QUELLE IMAGE LE CINEMA RENVOIE-T-IL
DE LA FEMME ?
Travail de fin d'étude
Professeur Guide : Madame Inès Dubuisson Lycée
Maria Assumpta
Année scolaire : 2020- 2021
Ben Addi Noor
6G3
2
Avant toute chose laissez-moi présenter mes
sincères remerciements à Madame Dubuisson, qui a contribué
à l'élaboration de ce travail en me suivant tout le long de cette
période. Son soutien et ses conseils m'ont été d'une
grande aide. Je tiens à lui exprimer ma gratitude pour avoir
consacré de son temps à m'écouter, à
répondre à mes questions et mes incertitudes.
Je tiens aussi à remercier mon lecteur/ lectrice. Pour
la patience qu'il/ elle va accorder à la lecture de mon travail.
Du plus profond de moi-même, je remercie mes parents
pour le soutien qu'ils m'ont apporté, ainsi que pour m'avoir
accordé de leur temps à relire mon travail et surtout mon
orthographe.
Enfin, je remercie Mr. Peeters et Mme Wyns, professeurs du
Lycée Maria Assumpta de m'avoir guidée et donné des
conseils quant à la mise en page de mon travail de fin
d'étude.
3
NB : je tenais à publier mon TFE car il n'y a pas
énormément d'informations sur le sujet et encore moins en
français. Si jamais vous avez une question, vous pouvez me contacter
à
noor.benaddi@gmail.com.
4
TABLE DES MATIERES
Introduction 5
Première Partie 6
1.1. Historique 6
1.2. Chiffres 7
1.3. Pourquoi la représentation est-elle importante ?
8
1.4. Les rôles féminins types dans le
cinéma grand public. 9
1.5. La représentation des femmes de couleurs et ses
conséquences. 14
Deuxième Partie 19
2.2.1. Le cinéma vu par les hommes 19
2.1.2. L'avenir du « male gaze » 21
2.1.3. Quelles sont les répercussions sur nos
comportements? 22
2.1.4. Quel regard porte la société sur les
rôles féminins ? 23
2.2. Le cinéma vu par les femmes 24
Conclusion 26
Bibliographie 27
5
INTRODUCTION
Avez-vous déjà entendu parler des femmes dans le
cinéma ?
Dès que j'ai commencé à
m'intéresser au septième art, j'ai vite compris que la
façon de représenter les femmes n'était pas la même
que celle des hommes. Les femmes ne sont pas filmées de la même
manière que leurs homologues masculins, les personnages joués
sont drastiquement différents.
J'ai moi-même souvent eu du mal à m'identifier
aux personnages féminins du Box-Office, trop de clichés qui ne me
correspondaient pas ni à moi ni aux femmes qui m'entourent. Je me suis
donc mise à la place du premier rôle masculin car il est plus
présent à l'écran. Ce qui a poussé, beaucoup
d'autres femmes et moi-même, à regarder à travers les yeux
du protagoniste masculin.
Cette constatation m'amène à me poser une
série de questions : Pourquoi les femmes sont représentées
si différemment ? Sur quoi sont basés ces
stéréotypes ? Qui décide de représenter la femme
comme tel ? Marquée par toutes ces interrogations, j'ai essayé de
condenser en une seule question cette liste non exhaustive d'interrogations
pour en faire découler une réflexion personnelle soutenue par des
recherches approfondies sur le sujet.
Dans cette optique, je me suis intéressée
à la représentation féminine des films du monde occidental
qui partage plus ou moins les mêmes codes. (Europe, Etats Unis). En
gardant à l'esprit que nous vivons dans une société
patriarcale qui privilégie les hommes et les positionne au pouvoir.
Cette inégalité est aussi visible dans le monde du cinéma
au niveau des postes occupés devant et derrière la caméra.
Ce qui n'est pas une raison de ne pas exiger du changement car les
médias, les films et les séries nous influencent et dictent notre
conception des genres et des relations hommes-femmes.
6
PREMIERE PARTIE
1.1. HISTORIQUE
Dès la création du cinéma, les femmes
étaient présentes. L'Histoire a simplement décidé
de ne pas les citer. Les frères Lumières faisaient principalement
des documentaires. On doit le cinéma tel qu'on le connait à Alice
Guy. Elle a inventé le film de fiction et le plan rapproché, plan
se concentrant sur le visage de l'acteur/trice afin de capturer ses
émotions et les transmettre aux
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Alice Guy
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spectateurs. Iris Brey, spécialiste de la
représentation du genre et des sexualités au cinéma,
explique : "Dans les années 1910-1920, énormément de
femmes travaillaient à Hollywood. Des monteuses, des cheffes
opératrices, des réalisatrices... ». La critique et
essayiste indique qu'à partir des années 1930, l'usine à
rêves a commencé à se masculiniser. "Quand on comprend que
c'est une industrie qui va générer de l'argent, les hommes
décident de l'investir et d'en éradiquer les femmes". Force est
de constater que l'opération fut efficace. Il faudra attendre 1977 pour
qu'une femme, Lina Wertmüller, soit nommée pour l'Oscar de la
Meilleure réalisation.1
Aux Etats Unis, il existe des quotas, « l'inclusion rider
», mis en place en 2018 par la société de production Warner
et Michael B. Jordan, acteur de Black Panther. Cela sert à s'assurer que
le casting d'un film et sa régie soient représentatifs de la
population américaine. A Hollywood, il s'agirait d'avoir 50% de femmes,
40% de minorités ethniques, 20% de personnes handicapées et 5% de
LGBTQ+. Cette volonté de discrimination positive existe en
réalité depuis 1964, même si elle vise seulement la
représentation à l'écran et lui vaut d'être souvent
critiquée. On lui reproche d'être superficielle, mal
effectuée et de n'avoir aucun effet sur les réelles
inégalités.
1 (Bris, 2018)
7
En France, il est difficile d'imposer des quotas. Le CNC
(Centre National du Cinéma et de l'image animée) incite à
donner les postes à responsabilité à des femmes en
apportant un soutien financier supplémentaire à la production du
film. Cette incitation a le mérite de porter ses fruits et de
sensibiliser au changement d'habitudes ainsi que d'arrêter de se tourner
en permanence vers les mêmes hommes au pouvoir. Nous sommes loin du 50/50
mais nous tendons vers cela. Mais pourquoi à tout prix vouloir atteindre
cette égalité ? Est-il vraiment important de représenter
la société dans son entièreté ? Le septième
art est souvent critiqué pour son manque d'inclusion. Mais quel impact
le cinéma a -t-il sur notre manière de voir la vie ?
