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Le processus décisionnel dans la politique étrangère du cameroun: le cas du recours au règlement judiciaire dans le conflit de Bakassi


par Zoulica RANE MKPOUWOUPIEKO
Institut des Relations Internationales du Cameroun/Université de Yaoundé II - Master en Relations Internationales 2011
  

Disponible en mode multipage

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DEDICACE

i

À
Mes Chers Parents,
MKPOUWOUPIEKO Salifou et NDAYIE MBOMBO Chétou,
pour leur soutien et leur affection.

REMERCIEMENTS

ii

Nous aimerions exprimer notre gratitude aux personnes sans lesquelles ce travail de recherche n'aurait pas été possible.

Nous pensons à nos encadreurs, le Professeur Laurent ZANG et le Dr. NKOBENA Boniface FONTEM dont le soutien, l'attention et le suivi permanents ont constitué pour nous une véritable source d'épanouissement intellectuel.

Nous tenons également à remercier tout le corps enseignant et le personnel administratif de l'Institut des Relations Internationales du Cameroun, dont l'encadrement, les orientations reçues et les conseils ont été précieux durant nos recherches.

Qu'il nous soit permis d'adresser des remerciements particuliers aux personnalités dont les témoignages, expertises et conseils, ont été essentiels à la réalisation de ce travail. Nous pensons spécialement au Professeur Maurice KAMTO, Ministre délégué auprès du Ministre de la Justice, Garde des sceaux, à Maître Douala MOUTOME, Ministre de la Justice et Garde des sceaux à l'époque du recours au règlement judiciaire, au Professeur Joseph OWONA, Secrétaire Général de la Présidence de la République du Cameroun (PRESICAM) à l'époque de la prise de décision, à S.E. M. Hamidou NJIMOLUH KOMIDOR, Ministre Plénipotentiaire, Conseiller diplomatique du Chef de l'Etat à l'époque de la prise de décision, Ambassadeur du Cameroun au Congo et en Angola, au Professeur Joseph Marie BIPOUN WOUM, Membre de la délégation du Cameroun lors de la procédure judiciaire à la Haye, au Dr. Anicet ABANDA ATANGANA, Conseiller Technique à PRESICAM, Membre de la délégation du Cameroun à la Commission mixte Nations Unies/Cameroun/Nigeria, à S.E. M. TANDA Robert, Ministre Plénipotentiaire, Membre de la Délégation du Cameroun à la Commission mixte Nations Unies/Cameroun/Nigeria, Inspecteur Général des Affaires Consulaires au Ministère des Relations Extérieures (MINREX), à M. MAHAMAT ABAKAR, Chef de Service chargé des relations entre le Cameroun et le Nigéria au MINREX.

Nous souhaitons enfin dire merci à nos promotionnaires de la filière Diplomatie, dont l'écoute et les encouragements ont été très utiles.

ABREVIATIONS, ACRONYMES ET SIGLES

iii

A.C.P. : Afrique, Caraïbes et Pacifique.

C.I.J. : Cour Internationale de Justice.

C.B.L.T : Commission du Bassin du Lac Tchad.

CEMAC : Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale.

CNS : Conseil National de Sécurité.

C.P.P. : Cellule de la Prévision et de la Prospective.

F.CFA : Franc de la Coopération Financière Africaine.

F.M.I. : Fonds Monétaire International.

F.P.A. : Foreign Policy Analysis.

I.D.E. : Investissements Directs Etrangers.

IRIC : Institut des Relations Internationales du Cameroun.

M.D.P. : Mouvement pour la Démocratie et le Progrès.

M.D.R. : Mouvement pour la Défense de la République.

MINDEF : Ministère de la Défense.

MINJUSTICE : Ministère de la Justice.

MINPAT : Ministère des Investissements Publics et de l'Aménagement du Territoire.

MINREX : Ministère des Relations Extérieures.

MODELE I : Modèle de l'acteur rationnel.

MODELE III : Modèle Bureaucratique.

NSC : National Security Council.

OCISCA : Observatoire de Collecte d'Information Scientifique du Cameroun.

O.I. : Organisation Internationale.

O.I.G. : Organisation Internationale Gouvernementale.

iv

O.I.N.G. : Organisation Internationale Non Gouvernementale.

ONU : Organisation des Nations Unies.

OPEP : Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole.

O.U.A. : Organisation de l'Unité Africaine.

PPTE : Pays Pauvres Très Endettés.

PAS : Programme d'Ajustement Structurel.

PIB : Produit Intérieur Brut.

PRESICAM : Présidence de la République du Cameroun.

R.D.P.C. : Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais.

S.D.F. : Social Democratic Front.

S.D.N. : Société des Nations.

SG/PRESICAM : Secrétariat Général de la Présidence de la République du Cameroun.

SODECOTON : Société de Développement du Coton.

SONARA : Société Nationale de Raffinerie.

SOPECAM : Société de Presse et d'Editions du Cameroun.

S.C.N.C. : Southern Cameroon National Council.

STABEX : Fonds de stabilisation des recettes d'exportation des produits agricoles.

SYSMIN : Fonds de stabilisation des recettes d'exportation des produits minéraux.

T.A.C. : Teachers Association of Cameroon.

U.D.C. : Union Démocratique du Cameroun.

U.E. : Union Européenne.

U.N. : United Nations.

U.P.C. : Union des Populations du Cameroun.

URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques.

USA : United States of America.

LISTE DES CARTES, TABLEAUX ET

ANNEXES

v

CARTES

1. Localités du Southern Cameroons où se sont déroulés les votes pour le referendum du 11

février 1961. Carte établie par l'ONU 60

2. La frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria ...100

TABLEAUX

1. Classement des méthodes de règlement pacifique des conflits territoriaux les plus utilisés par

les Etats 40

2. Effectifs et Armement des armées nigérianes et camerounaises en

1994 . 48

ANNEXES

1. Carte représentant le Cameroun et le Nigeria ..130

2. Carte agrandi de la Frontière Terrestre entre le Cameroun et le Nigeria .131

3. Situation de la péninsule de Bakassi au Cameroun 132

4. Carte de la Péninsule de Bakassi 133

5. Carte des frontières du Cameroun sous administration franco-britannique .134

6. Carte d'ethnies présentes de part et d'autre de la frontière méridionale entre le Cameroun et

le Nigeria .135

7. Communiqué de presse de PRESICAM du 19 février 1994, relatif aux accrochages

militaires entre le Cameroun et le Nigeria dans la presqu'île de Bakassi ...136

8. Activités pétrolières du Cameroun (en tonne) entre 1987 et 1995 137

9. Extrait de presse relatif au dépôt de la requête introductive d'instance du Cameroun auprès

de la C.I.J .138

10. Résultats de l'enquête d'opinion réalisée par Cameroon Tribune sur l'affaire

Bakassi .139

11. Tableau sur les articles de presse positifs publiés par The Herald et The Post sur le conflit de

Bakassi .140

12.

vi

Tableau sur les articles de presse négatifs publiés par The Herald et The Post sur le conflit

de Bakassi 141

13. Tableau reliant chaque variable explicative de James ROSENAU au type de société où elle

est la plus déterminante 142

14. Protocole d'entretien 143

15. Décret N°2009/004 du 8 janvier 2009 portant création et organisation d'un Conseil National

de Sécurité 144

RESUME

vii

S'inscrivant dans le cadre de la Foreign Policy Analysis, la présente étude s'intéresse particulièrement au choix porté par le Cameroun sur le règlement judiciaire du conflit de Bakassi. Aussi, s'articule-t-elle autour de l'hypothèse selon laquelle la décision du Cameroun de recourir à la C.I.J. s'explique aussi bien par la recherche de l'optimisation de l'intérêt national escompté, à savoir le respect par le Nigeria de son intégrité territoriale sans recours à la guerre (modèle de l'acteur rationnel de Graham ALLISON), que par la combinaison de cinq variables indépendantes inspirées de James ROSENAU, à savoir les variables idiosyncratiques, gouvernementales, systémiques, de rôle, et sociétales.

En effet, l'analyse du problème posé, de l'objectif poursuivi, et des différentes options soumises au Cameroun, permet de se rendre compte, dans la première partie de l'étude, que ce choix était le plus à même de garantir l'atteinte de l'objectif de Yaoundé. Dans la seconde partie, le cadre conceptuel de ROSENAU susmentionné permet de ressortir l'influence, sur la décision étudiée, des variables gouvernementales (les institutions administratives), de rôle (les fonctionnaires impliqués dans la prise de décision), idiosyncratiques (les qualités propres au Chef de l'Etat en exercice), sociétales (le rôle de la société civile, des médias, des leaders d'opinion, de la culture de paix et de la fragilité du contexte socio-économique et politique), et systémiques (le caractère particulier de l'adversaire et la faveur des acteurs internationaux pour le règlement pacifique). Un essai d'évaluation du poids de l'ensemble de ces facteurs permet d'affirmer la prépondérance des variables idiosyncratiques, suivies des variables systémiques et gouvernementales, dans l'explication du recours au règlement judiciaire. L'applicabilité de ces modèles à l'analyse de cette prise de décision s'avère également pertinente pour les autres pays africains, voire pour d'autres pays en développement. La principale difficulté dans cette optique réside au niveau de l'accès aux informations fiables ; car les décisions sont prises dans ce que David EASTON appel la « boîte noire » ; c'est-à-dire avec une haute confidentialité.

Mots clés : Décision, C.I.J., conflit de Bakassi, politique étrangère, processus décisionnel, règlement judiciaire.

ABSTRACT

viii

This study which falls within the framework of Foreign Policy Analysis lays focus on the choice Cameroon made in favor of a judicial settlement of the Bakassi conflict. It is constructed on the hypothesis that Cameroon's decision to seize the ICJ can be seen as an attempt at optimizing a defined national interest-Nigeria's respect for its territorial integrity without resorting to war (Graham ALLISON's rational actor model), or simply as a result of a combination of five independent variables defined by James ROSENAU which include idiosyncratic, governmental, systemic, role playing and societal factors.

In effect, the analysis of the problem posed, the stated objective and the various options open to Cameroon permits us to find in the first part of this study that this choice was that which offered the best success guarantee to Yaoundé in the pursuit of her objective. In the second part of this study, ROSENAU's conceptual framework mentioned supra helps us to bring in the influence of governmental variables (administrative institutions), role playing (civil servants or bureaucrats involved in the decision process), idiosyncrasies (the character of the presiding head of state), societal factors (the role of the civil society, media, opinion leaders, the culture of peace and the fragile socioeconomic and political context), and systemic variables (the specific nature of the opponent and the international actors' wish for a peaceful settlement). An attempted comparative evaluation of the weight of each of these arguments in explaining the decision to opt for judicial settlement lead us to confirm the dominance of idiosyncratic variables followed by systemic and governmental factors. The applicability of these models in the analysis of this decision is also pertinent for other African countries and developing countries in general. The greatest difficulty in such a task lies in having access to credible information because decisions are made within what David EASTON refers to as the «black box »; that is, veiled with the seal of high confidentiality.

Key words: Decision, ICJ, Bakassi conflict, foreign policy, decision making process, judicial settlement.

SOMMAIRE

ix

DEDICACE i

REMERCIEMENTS ii

ABREVIATIONS, ACRONYMES ET SIGLES iii

LISTE DES CARTES, TABLEAUX ET ANNEXES v

RESUME i

ABSTRACT viii

SOMMAIRE ix

INTRODUCTION GENERALE 1

CHAPITRE PRELIMINAIRE : LE CADRE THEORIQUE 19

Section 1 : L'apport des modèles explicatifs d'ALLISON 20

Section 2 : Le cadre conceptuel de ROSENAU 24

CONCLUSION DU CHAPITRE PRELIMINAIRE 29

PREMIERE PARTIE : L'APPLICATION DU MODELE DE L'ACTEUR RATIONNEL A LA

PRISE DE DECISION DU CAMEROUN 30

CHAPITRE I : LES DESSEINS DU CAMEROUN FACE AUX CONVOITISES NIGERIANES

ET LES SOLUTIONS NON JUDICIAIRES ENVISAGEES 32

Section 1 : L'exposé du problème et de l'objectif du Cameroun 32

Section 2 : Les options non judiciaires soumises au Cameroun 39

CHAPITRE II : LES ENJEUX DU RECOURS AU REGLEMENT JUDICIAIRE 50

Section 1 : Les risques du recours au règlement judiciaire 50

Section 2 : Les atouts de la voie judiciaire 57

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE 65

DEUXIEME PARTIE : L'ANALYSE DU RECOURS AU REGLEMENT JUDICIAIRE SELON

LES VARIABLES EXPLICATIVES DE ROSENAU 66

CHAPITRE III - L'INFLUENCE DES ACTEURS INSTITUTIONNELS 68

Section 1 : Les variables gouvernementales et de rôle 69

Section 2 : La variable idiosyncratique 77

CHAPITRE IV - LE RÔLE DES VARIABLES SOCIOLOGIQUES 88

Section 1 : Les variables sociétales 88

Section 2 : Les variables systémiques 98

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE 113

CONCLUSION GENERALE 114

BIBLIOGRAPHIE 118

ANNEXES ..129

TABLE DES MATIERES 146

INTRODUCTION GENERALE

1

2

I. LE CONTEXTE ET L'OBJET DE L'ETUDE

L'un des problèmes qui affectent les recherches consacrées à l'étude de la politique étrangère, des pays en développement en général et africains en particulier, est celui de la rareté des oeuvres réalisées sur la prise de décision en période de crise ou de conflit. Nonobstant l'importance de l'analyse de la prise de décision dans la compréhension et l'explication de la politique étrangère d'un Etat, il est à relever que les chercheurs ne se sont pas suffisamment intéressés aux décisions prises par ces pays. La majorité des travaux disponibles en la matière est focalisée sur les pays en développement. A cet égard, les Etats-Unis d'Amérique émergent comme le pays où les études dans ce domaine sont le plus développées. C'est dans ce contexte qu'est née l'idée, en vue de combler ce déficit, de procéder à travers la présente étude à l'analyse d'une décision spécifique prise par un pays africain en période de conflit.

Pour ce faire, le Cameroun, pays d'Afrique subsaharienne, a été privilégié. Le conflit choisi est celui relatif à la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria, et la décision étudiée est le choix porté par Yaoundé sur le règlement judiciaire du conflit frontalier en question.

En effet, face à l'occupation nigériane de la péninsule de Bakassi, et aux résultats peu satisfaisants des procédés diplomatiques de règlement engagés depuis janvier 1994, trois options s'offraient au Cameroun : la poursuite des voies de règlement diplomatique, le recours au règlement militaire, et l'option pour une solution judiciaire. Le 29 mars 1994, après avoir favorisé pendant des années la voie diplomatico-politique dans le règlement des incidents frontaliers avec son voisin occidental le Nigeria, le Cameroun décide de porter le conflit qui les oppose, à propos de la presqu'île de Bakassi, devant l'organe judiciaire principal des Nations Unies ; d'où l'intérêt de cette étude, qui a pour objet l'analyse des variables explicatives de la décision des autorités camerounaises de recourir à la C.I.J. pour le règlement du conflit de Bakassi.

Afin de mieux cerner l'objet de l'étude, il convient de procéder à une clarification de ses concepts de base.

II. LES CONCEPTS DE BASE

« Si vous voulez converser avec moi, disait Voltaire, définissez vos termes »1. Il en va de même en analyse politique. Afin de s'entendre sur le sens des mots à employer, et éviter ainsi toute

1 Cité par Ferry DE KERCKHOVE, « La nature de l'analyse décisionnelle et sa place dans la théorie des relations internationales » in Etudes internationales, vol.3, n°4, 1972, p. 504.

3

confusion, les concepts suivants nécessitent des précisions : politique étrangère (1), décision de politique étrangère (2), règlement judiciaire (3) et conflit (4).

1. La politique étrangère

La présente étude s'inscrit dans le cadre général de la politique étrangère du Cameroun. Le recours au règlement judiciaire est compris ici comme une décision de politique étrangère.

Une politique est un ensemble d'actions, de décisions, de stratégies et de moyens pensés, élaborés et mis en oeuvre en vue d'atteindre des objectifs particuliers. Dans le cadre de cette étude, il convient de relever avec Janice STEIN que la confusion qui entoure la définition de la politique étrangère est plus apparente que réelle2. Un consensus se dégage autour du problème central de recherche. La politique étrangère renvoyant ainsi aux « efforts autoritaires d'une société nationale pour contrôler son environnement externe par la préservation de situations favorables à l'étranger et par la modification de situations défavorables»3. Cette définition de James ROSENAU demeure actuelle. Frédéric CHARILLON affirme à ce propos que la politique étrangère « reste bien l'instrument par lequel l'Etat tente de façonner son environnement politique international »4.

La politique étrangère du Cameroun apparaît dès lors, comme l'instrument privilégié par lequel il essaie de s'insérer dans le jeu international, cherche à y maintenir ou à y accroître sa capacité d'influence, afin d'en tirer avantage.

Une approche dualiste du politique a pendant longtemps considéré les relations internationales comme étant fondamentalement et irréductiblement différentes des processus sociaux, politiques et économiques qui se déroulent à l'intérieur des Etats5. Les auteurs réalistes, tenants de cette approche, soutiennent que la politique étrangère est par nature différente de la politique intérieure6. Raymond ARON souligne à cet effet que : « tant que l'humanité n'aura pas accompli son unification dans un Etat universel, il subsistera une différence essentielle entre politique intérieure et politique étrangère »7. Pour Marcel MERLE, « la politique étrangère est [...]

2 Janice STEIN, « L'analyse de la politique étrangère : à la recherche de groupes de variables dépendantes et indépendantes », Etudes internationales, vol.2, n°3, 1971, p. 373.

3 James ROSENAU, « Moral Fervor, Systematic Analysis and Scientific Consciousness », in Austin RANNEY, Political Science and Public Policy, Chicago, Illinois, Markham Publishing Co., 1968, pp. 197-236, cité par Idem.

4 Frédéric CHARILLON (dir.), Politique étrangère : Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 13.

5 Hamadou MGBALE MGBATOU, Le Conflit Frontalier Cameroun-Nigeria: explications socio-politiques, enjeux, et déterminants d'une crise bilatérale, Mémoire de DESS, Yaoundé, IRIC, 1999, p. 2.

