
J'ai rencontré des gens qui sont rapidement devenus des
modèles. Ça m'a plus poussé à agir en me disant
« si je veux être cohérente avec ce groupe, cette asso, il
faut que ça suive derrière ». Sans rien m'imposer, mais une
sorte de pression que je me mettais moi-même. Ça impliquait des
choix. Pendant des années, j'ai eu peur d'être hors-système
: il fallait que j'aie des habits à la mode, que je sois dans une
université cool... Certains trucs que je plaçais à un
niveau important. Et en fait aujourd'hui ces trucs là c'est presque la
honte. C'est bizarre, mais il y a certains trucs qui faisaient que
j'étais une fille cool. Mais aujourd'hui avec ces gens-là que
j'ai rencontrés, ce serait ridicule parce que ce serait
dérisoire. J'accorde beaucoup d'importance à ce qu'on pense de
moi donc en étant en cohérence avec les gens avec qui je suis, je
tends vers un truc qui me ressemble
94
plus et qui leur ressemble plus et qui est plus en
cohérence avec ce pour quoi on se bat. Une sorte
d'écosys-tème.
Sentiments dominants plutôt positifs ou
négatifs ?
C'est un doux mélange des deux.
Le fait de ne pas être seule dans ce combat, ça
fait qu'il y a beaucoup de positif. Il y a des actions concrètes dont je
suis témoin, auxquelles je peux participer. Je vois qu'il se passe des
choses, le fait d'être inclue dans ces milieux j'en suis d'autant plus
témoin. La Bascule par exemple, des jeunes qui se laissent 6 mois dans
leur vie. Il se passe des trucs, je le vois et pour moi c'est super positif.
D'un autre côté, tu ne peux pas te réjouir
de la situation. C'est la gravité de la situation et la
négativité de tout ce qui se passe qui fait que tu peux
t'engager. Donc l'un ne va pas sans l'autre.
Mais c'est complètement mitigé.
Je suis encore très en colère. Mais contre moi
aussi. Parce que parfois j'ai l'impression de ne pas faire assez. Je suis
très en colère contre des gens, contre ma famille, contre des
gens qui ne font pas assez alors qu'ils pourraient faire assez, et qui ne font
parfois même pas le minimum. Parfois j'ai envie de secouer les gens en
disant bon il est temps au moins d'être conscient, d'arrêter de se
mettre des oeillères. On ne peut pas tous quitter notre travail et ne
plus s'acheter de fringues du jour au lendemain, tout ça prend du temps
et c'est normal, il y a une distance psychologique. Mais il y a encore beaucoup
de gens qui ne sont pas même conscients de la base de la base. Quand je
vois que même sur des chaines nationales il y a des propos
climatoscep-tiques qui sont tenus... là c'est vraiment de la
colère parce que je n'ai pas de moyen d'action sur ces gens-là.
Je peux en avoir en en parlant autour de moi mais ça ne bouge pas assez
vite.
Ce qui est dur, c'est de toujours dépendre d'un
système. Mon mode de vie en soi n'a pas changé drastique-ment. Je
vis toujours au même endroit, les mêmes amis. J'ai toujours cette
espèce de socle de ma vie. Du coup c'est difficile d'évoluer
tellement et tellement vite intérieurement et de rester les deux pieds
bloqués dans un système et un mode de vie qu'on subit parce qu'on
ne peut pas tout quitter du jour au lendemain non plus. Je pense qu'il ne faut
pas non plus se mettre en rébellion totale avec le système, les
gens... Ça doit se faire à long terme et petit à petit,
mais c'est difficile de toujours dépendre d'un truc et subir des
situations et des modes de vie (« il faut que je valide un stage pour
valider mon master, que je fasse 6 mois dans une boite qui surement ne me
plaira pas »...), voilà ces espèces d'obligations et de
cases à cocher qui n'ont plus de sens et qui me retiennent comme si
j'avais un boulet au pieds et que ça me retenait, que ça me
faisait couler et que j'avais beau nager de toutes mes forces pour en sortir,
ça me retient. A un moment ça va lâcher...
Emotions positives dans la prise de conscience
:
Le fait de voir que je ne suis pas seule. Je pense que c'est
vraiment ça qui me tire vers le haut. Qui me fait voir la lumière
au bout du tunnel. Qui me fait dire « il y a quelque chose, il y a des
gens, il y a des pensées, il y a des idées ». Au
début, c'est très égoïste, mais il y avait une sorte
de fierté de faire partie d'un mouvement du style « on a tout
compris mais pas vous ». Cette espèce de fierté d'appartenir
à un mouvement, de m'investir dedans.
C'est difficile de mettre un mot sur une émotion, mais
il y a une sorte de puissance dans ce que je vis, dans ce que je ressens,
où n'importe quelle rencontre, n'importe quelle action va être
décuplée, je vais le ressentir de manière plus importante
que les émotions que je ressens dans le quotidien. Ça accentue
tout, mais le positif comme le négatif, ça accentue tout. Et
c'est des moments presque euphoriques parfois, quand j'ai passé du temps
avec des gens qui sont exactement dans les mêmes pensées, qui
agissent pour ça, dans lesquels je me retrouve, qui me tirent vers le
haut etc... Parfois c'est des moments d'euphorie totale, où je me dis
c'est fou, je suis en train de me faire des amis qui sont complètement
engagés, qui me tirent vers le haut, avec lesquels je peux parler, qui
ne me jugent pas, plein de critères qui font que tout est
décuplé, une sorte d'intensité, d'énergie.
95
Libération des émotions :
Cette colère dont je parle, c'est des trucs qui ont
toujours été là. C'est comme si ça me donnait un
espace-temps, une sorte de truc intemporel pour sortir mes émotions.
Depuis toute petite je suis en colère, pas à ma place, je sens
que je suis en décalage. Et là c'est comme si pour la
1ère fois il y avait une légitimité, une raison
à toutes ces émotions que j'ai ressenties toute ma vie. Je pense
que ça me donne un espace pour laisser parler ces émotions et les
justifier. Parfois je ne savais pas pourquoi j'étais en colère et
triste, et là je sais pourquoi. Même s'il ne faut pas voir toutes
ces émotions par le prisme de ce combat, mais c'est un gros poids qui
explique beaucoup de choses.
Projets à venir :
Quand je parlais du système qui me retiens et que je
subis encore, je vais essayer de m'en détacher petit à petit.
C'est pour ça que je fais le choix de ne pas trouver un métier
comme on l'entend l'année prochaine. Pour me rapprocher de mes valeurs,
que tout mon écosystème soit en lien avec ça et que
j'arrête de subir des situations et d'être retenue par des
obligations, par ce système et tout ce qu'il engendre. Donc ma vision
future c'est de me détacher petit à petit de ça. Comment ?
je ne sais pas encore exactement, mais je pense en allant me rapprocher de la
nature, en allant rencontrer des gens qui sont totalement différents de
ceux avec qui j'ai grandi, de gens qui sont investis dans ces
problématiques depuis longtemps, et d'autres formes de combats ou de
résistance aussi. On verra !
Optimisme ou pessimiste :
Je pense que je me force un peu à être optimiste.
:Comme si j'avais la responsabilité d'être optimiste. Parce que si
les gens qui sont investis là-dedans ne sont pas optimistes, ça
ne sert à rien de se battre. Donc j'essaie de tendre vers un optimisme.
Et ça revient à ce que je disais sur le « oui, il y a des
trucs qu'on va perdre, il y a des trucs qui vont changer, mais il y a autre
chose qui va arriver. » donc j'essaie de le voir comme ça, et d'en
parler comme ça aussi autour de moi, à mes proches. Parce que si
tu dis à tout le monde que tout est foutu, personne ne lève le
petit doigt. Donc j'essaie d'être optimiste. C'est pas facile, mais
j'essaie. (rires)
Vision du monde dans une 30aine d'années
:
J'en sais rien. J'en sais tellement rien. Je ne sais pas s'il
y aura eu déjà un effondrement des systèmes, mais je pense
qu'il y aura eu des crises qui auront chamboulé pas mal de choses et de
gens. Et je pense qu'on sera nombreux à être retournés
à quelque chose de plus simple et de plus sobre. Et je pense aussi qu'il
y aura plusieurs sortes de sociétés alternatives qui se sont
créées, et je me vois bien en faire partie. Je pense que je me
vois bien ne pas être totalement détachée du système
parce que j'aurai du mal à 100% mais me créer et créer mon
environnement hors du système quand même et faire partie d'une
société alternative, être toujours très
engagée associativement. Peut-être que j'aurai créé
quelque chose pour transmettre. J'imagine de la ver-dure, quelque chose de plus
simple, mais de choisi. Et qui sera beaucoup plus normal, banalisé dans
30 ans. Aujourd'hui, ça reste un peu marginal, hippie tout ça.
Retour au mémoire
Annexe 5 : Retranscription - Auix
Présentation
J'ai une formation d'ingénieur en informatique, et
d'analyste financier en école de commerce. J'ai passé une grande
partie de mon enfance en Afrique (de 6 à 12 ans), je suis parti ensuite
dans les Antilles jusqu'à mes 15 ans. Et je suis ensuite allé
à Paris et resté jusqu'à aujourd'hui. Je suis au
chômage aujourd'hui, je ne travaille plus, parce que les derniers
métiers que j'ai faits manquaient de sens dans une société
qui est en train de
96
partir dans une croissance infinie sur un monde aux ressources
limitées. Je ne voyais pas le sens dans le travail que je donnais tous
les jours dans ma précédente boite (Amadeus, système de
réservations pour les compagnies aériennes, les hôtels,
tout ce qui a trait au tourisme). Ça me rendait profondément
malheureux, et j'ai préféré, même si j'étais
très bien payé, arrêter mon contrat. Donc je suis au
chômage et j'essaie de donner un peu plus de sens à mon
quotidien.
Gravité des crises
Il y a 2-3 ans, quand j'étais encore dans mon
métier, j'étais en dépression, j'ai fait un burnout,
j'avais pas envie de me lever pour aller bosser parce que je ne voyais pas de
sens à mon job compte tenu des crises qu'on traverse. Je voulais et je
veux donner un sens à mon existence et contribuer à faire en
sorte que le monde change tel que j'aimerais le voir changer, et non pas
travailler pour des personnes qui voient simplement leur intérêt
et leur enrichissement matériel.
Je suis entré dans l'écologie par la porte de
l'effondrement. Dans le rapport Meadows, l'élément
déclencheur de l'effondrement parmi d'autres était le manque de
ressources en énergie. Une société qui consomme de plus en
plus de pétrole, d'énergie, une croissance économique
fortement corrélée à cette consommation, sachant
qu'aujourd'hui on a passé le pic pétrolier, on est dans une
économie qui se contracte, et on découvre très peu
d'énergie par rapport à ce qu'on consomme.
Ça m'a fait vraiment prendre conscience, j'ai eu un
profond malaise de se dire on va dans le mur. C'est comme si on conduisait une
voiture les yeux bandés. Quand tu enlèves le bandeau et que tu te
rends compte qu'il y a un mur devant nous et qu'on n'a pas de frein,
c'est...
Malgré tout, je ne le vois pas d'un côté
noir. J'ai grandi avec l'image du 11 septembre, des twin towers, et je projette
un peu l'effondrement là-dessus, comme un château de cartes qui
s'effondre et il reste un tas de cendre en bas. Mais ce n'est pas le sentiment
que j'ai vis-à-vis de ça. J'ai le sentiment que notre
société telle qu'on la connait est en train de s'effriter. Mais
ce n'est pas forcément synonyme de chaos. Pour moi, c'est plus synonyme
de renaissance. Et j'aimerais que cette renaissance-là se fasse sur des
bases qui soient humanistes, tournées vers l'humain, vers le fait que
l'on consomme de manière éthique et pas plus que ce que notre
terre puisse nous offrir.
Leviers d'actions généraux
L'éducation. C'est le seul levier d'action qui vaille
de mon point de vue, c'est pour ça que j'ai rejoint Avenir Climatique.
Quand j'entends éducation c'est de la sensibilisation aux enjeux, au
fait de comprendre les phénomènes qui sont en train de se passer
et pourquoi on est en train de vivre tout ça. En ayant un certain recul,
c'est-à-dire ne pas être forcément critique mais
comprendre. Je ne pense pas que l'humain soit foncièrement mauvais, je
pense qu'il y a des idiots, et quand je dis idiots c'est simplement des
personnes qui ne se rendent pas compte de leurs actes. Et en faisant prendre
conscience que chaque acte a des effets, on pourrait arriver à aboutir
à un monde qui nous rende plus heureux. Oui, l'éducation.
Engagement au quotidien
Au départ j'allais travailler en prenant ma voiture car
je ne mettais que 30 minutes pour arriver sur mon lieu de travail et environ 1h
en bus. Mais au final j'ai rapidement préféré laisser ma
voiture au parking et prendre le bus, même pas par question
écologique, mais aussi par question économique et même de
confort. Je ne le voyais pas comme une contrainte, mais comme du temps que je
m'accordais : je n'avais plus besoin d'être focalisé sur ma
conduite, je pouvais me concentrer à d'autres choses. Donc prendre les
transports en commun, au final, ça m'a libéré du temps.
Essayer de manger, et de m'habiller de manière
éthique aussi. Je suis fana du lin, parce que c'est local, et parce que
j'apprécie de manière générale de connaître
l'histoire, l'environnement de chaque aliment ou vêtement que je
consomme.
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Au niveau de l'alimentation, j'essaie de limiter un max ce qui
est emballé sous plastique, tout ce qui me parait inutile. Quand je peux
aller faire mes courses au marché, je le fais. Je fais le tri. Mais je
suis assez critique là-dessus. La bouteille de vin en verre, on va la
jeter, elle va être cassée, refondue, et effectivement ce
verra-là aura une nouvelle vie. Mais on va dépenser de
l'énergie entre temps qui a déjà été
dépensée pour la construire en 1er lieu. On pourrait
très bien la réutiliser telle quelle et diviser par 5, par 10 la
consommation d'énergie.
Engagement dans le métier
Je suis un peu partagé. J'ai une formation en
informatique, liée à la technologie. J'aime beaucoup me servir de
mes mains, je suis très manuel. J'ai beaucoup entendu la technologie ne
va pas nous sauver ou la technologie va nous sauver. Aujourd'hui elle est
là, et il faut voir les bienfaits qu'elle pourrait apporter. Cette
question n'a à mes yeux pas beaucoup de sens car je ne pense pas qu'il
soit possible ou même souhaitable de retourner à un état
sans. Je pense qu'elle peut et doit servir à nous accompagner face aux
défis qui se présenteront à nous et que nous devons
arrêter d'essayer de suivre son rythme et essayer de nous adapter
à elle.
Mais j'ai quitté mon boulot il y a quelques mois,
aujourd'hui je suis en train de travailler sur un projet d'entre-prise pour
créer une marque de vêtements éthiques. Et quand je dis
éthique, je vais plus loin que l'écologie. Ce sera du lin,
ça pousse en France, ça ne demande pas d'eau, c'est
sourcé, local, ça contribue à créer du lien, du
tissu social.
Ces questions doivent être en 1ère
ligne dans mon métier.
Engagement collectif
J'ai découvert l'association Transparancy International
il y a peu. Ils se battent contre la corruption, font du lobbying. La
transparence est quelque chose de primordial pour nos sociétés.
Pouvoir être transparent avec ce que je fais, avec ce que je pense, avec
ce que je dis, c'est très important.
Les marches je n'y vois pas d'intérêt.
La désobéissance civile, je n'en ai jamais fait.
Je pense que c'est très important. Je pense que les changements de
société viendront de nos actes civils. Je trouve ça
très dangereux de respecter des règles quoiqu'il arrive.
Certaines règles de sont pas bonnes à suivre et il faut savoir en
bafouer certaines pour faire changer les choses.
Difficultés
J'ai grandi dans une société de consommation,
donc il y a des choses qui restent. Je continue à utiliser Amazon par
exemple. Je ne suis pas critique, mais je suis conscient qu'il y a des
améliorations à beaucoup d'égard qui pourraient être
faites. Je suis en train de travailler là-dessus.
Le problème aussi est qu'on trouve toujours des
justifications. Parfois, je ne suis pas cohérent, mais j'arrive à
aller justifier mon comportement. Mais je reste à l'écoute et
ça c'est important.
Cheminement
Je pense que c'est très lié au fait que j'ai
vécu à l'étranger : en Côte d'Ivoire pendant trois
ans, au Cameroun pendant 3 ans, en Guadeloupe pendant 3 ans, et ensuite
à Paris. Et la vie que j'ai à Paris par rapport à la vie
là-bas, c'est complètement différent à tous les
niveaux. Je pense que le 1er déclic s'est fait à ce
moment-là, en me rendant compte qu'on vit vraiment différemment.
C'était pas vraiment une prise de conscience parce que j'en ai
profité dans le sens où à Paris j'avais les transports en
communs, internet illimité, chose que je n'avais jamais connu...
j'étais comme un fou. C'était nouveau pour moi. En fait je ne
l'ai pas ressenti tout de suite en arrivant à Paris, mais quelques
années plus tard où je me rendais compte que ça n'avait
pas de sens tout ça. Je me suis rendu compte que j'étais beaucoup
plus connecté à la réalité avant, alors qu'à
Paris j'étais sur une pente descendante vers la virtualité,
l'apparence... Je me suis rendu compte que c'était fou d'avoir tout
à portée aussi. Et me rendre compte que mes camarades parisiens,
qui étaient toujours à Paris, avaient souvent un regard
complètement biaisé sur le reste du monde, et même sur le
reste de la France. Et c'est là où tu te dis que le voyage est
important pour ouvrir l'esprit. Je ne dis pas voyage en pensant au Club Med
où tu restes
98
dans ton microcosme, mais passer du temps en dehors de chez
soi pour apprendre à découvrir l'autre. C'est les autres qui
t'ouvrent l'esprit, qui te font découvrir leur manière de vivre,
leur quotidien.
En Afrique c'était assez triste de voir que
c'était sale, pollué, de voir des bouteilles plastique par terre
partout. Donc j'étais sensibilisé à ça parce que
quand tu vois ce genre de paysage, des déchetteries à ciel
ouvert... Déjà ça m'a sensibilisé. En fait pas
forcément écologie, mais juste faire attention à ses
gestes quotidiens et à sa responsabilité.
Pendant mon école d'ingénieur j'ai fait un
voyage en Malaisie, et pendant mon école de commerce un voyage à
Hong Kong. C'est à Hong Kong où j'ai eu une vraie prise de
conscience. On a eu un cours sur l'efficience énergétique. HK est
la ville la plus densément peuplée au monde, c'est très
bien organisé au niveau des transports en commun notamment. On avait un
cours sur cette organisation par rapport aux villes américaines qui sont
plus sur l'étalement. HK, c'est des gratte-ciels immenses, mais tu sors
à 15min de voiture et tu te retrouves en pleine nature.