1.2. CHIFFRES
Afin d'introduire au mieux les inégalités dans
le cinéma, voici quelques chiffres ; Dans les écoles de
cinéma, les femmes représentent 55% des étudiants. Mais on
en retrouve seulement 30% dans la vie active. En 2014, seuls 21,1% des
dirigeants de productions cinématographiques étaient des
femmes.
En 2015, 21% des réalisatrices étaient
programmées et entre 1976 et 2016 seulement 6% ont été
récompensées par le César du « meilleur film »
ou de la « meilleure réalisation ».
A l'écran, 37% des personnages principaux sont des
femmes. Nous nous sommes rendus compte que 40% des films américains
étudiés entre 1995 et 2015 ne passent pas le test de Bechdel. Ce
test consiste à se poser trois questions lorsqu'on regarde un programme
; Y a -t-il au moins deux personnages féminins nommés ? Si elles
sont présentées à l'écran, interagissent-elles
entre elles ? Et parlent-elles d'autre chose que d'un protagoniste?
Au niveau salaire, une réalisatrice gagne 42% de moins
qu'un homme. Une étude statistique
réalisée de 1980 à 2015 montre qu'une
actrice est payée 1 million de dollars de moins par film qu'un acteur.
Les femmes ne reçoivent pas non plus les mêmes moyens
budgétaires pour
réaliser un film. Entre 2008 et 2015, 28% des projets
aidés par le CNC étaient ceux de femmes et 15% des fonds publics
européens alloués au cinéma allaient à des
femmes2.
2 (Bris, 2018)
8
(Bris, 2018)
Les inégalités résident partout que ce
soit devant ou derrière l'écran. Même si le public
réclame en priorité une meilleure représentation dans les
films, il est difficile de dépeindre correctement un personnage issue
d'une minorité sans avoir subi tout ce qui peut en découler.
C'est pourquoi il est important de diversifier une équipe dès
l'écriture du scénario.
1.3. POURQUOI LA REPRESENTATION EST-ELLE IMPORTANTE
?
Le cinéma a toujours influencé les foules. Il
avait déjà été utilisé comme outil de
propagande par les nazis durant la deuxième guerre mondiale.
Aujourd'hui, il représente toujours un bon moyen de faire passer une
idée, de véhiculer un stéréotype ou une vision sans
même que nous nous en apercevions.
La manière dont les femmes sont dépeintes dans
les films/séries influence inconsciemment le comportement de celles-ci.
Une bonne représentation peut avoir des effets très positifs sur
le développement des jeunes filles. Par exemple ; si elles grandissent
en voyant des femmes influentes, cela va les encourager à poursuivre une
grande carrière.
Dans le cinéma américain les femmes jouent le
plus souvent le rôle d'infirmière, serveuse, professeure,
caissière ou encore de secrétaire. Ce sont des
représentations nécessaires mais qui se doivent d'être
élargies. Le but étant de toucher un plus grand nombre et que
chaque femme puisse s'identifier à l'écran afin de se sentir
légitime de s'exprimer dans notre société.
9
1.4. LES ROLES FEMININS TYPES DANS LE CINEMA GRAND
PUBLIC.
Vous avez sûrement remarqué les différents
stéréotypes liés à la femme au cinéma. Ces
rôles portent un nom, on appelle ça un « trope ». Je
vais vous en exposer quelques-uns afin de rendre compte de ces appellations.
Regina Georges dans « Mean Girl »
Les plus présents sont la « mean girl » ou la
méchante fille, vous l'avez vue dans presque tous les films pour
adolescent. Le
meilleur exemple est Regina Georges dans « Mean Girl »
ou
encore Blair Waldorf dans « Gossip Girl ».
Physiquement, elle apparait comme une fille riche, populaire, jolie, hyper
féminine,
stéréotypée comme jalouse et superficielle.
Pourtant, elle est ambitieuse, forte et elle a confiance en elle. Malgré
ça, elle éprouve de la rage et de la colère à
l'égard de l'héroïne principale. Elle se cache
derrière une gentillesse de façade pour effectuer des agressions
relationnelles sur d'autres jeunes filles parce que seule une femme sait
comment parfaitement en blesser une autre. En observant bien, nous remarquons
que derrière cette méchanceté se cache une
stratégie de défense. Elle reproduit des comportements des
personnes élitistes et superficielles qui l'entourent. La « mean
girl » est souvent comparée à la reine des abeilles, mais
pourtant, elle ne contrôle pas son école et au contraire elle se
plie aux attentes de la société. C'est ce qui la pousse à
détester le personnage principal qui sort du lot et qui ne se sent pas
contrainte. L'héroïne du film va essayer de descendre ce
système de caste afin d'atteindre ses objectifs. De l'autre
côté, la « mean girl » a compris le système
hiérarchique de son école ou de la société et elle
a décidé d'en profiter pour atteindre le sommet. Au final, la
vilaine adolescente se sent claustrophobe d'un monde injuste et sexiste
où elle ne peut pas exprimer son plein potentiel. Elle a juste besoin de
trouver une manière plus saine de ressortir sa colère.
La « smart girl » ou la fille intelligente, pourrait
être représentée par Liza Simpsons dans « Les Simpsons
» en tête d'affiche ou encore avec les deux héroïnes du
film Booksmart de Olivia Wilde. Souvent accessoirisée de lunettes parce
qu'elle voit des choses que les autres ne voient pas. Ce personnage a
conscience d'elle-même,
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Liza Simpsons dans « Les Simpsons
»
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10
elle se sait intelligente et en est fière. Elle est
ambitieuse et est déterminée à réussir sa
carrière. De l'extérieur, elle est vue comme arrogante et
intolérante aux gens moins intelligents. La « smart girl » qui
a tendance à trop réfléchir, se rend compte qu'elle ne
rentre pas dans le moule. Elle ressent la pression de se conformer et va
réajuster sa personnalité en essayant de paraitre moins « je
sais tout » afin de plaire aux autres et de ne pas être mise sur le
côté. Au cours des dernières années, on a pu
assister à une évolution de ce trope. Au départ, une femme
intelligente avait des agissements semblables à ceux d'un homme et elle
représentait souvent une menace. Dans son propre développement,
elle va connaitre l'échec, et par conséquent gagner en
maturité. La « smart girl » d'aujourd'hui n'est plus
unidimensionnelle. Elle montre que les femmes ne sont plus soit intelligentes
soit jolies, elles peuvent être les deux à la fois. Les femmes
intelligentes de ce monde ont souvent une fibre artistique ou sont
engagées pour une cause (Malala, Greta Thunberg...). Dans les films ou
dans la vie, elles cherchent désormais à avoir un impact sur le
monde.
