DEDICACE
i
À Mes Chers Parents, MKPOUWOUPIEKO Salifou et
NDAYIE MBOMBO Chétou, pour leur soutien et leur affection.
REMERCIEMENTS
ii
Nous aimerions exprimer notre gratitude aux personnes sans
lesquelles ce travail de recherche n'aurait pas été possible.
Nous pensons à nos encadreurs, le Professeur Laurent
ZANG et le Dr. NKOBENA Boniface FONTEM dont le soutien, l'attention et le suivi
permanents ont constitué pour nous une véritable source
d'épanouissement intellectuel.
Nous tenons également à remercier tout le corps
enseignant et le personnel administratif de l'Institut des Relations
Internationales du Cameroun, dont l'encadrement, les orientations reçues
et les conseils ont été précieux durant nos recherches.
Qu'il nous soit permis d'adresser des remerciements
particuliers aux personnalités dont les témoignages, expertises
et conseils, ont été essentiels à la réalisation de
ce travail. Nous pensons spécialement au Professeur Maurice KAMTO,
Ministre délégué auprès du Ministre de la Justice,
Garde des sceaux, à Maître Douala MOUTOME, Ministre de la Justice
et Garde des sceaux à l'époque du recours au règlement
judiciaire, au Professeur Joseph OWONA, Secrétaire Général
de la Présidence de la République du Cameroun (PRESICAM) à
l'époque de la prise de décision, à S.E. M. Hamidou
NJIMOLUH KOMIDOR, Ministre Plénipotentiaire, Conseiller diplomatique du
Chef de l'Etat à l'époque de la prise de décision,
Ambassadeur du Cameroun au Congo et en Angola, au Professeur Joseph Marie
BIPOUN WOUM, Membre de la délégation du Cameroun lors de la
procédure judiciaire à la Haye, au Dr. Anicet ABANDA ATANGANA,
Conseiller Technique à PRESICAM, Membre de la délégation
du Cameroun à la Commission mixte Nations Unies/Cameroun/Nigeria,
à S.E. M. TANDA Robert, Ministre Plénipotentiaire, Membre de la
Délégation du Cameroun à la Commission mixte Nations
Unies/Cameroun/Nigeria, Inspecteur Général des Affaires
Consulaires au Ministère des Relations Extérieures (MINREX),
à M. MAHAMAT ABAKAR, Chef de Service chargé des relations entre
le Cameroun et le Nigéria au MINREX.
Nous souhaitons enfin dire merci à nos promotionnaires
de la filière Diplomatie, dont l'écoute et les encouragements ont
été très utiles.
ABREVIATIONS, ACRONYMES ET SIGLES
iii
A.C.P. : Afrique, Caraïbes et
Pacifique.
C.I.J. : Cour Internationale de Justice.
C.B.L.T : Commission du Bassin du Lac
Tchad.
CEMAC : Communauté Economique et
Monétaire de l'Afrique Centrale.
CNS : Conseil National de
Sécurité.
C.P.P. : Cellule de la Prévision et de
la Prospective.
F.CFA : Franc de la Coopération
Financière Africaine.
F.M.I. : Fonds Monétaire
International.
F.P.A. : Foreign Policy Analysis.
I.D.E. : Investissements Directs
Etrangers.
IRIC : Institut des Relations Internationales
du Cameroun.
M.D.P. : Mouvement pour la Démocratie
et le Progrès.
M.D.R. : Mouvement pour la Défense de
la République.
MINDEF : Ministère de la
Défense.
MINJUSTICE : Ministère de la
Justice.
MINPAT : Ministère des Investissements
Publics et de l'Aménagement du Territoire.
MINREX : Ministère des Relations
Extérieures.
MODELE I : Modèle de l'acteur
rationnel.
MODELE III : Modèle Bureaucratique.
NSC : National Security Council.
OCISCA : Observatoire de Collecte
d'Information Scientifique du Cameroun.
O.I. : Organisation Internationale.
O.I.G. : Organisation Internationale
Gouvernementale.
iv
O.I.N.G. : Organisation Internationale Non
Gouvernementale.
ONU : Organisation des Nations Unies.
OPEP : Organisation des Pays Exportateurs de
Pétrole.
O.U.A. : Organisation de l'Unité
Africaine.
PPTE : Pays Pauvres Très
Endettés.
PAS : Programme d'Ajustement Structurel.
PIB : Produit Intérieur Brut.
PRESICAM : Présidence de la
République du Cameroun.
R.D.P.C. : Rassemblement Démocratique
du Peuple Camerounais.
S.D.F. : Social Democratic Front.
S.D.N. : Société des
Nations.
SG/PRESICAM : Secrétariat
Général de la Présidence de la République du
Cameroun.
SODECOTON : Société de
Développement du Coton.
SONARA : Société Nationale de
Raffinerie.
SOPECAM : Société de Presse et
d'Editions du Cameroun.
S.C.N.C. : Southern Cameroon National
Council.
STABEX : Fonds de stabilisation des recettes
d'exportation des produits agricoles.
SYSMIN : Fonds de stabilisation des recettes
d'exportation des produits minéraux.
T.A.C. : Teachers Association of Cameroon.
U.D.C. : Union Démocratique du
Cameroun.
U.E. : Union Européenne.
U.N. : United Nations.
U.P.C. : Union des Populations du
Cameroun.
URSS : Union des Républiques
Socialistes Soviétiques.
USA : United States of America.
LISTE DES CARTES, TABLEAUX ET
ANNEXES
v
CARTES
1. Localités du Southern Cameroons où se
sont déroulés les votes pour le referendum du 11
février 1961. Carte établie par l'ONU 60
2. La frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria
...100
TABLEAUX
1. Classement des méthodes de règlement
pacifique des conflits territoriaux les plus utilisés par
les Etats 40
2. Effectifs et Armement des armées nigérianes
et camerounaises en
1994 . 48
ANNEXES
1. Carte représentant le Cameroun et le Nigeria
..130
2. Carte agrandi de la Frontière Terrestre entre le
Cameroun et le Nigeria .131
3. Situation de la péninsule de Bakassi au Cameroun
132
4. Carte de la Péninsule de Bakassi 133
5. Carte des frontières du Cameroun sous
administration franco-britannique .134
6. Carte d'ethnies présentes de part et d'autre de la
frontière méridionale entre le Cameroun et
le Nigeria .135
7. Communiqué de presse de PRESICAM du 19
février 1994, relatif aux accrochages
militaires entre le Cameroun et le Nigeria dans la
presqu'île de Bakassi ...136
8. Activités pétrolières du Cameroun (en
tonne) entre 1987 et 1995 137
9. Extrait de presse relatif au dépôt de la
requête introductive d'instance du Cameroun auprès
de la C.I.J .138
10. Résultats de l'enquête d'opinion
réalisée par Cameroon Tribune sur l'affaire
Bakassi .139
11. Tableau sur les articles de presse positifs
publiés par The Herald et The Post sur le conflit
de
Bakassi .140
12.
vi
Tableau sur les articles de presse négatifs
publiés par The Herald et The Post sur le conflit
de Bakassi 141
13. Tableau reliant chaque variable explicative de James
ROSENAU au type de société où elle
est la plus déterminante 142
14. Protocole d'entretien 143
15. Décret N°2009/004 du 8 janvier 2009 portant
création et organisation d'un Conseil National
de Sécurité 144
RESUME
vii
S'inscrivant dans le cadre de la Foreign Policy
Analysis, la présente étude s'intéresse
particulièrement au choix porté par le Cameroun sur le
règlement judiciaire du conflit de Bakassi. Aussi, s'articule-t-elle
autour de l'hypothèse selon laquelle la décision du Cameroun de
recourir à la C.I.J. s'explique aussi bien par la recherche de
l'optimisation de l'intérêt national escompté, à
savoir le respect par le Nigeria de son intégrité territoriale
sans recours à la guerre (modèle de l'acteur rationnel de Graham
ALLISON), que par la combinaison de cinq variables indépendantes
inspirées de James ROSENAU, à savoir les variables
idiosyncratiques, gouvernementales, systémiques, de rôle, et
sociétales.
En effet, l'analyse du problème posé, de
l'objectif poursuivi, et des différentes options soumises au Cameroun,
permet de se rendre compte, dans la première partie de l'étude,
que ce choix était le plus à même de garantir l'atteinte de
l'objectif de Yaoundé. Dans la seconde partie, le cadre conceptuel de
ROSENAU susmentionné permet de ressortir l'influence, sur la
décision étudiée, des variables gouvernementales (les
institutions administratives), de rôle (les fonctionnaires
impliqués dans la prise de décision), idiosyncratiques (les
qualités propres au Chef de l'Etat en exercice), sociétales (le
rôle de la société civile, des médias, des leaders
d'opinion, de la culture de paix et de la fragilité du contexte
socio-économique et politique), et systémiques (le
caractère particulier de l'adversaire et la faveur des acteurs
internationaux pour le règlement pacifique). Un essai
d'évaluation du poids de l'ensemble de ces facteurs permet d'affirmer la
prépondérance des variables idiosyncratiques, suivies des
variables systémiques et gouvernementales, dans l'explication du recours
au règlement judiciaire. L'applicabilité de ces modèles
à l'analyse de cette prise de décision s'avère
également pertinente pour les autres pays africains, voire pour d'autres
pays en développement. La principale difficulté dans cette
optique réside au niveau de l'accès aux informations fiables ;
car les décisions sont prises dans ce que David EASTON appel la
« boîte noire » ; c'est-à-dire avec une haute
confidentialité.
Mots clés : Décision, C.I.J.,
conflit de Bakassi, politique étrangère, processus
décisionnel, règlement judiciaire.
ABSTRACT
viii
This study which falls within the framework of Foreign
Policy Analysis lays focus on the choice Cameroon made in favor of a
judicial settlement of the Bakassi conflict. It is constructed on the
hypothesis that Cameroon's decision to seize the ICJ can be seen as an attempt
at optimizing a defined national interest-Nigeria's respect for its territorial
integrity without resorting to war (Graham ALLISON's rational actor model), or
simply as a result of a combination of five independent variables defined by
James ROSENAU which include idiosyncratic, governmental, systemic, role playing
and societal factors.
In effect, the analysis of the problem posed, the stated
objective and the various options open to Cameroon permits us to find in the
first part of this study that this choice was that which offered the best
success guarantee to Yaoundé in the pursuit of her objective. In the
second part of this study, ROSENAU's conceptual framework mentioned supra helps
us to bring in the influence of governmental variables (administrative
institutions), role playing (civil servants or bureaucrats involved in the
decision process), idiosyncrasies (the character of the presiding head of
state), societal factors (the role of the civil society, media, opinion
leaders, the culture of peace and the fragile socioeconomic and political
context), and systemic variables (the specific nature of the opponent and the
international actors' wish for a peaceful settlement). An attempted comparative
evaluation of the weight of each of these arguments in explaining the decision
to opt for judicial settlement lead us to confirm the dominance of
idiosyncratic variables followed by systemic and governmental factors. The
applicability of these models in the analysis of this decision is also
pertinent for other African countries and developing countries in general. The
greatest difficulty in such a task lies in having access to credible
information because decisions are made within what David EASTON refers to as
the «black box »; that is, veiled with the seal of high
confidentiality.
Key words: Decision, ICJ, Bakassi conflict,
foreign policy, decision making process, judicial settlement.
SOMMAIRE
ix
DEDICACE i
REMERCIEMENTS ii
ABREVIATIONS, ACRONYMES ET SIGLES iii
LISTE DES CARTES, TABLEAUX ET ANNEXES v
RESUME i
ABSTRACT viii
SOMMAIRE ix
INTRODUCTION GENERALE 1
CHAPITRE PRELIMINAIRE : LE CADRE THEORIQUE 19
Section 1 : L'apport des modèles explicatifs d'ALLISON
20
Section 2 : Le cadre conceptuel de ROSENAU 24
CONCLUSION DU CHAPITRE PRELIMINAIRE 29
PREMIERE PARTIE : L'APPLICATION DU MODELE DE L'ACTEUR
RATIONNEL A LA
PRISE DE DECISION DU CAMEROUN 30
CHAPITRE I : LES DESSEINS DU CAMEROUN FACE AUX CONVOITISES
NIGERIANES
ET LES SOLUTIONS NON JUDICIAIRES ENVISAGEES 32
Section 1 : L'exposé du problème et de
l'objectif du Cameroun 32
Section 2 : Les options non judiciaires soumises au Cameroun
39
CHAPITRE II : LES ENJEUX DU RECOURS AU REGLEMENT JUDICIAIRE
50
Section 1 : Les risques du recours au règlement
judiciaire 50
Section 2 : Les atouts de la voie judiciaire 57
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE 65
DEUXIEME PARTIE : L'ANALYSE DU RECOURS AU REGLEMENT JUDICIAIRE
SELON
LES VARIABLES EXPLICATIVES DE ROSENAU 66
CHAPITRE III - L'INFLUENCE DES ACTEURS INSTITUTIONNELS 68
Section 1 : Les variables gouvernementales et de rôle
69
Section 2 : La variable idiosyncratique 77
CHAPITRE IV - LE RÔLE DES VARIABLES SOCIOLOGIQUES 88
Section 1 : Les variables sociétales 88
Section 2 : Les variables systémiques 98
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE 113
CONCLUSION GENERALE 114
BIBLIOGRAPHIE 118
ANNEXES ..129
TABLE DES MATIERES 146
INTRODUCTION GENERALE
1
2
I. LE CONTEXTE ET L'OBJET DE L'ETUDE
L'un des problèmes qui affectent les recherches
consacrées à l'étude de la politique
étrangère, des pays en développement en
général et africains en particulier, est celui de la
rareté des oeuvres réalisées sur la prise de
décision en période de crise ou de conflit. Nonobstant
l'importance de l'analyse de la prise de décision dans la
compréhension et l'explication de la politique étrangère
d'un Etat, il est à relever que les chercheurs ne se sont pas
suffisamment intéressés aux décisions prises par ces pays.
La majorité des travaux disponibles en la matière est
focalisée sur les pays en développement. A cet égard, les
Etats-Unis d'Amérique émergent comme le pays où les
études dans ce domaine sont le plus développées. C'est
dans ce contexte qu'est née l'idée, en vue de combler ce
déficit, de procéder à travers la présente
étude à l'analyse d'une décision spécifique prise
par un pays africain en période de conflit.
Pour ce faire, le Cameroun, pays d'Afrique subsaharienne, a
été privilégié. Le conflit choisi est celui relatif
à la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le
Nigeria, et la décision étudiée est le choix porté
par Yaoundé sur le règlement judiciaire du conflit frontalier en
question.
En effet, face à l'occupation nigériane de la
péninsule de Bakassi, et aux résultats peu satisfaisants des
procédés diplomatiques de règlement engagés depuis
janvier 1994, trois options s'offraient au Cameroun : la poursuite des voies de
règlement diplomatique, le recours au règlement militaire, et
l'option pour une solution judiciaire. Le 29 mars 1994, après avoir
favorisé pendant des années la voie diplomatico-politique dans le
règlement des incidents frontaliers avec son voisin occidental le
Nigeria, le Cameroun décide de porter le conflit qui les oppose,
à propos de la presqu'île de Bakassi, devant l'organe judiciaire
principal des Nations Unies ; d'où l'intérêt de cette
étude, qui a pour objet l'analyse des variables explicatives de la
décision des autorités camerounaises de recourir à la
C.I.J. pour le règlement du conflit de Bakassi.
Afin de mieux cerner l'objet de l'étude, il convient de
procéder à une clarification de ses concepts de base.
II. LES CONCEPTS DE BASE
« Si vous voulez converser avec moi, disait Voltaire,
définissez vos termes »1. Il en va de même en
analyse politique. Afin de s'entendre sur le sens des mots à employer,
et éviter ainsi toute
1 Cité par Ferry DE KERCKHOVE, « La nature
de l'analyse décisionnelle et sa place dans la théorie des
relations internationales » in Etudes internationales, vol.3,
n°4, 1972, p. 504.
3
confusion, les concepts suivants nécessitent des
précisions : politique étrangère (1), décision de
politique étrangère (2), règlement judiciaire (3) et
conflit (4).
1. La politique étrangère
La présente étude s'inscrit dans le cadre
général de la politique étrangère du Cameroun. Le
recours au règlement judiciaire est compris ici comme une
décision de politique étrangère.
Une politique est un ensemble d'actions, de décisions,
de stratégies et de moyens pensés, élaborés et mis
en oeuvre en vue d'atteindre des objectifs particuliers. Dans le cadre de cette
étude, il convient de relever avec Janice STEIN que la confusion qui
entoure la définition de la politique étrangère est plus
apparente que réelle2. Un consensus se dégage autour
du problème central de recherche. La politique étrangère
renvoyant ainsi aux « efforts autoritaires d'une société
nationale pour contrôler son environnement externe par la
préservation de situations favorables à l'étranger et par
la modification de situations défavorables»3. Cette
définition de James ROSENAU demeure actuelle. Frédéric
CHARILLON affirme à ce propos que la politique étrangère
« reste bien l'instrument par lequel l'Etat tente de façonner
son environnement politique international »4.
La politique étrangère du Cameroun
apparaît dès lors, comme l'instrument privilégié par
lequel il essaie de s'insérer dans le jeu international, cherche
à y maintenir ou à y accroître sa capacité
d'influence, afin d'en tirer avantage.
Une approche dualiste du politique a pendant longtemps
considéré les relations internationales comme étant
fondamentalement et irréductiblement différentes des processus
sociaux, politiques et économiques qui se déroulent à
l'intérieur des Etats5. Les auteurs réalistes, tenants
de cette approche, soutiennent que la politique étrangère est par
nature différente de la politique intérieure6. Raymond
ARON souligne à cet effet que : « tant que l'humanité
n'aura pas accompli son unification dans un Etat universel, il subsistera une
différence essentielle entre politique intérieure et politique
étrangère »7. Pour Marcel MERLE,
« la politique étrangère est [...]
2 Janice STEIN, « L'analyse de la politique
étrangère : à la recherche de groupes de variables
dépendantes et indépendantes », Etudes
internationales, vol.2, n°3, 1971, p. 373.
3 James ROSENAU, « Moral Fervor, Systematic
Analysis and Scientific Consciousness », in Austin RANNEY, Political
Science and Public Policy, Chicago, Illinois, Markham Publishing Co.,
1968, pp. 197-236, cité par Idem.
4 Frédéric CHARILLON (dir.),
Politique étrangère : Nouveaux regards, Paris, Presses
de Sciences Po, 2002, p. 13.
5 Hamadou MGBALE MGBATOU, Le Conflit Frontalier
Cameroun-Nigeria: explications socio-politiques, enjeux, et déterminants
d'une crise bilatérale, Mémoire de DESS, Yaoundé,
IRIC, 1999, p. 2.
6 Hedley BULL, « Society and Anarchy in
International Relations », in Herbert BUTTERFIELD, Martin WIGHT (eds),
Diplomatic Investigations, Londres, Allen and Unwin, 1966, cité par
Stefano GUZZINI et Sten RYNNING, « Réalisme et analyse de la
politique étrangère », in Frédéric CHARILLON
(dir.), op. cit., p. 35.
7 Raymond ARON, Paix et guerre entre les
nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962, p. 19.
4
la partie de l'activité étatique qui est
tournée vers le dehors» 8. Toutefois,
cette approche n'est pas unanimement admise dans la discipline.
Déjà dans les années soixante, ses premières
critiques sont venues des auteurs comme ROSENAU. Ce dernier, à travers
sa théorie du linkage9, a mis en
évidence les liens étroits et à double sens qui peuvent
exister entre la sphère de la politique intérieure et celle de la
politique étrangère10. Graham ALLISON fait aussi
partie des premiers auteurs qui ont proposé d'étudier la
politique étrangère en tant que processus décisionnel
(decision-making process)11. Avant lui, Richard SNYDER,
Henry BRUCK et Burton SAPIN incitaient déjà les chercheurs
à regarder à l'intérieur de l'Etat pour comprendre la
politique étrangère12. Bahgat KORANY affirme à
cet effet que : « si la politique étrangère est
l'initiative tournée vers le "dehors", on sait aussi que des initiatives
tournées vers l'intérieur pourraient également faire
partie de la politique étrangère »13.
Cette vision moniste a le mérite de concevoir la
politique étrangère comme un simple prolongement externe de la
politique intérieure d'un gouvernement, la projection de ses
intérêts au-delà des frontières de l'Etat. Elle
rentre dans le cadre de la Foreign Policy Analysis et correspond
à cet effet à la méthode de l'analyse décisionnelle
qui sera utilisée dans le cadre de cette étude. En se basant sur
cette méthode (explicitée plus loin), la présente
étude prend en considération le rapport inextricable entre
politique intérieure et politique étrangère.
2. La décision de politique
étrangère
Le choix porté par le Cameroun sur la C.I.J. pour le
règlement du conflit de Bakassi est analysé dans cette
étude comme une décision de politique étrangère. La
décision de politique étrangère ne peut être
définie de façon indépendante du processus qui y conduit
(a). De même, pour une meilleure compréhension dudit concept, il
convient de le distinguer de la notion de « politique », afin
d'éviter des confusions éventuelles (b).
8 Marcel MERLE, La politique
étrangère, Paris, PUF, 1984, p. 7.
9 La théorie du « linkage »
a été pensée et développée par James
ROSENAU dans son ouvrage, Linkage Politics : Essays on the convergence of
National and International Systems, New York, The Free Press, 1969.
10 par Hamadou MGBATOU MGBALE, La politique
camerounaise de résolution pacifique de la crise de Bakassi. Une
approche réaliste et transnationale, Thèse de Doctorat,
Yaoundé, IRIC, 2001, p.51
11 Stefano GUZZINI et Sten RYNNING, 2002, op.
cit., p. 36.
12 Lire à ce propos, Richard SNYDER, Henry
BRUCK, and Burton SAPIN, Foreign policy decision-making: An approach to the
study of international Politics, editions Free Press of Glencoe, United
States, 1962, cité par SMITH, HADFIELD et DUNNE, «The Development
of Foreign Policy Analysis», Oxford University Press, 2011, [En
ligne],
http://www.oup.com/uk/orc/bin/9780199215294/,
consulté le 16 mars 2011.
13 Bahgat KORANY, Analyse des Relations
internationales-Approches, concepts et données, Québec,
Gaëtan Morin, 1987, p. 27, cité par Alain Titus BILOA TANG, Le
Ministère des Relations Extérieures dans la politique
étrangère du Cameroun : une analyse à la lumière
des politiques publiques, Mémoire DESS, Yaoundé, IRIC, 2000,
p.5.
a)
5
Le processus décisionnel
« Processus » est un mot latin signifiant
« progression »14. Un processus peut être
entendu comme un enchaînement d'actions plus ou moins planifiées
aboutissant à un résultat donné. Il ne doit pas être
confondu avec procédure. Les deux termes ont en commun l'idée de
déroulement par étapes. Mais, alors que le processus
apparaît comme descriptif et naturel (même s'il suit une loi), la
procédure a quelque chose d'impératif, de normatif, et ne
s'emploie pas à propos des phénomènes
naturels15. Dans le cas du processus décisionnel, le
résultat en question est une décision. L'étude du
processus décisionnel renvoie donc à l'étude du
cheminement qui aboutit à la prise d'une décision. En revanche,
le processus de la décision n'est pas un processus linéaire qui
conduit les décideurs sur le chemin qui va de la sélection des
objectifs à leur conclusion. Les objectifs peuvent changer au cours du
processus en raison de la plasticité et de l'élasticité de
la décision ; influence du lobbying, du contexte national et
international. D'après Eugene BARDACH, cette nature élastique
s'explique par la construction mentale propre au décideur16,
c'est-à-dire par la manière dont ce dernier perçoit et
définit la situation.
b) La distinction entre politique et décision
de politique étrangère
La prise de décision concerne tout organisme vivant.
C'est un choix opéré par un acteur individuel ou collectif pour
résoudre un problème qui se pose à lui, ou pour exprimer
une opinion sur une réalité ou un phénomène. Ce
processus est activé lorsque nous ressentons le besoin d'agir sans
savoir comment diriger notre action. Préférer s'en remettre au
hasard (tirer à pile ou face) est aussi le résultat d'une prise
de décision. Une décision peut avoir diverses natures. Selon
David EASTON, une décision politique représente le produit fini
(output) du système politique ; ce produit serait la
résultante d'éléments (inputs) dont la
répartition est établie d'autorité17. Pour
Richard SNYDER, Henry BRUCK et Burton SAPIN : « la prise de
décision est un processus se traduisant par la sélection parmi un
nombre limité de projets alternatifs problématiques et
14 HONGRE Bruno, Le dictionnaire portatif du
bachelier, Paris, Hatier, 2002, p. 506.
15 Ibid., p. 506.
16 Eugene BARDACH, «A Pratical Guide for
Policy Analysis, Chatham House Publishers, New York, 2000, p. 7, cité
par Maricarmen GONZALEZ CISNERO, La politique Latino-américaine de
l'Union européenne: processus et contenu, 1996-2006, Doctorat,
Université Toulouse I Capitole, 2010, p.59. A ce propos, Richard SNYDER,
Henry BRUCK, et Burton SAPIN, relèvent que l'intérêt, ou
l'objectif de la nation est définit de façon subjective comme
étant tout simplement « ce que le décideur décide
qu'il est ». (Voir Richard SNYDER, Henry BRUCK, et Burton SAPIN, p.
5, cité par Maricarmen GONZALEZ CISNERO, La politique
Latino-américaine de l'Union européenne: processus et contenu,
1996-2006, Doctorat, Université Toulouse I Capitole, 2010, p. 60).
En d'autres termes, le décideur fixe les objectifs de la nation en
fonction de sa perception de la situation, et peut le modifier
ultérieurement. D'où l'élasticité.
17 David EASTON, A Framework for Political
Analysis, New York, Wiley & Sons, 1965, cité par Ferry DE
KERCKHOVE, op cit, p. 498.
6
socialement définis d'un projet destiné
à générer les futures circonstances envisagées par
les décideurs » 18.
Janice STEIN établit une distinction
intéressante entre une décision et une politique. Alors qu'une
décision se présente comme un acte ou un comportement unique et
spécifique, une politique renvoie à un ensemble de
décisions qui révèle une ligne de
comportement19. La politique20 « désigne
le processus par lequel sont élaborés et mis en place des
programmes d'action publique » 21. Elle renvoie « à
la définition et à la mise en oeuvre de moyens pour
réaliser certains objectifs déterminés dans des domaines
précis22 ». Décision et politique sont
toutes deux des manifestations de politique étrangère, mais la
première se réfère à un comportement particulier
alors que la seconde représente une tendance ou une structure plus
générale de comportement23.
3. Le règlement judiciaire
Le règlement judiciaire fait partie de la grande
famille des procédés pacifiques de règlement des conflits
internationaux. La résolution des conflits par des moyens pacifiques a
un caractère impératif en droit international24. Elle
est affirmée aussi bien par l'article 2, § 3 et le Chapitre VI de
la Charte des Nations Unies, que par la Déclaration relative aux
principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les Etats votée par l'Assemblée
Générale des Nations Unies, le 24 Octobre 1970. D'après ce
dernier texte : « Tous les Etats doivent régler leurs
différends internationaux avec d'autres Etats par des moyens
pacifiques... »25.
Le règlement pacifique renvoie à la
résolution des conflits internationaux par des procédés
exclusifs de tout recours à la force26. Il peut être
juridique, dans ce cas, il sera arbitral ou judiciaire, mais il peut
également être politique. « Les procédés
juridiques et les procédés politiques se différencient les
uns des autres par le degré de force de leurs résultats. Les
procédés politiques sont entièrement compatibles avec la
souveraineté des Etats... Les procédés juridiques limitent
au
18 Traduction de l'anglais :
«Decision-making is a process which results in the selection from a
socially defined, limited number of problematical, alternative projects of one
project intended to bring about the particular future state of affairs
envisaged by decision makers», in Richard SNYDER, W.H. BRUCK et
Burton SAPIN, Foreign policy decision-making: An approach to the study of
international Politics, editions Free Press of Glencoe, United States,
1962, p.90. cité par Maricarmen GONZALEZ CISNERO, 2010, op. cit.,
p.59.
19 Janice STEIN, op cit, p. 373.
20 Le terme politique n'est perçu ici, ni au
sens de « la sphère politique », ni au sens de
« l'activité politique ». Voir Yves MENY, Jean-Claude
THOENIG, Politiques Publiques, Paris, PUF, 1989, p.13, pour de plus
amples explications.
21 Pierre MULLER, Yves SUREL, L'analyse des
politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1998, p.13.
22 Hilaire De Prince POKAM, Les concepts
fondamentaux en science politique, Editions de l'Espoir, 2002, p. 64.
23 Janice STEIN, op cit, p. 373.
24 NGUYEN QUOC DINH, Droit international
public, Paris, LGDJ, 1975, p. 651.
25 Idem.
26 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT (dir.),
Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 14ème
édition, 2003, p. 496.
7
contraire la souveraineté des Etats. Ils conduisent
à des solutions basées sur le droit et, en tant que telles,
obligatoires pour les parties »27.
Le règlement judiciaire renvoie dans cette étude
au recours à la C.I.J. en vue d'une solution pacifique au conflit de
Bakassi. La C.I.J. est l'organe judiciaire principal de l'ONU. Elle a
été instituée par la Charte des Nations Unies pour
atteindre l'un des buts premiers de l'ONU, c'est-à-dire, «
réaliser par des moyens pacifiques, conformément aux principes de
la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de
différends ou de situations de caractère international
susceptibles de mener à une rupture de la paix 28».
Son fonctionnement est régi par un Statut qui fait partie de la Charte
et par un Règlement qu'elle a adopté. Elle a une double mission :
elle règle, conformément au droit international, les
différends d'ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats, et elle
donne des avis consultatifs sur les questions juridiques que lui posent les
organes et les institutions spécialisées de l'ONU dûment
autorisées à le faire. Dans le cadre du conflit qui l'a
opposé au Nigeria, le Cameroun a requis devant la C.I.J. une
procédure contentieuse.
4. Le conflit
L'opposition entre le Cameroun et le Nigeria à propos
de la péninsule de Bakassi est tantôt qualifiée de «
crise », tantôt de « différend », tantôt de
« conflit », mais jamais de guerre. Il convient de prime abord
d'apporter des éclaircissements sur ces concepts.
La Guerre, au sens du Droit international, est « un
procédé de contrainte avec emploi de la force qui comprend
obligatoirement deux aspects : un aspect militaire et un aspect
interétatique »29. L'aspect militaire renvoie
à une lutte armée et à l'intention de guerre30.
Toutefois, avec l'évolution de la réalité des luttes
armées, le concept « conflit armé », perçu comme
plus neutre, est de plus en plus privilégié au terme originel de
« guerre ».
Dans une perspective de sociologie des conflits, les conflits
renvoient selon Lewis COSER à : «des affrontements entre
acteurs collectifs sur des valeurs, des statuts, des pouvoirs ou des ressources
rares et dans lesquels l'objectif de chaque protagoniste est de neutraliser,
d'affaiblir ou d'éliminer les rivaux »31.
Lorsque l'antagonisme ou l'hostilité conflictuelle emprunte les
voies et les modalités violentes et armées d'expression, l'on se
trouve dans une situation de conflit armé. En Droit international
humanitaire, le conflit armé international renvoie selon les Conventions
de
27NGUYEN QUOC DINH, 1975, op cit, p. 652.
28 Département de l'information des Nations
Unies, La Cour internationale de justice, Questions et réponses sur
l'organe judiciaire principal des Nations Unies, New York, Nations Unies,
10ème éd., 2000, p.2.
29 NGUYEN QUOC DINH, 1975, op cit, p. 731.
30 Pour qu'il y'ait guerre, il faut encore que les
Etats intéressés qualifient comme telle leur lutte
armée.
31 Lewis COSER, Les Fonctions du conflit
social, Paris, PUF, 1982, p.132.
8
Genève de 1949 et le Protocole additionnel n° 1 de
1977 entre autres, à des échanges armés entre deux ou
plusieurs Etats, mais aussi à tous les cas d'occupation de tout ou
partie du territoire d'un Etat, même si cette occupation ne rencontre
aucune résistance militaire32.
La crise quant à elle, est généralement
associée à une situation qui menace les objectifs visés
par un groupe, un Etat ou une ethnie, où le temps presse, où il
existe un danger d'escalade, enfin, où se retrouve un fort
élément de surprise politique, diplomatique, ou
militaire33 .
Le terme « différend » a une connotation
beaucoup plus juridique et renvoie selon la C.I.J., à « un
désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une
opposition de thèses juridiques ou d'intérêts
»34.
Dans le cadre de cette étude, le concept plus
général de conflit a été privilégié
en raison de l'hostilité et de l'antagonisme ponctués
d'affrontements armés, qui a opposé le Cameroun au Nigeria, du 21
Décembre 1993 au 14 Août 2008 à propos principalement de la
péninsule de Bakassi ; d'où l'expression « conflit de
Bakassi ».
L'analyse du processus de prise de décision du
Cameroun, nécessite une circonscription temporelle et spatiale de la
présente étude.
III. LA
DELIMITATION DU SUJET
En vue d'une analyse cohérente des principales
variables explicatives de la décision du Cameroun de recourir au
règlement judiciaire, il est nécessaire de procéder in
limine litis à une délimitation de l'étude dans
l'espace et dans le temps.
Géographiquement, les variables dont il est question
n'ont pas de limites spatiales précises. Entrent en compte, bien entendu
à côté de la péninsule de Bakassi et des deux
principaux pays concernés que sont le Cameroun et le Nigeria, toutes
zones géographiques ayant contribué de près ou de loin
à la décision des autorités de Yaoundé.
32 Il existe plusieurs situations couvrant la
notion de conflit armé internationaux selon les Conventions de
Genève de 1949 et le Protocole additionnel n° 1 de 1977 : la
première situation est celle de l'état de belligérance ;
la deuxième concerne les conflits d'occupation ; la troisième
situation de conflit armé international concerne les luttes
d'autodétermination interne ou conflit opposant un peuple à un
régime raciste. On vise ici non seulement ceux qui sont à
l'intérieur, mais aussi ceux qui peuvent les aider. Il y a enfin les
conflits mettant en jeu des forces qui luttent pour le maintien de la paix.
33 Charles Philippe DAVID, La guerre et la
paix, approches contemporaines de la sécurité et de la
stratégie, Paris, Presse de science politique, 2000, p.134.
34 Définition donnée par la C.I.J.
dans le cadre de l'affaire Bakassi, pour répondre à la
cinquième exception préliminaire du Nigeria relative à la
non existence de différend concernant la délimitation de la
frontière avec le Cameroun. Voir Guy Roger EBA'A, Affaire Bakassi.
Genèse, évolution et dénouement de l'affaire de la
frontière terrestre et maritime Cameroun-Nigeria (1993-2002),
Yaoundé, Presses de l'UCAC, 2008, p. 26. Voir également
CPJI, affaire des concessions Mavromatis en Palestine, arrêt du
30 août 1924, Série A, n° 2, p. 11.
9
Du point de vue temporel, cette étude
s'intéresse uniquement à la requête introductive d'instance
déposée par la République du Cameroun le 29 mars 1994
auprès de la C.I.J., afin de lui demander la reconnaissance de la
souveraineté camerounaise sur la presqu'île de
Bakassi35. Elle exclut ainsi la requête additionnelle du 6
Juin 1994, qui procède à un élargissement de l'objet du
différend. La borne inférieure principale de l'analyse est
l'année 1993, plus précisément le 21 décembre, date
de l'invasion de la péninsule de Bakassi par l'armée
nigériane. Toutefois, dans le cadre des recherches, les faits
antérieurs à cette date permettant de comprendre la dynamique du
processus décisionnel ont été pris en compte. Le 29 mars
1994, date à laquelle le Cameroun saisit la C.I.J. d'une requête
introductive d'instance, a été retenue comme borne
supérieure.
L'analyse du processus par lequel le Cameroun a
privilégié le règlement judiciaire du conflit de Bakassi
revêt un intérêt particulier.
IV. L'INTERET DE L'ETUDE
L'intérêt de la présente étude
s'analyse sur un triple plan : sur le plan diplomatique et politique, sur le
plan scientifique et sur le plan personnel et pratique.
La paix est un idéal, une valeur, un état, un
objectif et une construction permanente36. En ce sens, ce sujet
revêt un intérêt diplomatique et politique
indéniable ; car, il permet :
- de ressortir le processus par lequel le Cameroun par son
option pour le règlement judiciaire, a favorisé la
préservation de la paix et des relations avec son voisin le Nigeria ;
- de se rendre compte de la complexité des relations
entre le Cameroun et son « grand voisin » occidental.
- Enfin, ce sujet est intéressant sur le plan
diplomatique et politique car, la connaissance des raisons bureaucratiques qui
ont conduit à une décision donnée aide les Etats à
reconsidérer les problèmes, par une meilleure gestion des crises
et un meilleur décryptage de certaines décisions des Etats
rivaux.
Sur le plan scientifique,
l'intérêt de la présente étude
s'apprécie à deux niveaux :
- d'une part, elle permet de vérifier
l'applicabilité de modèles explicatifs de la décision de
politique étrangère, généralement
élaborés dans un contexte occidental, sur une décision
prise par un pays africain en développement. A cet effet, il est
à rappeler que l'analyse des variables explicatives de la
décision camerounaise relève d'un constat ; celui, selon les
termes de KORANY,
35 Le Cameroun a en effet saisit la C.I.J. de deux
requêtes successives, réunies ensuite en une seule affaire,
à la suite de la revendication formelle par le Nigeria d'une partie de
la région camerounaise du Lac Tchad. La requête additionnelle (6
juin 1994) a permis d'élargir l'objet du différend sur toute la
frontière.
36 Jacques LE DAUPHIN, « Le concept de paix
», Intervention lors du colloque sur « l'éducation à la
paix » à l'I.U.F.M. de Dijon les 20 et 21 mars 2002, [En ligne],
www.institutidrp.org,
consulté le 3 mars 2010.
10
du « sous-developpement de l'étude des pays
sous-developpés »37. En effet, d'après lui,
« les analystes de la politique étrangère continuent
à élaborer des modèles (censément universels) pour
expliquer aussi bien la politique étrangère du Ghana, que celle
de la Suède, de l'Indonésie ou de la République
fédérale d'Allemagne, partant de l'hypothèse implicite que
les différents acteurs en cause sont interchangeables
»38.
- d'autre part, cette recherche est scientifiquement
intéressante car elle se préoccupe de l'étude d'une
décision prise en situation de crise. En effet, l'analyse des processus
de décision gouvernementale, centrée sur l'étude des
crises, constitue un domaine privilégié de l'étude des
Relations Internationales, car « elle met en lumière le
comportement des dirigeants politiques dans cette zone imprécise entre
la politique et la stratégie, entre la diplomatie et la guerre
»39. Dans ce domaine également, les études
ayant pour objet des pays en développement sont quasi-inexistantes.
Sur le plan pratique et personnel,
cette étude permet au futur diplomate de
s'imprégner de la politique étrangère du pays qu'il
s'engage à servir, à travers la maîtrise de ses rouages
essentiels, de ses fondements et objectifs, mais aussi de ses
déterminants et contraintes. Elle permet aussi de comprendre la logique
qui guide le Cameroun dans la formulation de sa politique
étrangère.
Après avoir présenté
l'intérêt qu'il existe à étudier la décision
camerounaise, il convient de ressortir les objectifs poursuivis par la
présente analyse.
V. L'OBJECTIF DE L'ETUDE
La présente étude a pour objectif de ressortir
de la manière la plus exhaustive possible les principaux facteurs qui
ont influencés la décision du Cameroun de privilégier
à d'autres voies, le règlement judiciaire du conflit frontalier
qui l'a opposé au Nigeria, à propos de la péninsule de
Bakassi. Toutefois, il convient de prendre en compte dans cette entreprise le
caractère essentiellement opaque du processus décisionnel en
matière de politique étrangère40. En effet,
dans ce domaine, le seul qui « pourrait » fournir une explication
optimale est celui qui a pris la décision étudiée, en
l'occurrence le Président Paul BIYA. John F. KENNEDY affirme à ce
propos que: «the essence of ultimate decision remains impenetrable to
the observer - often, indeed, to the decider
37 Bahgat KORANY, « Les modèles de la
politique étrangère et leur pertinence empirique pour les acteurs
du Tiers monde : critique et contre-proposition » in Revue internationale
des Sciences sociales, vol. XXVI, 1974, pp. 76-103, tiré de Philippe
BRAILLARD, Théories des Relations internationales,
1ère édition, Paris, PUF, Coll. Thémis, 1977,
p.152.
38 Idem.
39 Pierre de SENARCLENS et Yohan ARIFFIN, La
politique internationale. Théories et enjeux contemporains, Paris,
Armand Colin, 5ème éd., 2006, p.56.
40 Lire à ce propos Frédéric
CHARILLON (dir.), 2002, op cit, p. 13.
11
himself...There will always be the dark and tangled stretches
in the decision-making process - mysterious even to those who mays be most
intimately involved»41.
Cette étude a également pour objectif de
vérifier l'applicabilité de modèles explicatifs de la
décision de politique étrangère,
généralement élaborés dans des pays
développés et en particulier anglo-saxons, sur une
décision prise par un pays en développement (en particulier
africain).
Afin de mettre en exergue la spécificité de cette
recherche, une revue de la littérature s'impose.
VI. LA REVUE DE LA LITTERATURE
Consciente que l'étude de la politique
étrangère du Cameroun ne constitue pas une terra
incognita doctrinale, la présente recherche ne prétend pas
faire fi de ce qui a été fait en la matière. Toutefois, il
est important de mentionner que les travaux scientifiques consacrés
à l'analyse d'une décision spécifique de politique
étrangère prise par le Cameroun, sont rares.
L'ouvrage de Narcisse MOUELLE KOMBI, intitulé La
Politique étrangère du Cameroun42, traite de
façon générique de la politique étrangère
dudit pays à travers ses acteurs institutionnels, ses contraintes, ses
objectifs, ses principes fondamentaux, et son réseau relationnel dans le
monde. En ce qui concerne le conflit de Bakassi, l'auteur soulève quatre
éléments importants pour cette recherche : l'attachement du
Cameroun au règlement pacifique des différends ; l'incidence de
l'affaire du Cameroun septentrional sur les relations entre le
Cameroun et la C.I.J. ; le recours à la C.I.J. après avoir
essayé de trouver une solution diplomatique au conflit ; et la
pertinence des motifs présentés par le Cameroun dans sa
requête introduite le 29 mars 1994 devant la C.I.J. Toutefois, il ne
s'intéresse ni aux raisons à l'origine du choix porté par
le Cameroun sur le règlement judiciaire, ni au processus
décisionnel dans la politique étrangère dudit pays.
Contrairement aux pays africains comme le Cameroun, la prise
de décision a donné lieu à une littérature
foisonnante aux Etats-Unis. Parmi les travaux publiés en la
matière, certains ont particulièrement marqué la
discipline. L'ouvrage de Graham T. ALLISON, Essence of Decision :
Explaining the Cuban Missile Crisis43 qui traite de la crise
des missiles de Cuba, d'octobre 1962,
41 John F. KENNEDY, «Preface» to Theodore
SORENSON, Decision-Making in the White House: The Olive Branch and the Arrows,
New York, 1963, cite par, Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., Preface,
p. vi. Traduction de l'auteur de la présente étude : «
L'essence de l'ultime décision demeure impénétrable
à l'observateur - souvent, vraiment, au décideur
lui-même...Il y aura toujours de l'obscurité et un
enchevêtrement étendue dans le processus de prise de
décision - mystérieux, même pour ceux qui sont
censés être intimement impliqués dans le processus
».
42 Narcisse MOUELLE KOMBI, La Politique
étrangère du Cameroun, Paris, l'Harmattan, 1996.
43Graham T. ALLISON Essence of Decision:
Explaining the Cuban Missile Crisis, Boston, Little Brown, 1971.
12
entre l'Union Soviétique et les Etats-Unis dans un
contexte de Guerre Froide, est un de ceux là44. Dans cet
ouvrage, il souligne l'importance du comportement des acteurs dans la conduite
de la politique étrangère. Il est le premier auteur à
avoir tenté d'élaborer des modèles théoriques pour
l'analyse de décisions de politique étrangère ;
d'où l'importance de son ouvrage pour qui souhaite étudier la
prise de décision en politique étrangère. Tout en
élaborant « un modèle rationnel » de la prise
de décision, il met en exergue le rôle joué par les
appareils bureaucratiques dans le processus décisionnel ; ceci à
travers deux cadres de référence qu'il propose : le «
modèle organisationnel » et le « modèle
bureaucratique ».
Certes, l'ouvrage d'ALLISON est un profond travail d'analyse,
mais son contexte est différent de celui de la présente
étude. La crise des missiles de Cuba a lieu pendant la Guerre Froide et
oppose les deux géants de l'époque à savoir, les
Etats-Unis (USA) et l'Union Soviétique (URSS). A ce titre, les variables
explicatives des décisions analysées par ALLISON - notamment,
l'installation des missiles à Cuba par l'URSS, le blocus maritime
décidé par les USA, et le démantèlement des
missiles par les USA - ne peuvent être assimilées à celles
du recours du Cameroun - pays africain en voie de développement et ne
jouissant ni d'autant de ressources de puissance, ni du même
régime politique que les USA ou l'URSS - à la C.I.J.
Simplice ATANGA compte parmi les rares chercheurs qui ont
travaillé sur Le processus de prise de décision de politique
étrangère au Cameroun45. Il analyse les acteurs
internes, officiels et sociétaux qui influencent la prise de
décision dans la politique étrangère du Cameroun.
L'analyse des acteurs officiels lui permet de traiter de la concentration des
pouvoirs au sommet de l'exécutif, du démembrement de
l'exécutif et de l'effacement du législatif. Quant à
l'analyse des acteurs sociétaux, elle lui permet d'examiner l'influence
du Parti (unique à l'époque), des groupes de pression et de
l'opinion publique sur l'élaboration de la politique
étrangère au Cameroun. Là s'arrête l'apport du
travail de Simplice ATANGA pour la présente recherche. Son étude
n'est pas basée sur un cas spécifique de prise de
décision, et il ne s'intéresse ni à l'influence des
variables systémiques, ni à celle des variables idiosyncratiques,
pourtant essentielles à la compréhension et à
l'explication des processus décisionnels.
A cet égard, le rôle essentiel des processus
cognitifs dans la compréhension et l'explication de la décision
de politique étrangère a été mis en exergue par des
auteurs comme Ole HOLSTI. Il affirme dans « The belief System and National
Images: a case study »46 que, l' « image » que les
44 Samy COHEN, « Décision, pouvoir et
rationalité dans l'analyse de la politique étrangère
» in SMOUTS Marie-Claude (dir.), Les Nouvelles relations
internationales, Pratiques et théories, Paris, Presses de Sciences
Po, 1998, p.75.
45 Simplice ATANGA, Le processus de prise de
décision en politique étrangère au Cameroun,
Thèse de Doctorat, IRIC, Yaoundé, 1991.
46 Ole HOLSTI, « The belief System and National
Images: a case study », Conflict Resolution, September, 1962.