J'ai eu un déclic de me dire, il y a des axes
d'améliorations, on peut s'inspirer d'une ville comme ça sur
certains aspects.
J'ai fait mon école d'ingénieur informatique.
J'étais encore en stage, je faisais le même boulot qu'un gars qui
avait plus de 50 ans. Et déjà je me suis dit que je ne voulais
pas faire ça de ma vie. Ensuite je suis allé en école de
commerce dans l'optique de créer mon entreprise. Je l'ai fait en
alternance. Ma dernière année d'alter-nance était chez
Arkema, un groupe industriel chimique. Je bossais en tant qu'analyste
financier, j'établissais des business plans pour ouvrir des usines aux
Etats-Unis, en Malaisie. Ça m'a frappé d'une part de me rendre
compte à quel point c'était un métier bullshit. Le
principe d'un business plan c'était : on a envie d'ouvrir une usine
à un endroit, on va mettre en place un business plan avec certaines
variables, et si ça ne fonctionne pas, on va les modifier pour le rendre
fonctionnel. Je bossais sur un projet où on ouvrait l'usine, on faisait
bosser des gars, les voyants étaient rouges. Et pour que ça passe
au vert, il a fallu les faire bosser au 3/8 (bosser de 6h à 14h, ensuite
une équipe de 14 à 22H, et une autre équipe de 22 à
6h, tu bosses 3 semaines sur un horaire, 3 semaines sur un autre... 3x8h).
C'est complètement dingue. Ce truc-là ça a
été un vrai déclic. Je suis dans mon bureau à
Paris, et je suis en train de décider de la vie des gens en Malaisie.
J'y étais allé en immersion, je les avais côtoyés,
je savais ce qu'était la réalité là-bas. Et je suis
dans mon petit bureau à Paris, à prendre des décisions
aussi impactantes... Ça m'a complètement dégouté,
et j'ai commencé à déprimer à ce moment-là,
à me sentir en décalage avec la finance, avec les marchés
financiers... Il y a des gens, derrière leurs ordinateurs qui font leurs
trucs mais qui ne se rendent pas compte de l'impact que ça a sur le
terrain. Et en ayant cette conscience de me dire, ce que je fais a un impact,
je ne peux pas mettre des oeillères là-dessus, ça m'a
profondément déprimé. J'étais encore à paris
à ce moment-là, je me suis dit, il faut que je change d'air, j'ai
eu un appel pour aller bosser à Nice à Amadeus. Je me suis dit,
c'est de la technologie, c'est de l'informatique, ce sera mieux que la finance.
Mais pareil, ça n'avait pas de sens. Je voyais des collègues qui
avaient abandonné l'idée de faire un travail qui leur plaisait,
c'était un travail qui les nourrissait. « Je ne suis pas heureux au
boulot, mais c'est ok de faire 8h par jour voire plus avec les transports
».
A cette même période, il y a eu la campagne
présidentielle qui a aussi contribué à ma prise de
conscience. Pendant la campagne, tu confrontes la vision de différents
partis politiques. Je me suis dit : on est en train de parler de travailler
plus pour gagner plus, des perspectives de croissance... Je me suis dit mais
vers où on va en fait. J'ai eu une grosse remise en question sur le sens
de la vie et le sens de ma vie. Et de cette question-là a
découlé : comment fonctionne l'univers, comment fonctionne la
planète etc. Et là tu comprends vraiment qu'on vit sur une
planète sur laquelle les ressources sont limitées. J'ai
découvert le rapport Meadows où c'était
modélisé. Je ne sais pas si c'est la campagne
présidentielle. C'est possible que ça ait été la
campagne présidentielle. Ça a été un
élément déclencheur dans le sens où il y avait
beaucoup de personnes qui postaient des trucs sur fb. De fil en aiguille je
suis tombé sur des groupes (transition 2030), sur la notion
d'effondrement...
99
C'est comme si t'avais une pelote de noeuds, et que tu
trouvais le petit truc sur lequel tirer et tout devient limpide. Ça a
permis de mettre un mot sur l'intuition qu'il y a quelque chose qui fonctionne
pas, il y a un truc qui cloche. C'est pas la perspective d'effondrement, mais
finalement plus la compréhension, le modèle qui amène
à ce fait là. Le fait que tout est lié. De comprendre par
quoi c'est lié, par quoi ça a un impact. Là, ça a
été... waouh. Ça a été ah ouais, ok,
là je réalise, je comprends l'ampleur du truc et... Ah
c'était complètement dingue, c'était complètement
dingue. Après, il s'en est suivi du coup que je n'étais pas
forcément plus heureux de comprendre ça (rires). Mais au moins je
pouvais mettre un mot là-dessus. Il y a d'abord eu du soulagement de me
dire, je ne suis pas fou. Parce que dans mon quotidien où j'essayais
d'en parler autour de moi c'était difficile. Donc du soulagement
d'abord. Ensuite de la tristesse de se dire, on est peut-être foutus. Et
puis un sentiment de renaissance, de renouveau de me dire : ok, maintenant que
j'ai compris ce qui me gênait dans mon mode de vie, voilà, je sais
comment je peux agir là-dessus et essayer de vivre mieux. Je me suis
aussi beaucoup penché sur la philosophie à ce moment-là.
J'ai rencontré des personnes aussi avec qui j'ai pu échanger.
J'ai appris à comprendre comment ne pas vivre ça avec
colère, avec tristesse, avec dépression, comment faire en sorte
de bien vivre.
La philosophie m'a vraiment aidé. Spinoza et Nietzche,
c'est deux philosophes pour qui le déterminisme est central. Quand je
parle de déterminisme on peut l'illustrer avec les propos d'Einstein qui
dit « dieu ne joue pas aux dés ». Il avait aussi dit « je
ne crois pas en dieu, mais si je devais y croire ce serait dans le dieu de
Spinoza ». Ce n'est pas un être hors de nous, c'est un être en
nous, on est en Dieu. Dieu ne joue pas aux dés. La pomme tombe parce
qu'il y a la loi de la gravité. Tout est cause et effet. Il y a toujours
une forme de dualité entre pensée d'un côté et
physique de l'autre. Mais l'un ne va pas sans l'autre. Nos
sécrétions de sérotonine, de dopamine ont un fort impact
sur la façon de penser, de vivre. Et on ne connait pas les lois qui
régissent ces choses, mais Einstein suppute qu'il y a aussi des lois en
jeu derrière.
Quelque chose qui m'a frappé pendant mes études
d'informatique. On devait faire un petit logiciel qui devait faire appel
à une fonction aléatoire qui générait un chiffre
entre 1 et 10. Et en fait, on est incapable de faire du hasard en informatique.
La fonction random n'existe pas. Alors oui ça peut paraître
incroyable mais il est vraiment impossible de générer un nombre
de manière aléatoire. Il existe quelques astuces en revanche qui
nous permettent de faire du « faux hasard », comme par exemple afin
d'obtenir un chiffre entre 0 et 9 : on prend la 15ème
décimale du temps qui s'écoule, et au moment où on a
besoin de sortir un chiffre au hasard, on prend cette 15ème
décimale de l'heure qu'il est. On prend un élément qui n'a
aucun lien avec ce qu'on cherche à obtenir, et on estime que c'est du
hasard, parce qu'aucun lien de causalité ne semble exister entre les
deux. Dans la vie de tous les jours on le fait aussi. Par exemple, on peut dire
qu'on s'est rencontrés par hasard, mais non.
C'est la même chose pour un dé que tu jettes, on
appelle ça du hasard, mais en fait ça dépend de la
façon dont tu le lances.
Savoir que tout est déterminé, c'est assez
libérateur dans le sens où ça libère d'un poids. Si
on est en train de vivre ça, c'est qu'il y a eu les causes et les effets
qui sont arrivés à la situation actuelle. Donc je ne peux pas
avoir de regard critique. Mais je veux essayer de faire en sorte qu'on change
cette façon de fonctionner et de faire. Ça m'a permis d'accepter
tout ça beaucoup plus facilement, c'est profondément
libérateur, parce que si tu es la personne que tu es aujourd'hui, c'est
qu'il y avait des causes et des raisons sous-jacentes. On est un peu spectateur
de sa propre vie. Beaucoup voient ça comme une sorte de fatalisme, mais
ce n'est pas le cas. Ça permet aussi de se dire que tout ce qu'on fait
aujourd'hui détermine les choses de demain. Et donc qu'on a un pouvoir
d'action.
Changer ma philosophie de vie m'a vraiment aidé. Le
déterminisme est en opposition au libre arbitre qui dit qu'on est
capable de faire des choix en toute liberté sans qu'on ait
été guidés par quoi que ce soit.
Changement personnel :
100
Complètement. Complètement. Ça a
complètement changé ma façon d'aborder les choses,
d'aborder l'autre. Ça a été un revirement total. Par
exemple sur le don de soi. Dans mon optique de créer une entreprise, je
ne le fais plus parce que j'ai envie de créer une entreprise, mais parce
que j'ai envie que le changement soit incarné par des valeurs
éthiques. Je ne le fais pas dans une optique de m'enrichir mais de
pouvoir proposer des alternatives utiles.
Emotions négatives
Je suis très désabusé par les crises en
cours. Je pense que c'est principalement de la tristesse. Il n'y a pas de
colère, parfois si mais dans le côté humain. Je suis
effaré, sidéré en voyant le virage que prennent nos
démocraties. Beaucoup d'incompréhension, et un peu de
colère.
Emotions positives
En voyant qu'il y a des voix qui s'élèvent, des
organisations qui prennent forme, des mouvements de désobéissance
civile... je me dis que c'est notre dernier espoir. Mais ce qu'on est en train
de vivre aujourd'hui, si ça advient c'est que les causes étaient
là, on en vit les effets. Donc aujourd'hui, si j'ai envie de voir un
changement, il faut que je l'incarne. Il faut que les causes qui
amèneront les effets que j'ai envie de voir soient mises en place.
Ça me rend heureux de pouvoir me dire que je contribue
à mon échelle de construire la société telle que
j'aimerais qu'elle soit. C'est pour ça que je n'ai plus de tristesse.
Aujourd'hui je me sens complètement en accord, et c'est source de
satisfaction.
Ça m'attriste toujours de voir qu'on est dans la
démesure, mais j'essaie de le comprendre. Ce qui m'attristait,
c'était plus ma situation personnelle et de me dire que je suis un pion
du système et que je ne sers à rien. Maintenant je sens mon
rôle et mon utilité. On agit tous sur notre environnement au
quotidien.
Optimiste ou pessimiste
Ni l'un ni l'autre. Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste.
Bon il faudrait s'accorder sur les définitions, mais je suis
plutôt optimiste en fait. J'ai envie d'être optimiste et me dire
qu'on arrivera à créer une société
profondément humaniste. Je suis heureux et curieux de voir comment les
choses vont tourner, voir quels impacts chaque chose aura sur le monde.
J'essaie de ne pas porter un regard critique sur ce qui
advient. Même le plus gros des connards, je ne peux pas être en
colère car si c'est le plus gros des connards c'est que des choses l'ont
déterminé à être le plus gros des connards. Donc
j'essaie de comprendre les raisons qui font que c'est la pire ordure. Et je
peux peut-être faire en sorte de devenir une cause déterminante
dans son existence pour qu'il devienne une meilleure personne.
Retour au mémoire
Annexe 6 : Retranscription - Angèle
J'ai 23 ans, je viens de Bretagne, je suis à Paris
depuis 2 ans, en master de développement durable. Avant ça j'ai
fait des études de gestion, et une année de césure
où je suis partie travailler au Nicaragua. J'habite dans une collocation
associative.
Connaissance des enjeux et sources d'information
:
J'ai l'impression d'avoir une bonne connaissance des enjeux
environnementaux. Mais c'est marrant parce qu'il y a un an, on m'avait
posé cette même question, et j'avais déjà
répondu oui par rapport à la moyenne. Et maintenant je ne
répondrais plus oui sur mes connaissances d'il y a un an en fait. Donc
peut-être que je me trompe encore maintenant, mais par rapport à
la masse des gens c'est sûr que je suis plus sensibilisée.
Après,
101
est-ce que je connais vraiment bien tout, je ne sais pas,
notamment pour les enjeux sociaux liés à l'environne-ment que je
ne connais pas si bien. Je m'informe de plusieurs manières : beaucoup en
lisant des livres, en lisant des articles éventuellement, en regardant
des vidéos, et sinon en échangeant beaucoup avec des gens,
notamment dans le milieu associatif.
Gravité des crises :
C'est quand même un peu anxiogène, même
s'il y a une partie de moi qui a l'impression que ce n'est ni maintenant ni ici
que ça se passe. C'est un peu culpabilisant aussi parce qu'il y a une
inégalité entre la source des problèmes et les endroits
où ils vont être répercutés le plus fort et le plus
vite.
Est-ce qu'on va s'en sortir ? Je ne sais pas trop, mais c'est
une question tellement grande qu'elle ne m'intéresse pas vraiment en
fait. Je pense que le combat c'est surtout de limiter les
inégalités, les injustices, qui sont la cause de nos modes de
consommation, et remettre du sens dans les vies et les actions des gens ici et
maintenant. Et si dans 150 ans tout le monde va mourir parce que c'est trop
tard... Enfin ça me parait trop vaste comme question pour qu'on
décide de se bouger.
Le modèle actuel, à mon avis, ne permet pas que
ça continue longtemps. Donc il faut que ça s'effondre, et
peut-être rapidement, pour qu'on puisse commencer autre chose. C'est
difficile de prévoir tout ça. Mais on peut voir ce qui se passe
déjà aujourd'hui. Je pense qu'il faut qu'on agisse dans le
présent, et qu'on arrête de se donner des objectifs
débiles. Parler de ça, ça fait programmer un truc, mettre
en place des objectifs sur du long terme, avec plein d'indicateurs... mais
finalement peu de choses concrètes sur le court terme.
Leviers d'action :
Tout est à mener de front. Il faudrait tellement qu'il
y ait des actions politiques, et en même temps j'y crois tellement pas.
Mais je peux croire que les gens se détournent des politiciens et du
modèle actuel si leurs voisins font pareil. Je crois à l'esprit
d'équipe, et au fait qu'on est un peu tous des moutons, pas dans le sens
péjoratif mais dans le sens où on a besoin d'appartenir à
un groupe. Et si le groupe se détourne, ça pourrait marcher.
Donc je crois plus au pouvoir de la société
civile pour influer sur le politique et sur l'économique. Au pouvoir du
boycott, d'essayer de se sortir du système même si on n'en sort
jamais vraiment.
Engagement quotidien :
Dans les écogestes pas mal de choses, après
est-ce que c'est utile ? Enfin si, je suis végétarienne et
ça je pense que ça a un vrai impact. Je pense qu'à terme,
j'irai aussi vers une limitation des produits laitiers. Essayer de consommer
moins de produits jetables. Je tends vers le zéro déchet mais
c'est pas facile. Une autre chose qui a un impact environnemental et social
important, c'est sur la consommation de vêtements, que j'ai beaucoup
diminuée. Je n'achète plus de neuf, à moins que ce soit
des marques françaises qui vont tenir des années. Ça a un
impact au moins social qui est incroyable.
J'essaie de me renseigner le plus souvent possible, et d'en
parler autour de moi, même si des fois j'ai un peu la flemme de passer
pour la relou, et que parfois je ne crois pas trop en la capacité des
gens de s'intéresser à la question. Mais j'essaie quand
même parce que je me dis que c'est plus que pour moi.
Il y a des choses que je n'essaie pas de faire, alors que je
devrais, comme limiter le chocolat et le café. Je n'ai jamais
été chercher ce qu'il y a derrière le café
équitable, si c'est vraiment bien.
Engagement dans le
métier/études
C'est ce qui m'a menée à faire les études
que je fais (développement durable), et c'est aussi ce qui me
mène à ne plus trop aimer les études que je fais (rires).
Parce qu'on s'intègre dans le système finalement. Le
développement durable c'est un truc qu'on aurait dû faire dans les
années 70, 80. Ce qui est fou c'est qu'on le fait réellement
maintenant, on en parle tout le temps, comme si c'était la bonne
idée. Mais on ne nous questionne pas sur le sens de la
société, sur notre capacité à changer les choses,
on ne nous questionne pas assez en
102
général dans ces études. J'ai quand
même appris beaucoup, c'était intéressant, mais ça
ne m'intéresse pas de m'intégrer dans une entreprise. Je suis
quand même en train de faire un stage en développement durable, et
j'ai du mal à savoir si c'est inutile ou pas. Est-ce que ça sert
à quelque chose de faire du développement durable dans un
musée ? De se battre au quotidien pour qu'il y ait plus de gobelets
à la machine à café ? Est-ce que la solution c'est pas que
le musée disparaisse ? Ou que le musée change de façon de
fonctionner ? Parce que là ils sont complètement
intégrés dans un système capitaliste où il faut
gagner de l'argent à tout prix donc ils font des choses pas du tout
vertueuses. Mais le but du musée est de présenter les
nymphéas, c'est une oeuvre magnifique et je n'aimerais pas qu'elle
disparaisse sous prétexte que la civilisation s'effondre. Mais tout ce
qui est autour devrait disparaitre. Ils font des privatisations tout le
temps... Il faudrait totalement repenser la façon de concevoir leur
activité. Donc je ne sais pas trop si c'est utile ce que je fais. Je me
dis que les gens en entendent parler tous les jours, que ça rentre petit
à petit dans la tête.
C'est difficile de convaincre les gens, et de ne pas
être avec des personnes comme toi. Ça rend fou parce que j'ai
l'impression que la question de l'environnement c'est le truc primordial
aujourd'hui, que tu devrais te lever et penser à ça, te coucher
et penser à ça. Du coup dans mon travail je suis
complètement en décalage avec des gens qui n'imaginent pas du
tout ça.
Je ne sais pas du tout ce que je veux faire plus tard,
ça me fait un peu flipper, mais je ne me pose pas la question sous le
prisme à quel point c'est en lien avec l'environnement, mais
plutôt si c'est nécessaire. Et en se posant cette question
finalement ce qui me vient à l'esprit c'est faire de l'agriculture ou de
la boulangerie. Parce qu'il faut manger !
Engagement associatif
Avenir Climatique : j'ai participé à l'ACademy,
où j'ai été formée à faire une
conférence sur les enjeux énergétiques et climatiques.
J'ai intégré l'association en tant que bénévole et
je me suis portée volontaire pour travailler sur le projet EduClimat qui
développe des outils pédagogiques pour les jeunes autour des
enjeux énergie climat. On est aussi en train d'organiser un tour de
voile de sensibilisation en Bretagne, je suis pas mal mobilisée et
motivée.