La « weird girl » ou la fille bizarre,
qualifiée de bizarre parce que nous ne la comprenons pas. Elle a un
style et des intérêts peu habituels. Elle a peu ou pas d'amis et
est perçue comme inapte à avoir un partenaire amoureux. Sa
sexualité est vue comme déviante ; c'est soit une « salope
», soit une « lesbienne ». Il existe cinq sous-genres de «
weird girl » ; la gothique, la maligne (the smartass), le cas
désespéré (the basket case), la tête en l'air (the
space cadet) et la marginale (the akward misfit).
La gothique, avec Wednesday Adams dans « La Famille Adams
», est le plus souvent habillée de noir. Elle s'intéresse
aux choses auxquelles les autres ne portent pas attention. C'est comme
ça que dans certains films, elle parviendra à communiquer avec
des éléments du fantastique comme des fantômes. La «
goth » ne va pas changer pour les autres, elle reste elle-même en
toute circonstance.
La maligne, avec Daria, utilise le sarcasme pour se
protéger. Elle se définit elle-même par ce qu'elle n'est
pas plutôt que par ce qu'elle est. Elle n'est pas comme les autres,
d'ailleurs elle les juge trop normaux.
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Daria dans « Daria »
|
11
Le cas désespéré, avec Allison Reynold
dans « The Breakfast Club », est la version la plus chaotique et
dramatique de la « weird girl ». Elle performe sa bizarrerie pour
attirer l'attention.
La tête en l'air, avec Phoebe Buffay dans « Friends
», existe dans son propre monde et par conséquent, elle ne se
soucie pas de l'avis des autres. Souvent sous-estimée, elle se
révèle plus intelligente que nous le pensons.
|
|
Phoebe Buffay dans « Friends »
|
La marginale est la version la plus triste. Son manque
d'habilité à s'intégrer lui vaut un harcèlement de
la part de ses camarades. Ces agressions à répétitions ne
lui seront aucunement bénéfique et elle aura tendance à
reproduire ces comportements quand elle sera en position de force.
Quel que soit la forme de la « weird girl », elle
représente la peur de son époque. Une fille était
considérée comme bizarre si elle se comportait comme un homme, si
elle ne portait pas d'intérêt au mariage, ou si elle voulait avoir
accès à une éducation et voyager. La fille
décalée est toujours restée indépendante
malgré le cliché qui traine dans certains films qu'elle aurait
besoin d'un homme pour être normalisée et même
sauvée. Aujourd'hui, c'est une bonne chose d'être « bizarre
» car la différence est plus acceptée voire
glorifiée. Ce qui rendait une fille masculine avant rentre aujourd'hui
dans la norme.
La seule et l'unique « manic pixie dream girl »,
(MPDG), est un trope introduit par le critique
Claire Colburn dans « Elisabethtown
»
Nathan Rabin, en 2007, pour caractériser un type de
personnage féminin récurent qui n'existe que dans l'imagination
des réalisateurs/scénaristes. Il visait le personnage de Claire
Colburn dans « Elisabethtown ». Elle est sociable, c'est elle qui
approchera le protagoniste masculin en première et celui-ci en
opposition sera timide et distant. La MPDG a des goûts et un style bien
à elle, « elle n'est pas comme les autres ». Mais surtout elle
n'abandonne jamais le
premier rôle masculin, elle est toujours enjouée,
de bonne humeur et elle se fout du regard
des gens. Elle est là pour apporter un
développement à l'homme du film, elle va lui redonner
la joie de vivre. Ce trope à la base fait pour mettre
l'accent sur un comportement sexiste de
12
certains réalisateurs a fini par se retourner contre
lui-même. Utilisé à tort pour décrédibiliser
un film ou trop vite le ranger dans une case sans plus analyser le personnage
féminin. Ce terme est même utilisé comme insulte pour
désigner une fille « manquant de personnalité » dont le
seul but est d'attirer l'attention d'un homme.
Mikaela Banes dans « Transformers
»
La « Cool girl » ou la fille cool, est encore un
autre fantasme masculin. C'est un homme dans le corps d'une femme belle et
sexy, elle aime les activités traditionnellement d'hommes, la
bière et les hamburgers. Nous parlons de ce trope comme un mythe
créé par les hommes et perpétué par les femmes qui
après l'avoir vu dans autant de films ont fini par
l'incarner. Le problème avec la cool girl c'est qu'elle
est appréciée par les hommes qui l'entoure tant qu'elle reste
à leur niveau, il ne faudrait pas qu'elle les challenge. C'est
pourquoi, elle ne dit rien sur la hiérarchie
homme-femme qui la pousse toujours au second rang malgré ses
qualifications. Celle-ci est facile à vivre et elle ne se fâche
jamais sur son homme. Mais la cool girl moderne se détache de ce monde
d'homme et vit selon ses propres règles comme nous l'avons vu dans les
nouveaux Marvel.
Greene Lanterne
Nous avons le personnage féminin réduit à
son minimum ; « The Fridge Lady » ou « la femme dans un
réfrigérateur ». Ce trope tient son nom de
l'écrivaine Gail Simone qui l'a utilisé en
référence à l'épisode de la bande dessinée
« Greene Lanterne ». Dans lequel la copine du héros est
tuée et enfermée dans le réfrigérateur de celui-ci
pour offrir un développement à son histoire. Ce personnage
féminin meurt au début de l'histoire sans que nous ayons appris
à la connaitre. Son copain ou mari essayera de la venger et de sauver le
monde
par la même occasion. La mort d'un être
aimé nous permet de sympathiser avec lui et lui offre
un passé triste. Le problème de cette
représentation est qu'il réduit la femme à une
propriété.