6 Hedley BULL, « Society and Anarchy in International Relations », in Herbert BUTTERFIELD, Martin WIGHT (eds), Diplomatic Investigations, Londres, Allen and Unwin, 1966, cité par Stefano GUZZINI et Sten RYNNING, « Réalisme et analyse de la politique étrangère », in Frédéric CHARILLON (dir.), op. cit., p. 35.

7 Raymond ARON, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962, p. 19.

4

la partie de l'activité étatique qui est tournée vers le dehors» 8. Toutefois, cette approche n'est pas unanimement admise dans la discipline. Déjà dans les années soixante, ses premières critiques sont venues des auteurs comme ROSENAU. Ce dernier, à travers sa théorie du linkage9, a mis en évidence les liens étroits et à double sens qui peuvent exister entre la sphère de la politique intérieure et celle de la politique étrangère10. Graham ALLISON fait aussi partie des premiers auteurs qui ont proposé d'étudier la politique étrangère en tant que processus décisionnel (decision-making process)11. Avant lui, Richard SNYDER, Henry BRUCK et Burton SAPIN incitaient déjà les chercheurs à regarder à l'intérieur de l'Etat pour comprendre la politique étrangère12. Bahgat KORANY affirme à cet effet que : « si la politique étrangère est l'initiative tournée vers le "dehors", on sait aussi que des initiatives tournées vers l'intérieur pourraient également faire partie de la politique étrangère »13.

Cette vision moniste a le mérite de concevoir la politique étrangère comme un simple prolongement externe de la politique intérieure d'un gouvernement, la projection de ses intérêts au-delà des frontières de l'Etat. Elle rentre dans le cadre de la Foreign Policy Analysis et correspond à cet effet à la méthode de l'analyse décisionnelle qui sera utilisée dans le cadre de cette étude. En se basant sur cette méthode (explicitée plus loin), la présente étude prend en considération le rapport inextricable entre politique intérieure et politique étrangère.

2. La décision de politique étrangère

Le choix porté par le Cameroun sur la C.I.J. pour le règlement du conflit de Bakassi est analysé dans cette étude comme une décision de politique étrangère. La décision de politique étrangère ne peut être définie de façon indépendante du processus qui y conduit (a). De même, pour une meilleure compréhension dudit concept, il convient de le distinguer de la notion de « politique », afin d'éviter des confusions éventuelles (b).

8 Marcel MERLE, La politique étrangère, Paris, PUF, 1984, p. 7.

9 La théorie du « linkage » a été pensée et développée par James ROSENAU dans son ouvrage, Linkage Politics : Essays on the convergence of National and International Systems, New York, The Free Press, 1969.

10 par Hamadou MGBATOU MGBALE, La politique camerounaise de résolution pacifique de la crise de Bakassi. Une approche réaliste et transnationale, Thèse de Doctorat, Yaoundé, IRIC, 2001, p.51

11 Stefano GUZZINI et Sten RYNNING, 2002, op. cit., p. 36.

12 Lire à ce propos, Richard SNYDER, Henry BRUCK, and Burton SAPIN, Foreign policy decision-making: An approach to the study of international Politics, editions Free Press of Glencoe, United States, 1962, cité par SMITH, HADFIELD et DUNNE, «The Development of Foreign Policy Analysis», Oxford University Press, 2011, [En ligne], http://www.oup.com/uk/orc/bin/9780199215294/, consulté le 16 mars 2011.

13 Bahgat KORANY, Analyse des Relations internationales-Approches, concepts et données, Québec, Gaëtan Morin, 1987, p. 27, cité par Alain Titus BILOA TANG, Le Ministère des Relations Extérieures dans la politique étrangère du Cameroun : une analyse à la lumière des politiques publiques, Mémoire DESS, Yaoundé, IRIC, 2000, p.5.

a)

5

Le processus décisionnel

« Processus » est un mot latin signifiant « progression »14. Un processus peut être entendu comme un enchaînement d'actions plus ou moins planifiées aboutissant à un résultat donné. Il ne doit pas être confondu avec procédure. Les deux termes ont en commun l'idée de déroulement par étapes. Mais, alors que le processus apparaît comme descriptif et naturel (même s'il suit une loi), la procédure a quelque chose d'impératif, de normatif, et ne s'emploie pas à propos des phénomènes naturels15. Dans le cas du processus décisionnel, le résultat en question est une décision. L'étude du processus décisionnel renvoie donc à l'étude du cheminement qui aboutit à la prise d'une décision. En revanche, le processus de la décision n'est pas un processus linéaire qui conduit les décideurs sur le chemin qui va de la sélection des objectifs à leur conclusion. Les objectifs peuvent changer au cours du processus en raison de la plasticité et de l'élasticité de la décision ; influence du lobbying, du contexte national et international. D'après Eugene BARDACH, cette nature élastique s'explique par la construction mentale propre au décideur16, c'est-à-dire par la manière dont ce dernier perçoit et définit la situation.

b) La distinction entre politique et décision de politique étrangère

La prise de décision concerne tout organisme vivant. C'est un choix opéré par un acteur individuel ou collectif pour résoudre un problème qui se pose à lui, ou pour exprimer une opinion sur une réalité ou un phénomène. Ce processus est activé lorsque nous ressentons le besoin d'agir sans savoir comment diriger notre action. Préférer s'en remettre au hasard (tirer à pile ou face) est aussi le résultat d'une prise de décision. Une décision peut avoir diverses natures. Selon David EASTON, une décision politique représente le produit fini (output) du système politique ; ce produit serait la résultante d'éléments (inputs) dont la répartition est établie d'autorité17. Pour Richard SNYDER, Henry BRUCK et Burton SAPIN : « la prise de décision est un processus se traduisant par la sélection parmi un nombre limité de projets alternatifs problématiques et

14 HONGRE Bruno, Le dictionnaire portatif du bachelier, Paris, Hatier, 2002, p. 506.

15 Ibid., p. 506.

16 Eugene BARDACH, «A Pratical Guide for Policy Analysis, Chatham House Publishers, New York, 2000, p. 7, cité par Maricarmen GONZALEZ CISNERO, La politique Latino-américaine de l'Union européenne: processus et contenu, 1996-2006, Doctorat, Université Toulouse I Capitole, 2010, p.59. A ce propos, Richard SNYDER, Henry BRUCK, et Burton SAPIN, relèvent que l'intérêt, ou l'objectif de la nation est définit de façon subjective comme étant tout simplement « ce que le décideur décide qu'il est ». (Voir Richard SNYDER, Henry BRUCK, et Burton SAPIN, p. 5, cité par Maricarmen GONZALEZ CISNERO, La politique Latino-américaine de l'Union européenne: processus et contenu, 1996-2006, Doctorat, Université Toulouse I Capitole, 2010, p. 60). En d'autres termes, le décideur fixe les objectifs de la nation en fonction de sa perception de la situation, et peut le modifier ultérieurement. D'où l'élasticité.

17 David EASTON, A Framework for Political Analysis, New York, Wiley & Sons, 1965, cité par Ferry DE KERCKHOVE, op cit, p. 498.

6

socialement définis d'un projet destiné à générer les futures circonstances envisagées par les décideurs » 18.

Janice STEIN établit une distinction intéressante entre une décision et une politique. Alors qu'une décision se présente comme un acte ou un comportement unique et spécifique, une politique renvoie à un ensemble de décisions qui révèle une ligne de comportement19. La politique20 « désigne le processus par lequel sont élaborés et mis en place des programmes d'action publique » 21. Elle renvoie « à la définition et à la mise en oeuvre de moyens pour réaliser certains objectifs déterminés dans des domaines précis22 ». Décision et politique sont toutes deux des manifestations de politique étrangère, mais la première se réfère à un comportement particulier alors que la seconde représente une tendance ou une structure plus générale de comportement23.

3. Le règlement judiciaire

Le règlement judiciaire fait partie de la grande famille des procédés pacifiques de règlement des conflits internationaux. La résolution des conflits par des moyens pacifiques a un caractère impératif en droit international24. Elle est affirmée aussi bien par l'article 2, § 3 et le Chapitre VI de la Charte des Nations Unies, que par la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats votée par l'Assemblée Générale des Nations Unies, le 24 Octobre 1970. D'après ce dernier texte : « Tous les Etats doivent régler leurs différends internationaux avec d'autres Etats par des moyens pacifiques... »25.

Le règlement pacifique renvoie à la résolution des conflits internationaux par des procédés exclusifs de tout recours à la force26. Il peut être juridique, dans ce cas, il sera arbitral ou judiciaire, mais il peut également être politique. « Les procédés juridiques et les procédés politiques se différencient les uns des autres par le degré de force de leurs résultats. Les procédés politiques sont entièrement compatibles avec la souveraineté des Etats... Les procédés juridiques limitent au

18 Traduction de l'anglais : «Decision-making is a process which results in the selection from a socially defined, limited number of problematical, alternative projects of one project intended to bring about the particular future state of affairs envisaged by decision makers», in Richard SNYDER, W.H. BRUCK et Burton SAPIN, Foreign policy decision-making: An approach to the study of international Politics, editions Free Press of Glencoe, United States, 1962, p.90. cité par Maricarmen GONZALEZ CISNERO, 2010, op. cit., p.59.

19 Janice STEIN, op cit, p. 373.

20 Le terme politique n'est perçu ici, ni au sens de « la sphère politique », ni au sens de « l'activité politique ». Voir Yves MENY, Jean-Claude THOENIG, Politiques Publiques, Paris, PUF, 1989, p.13, pour de plus amples explications.

21 Pierre MULLER, Yves SUREL, L'analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1998, p.13.

22 Hilaire De Prince POKAM, Les concepts fondamentaux en science politique, Editions de l'Espoir, 2002, p. 64.

23 Janice STEIN, op cit, p. 373.

24 NGUYEN QUOC DINH, Droit international public, Paris, LGDJ, 1975, p. 651.

25 Idem.

26 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 14ème édition, 2003, p. 496.

7

contraire la souveraineté des Etats. Ils conduisent à des solutions basées sur le droit et, en tant que telles, obligatoires pour les parties »27.

Le règlement judiciaire renvoie dans cette étude au recours à la C.I.J. en vue d'une solution pacifique au conflit de Bakassi. La C.I.J. est l'organe judiciaire principal de l'ONU. Elle a été instituée par la Charte des Nations Unies pour atteindre l'un des buts premiers de l'ONU, c'est-à-dire, « réaliser par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations de caractère international susceptibles de mener à une rupture de la paix 28». Son fonctionnement est régi par un Statut qui fait partie de la Charte et par un Règlement qu'elle a adopté. Elle a une double mission : elle règle, conformément au droit international, les différends d'ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats, et elle donne des avis consultatifs sur les questions juridiques que lui posent les organes et les institutions spécialisées de l'ONU dûment autorisées à le faire. Dans le cadre du conflit qui l'a opposé au Nigeria, le Cameroun a requis devant la C.I.J. une procédure contentieuse.

4. Le conflit

L'opposition entre le Cameroun et le Nigeria à propos de la péninsule de Bakassi est tantôt qualifiée de « crise », tantôt de « différend », tantôt de « conflit », mais jamais de guerre. Il convient de prime abord d'apporter des éclaircissements sur ces concepts.

La Guerre, au sens du Droit international, est « un procédé de contrainte avec emploi de la force qui comprend obligatoirement deux aspects : un aspect militaire et un aspect interétatique »29. L'aspect militaire renvoie à une lutte armée et à l'intention de guerre30. Toutefois, avec l'évolution de la réalité des luttes armées, le concept « conflit armé », perçu comme plus neutre, est de plus en plus privilégié au terme originel de « guerre ».

Dans une perspective de sociologie des conflits, les conflits renvoient selon Lewis COSER à : «des affrontements entre acteurs collectifs sur des valeurs, des statuts, des pouvoirs ou des ressources rares et dans lesquels l'objectif de chaque protagoniste est de neutraliser, d'affaiblir ou d'éliminer les rivaux »31. Lorsque l'antagonisme ou l'hostilité conflictuelle emprunte les voies et les modalités violentes et armées d'expression, l'on se trouve dans une situation de conflit armé. En Droit international humanitaire, le conflit armé international renvoie selon les Conventions de

27NGUYEN QUOC DINH, 1975, op cit, p. 652.

28 Département de l'information des Nations Unies, La Cour internationale de justice, Questions et réponses sur l'organe judiciaire principal des Nations Unies, New York, Nations Unies, 10ème éd., 2000, p.2.

29 NGUYEN QUOC DINH, 1975, op cit, p. 731.

30 Pour qu'il y'ait guerre, il faut encore que les Etats intéressés qualifient comme telle leur lutte armée.

31 Lewis COSER, Les Fonctions du conflit social, Paris, PUF, 1982, p.132.

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Genève de 1949 et le Protocole additionnel n° 1 de 1977 entre autres, à des échanges armés entre deux ou plusieurs Etats, mais aussi à tous les cas d'occupation de tout ou partie du territoire d'un Etat, même si cette occupation ne rencontre aucune résistance militaire32.

La crise quant à elle, est généralement associée à une situation qui menace les objectifs visés par un groupe, un Etat ou une ethnie, où le temps presse, où il existe un danger d'escalade, enfin, où se retrouve un fort élément de surprise politique, diplomatique, ou militaire33 .

Le terme « différend » a une connotation beaucoup plus juridique et renvoie selon la C.I.J., à « un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d'intérêts »34.

Dans le cadre de cette étude, le concept plus général de conflit a été privilégié en raison de l'hostilité et de l'antagonisme ponctués d'affrontements armés, qui a opposé le Cameroun au Nigeria, du 21 Décembre 1993 au 14 Août 2008 à propos principalement de la péninsule de Bakassi ; d'où l'expression « conflit de Bakassi ».

L'analyse du processus de prise de décision du Cameroun, nécessite une circonscription temporelle et spatiale de la présente étude.

III. LA DELIMITATION DU SUJET

En vue d'une analyse cohérente des principales variables explicatives de la décision du Cameroun de recourir au règlement judiciaire, il est nécessaire de procéder in limine litis à une délimitation de l'étude dans l'espace et dans le temps.

Géographiquement, les variables dont il est question n'ont pas de limites spatiales précises. Entrent en compte, bien entendu à côté de la péninsule de Bakassi et des deux principaux pays concernés que sont le Cameroun et le Nigeria, toutes zones géographiques ayant contribué de près ou de loin à la décision des autorités de Yaoundé.

32 Il existe plusieurs situations couvrant la notion de conflit armé internationaux selon les Conventions de Genève de 1949 et le Protocole additionnel n° 1 de 1977 : la première situation est celle de l'état de belligérance ; la deuxième concerne les conflits d'occupation ; la troisième situation de conflit armé international concerne les luttes d'autodétermination interne ou conflit opposant un peuple à un régime raciste. On vise ici non seulement ceux qui sont à l'intérieur, mais aussi ceux qui peuvent les aider. Il y a enfin les conflits mettant en jeu des forces qui luttent pour le maintien de la paix.

33 Charles Philippe DAVID, La guerre et la paix, approches contemporaines de la sécurité et de la stratégie, Paris, Presse de science politique, 2000, p.134.

34 Définition donnée par la C.I.J. dans le cadre de l'affaire Bakassi, pour répondre à la cinquième exception préliminaire du Nigeria relative à la non existence de différend concernant la délimitation de la frontière avec le Cameroun. Voir Guy Roger EBA'A, Affaire Bakassi. Genèse, évolution et dénouement de l'affaire de la frontière terrestre et maritime Cameroun-Nigeria (1993-2002), Yaoundé, Presses de l'UCAC, 2008, p. 26. Voir également CPJI, affaire des concessions Mavromatis en Palestine, arrêt du 30 août 1924, Série A, n° 2, p. 11.

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Du point de vue temporel, cette étude s'intéresse uniquement à la requête introductive d'instance déposée par la République du Cameroun le 29 mars 1994 auprès de la C.I.J., afin de lui demander la reconnaissance de la souveraineté camerounaise sur la presqu'île de Bakassi35. Elle exclut ainsi la requête additionnelle du 6 Juin 1994, qui procède à un élargissement de l'objet du différend. La borne inférieure principale de l'analyse est l'année 1993, plus précisément le 21 décembre, date de l'invasion de la péninsule de Bakassi par l'armée nigériane. Toutefois, dans le cadre des recherches, les faits antérieurs à cette date permettant de comprendre la dynamique du processus décisionnel ont été pris en compte. Le 29 mars 1994, date à laquelle le Cameroun saisit la C.I.J. d'une requête introductive d'instance, a été retenue comme borne supérieure.

L'analyse du processus par lequel le Cameroun a privilégié le règlement judiciaire du conflit de Bakassi revêt un intérêt particulier.

IV. L'INTERET DE L'ETUDE

L'intérêt de la présente étude s'analyse sur un triple plan : sur le plan diplomatique et politique, sur le plan scientifique et sur le plan personnel et pratique.

La paix est un idéal, une valeur, un état, un objectif et une construction permanente36. En ce sens, ce sujet revêt un intérêt diplomatique et politique indéniable ; car, il permet :

- de ressortir le processus par lequel le Cameroun par son option pour le règlement judiciaire, a favorisé la préservation de la paix et des relations avec son voisin le Nigeria ;

- de se rendre compte de la complexité des relations entre le Cameroun et son « grand voisin » occidental.

- Enfin, ce sujet est intéressant sur le plan diplomatique et politique car, la connaissance des raisons bureaucratiques qui ont conduit à une décision donnée aide les Etats à reconsidérer les problèmes, par une meilleure gestion des crises et un meilleur décryptage de certaines décisions des Etats rivaux.

Sur le plan scientifique, l'intérêt de la présente étude s'apprécie à deux niveaux :

- d'une part, elle permet de vérifier l'applicabilité de modèles explicatifs de la décision de politique étrangère, généralement élaborés dans un contexte occidental, sur une décision prise par un pays africain en développement. A cet effet, il est à rappeler que l'analyse des variables explicatives de la décision camerounaise relève d'un constat ; celui, selon les termes de KORANY,

35 Le Cameroun a en effet saisit la C.I.J. de deux requêtes successives, réunies ensuite en une seule affaire, à la suite de la revendication formelle par le Nigeria d'une partie de la région camerounaise du Lac Tchad. La requête additionnelle (6 juin 1994) a permis d'élargir l'objet du différend sur toute la frontière.