13
décideurs se font de la réalité acquiert
plus d'importance que la « réalité objective » et
influence leur comportement. Robert JERVIS47 dans Perception and
misperception in International Politics essaye de ressortir les facteurs
cognitifs qui perturbent le bon fonctionnement du processus de prise de
décision et qui faussent l'analyse. Il s'agit, selon lui, de la tendance
à percevoir ce à quoi on s'attend (le wishful
thinking48), et à chercher à intégrer les
informations nouvelles dans des représentations déjà
établies, à les accorder aux croyances préexistantes ; ce
qui en période de crise ou de conflit peut conduire à une vision
erronée de l'adversaire, à sous-estimer les risques ou au
contraire à les surestimer49. A travers l'article d'Alexander
GEORGE intitulé « The operational code: A neglected approach to the
study of political leaders and decision making »50, on
perçoit l'influence que peut avoir le système de croyances d'un
dirigeant sur les décisions de politique étrangère. Cet
auteur y propose dix questions - cinq d'ordre philosophique et cinq d'ordre
instrumental - qui, « posées à un acteur donné,
permettent de saisir l'essentiel de ses croyances politiques dans ses
réponses et de faire le lien entre lesdites croyances et son
comportement »51.
Néanmoins, ces auteurs donnent juste de façon
générale des outils pour étudier l'influence de la
psychologie des hommes d'Etat sur la prise de décision. Ils ne se
préoccupent pas de l'applicabilité de leurs réflexions
dans un contexte précis, tel que celui d'un pays africain. Bahgat KORANY
a dénoncé cette attitude dans un article intitulé «
Les modèles de la politique étrangère et leur pertinence
empirique pour les acteurs du Tiers monde : critique et contre-proposition
»52.
James ROSENAU53 quant à lui, propose
dès 1966 dans « Pre-Theories and Theories of Foreign Policy »,
cinq groupes de variables explicatives de la décision de politique
étrangère à savoir, les variables idiosyncratique, de
rôle, gouvernementale, sociétale, et systémique. Dans cette
étude, il postule que la clé pour mieux comprendre le
comportement d'un Etat-nation est de découvrir son génotype.
Selon lui, tous les Etats ont des caractéristiques particulières
qui peuvent faire en sorte que certaines variables soient plus
déterminantes que d'autres sur leurs décisions de politique
étrangère. Utilisant des critères tels que le degré
de développement, la transparence (« accountability
», c'est-à-dire le caractère ouvert ou fermé du
système politique) et la superficie,
47 Robert JERVIS, Perception and misperception in
International Politics, Princeton, Princeton University Press, 1976.
48 L'expression « wishful thinking
» signifie la prise, par le décideur, de ses désirs
pour des réalités.
49 Lire Samy COHEN, 1998, op. cit., pp.
88-91, pour une analyse de l'approche cognitive de la décision et ses
limites.
50 Alexander GEORGE, «the operational code: A
neglected approach to the study of political leaders and decision making»
in International studies quarterly, N° 13, 1969, pp. 190-222.
51 David S MCLELLAN., «The «Operational
Code» Approach to the Study of Political Leaders: Dean Acheson's
Philosophical and Instrumental Beliefs» in Canadian Journal of
Political Science, N°4, Cambridge University Press, 1971, pp. 52-75
(résumé de l'article consulté le 20 juillet 2010, in
http://journals.cambridge.org
).
52 Bahgat KORANY, 1974, op. cit,. pp. 76-103,
tiré de Philippe BRAILLARD, 1977, op. cit., p. 152.
53 James ROSENAU, « Pre-Theories and Theories
of Foreign Policy », in Barry R. FARRELL Ed., Approaches to
Comparative and International Politics, Evanston, Northwestern University
Press, 1966, pp. 27-92.
14
ROSENAU a élaboré huit
génotypes54. C'est ainsi qu'il affirme que dans les pays
développés, les variables de rôle55 sont plus
prépondérantes, alors que dans les pays en développement,
les variables idiosyncratiques sont les plus déterminantes.
Considérant le second critère, il postule que les variables
sociétales sont plus dominantes dans les pays au système
politique ouvert, a contrario des pays à forte concentration du
pouvoir au sommet de l'exécutif où les variables gouvernementales
sont d'un intérêt plus grand56. A propos du
troisième critère, il affirme que la puissance de la variable
systémique varie en fonction de la superficie du pays dont la
décision est étudiée. Selon lui, « there being
greater resources available to larger countries and thus lesser dependence on
the international system than is the case with smaller countries
»57. Ces comparaisons ont été utiles pour la
présente étude, car elles ont permis d'identifier les variables
qui ont été les plus déterminantes dans le processus de
prise de décision des autorités camerounaises.
Conformément aux caractéristiques attribuées au Cameroun,
il s'agit des variables idiosyncratiques, gouvernementales, et
systémiques.
S'agissant justement de la prépondérance des
variables idiosyncratiques, NKOBENA Boniface FONTEM, dans un ouvrage
intitulé Sacerdoce politique et stabilité des systèmes
: le paradigme Paul BIYA. Manuel pour les hommes politiques d'aujourd'hui et de
demain58, postule le lien de causalité existant entre
les qualités idiosyncratiques du Président Paul BIYA et la
durabilité ainsi que la stabilité du système politique
camerounais. Il retrace le parcours familial, académique et
professionnel du Chef de l'Etat, et identifie dix traits
caractéristiques qui résument ses qualités
idiosyncratiques et influencent son action politique. Ces informations seront
utiles pour l'analyse de l'influence du tempérament du Président
Paul BIYA sur l'option du Cameroun pour le règlement judiciaire.
Toutefois, là se trouve la principale contribution dudit ouvrage
à la présente recherche. En ce qui concerne le conflit de
Bakassi, les auteurs qui s'y sont spécifiquement
intéressés sont nombreux.
54 Les huit types de génotype ou de
sociétés identifiés sont les suivants : 1.
large/développé/ouvert; 2.
large/développé/fermé; 3. large/en
développement/ouvert; 4. large/en développement/fermé; 5.
petit/développé/ouvert; 6.
petit/développé/fermé ; 7. petit/en
développement/ouvert ; 8. petit/en développement/fermé.
Pour un tableau récapitulatif de ces génotypes et des variables
les plus pertinentes par rapport au type de société voir, Eugene
L. MALTAIS, Rosenau's Pre-Theories : The DIEFENBAKER Dilemma on Nuclear
Warheads, Edmonton, Alberta, University of Alberta, Master of Arts, 1972,
p. 12.
55 D'après les variables de rôle, la
décision s'explique non par les attributs personnels du décideur,
mais par le rôle auquel sa fonction lui assigne conformément aux
normes établies et à respecter. Dans ce cas précis,
l'attitude adoptée par le décideur, est celle attendue de
quiconque occupant le même poste.
56 Lire Eugene L. MALTAIS, 1972, op. cit.,
pp. 13-14.
57 James ROSENAU, 1966, op. cit., p. 47.
Traduction de l'auteur de la présente étude : « il
existe plus de ressources dans les larges pays ; ce qui induit moins de
dépendance, comparée aux petits pays, vis-à-vis du
système international ».
58 Boniface FONTEM NKOBENA, Sacerdoce politique
et stabilité des systèmes : le paradigme Paul BIYA. Manuel pour
les hommes politiques d'aujourd'hui et de demain, Yaoundé, Presses
Universitaires de Yaoundé, 2008, 186p.
15
MGBALE MGBATOU Hamadou dans son mémoire intitulé
: Le Conflit Frontalier Cameroun-Nigeria: explications socio-politiques,
enjeux, et déterminants d'une crise bilatérale59,
ressort les données historiques du conflit en présentant les
causes des conflits frontaliers en Afrique comme remontant à la
conférence de Berlin de 1884, et la frontière Cameroun-Nigeria
comme un héritage colonial, facteur belligène. Il analyse les
déterminants et les enjeux internes et externes du conflit du
côté nigérian et camerounais, mais aussi les forces en
présence. Toutefois, ce travail ne s'intéresse qu'aux
déterminants du conflit frontalier et non à ceux de l'option du
Cameroun pour un règlement judiciaire.
Le même auteur en l'occurrence MGBALE MGBATOU Hamadou, a
travaillé sur La politique camerounaise de résolution
pacifique de la crise de Bakassi. Une approche réaliste et
transnationale60. Dans cette étude, il se consacre
à l'analyse d'une part, des déterminants de la politique de
résolution pacifique de la crise de Bakassi, et d'autre part, de la mise
en oeuvre de ladite politique. L'utilité de ce travail pour la
présente étude réside dans le fait que le règlement
judiciaire fait partie de la famille des procédés pacifiques de
règlement des conflits. Donc, certains déterminants
analysés dans le travail de MGBALE MGBATOU, seront utiles dans le cadre
de cette étude. Toutefois, l'effet globalisant du titre dépasse
largement l'objet de la recherche menée dans le cadre d'un
mémoire. Il analyse de façon générale la politique
camerounaise de résolution pacifique et non la décision de
recourir à la C.I.J. Qui plus est, l'auteur base son analyse sur les
théories générales que sont le réalisme et le
transnationalisme, ce qui illustre une fois de plus le caractère
général de son analyse.
L'ouvrage de Zacharie NGNIMAN, Nigeria-Cameroun : La
guerre permanente ?61, constitue une grande source
d'informations sur le conflit de Bakassi. La précision avec laquelle
l'auteur retrace les évènements a été
précieuse dans l'analyse du processus décisionnel. Il expose les
évènements militaires de 1993 à 1996, présente les
acteurs intervenus dans le processus de résolution de la crise et les
différents procédés employés.
L'intérêt de cet ouvrage réside dans le fait qu'il met
à la disposition du chercheur des informations souvent difficiles
d'accès, mais pourtant nécessaires à l'accomplissement
d'un travail scientifique. Néanmoins, l'auteur n'analyse pas les
déterminants qui conduisent à la saisine de la C.I.J. par le
Cameroun ; ce qui rend son ouvrage plus descriptif qu'analytique et en diminue
l'intérêt scientifique.
L'aspect juridictionnel du conflit de Bakassi est
étudié par Guy Roger EBA'A dans son ouvrage intitulé
Affaire Bakassi, Genèse, évolution de l'affaire de la
frontière terrestre et maritime
59 Hamadou MGBATOU MGBALE, 1999, op cit.
60 Hamadou MGBATOU MGBALE, 2001 op. cit.
61 Zacharie NGNIMAN, Nigeria-Cameroun : La guerre
permanente ?, Yaoundé, CLE, 1996, 173p.
16
Cameroun-Nigeria (1993-2002)62. L'auteur y
présente d'abord la C.I.J. et les enjeux pétroliers dans le golfe
de Guinée. Il consacre ensuite la majeure partie de son ouvrage au
litige devant la C.I.J., de sa naissance à son dénouement. Cet
ouvrage est intéressant dans la mesure où l'auteur y relate les
évènements avec une grande précision, et présente
les arguments juridiques du Cameroun et du Nigeria devant la C.I.J. Toutefois,
il ne procède à aucun travail d'analyse de la situation. Il ne
recherche pas les raisons qui amènent le Cameroun à
préférer la saisine de la C.I.J. à toutes autres
alternatives.
Jean Pierre FOGUI compte également parmi les auteurs
qui se sont penchés sur l'affaire Bakassi. Dans son ouvrage
intitulé Les leçons du conflit de Bakassi, il entreprend
une analyse de la stratégie adoptée par le Président Paul
BIYA dans la gestion du conflit de Bakassi. Cette analyse ressort succinctement
les fondements de l'option du Cameroun pour un règlement pacifique, et
les leçons qu'il faut en retenir. Toutefois, elle reste classique, la
présente étude a pour ambition d'user d'une approche
complètement différente en faisant recours à la
Foreign Policy Analysis comme base de l'analyse.
Pour orienter la recherche, une problématique est
nécessaire.
VII. LA PROBLEMATIQUE
Les problèmes frontaliers entre le Cameroun et son
voisin occidental, le Nigeria, ne datent pas de 1993. Ils remontent au
lendemain des indépendances, et ont occasionné des
périodes de tensions extrêmes en 1981, 1993 et 1996. Avant mars
1994, le Cameroun avait toujours privilégié la voie
diplomatico-politique pour régler ces difficultés.
Dès lors, il serait intéressant de rechercher,
les raisons qui l'ont amené à déposer une requête
auprès de la C.I.J., pour un règlement judiciaire du conflit de
Bakassi. En d'autres termes, qu'est ce qui explique le choix porté par
le Cameroun sur la C.I.J., dans le cadre du règlement du conflit
frontalier qui l'a opposé au Nigeria à propos de la
péninsule de Bakassi ?
De cette problématique naît l'hypothèse
de la recherche.
VIII. L'HYPOTHESE
Selon Gordon MACE et François PETRY, l'hypothèse
se présente comme une réponse anticipée à la
question spécifique de la recherche, un résultat à la
formulation du problème et le point de départ de toute
vérification63.
62 Guy Roger EBA'A, 2008, op. cit.
63 Gordon MACE et François PETRY, Guide
d'élaboration d'un projet de recherche en sciences sociales,
Québec, Presses Universitaires de Laval, 2000, p. 123.
17
Dès lors, la présente étude postule que
le choix porté par le Cameroun sur le recours à la C.I.J.
s'explique d'une part, par la recherche de l'optimisation de
l'intérêt national escompté, à savoir le respect par
le Nigeria de son intégrité territoriale sans recours à la
guerre (modèle de l'acteur rationnel d'ALLISON), et d'autre part, par
une combinaison de cinq variables indépendantes (inspirées de
ROSENAU) à savoir les variables idiosyncratique, gouvernementale,
systémique, de rôle et sociétale.
L'hypothèse ainsi présentée a
nécessité pour sa vérification, des techniques et
méthodes de recherche précises.
IX. LES TECHNIQUES ET METHODES DE
RECHERCHE
Dans tout travail de recherche, la méthodologie renvoie
à deux considérations majeures : d'une part, les techniques par
lesquels les données sont collectées et, d'autre part, les
méthodes par lesquelles, lesdites données sont
analysées.
Les techniques de recherche regroupent les
procédés par lesquels le chercheur collecte les données et
les informations qu'il analyse. Dans le cadre de cette recherche, deux
techniques ont été utilisées pour la collecte des
données : l'entretien et l'analyse documentaire détaillée.
L'entretien a permis de recueillir des informations de première main
auprès des personnalités qui ont été
impliquées dans la prise de décision64, ou qui ont eu
connaissance du processus décisionnel. Quant à l'analyse
documentaire détaillée, elle a été faite à
partir d'ouvrages (généraux et spécialisés),
d'articles de revues scientifiques et de journaux, d'archives publiques et de
documents officiels traitant du sujet.
Selon Madeleine GRAWITZ, la méthode désigne
« l'ensemble des opérations intellectuelles par lesquelles une
discipline cherche à atteindre les vérités qu'elle
poursuit, les démontre et les vérifie
»65. Pour le traitement des données
recueillies, la méthode de l'analyse de décision et celle de
l'analyse systémique ont été utilisées.
La méthode de l'analyse de décision a permis
d'ordonner la matière historique de telle sorte que celle-ci devienne
plus intelligible. Cette méthode, en phase avec le cadre conceptuel de
ROSENAU, impose certaines normes de recherche, comme l'obligation de
considérer une unité décisionnelle composée
d'individus différents plutôt que la simple entité
abstraite qu'est l'Etat. Elle exige également une étude
psychologique des personnalités, des caractères66. Ces
exigences répondent à la nature des questions que l'on se pose
face à une décision. « Comment l'occasion
64 Voir à cet effet le Protocole d'entretien,
qui figure à l'Annexe 14 (page 143).
65 Madeleine GRAWITZ, op. cit., p. 351.
66 Ferry DE KERCKHOVE, 1972, op. cit., p.
499.
18
d'une décision survient-elle ? Comment la
configuration des facteurs au moment de cette occasion affecte-t-elle le
déroulement du système de décision ? Quel est ce
système ? Quelle est l'unité décisionnelle principale,
secondaire ? Quels sont les canaux de communications privilégiés
? Enfin, comment la personnalité des dirigeants affecte-t-elle
l'orientation de la décision et son processus politique
?»67. Comme l'affirme avec pertinence DE
KERCKHOVE, ce n'est pas tellement la multiplicité des questions qui rend
l'analyse compliquée, mais bien l'orientation interdisciplinaire
qu'elles impliquent68.
L'analyse systémique quant à elle, s'applique
à toute recherche théorique ou empirique, qui part du postulat
selon lequel, la réalité sociale présente les
caractères d'un système, pour interpréter et expliquer les
phénomènes sociaux par les liens d'interdépendance qui les
relient et qui les constituent en une totalité69.
D'après elle, le système comprend d'une part le foyer d'action,
et d'autre part, l'environnement pertinent à l'objet d'analyse. Un
système réagit comme un tout aux pressions extérieures et
aux réactions de ses éléments internes. L'analyse
systémique est utilisée dans la présente étude pour
ressortir l'influence du contexte national et international sur l'option de
Yaoundé pour le règlement judiciaire du conflit de Bakassi.
Le cadre général de l'analyse ainsi
dégagé ne peut être rendu opérationnel qu'à
travers l'exposé de la trajectoire de l'étude.
X. L'ANNONCE DU PLAN
La présente étude commence par un chapitre
préliminaire consacré au cadre théorique. Elle se
subdivise ensuite en deux parties. La première partie est
consacrée à l'analyse de l'option du Cameroun pour le
règlement judiciaire du conflit de Bakassi, selon le modèle
rationnel de la prise de décision élaboré par ALLISON.
Cette partie ressort les desseins du Cameroun face aux convoitises
nigérianes, les solutions non judiciaires envisagées (Chapitre I)
et les enjeux du recours au règlement judiciaire (Chapitre II).
La deuxième partie procède à
l'explication de la décision du Cameroun selon le cadre conceptuel
élaboré par ROSENAU. Elle met ainsi en exergue l'influence des
acteurs institutionnels (Chapitre III) et le rôle des variables
sociologiques (Chapitre IV) sur le processus de prise de décision
étudiée.
67 Ferry DE KERCKHOVE, 1972, op. cit., p.
499.
68 Idem.
69 Roger Gérard SCHWARTZENBERG, Sociologie
politique, Paris, Montchrestien, 1988, p.79.
CHAPITRE PRELIMINAIRE : LE CADRE THEORIQUE
19
La présente étude se voulant
opérationnelle, ce chapitre préliminaire a pour objet de
ressortir le référentiel théorique sur lequel est
basée la vérification de l'hypothèse de recherche. En
d'autres termes, il s'agit d'analyser les outils conceptuels de base à
partir desquels l'on pourra saisir les variables qui ont influencées la
prise de décision du Cameroun.
En effet, la théorie des Relations Internationales est
« un ensemble cohérent et systématique de propositions
ayant pour but d'éclairer la sphère des relations sociales que
nous nommons internationales»70. Toutefois, le nombre de
théories des relations internationales serait extrêmement
restreint, si l'on se cantonnait uniquement à cette définition de
la théorie, entendue comme ensemble cohérent et
systématique de propositions. Philippe BRAILLARD relève à
ce propos, qu'il est d'usage de ranger sous l'expression « théories
des Relations Internationales », non seulement les formulations
théoriques proprement dites, mais aussi les travaux d'élaboration
théorique (construction de taxinomies, élaboration et
étude de modèles, formulation et mise à l'épreuve
d'hypothèses) ne permettant pas encore d'aboutir à la formulation
d'un ensemble cohérent de propositions, mais constituant tout de
même une approche théorique71. La présente
recherche se situe précisément dans le cadre des travaux
d'élaboration théorique.
Par ailleurs, la majorité des travaux consacrés
aux relations internationales n'a pas pour objet une compréhension
globale de ces relations mais certains types précis de
phénomènes ou de processus, certains aspects particuliers. Les
théories ou éléments théoriques
élaborés dans le cadre de ces travaux ont donc un
caractère partiel et non général, étant
donné la limitation de leur objet72. Aussi, les
théories de la décision sont-elles dites partielles.
La présente recherche qui s'inscrit dans le champ
d'étude de la Foreign policy analysis73 (FPA) aura
donc pour outils conceptuels de base les modèles explicatifs
élaborés par ALLISON
70 Philippe BRAILLARD, 1977, op. cit.,
p.17.
71 Idem.
72 Ibid., p.120.
73 La FPA est née aux Etats-Unis dans les
années 1960. Elle définie la politique étrangère
par ses variables indépendantes, et en cela, pour elle, le processus de
prise de décision est tout aussi important que la décision. C'est
une approche qui privilégie la décision politique comme variable
dépendante et qui tente d'en démontrer le processus comme mode
d'explication des relations entre un Etat et les acteurs internationaux.
Prenant à contre-pied les spécialistes qui expliquent la
politique étrangère par l'analyse des objectifs, des
stratégies et des intentions des décideurs à partir des
résultats, la FPA s'intéresse prioritairement aux processus
internes (qu'ils soient politiques, bureaucratiques ou cognitifs) et
extérieurs capables d'influencer la politique étrangère.
Pour une analyse sur l'évolution de la Foreign Policy Analysis,
lire SMITH, HADFIELD et DUNNE, op. cit., [En ligne]. Pour un examen
des relations entre la FPA et le réalisme, Voir Stefano GUZZINI et Sten
RYNNING, 2002, op. cit., pp. 33-63.
20
(Section I), et les variables indépendantes mise en
place par ROSENAU pour l'explication des décisions de politique
étrangère74 (Section II).
Section 1 : L'apport des modèles explicatifs
d'ALLISON
L'ouvrage d'ALLISON75, Essence of
decision76, nonobstant certaines critiques propres à
toute oeuvre scientifique, reste un classique dans le domaine de l'analyse de
la politique étrangère. L'auteur y propose trois approches
théoriques pour l'explication et la prédiction des
décisions de politique étrangère. Ces approches sont
reprises dans la seconde édition de son ouvrage auquel contribue Philip
ZELIKOW77. Il s'agit en l'occurrence du modèle de l'acteur
rationnel, du modèle organisationnel, et du modèle
bureaucratique. La présente étude sera basée sur le
modèle de l'acteur rationnel (Paragraphe 1) et sur le modèle
bureaucratique (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'approche de l'acteur rationnel
Selon ALLISON, beaucoup d'analystes de la politique
étrangère, - et même de profanes - expliquent et
prédisent le comportement des Etats selon l'approche conceptuelle
classique, qu'il appelle dans son ouvrage modèle de l'acteur rationnel
ou Modèle I78. Ce modèle conceptuel a des
caractéristiques précises (A), et fait des propositions en vue de
permettre aux chercheurs d'expliquer, voire prédire le comportement
international d'un Etat (B).
A. Les caractéristiques du modèle
L'unité de base d'analyse du Modèle I est la
décision comme choix national. En d'autres termes, l'Etat est
envisagé comme un acteur unitaire qui prend intentionnellement une
décision en vue d'atteindre un objectif donné. Cet «
acteur est comparable à un individu »79 qui
effectue un choix rationnel. L'explication passe par l'identification
préalable de l'objectif poursuivi par l'Etat à
74La complexité de l'étude de la
prise de décision de politique étrangère induit pour une
explication satisfaisante, la mobilisation de plusieurs modèles
explicatifs. Les modèles utilisés dans la présente
étude ne sont pas mutuellement exclusifs. Ils sont
complémentaires.
75 Graham Allison est professeur d'administration
publique à la John F. Kennedy School of Government et Directeur du
Centre Belfer pour les sciences et affaires internationales à
l'Université de Harvard. Il fut fondateur et doyen de la John F. Kennedy
School of Government de 1977 à 1989 ; et a été
Secrétaire adjoint à la Défense pour la politique et la
planification durant le premier mandat de l'administration Clinton.
76 Avec plus de 400 000 exemplaires vendus,
Essence of decision est un bestseller en administration publique, et
une référence utilisée dans les cours de sciences
politiques et de management stratégique.
77 Graham T. ALLISON, Philip ZELIKOW, Essence
of Decision: Explaining the Cuban Missile Crisis, New York, Longman, 2e
edition, 1999.
78 Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., p.
4.
79 Graham T. Allison et Philip D. Zelikowv, «
L'essence de la décision. Le modèle de l'acteur rationnel »,
Cultures & Conflits, n°36, 2000, [En ligne],
http://conflits.revues.org/index579.html.
Consulté le 14 mars 2011.
21
22
travers cette décision ; car selon ce modèle,
les gouvernements optent pour l'action ou la décision qui «
maximisera » leurs objectifs stratégiques qui se définissent
le plus souvent en termes de sécurité nationale et
d'intérêt national80. « Le critère
principal du processus décisionnel repose ainsi sur l'analyse
rationnelle des coûts et bénéfices de chaque option, dans
le but de parvenir à la meilleure décision, en fonction des
intérêts et des valeurs attribués aux options
considérées »81. Cette approche amène
les analystes à adopter le type suivant de raisonnement : « si
une nation accomplit une certaine action, cette nation doit avoir eu des
desseins pour lesquels cette action représente un moyen optimal
»82. Lorsque l'analyste parvient à construire un
calcul montrant comment, dans une situation particulière, avec des
objectifs spécifiques, le Cameroun a pu choisir de saisir la C.I.J.,
l'explication est réputée atteinte83. Selon
ALLISON, « the attempt to explain international events by recounting
the aims and calculations of nations or governments is the trademark of the
Rational Actor Model »84. Le modèle de l'acteur
rationnel pose les questions suivantes : Quel est le problème ? Quelles
sont les alternatives ? Quels sont les coûts et bénéfices
stratégiques associés à chaque option ? Quels sont les
valeurs et objectifs importants de la nation ? Quelles sont les pressions sur
la scène internationale ? 85.
B. Les propositions générales de
l'approche
L'hypothèse fondamentale d'une conduite «
maximisant » une valeur, a permis à ALLISON de ressortir des
propositions centrales sur lesquelles sont basées la plupart des
explications. Le principe général pouvant être
formulé ainsi : la probabilité de toute action précise
résulte d'une combinaison des facteurs suivants : 1) les valeurs et
objectifs importants de la nation ; 2) les diverses actions possibles
perçues par cette dernière ; 3) les estimations par la nation des
divers ensembles de conséquences (découlant de chaque action
possibles) ; 4) l'évaluation finale de chaque ensemble de
conséquences86. Cela fournit deux propositions87
:
80 Sur les concepts de base et les principes du
modèle rationnel, lire Ibid., pp. 29-34.
81 Charles Philippe DAVID, Au sein de la Maison
Blanche : la formulation de la politique étrangère des
Etats-Unis, 2e édition, Québec, Presses de
l`Université Laval, 2004, p.
82 Traduit de «Conceptual Models and the Cuban
Missile Crisis», The American Political Science Review, vol.
LXIII, 1969, pp. 689-718, in Philippe BRAILLARD, 1977, op. cit., p.
180.
83 Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., p.
10.
84 Traduction de l'auteur de la présente
étude : « l'essaie d'explication des évènements
internationaux par l'analyse des buts et calculs des nations ou gouvernements
constitue la marque de fabrique du modèle de l'acteur rationnel
», voir idem.
85 Version originale: « 1) What is the
problem? 2) What are the alternatives? 3) What are the strategic costs and
benefits associated with each alternative? 4) What is the observed pattern of
national (governmental) values and shared axioms? 5) What are pressures in the
«international strategic marketplace»? », voir ibid,
p. 257.
86 Traduit de «Conceptual Models and the Cuban Missile
Crisis», in Philippe BRAILLARD, 1977, op. cit., p. 181. Pour la
version originale, voir ibid., p. 34.
87 Idem.
1. Une augmentation des coûts d'une action possible,
c'est-à-dire une réduction de la valeur de l'ensemble des
conséquences découlant de cette action, ou une réduction
de la probabilité d'atteindre des conséquences
déterminées, réduit la probabilité du choix de
cette action.
2. Une réduction des coûts d'une action
possible, c'est-à-dire une augmentation de la valeur de
l'ensemble des conséquences découlant de cette
action, ou une augmentation de la probabilité d'atteindre des
conséquences déterminées, augmente la probabilité
du choix de cette action.
Dans le cadre de ce travail, le modèle I permet
d'expliquer la façon dont s'est construite la
décision du recours au règlement judiciaire,
celle-ci étant le fruit d'un calcul rationnel, conduite par un acteur
(le Cameroun) confronté à un nombre limité d'options pour
promouvoir et défendre son intérêt national.
Néanmoins, comme l'a lui-même reconnu ALLISON, le modèle I
ne suffit pas à lui seul pour expliquer certaines décisions de
politique étrangère88. Afin de saisir au mieux le
processus de construction de la décision du Cameroun, le modèle
III, axé sur le fonctionnement de la machine gouvernementale, permet
d'aller au-delà de la vision monolithique du processus de prise de
décision proposée par le modèle I.
Paragraphe 2 : L'approche bureaucratique
Contrairement au modèle classique, l'approche
bureaucratique (ou Modèle III) ne considère pas l'Etat comme un
acteur unitaire. L'examen de ses caractéristiques (A) et du type de
raisonnement qu'il suggère l'illustre (B).
A. Les particularités de l'approche
Dans le modèle III, l'unité de base de l'analyse
ne renvoie pas à la décision comme choix national, mais
plutôt à la ligne de conduite comme conséquence politique.
En d'autres termes, les décisions et les actions des gouvernements sont
essentiellement des conséquences politiques intra nationales :
« conséquences dans le sens où ce qui se passe n'est pas
choisi comme une solution à un problème mais résulte
plutôt du compromis, de la coalition, de la compétition et du
désarroi entre les membres du gouvernement qui examinent les
différents aspects d'une question »89 ;
88 Le modèle I demeure assez
désincarné. Il ne permet pas d'examiner le processus interne de
la prise de décision.
89 Traduit de «Conceptual Models and the Cuban
Missile Crisis», The American Political Science Review, vol.
LXIII, 1969, pp. 689-718 in Philippe BRAILLARD, op cit., pp.
190-191.
23
politiques dans le sens où « l'activité
dont les conséquences sont issues est le mieux
caractérisée comme marchandage »90.
Ainsi, les responsables qui siègent au sommet des
organisations sont des joueurs dans un jeu compétitif central, dont le
nom est politique bureaucratique. La nature des problèmes de politique
étrangère permet un désaccord fondamental entre des hommes
raisonnables, au sujet de ce qui doit être fait. Les analyses produisent
des recommandations opposées. Les responsabilités distinctes qui
reposent sur les épaules des personnalités individuelles
encouragent les différences de perceptions et de priorité. Un
mauvais choix pouvant signifier un dommage irréparable, les hommes
responsables sont obligés de combattre pour ce qu'ils sont convaincus
être juste91. ALLISON relève à cet effet que, ce
que fait la nation est parfois le résultat du triomphe d'un groupe sur
les autres. Toutefois, différents groupes ne s'entendant pas, produisent
le plus souvent, un résultat distinct de ce que chacun avait en vue. Ce
qui permet à la balance de pencher en faveur d'un groupe est :
« le pouvoir et l'habileté des défenseurs de l'action en
question, et de ceux qui s'y opposent »92.
B. Les suggestions générales du
modèle III
Le modèle bureaucratique s'attache à identifier
les joueurs impliqués dans le processus décisionnel, à
faire ressortir ce qui détermine d'une part leur position et d'autre
part leur impact sur la décision finale. Il permet de mettre en exergue
les règles du jeu, mais aussi les relations qui existent entre chaque
joueur, et entre les joueurs et le décideur ultime. Il met en relief le
jeu de tractation, entre des individus et des groupes à
l'intérieur du gouvernement, qui conduit à la décision.
Les propositions centrales sur lesquelles est basé le modèle
bureaucratique sont les suivantes :
L'Action et l'intention : L'action
ne présuppose pas l'intention. Généralement, ce sont des
individus distincts avec différentes intentions qui ont contribué
aux diverses parties composant un résultat distinct de celui que
n'importe qui aurait choisi.
Votre opinion dépend de votre
position93 : Horizontalement, les diverses demandes
faites à chaque joueurs façonnent ses priorités, ses
perceptions et ses conclusions. Selon ALLISON, pour de larges catégories
de questions, la position d'un joueur particulier peut être
déterminée avec une grande sûreté à partir de
l'information concernant sa situation. Il privilégie ainsi le lien entre
la
90 Traduit de «Conceptual Models and the Cuban
Missile Crisis», The American Political Science Review, vol.
LXIII, 1969, pp. 689-718 in Philippe BRAILLARD, op cit., p. 191.
91 Ibid., p. 189.
92 Ibid., pp. 189-190.
93 « Where you stand depends on where you sit »,
lire à ce propos Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., p.
176.
24
fonction exercée par les acteurs et la position qu'ils
défendent94. Cette proposition correspond à la
variable de rôle de ROSENAU, analysée plus bas.
Les hauts responsables et les exécutants :
l'aphorisme « where you stand depends on where you sit
» s'applique aussi bien verticalement qu'horizontalement.
Verticalement, les demandes faites au Président, aux responsables, aux
conseillers et aux exécutants sont tout à fait distinctes. Le
principe général qui se dégage ici en ce qui concerne la
conception de la ligne politique, est le suivant : « le
problème des hauts responsables par rapport à leurs
inférieurs touche au choix . · comment préserver ma marge
de manoeuvre jusqu'à ce que le temps clarifie les incertitudes. Le
problème des fonctionnaires, vis-à-vis de ceux qui se trouvent au
même niveau qu'eux, est une affaire d'engagement . · comment
faire que les autres soient engagés envers ma coalition. Le
problème de ceux qui sont en bas de la hiérarchie, par rapport
à leur chef, est une question de confiance . · comment donner
confiance au patron pour qu'il fasse ce qui doit être fait
»95.
La présente étude tient compte du fait que le
modèle III d'ALLISON correspond aux variables gouvernementales et de
rôle de ROSENAU ; c'est pour cette raison que le titre de la seconde
partie privilégie, afin d'inclure les deux éléments
théoriques, le cadre conceptuel de ROSENAU. Il convient toutefois de
mentionner avec Samy COHEN que le modèle III donne aux bureaucraties un
pouvoir trop important sur la prise de décision. Il sous-estime
très largement l'influence du Chef de l'exécutif sur la
bureaucratie96. A travers sa variable idiosyncratique, ROSENAU a
tenu compte de cette influence.
Section 2 : Le cadre conceptuel de ROSENAU
Dans sa pré théorie de la politique
étrangère, ROSENAU97 situe l'explication de la
décision de politique étrangère, dans une combinatoire
mouvante de cinq variables explicatives à savoir : la variable
individuelle ou variable idiosyncratique, la variable de rôle, la
variable gouvernementale, la
94 Samy COHEN fait partie des auteurs qui ont
critiqués cette proposition (d'application horizontale, mais aussi
verticale). Selon lui, « il n'existe pas de lien de causalité
simple entre ces deux variables, sinon on devrait en conclure que tout autre
Président que KENNEDY aurait pris la décision du blocus, (...) de
même faudrait il croire que les militaires seraient a priori des «
faucons » et les dirigeants civils, des « colombes »
», Samy COHEN, 1998, op. cit., p. 84.
95 Lire Traduit de «Conceptual Models and the
Cuban Missile Crisis», in Philippe BRAILLARD, op cit.,
pp. 193. Lire la version originale en langue anglaise in, Graham T. ALLISON,
1971, op. cit., p. 193.
96 Samy COHEN, 1998, op. cit., p. 85.
97 James N. ROSENAU est un célèbre
politologue américain. Il a servi comme président de
l'Association des Etudes Internationales de 1984 à 1985. Professeur
érudit, son enseignement était axé sur la dynamique du
monde, la politique et le chevauchement entre affaires intérieures et
étrangères (lire à ce propos la théorie du
« linkage politics » évoquée plus haut). Il a
été l'auteur de nombreux articles et de plus de 35 livres. Il a
été parmi les premiers auteurs à appliqBuer la science de
la complexité , un système d'analyse interdisciplinaire avec des
origines dans les sciences dures, à la science politique et les affaires
internationales. La revue Foreign Policy l'a énuméré, dans
son numéro de novembre/décembre 2005, parmi les savants les plus
influents dans le domaine des affaires internationales. Il a enseigné
à la Elliott School of International Affairs de
l'Université George Washington jusqu'à sa mort en 2011.
25
variable sociétale et enfin la variable
systémique98. En vue d'atteindre les objectifs fixés
par la présente étude, il convient d'examiner les variables non
cognitives de ROSENAU (Paragraphe 1), et d'associer sa variable idiosyncratique
au code opérationnel développé par Alexander GEORGE
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les variables non cognitives
Les variables non cognitives analysées ici sont d'une
part, celles gouvernementale et de rôle (A), et d'autre part, celles
sociétales et systémiques (B).
A. Les variables gouvernementales et de rôle
Les variables de rôle et gouvernementales situent
l'explication de la décision de politique étrangère dans
l'environnement le plus immédiat du décideur, c'est-à-dire
son environnement politico-administratif99. Elles correspondent
à l'approche bureaucratique d'ALLISON.
La variable de rôle privilégie dans l'explication
du comportement extérieur d'un Gouvernement, l'influence du statut et
des attentes qui accompagnent la fonction des individus impliqués dans
la prise de décision, que ces individus soient Premier Ministre,
Ministre des Relations Extérieures, ou de la Défense. ROSENAU
affirme qu'indépendamment de la personnalité des dirigeants, leur
rôle affecte également le contenu de la décision d'une
manière propre. Le « rôle » correspond au statut et aux
attentes multiples liées à la fonction exercée par les
acteurs impliqués dans le processus décisionnel. En effet, selon
ROSENAU, chaque fonction s'accompagne de contraintes particulières qui
requièrent un comportement spécifique de tous ceux qui
l'occupent100. Dans le cas des hommes d'Etat, il est souvent
difficile de dissocier leur personnalité du rôle que leur impose
la fonction publique qu'ils assument101.
La variable gouvernementale quant à elle, renvoie aux
conditions relatives à la structure du gouvernement qui influencent le
processus de prise de décision102. Hormis le Chef de
l'exécutif, elle regroupe toutes les institutions administratives qui
influencent la prise de décision. En effet, si le Chef de l'Etat est
l'acteur ultime du processus décisionnel, il n'en est pas l'unique
protagoniste. La multiplicité des domaines en matière de
politique étrangère (sécurité, finance,
commerce,
98 Combinatoire mouvante car, la
hiérarchisation (ou combinaison) de ces variables explicatives change
selon le génotype du Gouvernement (ou le type de société)
qui a pris la décision étudiée. James N. ROSENAU, The
Scientific Study of Foreign Policy, New York, Free Press, 1971,
p.108-109.
99 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 260.
100 James N. ROSENAU, 1971, op. cit.,
p.108-109.
101 Pierre de SENARCLENS et Yohan ARIFFIN, 2006, op cit,
p. 57.
102 James N. ROSENAU, 1966, op. cit., p. 43.
26
environnement, santé, etc.) requièrent
l'intervention de plusieurs acteurs. Blaise SARY NGOY relève à ce
propos que « tous les animateurs de ces domaines participent à
la formulation et à la pratique des politiques étrangères
»103. La variable gouvernementale s'assimile au
modèle III d'ALLISON dans la mesure où elle suggère un
éclatement du processus décisionnel et une influence des
institutions gouvernementales.
B. Les variables sociétales et
systémiques
Par les variables sociétales, ROSENAU désignent
les sources non gouvernementales - nationales - qui influencent le comportement
international de l'Etat104. Il s'agit de la société
civile, des médias, des leaders d'opinion, des mouvements religieux, du
degré d'unité et d'homogénéité nationale, de
la culture nationale et de la nature du système économique. Au
niveau sociétal, l'opinion publique est l'élément dont
l'influence sur la politique étrangère fait l'objet de plus de
débats. Si les idéalistes tout en s'opposant à
l'arbitraire du souverain placent l'opinion publique au centre de la vie
publique et y défendent l'intégrité de son rôle, les
réalistes minimisent l'influence de l'opinion publique en matière
de politique étrangère. En effet, ces derniers estiment que la
politique étrangère exige un minimum de secret et que le public,
indifférent, versatile et capable uniquement de réactions
passionnelles, ignore tout des questions internationales105.
Pourtant, comme le relève Inis Claude « l'opinion publique est
d'un grand intérêt et d'une grande importance pour les
Parlementaires, les Premiers Ministres et les Présidents, les Monarques
et les dictateurs, les instances dirigeantes des partis et les juntes
militaires - c'est-à-dire pour les hommes politiques de toute coloration
»106, car leur succès dépend en partie de la
conformité établit entre leurs actes et les aspirations de la
masse. ATANGA qui a étudié le processus de prise de
décision de politique étrangère au Cameroun, relève
que « l'opinion a un mot à dire dans la politique
étrangère au Cameroun ». Le problème qui se pose
selon lui est celui de « sa marge de manoeuvre réelle
»107.
Les variables systémiques, quant à elles,
représentent tous les éléments et évènements
de l'environnement international qui ont influencés d'une manière
ou d'une autre la décision de politique étrangère
étudiée. Il est important de mentionner que ROSENAU inclut dans
cette branche aussi bien des facteurs intra-nationaux non humains comme la
géographie (la frontière, la situation
103 SARY NGOY Blaise, « Lire les décisions de
politique étrangère du Congo. Du pragmatisme de Mobutu à
l'idéalisme de Kabila L. D. », [En ligne],
www.kitenge.com/analyses.htm,
consulté le 3 janvier 2010.
104 James N. ROSENAU, 1966, op.cit., p. 43.
105 Sur ce débat, lire Nathalie LA BALME, «
Opinion publique et politique étrangère : l'évolution d'un
débat », Frédéric CHARILLON (dir.), 2002, op
cit., p. 193-211.
106 Claude INIS, cité par Simplice ATANGA, Le
processus de prise de décision en politique étrangère au
Cameroun, Thèse de Doctorat, IRIC, Yaoundé, 1991, p. 257.
107 Simplice ATANGA, 1991, op cit., p. 258.
27
ou localisation stratégique de l'Etat, la distance par
rapport aux autres Etats, les ressources naturelles et
énergétiques), que des facteurs extra-nationaux tels que les
défis lancés par des agresseurs, les perceptions, appuis et
recommandations des autres acteurs des Relations Internationales108
que sont les Etats, les Organisations Internationales Gouvernementales (OIG) et
Non Gouvernementales (OING), et l'opinion publique internationale de
façon générale.
Les variables sociétales et systémiques du
paradigme général de ROSENAU peuvent offrir les deux grands plans
de l'approche sociologique de la décision109. Elles
suggèrent de prendre en compte l'influence de l'environnement national
et international sur le processus qui a conduit au choix du règlement
judiciaire. Cette influence s'analyse en termes de contraintes, mais aussi,
d'opportunités qu'offrent lesdits milieux aux dirigeants d'atteindre
leurs objectifs110.
Paragraphe 2 : Les variables cognitives
Si la variable idiosyncratique de ROSENAU reste pertinente
pour la présente étude (A), cette dernière ne donne pas
les instruments nécessaires pour cerner la personnalité du
décideur, et ainsi, établir un lien entre celle-ci et la
décision prise. A ce titre, le code opérationnel
développé par Alexander GEORGE sera utile (B).
A. La variable idiosyncratique
La variable idiosyncratique, encore appelée variable
individuelle, renvoie aux qualités particulières qui distinguent
un dirigeant des autres par ses choix politiques et son
comportement111.
Par cette variable, ROSENAU suggère qu'une
décision s'explique par le tempérament, l'éducation,
l'idéologie, les expériences vécues, bref, toute
l'histoire psychologique et culturelle du décideur112. Sous
cet angle, CHURCHILL n'est pas KENNEDY, et ce dernier n'est ni MANDELA ni De
GAULLE, qui à leur tour, ne sont pas CARTER. Ce sont toutes les
données qui, relevant du caractère du décideur, de son
expérience antérieure, de ses talents personnels, sont de nature
à influencer la décision. La représentation que les
dirigeants ont de la situation est constituée de valeurs,
émotions, perceptions de comportements et de croyances qu'ils ont
adoptées au fil des années.
108 Eugene L. MALTAIS, 1972, op. cit., pp. 9-10.
109 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 262.
110 Encyclopedia of the New American Nation, «Decision
Making - Structural and Systemic factors», [En ligne],
http://www.americanforeignrelations.com/,
consulté le 1er Août 2011.
111 James N. ROSENAU, 1966, op.cit., p. 43 ; voir
également, James N. ROSENAU, 1971, op. cit., p. 108 et suiv.
112 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 254.
28
B. La combinaison de la variable idiosyncratique et du
code opérationnel d'Alexander GEORGE
GEORGE113 propose dix questions qui, posées
à un décideur donné, permettent de saisir l'essentiel de
ses croyances politiques dans ses réponses et de faire le lien entre ces
croyances et son comportement114. Ses « réponses »
à ces dix questions constituent un « code opérationnel
» et éclairent son style et ses performances115. Les dix
questions se subdivisent en deux groupes dont le premier renvoie aux croyances
de l'homme d'Etat à l'égard des problèmes philosophiques
suivants:
· Quelle est la nature essentielle de la vie politique?
Quel est le caractère fondamental des opposants politiques de
quelqu'un?
· Quelle est la probabilité pour quelqu'un de
réaliser ses valeurs et aspirations politiques fondamentales? Peut-on
être optimiste ou doit-on être pessimiste à ce sujet?
· Le futur politique peut-il être prévu?
· A quel point peut-on contrôler ou dominer le
développement historique?
· Quel est le rôle de la chance dans les affaires
humaines?
Le deuxième groupe de questions renvoie aux croyances
relatives aux moyens de l'action, encore appelées « croyances
instrumentales » :
· Quelle est la meilleure façon d'arrêter les
objectifs de l'action politique?
· Quelle est la façon la plus efficace de poursuivre
ces objectifs?
· Comment les risques de l'action politique sont-ils
calculés, contrôlés et acceptés?
· Quelle est la meilleure chronologie à suivre dans
la poursuite des objectifs?
· Quels sont l'utilité et le rôle des divers
moyens aptes à une telle poursuite?
Ces questions peuvent encore être subdivisées
pour une meilleure connaissance du décideur. Le code opérationnel
ne conduit pas à des prédictions précises. Il vise
à mettre en évidence les tendances d'un décideur face
à différentes situations. Une fois que l'on dispose du
système de croyances d'un acteur, il faut distinguer les croyances
centrales des croyances périphériques. Les
113 Décédé depuis le 16 août 2006,
Alexander GEORGE était un Professeur Américain de Relations
Internationales. Il était connu pour ses travaux pionniers en
psychologie politique et politique étrangère. Il a
enseigné à l'Université de Chicago et à
l'Université Américaine de Washington D.C. Il a travaillé
de 1948 à 1968 à la Rand Corporation en tant que
spécialiste dans le domaine de l'étude de la prise de
décision (decision-making) et des relations internationales.
Après, il a été enseignant à l'Université de
Stanford (jusqu'en 1990). Il a publié des articles scientifiques
relatifs à l'impact des croyances cognitives sur le comportement
politique d'un individu et le rôle du stress dans le processus de prise
de décision. Il a également développé des
méthodes visant à utiliser des études de cas pour
construire des théories du comportement politique.
114 Alexander GEORGE, «the operational code: A neglected
approach to the study of political leaders and decision making» in
International studies quarterly, N° 13, 1969, pp. 190-222.
115 David S. MCLELLAN, «The «Operational Code»
Approach to the Study of Political Leaders: Dean Acheson's Philosophical and
Instrumental Beliefs» in Canadian Journal of Political Science,
N°4, Cambridge University Press, 1971, pp. 52-75 (résumé de
l'article consulté le 23 juillet 2010, in
http://journals.cambridge.org
).
29
premières sont celles qui demeurent stables dans le
temps et sont plus à même d'influencer les choix du
décideur.
Le code opérationnel a été un outil pour
une meilleure opérationnalisation de la variable idiosyncratique de
ROSENAU. Il a permis de ressortir le système de croyances du Chef de
l'Etat, et le lien entre celui-ci et la décision de saisir la C.I.J.
Pour cela, il a été fait recours aux textes ou livres
écrits sur et par le Chef de l'Etat du Cameroun, à ses discours,
interviews, monographies, au type de formation reçue et aux
témoignages de ses proches collaborateurs.