En effet, nous avons remarqué que dans la
majorité des scénarios « ma femme » aurait pu
être remplacé par « mon chien » ou
« ma voiture ». Nous pouvons reprocher cela surtout à la
mauvaise écriture de ce personnage car la mort d'un
être cher aurait plus d'impact si celui-ci
13
était multidimensionnel. Le souci c'est aussi la
manière dont ces femmes sont tuées ; le meurtre est violent et
sexuel comme si la femme existait seulement pour qu'une série de
mauvaises choses lui arrive et que la pureté de son corps devait
absolument être protégée par un homme.
La féministe est présente dans les films depuis
longtemps mais elle était représentée négativement.
Dépeinte comme une femme pas féminine, moche et détestant
les hommes. Elle souhaite l'égalité des sexes parce qu'aucun
garçon ne veut d'elle. Nous avons eu droit à la « straw
feminist », parodie de la féministe réelle. Elle
réagit excessivement à des situations minimes pour réduire
et ridiculiser la cause à l'écran. Aujourd'hui, elle est toujours
présente pour montrer les conséquences lorsque nous perdons des
yeux la cause principale et que nous nous laissons emporter par la haine. Le
trope de la féministe était souvent présent en opposition
au personnage féminin principal qui, pourtant, regroupe les
caractéristiques d'une réelle féministe mais qui se
comporte comme individualiste dans sa quête de succès.
Scène de la série « Sex Education
,,
Aujourd'hui, on assiste à la prise de conscience des
personnages féminins. Elles se rendent
compte de la société misogyne qui les entoure et
de la culture du viol bien présente. Elles se joignent à la cause
pour trouver une sorte de liberté.
Nous allons finir avec la femme fatale qui consacre sa vie
à détruire le ou les protagonistes
Ramon et Destiny dans « Queens ,,
masculins. Elle est irrésistible. Elle fait
habituellement une première apparition remarquée dans le film.
Elle a une vision du monde cynique. Elle est froide et distante. La femme
fatale est guidée par la soif d'argent pour arriver à ses fins
elle utilise la manipulation et sa sexualité dont elle a le plein
contrôle. Elle représente l'anxiété de son
époque dans le sens où elle refuse les normes imposées aux
femmes, elle sort, travaille, refuse de porter l'enfant d'un homme. Elle a
généralement droit à deux sortes de fin.
La première, nous nous rendons compte qu'elle n'est
pas mauvaise et elle a droit à une fin heureuse. Ou la
deuxième qui est plus courante, elle
s'avère être pourrie jusqu'à la moelle et
elle est punie par la mort ou la prison. La femme fatale
peut paraître féministe car elle reprend son
pouvoir, sa vie et sa sexualité lui appartiennent
14
mais la manière dont elle nous est montrée est
plutôt misogyne. Nous la voyons comme mauvaise ou comme une victime de la
société lorsque nous avons droit à une
rétrospection.
Il existe encore une liste non exhaustive de trope, certains
personnages reflètent des caractéristiques de plusieurs d'entre
eux à la fois. Plus un personnage est multidimensionnel plus il
correspondra à différentes catégories. Bien que ces
personnages récurrents ne soient pas toujours glorifiant, il en existe
de nombreux. Mais peut-être l'avez-vous remarqué ; ils sont
à quelques exceptions près toujours représentés par
des femmes blanches, fixées comme la norme. Cette observation nous
amène à nous poser la question suivante : Y'a -t-il des tropes
spécifiques aux femmes de couleurs ?
1.5. LA REPRESENTATION DES FEMMES DE COULEURS ET SES
CONSEQUENCES.
Regardons nos classiques et réfléchissons, y'a
-t-il un personnage féminin de couleur ? Nous ne pourrions pas en citer
beaucoup. Les femmes et les personnes de couleurs sont déjà
sous-représentées, alors imaginez les femmes de couleurs. Il est
difficile de trouver une femme noire, magrébine ou issue d'autre
minorité dans un film. Lorsqu'il y en a une, elle est souvent
caractérisée par des stéréotypes raciaux. Nous
allons parcourir ensemble les différents tropes dans lequel sont
enfermées ces femmes.
Commençons avec la minorité la plus
présente aux Etats Unis. Par conséquent, elle a plus de
représentation que les autres. Nous allons nous pencher sur la «
Strong Black Women » ou la femme noire forte. Elle a été
initialement créée par les femmes noires afin de
démanteler les trois autres tropes fortement réducteurs qui
régnaient sur le cinéma américain. Le premier étant
« The Mamy », en français, la Mama est une esclave ou une
servante pour une famille blanche. Elle est toujours souriante et elle aime
servir cette famille.
Suivie de près par « The Jezebel » ou
Jezabél, selon l'histoire biblique, est sexuellement insatiable et elle
éprouve des désirs animaux. Ce cliché a donc souvent
été utilisé pour justifier les abus sexuels que les
propriétaires d'esclaves faisaient subir aux femmes noires.
Arrive ensuite « The Angry Black Women » ou la femme
noire en colère, représentée comme masculine, elle
s'exprime fort et s'énerve vite. Ce trope reflète la peur de la
société de cette colère que peut éprouver la femme
noire. Ce qualificatif est utilisé à tort et à travers.
15
Notamment pour la réduire chaque fois qu'elle tente de
mettre la lumière sur les discriminations auxquelles elle fait face au
quotidien. Ce qui la pousse à devoir supprimer ses émotions pour
éviter d'être catégorisée et invalidée.
Shuri dans « Black Panther »
Vers les années 50- 60, prend place la femme noire
forte en même temps que la fin de l'apartheid américain. Elle est
de nature nourricière, elle aide les autres jusqu'à ignorer ses
propres besoins et elle a un grand sens de la morale. Durant sa vie, elle a
subi toutes sortes de traumas et a su surpasser tous les obstacles.
Représentée comme femme surhumaine voire fantastique. Nous
pouvons parfaitement lui appliquer le slogan « ce qui ne nous tue pas nous
rend plus fort ». Nous pensons donc aux femmes noires immunisées
contre la peine. Alors nous n'avons pas besoin de changer le système car
elle peut tout endurer et elle ira toujours bien. Cette manière de
penser en plus d'être moralement fausse à de graves
conséquences sur la santé mentale et physique des femmes noires.