36 Jacques LE DAUPHIN, « Le concept de paix », Intervention lors du colloque sur « l'éducation à la paix » à l'I.U.F.M. de Dijon les 20 et 21 mars 2002, [En ligne], www.institutidrp.org, consulté le 3 mars 2010.

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du « sous-developpement de l'étude des pays sous-developpés »37. En effet, d'après lui, « les analystes de la politique étrangère continuent à élaborer des modèles (censément universels) pour expliquer aussi bien la politique étrangère du Ghana, que celle de la Suède, de l'Indonésie ou de la République fédérale d'Allemagne, partant de l'hypothèse implicite que les différents acteurs en cause sont interchangeables »38.

- d'autre part, cette recherche est scientifiquement intéressante car elle se préoccupe de l'étude d'une décision prise en situation de crise. En effet, l'analyse des processus de décision gouvernementale, centrée sur l'étude des crises, constitue un domaine privilégié de l'étude des Relations Internationales, car « elle met en lumière le comportement des dirigeants politiques dans cette zone imprécise entre la politique et la stratégie, entre la diplomatie et la guerre »39. Dans ce domaine également, les études ayant pour objet des pays en développement sont quasi-inexistantes.

Sur le plan pratique et personnel, cette étude permet au futur diplomate de s'imprégner de la politique étrangère du pays qu'il s'engage à servir, à travers la maîtrise de ses rouages essentiels, de ses fondements et objectifs, mais aussi de ses déterminants et contraintes. Elle permet aussi de comprendre la logique qui guide le Cameroun dans la formulation de sa politique étrangère.

Après avoir présenté l'intérêt qu'il existe à étudier la décision camerounaise, il convient de ressortir les objectifs poursuivis par la présente analyse.

V. L'OBJECTIF DE L'ETUDE

La présente étude a pour objectif de ressortir de la manière la plus exhaustive possible les principaux facteurs qui ont influencés la décision du Cameroun de privilégier à d'autres voies, le règlement judiciaire du conflit frontalier qui l'a opposé au Nigeria, à propos de la péninsule de Bakassi. Toutefois, il convient de prendre en compte dans cette entreprise le caractère essentiellement opaque du processus décisionnel en matière de politique étrangère40. En effet, dans ce domaine, le seul qui « pourrait » fournir une explication optimale est celui qui a pris la décision étudiée, en l'occurrence le Président Paul BIYA. John F. KENNEDY affirme à ce propos que: «the essence of ultimate decision remains impenetrable to the observer - often, indeed, to the decider

37 Bahgat KORANY, « Les modèles de la politique étrangère et leur pertinence empirique pour les acteurs du Tiers monde : critique et contre-proposition » in Revue internationale des Sciences sociales, vol. XXVI, 1974, pp. 76-103, tiré de Philippe BRAILLARD, Théories des Relations internationales, 1ère édition, Paris, PUF, Coll. Thémis, 1977, p.152.

38 Idem.

39 Pierre de SENARCLENS et Yohan ARIFFIN, La politique internationale. Théories et enjeux contemporains, Paris, Armand Colin, 5ème éd., 2006, p.56.

40 Lire à ce propos Frédéric CHARILLON (dir.), 2002, op cit, p. 13.

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himself...There will always be the dark and tangled stretches in the decision-making process - mysterious even to those who mays be most intimately involved»41.

Cette étude a également pour objectif de vérifier l'applicabilité de modèles explicatifs de la décision de politique étrangère, généralement élaborés dans des pays développés et en particulier anglo-saxons, sur une décision prise par un pays en développement (en particulier africain).

Afin de mettre en exergue la spécificité de cette recherche, une revue de la littérature s'impose.

VI. LA REVUE DE LA LITTERATURE

Consciente que l'étude de la politique étrangère du Cameroun ne constitue pas une terra incognita doctrinale, la présente recherche ne prétend pas faire fi de ce qui a été fait en la matière. Toutefois, il est important de mentionner que les travaux scientifiques consacrés à l'analyse d'une décision spécifique de politique étrangère prise par le Cameroun, sont rares.

L'ouvrage de Narcisse MOUELLE KOMBI, intitulé La Politique étrangère du Cameroun42, traite de façon générique de la politique étrangère dudit pays à travers ses acteurs institutionnels, ses contraintes, ses objectifs, ses principes fondamentaux, et son réseau relationnel dans le monde. En ce qui concerne le conflit de Bakassi, l'auteur soulève quatre éléments importants pour cette recherche : l'attachement du Cameroun au règlement pacifique des différends ; l'incidence de l'affaire du Cameroun septentrional sur les relations entre le Cameroun et la C.I.J. ; le recours à la C.I.J. après avoir essayé de trouver une solution diplomatique au conflit ; et la pertinence des motifs présentés par le Cameroun dans sa requête introduite le 29 mars 1994 devant la C.I.J. Toutefois, il ne s'intéresse ni aux raisons à l'origine du choix porté par le Cameroun sur le règlement judiciaire, ni au processus décisionnel dans la politique étrangère dudit pays.

Contrairement aux pays africains comme le Cameroun, la prise de décision a donné lieu à une littérature foisonnante aux Etats-Unis. Parmi les travaux publiés en la matière, certains ont particulièrement marqué la discipline. L'ouvrage de Graham T. ALLISON, Essence of Decision : Explaining the Cuban Missile Crisis43 qui traite de la crise des missiles de Cuba, d'octobre 1962,

41 John F. KENNEDY, «Preface» to Theodore SORENSON, Decision-Making in the White House: The Olive Branch and the Arrows, New York, 1963, cite par, Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., Preface, p. vi. Traduction de l'auteur de la présente étude : « L'essence de l'ultime décision demeure impénétrable à l'observateur - souvent, vraiment, au décideur lui-même...Il y aura toujours de l'obscurité et un enchevêtrement étendue dans le processus de prise de décision - mystérieux, même pour ceux qui sont censés être intimement impliqués dans le processus ».

42 Narcisse MOUELLE KOMBI, La Politique étrangère du Cameroun, Paris, l'Harmattan, 1996.

43Graham T. ALLISON Essence of Decision: Explaining the Cuban Missile Crisis, Boston, Little Brown, 1971.

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entre l'Union Soviétique et les Etats-Unis dans un contexte de Guerre Froide, est un de ceux là44. Dans cet ouvrage, il souligne l'importance du comportement des acteurs dans la conduite de la politique étrangère. Il est le premier auteur à avoir tenté d'élaborer des modèles théoriques pour l'analyse de décisions de politique étrangère ; d'où l'importance de son ouvrage pour qui souhaite étudier la prise de décision en politique étrangère. Tout en élaborant « un modèle rationnel » de la prise de décision, il met en exergue le rôle joué par les appareils bureaucratiques dans le processus décisionnel ; ceci à travers deux cadres de référence qu'il propose : le « modèle organisationnel » et le « modèle bureaucratique ».

Certes, l'ouvrage d'ALLISON est un profond travail d'analyse, mais son contexte est différent de celui de la présente étude. La crise des missiles de Cuba a lieu pendant la Guerre Froide et oppose les deux géants de l'époque à savoir, les Etats-Unis (USA) et l'Union Soviétique (URSS). A ce titre, les variables explicatives des décisions analysées par ALLISON - notamment, l'installation des missiles à Cuba par l'URSS, le blocus maritime décidé par les USA, et le démantèlement des missiles par les USA - ne peuvent être assimilées à celles du recours du Cameroun - pays africain en voie de développement et ne jouissant ni d'autant de ressources de puissance, ni du même régime politique que les USA ou l'URSS - à la C.I.J.

Simplice ATANGA compte parmi les rares chercheurs qui ont travaillé sur Le processus de prise de décision de politique étrangère au Cameroun45. Il analyse les acteurs internes, officiels et sociétaux qui influencent la prise de décision dans la politique étrangère du Cameroun. L'analyse des acteurs officiels lui permet de traiter de la concentration des pouvoirs au sommet de l'exécutif, du démembrement de l'exécutif et de l'effacement du législatif. Quant à l'analyse des acteurs sociétaux, elle lui permet d'examiner l'influence du Parti (unique à l'époque), des groupes de pression et de l'opinion publique sur l'élaboration de la politique étrangère au Cameroun. Là s'arrête l'apport du travail de Simplice ATANGA pour la présente recherche. Son étude n'est pas basée sur un cas spécifique de prise de décision, et il ne s'intéresse ni à l'influence des variables systémiques, ni à celle des variables idiosyncratiques, pourtant essentielles à la compréhension et à l'explication des processus décisionnels.

A cet égard, le rôle essentiel des processus cognitifs dans la compréhension et l'explication de la décision de politique étrangère a été mis en exergue par des auteurs comme Ole HOLSTI. Il affirme dans « The belief System and National Images: a case study »46 que, l' « image » que les

44 Samy COHEN, « Décision, pouvoir et rationalité dans l'analyse de la politique étrangère » in SMOUTS Marie-Claude (dir.), Les Nouvelles relations internationales, Pratiques et théories, Paris, Presses de Sciences Po, 1998, p.75.

45 Simplice ATANGA, Le processus de prise de décision en politique étrangère au Cameroun, Thèse de Doctorat, IRIC, Yaoundé, 1991.

46 Ole HOLSTI, « The belief System and National Images: a case study », Conflict Resolution, September, 1962.

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décideurs se font de la réalité acquiert plus d'importance que la « réalité objective » et influence leur comportement. Robert JERVIS47 dans Perception and misperception in International Politics essaye de ressortir les facteurs cognitifs qui perturbent le bon fonctionnement du processus de prise de décision et qui faussent l'analyse. Il s'agit, selon lui, de la tendance à percevoir ce à quoi on s'attend (le wishful thinking48), et à chercher à intégrer les informations nouvelles dans des représentations déjà établies, à les accorder aux croyances préexistantes ; ce qui en période de crise ou de conflit peut conduire à une vision erronée de l'adversaire, à sous-estimer les risques ou au contraire à les surestimer49. A travers l'article d'Alexander GEORGE intitulé « The operational code: A neglected approach to the study of political leaders and decision making »50, on perçoit l'influence que peut avoir le système de croyances d'un dirigeant sur les décisions de politique étrangère. Cet auteur y propose dix questions - cinq d'ordre philosophique et cinq d'ordre instrumental - qui, « posées à un acteur donné, permettent de saisir l'essentiel de ses croyances politiques dans ses réponses et de faire le lien entre lesdites croyances et son comportement »51.

Néanmoins, ces auteurs donnent juste de façon générale des outils pour étudier l'influence de la psychologie des hommes d'Etat sur la prise de décision. Ils ne se préoccupent pas de l'applicabilité de leurs réflexions dans un contexte précis, tel que celui d'un pays africain. Bahgat KORANY a dénoncé cette attitude dans un article intitulé « Les modèles de la politique étrangère et leur pertinence empirique pour les acteurs du Tiers monde : critique et contre-proposition »52.

James ROSENAU53 quant à lui, propose dès 1966 dans « Pre-Theories and Theories of Foreign Policy », cinq groupes de variables explicatives de la décision de politique étrangère à savoir, les variables idiosyncratique, de rôle, gouvernementale, sociétale, et systémique. Dans cette étude, il postule que la clé pour mieux comprendre le comportement d'un Etat-nation est de découvrir son génotype. Selon lui, tous les Etats ont des caractéristiques particulières qui peuvent faire en sorte que certaines variables soient plus déterminantes que d'autres sur leurs décisions de politique étrangère. Utilisant des critères tels que le degré de développement, la transparence (« accountability », c'est-à-dire le caractère ouvert ou fermé du système politique) et la superficie,

47 Robert JERVIS, Perception and misperception in International Politics, Princeton, Princeton University Press, 1976.

48 L'expression « wishful thinking » signifie la prise, par le décideur, de ses désirs pour des réalités.

49 Lire Samy COHEN, 1998, op. cit., pp. 88-91, pour une analyse de l'approche cognitive de la décision et ses limites.

50 Alexander GEORGE, «the operational code: A neglected approach to the study of political leaders and decision making» in International studies quarterly, N° 13, 1969, pp. 190-222.

51 David S MCLELLAN., «The «Operational Code» Approach to the Study of Political Leaders: Dean Acheson's Philosophical and Instrumental Beliefs» in Canadian Journal of Political Science, N°4, Cambridge University Press, 1971, pp. 52-75 (résumé de l'article consulté le 20 juillet 2010, in http://journals.cambridge.org ).

52 Bahgat KORANY, 1974, op. cit,. pp. 76-103, tiré de Philippe BRAILLARD, 1977, op. cit., p. 152.

53 James ROSENAU, « Pre-Theories and Theories of Foreign Policy », in Barry R. FARRELL Ed., Approaches to Comparative and International Politics, Evanston, Northwestern University Press, 1966, pp. 27-92.

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ROSENAU a élaboré huit génotypes54. C'est ainsi qu'il affirme que dans les pays développés, les variables de rôle55 sont plus prépondérantes, alors que dans les pays en développement, les variables idiosyncratiques sont les plus déterminantes. Considérant le second critère, il postule que les variables sociétales sont plus dominantes dans les pays au système politique ouvert, a contrario des pays à forte concentration du pouvoir au sommet de l'exécutif où les variables gouvernementales sont d'un intérêt plus grand56. A propos du troisième critère, il affirme que la puissance de la variable systémique varie en fonction de la superficie du pays dont la décision est étudiée. Selon lui, « there being greater resources available to larger countries and thus lesser dependence on the international system than is the case with smaller countries »57. Ces comparaisons ont été utiles pour la présente étude, car elles ont permis d'identifier les variables qui ont été les plus déterminantes dans le processus de prise de décision des autorités camerounaises. Conformément aux caractéristiques attribuées au Cameroun, il s'agit des variables idiosyncratiques, gouvernementales, et systémiques.

S'agissant justement de la prépondérance des variables idiosyncratiques, NKOBENA Boniface FONTEM, dans un ouvrage intitulé Sacerdoce politique et stabilité des systèmes : le paradigme Paul BIYA. Manuel pour les hommes politiques d'aujourd'hui et de demain58, postule le lien de causalité existant entre les qualités idiosyncratiques du Président Paul BIYA et la durabilité ainsi que la stabilité du système politique camerounais. Il retrace le parcours familial, académique et professionnel du Chef de l'Etat, et identifie dix traits caractéristiques qui résument ses qualités idiosyncratiques et influencent son action politique. Ces informations seront utiles pour l'analyse de l'influence du tempérament du Président Paul BIYA sur l'option du Cameroun pour le règlement judiciaire. Toutefois, là se trouve la principale contribution dudit ouvrage à la présente recherche. En ce qui concerne le conflit de Bakassi, les auteurs qui s'y sont spécifiquement intéressés sont nombreux.

54 Les huit types de génotype ou de sociétés identifiés sont les suivants : 1. large/développé/ouvert; 2. large/développé/fermé; 3. large/en développement/ouvert; 4. large/en développement/fermé; 5. petit/développé/ouvert; 6. petit/développé/fermé ; 7. petit/en développement/ouvert ; 8. petit/en développement/fermé. Pour un tableau récapitulatif de ces génotypes et des variables les plus pertinentes par rapport au type de société voir, Eugene L. MALTAIS, Rosenau's Pre-Theories : The DIEFENBAKER Dilemma on Nuclear Warheads, Edmonton, Alberta, University of Alberta, Master of Arts, 1972, p. 12.

55 D'après les variables de rôle, la décision s'explique non par les attributs personnels du décideur, mais par le rôle auquel sa fonction lui assigne conformément aux normes établies et à respecter. Dans ce cas précis, l'attitude adoptée par le décideur, est celle attendue de quiconque occupant le même poste.

56 Lire Eugene L. MALTAIS, 1972, op. cit., pp. 13-14.

57 James ROSENAU, 1966, op. cit., p. 47. Traduction de l'auteur de la présente étude : « il existe plus de ressources dans les larges pays ; ce qui induit moins de dépendance, comparée aux petits pays, vis-à-vis du système international ».

58 Boniface FONTEM NKOBENA, Sacerdoce politique et stabilité des systèmes : le paradigme Paul BIYA. Manuel pour les hommes politiques d'aujourd'hui et de demain, Yaoundé, Presses Universitaires de Yaoundé, 2008, 186p.

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MGBALE MGBATOU Hamadou dans son mémoire intitulé : Le Conflit Frontalier Cameroun-Nigeria: explications socio-politiques, enjeux, et déterminants d'une crise bilatérale59, ressort les données historiques du conflit en présentant les causes des conflits frontaliers en Afrique comme remontant à la conférence de Berlin de 1884, et la frontière Cameroun-Nigeria comme un héritage colonial, facteur belligène. Il analyse les déterminants et les enjeux internes et externes du conflit du côté nigérian et camerounais, mais aussi les forces en présence. Toutefois, ce travail ne s'intéresse qu'aux déterminants du conflit frontalier et non à ceux de l'option du Cameroun pour un règlement judiciaire.

Le même auteur en l'occurrence MGBALE MGBATOU Hamadou, a travaillé sur La politique camerounaise de résolution pacifique de la crise de Bakassi. Une approche réaliste et transnationale60. Dans cette étude, il se consacre à l'analyse d'une part, des déterminants de la politique de résolution pacifique de la crise de Bakassi, et d'autre part, de la mise en oeuvre de ladite politique. L'utilité de ce travail pour la présente étude réside dans le fait que le règlement judiciaire fait partie de la famille des procédés pacifiques de règlement des conflits. Donc, certains déterminants analysés dans le travail de MGBALE MGBATOU, seront utiles dans le cadre de cette étude. Toutefois, l'effet globalisant du titre dépasse largement l'objet de la recherche menée dans le cadre d'un mémoire. Il analyse de façon générale la politique camerounaise de résolution pacifique et non la décision de recourir à la C.I.J. Qui plus est, l'auteur base son analyse sur les théories générales que sont le réalisme et le transnationalisme, ce qui illustre une fois de plus le caractère général de son analyse.