CONCLUSION DU CHAPITRE PRELIMINAIRE
Le présent cadre théorique postule, dès
lors, que le choix porté sur la C.I.J. pour le règlement
judiciaire du conflit de Bakassi est fonction des coûts et
bénéfices de cette décision (le modèle de l'acteur
rationnel) pour le Cameroun, des variables idiosyncratiques, des variables
institutionnelles ou gouvernementales (assimilées au modèle
bureaucratique), des variables de rôle, des variables systémiques
et des variables sociétales.
Ainsi, si les coûts du choix de la C.I.J. augmentaient
et que ses bénéfices diminuaient, il était plus probable
que le Cameroun écarte cette option. Au contraire, l'augmentation des
bénéfices du recours à la C.I.J., et la diminution de ses
coûts, maximisaient la probabilité pour les autorités de
Yaoundé de recourir à cette voie. S'agissant des variables
idiosyncratiques, elles postulent que la décision est fonction du
tempérament du Chef de l'Etat ; ce qui signifie que la
préférence du dirigeant pour cette option augmentait ses chances
d'être choisie et le scénario contraire les diminuait. En ce qui
concerne les variables institutionnelles ou gouvernementales, le choix de la
C.I.J. dépendait du soutien (à travers leurs expertises et
analyses) apporté par les institutions impliquées dans la prise
de décision à cette voie ; dans le cas contraire la
probabilité de la prise en compte de ce recours diminuait. Pour ce qui
est des variables de rôle, le recours à la C.I.J. dépendait
du rôle joué par les fonctionnaires représentant les
administrations impliquées dans la prise de décision ; si ces
derniers jouaient bien leur rôle conformément aux attentes et
à leur statut, la probabilité de la prise de cette
décision accroissait et dans le cas contraire, elle décroissait.
Quant aux variables systémiques, la décision du Cameroun
dépendait du soutien des acteurs internationaux ; dans le cas contraire
la probabilité de ce choix régressait. Au niveau sociétal,
la compatibilité du choix judiciaire avec la culture et l'opinion
nationale, ainsi qu'avec les priorités socio-économiques et
politiques de la nation, augmentait les chances de ce choix d'être
retenue ; la configuration contraire diminuait ces chances.
Le cadre théorique ainsi présenté, il
convient maintenant de le rendre opérationnel.
PREMIERE PARTIE :
L'APPLICATION DU MODELE DE L'ACTEUR RATIONNEL A LA PRISE
DE DECISION DU CAMEROUN
30
31
Le modèle de l'acteur rationnel, bien qu'ayant
été élaboré dans le cadre de l'explication des
décisions majeures prises pendant la crise des missiles de Cuba, est une
approche assez globale qui ne s'attache pas à un gouvernement
particulier. Cela s'explique par le fait qu'il part de postulats
généraux, propres à être appliqués à
n'importe quel pays sans considération du régime politique, du
niveau de développement, ou de tout autre trait caractéristique ;
d'où sa valeur scientifique. Ce modèle demeure encore aujourd'hui
le plus usité par les analystes lorsqu'ils essayent d'expliquer les
évènements dans le domaine des affaires
étrangères.
L'approche de l'acteur rationnel, encore appelée
approche du choix rationnel, amène l'analyste à considérer
le choix porté par le Cameroun sur le règlement judiciaire du
conflit de Bakassi, comme une réponse calculée à un
problème stratégique. La rationalité renvoyant, selon
Graham ALLISON et Philip ZELIKOW, à un choix cohérent, optimisant
la valeur dans un cadre spécifique de contraintes116.
Il s'agit ici de montrer comment l'action du Cameroun,
c'est-à-dire le recours à la C.I.J., était un choix
raisonnable compte tenu de l'objectif poursuivi. Pour y arriver, l'analyste
identifie au préalable le problème qui s'est posé au
Cameroun ; il délimite ensuite, les objectifs de celui-ci, les options
disponibles, les conséquences attribuées à chaque option,
et le choix qui optimise l'atteinte des objectifs fixés.
Dès lors, cette partie aura pour objet d'analyser la
rationalité de la décision du Cameroun en suivant le type de
raisonnement adopté par le modèle rationnel. Pour y arriver, le
problème, l'objectif et les alternatives non judiciaires ouvertes au
Cameroun seront examinés (Chapitre I). Puis, l'examen des enjeux de
l'option judiciaire en termes de risques et d'avantages permettra de montrer
comment ce choix précis optimisait le mieux les chances du Cameroun
d'atteindre ses objectifs (Chapitre II).
116 Camille KUBINA, « La prise de décision : de
l'acteur rationnel à la politique bureaucratique », [En ligne],
http://www.thefreelibrary.com/,
22 Juin 2005, Consulté le 15 Juillet 2011.
CHAPITRE I : LES DESSEINS DU CAMEROUN FACE AUX
CONVOITISES
NIGERIANES ET LES SOLUTIONS NON JUDICIAIRES
ENVISAGEES
32
Les conflits sont un phénomène fréquent
dans les relations interétatiques. Quelle que soit leur
intensité, ils constituent un obstacle aux relations entre Etats ;
d'où la question du moyen le mieux adapté pour y mettre un terme.
A cet effet, il existe une gamme variée de procédés allant
du règlement militaire aux voies de règlement pacifique. Les
méthodes de règlement pacifiques sont traditionnellement
classées en méthodes diplomatiques et méthodes
juridictionnelles117. Face au conflit qui l'a opposé au
Nigeria à propos de la péninsule de Bakassi, le Cameroun a
traduit son choix pour la paix à travers le droit, par le
dépôt le 29 mars 1994, d'une requête introductive d'instance
auprès de la C.I.J.
Afin de comprendre les motivations qui l'ont amené
à privilégier ce mode de règlement de conflit, il convient
d'une part, d'exposer le problème ainsi que l'objectif poursuivi par le
Cameroun (Section I) et, d'autre part, d'analyser les conséquences
possibles des options non judiciaires soumises aux autorités de
Yaoundé (Section II).
Section 1 : L'exposé du problème et de
l'objectif du Cameroun
Le problème qui s'est posé au Cameroun en 1994
était relatif aux convoitises118 nigérianes sur la
péninsule camerounaise de Bakassi (Paragraphe I). Face à cette
difficulté, les autorités de Yaoundé recherchaient le
respect de l'intégrité territoriale camerounaise (Paragraphe
2).
Paragraphe 1 : Les convoitises nigérianes sur la
péninsule de Bakassi
Les potentialités de la péninsule de Bakassi en
ont fait un enjeu majeur de l'antagonisme qui a opposé le Cameroun au
Nigéria (A). Elles ont été au coeur de l'occupation
nigériane de la péninsule de Bakassi et de l'échec des
démarches entreprises pour une solution diplomatique du conflit (B).
117 Photini PAZARTZIS, Les engagements internationaux en
matière de règlement pacifique des différends entre
Etats, Paris, L.G.D.J, 1992, p. 8.
118 Une convoitise renvoie à un désir avide
d'appropriation.
33
A. Les potentialités de la péninsule de
Bakassi
La péninsule de Bakassi est située dans la
région camerounaise du Sud-Ouest119. Elle s'étend sur
3 des 7 Arrondissements du Département du Ndian : Isangele, Kombo
Abedimo et Idabato. Elle est essentiellement convoitée pour sa richesse
en ressources naturelles et sa position stratégique dans le Golfe de
Guinée.
En ce qui concerne les ressources naturelles de la
presqu'île, Bakassi est doté d'une faune aquatique abondante et
diversifiée ; ce qui y justifie le développement de nombreux
villages de pêcheurs. En effet, la zone regorge de nombreuses
espèces de poissons et de crustacés. On y trouve également
d'immenses réserves de pétrole off-shore de bonne qualité.
En dehors du pétrole, la péninsule dispose de gisements de gaz et
de nodules polymétalliques120.
Sur le plan stratégique, la péninsule de Bakassi
commande toute la navigation de la baie du Biafra ; ce qui en fait une base
militaire potentielle enviable. Elle constitue un point de surveillance de la
navigation dans pratiquement tout le Golfe de Guinée. Par ailleurs, pour
l'accès au port nigérian de Calabar, il est plus
recommandé de passer par l'estuaire de la Cross River qui longe la
presqu'île de Bakassi. Pour souligner cette importance, Jean Pierre FOGUI
affirme que « qui tient Bakassi tient les clés du Port de
Calabar qui est la plaque tournante de l'économie du Sud-Est du Nigeria
»121. La situation stratégique de la
péninsule de Bakassi a par exemple été
appréciée par le Nigeria lors de la guerre civile biafraise. En
effet, l'autorisation provisoire d'utilisation de Jabane, localité de la
péninsule de Bakassi, donnée par Yaoundé au Gouvernement
Nigérian, avait permis aux soldats nigérians d'empêcher le
ravitaillement de Calabar (qui faisait partie pendant la guerre civile
nigériane, c'est-à-dire entre 1967 et 1970, de la région
sécessionniste dirigée par le Général OJUKWU), et
ainsi, d'étouffer la guerre du Biafra.
Ces considérations économiques et
stratégiques expliquent le problème auquel le Cameroun a
été confronté en 1994 ; en l'occurrence, la
présence nigériane sur son territoire, et l'échec des
mécanismes diplomatico-politiques entrepris pour pouvoir l'y
déloger.
119 Voir l'Annexe 3 relative à la situation de la
péninsule de Bakassi au Cameroun (page 132), et l'Annexe 4
représentant Bakassi (page 133).
120 Gouvernement de la République du Cameroun,
Dossier sur le différend frontalier de la péninsule de
Bakassi, Deuxième édition, 1998, p.9 et 26. Les nodules
polymétalliques sont des concrétions formées de
métaux à l'état natif, qui se forme dans le fond des
océans
121 Jean Pierre FOGUI, 2010, op. cit., p. 10.
34
B. L'occupation nigériane de la péninsule
et les tentatives de règlement diplomatique
En mars 1994, le Cameroun faisait face au problème
suivant : l'occupation illégale depuis le 21 Décembre 1993 de
parties de son territoire par le Nigeria (1), et l'absence d'aboutissement des
différentes démarches engagées pour un règlement
politique de la situation (2).
1. La présence nigériane en territoire
camerounais
Le 21 Décembre 1993, nonobstant la tenue un mois
auparavant d'une réunion d'experts qui semblait marquer un
progrès dans la solution du problème de la frontière entre
le Cameroun et le Nigeria122, les autorités nigérianes
ont décidé unilatéralement d'envoyer des unités
armées dans la péninsule camerounaise de Bakassi. Cette
décision était motivée, selon elles, par le souci de
protéger les ressortissants Nigérians qui y étaient
harcelés par des gendarmes Camerounais123. Toutefois, au 4
janvier 1994, les forces armées nigérianes se sont
installées à Jabane, c'est-à-dire à
l'intérieure du territoire camerounais, à environ 6 km de la
frontière maritime entre le Cameroun et le Nigeria. Elles y ont
hissé le drapeau nigérian, et proclamé le recouvrement de
la souveraineté historique du Nigeria sur la péninsule de
Bakassi124. L'aviation nigériane a violé l'espace
aérien camerounais en effectuant sans autorisation un survol de la
côte camerounaise. Le même jour, à partir de Jabane,
lesdites forces ont occupé également le village de Diamond,
situé seulement à une centaine de mètres de la
sous-préfecture d'Idabato.
Face à cette situation, le Cameroun a répondu
par l'envoi immédiat de soldats sur les lieux. L'unité permanente
de la marine nationale camerounaise basée à Idabato a
été mobilisée, et Yaoundé a
dépêché une autre unité au nord de Jabane, pour
empêcher l'unité nigériane déjà
présente à Jabane de progresser vers le territoire national. Les
deux armées se sont ainsi faites face jusqu'au 17 février. Le 18
et dans la nuit du 19 février, les soldats nigérians ont
attaqué simultanément à Idabato à partir de
Diamond, l'unité camerounaise qui se trouvait au nord de
122 Le 13 Août 1993, les Commissions nationales des
frontières des deux pays se sont réunies à Yaoundé.
Il ressort du Procès verbal de cette réunion que, la remise en
cause nigériane de la Déclaration de Maroua relève des
problèmes politiques internes au Nigeria et non des problèmes
techniques de délimitation de la frontière maritime.
123 En 1993, le Gouvernement Camerounais sous l'instigation du
FMI lance le long des côtes camerounaises particulièrement entre
Douala et la frontière avec le Nigeria, une opération
anti-contrebande baptisée « Daurade ». Cette opération
a provoqué des oppositions vives entre les gendarmes Camerounais et les
pêcheurs et « passeurs » Nigérians qui vivaient jusque
là dans une véritable zone de non droit.
124 Devant la C.I.J., l'un des arguments avancés par le
Nigeria pour justifier ses prétentions sur Bakassi est celui de
l'appartenance de cette péninsule bien avant la naissance du Nigeria et
du Cameroun, aux villes Etats du Vieux Calabar. Il conteste à cet effet
l'Accord Anglo-allemand du 11 mars 1913 consacrant le transfert de la
péninsule de Bakassi au « Kamerun ». Le Nigeria
défendait la position selon laquelle, les Anglais et les Allemands
n'avaient pas le droit de disposer de la presqu'île qui relevait de la
souveraineté des « City States of Old Calabar ». Lire Guy
Roger EBA'A, 2008, op. cit., p. 76.
35
Jabane125. L'armée camerounaise en alerte, a
riposté et évité la progression des forces
nigérianes à l'intérieur du territoire camerounais.
Face à cette violation manifeste de son
intégrité territoriale, le Cameroun a engagé des
démarches diplomatiques en vue d'un règlement pacifique du
conflit frontalier avec le Nigeria.
2. Les efforts de règlement diplomatique du
conflit
Le Cameroun a toujours privilégié dans le cadre
du règlement des incidents frontaliers qui l'ont opposé au
Nigeria dès le lendemain des indépendances le dialogue et les
moyens d'ordre politique126. Il en a été de même
lors du déclenchement du conflit de Bakassi.
En janvier 1994, après l'invasion de la
péninsule de Bakassi par l'armée nigériane, un contact
téléphonique a été établi entre les
Présidents Paul BIYA et Sani ABACHA à l'initiative du Chef de
l'Etat camerounais qui ressentait la nécessité de
s'enquérir de la situation auprès de son homologue
Nigérian. A travers ce contact, le Chef de l'Etat nigérian a
rassuré le Président Paul BIYA en lui expliquant que les
militaires Nigérians avaient seulement pour mission de protéger
les pêcheurs Ibibio contre les actions des gendarmes Camerounais «
indisciplinés ».
Toutefois la tension est montée entre les deux pays le
4 janvier de la même année, lorsque les soldats nigérians
ont hissé leur drapeau à Jabane et pénétré
dans Diamonds island. Le 7 janvier, le Ministre Nigérian des Affaires
Etrangères Babagana KINGIBE, porteur d'un message du
Général Sani ABACHA, a été reçu en audience
à Yaoundé par le Président Paul BIYA. Ledit message
suggérait la constitution d'une Commission mixte Cameroun-Nigeria devant
descendre sur le terrain constater les faits et adresser un rapport aux deux
Chefs d'Etat. Le 13 janvier, le Chef de l'Etat Camerounais a
dépêché Ferdinand Léopold OYONO, alors Ministre des
Relations Extérieures, à Abuja pour signifier son accord, et
porter « un message de paix et de conciliation » à
son homologue. La rencontre de ladite Commission qui s'est tenue du 9 au 10
février 1994 à Buea (Chef lieu de la région camerounaise
du Sud-Ouest), s'est soldée par un échec face à
l'intransigeance de Babagana KINGIBE qui a affirmé la nationalité
nigériane de Jabane et de Diamond island et rejeté toute descente
sur le terrain127. Malgré ces déconvenues, le Cameroun
a persévéré dans la voie diplomatique. Une
délégation conduite par Francis NKWAIN, Ministre
Délégué auprès du Ministre Camerounais des
Relations Extérieures, a été envoyée au Nigeria le
16
125 Lire à ce sujet le Compte rendu du Briefing de la
Presse nationale et internationale par le Ministre d'Etat chargé de la
Communication, Porte parole du Gouvernement, sur le conflit de Bakassi, Samedi
5 mars 1994, in Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N°5548,
Lundi, 07 mars 1994, p. 3.
126 Selon Maître Douala MOUTOME : « Le Cameroun
avait déjà des ambitions qui ne cadraient pas avec l'option
militaire », Entretien avec Maître Douala MOUTOME, Ministre de
la justice et Garde des sceaux à l'époque de la prise de
décision, Douala, Mardi le 26 juillet 2011.
127 Propos de Ferdinand Léopold OYONO recueillis par
Zacharie NGNIMAN, 1996, op cit., p. 78.
36
février 1994, afin d'y remettre un pli fermé du
Président Paul BIYA au Général Sani ABACHA. En vue de
faciliter les discussions et amener le Général à admettre
la vacuité de la thèse nigériane sur Bakassi, la
délégation comprenait entre autres personnalités, le
Général de Brigade TATAW James, « présenté
comme l'ami personnel et promotionnaire du Général Sani ABACHA
à l'académie militaire britannique »128.
Les 18 et 19 février 1994, alors que les concertations
se poursuivaient entre les deux pays, Yaoundé a appris
l'éclatement de violents affrontements entre les armées
nigériane et camerounaise à Bakassi. Dans un souci d'apaisement,
le Président Paul BIYA a adressé dès le 19 février
un ultime message à son homologue Nigérian afin de trouver une
solution, juste, équitable et conforme au droit international, y compris
par voie juridictionnelle, au conflit. Cet appel étant resté sans
réponse, le Cameroun s'est résolu à saisir
simultanément, le 28 février 1994, le Conseil de
sécurité des Nations Unies et 1'Organe Central de
Prévention, de Gestion et de Règlement des Conflits de l'O.U.A.
Toutefois, ces recours n'ont pas eu les effets escomptés.
En vue d'éviter une escalade armée et de
permettre aux parties d'aboutir à un compromis, des médiations se
sont proposées. A cet égard, la principale médiation
qu'ait connue le conflit de Bakassi avant le recours à la C.I.J., a
été celle du Général Etienne GNASSINGBE EYADEMA,
alors Président de la République du Togo. En effet, le 03 mars
1994, le Général EYADEMA s'est rendu à Yaoundé,
porteur d'une proposition de médiation. Après un entretien avec
le Chef de l'Etat camerounais sur le conflit de Bakassi, il s'est
déplacé pour Abuja où, il a offert également sa
médiation. Plus tard, il a été relayé par le
Ministre des Affaires Etrangères du Togo, FAMBARA OUATTARA NATCHABA, qui
a entrepris une succession de contacts avec les autorités camerounaises
et nigérianes.
Néanmoins, la méfiance qui prévalait
déjà dans les rapports entre le Nigeria et le Cameroun a rendu
précaires les efforts de médiation. Le Nigeria qui avait toujours
manifesté sa préférence pour un règlement purement
bilatéral du conflit n'a pas facilité la tâche au
médiateur. A titre illustratif, le 10 mars 1994, alors que le Ministre
des Relations Extérieures du Cameroun et son homologue Nigérian
étaient en concertation sur le problème de Bakassi, «
les Nigérians ont refusé d'admettre à la réunion,
la présence du Ministre des Affaires Etrangères du Togo, qui
était venu en médiateur »129. Le
Cameroun quant à lui, instruit par l'expérience, doutait de plus
en plus des chances d'atteindre son objectif, en l'occurrence le respect de son
intégrité territoriale, par la voie purement politique.
128 Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit., p. 16.
129 Ibid., p. 81.
37
Paragraphe 2 : Le respect de l'intégrité
territoriale du Cameroun
Le respect de l'intégrité territoriale du
Cameroun, objectif de Yaoundé, passait par la reconnaissance de la
« camerounité » de la péninsule de Bakassi (A), et le
retrait des forces armées nigérianes des territoires camerounais
occupés (B).
A. La reconnaissance de la « camerounité »
de Bakassi
L'intégrité territoriale en tant que principe de
droit international, évoque le droit et le devoir inaliénable
d'un État souverain à préserver ses frontières de
toute violation extérieure. C'est un principe destiné à
protéger le territoire de l'Etat. Il fournit à celui-ci le
prétexte suffisant à l'entretien d'une armée pour en
assurer la défense. La violation de cette intégrité
constitue un casus belli. Ladite intégrité peut
être considérée comme un des attributs de la
souveraineté (on parle à cet effet de la souveraineté
territoriale). Ceci s'explique par le fait que le territoire est une des
conditions de l'Etat. L'intégrité territoriale accompagne donc la
souveraineté130. En outre, la capacité d'un Etat
s'évalue par le contrôle qu'il exerce sur son territoire.
Face au problème susmentionné, le Cameroun
recherchait avant tout à faire prévaloir le respect de son
intégrité territoriale. Cela ne pouvait se faire que par la
reconnaissance explicite de la souveraineté camerounaise sur la
presqu'île, objet du litige131. Ce dessein a amené
Yaoundé à se déployer activement en vue de justifier et de
défendre ce qui est désormais entré dans le vocabulaire
comme la « camerounité » de Bakassi. C'est également
cet objectif que le Cameroun voulait atteindre à travers les
démarches diplomatico-politiques entreprises sur le plan
bilatéral et multilatéral.
Cette volonté ressortait clairement dans les
déclarations du Président Paul BIYA et des membres de son
Gouvernement. Dans un message radiotélévisé à la
nation, le Chef de l'Etat affirmait à ce propos : « il n'est
pas question de renoncer à la moindre parcelle de notre
souveraineté »132. Le Cameroun avait d'ailleurs
publié un dossier afin d'informer la communauté internationale
des arguments justifiant la « camerounité » de Bakassi. Dans
ce dossier, il réaffirmait une option : « celle de la
pérennisation de sa souveraineté sur la péninsule de
Bakassi,
130 La souveraineté a deux dimensions internes et
externes. Elle est à la fois la capacité d'un Etat à
organiser la vie politique de son peuple et celle à être reconnu
de ses pairs comme indépendant.
131 Voir en Annexe 7, le Communiqué de presse de la
Présidence de la République du 19 février 1994, relatif
aux accrochages militaires entre le Cameroun et le Nigeria dans la presqu'ile
de Bakassi (page 136).
132 Message du Président Paul BIYA à la nation, le
23 mars 1994.
38
internationalement reconnue comme territoire camerounais
»133 et espérait que « les
autorités nigérianes elles-mêmes reviennent bientôt
à la raison »134.
C'est ainsi que, quant il a fallu déposer une
requête devant la C.I.J., le premier souhait de Yaoundé a
naturellement été que la Cour se prononce sur le fait «
que la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi était
camerounaise en vertu du droit international, et que Bakassi faisait partie
intégrante du territoire de la République du Cameroun
»135 ; d'où la demande de retrait des forces
armées nigérianes.
B. Le retrait des forces armées nigérianes
de la péninsule
A l'époque, le retrait des forces armées
nigérianes apparaissait pour Yaoundé comme la conséquence
logique de la reconnaissance nigériane de la « camerounité
» de la péninsule de Bakassi. Cela participait de manière
factuelle du respect de l'intégrité territoriale et de la
souveraineté camerounaise sur la péninsule litigieuse.
En effet, en introduisant massivement ses troupes
armées136 dans la presqu'île camerounaise, en y menant
des activités militaires, et en la rattachant administrativement aux
Etats fédérés nigérians d'Akwa Ibom et de Cross
River, la République fédérale du Nigéria violait,
selon Yaoundé, l'intégrité territoriale du
Cameroun137.
Dans cette situation, comme l'a déclaré le Porte
parole du Gouvernement de l'époque, le Pr Augustin KONTCHOU KOUOMEGNI,
le Cameroun comptait sur un règlement factuel c'est-à-dire,
« que l'armée nigériane se retire du territoire
camerounais et aille en territoire nigérian. Même s'il n'y a pas
un accord formel, s'il y'a un mouvement des troupes nigérianes vers le
Nigeria qui quittent Jabane et Diamond, le problème est résolu
»138.
A titre illustratif, dans sa requête introductive
d'instance, le Cameroun a demandé à la Cour de juger que :
« la République Fédérale du Nigeria a le devoir
exprès de mettre fin à sa présence militaire sur le
territoire camerounais, et d'évacuer sans délai et sans condition
ses troupes de la presqu'île camerounaise de Bakassi
»139.
133 Gouvernement de la République du Cameroun, 1998,
op. cit., p. 33. La première édition de ce dossier date
de 1994.
134 Idem.
135 Requête Introductive d'Instance enregistrée
au Greffe de la Cour le 29 mars 1994, [En ligne],
http://www.peuplesawa.com/downloads/24.pdf,
consulté le 17 juillet 2011.
136 Les unités de l'armée nigériane ayant
attaquées les unités de surveillances de l'armée
camerounaise à Bakassi du 18 au 19 février 1994, étaient
estimées à un demi-millier d'hommes. (Voir Zacharie NGNMAN, 1996,
op. cit., p. 17.).
137 Lire l'exposé des faits de la Requête
Introductive d'Instance, op. cit.
138 Propos tenus lors de la réunion de Briefing de la
Presse nationale et internationale par le Ministre d'Etat chargé de la
Communication, Porte parole du Gouvernement, sur le conflit de Bakassi, Samedi
5 mars 1994, Compte rendu du Briefing in Archives SOPECAM, Cameroon
Tribune, N°5548, Lundi, 07 mars 1994, p. 4.
139 Requête Introductive d'Instance, op. cit., [En
ligne].
39
40
41
Le problème déterminé et l'objectif
poursuivit identifié, il convient maintenant de ressortir les options
non judiciaires envisagées pour atteindre ce but ; et d'évaluer
pour chacune des options les conséquences qu'elle entraîne,
c'est-à-dire ses bénéfices et ses coûts sur ledit
objectif.
Section 2 : Les options non judiciaires soumises au
Cameroun
Face au problème susmentionné, en dehors de
l'option judiciaire qui est analysée plus loin140, deux
alternatives étaient soumises au Gouvernement camerounais : la poursuite
de la voie diplomatique (Paragraphe 1) et le règlement militaire
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La poursuite de la voie diplomatique
Les méthodes diplomatiques de règlement des
conflits renvoient à la négociation, la
consultation141, les bons offices, la médiation,
l'enquête et la conciliation. Ces méthodes - mise à part la
consultation - ont pour particularité qu'elles tendent à la
recherche d'un accord entre les parties. Le Cameroun qui avait
déjà engagé des négociations avec le Nigeria et
était impliqué dans un processus de médiation aurait pu,
vu les mérites reconnus aux moyens diplomatiques de règlement, se
contenter de cette voie (A). Cependant, il convient de reconnaître que la
poursuite de cette unique voie risquait d'hypothéquer les chances de
Yaoundé d'atteindre son objectif (B).
A. Les mérites du règlement diplomatique
Le Cameroun aurait pu persévérer en 1994, dans
la voie diplomatique de règlement du conflit de Bakassi. En effet, il
avait engagé des négociations bilatérales avec le Nigeria,
accepté la médiation du Président Togolais Étienne
GNASSINGBE EYADEMA et saisi les organes de l'O.U.A. et de l'ONU
compétents en la matière. Ces voies revêtaient chacune des
avantages pouvant être exploités par les autorités de
Yaoundé.
En ce qui concerne la négociation diplomatique, elle
domine les modes non juridictionnels de règlement de
conflit142. Son importance est affirmée par la Charte des
Nations Unies, et la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Elle
est la voie la plus normale de solution
140 Au Chapitre suivant, en l'occurrence le Chapitre II de la
Première Partie de l'étude.
141 La consultation en vue du règlement d'un
différend renvoie à des discussions sur les vues respectives des
parties. Elle est souvent prévue en premier ressort et consiste en la
recherche du moyen à adopter pour le règlement d'un
différend. Il s'agit d'une forme de négociations plus
simplifiée, moins formelle et plus directe, mais de laquelle est absente
l'idée de rechercher un accord. (Lire à ce sujet, Photini
PAZARTZIS, op. cit., 1992, pp. 70-71.).
142 Photini PAZARTZIS, 1992, op. cit., p. 8.
des conflits internationaux ; ceci parce qu'elle implique le
dialogue qui, par définition renvoie à accepter l'autre comme
interlocuteur. Le Cameroun qui avait toujours privilégié cette
voie pour le règlement des incidents frontaliers avec le Nigeria, aurait
pu s'y cantonner. Cette solution était d'autant plus envisageable que le
Nigeria avait toujours marqué sa prédilection pour un
règlement bilatéral du conflit de Bakassi.
En terme financier, elle s'avérait (tout comme les
autres procédés diplomatiques de règlement de conflit)
moins coûteuse que la voie militaire ou la voie judiciaire. En outre,
parce qu'elle impliquait la concertation en vue d'un ajustement des vues entre
les gouvernements intéressés, l'accord né de cette voie
pouvait être plus apte à être exécuté par les
parties. La négociation offrait également la garantie d'une
préservation des relations amicales et de bon voisinage, entre le
Cameroun et le Nigeria, déjà détériorées par
l'occupation nigériane. En outre, des études montrent que la
plupart des conflits territoriaux sont résolus par des
négociations bilatérales143. Ce tableau est à
ce titre illustratif.
Tableau 1 : Classement des
méthodes de règlement pacifique des conflits territoriaux les
plus utilisés par les Etats.
Attempts at Peaceful Resolution of Disputes
|
|
Percentage of Years (1945-2003)
|
Bilateral negotiations
|
77.4%
|
Nonbinding third party
|
16%
|
Arbitration
|
1.5%
|
Adjudication
|
4,9%
|
Source: Emilie Justyna POWELL,
Krista E. WIEGAND, «Legal system and peaceful attempts to resolve
territorial disputes», in Conflict Management and Peace Science,
The Author(s), vol. 26(5), 2009, p. 14, [En ligne],
http://www.sagepub.co.uk/journalsPermissions.nav,
consulté le 20 juillet 2011.
143 Lire à ce sujet, Paul HUTH, Standing your
ground: Territorial disputes and international conflict, Ann
Arbor, MI: University of Michigan Press, 1996; et Paul HUTH, Todd L. ALLEE.
2002. The democratic peace and territorial conflict in the twentieth
century, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, cité par
Emilie Justyna POWELL, Krista E. WIEGAND, «Legal system and peaceful
attempts to resolve territorial disputes», in Conflict Management and
Peace Science, The Author(s), vol. 26(5), 2009, [En ligne],
http://www.sagepub.co.uk/journalsPermissions.nav,
consulté le 20 juillet 2011).
S'agissant de la médiation qui fait partie des modes de
règlement que Photini PAZARTZIS qualifie « les aides à
la négociation », elle était conduite depuis le 3 mars
1994 par le Président EYADEMA. Ce dernier était
réputé pour son charisme et son pays entretenait de bonnes
relations avec le Cameroun et le Nigeria. Ce facteur était important,
car comme le soulève Alain PLANTEY, « toute médiation
repose sur la confiance »144. De plus, l'actif du
Président EYADEMA en tant que médiateur, lui conférait un
certain crédit. En effet, depuis 1969, il avait été
impliqué dans de nombreuses entreprises de médiation. En 1969, il
avait servi de médiateur entre MOBUTU SESE SEKO du Zaïre et Marien
NGOUABI du Congo. Il était également intervenu en 1972 pour
réconcilier le Nigeria de Yacubu GOWON avec le Gabon d'Omar BONGO, et la
Côte d'ivoire de Félix HOUPHOUET-BOIGNY, dont les relations
s'étaient refroidies en raison de leurs prises de positions divergentes
au sujet de la sécession du Biafra145. Il avait
participé à la médiation tenue à Monrovia qui avait
contribué en 1978, à la réconciliation de Léopold
SEDAR SENGHOR, Félix HOUPHOUET-BOIGNY et Ahmed SEKOU TOURE en conflit
depuis près de vingt. Au sommet de l'O.U.A. à Monrovia en 1979,
il avait participé à la réconciliation des
Présidents Mathieu KEREKOU du Bénin et Omar BONGO du Gabon. En
1980, il était intervenu en tant que médiateur dans le conflit
ayant opposé au Tchad GOUKOUNI WEDEYE et HISSEN HABRE. Fait majeur, lors
de la crise camerouno-nigériane née de l'incident du 16 mai 1981,
il figurait parmi les Chefs d'Etat qui avaient contribués à
éviter l'escalade armée entre les deux pays. S'il avait pu
accorder les parties en 1981, il aurait pu, vu son passif le faire en 1994.
S'agissant des organes de l'ONU et de l'O.U.A.
préalablement saisis, ces derniers avaient montré leur engagement
pour un règlement du conflit. Par ailleurs, le Cameroun par cette
action, prouvait sa bonne foi, son engagement pour la paix, et prenait le monde
à témoin de l'agression nigériane. Toutefois,
malgré ces mérites, la voie diplomatique revêtait
d'importantes limites.
B. Les limites de la voie diplomatique
Selon Jean BARREA, la négociation, sur le plan
perceptuel, est un phénomène de « convergence des
référents », c'est-à-dire des perceptions ou «
définitions de la situation »146. Dans le cas
d'espèce, les parties n'arrivaient plus à s'entendre car elles
avaient une définition différente de la situation. Le Nigeria
percevait la péninsule de Bakassi comme un territoire nigérian,
et refusait de s'y retirer. Le Cameroun quant à lui était
convaincu de son bon droit c'est-à-dire de la « camerounité
» de Bakassi. L'absence de convergence entre ces deux images, était
en même de
144 Alain PLANTEY, Principes de diplomatie, Paris,
éd. A. PEDONE, 2000, p. 133.
145 Le Gabon et la Côte d'Ivoire figuraient parmi les pays
à avoir reconnu le Biafra.
146 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 257.
42
favoriser l'enlisement des négociations, et ainsi la
consolidation de la présence nigériane en territoire
camerounais.
Par ailleurs, la médiation engagée
revêtait également des limites. Comme le relève PLANTEY,
accepter une médiation n'est pas accepter son résultat. Celui-ci
est rarement contraignant, généralement aléatoire, et ne
saurait être imposé aux parties147. Malgré
l'engagement du Président EYADEMA, l'intransigeance du Nigeria (qui
avait toujours souhaité un règlement bilatéral plus
favorable à ses intérêts) et la résignation du
Cameroun, convaincu de l'impossibilité d'une solution bilatérale,
ne facilitaient pas la tâche au médiateur.
En effet, l'une des difficultés auxquelles le Cameroun
faisait face en 1994 est, comme il a été mentionné
ci-dessus, celle de l'échec des différentes démarches
entreprises pour régler diplomatiquement l'antagonisme à propos
de la péninsule de Bakassi. Qui plus est, au-delà du litige
relatif à la presqu'île de Bakassi, jusque là, presque tous
les engagements pris en vue du règlement des problèmes
frontaliers avec le Nigeria avaient ultérieurement été
remis en cause. Les travaux réalisés au sein de la Commission
mixte Cameroun-Nigeria de délimitation de la frontière, et la
Commission du Bassin du Lac Tchad (C.B.L.T.), sont à ce titre
illustratif.
Le 14 août 1970, lors d'une rencontre entre le Cameroun
et le Nigeria qui s'était tenue à Yaoundé et qui est
couramment appelée « Yaoundé I », la Commission
technique paritaire148 était devenue la Cameroon-Nigeria
Joint Boundary Commission (Commission mixte Cameroun-Nigeria de
délimitation de la frontière). Au cours de cette rencontre, le
programme des travaux et les instruments à prendre en compte pour la
définition de la frontière entre les deux pays (notamment les
Accords anglo-allemand du 11 et du 12 avril 1913) avaient été
déterminés et le travail avait été confié
à ladite Commission. Les travaux de cette Commission avaient eu pour
résultats, l'Accord de Yaoundé II et l'Accord de Maroua. L'Accord
de Yaoundé II, signé par les Présidents Yacubu GOWON et
Ahmadou AHIDJO en avril 1971, avait permis la démarcation de la
frontière maritime du point 1 situé à l'intersection de la
ligne joignant Bakassi Point au Cameroun à King Point au Nigeria, au
point 12 représentant la limite des eaux territoriales des deux pays
avec les coordonnées
147 Alain PLANTEY, 2000, op. cit., p.135.
148 La Commission technique paritaire Cameroun/Nigeria a
été constituée en 1965, à la suite de deux
incidents frontaliers : l'appréhension d'une équipe d'experts de
la société Mobile Oil qui faisait de la prospection pour
le compte de l'Etat camerounais dans l'estuaire du fleuve Cross par une
patrouille du service de renseignement nigérian (Voir Ministère
des Affaires Etrangères et de la Fonction Publique
Fédérale, Yaoundé, « Mémorandum » du
Consul des Etats-Unis à Douala. 2/11/1965, documents MESRES.,
cité par Martin Zachary NJEUMA, « Contributions diplomatiques et
administratives à la paix sur la frontière entre le Cameroun et
le Nigeria (1885-1992) », in UNESCO et CISH, Des frontières en
Afrique du XIIème au XXème siècle, Bamako, 1999, p.
174.), et l'éclatement d'un litige foncier entre les habitants de la
localité nigériane de Danaré et leurs voisins Camerounais
du village de Boudam, situés de part et d'autre de la frontière
(Voir Compte rendu de la réunion tenue à Ikom (Nigeria) le 7 juin
1965 en vue de régler le litige frontalier opposant les villages de
Danaré (Nigeria) et de Boudam (Cameroun), documents MESRES, cité
par Ibid., p. 175). Cette Commission était composée de
juristes, de cartographes et de topographes, chargés de faire des
recherches sur le terrain pour tracer la frontière.
43
rapportées sur la carte N°3433 de
l'Amirauté britannique149. Quant à l'Accord de Maroua
du 1er juin 1975, signé également par les deux Chefs
d'Etat, il avait prolongé la démarcation de la frontière
du point 12, au point G avec les mêmes coordonnées.
Toutefois, en 1978, alors que les deux gouvernements
s'apprêtaient à poursuivre leurs travaux au-delà du Point
G, le Nigeria a remis en cause unilatéralement l'Accord de Maroua et
plus tard celui de Yaoundé II, anéantissant ainsi tous les
efforts qui avaient été entrepris depuis le 14 août 1970.
Le non respect par les autorités nigérianes de leurs engagements
s'était également illustré au niveau de la
frontière lacustre. En effet, alors que des travaux de
démarcation avaient été entrepris et se poursuivaient dans
le cadre de la C.B.L.T.150 à l'initiative des Chefs
d'Etat151, le Nigeria envahissait la localité camerounaise de
Darak et les villages avoisinants.
Ces faits figurent parmi les éléments qui ont
mûri la décision du Président Camerounais152 qui
était conscient dans ce cas précis, des inconvénients du
règlement diplomatique et de la nécessité du recours
à un mécanisme contraignant. À l'époque, le Porte
parole du Gouvernement camerounais relève à ce propos que :
« si nous signons maintenant un accord avec le Nigeria, on pourra
encore nous dire demain que cet accord n'est pas ratifié
»153. Instruit par l'expérience, le Cameroun
cherchait donc, avant tout, une solution définitive, conforme au droit
international et insusceptible d'être plus tard remise en cause par le
Nigeria. Cette solution ne pouvait venir ni du Conseil de
sécurité, ni de l'Organe Central de l'O.U.A. qui, malgré
leurs efforts tardaient à trouver des réponses satisfaisantes au
problème.
La poursuite isolée de la voie diplomatique ainsi
éliminée, il restait au Cameroun deux options : le
règlement par l'organe judiciaire principal des Nations Unie, et la
solution militaire.
149 Carte accompagnant les Accords germano-britanniques de
1913.
150 Le lac Tchad est un écosystème important
très convoité, et une frontière internationale. Ses Etats
riverains sont le Cameroun, le Niger, le Nigeria, et le Tchad. La C.B.L.T. est
née de la Convention de Fort-Lamy du 22 mai 1964, afin de mettre en
valeur les ressources du bassin du lac Tchad à des fins
économiques, d'assurer l'aménagement des eaux, et la
résolution des différends y relatifs.
151Suite à des incidents entre le Cameroun
et le Nigeria dans la région du lac Tchad en 1983, les deux Chefs
d'Etats convoquèrent une réunion de la C.B.L.T. entre le 21 et le
23 juillet de la même année à Abuja. Cette réunion
avait pour objectif de « confier à la commission le soin de
traiter certaines questions frontalières et de sécurité
». Elle permit la création de deux sous commissions dont les
experts proposèrent la démarcation de la frontière. Cette
opération fut confiée par les quatre Etats membres à la
C.B.L.T. Pour ce faire, les travaux furent entrepris par l'IGN France
International, avec la participation des experts nationaux, sur la base des
instruments juridiques pertinents conclus par les puissances coloniales. Entre
1988 et 1990, quinze bornes en béton ont été posées
avec l'accord de tous les Etats intéressés.
152 Entretien avec Monsieur Hamidou NJIMOLUH KOMIDOR,
Diplomate, Conseiller diplomatique du Chef de l'Etat à l'époque
de la prise de décision, Ambassadeur du Cameroun au Congo et en Angola,
26 Juin 2011.
153 Propos tenus lors de la réunion de Briefing de la
Presse nationale et internationale par le Ministre d'Etat chargé de la
Communication, Porte parole du Gouvernement, sur le conflit de Bakassi, op.
cit., p. 4. C'est ce prétexte qui avait été
soulevé par le Nigeria pour remettre en cause les Accords de
Yaoundé II et Maroua.
44
Paragraphe 2 : Le règlement militaire
CLAUSEWITZ, dans son célèbre ouvrage De la
Guerre, affirme que la « guerre est un véritable
instrument de la politique, une poursuite de relations politiques, une
réalisation de celles-ci par d'autres moyens »154.
Conformément au principe du théoricien Prussien, le Cameroun,
face à l'intransigeance du Nigeria, aurait pu opter pour une solution
militaire du conflit de Bakassi (A). Mais ce pays d'Afrique centrale «
n'avait ni le goût, ni les moyens de contester par la force les
agissements de son puissant voisin »155 (B).
A. Une solution envisageable
La solution à un conflit peut à tout moment
résulter de la vigueur et de l'efficacité du recours à la
force156. Face à l'occupation nigériane d'une portion
de son territoire, le Cameroun aurait pu recourir à la force afin de l'y
déloger. Cette solution était d'autant plus envisageable que,
Yaoundé avait une Convention d'alliance militaire avec Paris. Les
alliances étant destinées à agir sur la scène
internationale en équilibrant influences, forces et manoeuvres, cette
coalition était propre à contrebalancer le rapport de force entre
le Cameroun et le Nigéria, puissance régionale.
Par ailleurs, l'un des aspects de la politique de
défense du Cameroun est le concept de « Défense
populaire ». Il renvoie à la « capacité de la
nation à mobiliser toutes les énergies susceptibles d'assurer la
sécurité du pays et la sauvegarde de ses conquêtes dans la
voie du progrès »157. C'est la
participation de tout un peuple à l'effort de défense en vue de
s'opposer par tous les moyens à l'invasion du territoire
national158. En d'autres termes, les civils sous différentes
formes auraient pu apporter leur appui armé ou non aux forces
régulières.
Autre facteur, l'Etat-nation nigérian était
à l'époque en crise. Il était menacé par le haut
(du fait du fédéralisme et du régionalisme) et par le bas
du fait de l'ethnicité159. Depuis 1980, le pays
154 Karl Von CLAUSEWITZ, De la Guerre, Paris,
Editions Minuit, 1950, p. 67, cité par Raymond ARON, 1962, op. cit.,
p. 35.
155 Affaire de la frontière terrestre
et maritime entre le Cameroun et le Nigeria, Observations de la
République du Cameroun sur les exceptions préliminaires du
Nigeria, Livre I, 30 Avril 1996, [En ligne],
http://www.icj-cij.org,
consulté le 26 Juin 2011, Introduction, paragraphe 23.
156 Alain PLANTEY, 2000, op. cit., p. 432.
157 Paul BIYA, Messages du Renouveau, Tome 2, Triomphe des
promotions Rudolphe Douala Manga Bell et Martin Paul Samba de l'EMIA »,
Yaoundé, 12 juillet 1983, pp. 177-178, cité par ELA ELA Emmanuel,
La politique de défense du Cameroun depuis 1959 : contraintes et
réalités, Mémoire, Yaoundé, IRIC, 2001, p.
151.
158 ELA ELA Emmanuel, op. cit., 2001, p. 151.
159 Lire à ce propos, Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001,
op. cit., p. 232. Comme il est évoqué plus loin,
c'était également le cas au Cameroun, mais la situation
était plus critique au Nigeria.
45
faisait face à une récession économique
qui avait contraint le Gouvernement à une restriction budgétaire
de l'armée nigériane, et à une négligence de
l'entretien de l'équipement militaire160.
Qui plus est, faisant face à une occupation militaire
de son territoire et après maintes tentatives de négociation,
l'engagement militaire du Cameroun aurait pu être justifié aux
yeux du monde par le souci de défendre son intégrité
territoriale. A ce titre, il existait des exemples dans l'histoire où,
un conflit territorial avait été réglé par le
recours à la force. C'était le cas notamment du conflit des
Malouines où, le Royaume-Uni avait réussi en 1982 à
déloger par la force l'Argentine des îles Malouines (en anglais,
îles Falkland) et de la guerre d'Ogaden par laquelle une contre-offensive
militaire avait permi à l'Ethiopie d'obliger en 1978, les Somaliens
à se retirer de la région de l'Ogaden occupée depuis
1977.
Malgré tous ces arguments, le règlement
militaire avait plus d'inconvénients que d'avantages.
B. Une option coûteuse et indésirable
Le règlement pacifique des différends est un
principe fondamental de la politique étrangère du Cameroun. Il a
pour corolaire l'interdiction du recours à la force dans les relations
internationales161. Yaoundé qui est particulièrement
attaché à ce principe et à sa politique de bon voisinage,
a préféré à la guerre, un règlement
judiciaire.
Toutefois, au-delà de ce fondement théorique, le
choix de la C.I.J. s'explique non seulement par les pertes probables qui
auraient pu découler d'un engagement militaire (1), mais aussi par la
perception que le Cameroun avait du rapport de force (2).
1. Les coûts de la guerre
A l'époque, le Cameroun faisait face à une
situation socio-économique et politique délicate ; entrer en
guerre revenait à supporter ses conséquences ruineuses, et
à détériorer davantage le contexte socio-économique
et politique de la nation.
La guerre est, en effet, un phénomène
incompatible avec le développement pourtant objectif premier des
autorités de Yaoundé. En matière économique,
l'effort de guerre162 et les dépenses militaires qui auraient
accompagné une guerre camerouno-nigériane, auraient influé
de manière
160 Thomas LOTHAR WEISS, « Le différend
Cameroun-Nigeria : au-delà de Bakassi », Relations
Internationales et Stratégiques, N°23, Automne 1996, p.
119.
161 Sur le caractère fondamental de ce principe dans la
politique étrangère du Cameroun, lire Narcisse MOUELLE KOMBI,
1996, op cit, pp. 58-61.
162 L'effort de guerre renvoie à une mobilisation
exceptionnelle de fonds, de matériel et d'hommes par un État
impliqué dans un conflit.
46
importante sur les grands indicateurs économiques que
sont l'investissement, la croissance, l'emploi, l'inflation, et la balance des
paiements (indices ou principes macro-économiques permettant de mesurer
le degré de développement d'un pays donné).
Pour un pays en développement comme le Cameroun,
l'effort de guerre se serait traduit sur le plan social, pour
l'éducation et la santé par exemple, par une insuffisance
galopante du personnel, un ralentissement du progrès infrastructurel,
une aggravation de la sous-scolarisation, une insuffisance des soins de
santé primaires, un manque d'eau potable163.
En outre, la guerre se serait accompagnée de
refugiés, de déplacés, de dégâts
matériels, de morts, etc. A titre illustratif, en 1990, du fait de la
multiplication des conflits armés sur le continent noir, plus de 2,5% de
toute la population africaine étaient des refugiés politiques,
4,7 millions d'Africains étaient en détresse dans un autre pays
africain que celui de leur naissance, 8,6 millions de personnes étaient
considérées par l'ONU comme déplacés164.