En effet, elles ont le taux le plus élevé de dépression
tout en étant sous-traitées. Elles n'ont pas le même
accès aux soins qu'une personne blanche. Beaucoup de médecins ont
cette idée erronée, perpétuée encore plus par ce
trope, que les personnes noires sont plus résistantes. Malgré
cela, ce trope plait. L'audience aime voir la femme noire
représentée de cette façon. La preuve, sur douze femmes
noires nominées pour l'oscar de la meilleure actrice depuis la
création de la cérémonie, huit l'étaient pour des
rôles de « Strong Black women ». Ce trope est un second
personnage qui est là pour épauler le premier rôle blanc.
Son personnage n'est pas traité en profondeur ni dans toute sa
complexité. Elle nous est présentée pour ce qu'elle fait
et non pour ce qu'elle est. Nous ne connaissons jamais ce qui se passe dans sa
vie personnelle. Finalement bien que cette représentation renvoie une
bonne image de la femme noire, elle n'a pas fait beaucoup pour améliorer
la condition de celle-ci.
Vers 2010, nous avons eu droit à une autre
représentation beaucoup plus positive de la femme noire. « The
Quirky/ Awkward Black Girl » ou la fille noire excentrique/ bizarre. Ce
trope, lui aussi créé par des femmes noires, pour se
libérer des trois autres tropes originels, fait son apparition avec la
websérie « The Mis-Adventure of Awckward Black Girl » d'Issa
Rae qui est
Issa Dee et Molly Carter dans « Insecure
,,
16
d'ailleurs aujourd'hui devenue réalisatrice. Cet
archétype dépeint les femmes noires de manières
multidimensionnelles. Il ne les laisse plus dans le rôle de personnage
solidaire au protagoniste principal blanc. Il n'est donc pas comparable au
trope de la meilleure amie noire. La femme noire excentrique appartient
à la classe moyenne et elle a grandi dans un quartier
majoritairement blanc. Elle sera souvent la seule personne
noire de son groupe d'amis, ce qui n'exclut pas qu'il y ait quand même de
la diversité. Elle a des centres d'intérêts qui ne sont pas
habituellement attribués aux noirs. Elle offre une représentation
plus inclusive et réaliste.
Marisa Ventura dans « Coup de foudre à
Manhattan ,,
La « spicy latina », ou l'exotique femme
d'Amérique latine, incarne la femme volatile et sexuelle. Elle est
voluptueuse, porte des vêtements moulants et peu couvrant. Elle a des
cheveux foncés, une peau olive et une bouche pulpeuse. Elle a un fort
caractère, parle sans filtre, elle est bruyante. Elle représente
un fantasme de l'homme blanc, américain. La rumeur est qu'elle volera
ton homme juste parce qu'elle en a le pouvoir. Le mythe de la « spicy
latina » a commencé dès le XIXe siècle avec le film
« Carmen ». Carmen est une jeune femme libre et intense qui
séduit un soldat américain. Cette passion va amener la jeune
fille à le tuer. Cette image sera ensuite perpétuée avec
la montée du Vaudeville et des salles de bal. Les femmes latines seront
surnommées « Spicy Senoritas » ou « Hot Tamales ».
Sous-entendu, qu'elles sont agréables mais douloureuses à aimer
car elles ne sont pas dignes de confiance. Les grandes actrices qui ont
joué ce rôle à répétition se sont
retrouvées marginalisées lorsque ce personnage a cessé
d'être à la mode. Elles se sont retrouvées sans autre
proposition de film. Elles sont mortes jeunes, d'alcoolisme ou en se suicidant,
accentuant une autre caractéristique de la « spicy latina »
qui se sabote. Bien plus tard, nous avons vu apparaitre une variante de ce
trope la « life changing bombshel latina ». Celle-ci, souvent issue
de la classe ouvrière apparait dans la vie d'un homme blanc plus
fortuné. Par exemple, sous l'apparence d'une femme de ménage
invisible qui attend d'être
Rosa Diaz et Amy Santiago dans « Brooklyn 99
»
17
sauvée. Elle apparait souvent en opposition avec la femme
blanche de celui-ci qui est froide et fausse. Elle représente le
désir de l'homme. Malgré sa personnalité imposante, la
« spicy latina » est le plus souvent un second rôle, là
pour encourager les autres et les inciter à se défendre eux
même. Le problème de ce type de trope c'est qu'il pousse toutes
les femmes d'une même origine à s'identifier à un
personnage qui pose des standards impossibles. Il pousse les femmes latines
à s'hyper sexualiser à un très jeune âge. Elles
apporteront une forte importance à leur apparence ce qui peut provoquer
des problèmes d'anxiété, de dysmorphie et d'alimentation
de type anorexie et boulimie. Ils poussent aussi les hommes à les
réduire à leurs corps. 77% des femmes d'origine latine
déclarent avoir subi des agressions sexuelles sur leur lieu de travail.
Si cette femme reste sous représentée, nous pouvons voir des
évolutions quant aux rôles qui lui sont présentés
comme dans « Brooklyn 99 » avec Rosa Diaz et Amy Santiago.
La « model minority » ou la minorité
exemplaire, ce trope-ci vise les personnes asiatiques mais concentrons-nous sur
les femmes. La « model minority » travaille dure. Elle est
naturellement intelligente, souvent mal à l'aise en
société. Elle suit les règles qui lui sont
imposées. Mais malgré ses aptitudes, elle ne représente
jamais une menace pour le premier rôle blanc. Elle lui apporte
plutôt un soutien. Ce trope ne challenge pas la hiérarchie raciale
et promeut l'idée erronée que le racisme peut être
surmonté en travaillant dur. Ce qui offre une justification aux
discriminations que peuvent subir d'autres minorités ethniques.
Représentant les asiatiques comme les bons immigrés, cela
créé un fossé entre ceux qui sont perçus comme des
voyous, membres de gang comme les noirs ou les latinos aux Etats Unis.