Et je fais aussi partie du Pôle Jeune de la mission de
France, où le but est de créer du lien.
Engagement collectif :
J'ai fait une marche, la grève des étudiants.
Les boycotts, je n'ai pas participé directement à un truc
organisé mais au final je le fais dans mon quotidien : je ne vais plus
chez h&m, Zara... J'ai participé pour la 1ère fois
à une action de désobéissance il y a peu. C'est super
motivant. Je pense qu'il y a des actions qui peuvent être utiles.
Ça peut faire se poser des questions. J'ai un ami qui travaille dans une
banque qui a été bloquée, quand il a vu les vidéos
du blocage il a dit « ça me donne envie de les bloquer plutôt
que d'y travailler », et il y travaille quand même... Donc je me
dis, est-ce qu'il n'y a pas un genre de dédoublement de
personnalité entre ce qu'on fait et ce qu'on sait qu'on devrait faire.
Mais c'est mieux que rien. C'est pas parce qu'on fait ça qu'on ne peut
pas faire autre chose. Il faut faire tout à la fois.
Je pense que le boycott peut réellement être
utile. Une amie me racontait qu'au Maroc il y a eu un boycott contre Danone qui
leur a vraiment posé des soucis. Je pense que ça peut être
utile, mais ce qui est difficile c'est que si on fait nos courses en
supermarché, de savoir ce qui appartient aux marques qu'on veut
boycotter : parce que tout est Danone, tout est Unilever, tout est Kinder... Et
ce n'est pas évident de le savoir.
Après, le vote, en théorie ça devrait
bien marcher...
Autre type d'engagement :
Le fait d'habiter en communauté, de créer du
lien, de tenter de vivre avec bienveillance, je pense que c'est une forme
d'engagement et des choses qu'il faut qu'on développe parce qu'on va en
avoir besoin.
Cheminement :
103
Mon père est horticulteur, depuis longtemps je passe
mes étés à travailler dans ce domaine, mon père est
passionné. Je pense que ma sensibilité vient de là au tout
départ. Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu une
sensibilité, des écogestes, une civilité, qui
relèvent plus de l'éducation (éteindre les
lumières, fermer les portes, jeter ses déchets, bien trier, ne
pas gaspiller...). Sûrement des choses que mes parents héritaient
de vies moins aisées.
Je me souviens aussi de quand je suis partie en Allemagne
pendant 6 mois quand j'avais 12 ans. Ils étaient beaucoup plus
avancés qu'en France, et quand j'étais revenue, j'avais
raconté tout ça à mes parents (les papiers de cours
recyclés par exemple). Je pense que ça m'a marquée
aussi.
Pendant ma terminale, je m'étais posé la
question de l'humanitaire. Ce n'est pas directement de l'environne-ment, mais
c'est super lié. C'était plus la question d'être utile. Je
me souviens que pendant ma 2ème année d'IUT, il fallait qu'on
fasse un projet professionnel, et j'avais parlé d'un projet
humanitaire.
Finalement je suis partie au Nicaragua pour faire de
l'humanitaire. Ça a pas mal contribué à ma prise de
conscience. Je me suis retrouvée avec un groupe de personnes avec des
végétariens, branchés bio... J'avais du temps pour me
renseigner, je me souviens que j'ai lu pas mal de trucs, je me suis pas mal
intéressée au minimalisme, ça m'a passionnée, et
quand je suis rentrée j'ai vidé tous mes placards, j'ai
donné plein de trucs.
En parallèle, je crois qu'il y a eu Instagram qui m'a
sensibilisée. Bon c'est un peu la honte (rires). Au début je
suivais des filles qui étaient en mode fitgirl, qui faisaient du sport
et mangeaient healthy. Pas mal d'entre elles, il y a eu des évolutions
de passage au végétarisme. En fait, j'ai l'impression que
beaucoup de gens ont commencé à être sensibilisés
par l'alimentation.
En rentrant du Nicaragua, j'ai aussi commencé à
chercher des études, que je ne savais pas trop nommer. Finalement j'ai
trouvé un concept qui me plaisait : l'économie sociale et
solidaire. J'ai commencé à chercher ça, au final il
fallait attendre le master donc j'ai fait une licence bullshit de gestion
à l'IAE. Là j'étais déjà
végétarienne, sensibilisée, j'étais un peu
catégorisée écolo déjà.
Puis j'ai fait ce master de développement durable pour
trouver plus de sens, il y avait beaucoup de cours qui m'intéressaient.
Ce master m'a ouvert à une grande partie de ce qui a suivi. Je me suis
retrouvée enfin avec des gens avec les mêmes idées et
valeurs. Ça aide beaucoup d'être entourée et de se dire que
si tu vas dans une direction, tu n'y vas pas tout seul. Je ne sais pas comment
font les gens qui prennent conscience seuls. Mais je n'étais pas encore
du tout consciente de tous les enjeux. Il y a encore 2 ans, au début du
master j'avais conscience de certaines choses mais il y avait plein de choses
que je ne savais pas du tout.
Ensuite il y a eu Pablo Servigne, « Comment tout peut
s'effondrer ». Et puis ça a été un peu comme les
filtres facebook, tu t'intéresses à un truc et tu ne vois plus
que ça. Ces théories, en même temps ça me parait
évident, et en même temps je ne me l'imaginais pas il y a quelques
temps. Ça a provoqué beaucoup de peine. C'était à
la fois désespérant, à la fois enrageant de se dire qu'on
est un peu seuls à se préoccuper de ça, et en même
temps pourquoi je ne m'amuse pas comme tout le monde, et en même temps
comment est-ce qu'on peut s'amuser alors qu'il y a ces questions-là. Et
en même temps c'est quand même fou ce qu'on vit là, c'est
aussi super fédérateur et motivant. C'est à la fois
motivant et désespérant, mais ça ne laisse pas
indifférent. Je pense qu'il y a vraiment un passage de se rendre compte
de tout ça, et il est plus ou moins difficile selon comment on est
entourés. En l'occurrence j'étais entourée, et c'est
rassurant.
On se fait à l'idée. C'est un peu comme un deuil
je suppose. Il y a le début où c'est difficile, et puis
après il faut continuer. Et aussi l'espoir des choses qui se passent
autour de nous, de gens qui se motivent et qui sont prêts à
changer les choses. A Avenir Climatique et autour de moi, le truc qui me
fascine, ce sont les gens qui ont arrêté de travailler, sans avoir
forcément de plan, mais juste parce que ce n'est pas possible de bosser
dans une boite qui n'a pas de sens. Et ça, ça me fait vraiment un
truc. Ça me donne de l'espoir, je me dis que je ne suis pas seule, que
si je me lance dans une certaine « précarité » je ne le
fais pas seule. Donc ça aide d'être entourée.
Et il y a mon frère aussi, qui est sensibilisé
depuis bien plus longtemps. Il n'y a pas longtemps, il m'a raconté
quelque chose qui m'a fait réaliser ça : il y a quelques
années, on était dans la voiture et il a dit « je ne veux
pas aller au macdo parce que c'est le symbole du capitalisme » et
soi-disant on se serait tous foutus de sa
104
gueule. Il m'a dit ça et j'arrivais pas à y
croire. Donc il y a quand même mon frère qui est un modèle,
qui est engagé depuis longtemps, qui est en avance sur moi dans ses
idées, qui me semblaient folles avant et qui maintenant font sens.
Emotions négatives
La colère, souvent. La colère contre les autres,
qui sont cons, et la colère contre moi-même qui suis peu
indulgente et qui me permet de dire que les autres sont cons.
La peine, la tristesse aussi. Parfois je lis des choses et
ça me fait pleurer parce que c'est trop injuste. Les espèces
animales en voie de disparition, ça peut me faire pleurer. De savoir
comment on élève des animaux dans des abattoirs, ça peut
me faire pleurer. Qu'il y ait des gens qui travaillent dans ces abattoirs, et
qui ont soit pas le choix soit qui se rendent plus compte parce qu'ils sont
victimes d'un système, ça aussi ça peut me faire pleurer.
Donc oui, principalement la colère et la tristesse.
Emotions positives
Souvent l'excitation de créer un truc, d'être
dans un énorme projet, de pas être seule et de créer du
lien. J'ai rencontré tellement de gens cette année par ce
biais-là, et la connexion est tellement intéressante par rapport
aux gens avec qui je suis en stage par exemple, qui sont des gens trop gentils,
mais il n'y a pas ce truc de partage.
De l'espoir aussi.
Et ça me donne envie d'essayer d'être plus dans la
fraternité, d'être plus indulgente. J'essaie le plus possible
d'être une bonne personne parce que c'est utile et qu'il faut que les
gens soient comme ça pour l'avenir. Ça crée des moments de
solidarités qui sont incroyables et source de joie, parfois.
Changement personnel
Oui, ça a changé plein de choses. Il y a plein
de choses que je ne peux plus faire comme avant. Je suis beaucoup plus
sensible, il y a plus de choses qui m'affectent. Et je pense que je suis plus
capable de le dire. Je ne sais pas si c'est ma prise de conscience ou mon
entourage. On est aussi dans des âges où on change beaucoup dont
peut-être juste la maturité de devenir quelqu'un qui affirme ses
sentiments même quand ils ne sont pas faciles à exprimer. En tout
cas j'affirme plus mes émotions aujourd'hui, et elles sont souvent plus
intenses, que ce soit dans la joie ou dans la peine.
Ça a changé mes valeurs. Ma personnalité,
je ne sais pas, mais ça me fait y travailler vraiment. Je me dis qu'il
faut être moins égoïste, plus ouvert, concilient,
tolérante, je me le dis pour tout ça aussi.
Optimiste ou pessimiste
Ça dépend ce que ça veut dire. Si
être pessimiste c'est croire en l'effondrement, je suis pessimiste. Si on
fait un bilan de ce qu'a fait l'être humain jusqu'à maintenant, on
a quand même fait de la merde, et c'est difficile d'être
optimiste.
Mais les jeunes se bougent en ce moment, et je ne sais pas si
tout le monde le fait avec sincérité ou si ça devient une
mode, mais en tout cas il y a un truc à faire avec ça, et
ça rend optimiste.
Et il y a des moments où je me dis ce n'est pas
possible... qu'est-ce qu'on peut faire de plus pour que ça rentre dans
la tête des gens.
Donc je ne sais pas, ça dépend des jours.
Enfin si, je crois que j'ai envie d'être optimiste en
tout cas. Parce que je suis relativement heureuse. Et c'est quand même
optimiste de se dire que l'année prochaine je ne veux pas travailler
parce que je veux faire autre chose parce que je cherche du sens. Ça
veut dire que je crois qu'il y a du sens dans le fait de sortir de cette
société. Donc que je crois qu'on peut en sortir et
développer quelque chose.
Vision dans 30 ans
105
J'espère que j'aurai des enfants. Je sais que c'est une
question qu'il faudra se poser pour toutes les questions écologiques que
ça pose. C'est difficile pour moi de m'imaginer sans famille. Je crois
que je m'imagine vraiment dans le domaine agricole, dans la production ou dans
la vente. En tout cas dans le local, pour moi c'est évident qu'on va y
revenir. En même temps, c'est fou de se dire ce que ça va
impliquer, les distances vont être de nouveau des vraies distances...
C'est pas facile, comment on peut imaginer ce que c'est d'avoir 40 ans dans un
monde aussi indécis ?
Retour au mémoire
Annexe 7 : Retranscription - Gaëlle
J'ai 22 ans, je suis née à Orléans, j'ai
vécu à Lyon, j'ai fait une prépa scientifique, puis j'ai
été en école d'ingé-nieur à l'Ensta en
région parisienne. Je suis partie pour un double diplôme pour
faire mon master à Vienne parce que j'avais envie de voir autre chose.
Entre l'ensta et le double diplôme, j'ai fait mon stage de recherche
pendant 3 mois à Cardiff au Royaume-Uni. Puis j'ai fait 1 an et demi
à Vienne où j'ai commencé à m'intéresser
à ces enjeux. En ce moment je suis en stage en France au laboratoire des
sciences du climat et de l'environne-ment (LSCE) et au laboratoire de
météorologie dynamique. J'ai été prise en
thèse pour l'année prochaine au LSCE, sur les
modélisations du cycle du carbone et l'impact sur les calottes
glaciaires.
Connaissance des enjeux et sources d'information
:
Par rapport à la population générale,
oui, très clairement. Après, je pense qu'il y a toujours des
choses qu'on ignore. Je m'informe sur internet, en faisant des recherches. Je
lis des livres en rapport. J'ai eu une grosse phase en mode binge watching
d'informations, et maintenant je n'ai pas l'impression de m'informer au
quotidien, de lire des articles déprimants au quotidien... J'ai un peu
l'impression que j'en connais assez globalement, je suis plus trop dans la
phase de recherche d'informations même si je le fais encore quand je veux
me renseigner sur quelque chose de spécifique.
Gravité des crises :
Typiquement, sur la biodiversité, j'ai du mal à
me rendre compte. De ce que je comprends de la biodiversité, c'est plein
de choses qui interagissent, et t'en enlèves, t'en enlèves, t'en
enlèves, et ça tient encore, jusqu'à un moment où
il y a un effet de seuil. Donc ça j'ai du mal à m'en rendre
compte, avec ces effets de seuil, on ne se rendra pas compte jusqu'à
être devant le fait accompli. Je sais que c'est grave,
6ème extinction... mais en quoi ça nous affecte et
à quel point ça va nous affecter... je pense beaucoup, mais j'ai
du mal à me le représenter.
Pour ce qui est changement climatique, j'ai aussi du mal
à me le représenter, ça va dépendre tellement de ce
qu'on fait dans le futur. 1,5, 2 degrés, je n'y crois pas trop. Mais il
y a quand même de grosses différences avec les pires
scénarios où c'est au moins +4 de moyenne. En fait, je ne me le
représente pas par un truc de concret. J'ai capté que
c'était la merde, mais j'ai du mal à la visualiser
concrètement.
Engagement quotidien :
Pour les déplacements, j'ai arrêté
l'avion. Pour l'alimentation, je suis végétalienne. Je mange des
produits majoritairement bio, locaux, de saison et en vrac. Je fais pas mal de
zéro déchet, je ne suis pas à 100% mais j'essaie de
limiter au max. Pour la consommation, je n'achète plus grand-chose de
neuf. Ça fait un an et quelques que je n'ai rien acheté de neuf.
Après, typiquement, quand j'ai emménagé, j'ai voulu
trouver de l'occasion mais j'ai dû acheter du neuf.
Engagement métier/études :
106
C'est central, c'est une condition. Mais je suis clairement en
dilemme intérieur en ce moment. Je voulais faire un stage orienté
climat. La recherche pour moi c'était un moins pire par rapport aux
métiers que j'aurais pu faire après une école
d'ingé.
La recherche en climat ça me permet d'apprendre des
trucs, ça aide la recherche dans le domaine, ça a un impact
carbone neutre, je ne me lève pas pour aider des entreprises à
s'enrichir. Pour ma thèse, c'est partagé. Je me dis que chaque
temps compte, et que les 8h par jour que je passe au bureau je pourrais les
passer à autre chose. Est-ce que je ne ferais pas mieux de faire autre
chose pendant ce temps ? Parce que certes je vais apprendre plein de choses sur
mon sujet, mais la recherche c'est pas mal de temps devant un ordi à
coder des trucs, à faire tourner des simulations, et pendant ce temps tu
ne sensibilises pas grand monde.
Chaque année compte. J'ai envie d'utiliser ce que je
fais en thèse à l'extérieur.
Engagement associatif :
A Avenir climatique je suis engagée dans un projet qui
d'appelle EduClimat, qui développe des outils pédagogiques autour
des enjeux énergie-climat pour les jeunes de primaire, collège et
lycée. Ça me prend beaucoup de temps.
Engagement collectif :
Non. Je suis allée une fois à la marche pour le
climat. J'aimerais bien participer à une action de
désobéissance civile, mais je n'ai pas encore eu l'occasion
notamment par manque de temps et de disponibilité.
Je pense que les petits pas et les actions personnelles ne
suffisent pas. Je crois beaucoup dans l'éducation, et notamment chez les
jeunes qui n'ont pas encore des années d'habitudes derrière eux.
Il y a plus de gens végétariens autour de la vingtaine que de la
trentaine. Cette petite dizaine d'années d'habitudes en plus fait la
différence. Donc j'ai beaucoup confiance en l'éducation, en le
fait que les jeunes peuvent changer en étant bien informés, et
aussi faire changer leurs parents et leurs proches.
Cheminement :
Au début, je voulais travailler dans les
énergies renouvelables, mais sans plus de connaissances sur le sujet. Ce
qui a fait que j'ai commencé à vraiment m'intéresser
à tout ça, c'est la viande. Une amie végétarienne
m'avait expliqué pourquoi elle ne mangeait plus de viande. J'ai
essayé d'arrêter, j'ai vu que ce n'était pas
compliqué. Puis j'ai commencé à m'informer sur la
question, à regarder des documentaires... Puis un peu plus sur
l'environnement. Dans le groupe d'amis où j'étais, on parlait
très peu de ces enjeux, ce n'était pas vraiment nos
préoccupations. J'ai commencé à comprendre les effets des
changements climatiques. Je suis allée calculer mon bilan carbone, et
changé quelques petites choses.
Je n'avais pas encore vraiment conscience des interconnexions,
de toutes les crises. Au début de mon stage à Vienne j'ai
arrêté de prendre l'avion en réalisant l'impact que
ça avait.
Puis j'ai lu le fameux bouquin de Pablo Servigne, d'autres
sources, et j'ai commencé à comprendre que ce n'était pas
juste un problème, que tout était connecté, que ce n'est
pas juste un problème mais que toute la société, tout le
système va mal. Pourquoi on travaille pour enrichir des grosses boites
qui polluent, le côté de sens en général...
J'étais avec des amis peu sensibilisés, je me
sentais un peu seule. Ce n'était ni dur ni facile. J'ai l'impression que
je me posais plein de questions intenses et assez dures pendant mes temps
libres, mais à côté, le fait d'être avec des gens peu
sensibilisés ça me permettait de me vider le cerveau. Donc
finalement ça ne m'a pas tant pesé. Mais j'ai quand même
ressenti le besoin de me rapprocher de personnes, de milieux qui me
comprennent. J'ai cherché tout ce qui existait sur internet, et je suis
tombée sur la page d'Avenir Climatique, et je me suis inscrit pour
l'université d'été. C'était génial, parce
que j'ai passé quand même 6 bons mois à être
consciente de tout ça et à en parler à personne sauf
à ma mère, et à mon copain, mais avec qui on
n'était pas
107
forcément d'accord sur tout. Là, rencontrer que des
gens où tu n'as pas besoin de te justifier sur ce que tu fais, où
toutes les discussions t'intéressent... Ca a créé une
émulsion. Et je me suis engagée dans EduClimat. Ensuite j'ai
réussi à faire mon stage en lien avec ces enjeux. Mais je me pose
encore des questions sur si c'est le plus utile.