L'ouvrage de Zacharie NGNIMAN, Nigeria-Cameroun : La guerre permanente ?61, constitue une grande source d'informations sur le conflit de Bakassi. La précision avec laquelle l'auteur retrace les évènements a été précieuse dans l'analyse du processus décisionnel. Il expose les évènements militaires de 1993 à 1996, présente les acteurs intervenus dans le processus de résolution de la crise et les différents procédés employés. L'intérêt de cet ouvrage réside dans le fait qu'il met à la disposition du chercheur des informations souvent difficiles d'accès, mais pourtant nécessaires à l'accomplissement d'un travail scientifique. Néanmoins, l'auteur n'analyse pas les déterminants qui conduisent à la saisine de la C.I.J. par le Cameroun ; ce qui rend son ouvrage plus descriptif qu'analytique et en diminue l'intérêt scientifique.

L'aspect juridictionnel du conflit de Bakassi est étudié par Guy Roger EBA'A dans son ouvrage intitulé Affaire Bakassi, Genèse, évolution de l'affaire de la frontière terrestre et maritime

59 Hamadou MGBATOU MGBALE, 1999, op cit.

60 Hamadou MGBATOU MGBALE, 2001 op. cit.

61 Zacharie NGNIMAN, Nigeria-Cameroun : La guerre permanente ?, Yaoundé, CLE, 1996, 173p.

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Cameroun-Nigeria (1993-2002)62. L'auteur y présente d'abord la C.I.J. et les enjeux pétroliers dans le golfe de Guinée. Il consacre ensuite la majeure partie de son ouvrage au litige devant la C.I.J., de sa naissance à son dénouement. Cet ouvrage est intéressant dans la mesure où l'auteur y relate les évènements avec une grande précision, et présente les arguments juridiques du Cameroun et du Nigeria devant la C.I.J. Toutefois, il ne procède à aucun travail d'analyse de la situation. Il ne recherche pas les raisons qui amènent le Cameroun à préférer la saisine de la C.I.J. à toutes autres alternatives.

Jean Pierre FOGUI compte également parmi les auteurs qui se sont penchés sur l'affaire Bakassi. Dans son ouvrage intitulé Les leçons du conflit de Bakassi, il entreprend une analyse de la stratégie adoptée par le Président Paul BIYA dans la gestion du conflit de Bakassi. Cette analyse ressort succinctement les fondements de l'option du Cameroun pour un règlement pacifique, et les leçons qu'il faut en retenir. Toutefois, elle reste classique, la présente étude a pour ambition d'user d'une approche complètement différente en faisant recours à la Foreign Policy Analysis comme base de l'analyse.

Pour orienter la recherche, une problématique est nécessaire.

VII. LA PROBLEMATIQUE

Les problèmes frontaliers entre le Cameroun et son voisin occidental, le Nigeria, ne datent pas de 1993. Ils remontent au lendemain des indépendances, et ont occasionné des périodes de tensions extrêmes en 1981, 1993 et 1996. Avant mars 1994, le Cameroun avait toujours privilégié la voie diplomatico-politique pour régler ces difficultés.

Dès lors, il serait intéressant de rechercher, les raisons qui l'ont amené à déposer une requête auprès de la C.I.J., pour un règlement judiciaire du conflit de Bakassi. En d'autres termes, qu'est ce qui explique le choix porté par le Cameroun sur la C.I.J., dans le cadre du règlement du conflit frontalier qui l'a opposé au Nigeria à propos de la péninsule de Bakassi ?

De cette problématique naît l'hypothèse de la recherche.

VIII. L'HYPOTHESE

Selon Gordon MACE et François PETRY, l'hypothèse se présente comme une réponse anticipée à la question spécifique de la recherche, un résultat à la formulation du problème et le point de départ de toute vérification63.

62 Guy Roger EBA'A, 2008, op. cit.

63 Gordon MACE et François PETRY, Guide d'élaboration d'un projet de recherche en sciences sociales, Québec, Presses Universitaires de Laval, 2000, p. 123.

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Dès lors, la présente étude postule que le choix porté par le Cameroun sur le recours à la C.I.J. s'explique d'une part, par la recherche de l'optimisation de l'intérêt national escompté, à savoir le respect par le Nigeria de son intégrité territoriale sans recours à la guerre (modèle de l'acteur rationnel d'ALLISON), et d'autre part, par une combinaison de cinq variables indépendantes (inspirées de ROSENAU) à savoir les variables idiosyncratique, gouvernementale, systémique, de rôle et sociétale.

L'hypothèse ainsi présentée a nécessité pour sa vérification, des techniques et méthodes de recherche précises.

IX. LES TECHNIQUES ET METHODES DE RECHERCHE

Dans tout travail de recherche, la méthodologie renvoie à deux considérations majeures : d'une part, les techniques par lesquels les données sont collectées et, d'autre part, les méthodes par lesquelles, lesdites données sont analysées.

Les techniques de recherche regroupent les procédés par lesquels le chercheur collecte les données et les informations qu'il analyse. Dans le cadre de cette recherche, deux techniques ont été utilisées pour la collecte des données : l'entretien et l'analyse documentaire détaillée. L'entretien a permis de recueillir des informations de première main auprès des personnalités qui ont été impliquées dans la prise de décision64, ou qui ont eu connaissance du processus décisionnel. Quant à l'analyse documentaire détaillée, elle a été faite à partir d'ouvrages (généraux et spécialisés), d'articles de revues scientifiques et de journaux, d'archives publiques et de documents officiels traitant du sujet.

Selon Madeleine GRAWITZ, la méthode désigne « l'ensemble des opérations intellectuelles par lesquelles une discipline cherche à atteindre les vérités qu'elle poursuit, les démontre et les vérifie »65. Pour le traitement des données recueillies, la méthode de l'analyse de décision et celle de l'analyse systémique ont été utilisées.

La méthode de l'analyse de décision a permis d'ordonner la matière historique de telle sorte que celle-ci devienne plus intelligible. Cette méthode, en phase avec le cadre conceptuel de ROSENAU, impose certaines normes de recherche, comme l'obligation de considérer une unité décisionnelle composée d'individus différents plutôt que la simple entité abstraite qu'est l'Etat. Elle exige également une étude psychologique des personnalités, des caractères66. Ces exigences répondent à la nature des questions que l'on se pose face à une décision. « Comment l'occasion

64 Voir à cet effet le Protocole d'entretien, qui figure à l'Annexe 14 (page 143).

65 Madeleine GRAWITZ, op. cit., p. 351.

66 Ferry DE KERCKHOVE, 1972, op. cit., p. 499.

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d'une décision survient-elle ? Comment la configuration des facteurs au moment de cette occasion affecte-t-elle le déroulement du système de décision ? Quel est ce système ? Quelle est l'unité décisionnelle principale, secondaire ? Quels sont les canaux de communications privilégiés ? Enfin, comment la personnalité des dirigeants affecte-t-elle l'orientation de la décision et son processus politique ?»67. Comme l'affirme avec pertinence DE KERCKHOVE, ce n'est pas tellement la multiplicité des questions qui rend l'analyse compliquée, mais bien l'orientation interdisciplinaire qu'elles impliquent68.

L'analyse systémique quant à elle, s'applique à toute recherche théorique ou empirique, qui part du postulat selon lequel, la réalité sociale présente les caractères d'un système, pour interpréter et expliquer les phénomènes sociaux par les liens d'interdépendance qui les relient et qui les constituent en une totalité69. D'après elle, le système comprend d'une part le foyer d'action, et d'autre part, l'environnement pertinent à l'objet d'analyse. Un système réagit comme un tout aux pressions extérieures et aux réactions de ses éléments internes. L'analyse systémique est utilisée dans la présente étude pour ressortir l'influence du contexte national et international sur l'option de Yaoundé pour le règlement judiciaire du conflit de Bakassi.

Le cadre général de l'analyse ainsi dégagé ne peut être rendu opérationnel qu'à travers l'exposé de la trajectoire de l'étude.

X. L'ANNONCE DU PLAN

La présente étude commence par un chapitre préliminaire consacré au cadre théorique. Elle se subdivise ensuite en deux parties. La première partie est consacrée à l'analyse de l'option du Cameroun pour le règlement judiciaire du conflit de Bakassi, selon le modèle rationnel de la prise de décision élaboré par ALLISON. Cette partie ressort les desseins du Cameroun face aux convoitises nigérianes, les solutions non judiciaires envisagées (Chapitre I) et les enjeux du recours au règlement judiciaire (Chapitre II).

La deuxième partie procède à l'explication de la décision du Cameroun selon le cadre conceptuel élaboré par ROSENAU. Elle met ainsi en exergue l'influence des acteurs institutionnels (Chapitre III) et le rôle des variables sociologiques (Chapitre IV) sur le processus de prise de décision étudiée.

67 Ferry DE KERCKHOVE, 1972, op. cit., p. 499.

68 Idem.

69 Roger Gérard SCHWARTZENBERG, Sociologie politique, Paris, Montchrestien, 1988, p.79.

CHAPITRE PRELIMINAIRE : LE CADRE THEORIQUE

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La présente étude se voulant opérationnelle, ce chapitre préliminaire a pour objet de ressortir le référentiel théorique sur lequel est basée la vérification de l'hypothèse de recherche. En d'autres termes, il s'agit d'analyser les outils conceptuels de base à partir desquels l'on pourra saisir les variables qui ont influencées la prise de décision du Cameroun.

En effet, la théorie des Relations Internationales est « un ensemble cohérent et systématique de propositions ayant pour but d'éclairer la sphère des relations sociales que nous nommons internationales»70. Toutefois, le nombre de théories des relations internationales serait extrêmement restreint, si l'on se cantonnait uniquement à cette définition de la théorie, entendue comme ensemble cohérent et systématique de propositions. Philippe BRAILLARD relève à ce propos, qu'il est d'usage de ranger sous l'expression « théories des Relations Internationales », non seulement les formulations théoriques proprement dites, mais aussi les travaux d'élaboration théorique (construction de taxinomies, élaboration et étude de modèles, formulation et mise à l'épreuve d'hypothèses) ne permettant pas encore d'aboutir à la formulation d'un ensemble cohérent de propositions, mais constituant tout de même une approche théorique71. La présente recherche se situe précisément dans le cadre des travaux d'élaboration théorique.

Par ailleurs, la majorité des travaux consacrés aux relations internationales n'a pas pour objet une compréhension globale de ces relations mais certains types précis de phénomènes ou de processus, certains aspects particuliers. Les théories ou éléments théoriques élaborés dans le cadre de ces travaux ont donc un caractère partiel et non général, étant donné la limitation de leur objet72. Aussi, les théories de la décision sont-elles dites partielles.

La présente recherche qui s'inscrit dans le champ d'étude de la Foreign policy analysis73 (FPA) aura donc pour outils conceptuels de base les modèles explicatifs élaborés par ALLISON

70 Philippe BRAILLARD, 1977, op. cit., p.17.

71 Idem.

72 Ibid., p.120.

73 La FPA est née aux Etats-Unis dans les années 1960. Elle définie la politique étrangère par ses variables indépendantes, et en cela, pour elle, le processus de prise de décision est tout aussi important que la décision. C'est une approche qui privilégie la décision politique comme variable dépendante et qui tente d'en démontrer le processus comme mode d'explication des relations entre un Etat et les acteurs internationaux. Prenant à contre-pied les spécialistes qui expliquent la politique étrangère par l'analyse des objectifs, des stratégies et des intentions des décideurs à partir des résultats, la FPA s'intéresse prioritairement aux processus internes (qu'ils soient politiques, bureaucratiques ou cognitifs) et extérieurs capables d'influencer la politique étrangère. Pour une analyse sur l'évolution de la Foreign Policy Analysis, lire SMITH, HADFIELD et DUNNE, op. cit., [En ligne]. Pour un examen des relations entre la FPA et le réalisme, Voir Stefano GUZZINI et Sten RYNNING, 2002, op. cit., pp. 33-63.

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(Section I), et les variables indépendantes mise en place par ROSENAU pour l'explication des décisions de politique étrangère74 (Section II).

Section 1 : L'apport des modèles explicatifs d'ALLISON

L'ouvrage d'ALLISON75, Essence of decision76, nonobstant certaines critiques propres à toute oeuvre scientifique, reste un classique dans le domaine de l'analyse de la politique étrangère. L'auteur y propose trois approches théoriques pour l'explication et la prédiction des décisions de politique étrangère. Ces approches sont reprises dans la seconde édition de son ouvrage auquel contribue Philip ZELIKOW77. Il s'agit en l'occurrence du modèle de l'acteur rationnel, du modèle organisationnel, et du modèle bureaucratique. La présente étude sera basée sur le modèle de l'acteur rationnel (Paragraphe 1) et sur le modèle bureaucratique (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'approche de l'acteur rationnel

Selon ALLISON, beaucoup d'analystes de la politique étrangère, - et même de profanes - expliquent et prédisent le comportement des Etats selon l'approche conceptuelle classique, qu'il appelle dans son ouvrage modèle de l'acteur rationnel ou Modèle I78. Ce modèle conceptuel a des caractéristiques précises (A), et fait des propositions en vue de permettre aux chercheurs d'expliquer, voire prédire le comportement international d'un Etat (B).

A. Les caractéristiques du modèle

L'unité de base d'analyse du Modèle I est la décision comme choix national. En d'autres termes, l'Etat est envisagé comme un acteur unitaire qui prend intentionnellement une décision en vue d'atteindre un objectif donné. Cet « acteur est comparable à un individu »79 qui effectue un choix rationnel. L'explication passe par l'identification préalable de l'objectif poursuivi par l'Etat à

74La complexité de l'étude de la prise de décision de politique étrangère induit pour une explication satisfaisante, la mobilisation de plusieurs modèles explicatifs. Les modèles utilisés dans la présente étude ne sont pas mutuellement exclusifs. Ils sont complémentaires.

75 Graham Allison est professeur d'administration publique à la John F. Kennedy School of Government et Directeur du Centre Belfer pour les sciences et affaires internationales à l'Université de Harvard. Il fut fondateur et doyen de la John F. Kennedy School of Government de 1977 à 1989 ; et a été Secrétaire adjoint à la Défense pour la politique et la planification durant le premier mandat de l'administration Clinton.

76 Avec plus de 400 000 exemplaires vendus, Essence of decision est un bestseller en administration publique, et une référence utilisée dans les cours de sciences politiques et de management stratégique.

77 Graham T. ALLISON, Philip ZELIKOW, Essence of Decision: Explaining the Cuban Missile Crisis, New York, Longman, 2e edition, 1999.

78 Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., p. 4.

79 Graham T. Allison et Philip D. Zelikowv, « L'essence de la décision. Le modèle de l'acteur rationnel », Cultures & Conflits, n°36, 2000, [En ligne], http://conflits.revues.org/index579.html. Consulté le 14 mars 2011.

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travers cette décision ; car selon ce modèle, les gouvernements optent pour l'action ou la décision qui « maximisera » leurs objectifs stratégiques qui se définissent le plus souvent en termes de sécurité nationale et d'intérêt national80. « Le critère principal du processus décisionnel repose ainsi sur l'analyse rationnelle des coûts et bénéfices de chaque option, dans le but de parvenir à la meilleure décision, en fonction des intérêts et des valeurs attribués aux options considérées »81. Cette approche amène les analystes à adopter le type suivant de raisonnement : « si une nation accomplit une certaine action, cette nation doit avoir eu des desseins pour lesquels cette action représente un moyen optimal »82. Lorsque l'analyste parvient à construire un calcul montrant comment, dans une situation particulière, avec des objectifs spécifiques, le Cameroun a pu choisir de saisir la C.I.J., l'explication est réputée atteinte83. Selon ALLISON, « the attempt to explain international events by recounting the aims and calculations of nations or governments is the trademark of the Rational Actor Model »84. Le modèle de l'acteur rationnel pose les questions suivantes : Quel est le problème ? Quelles sont les alternatives ? Quels sont les coûts et bénéfices stratégiques associés à chaque option ? Quels sont les valeurs et objectifs importants de la nation ? Quelles sont les pressions sur la scène internationale ? 85.

B. Les propositions générales de l'approche

L'hypothèse fondamentale d'une conduite « maximisant » une valeur, a permis à ALLISON de ressortir des propositions centrales sur lesquelles sont basées la plupart des explications. Le principe général pouvant être formulé ainsi : la probabilité de toute action précise résulte d'une combinaison des facteurs suivants : 1) les valeurs et objectifs importants de la nation ; 2) les diverses actions possibles perçues par cette dernière ; 3) les estimations par la nation des divers ensembles de conséquences (découlant de chaque action possibles) ; 4) l'évaluation finale de chaque ensemble de conséquences86. Cela fournit deux propositions87 :

80 Sur les concepts de base et les principes du modèle rationnel, lire Ibid., pp. 29-34.

81 Charles Philippe DAVID, Au sein de la Maison Blanche : la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis, 2e édition, Québec, Presses de l`Université Laval, 2004, p.

82 Traduit de «Conceptual Models and the Cuban Missile Crisis», The American Political Science Review, vol. LXIII, 1969, pp. 689-718, in Philippe BRAILLARD, 1977, op. cit., p. 180.

83 Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., p. 10.

84 Traduction de l'auteur de la présente étude : « l'essaie d'explication des évènements internationaux par l'analyse des buts et calculs des nations ou gouvernements constitue la marque de fabrique du modèle de l'acteur rationnel », voir idem.

85 Version originale: « 1) What is the problem? 2) What are the alternatives? 3) What are the strategic costs and benefits associated with each alternative? 4) What is the observed pattern of national (governmental) values and shared axioms? 5) What are pressures in the «international strategic marketplace»? », voir ibid, p. 257.

86 Traduit de «Conceptual Models and the Cuban Missile Crisis», in Philippe BRAILLARD, 1977, op. cit., p. 181. Pour la version originale, voir ibid., p. 34.

87 Idem.

1. Une augmentation des coûts d'une action possible, c'est-à-dire une réduction de la valeur de l'ensemble des conséquences découlant de cette action, ou une réduction de la probabilité d'atteindre des conséquences déterminées, réduit la probabilité du choix de cette action.

2. Une réduction des coûts d'une action possible, c'est-à-dire une augmentation de la valeur de

l'ensemble des conséquences découlant de cette action, ou une augmentation de la probabilité d'atteindre des conséquences déterminées, augmente la probabilité du choix de cette action.