Malgré leur bonne image, nous constatons que ces minorités
exemplaires ne tendent pas à évoluer professionnellement. Elles
restent coincées sous un plafond de verre. Ce trait de soumission se
retrouve chez un autre trope qui colle aux femmes asiatiques. « The Asian
Hooker » ou la prostituée asiatique, celui-ci n'a aucun
découlé positif sur les femmes asiatiques. Il est même
18
|
une des causes des violentes agressions auxquelles font face
les femmes asiatiques surtout aux Etats Unis dernièrement. Ce
stéréotype fait son entrée dans les années
1960-1970 avec l'arrivée des forces militaires américaines en
Asie. Les soldats allaient chercher du réconfort chez les femmes de
ces
|
« Full Metal Jacket »
|
Devi Vishwakumar dans « Never Have I Ever
»
pays en développement qui vendaient leurs corps afin de
subvenir à leurs besoins. La femme asiatique est réduite à
son appareil génital et tous les clichés qui l'entourent comme sa
petitesse. Quarante-et-une femmes asiatiques vivants dans une
société occidentale sur soixante-six ont déjà subi
des violences physiques ou sexuelles par un partenaire. Il est difficile
d'améliorer le trope de la prostituée asiatique. Par contre, nous
avons vu une large amélioration quant à la « model minority
» qui a eu droit à ses propres séries ou films. Comme dans
« Never Have I Ever », où Devi Vishwakumar, le personnage
principal vit sa vie de lycéenne. Même si, elle rêve d'aller
à Princeton, une grande université, sa personnalité ne se
résume pas à ça. Nous voyons le personnage dans toute sa
complexité et contrairement à ses prédécesseurs,
elle est triste, en colère et a les mêmes centre
d'intérêts que les filles de son âge.
La dernière femme de couleur que nous allons passer en
revue est la femme arabe/ maghrébine/ musulmane, car le cinéma
occidental ne fait pas la différence entre les cultures ou la religion.
Comme nous avons pu le voir avec la princesse Disney, Jasmine, où le
moyen orient et la culture arabe se mélangent. Les repères
spatio-temporels et identitaires sont confondus. Le seul point commun entre ces
cultures est le rattachement à l'Islam. Nous remarquons que toutes ces
femmes, pratiquantes ou non, tombent dans le trope de la femme musulmane
opprimée. L'histoire se déroule en général de cette
façon : tout allait bien, puis cette femme va rentrer dans un milieu
majoritairement blanc que ce soit une école ou simplement le pays. Elle
rencontre un homme blanc, si elle porte le foulard elle le retira pour
19
|
celui-ci, si elle ne le porte pas elle se rebellera d'une
autre manière. Dans les deux cas, c'est présenté comme une
volonté de s'émanciper puisqu'auparavant, elle était
soumise aux hommes de sa famille et sa religion. Ce trope a des
conséquences directes sur notre société. Nous l'avons vu
dernièrement en Belgique avec l'arrêt autorisant les hautes
écoles et universités à prohiber le
|
Nadia dans « Elite »
|
port du voile. Ce qui pousse les femmes musulmanes qui ont
décidé de se voiler à choisir une école, non pas en
fonction de leurs études mais en fonction de la liberté
d'exister. La femme musulmane oppressée permet une justification
à l'islamophobie de nombreux dirigeants politiques. Ils
prétendent protéger les jeunes filles de la pression familiale
excluant l'idée que cela pourrait simplement être un choix
religieux.
Finalement, le cinéma doit contrôler les
différentes images qu'il renvoie de la femme car celles-ci ont des
conséquences au quotidien. Le but n'étant jamais de supprimer ces
tropes mais toujours de les nuancer et de permettre un développement aux
personnages qui les incarne. Un seul cliché perpétué par
le cinéma influence toute la vision d'une société sur une
femme d'une certaine ethnie et dicte les comportements à adopter avec
celle-ci.
DEUXIEME PARTIE
2.2.1. LE CINEMA VU PAR LES HOMMES
A ce stade-ci, nous nous demandons sûrement pourquoi les
femmes sont-elles si mal dépeintes ? Pourquoi l'image renvoyée
est souvent très éloigné de la réalité ?
Pour faire court, la réponse est le « male gaze », traduit par
le regard masculin. Ce concept a été théorisé en
1975 par l'écrivaine Laura Mulvey. Il s'agit de la manière dont
l'homme va regarder puis filmer la femme comme un objet du désir. Les
hommes étant plus présents à tous les niveaux du
cinéma. Le regard masculin est posé comme la base, le regard
neutre. Ce qui participe au renforcement de la domination masculine
générale. Les personnages féminins sont regardés
à travers trois visions : celle du personnage masculin, celle de l'homme
derrière la caméra et
20
celle du spectateur masculin. Le « male gaze » se
caractérise par de longues scènes de sexe injustifiées,
des plans se concentrant sur une seule partie du corps de la femme. Son corps
est toujours montré avant son visage. Nous précisons que seules
les femmes sont sexualisées, la caméra ne s'attarde pas sur les
atouts des acteurs masculins. Les corps représentés sont toujours
conventionnellement attirants ; pas de bourrelets, pas de poils ni de
vergetures. Même lorsque le personnage féminin est au plus bas,
elle sera toujours présentable et même maquillée. Ce qui
pousse certaines femmes à mépriser leur corps qui n'atteint pas
ce niveau de perfection irréaliste. Au sein d'un même film deux
femmes ne seront pas filmées de la même manière, le premier
rôle sera montré comme belle tandis que sa meilleure amie sera
dépeinte comme banale. Un autre trait propre au male gaze est la
scopophilie, le plaisir de voyeurisme. L'homme regarde la femme sans que
celle-ci le voit, à travers une serrure ou grâce à des
jumelles. Cela nous apprend à prendre du plaisir en objectivant les
femmes. Dans cette position, l'homme à le pouvoir, cela fait partie de
notre intégration de la domination masculine. Tous ces réflexes
qu'ont les réalisateurs ont tendance à déshumaniser la
femme.