Donc pour résumer, j'ai d'abord eu une période
« je peux faire des trucs pour protéger la planète et
ça ne me demande pas trop d'effort, pourquoi pas le faire ». Donc
je les ai faits, et j'ai eu besoin de convaincre les gens de les faire ce qui
m'a menée à plus me renseigner et donc à prendre
conscience notamment du changement climatique. Ensuite il y a eu l'étape
où j'ai compris que tout était interconnecté, que
c'était un énorme problème de société. Puis
je suis passée de l'engagement personnel à l'engagement
associatif. Enfin, mon engagement au sein du boulot est en cours et en cours de
réflexion !
Blocages :
C'est compliqué à dire, mais les amis. On
avançait plus du tout dans la même direction. La période
où je m'in-téressais à ça et j'étais un peu
la seule à m'intéresser à tout ça, ça m'a
forcément « retardée » dans mon engagement. Il y a
aussi le boulot, le manque de temps.
Théories de l'effondrement :
Je ne sais plus ce que j'en ai pensé au début.
Mais sur le coup, je n'ai pas fini le bouquin, ça veut tout dire... Ca a
un peu été un effondrement personnel. Une perte de sens. On t'a
toujours dit il faut faire ça, avoir tel métier... Et en fait, tu
réalises que ça n'a pas de sens, que notre société
telle qu'elle est ne pourra pas continuer bien longtemps. Sans dire que je sois
collapsologue, parce que je ne sais pas trop où me situer par rapport
à ça, je ne suis pas en mode collapso à 100%. Mais c'est
plus que ça permet d'avoir une prise de conscience que la
société telle qu'elle est actuellement n'a pas beaucoup de sens
et ne peut pas continuer indéfiniment comme ça, alors que c'est
toujours ce qu'on nous a vendu. Donc ça a été un
effondrement de mes propres convictions.
Changement personnel :
Je pense que des valeurs qui étaient déjà
là se sont affirmées. La compassion, l'affirmation de mes
convictions notamment.
Emotions :
Le fait d'avoir rencontré d'autres personnes ça
a beaucoup enlevé les émotions négatives. Je pense que
j'ai une visualisation dans ma tête du fait que ça ne va pas et
qu'il faut agir. En agissant au max ça enlève bcp d'aspects
négatifs. Depuis mon boulot, j'ai de nouveau des questionnements sur le
sens qu'il a. Un sentiment de frustration. D'impuissance face à la norme
sociale, car j'aimerais bien, mais ne me sens pas prête à tout
quitter.
Le fait de sentir mon impact fait se sentir mieux. Les moments
où ça ne va pas, c'est plus sur des trucs précis et
spécifiques. Par exemple à l'élection de Bolsonaro
(président brésilien), je me suis sentie mal, je me suis dit
« ah ouais on n'y arrivera jamais ». Ça arrive parfois. Mais
j'arrive à être positive pas mon engagement et les proches. Il y a
aussi la satisfaction de voir son impact sur les proches qui commencent
à être sensibilisés et à changer.
Il y a le côté humain et social de l'engagement
associatif qui apporte beaucoup. D'un point de vue plus personnel, ça me
permet d'apprendre plein de choses sur moi, sur le monde... C'est super
enrichissant.
Optimiste ou pessimiste :
108
Plutôt pessimiste. Ça dépend par rapport
à quoi. On sait qu'il y aura forcément des problèmes, mais
à voir jusqu'à quel point. Je pense qu'on peut changer bcp de
choses par l'éducation des jeunes. Pour les gens de 30 ans et plus, j'y
crois moins, et là je suis un peu plus pessimiste. Il y a un peu des
deux.
On a fait un week-end de travail avec EduClimat, où on
a été à un festival. La question « Qui est-ce qui
croit qu'on va s'en sortir ? » a été posée, et on est
2 à ne pas avoir levé la main. Pourtant on est le deux plus
investis sur le projet. Au fond de nous, on n'y croit peut-être pas, mais
on a peut-être d'autant plus envie d'agir.
Et pour le futur j'ai peur de me mettre dans le moule alors
que je n'ai pas envie. Pourquoi pas monter une ferme, vivre en autonomie, mais
actuellement je ne serais pas prête à faire les démarches,
j'attends plus que ça me « tombe » dessus, je serai facile
à motiver ! J'envisage une vie pas classique, je ne sais pas encore ce
que ça veut dire mais j'espère que je ne me laisserai pas prendre
dans le moule.
Vision dans 30 ans
C'est compliqué de savoir à quel point les
changements vont aller vite, ça dépend de ce qu'on va faire
à très court terme. Je me vois vivre à la campagne, dans
un écovillage, dans une communauté.
Retour au mémoire
Annexe 8 : Retranscription - Luc
Présentation
J'ai grandi à Toulouse jusque mes 18 ans. On
était entre la ville et la campagne. Ma mère est professeur et
mon père architecte, ma soeur est professeur des écoles
également. J'ai fait une filière S, je suis parti à
Bordeaux pour faire une prépa intégrée, où je suis
resté 2 ans, avec un cursus général mais orienté
scientifique. On avait un choix parmi 33 écoles, j'ai choisi
l'école l'Ense3 (école de l'énergie, de l'eau
et de l'environnement). A la différence des prépas classiques
où tu as ton école par rapport au classement, tu choisis plus par
rapport à ce que tu aimes, par rapport à tes
préférences. Donc je suis parti faire 3 ans d'école
d'ingénieur à Grenoble à l'ense3. On a pas mal
approfondi les thématiques de l'énergie, où j'ai eu une
première vue sur ces sujets-là. Il y avait aussi des
conférences organisées par les alumnis. C'était une bonne
initiation aux enjeux énergie et environnement.
J'ai fait une année de césure où j'ai
fait un stage sur l'électricité en Martinique, et j'ai fait un
volontariat associatif de 3 mois à Madagascar où j'étais
avec une ONG qui s'appelle « Hydraulique sans frontières » et
j'ai aidé des villages dans l'apport de l'eau potable. Ça m'a pas
mal ouvert l'esprit et requestionné sur ma vie en France. Tu relativises
pas mal de choses. Aujourd'hui je suis consultant énergie-climat
à B&L évolution et j'accompagne des territoires sur des plans
climat.
Connaissance et sources d'informations
Je pense que oui à travers ma formation et mon
métier. Un peu moins sur la dimension sociale. A la fin de mon stage de
fin d'études, j'ai été un petit peu au chômage, j'ai
pris un peu de vacances puis j'étais en recherche d'emploi. Du coup
j'avais pas mal de temps pour moi, et j'ai passé pas mal de temps
à regarder des vidéos sur internet style Thinkerview, autres
podcasts, MOOCs... C'est très accessible sur internet donc ça va
vite de vouloir s'informer sur des sujets que tu voudrais approfondir. J'ai
été 3 mois au chômage et ça m'a permis de vraiment
affiner et creuser le sujet, clairement. J'ai aussi pris beaucoup l'habitude de
lire des livres de compréhension de l'histoire de l'humanité, sur
la géopolitique... Des livres comme Sapiens, « Votre cerveau vous
joue des tours », « Le petit traité de manipulation à
l'usage des honnêtes gens », Jancovici... Du coup je me documente
principalement en lectures, pas mal de vidéos sur internet, j'essaie
d'écouter des podcasts 34 fois par semaines, des MOOCs, des
médias un peu (Le Monde), et de la veille sur des sujets qui
m'intéressent à travers les alertes google.
109
Gravité des crises
Comme je suis assez conscient des enjeux écologiques,
énergétiques et du changement climatique, à travers ma
formation, mon métier, mes proches et mon association, je pense que je
suis pas mal au courant, et quand t'es pas mal au courant, t'as une vision
plutôt pessimiste sur ce qui va arriver dans les 5, 10, 30, 50 ans
à venir. Donc ma vision de la crise est plutôt pessimiste, j'ai
l'impression qu'on fonce un peu dans le mur. Et ce n'est pas qu'une impression,
c'est aussi un constat partagé par les scientifiques, notamment le GIEC.
Donc ma vision est plutôt mitigée. Je pense qu'on peut s'en
sortir, mais il faut remettre totalement en question le système, et
même nous, l'humain, qu'on se remette en question sur ce qu'on fait. On
consomme tout le temps, tous les jours. Si on veut s'en sortir, il faut
remettre en question tout ça. Mais c'est super difficile de tout
remettre en question.
Engagement au quotidien
La consommation est un des impacts les plus importants.
Là-dessus, j'essaie de consommer de saison, local
(périmètre Ile-de-France). J'ai réduit ma consommation de
viande. Sur la consommation de biens en général, j'ai aussi
réduit les biens électroniques. Sur la mobilité, je
privilégie le train par rapport à l'avion et à la voiture.
J'ai beaucoup pris l'avion pour des voyages. Cet été on devait
partir avec ma bande d'amis. Ils voulaient partir au Costa Rica mais j'avais
d'autres plans, comme un voyage à vélo en Europe. On a eu une
grosse discussion tous ensemble, pas facile. Parce qu'il y en a qui disent
qu'ils travaillent pour ça, pour pouvoir partir loin, s'éva-der,
changer de culture... Et toi tu essaies de convaincre, mais c'est
compliqué de faire le « relou ». Finalement on va partir en
Andalousie et au Maroc en prenant le bateau, c'est un bon compromis. Sur le
textile, je n'ai quasiment pas acheté de nouveaux habits, je
réduis au maximum. Les choses les plus compliquées sont sur les
vacances. Si tu veux partir avec des amis mais qu'ils sont moins
sensibilisés, c'est compliqué, et vraiment source de frustration.
Réduire totalement ma consommation de viande, je n'y suis pas encore
tout à fait. Le reste, je le vis bien et ça ne me change pas
grand-chose au final.
Engagement dans le métier et
études
Dans mon métier, mon but est d'accompagner des
collectivités à mettre en oeuvre la transition
énergétique et atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.
On essaie de décliner les grandes stratégies nationales sur les
territoires. On prend les thématiques mobilités et transports,
bâtiments et habitat, agriculture et consommation, économie
locale, et on essaie de voir comment réduire les consommations
énergétiques et les émissions de gaz à effet de
serre (GES) sur le territoire. C'est aussi intéressant parce qu'on
discute avec les élus, on voit leur point de vue, on voit comment ils
seraient prêts à évoluer ou pas... On essaie au max de
pousser des arguments pour faire bouger les choses. C'est super stimulant,
ça me plait et je me vois faire ça toute ma vie parce que c'est
un but à côté duquel on ne peut pas passer. Le cabinet dans
lequel je suis est très investi dans ces thématiques, c'est
plaisant de pouvoir en parler au quotidien et de pouvoir évoluer dans ce
domaine. Même si au final quand t'en parles au boulot, chez toi, et que
tu regardes des articles, t'écoutes des podcasts... c'est tout le temps
présent au quotidien et t'as aussi envie de « déconnecter
» un peu parfois. Sinon ça prend tout l'espace et la charge
mentale. Je pense que c'est important d'avoir un peu de distance par rapport
à ça de temps en temps parce que sinon c'est dur. En plus, quand
t'es dans ta bulle, tu ne vois pas forcément le reste, tu penses que
tout est partout comme ça alors que pas du tout.
Engagement associatif
J'ai vu AC et l'ACademy passer sur les fils
d'actualités d'anciens de mon école. L'an dernier, j'avais envie
de m'investir dans une asso pour apprendre, rencontrer des gens,
échanger sur ces sujets, m'investir personnellement dans une cause.
J'aimerais bien continuer à m'investir dans certains projets qui me
tiennent à coeur et pour lesquels je pense qu'il faut
persévérer, comme l'ACademy dont on a reçu la formation,
et dont j'aimerais bien maintenant dispenser et transmettre les savoirs qu'on a
appris, et aussi apprendre des nouveaux qui arrivent. Il y a aussi EduClimat
qui est un projet pour accompagner les écoles et les professeurs pour
enseigner
110
ces thématiques dans l'éducation nationale.
C'est un projet qui a beaucoup d'ambition et qui peut avoir un énorme
impact s'il est mené à bien, parce que tous les
élèves en France seraient sensibilisés à ces
sujets-là, et comme c'est eux qui détiennent les rênes de
l'avenir, c'est un enjeu super important. Donc niveau asso, Avenir Climatique.
Ça prend pas mal de temps, on peut s'investir sur différents
projets, et si t'as des projets en tête, tu peux les proposer.
Engagement collectif
J'ai déjà fait des marches pour le climat,
poussé des amis à les faire. A travers le vote, aux
européennes ou autres élections. Sinon, je n'ai jamais fait
d'actions de désobéissance civile. Ça fait un peu peur au
premier regard, tu ne sais pas trop ce que c'est. C'est sur des journées
de travail en général. C'est un engagement au stade
supérieur, peut-être qu'à terme, si je trouve que ça
a un impact, je m'y mettrai. Pour l'instant je ne me suis pas trop posé
la question, je me dis c'est vachement extrême, tu te confrontes à
des policiers, à des CRS... c'est le côté un peu
extrême. Et pourtant, je pense que si j'avais en tête que ça
pouvait avoir de l'impact, je m'y serais plus intéressé, je ne me
suis pas trop posé la question encore. Ça va peut-être
évoluer. C'est aussi le côté un peu illégal et image
que tu donnes à la société. Ça fait un peu peur.
Autre forme d'engagement
Je réfléchis pas mal au sujet du voyage et de
l'écologie. On en parlait, c'est difficile quand t'es dans une
discussion avec des amis qui veulent partir loin, changer de culture... Du coup
j'essaie de réfléchir à comment lier voyage et
écologie, en essayant de voir les solutions de voyages
écologiques disponibles. Si tu veux faire un super voyage pas
très loin et bas carbone, est-ce que c'est attrayant ? Si oui, qu'est-ce
qui existe déjà ? Si non, qu'est-ce qu'on pourrait mettre en
place ? Je réfléchis à des types de voyages hyper
motivants et enthousiasmants que tu puisses proposer à tes amis et
qu'ils aient envie de le faire, et qui soient aussi respectueux de
l'environnement. J'aimerais rendre le tourisme plus durable et attrayant. Y a
du boulot !
Toutes ces actions sont à mener en parallèle. Le
plan climat, on ne peut pas le mettre en place sans l'accord et la
participation des citoyens. Donc s'ils ne sont pas sensibilisés ou s'ils
n'ont pas envie de mettre en place des choses, ça ne marchera pas. Donc
c'est nécessaire de mettre les différents types d'actions en
parallèle. Mais je pense que ce qui a beaucoup d'impact c'est le
changement de mentalité des citoyens. Je me dis que si moi je
réussis à faire ce cheminement, d'autres pourront aussi le faire,
et si tout le monde arrive à la faire, on pourra ensuite mettre des
moyens plus contraignants qui permettent vraiment de respecter ce qu'on doit
faire pour rester en dessous des 1,5 ou 2 degrés.
Cheminement
Je pense que mon intérêt pour ces sujets a
démarré assez tardivement, quand j'étais à
l'école, mais c'était un peu en surface. Je n'avais jamais lu de
livres, vu de vidéos... C'était une 1ère marche
sur laquelle j'étais et du coup mon cerveau avait quand même en
tête ces sujets-là. J'étais déjà un petit peu
dans le mouvement, sans vraiment m'intéresser.
Pendant mon année de césure, il y a eu mon
voyage à Madagascar, où je suis parti 3 mois avec une association
qui faisait des projets pour alimenter certains villages en eau potable. A
Madagascar, 70% de la population vit en zone rurale, et souvent n'a pas
accès à l'eau potable, à l'électricité,
à des moyens de mobilité. Tu relativises sur tellement de choses
que t'as et sur ton confort de vie et ton mode de vie européen. Il y a
tellement de différences entre le mode de vie malgache et le mode de vie
européen. Et par rapport au mode de vie qu'il faudrait avoir pour
pouvoir rester en dessous de certains seuils qu'on ne devrait pas
dépasser. Tu vois qu'il y a tout un tas de trucs qui ne sont pas
nécessaires, qu'on fait parce que c'est dans la norme et dans le
modèle sociétal, mais qui ne sont pas du tout obligatoires et sur
lesquels on ne se pose pas de question. Pouvoir se déplacer, faire Paris
Toulouse en train et mettre 4h, certains vont se plaindre parce que c'est trop
long et vouloir prendre l'avion. Tu vas à Madagascar, si tu veux prendre
un bus, il ne part pas tant qu'il n'est pas
111
rempli, donc tu ne sais pas quand tu pars, ça peut
être dans 10min, dans 2h, dans 2 jours... En France tu as 5min de retard
dans ton train SNCF et tout le monde pète un câble. Du coup tu
relativises sur tout un tas de trucs et sur tout ton mode de vie. Tu te dis,
est-ce qu'on a vraiment besoin de tout ça ? Autant consommer... Il y a
tellement d'écart. Et au final, le bonheur n'est pas du tout
inférieur à Madagascar, les gens sont plutôt heureux.
Ça m'a fait beaucoup relativiser. Et pour la prise de conscience de
notre surconsommation, de notre modèle, ça m'a fait remettre en
question beaucoup de choses.
Mais je pense que le gros déclic a été
pendant mon chômage après mon stage de fin d'études, et que
j'ai eu du temps. Je me suis inscrit à AC, et je me suis
intéressé à ces sujets (écologie, énergie,
théorie de l'effondre-ment...). Quand tu commences à
écouter Jancovici, à lire sur le sujet, ça va vite. C'est
un engrenage, tu t'inté-resses à d'autres sujets qui semblent un
peu annexes mais qui vont ensemble et qui sont cohérents. Du coup je
pense que la plus grosse période c'était quand j'étais au
chômage. Ça m'a permis de beaucoup approfondir les sujets. Je me
souviens que je disais à mes collocs « regardez cette vidéo
»... Et eux me répondaient « je suis fatigué, je
travaille demain, j'ai pas le temps ». Donc le temps est vraiment
essentiel pour prendre conscience, et ce n'est pas donné à tout
le monde. Je pense que c'était ça la grosse brique.