Dans le cadre de ce travail, le modèle I permet d'expliquer la façon dont s'est construite la

décision du recours au règlement judiciaire, celle-ci étant le fruit d'un calcul rationnel, conduite par un acteur (le Cameroun) confronté à un nombre limité d'options pour promouvoir et défendre son intérêt national. Néanmoins, comme l'a lui-même reconnu ALLISON, le modèle I ne suffit pas à lui seul pour expliquer certaines décisions de politique étrangère88. Afin de saisir au mieux le processus de construction de la décision du Cameroun, le modèle III, axé sur le fonctionnement de la machine gouvernementale, permet d'aller au-delà de la vision monolithique du processus de prise de décision proposée par le modèle I.

Paragraphe 2 : L'approche bureaucratique

Contrairement au modèle classique, l'approche bureaucratique (ou Modèle III) ne considère pas l'Etat comme un acteur unitaire. L'examen de ses caractéristiques (A) et du type de raisonnement qu'il suggère l'illustre (B).

A. Les particularités de l'approche

Dans le modèle III, l'unité de base de l'analyse ne renvoie pas à la décision comme choix national, mais plutôt à la ligne de conduite comme conséquence politique. En d'autres termes, les décisions et les actions des gouvernements sont essentiellement des conséquences politiques intra nationales : « conséquences dans le sens où ce qui se passe n'est pas choisi comme une solution à un problème mais résulte plutôt du compromis, de la coalition, de la compétition et du désarroi entre les membres du gouvernement qui examinent les différents aspects d'une question »89 ;

88 Le modèle I demeure assez désincarné. Il ne permet pas d'examiner le processus interne de la prise de décision.

89 Traduit de «Conceptual Models and the Cuban Missile Crisis», The American Political Science Review, vol. LXIII, 1969, pp. 689-718 in Philippe BRAILLARD, op cit., pp. 190-191.

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politiques dans le sens où « l'activité dont les conséquences sont issues est le mieux caractérisée comme marchandage »90.

Ainsi, les responsables qui siègent au sommet des organisations sont des joueurs dans un jeu compétitif central, dont le nom est politique bureaucratique. La nature des problèmes de politique étrangère permet un désaccord fondamental entre des hommes raisonnables, au sujet de ce qui doit être fait. Les analyses produisent des recommandations opposées. Les responsabilités distinctes qui reposent sur les épaules des personnalités individuelles encouragent les différences de perceptions et de priorité. Un mauvais choix pouvant signifier un dommage irréparable, les hommes responsables sont obligés de combattre pour ce qu'ils sont convaincus être juste91. ALLISON relève à cet effet que, ce que fait la nation est parfois le résultat du triomphe d'un groupe sur les autres. Toutefois, différents groupes ne s'entendant pas, produisent le plus souvent, un résultat distinct de ce que chacun avait en vue. Ce qui permet à la balance de pencher en faveur d'un groupe est : « le pouvoir et l'habileté des défenseurs de l'action en question, et de ceux qui s'y opposent »92.

B. Les suggestions générales du modèle III

Le modèle bureaucratique s'attache à identifier les joueurs impliqués dans le processus décisionnel, à faire ressortir ce qui détermine d'une part leur position et d'autre part leur impact sur la décision finale. Il permet de mettre en exergue les règles du jeu, mais aussi les relations qui existent entre chaque joueur, et entre les joueurs et le décideur ultime. Il met en relief le jeu de tractation, entre des individus et des groupes à l'intérieur du gouvernement, qui conduit à la décision. Les propositions centrales sur lesquelles est basé le modèle bureaucratique sont les suivantes :

L'Action et l'intention : L'action ne présuppose pas l'intention. Généralement, ce sont des individus distincts avec différentes intentions qui ont contribué aux diverses parties composant un résultat distinct de celui que n'importe qui aurait choisi.

Votre opinion dépend de votre position93 : Horizontalement, les diverses demandes faites à chaque joueurs façonnent ses priorités, ses perceptions et ses conclusions. Selon ALLISON, pour de larges catégories de questions, la position d'un joueur particulier peut être déterminée avec une grande sûreté à partir de l'information concernant sa situation. Il privilégie ainsi le lien entre la

90 Traduit de «Conceptual Models and the Cuban Missile Crisis», The American Political Science Review, vol. LXIII, 1969, pp. 689-718 in Philippe BRAILLARD, op cit., p. 191.

91 Ibid., p. 189.

92 Ibid., pp. 189-190.

93 « Where you stand depends on where you sit », lire à ce propos Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., p. 176.

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fonction exercée par les acteurs et la position qu'ils défendent94. Cette proposition correspond à la variable de rôle de ROSENAU, analysée plus bas.

Les hauts responsables et les exécutants : l'aphorisme « where you stand depends on where you sit » s'applique aussi bien verticalement qu'horizontalement. Verticalement, les demandes faites au Président, aux responsables, aux conseillers et aux exécutants sont tout à fait distinctes. Le principe général qui se dégage ici en ce qui concerne la conception de la ligne politique, est le suivant : « le problème des hauts responsables par rapport à leurs inférieurs touche au choix .
· comment préserver ma marge de manoeuvre jusqu'à ce que le temps clarifie les incertitudes. Le problème des fonctionnaires, vis-à-vis de ceux qui se trouvent au même niveau qu'eux, est une affaire d'engagement .
· comment faire que les autres soient engagés envers ma coalition. Le problème de ceux qui sont en bas de la hiérarchie, par rapport à leur chef, est une question de confiance .
· comment donner confiance au patron pour qu'il fasse ce qui doit être fait »
95.

La présente étude tient compte du fait que le modèle III d'ALLISON correspond aux variables gouvernementales et de rôle de ROSENAU ; c'est pour cette raison que le titre de la seconde partie privilégie, afin d'inclure les deux éléments théoriques, le cadre conceptuel de ROSENAU. Il convient toutefois de mentionner avec Samy COHEN que le modèle III donne aux bureaucraties un pouvoir trop important sur la prise de décision. Il sous-estime très largement l'influence du Chef de l'exécutif sur la bureaucratie96. A travers sa variable idiosyncratique, ROSENAU a tenu compte de cette influence.

Section 2 : Le cadre conceptuel de ROSENAU

Dans sa pré théorie de la politique étrangère, ROSENAU97 situe l'explication de la décision de politique étrangère, dans une combinatoire mouvante de cinq variables explicatives à savoir : la variable individuelle ou variable idiosyncratique, la variable de rôle, la variable gouvernementale, la

94 Samy COHEN fait partie des auteurs qui ont critiqués cette proposition (d'application horizontale, mais aussi verticale). Selon lui, « il n'existe pas de lien de causalité simple entre ces deux variables, sinon on devrait en conclure que tout autre Président que KENNEDY aurait pris la décision du blocus, (...) de même faudrait il croire que les militaires seraient a priori des « faucons » et les dirigeants civils, des « colombes » », Samy COHEN, 1998, op. cit., p. 84.

95 Lire Traduit de «Conceptual Models and the Cuban Missile Crisis», in Philippe BRAILLARD, op cit., pp. 193. Lire la version originale en langue anglaise in, Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., p. 193.

96 Samy COHEN, 1998, op. cit., p. 85.

97 James N. ROSENAU est un célèbre politologue américain. Il a servi comme président de l'Association des Etudes Internationales de 1984 à 1985. Professeur érudit, son enseignement était axé sur la dynamique du monde, la politique et le chevauchement entre affaires intérieures et étrangères (lire à ce propos la théorie du « linkage politics » évoquée plus haut). Il a été l'auteur de nombreux articles et de plus de 35 livres. Il a été parmi les premiers auteurs à appliqBuer la science de la complexité , un système d'analyse interdisciplinaire avec des origines dans les sciences dures, à la science politique et les affaires internationales. La revue Foreign Policy l'a énuméré, dans son numéro de novembre/décembre 2005, parmi les savants les plus influents dans le domaine des affaires internationales. Il a enseigné à la Elliott School of International Affairs de l'Université George Washington jusqu'à sa mort en 2011.

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variable sociétale et enfin la variable systémique98. En vue d'atteindre les objectifs fixés par la présente étude, il convient d'examiner les variables non cognitives de ROSENAU (Paragraphe 1), et d'associer sa variable idiosyncratique au code opérationnel développé par Alexander GEORGE (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les variables non cognitives

Les variables non cognitives analysées ici sont d'une part, celles gouvernementale et de rôle (A), et d'autre part, celles sociétales et systémiques (B).

A. Les variables gouvernementales et de rôle

Les variables de rôle et gouvernementales situent l'explication de la décision de politique étrangère dans l'environnement le plus immédiat du décideur, c'est-à-dire son environnement politico-administratif99. Elles correspondent à l'approche bureaucratique d'ALLISON.

La variable de rôle privilégie dans l'explication du comportement extérieur d'un Gouvernement, l'influence du statut et des attentes qui accompagnent la fonction des individus impliqués dans la prise de décision, que ces individus soient Premier Ministre, Ministre des Relations Extérieures, ou de la Défense. ROSENAU affirme qu'indépendamment de la personnalité des dirigeants, leur rôle affecte également le contenu de la décision d'une manière propre. Le « rôle » correspond au statut et aux attentes multiples liées à la fonction exercée par les acteurs impliqués dans le processus décisionnel. En effet, selon ROSENAU, chaque fonction s'accompagne de contraintes particulières qui requièrent un comportement spécifique de tous ceux qui l'occupent100. Dans le cas des hommes d'Etat, il est souvent difficile de dissocier leur personnalité du rôle que leur impose la fonction publique qu'ils assument101.

La variable gouvernementale quant à elle, renvoie aux conditions relatives à la structure du gouvernement qui influencent le processus de prise de décision102. Hormis le Chef de l'exécutif, elle regroupe toutes les institutions administratives qui influencent la prise de décision. En effet, si le Chef de l'Etat est l'acteur ultime du processus décisionnel, il n'en est pas l'unique protagoniste. La multiplicité des domaines en matière de politique étrangère (sécurité, finance, commerce,

98 Combinatoire mouvante car, la hiérarchisation (ou combinaison) de ces variables explicatives change selon le génotype du Gouvernement (ou le type de société) qui a pris la décision étudiée. James N. ROSENAU, The Scientific Study of Foreign Policy, New York, Free Press, 1971, p.108-109.

99 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 260.

100 James N. ROSENAU, 1971, op. cit., p.108-109.

101 Pierre de SENARCLENS et Yohan ARIFFIN, 2006, op cit, p. 57.

102 James N. ROSENAU, 1966, op. cit., p. 43.

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environnement, santé, etc.) requièrent l'intervention de plusieurs acteurs. Blaise SARY NGOY relève à ce propos que « tous les animateurs de ces domaines participent à la formulation et à la pratique des politiques étrangères »103. La variable gouvernementale s'assimile au modèle III d'ALLISON dans la mesure où elle suggère un éclatement du processus décisionnel et une influence des institutions gouvernementales.

B. Les variables sociétales et systémiques

Par les variables sociétales, ROSENAU désignent les sources non gouvernementales - nationales - qui influencent le comportement international de l'Etat104. Il s'agit de la société civile, des médias, des leaders d'opinion, des mouvements religieux, du degré d'unité et d'homogénéité nationale, de la culture nationale et de la nature du système économique. Au niveau sociétal, l'opinion publique est l'élément dont l'influence sur la politique étrangère fait l'objet de plus de débats. Si les idéalistes tout en s'opposant à l'arbitraire du souverain placent l'opinion publique au centre de la vie publique et y défendent l'intégrité de son rôle, les réalistes minimisent l'influence de l'opinion publique en matière de politique étrangère. En effet, ces derniers estiment que la politique étrangère exige un minimum de secret et que le public, indifférent, versatile et capable uniquement de réactions passionnelles, ignore tout des questions internationales105. Pourtant, comme le relève Inis Claude « l'opinion publique est d'un grand intérêt et d'une grande importance pour les Parlementaires, les Premiers Ministres et les Présidents, les Monarques et les dictateurs, les instances dirigeantes des partis et les juntes militaires - c'est-à-dire pour les hommes politiques de toute coloration »106, car leur succès dépend en partie de la conformité établit entre leurs actes et les aspirations de la masse. ATANGA qui a étudié le processus de prise de décision de politique étrangère au Cameroun, relève que « l'opinion a un mot à dire dans la politique étrangère au Cameroun ». Le problème qui se pose selon lui est celui de « sa marge de manoeuvre réelle »107.

Les variables systémiques, quant à elles, représentent tous les éléments et évènements de l'environnement international qui ont influencés d'une manière ou d'une autre la décision de politique étrangère étudiée. Il est important de mentionner que ROSENAU inclut dans cette branche aussi bien des facteurs intra-nationaux non humains comme la géographie (la frontière, la situation

103 SARY NGOY Blaise, « Lire les décisions de politique étrangère du Congo. Du pragmatisme de Mobutu à l'idéalisme de Kabila L. D. », [En ligne], www.kitenge.com/analyses.htm, consulté le 3 janvier 2010.

104 James N. ROSENAU, 1966, op.cit., p. 43.

105 Sur ce débat, lire Nathalie LA BALME, « Opinion publique et politique étrangère : l'évolution d'un débat », Frédéric CHARILLON (dir.), 2002, op cit., p. 193-211.

106 Claude INIS, cité par Simplice ATANGA, Le processus de prise de décision en politique étrangère au Cameroun, Thèse de Doctorat, IRIC, Yaoundé, 1991, p. 257.

107 Simplice ATANGA, 1991, op cit., p. 258.

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ou localisation stratégique de l'Etat, la distance par rapport aux autres Etats, les ressources naturelles et énergétiques), que des facteurs extra-nationaux tels que les défis lancés par des agresseurs, les perceptions, appuis et recommandations des autres acteurs des Relations Internationales108 que sont les Etats, les Organisations Internationales Gouvernementales (OIG) et Non Gouvernementales (OING), et l'opinion publique internationale de façon générale.

Les variables sociétales et systémiques du paradigme général de ROSENAU peuvent offrir les deux grands plans de l'approche sociologique de la décision109. Elles suggèrent de prendre en compte l'influence de l'environnement national et international sur le processus qui a conduit au choix du règlement judiciaire. Cette influence s'analyse en termes de contraintes, mais aussi, d'opportunités qu'offrent lesdits milieux aux dirigeants d'atteindre leurs objectifs110.

Paragraphe 2 : Les variables cognitives

Si la variable idiosyncratique de ROSENAU reste pertinente pour la présente étude (A), cette dernière ne donne pas les instruments nécessaires pour cerner la personnalité du décideur, et ainsi, établir un lien entre celle-ci et la décision prise. A ce titre, le code opérationnel développé par Alexander GEORGE sera utile (B).

A. La variable idiosyncratique

La variable idiosyncratique, encore appelée variable individuelle, renvoie aux qualités particulières qui distinguent un dirigeant des autres par ses choix politiques et son comportement111.

Par cette variable, ROSENAU suggère qu'une décision s'explique par le tempérament, l'éducation, l'idéologie, les expériences vécues, bref, toute l'histoire psychologique et culturelle du décideur112. Sous cet angle, CHURCHILL n'est pas KENNEDY, et ce dernier n'est ni MANDELA ni De GAULLE, qui à leur tour, ne sont pas CARTER. Ce sont toutes les données qui, relevant du caractère du décideur, de son expérience antérieure, de ses talents personnels, sont de nature à influencer la décision. La représentation que les dirigeants ont de la situation est constituée de valeurs, émotions, perceptions de comportements et de croyances qu'ils ont adoptées au fil des années.

108 Eugene L. MALTAIS, 1972, op. cit., pp. 9-10.

109 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 262.

110 Encyclopedia of the New American Nation, «Decision Making - Structural and Systemic factors», [En ligne], http://www.americanforeignrelations.com/, consulté le 1er Août 2011.

111 James N. ROSENAU, 1966, op.cit., p. 43 ; voir également, James N. ROSENAU, 1971, op. cit., p. 108 et suiv.

112 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 254.

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B. La combinaison de la variable idiosyncratique et du code opérationnel d'Alexander GEORGE

GEORGE113 propose dix questions qui, posées à un décideur donné, permettent de saisir l'essentiel de ses croyances politiques dans ses réponses et de faire le lien entre ces croyances et son comportement114. Ses « réponses » à ces dix questions constituent un « code opérationnel » et éclairent son style et ses performances115. Les dix questions se subdivisent en deux groupes dont le premier renvoie aux croyances de l'homme d'Etat à l'égard des problèmes philosophiques suivants:

· Quelle est la nature essentielle de la vie politique? Quel est le caractère fondamental des opposants politiques de quelqu'un?

· Quelle est la probabilité pour quelqu'un de réaliser ses valeurs et aspirations politiques fondamentales? Peut-on être optimiste ou doit-on être pessimiste à ce sujet?

· Le futur politique peut-il être prévu?

· A quel point peut-on contrôler ou dominer le développement historique?

· Quel est le rôle de la chance dans les affaires humaines?

Le deuxième groupe de questions renvoie aux croyances relatives aux moyens de l'action, encore appelées « croyances instrumentales » :

· Quelle est la meilleure façon d'arrêter les objectifs de l'action politique?

· Quelle est la façon la plus efficace de poursuivre ces objectifs?

· Comment les risques de l'action politique sont-ils calculés, contrôlés et acceptés?

· Quelle est la meilleure chronologie à suivre dans la poursuite des objectifs?

· Quels sont l'utilité et le rôle des divers moyens aptes à une telle poursuite?

Ces questions peuvent encore être subdivisées pour une meilleure connaissance du décideur. Le code opérationnel ne conduit pas à des prédictions précises. Il vise à mettre en évidence les tendances d'un décideur face à différentes situations. Une fois que l'on dispose du système de croyances d'un acteur, il faut distinguer les croyances centrales des croyances périphériques. Les

113 Décédé depuis le 16 août 2006, Alexander GEORGE était un Professeur Américain de Relations Internationales. Il était connu pour ses travaux pionniers en psychologie politique et politique étrangère. Il a enseigné à l'Université de Chicago et à l'Université Américaine de Washington D.C. Il a travaillé de 1948 à 1968 à la Rand Corporation en tant que spécialiste dans le domaine de l'étude de la prise de décision (decision-making) et des relations internationales. Après, il a été enseignant à l'Université de Stanford (jusqu'en 1990). Il a publié des articles scientifiques relatifs à l'impact des croyances cognitives sur le comportement politique d'un individu et le rôle du stress dans le processus de prise de décision. Il a également développé des méthodes visant à utiliser des études de cas pour construire des théories du comportement politique.