Entre 1960 et 1992, les conflits majeurs africains avaient provoqué la
mort de 6 millions de personnes, dont 69,2 % de militaires, et plus de 7 % de
disparus165. En plus de ces effets ruineux, la guerre aurait
compromis à long terme les relations de bon voisinage entre le Cameroun
et le Nigeria, pourtant liés par l'histoire, la géographie et la
culture166.
2. La perception du rapport de force
Avant un engagement militaire, Il est nécessaire de
procéder à une analyse des rapports de force. Dans le cas
d'espèce, une étude comparative des facteurs classiques de
puissance montre qu'il existait entre le Cameroun et le Nigeria des
déséquilibres d'ordre démographique, économique et
militaire.
Sur le plan démographique, le Nigeria était (et
reste) le pays le plus peuplé d'Afrique. Á la fin des
années 1990, sa population était estimée à 123
millions d'habitants167. Durant la même période, la
population camerounaise n'atteignait pas le tiers de celle nigériane,
son estimation variait entre 13 et 15 millions d'habitants. Dans la mesure
où la capacité d'un Etat à lever rapidement des
armées et à compenser les pertes, constitue un
élément déterminant de la puissance
163 Oumarou CHINMOUN, Désarmement et
développement en Afrique : Réflexion sur une politique
régionale, Thèse de Doctorat, Yaoundé, IRIC, 1995,
pp. 161-162.
164 U.S. Commitee for refugees, World Refugee Survey :
1989 in review, Washington D.C., 1990, pp. 30-32, cité par Michel
KOUNOU, «Les conflits armés post Guerre Froide en Afrique au Sud du
Sahara: un essai de caractérisation», Revue Africaine d'Etudes
Politiques et Stratégiques, N° 1, 2001, p. 224.
165 Ruth Leger SIVARD, World Military and Social
Expenditures 1993, Washington D.C., 1993, pp. 20-21, cite par
Idem.
166 Pour de plus amples informations sur les liens
historico-culturels, et géographiques qui unissent le Cameroun et le
Nigeria, voir ci-dessous la partie qui traite des « exigences d'une paix
obligée avec le Nigeria ».
167 Voir « Nigeria, des mots et des chiffres pour
comprendre », in Amand'la, mai, juin, 1999, p.12, cité par
Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op cit, p. 220.
47
militaire et donc de la puissance tout court168, le
facteur démographique donnait un avantage non négligeable au
Nigeria. Face à 123 millions d'habitants, même la politique de
« Défense populaire » du Cameroun ne pouvait tenir. Cet
argument était davantage corroboré par le fait que le service
militaire avait été suspendu en raison de la conjoncture
économique.
Sur le plan économique, le Cameroun était
à l'époque plongé dans une crise depuis 1985. Economie de
rente, la faiblesse des campagnes coton et café, ainsi que la baisse des
activités pétrolières (l'exportation
notamment)169, avaient assombris l'avenir économique du pays.
Quant au Nigeria170, malgré la récession
économique, l'or noir restait un générateur important de
devises : 30 millions de dollars étaient quotidiennement recueillis par
le pays au début des années 1990, soit environ 15 milliards de
francs C.F.A, pour une production journalière évaluée
à 2 millions de barils171.
En termes de potentiel humain et matériel, le Nigeria
détenait l'une des armées les puissantes d'Afrique. Comme le
montre le Tableau 2 ci-dessous, en 1994, le déséquilibre
militaire entre l'armée camerounaise et celle nigériane
était flagrant et, explique sans doute le recul manifesté par le
Cameroun vis-à-vis d'un règlement militaire. A l'époque,
l'armée nigériane comptait 85 800 soldats répartis en : 62
000 hommes pour l'armée de terre, 7 300 dans l'armée marine, 9
500 dans l'armée de l'air, et 7 000 pour la garde nationale. Elle
était dotée d'un matériel, quand bien même
vieillissant, numériquement impressionnant : 257 chars d'assaut, 65
navires de guerre172 (contre 4 pour le Cameroun), des
véhicules blindés de transport des troupes, de l'artillerie
tractée et automotrice, des canons de défense aériennes et
64 missiles sol air. L'armée de l'air disposait de : 95 avions de combat
(contre 16 pour le Cameroun) de type Alpha jet, Mig 21, Jaguar et 15
hélicoptères173. Le Cameroun quant à lui, se
trouve dans une position inconfortable. Il n'était défendu que
par 12.100 soldats soit : 6.600 pour l'armée de terre, 300 pour
l'armée de l'air, 1.200 pour la marine, et 4.000 pour la gendarmerie. En
termes de bataille rangée, cela donnait un rapport de force de sept
soldats Nigérians contre un soldat Camerounais. Par ailleurs, l'accord
de défense qui le liait à la France ne lui assurait pas
entièrement l'intervention militaire de cette dernière en cas de
guerre.
168 Thierry de MONTBRIAL, L'action et le système
monde, Paris, Quadrige/PUF, 2ème éd., 2008, p.
60.
169 A titre illustratif, voir l'annexe 8 qui traite des
activités pétrolières du Cameroun (en tonne) entre
1987-1995 (page 137).
170 Le Nigeria est alors, et continu d'ailleurs de
l'être aujourd'hui, le premier exportateur africain de pétrole, et
le cinquième mondial au rang de l'OPEP.
171 Sylvie Françoise CARON, « Le Nigeria :
chronique d'une explosion annoncée », Afrique 2000,
n°23, Mai, 1996, pp. 99-100, cité par Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001,
op. cit., p. 221.
172 Soit deux frégates, deux corvettes, six vedettes
lance-missiles, 53 garde-côtes, deux navires porteurs de mines.
173 Sur les capacités militaires de l'armée
nigériane à l'époque, lire Zacharie NGNIMAN, 1996, op.
cit., p. 74-75, MGBALE MGBATOU Hamadou, 2001, op. cit., pp.
222-224, et Jean Pierre FOGUI, 2010, op. cit., p. 24.
48
La force du Nigeria doit toutefois être nuancée,
car « la puissance d'une armée est liée d'une part, au
« système d'hommes » (formation et perfectionnement) et au
« système d'armes », c'est-à-dire la puissance de feu
disponible en quantité et en qualité, et d'autre part à un
environnement socio-politique propice »174. Or, le Nigeria
était, à l'époque de la prise de décision,
« une fédération politiquement et socialement instable,
minée par la corruption à tous les niveaux, y compris
l'institution militaire »175. Qui plus est, il existait
dans l'histoire des exemples où, une armée a priori plus
puissante que son adversaire, n'avait pas pu le faire plier. La guerre du
Vietnam (1959-1975) était à ce titre illustratif. Malgré
leur nombre et leur équipement technologique, les soldats
américains n'étaient pas parvenus à s'imposer au
Viêt Nam.
Néanmoins, cela n'enlève rien à
l'incertitude qui entourait le recours au règlement militaire ; d'autant
plus que, ces vulnérabilités ne remettaient pas en cause la force
militaire de l'armée nigériane, composée en partie
d'éléments aguerris par les guerres du Libéria et de la
Sierra Leone.
Tableau 2 : Effectifs et Armement des
armées nigérianes et camerounaises en 1994.
|
INDICATEURS
|
NIGERIA
|
CAMEROUN
|
EFFECTIFS
|
Armée de terre
|
62 000
|
6 600
|
Armée de l'air
|
9 500
|
300
|
Marine
|
7 300
|
1 200
|
Garde nationale (Nigeria) Gendarmerie (Cameroun)
|
7 000
|
4 000
|
TOTAL
|
85 800
|
12 100
|
EQUIPEMENTS TERRESTRES
|
Chars d'assaut
|
257
|
Non estimés
|
174 André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op. cit., p.
146 175Idem.
49
EQUIPEMENTS AERIENS
|
Missiles Sol Air
|
64
|
Non estimés
|
Avions de combat
|
95
|
16
|
Hélicoptères
|
15
|
4
|
EQUIPEMENTS NAVALS
|
Navires de guerre
|
65
|
4
|
Source: Réalisé
par l'auteur à base de données tirées de Zacharie NGNIMAN,
1996, op. cit., p. 7475 ; Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op.
cit., pp. 223-224 et 227-228 ; Jean Pierre FOGUI, 2010, op. cit.,
p. 24.
Face aux convoitises nigérianes sur la péninsule
de Bakassi, trois options s'offraient au Cameroun en vue de l'atteinte de
l'objectif fixé : la poursuite de la voie de règlement
diplomatique, le recours au règlement militaire et la solution
judiciaire. Après l'analyse des deux premières options il ressort
clairement que, poursuivre à travers la seule voie diplomatique aurait
pu à terme favoriser la consolidation de la présence
nigériane en territoire camerounais ; et que recourir au
règlement militaire auraient été désastreux
à tous les nivaux pour lesdits pays.
Dès lors, quels avantages offrait le recours au
règlement judiciaire au Cameroun ? Ces avantages maximisaient-ils les
chances de ce dernier d'atteindre son objectif ? Étaient-ils plus
importants que les risques possibles qui l'accompagnaient ?
Là se trouvent les questions traitées dans le
Chapitre II de la présente étude.
CHAPITRE II : LES ENJEUX DU RECOURS AU
REGLEMENT JUDICIAIRE
50
L'engagement judiciaire constitue l'obligation la plus «
parfaite » en matière de règlement des
conflits176. Par rapport aux procédures diplomatiques, le
recours au règlement judiciaire implique une plus grande renonciation au
pouvoir discrétionnaire des Etats. Une fois une procédure
judiciaire déclenchée, elle se poursuit normalement
jusqu'à l'adoption d'une décision, apportant une solution
définitive au conflit. Avant d'y recourir, un Etat doit scruter la
valeur juridique de ses prétentions, en vue d'apprécier si la
voie judiciaire est avantageuse ou dangereuse. Il doit évaluer ses
chances de gain et ses risques de perte dans une instance qui se terminera par
une décision obligatoire ; évaluation qui comporte toujours un
élément d'incertitude.
A cet égard, le choix du règlement judiciaire du
conflit de Bakassi, précisément le recours à la C.I.J.,
comportait des risques pour le Cameroun (Section I). Toutefois, ces risques ne
pesaient pas autant que les nombreux avantages liés au recours à
l'organe judiciaire principal des Nations Unies (Section II).
Section 1 : Les risques du recours au règlement
judiciaire
Le choix du règlement judiciaire revêtait
essentiellement deux inconvénients : d'une part, l'incertitude sur
l'issue et l'exécution du jugement par le Nigeria (Paragraphe 1) et
d'autre part, le souvenir de la première expérience malheureuse
du Cameroun devant la C.I.J., à l'occasion de l'affaire de Cameroun
septentrional (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'incertitude sur l'issue et
l'exécution du jugement
L'impossibilité d'avoir une connaissance assurée
sur l'issue du jugement de la C.I.J. (dont les résultats sont
obligatoires) (A) et sur son exécution par la partie nigériane,
dans un environnement dominé selon le courant réaliste des
relations internationales par l'anarchie177 (B), fait partie des
raisons qui auraient pu expliquer l'éloignement du Cameroun de la
solution judiciaire. En effet, jaloux de leur souveraineté, les Etats
rebutent parfois à déclencher une procédure dont ils ne
savent pas quel sera le résultat, et si le défendeur s'y
pliera.
176 Photini PAZARTZIS, 1992, op. cit., p. 66.
177 Lire à ce propos Pierre de SENARCLENS et Yohan
ARIFFIN, 2006, op. cit., p. 14.
51
A. Un choix à l'issue incertaine
L'incertitude sur l'issue du jugement revêtait deux
aspects pour la partie camerounaise : d'une part, les risques de
détérioration des relations avec le « grand voisin »
nigérian et d'autre part, l'absence de garantie de victoire.
En ce qui concerne le premier aspect, tous les Etats
éprouvent une crainte devant l'inconnu que représente une
décision de justice obligatoire. Aller devant la C.I.J., revenait pour
le Cameroun à s'opposer publiquement au Nigeria ; ce qui aurait pu
être considéré par ce dernier comme un « acte inamical
». En effet, le recours à la Cour, qui ne pouvait se faire que de
manière unilatérale, risquait de compromettre davantage les
relations entre ces deux pays qui étaient déjà
opposés dans une confrontation militaire (quoique de basse
intensité). A titre illustratif, le Nigeria a soutenu devant la C.I.J.
que le Cameroun avait fait preuve de mauvaise foi en continuant à
entretenir avec lui des contacts bilatéraux sur les questions de
frontières, alors qu'il s'apprêtait à s'adresser à
la Cour178. Qui plus est, les autorités de Yaoundé
étaient conscientes du coup psychologique qu'avait porté le
contentieux camerouno-britannique, à propos de l'affaire du Cameroun
Septentrional, sur les relations avec Londres, qui demeurent encore aujourd'hui
« assez timides »179.
Par le recours à la C.I.J., le Cameroun prenait
également le risque de perdre le procès engagé ; ce qui
aurait été ressenti comme un second échec difficilement
acceptable après celui de l'affaire du Cameroun septentrional. Dans ce
contexte, les autorités Camerounaises auraient pu être moins
enclines à recourir au règlement judiciaire. Qui plus est,
l'absence de garantie de victoire découlait principalement du fait que
les juges de l'instance judiciaire (en l'occurrence la C.I.J.) appliquaient un
droit international dont les sources étaient variables et sur lesquelles
les parties n'avaient quasiment aucune maîtrise. Le Statut de la C.I.J.
affirmait à cet effet que « la Cour dont la mission est de
régler conformément au droit international les différends
qui lui sont soumis applique les conventions internationales, soit
générales, soit spéciales établissant des
règles expressément reconnues par les Etats en litige , ·
la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale,
acceptée comme étant le droit , · les principes
généraux de droit reconnus par les nations civilisées
, · sous réserve de la disposition de l'article
59180, les décisions judiciaires et la doctrine des
publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme
moyen auxiliaire de
178 Lire à ce propos Guy Roger EBA'A, 2008, op. cit.,
p. 50.
179 Comme il est analysé plus loin, le Royaume-Uni et
le Cameroun ont entamé leurs relations d'Etats souverains avec un litige
devant la C.I.J. MOUELLE KOMBI, relève à ce propos que «
l'impact psychologique du contentieux camerouno-britannique à propos du
Cameroun septentrional » figure parmi les raisons qui expliquent la
timidité des relations politiques et diplomatiques entre les deux pays.
Voir Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 134.
180 L'article 59 du Statut de la C.I.J. stipule que : «
la décision de la Cour n'est obligatoire que pour les parties en litige
et dans le cas qui a été décidé ».
52
détermination des règles de droit
»181. Ainsi, les parties au litige ne pouvaient pas
forcément savoir quelle source ou alors quel raisonnement l'instance de
jugement allait adopter pour rendre sa décision ; d'où
l'incertitude. Cela aurait pu justifier la crainte par le Cameroun qu'une
interprétation par la C.I.J. aille à l'encontre de son point de
vue (et ainsi de ses intérêts). L'incertitude qui entoure le
recours au règlement judiciaire a par exemple amené la Colombie
et le Venezuela à privilégier, malgré l'existence
d'engagements de règlement judiciaire182, l'institution d'une
commission de conciliation pour le règlement du différend relatif
au tracé de la frontière maritime entre les deux pays dans le
golfe du Venezuela.
Par ailleurs, quelle que soit l'issue du jugement, avant la
saisine d'une juridiction internationale, il est nécessaire de
s'interroger sur les garanties de son exécution. Là encore, des
incertitudes demeurent.
B. L'absence de certitude sur l'exécution du
jugement
Bien qu'aux termes du Statut de la C.I.J. ses décisions
sont obligatoires pour les parties en litige183, l'absence d'une
autorité supranationale (c'est-à-dire d'un supérieur
commun) capable de garantir leur exécution effective est au centre du
débat, entre les tenants des courants réalistes et
idéalistes, au sujet de la pertinence du droit international.
S'inscrivant en faux contre les auteurs idéalistes, les réalistes
affirment que du fait de la souveraineté étatique, les relations
internationales sont caractérisées par leur faible niveau
d'intégration institutionnelle. En effet, pour eux : « il n'y a
pas de cour internationale habilitée à juger de manière
systématique et cohérente l'ensemble des différends
étatiques, ni de forces de police pouvant sanctionner les agressions
afin de rétablir la paix. L'individu qui viole la loi au sein d'un Etat
est passible d'une sanction. L'Etat contrevenant au droit international ne
l'est généralement pas »184. ARON a ainsi vu
dans l'absence d'une instance qui détienne le monopole de la violence
légitime, le trait spécifique des relations
internationales185.
Dès lors, le règlement d'un conflit par la voie
judiciaire dépend généralement de l'existence de part et
d'autre d'un minimum de volonté. Dans le cas contraire, cette voie
risque d'être inefficace. En l'espèce, lors des travaux de la
deuxième session ordinaire de l'Organe Central du Mécanisme de
l'O.U.A. sur la prévention, la gestion, et le règlement des
conflits en Afrique, les 24
181 Article 38 du Statut de la C.I.J.
182 Les deux Etats étaient liés par un
Traité bilatéral de non agression, de conciliation et de
règlement judiciaire datant du 17 décembre 1939. Malgré la
proposition du recours à la C.I.J. par le Secrétaire
Général de l'Organisation des Etats Américains et le
Président Argentin lors des tensions en 1988, elle n'a pas
été suivie par les parties.
183 Article 59 du Statut de la Cour Internationale de Justice.
184 Pierre de SENARCLENS, Yohan ARIFFIN, 2006, op. cit.,
p. 33.
185 Lire Raymond ARON, 1962, op. cit., p. 62
53
et 25 mars 1994 à Addis Abeba, alors que le Cameroun
attendait entre autres dudit Organe qu'il invite les deux pays
(c'est-à-dire le Cameroun et le Nigeria) à soumettre leur
antagonisme devant la C.I.J., le Nigeria insistait pour qu'il soit
réglé par voie bilatérale. Dans ce contexte, des
incertitudes pouvaient exister quant à l'acceptation nigériane de
la compétence de la Cour, et ipso facto, l'exécution
d'un arrêt éventuellement défavorable.
Par ailleurs, les modalités d'exécution des
arrêts de la Cour, prévues par l'article 94 de la Charte des
Nations Unies, étaient restées purement théoriques ; ceci
en raison de considérations d'ordre politique. En effet, cet article
donne la possibilité à l'Etat ayant eu gain de cause de faire
recours, en cas d'inexécution de l'arrêt par la partie adverse, au
Conseil de sécurité des Nations Unies ; qui, s'il le juge
nécessaire, peut faire des recommandations ou décider des mesures
à prendre pour faire exécuter l'arrêt. Toutefois, le
problème qui se pose à ce niveau est celui d'éventuelles
collusions entre les Etats membres du Conseil de Sécurité et
l'Etat contre lequel le recours est orienté ; les Etats poursuivant
avant tout leurs intérêts. L'affaire des activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci186,
qui demeure à ce jour la seule affaire où il a
été fait appel au Conseil de Sécurité est à
ce titre illustratif. Dans ce cas précis, les USA (membre permanent du
Conseil de sécurité) avaient refusé d'exécuter
l'arrêt du 27 Juin 1986 rendu par la C.I.J. Ils étaient
allés jusqu'à opposer leur veto à une résolution du
Conseil de sécurité qui avait pour objet de les contraindre,
conformément à l'article 94 précité, à
l'exécution de la décision de la Cour. Dès lors,
même en cas de victoire du Cameroun, dans l'hypothèse où le
Nigeria aurait refusé l'exécution de l'arrêt de la C.I.J.,
rien ne garantissait le succès d'un éventuel recours au Conseil
de sécurité ; ses membres ayant a priori plus
d'intérêts vis-à-vis d'Abuja que de Yaoundé.
A côté des incertitudes qui accompagnaient le
choix du règlement judiciaire, le Cameroun avait été
psychologiquement affecté des années auparavant par une
décision, rendue par la Cour, qui consolidait le transfert d'une partie
de son territoire au Nigeria.
Paragraphe 2 : Le traumatisme de la première
expérience devant la C.I.J : l'affaire du Cameroun
Septentrional
Le spectre de l'affaire du Cameroun septentrional (A)
planait également autour de l'option judiciaire. En effet, les rapports
entre le Cameroun et la C.I.J. avaient été pendant longtemps
marqués, du fait de ladite affaire, par « une crise de
confiance »187 (B).
186 Voir, Affaire des activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil, 1984 ; fond, arrêt,
C.I.J. Recueil, 1986.
187 Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., p. 99.
54
A. L'affaire en question
A la faveur du plébiscite des 11 et 12 février
1961188, le Cameroun s'était vu privé d'une
communauté humaine de 250 000 habitants et de 44 000 km2 de
territoire189. Lors de ce plébiscite, les populations
(camerounaises sous administration britannique) devaient voter soit pour une
intégration dans la Fédération du Nigeria, soit pour une
réintégration au Cameroun190. Malgré les
résultats de ces consultations traduisant la volonté des
populations du Cameroun septentrional (ou Northern Cameroons) de devenir
nigérianes, le Cameroun n'acceptait pas l'idée de perdre ses
ressortissants et son territoire. Qui plus est, « l'Etat camerounais
établissait un rapport de causalité entre le non respect, par la
Grande Bretagne, de la règle de l'unité du territoire
placé sous sa tutelle et les différences observées dans
les options politiques des Camerounais méridionaux191 et
septentrionaux »192. En effet, sous les régimes
successifs de mandat de la SDN et de tutelle de l'ONU, la Grande Bretagne
n'avait pas respecté l'unité physique du territoire camerounais
qui lui avait été confié après la défaite
allemande (durant la première guerre mondiale). Pour marquer sa
désapprobation contre ces résultats, la République
camerounaise vota contre la résolution 1608 (XV) du 21 avril 1961 des
Nations Unies qui prenait acte de ce plébiscite, et s'opposa au
transfert d'une partie de son territoire au Nigeria. Le 1er Mai, il
proposa à la Grande Bretagne de conclure un compromis à l'effet
de saisir la C.I.J. Celle-ci rejeta ladite proposition le 26 Mai
1961193.
Le Cameroun, qui était conscient des graves
irrégularités qui avaient entachés ce scrutin,
était convaincu que « la seule solution acceptable pour
éviter qu'une monstrueuse injustice ne soit commise »
était « d'annuler le plébiscite dans le Cameroun
septentrional »194 Deux jours avant la fin du
régime de tutelle, en l'occurrence le 30 Mai 1961, le Cameroun
déposa, sur la base d'une clause de l'Accord de tutelle justificative de
la compétence de la Cour, une requête devant la C.I.J. Il y
évoquait les griefs ci-après : méconnaissance de
l'unité administrative du territoire sous-tutelle ; non
réalisation des objectifs énoncés par l'Accord de tutelle
; non respect de la résolution 1473 du
188 Ce plébiscite avait été
organisé en vue de faciliter l'accession des territoires camerounais
sous administration britannique à l'indépendance ; en
l'occurrence, le Northern et le Southern Cameroons, ainsi divisé par la
Grande Bretagne.
189Anicet OLOA ZAMBO, L'affaire du Cameroun
septentrional Cameroun/Royaume-Uni, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 34 et p.
116.
190 Les questions posées étaient les suivantes :
1. Désirez-vous accéder à
l'indépendance en vous unissant à la Fédération
Nigériane indépendante ? ou
2. Désirez-vous accéder à
l'indépendance en vous réunissant à la République
Camerounaise indépendante ? Voir Ibid., p. 119.
191 Le Southern Cameroons (Cameroun méridional) avait
choisi d'accéder à l'indépendance en
réintégrant le Cameroun.
192 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p.189.
193 Lire à cet effet, André-Hubert ONANA MFEGUE,
2002, op cit, p. 160-162.
194 « Position de la République du Cameroun
à la suite du plébiscite des 11 et 12 février 1961 dans la
partie septentrionale du territoire du Cameroun sous administration du
Royaume-Uni de Grande Bretagne D'Irlande du Nord ». Voir, Anicet OLOA
ZAMBO, 2007, op. cit., pp. 176-177.
55
56
57
12 Décembre 1959 demandant la séparation
administrative du Cameroun septentrional du Nigeria ; anomalies dans la
préparation et le déroulement du plébiscite195.
Pour ces raisons, il demandait à la Cour de juger que le Royaume-Uni
n'avait pas respecté certaines clauses de l'Accord de tutelle. Afin de
démontrer l'incompétence de la C.I.J. à connaître de
cette requête, la Grande Bretagne souleva des exceptions
préliminaires. Dans ces exceptions, il affirmait que la Cour n'avait pas
été saisie selon les conditions requises par l'article 19 de
l'Accord de tutelle196 ; qu'elle était incompétente
ratione temporis, car la date du différend ou, du moins, celle
des questions soulevées était antérieure au 20 septembre
1960, date d'admission de la République Fédérale du
Cameroun aux Nations Unies ; et enfin, que le Cameroun ne poursuivait aucun
recours, ne recherchait pas une décision quelconque de la Cour, mais
visait « à obtenir de la Cour un avis consultatif sur
l'exécution de l'accord de tutelle »197.
La Cour rejeta l'ensemble de ces exceptions
préliminaires, mais, refusa de statuer au fond sur la demande du
Cameroun. Elle affirma que le Cameroun ne pouvait lui demander de rendre un
arrêt au fond sur le non respect par la Grande Bretagne d'un Accord
expiré, conformément à la résolution 1608 des NU,
le 1er juin 1961. Tout en reconnaissant la possibilité pour
elle de prononcer un jugement déclaratoire, la Cour affirma que
« même si une fois saisie d'une requête, elle estime avoir
compétence, elle n'est pas obligée d'exercer cette
compétence dans tous les cas »198. La
C.I.J. constata qu'une décision selon laquelle l'autorité
administrative aurait violé l'Accord de tutelle n'établirait pas
un lien de cause à effet entre cette violation et le résultat du
plébiscite. Qu'en déclarant les allégations du Cameroun
justifiées au fond, elle serait réduite à «
trancher une question éloignée de la réalité
»199 et se trouverait dans l'impossibilité de
rendre un arrêt effectivement applicable ; car selon elle, cet
arrêt « n'infirmerait pas les décisions de
l'Assemblée Générale200. L'arrêt
ne remettrait pas en vigueur et ne ferait pas revivre l'accord de tutelle.
L'ancien territoire sous tutelle du Cameroun septentrional ne serait pas
rattaché à la République du Cameroun. L'union de ce
territoire avec la République du Nigeria ne serait pas invalidée
»201. Jugeant tout arrêt pouvant être
prononcé dans ce litige sans objet, elle refusa comme l'avait
195 Voir à ce propos, Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996,
op. cit., p. 190-191.
196 Cet article subordonnait la compétence de la Cour
à quatre conditions : l'existence d'un différend ; ce
différend devant être soulevé entre l'autorité
chargée de l'administration (en l'espèce la Grande Bretagne) et
un autre membre des Nations Unies ; et s'élevant à
l'interprétation ou à l'application des dispositions dudit accord
; enfin, ce différend devait pouvoir être réglé par
négociations ou autre moyen. Voir, Anicet OLOA ZAMBO, 2007, op.
cit., p. 190.
197 Voir, Anicet OLOA ZAMBO, 2007, op. cit., pp.
190-191.
198 Voir, ibid., p. 193.
199 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 193.
200 Il s'agit notamment ici de la Résolution 1608 (XV)
de l'AG de l'ONU, approuvant les résultats du plébiscite des 11
et 12 février 1961.
201 Cité par Narcisse MOUELLE KOMBI, op. cit., p.
193.
demandé le Cameroun de prononcer un simple
énoncé de droit qui « constituerait...son
témoignage vital pour le peuple Camerounais
»202.
Cette décision causa un traumatisme énorme au
Cameroun.
B. L'incidence de l'affaire
Le jugement du 2 décembre 1963 brisa tous les espoirs
des autorités camerounaises de voir un jour le Cameroun septentrional
être réintégrer au Cameroun comme cela fut le cas avant la
colonisation franco-britannique. La décision de la C.I.J. fut
perçue comme une « non décision
»203, un « déni de justice » 204
au détriment du Cameroun. Cette affaire eu un impact énorme dans
l'imaginaire collectif des Camerounais (tout au moins ceux qui en avaient
connaissance). La C.I.J. fut perçue comme un organe au service des
intérêts des grandes puissances205. Des manifestations
de rues parfois conduites par des Ministres ou des Députés furent
organisées à Yaoundé « contre la Grande Bretagne,
le Nigeria et la C.I.J. »206. Le Chef de l'Etat de
l'époque Ahmadou AHIDJO décréta la journée du 11
février 1961 (date du plébiscite) journée de deuil
national. Il en fit de même pour la journée du 2 décembre
1963 (jour du jugement de la C.I.J.). Toutefois, ces mesures n'eurent aucun
effet. Ce jugement entraîna la désaffection des autorités
Camerounaises à l'égard de la Cour, et une vive déception
populaire. Il fut ressenti comme un échec politique douloureux.
Le traumatisme provoqué par cette affaire sur
Yaoundé instaura un climat de méfiance qui contribua à
rebuter le Cameroun de la C.I.J. A titre illustratif, les autorités de
Yaoundé ont hésité pendant longtemps à souscrire
à la clause facultative de juridiction obligatoire de la Cour, et ont
maintenu leurs distances par rapport aux instruments pluri ou
multilatéraux instituant la compétence de la C.I.J207.
Ce n'est que le 3 mars 1994 qu'elles se sont décidées à
ratifier, auprès du Secrétariat Général des Nations
Unies ladite clause. En revanche, le Cameroun s'est tout de même
aménagé une échappatoire. En effet, ladite
déclaration qui a été prévue pour rester en vigueur
pendant une période de cinq ans, continuera ensuite à produire
effet jusqu'à notification contraire ou modification écrite par
le Gouvernement de la République du Cameroun208.
202 Demande adressée par le Cameroun à la C.I.J.
lors de l'affaire du Cameroun septentrional, citée par Anicet OLOA
ZAMBO, 2007, op. cit., p. 194.
203 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 192.
204 Anicet OLOA ZAMBO, 2007, op. cit., p. 198.
205 Lire à ce propos, ibid., pp. 196-199.
206 Antoine ZANGA, L'OUA et le règlement pacifique des
différends, Paris, 1987, Editions ABC, p. 28, cité par
André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op cit, p. 161.
207 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 195.
208 Affaire de la frontière terrestre et maritime entre
le Cameroun et le Nigeria, Observations de la République du Cameroun
sur les exceptions préliminaires du Nigeria, op. cit.,
Chapitre 1, Première exceptions préliminaires : la Cour
n'aurait pas la compétence pour connaître de cette requête,
Paragraphe 1.03.
Il convient, néanmoins, de reconnaître qu'il y
avait évolution en la matière ; on était ainsi
passé de la méfiance vis-à-vis de la C.I.J., au retour de
la confiance209. Ceci résultait sans doute de la prise de
conscience des atouts que pouvait receler le recours à l'organe
judiciaire principal des Nations Unies.
Section 2 : Les atouts de la voie judiciaire
L'option judiciaire avait plusieurs atouts210. Le
Cameroun était assuré par le biais de cette voie d'avoir non
seulement une solution définitive, mais encore, la solution la plus
objective possible basée sur le droit211 (Paragraphe 2). Qui
plus est, il existait des conditions qui permettaient aux autorités de
Yaoundé d'être sûr d'atteindre l'objectif fixé en
faisant recours à la C.I.J.212 (Paragraphe 1).
Paragraphe 1 : L'existence de conditions favorables
La décision de recourir au règlement judiciaire
n'aurait pas été envisageable si le Nigeria n'avait pas souscrit
des années auparavant à la clause facultative de juridiction
obligatoire213. L'existence de cette déclaration offrait la
possibilité au Cameroun d'attraire unilatéralement le voisin
occidental devant la C.I.J. (A). Cette option lui était d'autant plus
favorable que, les autorités Camerounaises pouvaient se prévaloir
devant la Cour d'arguments juridiques pertinents à propos de la «
camerounité » de la péninsule de Bakassi (B).
209 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 187.
210 En effet, il convient de rappeler que l'un des principes
fondamentaux de la politique étrangère du Cameroun est le
règlement pacifique des différends, au rang desquels on retrouve
le règlement judiciaire.
211 Entretien avec le Professeur Maurice KAMTO, Co-agent du
Cameroun devant la C.I.J., Ministre délégué auprès
du Ministre de la Justice, Garde des sceaux, et Chef de la
Délégation camerounaise au Comité de mise en oeuvre de
l'Accord de Greentree, Yaoundé, le 24 juin 2011.
212 Entretien avec le Professeur Joseph
OWONA, Secrétaire Général de PRESICAM à
l'époque de la prise de décision, Yaoundé, 29 Juillet
2011.
213 La C.I.J. ne peut connaître d'une affaire que si les
Etats en cause ont consenti à être partie à cette affaire
devant elle (principe du consentement). Le consentement des Etats peut
s'exprimer de trois manières : par compromis ; par le biais de
traités comportant des clauses stipulant que les litiges sur
l'interprétation ou l'application du traité en question seront
soumis à la Cour ; et par déclaration unilatérale (Voir
Département de l'information des Nations Unies, 2000, op. cit.,
pp. 27-28). (Il convient de relever que la pratique de la C.I.J. a
ultérieurement consacré une quatrième voie : le forum
prorogatum. C'est une acceptation non formaliste de la compétence de la
Cour). Le Cameroun était conscient que le Nigeria, qui avait toujours
manifesté une réticence en faveur d'un règlement
judiciaire du problème, n'aurait jamais accepté la conclusion
d'un compromis à l'effet d'une saisine conjointe de la Cour. Qui plus
est, il n'existait pas de clause conventionnelle à laquelle le Cameroun
pouvait se prévaloir pour la saisine de la Cour.
58
A. La souscription nigériane à la clause
facultative de juridiction obligatoire
L'article 36 paragraphe 2 du Statut de la C.I.J. stipule que
les Etats parties au Statut peuvent, par déclaration unilatérale
faite à n'importe quel moment, « reconnaître comme
obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à
l'égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, la
juridiction de la Cour sur les différends d'ordre juridique ».
Ce système dit de la clause facultative de juridiction obligatoire,
revient à créer un groupe d'Etats ayant mutuellement donné
compétence à la Cour pour régler tout différend qui
pourrait surgir ultérieurement entre eux. En principe, chaque Etat de ce
groupe a le droit de citer un ou plusieurs autres Etats du même groupe
devant la Cour214. La souscription nigériane à ladite
clause était un argument crucial en faveur du choix du règlement
judiciaire du conflit de Bakassi215.
En effet, en 1965, le Nigeria avait fait une
déclaration qu'il n'avait assorti d'aucune réserve. Il pouvait
ainsi citer ou être citer à tout moment, quel que soit le
différend, par tout Etat ayant fait ou venant à faire la
même déclaration. Cette information était d'autant plus
positive pour le Cameroun, que le Nigeria (qui avait manifesté des
réticences vis à vis du règlement judiciaire) n'aurait
jamais accepté la signature d'un compromis à l'effet d'une
saisine conjointe de la Cour. Toutefois, afin d'exploiter cet avantage, il
était nécessaire pour le Cameroun de souscrire au plus vite
à ladite clause. Car dans la pratique, il arrivait que des Etats, pour
éviter d'être cités devant la Cour par d'autres avec qui
ils étaient en conflit, modifient ou retirent leur déclaration.
Cela a été le cas du Royaume Uni216 qui avait mit fin
à sa déclaration en Octobre 1955 pour exclure un litige avec
l'Arabie Saoudite ; de l'Australie qui en avait fait de même pour
éviter que le Japon ne recourt à la Cour au sujet d'un
différend concernant la pêche des perles. La souscription
camerounaise à ladite clause le 3 mars 1994, consacrait la
réunion des conditions de recevabilité d'une requête contre
le Nigeria devant la C.I.J.
B. La pertinence des arguments juridiques du Cameroun
A l'époque, le Cameroun disposait d'arguments
juridiques pertinents lui permettant de faire valoir la «
camerounité » de la péninsule de Bakassi devant la C.I.J.
Ces arguments étaient d'ordre conventionnel et factuel.
214 Département de l'Information des Nations Unies, 2000,
op. cit., p. 27.
215 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, op.
cit.
216 A l'heure actuelle, le Royaume Uni est le seul des cinq
membres permanents du Conseil de sécurité à avoir fait une
déclaration d'acceptation de la juridiction de la C.I.J. toujours en
vigueur.
59
Sur le plan conventionnel, il pouvait se prévaloir de
l'Accord anglo-allemand du 11 mars 1913217 établissant sans
équivoque, dans ses articles 18, 19, 20 et 21, l'appartenance de la
péninsule de Bakassi au territoire camerounais. L'article 20 en
particulier précisait que « la péninsule de Bakassi
restera camerounaise même si le cours de la rivière Akwa Yafe
vient à changer d'embouchure et à se jeter dans le Rio del Rey
»218. Le 12 avril 1913, le Protocole d'Obokum (autre
Accord important) complétant en matière de démarcation
l'Accord du 11 mars 1913 avait également été signé
entre l'Allemagne pour le « Kamerun » et la Grande Bretagne pour les
colonies du « Northern Nigeria » et du « Southern Nigeria
». En outre, comme le relève Martin Zachary NJEUMA, « il
était spécifié qu'en cas de litige frontalier, le
tracé figurant sur les huit cartes qui faisaient partie
intégrante des accords (série 2240 des cartes de
l'Amirauté britannique) ferait foi »219. Ces huit
cartes situaient Bakassi du côté allemand, donc aujourd'hui du
côté camerounais.
Après l'indépendance, le Premier Ministre
Nigérian Tafawa BALEWA dans un échange de notes avec la
Grande-Bretagne avait reconnu, au nom du Gouvernement Fédéral du
Nigeria, toutes les obligations et responsabilités, de même que
les droits et bénéfices découlant de toute Convention
internationale valide qu'avait conclu le Royaume Uni pour le compte du
Nigeria220. A titre illustratif, le 27 mars 1962, la Note
diplomatique n°570 adressée au Cameroun par le Ministre
Nigérian des Affaires Etrangères, reconnaissait que « le
cours de la frontière de la Cross River à la mer, est
déterminé par l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913, faisant
ainsi de Bakassi une partie du Cameroun »221.
La création de l'O.U.A. en 1963 et surtout l'adoption
de la Résolution 16.1 du Caire de 1964 étaient venues consolider
cet état de droit. En effet, l'article III paragraphe 3 de la Charte de
l'organisation panafricaine affirmait le respect de la souveraineté et
de l'intégrité territoriale de chaque Etat et de son droit
inaliénable à une existence indépendante. Cette Charte
avait été ratifiée par le Nigeria. En outre, en 1964, le
voisin occidental du Cameroun approuvait la Déclaration du Caire - prise
dans le cadre de l'O.U.A. - qui consacrait le principe de
l'intangibilité des frontières héritées de la
colonisation222.
217 Comme le relève le Dossier sur le
différend frontalier de la péninsule de Bakassi, dans sa
seconde édition publiée en 1998 par le Gouvernement de la
République du Cameroun, l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913, est
l'instrument de référence de la délimitation et de la
démarcation de la frontière entre le Cameroun et le Nigeria (p.
29). C'est précisément sur la base de cet Accord que la C.I.J. a
reconnu la nationalité camerounaise de la péninsule de
Bakassi.
218 Gouvernement de la République du Cameroun, 1998,
op cit, p. 29.
219 Martin Z. NJEUMA, 1999, op cit, p.166.
220 Nowa OMOIGUI « The Bakassi story », [En ligne],
http://www.omoigui.com,
consulté le 15 avril 2011, p. 14. 221Guy Roger EBA'A, 2008,
op cit, p. 71. Voir également Nowa OMOIGUI, Idem.
222 Donc l'intangibilité de la frontière
méridionale entre le Cameroun et le Nigeria définit par l'Accord
Anglo-allemand du 11 mars 1913, qui consacre la « camerounité
» de la péninsule de Bakassi.
60
Par ailleurs, de nombreux faits étaient en mesure de
témoigner de la « camerounité » de la péninsule
de Bakassi. Le plébiscite des 11 et 12 février 1961 faisait
partie de ces faits. En effet, en 1961, Bakassi faisait partie de la fraction
du British Cameroon (en l'occurrence le Cameroun méridional
ou Southern Cameroons) qui avait choisi le rattachement à la
République du Cameroun. Comme le montre la figure ci-dessous, la zone de
Bakassi était dénommée sur la carte du plébiscite
« Victoria South West ». La Grande-Bretagne et la
République du Cameroun avaient signé le 30 septembre 1961
l'instrument transférant le Cameroun méridional à la
République du Cameroun223. Ce plébiscite n'avait fait
l'objet d'aucunes contestations nigérianes et avait été
reconnu par
l'ONU224.
Carte 1 : Localités du Southern
Cameroons où se sont déroulés les votes pour le
référendum du 11 février 1961. Carte établie par
l'ONU.
|
Source : Archives SOPECAM, Cameroon
Tribune
N° 5564 Mercredi 30 mars 1994.
|
En outre, durant la guerre civile nigériane
(1967-1970), le Général Yacubu GOWON, alors Président du
Nigeria, avait sollicité et obtenu l'autorisation d'utilisation
provisoire de Jabane, localité de la péninsule de Bakassi, pour
surveiller le ravitaillement du port de Calabar et étouffer
223Un échange de notes similaire entre la
Grande-Bretagne et le Nigeria consacrait, le 31 mai 1961, la cession au Nigeria
du Cameroun septentrional, rebaptisé par la suite province de
Sardauna.
224 A travers la résolution 1608 (XV) du 2 avril 1961 des
Nations Unies.
61
62
ainsi la tentative de sécession du Biafra ; ce qui
prouve que, les autorités nigérianes étaient au fait de la
« camerounité » de la presqu'île.
Déjà en 1972, le Dr Teslim OLAWALE ELIAS, alors
Chef du corps judiciaire de la République Fédérale du
Nigeria, écrivait au Ministre des Affaires Etrangères dudit pays,
Okoi ARIKPO, une lettre qui réaffirmait l'appartenance de la
péninsule litigieuse au Cameroun. Dans ladite lettre, il conseillait
à son pays d'honorer un certain nombre de Traités signés
avant son indépendance et hérités de la Grande Bretagne le
1er Octobre 1960. Selon lui, l'Accord anglo-allemand
précité démontrait que la péninsule de Bakassi
était camerounaise ; car, la frontière internationale passait par
le thalweg du fleuve Akpa Yafe et plaçait la péninsule du
côté camerounais de la frontière225. En 1998,
durant le conflit de Bakassi, le Professeur Okoi ARIKPO déclarera qu'
« il convient cependant de faire valoir que le traité
germanique de 1913 avait clairement établi que la zone litigieuse (de
Bakassi) se trouvait en territoire camerounais bien qu'elle fut en
majorité occupée par des Nigérians
»226.
La valeur des arguments juridiques du Cameroun aurait
été diminuée si les jugements de la Cour ne disposait ni
d'autorité ni d'effectivité.
Paragraphe 2 : L'effectivité et
l'autorité des jugements de la Cour
En droit, l'effectivité désigne le
caractère d'une situation qui présente une réalité
suffisante pour être opposable à un tiers227. En effet,
la C.I.J. rend des jugements effectifs, par nature objectifs et
définitifs, produisant des effets à l'égard des parties au
procès (A). L'autorité quant à elle renvoie, dans le sens
courant, « au droit de commander, la capacité de se faire
obéir, l'ascendant ou l'influence que peut avoir quelqu'un sur son
entourage »228. En droit, elle s'accompagne
généralement de l'expression de « la chose jugée
» et se rapporte au pouvoir attaché « à un acte de
juridiction servant de fondement à l'exécution forcée du
droit judiciairement établi, et faisant obstacle à ce que la
même affaire soit à nouveau portée devant un juge
»229. La C.I.J. jouissait de
225 Pour plus de précisions, lire Nowa OMOIGUI, op
cit., p. 21 ; MGBALE MGBATOU Hamadou, 1999, op cit., pp. 69-70 ;
«Guerre du Biafra (1967-1970) », Club du Sahel et de l'Afrique de
l'Ouest/OCDE, Note méthodologique sur la lecture des enjeux
sécuritaires Sahel Ouest et Sahel Est, SWAC/D(2009)27, 2009, pp.
13-15, [En ligne],
www.westafricaclub.org;
consulté le 25 avril 2011. Sur la base de ce conseil qui avait
été préalablement requis par le Ministre des Affaires
Etrangères, Okoi ARIKPO, ce dernier conseilla le Général
Gowon de privilégier les négociations relatives à la
frontière maritime telle que définie par le traité
anglo-allemand de 1913, lors des discussions avec le Président Ahidjo
(Voir, Nowa OMOIGUI, op cit, p. 21.). Ce qui fut fait. De la
déclaration de Yaoundé II à l'Accord de Maroua, le Nigeria
n'a pas au cours des négociations remis en cause la «
camerounité » de Bakassi.
226 The Guardian, Vol 6, N°4,653, Thursday March
22, 1992, cite par Gouvernement de la République du Cameroun, 1998,
op cit, p. 31.
227 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT (dir.), 2003, op. cit.,
p. 239.
228 Bruno HONGRE, 2002, op. cit., p. 51.
229 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT (dir.), 2003, op. cit.,
p. 104.
cette autorité lorsqu'elle rendait ses
décisions. Ainsi, le règlement judiciaire offrait au Cameroun non
seulement l'assurance d'un jugement objectif et définitif, mais aussi,
une garantie d'applicabilité de la décision rendue qui
découlait de l'autorité dont bénéficiait la Cour
(B).
A. L'assurance d'un jugement objectif et
définitif
Le règlement judiciaire offrait aux autorités
camerounaises la garantie d'une solution définitive dénuée
de préjugés et de partialité. En effet, pour Philippe
WECKEL, « si les Etats attachent une importance extrême à
leurs intérêts territoriaux, ils peuvent aussi espérer
trouver une protection renforcée auprès du juge. C'est dire que
ce dernier devient un acteur essentiel de l'aménagement de l'espace. En
ce domaine, il n'y a plus d'équivalence entre le règlement
juridictionnel et les autres procédés d'ajustement des situations
conflictuelles, parce que le juge apporte une qualité de
règlement originale et recherchée que l'on nomme la justice
»230. La Cour, qui avait d'ailleurs l'expérience de
ce genre d'affaires, pouvait être sollicitée avec assurance par le
Cameroun. A cet égard, il est à relever que « plus de la
moitié des affaires contentieuses (soumises à la Cour) portent
sur des différends territoriaux et frontaliers. Une autre part
importante concerne des différends maritimes et des questions
liées au droit de la mer »231.
L'objectivité de la Cour découlait du fait
qu'elle statuait sur le différend qui lui était soumis
conformément au droit international et sur la base de la preuve des
faits en cause, au moyen d'un arrêt ou d'une sentence dûment
motivée232. Par ailleurs, la Cour bénéficiait
d'une présomption d'indépendance et d'impartialité qui
garantissait son objectivité. Elle était composée d'un
corps de magistrats indépendants, élus sans égard à
leur nationalité parmi les personnes jouissant de la plus haute
considération morale ; et possédant une compétence notoire
en matière de droit international233. Les juges avaient des
garanties d'indépendance, d'impartialité et de compétences
(en termes notamment d'immunités, de rémunérations et
d'incompatibilité professionnelles234). Une fois élus,
ils ne représentaient ni leurs gouvernements, ni aucune autre
autorité. Leur impartialité était reconnue dans le corps
du Statut235 et du Règlement de la Cour236.