|
Le réalisateur enchainé au male gaze est
Abdelatif Kechiche qui relance le débat à la sortie de chacun de
ses films. Les corps de femmes ont toujours été présents
dans son travail, ils sont devenus son empreinte. Ses dernières oeuvres
peuvent se résumer à une masse de courbes féminines. Nous
découvrons le
|
Abdelatif Kechiche et Hafzia Herzi
|
corps de Hafzia Herzi qui effectue une danse du ventre de
seize minutes dans « La Graine et le Mulet ». Puis, il y a aussi les
nombreuses scènes de sexes entre Léa Seydoux et d'Adèle
Exarchopoulos dans « La Vie d'Adèle ». Les deux actrices
avaient critiqué les conditions difficiles de tournage. Kechiche obtient
ses plans naturels grâce à la stratégie de
l'épuisement. Une fois fatigués par les nombreuses prises, les
acteurs ne font plus attention aux caméras et se laissent aller dans
leurs jeux. Une manière de faire souvent questionnée, et sur
laquelle il ne souhaite plus s'exprimer. Le deuxième reproche fait
à ce film est le regard trop présent du réalisateur pour
une histoire de femmes. En effet, La Vie d'Adèle raconte un amour entre
deux jeunes filles et pourtant nous le regardons du point de vue de l'homme
derrière la caméra. Les scènes de sexes nous mettent mal
à l'aise puisqu'elles ne représentent pas vraiment deux femmes
prenant du plaisir mais plutôt comment un homme voudrait les regarder. Ce
« male gaze » reste omniprésent dans la suite de ses oeuvres
comme avec « Mektoub My Love : Canto
21
Uno », en 2017. Cette manière de filmer les femmes
nous parait logique au début du film puisque nous les regardons du point
de vue de Amin, le personnage principal. Pourtant, cette caméra
s'éloigne de son regard tout en continuant de sexualiser celles-ci (sauf
les mères) .Nous ne savons plus à qui nous identifier à
part à un regard d'homme en général. Les caméras de
Kechiche filment au plus près chaque mouvement des formes
féminines. Trop près, c'est ce qui est reproché au second
volume de la saga ; « Mektoub My Love : Intermezzo », dans lequel
nous comptons une totalité de 178 plans de fesses. Il a fait beaucoup de
bruit lors de son avant-première au festival de Cannes de 2019. En
partie à cause de la scène de sexe oral d'une longueur de douze
minutes. Ce film ne verra jamais le jour en dehors du festival. Au cours de sa
carrière, Abdellatif filme de plus en plus de femmes en les sexualisant
toujours plus mais refuse systématiquement de filmer le corps masculin
de cette façon. Le patriarcat est toujours plus présent au point
que les femmes du film ne savent plus parler entre elles, si ce n'est d'hommes.
Elles sont incapables de prendre des décisions pour elles-mêmes
lorsque l'une d'elle se retrouve face à une grossesse
non-désirée et elles sont incapables de jouir lors de ce fameux
cunnilingus. Globalement, le film représente bien le peu d'importance
accordé au consentement mais n'a pas pour but d'approfondir plus que
ça. Le film effleure les ennuis des femmes sans plus les
développer. Beaucoup décrivait le visionnage de « Mektoub My
Love : Intermezzo » comme éprouvant. Il réussit à
transmettre une forte émotion d'étouffement, de malaise et
d'épuisement. Est-ce que cela résulte du génie du
réalisateur ou de la lourdeur des images telles qu'elles nous lavent le
cerveau ?
2.1.2. L'AVENIR DU « MALE GAZE ».
Gardons l'exemple du film jamais distribué d'Abdellatif
Kechiche. Les avis le concernant étaient complètement
divisés entre l'ébahissement face au génie et le
dégoût face à tant de misogynie. Selon les uns, la
présence de tant de fesses et de seins garde un aspect esthétique
et brut à l'exécution. Ses défenseurs parlent d'art
radical, allant à l'encontre des règles de la bienséance
puisqu'il s'agit de cinéma presque pornographique. Abdellatif dit dans
la conférence de presse s'être inspiré de toutes les
statues de femmes bien en chaire présentes dans Paris et du code couleur
présent dans les toiles de Picasso (rouge, bleu et magenta). Ses
détracteurs quant à eux s'offusquent de la violence du «
male gaze », sexualisant et
Ophélie Beau
22
deshumanisant les femmes. Mais surtout de la différence
des prises de plans de femmes et d'hommes. Quand celles-ci sont filmées
jusque dans leur intimité, nous n'apercevons pas plus que le torse d'un
homme. La différence entre ces deux points de vue dépend de notre
interprétation. Bien sûr que le « male gaze » est
présent et il est d'autant plus dérangeant que nous ne
connaissons pas les conditions de travail des actrices. L'actrice
Ophélie Beau, qui recevait ce cunnilingus, n'est pas restée dans
la salle lors de la projection, pour une affaire de contrat non
respectée, elle n'était pas d'accord avec ce qu'elle allait voir.
C'est cela qui dérange le plus.
Le « male gaze » n'est pas si détestable
à condition de savoir l'identifier. Les réalisateurs et
réalisatrices ont tendance à le reproduire sans même s'en
rendre compte car c'est cette façon de filmer qui leur est
inculquée. Cela reste une manière de voir le monde et une valeur
esthétique non- négligeable dans le cinéma.
Malheureusement, le « male gaze » n'est pas sans effets secondaires.
Justement quels sont ces conséquences sur nos comportements ?
2.1.3. QUELLES SONT LES REPERCUSSIONS SUR NOS COMPORTEMENTS?
A force de regarder des histoires racontées d'un point
de vue masculin, nous finissons par inconsciemment internaliser ce regard. Nous
nous regardons sans cesse à travers un spectre et performons l'image que
nous avons appris comme plaisante pour l'homme. Nous agissons comme si nous
étions en permanence observés par un regard masculin. Nous sommes
conditionnés à rechercher la validation des hommes puisque
celui-ci à plus de valeur aux yeux de la société. Laura
Mulvey dit que se détacher de ce regard de spectateur masculin et de se
remettre dans sa peau de spectatrice, nous permet de prendre une distance,
d'avoir un regard critique sur le film et sur cette façon sexuelle
qu'ont les réalisateurs de filmer les femmes. Souvent cette
distanciation laisse place à du dégoût.
La domination du « male gaze » affecte aussi les
hommes lorsqu'ils vont tenter d'agir comme les personnages des films pour
attirer les femmes. Les hommes les voient comme des êtres
unidimensionnels et s'ils se comportent assez bien, elles tomberont amoureuses.
Pourtant dans la réalité, les femmes ne réagissent pas
comme les réalisateurs l'ont décidé. Elles ont d'autres
priorités que l'amour ou ne sont tout simplement pas
intéressées par le garçon en
23
question. Ces règles d'attraction des femmes aussi
été fixées par des hommes alors qu'ils sont loin
d'être les principaux concernés. Ceux-ci sont aussi
influencés par le « male gaze » mais au dépend des
femmes. Ils vont tenter de les blesser pour impressionner les autres hommes de
leur entourage. Nous nous retrouvons à devoir déconstruire ce que
les médias nous ont appris surtout en terme de relation homme-femme si
nous voulons avoir des rapports plus sains.