Du coup après quand t'es dans le sujet, tu cherches un
boulot en rapport avec ça, t'achètes des bouquins en rapport avec
ça, Avenir Climatique tu rencontres plein de gens. C'est une
sphère qui t'entraine dans ce mouvement, et qui est super
intéressante, parce qu'à la fois c'est alarmant, et à la
fois tu vois qu'il y a plein de choses à faire, et tu te dis «
putain, on peut sauver le monde ». Après, on ne te dit pas vraiment
on peut sauver le monde, mais en tout cas t'essaie de le faire. C'est le
défi d'une vie, et c'est vraiment stimulant.
Théories de l'effondrement
J'ai regardé des vidéos de Pablo Servigne. Il
était très paisible, factuel, et il a un ton très
posé. Et ce qu'il disait était super intéressant.
Après j'ai creusé un peu, j'ai lu son bouquin « Comment tout
peut s'effondrer ». A Avenir Climatique aussi on en parle, on a des
débats mouvants dessus, ça permet aussi d'approfondir le sujet.
Quand t'es au courant que factuellement, on va dans la mauvaise direction
à grande vitesse, c'est difficile après de se dire qu'on peut
continuer comme ça. Et ça impacte toute ta vie en fait, parce
qu'on fait des choses tout le temps qui ont des impacts, ça remet tout
en question. Ça m'a aussi impacté dans le sens où j'en
parle à mes amis. Emotionnellement aussi, forcément, quand tu
vois ça, t'as pas une vision du futur super positive. Plutôt bon
comment on peut vivre durablement et en accord avec notre environnement.
Changement personnel
Certains traits de personnalité ont changé, oui.
Je parle beaucoup plus de ces sujets-là. Tu as tendance à tout
ramener à ça, ce qui est positif et aussi négatif, parce
que ça te fait de la charge mentale, et aussi parce que dans les
discussions tu vas toujours ramener ça à ça, alors que des
fois, t'es pas obligé de tout le temps en parler.
Mais je reste pas mal optimiste, j'ai envie de faire bouger
les choses. Ça me motive encore plus, parce que du coup tu te dis qu'on
est au courant de ça, qu'on a quelques années pour mettre en
place de grands changements, et c'est très stimulant. Ça stimule
encore plus d'avoir un défi de cette ampleur, dont tout le monde n'a pas
encore conscience, ce n'est pas une évidence pour tout le monde.
Je suis très impacté par ce que je vois et ce
que je lis. Quand je vois une vidéo, que je la trouve très
intéressante, j'ai envie de la partager à tout le monde, de
partager à tout le monde ce que j'ai appris ou retenu de cette
vidéo. Donc le fait d'être proactif et d'en parler autour de toi,
c'est une forme d'engagement, ça te donne des responsabilités et
une mission d'exemplarité, les gens vont regarder ce que tu fais, te
suivre parfois. Du coup ça influence aussi ma manière de faire,
ma manière d'agir, parce qu'il faut être en accord avec ce que tu
dis. Et donc ça m'engage et me sensibilise moi-même.
112
Emotions négatives
Un peu de peur. Peur qu'on n'arrive pas à relever ce
défi et des conséquences que ça peut engendrer sur des
guerres, sur des populations, des minorités. Un peu de peur, et je n'ai
pas envie que ça arrive.
Un peu de frustration, parce qu'on nous le dit depuis
longtemps, on sait aussi ce qu'on peut faire, mais c'est pas du tout une
conscience partagée par tout le monde, et les règles ne sont pas
à la hauteur. Donc de la frustration, parce que c'est chiant, ça
fait chier.
Quand t'es avec tes potes, avec tes parents, tu as
l'impression de pas du tout être sur la même longueur d'onde. Ceux
qui connaissent bien le sujet, ils ont des ordres de grandeurs, des
idées que tout le monde ne connait pas. Donc t'as l'impression de
rabâcher des trucs, t'as l'impression de passer un peu pour le
rabat-joie.
Emotions positives
Tous les engagements que j'ai pris, j'en suis content. Je ne
les vois pas du tout comme des obstacles, des freins, des contraintes. Je les
vois plutôt comme des opportunités de faire des choses
différemment, qui soient à la fois en accord avec tes valeurs, ce
en quoi tu crois, avec les constats scientifiques. Ça procure du
plaisir, de la satisfaction d'être en accord avec ces valeurs. T'as aussi
des opportunités de redécouvrir plein de choses que t'aurais pas
forcément pensé ou fait et qui vont être super et que tu
vas vivre pleinement justement parce que c'est en accord avec tes valeurs.
Autre chose, je trouve que c'est un énorme défi,
et c'est très challengeant. Pouvoir être à la hauteur de ce
défi et pouvoir répondre à certaines
problématiques, c'est hyper stimulant. Moi, ça me stimule. Et
comme c'est stimulant, ça me procure aussi pas mal de bien-être et
de bonheur. J'ai envie qu'on réussisse. Je trouve que c'est aussi une
belle aventure. Et on le voit, quand on est engagés avec des gens qui
sont un peu pareil, il y a des moments où tu te dis on va
révolutionner ça, on va écrire de nouveaux récits,
on va repenser des modes de transports, du coup ça ouvre plein de
nouvelles portes, de nouvelles opportunités et ça j'adore. Par
exemple, dans le domaine du voyage, pour moi le but c'est de rendre le tourisme
durable. Et pas de faire des agences de tourisme durable à
côté du tourisme « normal » ; de rendre le tourisme
durable. Du coup, ça implique tout un tas de choses sur lesquelles il
faut réfléchir en profondeur. Orienter les gens sur ce type de
tourisme, c'est super stimulant et tu peux trouver de nouvelles choses.
Après, c'est aussi positif parce que tu as l'impression
d'être un peu là en précurseur. T'as l'impression
d'ap-porter quelque chose et de faire avancer les choses sur un sujet qui est
hyper important. Il y a une part de fierté, et une satisfaction de
transmettre des savoirs que j'ai sur le sujet que d'autres n'ont pas
forcément.
Optimiste ou pessimiste
Je suis pessimiste dans le modèle actuel et comment on
évolue et ce qui va arriver, on ne pourra pas trop l'éviter.
Assez pessimiste parce que le modèle dans lequel on est tiré par
la consommation, le capitalisme, et je ne vois pas trop comment on peut en
sortir actuellement.
Mais je suis assez optimiste sur le fait que la population
humaine pourra prendre conscience de ces enjeux et avoir un chemin un peu
spirituel et intérieur pour remettre en question le modèle dans
lequel on est, et du coup faire un changement qu'on ne peut pas trop faire
à l'heure actuelle, mais je pense que ça peut arriver. Je ne sais
pas trop comment mais je pense que ça peut arriver, et il y a pas mal de
gens qui travaillent pour que ça arrive. Il y a cette citation qui dit :
« Ne doutez jamais qu'un petit groupe de personnes peuvent changer le
monde. En fait, c'est toujours ainsi que le monde a changé ».
Ça j'y crois.
Vision dans 30 ans
C'est difficile, tu as les images pessimistes mais
peut-être plus réalistes, et tu as les images que t'aimerais
avoir, où tu te dis qu'on aura réussi à effectuer les
changements nécessaires. Je préfère avoir ces
images-là. Ce serait beaucoup plus décentralisé, chacun
profiterait d'un confort réduit mais suffisant. Dans 30 ans, j'ai-merais
bien pouvoir vivre une vie hyper simple. Que tout le monde ait fait ce chemin
intérieur de devoir consommer en respectant l'environnement. Qu'on n'ait
pas besoin de restreindre ou forcer, que ce soit naturel.
113
J'aimerais que tout le monde soit conscient et ait fait un shift.
Pour pouvoir ne pas lutter contre la société, mais faire
ensemble. Mais on n'y est pas encore...
Retour au mémoire
Annexe 9 : Guide d'entretien - Guillaume Martin
Thème
|
Questions
|
Mots clés
|
Profil
|
- Te présenter
- Retracer ton cheminement écologique
- Où tu en es aujourd'hui de ton engagement ?
|
- Blocages / Déclics /Etapes
- quotidien / professionnel / collectif
|
Facteurs clés d'engagement Avenir
Climatique
|
Impact d'AC
|
- est-ce qu'on a une idée des chiffes de personnes
engagées activement à AC ?
- façon dont AC t'a sensibilisé personnellement -
est-ce qu'un travail d'étude d'impact sur les membres a
déjà été réalisé ?
|
Boucle d'engagement
Changement de comportements
|
Connaissances
|
- place de la connaissance dans l'asso
- quelle est la stratégie d'AC pour transmettre la
connaissance de la façon la plus efficace pos- sible ?
- recherche et amélioration continue
|
Pédagogie active
Participativité, proactivité Emulation, stimulant
Echange de savoirs Ex : ACademy, fresque climat
|
Acteur du change- ment, implication
|
Comment AC réussit à impliquer des personnes,
à les faire sentir acteurs au sein de l'asso et acteurs du changement
?
|
Prise d'initiatives Autonomie
Forums ouverts
Monter en compétences
|
Communauté, dé-
sir
|
- comment se traduit pour toi l'idée de commu-
nauté, de famille ?
- en quoi cela permet d'engager les gens plus faci- lement
?
- quelles sont les conditions propices, qui favori- sent
l'aspect familial ?
|
Verres après event
Créer des liens personnels Brises-glace
Sentiment d'appartenance, ef-fet de groupe
Confiance, solidarité
|
Communication / valeurs
|
Comment communiquer de façon à engager ? Quelles
sont les valeurs qui te paraissent impor- tantes à porter par chacun
pour créer une atmos- phère propice à l'engagement ?
|
Signes de paroles Ouverture d'esprit Bienveillance
Ecoute et compréhension
|
Exemplarité
|
Pourquoi penses-tu que c'est important et que ça puisse
engager les gens ? Comment ça se concré- tise au sein de l'asso
?
|
Actions (repas partagés, végé, moins de
déchets...)
Valeurs (solidarité, bienveillance, égalité
H/F...)
|
Emotions
|
Quelle place laissée aux émotions dans l'asso ?
Est-ce que tu penses que ce serait le rôle de l'asso d'accompagner les
émotions et les personnes ? Ou c'est plutôt une démarche
personnelle et qui peut se faire naturellement en tissant des liens ?
|
Eco-psychologie Groupes de paroles Discussions internes
|
Bilan
|
114
Résumé facteurs
|
Est-ce que tu peux résumer tous les facteurs qui
permettent à AC de favoriser des prises de conscience et engagement
écologiques ?
|
|
Facteurs clés
|
Quels sont les facteurs d'engagement qui te pa-raissent les plus
importants ?
|
|
Limites
|
Est-ce que tu vois des limites à tout ça ? pistes
d'amélioration ?
|
Inclusion d'autres milieux On reste dans un entre soi, au niveau
des origines sociales aussi
Des personnes peuvent se bloquer ?
|
Retour au mémoire
Annexe 10 : Synthèse d'entretien - Guillaume
Martin
Guillaume est membre actif d'Avenir Climatique depuis 6 ans.
Il a 27 ans, un bac S et une formation d'ingé-nieur, et travaille dans
le cabinet de conseil B&L Evolution, pour accompagner entreprises et
territoires dans l'intégration des enjeux énergie/climat. Le but
de cet entretien était de comprendre la vision qu'il avait des facteurs
clés d'engagement d'Avenir Climatique. Ce document synthétise les
points les plus importants et utiles qui sont ressortis de cet entretien
vis-à-vis de mon objet d'étude.
Estimation de l'impact d'Avenir Climatique
Il n'y a aucune étude ou indicateur pour essayer de
quantifier la force d'impact d'Avenir Climatique. Guillaume donne les
estimations suivantes :
- Sphère d'influence : entre 10 000 et 100 000
personnes (ayant été un jour touché par une action d'AC) -
Sphère de contributeurs : entre 100 et 1000 personnes (ayant
aidé, contribué ou porté un projet d'AC) - Sphères
de membres actifs : entre 10 et 100 personnes (actives dans les projets de
l'asso)
Très difficile à estimer car de nombreuses
personnes utilisent les outils d'AC sans qu'on le sache.
Une stratégie pour engager des personnes au
sein d'Avenir Climatique
Il y a 3-4 ans, l'association a failli s'arrêter faute
de membres, de moyens et d'énergie. Mais des membres se sont
réunis et ont réfléchi à des façons d'aller
au-delà de la sensibilisation en engageant des personnes. C'est de
là que sont partis les projets de l'UEDAC et de l'ACademy, devenus deux
projets phares de l'association, et les deux projets qui permettent d'engager
des membres et d'augmenter les forces vives de l'association.
Il y a plusieurs exemples de stratégies qui ont
été pensées dans le but de « séduire » et
d'engager des personnes. Par exemple, une grande importance est accordée
aux repas de l'UEDAC et de l'ACademy. Il faut qu'elle soit à la fois en
accord avec les valeurs de l'association (végétarien, bio, local)
pour montrer l'exemple, mais aussi de qualité gustativement, pour
associer cela à quelque chose de positif et le rendre désirable.
Guillaume parle même de manipulation dans cette stratégie
d'engagement, qui pour lui n'est pas un mot négatif. Il s'agit
d'orienter des comportements, des conduites dans le sens qu'on désire et
sans que la personne s'en rende compte, ce qui nous arrive tout le temps au
quotidien, ce qui peut expliquer que le mot soit connoté
négativement. Mais on peut manipuler à des fins utiles et
positives.
La connaissance et l'expertise technique de
l'association
Pour Guillaume, l'objectif clé de l'association est de
donner les clés de compréhension des enjeux
énergie-climat. L'association a été créée
par un groupe d'ingénieur, et a en son coeur la rigueur technique et
scientifique des messages et informations qu'elle porte et transmet.
La compréhension des enjeux énergie-climat est
donc centrale. Le fait de s'axer plus sur le constat que sur les solutions est
volontaire : l'objectif est d'outiller les personnes pour qu'elles soient
à même de prendre elles-
115
mêmes leurs décisions. « Dans la Big Conf,
on ne dit pas ce qu'il faut faire, mais on donne les clés pour que les
personnes comprennent la situation et arrivent aux bonnes conclusions d'action
tous seuls. Autre exemple : pour le bilan carbone, on ne dit pas ce qu'il faut
faire, mais la personne regarde sa situation, où elle en est, et
identifie elle-même les actions qui lui correspondent par rapport
à la marge de manoeuvre qu'elle veut lui donner. »
Convivialité et épanouissement au coeur
de l'association
L'épanouissement de chacun est aussi essentiel. En
effet, un message porté par des personnes épanouies a plus de
résonnance et d'impact. Surtout, le fait que les gens puissent
s'épanouir et s'en rendent compte favorise leur engagement. « En
termes d'identité, Avenir Climatique est vraiment une bande de potes.
Les personnes prennent généralement beaucoup de temps de
façon bénévole. C'est lié certes au message
important qu'ils veulent passer, à la cause noble portée, mais
s'ils le font c'est aussi parce qu'ils se sentent bien avec le reste des
membres. Entre nous, on parle souvent de « communauté » ou de
« famille » en parlant d'AC. La bière ou le verre de la
soirée est aussi dans l'ADN de l'asso : après chaque
événement AC (causerie, ACademy...), les membres vont prendre
ensemble un verre. L'UEDAC aussi est un peu marketée. »
L'exemplarité
Ça relève de chaque individu dans l'association
de véhiculer une certaine exemplarité, de montrer aux personnes
que c'est possible.
Laisser liberté et autonomie aux
personnes
Guillaume voit AC comme « un véhicule qui peut
permettre aux gens de faire des choses autour de l'énergie et du climat
». « La seule chose dont on doit être garant est la justesse du
discours d'un point de vue technique et scientifique, mais il est essentiel que
les personnes se sentent libres de porter des projets de la façon
qu'elles le souhaitent. C'est par exemple pour cela que la conclusion de TBC
reste vague : pour laisser aux personnes la possibilité de la faire
comme ils le souhaitent, de se l'approprier. C'est important que les gens
adaptent même le contenu de la conférence pour se sentir à
l'aise avec. Mettre plus ou moins d'émotions, parler de telle ou telle
chose, parler de soi personnellement, être plutôt pessimiste ou
plutôt optimiste... Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise façon de
la faire, mais une bonne façon de la faire par rapport à toi, par
rapport à ta personnalité, par rapport aussi au moment où
tu en es dans ta vie... ».
Modèle d'organisation horizontal
« Avenir Climatique n'a pas d'organigramme, pas de
bureau, pas de hiérarchie, pas de chef. Il y a des personnes qui sortent
du lot pour gérer les choses, certaines font partie du CADAC.
L'organisation se veut la plus horizontale possible, à la fois pour que
l'association ne repose pas sur 1 ou 2 personnes, mais aussi et surtout pour
que chacun se sente libre et légitime de faire des choses, sans avoir
à rendre de comptes. »
« Il y a des limites à cette organisation, ce
n'est pas facile à mettre en place. On est dans une
société tellement habituée à des rôles
définis, des responsabilités et de la hiérarchie, que
quand on essaie de construire quelque chose d'horizontal et où les
responsabilités sont éclatées, il y a des
difficultés. Ce n'est pas dans notre ADN, c'est un apprentissage qu'il
faut faire. C'est parfois flou sur les responsabilités, ça peut
créer un peu de mal-être pour certaines personnes. »
Guillaume donne un exemple qui l'a marqué. A l'UEDAC il y a un atelier
« présenter AC », et aucun organisateur ne voulait l'animer,
alors qu'ils étaient dans l'association depuis 3-4 ans ; certains ne se
sentaient pas légitimes. C'est aussi quelque chose de personnel,
certaines personnes ne se sentent pas à l'aise avec ce genre d'exercice,
ont besoin d'être préparées. C'est pour cela que
l'association essaie de faire des fiches d'animation, pour que tout le monde
s'y retrouve. Mais il manque encore de la formalisation.
Une place croissante mais encore faible laissée
aux émotions
« Historiquement, AC est une association
d'ingénieurs un peu « froids et renfermés ». Ça
a beaucoup changé dernièrement, avec des personnes qui ont
amené de l'émotion, de la culture, des éléments un
peu moins « rationnels » dans l'asso et dans les projets. »
116
Guillaume explique qu'un de ses ateliers
préférés à l'ACademy est celui des «
sensibilisateurs anonymes », où les participants échangent
sur leurs difficultés à convaincre, à vivre leur
engagement. « C'est en fait un atelier qui a été
complètement improvisé il y a deux ans ; il y avait beaucoup de
discussions, les gens étaient très émotionnels, on a
ressenti le besoin de faire ça. Et depuis, c'est resté !
»
Selon lui, l'approche des émotions et l'approche plus
technique et rationnelle ne touchent pas les mêmes personnes, elles sont
complémentaires et non opposables.
Mais de façon générale, dans les projets
de l'association, il y a peu de choses qui s'éloignent du rationnel.
Pour Guillaume, le côté rationnel et technique doit rester le
coeur de l'asso ; il ne faudrait pas perdre l'expertise et la capacité
technique d'AC qui fait son identité.