D'ailleurs, afin de garantir
230 Philippe WECKEL, Le juge international et
l'aménagement de l'espace : la spécificité du contentieux
territorial, Paris, Pedone, 1998, p. 18, cité par Jacques Joël
ANDELA, La défense des intérêts de l'Etat devant le
prétoire international. Recherches sur la politique juridique
extérieure du Cameroun, Mémoire de MASTER, Yaoundé,
IRIC, 2010, p. 52.
231 Département de l'information des Nations Unies,
2001, op. cit., pp. 48-49. A ce propos, lire également Jacques
Joël ANDELA, idem.
232 Département des Nations Unies, idem.
233 Article 2 du Statut de la Cour Internationale de Justice.
234 Pour éviter toute collusion, les juges de la
C.I.J., n'ont pas le droit d'exercer une autre profession et ne peuvent
d'ailleurs en aucun cas intervenir dans une précédente affaire
qu'ils auraient eue en main.etc.
235 Article 20 du Statut de la Cour Internationale de Justice.
236 Articles 4 paragraphe 1 et 8 paragraphe 1 du Règlement
de la Cour Internationale de Justice.
63
l'égalité entre les Etats parties au litige et
de montrer au mieux l'impartialité de la Cour, la possibilité
était donnée à ces derniers de désigner des juges
ad hoc (c'est-à-dire non titulaires)237 de leur
nationalité considérés comme mieux à même de
comprendre les arguments développés et de s'en faire les
interprètes238.
L'autre avantage que recelait le règlement judiciaire,
était celui du caractère définitif des arrêts rendus
par la C.I.J. A travers cette voie, le Cameroun était assurée de
régler une bonne fois pour toute sur la base du droit le conflit
frontalier qui l'opposait depuis des années au Nigeria, et dont
l'invasion de la péninsule de Bakassi n'était qu'une des
matérialisations dramatiques. En effet, contrairement aux accords
bilatéraux qui étaient sans cesse remis en cause par le Nigeria,
tous les arrêts rendus par la Cour étaient définitifs et
sans recours. S'il advenait qu'une partie en conteste le sens ou la
portée, les seules possibilités qui lui étaient ouvertes
étaient de présenter une demande en interprétation ou en
révision. La demande en révision était subordonnée
à la découverte d'un fait de nature à exercer une
influence déterminante sur la décision et jusque là
ignoré de la Cour, et de la partie qui en demandait la
révision239.
En plus d'être objectif et définitif,
l'arrêt rendu par la C.I.J. bénéficiait d'une envergure
internationale et a fortiori d'une force obligatoire.
B. L'autorité de la Cour
La Cour était une assurance pour le Cameroun face
à un adversaire prompt à remettre en cause les résultats
acquis lors des pourparlers bilatéraux. En effet, les autorités
de Yaoundé se devaient de recourir, après l'échec des
tentatives de règlement diplomatique, à un mécanisme
contraignant suffisamment à même d'aboutir à une
décision qui obligeait l'adversaire240. A cet égard,
la C.I.J. était le mécanisme le plus approprié. Le
caractère obligatoire241 de ses arrêts interdisait tout
refus d'exécution ; en vertu de l'article 94 de la Charte des Nations
Unies, chaque membre de l'Organisation (y compris le Nigeria) s'engageait
à se conformer aux décisions de la
237 L'art.31paragraphe 1 du Statut de la Cour permet au juge
ayant la nationalité de l'une des parties en litige de conserver le
droit de siéger dans l'affaire dont la Cour est saisie. Afin de
rétablir l'égalité entre les parties, il est prévu,
si d'aventure seule une des parties dispose d'un juge de sa nationalité
alors qu'il n'en est pas de même pour l'autre partie, que cette
dernière soit autorisée à désigner un juge ad
hoc doté de prérogatives identiques à celles de ses
pairs (art.31 paragraphe 2 du Statut). Si aucun des Etats en litige n'a de juge
de sa nationalité siégeant auprès de la Cour
internationale de Justice, l'art. 31 paragraphe 3 du Statut leur permet de
désigner chacun un juge. Devant la C.I.J., le Cameroun a
désigné M. Kéba MBAYE, et le Nigeria M. Bola AJIBOLA pour
siéger en l'affaire comme juges ad hoc.
238 Catherine COLARD-FABREGOULE, Anne MUXART et Sonia PARAYRE,
« Le procès équitable devant la Cour internationale de
Justice »,
http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/41/90/87/PDF/,
Consulté le 3 Août 2011.
239 Département de l'information des Nations Unies, 2000,
op. cit., p. 39.
240 Jacques Joël ANDELA, 2010, op. cit., p. 49.
241 Sur le caractère obligatoire des arrêts de la
C.I.J., lire Catherine COLARD-FABREGOULE, Anne MUXART et Sonia PARAYRE, op.
cit., [En ligne].
64
C.I.J. dans tout litige auquel il était partie. Ainsi,
dans la pratique, à l'exception de l'Affaire des activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, les Etats
respectaient généralement les jugements au fond de la Cour.
Catherine COLARD-FABREGOULE, Anne MUXART et Sonia PARAYRE relèvent
à ce propos que « l'effectivité des jugements et de
l'autorité de la Cour est réelle, même si elle ne repose
que sur la bonne volonté et la bonne foi des Etats à
l'égard du système judiciaire instauré par eux et auquel
ils acceptent de se soumettre de leur propre chef »242.
Par ailleurs, le Cameroun pouvait également compter sur
l'autorité morale des Nations Unies. En effet, la qualité de la
Cour, d'organe judiciaire principal des Nations Unies, était apte
à inspirer la confiance du Cameroun, quant à
l'applicabilité d'un arrêt qui aurait été rendu dans
une affaire l'opposant au Nigeria. Le Président Paul BIYA affirmait
à ce propos qu' « on voit mal un pays, grand ou petit,
défier ouvertement les Nations Unies au risque d'être mis au ban
de la communauté internationale »243. Le Nigeria
qui avait déjà sur la scène internationale l'image d'un
pays peu soucieux des droits de l'homme et des convenances
internationales244, n'avait pas intérêt à ouvrir
contre lui un nouveau front en refusant l'exécution d'une
décision rendue par l'organe judiciaire principal des Nations Unies.
Qui plus est, dans la pratique, l'ONU accompagnait souvent les
Etats dans l'exécution des jugements de la Cour. L'organisation
universelle était par exemple intervenue pour faciliter
l'exécution de l'arrêt du 3 février 1994 rendu dans
l'affaire Libye-Tchad dite de la bande d'Aozou245.
C'était en présence d'observateurs de l'ONU,
dépêchés sur place suite à l'adoption de la
résolution 915 du Conseil de Sécurité du 4 mai 1994, que
le territoire disputé avait été entièrement remis
au Tchad246. Cette affaire était une illustration de la
réussite de la Cour, là où toute la panoplie des autres
moyens de règlement des différends avait échoué.
Après l'arrêt, les parties avaient conclu un accord, le 4 avril
1994, mettant en oeuvre scrupuleusement la décision de la Cour, et par
lequel étaient fixées les modalités du retrait de la Libye
de la bande d'Aozou. Quatre mois après l'arrêt, en l'occurrence le
31 Mai 1994, la Libye achevait l'évacuation de ladite
bande247.
Après analyse des enjeux du recours au règlement
judiciaire, il ressort que le recours à la C.I.J. avait plus de
bénéfices que de coûts éventuels pour le
Cameroun.
242 Catherine COLARD-FABREGOULE, Anne MUXART et Sonia PARAYRE,
op. cit. [En ligne].
243 Paul BIYA, 1996, op. cit., p. 7.
244 Lire à ce propos Zacharie NGNIMAN, 1996, op.
cit., pp. 130-136.
245 La bande d'Aozou est territoire de 114 000 km2
situé au nord du Tchad, bordant la frontière avec la Libye.
246 Luigi CONDORELLI, « La Cour internationale de justice :
50 ans et (pour l'heure) pas une ride », European Journal of
International Law, vol.6, n°1, 1995, p. 390.
247 Idem.
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
65
La contribution du modèle I à l'explication de
la décision du Cameroun est considérable. Il permet à
l'analyste de construire un raisonnement basé sur des arguments
logiques, par lequel il amène le lecteur à voir que, s'il avait
été dans la même situation que le Cameroun, il aurait fait
le même choix. Il identifie le problème qui s'est posé au
Cameroun, en l'occurrence les convoitises nigérianes sur la
péninsule de Bakassi ; il détermine l'objectif poursuivi par lui
face à ce problème stratégique, à savoir le respect
par le Nigeria de son intégrité territoriale ; ensuite, il
identifie les différentes options soumises au Cameroun et procède
à une analyse des conséquences attribuées à chacune
de ces options. Le choix de Yaoundé, c'est-à-dire le
règlement judiciaire, apparaît à terme comme la voie
optimisant au mieux les chances de ce pays d'Afrique centrale d'atteindre son
objectif. En d'autres termes, l'intérêt du Cameroun se trouvait
dans le règlement judiciaire, en l'occurrence celui de la C.I.J., plus
que dans tout autre mode de règlement de conflit.
Toutefois, nonobstant ses mérites, le modèle I
reste une approche assez désincarnée. La décision est
analysée comme un choix national. Aussi, ce qui revient le plus souvent
ici c'est : l'option du « Cameroun » pour le
règlement judiciaire, l'objectif du « Cameroun », les
alternatives ouvertes au « Cameroun », etc. Il ne rend pas
compte des dynamiques internes - pourtant importantes - qui ont
influencées la prise de décision. D'où
l'intérêt de l'application complémentaire du cadre
conceptuel de James ROSENAU à la présente étude.
DEUXIEME PARTIE :
L'ANALYSE DU RECOURS AU REGLEMENT JUDICIAIRE SELON LES
VARIABLES EXPLICATIVES DE ROSENAU
66
De manière générale, les variables
indépendantes élaborées par James ROSENAU, situent
l'explication de la décision (variable dépendante) à deux
niveaux248 : celui des acteurs institutionnels (Chapitre III), et
celui du contexte sociologique (Chapitre IV).
Au niveau des acteurs institutionnels, la décision du
Cameroun s'explique d'abord par le tempérament et les croyances du
Président Paul BIYA, décideur ultime (variable idiosyncratique).
Elle porte également la marque de l'environnement institutionnel qui l'a
généré (variables de rôle et gouvernementales qui
correspondent au modèle III d'ALLISON) ; en l'occurrence, l'appareil
administratif impliqué dans le processus de prise de décision.
Au niveau du contexte sociologique général,
l'explication prend en compte l'environnement interne dans lequel évolue
le décideur final (variables sociétales), et l'environnement
international, dans lequel le Cameroun se déploie (variables
systémiques).
67
248 Pour une taxinomie des théories de la décision,
lire Jean BARREA, 1981, op. cit., pp. 254-255.
CHAPITRE III - L'INFLUENCE DES ACTEURS
INSTITUTIONNELS
68
L'analyse d'un problème
praxéologique249 suppose la compréhension des
structures décisionnelles impliquées250. Selon
Frédéric CHARILLON, la prise de décision de politique
étrangère est considérée comme le domaine
réservée251 des plus hauts responsables de
l'Etat252. Une telle affirmation revêt d'autant plus de
pertinence qu'on se trouve dans le cadre d'un régime
présidentiel, comme c'est le cas au Cameroun253.
Dans ce type de régime où, la politique
étrangère est le domaine réservé du Chef de l'Etat,
il est souvent nécessaire d'explorer le champ psychologique des
décideurs pour rendre intelligible telle orientation ou tel choix de
politique extérieure. En l'espèce, l'idiosyncrasie du
Président Paul BIYA fait partie des variables explicatives
déterminantes de la décision camerounaise (Section II).
Il convient toutefois de relever avec Thierry de MONTBRIAL
que, dans l'immense majorité des cas, le commandement humain n'est pas
le fait d'un homme seul. En effet, même si un décideur ou un
arbitre ultime existe souvent, il repose généralement sur une
organisation multifonctionnelle (structure décisionnelle)254.
François BLUCHE affirme à cet effet que le Roi-Soleil
lui-même qui se voulut monarque absolu, ne gouvernait jamais sans son
conseil255. Ainsi, pour prendre cette décision, le Chef de
l'Etat a eu besoin de l'expertise technique d'administrations
bénéficiant d'une spécialisation en la matière. Ces
dernières ont contribué par leur évaluation de la
situation, à la décision finale (Section I).
249 Praxéologie ici est entendue au sens de Thierry de
MONTBRIAL, c'est-à-dire, « la science des activités
humaines organisées, appréhendées sous l'angle de
l'exercice du pouvoir ». Voir Thierry de MONTBRIAL, 2008, op.
cit., p. 3.
250 Ibid. p. 41.
251 Le Président Paul BIYA relève à cet
effet que « dans tous les Etats modernes, il y a des secteurs qui sont
considérés comme appartenant à ce qu'on peut appeler le
domaine réservé du Président de la République.
C'est la défense, la diplomatie, la sécurité
intérieure, (...) en raison de leur incidence à la fois, sur la
liberté des citoyens, sur la paix et la guerre éventuelle avec
les étrangers », Interview accordée à la
télévision nationale camerounaise, le 19 février 1987,
cité par Simplice ATANGA, 1991, op. cit., p. 44.
252 Frédéric CHARILLON (dir.), 2002, op
cit, p. 13.
253En effet, ici, le Président de la
République est le garant de l'indépendance nationale et de
l'intégrité territoriale. La Constitution du 2 juin 1972, en
vigueur à l'époque de l'option des autorités de
Yaoundé pour le règlement judiciaire du conflit de Bakassi, fait
de lui le Chef de l'Etat et du Gouvernement (article 5). En tant que tel, il
définit la politique de la nation. Il est responsable de la conduite des
affaires de la République et de l'unité de l'Etat, qu'il
représente dans tous les actes de la vie politique. Il nomme les
Ministres et Vice-ministres qui sont responsables devant lui, et met fin
à leurs fonctions (article 8). Il accrédite les Ambassadeurs et
Envoyés extraordinaires auprès des puissances
étrangères, dont les Ambassadeurs et Envoyés
extraordinaires, en retour, sont accrédités auprès de lui.
Il négocie et ratifie les Accords et les Traités. Il exerce le
pouvoir règlementaire, nomme aux emplois civils et militaires,
crée, organise et dirige tous les services administratifs
nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Chef de la
diplomatie et des forces armées, il veille selon l'article 9 de la
Constitution précitée, « à la
sécurité intérieure et extérieure de la
République ». (Cette énumération n'est pas
exhaustive. Pour plus de détails sur les prérogatives reconnues
au Chef de l'Etat à l'époque, voir les articles 8, 9, 10, et 11
de la Constitution du 2 Juin 1972.)
254 Thierry de MONTBRIAL, 2008, op. cit., p. 41.
255 François BLUCHE, Louis XIV, Fayard, 1988,
cité par Ibid., p. 42.
69
Section 1 : Les variables gouvernementales et de
rôle
De prime abord, il convient de rappeler que les variables
gouvernementales et de rôle (du paradigme de ROSENAU) prennent toute leur
ampleur dans l'approche dite « bureaucratique » de la décision
(d'ALLISON)256. Les variables gouvernementales renvoient à
toutes les institutions administratives, ayant été
impliquées dans la prise de décision, hormis le Chef de l'Etat
(Paragraphe
I). Les variables de rôle, quant à elles,
privilégient l'influence sur la prise de décision, du statut et
des attentes professionnelles des fonctionnaires représentants ces
administrations (Paragraphe II).
Paragraphe 1 : L'apport des institutions
administratives
La décision de régler le conflit frontalier
camerouno-nigérian par voie judiciaire n'a pas été prise
ex nihilo. En effet, diverses administrations ont
procédé à une analyse de la situation (A) et, des
concertations entre elles ont permis au Chef de l'Etat de se décider
(B).
A. Les institutions intéressées
En cas de crise ou de conflit, l'urgence de la situation et le
caractère court des délais amènent
généralement les décideurs à s'entourer de leurs
plus proches collaborateurs. Ces derniers sont généralement
chargés du fait de leur expertise, de réfléchir sur la
meilleure solution à adopter. Ce fut le cas comme l'a
démontré Graham ALLISON, des membres de l'Executive Commitee
of National Security Council, en abrégé ExCom, mis en place
par John F. KENNEDY, lors de la crise des missiles de Cuba257.
Dans le cas d'espèce, l'expertise nécessaire
à la prise de décision du Chef de l'Etat est venue de trois
institutions : le Ministère des Relations Extérieures (1), le
Ministère de la Défense (2), et le Secrétariat
Général de la Présidence de la République du
Cameroun (PRESICAM) (3).
1. La position du Ministère des Relations
Extérieures
Il existe dans chaque secteur des spécialistes ou
professionnels jouant un rôle important dans la définition des
contours et caractéristiques de leur domaine. Dans le Gouvernement,
c'est le cas du
256 Jean BARREA, 1981, op. cit., p.260.
257 Ce comité était chargé de
réfléchir sur le meilleur moyen pouvant garantir le
démantèlement des missiles soviétiques de Cuba. Il
était composé des hommes de confiance du Chef de l'Etat à
savoir entre autres : le Ministre de la justice (Robert KENNEDY, frère
du Président), les Secrétaires d'Etat (Dean RUSK), et de la
Défense (Robert McNamara), le Directeur de la CIA (John McCone), le
Secrétaire au Trésor (Douglas DILLON), l'Assistant spécial
pour les affaires de sécurité national (McGeorge BUNDY), le
Conseiller spécial (Theodore SORENSON) etc. Lire pour de plus amples
informations sur la composition de l'ExCom et les débats en son sein :
Graham T. ALLISON, 1971, op cit.
70
Ministère des Relations Extérieures (MINREX) en
matière de politique étrangère. En ce domaine, le MINREX
est l'organe ministériel investi d'une spécialisation
fonctionnelle. Il a pour principale mission d'assurer la mise en oeuvre de la
politique extérieure arrêtée par le Président de la
République258. En tant qu'organe de conception, il contribue
également à l'élaboration de la politique
étrangère du Cameroun.
En qualité d'organe statutairement chargé des
relations avec les Etats étrangers, les Organisations Internationales et
les autres sujets de la Communauté internationale259, il a
une vue d'ensemble de la scène internationale. Ainsi, le Ministre des
Relations Extérieures est, selon Samy COHEN, le seul Ministre capable de
fournir une vue synthétique de la situation internationale, de
réfléchir en termes globaux, de mesurer toutes les incidences
externes des décisions prises260. Ces atouts ont permis au
MINREX d'intervenir dans le processus qui a conduit le Cameroun à
l'adoption de la décision qui fait l'objet de la présente
étude.
Lorsque ce Département ministériel a
été instruit du dossier Bakassi, il s'est prononcé pour un
règlement diplomatique du conflit frontalier. Selon lui, le Cameroun ne
pouvait atteindre ses objectifs de manière satisfaisante que par la
poursuite de la voie diplomatique. Graham ALLISON à travers le
modèle bureaucratique explique le penchant du MINREX pour une solution
négociée par la place qu'il occupe dans l'appareil
gouvernemental. Pour ALLISON, en tant qu'organe investi de questions
diplomatiques et composé essentiellement de diplomates, il était
logique pour le MINREX de privilégier cette voie261. En
revanche, l'avis du MINREX n'était pas partagé par les militaires
du Ministère de la Défense (MINDEF).
2. L'avis du Ministère de la
Défense
Le MINDEF est responsable : de l'exécution de la
politique militaire de défense et en particulier de l'organisation, de
la gestion, de la mise en condition, d'emploi et de mobilisation de l'ensemble
des forces régulières, supplétives, ou auxiliaires, ainsi
que de l'infrastructure qui leur est nécessaire ; de la formation
appropriée des fonctionnaires et des catégories de citoyens qui
ont un
258 Article 5 (23) du Décret N° 92/245 du 26
novembre 1992 portant organisation du Gouvernement. (Ce Décret n'est
plus en vigueur aujourd'hui. L'actuel texte portant organisation du
Gouvernement est le Décret N°2004/320 du 8 Décembre
2004).
259 Article 5 (23) du Décret N°92/245 du 26 novembre
1992 précité.
260 Samy COHEN, La monarchie nucléaire. Les
coulisses de la politique étrangère sous la Vème
République, Paris, Hachette, 1986, p. 46, cité par Alain
Titus BILOA TANG, 2000, op. cit., pp. 39-40.
261 Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., pp. 166-167.
Selon ALLISON, le point de vue des administrations impliquées dans le
processus dépend prioritairement de la position qu'ils occupent dans le
système décisionnel. D'où la formule: « Where you
stand depends on where you sit ». Cette formule a été
attribuée par Graham ALLISON à Don Price. Pour une lecture
critique du modèle Bureaucratique d'ALLISON, lire Samy COHEN, 1998,
op. cit., pp. 83-88.
71
72
rôle à jouer dans la
défense262. Il est également chargé de
l'étude du plan de défense ; de la coordination et du
contrôle des forces de défense263. Si le MINREX est
l'organe spécialisé en matière de diplomatie, la
défense constitue le domaine d'action du MINDEF. Selon Raymond ARON, ces
secteurs sont des domaines cruciaux, qui constituent les principales
composantes, de la politique étrangère d'un Etat, car les
relations interétatiques comportent, par essence, l'alternative de la
guerre et de la paix264.
A ces titres, le MINDEF a compté parmi les institutions
intervenues pour trouver la solution la mieux à même de
régler définitivement le conflit de Bakassi. S'agissant de l'avis
de cette institution, ses experts se sont prononcés à
l'époque en faveur d'un règlement militaire du conflit de
Bakassi265.
3. La position du Secrétariat
Général de PRESICAM
Le Secrétariat Général de PRESICAM fait
partie des structures qui secondent le Président de la République
dans la conception, la direction et l'orientation de la politique
extérieure. Il est chargé, d'une manière
générale, du suivi de l'exécution des instructions
données par le Président de la République, et de la
supervision de l'organisation du travail gouvernemental par le biais de
conseils ministériels, et de réunions
interministérielles266.
La majorité des dossiers de politique
étrangère (y compris ceux venant du MINREX) sont confiés
au Secrétariat Général267 pour étude et
avis à la haute hiérarchie. Le Secrétariat
Général est très imbriqué dans le circuit
décisionnel268. En France où la tradition du «
domaine réservé » est également très
ancrée, le Secrétariat Général est
considéré comme un « super-gouvernement ». Selon le
Général Charles De Gaulle, il est « au centre et au
courant de tout »269. « Il est le collaborateur
du Président, l'organisateur des sommets élyséens, le
surveillant, l'homme des
262 Article 12 de la Loi N°67/LF/9 du 12 Juin 1967
portant organisation générale de la défense, cité
par Emmanuel ELA ELA, 2001, op. cit., pp. 166-167.
263 Article 5 (1) du Décret N° 92/245 du 26 Novembre
1992 portant organisation du Gouvernement.
264 Raymond ARON, 1962, op. cit., p. 18.
265 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, op.
cit.
266 Article 2 (2) du Décret N°90/951 du 29 mai 1990
portant organisation de la Présidence de la République.
267 Au niveau du Secrétariat Général de
PRESICAM, le Secrétaire Général et le Conseiller Technique
chargé des problèmes diplomatiques - appelé au MINREX
Conseiller Diplomatique du Président - interviennent dans
l'élaboration de la politique étrangère. Autour du
Conseiller Diplomatique, se forme ce que l'on appel au MINREX la « cellule
diplomatique de la Présidence ». Pour une analyse des
compétences et capacités d'influence, en la matière, de
l'entourage administratif du Chef de l'Etat au niveau de PRESICAM, lire
Simplice ATANGA, 1991, op. cit., pp. 67-70 et 74-78.
268 Il lui est souvent reproché d'empiéter sur des
domaines relevant de la compétence du MINREX.
269 Pierre BIRNBAUM, Les sommets de l'Etat. Essai sur
l'élite du pouvoir en France, Paris, Seuil, 1977, p. 98,
cité par Simplice ATANGA, 1991, op. cit., p. 64.
contacts officiels et des réseaux officieux,
l'inspirateur »270. Cette image, selon Simplice ATANGA,
n'est pas très éloignée de celle du Secrétaire
Général du Palais de l'unité271. Il convient de
relever en outre qu'en matière de politique publique, parmi les quatre
« cercles fondamentaux de la décision »272, le
cabinet du Président (en particulier le Secrétariat
Général) fait partie du premier cercle.
Ces atouts ont permis au Secrétariat
Général, dirigé à l'époque par le Professeur
Joseph OWONA, juriste de formation et enseignant de droit international,
d'intervenir et d'influencer le processus de prise de décision. A ce
titre, contrairement aux autres institutions impliquées dans le
processus, le Secrétariat Général était
persuadé que le conflit de Bakassi ne pouvait être
réglé de manière efficace que par un recours à
l'organe judiciaire principal des Nations Unies273. Toutefois, il a
fallu que chaque administration instruite de l'affaire par le Chef de l'Etat
arrive à le convaincre à travers ses arguments de la pertinence
de son option.
B. Les concertations entre institutions
Le Chef de l'Etat a affirmé que l'affaire Bakassi a
été le plus gros dossier qu'il ait eu à traiter en
l'espace de trente ans274. A l'époque, le Cameroun faisait
face à une violation manifeste de son intégrité
territoriale, et les négociations n'avançaient plus du fait de
malentendus persistants. Il fallait vite réagir afin d'empêcher
que la situation ne se consolident en faveur du voisin nigérian, dont la
volonté d'appropriation de la péninsule de Bakassi allait
crescendo.
C'est dans ce contexte que l'étude de ce dossier a
été confiée au MINREX. Du fait de la
confidentialité qui l'entourait, son traitement n'a été
attribué à aucun Service du MINREX. En raison de sa
spécialisation technique en matières internationales, le MINREX a
souhaité à l'époque avoir l'entière gestion du
dossier Bakassi. Toutefois, la délicatesse de l'affaire, la
nécessité pour le Chef de l'Etat d'avoir un éventail large
d'analyses et de propositions en provenance de toutes les administrations
expertes sur la question, et l'importance d'une gestion coordonnée du
dossier, ont fait en sorte que sa gestion remonte à PRESICAM. Ainsi, de
nombreuses réunions de concertations ont été
convoquées à PRESICAM. Ces réunions avaient pour objet la
recherche de la meilleure solution à adopter en vue d'un
règlement définitif du conflit frontalier et étaient
coordonnées par le
270 Samy COHEN, Les conseillers du Président. De
Charles De GAULLE à Valéry Giscard d'ESTAING, Paris, PUF,
1980, pp. 61-77, cité par Simplice ATANGA, 1991, op. cit., p.
65.
271 Simplice ATANGA, Idem.
272 Pierre MULLER, Les politiques publiques, Paris,
PUF, 1990, p. 72, cité par Alain Titus BILOA TANG, 2000, op. cit.,
p. 34.
273 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA,
op. cit.
274 Entretien avec Maître Douala MOUTOME, Ministre de la
Justice et Garde des sceaux à l'époque de la prise de
décision, op. cit.
73
74
75
Secrétaire Général de PRESICAM qui
servait de liaison avec le Chef de l'Etat. Elles regroupaient les
représentants du MINDEF, ceux du MINREX et du Secrétariat
Général de PRESICAM.
A ce niveau, chaque administration a essayé de faire
accepter sa logique ou vision comme relevant de l'intérêt
général. Le MINREX dont le Chef de Département
était Diplomate de carrière, était pour une solution
négociée. Il refusait d'envisager toute option qui reviendrait
à attaquer frontalement le « grand voisin » Nigérian.
Pour lui, il était plus propice de poursuivre avec la diplomatie car le
règlement militaire et le recours à la voie juridictionnelle
étaient propres à détériorer les relations
diplomatiques entre les deux pays et n'offraient aucunes garanties de victoire.
Les militaires du MINDEF étaient convaincus que l'on ne pouvait plus
rien attendre des négociations avec le Nigeria. La seule voie capable de
régler définitivement le conflit de Bakassi, selon eux,
était la guerre. Ils avançaient comme argument le fait que, sur
le terrain, les forces armées camerounaises avaient jusque là
repoussé toutes les attaques nigérianes, et que les bilans en
termes de perte en vies humaines par exemple étaient plus favorables au
Cameroun qu'à l'adversaire. De l'avis des officiers
généraux de l'armée, en matière de stratégie
militaire, les forces camerounaises n'avaient pas grand-chose à redouter
du Nigeria. Pour eux, en matière de rapport de force, le tout
n'était pas d'être les plus nombreux ou les mieux
équipés, encore fallait-il savoir se servir de son arsenal et de
son potentiel275. Le Cameroun, à leur avis, avait les
capacités nécessaires pour faire face à l'armée
nigériane.
Le Secrétariat Général, dont le
Secrétaire de l'époque Joseph OWONA était un Professeur
agrégé en Droit international, était contre l'idée
d'un affrontement armé. Pour lui, gagner une bataille ne signifiait pas
que l'on pouvait gagner une guerre contre le Nigeria. En termes de rapport de
force démographique, économique et militaire276, le
voisin occidental battait le Cameroun. Bien que le Secrétaire
Général ait marqué à l'époque une
réticence vis-à-vis de la solution militaire, il n'était
pas pour autant en faveur du statu quo, ou de la poursuite de l'unique voie
diplomatique comme le préconisait le MINREX. Selon lui, on ne pouvait
faire valoir les droits du Cameroun sur la péninsule de Bakassi qu'en
protestant contre l'occupation nigériane277. Et cela ne
pouvait se faire valablement que par le recours à la C.I.J. Il se servit
de deux arguments pour faire prévaloir cette option : la souscription
nigériane sans réserve à la clause facultative de
juridiction obligatoire et la pertinence des arguments juridiques du Cameroun.
Qui plus est, la solution rendue par la Cour avait l'avantage d'être
définitive et, prenait le monde entier à témoin en cas
d'inexécution d'une des parties. Afin de se rassurer de la
capacité du Cameroun à pouvoir soutenir valablement un dossier
275 Zacharie NGNIMAN, op. cit., p. 97.
276 A titre illustratif, confère Tableau 2
(présenté plus haut) qui ressort les effectifs et armement des
armées nigérianes et camerounaises en 1994.
277 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, op.
cit.
devant la C.I.J., permettant de prouver la «
camerounité » de Bakassi, il a également été
fait appel à un expert en la matière en l'occurrence le
Professeur Maurice KAMTO.
Ces concertations ont permis au Chef de l'Etat d'avoir une
vision large de la situation et de se décider pour le règlement
judiciaire du conflit de Bakassi, une semaine avant le dépôt de la
requête du Cameroun auprès de la C.I.J. La décision ainsi
prise, sa mise en application a été confiée au
Ministère de la Justice (MINJUSTICE), qui s'est chargé de la
préparation et de la défense du dossier du Cameroun devant la
C.I.J.278
Au regard de la décision finale, il ressort que le
SG/PRESICAM est l'institution administrative qui avait le plus influencé
la prise de décision.
La variable rôle fait partie des facteurs qui ont permis
à la balance de pencher en faveur du règlement judiciaire.
Paragraphe 2 : La variable de rôle
La question que se pose l'analyste ici est celle de savoir si
les fonctionnaires impliqués dans la prise de décision ont bien
rempli les rôles qui leurs sont dévolus et dans quelle mesure leur
qualité professionnelle a influencé la décision prise.
Dès lors, il convient de ressortir (autant que possible) le rôle
joué par les fonctionnaires des Ministères
intéressés (A) et celui des fonctionnaires de SG/PRESICAM (B).
A. Le rôle des fonctionnaires des Ministères
intéressés
Dans sa pré théorie de la politique
étrangère, James ROSENAU démontre l'influence que peut
avoir le rôle des individus impliqués dans la prise de
décision, sur le comportement extérieur de l'Etat279.
Le « rôle » renvoyant ici au statut des fonctionnaires
représentant chacune des administrations impliquées dans la prise
de décision ainsi qu'aux attentes de leur environnement en
général et de leur hiérarchie en particulier (en
l'occurrence le Chef de l'Etat auquel ils ont des comptes à rendre). En
d'autres termes, cette variable postule que le statut et les nombreuses
attentes vis-à-vis des fonctionnaires impliqués dans la prise de
décision du Cameroun ont influencé cette dernière. La
capacité d'influence des individus représentants une
administration sur la décision finale est dès lors fonction du
professionnalisme280 et de l'aptitude de chacun à rapprocher
ses
278 Entretien avec Maître Douala MOUTOME, op.
cit.
279 James ROSENAU, The Scientific Study of Foreign
Policy, New York, Free Press, 1971, pp. 108-109.
280 Le professionnalisme renvoie à la compétence
(« skill ») dans l'exercice de son métier.
propositions de la vision et des orientations
générales du Chef de l'Etat en matière de politique
étrangère.
En l'espèce, les témoignages recueillis montrent
que les fonctionnaires représentants les institutions impliquées
dans la prise de décision jouaient pleinement leurs rôles. Tous
voulaient répondre aux attentes du Chef de l'Etat en remplissant au
mieux les missions qui leur avaient été confiées par ce
dernier. L'une des raisons à même d'expliquer ce professionnalisme
est le pouvoir que confère la Constitution au Président de la
République de nommer les Ministres et Vice-ministres qui sont
responsables devant lui, et de mettre fin à leurs
fonctions281.
Au MINREX, le Ministre (diplomate de carrière) s'est
entouré d'une équipe de trois collaborateurs dont deux diplomates
de carrière et un contractuel d'administration en service dans ledit
Ministère. Conformément aux missions qui leur étaient
statutairement confiés en matière de mise en oeuvre de la
politique étrangère du Cameroun, et de par les informations et
les connaissances qu'ils avaient du conflit frontalier282, ces
individus ont procédé à une analyse de la situation et ont
soumis leur conclusion au Chef de l'Etat par le biais du SG/PRESICAM.
De par non seulement les responsabilités qui leur sont
confiées en tant que représentants d'un Département
statutairement chargé de la mise en oeuvre de la politique militaire de
défense du Cameroun, mais aussi, des attentes du Chef de
l'exécutif, les fonctionnaires du MINDEF se sont investi pour trouver la
solution la mieux à même de régler de manière
définitive le conflit de Bakassi. A titre illustratif, de nombreuses
autorités de ladite structure ont fait des descentes sur le terrain du
conflit283. Le même souci a guidé le Secrétaire
Général de PRESICAM et ses collaborateurs qui ont
effectués des voyages dans différents pays du monde afin de
rassembler des éléments matériels permettant de prouver la
capacité du Cameroun à défendre la «
camerounité » de Bakassi devant la C.I.J.
281 Article 8 de la Constitution du 2 Juin 1972.
282 Il convient de rappeler que le Ministre des Relations
Extérieures et ses collaborateurs se sont déployés sur le
terrain diplomatique dès le début du conflit. A titre
illustratif, le Ministre a été dépêché par le
Président Camerounais à Abuja le 13 janvier 1994, porter un
« message de paix et de conciliation » au Général
ABACHA. Il a conduit la délégation camerounaise lors de la
rencontre entre le Nigeria et le Cameroun les 9 et 10 février 1994
à Buea (comme il est mentionné plus haut, l'objet de cette
rencontre était de trouver une solution diplomatique au conflit de
Bakassi) ; ainsi que durant les travaux de la deuxième session ordinaire
de l'Organe Central du Mécanisme de l'O.U.A. sur la prévention,
la gestion, et le règlement des conflits en Afrique, les 24 et 25 mars
1994 à Addis Abeba où, il a été question du conflit
de Bakassi.
283 Le 25 février 1994, le Ministre
délégué à la Présidence chargé de la
défense conduit sur le front une délégation comprenant
certains officiers généraux à la tête de
l'armée, afin d'inspecter les troupes déployées à
Bakassi.
76
B. Le rôle des fonctionnaires de SG/PRESICAM
Le Chef de l'Etat s'était entouré à
l'époque de fonctionnaires dévoués, compétents dans
leur domaine respectif et préoccupés par la violation
nigériane de l'intégrité territoriale du Cameroun ; ce qui
avait fait peser la balance en faveur du règlement judiciaire,
c'était non seulement la vigueur des arguments de ses
partisans284, mais surtout l'aptitude de ces derniers à faire
correspondre leur vision aux orientations générales du Chef de
l'Etat en matière de politique étrangère ; en
l'occurrence, la recherche d'une solution pacifique et définitive. Ceci
explique l'éviction de l'option militaire par nature violente et de la
solution diplomatique, susceptible d'être remise en cause.
L'option judiciaire était apparue lorsque le
Secrétaire Général de par ses responsabilités
d'autorité chargée du suivi de l'exécution des
instructions données par le Président de la République, et
de la supervision de l'organisation du travail gouvernemental285,
s'était rendu compte, après vérification, que le Nigeria
avait souscris à la clause facultative de juridiction obligatoire. Le
Cameroun qui n'avait jusque là pas ratifié ladite clause devait
agir rapidement afin de préserver cette option. En vue d'exploiter au
mieux cette opportunité, les partisans de l'option judiciaire se sont
servis pour faire peser la balance en leur faveur de l'exemple du Portugal dans
l'affaire du droit de passage en territoire indien286.
En effet, dans cette affaire, le Portugal avait accepté
la juridiction obligatoire par une déclaration du 19 décembre
1955 et saisi la Cour par une requête contre l'Inde trois jours plus
tard. Cette célérité avait pour but d'empêcher
l'Inde de retirer sa déclaration.
En outre, pour faire valoir auprès du Chef de l'Etat
cette option, il avait encore fallu réunir des informations et
éléments matériels prouvant la capacité du Cameroun
à défendre devant la Cour la « camerounité » de
la péninsule de Bakassi. C'est ainsi que, des fonctionnaires du
Secrétariat général, par exemple, avaient parcouru de
nombreux pays afin de rassembler des informations287. Quand la
décision a été prise, cette tâche est revenue au
MINJUSTICE.
Au regard de la décision finale, il ressort que les
fonctionnaires du SG/PRESICAM ont eu plus d'influence que les autres
fonctionnaires sur la prise de décision.
284 En l'occurrence, le Secrétariat
Général de PRESICAM représenté par le
Secrétaire Général le Pr. Joseph OWONA, l'expert
universitaire le Pr. Maurice KAMTO, et plus tard le MINJUSTICE
représenté par Maître Douala MOUTOME.
285 Article 2 (2) du Décret N°90/951 du 29 mai 1990
portant organisation de la Présidence de la République.
286 Voir, Droit de passage sur territoire indien,
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil, 1957 ; fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1960.
287 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, op.
cit.
77
78
Quelle que soit la pertinence d'une option, la décision
finale revient au Chef de l'Etat qui, selon son tempérament et sa
culture, choisit la solution qui lui paraît la plus appropriée. Il
est selon Ferry DE KERCKHOVE, « le décideur de base
»288.
Section 2 : La variable idiosyncratique
La variable idiosyncratique se rapporte aux qualités
particulières qui distinguent un dirigeant des autres par ses choix
politiques et son comportement289. En effet, les actes politiques
sont marqués par la personnalité de leurs auteurs. Comme
expression d'une volonté humaine, la manoeuvre diplomatique, selon Alain
PLANTEY, en a les caractères : audace ou timidité,
sûreté ou velléité, fermeté ou
pusillanimité, ampleur ou médiocrité290.
La figure de certains hommes politiques prend souvent une
place décisive dans le rayonnement international d'un pays, ou encore le
déclenchement ou l'évolution de certaines guerres. Les exemples
d'hommes politiques qui, par leur tempérament ont
déterminé l'orientation politique de leur pays sont
légion. Mohandas KARAMCHAND GANDHI a eu par son exceptionnel charisme et
sa célèbre doctrine de la « résistance passive
», un rôle déterminant dans la lutte pour
l'indépendance de l'Inde. Ahmed SEKOU TOURE a eu une forte influence sur
le rejet par la Guinée, de l'intégration au sein de la
Communauté française. Nicolas SARKOZY a été
l'artisan du retour de la France dans le commandement intégré de
l'OTAN et de son rapprochement avec les USA, après le refroidissement de
leurs relations suite au rejet de l'invasion américaine en Irak. Dans le
cas d'espèce, Sani ABACHA, homme militaire arrivé au pouvoir par
coup d'Etat, a été à l'origine (dans sa quête de
légitimité intérieure) du conflit qui fait l'objet de la
présente étude.
James ROSENAU réaffirme à cet effet,
l'importance des variables idiosyncratiques dans l'analyse de la prise de
décision en politique étrangère. Ce facteur, s'il compte
dans l'étude de la politique étrangère des pays
développés291 est, selon lui, le plus important dans
l'explication du comportement international des pays en
développement292.
288 Ferry DE KERCKHOVE, 1972, op. cit., p. 512.
289 James N. ROSENAU, 1966, op.cit., p. 43 ; voir
également, James N. ROSENAU, 1971, op. cit., p. 108 et suiv.
290 Alain PLANTEY, 2000 op. cit., p. 34.
291 De nombreux auteurs ont par exemple mis en exergue
l'importance de la variable cognitive dans l'étude du comportement de
l'administration BUSH (Etats-Unis) lors des opérations «
Enduring Freedom » en Afghanistan et « Iraqi Freedom » en
Irak. Voir par exemple Tanguy STRUYE DE SWIELANDE, « L'influence de la
variable cognitive dans le processus décisionnel de l'administration
BUSH (2001-2005) », Les Cahiers du RMES, volume IV, numéro
1, 2007.
292 Voir en Annexe 13 le tableau reliant les variables les plus
déterminantes par rapport au type de société (page
142).
Aussi est-il nécessaire, dans l'explication du recours
au règlement judiciaire, de ressortir l'idiosyncrasie du
Président Paul BIYA (Paragraphe 1) et d'étudier la
corrélation entre celle-ci et la décision prise (Paragraphe
2).
Paragraphe 1 : L'idiosyncrasie du Chef de l'Etat
La connaissance du passé d'un dirigeant peut permettre
de mieux saisir son comportement d'adulte293. En effet,
l'expérience née des leçons acquises dans le cadre non
seulement familial, spirituel et scolaire, mais aussi, administratif et
politique (A), participe à forger le tempérament des hommes
d'Etat ; et compte parmi les outils qui permettent d'établir le code
opérationnel ou système de croyances politiques desdits hommes
(B).
A. L'expérience accumulée
De sa formation (1), le Chef de l'Etat du Cameroun a acquis
des valeurs perceptibles dans sa prédilection pour un règlement
judiciaire du conflit de Bakassi. En outre, tous les postes de
responsabilité qu'il a occupé avant son accession à la
magistrature suprême lui ont permis d'avoir une expérience des
arcanes du pouvoir (2).
1. La formation reçue
Le Président Paul BIYA est né le 13
février 1933 à Mvomeka'a (Arrondissement de Meyomessala,
Département du Dja-et-Lobo, Région du Sud Cameroun). Il est issu
d'une famille modeste et pieuse de neuf enfants dont le père, Etienne
MVONDO ASSAM, est catéchiste et la mère se nomme Madame MVONDO,
née Anastasie EYENGA.
Après ses études primaires à
l'école de la Mission Catholique de Nden (Zoétélé),
il suit une formation au pré-séminaire Saint Tharcissius
d'Edéa (1948-1950), puis au séminaire Saint Joseph d'Akono
(1950-1954) où il apprend les vertus de la rigueur et de
l'austérité294. Son départ pour une
école laïque, le Lycée Général Leclerc, puis
pour la France où il poursuivra ses études, n'entameront pas sa
culture judéo-chrétienne acquise dans l'enfance. Il obtient une
Licence et un Diplôme d'Etudes Supérieures de Droit Public
à la Sorbonne. Il est également diplômé de
l'Institut d'Etudes Politiques de Paris (plus connu sous le nom de «
Sciences Po ») où il décroche un diplôme de Sciences
Po, option Relations Internationales, et de l'Institut des Hautes Etudes
d'Outre-Mer, où il obtient un diplôme dans la section
administrative.
293 Raymond-F HOPKINS et Richard-W MANSBACH, Structure and
process in international politics, New York and London, Harper & Row
Publishers, 1ère ed., p. 139, cité par NKOBENA Boniface FONTEM,
2008, op cit, p.97.
294 Lire à ce sujet François MATTEI, Le Code
Biya, Paris, Balland, 2009, pp. 65-90.
79
De sa culture judéo-chrétienne acquise dans
l'enfance, le Président Paul BIYA hérite d'une
personnalité anti-belliciste. Florent ETOGA, l'un de ses camarades de
lycée et d'université, affirme à ce propos retenir chez
l'homme un trait constant : « sa répulsion pour tout ce qui est
violent : violence physique, violence morale ou violence intellectuelle
»295. En termes d'expériences, son
parcours professionnel viendra compléter la formation reçue dans
le cadre familial et académique.
2. La carrière administrative
Avant son accession à la magistrature suprême, le
Président Paul BIYA a occupé pendant près de vingt ans
d'importants postes de responsabilité dans l'administration
camerounaise. Grâce à ces différents postes, il a acquis
une expérience riche et variée.
Il a respectivement servi comme Chargé de mission
à PRESICAM (Octobre 1962) ; Directeur du Cabinet du Ministre de
l'Education Nationale, de la Jeunesse et de la Culture (janvier 1964) ;
Secrétaire Général dans le même Ministère
(Juillet 1965) ; Directeur du Cabinet Civil de PRESICAM (Décembre 1967)
; Secrétaire Général et Directeur du Cabinet Civil de
PRESICAM (janvier 1968) ; Ministre d'Etat, Secrétaire
Général de PRESICAM (Juin 1970) ; et Premier Ministre, du 30 Juin
1975 jusqu'en 1982 lorsque, le 6 novembre, en tant que dauphin
constitutionnel296, il devient Président de la
République après la démission du Président Ahmadou
AHIDJO. Les longues années passées dans l'administration lui ont
permis de vite s'adapter à sa stature de Chef de l'Etat. Abdoulaye
BABALE, alors Ministre, témoigne que ce qui a marqué les
Camerounais, c'est la parfaite maîtrise avec laquelle le nouveau
Président de la République a su prendre les choses en main. Il
affirme : « Nous avons eu l'impression d'être en face d'un
athlète qui s'est très bien préparé. Dès les
premières heures, on s'est tout de suite aperçu qu'il
maîtrisait parfaitement les rouages de l'Etat et l'ensemble des
problèmes qui se posaient à notre pays
»297.
Sa carrière politico-administrative lui a permis
d'avoir une expérience des arcanes du pouvoir, une maîtrise des
problèmes épineux, et une perspicacité à saisir les
sentiments humains. Cela lui a également permis d'affiner son point de
vue sur les questions brûlantes d'ordre national et
international298.
L'expérience accumulée par le Président
aussi bien avant qu'après son accession au pouvoir a contribué
à la formation de son système de croyances.
295 François MATTEI, 2009, op. cit., p. 40.
296 En vertu de l'amendement constitutionnel issu de la loi
N°79/02 du 29 juin 1979.
297 Interview d'Abdoulaye BABALE, ancien Ministre,
réalisé par Aimé Francis AMOUGOU, in
« Paul Biya, l'homme, l'oeuvre, l'ambition », Cameroon
Tribune, Edition spéciale du 06 Novembre 2007, p. 15.
298 NKOBENA Boniface FONTEM, 2008, op cit., p.99.
80
B. Le code opérationnel du Chef de l'Etat
Afin de saisir le système de croyances ou code
opérationnel du Président Paul BIYA, il convient de
répondre aux dix questions proposées par Alexander GEORGE et, se
rapportant aux principales croyances politiques d'ordre philosophique (1) et
instrumental (2) du décideur ultime.
1. Les croyances philosophiques
Les dix questions susmentionnées se divisent en deux
groupes composés de cinq questions. Le premier groupe permet de saisir
les croyances du Président Camerounais à l'égard des
problèmes philosophiques ci-après :
· Quelle est la nature essentielle de la vie politique ?
Quel est le caractère fondamental des opposants politiques de quelqu'un
?