2.1.4. QUEL REGARD PORTE LA SOCIETE SUR LES ROLES FEMININS ?
|
Les femmes continuent à être sexualisées
car la société aime les voir dans cette position. En 2015, sort
le film « Mustang » de Deniz Gamze Ergüven, réalisatrice
franco-turque. Il raconte l'histoire de cinq soeurs qui évoluent en
Turquie, où à partir d'un certain âge, chacun de leur
mouvement et de leur parole sont vus comme sexuels. Les
|
Deniz Gamze Ergüven
|
actrices sont très belles et ne sont pas toujours fort
couvertes mais la caméra ne les sexualise jamais. Durant les interviews
françaises, la réalisatrice devait sans cesse se justifier. Elle
voulait éviter les étiquettes politiques car la
dénonciation de la situation des femmes en Turquie n'était pas
son but recherché. Elle voit son film comme un conte. Les journalistes
ne semblaient pas comprendre qu'une femme puisse faire un film pour l'art. Ils
pointaient sans cesse l'érotisme et la sensualité des actrices
qui sont pourtant toutes mineures dans le film et certaines dans la
réalité. Les chroniqueurs la coupaient lorsqu'elle parlait, la
prenaient de haut, essayaient de la convaincre que seul leur vision est la
bonne. Au final, il s'agissait d'un discours de sourds où on ne laisse
pas la chance aux femmes de se défendre ou de s'exprimer.3
Même lorsque le film est réalisé par une femme, sans
sexualiser ses actrices. Si elles rentrent dans les critères de
beauté, les gens auront tendance à les érotiser et feront
tout pour trouver une justification à cela. Nous pouvons comprendre par
cela que nous n'avons pas besoin d'être sexy pour être
sexualisée puisqu'une femme est avant tout vue comme un objet du
désir.
3 (Erguven, 2015)
2.2. LE CINEMA VU PAR LES FEMMES.
24
Comme nous l'avons vu dans l'historique, les femmes ont
toujours été présentes dans le septième art, par
déduction le regard des femmes aussi. Le « female gaze » a lui
aussi été étouffé au profit du « male gaze
» bien plus présent. Ce terme, comme son confrère, a
été introduit par Laura Mulvey. Le « female gaze » ne
doit pas forcément être créé par des femmes. Il
adopte pleinement le point de vue et l'expérience du personnage
féminin. Comme dans le Titanic, réalisé par James Cameron,
le film est raconté d'un point de vue féminin. Le « female
gaze » n'est pas là en opposition au « male gaze », il
est là pour apporter une nouvelle forme de cinéma. Les
spectatrices ne veulent pas que les rôles féminins remplacent ceux
des hommes dans leurs histoires, elles veulent avoir les leurs, où elles
sont écoutées et elles peuvent juste exister. Le « female
gaze » dépend énormément de la mise en scène,
les corps ne sont pas des objets fixes, ils sont en mouvement. La caméra
ne se concentre pas sur une partie sexuelle comme les fesses mais joue avec les
plans et nos sens. Le spectateur est actif dans son visionnage, là
où dans le male gaze on lui impose le plaisir scopophile. Il va
participer à l'expérience cinématographique par des
techniques qui activent le regard tel que l'adresse directe à la
caméra, la voix off ou encore la caméra subjective qui prend le
point de vue directe de l'héroïne. Selon Iris Brey, pour savoir si
un film participe au « female gaze », nous devons nous poser les
questions suivantes : Est-ce que le personnage principal s'identifie en tant
que femme ? Est-ce que l'histoire est racontée du point de vue du
personnage principal féminin ? Est-ce que l'histoire remet en question
l'ordre patriarcal ? Est-ce que la mise en scène permet au spectateur
ou, à la spectatrice de ressentir l'expérience féminine ?
Si les corps sont érotisés, est-ce que le geste est
conscientisé ? Est-ce que le plaisir des spectateurs est produit par
autre chose qu'une pulsion scopique ?
|
Récemment, nous avons vu plusieurs films
réalisés avec un regard féminin. Des oeuvres comme «
Insecure », « Booksmart », « Le portrait de la jeune fille
en feu » et bien d'autres. Nous voyons à quel point deux histoires
peuvent être racontées différemment en fonction du regard.
Comme le personnage de Harley Quinn qui est présent dans « Suicide
Squad », film réalisé avec un regard masculin. Puis, elle a
droit à sa propre oeuvre
|
cinématographique dans « Birds of Prey »,
réalisé avec un regard féminin. Les deux
interprétations sont complétement différentes. Dans «
Birds of Prey », Harley Quinn a la possibilité d'être
complètement elle-même, d'exprimer sa bizarrerie sans être
sexualisée et d'être sujette au voyeurisme. Le « female gaze
» permet aux jeunes filles de se construire par un regard de femme et non
dans le but de plaire aux hommes comme le pousse le male gaze.
25
Harley Quinn dans « Birds of Prey " Harley Quinn
dans « Suicide
Squad "
CONCLUSION
Après avoir pris connaissance des disparités de
postes entre les femmes et les hommes dans le monde du cinéma et donc de
la domination masculine sur celui-ci, nous avons pu comprendre pourquoi les
tropes féminins récurrents étaient parfois si
éloignés de la réalité. Les films reflètent
la société ou plutôt la manière dont le
réalisateur, homme souvent privilégié, voit celle-ci.
C'est pourquoi les rôles des femmes de couleur sont si
stéréotypés et dégradants. Même si nous
tendons vers une évolution grâce à la mise en
lumière de réalisatrices, scénaristes et cheffes
opératrices.
Nous avons davantage pris conscience de l'emprise masculine
sur les médias et donc, de son influence sur le monde au travers du male
gaze et de son exécution intuitive. Nous avons observé les
conséquences d'un unique point de vue sur la société. Et
nous avons compris pourquoi ce regard est si apprécié et
présent dans le système. En l'identifiant, nous avons pu
reprendre un regard féminin grâce à la popularisation du
« female gaze ».
Ce dernier raisonnement nous amène à nous poser
quelques questions supplémentaires ; Est-ce que le « female gaze
» peut vraiment exister dans une société patriarcale ?
Comment la femme est-elle représentée dans d'autres horizons et
cultures ?
26
Voilà quelques pistes qui méritent d'être
approfondies...
27
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