Ouverture d'esprit
« Je ne pense pas qu'on soit assez ouverts d'esprit
à AC. Sous couvert de bienveillance, il y a des moments où ce
n'est pas le cas. » Guillaume se rappelle un moment marquant du WE3 pour
illustrer ses propos. Lors de l'atelier des sensibilisateurs anonyme, où
chacun pouvait exprimer ses difficultés au quotidien, une personne
parlait de sa difficulté à cuisiner elle-même par manque de
temps. Elle a alors évoqué l'idée de faire payer quelqu'un
pour faire ses courses ou sa cuisine. « Elle s'est pris un mur dans la
gueule, avec beaucoup de pression sociale, des gens presque agressifs sans s'en
rendre compte. Donc j'ai l'impression qu'on n'est parfois pas si ouverts que
ça ».
« Il y a aussi des personnes qui m'ont déjà
fait remonter des choses. Notamment des gens qui ne viennent pas du même
milieu social ou culturel, et qui ont du mal à s'intégrer au sein
d'AC, et qui d'ailleurs ne se sont pas intégrés au sein d'AC. Par
exemple, au WE1, il est arrivé que des personnes soient venues voir les
organisateurs pour savoir s'ils pouvaient aller acheter un sandwich car ils
avaient envie de viande. Et ces personnes ne sont pas revenues au week-end
suivant. On a toujours des pertes de charge. »
« L'association se veut apartisane, mais les individus
sont ancrés politiquement d'un certain côté du
débat, ce qui peut bloquer des personnes. Il faut que des gens incarnent
cette ouverture d'esprit dans la parole. De la même façon qu'il y
a des gens de l'association qui incarnent le féminisme. Il y a eu aussi
un moment où des personnes se sont posé des questions sur tout ce
qui est distribution de la parole, comment incarner ça. Car ce n'est pas
parce qu'on a appris 3 gestes qu'on sait faire de la communication non
violente. Il faut former des gens, aller chercher des expertises, s'inspirer
d'autres organisations... »
« On fait au mieux, mais il ne faut pas se gargariser de
ça car c'est loin d'être le cas. Nous ne sommes pas exemplaires,
et il y a des effets culturels qu'on ne maîtrise pas. Dans la plupart des
cas il n'y a pas de problème, mais cela peut arriver, et c'est important
de garder un regard critique ».
Biais de représentation
Guillaume parle aussi d'un biais de représentation
très important lié aux catégories socio-professionnelles
des membres.
Par exemple, le carbone à ras ne peut pas être
animé dans un milieu social difficile. Il y a des vignettes avec
350€ de matériel informatique, avec des voyages en avion... Ce qui
est loin de la réalité de beaucoup de personnes. « On a
quand même ancré tous nos outils pour un certain milieu, ce qui
n'est pas une mauvaise chose en soi, mais il faut en avoir conscience et ne pas
se sentir universel ».
Le coeur de cible d'AC reste les étudiants du
supérieur qui sont entre les études et la vie professionnelle.
Pour Guillaume, si AC veut toucher d'autres publics, il faudra qu'elle le fasse
avec d'autres organisations.
Il explique que c'est tout de même bien de tester des
choses avec AC, mais il le voit plus comme une façon d'augmenter
l'apprentissage des membres : en se confrontant à des publics
différents, ils peuvent aussi évoluer et s'enrichir. Mais pour
lui, ce n'est pas AC qui maximisera l'impact sur des catégories sociales
inférieures. « Ce n'est pas dans notre identité, et c'est
tout un métier. Il faudrait le faire avec d'autres assos qui ont cette
expertise et ce savoir-faire. Travailler avec d'autres assos pour adapter nos
outils, avec leur expertise, oui. Mais transformer AC, non. » Chacun peut
aussi, au sein de l'asso, adapter les outils en fonction du public, ce qui est
déjà fait.
117
Un impact surtout pour les membres
« Dans tout projet associatif, on est convaincu d'avoir
un réel impact, c'est ça qui fait avancer. Quand on fait une Big
Conf, on est souvent convaincu d'avoir un vrai impact sur les personnes
extérieures. Or le vrai impact, c'est surtout sur ceux qui font la conf.
L'impact des projets est finalement faible, mais l'impact sur les individus qui
les portent est considérable. Pendant toute leur vie ils auront ce
marquage. »
Retour au mémoire Questionnaire
Annexe 11 : Méthodologie de la répartition des
groupes Retour au mémoire
Question
|
Possibilités de
ré- ponses
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
Quel est selon toi le degré de gravité des crises
so- cio-écologiques ?
|
1 à 10
|
En dessous de 6
|
7 et 8
|
9 et 10
|
Que penses-tu du déve- loppement durable ?
|
Réponse libre
|
Avis négatif
|
Avis très positif
|
Avis positif sur le principe, critique dans la
réalité
|
Penses-tu avoir personnellement un rôle à jouer pour
faire face aux crises socio-écologiques ?
|
Réponse libre
|
Non
|
Oui mais mi- nime
|
Oui
|
Moyenne niveau de prise de conscience
|
Note de 1 à 3
|
Pour chaque type d'enga- gement, indique à quel
degré tu penses te situer
|
Pas engagé / peu en- gagé / engagé /
très en- gagé / engagé à fond
|
Pas engagé
|
Peu engagé
|
Très engagé et engagé à fond
|
Engagement profession- nel
|
idem
|
Pas engagé
|
Peu engagé
|
Très engagé et engagé à fond
|
Engagement associatif
|
idem
|
Pas engagé
|
Peu engagé
|
Très engagé et engagé à fond
|
Engagement militant
|
idem
|
Pas engagé
|
Peu engagé
|
Très engagé et engagé à fond
|
Moyenne niveau d'enga-gement
|
Note de 1 à 3
|
TOTAL
|
Moyenne niveau de prise de conscience +
en- gagement
|
2 personnes
|
80 personnes
|
105 personnes
|
Annexe 12 : Profil des répondants Retour au
mémoire
118
119
Retour au mémoire
Annexe 13 : Réponses - Conscience et
connaissance des enjeux
Quel est selon toi le degré de gravité des
crises socio-écologiques que nous traversons ?
|
Global
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
Moyenne
|
9,07/10
|
3,5/10
|
8,56/10
|
9,56/10
|
Pour chaque hypothèse, indique le degré de
probabilité que tu y accordes
Nous allons réussir à mettre en oeuvre
une transition écologique et solidaire
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
Improbable ou peu probable
|
62%
|
|
50%
|
|
58%
|
67%
|
Improbable
|
|
14% (26)
|
|
50%
|
13% (10)
|
15% (15)
|
Peu probable
|
|
48% (90)
|
|
|
45% (35)
|
52% (54)
|
Probable, très probable ou cer- tain
|
38%
|
|
50%
|
|
42%
|
33%
|
Probable
|
|
34% (63)
|
|
50%
|
36% (28)
|
32% (33)
|
Très probable
|
|
3% (6)
|
|
|
6% (5)
|
0% (0)
|
Certain
|
|
1% (1)
|
|
|
0% (0)
|
1% (1)
|
Nous allons développer des innovations
technologiques qui permettront de faire face aux changements
climatiques
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
Improbable ou peu probable
|
57%
|
|
0%
|
|
39%
|
74%
|
Improbable
|
|
26% (49)
|
|
|
18% (14)
|
34% (35)
|
Peu probable
|
|
31% (57)
|
|
|
21% (16)
|
40% (41)
|
Probable, très probable ou cer- tain
|
40%
|
|
100%
|
|
61%
|
26%
|
Probable
|
|
30% (55)
|
|
50%
|
40% (31)
|
21% (22)
|
Très probable
|
|
10% (19)
|
|
|
17% (13)
|
4% (4)
|
Certain
|
|
3% (5)
|
|
50%
|
4% (3)
|
1% (1)
|
Nos civilisations vont s'effondrer dans les
décennies à venir
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
|
Improbable ou peu probable
|
18%
|
|
100%
|
|
33%
|
6%
|
|
Improbable
|
|
3% (6)
|
|
50%
|
5% (4)
|
|
1% (1)
|
Peu probable
|
|
15% (28)
|
|
50%
|
28% (22)
|
|
5% (5)
|
120
Probable, très probable ou cer-tain
|
82%
|
|
|
0%
|
67%
|
|
95%
|
|
|
Probable
|
|
41%
|
(76)
|
|
|
42% (33)
|
|
42%
|
(43)
|
Très probable
|
|
28%
|
(51)
|
|
|
16% (13)
|
|
36%
|
(37)
|
Certain
|
|
13%
|
(24)
|
|
|
9% (7)
|
|
17%
|
(17)
|
Il va y avoir une mobilisation et une révolution
sans précédent de la société civile qui permettront
de mettre en place des changements radi-
caux
|
|
Global
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
Improbable ou peu probable
|
42%
|
|
50%
|
|
48%
|
38%
|
Improbable
|
|
8% (14)
|
|
50%
|
10% (8)
|
5% (5)
|
Peu probable
|
|
34% (63)
|
|
|
38% (29)
|
33% (34)
|
Probable, très probable ou cer- tain
|
59%
|
|
50%
|
|
52%
|
62%
|
Probable
|
|
35% (64)
|
|
|
30% (23)
|
39% (40)
|
Très probable
|
|
19% (35)
|
|
|
16% (12)
|
19% (20)
|
Certain
|
|
5% (9)
|
|
50%
|
6% (5)
|
4% (4)
|
Pour chaque type d'acteur, quelle confiance leur
accordes-tu pour faire changer les choses ?
Instances institutionnelles (échelle
internationale)
|
|
|
|
|
|
Global
|
|
|
Groupe
|
1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu confiance
|
84%
|
|
|
100%
|
|
|
76%
|
|
|
89%
|
|
|
Pas du tout confiance
|
|
35%
|
(65)
|
|
50%
|
(1)
|
|
30%
|
(24)
|
|
38%
|
(40)
|
Plutôt pas confiance
|
|
49%
|
(91)
|
|
50%
|
(1)
|
|
46%
|
(37)
|
|
50%
|
(53)
|
Confiance ou grande confiance
|
15%
|
|
|
0%
|
|
|
22%
|
|
|
10%
|
|
|
Plutôt confiance
|
|
13%
|
(25)
|
|
0%
|
(0)
|
|
18%
|
(14)
|
|
10%
|
(11)
|
Grande confiance
|
|
2% (3)
|
|
0%
|
(0)
|
|
4% (3)
|
|
0% (0)
|
Je ne sais pas
|
1%
|
|
|
0%
|
|
|
2%
|
|
|
1%
|
|
|
Instances institutionnelles (échelle
européenne)
|
|
|
|
|
|
Global
|
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu confiance
|
74%
|
|
|
50%
|
|
|
64%
|
|
|
82%
|
|
|
Pas du tout confiance
|
|
27%
|
(51)
|
|
50%
|
(1)
|
|
23%
|
(18)
|
|
30%
|
(32)
|
Plutôt pas confiance
|
|
47%
|
(87)
|
|
0%
|
(0)
|
|
41%
|
(33)
|
|
51%
|
(54)
|
Confiance ou grande confiance
|
25%
|
|
|
50%
|
|
|
35%
|
|
|
17%
|
|
|
Plutôt confiance
|
|
25%
|
(47)
|
|
50%
|
(1)
|
|
35%
|
(28)
|
|
17%
|
(18)
|
Grande confiance
|
|
0% (0)
|
|
0%
|
(0)
|
|
0% (0)
|
|
0% (0)
|
Je ne sais pas
|
1%
|
|
|
0%
|
|
|
1%
|
|
|
1%
|
|
|
Instances institutionnelles (échelle
nationale)
|
|
|
|
|
|
Global
|
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu confiance
|
75%
|
|
|
50%
|
|
|
64%
|
|
|
85%
|
|
|
Pas du tout confiance
|
|
28%
|
(52)
|
|
50%
|
(1)
|
|
30%
|
(24)
|
|
26%
|
(27)
|
Plutôt pas confiance
|
|
47%
|
(89)
|
|
0%
|
(0)
|
|
34%
|
(27)
|
|
59%
|
(62)
|
Confiance ou grande confiance
|
25%
|
|
|
0%
|
|
|
35%
|
|
|
15%
|
|
|
Plutôt confiance
|
|
24%
|
(44)
|
|
50%
|
(1)
|
|
35%
|
(28)
|
|
14%
|
(15)
|
|
Grande confiance
|
|
1% (1)
|
|
0%
|
(0)
|
|
0% (0)
|
|
1% (1)
|
Je ne sais pas
|
0%
|
|
|
0%
|
|
|
1%
|
|
|
0%
|
|
|
Instances institutionnelles (échelle
locale)
|
|
|
|
|
|
Global
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu confiance
|
28%
|
50%
|
|
|
33%
|
|
|
25%
|
|
|
Pas du tout confiance
|
5% (10)
|
|
0%
|
(0)
|
|
5%
|
(4)
|
|
6%
|
(6)
|
Plutôt pas confiance
|
23% (43)
|
|
50%
|
(1)
|
|
28%
|
(22)
|
|
19%
|
(20)
|
Confiance ou grande confiance
|
69%
|
50%
|
|
|
67%
|
|
|
72%
|
|
|
Plutôt confiance
|
54% (101)
|
|
50%
|
(1)
|
|
48%
|
(38)
|
|
59%
|
(62)
|
Grande confiance
|
15% (29)
|
|
0%
|
(0)
|
|
19%
|
(15)
|
|
13%
|
(14)
|
Je ne sais pas
|
3%
|
0%
|
|
|
1%
|
|
|
3%
|
|
|
Entreprises (multinationales)
|
|
|
|
|
Global
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu confiance
|
88%
|
100%
|
|
82%
|
|
94%
|
|
Pas du tout confiance
|
63% (118)
|
0%
|
(0)
|
49%
|
(39)
|
75%
|
(79)
|
Plutôt pas confiance
|
25% (46)
|
100%
|
(0)
|
33%
|
(26)
|
19%
|
(20)
|
121
Confiance ou grande confiance
|
11%
|
|
0%
|
|
16%
|
|
6%
|
|
Plutôt confiance
|
|
10% (18)
|
|
0% (0)
|
|
15% (12)
|
|
6% (6)
|
Grande confiance
|
|
1% (1)
|
|
0% (0)
|
|
1% (1)
|
|
0% (0)
|
Je ne sais pas
|
1%
|
|
0%
|
|
2%
|
|
0%
|
|
|
Entreprises (petites et moyennes)
|
|
|
|
|
|
|
Global
|
|
|
Groupe
|
1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu confiance
|
56%
|
|
|
0%
|
|
|
59%
|
|
|
56%
|
|
|
Pas du tout confiance
|
|
12%
|
(23)
|
|
0%
|
(0)
|
|
16%
|
(13)
|
|
10%
|
(10)
|
Plutôt pas confiance
|
|
44%
|
(83)
|
|
0%
|
(0)
|
|
43%
|
(34)
|
|
47%
|
(49)
|
Confiance ou grande confiance
|
43%
|
|
|
100%
|
|
|
41%
|
|
|
43%
|
|
|
Plutôt confiance
|
|
36%
|
(68)
|
|
50%
|
(1)
|
|
35%
|
(28)
|
|
37%
|
(39)
|
Grande confiance
|
|
7%
|
(12)
|
|
50%
|
(1)
|
|
6% (5)
|
|
6% (6)
|
Je ne sais pas
|
1%
|
|
|
0%
|
|
|
0%
|
|
|
1%
|
|
|
|
|
Entreprises (start-ups)
|
|
|
|
|
|
|
|
Global
|
|
|
Groupe
|
1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu confiance
|
50%
|
|
|
100%
|
|
|
37%
|
|
|
61%
|
|
|
Pas du tout confiance
|
|
19%
|
(36)
|
|
50%
|
(0)
|
|
18%
|
(14)
|
|
21%
|
(22)
|
Plutôt pas confiance
|
|
31%
|
(57)
|
|
50%
|
(0)
|
|
19%
|
(15)
|
|
40%
|
(42)
|
Confiance ou grande confiance
|
45%
|
|
|
0%
|
|
|
61%
|
|
|
35%
|
|
|
Plutôt confiance
|
|
36%
|
(68)
|
|
0%
|
(0)
|
|
43%
|
(34)
|
|
32%
|
(34)
|
Grande confiance
|
|
9%
|
(17)
|
|
0%
|
(0)
|
|
18%
|
(14)
|
|
3% (3)
|
Je ne sais pas
|
5%
|
|
|
0%
|
|
|
3%
|
|
|
4%
|
|
|
Recherche et développement (innovations
technologiques)
|
|
|
|
|
|
Global
|
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu confiance
|
42%
|
|
|
0%
|
|
|
28%
|
|
|
54%
|
|
|
Pas du tout confiance
|
|
16%
|
(31)
|
|
0%
|
(0)
|
|
13%
|
(10)
|
|
20%
|
(21)
|
Plutôt pas confiance
|
|
26%
|
(48)
|
|
0%
|
(0)
|
|
15%
|
(12)
|
|
34%
|
(36)
|
Confiance ou grande confiance
|
56%
|
|
|
100%
|
|
|
70%
|
|
|
44%
|
|
|
Plutôt confiance
|
|
41%
|
(76)
|
|
100%
|
(2)
|
|
46%
|
(37)
|
|
35%
|
(37)
|
Grande confiance
|
|
15%
|
(28)
|
|
0%
|
(0)
|
|
24%
|
(19)
|
|
9% (9)
|
Je ne sais pas
|
2%
|
|
|
0%
|
|
|
2%
|
|
|
2%
|
|
|
Associations (lobbying, sensibilisation,
protection...)
|
|
|
|
|
Global
|
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
Pas ou peu confiance
|
24%
|
|
|
50%
|
|
|
31%
|
|
|
15%
|
|
Pas du tout confiance
|
|
9%
|
(17)
|
|
50%
|
(1)
|
|
11%
|
(9)
|
|
7% (7)
|
Plutôt pas confiance
|
|
15%
|
(28)
|
|
0%
|
(0)
|
|
20%
|
(16)
|
|
9% (9)
|
Confiance ou grande confiance
|
73%
|
|
|
50%
|
|
|
65%
|
|
|
80%
|
|
Plutôt confiance
|
|
47%
|
(88)
|
|
50%
|
(1)
|
|
46%
|
(37)
|
|
48% (50)
|
Grande confiance
|
|
26%
|
(49)
|
|
0%
|
(0)
|
|
19%
|
(15)
|
|
32% (34)
|
Je ne sais pas
|
3%
|
|
|
0%
|
|
|
4%
|
|
|
5%
|
|
Société civile (actions militantes :
boycotts, désobéissances civile...)