De son expérience dans les arcanes du pouvoir, il tire
la leçon selon laquelle, dans la vie comme en politique, les hommes sont
capables du meilleur, comme du pire. La responsabilité des dirigeants
à quelque niveau qu'ils soient dans l'appareil de l'Etat étant,
selon lui, de faire en sorte que le pire n'advienne pas299, et cela
commence à son avis par la promotion de l'éthique dans la vie
politique ; d'où son credo « rigueur et moralisation ». Selon
lui, « il n'y a pas de société viable sans une
éthique acceptée »300.
Il perçoit le monde comme étant de plus en plus
interdépendant, mais encore marqué par les appétits de
domination et d'exploitation des nations puissantes sur les nations faibles et
par des affrontements idéologiques de plus en plus meurtriers ;
d'où la nécessité d'oeuvrer pour l'avènement d'une
humanité plus solidaire301.
· Quelle est la probabilité pour quelqu'un de
réaliser ses valeurs et aspirations politiques fondamentales ? Peut-on
être optimiste ou doit-on être pessimiste à ce sujet ?
Le Président Paul BIYA est un homme politique
optimiste. Dans son action extérieure comme dans le domaine de la
politique intérieure, son « pari fondamental demeure le rejet
de la fatalité : en effet, selon lui, à l'image de l'individu, le
Cameroun ne peut s'affirmer et s'épanouir que dans un environnement
équilibré et profondément marqué par la paix. Or,
les conditions premières de celle-ci sont aujourd'hui la consolidation
de l'indépendance des Etats et l'impulsion de leur coopération
»302. Il croit ainsi que ces modalités
exigent des nations la promotion des
299 Propos du Président Paul BIYA, extrait de
François MATTEI, 2009, op. cit., p. 118.
300 Propos du Président Paul BIYA devant le Conseil
national de l'UNC, en novembre 1982, extrait de François MATTEI, 2009,
op. cit., p. 230.
301 Paul BIYA, 1987, op cit., p.19.
302 Ibid., pp. 19-20.
81
principes tels que la tolérance, le respect des
différences culturelles et idéologiques, l'abstention de recourir
à la force en vue d'imposer une vision du monde ou un système
sociopolitique303.
· Le futur politique peut-il être prévu ?
A l'analyse de son parcours et de ses discours, on peut
affirmer qu'il ne croit pas en l'existence d'un chemin, tout tracé et
prédestiné, qui conduise un acteur individuel ou collectif
à ses aspirations. Pour lui, la capacité de réussite de
tout un chacun dépend de son acharnement. Tout n'est pas acquis. La vie
se caractérise par l'imprévisibilité ; d'où la
nécessité de se fixer des objectifs et de se donner les moyens de
les atteindre. A titre illustratif, s'adressant à la jeunesse
camerounaise, il affirme : « rappelez-vous (...) qu'à
l'échelle individuelle et collective, rien de grand ne peut se faire
sans dépassement, sans sacrifices, sans victoire sur soi même,
finalement sans une certaine ascèse »304.
· A quel point peut-on contrôler ou dominer le
développement historique?
Comme il a été susmentionné, le
Président Paul BIYA est un homme politique optimiste. Il a la conviction
ferme que « dans un pays, en toutes circonstances, on trouve toujours
les ressources du sursaut et du renouveau »305. Il pense
ainsi, qu'en tant que dirigeant, il a un grand rôle à jouer dans
l'infléchissement ou l'orientation de l'histoire dans des directions
salutaires au Cameroun. A titre illustratif, il déclare le 21 juillet
1990 dans une interview accordée à Yves MOUROUSI sur Radio Monte
Carlo qu'il « souhaiterait entrer dans l'histoire comme celui qui a
apporté la démocratie et la prospérité au Cameroun
».
· Quel est le rôle de la chance dans les affaires
humaines ?
Il n'accorde pas grand rôle à la chance dans les
affaires humaines. Pour lui, tout est question de dépassement de soi, de
travail et de sérieux. A titre illustratif, François MATTEI, qui
a écrit une biographie du Président Paul BIYA, raconte comment
ses camarades d'université se souviennent de son ironie envers ceux qui
jouaient sur la chance en faisant des impasses sur les
programmes306. Pour lui, rien de durable, et encore moins
d'efficace, ne peut se faire dans l'improvisation et le manque
d'engagement307.
303 Paul BIYA, 1987, op cit., p. 21.
304 Voir Discours du Président Paul BIYA à la
jeunesse camerounaise à l'occasion de l'édition du 11
février 1983 de la Fête de la jeunesse, cité par
François MATTEI, 2009, op. cit., p. 233.
305 Propos du Président Paul BIYA, extrait de
François MATTEI, 2009, op. cit., p. 115.
306 François MATTEI, ibid., p. 136.
307 Ibid., p. 121.
82
2. Les croyances instrumentales
Le deuxième groupe de questions se rapporte aux
croyances relatives aux moyens de l'action politique, encore appelées
« croyances instrumentales » :
· Quelle est la meilleure façon d'arrêter les
objectifs de l'action politique ?
Pour lui, les objectifs de l'action politique doivent
correspondre aux réalités de la société vers
laquelle ils sont orientés. Toute décision avant d'être
prise doit avoir été suffisamment mûries et
confrontées aux réalités. Il reste persuadé que la
science politique est une science de la réalité quotidienne telle
que vécue dans une cité donnée, et qu'une théorie
politique n'est digne d'attention que si elle surmonte l'épreuve de
cette réalité vécue dans la cité308. Il
affirme ainsi que : « la cité camerounaise a ses valeurs et ses
particularités. C'est de celle-ci que nous tentons de tirer les
enseignements nécessaires à notre action, plutôt que
d'emprunter à d'autres cités des règles de conduite et
d'action mal adaptées à la vie nationale camerounaise
»309.
· Quelle est la façon la plus efficace de poursuivre
ces objectifs ?
Selon lui, le légalisme, la patience, le pragmatisme,
la paix et la discrétion sont les conditions d'une poursuite efficace
des objectifs de l'action politique.
S'agissant du légalisme, son passage au
séminaire lui a permis d'intégrer pour sa vie entière le
commandement : « custodi regulam, et regula custodiet »
(« garde la règle, et la règle te gardera
»)310. Ainsi, le respect des normes dans la poursuite des
objectifs de l'action politique constitue pour lui une garantie
d'efficacité et de sécurité. Quant à la patience,
elle est pour lui une vertu. Elle s'accompagne chez lui du silence, ce qui le
rend totalement imprévisible. François MATTEI relève
à ce propos que : « la Bible et les grands philosophes n'ont
fait que nourrir et renforcer chez lui une tendance innée à
réfléchir longtemps avant d'agir »311.
Il croit qu'en politique, il est parfois nécessaire
d'être pragmatique. Il affirme à ce propos que : « la
politique de conduite d'une nation nécessairement est obligée
d'être par moments, pragmatique. Car ici, à un moment
donné, les nécessités de l'action ou de la réussite
de l'action appellent non pas l'abandon, mais l'oubli momentané de
certains aspects idéologiques. On n'a pas à choisir. La
primauté, c'est la réussite de l'action politique
»312. Ainsi, tout en ne s'opposant à aucune
idéologie, il ne garde que les vertus de chacune. « Il prend ce
qui est bon à droite et à
308 Paul BIYA, 1987, op cit., p. 13.
309 Idem.
310 François MATTEI, 2009, op. cit., p. 80.
311 Ibid., p. 245.
312 Propos du Président Paul au Club de la Presse de RFI
(Radio France Internationale) à ses débuts dans la
carrière de Président, extrait de François MATTEI, 2009,
op. cit., pp. 319-320.
83
gauche, et rejette ce qui est mauvais, pour en faire une
politique idéale »313. Sa conception de la
politique de non alignement est une parfaite illustration de ce pragmatisme. En
effet, pour lui, le non alignement ne signifie ni le rejet de tout partenaire,
ni le refus de toute alliance, mais, il consiste plutôt à
sauvegarder en permanence la possibilité et la liberté de
négocier de nouvelles alliances ou de dénoncer les
anciennes314.
Le Président Paul BIYA a en répulsion toutes
les formes de violence. En effet, la paix est pour lui le meilleur moyen
d'atteindre les objectifs de l'action politique. Il s'agit d'un concept
très présent dans son discours politique ; au point où,
certains observateurs parlent d'une véritable « obsession de la
paix »315. Le Chef de l'Etat camerounais considère
ce concept comme une finalité et un préalable à la
construction nationale, mais également comme un facilitateur, et le
socle des relations entre les États316.
Enfin, pour lui, la discrétion est un gage de
succès de toute entreprise politique. Il affirme à ce propos qu'
« un Chef d'Etat doit être discret. La gesticulation n'est pas
un signe de vitalité. L'important n'est pas le verbe. C'est l'action
méthodique et rationnelle »317.
· Comment les risques de l'action politique sont-ils
calculés, contrôlés et acceptés ?
Dans la réalisation des objectifs de l'action
politique, il fait preuve « d'une prudence pragmatique
»318. Face à un problème, avant de prendre
une décision, il discerne parmi les différentes solutions
proposées celle qui présente le moins d'inconvénients, car
il est convaincu « qu'aucune solution n'est parfaite. Seul le temps
contraint à choisir la moins mauvaise »319.
Bien qu'il ne cherche pas les situations à risque, face à
elles, il les accepte et s'applique à les vivre sans céder
à leur pression320.
· Quelle est la meilleure chronologie à suivre dans
la poursuite des objectifs ?
Le Président Paul BIYA n'est pas un impulsif. Pour
lui, il est mieux d'attendre le temps opportun pour agir ; c'est-à-dire
lorsqu'on sait que son action ne génère plus
d'inconvénients ou d'effets secondaires. « Dans l'urgence, il
se hâte de donner au temps, le temps...de digérer tout ou partie
du problème, de lui permettre d'avoir une vision lucide de tous les
paramètres qui composent
313 François MATTEI, Ibid., p. 319.
314 Paul BIYA, 1987, op cit., p. 147-148.
315 Lire à ce sujet Marc OMBOUI, « Paul BIYA :
l'obsession de la paix », in
http://cameroun2010.info/fr/politique-cameroun-paul-biya.html,
consulté le 9 juillet 2011.
316 Voir idem.
317 Interview accordé à l'hebdomadaire
Jeune Afrique, en septembre 2004, extrait de François MATTEI,
2009, op. cit., p. 33.
318 NKOBENA Boniface FONTEM, 2008, op cit., p. 102.
319 François MATTEI, 2009, op. cit., p.
319-320.
320 Pour des illustrations, lire François MATTEI,
Ibid., p. 286.
84
ce problème, et ensuite seulement, d'introduire les
aménagements, de formuler les propositions, de prendre les
décisions. Bref de reprendre la main »321.
· Quels sont l'utilité et le rôle des divers
moyens aptes à une telle poursuite ?
Il convient de rappeler qu'il privilégie dans une telle
poursuite, la paix, le légalisme, la patience, la discrétion et
le pragmatisme.
Pour lui, la paix est utile dans la mesure où elle
offre les conditions propices à la réalisation des objectifs de
l'action politique. A titre illustratif, il a la conviction indubitable que
c'est dans la paix et la stabilité que le Cameroun peut espérer
développer ses richesses et en jouir322. S'agissant du
légalisme, le respect des normes dans la poursuite des objectifs de
l'action politique est pour lui une condition d'efficacité et de
sécurité. Quant à la patience, son utilité
réside dans le fait qu'elle permet de garder son sang froid et de
résister aux difficultés, quelle que soit leur gravité
apparente, tout en étant capable de prendre une décision rapide
et ferme au moment le plus approprié ; la patience favorise ainsi la
rationalité dans la prise de décision323. Pour ce qui
est de la discrétion, il s'agit selon lui d'une qualité
nécessaire au succès de l'action politique. C'est pour cette
raison que dans ce domaine, « il a toujours
préféré voir qu'être vu »324.
En ce qui concerne le pragmatisme, tout en appréciant la liberté
qu'il confère dans la poursuite des objectifs de l'action politique, le
Président Camerounais affirme la nécessité d'essayer de
maintenir la balance égale entre l'exigence momentanée de
pragmatisme (pour la réussite de ladite action), et l'exigence
d'idéologie325.
L'analyse du code opérationnel du Président Paul
BIYA révèle la centralité du pacifisme dans son
système de croyances. En effet, la paix est pour lui non seulement un
idéal et une valeur dont la construction doit être permanente (ce
constat découle de l'analyse de ses croyances philosophiques), mais
aussi, un moyen et un objectif de l'action politique (ce constat découle
de l'analyse de ses croyances instrumentales).
Le système de croyances du Chef de l'Etat ainsi
dégagé, il convient de ressortir son impact sur la
décision de saisir la C.I.J., pour un règlement judiciaire du
conflit de Bakassi.
321 François MATTEI, 2009, op. cit., p. 327.
322 Paul BIYA, 1987, op. cit., p. 11.
323 NKOBENA Boniface FONTEM, 2008, op cit., p. 100.
324 François MATTEI, 2009, op. cit., p. 9.
325 Propos du Président Paul au Club de la Presse de RFI
(Radio France Internationale) à ses débuts dans la
carrière de Président, extrait de François MATTEI, 2009,
op. cit., pp. 319-320.
85
Paragraphe II : L'impact du système de croyances
du Chef de l'Etat sur la prise de décision
Le système de croyances du Président Paul BIYA a
influencé le comportement international du Cameroun de deux
manières. A travers la persévérance dans la voie du
pacifisme (A), et la prudence pragmatique dont le recours à la C.I.J.
est le reflet (B).
A. La persévérance dans la voie du
pacifisme
Dès le début du conflit, le Chef de l'Etat
camerounais a manifesté une prédilection en faveur du
règlement pacifique. Après l'invasion de la péninsule de
Bakassi par l'armée nigériane, l'inclination pour la paix, la
patience et l'esprit de dialogue de ce dernier ont permis d'éviter une
guerre aux deux pays. Ferdinand Léopold OYONO, ami proche du
Président BIYA et Ministre des Relations Extérieures durant le
conflit, explique que « malgré sa vive émotion et ses
légitimes ressentiments au regard de cette violation manifeste de
l'intégrité territoriale dont il est le garant, le
Président Paul BIYA avait tenu à s'enquérir de la
situation en téléphonant personnellement à son homologue
et frère Sani ABACHA »326.
L'attachement du Chef de l'Etat à la paix,
préalable selon lui pour l'épanouissement du
Cameroun327, compte parmi les paramètres qui expliquent
l'orientation première du pays vers une action
diplomatique328.
En effet, dans un souci d'apaisement, le Président
Camerounais a d'abord exploré, l'éventualité d'une
solution bilatérale. Néanmoins, cette voie n'a donné aucun
résultat positif. Fidèle à ses convictions, il a
confirmé son option résolue pour le règlement pacifique en
s'orientant cette fois vers une solution multilatérale. Toutefois, les
Organisations Internationales saisies, en l'occurrence l'O.U.A. et l'ONU,
malgré leurs efforts ne sont pas parvenues à résorber
l'antagonisme camerouno-nigérian.
A ce moment s'est posé le problème de la
solution la mieux à même de permettre le règlement
définitif du conflit de Bakassi. Fidèle à ses principes,
parmi lesquels figure le légalisme, le Chef de l'Etat a pris une
décision qui, tout en lui permettant de rester dans la voie pacifique,
montrait la détermination des autorités camerounaises pour un
règlement, juste, durable et conforme au droit international, du conflit
frontalier avec le « grand voisin » occidental. Le 31 décembre
1994, il a ainsi expliqué son option au peuple camerounais : c'est
« le souci de dialogue et de paix
326 Propos recueilli par Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit.,
p. 14.
327 Paul BIYA, 1987, op cit., p.19.
328 A titre illustratif, l'armée camerounaise,
conformément aux instructions, a eu une attitude essentiellement
défensive. Le déploiement militaire, en vue de la défense
de l'intégrité territoriale, n'a pas empêché la
diplomatie d'agir.
86
qui nous a déterminés à
préférer les voies du droit à celles de la force pour
favoriser le règlement du différend »329.
B. La prudence pragmatique
Dans la poursuite de l'objectif du Cameroun, en l'occurrence
le respect nigérian de la « camerounité » de Bakassi,
le Président Paul BIYA a fait preuve de prudence et de pragmatisme,
éléments figurant parmi ses croyances instrumentales. Par
pragmatisme, il a fait recours à l'instance judiciaire qui, au vue des
arguments juridiques du Cameroun et la souscription nigériane à
la clause facultative de juridiction obligatoire, garantissait le mieux la
réussite de l'action politique. Toutefois, ce pragmatisme était
prudent car, le Nigeria avait à plusieurs reprises prouvé sa
mauvaise foi aux autorités Camerounaises.
En effet, le Président Camerounais qui a occupé
depuis 1962 des postes de responsabilité au sommet de l'administration
camerounaise, avait sans doute été témoin des diverses
démarches de négociation sur les questions frontalières,
dont les résultats avaient plus tard été remises en cause
par le Nigeria330. Qui plus est le régime du
Général Sani ABACHA cherchait depuis le déclenchement du
conflit de Bakassi, selon les termes de Jean Pierre FOGUI, à «
bluffer » le Cameroun331. Un épisode dudit conflit
permet d'illustrer ces propos. En effet, jusqu'en 1991 avant leur modification
par les autorités nigérianes, toutes les cartes utilisées
chez le voisin occidental du Cameroun, situaient la péninsule de Bakassi
en territoire camerounais. En février 1994, lors d'une audience
accordée par le Président ABACHA à la Mission de
Médiation française, l'Attaché militaire de France a
cherché à prouver la vacuité de la thèse
nigériane sur la péninsule de Bakassi en dépliant une de
ces cartes sur la table. Le Chef de l'Etat nigérian, sans embarras, a
réagis en balayant de sa main la totalité de la péninsule
de Bakassi et a déclarant avec vigueur, « Tout ceci est
à nous »332.
La mauvaise foi apparente des autorités d'Abuja a
inspiré une prudence pragmatique au Président Paul BIYA. Instruit
par l'expérience, il a préféré un règlement
définitif du problème par la C.I.J., c'est-à-dire un
règlement prenant clairement à témoin l'opinion publique
internationale et la communauté internationale, et exerçant, de
ce fait, une plus grande contrainte juridique et morale sur les parties
concernées.
329 Message de Voeux du Président Paul BIYA à la
Nation, le 31 Décembre 1994.
330 Il convient de relever par exemple que lors de la
signature (1975) et de la remise en cause (1978) de l'Accord de Maroua par le
Nigeria, et même durant la première grande crise entre le Nigeria
et le Cameroun le 16 mai 1981, le Président Paul BIYA était
Premier Ministre depuis janvier 1975.
331 Lire au sujet de l'usage nigérian de la «
théorie du bluff (ou du poker) » sur le Cameroun, Jean Pierre
FOGUI, 2010, op. cit., p. 22.
332 Episode relaté par Jean Pierre FOGUI, 2010, op.
cit., p. 22.
Dès lors, il peut être affirmé que le Chef
de l'Etat compte parmi les décideurs qui, par leur tempérament
ont déterminé le comportement international de leur pays. Ainsi,
Me Douala MOUTOME, Ministre de la Justice, Garde des sceaux lors de la prise de
décision, et premier Agent du Cameroun lors de la procédure
devant la C.I.J., affirme qu' « il fallait être celui qui dirige
ce pays, le Président BIYA, pour choisir l'option judiciaire à
côté de deux autres : la guerre, ruineuse par ses effets ; ou la
conciliation, expérimentée depuis de longues années sans
résultats tangibles »333. Le Professeur
Maurice KAMTO, co-agent du Cameroun lors de la même procédure,
déclare quant à lui que « le Chef de l'Etat c'est
quelqu'un d'essentiellement pacifique. Son tempérament l'inclinait vers
la recherche d'une solution pacifique »334.
La variable idiosyncratique compte ainsi parmi les facteurs
les plus déterminants qui expliquent le processus de prise de
décision du Cameroun. Elle pèse plus que les variables
gouvernementales et de rôle
Après l'analyse de l'influence des acteurs
institutionnels, il convient de ressortir le rôle qu'ont pu jouer la
société nationale et l'environnement international sur la prise
de décision étudiée.
87
333 Interview de Me Douala MOUTOME, Ancien Ministre de la
Justice du Cameroun, et premier Agent du Cameroun lors de la procédure
devant la C.I.J., réalisé par R. D. LEBOGO NDONGO, in
Cameroon tribune N°9161/5360, Spécial BAKASSI, Jeudi 14
Août 2008, p. 51.
334 Entretien avec le Professeur Maurice KAMTO, op.
cit.
CHAPITRE IV - LE RÔLE DES VARIABLES
SOCIOLOGIQUES
88
Les variables sociologiques renvoient dans la présente
étude aux variables sociétales et systémiques du paradigme
général de ROSENAU. En effet, comme le soulève Jean
BARREA, ces deux groupes de variables peuvent offrir les deux grands plans de
l'approche sociologique de la décision335. A travers ces
variables, l'analyste examine l'influence de l'environnement national et
international sur la prise de décision du Cameroun.
Ainsi, sur le plan sociologique, le choix porté par les
autorités camerounaises sur la C.I.J. pour le règlement du
conflit de Bakassi résulte d'une part, de la prise en compte de
considérations d'ordre sociétal (Section I), et d'autre part, de
l'influence du milieu international dans lequel le pays se meut (Section
II).
Section 1 : Les variables sociétales
Les variables sociétales se rapportent à
l'ensemble des aspects non gouvernementaux (nationaux) qui influence le
comportement international d'un pays sur un problème donné. Il
s'agit de la culture nationale, de l'opinion des acteurs de la
société civile, des médias, des citoyens, des leaders
politiques (Paragraphe I) ; et enfin, du contexte socio-économique et
politique intérieur (Paragraphe II).
Paragraphe 1 : La culture et l'opinion publique
nationales
La culture nationale renvoie à l'ensemble des valeurs
collectives partagées par la population, et auxquelles elle attache du
prix. En tant que contrainte inconsciente, elle exerce une grande influence sur
la politique étrangère (A). Bien que son influence sur la prise
de décision n'ait pas été aussi importante que celle de la
culture nationale, l'opinion publique nationale (B), compte parmi les variables
sociétales explicatives de la décision camerounaise.
A. L'influence de la culture nationale
Le Cameroun, comme beaucoup d'autres pays, a ses valeurs et
ses particularités336. Le peuple camerounais est connu comme
un peuple profondément épris de paix. NKOBENA relève
à ce propos qu'une étude de l'attitude générale de
cette population, face à certains problèmes, montre
335 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 262.
336 Paul BIYA, 1987, op. cit., p. 13.
89
que les Camerounais entretiennent une culture de paix.
Lorsqu'une question de nature à diviser le pays au point de mettre
à mal sa stabilité survient, la population camerounaise
préfère généralement la paix à la
violence337. Cet attachement profond s'explique sans doute par
l'histoire de ce pays d'Afrique centrale, qui est avec l'Algérie, l'un
des rares pays africains à avoir acquis son indépendance de haute
lutte. En effet, le mouvement nationaliste camerounais incarné par
l'Union des Populations du Cameroun (U.P.C.) a âprement lutté
contre les autorités coloniales françaises, pour
l'indépendance et la réunification du Cameroun. Le traumatisme de
cette guerre de libération qui a eu pour conséquence des milliers
de mort, a selon les termes de Jean Pierre FOGUI : « vaccinés
le peuple camerounais contre le virus de l'aventure et les gênes de la
violence ; car ce qui fait la marque distinctive de ce peuple depuis
l'indépendance, aussi bien sur la scène continentale que dans le
concert des Nations, c'est le refus de la guerre, donc l'attachement
viscéral à la paix, à la stabilité et à la
coopération entre les peuples »338.
Depuis l'indépendance, les rares tensions qui sont
survenues au Cameroun ont été ponctuelles339. Dans un
pays de plus de 250 nations culturelles, de pluralité religieuse
(catholicisme, protestantisme, islam et animisme), il existe parfois des
antagonismes ethniques, mais le plus souvent instrumentalisés sous
forme, selon la terminologie de Luc SINDJOUN, de « rente identitaire
»340. Aucun affrontement ethnique à l'échelle de
ceux survenus dans d'autres pays africains tels que le Nigeria, le Rwanda ou le
Burundi, n'a encore été enregistré au Cameroun. Le
Cameroun apparaît ainsi comme une exception face à
l'instabilité qui caractérise la sous région à
laquelle il appartient, en l'occurrence l'Afrique centrale.
Cette culture de paix a pesé de manière
inconsciente sur le choix d'un règlement pacifique du conflit par la
C.I.J. Le Chef de l'Etat qui évoque souvent dans ses discours
l'attachement constant du peuple camerounais à la paix341,
l'a reconnu en ces termes au lendemain de la rétrocession de la
péninsule de Bakassi : « Je crois que nous devons surtout en
retenir que l'option que nous avons prise - c'est-à-dire de recourir aux
moyens de droit plutôt qu'à l'usage de la force - s'est
trouvée pleinement justifiée, car nous sommes un peuple
profondément épris de paix »342.
337 Pour une illustration de ladite culture de paix, lire NKOBENA
Boniface FONTEM, 2008, op. cit., p. 124.
338 Jean Pierre FOGUI, 2010, op. cit., p. 28.
339 Le Cameroun n'a connu que des tensions limitées
dans le temps, que ce soit au début des années 1990 avec les
fameuses opérations « villes mortes », ou plus
récemment avec les perturbations de février 2008.
340 Lire à ce sujet, Luc SINDJOUN, Construction et
Déconstruction locales de l'ordre politique au Cameroun. La
sociogenèse de l'Etat, Thèse de Doctorat d'Etat
Université de Yaoundé II, 1994.
341Message du Président Paul BIYA, à
la Nation à la suite du retrait de l'administration et des forces
nigérianes de la presqu'île de Bakassi, le 14 Août 2008.
342 Message du Président Paul BIYA à la Nation, le
14 Août 2008, op. cit.
90
B. L'inclination de l'opinion publique camerounaise pour le
règlement
pacifique
Bien que certains auteurs lui aient reproché son peu
d'intérêt pour le conflit343, les citoyens, les partis
politiques, les médias et certaines ONG se sont manifestés sur la
question344. Il est vrai qu'au début du conflit, les
Camerounais se sont peu exprimés sur le problème. Une frange de
l'opinion avait d'ailleurs prise l'annonce, le 19 février 1994 par la
CRTV345, des attaques nigérianes à Bakassi pour des
manoeuvres politiques visant une diversion de l'attention des populations des
problèmes nationaux346. C'est la médiatisation des
différentes démarches entreprises par le Gouvernement qui leur a
fait prendre conscience de la réalité des
évènements.
A partir de ce moment, une sorte d'union nationale s'est
créée à propos de la « camerounité » de
la péninsule de Bakassi. Une enquête réalisée
à l'époque à Douala, Yaoundé, et Garoua sur
près d'une centaine de Camerounais de tous les âges, sexes,
religions, professions et tendances politiques a fait ressortir l'opinion du
public sur l'affaire Bakassi, et sa gestion par les autorités
gouvernementales347. Cette enquête a été
publiée le 17 mars 1994 ; c'est-à-dire avant la décision
du Cameroun de recourir à la C.I.J.
D'après ladite enquête, les Camerounais ont
condamné fermement et à l'unanimité l'occupation d'une
partie de leur territoire par les troupes nigérianes. Ils ont
appelé les autorités gouvernementales à tout mettre en
oeuvre pour récupérer tous les points occupés du
territoire. S'agissant de la gestion gouvernementale du problème, les
Camerounais interrogés à Douala, Yaoundé et Garoua, ont
pensé que les autorités gouvernementales avaient agi dans le bon
sens. Certains ont estimé toutefois que l'opinion nationale aurait
dû être informée en décembre 1993, dès
l'occupation d'une partie de la péninsule. Ils ont adhéré
à l'unanimité avec la stratégie du Gouvernement faite de
souplesse et de fermeté, et considéré la saisine des
instances internationales incontournable pour un règlement durable de ce
conflit ; car, estiment-ils, « on ne peut pas négocier avec
quelqu'un qui vous tient à la gorge ».
Primus FONKENG qui a travaillé sur l'opinion de deux
journaux de langue anglaise, The Herald et The Post, à
propos du conflit de Bakassi, permet, par le biais des résultats de ses
recherches, de ressortir l'avis des Camerounais culturellement et
géographiquement les plus proches
343 C'est le cas par exemple de Zacharie NGNIMAN, 1996, op
cit., p. 122.
344 Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op cit, p. 83. Dans
sa thèse, il montre comment la majeure partie de l'opinion publique
soutenait le Cameroun dans la gestion du conflit de Bakassi.
345 CRTV : Cameroon Radio Television, chaîne de
radio et de télévision nationale.
346 Voir l'Annexe 12, qui traite des articles de presse
négatifs publiés par The Herald et The Post sur
le conflit de Bakassi Propos (page 141).
347 Enquête réalisée par trios
Journalistes de Cameroon Tribune, en l'occurrence NTA à BITANG (à
Douala), Isidore MENDENG (à Garoua), et Jean-Marie NEOSSI (à
Yaoundé). Voir Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N°5555,
Jeudi 17 mars 1994, p.3. Voir en Annexe 10, les résultats de cette
enquête (page 139).
91
de la zone de conflit et du Nigeria. The Herald et
The Post ont condamné l'occupation nigériane de la
péninsule de Bakassi. Toutefois, ils ont relevés que cette
situation était imputable à la négligence par les
autorités gouvernementales des zones et des populations vivant le long
de la frontière avec le Nigeria. Selon The Herald,
«The Government has neglected the people, making them to rely on the
Nigerian Government for their social and economic sustenance. For example,
Cameroonians have to travel through Nigeria to get to Akwaya in Cameroon, due
to the absence of roads linking Akwaya to the rest of the
country»348. Quant au journal The Post
il affirme que: «Bakassi is the outcome of the criminal neglect
and marginalisation of the people living along the Cameroon-Nigeria border and
the english-speaking provinces»349. The Herald
recommande en revanche que, dans une situation comme celle de Bakassi,
où l'intégrité du territoire est menacée, pour
rester crédible vis à vis du monde, « all Cameroonians
should rally behind the Government and seek measures to resolve the conflict
»350.
De nombreuses ONG se sont prononcées en faveur d'un
règlement pacifique, quel qu'il soit. Le Mouvement National de Dialogue,
une association des Droits de l'Homme, a approuvé l'attitude graduelle
de dialogue, d'apaisement, de paix et de fermeté adoptée par
Yaoundé pour le règlement de ce conflit. Dans un
Communiqué, l'association a interpellé les deux parties au
conflit à un règlement pacifique car, selon elle, « une
guerre entre les deux pays serait une catastrophe pour les populations des deux
communautés et engendrerait des souffrances physiques et morales aux
pauvres citoyens soumis jusqu'ici aux misères quotidien
»351. La Ligue Nationale des Droits de l'Homme du
Cameroun, a appelé au sens inné de justice et de
vérité, de loyauté et de solidarité des leaders
politiques, des organisations humanitaires, des personnalités morales et
des Etats, « afin que soit engagé un dialogue direct et sans
condition en vue d'un règlement définitif de ce conflit honteux
»352. Le « Nigerian Union in Cameroon »
important groupe d'intérêt comprenant la communauté
nigériane du Cameroun a loué la voie du règlement
pacifique353.
S'agissant de l'apport des partis politiques, les leaders
politiques ont unanimement condamné l'agression nigériane. Le
R.D.P.C., parti au pouvoir dont le Chef de l'Etat camerounais est le
Président national, a réaffirmé par la voix de son
Secrétaire Général, son soutien et ses encouragements aux
démarches engagés par le Gouvernement. Il a recommandé la
solution du conflit sur la base des éléments de droit existants,
le respect du principe du règlement pacifique des
348 The Herald, N°1271, October 27, 2002, p. 7.,
cité par Primus FONKENG, The Views of the Herald and the
Post
newspapers on the Cameroon-Nigeria border crisis over the
Bakassi peninsula, 1993-2002, Master, Yaoundé, Université de
Yaoundé I, 2004, p. 40.
349 The Post, N° 0171, May 8, 2000, p. 9, cité par
Primus FONKENG, 2004, op. cit., p. 52.
350 The Herald, N° 1277, November 10, 2002, p. 6,
cité par Primus FONKENG, 2004, op. cit., p.47.
351 Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N° 5563,
Mardi 29 mars 1994, p. 3.
352 Idem.
353 MGBALE MGBATOU Hamadou, 2001, op cit, p. 83
92
93
94
différends, ainsi que le recours aux instances
internationales compétentes. Le M.D.R., et l'U.P.C., ont affiché
la même position. Bien que relevant « le refus du Gouvernement
d'informer comme cela se doit le peuple Camerounais », l'U.D.C. a
condamné le recours au règlement militaire et souhaité une
solution pacifique au conflit354. Le M.D.P. a demandé
instamment au Gouvernement de persévérer dans la «
recherche d'une solution définitive en recourant à l'arbitrage
d'une instance internationale afin d'éviter à l'avenir le
renouvellement des revendications et/ou occupations nigérianes au
gré des changements de régime dans ce pays voisin
»355. Le S.D.F., principal parti de l'opposition, tout en
étant favorable au règlement pacifique du conflit, a
affirmé que la poursuite des hostilités était imputable au
Président Paul BIYA qui, selon lui, avait fait montre de son
incapacité à engager le dialogue avec le gouvernement
nigérian356.
En bref, malgré l'existence d'une certaine opinion qui
réclamait de fortes représailles militaires357, la
majorité des Camerounais, influencée par la culture nationale de
paix était favorable à l'orientation pacifique mais ferme
adoptée par le Gouvernement. Ces avis ont influencé la
décision camerounaise, ne serait ce qu'en tant que ressource morale. En
effet, contrairement à la situation au Nigeria, une certaine union
sacrée de la nation s'est faite autour du Gouvernement Camerounais. Le
Pr Augustin KONTCHOU KOUOMEGNI, Ministre d'Etat chargé de la
Communication, Porte parole du Gouvernement a témoigné à
l'époque que, malgré quelques petites voix dissidentes (parlant
du S.D.F.) le Gouvernement ressentait cela358.
Le contexte socio-économique et politique
intérieur, compte parmi les paramètres qui ont influencés
le processus de prise de décision du Cameroun.
Paragraphe 2 : Le contexte socio-économique et
politique
Les considérations d'ordre socio-économique et
politique (A), ont eu une influence indubitable sur le choix des
autorités camerounaises pour le règlement judiciaire du conflit
de Bakassi. Face à une situation socio-économique et politique
délicate, le Gouvernement avait pour principal préoccupation le
développement dont la paix et la stabilité sont des conditions
sine qua non (B).
A. La conjoncture socio-économique et politique
354 Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N° 5543,
Vendredi, 25 février 1994, p. 2.
355 Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N° 5563,
Mardi, 29 mars 1994, p. 3.
356 Zacharie NGNIMAN, 1996, op cit., p. 93.
357 Voir, Wilson Y.N. TAMFUH, 2009, op cit, p. 100.
358 Propos tenus lors de la réunion de Briefing de la
Presse nationale et internationale par le Ministre d'Etat chargé de la
Communication, Porte parole du Gouvernement, sur le conflit de Bakassi, op.
cit., p. 4.
A l'époque de la prise de décision, le Cameroun
faisait face à une récession économique sans
précédent dans son histoire, et à un Programme
d'Ajustement Structurel (PAS) dont les conséquences se traduisaient en
termes de baisse de niveau de vie des populations (1). A ce tableau peu
reluisant, s'ajoutait une situation politique délicate (2).
1. Une situation socio-économique
délicate
Au tournant des années 1985-1986, le Cameroun, qui
était pourtant bien parti dans les années 1970, a vu son
économie s'amenuiser et connaître une involution. A partir de
cette période, le taux de croissance n'a cessé de baisser. Les
chocs extérieurs359 et l'inadéquation des
réponses apportées auxdits chocs ont déréglé
les rouages de l'économie camerounaise, et entraîné une
récession brutale dans la plupart des secteurs productifs. Malgré
la réduction des dépenses, l'Etat n'est pas arrivé
à maîtriser le déficit. Il a toutefois assuré son
financement en accumulant des arriérés intérieurs et
extérieurs360, qui se sont poursuivis jusqu'à
l'exercice 1993/1994. La crise de liquidité a secoué les
entreprises et le système bancaire, et la pression fiscale qui
dépendait de la valeur des exportations pétrolières (voir
en Annexe l'activité pétrolière du Cameroun entre 1987 et
1995), s'est dégradée361. De 1986 à 1993, le
PIB réel a diminué de 5% par an de telle sorte que le revenu par
habitant ne correspondait plus en 1993, qu'à la moitié de ce
qu'il était en 1986362. La chute brutale des cours des
produits de base a eu pour conséquence le déséquilibre des
finances publiques et budgétaires. Ainsi, de 1986/1987 à
1992/1993, les recettes de l'Etat ont diminué de moitié, passant
de 877 à 431 milliards de Francs CFA363.
On a assisté également à un accroissement
de la dette publique. Elle est passée de 93,8 milliards de FCFA à
158,8 milliards de FCFA de 1986 à 1993. Le service de la dette a connu
une croissance égale à 69,3% environ364. De plus, le
taux de croissance économique a considérablement baissé :
- 6,4 % en 1987 ; - 3,4 % en 1989 ; - 2,5 % en 1990 ; - 4 % en 1992 ; et - 3 %
en 1993365.
359 Les chocs extérieures, qui se rapportent à
la détérioration des termes de l'échange, la
dépréciation du dollar US, la chute brutale des cours des
produits de base (café, cacao, pétrole, coton), ont eu des
conséquences manifestes sur l'économie (de rente)
camerounaise.
360 MINPAT, PNUD, Bureau des Services d'Appui des Projets,
Etudes socio-économiques régionales de la pauvreté au
Cameroun. Cadrage national, 2000, p. 9, cité par Sylviane WANDJA,
Pétrole et croissance économique au Cameroun de 1978 à
2002, Approche historique, Maîtrise en Histoire, Yaoundé,
Université de Yaoundé I, 2006, p. 52.
361 La pression fiscale sur le secteur pétrolier
était alors de 70%, alors que celle s'appliquant sur le secteur
secondaire était très inférieure (17 à 18 % sur les
importations, et 12 à 13 % sur les activités intérieures).
(Voir Sylviane WANDJA, 2006, op. cit., p. 52).
362 Sylviane WANDJA, 2006, op. cit., p. 53.
363 Jean Joël AERTS, Denis COGNEAU, Javier HERRERA,
L'économie camerounaise : un espoir évanoui, Paris,
Karthala, 2000, p.51.
364 Sylviane WANDJA, 2006, op. cit., p. 56.
365 TOUNA MAMA, Crise économique et politique de
dérèglementation au Cameroun, Paris, l'Harmattan, 1996, p.
15.
Dans le même ordre d'idée, le Cameroun est
passé selon Touna MAMA d'un pays à « capacité
d'endettement international bonne, à un Etat endetté
»366.
Le contexte économique n'a guère favorisé
le progrès social. Le taux de scolarisation est passé de 66,21 %
en 1990/1991, à 61,36 % en 1992/1993, soit une réduction de 4,85
points367. La suppression des bourses et l'instauration des droits
universitaires dans l'enseignement supérieur ont mis les parents,
déjà touchés par une baisse drastique des salaires, dans
une situation précaire. En effet, en 1993, l'Etat camerounais qui
était proche de la banqueroute a été forcé de
réduire de 50 à 70 % les salaires de la fonction publique. Les
effets de cette réduction, renforcés par les conséquences
inflationnistes de la dévaluation du F.CFA en janvier 1994, ont eu une
incidence lourde sur le pouvoir d'achat des Camerounais. Tous les secteurs ont
été touchés. Le secteur sanitaire par exemple a fait face
à une réalité douloureuse. La quasi-totalité des
médicaments utilisés étant importé et
facturé en monnaie étrangère, le Gouvernement, face
à la dévaluation devait doubler les frais, s'il voulait avoir les
quantités habituelles de médicaments368. La
réduction des salaires a entraîné des
grèves369 qui ont provoquées la paralysie des
administrations publiques et des sanctions gouvernementales allant de la
suspension de salaires (154 Magistrats ont vu leurs salaires suspendus)
à la révocation des fonctionnaires grévistes (73
enseignants ont par exemple été démis de leur fonction).
Les résultats obtenus de l'enquête sur les conditions de vie des
ménages ont révélé que la pauvreté touchait
alors 50,5 % de la population camerounaise370.
La situation politique était également
délicate.
2. Une situation politique fragile
Le Cameroun est une société
caractérisée par une pluralité culturelle371.
Pour plus de 250 ethnies, on retrouve principalement trois religions, à
savoir, le christianisme, l'islam et l'animisme. La domination
franco-britannique (1919-1916) a eu pour conséquence l'émergence
de la distinction entre « Francophones » majoritaires, et «
Anglophones » minoritaires. Cette pluralité a fondé le
discours politique sur la nécessité de l'unité nationale,
garante de l'intégrité territoriale, d'Ahmadou
366 Idem.
367 République du Cameroun, Enjeux et défis
de l'Initiative PPTE, p. 15, cité par Sylviane WANDJA, 2006,
op. cit, p. 56.
368 A l'époque, le Dr Moustapha LAPNET intervewé
par le quotidien Cameroon Tribune parlait de négociations en
cours sur le sujet. (Voir Archives SOPECAM, Cameroon Tribune
N°5523, Jeudi 27 janvier 1994, p. 2).
369 L'action des enseignants du secteur public
débuté le 27 novembre 1993 sous l'instigation d'un syndicat
nommé Syndicat National Autonome de l'Enseignement Secondaire (SNAES),
est relayée en janvier 1994 par la grève des magistrats et des
médecins.
370 République du Cameroun, op. cit., p. 15.
371 Il convient de relever qu'il n'existe pas de matrice
historique pour le Cameroun comme ce fut le cas pour le royaume de Kongo. Le
Cameroun est né de la jonction de multiples nations culturelles
indépendantes dans la logique de la géopolitique africaine de
l'Allemagne entre la fin du XIXème et le début du XXème
siècle.
95
AHIDJO à Paul BIYA. Toutefois, dans un contexte de
récession économique, la libéralisation de la vie
politique au Cameroun en 1990, caractérisé par le «
déchirement national, le malaise, la crise et l'incertitude identitaire
»372, a provoqué une récupération
politique de ces clivages culturels.
Par-dessus et au-delà des questions «
Bamilékés », « Béti » et
« Kirdi » si souvent substantialisées et
théorisées, « le problème anglophone »
relève d'une catégorie qu'il n'est pas permis
d'ignorer373. Au cours de la décennie 1990, le «
problème anglophone », encore appelé la «
question anglophone », s'est posé comme un défi pour la
préservation de l'unité nationale et la consolidation de
l'intégration nationale.
En effet, au sein d'un Etat composé en majorité
de Francophones, la minorité anglophone se dit marginalisée et
victime sur le plan du système éducatif par exemple, de « la
politique d'assimilation » des dirigeants francophones. C'est ainsi que,
pour protester contre cette politique et réclamer l'instauration
d'un GCE Board of Examinations devant consacrer leur autonomie dans
l'organisation des différents examens anglophones374, les
corrections des examens de 1992 et la rentrée scolaire d'Octobre 1993,
ont été bloquées à l'initiative du Teachers
Association of Cameroon (T.A.C.) et des parents anglophones. Dans les
années 1990, la « question anglophone » a été la
problématique dominante qui a structuré le champ de
représentation des rapports entre « l'Etat » et « la
Société »375. A l'époque (et même
aujourd'hui), les anglophones de l'ex Southern Cameroons, se sont dis
traités comme des « ennemis dans leur propre maison
»376, ce qui a accentué leur « sentiment
de non-appartenance à la République du Cameroun
»377. C'est ainsi que, au nom de l'identité
anglophone et de l'égalité entre anglophones et francophones, on
a assisté à la naissance de divers mouvements anglophones de
revendication378.
Dès lors, le choix porté par le Cameroun sur le
règlement judiciaire du conflit de Bakassi répondait au souci des
autorités de Yaoundé de préserver la stabilité
extérieure, mais surtout intérieure du pays, face aux divers
mouvements fédéralistes et sécessionnistes qui
menaçaient la
372 Louis-Marie NKOUM-ME-NTSENY, « Dynamique de
positionnement anglophone et libéralisation politique au Cameroun: de
l'identité à l'identification », Polis: revue
camerounaise de science politique, vol. 1, numéro spécial,
1996, p. 68. Louis-Marie NKOUM-ME-NTSENY parle à cet effet de «
récupération identitaire de la libéralisation politique
».
373 Idem.
374 Synonyme de dessaisissement de l'Etat.
375 Luc SINDJOUN, Mathias Eric OWONA NGUINI, «
Politisation du droit, juridicisation de la politique : l'esprit
socio-politique du droit de la transition démocratique au Cameroun
», Colloque CEAN-CERDRADI, Bordeaux, 27-28 Octobre, 1995, p. 4,
cité par MOUICHE Ibrahim, « mutations socio-politiques et replis
identitaires en Afrique : le cas du Cameroun » in African Journal of
Political Science, n°2, décembre 1996, p. 189.
376 Propos de John NGU FONCHA. Il a été Premier
Ministre du Cameroun méridional et Vice Président du Cameroun
après l'indépendance. Il a aidé à la
création de la fédération en 1961. Il a
démissionné du R.D.P.C. en 1990, et a par la suite plaidé
la cause anglophone aux Nations Unies en 1995. Voir Piet Konings, « Le
"problème anglophone" au Cameroun dans les années 1990 »,
Politique africaine n°62, 1996, pp. 25-34.
377 Lire sur ce sujet Louis-Marie NKOUM-ME-NTSENY, op.
cit., pp. 68-100.
378 C'est le cas du « Southern Cameroon National
Conference » (S.C.N.C), d' « Ambazonia movement », de «
Free West Cameroon Movement », de « Southern Cameroon Youth League
» etc.
96
97
construction nationale et par là,
l'intégrité territoriale. En effet, l'action géopolitique
d'un Etat se situe au niveau externe et interne. Au niveau interne, l'Etat
mène une politique de puissance379 pour la maîtrise de
sa « statotérritorialité ». Le territoire est une
ressource politique fondamentale ; c'est la base matérielle du pouvoir
étatique380. Un Etat est jugé fiable et viable,
lorsqu'il est capable de maîtriser son espace national ; ce qui n'est pas
le cas quand une guerre éclate, qui plus est dans le cas du Cameroun
où, des mouvements irrédentistes étaient situés
dans la principale zone de tension. MGBALE MGBATOU Hamadou relève
à ce propos qu'« un affrontement militaire d'envergure dans la
région anglophone de Bakassi (frontière du Nigeria) prêtait
le flanc à toute sorte d'incursions nigérianes avec le risque
d'une alliance militaire entre les sécessionnistes anglophones et le
Nigeria, tous contestataires de l'ordre territorial camerounais
»381. Le Président Paul BIYA déclarait
justement à ce propos qu' « il convient d'être vigilant
»382.
La première moitié des années 1990 a
été une période délicate pour les autorités
gouvernementales, qui se sont vues confrontées à de
sérieux problèmes d'ordre socio-économique et politique.
Face à ces problèmes, l'une des principales solutions
était la promotion de la justice et du progrès
sociale383, objectif qui nécessite la recherche permanente du
développement.
B. L'impératif du développement
%384 ;
Entre l'impératif de développement et la
nécessité de sauvegarder son intégrité
territoriale, le Cameroun se trouvait dans un dilemme cornélien. Ce
d'autant plus que l'ampleur de ses besoins ne pouvait s'accommoder de
dépenses militaires aussi importantes que celles qu'exige une guerre.