114 Alexander GEORGE, «the operational code: A neglected approach to the study of political leaders and decision making» in International studies quarterly, N° 13, 1969, pp. 190-222.

115 David S. MCLELLAN, «The «Operational Code» Approach to the Study of Political Leaders: Dean Acheson's Philosophical and Instrumental Beliefs» in Canadian Journal of Political Science, N°4, Cambridge University Press, 1971, pp. 52-75 (résumé de l'article consulté le 23 juillet 2010, in http://journals.cambridge.org ).

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premières sont celles qui demeurent stables dans le temps et sont plus à même d'influencer les choix du décideur.

Le code opérationnel a été un outil pour une meilleure opérationnalisation de la variable idiosyncratique de ROSENAU. Il a permis de ressortir le système de croyances du Chef de l'Etat, et le lien entre celui-ci et la décision de saisir la C.I.J. Pour cela, il a été fait recours aux textes ou livres écrits sur et par le Chef de l'Etat du Cameroun, à ses discours, interviews, monographies, au type de formation reçue et aux témoignages de ses proches collaborateurs.

CONCLUSION DU CHAPITRE PRELIMINAIRE

Le présent cadre théorique postule, dès lors, que le choix porté sur la C.I.J. pour le règlement judiciaire du conflit de Bakassi est fonction des coûts et bénéfices de cette décision (le modèle de l'acteur rationnel) pour le Cameroun, des variables idiosyncratiques, des variables institutionnelles ou gouvernementales (assimilées au modèle bureaucratique), des variables de rôle, des variables systémiques et des variables sociétales.

Ainsi, si les coûts du choix de la C.I.J. augmentaient et que ses bénéfices diminuaient, il était plus probable que le Cameroun écarte cette option. Au contraire, l'augmentation des bénéfices du recours à la C.I.J., et la diminution de ses coûts, maximisaient la probabilité pour les autorités de Yaoundé de recourir à cette voie. S'agissant des variables idiosyncratiques, elles postulent que la décision est fonction du tempérament du Chef de l'Etat ; ce qui signifie que la préférence du dirigeant pour cette option augmentait ses chances d'être choisie et le scénario contraire les diminuait. En ce qui concerne les variables institutionnelles ou gouvernementales, le choix de la C.I.J. dépendait du soutien (à travers leurs expertises et analyses) apporté par les institutions impliquées dans la prise de décision à cette voie ; dans le cas contraire la probabilité de la prise en compte de ce recours diminuait. Pour ce qui est des variables de rôle, le recours à la C.I.J. dépendait du rôle joué par les fonctionnaires représentant les administrations impliquées dans la prise de décision ; si ces derniers jouaient bien leur rôle conformément aux attentes et à leur statut, la probabilité de la prise de cette décision accroissait et dans le cas contraire, elle décroissait. Quant aux variables systémiques, la décision du Cameroun dépendait du soutien des acteurs internationaux ; dans le cas contraire la probabilité de ce choix régressait. Au niveau sociétal, la compatibilité du choix judiciaire avec la culture et l'opinion nationale, ainsi qu'avec les priorités socio-économiques et politiques de la nation, augmentait les chances de ce choix d'être retenue ; la configuration contraire diminuait ces chances.

Le cadre théorique ainsi présenté, il convient maintenant de le rendre opérationnel.

PREMIERE PARTIE :

L'APPLICATION DU MODELE DE L'ACTEUR RATIONNEL A LA PRISE DE DECISION DU CAMEROUN

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Le modèle de l'acteur rationnel, bien qu'ayant été élaboré dans le cadre de l'explication des décisions majeures prises pendant la crise des missiles de Cuba, est une approche assez globale qui ne s'attache pas à un gouvernement particulier. Cela s'explique par le fait qu'il part de postulats généraux, propres à être appliqués à n'importe quel pays sans considération du régime politique, du niveau de développement, ou de tout autre trait caractéristique ; d'où sa valeur scientifique. Ce modèle demeure encore aujourd'hui le plus usité par les analystes lorsqu'ils essayent d'expliquer les évènements dans le domaine des affaires étrangères.

L'approche de l'acteur rationnel, encore appelée approche du choix rationnel, amène l'analyste à considérer le choix porté par le Cameroun sur le règlement judiciaire du conflit de Bakassi, comme une réponse calculée à un problème stratégique. La rationalité renvoyant, selon Graham ALLISON et Philip ZELIKOW, à un choix cohérent, optimisant la valeur dans un cadre spécifique de contraintes116.

Il s'agit ici de montrer comment l'action du Cameroun, c'est-à-dire le recours à la C.I.J., était un choix raisonnable compte tenu de l'objectif poursuivi. Pour y arriver, l'analyste identifie au préalable le problème qui s'est posé au Cameroun ; il délimite ensuite, les objectifs de celui-ci, les options disponibles, les conséquences attribuées à chaque option, et le choix qui optimise l'atteinte des objectifs fixés.

Dès lors, cette partie aura pour objet d'analyser la rationalité de la décision du Cameroun en suivant le type de raisonnement adopté par le modèle rationnel. Pour y arriver, le problème, l'objectif et les alternatives non judiciaires ouvertes au Cameroun seront examinés (Chapitre I). Puis, l'examen des enjeux de l'option judiciaire en termes de risques et d'avantages permettra de montrer comment ce choix précis optimisait le mieux les chances du Cameroun d'atteindre ses objectifs (Chapitre II).

116 Camille KUBINA, « La prise de décision : de l'acteur rationnel à la politique bureaucratique », [En ligne], http://www.thefreelibrary.com/, 22 Juin 2005, Consulté le 15 Juillet 2011.

CHAPITRE I : LES DESSEINS DU CAMEROUN FACE AUX CONVOITISES

NIGERIANES ET LES SOLUTIONS NON JUDICIAIRES ENVISAGEES

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Les conflits sont un phénomène fréquent dans les relations interétatiques. Quelle que soit leur intensité, ils constituent un obstacle aux relations entre Etats ; d'où la question du moyen le mieux adapté pour y mettre un terme. A cet effet, il existe une gamme variée de procédés allant du règlement militaire aux voies de règlement pacifique. Les méthodes de règlement pacifiques sont traditionnellement classées en méthodes diplomatiques et méthodes juridictionnelles117. Face au conflit qui l'a opposé au Nigeria à propos de la péninsule de Bakassi, le Cameroun a traduit son choix pour la paix à travers le droit, par le dépôt le 29 mars 1994, d'une requête introductive d'instance auprès de la C.I.J.

Afin de comprendre les motivations qui l'ont amené à privilégier ce mode de règlement de conflit, il convient d'une part, d'exposer le problème ainsi que l'objectif poursuivi par le Cameroun (Section I) et, d'autre part, d'analyser les conséquences possibles des options non judiciaires soumises aux autorités de Yaoundé (Section II).

Section 1 : L'exposé du problème et de l'objectif du Cameroun

Le problème qui s'est posé au Cameroun en 1994 était relatif aux convoitises118 nigérianes sur la péninsule camerounaise de Bakassi (Paragraphe I). Face à cette difficulté, les autorités de Yaoundé recherchaient le respect de l'intégrité territoriale camerounaise (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les convoitises nigérianes sur la péninsule de Bakassi

Les potentialités de la péninsule de Bakassi en ont fait un enjeu majeur de l'antagonisme qui a opposé le Cameroun au Nigéria (A). Elles ont été au coeur de l'occupation nigériane de la péninsule de Bakassi et de l'échec des démarches entreprises pour une solution diplomatique du conflit (B).

117 Photini PAZARTZIS, Les engagements internationaux en matière de règlement pacifique des différends entre Etats, Paris, L.G.D.J, 1992, p. 8.

118 Une convoitise renvoie à un désir avide d'appropriation.

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A. Les potentialités de la péninsule de Bakassi

La péninsule de Bakassi est située dans la région camerounaise du Sud-Ouest119. Elle s'étend sur 3 des 7 Arrondissements du Département du Ndian : Isangele, Kombo Abedimo et Idabato. Elle est essentiellement convoitée pour sa richesse en ressources naturelles et sa position stratégique dans le Golfe de Guinée.

En ce qui concerne les ressources naturelles de la presqu'île, Bakassi est doté d'une faune aquatique abondante et diversifiée ; ce qui y justifie le développement de nombreux villages de pêcheurs. En effet, la zone regorge de nombreuses espèces de poissons et de crustacés. On y trouve également d'immenses réserves de pétrole off-shore de bonne qualité. En dehors du pétrole, la péninsule dispose de gisements de gaz et de nodules polymétalliques120.

Sur le plan stratégique, la péninsule de Bakassi commande toute la navigation de la baie du Biafra ; ce qui en fait une base militaire potentielle enviable. Elle constitue un point de surveillance de la navigation dans pratiquement tout le Golfe de Guinée. Par ailleurs, pour l'accès au port nigérian de Calabar, il est plus recommandé de passer par l'estuaire de la Cross River qui longe la presqu'île de Bakassi. Pour souligner cette importance, Jean Pierre FOGUI affirme que « qui tient Bakassi tient les clés du Port de Calabar qui est la plaque tournante de l'économie du Sud-Est du Nigeria »121. La situation stratégique de la péninsule de Bakassi a par exemple été appréciée par le Nigeria lors de la guerre civile biafraise. En effet, l'autorisation provisoire d'utilisation de Jabane, localité de la péninsule de Bakassi, donnée par Yaoundé au Gouvernement Nigérian, avait permis aux soldats nigérians d'empêcher le ravitaillement de Calabar (qui faisait partie pendant la guerre civile nigériane, c'est-à-dire entre 1967 et 1970, de la région sécessionniste dirigée par le Général OJUKWU), et ainsi, d'étouffer la guerre du Biafra.

Ces considérations économiques et stratégiques expliquent le problème auquel le Cameroun a été confronté en 1994 ; en l'occurrence, la présence nigériane sur son territoire, et l'échec des mécanismes diplomatico-politiques entrepris pour pouvoir l'y déloger.

119 Voir l'Annexe 3 relative à la situation de la péninsule de Bakassi au Cameroun (page 132), et l'Annexe 4 représentant Bakassi (page 133).

120 Gouvernement de la République du Cameroun, Dossier sur le différend frontalier de la péninsule de Bakassi, Deuxième édition, 1998, p.9 et 26. Les nodules polymétalliques sont des concrétions formées de métaux à l'état natif, qui se forme dans le fond des océans

121 Jean Pierre FOGUI, 2010, op. cit., p. 10.

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B. L'occupation nigériane de la péninsule et les tentatives de règlement diplomatique

En mars 1994, le Cameroun faisait face au problème suivant : l'occupation illégale depuis le 21 Décembre 1993 de parties de son territoire par le Nigeria (1), et l'absence d'aboutissement des différentes démarches engagées pour un règlement politique de la situation (2).

1. La présence nigériane en territoire camerounais

Le 21 Décembre 1993, nonobstant la tenue un mois auparavant d'une réunion d'experts qui semblait marquer un progrès dans la solution du problème de la frontière entre le Cameroun et le Nigeria122, les autorités nigérianes ont décidé unilatéralement d'envoyer des unités armées dans la péninsule camerounaise de Bakassi. Cette décision était motivée, selon elles, par le souci de protéger les ressortissants Nigérians qui y étaient harcelés par des gendarmes Camerounais123. Toutefois, au 4 janvier 1994, les forces armées nigérianes se sont installées à Jabane, c'est-à-dire à l'intérieure du territoire camerounais, à environ 6 km de la frontière maritime entre le Cameroun et le Nigeria. Elles y ont hissé le drapeau nigérian, et proclamé le recouvrement de la souveraineté historique du Nigeria sur la péninsule de Bakassi124. L'aviation nigériane a violé l'espace aérien camerounais en effectuant sans autorisation un survol de la côte camerounaise. Le même jour, à partir de Jabane, lesdites forces ont occupé également le village de Diamond, situé seulement à une centaine de mètres de la sous-préfecture d'Idabato.

Face à cette situation, le Cameroun a répondu par l'envoi immédiat de soldats sur les lieux. L'unité permanente de la marine nationale camerounaise basée à Idabato a été mobilisée, et Yaoundé a dépêché une autre unité au nord de Jabane, pour empêcher l'unité nigériane déjà présente à Jabane de progresser vers le territoire national. Les deux armées se sont ainsi faites face jusqu'au 17 février. Le 18 et dans la nuit du 19 février, les soldats nigérians ont attaqué simultanément à Idabato à partir de Diamond, l'unité camerounaise qui se trouvait au nord de

122 Le 13 Août 1993, les Commissions nationales des frontières des deux pays se sont réunies à Yaoundé. Il ressort du Procès verbal de cette réunion que, la remise en cause nigériane de la Déclaration de Maroua relève des problèmes politiques internes au Nigeria et non des problèmes techniques de délimitation de la frontière maritime.

123 En 1993, le Gouvernement Camerounais sous l'instigation du FMI lance le long des côtes camerounaises particulièrement entre Douala et la frontière avec le Nigeria, une opération anti-contrebande baptisée « Daurade ». Cette opération a provoqué des oppositions vives entre les gendarmes Camerounais et les pêcheurs et « passeurs » Nigérians qui vivaient jusque là dans une véritable zone de non droit.

124 Devant la C.I.J., l'un des arguments avancés par le Nigeria pour justifier ses prétentions sur Bakassi est celui de l'appartenance de cette péninsule bien avant la naissance du Nigeria et du Cameroun, aux villes Etats du Vieux Calabar. Il conteste à cet effet l'Accord Anglo-allemand du 11 mars 1913 consacrant le transfert de la péninsule de Bakassi au « Kamerun ». Le Nigeria défendait la position selon laquelle, les Anglais et les Allemands n'avaient pas le droit de disposer de la presqu'île qui relevait de la souveraineté des « City States of Old Calabar ». Lire Guy Roger EBA'A, 2008, op. cit., p. 76.

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Jabane125. L'armée camerounaise en alerte, a riposté et évité la progression des forces nigérianes à l'intérieur du territoire camerounais.

Face à cette violation manifeste de son intégrité territoriale, le Cameroun a engagé des démarches diplomatiques en vue d'un règlement pacifique du conflit frontalier avec le Nigeria.

2. Les efforts de règlement diplomatique du conflit

Le Cameroun a toujours privilégié dans le cadre du règlement des incidents frontaliers qui l'ont opposé au Nigeria dès le lendemain des indépendances le dialogue et les moyens d'ordre politique126. Il en a été de même lors du déclenchement du conflit de Bakassi.

En janvier 1994, après l'invasion de la péninsule de Bakassi par l'armée nigériane, un contact téléphonique a été établi entre les Présidents Paul BIYA et Sani ABACHA à l'initiative du Chef de l'Etat camerounais qui ressentait la nécessité de s'enquérir de la situation auprès de son homologue Nigérian. A travers ce contact, le Chef de l'Etat nigérian a rassuré le Président Paul BIYA en lui expliquant que les militaires Nigérians avaient seulement pour mission de protéger les pêcheurs Ibibio contre les actions des gendarmes Camerounais « indisciplinés ».

Toutefois la tension est montée entre les deux pays le 4 janvier de la même année, lorsque les soldats nigérians ont hissé leur drapeau à Jabane et pénétré dans Diamonds island. Le 7 janvier, le Ministre Nigérian des Affaires Etrangères Babagana KINGIBE, porteur d'un message du Général Sani ABACHA, a été reçu en audience à Yaoundé par le Président Paul BIYA. Ledit message suggérait la constitution d'une Commission mixte Cameroun-Nigeria devant descendre sur le terrain constater les faits et adresser un rapport aux deux Chefs d'Etat. Le 13 janvier, le Chef de l'Etat Camerounais a dépêché Ferdinand Léopold OYONO, alors Ministre des Relations Extérieures, à Abuja pour signifier son accord, et porter « un message de paix et de conciliation » à son homologue. La rencontre de ladite Commission qui s'est tenue du 9 au 10 février 1994 à Buea (Chef lieu de la région camerounaise du Sud-Ouest), s'est soldée par un échec face à l'intransigeance de Babagana KINGIBE qui a affirmé la nationalité nigériane de Jabane et de Diamond island et rejeté toute descente sur le terrain127. Malgré ces déconvenues, le Cameroun a persévéré dans la voie diplomatique. Une délégation conduite par Francis NKWAIN, Ministre Délégué auprès du Ministre Camerounais des Relations Extérieures, a été envoyée au Nigeria le 16

125 Lire à ce sujet le Compte rendu du Briefing de la Presse nationale et internationale par le Ministre d'Etat chargé de la Communication, Porte parole du Gouvernement, sur le conflit de Bakassi, Samedi 5 mars 1994, in Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N°5548, Lundi, 07 mars 1994, p. 3.

126 Selon Maître Douala MOUTOME : « Le Cameroun avait déjà des ambitions qui ne cadraient pas avec l'option militaire », Entretien avec Maître Douala MOUTOME, Ministre de la justice et Garde des sceaux à l'époque de la prise de décision, Douala, Mardi le 26 juillet 2011.

127 Propos de Ferdinand Léopold OYONO recueillis par Zacharie NGNIMAN, 1996, op cit., p. 78.

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février 1994, afin d'y remettre un pli fermé du Président Paul BIYA au Général Sani ABACHA. En vue de faciliter les discussions et amener le Général à admettre la vacuité de la thèse nigériane sur Bakassi, la délégation comprenait entre autres personnalités, le Général de Brigade TATAW James, « présenté comme l'ami personnel et promotionnaire du Général Sani ABACHA à l'académie militaire britannique »128.