|
|
|
|
|
Global
|
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
Pas ou peu confiance
|
14%
|
|
|
100%
|
|
|
21%
|
|
|
7%
|
|
Pas du tout confiance
|
|
4%
|
(8)
|
|
100%
|
(2)
|
|
5%
|
(4)
|
|
2% (2)
|
Plutôt pas confiance
|
|
10%
|
(18)
|
|
0%
|
(0)
|
|
16%
|
(13)
|
|
5% (5)
|
Confiance ou grande confiance
|
79%
|
|
|
0%
|
|
|
73%
|
|
|
85%
|
|
Plutôt confiance
|
|
34%
|
(63)
|
|
0%
|
(0)
|
|
40%
|
(32)
|
|
30% (31)
|
Grande confiance
|
|
45%
|
(84)
|
|
0%
|
(0)
|
|
33%
|
(26)
|
|
55% (58)
|
Je ne sais pas
|
7%
|
|
|
0%
|
|
|
6%
|
|
|
9%
|
|
Individu (éco-gestes : tri, conso
d'énergie, d'eau...)
|
|
|
|
|
|
Global
|
|
|
Groupe
|
1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu confiance
|
26%
|
|
|
0%
|
|
|
22%
|
|
|
30%
|
|
|
Pas du tout confiance
|
|
6%
|
(11)
|
|
0%
|
(0)
|
|
4%
|
(3)
|
|
8%
|
(8)
|
Plutôt pas confiance
|
|
20%
|
(37)
|
|
0%
|
(0)
|
|
18%
|
(14)
|
|
22%
|
(23)
|
Confiance ou grande confiance
|
71%
|
|
|
100%
|
|
|
76%
|
|
|
68%
|
|
|
Plutôt confiance
|
|
46%
|
(86)
|
|
50%
|
(1)
|
|
46%
|
(37)
|
|
46%
|
(48)
|
Grande confiance
|
|
25%
|
(47)
|
|
50%
|
(1)
|
|
30%
|
(24)
|
|
22%
|
(23)
|
|
Je ne sais pas
|
3%
|
|
|
0%
|
|
|
2%
|
|
|
3%
|
|
|
Individu (choix de consommation : consommer moins et
mieux)
Global
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
122
Pas ou peu confiance
|
24%
|
|
|
0%
|
|
|
24%
|
|
|
24%
|
|
|
Pas du tout confiance
|
|
4%
|
(7)
|
|
0%
|
(0)
|
|
3%
|
(2)
|
|
5%
|
(5)
|
Plutôt pas confiance
|
|
20%
|
(37)
|
|
0%
|
(0)
|
|
21%
|
(17)
|
|
19%
|
(20)
|
Confiance ou grande confiance
|
72%
|
|
|
50%
|
|
|
71%
|
|
|
73%
|
|
|
Plutôt confiance
|
|
44%
|
(83)
|
|
0%
|
(0)
|
|
45%
|
(36)
|
|
45%
|
(47)
|
Grande confiance
|
|
28%
|
(52)
|
|
50%
|
(1)
|
|
26%
|
(21)
|
|
29%
|
(30)
|
Je ne sais pas
|
4%
|
|
|
50%
|
|
|
5%
|
|
|
3%
|
|
|
Individu (philosophie de vie et changement de
mentalités)
|
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu confiance
|
27%
|
|
0%
|
|
30%
|
|
26%
|
|
|
Pas du tout confiance
|
|
5% (9)
|
|
0% (0)
|
|
6% (5)
|
|
4%
|
(4)
|
Plutôt pas confiance
|
|
22% (42)
|
|
0% (0)
|
|
24% (19)
|
|
22%
|
(23)
|
Confiance ou grande confiance
|
60%
|
|
0%
|
|
66%
|
|
67%
|
|
|
Plutôt confiance
|
|
36% (68)
|
|
0% (0)
|
|
43% (34)
|
|
32%
|
(34)
|
Grande confiance
|
|
24% (44)
|
|
0% (0)
|
|
23% (18)
|
|
34%
|
(36)
|
Je ne sais pas
|
13%
|
|
100%
|
|
5%
|
|
8%
|
|
|
Parmi les mouvements politiques suivants, lequel se
rapproche le plus de tes convictions ?
|
Global
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
Urgence Ecologie
|
24%
|
0%
|
15%
|
30%
|
Europe Ecologie les Verts
|
22%
|
0%
|
25%
|
21%
|
La France Insoumise
|
11%
|
0%
|
4%
|
16%
|
La République en Marche
|
9%
|
0%
|
19%
|
2%
|
Le parti socialiste
|
3%
|
|
4%
|
3%
|
Autre parti
|
2%
|
|
3%
|
10%
|
Aucun / Ne sait pas
|
19%
|
100%
|
30%
|
18%
|
Penses-tu avoir personnellement un rôle à
jouer pour faire face aux crises socio-écologiques ?
|
Global
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
Oui
|
79%
|
0%
|
75%
|
83%
|
Oui mais minime
|
18%
|
50%
|
20%
|
15%
|
Non
|
4%
|
50%
|
5%
|
2%
|
Retour au mémoire
Annexe 14 : Réponses - Niveau d'engagement
Pour chaque type d'engagement, indique à quel
degré tu penses te situer
Au quotidien
|
|
|
Global
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
6%
|
|
11%
|
1%
|
|
Pas engagé
|
0% (0)
|
|
0% (0)
|
|
0% (0)
|
Peu engagé
|
6% (12)
|
|
14% (11)
|
|
1% (1)
|
Engagé
|
38%
|
100%
|
56%
|
22%
|
|
Très engagé
|
56%
|
|
31%
|
77%
|
|
Très engagé
|
41% (77)
|
|
23% (18)
|
|
56% (59)
|
Engagé à fond
|
15% (28)
|
|
8% (6)
|
|
21% (22)
|
|
Métier ou études
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
29%
|
|
50%
|
|
44%
|
|
18%
|
|
Pas engagé
|
|
5% (10)
|
|
|
|
10% (8)
|
|
2% (2)
|
Peu engagé
|
|
24% (44)
|
|
50% (1)
|
|
34% (27)
|
|
16% (17)
|
Engagé
|
28%
|
|
50%
|
|
34%
|
|
24%
|
|
Très engagé
|
43%
|
|
0%
|
|
23%
|
|
58%
|
|
Très engagé
|
|
26% (48)
|
|
|
|
15% (12)
|
|
34% (36)
|
Engagé à fond
|
|
17% (31)
|
|
|
|
8% (6)
|
|
24% (25)
|
123
|
Associatif
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
52%
|
|
100%
|
|
74%
|
|
34%
|
|
Pas engagé
|
|
28% (53)
|
|
100% (2)
|
|
52% (42)
|
|
9% (9)
|
Peu engagé
|
|
24% (44)
|
|
|
|
22% (18)
|
|
25% (26)
|
Engagé
|
23%
|
|
0%
|
|
21%
|
|
25%
|
|
Très engagé
|
25%
|
|
0%
|
|
4%
|
|
42%
|
|
Très engagé.e
|
|
15% (29)
|
|
|
|
4% (3)
|
|
25% (26)
|
Engagé.e à fond
|
|
10% (18)
|
|
|
|
0% (0)
|
|
17% (18)
|
|
Militant / Collectif
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
59%
|
|
100%
|
|
90%
|
|
34%
|
|
Pas engagé
|
|
26% (48)
|
|
100% (2)
|
|
54% (43)
|
|
3% (3)
|
Peu engagé
|
|
33% (62)
|
|
|
|
36% (29)
|
|
31% (33)
|
Engagé
|
24%
|
|
|
|
10%
|
|
35%
|
|
Très engagé
|
17%
|
|
|
|
0%
|
|
30%
|
|
Très engagé
|
|
11% (21)
|
|
|
|
0% (0)
|
|
20% (21)
|
Engagé à fond
|
|
6% (31)
|
|
|
|
0% (0)
|
|
10% (11)
|
Mode de vie : pour chaque action ou forme d'engagement,
indique à quel degré tu penses te situer
|
Trier mes déchets
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
6%
|
|
|
|
9%
|
|
3%
|
|
Pas engagé
|
|
1%
|
|
|
|
0%
|
|
1%
|
Peu engagé
|
|
5%
|
|
|
|
9%
|
|
2%
|
Engagé
|
24%
|
|
50%
|
|
31%
|
|
19%
|
|
Très engagé
|
70%
|
|
50%
|
|
60%
|
|
78%
|
|
Très engagé
|
|
30%
|
|
|
|
30%
|
|
30%
|
Engagé à fond
|
|
40%
|
|
50%
|
|
30%
|
|
48%
|
|
Réduire mes déchets
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
7%
|
|
|
|
14%
|
|
2%
|
|
Pas engagé
|
|
1%
|
|
|
|
0%
|
|
1%
|
Peu engagé
|
|
6%
|
|
|
|
14%
|
|
1%
|
Engagé
|
34%
|
|
50%
|
|
44%
|
|
27%
|
|
Très engagé
|
59%
|
|
|
|
42%
|
|
71%
|
|
Très engagé
|
|
35%
|
|
|
|
29%
|
|
40%
|
Engagé à fond
|
|
24%
|
|
50%
|
|
13%
|
|
31%
|
|
Réduire ma consommation de viande
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
9%
|
|
|
|
19%
|
|
1%
|
|
Pas engagé
|
|
3%
|
|
50%
|
|
6%
|
|
0% (0)
|
Peu engagé
|
|
6%
|
|
|
|
13%
|
|
1% (1)
|
Engagé
|
31%
|
|
50%
|
|
38%
|
|
22%
|
|
Très engagé
|
60%
|
|
|
|
44%
|
|
77%
|
|
Très engagé
|
|
33%
|
|
|
|
35%
|
|
56% (59)
|
Engagé à fond
|
|
27%
|
|
|
|
9%
|
|
21% (22)
|
Consommer mieux (alimentaire : bio, local, de
saison)
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
9%
|
|
|
16%
|
|
2%
|
|
Pas engagé
|
|
1%
|
50%
|
|
0%
|
|
0%
|
Peu engagé
|
|
8%
|
|
|
16%
|
|
2%
|
Engagé
|
20%
|
|
50%
|
25%
|
|
26%
|
|
Très engagé
|
71%
|
|
|
59%
|
|
72%
|
|
Très engagé
|
|
37%
|
|
|
41%
|
|
31%
|
Engagé à fond
|
|
34%
|
|
|
18%
|
|
41%
|
|
Consommer mieux (biens de consommation)
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
9%
|
|
50%
|
16%
|
|
2%
|
|
Pas engagé
|
|
1%
|
|
|
0%
|
|
0%
|
Peu engagé
|
|
8%
|
|
|
16%
|
|
2%
|
124
Engagé
|
|
30%
|
|
50%
|
42%
|
|
16%
|
|
Très engagé
|
|
61%
|
|
|
42%
|
|
82%
|
|
|
Très engagé
|
|
35% (77)
|
|
|
28%
|
|
34%
|
|
Engagé à fond
|
|
26% (28)
|
|
|
14%
|
|
48%
|
|
Consommer moins (biens de consommation)
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
12%
|
|
|
19%
|
|
2%
|
|
Pas engagé
|
|
1%
|
|
|
0%
|
|
0%
|
Peu engagé
|
|
11%
|
|
|
19%
|
|
2%
|
Engagé
|
26%
|
|
100%
|
40%
|
|
21%
|
|
Très engagé
|
62%
|
|
|
41%
|
|
77%
|
|
Très engagé
|
|
32%
|
|
|
26%
|
|
42%
|
Engagé à fond
|
|
30%
|
|
|
15%
|
|
35%
|
Privilégier les mobilités douces au
quotidien (transports en commun, vélo, marche...)
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
16%
|
|
|
|
23%
|
|
10%
|
|
Pas engagé
|
|
4%
|
|
|
|
9%
|
|
0%
|
Peu engagé
|
|
12%
|
|
50%
|
|
14%
|
|
10%
|
Engagé
|
25%
|
|
50%
|
|
25%
|
|
24%
|
|
Très engagé
|
59%
|
|
|
|
52%
|
|
66%
|
|
Très engagé
|
|
26%
|
|
|
|
26%
|
|
27%
|
Engagé à fond
|
|
33%
|
|
|
|
26%
|
|
39%
|
|
Limiter mes trajets en avion
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
25%
|
|
|
43%
|
|
11%
|
|
Pas engagé
|
|
6%
|
|
|
15%
|
|
0%
|
Peu engagé
|
|
19%
|
100%
|
|
28%
|
|
11%
|
Engagé
|
19%
|
|
|
18%
|
|
21%
|
|
Très engagé
|
55%
|
|
|
40%
|
|
68%
|
|
Très engagé
|
|
20%
|
|
|
19%
|
|
22%
|
Engagé à fond
|
|
35%
|
|
|
21%
|
|
46%
|
|
Limiter mon impact numérique
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu engagé
|
55%
|
|
|
|
69%
|
|
46%
|
|
Pas engagé
|
|
13%
|
|
50%
|
|
23%
|
|
6%
|
Peu engagé
|
|
42%
|
|
|
|
46%
|
|
40%
|
Engagé
|
33%
|
|
50%
|
|
23%
|
|
40%
|
|
Très engagé
|
12%
|
|
|
|
9%
|
|
14%
|
|
Très engagé
|
|
10%
|
|
|
|
9%
|
|
10%
|
Engagé à fond
|
|
2%
|
|
|
|
0%
|
|
4%
|
Retour au mémoire
Annexe 15 : Réponses - Blocages et leviers
d'engagement
Pour chaque proposition, indique le degré
d'influence sur ta prise de conscience et ton engagement
écologiques
|
Manque de connaissance des enjeux
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
61%
|
|
100%
|
|
66%
|
|
56%
|
|
Pas d'influence
|
|
33%
|
|
50%
|
|
33%
|
|
32%
|
Peu d'influence
|
|
28%
|
|
50%
|
|
33%
|
|
24%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
39%
|
|
0%
|
|
36%
|
|
43%
|
|
Influence
|
|
20%
|
|
|
|
19%
|
|
22%
|
Grande influence
|
|
12%
|
|
|
|
13%
|
|
11%
|
Très grande influence
|
|
7%
|
|
|
|
4%
|
|
10%
|
Manque de temps
Global
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
125
Pas ou peu d'influence
|
28%
|
|
100%
|
|
24%
|
|
31%
|
|
Pas d'influence
|
|
10%
|
|
50%
|
|
10%
|
|
10%
|
Peu d'influence
|
|
18%
|
|
50%
|
|
14%
|
|
21%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
72%
|
|
0%
|
|
76%
|
|
69%
|
|
Influence
|
|
33%
|
|
|
|
36%
|
|
30%
|
Grande influence
|
|
29%
|
|
|
|
29%
|
|
30%
|
Très grande influence
|
|
10%
|
|
|
|
11%
|
|
9%
|
|
Manque de moyens d'action
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
35%
|
|
100%
|
|
27%
|
|
39%
|
|
Pas d'influence
|
|
11%
|
|
50%
|
|
10%
|
|
10%
|
Peu d'influence
|
|
24%
|
|
50%
|
|
17%
|
|
29%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
65%
|
|
0%
|
|
73%
|
|
61%
|
|
Influence
|
|
39%
|
|
|
|
42%
|
|
36%
|
Grande influence
|
|
20%
|
|
|
|
23%
|
|
19%
|
Très grande influence
|
|
6%
|
|
|
|
8%
|
|
6%
|
|
Habitudes, difficultés à
changer
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
41%
|
|
100%
|
|
38%
|
|
43%
|
|
Pas d'influence
|
|
14%
|
|
50%
|
|
14%
|
|
13%
|
Peu d'influence
|
|
27%
|
|
50%
|
|
24%
|
|
30%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
59%
|
|
0%
|
|
62%
|
|
57%
|
|
Influence
|
|
36%
|
|
|
|
31%
|
|
40%
|
Grande influence
|
|
17%
|
|
|
|
23%
|
|
12%
|
Très grande influence
|
|
6%
|
|
|
|
9%
|
|
5%
|
|
Raisons financières
|
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
60%
|
|
100%
|
|
60%
|
|
59%
|
|
Pas d'influence
|
|
30%
|
|
100%
|
|
31%
|
|
28%
|
Peu d'influence
|
|
30%
|
|
|
|
29%
|
|
31%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
40%
|
|
0%
|
|
40%
|
|
41%
|
|
Influence
|
|
24%
|
|
|
|
18%
|
|
28%
|
Grande influence
|
|
11%
|
|
|
|
14%
|
|
10%
|
Très grande influence
|
|
5%
|
|
|
|
8%
|
|
3%
|
Sentiment de ne pas pouvoir changer
grand-chose
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
53%
|
|
50%
|
|
48%
|
|
57%
|
|
Pas d'influence
|
|
20%
|
|
|
|
19%
|
|
22%
|
Peu d'influence
|
|
33%
|
|
50%
|
|
29%
|
|
35%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
47%
|
|
50%
|
|
52%
|
|
43%
|
|
Influence
|
|
23%
|
|
|
|
25%
|
|
23%
|
Grande influence
|
|
19%
|
|
|
|
20%
|
|
18%
|
Très grande influence
|
|
5%
|
|
50%
|
|
7%
|
|
2%
|
Cela me semble trop contraignant de
m'impliquer
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
68%
|
|
100%
|
|
62%
|
|
70%
|
|
Pas d'influence
|
|
35%
|
|
100%
|
|
26%
|
|
40%
|
Peu d'influence
|
|
33%
|
|
|
|
36%
|
|
30%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
32%
|
|
0%
|
|
38%
|
|
30%
|
|
Influence
|
|
22%
|
|
|
|
29%
|
|
17%
|
Grande influence
|
|
8%
|
|
|
|
6%
|
|
10%
|
Très grande influence
|
|
2%
|
|
|
|
3%
|
|
3%
|
Le système dans lequel on évolue ne
m'incite pas à prendre conscience et à m'engager
126
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
68%
|
|
100%
|
|
60%
|
|
75%
|
|
Pas d'influence
|
|
45%
|
|
100%
|
|
40%
|
|
49%
|
Peu d'influence
|
|
23%
|
|
|
|
20%
|
|
26%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
32%
|
|
0%
|
|
40%
|
|
25%
|
|
Influence
|
|
11%
|
|
|
|
11%
|
|
10%
|
Grande influence
|
|
18%
|
|
|
|
26%
|
|
11%
|
Très grande influence
|
|
3%
|
|
|
|
3%
|
|
4%
|
|
Croyances et conditionnement
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
75%
|
|
50%
|
|
77%
|
|
74%
|
|
Pas d'influence
|
|
51%
|
|
50%
|
|
56%
|
|
47%
|
Peu d'influence
|
|
24%
|
|
|
|
21%
|
|
27%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
25%
|
|
50%
|
|
23%
|
|
26%
|
|
Influence
|
|
13%
|
|
|
|
11%
|
|
14%
|
Grande influence
|
|
8%
|
|
|
|
8%
|
|
8%
|
Très grande influence
|
|
4%
|
|
50%
|
|
3%
|
|
4%
|
Je fuis la prise de conscience et l'engagement car cela
me fait trop peur, m'angoisse ou m'attriste
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
87%
|
|
100%
|
|
85%
|
|
87%
|
|
Pas d'influence
|
|
73%
|
|
100%
|
|
71%
|
|
73%
|
Peu d'influence
|
|
14%
|
|
|
|
14%
|
|
14%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
13%
|
|
0%
|
|
15%
|
|
13%
|
|
Influence
|
|
8%
|
|
|
|
10%
|
|
7%
|
Grande influence
|
|
4%
|
|
|
|
3%
|
|
5%
|
Très grande influence
|
|
1%
|
|
|
|
2%
|
|
1%
|
|
Ce n'est pas ma responsabilité d'agir
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
93%
|
|
50%
|
|
94%
|
|
93%
|
|
Pas d'influence
|
|
83%
|
|
50%
|
|
83%
|
|
84%
|
Peu d'influence
|
|
10%
|
|
|
|
11%
|
|
9%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
7%
|
|
50%
|
|
6%
|
|
7%
|
|
Influence
|
|
5%
|
|
|
|
5%
|
|
5%
|
Grande influence
|
|
1%
|
|
|
|
1%
|
|
1%
|
Très grande influence
|
|
1%
|
|
50%
|
|
0%
|
|
1%
|
|
L'écologie n'est pas attrayante
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
95%
|
|
50%
|
|
94%
|
|
97%
|
|
Pas d'influence
|
|
87%
|
|
50%
|
|
84%
|
|
90%
|
Peu d'influence
|
|
8%
|
|
|
|
10%
|
|
7%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
5%
|
|
50%
|
|
6%
|
|
3%
|
|
Influence
|
|
3%
|
|
|
|
5%
|
|
2%
|
Grande influence
|
|
1%
|
|
|
|
1%
|
|
0%
|
Très grande influence
|
|
1%
|
|
50%
|
|
0%
|
|
1%
|
Pour chaque proposition, indique son degré
d'influence dans ta vie
Regard de l'autre (apparence physique, vêtements,
maquillage...)