Dans le contexte socio-économique et politique sus décrit, il ne
pouvait ni se permettre d'entretenir des foyers de tension, ni sacrifier les
ressources de l'Etat dans une guerre fratricide. Ferdinand Léopold
OYONO, Ministre des Relations Extérieures à l'époque de la
prise de décision, exprimait bien cela en ces termes : « Nous
sommes en plein dans les réformes des structures politiques et
économiques de notre pays. Nous avons renoué avec la croissance
qui est aujourd'hui de 5
379 Connue sous le nom de puissance publique. C'est en cela
que pour Max WEBER, l'Etat est le détenteur exclusif du monopole de la
violence physique légitime. Lire à ce propos, Max WEBER, Le
savant et le politique, introduction de Raymond ARON, Paris, Plon, 1959,
pp.100-101 cité par Luc SINDJOUN, Construction et
Déconstruction locales de l'ordre politique au Cameroun. La
sociogenèse de l'Etat, Thèse de Doctorat d'Etat en Science
politique, p.53.
380 Luc SINDJOUN, idem.
381 Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., p. 155.
382 Paul BIYA, Un Nouvel Elan, Entretien avec Charles
NDONGO, Yaoundé, Multimédia, 1996, p. 22.
383 Ceci est d'autant plus vrai lorsque l'on sait que les
replis identitaires naissent des malaises occasionnées par
l'inégale répartition de la richesse entre les diverses couches
de la population, et l'existence de clivages sociaux.
384 Avec la dévaluation du franc CFA de janvier 1994,
le Cameroun a légèrement renoué avec la croissance. Depuis
cette date, le taux de croissance de l'économie camerounaise avoisine 4
à 5 %. Le taux d'inflation, quant à lui, après avoir connu
une forte hausse pour atteindre 32,5 % en 1994, n'a cessé de
décroître jusqu'à atteindre un taux plancher de
l'inflation qui était de 20 % il y a quelques
années est retombée à 6 % (...), et ce n'est pas vraiment
d'une guerre aussi absurde que nous avons besoin en ce moment. Nous n'en avons
pas voulu. Nous n'en voulons pas. »385.
Le contexte socio-économique et politique
intérieur a ainsi renforcé la détermination des
autorités camerounaises, en faveur des options compatibles avec le
développement et la consolidation de l'unité nationale,
priorités et intérêts vitaux du Cameroun.
En vue de restaurer les équilibres
macro-économiques, le Cameroun s'est engagé progressivement entre
1988 et 1989, dans des PAS, avec l'appui d'un accord de confirmation du F.M.I.
approuvé par le Conseil d'administration dudit Fonds, le 14 mars 1994,
et d'un crédit à l'ajustement de la Banque mondiale. Durant
l'antagonisme camerouno-nigérian, l'impératif est demeuré
au développement et au progrès social. C'est ainsi que, afin
d'assainir sa situation économique et financière, le Cameroun a
fait une demande d'allègement de sa dette extérieure
auprès du Club de Paris, qui, lors d'une réunion tenue du 24 au
25 mars 1994 à Paris, a consenti à près de 50 %. Pour
contribuer à atténuer auprès des foyers le
renchérissement des coûts qui a accompagné la
dévaluation du Franc CFA, le Chef de l'Etat a par exemple pris une
ordonnance386 exonérant de douane certains produits de
première nécessité387 jusqu'au 30 Juin 1994.
Afin de protéger l'industrie locale et permettre aux produits
camerounais de soutenir la concurrence, d'autres produits
importés388 ont été soumis à une
taxation globale de 5 % pendant cette période.
En outre, dans la poursuite de son objectif de
développement, le Cameroun n'avait pas intérêt à
ternir son image de pays calme, stable, viscéralement attaché
à la paix et à la coopération entre les
peuples389. En effet, cette image, garante de la
crédibilité internationale dudit pays, est une importante
ressource pour la promotion de son développement. Thierry De MONTBRIAL,
prenant l'exemple des Etats-Unis, affirme à cet effet que «
l'on ne doit pas sous-estimer l'importance, pour la cohésion d'un
groupe, de son image réfléchie »390. Le
style du Président Paul BIYA en matière de politique
étrangère semble ainsi, selon certains auteurs, se résumer
à un renforcement de la stabilité interne comme stratégie
de pesée dans les affaires internationales, et de rayonnement
à
1,2 % en 2000. Voir « Rapport d'Information du Groupe
d'amitié France-Cameroun (mission de février 2003) », [En
ligne],
www.assemblee-nationale.fr,
consulté le 30 juillet 2010.
385Jeune Afrique Economie, N°218, p. 75,
cité par Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., p. 110.
386 Il s'agit de l'Ordonnance N° 94/007 du 16 février
1994.
387 En l'occurrence, le riz, les produits pharmaceutiques, les
livres et brochures scolaires.
388 En l'occurrence, la farine, et les sucre raffinés.
389 Cette image a d'ailleurs été
considérablement renforcée dans le monde suite à
l'attitude pacifiste du Cameroun durant le conflit de Bakassi. A titre
illustratif, Le 18 mai 2010, lors des festivités du 50ème
anniversaire de l'indépendance du Cameroun, dans son allocution à
l'occasion de la cérémonie de remise de la Flamme de la Paix au
Président de la République du Cameroun, le Président de la
Commission de l'Union Africaine a félicité l'orientation
pacifique adoptée dans le conflit de Bakassi, et relevé que
« le peuple Camerounais connait la paix »
390 Thierry De MONTBRIAL, 2008, op. cit., p. 71.
98
l'extérieur391. L'image d'un pays serein,
prompt à respecter ses engagements internationaux, a également
des retombées sur le plan économique. Ces retombées
s'évaluent par exemple, en termes d'attrait des Investissements Directs
Etrangers (I.D.E.). I.D.E. entrants qui, combinés à des facteurs
complémentaires392, exercent un rôle favorable à
la croissance393.
En résumé, le choix porté par le Cameroun
sur le droit, et ainsi sur la paix, illustre bien le constat
dégagé par Narcisse MOUELLE KOMBI quant à l'incidence
considérable de l'impératif de développement sur les choix
et orientations de l'activité internationale de l'Etat
camerounais394.
L'explication de la décision camerounaise serait
tronquée, si elle ne faisait ressortir l'influence de l'environnement
international dans lequel il se déploie.
Section 2 : Les variables systémiques
La variable systémique se rapporte aux
éléments de l'environnement international qui ont pu influencer
par leurs avis, appuies ou par toute autre action, la prise de décision
du Cameroun.
En effet, comme le relève Pierre De SENARCLENS et Yohan
ARIFFIN, dans bon nombre de cas, l'Etat, entendu comme puissance publique
souveraine, parvient à revendiquer le monopole de la coercition
intérieure ; mais son pouvoir d'imposer des décisions, de
légiférer, d'administrer et de punir ne s'exerce pas de
façon entièrement autonome, à l'abri de toute contrainte
ou influence extérieure. Aucun Etat ne peut assumer seul la
défense de sa sécurité et de son
indépendance395. Pour ROSENAU, cette réalité
s'applique a fortiori pour les pays en développement, où
les variables idiosyncratique et systémique sont les plus
déterminantes dans l'analyse de la prise de décision. Toutefois,
le système international ne limite pas uniquement les capacités
d'action des Etats ; ses caractéristiques peuvent influencer leur
comportement en leur offrant des opportunités propres à
391 Lire à ce sujet Yves Alexandre CHOUALA, « La
crise diplomatique de mars 2004 entre le Cameroun et la Guinée
équatoriale : Fondements, enjeux et perspectives », Polis:
revue camerounaise de science politique. Volume 12, 2004, p. 155.
392 Ces variables complémentaires des IDE peuvent
être selon Marouane ALAYA, Dalila NICET-CHENAF et Eric ROUGIER, les
facteurs habituellement mobilisés pour expliquer la croissance, comme
« le travail, le capital et le progrès technique, et selon
l'expression de FONTAGNE et GUERIN (1997), des catalyseurs de la croissance,
comme l'insertion commerciale, le niveau du capital humain, les
infrastructures, la taille du secteur bancaire et financier ». (Voir
Marouane ALAYA, Dalila NICET-CHENAF et Eric ROUGIER, « A quelles
conditions les IDE stimulent-ils la croissance ? IDE, croissance et catalyseurs
dans les pays méditerranéens », in Mondes en
Développement, vol. 37, n°148, 2009, p. 120.)
393 Marouane ALAYA, Dalila NICET-CHENAF et Eric ROUGIER,
« A quelles conditions les IDE stimulent-ils la croissance ? IDE,
croissance et catalyseurs dans les pays méditerranéens », in
Mondes en Développement, vol. 37, n°148, 2009, p. 120.
394 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 75.
395 Pierre de SENARCLENS et Yohan ARIFFIN, 2006, op.
cit. p. 1.
99
faire avancer leurs objectifs396. C'est dans ce
double sens que doit être analysé l'influence des acteurs
internationaux sur le choix des autorités de Yaoundé (Paragraphe
II).
Sans nier le statut d'acteur international du Nigeria, il
convient d'analyser son influence sur la prise de décision de
façon particulière ; car, s'agissant des variables
systémiques, la perception camerounaise de ce pays et la nature
multidimensionnelle de leurs relations ont constitué les
éléments les plus déterminants de la décision
camerounaise (Paragraphe I).
Paragraphe 1 : Le caractère particulier de
l'adversaire
Au-delà de l'intransigeance manifestée par le
Nigeria dans le cadre des tentatives de règlement diplomatique, d'autres
paramètres propres à ce pays (B), et à ses relations avec
le Cameroun (A), ont pesé sur la prise de décision.
A. Les exigences d'une paix obligée avec le
Nigeria
La paix entre le Cameroun et le Nigeria est «
obligée »397. C'est sans doute pour cette raison
qu'Abuja occupe une place cruciale dans la politique africaine de
Yaoundé. Dès leur accession à l'indépendance, les
deux pays ont échangé des Ambassadeurs sur une base
résidentielle. Première sortie africaine du second Chef de l'Etat
Camerounais (20 avril 1983), le Nigeria abrite l'une des Ambassades
camerounaises les plus importantes d'Afrique, qualitativement et
quantitativement398. Aujourd'hui, il est le seul pays africain
où le Cameroun détient deux Consulats (à Lagos et à
Calabar), et auquel est consacré tout un Service au MINREX. Les
dirigeants Camerounais, du Président Ahmadou AHIDJO au Président
Paul BIYA, ont toujours privilégié la voie pacifique dans le
règlement des incidents qui ont opposés les deux pays. En 1994,
face aux résultats peu satisfaisants des procédés de
règlement diplomatique engagés au plan bilatéral et
multilatéral, les autorités Camerounaises ont
préféré le procès à la guerre. L'importance
ainsi accordée par le Cameroun à son voisin occidental,
obéit à des considérations d'ordre sécuritaire (1),
historico-culturel (2), et économique (3).
396 Encyclopedia of the New American Nation, op. cit.,
[En ligne].
397 Voir Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit., p. 7 et p.
125.
398 En 1987, l'Ambassade du Cameroun à Lagos (ex
capitale nigériane) est celle qui compte en Afrique le plus grand nombre
de personnel diplomatique. En l'occurrence 13, avant Addis Abeba qui en compte
10. En 1997, le Nigeria reste en tête avec 30 personnes en service dans
la mission diplomatique suivit d'Addis Abeba avec 28 personnes. Fait
remarquable, l'Ambassade du Cameroun au Nigeria est celle parmi les rares qui
compte un personnel militaire (dont le nombre est d'ailleurs le plus
élevé). Pour plus de précisions, lire MGBALE MGBATOU
Hamadou, 2001, op. cit., p. 247-250.
1. Les exigences sécuritaires
Tout Etat définit son existence, ses attitudes, ses
interventions, son originalité par rapport à ceux qui
l'entourent399. IFTENE POP relève à cet effet que
« la sécurité de chaque Etat (...) a dépendu et
dépend encore dans une large mesure des relations existant entre pays
voisins »400. Paradoxalement, la
frontière, tout en étant un lieu de jonction, un instrument
d'intégration, est un vecteur de contagion d'insécurité et
de criminalité. Les zones frontalières401 sont souvent
des dépôts, des points de chargement et de déchargement des
caches pour contrebandiers, malfaiteurs et trafiquants d'origine
diverse402. Les pays frontaliers peuvent également
s'avérer être des zones arrières de déstabilisation
politique.
Carte 2 : La Frontière Terrestre
entre le Cameroun et le Nigeria.
|
Source : République du
Cameroun, Affaire de la frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigeria (Cameroun c. Nigeria : Guinée Equatoriale
(intervenant)), Aide Mémoire, Juillet 2002, p. 15.
|
100
Ces raisons figurent sans doute parmi les facteurs qui
expliquent la place de choix qu'occupe Abuja dans la politique africaine de
Yaoundé, et l'option résolue du Cameroun pour la paix par le
droit. En effet, comme l'illustre la carte ci-dessus, le Nigeria est le pays
avec lequel le Cameroun partage la plus longue ligne frontalière soit
1720 km403. Il est également le pays dont le
399 Alain PLANTEY, 2000 op. cit., p.41.
400 Iftene POP, Voisinage et bon voisinage en Droit
international, Paris, Pedone, 1980, p. 10, cité par Hamadou MGBALE
MGBATOU, 2001, op. cit., p. 155.
401 Les zones frontalières procèdent de la
frontière et les jouxtent. Elles se trouvent à la confluence de
deux territoires nationaux.
402 Janet ROITMAN, « La Garnison-entrepôt »,
Cahiers des Sciences Humaines, Nouvelle série n°6, 1998,
p. 41, cité par André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op.
cit., p. 226.
403 Voir en annexe 2 la carte agrandit de la frontière
terrestre entre le Cameroun et le Nigeria (page 131).
101
voisinage est le plus difficile à assumer. En effet,
les phénomènes tels que la criminalité organisée,
la démographie galopante, l'instabilité politique, la
récurrence des conflits interethniques, les mouvements de
résistance armée, font de lui une réelle
préoccupation pour le Cameroun. En outre, la frontière lacustre,
terrestre et maritime en partage est touchée par des problèmes
tels que : la contrebande de marchandises, de denrées diverses, de
produits pétroliers, et des minerais ; le recel de biens et
matériels ; la fraude douanière et policière ; la
corruption ; et les échanges sexuels ou prostitution
transfrontalière404. La contrebande, qui demeure le
phénomène le plus répandu, a des conséquences
néfastes pour le Cameroun tant sur le tissu industriel, que sur la
fiscalité.
Sur le plan religieux, le Nigeria est un lieu d'impulsion de
dynamiques religieuses vers le Cameroun. Maud LASSEUR observe à cet
effet que dans la partie méridionale du pays, la myriade de «
nouvelles églises » qu'on observe aujourd'hui405,
s'était d'abord développée dans la zone anglophone
jouxtant le Nigeria (1950), avant de gagner le reste du Cameroun
francophone406. Ceci s'illustre également avec la religion
musulmane qui s'est introduit à partir du septentrion vers 1806, par le
biais des «Djihad »407 menées par Othman
DAN FODIO depuis le Nord du Nigeria.
Sur le plan démographique, la croissance
nigériane explosive est à l'origine de flux migratoires officiels
et clandestins. L'immigration nigériane est à ce titre
numériquement et historiquement l'une des plus importantes au
Cameroun408. A l'initiative de Yaoundé, un accord offrant le
cadre juridique nécessaire à la règlementation de la
circulation des personnes et des biens a été conclu avec le
Nigeria le 6 février 1963.
Ces phénomènes sont autant d'enjeux
sécuritaires qui obligent le Nigeria et le Cameroun à
coopérer et à entretenir un voisinage paisible, dans
l'intérêt de leurs populations respectives. Le Président
Paul BIYA déclare à ce propos que : « le Cameroun est un
pays pacifique, car il sait que la paix aux frontières est une condition
sine qua non de son développement »409. De
même, comme le rappel l'épisode de la guerre du Biafra, où
le soutien d'Ahmadou AHIDJO a évité une partition
404 Sur les phénomènes d'insécurité
transfrontalière entre le Cameroun et le Nigeria, lire Ibid.,
pp. 226-235.
405 En l'occurrence : Full Gospel Mission, Apostolic Church,
Vraie église de Dieu etc.
406 Maud LASSEUR, « Religions» Atlas, in
BEN YAHMED D. (dir), Atlas de l'Afrique : Cameroun, les
éditions J.A, 2006, pp.80-81, cité par Hubert WANDJI KABAO,
les échanges commerciaux entre le Cameroun et le Nigeria de 1960
à 2008, DEA, Yaoundé, Université de Yaoundé I,
2009, p. 79.
407 Djihad : propagation et défense de l'islam, Djihad
signifie en arabe : « exercer ses plus grands efforts pour atteindre le
règne de Dieu ».
408 Lire à ce sujet Jacques-Blaise NKENE, « Les
étrangers, acteurs de la vie politique camerounaise :
l'expérience des immigrés nigérians dans la ville de
Douala », Revue Africaine d'Etudes Politiques et
Stratégiques, n° 1, 2001, p. 85. A partir de chiffre
tiré du quotidien gouvernemental Cameroon Tribune du 4
février 1993 (p. 13), l'auteur estime à 3.000.000 le nombre de
Nigérians vivants au Cameroun. Parmi les cités à forte
implantation nigériane on retrouve entre autres : l'île de Manoka,
les villes de Tiko et de Mouanko, à Douala on peut par exemple citer les
quartiers « Yabassi » et « Lagos ».
409 Message de voeux du Président Paul BIYA, à la
nation, 31 Décembre 1998.
102
de la République Fédérale du Nigeria, la
sécurité des deux voisins dépend l'un de
l'autre410. La présence de la minorité anglophone
sécessionniste dans la région frontalière, était un
important élément de déstabilisation politique susceptible
d'être utilisée par Abuja contre Yaoundé ; d'où la
nécessité de conserver des relations de bon voisinage avec le
« géant occidental ». Ce d'autant plus qu'au-delà de la
proximité géographique, les deux pays étaient liés
par l'histoire et la culture.
2. Les exigences
historico-culturelles
Le Cameroun et le Nigeria ont d'importants liens historique et
culturel. Leur histoire a été caractérisée par une
succession de brassages humains qui a laissée aux deux pays de fortes
similitudes sociologiques, culturels et religieuses, une interdépendance
et une cohésion que les frontières n'ont pu
ébranler411. Les Djihad lancées par Othman
DAN FODIO, aidé par l'un de ses généraux l'Emir
Adama412, ont permis d'étendre dès le
19ème siècle, l'empire de Sokoto413 du
Nigeria actuel à l'Adamaoua (Nord Cameroun). Cela a contribué
à instaurer une tradition de commerce politique et économique
entre le sultanat de Sokoto au Nigeria, et ses vassaux dans la partie
septentrionale du Cameroun414. Les valeurs et les institutions
diffusées dans cet ancien Empire ont créé une unité
culturelle entre le Nigeria et le Cameroun dans leurs parties septentrionales.
Cette unité se manifeste dans la pratique de l'islam, la recrudescence
des mariages inter-régionaux (entre Haoussa par exemple), et dans
l'organisation des chefferies traditionnelles (le système des Lamidats).
Les liens entre les Lamidats du Cameroun, et ceux du Nigeria, sont
restés vivaces. Ainsi, en 1994, les autorités religieuses du Nord
avaient adressé une pétition au Général Sani ABACHA
lui demandant d'éviter de déclarer la guerre à
Yaoundé et menaçant de se désolidariser de toute
initiative belliqueuse vis-à-vis du Cameroun415. La
volonté des autorités religieuses nigérianes et du
Cameroun de préserver la paix, découlaient également de
l'existence de plusieurs familles et ethnies établies de part et d'autre
de la frontière. Il s'agissait notamment des Foulbés, des
Haoussas, des Kanuri, des Mambila etc. Ces liens étaient
également perceptibles au niveau de la zone frontalière
méridionale desdits pays.
410 Un territoire voisin est susceptible de servir de base de
repli à des citoyens mal intentionnés voulant déstabiliser
les institutions de leur pays. Pour éviter tout cela, les deux Etats
sont obligés de coopérer.
411 Lire Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., pp.
242-251, qui procède à une analyse pertinente de la place du
Nigeria dans la politique africaine du Cameroun.
412 Adama a reçu l'étendard de guerre d'Othman
DAN FODIO en 1806. Sultan de Sokoto, il a marqué au 19e
siècle l'histoire des conquêtes des chefferies traditionnelles et
d'islamisation, dans la partie septentrionale du Cameroun et du Nigéria.
C'est de ce sultan que découle de la région camerounaise «
Adamaoua ».
413 L'empire Sokoto s'étendait de Masina dans le haut
Niger jusqu'à l'Adamaoua, incluant ainsi le Nord Cameroun actuel.
414 Après avoir conquit la partie septentrionale du
Cameroun, Adama a soumis les chefs coutumiers peulhs de cette région
à son autorité. Ils sont ainsi devenus des vassaux du sultan de
Sokoto, dont la capitale était basée à Yola au Nigeria.
415 Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit., p. 149.
103
Au Sud de la frontière, deux évènements
ont contribué au développement des liens entre le Cameroun et le
Nigeria : la colonisation britannique et le référendum de 1961.
En effet, les Camerounais (des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest) et
les Nigérians, cultivent encore les liens nés des quarante
années (1919-1961) d'union administrative avec le Nigeria. Ces liens ont
été renforcés lorsqu'il a fallut qu'une partie du Cameroun
soit définitivement rattachée au Nigeria suite au
référendum de 1961. Du jour au lendemain, des familles, des amis
ont été séparés et se sont vus attribués des
nationalités différentes416. Ces liens se sont
diversifiés grâce aux flux migratoires au niveau des
frontières. Les Camerounais présents dans ces régions sont
liés aux Nigérians par toutes sortes d'affinités :
mariage, parenté, cohabitation, amitié ; certains enfants
reçoivent leur éducation dans des écoles
nigérianes417. Comme dans le Nord, on retrouve de part et
d'autre de la frontière méridionale les mêmes
ethnies418. A titre illustratif, les Isanguelé
présents au Cameroun dans l'Arrondissement d'Isanguelé se
retrouvent au Nigeria dans les localités d'Oron et Annoto ; les
Ejagham sont localisés près de Mamfe au Cameroun, et
à Ikom au Nigeria ; les Boki occupent certains
Départements de la Manyu au Cameroun, et sont situés à
Ikol et Obudu au Nigeria419.
Ces raisons figurent parmi les paramètres qui
expliquent le souci constant des autorités camerounaises d'entretenir
des relations de paix et de confiance avec le voisin occidental. Le
Président Paul BIYA affirme à ce propos que, «
voués par l'histoire et la géographie à vivre ensemble,
unis par des liens multiples ancrés dans une communauté de
culture, les peuples nigérian et camerounais ont toutes les raisons
possibles de promouvoir des rapports d'amitié et de coopération
mutuellement bénéfiques »420.
3. Les exigences économiques
Lors de la prise de décision, les autorités
Camerounaises étaient conscientes de la nécessité de
recourir à une solution à même de permettre l'atteinte de
l'objectif fixé, tout en minimisant le plus possible les risques de
détérioration des relations avec le Nigeria, important partenaire
économique du Cameroun. En effet, en tant que pays en
développement, le Cameroun et le Nigeria faisaient face à
l'époque421 à de nombreux défis422
qui rendaient leur coopération incontournable.
416 Jean Emmanuel PONDI, Laurent ZANG, « The
Cameroon-Nigeria border cooperation: presentation and analysis of bilateral
agreements and treaties », Revue Camerounaise des Relations
Internationales, Vol. V, 1998, N°1-2 mai, 2000, p. 171.
417 André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op. cit., p.
229.
418 Comme c'est d'ailleurs le cas pour la majorité des
zones frontalières en Afrique. Pour ce cas précis, voir l'Annexe
6 relative aux ethnies présentes de part et d'autre de la
frontière méridionale entre le Cameroun et le Nigeria (page
135).
419 Sur le Peuplement de la zone frontalière, lire
André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op. cit., pp. 134-139.
420 Message du Chef de l'Etat à la Nation à la
suite du retrait de l'administration et des forces nigérianes de la
presqu'île de Bakassi, le 14 Août 2008.
421 De même qu'à l'heure actuelle.
104
Le fait que la longue frontière en partage soit pour
eux à la fois une opportunité et une contrainte, les avaient
amenés dès le lendemain de leurs indépendances à
encadrer juridiquement les échanges multidimensionnels qui y
étaient déjà très dynamiques. Ainsi, il existait
depuis le 6 février 1963, un Protocole d'Accord sur le mouvement des
personnes et des biens. Par ce protocole, les Etats parties tenaient compte des
mouvements des personnes et de leurs biens personnels, des mouvements des biens
commerciaux, ainsi que de la collaboration pour la lutte contre la
contrebande423. Aux termes de l'article 3 de l'Accord commercial du
02 mars 1963 portant révision dudit Protocole, les Etats parties
s'engageaient à s'accorder « réciproquement dans la
limite de leurs règlementations respectives la liberté
d'établissement aux nationaux des deux pays pour l'installation des
organisations commerciales, professionnelles et culturelles, à condition
toutefois que cette liberté ne soit pas en opposition avec les
institutions des pays intéressés »424.
La collaboration contre la contrebande était
énoncée dans le titre III dudit Protocole. Elle était
articulée autour des patrouilles communes dans les eaux territoriales,
les solidarités en ravitaillement, en combustibles et provisions des
bateaux patrouilleurs, et l'examen des tarifs douaniers visant à
diminuer la contrebande425. En 1994, la contrebande à elle
seule constituait une importante raison de préservation des relations
pacifiques entre le Cameroun et le Nigeria. Ce phénomène, aux
conséquences néfastes sur l'économie, dominait fortement
les rapports commerciaux entre lesdits pays. A titre illustratif, durant la
campagne coton 94/95, le chiffre réel des exportations de coton graine
provenant de la contrebande vers le Nigeria se situait autour de 10 à 15
% de la production camerounaise426 ; ce qui représentait un
manque à gagner pour la SODECOTON et pour l'Etat en termes de pertes de
recettes fiscales427. Dans des villes camerounaises comme Bamenda,
Kumbo, Limbe, Tiko, ou Mamfe, près de 80 % des produits vendus
étaient issus de la contrebande ou de la fraude douanière. Des
produits camerounais investissaient également le marché
nigérian de façon illicite428.
En vue de réguler et de renforcer leurs échanges
commerciaux, le Nigeria et le Cameroun avaient signé le 13 janvier 1982
un Accord commercial (révisé le 17 décembre 1991) dont
l'article
422 En l'occurrence : l'auto suffisance alimentaire, la
pauvreté, l'emploi, le manque d'infrastructures, l'augmentation de la
capacité énergétique (le Nigeria par exemple manque
d'énergie électrique pour alimenter son tissu industriel et les
ménages), le renforcement de la qualité des soins de
santé, la promotion de la scolarisation, etc. Il convient de rappeler
que les deux pays n'avaient pas échappé à la crise
économique qui frappait les pays africains depuis les années
1980.
423 Oumar MOUSSA, l'intégration économique
entre le Cameroun et le Nigéria, Mémoire de MASTER,
Yaoundé, IRIC, 2011, p. 44.
424 Ibid.., p. 46.
425 Ibid., p. 45.
426 Javier HERRERA, « Vers un rééquilibrage
du commerce frontalier entre le Cameroun et le Nigeria ? », ORSTOM/DIAL,
Extraits (pp. 4-8 et pp. 9-14) de Rapport de mission au Cameroun du 13 au 28
mai 1995, p. 72.
427 Le manque à gagner en pertes de recettes fiscales
pour l'Etat peut être chiffré à environ 1 350 milliards de
franc CFA. Voir Ibid., p. 73.
428 Mais à une proportion moindre que les produits
nigérians vers le Cameroun.
105
2 stipulait : « pendant la période de
validité du présent accord, les parties contractantes feront tous
les efforts possibles, en vue d'accroître le volume du commerce entre
leurs pays et s'efforcerons d'établir entre elles, une balance
commerciale équilibrée en essayant par tous les moyens
d'éradiquer les phénomènes de contrebandes et fraudes qui
enfreignent le déroulement normal du commerce entre les deux Etats
»429. Par cet accord, lesdits pays s'octroyaient
mutuellement à l'article 1, les avantages propres à la clause de
la nation la plus favorisée430. Le Nigeria
représentait un grand marché pour le Cameroun. Il y exportait de
manière formelle, des produits alimentaires, vestimentaires, agricoles
(café, coton, etc.), industriels et agro-industriels431. Il y
importait du pétrole brut pour le compte de la SONARA, des
matériaux scolaire et électronique, des produits vestimentaires,
du matériel automobile, des cosmétiques, etc.432
Dès lors, compte tenu des possibilités et
potentialités productives qu'il pouvait y avoir dans une
coopération camerouno-nigériane soutenue, Yaoundé ne
pouvait que persévérer dans la voie du règlement
pacifique.
B. Le rôle de la culture politique
nigériane
La nature instable du système politique nigérian
a toujours été un frein aux efforts de règlement
diplomatique des problèmes frontaliers avec le Cameroun.
En effet, le Nigeria a une culture politique beaucoup plus
tumultueuse que celle du Cameroun. Depuis son accession à
l'indépendance, il a totalisé sept coups d'Etat militaires
réussis. En 2002, il faisait partie des pays africains où les
militaires avaient eu le règne le plus long, soit 26 ans sur quarante
deux433. Le premier régime militaire y a été
instauré, après le coup d'Etat du 15 janvier 1966, par le
Général Johnson AGUIYI-IRONSI. La même année,
c'est-à-dire le 29 juillet 1966, ce dernier a été
assassiné et remplacé par le Général Yakubu GOWON.
Durant la présidence de GOWON, la signature de l'Accord de Maroua avait
consacré de sérieuses avancées (relevées plus haut)
dans les négociations relatives à la frontière maritime
camerouno-nigériane. A titre illustratif, après la signature
dudit Accord, le Général GOWON avait manifesté son
optimisme par ces propos : « Le Nigeria et le Cameroun sont maintenant
parvenus à l'établissement concret de la frontière
séparant les provinces camerounaises du Nord-ouest et du Sud-ouest du
Nigeria, la zone
429 Oumar MOUSSA, 2011, op. cit., p. 47.
430 Par cette clause, chacun s'engage à étendre
à l'autre les avantages commerciaux qu'il viendrait à accorder
conventionnellement à l'avenir à d'autres Etats.
431 Lire, Ministère du développement industriel
et commercial, Rapport annuel sur les échanges commerciaux
Nigeria-Cameroun, Yaoundé, 1990, cité par Hamadou MGBALE
MGBATOU, 2001, op. cit., p. 255.
432 Sur les flux commerciaux entre les deux pays, lire Oumar
MOUSSA, 2011, op. cit., pp. 68-76.
433 André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op cit, p.
150.
106
conflictuelle permanente entre les forces
frontalières de sécurité. Les deux Chefs d'Etat sont
d'accord sur les détails de la frontière maritime entre le
Cameroun et le Nigeria et réaffirment leur engagement pour la
liberté et la sécurité de la navigation dans le chenal de
la Calabar Cross River »434.
Toutefois, le 29 juillet 1975, la destitution du
Général GOWON et l'arrivée au pouvoir du
Général Murtala RAMAK MOHAMMED, ont mis à mal les
avancées susmentionnées. Murtala MOHAMMED, qui cherchait un moyen
afin de gagner en légitimité face au mécontentement
populaire dû aux clivages sociaux, et au renversement de GOWON, a recouru
à la technique du « red herring » ou « technique de
l'échappatoire »435, encore appelée par certains
analystes « théorie de l'exutoire externe »436, ou
« stratégie de la dérivation »437. En effet,
face à des difficultés d'ordre interne auxquelles ils ne trouvent
pas de réponse, il arrive que certains dirigeants suscitent un ennemi
extérieur, dans le but de « détourner et de canaliser
ailleurs la colère de leur peuple »438. Dans cet
esprit, le Général Murtala MOHAMMED a décidé
d'examiner les Accords maritimes de Yaoundé II et de Maroua.
L'idée qui en est ressortie a été celle selon laquelle
GOWON avait cédé la péninsule de Bakassi au
Cameroun439. A ce propos, une partie de l'opinion publique
nigériane reste encore persuadée du fait que Bakassi a
été cédée par GOWON à AHIDJO en remerciement
de l'aide apportée par le Cameroun lors du conflit du
Biafra440. Ce qui se révèle inexacte lorsqu'on analyse
l'histoire de la péninsule de Bakassi441.
Le Général Murtala MOHAMMED a ainsi
qualifié l'Accord de Maroua de « document scandaleux
»442 et remis en cause unilatéralement ses acquis.
Quelque temps après (1976), ce dernier a été
renversé par le Général OLUSEGUN OBASANJO sous qui, le
Nigeria a
434 Général Yakubu GOWON, Chef de l'Etat du
Nigeria cité par MGBALE MGBATOU Hamadou, 1999, op. cit., p.
68.
435 Il s'agit en négociation internationale, d'une
technique de diversion. La partie à la négociation qui l'utilise,
introduit un fait, une idée, un évènement qui
détourne l'attention sur le fait objet de la négociation, ceci
afin d'échapper à une difficulté.
436 C'est le cas de Jean-Pierre FOGUI, 2010, op cit, p.
21.
437 C'est le cas d'Hamadou MGBALE MGBATOU, 1999, op
cit., p. 75.
438 Jean-Pierre FOGUI, 2010, op cit, p. 21.
439 A propos de cela, Tamfuh Y.N Wilson affirme que, juste
quatre semaines après la prise de pouvoir, le Gouvernement de Murtala
Mohammed a commencé à formuler des revendications sur la
péninsule de Bakassi en déclarant l'Accord de Maroua
illégale. Lire Wilson Y.N. TAMFUH, « Effective international
dispute resolution : a case study of the Bakassi conflict between Cameroon and
Nigeria», in Revue Camerounaise d'Etudes
Internationales, N°2, 1er Semestre 2009, p. 88.
440 A titre illustratif, « The Vanguard », un
journal nigérian basé à Lagos, attribue la
responsabilité du conflit de Bakassi à l'ancien Président
Nigérian le Général Yacubu GOWON. Il affirme que le
problème de la cession de la péninsule de Bakassi au Cameroun
date des Accords de Yaoundé II (1971), et de Maroua (1975).
D'après lui, «The peninsula was handed to Cameroon by GOWON for
assistance to Nigeria during the civil war of 1967-1970, which led to the
defeat of the Biafran secessionists» (Voir The Vanguard,
n°415, Lagos, 18 October, 2002, p. 5, cité par Primus FONKENG,
2004, op. cit., p. 83).
441 Lire à ce propos, Nowa OMOIGUI, op. cit. [En
ligne].
442 Rapport du groupe d'experts nigérians publié
en 1988, sous la direction de Monsieur Bassey E. ATE, cité par
André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op cit, p. 150.
107
officiellement dénoncé ledit Accord lors de la
réunion de la Commission mixte camerouno-nigériane à Jos
du 1er au 4 novembre 1978. OLUSEGUN OBASANJO a permis en 1979, le
retour du pays à un régime civil dirigé par Alhadji Shehu
SHAGARI. Néanmoins, ce dernier a été destitué en
août 1983 par le Général Mohammed BUHARI, qui a
été à son tour évincé du pouvoir en 1985,
par le Général BABAGINDA. L'élection présidentielle
organisée en juin 1993, a permis la victoire de Moshood ABIOLA.
Néanmoins, elles ont été annulées ; ce qui a
causé une crise politique et amené le Général
BABAGINDA à démissionner en août 1993. Ernest SHONEKAN qui
a pris la tête du Gouvernement intérimaire est mis à
l'écart trois mois plus tard par le Général Sani
ABACHA.
Les négociations frontalières entre le Cameroun
et le Nigeria se sont faites au gré des différents régimes
nigérians, parfois très sommaires et putschistes443
(le cas GOWON et Murtala MOHAMMED est à ce titre illustratif). Elles ont
également été mises à mal par le tempérament
des hommes politiques Nigérians de l'époque. Militaires pour la
plupart, ces derniers, par soucis de légitimation populaire,
d'unité intérieure et de consolidation de l'autorité de
leur régime, ont parfois eu recours à la stratégie de la
dérivation444. Au vue de la culture politique
nigériane, les autorités de Yaoundé recherchaient une voie
pacifique de règlement du conflit, dont les résultats auraient
été définitifs et insusceptibles de toute remise en cause
par Abuja. La saisine de la C.I.J. s'est dès lors imposée comme
le meilleur choix possible.
Par ailleurs, la faveur de la communauté internationale
pour un règlement pacifique du conflit de Bakassi a été
une ressource non négligeable dans la prise de la décision
camerounaise.
Paragraphe 2 : L'influence des acteurs
internationaux
Les acteurs internationaux ont été unanimement
favorables au règlement pacifique du conflit frontalier entre le
Cameroun et le Nigeria. Aussi, certains Etats (A) et Organisations
Internationales (O.I.) (B) ont-ils explicitement ou non «
recommandé au Nigeria et au Cameroun la procédure judiciaire,
comme alternative crédible pour régler leur différend
frontalier »445.
A. Le rôle des acteurs étatiques
443 André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op cit, p.
168.
444 En effet, selon Pierre de SENARCLENS et Yohan ARIFFIN,
« les Etats autoritaires adoptent des projets nationalistes agressifs pour
renforcer leur unité intérieure, et consolider l'autorité
de leur régime. En 1982, la junte argentine s'engage dans la guerre des
Malouines (Fakland) pour masquer ses échecs économiques et ses
contradictions internes. » (Voir Pierre de SENARCLENS et Yohan ARIFFIN,
2006, op. cit. p. 62.). En l'espèce, la décision du
Général Sani ABACHA, d'envahir la péninsule de Bakassi,
peut également être analysée dans cet esprit.
445 MGBALE MGBATOU Hamadou, 2001, op. cit., p. 211.
108
La France est l'Etat qui s'est le plus impliqué
auprès du Cameroun pour un règlement pacifique du conflit
frontalier (1). A côté d'elle, d'autres pays se sont
prononcé en faveur d'une solution définitive propre à
préserver la paix entre les deux pays (2).
1. L'influence française
L'influence française sur le choix du Cameroun
s'analyse essentiellement en termes d'absence de certitude quant à
l'intervention de Paris en cas de guerre ; et de soutiens manifestés en
faveur d'un règlement pacifique.
La politique camerounaise de défense repose
essentiellement sur la préservation de l'indépendance nationale
et de l'intégrité territoriale446. En matière
de défense, le Gouvernement a pour préoccupation majeure de
« rechercher une assurance contre les risques d'une agression,
s'assurer la certitude de n'être point attaqué ou de recevoir, en
cas d'attaque, l'aide immédiate et efficace d'autres Etats
»447. Ceci revient à dire que, pour le
Cameroun, l'engagement dans une guerre est subordonné à l'appuie
d'autres Etats. Augustin KONTCHOU-KOUOMEGNI parle à ce propos de
l'extraversion du système de sécurité des Etats africains
; et explique cela par le caractère dérisoire de leurs moyens de
défense448.
Bien qu'un Accord de défense ait été
conclu entre la France et le Cameroun le 14 février 1974, cette
dernière n'avait pas intérêt à ce qu'une guerre
éclate entre Yaoundé et Abuja ; car, cela l'aurait obligé
à intervenir militairement, mettant ainsi en péril ses
intérêts économiques au Cameroun et a fortiori au
Nigeria. La visite le 18 mars 1994 au Cameroun de Philippe JAFFRÉ,
Président du Groupe ELF Aquitaine (société de
nationalité française), est à ce titre
illustratif449. Elle peut être analysée comme
s'inscrivant dans le cadre des différentes initiatives françaises
en vue de promouvoir un règlement pacifique et définitif du
conflit.
En effet, dans le secteur de l'énergie, le groupe Elf
Aquitaine était à l'époque de la prise de décision
d'une importance indéniable pour la France et les pays d'Afrique noir
Francophone producteurs de pétrole. Aussi disait-on que « qui
dirige Elf gère des centaines de milliards de francs par an et
pèse sur la politique industrielle de la France et sur la politique des
pays africains producteurs de pétrole » 450.
Le groupe Elf avait alors d'importants intérêts au Nigeria.
Elf Nigeria
446 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op cit, p. 62.
447 Joseph OWONA et Antoine ZANGA, « Les doctrines de
sécurité en Afrique centrale », in Le Mois en
Afrique, n°235-236, août-septembre 1985, p. 3, cité par
Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op cit, p. 62.
448 Augustin KONTCHOU-KOUOMEGNI, « L'Etat africain, mythe
ou réalité : à la recherche de la souveraineté
», RJPIC, n° 1, janvier-février 1988, pp. 46-47,
cité par Narcisse MOUELLE KOMBI, Ibid., p.63.
449 A la suite de l'audience à lui accordé par
le Chef de l'Etat du Cameroun, M. JAFFRE a affirmé à la presse
avoir évoqué avec le Chef de l'Etat le conflit frontalier entre
le Cameroun et le Nigeria. (Voir Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N°
5557, Lundi 2 mars 1994, p. 3.)
450 Lire Zacharie NGNIMAN, 1996, op cit, pp. 23-24.
109
Ltd par exemple était classée
3ème sur la liste des plus importantes entreprises
exerçant au Nigeria, avec un chiffre d'affaires d'environ 170 milliards
de FCFA pour l'année 1990. De même, Elf Marketing Ltd, une autre
filiale présente au Nigeria, avait un chiffre d'affaire de 9 milliards
de FCFA pour la même année. Le Nigeria occupait à
l'époque, le rang de troisième fournisseur mondial de la France,
et celui de premier fournisseur en Afrique subsaharienne451.
« Si un pays comme le Cameroun ne représentait que 20 mille
barils dans la production quotidienne d'Elf, le Nigeria lui, en
représentait plus de 135 mille »452.
Les intérêts français n'étaient pas
uniquement présents dans le secteur de l'énergie. En 1974, une
vingtaine de firmes françaises opéraient au Nigeria. Dix ans plus
tard, elles étaient plus de 180 à travailler dans des secteurs
aussi divers que le commerce, la banque, l'agriculture, la construction, les
télécommunications, et l'assemblage de véhicules. A titre
illustratif, dans l'industrie automobile, depuis 1962, l'usine Michelin avait
fourni environ 60 % de tous les pneumatiques vendus au Nigeria ; en 1983,
l'usine Peugeot avait produit 55 000 véhicules au Nigeria, soit
respectivement 70 et 25 % des voitures et véhicules commerciaux vendus
cette année là453. Selon Shehu OTHMAN, « les
ventes d'armes, qui ont pour origine des fournitures accordées aux
forces fédérales au début de la guerre civile, ont
continué à se développer »454.
Bien qu'ils ne soient pas aussi importants que les
intérêts économiques nigérians de la France, les
intérêts de Paris au Cameroun n'étaient pas
négligeables. Ainsi, au Cameroun, ELF était
représenté par sa filiale ELF SEREPCA qui opérait sur onze
concessions et sept permis. Avec 70 % de la production totale de
pétrole, Elf SEREPCA était le leader dans la production, mais
également dans la distribution pétrolière au Cameroun
depuis le rachat en 1993 des parts de la British Petroleum455. Le
Cameroun était également le premier partenaire commercial de la
France parmi les pays d'Afrique noire francophone, juste avant la Côte
d'Ivoire456. Au-delà de ces intérêts
économiques, le principal intérêt de Paris au Cameroun
était stratégique457.
Alors, tout en soutenant le Cameroun, la France mettait tout
en oeuvre pour que le conflit connaisse une issue pacifique458.
C'est sous son initiative que le Parlement européen avait
voté,
451 Daniel BACH, « Dynamique et contradictions dans la
politique africaine de la France : les rapports avec le Nigeria (1960-1981)
», Politique Africaine II, 1982, cité par Hamadou MGBALE
MGBATOU, op. cit., p.177.
452 MGBALE MGBATOU Hamadou, op. cit., p.177.
453 Shehu OTHMAN, « Les relations internationales
globales du Nigeria », in D.C. BACH, J. Egg et J. Philippe (dir.),
Nigeria, un pouvoir en puissance, Paris, Karthala, 1988, p. 79.
454 Idem.
455 Lire Zacharie NGNIMAN, 1996, op cit, p. 24.
456 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit, p. 131.
457 En raison de l'appartenance du Cameroun à l'Afrique
Francophone.
458 A titre illustratif, dès le 23 février 1994,
après l'audience qu'avait accordé le Chef de l'Etat au
Général Français de brigade RIGAUD, Chef de mission
militaire de coopération, on a signalé la présence au port
de Douala d'un bâtiment de guerre de la marine française, le
« Ventose F-733-Valeur » équipé de radars, d'une piste
d'atterrissage pour les
110
malgré l'opposition de la Grande Bretagne, une
résolution appelant à porter le conflit frontalier entre le
Cameroun et le Nigeria devant la C.I.J.
2. La position des autres Etats
La campagne diplomatique internationale entreprise par le
Cameroun afin de démontrer la vacuité des thèses
nigérianes sur la souveraineté de Bakassi, les
velléités guerrières d'Abuja et surtout la
nécessité d'un retrait pacifique de l'armée
nigériane, a permis aux autorités camerounaises de se rendre
compte de l'appuie de nombreux pays africains à une issue pacifique du
conflit459. Néanmoins, aucun Etat africain n'a pris le risque
de se prononcer officiellement sur la question. Le seul pays qui est intervenu
activement pour une solution politique du problème est le Togo à
travers la médiation du Président Étienne GNASSINGBE
EYADEMA.
Hors de la sphère africaine, les Etats ont
appelé les protagonistes à régler le problème sans
aboutir à un conflit armé. Les Etats-Unis ont invité les
parties à faire preuve de modération et à ne pas engager
de nouvelles actions militaires. L'examen des rapports entre le Cameroun et les
USA à cette période, permet d'affirmer que les autorités
de Yaoundé ne pouvaient s'attendre à aucun soutien d'ordre
militaire de la part des Américains. En effet, non seulement leurs
relations restaient tendues du fait de l'Ambassadeur Américain Frances
COOK, jugée par le pouvoir trop favorable à
l'opposition460, mais aussi, les USA et les pays aujourd'hui dits
émergents, commençaient juste a manifesté
l'intérêt qu'ils ont actuellement pour les Etats du Golfe de
Guinée461. La Grande Bretagne
hélicoptères de combat, et d'un long canon. Le
lendemain, des parachutistes français venus de Bangui (République
Centrafricaine) à bord de deux hélicoptères « Puma
» et d'un avion de transport militaire de type « Transaal », ont
débarqué à la base militaire de Yaoundé.
Parallèlement, les autorités françaises ont
dépêché à Yaoundé une mission
diplomatico-militaire conduite par le Général QUESNOT, Chef
d'Etat major particulier du Président François MITTERRAND. Cette
mission était composée de Bruno DELAYE, Conseiller du
Président Français pour les Affaires Africaines et Malgaches,
Jean-Marc ROCHEREAU DE LA SABLIERE, Directeur des Affaires Africaines au Quai
d'Orsay, et du Colonel BENTEGEAT, dont les attributions officielles n'avaient
pas été précisées. Après avoir
été reçue en audience par le Président Paul BIYA,
ladite mission s'est rendue à Abuja afin de rencontrer les
autorités nigérianes. La composition de cette mission illustrait
bien la stratégie adoptée par la France. En l'espèce il
s'agissait selon le précepte de LYAUTEY de : « montrer sa force
pour ne pas avoir à s'en servir ».
459 Lire à cet effet Zacharie NGNIMAN, 1996, op cit,
p. 107-117.