Les 18 et 19 février 1994, alors que les concertations se poursuivaient entre les deux pays, Yaoundé a appris l'éclatement de violents affrontements entre les armées nigériane et camerounaise à Bakassi. Dans un souci d'apaisement, le Président Paul BIYA a adressé dès le 19 février un ultime message à son homologue Nigérian afin de trouver une solution, juste, équitable et conforme au droit international, y compris par voie juridictionnelle, au conflit. Cet appel étant resté sans réponse, le Cameroun s'est résolu à saisir simultanément, le 28 février 1994, le Conseil de sécurité des Nations Unies et 1'Organe Central de Prévention, de Gestion et de Règlement des Conflits de l'O.U.A. Toutefois, ces recours n'ont pas eu les effets escomptés.

En vue d'éviter une escalade armée et de permettre aux parties d'aboutir à un compromis, des médiations se sont proposées. A cet égard, la principale médiation qu'ait connue le conflit de Bakassi avant le recours à la C.I.J., a été celle du Général Etienne GNASSINGBE EYADEMA, alors Président de la République du Togo. En effet, le 03 mars 1994, le Général EYADEMA s'est rendu à Yaoundé, porteur d'une proposition de médiation. Après un entretien avec le Chef de l'Etat camerounais sur le conflit de Bakassi, il s'est déplacé pour Abuja où, il a offert également sa médiation. Plus tard, il a été relayé par le Ministre des Affaires Etrangères du Togo, FAMBARA OUATTARA NATCHABA, qui a entrepris une succession de contacts avec les autorités camerounaises et nigérianes.

Néanmoins, la méfiance qui prévalait déjà dans les rapports entre le Nigeria et le Cameroun a rendu précaires les efforts de médiation. Le Nigeria qui avait toujours manifesté sa préférence pour un règlement purement bilatéral du conflit n'a pas facilité la tâche au médiateur. A titre illustratif, le 10 mars 1994, alors que le Ministre des Relations Extérieures du Cameroun et son homologue Nigérian étaient en concertation sur le problème de Bakassi, « les Nigérians ont refusé d'admettre à la réunion, la présence du Ministre des Affaires Etrangères du Togo, qui était venu en médiateur »129. Le Cameroun quant à lui, instruit par l'expérience, doutait de plus en plus des chances d'atteindre son objectif, en l'occurrence le respect de son intégrité territoriale, par la voie purement politique.

128 Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit., p. 16.

129 Ibid., p. 81.

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Paragraphe 2 : Le respect de l'intégrité territoriale du Cameroun

Le respect de l'intégrité territoriale du Cameroun, objectif de Yaoundé, passait par la reconnaissance de la « camerounité » de la péninsule de Bakassi (A), et le retrait des forces armées nigérianes des territoires camerounais occupés (B).

A. La reconnaissance de la « camerounité » de Bakassi

L'intégrité territoriale en tant que principe de droit international, évoque le droit et le devoir inaliénable d'un État souverain à préserver ses frontières de toute violation extérieure. C'est un principe destiné à protéger le territoire de l'Etat. Il fournit à celui-ci le prétexte suffisant à l'entretien d'une armée pour en assurer la défense. La violation de cette intégrité constitue un casus belli. Ladite intégrité peut être considérée comme un des attributs de la souveraineté (on parle à cet effet de la souveraineté territoriale). Ceci s'explique par le fait que le territoire est une des conditions de l'Etat. L'intégrité territoriale accompagne donc la souveraineté130. En outre, la capacité d'un Etat s'évalue par le contrôle qu'il exerce sur son territoire.

Face au problème susmentionné, le Cameroun recherchait avant tout à faire prévaloir le respect de son intégrité territoriale. Cela ne pouvait se faire que par la reconnaissance explicite de la souveraineté camerounaise sur la presqu'île, objet du litige131. Ce dessein a amené Yaoundé à se déployer activement en vue de justifier et de défendre ce qui est désormais entré dans le vocabulaire comme la « camerounité » de Bakassi. C'est également cet objectif que le Cameroun voulait atteindre à travers les démarches diplomatico-politiques entreprises sur le plan bilatéral et multilatéral.

Cette volonté ressortait clairement dans les déclarations du Président Paul BIYA et des membres de son Gouvernement. Dans un message radiotélévisé à la nation, le Chef de l'Etat affirmait à ce propos : « il n'est pas question de renoncer à la moindre parcelle de notre souveraineté »132. Le Cameroun avait d'ailleurs publié un dossier afin d'informer la communauté internationale des arguments justifiant la « camerounité » de Bakassi. Dans ce dossier, il réaffirmait une option : « celle de la pérennisation de sa souveraineté sur la péninsule de Bakassi,

130 La souveraineté a deux dimensions internes et externes. Elle est à la fois la capacité d'un Etat à organiser la vie politique de son peuple et celle à être reconnu de ses pairs comme indépendant.

131 Voir en Annexe 7, le Communiqué de presse de la Présidence de la République du 19 février 1994, relatif aux accrochages militaires entre le Cameroun et le Nigeria dans la presqu'ile de Bakassi (page 136).

132 Message du Président Paul BIYA à la nation, le 23 mars 1994.

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internationalement reconnue comme territoire camerounais »133 et espérait que « les autorités nigérianes elles-mêmes reviennent bientôt à la raison »134.

C'est ainsi que, quant il a fallu déposer une requête devant la C.I.J., le premier souhait de Yaoundé a naturellement été que la Cour se prononce sur le fait « que la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi était camerounaise en vertu du droit international, et que Bakassi faisait partie intégrante du territoire de la République du Cameroun »135 ; d'où la demande de retrait des forces armées nigérianes.

B. Le retrait des forces armées nigérianes de la péninsule

A l'époque, le retrait des forces armées nigérianes apparaissait pour Yaoundé comme la conséquence logique de la reconnaissance nigériane de la « camerounité » de la péninsule de Bakassi. Cela participait de manière factuelle du respect de l'intégrité territoriale et de la souveraineté camerounaise sur la péninsule litigieuse.

En effet, en introduisant massivement ses troupes armées136 dans la presqu'île camerounaise, en y menant des activités militaires, et en la rattachant administrativement aux Etats fédérés nigérians d'Akwa Ibom et de Cross River, la République fédérale du Nigéria violait, selon Yaoundé, l'intégrité territoriale du Cameroun137.

Dans cette situation, comme l'a déclaré le Porte parole du Gouvernement de l'époque, le Pr Augustin KONTCHOU KOUOMEGNI, le Cameroun comptait sur un règlement factuel c'est-à-dire, « que l'armée nigériane se retire du territoire camerounais et aille en territoire nigérian. Même s'il n'y a pas un accord formel, s'il y'a un mouvement des troupes nigérianes vers le Nigeria qui quittent Jabane et Diamond, le problème est résolu »138.

A titre illustratif, dans sa requête introductive d'instance, le Cameroun a demandé à la Cour de juger que : « la République Fédérale du Nigeria a le devoir exprès de mettre fin à sa présence militaire sur le territoire camerounais, et d'évacuer sans délai et sans condition ses troupes de la presqu'île camerounaise de Bakassi »139.

133 Gouvernement de la République du Cameroun, 1998, op. cit., p. 33. La première édition de ce dossier date de 1994.

134 Idem.

135 Requête Introductive d'Instance enregistrée au Greffe de la Cour le 29 mars 1994, [En ligne], http://www.peuplesawa.com/downloads/24.pdf, consulté le 17 juillet 2011.

136 Les unités de l'armée nigériane ayant attaquées les unités de surveillances de l'armée camerounaise à Bakassi du 18 au 19 février 1994, étaient estimées à un demi-millier d'hommes. (Voir Zacharie NGNMAN, 1996, op. cit., p. 17.).

137 Lire l'exposé des faits de la Requête Introductive d'Instance, op. cit.

138 Propos tenus lors de la réunion de Briefing de la Presse nationale et internationale par le Ministre d'Etat chargé de la Communication, Porte parole du Gouvernement, sur le conflit de Bakassi, Samedi 5 mars 1994, Compte rendu du Briefing in Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N°5548, Lundi, 07 mars 1994, p. 4.

139 Requête Introductive d'Instance, op. cit., [En ligne].

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Le problème déterminé et l'objectif poursuivit identifié, il convient maintenant de ressortir les options non judiciaires envisagées pour atteindre ce but ; et d'évaluer pour chacune des options les conséquences qu'elle entraîne, c'est-à-dire ses bénéfices et ses coûts sur ledit objectif.

Section 2 : Les options non judiciaires soumises au Cameroun

Face au problème susmentionné, en dehors de l'option judiciaire qui est analysée plus loin140, deux alternatives étaient soumises au Gouvernement camerounais : la poursuite de la voie diplomatique (Paragraphe 1) et le règlement militaire (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La poursuite de la voie diplomatique

Les méthodes diplomatiques de règlement des conflits renvoient à la négociation, la consultation141, les bons offices, la médiation, l'enquête et la conciliation. Ces méthodes - mise à part la consultation - ont pour particularité qu'elles tendent à la recherche d'un accord entre les parties. Le Cameroun qui avait déjà engagé des négociations avec le Nigeria et était impliqué dans un processus de médiation aurait pu, vu les mérites reconnus aux moyens diplomatiques de règlement, se contenter de cette voie (A). Cependant, il convient de reconnaître que la poursuite de cette unique voie risquait d'hypothéquer les chances de Yaoundé d'atteindre son objectif (B).

A. Les mérites du règlement diplomatique

Le Cameroun aurait pu persévérer en 1994, dans la voie diplomatique de règlement du conflit de Bakassi. En effet, il avait engagé des négociations bilatérales avec le Nigeria, accepté la médiation du Président Togolais Étienne GNASSINGBE EYADEMA et saisi les organes de l'O.U.A. et de l'ONU compétents en la matière. Ces voies revêtaient chacune des avantages pouvant être exploités par les autorités de Yaoundé.

En ce qui concerne la négociation diplomatique, elle domine les modes non juridictionnels de règlement de conflit142. Son importance est affirmée par la Charte des Nations Unies, et la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Elle est la voie la plus normale de solution

140 Au Chapitre suivant, en l'occurrence le Chapitre II de la Première Partie de l'étude.

141 La consultation en vue du règlement d'un différend renvoie à des discussions sur les vues respectives des parties. Elle est souvent prévue en premier ressort et consiste en la recherche du moyen à adopter pour le règlement d'un différend. Il s'agit d'une forme de négociations plus simplifiée, moins formelle et plus directe, mais de laquelle est absente l'idée de rechercher un accord. (Lire à ce sujet, Photini PAZARTZIS, op. cit., 1992, pp. 70-71.).

142 Photini PAZARTZIS, 1992, op. cit., p. 8.

des conflits internationaux ; ceci parce qu'elle implique le dialogue qui, par définition renvoie à accepter l'autre comme interlocuteur. Le Cameroun qui avait toujours privilégié cette voie pour le règlement des incidents frontaliers avec le Nigeria, aurait pu s'y cantonner. Cette solution était d'autant plus envisageable que le Nigeria avait toujours marqué sa prédilection pour un règlement bilatéral du conflit de Bakassi.

En terme financier, elle s'avérait (tout comme les autres procédés diplomatiques de règlement de conflit) moins coûteuse que la voie militaire ou la voie judiciaire. En outre, parce qu'elle impliquait la concertation en vue d'un ajustement des vues entre les gouvernements intéressés, l'accord né de cette voie pouvait être plus apte à être exécuté par les parties. La négociation offrait également la garantie d'une préservation des relations amicales et de bon voisinage, entre le Cameroun et le Nigeria, déjà détériorées par l'occupation nigériane. En outre, des études montrent que la plupart des conflits territoriaux sont résolus par des négociations bilatérales143. Ce tableau est à ce titre illustratif.

Tableau 1 : Classement des méthodes de règlement pacifique des conflits territoriaux les plus utilisés par les Etats.

Attempts at Peaceful Resolution of Disputes

 

Percentage of Years (1945-2003)

Bilateral negotiations

77.4%

Nonbinding third party

16%

Arbitration

1.5%

Adjudication

4,9%

Source: Emilie Justyna POWELL, Krista E. WIEGAND, «Legal system and peaceful attempts to resolve territorial disputes», in Conflict Management and Peace Science, The Author(s), vol. 26(5), 2009, p. 14, [En ligne], http://www.sagepub.co.uk/journalsPermissions.nav, consulté le 20 juillet 2011.

143 Lire à ce sujet, Paul HUTH, Standing your ground: Territorial disputes and international conflict, Ann Arbor, MI: University of Michigan Press, 1996; et Paul HUTH, Todd L. ALLEE. 2002. The democratic peace and territorial conflict in the twentieth century, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, cité par Emilie Justyna POWELL, Krista E. WIEGAND, «Legal system and peaceful attempts to resolve territorial disputes», in Conflict Management and Peace Science, The Author(s), vol. 26(5), 2009, [En ligne], http://www.sagepub.co.uk/journalsPermissions.nav, consulté le 20 juillet 2011).

S'agissant de la médiation qui fait partie des modes de règlement que Photini PAZARTZIS qualifie « les aides à la négociation », elle était conduite depuis le 3 mars 1994 par le Président EYADEMA. Ce dernier était réputé pour son charisme et son pays entretenait de bonnes relations avec le Cameroun et le Nigeria. Ce facteur était important, car comme le soulève Alain PLANTEY, « toute médiation repose sur la confiance »144. De plus, l'actif du Président EYADEMA en tant que médiateur, lui conférait un certain crédit. En effet, depuis 1969, il avait été impliqué dans de nombreuses entreprises de médiation. En 1969, il avait servi de médiateur entre MOBUTU SESE SEKO du Zaïre et Marien NGOUABI du Congo. Il était également intervenu en 1972 pour réconcilier le Nigeria de Yacubu GOWON avec le Gabon d'Omar BONGO, et la Côte d'ivoire de Félix HOUPHOUET-BOIGNY, dont les relations s'étaient refroidies en raison de leurs prises de positions divergentes au sujet de la sécession du Biafra145. Il avait participé à la médiation tenue à Monrovia qui avait contribué en 1978, à la réconciliation de Léopold SEDAR SENGHOR, Félix HOUPHOUET-BOIGNY et Ahmed SEKOU TOURE en conflit depuis près de vingt. Au sommet de l'O.U.A. à Monrovia en 1979, il avait participé à la réconciliation des Présidents Mathieu KEREKOU du Bénin et Omar BONGO du Gabon. En 1980, il était intervenu en tant que médiateur dans le conflit ayant opposé au Tchad GOUKOUNI WEDEYE et HISSEN HABRE. Fait majeur, lors de la crise camerouno-nigériane née de l'incident du 16 mai 1981, il figurait parmi les Chefs d'Etat qui avaient contribués à éviter l'escalade armée entre les deux pays. S'il avait pu accorder les parties en 1981, il aurait pu, vu son passif le faire en 1994.

S'agissant des organes de l'ONU et de l'O.U.A. préalablement saisis, ces derniers avaient montré leur engagement pour un règlement du conflit. Par ailleurs, le Cameroun par cette action, prouvait sa bonne foi, son engagement pour la paix, et prenait le monde à témoin de l'agression nigériane. Toutefois, malgré ces mérites, la voie diplomatique revêtait d'importantes limites.

B. Les limites de la voie diplomatique

Selon Jean BARREA, la négociation, sur le plan perceptuel, est un phénomène de « convergence des référents », c'est-à-dire des perceptions ou « définitions de la situation »146. Dans le cas d'espèce, les parties n'arrivaient plus à s'entendre car elles avaient une définition différente de la situation. Le Nigeria percevait la péninsule de Bakassi comme un territoire nigérian, et refusait de s'y retirer. Le Cameroun quant à lui était convaincu de son bon droit c'est-à-dire de la « camerounité » de Bakassi. L'absence de convergence entre ces deux images, était en même de

144 Alain PLANTEY, Principes de diplomatie, Paris, éd. A. PEDONE, 2000, p. 133.

145 Le Gabon et la Côte d'Ivoire figuraient parmi les pays à avoir reconnu le Biafra.

146 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 257.

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favoriser l'enlisement des négociations, et ainsi la consolidation de la présence nigériane en territoire camerounais.

Par ailleurs, la médiation engagée revêtait également des limites. Comme le relève PLANTEY, accepter une médiation n'est pas accepter son résultat. Celui-ci est rarement contraignant, généralement aléatoire, et ne saurait être imposé aux parties147. Malgré l'engagement du Président EYADEMA, l'intransigeance du Nigeria (qui avait toujours souhaité un règlement bilatéral plus favorable à ses intérêts) et la résignation du Cameroun, convaincu de l'impossibilité d'une solution bilatérale, ne facilitaient pas la tâche au médiateur.

En effet, l'une des difficultés auxquelles le Cameroun faisait face en 1994 est, comme il a été mentionné ci-dessus, celle de l'échec des différentes démarches entreprises pour régler diplomatiquement l'antagonisme à propos de la péninsule de Bakassi. Qui plus est, au-delà du litige relatif à la presqu'île de Bakassi, jusque là, presque tous les engagements pris en vue du règlement des problèmes frontaliers avec le Nigeria avaient ultérieurement été remis en cause. Les travaux réalisés au sein de la Commission mixte Cameroun-Nigeria de délimitation de la frontière, et la Commission du Bassin du Lac Tchad (C.B.L.T.), sont à ce titre illustratif.