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
69%
|
|
100%
|
|
61%
|
|
74%
|
|
Pas d'influence
|
|
30%
|
|
100%
|
|
26%
|
|
32%
|
Peu d'influence
|
|
39%
|
|
|
|
35%
|
|
42%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
31%
|
|
0%
|
|
39%
|
|
26%
|
|
Influence
|
|
21%
|
|
|
|
28%
|
|
17%
|
Grande influence
|
|
10%
|
|
|
|
11%
|
|
9%
|
Très grande influence
|
|
|
|
|
|
|
|
|
127
|
Importance de l'argent
|
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
65%
|
|
50%
|
|
54%
|
|
74%
|
|
Pas d'influence
|
|
26%
|
|
50%
|
|
21%
|
|
30%
|
Peu d'influence
|
|
39%
|
|
|
|
33%
|
|
44%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
35%
|
|
50%
|
|
46%
|
|
26%
|
|
Influence
|
|
28%
|
|
50%
|
|
35%
|
|
22%
|
Grande influence
|
|
6%
|
|
|
|
10%
|
|
3%
|
Très grande influence
|
|
1%
|
|
|
|
1%
|
|
1%
|
|
Besoin de consommation
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
77%
|
|
50%
|
|
71%
|
|
81%
|
|
Pas d'influence
|
|
38%
|
|
50%
|
|
28%
|
|
45%
|
Peu d'influence
|
|
39%
|
|
|
|
43%
|
|
36%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
23%
|
|
50%
|
|
29%
|
|
19%
|
|
Influence
|
|
19%
|
|
50%
|
|
23%
|
|
17%
|
Grande influence
|
|
4%
|
|
|
|
6%
|
|
2%
|
Très grande influence
|
|
0%
|
|
|
|
0%
|
|
0%
|
|
Peur de l'autre, méfiance
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
83%
|
|
100%
|
|
78%
|
|
86%
|
|
Pas d'influence
|
|
51%
|
|
100%
|
|
51%
|
|
50%
|
Peu d'influence
|
|
32%
|
|
|
|
27%
|
|
36%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
17%
|
|
0%
|
|
22%
|
|
14%
|
|
Influence
|
|
11%
|
|
|
|
11%
|
|
11%
|
Grande influence
|
|
5%
|
|
|
|
11%
|
|
1%
|
Très grande influence
|
|
1%
|
|
|
|
0%
|
|
2%
|
|
Peur de l'inconnu, de l'imprévisible
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
70%
|
|
100%
|
|
69%
|
|
69%
|
|
Pas d'influence
|
|
34%
|
|
100%
|
|
36%
|
|
30%
|
Peu d'influence
|
|
36%
|
|
|
|
33%
|
|
39%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
30%
|
|
0%
|
|
31%
|
|
31%
|
|
Influence
|
|
17%
|
|
|
|
16%
|
|
18%
|
Grande influence
|
|
12%
|
|
|
|
14%
|
|
12%
|
Très grande influence
|
|
1%
|
|
|
|
1%
|
|
1%
|
|
Importance de la routine, des habitudes
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
58%
|
|
100%
|
|
56%
|
|
59%
|
|
Pas d'influence
|
|
24%
|
|
100%
|
|
23%
|
|
24%
|
Peu d'influence
|
|
34%
|
|
|
|
33%
|
|
35%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
42%
|
|
0%
|
|
44%
|
|
41%
|
|
Influence
|
|
30%
|
|
|
|
33%
|
|
29%
|
Grande influence
|
|
11%
|
|
|
|
10%
|
|
11%
|
Très grande influence
|
|
1%
|
|
|
|
1%
|
|
1%
|
Parmi les éléments suivants, indique
lesquels ont pu favoriser ta prise de conscience ou ton engagement
Meilleure connaissance des mécanismes en
jeu
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
7%
|
|
0%
|
|
14%
|
|
2%
|
|
Pas d'influence
|
|
1%
|
|
|
|
1%
|
|
0%
|
Peu d'influence
|
|
6%
|
|
|
|
13%
|
|
2%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
93%
|
|
100%
|
|
86%
|
|
98%
|
|
Influence
|
|
21%
|
|
50%
|
|
25%
|
|
17%
|
Grande influence
|
|
30%
|
|
|
|
31%
|
|
32%
|
Très grande influence
|
|
42%
|
|
50%
|
|
30%
|
|
49%
|
128
Plus de temps pour se renseigner et
s'engager
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
26%
|
|
50%
|
|
37%
|
|
18%
|
|
Pas d'influence
|
|
12%
|
|
50%
|
|
18%
|
|
8%
|
Peu d'influence
|
|
14%
|
|
|
|
19%
|
|
10%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
74%
|
|
50%
|
|
65%
|
|
82%
|
|
Influence
|
|
31%
|
|
|
|
33%
|
|
30%
|
Grande influence
|
|
29%
|
|
|
|
23%
|
|
34%
|
Très grande influence
|
|
14%
|
|
50%
|
|
9%
|
|
18%
|
|
Être convaincu ou inspiré par un
proche
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
31%
|
|
50%
|
|
34%
|
|
28%
|
|
Pas d'influence
|
|
14%
|
|
50%
|
|
18%
|
|
11%
|
Peu d'influence
|
|
17%
|
|
|
|
16%
|
|
17%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
69%
|
|
50%
|
|
66%
|
|
72%
|
|
Influence
|
|
25%
|
|
50%
|
|
28%
|
|
24%
|
Grande influence
|
|
27%
|
|
|
|
20%
|
|
33%
|
Très grande influence
|
|
17%
|
|
|
|
18%
|
|
15%
|
Une ou des lectures spécifiques (livres,
articles, rapports...)
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
17%
|
|
50%
|
|
27%
|
|
9%
|
|
Pas d'influence
|
|
4%
|
|
|
|
8%
|
|
1%
|
Peu d'influence
|
|
13%
|
|
50%
|
|
19%
|
|
8%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
83%
|
|
50%
|
|
73%
|
|
91%
|
|
Influence
|
|
18%
|
|
|
|
26%
|
|
11%
|
Grande influence
|
|
37%
|
|
|
|
31%
|
|
43%
|
Très grande influence
|
|
28%
|
|
50%
|
|
16%
|
|
37%
|
Un ou des supports audiovisuels spécifiques
(film, vidéo, série, podcast...)
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
15%
|
|
50%
|
|
20%
|
|
11%
|
|
Pas d'influence
|
|
3%
|
|
50%
|
|
4%
|
|
2%
|
Peu d'influence
|
|
12%
|
|
|
|
16%
|
|
9%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
85%
|
|
50%
|
|
80%
|
|
89%
|
|
Influence
|
|
27%
|
|
|
|
34%
|
|
21%
|
Grande influence
|
|
32%
|
|
|
|
23%
|
|
39%
|
Très grande influence
|
|
26%
|
|
50%
|
|
23%
|
|
29%
|
Un événement de sensibilisation
(conférence, atelier, jeu...)
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
42%
|
|
50%
|
|
44%
|
|
40%
|
|
Pas d'influence
|
|
16%
|
|
50%
|
|
23%
|
|
10%
|
Peu d'influence
|
|
26%
|
|
|
|
21%
|
|
30%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
58%
|
|
50%
|
|
56%
|
|
60%
|
|
Influence
|
|
24%
|
|
|
|
30%
|
|
20%
|
Grande influence
|
|
19%
|
|
|
|
18%
|
|
21%
|
Très grande influence
|
|
15%
|
|
50%
|
|
8%
|
|
19%
|
|
Un cours ou une formation
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
50%
|
|
50%
|
|
58%
|
|
44%
|
|
Pas d'influence
|
|
28%
|
|
50%
|
|
35%
|
|
22%
|
Peu d'influence
|
|
22%
|
|
|
|
23%
|
|
22%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
50%
|
|
50%
|
|
42%
|
|
56%
|
|
Influence
|
|
19%
|
|
|
|
23%
|
|
16%
|
Grande influence
|
|
15%
|
|
|
|
9%
|
|
20%
|
Très grande influence
|
|
16%
|
|
50%
|
|
10%
|
|
20%
|
129
Discuter et échanger autour de ces
enjeux
|
|
|
|
Global
|
Groupe 1
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
16%
|
|
0%
|
|
19%
|
|
14%
|
|
Pas d'influence
|
|
5%
|
|
|
|
10%
|
|
2%
|
Peu d'influence
|
|
11%
|
|
|
|
9%
|
|
12%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
84%
|
|
100%
|
|
81%
|
|
86%
|
|
Influence
|
|
31%
|
|
50%
|
|
38%
|
|
26%
|
Grande influence
|
|
28%
|
|
|
|
19%
|
|
36%
|
Très grande influence
|
|
25%
|
|
50%
|
|
24%
|
|
24%
|
|
Engagement associatif
|
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
53%
|
|
100%
|
|
74%
|
|
37%
|
|
Pas d'influence
|
|
33%
|
|
100%
|
|
50%
|
|
18%
|
Peu d'influence
|
|
21%
|
|
|
|
24%
|
|
19%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
47%
|
|
0%
|
|
26%
|
|
63%
|
|
Influence
|
|
15%
|
|
|
|
13%
|
|
17%
|
Grande influence
|
|
18%
|
|
|
|
9%
|
|
25%
|
Très grande influence
|
|
14%
|
|
|
|
4%
|
|
21%
|
|
Engagement militant
|
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
62%
|
|
100%
|
|
87%
|
|
43%
|
|
Pas d'influence
|
|
40%
|
|
100%
|
|
63%
|
|
21%
|
Peu d'influence
|
|
22%
|
|
|
|
24%
|
|
22%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
38%
|
|
0%
|
|
13%
|
|
57%
|
|
Influence
|
|
15%
|
|
|
|
10%
|
|
18%
|
Grande influence
|
|
12%
|
|
|
|
1%
|
|
21%
|
Très grande influence
|
|
11%
|
|
|
|
2%
|
|
18%
|
|
Un ou des voyages
|
|
|
|
|
Global
|
|
Groupe 1
|
|
Groupe 2
|
|
Groupe 3
|
|
Pas ou peu d'influence
|
55%
|
|
100%
|
|
51%
|
|
58%
|
|
Pas d'influence
|
|
35%
|
|
100%
|
|
38%
|
|
31%
|
Peu d'influence
|
|
20%
|
|
|
|
13%
|
|
27%
|
Influence, grande, ou très grande
influence
|
45%
|
|
0%
|
|
49%
|
|
42%
|
|
Influence
|
|
18%
|
|
|
|
19%
|
|
19%
|
Grande influence
|
|
17%
|
|
|
|
20%
|
|
13%
|
Très grande influence
|
|
10%
|
|
|
|
10%
|
|
10%
|
Retour au mémoire
Annexe 16 : Réponses - Emotions
Lignes vertes : Groupe 2 Lignes orange : Groupe
3
Pour chacune de ces émotions, à quelle
fréquence les ressens-tu dans ta conscience des enjeux ou dans ton
engagement ?
|
Jamais
|
Parfois
|
Souvent
|
Très souvent
|
Lassitude
|
26%
|
50%
|
21%
|
3%
|
13%
|
52%
|
26%
|
9%
|
Frustration
|
9%
|
35%
|
35%
|
21%
|
8%
|
31%
|
36%
|
25%
|
Découragement
|
20%
|
48%
|
26%
|
6%
|
11%
|
52%
|
24%
|
12%
|
Tristesse
|
16%
|
38%
|
34%
|
13%
|
130
|
9%
|
42%
|
33%
|
16%
|
Anxiété
|
25%
|
36%
|
20%
|
19%
|
17%
|
38%
|
28%
|
17%
|
Culpabilité
|
19%
|
44%
|
25%
|
13%
|
18%
|
50%
|
23%
|
9%
|
Epuisement
|
46%
|
40%
|
11%
|
3%
|
22%
|
52%
|
22%
|
4%
|
Impuissance
|
8%
|
34%
|
40%
|
19%
|
10%
|
49%
|
27%
|
15%
|
Peur
|
25%
|
31%
|
30%
|
14%
|
23%
|
46%
|
20%
|
11%
|
Colère
|
14%
|
26%
|
39%
|
21%
|
10%
|
27%
|
35%
|
28%
|
Détermination
|
10%
|
28%
|
48%
|
15%
|
1%
|
20%
|
38%
|
41%
|
Satisfaction
|
23%
|
50%
|
23%
|
5%
|
11%
|
44%
|
30%
|
15%
|
Excitation
|
34%
|
41%
|
20%
|
5%
|
16%
|
37%
|
32%
|
14%
|
Joie
|
26%
|
45%
|
23%
|
6%
|
10%
|
37%
|
35%
|
18%
|
Fierté
|
25%
|
45%
|
21%
|
9%
|
10%
|
30%
|
42%
|
17%
|
Espoir
|
18%
|
41%
|
34%
|
8%
|
8%
|
43%
|
33%
|
16%
|
|
Groupe 2
|
Groupe 3
|
Nombre de réponses « jamais
»
|
274
|
(21%)
|
207
|
(12%)
|
Nombre de réponses « parfois
»
|
505
|
(40%)
|
684
|
(41%)
|
Nombre de réponses « souvent
»
|
359
|
(28%)
|
508
|
(30%)
|
Nombre de réponses « très souvent
»
|
142
|
(11%)
|
281
|
(17%)
|
De façon générale, indique si ces
qualificatifs te correspondent :
|
Pas du tout
|
Pas vraiment
|
Un peu
|
Beaucoup
|
Complètement
|
Curieux
|
0%
|
0%
|
9%
|
50%
|
41%
|
0%
|
0%
|
7%
|
42%
|
51%
|
Gentil
|
0%
|
1%
|
20%
|
49%
|
30%
|
0%
|
0%
|
12%
|
53%
|
34%
|
Ambitieux
|
4%
|
18%
|
40%
|
26%
|
13%
|
10%
|
31%
|
32%
|
20%
|
6%
|
Libéré
|
0%
|
13%
|
39%
|
39%
|
10%
|
2%
|
7%
|
28%
|
51%
|
12%
|
Discipliné
|
8%
|
14%
|
30%
|
38%
|
11%
|
7%
|
26%
|
30%
|
28%
|
10%
|
Aventureux
|
4%
|
25%
|
35%
|
19%
|
18%
|
1%
|
14%
|
40%
|
32%
|
12%
|
Peureux
|
9%
|
35%
|
43%
|
11%
|
3%
|
17%
|
34%
|
39%
|
9%
|
1%
|
Sensible
|
0%
|
3%
|
28%
|
38%
|
33%
|
0%
|
0%
|
19%
|
37%
|
44%
|
Créatif
|
5%
|
14%
|
41%
|
30%
|
10%
|
2%
|
13%
|
28%
|
34%
|
23%
|
Heureux
|
3%
|
3%
|
35%
|
46%
|
14%
|
0%
|
9%
|
20%
|
53%
|
18%
|
Positif
|
3%
|
19%
|
20%
|
41%
|
18%
|
1%
|
11%
|
24%
|
43%
|
22%
|
Quel est ton rapport aux émotions ?
131
|
Jamais
|
Parfois
|
Souvent
|
Très souvent
|
Je ressens des émotions positives
très intenses
|
3%
|
41%
|
49%
|
8%
|
3%
|
35%
|
43%
|
19%
|
Je ressens des émotions négatives
très intenses
|
11%
|
41%
|
36%
|
11%
|
8%
|
46%
|
36%
|
10%
|
J'exprime mes émotions positives
|
1%
|
35%
|
50%
|
14%
|
5%
|
26%
|
56%
|
13%
|
J'exprime mes émotions
négatives
|
10%
|
54%
|
34%
|
3%
|
8%
|
46%
|
41%
|
6%
|
Je refoule mes émotions positives
|
69%
|
25%
|
6%
|
0%
|
57%
|
37%
|
5%
|
1%
|
Je refoule mes émotions
négatives
|
21%
|
58%
|
16%
|
5%
|
22%
|
51%
|
22%
|
5%
|
J'arrive à identifier mes
émotions
|
0%
|
25%
|
53%
|
23%
|
2%
|
19%
|
56%
|
23%
|
J'arrive à comprendre mes
émotions
|
3%
|
31%
|
51%
|
15%
|
2%
|
27%
|
56%
|
15%
|
J'arrive à utiliser mes
émotions
|
18%
|
50%
|
25%
|
8%
|
8%
|
51%
|
35%
|
6%
|
Retour au mémoire