460 A l'époque, au cours d'une émission
télévisée le 13 mars 1994, le Ministre Camerounais Douala
MOUTOME avait dénoncé « le silence coupable des
Américains devant l'agression nigériane », et avait
conclut à l'endroit des USA, « il faudra que l'on nous
embête un peu moins dès lors qu'il s'agit de juger notre
démocratie ». (Lire à cet effet, Zacharie NGNIMAN,
1996, op cit, p. 94)
461 AWOUMOU Cômes Damien Georges affirme à cet
effet que : « la pose des fondations de l'actuelle ruée vers le
continent africain, qui est le fait surtout des Etats-Unis, a
débuté avec les années 90 ». Selon Philippe
COPINSCHI et Pierre NOÊL, Elf a ainsi pu rester un acteur central du jeu
pétrolier au Gabon, au Congo-Brazzaville ou encore au Cameroun (pays
francophones ayant subit une influence coloniale française) jusque dans
les années 1990, malgré les éventuels aléas des
relations de la France avec ces pays. Pour de plus amples informations sur la
ruée actuelle vers le Golfe de Guinée, lire Cômes Damien
Georges AWOUMOU, « Le golfe de Guinée face aux convoitises »,
In Enjeux, N°22 janvier-mars 2005, pp.15-20 ; Philippe COPINSCHI et Pierre
NOÊL, « L'Afrique dans la géopolitique mondiale du
pétrole » in Afrique Contemporaine, N° 216 2005/4,
2005, pp. 29 à 42.
111
quant à elle, avait toujours manifesté
« un désintérêt relatif pour son ancien pupille
»462. Ce facteur, conforté par le contentieux
camerouno-britannique à propos de l'affaire du Cameroun
septentrional devant la C.I.J., et l'insertion de fait du Cameroun
à l'ensemble francophone463, ne permettait pas à
Yaoundé d'espérer une quelconque aide militaire de la part de
Londres. Par ailleurs, la Grande Bretagne paraissait avoir plus
d'intérêts au Nigeria, avec qui, malgré des tensions
ponctuelles, elle entretenait des relations privilégiées.
B. Les recommandations des O.I.
L'Afrique, continent « sinistré » selon le
terme employé par le Directeur Général du FMI de
l'époque Michel CAMDESSUS, devrait aujourd'hui plus qu'hier se passer du
règlement militaire des situations conflictuelles464. Aussi,
l'ONU (1), les Organisations Internationales Africaines
intéressées (2), et l'Union Européenne (U.E.) ont
instamment, explicitement ou implicitement, encouragé le Nigeria et le
Cameroun à une solution pacifique conforme au droit international.
1. Le rôle de l'ONU
Le leitmotiv qui conduit à la naissance de
l'ONU en 1945, est la préservation de la Paix et de la
Sécurité internationale. Cette Organisation Internationale de
caractère universel attache une importance capitale au règlement
pacifique des conflits, qui fait l'objet du Chapitre VI de sa Charte. Le
Cameroun qui a été administré pendant près de
quarante et une année (1919-1960) par l'ONU, et avant elle la SDN,
accorde beaucoup de crédit à cette institution dont il reste
très fidèle aux principes465.
C'est ainsi que le 28 février 1994, Yaoundé a
saisi le Conseil de sécurité de l'affaire Bakassi. Suite à
cela et à une lettre envoyée par le Nigeria audit Conseil, le
Président de cet organe a encouragé, conformément à
la philosophie de l'ONU, le règlement pacifique du
conflit466.
Tout en affirmant le caractère impératif du
règlement pacifique des conflits, l'organisation universelle laisse aux
Etats la possibilité de choisir les procédés qui leur sied
le mieux. L'article 33 de la Charte dresse à cet effet, une liste non
limitative où se mêlent procédés politiques et
462 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 134.
463 Idem.
464Archives SOPECAM, Cameroon Tribune,
N° 5546, mercredi 02 mars 1994, p. 3.
465 Le Préambule de la Constitution du Cameroun du 2
Juin 1972 révisé par la loi N° 96/06 du 18 janvier 1996
affirme ainsi la volonté du Cameroun d'entretenir « avec les
autres nations du monde des relations pacifiques et fraternelles
conformément aux principes formulés par la Charte des Nations
Unies. »
466 Affaire de la frontière terrestre et maritime entre
le Cameroun et le Nigeria, Observations de la République du Cameroun
sur les exceptions préliminaires du Nigeria, op. cit.,
Chapitre 2, Deuxième exception préliminaire : les parties
auraient l'obligation de résoudre toutes les questions
frontalières au moyen des dispositifs bilatéraux existants,
paragraphe 2.42.
112
juridiques. Aux termes dudit article, « les parties
à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer
le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent
chercher la solution, avant tout, par voie de négociation,
d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de
règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords
régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de leur choix ».
Le Cameroun qui avait déjà expérimenté les
procédés politiques de règlement a, dès lors,
choisit dans le respect des recommandations de la Charte, la voie
judiciaire.
Dans ce cas précis, le système international a
offert une opportunité au Cameroun d'atteindre ses objectifs.
2. Les Organisations Intergouvernementales africaines
intéressées
Dans la sphère africaine, deux O.I. se sont
exprimées sur la situation entre le Cameroun et le Nigeria dans le Golfe
de Guinée. Il s'agit de l'O.U.A. et de la Communauté Economique
et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC).
L'O.U.A. dont le Cameroun est l'un des membres fondateurs a
instamment encouragé les parties à une solution pacifique sur la
base des principes de la Charte de l'organisation panafricaine et des Nations
Unies. Le 24 mars 1994, le Conseil ministériel du Mécanisme sur
la Prévention, la Gestion, et le Règlement des conflits, a
invité le Cameroun et le Nigeria à travers une
Déclaration, « à faire preuve de retenue et à
prendre les mesures appropriées pour rétablir la confiance
réciproque, y compris le retrait des troupes et la poursuite du dialogue
» 467.
Au niveau sous-régional, les Etats de la CEMAC ont
affiché une attitude de neutralité468. Aucun Etat
membre de cette organisation d'intégration sous-régionale auquel
appartient pourtant le Cameroun, n'a ouvertement soutenu Yaoundé. En
revanche, lors d'un Sommet informel organisé le 28 février 1994,
les Chefs d'Etat de cette institution ont souhaité « que les
démarches en cours aboutissent très rapidement à une
solution préservant la paix et l'unité africaine
»469.
3. La position de l'Union
Européenne
467 Suite aux travaux de la deuxième session ordinaire
de l'Organe Central du Mécanisme de l'O.U.A. sur la prévention,
la gestion, et le règlement des conflits en Afrique, les 24 et 25 mars
1994 à Addis Abeba, l'Organe a adopté une Déclaration,
relative au conflit de Bakassi, dans laquelle elle a retenue les principales
positions camerounaises notamment : la réaffirmation des principes
fondamentaux des Chartes des Nations Unies et de l'O.U.A. comme cadre de
résolution pacifique de ce conflit à savoir :
l'inviolabilité des frontières héritées de la
colonisation, le respect de la souveraineté, de
l'intégrité territoriale et de l'indépendance de tous les
Etats. C'est de cette Déclaration dont il est question plus haut. (Voir
Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N 5562, Lundi, 28 mars 1994, p. 3)
468 Pour une analyse du comportement des Etats de la CEMAC
durant le conflit de Bakassi, lire ALIYOU Sali, L'attitude des Etats de la
CEMAC face au conflit de Bakassi et ses effets sur l'institution,
Mémoire de DEA, Université de Dschang, 2008. Seule la
Guinée Equatoriale est intervenue plus tard au cours du
procès.
469 MGBALE MGBATOU Hamadou, 2001, op cit, p. 204.
113
L'U.E. est un important partenaire du Cameroun. Son poids dans
les relations internationales, et ses diverses contributions au
développement du pays470 sont autant de facteurs qui
favorisent son audience auprès des autorités camerounaises.
Début mars 1994, elle s'est exprimée par le biais d'un
Communiqué471 diffusé à Yaoundé par
l'Ambassade de la République Fédérale d'Allemagne, au nom
de la Grèce qui assumait alors la Présidence de l'U.E. Par ce
Communiqué, l'U.E. a affirmé qu'elle « croit fermement
qu'il n'existe qu'une voie unique pour résoudre ce problème
à savoir le règlement pacifique ». Pour y parvenir,
elle a « instamment » demandé aux parties de
rechercher une solution à travers « l'arbitrage ou la
médiation de n'importe quelle institution régionale ou
internationale », et de mettre tout en oeuvre pour éviter
toute action militaire qui aggraverait la situation.
Bien qu'il soit intervenu à l'initiative de la France,
le Parlement Européen est une institution propre dont il est important
d'évoquer indépendamment l'action. En mars 1994, après le
Communiqué de l'U.E. précité, cette institution
européenne a incité le Cameroun et le Nigeria à
régler définitivement leur opposition frontalière par la
voie judiciaire. Elle a en effet voté une résolution appelant
instamment à porter le conflit frontalier camerouno-nigérian
devant la C.I.J. Par ce vote, les députés européens ont
exprimé l'opinion des populations européennes qu'ils sont
chargés de représenter.
Au terme de ce chapitre, il convient de relever la
prépondérance des variables systémiques sur celles
sociétales dans l'explication du processus de prise de décision
du Cameroun ; et plus particulièrement du facteur relatif au
caractère particulier de l'adversaire. En effet, la puissance du
Nigeria472, sa promptitude à remettre en cause les accords
négociés, et le degré des relations que le Cameroun
entretenait avec lui ont exercé une influence décisive sur le
choix du mode de règlement de conflit.
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
470 En 1994, le Cameroun faisait par exemple partie du groupe
des pays A.C.P. auquel l'U.E. accordait, conformément à l'Accord
de Lomé de 1975, non seulement des préférences tarifaires
non réciproques pour les exportations vers son marché, mais aussi
des systèmes de compensation du déficit des recettes
d'exportations, suite à la fluctuation des prix sur les marchés
mondiaux (C'était le cas du STABEX, et plus tard avec l'Accord de
Lomé II en 1979, du SYSMIN. L'Accord de Cotonou de juin 2000 supprime
ces mécanismes). Le Cameroun bénéficiait également
des financements du Fonds Européen pour le développement.
471 Communiqué publié dans Cameroon
Tribune, N° 5547, Vendredi 04 mars 1994, p. 3. (Voir Archives
SOPECAM).
472 Sur la politique juridique extérieure du Cameroun,
lire Jacques Joël ANDELA, 2010, op. cit. Il affirme que face
à un adversaire manifestement plus puissant, le Cameroun
privilégie le recours au prétoire international (les
différends entre le Cameroun et la Grande Bretagne ainsi qu'entre le
Cameroun et le Nigeria devant la C.I.J. sont à ce titre illustratif);
dans le cas contraire, il préfère recourir aux mécanismes
concertés (c'est le cas des désaccords territoriaux avec la
République centrafricaine et la Guinée équatoriale), pp.
48-50.
114
115
116
Au terme de la seconde partie de cette étude, il
convient de relever qu'au-delà de l'explication fournie par le
modèle de l'acteur rationnel, les variables explicatives de ROSENAU ont
permis de ressortir de manière concrète le rôle joué
par le MINREX, le MINDEF et le SG/PRESICAM dans la prise de décision.
Combiné au code opérationnel, la variable idiosyncratique du
cadre conceptuel de ROSENAU a permis de voir dans quelle mesure le
tempérament du Chef de l'Etat a finalement déterminé le
comportement international du Cameroun.
Ledit cadre a également permis de ressortir l'influence
de l'environnement national et international sur le choix du Cameroun. Ainsi,
au niveau national, le choix des autorités de Yaoundé tenait
compte de la conjoncture socio-économique interne, et obéissait
à la stratégie de développement du pays. Sur le plan
politique, elle était une illustration de la volonté de
Yaoundé de préserver la stabilité et l'unité
nationale, dans un contexte « pluriculturel ». Cette décision
a également été influencée par la culture de paix
qui caractérisait le peuple camerounais, et ressortait dans les avis de
l'opinion publique qui, malgré quelques voies discordantes, avait
manifesté sa prédilection pour un règlement pacifique du
conflit de Bakassi.
Au niveau international, le contexte était favorable
à un règlement pacifique du conflit de Bakassi. Ainsi, le
Cameroun, qui ne pouvait plus poursuivre avec l'unique voie de règlement
diplomatique en raison de la culture politique nigériane et qui ne
pouvait non plus faire recours à la solution militaire du fait des liens
multidimensionnels qui unissaient son peuple au peuple nigérian, a pris
la décision de porter l'affaire devant la C.I.J.
CONCLUSION GENERALE
Au départ, la présente étude s'est
fixée deux objectifs : d'une part, la mise en exergue des principaux
facteurs qui sont à l'origine du choix porté par le Cameroun sur
la C.I.J. pour le règlement du conflit de Bakassi ; et d'autre part, la
vérification de l'applicabilité de modèles explicatifs de
la décision de politique étrangère,
généralement élaborés dans des pays
développés et en particulier anglo-saxons, sur une
décision prise par un pays en développement (en particulier
africain).
Pour ce faire, elle s'est basée sur une
méthodologie particulière. En effet, la poursuite des objectifs
fixés s'est faite sur la base des éléments
théoriques que sont le modèle de l'acteur rationnel
d'ALLISON et les variables idiosyncratiques, gouvernementales
(pendant du modèle bureaucratique d'ALLISON), de rôle,
systémiques et sociétales du paradigme de ROSENAU. La collecte
des données a été réalisée à partir
des entretiens (avec des personnalités qui ont été
impliquées dans la prise de décision, ou qui ont eu connaissance
du processus décisionnel) et de l'analyse documentaire (des ouvrages
généraux et spécialisés, des revues, des archives
et documents officiels). Quant au traitement desdites données, il a
été fait usage de la méthode de l'analyse
décisionnelle et de celle de l'analyse systémique.
L'étude a permis de se rendre compte, dans une
première partie, de la rationalité du comportement des
autorités camerounaises face à l'occupation nigériane de
la péninsule de Bakassi, et à l'échec des tentatives de
règlement diplomatique entreprises. L'application du modèle de
l'acteur rationnel a ainsi permis de voir dans quelle mesure le recours
à la C.I.J. était le choix qui optimisait le mieux, face aux
autres solutions envisagées (en l'occurrence la poursuite de la voie
diplomatique et le recours à la voie militaire), les chances du Cameroun
d'atteindre son objectif (c'est-à-dire, le respect par le Nigeria de son
intégrité territoriale, sans recours à la guerre).
Cette étude a également permis de constater,
dans une seconde partie, que la décision du Cameroun a été
favorisée par des variables d'ordre gouvernemental (les analyses et
expertises des institutions administratives que sont le MINREX, le MINDEF et le
SG/PRESICAM), de rôle (les fonctionnaires impliqués dans la prise
de décision), idiosyncratique (les qualités particulières
du Chef de l'Etat et son code opérationnel dans lequel le pacifisme a
une place centrale), sociétal (le rôle de la société
civile, des médias, des leaders d'opinion, de la culture de paix et de
la fragilité du contexte socio-économique et politique), et
systémique (le caractère particulier de l'adversaire, ainsi que
la faveur des acteurs internationaux pour le règlement pacifique).
Toutefois la recherche a été rendue difficile
par quelques problèmes d'ordre théorique et pratique. Sur le plan
théorique, le modèle de l'acteur rationnel, malgré sa
pertinence, reste assez désincarné ; d'où la
nécessité de l'associer à d'autres éléments
théoriques pour une meilleure explication de la dynamique interne du
processus décisionnel. Quant à l'approche de ROSENAU,
malgré sa pertinence et son caractère scientifique, il convient
de reconnaître qu'elle demeure relativement incomplète. La
critique majeure contre ses variables explicatives réside dans le fait
que la différence entre « rôle » et « gouvernement
» est très fine ; en ce sens que la décision d'un
Gouvernement est le résultat de l'ensemble des efforts de ses
fonctionnaires pris individuellement. ROSENAU lui-même le reconnaît
lorsqu'il qualifie son cadre conceptuel de « pré-théorie
»473 de la politique étrangère.
473 Lire à ce propos son article « Pre-Theories and
Theories of Foreign Policy ». (James N. ROSENAU, 1966, op. cit.,
pp. 27-92).
Sur le plan pratique, divers obstacles ont rendu l'atteinte
des objectifs de cette étude ardue. Ces obstacles sont liés
notamment : à la durée de la recherche qui est très courte
pour permettre une bonne analyse ; à la nature du sujet qui pose des
difficultés en ce sens que le processus de prise de décision est
caractérisé par l'opacité. En effet, les discussions qui
aboutissent à la prise de décision se déroulent à
huis clos dans ce que David EASTON appel la « boîte noire
»474. Les données sont ainsi difficilement accessibles
au chercheur. En outre, de nombreuses personnalités dont le
témoignage était nécessaire à cette étude
sont soit décédée, soit retraitée et difficile
d'accès ; l'absence de sources écrites sur le processus de prise
de décision étudiée et l'existence de difficultés
quant au recoupement des informations orales recueillies figurent
également parmi les problèmes rencontrés.
Les résultats de la recherche ont tout de même
permis de tirer quelques leçons, sur le plan théorique et
professionnel, pour l'avenir.
Sur le plan théorique, l'étude permet d'affirmer
(s'agissant des variables de ROSENAU) la prépondérance des
variables idiosyncratiques, suivies des variables systémiques et
gouvernementales dans l'explication du processus décisionnel dans la
politique étrangère du Cameroun, validant ainsi la thèse
de ROSENAU. Par ailleurs, l'applicabilité des modèles
théoriques susmentionnés à l'analyse de la prise de
décision du Cameroun s'avère également pertinente pour les
autres pays africains, voire pour d'autres pays en développement. La
méthode utilisée dans la présente recherche pourrait ainsi
permettre à d'autres chercheurs d'analyser des décisions de
politique étrangère prises dans des contextes
différents.
Sur le plan professionnel, la présente analyse permet
de relever la nécessité d'une stratégie plus
cohérente et efficace en matière de sécurité et de
politique étrangère. En effet, à l'époque de la
prise de décision, il était reproché au Cameroun ses
carences fonctionnelles en matière de coordination
interministérielle de son action internationale475. Le
Comité interministériel de coordination des relations
internationales qui était censé être un centre
d'intelligence et une structure consultative en matière de politique
étrangère, n'avait qu'une existence « fantomatique »,
en dépit de son institutionnalisation formelle476. Durant le
conflit de Bakassi, de par sa composition477 et ses
missions478, ce Comité était l'organe le plus apte
à débattre des solutions à
474 David EASTON compare le système politique à
une boîte noire recevant des inputs (exigences ou soutiens) de son
environnement et y répondant par des outputs (décisions, actions,
politiques). Pour de plus amples informations sur le sujet, lire l'ouvrage de
David EASTON, A Framework for Political Analysis, New York, Wiley
& Sons, 1965, 143p.
475 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 39.
476 Ibid., p. 40. Le Comité
interministériel de coordination des relations internationales a
été créé en octobre 1973. Il est régi par le
Décret N°78/026 du 16 janvier 1978.
477 Placé sous l'autorité du Secrétariat
général de la Présidence, il comprend comme membre de
droit : les Ministres chargés des Relations Extérieures, de la
Défense, du Développement industriel et commercial, du plan et de
l'aménagement du territoire, ainsi que les responsables de la
Sécurité intérieure, de la Sécurité
présidentielle, du
117
même de permettre au Cameroun d'optimiser ses chances
d'atteindre son objectif face à l'intransigeance nigériane. Bien
que les débats n'aient pas été conduits dans ce cadre, et
que le règlement judiciaire ait connu une issue heureuse,
l'évolution du concept de sécurité et l'émergence
de nombreux défis en la matière nécessitent une structure
intégrée (dont l'action serait effective et efficace) en
matière de politique étrangère et de
sécurité. La création du Conseil National de
Sécurité (CNS) semble répondre à ce
souci479. En effet, cet organe a pour mission de « faire
périodiquement la synthèse des renseignements intéressant
la sécurité intérieure et extérieure de la Nation ;
formuler des propositions d'orientation de renseignement prévisionnel ;
donner son avis sur tout dossier à lui soumis par le Président de
la République »480. Pour ce faire, il est
doté d'un Secrétaire permanent et de membres statutaires occupant
au sein de l'exécutif des postes stratégiques en matière
de défense, de sécurité et de diplomatie481.
Cet organe a pour vocation d'être un forum de discussion
et de conseil du Chef de l'exécutif, face à la recrudescence des
phénomènes d'insécurité tels que les vols à
main armée, les atteintes aux personnes et aux biens, les méfaits
des coupeurs de route, les prises d'otages, la piraterie maritime dans le Golfe
de Guinée, etc. Le CNS est également chargé d'anticiper et
de prémunir le pays contre d'éventuelles menaces. Les missions du
Conseil en font une structure stratégique ; d'où la
nécessité d'une application effective et suivie du Décret
du 8 janvier 2009 précité.
Néanmoins, pour une meilleure coordination de l'action
gouvernementale en matière de sécurité nationale (garantie
pour plus d'efficacité du processus de prise de décision en
situation de crise ou de conflit), l'administration du CNS pourrait être
confiée (en lieu et place du Secrétaire Permanent) à un
Conseiller à la sécurité nationale nommé par le
Président, comme c'est le cas aux USA482. La
personnalité occupant le poste de Conseiller Technique chargé des
problèmes diplomatiques (appelé couramment Conseiller
Diplomatique du Président) pourrait ainsi se voir confier cette
fonction483. En effet, comme l'a affirmé le Président
Paul BIYA, « aujourd'hui, la sécurité mérite une
vision globale, pour ne pas dire stratégique. On ne peut pas par exemple
traiter séparément les problèmes de la
sécurité intérieure et ceux de la sécurité
extérieure qui
Renseignement et, un responsable de la division des affaires
diplomatiques à la Présidence de la République. (Lire
à ce propos, Narcisse MOUELLE KOMBI, idem.)
478 Il est chargé dans le cadre des orientations
définies par le Chef de l'Etat de « déterminer les
objectifs de la République du Cameroun dans le domaine international ;
de coordonner les actions divers départements ministériels en vue
d'atteindre ces objectifs et de procéder périodiquement à
l'évaluation des relations extérieures ». (Voir
Narcisse MOUELLE, idem).
479 Le CNS a été créé par
Décret N°2009/004 du 8 janvier 2009.
480 Article 1 du Décret N°2009/004 du 8 janvier 2009
portant création et organisation d'un Conseil National de
Sécurité.
481 Voir Article 3 du Décret du 8 janvier 2009
précité en annexe 15 (page 144).
482 Aux USA, le National Security Council est
présidé par le Chef de l'Etat américain et son
administration est confiée à un conseiller à la
sécurité nationale nommé par lui.
483 Cette proposition répond à la
nécessité d'avoir une structure intégrée en
matière de sécurité et de politique
étrangère.
entretiennent des interactions évidentes
»484 ; d'où la nécessité d'une plus
grande rationalisation485 du processus de prise de
décision.
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484 Extrait de la communication spéciale du Chef de
l'Etat à l'ouverture des travaux de la première réunion du
Conseil National de Sécurité, le 14 juillet 2011.
485 La rationalisation renvoie en l'espèce à une
organisation méthodique et logique destinée à
améliorer l'efficacité ou le rendement du processus de prise de
décision en matière sécuritaire au Cameroun.
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6. Documents et textes officiels
- Acte constitutif de l'Union Africaine adopté le 11
juillet 2000 à Lomé.
125
- Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine
adoptée le 25 Mai 1963 à Addis Abéba en Ethiopie.
- Charte des Nations Unies adoptée le 26 juin 1945
à San Francisco.
- Communiqué de presse de la Présidence de la
République du 19 février 1994, relatif aux
accrochages militaires entre le Cameroun et le Nigeria dans la
presqu'ile de Bakassi.
- Constitution du Cameroun du 2 juin 1972.
- Décret N°90/951 du 29 Mai 1990 portant organisation
de la Présidence de la République
- Décret N° 92/245 du 26 Novembre 1992 portant
organisation du Gouvernement.
- Décret N°2005/286 du 30 juillet 2005 portant
organisation du Ministère des Relations Extérieures.
- Décret N°2009/004 du 8 janvier 2009 portant
création et organisation d'un Conseil National de
Sécurité.
- Gouvernement de la République du Cameroun, Dossier
sur le différend frontalier de la péninsule
de Bakassi, Deuxième édition, Août
1998.
- Règlement de la Cour Internationale de Justice.
- Statut de la Cour Internationale de Justice.
7. Journaux, Rapports et Autres
documents
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jeudi 27 janvier 1994 ; n° 5543, vendredi 25 février 1994 ; n°
5546, mercredi 02 mars 1994 ; n° 5547, vendredi 04 mars 1994 ;
n°5548, lundi 07 mars 1994 ; n°5555, jeudi 17 mars 1994 ; n°
5557, lundi 2 mars 1994 ; n° 5562, lundi 28 mars 1994 ; n° 5563,
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l'ouverture des travaux de la première réunion du Conseil
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- Communiqué final à l'issue de la réunion
du Conseil National de Sécurité présidée par le
Chef de l'Etat, le 14 juillet 2011.
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Etat fragile ? », Rapport Afrique, n° 160, 25 mai 2010.
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mars 1994.
126
- Message de voeux du Président Paul BIYA à la
nation : le 31 Décembre 1994 ; le 31 décembre 1998 ; le 31
décembre 2002.
- Message du Président Paul BIYA à la nation
à la suite du retrait de l'administration et des forces
nigérianes de la presqu'île de Bakassi, le 14 août 2008.
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l'ambition », Cameroon Tribune, édition spéciale du
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consulté le 29 mai 2011.
9. Entretiens
- Entretien avec Monsieur TANDA Robert, Diplomate, Membre de la
Délégation du Cameroun à la C.I.J., Membre de la
Délégation du Cameroun à la Commission mixte Nations
Unies, Cameroun/Nigeria, Inspecteur Général des Affaires
Consulaires au MINREX, le 3 et le 6 mai 2011. - Entretien avec Monsieur le
Professeur Joseph BIPOUN WOUM, le 25 mai 2011.
- Entretien avec Monsieur le Dr. Anicet ABANDA ATANGANA,
Membre de la Délégation du Cameroun à la Commission mixte
Nations Unies, Cameroun/Nigeria, le 16 juin 2011.
- Entretien avec Monsieur le Professeur Maurice KAMTO,
Co-agent du Cameroun lors de procédure devant la C.I.J., Ministre
délégué auprès du Ministre de la Justice, Garde des
sceaux, et Chef de la Délégation camerounaise au Comité de
la mise en oeuvre de l'Accord de Greentree, le 24 juin 2011.
- Entretien avec Monsieur NJIMOLUH KOMIDOR Hamidou, Ministre
plénipotentiaire, Conseiller diplomatique du Chef de l'Etat à
l'époque de la prise de décision, Ambassadeur du Cameroun
auprès de la République du Congo et de la République
d'Angola, 26 juin 2011.
- Entretien avec Maître Douala MOUTOME, Ministre de la
justice et Garde des sceaux à l'époque de la prise de
décision, premier Agent du Cameroun lors de la procédure devant
la C.I.J., Douala, le 26 juillet 2011.
- Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, Secrétaire
Général de PRESICAM à l'époque de la prise de
décision, Yaoundé, le 29 juillet 2011.
128
129
ANNEXES
130
Annexe 1 : Carte représentant le Cameroun et le
Nigeria.
|
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131
Annexe 2 : Carte agrandit de la Frontière
Terrestre entre le Cameroun et le Nigeria
Source : République du Cameroun,
Juillet 2002, op. cit., p. 15.
132
Annexe 3 : Situation de la
péninsule de Bakassi au Cameroun
Source : Hamadou MGBALE MGBATOU, 1999,
op. cit., p. 143.
Annexe 4 : Carte de la Péninsule
de Bakassi.
133
Source : Jeune Afrique
Economie, N°374, Novembre-Décembre 2008, p. 49.
134
Annexe 5 : Carte des frontières du
Cameroun sous administration franco-
britannique.
Source: Anicet OLOA ZAMBO, 2007, op.
cit., première de couverture.
Annexe 6 : Carte d'ethnies
présentes de par et d'autre de la frontière méridionale
entre le Cameroun et le Nigeria.
Tiré de : Hubert WANDJI KABAO, Les échanges
commerciaux
135
entre le Cameroun et le Nigeria de 1960 à 2008,
Mémoire de DEA, Yaoundé, Université de Yaoundé
I, 2009, p. 83.
136
Annexe 7
COMMUNIQUE DE LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE DU
CAMEROUN DU 19 FEVRIER 1994 RELATIF AUX ACCROCHAGES MILITAIRES ENTRE LE
CAMEROUN ET LE NIGERIA DANS LA PRESQU'ILE DE BAKASSI.
« Du 18 au 19 février 1994, un incident a
opposé des unités de notre armée postées dans la
presqu'île camerounaise de Bakassi aux unités de l'armée
nigériane. En effet, des détachements nigérians ont
lancé une série d'attaques contre nos troupes. Celles-ci ont
riposté et repoussé les assaillants. Cet accrochage n'est que le
prolongement d'une situation qui dure depuis le 21 décembre 1993, date
à laquelle les unités nigérianes ont occupé
certains points du territoire camerounais dans la presqu'île de Bakassi ;
devant cette situation, et afin de préserver la paix, le gouvernement a
engagé des négociations avec le gouvernement nigérian pour
parvenir à un règlement pacifique du conflit. A cet effet,
plusieurs missions de haut niveau ont été
dépêchées au Nigeria.
L'incident du 18 février est intervenu pendant que se
poursuivaient ces négociations.
Aussi notre pays a-t-il décidé de saisir le
Conseil de Sécurité des Nations Unies, la Cour Internationale de
Justice de La Haye et l'Organe Central de prévention, de gestion et de
règlement des conflits de l'OUA afin de faire prévaloir notre bon
droit contre l'occupation illégale d'une partie de notre territoire. Le
Cameroun réaffirme sa souveraineté sur la presqu'île de
Bakassi conformément :
1. Au traité germano-britannique du 11 mars 1913.
2. A la règle de l'intangibilité des
frontières issues du référendum de 1961 rattachant
à l'ancien Cameroun oriental la partie méridionale du Cameroun
sous tutelle britannique ;
3. A la déclaration de Maroua de 1975
délimitant les frontières maritimes entre le Nigeria et le
Cameroun.
Ce faisant, la République du Cameroun entend
persévérer dans la voie du règlement pacifique, juste et
durable de cette question ; elle maintiendra les contacts en cours avec la
République du Nigeria ».
LE SECRETAIRE GENERAL DE LA PRESIDENCE DE LA
REPUBLIQUE
Joseph OWONA.
137
Annexe 8 : Activités
pétrolières du Cameroun (en tonne) entre 1987-1995
ANNEE
|
PRODUCTION
|
EXPORTATION
|
TAUX
D'EXPORTATION
|
1987
|
8
|
348
|
000
|
7
|
700
|
000
|
92,2
|
1988
|
8
|
295
|
000
|
7
|
300
|
000
|
88,0
|
1989
|
8
|
113
|
784
|
5
|
928
|
850
|
73,1
|
1990
|
7
|
834
|
781
|
7
|
410
|
785
|
94,6
|
1991
|
7
|
235
|
200
|
7
|
000
|
900
|
96,8
|
1992
|
6
|
790
|
000
|
6
|
620
|
000
|
97,5
|
1993
|
6
|
600
|
000
|
6
|
170
|
000
|
93,5
|
1994
|
8
|
508
|
841
|
3
|
830
|
124
|
65, 9
|
1995
|
5
|
380
|
212
|
3
|
219
|
604
|
59,8
|
Source : MINPAT, Annuaire statistique
du Cameroun 1997, p. 112, tiré de Sylviane WANDJA, 2006, op.
cit., p. 51.
Annexe 9 : Extrait de presse relatif au
dépôt de la requête introductive d'instance du Cameroun
auprès de la C.I.J
138
Source : Cameroon tribune
N°9161/5360, Spécial BAKASSI, Jeudi 14 Août 2008,
p. 32.
139
Annexe 10 : Résultats de
l'enquête d'opinion réalisée par Cameroon Tribune
sur l'affaire Bakassi
Annexe 11
Positive news articles published by the Herald and the
Post news papers
|
The Herald
|
The Post
|
1
|
Bakassi round: Cameroon 1, Nigeria 0
|
1
|
Biya request U.N. peace keeping force.
|
2
|
Paul Biya seeks French support
|
2
|
Annan invites Biya and Obasanjo over Bakassi.
|
3
|
Biya orders creation of relief commission for Bakassi
refugees.
|
3
|
U.N. established mixed commission.
|
4
|
Cameroon lobbies international community.
|
4
|
Cameroon wins its case at the Hague.
|
5
|
Cameroon's diplomatic success.
|
5
|
Cameroonians welcomes ICJ verdict.
|
6
|
Statement on the Bakassi crisis by President Biya.
|
6
|
Cameroon and Nigeria project good lesson for Africa.
|
7
|
International Court rules in favour of Cameroon
|
7
|
Cameroon's historic victory.
|
8
|
Cameroon tactfully handles case at the Hague.
|
8
|
Bakassi belongs to Cameroon.
|
9
|
Cameroonians rally behind Bakassi case.
|
9
|
Cameroon's peaceful policies.
|
10
|
Kofi Annan invites Biya and Obasanjo
|
10
|
Nigerians are very confortable in Cameroon.
|
11
|
Annan's create mixed commission.
|
11
|
|
12
|
Thaw in Cameroon-Nigeria relations.
|
12
|
|
13
|
Cameroon's peaceful foreign policy.
|
13
|
|
14
|
Cameroon's historic victory.
|
14
|
|
15
|
Cameroon projects good lesson for Africa.
|
15
|
|
16
|
Bakassi has always been part of Cameroon.
|
16
|
|
17
|
Close to 4 million Nigerians live in Cameroon.
|
17
|
|
18
|
Cameroon's preventive diplomacy over Bakassi.
|
18
|
|
19
|
Cameroon's hospitality to Nigerian citizens.
|
19
|
|
140
Source: News articles on the Bakassi
crisis published by the Post and The Herald, 1993-2002, tiré de
Primus FONKENG, 2004, op. cit., pp. 66-67, (couleur en arrière plan
ajoutée en vue de ressortir les articles qui entrent le plus dans le
champ de la présente étude).
Annexe 12
Negative news articles published by the Herald and the
Post news papers
|
The Herald
|
The Post
|
1
|
Biya denounces peace meeting with Abacha over Bakassi.
|
1
|
Bakassi verdict, Biya deserves no praises.
|
2
|
Bakassi crisis, thorny part to resolution.
|
2
|
Bakassi crisis, a shameless oppression of the regime.
|
3
|
Bakassi crisis and the policy of diversion.
|
3
|
Nigerian will not give up Bakassi.
|
4
|
Bakassi crisis, of what interest to Anglophones.
|
4
|
Cameroon grapples with refugees problems.
|
5
|
Lack of Government assistance to Bakassi refugees.
|
5
|
Bakassi crisis and the governement's policy of diversion.
|
6
|
Bakassi crisis, No to patriotism.
|
6
|
Anglophone soldiers killed in Bakassi peninsula.
|
7
|
Government's poor policy toward Anglophone provinces.
|
7
|
Cameroonian lawyer predict controversial verdict on the
crisis.
|
8
|
Poor border policies.
|
8
|
Verdict on Bakassi will hasten SCNC drive for independent.
|
9
|
Cameroon provides very few Anglophone judges at the Hague.
|
9
|
SCNC denounces the occupation of Southern Cameroon's
territory.
|
10
|
Indifference of Cameroon Government on the Bakassi crisis.
|
10
|
«La République du Cameroun is killing Nigerian
citizens»
|
11
|
Harassment of Nigerian citizen by Cameroonian gendarmes.
|
11
|
Southern Cameroon's claim over the Bakassi peninsula.
|
12
|
|
12
|
Anglophones arrested over Bakassi crisis.
|
13
|
|
13
|
Anglophones view the crisis with mixed feelings, indifference and
jubilation.
|
14
|
|
14
|
A cry of no patriotism on the Bakassi crisis.
|
15
|
|
15
|
Bakassi and the poor treatment on the Anglophone provinces.
|
16
|
|
16
|
Selective victimization on English speaking provinces by
gendarmes.
|
17
|
|
17
|
Poor border policies by the Cameroonians Government.
|
18
|
|
18
|
Anglophone press manifests no sympathy on the Bakassi
crisis.
|
19
|
|
19
|
Poor relations between Biya and Abacha.
|
20
|
|
20
|
Cameroon suffers casualties.
|
141
Source: News articles on the Bakassi
crisis published by the Post and The Herald, 1993-2002, tiré de
Primus FONKENG, 2004, op. cit., pp. 67-68, (couleur en arrière
plan ajoutée en vue de ressortir les articles qui entrent le plus
dans le champ de la présente étude).
142
Source: Eugene L. MALTAIS, op. cit.,
p. 14.
Annexe 13
A Schema Relating Variables to Conditions.
State of Development
|
Idiosyncratic
|
8
|
underdeveloped economy
|
Role
|
8
|
developed economy
|
State of Policy
|
Governmental
|
8
|
closed policy
|
Societal
|
8
|
open policy
|
Size of Country
|
Systemic
|
8
|
small country
|
143
Annexe 14 :
PROTOCOLE D'ENTRETIEN
1. A partir de quel moment a-t-on estimé qu'il
était nécessaire dans cette affaire de recourir au droit ?
2. Quelles autres options avaient été, ou
étaient envisageables ?
3. A votre avis, est ce que le rapport de force permettait au
Cameroun de recourir à la voie militaire ?
4. En quoi la saisine de la C.I.J. apparaissait elle comme le
choix le plus rationnel ?
5. Quelles sont les garanties qu'offrait l'option judiciaire
?
6. A quel niveau la décision a-t-elle été
prise ?
7. Quels sont les acteurs qui ont contribués à la
prise de cette décision ?
8. Comment les réflexions ont-elles été
menées ? (Une cellule de crise a-t-elle été mise en place
? Si oui, à quelle date et comment ? Quelles étaient ses
attributions ? Combien de fois s'est elle réunie ? Comment se sont
déroulés les travaux en son sein ?)
9. Quelle était l'opinion du public sur la question ?
Comment était elle perçue par les acteurs impliqués dans
le processus décisionnel ? En ont-ils tenu compte ?
10. L'environnement international a-t-il joué en faveur
de cette décision ? Si oui, quels sont les acteurs internationaux qui
ont encouragés le règlement judiciaire du conflit de Bakassi ?
11. Le tempérament du Chef de l'Etat a-t-il joué
en faveur de la prise de cette décision ? Dans quelle mesure ?
12. Existe-t-il une autre personnalité que vous pouvez
nous conseiller de rencontrer ?
Annexe 15 :
144
Décret N°2009/004 du 8 janvier 2009 portant
création et organisation d'un Conseil National de
Sécurité
REPUBLIQUE DU CAMEROUN PAIX - TRAVAIL - PATRIE
DECRET N° 2009/004 du 8 JAN 2009
Portant création et organisation d'un Conseil
National de Sécurité.-
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DECRETE :
Article premier - (1) Il est créé, à compter
de la date de signature du présent décret, un Conseil National de
Sécurité en abrégé « CNS » et
ci-après désigné : « Le Conseil »
(2) Le Conseil est appelé à :
- faire périodiquement la synthèse des
renseignements intéressant la sécurité
intérieure et extérieure de la Nation.
- formuler des propositions d'orientation de renseignement
prévisionnel ;
- donner son avis sur tout dossier à lui soumis par le
Président de la République.
Art.2 - Le Conseil National de Sécurité est
administrativement rattaché au Secrétariat Général
de la Présidence de la République.
Art.3 - (1) Sont membres du Conseil :
- le Secrétaire Général de la
Présidence de la République ;
- le Ministre chargé de l'Administration Territoriale et
de la Décentralisation ;
- le Ministre chargé de la Défense ;
- le Ministre chargé des Relations Extérieures ;
- le Directeur du Cabinet Civil du Président de la
République ;
- le Délégué Général à
la Sûreté Nationale ;
- le Secrétaire d'Etat à la Défense ;
- le Chef d'Etat-major des Armées ;
- le Chef d'Etat-major particulier du Président de la
République ;
145
- le Directeur de la Sécurité Présidentielle
;
- le Directeur Général de la Recherche
Extérieure ;
- le Directeur Central de la coordination à la gendarmerie
nationale ;
- le Commandant de la garde Présidentielle.
(2) Le Président de la République peut inviter
toute personne à prendre part aux
travaux du Conseil en raison des points inscrits à l'ordre
du jour.
Art.4 - Le Conseil national de sécurité se
réunit sur convocation du Président de la
République, soit en séance restreinte soit en
séance plénière.
-
presidenceducameroun.com,
prctv.cm,
presidenceducameroun.cm
-
Art. 5 - (1) Le secrétariat du Conseil est assuré
par un secrétaire permanent nommé par décret du
Président de la République.
(2) Le secrétaire permanent participe aux travaux du
Conseil avec voix consultative.
Art.6 - Les travaux du Conseil National de Sécurité
donnent lieu à l'élaboration d'un rapport soumis à
l'appréciation du Président de la République.
Art.7 - Les frais de fonctionnement du Conseil National de
Sécurité sont imputés au budget du Secrétariat
Général de la Présidence de la République.
Art.8 - Sont abrogés le décret N° 86/1435 du 3
décembre 1986 portant création du Conseil National de
Sécurité et le décret N° 86/1436 du 3 décembre
1986 portant création d'un comité interministériel sur le
renseignement.
Art.9 - Le présent décret sera enregistré,
puis publié au Journal Officiel en français et en anglais.
Yaoundé, le 08 JAN 2009
Le Président de la République, (é)
Paul BIYA
TABLE DES MATIERES
146
DEDICACE i
REMERCIEMENTS ii
ABREVIATIONS, ACRONYMES ET SIGLES iii
LISTE DES CARTES, TABLEAUX ET ANNEXES v
RESUME i
ABSTRACT viii
SOMMAIRE ix
INTRODUCTION GENERALE 1
CHAPITRE PRELIMINAIRE : LE CADRE THEORIQUE 19
Section 1 : L'apport des modèles explicatifs d'ALLISON
20
Paragraphe 1 : L'approche de l'acteur rationnel 20
A. Les caractéristiques du modèle 20
B. Les propositions générales de l'approche 21
Paragraphe 2 : L'approche bureaucratique 22
A. Les particularités de l'approche 22
B. Les suggestions générales du modèle III
23
Section 2 : Le cadre conceptuel de ROSENAU 24
Paragraphe 1 : Les variables non cognitives 25
A. Les variables gouvernementales et de rôle 25
B. Les variables sociétales et systémiques 26
Paragraphe 2 : Les variables cognitives 27
A. La variable idiosyncratique 27
B. La combinaison de la variable idiosyncratique et du code
opérationnel d'Alexander
GEORGE 28
CONCLUSION DU CHAPITRE PRELIMINAIRE 29
PREMIERE PARTIE : L'APPLICATION DU MODELE DE L'ACTEUR RATIONNEL A
LA
PRISE DE DECISION DU CAMEROUN 30 CHAPITRE I : LES DESSEINS DU
CAMEROUN FACE AUX CONVOITISES NIGERIANES
ET LES SOLUTIONS NON JUDICIAIRES ENVISAGEES 32
Section 1 : L'exposé du problème et de l'objectif
du Cameroun 32
Paragraphe 1 : Les convoitises nigérianes sur la
péninsule de Bakassi 32
A. Les potentialités de la péninsule de Bakassi
33
B. L'occupation nigériane de la péninsule et les
tentatives de règlement diplomatique 34
1. La présence nigériane en territoire
camerounais 34
2. Les efforts de règlement diplomatique du conflit
35
Paragraphe 2 : Le respect de l'intégrité
territoriale du Cameroun 37
A. La reconnaissance de la « camerounité » de
Bakassi 37
B. Le retrait des forces armées nigérianes de la
péninsule 38
Section 2 : Les options non judiciaires soumises au Cameroun
39
Paragraphe 1 : La poursuite de la voie diplomatique 39
A. Les mérites du règlement diplomatique 39
B. Les limites de la voie diplomatique 41
Paragraphe 2 : Le règlement militaire 44
A. Une solution envisageable 44
147
148
B. Une option coûteuse et indésirable 45
1. Les coûts de la guerre 45
2. La perception du rapport de force 46
CHAPITRE II : LES ENJEUX DU RECOURS AU REGLEMENT JUDICIAIRE 50
Section 1 : Les risques du recours au règlement judiciaire
50
Paragraphe 1 : L'incertitude sur l'issue et l'exécution du
jugement 50
A. Un choix à l'issue incertaine 51
B. L'absence de certitude sur l'exécution du jugement
52 Paragraphe 2 : Le traumatisme de la première expérience
devant la C.I.J : l'affaire du
Cameroun Septentrional 53
A. L'affaire en question 54
B. L'incidence de l'affaire 56
Section 2 : Les atouts de la voie judiciaire 57
Paragraphe 1 : L'existence de conditions favorables 57
A. La souscription nigériane à la clause
facultative de juridiction obligatoire 58
B. La pertinence des arguments juridiques du Cameroun 58
Paragraphe 2 : L'effectivité et l'autorité des
jugements de la Cour 61
A. L'assurance d'un jugement objectif et définitif 62
B. L'autorité de la Cour 63
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE 65
DEUXIEME PARTIE : L'ANALYSE DU RECOURS AU REGLEMENT JUDICIAIRE
SELON
LES VARIABLES EXPLICATIVES DE ROSENAU 66
CHAPITRE III - L'INFLUENCE DES ACTEURS INSTITUTIONNELS 68
Section 1 : Les variables gouvernementales et de rôle 69
Paragraphe 1 : L'apport des institutions administratives 69
A. Les institutions intéressées 69
1. La position du Ministère des Relations
Extérieures 69
2. L'avis du Ministère de la Défense
70
3. La position du Secrétariat Général
de PRESICAM 71
B. Les concertations entre institutions 72
Paragraphe 2 : La variable de rôle 74
A. Le rôle des fonctionnaires des Ministères
intéressés 74
B. Le rôle des fonctionnaires de SG/PRESICAM 76
Section 2 : La variable idiosyncratique 77
Paragraphe 1 : L'idiosyncrasie du Chef de l'Etat 78
A. L'expérience accumulée 78
1. La formation reçue 78
2. La carrière administrative 79
B. Le code opérationnel du Chef de l'Etat 80
1. Les croyances philosophiques 80
2. Les croyances instrumentales 82 Paragraphe 2 :
L'impact du système de croyances du Chef de l'Etat sur la prise de
décision 85
A. La persévérance dans la voie du pacifisme 85
B. La prudence pragmatique 86
CHAPITRE IV - LE RÔLE DES VARIABLES SOCIOLOGIQUES 88
Section 1 : Les variables sociétales 88
Paragraphe 1 : La culture et l'opinion publique nationales 88
A. L'influence de la culture nationale 88
B. L'inclination de l'opinion publique camerounaise pour le
règlement
pacifique 90
Paragraphe 2 : Le contexte socio-économique et
politique 92
A. La conjoncture socio-économique et politique 92
1. Une situation socio-économique délicate
93
2. Une situation politique fragile 94
B. L'impératif du développement 96
Section 2 : Les variables systémiques 98
Paragraphe 1 : Le caractère particulier de l'adversaire
99
A. Les exigences d'une paix obligée avec le Nigeria
99
1. Les exigences sécuritaires 100
2. Les exigences historico-culturelles 102
3. Les exigences économiques 103
B. Le rôle de la culture politique nigériane
105
Paragraphe 2 : L'influence des acteurs internationaux 107
A. Le rôle des acteurs étatiques 107
1. L'influence française 108
2. La position des autres Etats 110
B. Les recommandations des O.I. 111
1. Le rôle de l'ONU 111
2. Les Organisations Intergouvernementales africaines
intéressées 112
3. La position de l'Union Européenne 112
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE 113
CONCLUSION GENERALE 114
BIBLIOGRAPHIE 118
ANNEXES ..129
TABLE DES MATIERES 146
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