Le 14 août 1970, lors d'une rencontre entre le Cameroun et le Nigeria qui s'était tenue à Yaoundé et qui est couramment appelée « Yaoundé I », la Commission technique paritaire148 était devenue la Cameroon-Nigeria Joint Boundary Commission (Commission mixte Cameroun-Nigeria de délimitation de la frontière). Au cours de cette rencontre, le programme des travaux et les instruments à prendre en compte pour la définition de la frontière entre les deux pays (notamment les Accords anglo-allemand du 11 et du 12 avril 1913) avaient été déterminés et le travail avait été confié à ladite Commission. Les travaux de cette Commission avaient eu pour résultats, l'Accord de Yaoundé II et l'Accord de Maroua. L'Accord de Yaoundé II, signé par les Présidents Yacubu GOWON et Ahmadou AHIDJO en avril 1971, avait permis la démarcation de la frontière maritime du point 1 situé à l'intersection de la ligne joignant Bakassi Point au Cameroun à King Point au Nigeria, au point 12 représentant la limite des eaux territoriales des deux pays avec les coordonnées

147 Alain PLANTEY, 2000, op. cit., p.135.

148 La Commission technique paritaire Cameroun/Nigeria a été constituée en 1965, à la suite de deux incidents frontaliers : l'appréhension d'une équipe d'experts de la société Mobile Oil qui faisait de la prospection pour le compte de l'Etat camerounais dans l'estuaire du fleuve Cross par une patrouille du service de renseignement nigérian (Voir Ministère des Affaires Etrangères et de la Fonction Publique Fédérale, Yaoundé, « Mémorandum » du Consul des Etats-Unis à Douala. 2/11/1965, documents MESRES., cité par Martin Zachary NJEUMA, « Contributions diplomatiques et administratives à la paix sur la frontière entre le Cameroun et le Nigeria (1885-1992) », in UNESCO et CISH, Des frontières en Afrique du XIIème au XXème siècle, Bamako, 1999, p. 174.), et l'éclatement d'un litige foncier entre les habitants de la localité nigériane de Danaré et leurs voisins Camerounais du village de Boudam, situés de part et d'autre de la frontière (Voir Compte rendu de la réunion tenue à Ikom (Nigeria) le 7 juin 1965 en vue de régler le litige frontalier opposant les villages de Danaré (Nigeria) et de Boudam (Cameroun), documents MESRES, cité par Ibid., p. 175). Cette Commission était composée de juristes, de cartographes et de topographes, chargés de faire des recherches sur le terrain pour tracer la frontière.

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rapportées sur la carte N°3433 de l'Amirauté britannique149. Quant à l'Accord de Maroua du 1er juin 1975, signé également par les deux Chefs d'Etat, il avait prolongé la démarcation de la frontière du point 12, au point G avec les mêmes coordonnées.

Toutefois, en 1978, alors que les deux gouvernements s'apprêtaient à poursuivre leurs travaux au-delà du Point G, le Nigeria a remis en cause unilatéralement l'Accord de Maroua et plus tard celui de Yaoundé II, anéantissant ainsi tous les efforts qui avaient été entrepris depuis le 14 août 1970. Le non respect par les autorités nigérianes de leurs engagements s'était également illustré au niveau de la frontière lacustre. En effet, alors que des travaux de démarcation avaient été entrepris et se poursuivaient dans le cadre de la C.B.L.T.150 à l'initiative des Chefs d'Etat151, le Nigeria envahissait la localité camerounaise de Darak et les villages avoisinants.

Ces faits figurent parmi les éléments qui ont mûri la décision du Président Camerounais152 qui était conscient dans ce cas précis, des inconvénients du règlement diplomatique et de la nécessité du recours à un mécanisme contraignant. À l'époque, le Porte parole du Gouvernement camerounais relève à ce propos que : « si nous signons maintenant un accord avec le Nigeria, on pourra encore nous dire demain que cet accord n'est pas ratifié »153. Instruit par l'expérience, le Cameroun cherchait donc, avant tout, une solution définitive, conforme au droit international et insusceptible d'être plus tard remise en cause par le Nigeria. Cette solution ne pouvait venir ni du Conseil de sécurité, ni de l'Organe Central de l'O.U.A. qui, malgré leurs efforts tardaient à trouver des réponses satisfaisantes au problème.

La poursuite isolée de la voie diplomatique ainsi éliminée, il restait au Cameroun deux options : le règlement par l'organe judiciaire principal des Nations Unie, et la solution militaire.

149 Carte accompagnant les Accords germano-britanniques de 1913.

150 Le lac Tchad est un écosystème important très convoité, et une frontière internationale. Ses Etats riverains sont le Cameroun, le Niger, le Nigeria, et le Tchad. La C.B.L.T. est née de la Convention de Fort-Lamy du 22 mai 1964, afin de mettre en valeur les ressources du bassin du lac Tchad à des fins économiques, d'assurer l'aménagement des eaux, et la résolution des différends y relatifs.

151Suite à des incidents entre le Cameroun et le Nigeria dans la région du lac Tchad en 1983, les deux Chefs d'Etats convoquèrent une réunion de la C.B.L.T. entre le 21 et le 23 juillet de la même année à Abuja. Cette réunion avait pour objectif de « confier à la commission le soin de traiter certaines questions frontalières et de sécurité ». Elle permit la création de deux sous commissions dont les experts proposèrent la démarcation de la frontière. Cette opération fut confiée par les quatre Etats membres à la C.B.L.T. Pour ce faire, les travaux furent entrepris par l'IGN France International, avec la participation des experts nationaux, sur la base des instruments juridiques pertinents conclus par les puissances coloniales. Entre 1988 et 1990, quinze bornes en béton ont été posées avec l'accord de tous les Etats intéressés.

152 Entretien avec Monsieur Hamidou NJIMOLUH KOMIDOR, Diplomate, Conseiller diplomatique du Chef de l'Etat à l'époque de la prise de décision, Ambassadeur du Cameroun au Congo et en Angola, 26 Juin 2011.

153 Propos tenus lors de la réunion de Briefing de la Presse nationale et internationale par le Ministre d'Etat chargé de la Communication, Porte parole du Gouvernement, sur le conflit de Bakassi, op. cit., p. 4. C'est ce prétexte qui avait été soulevé par le Nigeria pour remettre en cause les Accords de Yaoundé II et Maroua.

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Paragraphe 2 : Le règlement militaire

CLAUSEWITZ, dans son célèbre ouvrage De la Guerre, affirme que la « guerre est un véritable instrument de la politique, une poursuite de relations politiques, une réalisation de celles-ci par d'autres moyens »154. Conformément au principe du théoricien Prussien, le Cameroun, face à l'intransigeance du Nigeria, aurait pu opter pour une solution militaire du conflit de Bakassi (A). Mais ce pays d'Afrique centrale « n'avait ni le goût, ni les moyens de contester par la force les agissements de son puissant voisin »155 (B).

A. Une solution envisageable

La solution à un conflit peut à tout moment résulter de la vigueur et de l'efficacité du recours à la force156. Face à l'occupation nigériane d'une portion de son territoire, le Cameroun aurait pu recourir à la force afin de l'y déloger. Cette solution était d'autant plus envisageable que, Yaoundé avait une Convention d'alliance militaire avec Paris. Les alliances étant destinées à agir sur la scène internationale en équilibrant influences, forces et manoeuvres, cette coalition était propre à contrebalancer le rapport de force entre le Cameroun et le Nigéria, puissance régionale.

Par ailleurs, l'un des aspects de la politique de défense du Cameroun est le concept de « Défense populaire ». Il renvoie à la « capacité de la nation à mobiliser toutes les énergies susceptibles d'assurer la sécurité du pays et la sauvegarde de ses conquêtes dans la voie du progrès »157. C'est la participation de tout un peuple à l'effort de défense en vue de s'opposer par tous les moyens à l'invasion du territoire national158. En d'autres termes, les civils sous différentes formes auraient pu apporter leur appui armé ou non aux forces régulières.

Autre facteur, l'Etat-nation nigérian était à l'époque en crise. Il était menacé par le haut (du fait du fédéralisme et du régionalisme) et par le bas du fait de l'ethnicité159. Depuis 1980, le pays

154 Karl Von CLAUSEWITZ, De la Guerre, Paris, Editions Minuit, 1950, p. 67, cité par Raymond ARON, 1962, op. cit., p. 35.

155 Affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria, Observations de la République du Cameroun sur les exceptions préliminaires du Nigeria, Livre I, 30 Avril 1996, [En ligne], http://www.icj-cij.org, consulté le 26 Juin 2011, Introduction, paragraphe 23.

156 Alain PLANTEY, 2000, op. cit., p. 432.

157 Paul BIYA, Messages du Renouveau, Tome 2, Triomphe des promotions Rudolphe Douala Manga Bell et Martin Paul Samba de l'EMIA », Yaoundé, 12 juillet 1983, pp. 177-178, cité par ELA ELA Emmanuel, La politique de défense du Cameroun depuis 1959 : contraintes et réalités, Mémoire, Yaoundé, IRIC, 2001, p. 151.

158 ELA ELA Emmanuel, op. cit., 2001, p. 151.

159 Lire à ce propos, Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., p. 232. Comme il est évoqué plus loin, c'était également le cas au Cameroun, mais la situation était plus critique au Nigeria.

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faisait face à une récession économique qui avait contraint le Gouvernement à une restriction budgétaire de l'armée nigériane, et à une négligence de l'entretien de l'équipement militaire160.

Qui plus est, faisant face à une occupation militaire de son territoire et après maintes tentatives de négociation, l'engagement militaire du Cameroun aurait pu être justifié aux yeux du monde par le souci de défendre son intégrité territoriale. A ce titre, il existait des exemples dans l'histoire où, un conflit territorial avait été réglé par le recours à la force. C'était le cas notamment du conflit des Malouines où, le Royaume-Uni avait réussi en 1982 à déloger par la force l'Argentine des îles Malouines (en anglais, îles Falkland) et de la guerre d'Ogaden par laquelle une contre-offensive militaire avait permi à l'Ethiopie d'obliger en 1978, les Somaliens à se retirer de la région de l'Ogaden occupée depuis 1977.

Malgré tous ces arguments, le règlement militaire avait plus d'inconvénients que d'avantages.

B. Une option coûteuse et indésirable

Le règlement pacifique des différends est un principe fondamental de la politique étrangère du Cameroun. Il a pour corolaire l'interdiction du recours à la force dans les relations internationales161. Yaoundé qui est particulièrement attaché à ce principe et à sa politique de bon voisinage, a préféré à la guerre, un règlement judiciaire.

Toutefois, au-delà de ce fondement théorique, le choix de la C.I.J. s'explique non seulement par les pertes probables qui auraient pu découler d'un engagement militaire (1), mais aussi par la perception que le Cameroun avait du rapport de force (2).

1. Les coûts de la guerre

A l'époque, le Cameroun faisait face à une situation socio-économique et politique délicate ; entrer en guerre revenait à supporter ses conséquences ruineuses, et à détériorer davantage le contexte socio-économique et politique de la nation.

La guerre est, en effet, un phénomène incompatible avec le développement pourtant objectif premier des autorités de Yaoundé. En matière économique, l'effort de guerre162 et les dépenses militaires qui auraient accompagné une guerre camerouno-nigériane, auraient influé de manière

160 Thomas LOTHAR WEISS, « Le différend Cameroun-Nigeria : au-delà de Bakassi », Relations Internationales et Stratégiques, N°23, Automne 1996, p. 119.

161 Sur le caractère fondamental de ce principe dans la politique étrangère du Cameroun, lire Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op cit, pp. 58-61.

162 L'effort de guerre renvoie à une mobilisation exceptionnelle de fonds, de matériel et d'hommes par un État impliqué dans un conflit.

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importante sur les grands indicateurs économiques que sont l'investissement, la croissance, l'emploi, l'inflation, et la balance des paiements (indices ou principes macro-économiques permettant de mesurer le degré de développement d'un pays donné).

Pour un pays en développement comme le Cameroun, l'effort de guerre se serait traduit sur le plan social, pour l'éducation et la santé par exemple, par une insuffisance galopante du personnel, un ralentissement du progrès infrastructurel, une aggravation de la sous-scolarisation, une insuffisance des soins de santé primaires, un manque d'eau potable163.

En outre, la guerre se serait accompagnée de refugiés, de déplacés, de dégâts matériels, de morts, etc. A titre illustratif, en 1990, du fait de la multiplication des conflits armés sur le continent noir, plus de 2,5% de toute la population africaine étaient des refugiés politiques, 4,7 millions d'Africains étaient en détresse dans un autre pays africain que celui de leur naissance, 8,6 millions de personnes étaient considérées par l'ONU comme déplacés164. Entre 1960 et 1992, les conflits majeurs africains avaient provoqué la mort de 6 millions de personnes, dont 69,2 % de militaires, et plus de 7 % de disparus165. En plus de ces effets ruineux, la guerre aurait compromis à long terme les relations de bon voisinage entre le Cameroun et le Nigeria, pourtant liés par l'histoire, la géographie et la culture166.

2. La perception du rapport de force

Avant un engagement militaire, Il est nécessaire de procéder à une analyse des rapports de force. Dans le cas d'espèce, une étude comparative des facteurs classiques de puissance montre qu'il existait entre le Cameroun et le Nigeria des déséquilibres d'ordre démographique, économique et militaire.

Sur le plan démographique, le Nigeria était (et reste) le pays le plus peuplé d'Afrique. Á la fin des années 1990, sa population était estimée à 123 millions d'habitants167. Durant la même période, la population camerounaise n'atteignait pas le tiers de celle nigériane, son estimation variait entre 13 et 15 millions d'habitants. Dans la mesure où la capacité d'un Etat à lever rapidement des armées et à compenser les pertes, constitue un élément déterminant de la puissance

163 Oumarou CHINMOUN, Désarmement et développement en Afrique : Réflexion sur une politique régionale, Thèse de Doctorat, Yaoundé, IRIC, 1995, pp. 161-162.

164 U.S. Commitee for refugees, World Refugee Survey : 1989 in review, Washington D.C., 1990, pp. 30-32, cité par Michel KOUNOU, «Les conflits armés post Guerre Froide en Afrique au Sud du Sahara: un essai de caractérisation», Revue Africaine d'Etudes Politiques et Stratégiques, N° 1, 2001, p. 224.

165 Ruth Leger SIVARD, World Military and Social Expenditures 1993, Washington D.C., 1993, pp. 20-21, cite par Idem.

166 Pour de plus amples informations sur les liens historico-culturels, et géographiques qui unissent le Cameroun et le Nigeria, voir ci-dessous la partie qui traite des « exigences d'une paix obligée avec le Nigeria ».

167 Voir « Nigeria, des mots et des chiffres pour comprendre », in Amand'la, mai, juin, 1999, p.12, cité par Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op cit, p. 220.

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militaire et donc de la puissance tout court168, le facteur démographique donnait un avantage non négligeable au Nigeria. Face à 123 millions d'habitants, même la politique de « Défense populaire » du Cameroun ne pouvait tenir. Cet argument était davantage corroboré par le fait que le service militaire avait été suspendu en raison de la conjoncture économique.

Sur le plan économique, le Cameroun était à l'époque plongé dans une crise depuis 1985. Economie de rente, la faiblesse des campagnes coton et café, ainsi que la baisse des activités pétrolières (l'exportation notamment)169, avaient assombris l'avenir économique du pays. Quant au Nigeria170, malgré la récession économique, l'or noir restait un générateur important de devises : 30 millions de dollars étaient quotidiennement recueillis par le pays au début des années 1990, soit environ 15 milliards de francs C.F.A, pour une production journalière évaluée à 2 millions de barils171.

En termes de potentiel humain et matériel, le Nigeria détenait l'une des armées les puissantes d'Afrique. Comme le montre le Tableau 2 ci-dessous, en 1994, le déséquilibre militaire entre l'armée camerounaise et celle nigériane était flagrant et, explique sans doute le recul manifesté par le Cameroun vis-à-vis d'un règlement militaire. A l'époque, l'armée nigériane comptait 85 800 soldats répartis en : 62 000 hommes pour l'armée de terre, 7 300 dans l'armée marine, 9 500 dans l'armée de l'air, et 7 000 pour la garde nationale. Elle était dotée d'un matériel, quand bien même vieillissant, numériquement impressionnant : 257 chars d'assaut, 65 navires de guerre172 (contre 4 pour le Cameroun), des véhicules blindés de transport des troupes, de l'artillerie tractée et automotrice, des canons de défense aériennes et 64 missiles sol air. L'armée de l'air disposait de : 95 avions de combat (contre 16 pour le Cameroun) de type Alpha jet, Mig 21, Jaguar et 15 hélicoptères173. Le Cameroun quant à lui, se trouve dans une position inconfortable. Il n'était défendu que par 12.100 soldats soit : 6.600 pour l'armée de terre, 300 pour l'armée de l'air, 1.200 pour la marine, et 4.000 pour la gendarmerie. En termes de bataille rangée, cela donnait un rapport de force de sept soldats Nigérians contre un soldat Camerounais. Par ailleurs, l'accord de défense qui le liait à la France ne lui assurait pas entièrement l'intervention militaire de cette dernière en cas de guerre.

168 Thierry de MONTBRIAL, L'action et le système monde, Paris, Quadrige/PUF, 2ème éd., 2008, p. 60.

169 A titre illustratif, voir l'annexe 8 qui traite des activités pétrolières du Cameroun (en tonne) entre 1987-1995 (page 137).

170 Le Nigeria est alors, et continu d'ailleurs de l'être aujourd'hui, le premier exportateur africain de pétrole, et le cinquième mondial au rang de l'OPEP.

171 Sylvie Françoise CARON, « Le Nigeria : chronique d'une explosion annoncée », Afrique 2000, n°23, Mai, 1996, pp. 99-100, cité par Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., p. 221.

172 Soit deux frégates, deux corvettes, six vedettes lance-missiles, 53 garde-côtes, deux navires porteurs de mines.

173 Sur les capacités militaires de l'armée nigériane à l'époque, lire Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit., p. 74-75, MGBALE MGBATOU Hamadou, 2001, op. cit., pp. 222-224, et Jean Pierre FOGUI, 2010, op. cit., p. 24.

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La force du Nigeria doit toutefois être nuancée, car « la puissance d'une armée est liée d'une part, au « système d'hommes » (formation et perfectionnement) et au « système d'armes », c'est-à-dire la puissance de feu disponible en quantité et en qualité, et d'autre part à un environnement socio-politique propice »174. Or, le Nigeria était, à l'époque de la prise de décision, « une fédération politiquement et socialement instable, minée par la corruption à tous les niveaux, y compris l'institution militaire »175. Qui plus est, il existait dans l'histoire des exemples où, une armée a priori plus puissante que son adversaire, n'avait pas pu le faire plier. La guerre du Vietnam (1959-1975) était à ce titre illustratif. Malgré leur nombre et leur équipement technologique, les soldats américains n'étaient pas parvenus à s'imposer au Viêt Nam.

Néanmoins, cela n'enlève rien à l'incertitude qui entourait le recours au règlement militaire ; d'autant plus que, ces vulnérabilités ne remettaient pas en cause la force militaire de l'armée nigériane, composée en partie d'éléments aguerris par les guerres du Libéria et de la Sierra Leone.

Tableau 2 : Effectifs et Armement des armées nigérianes et camerounaises en 1994.

 

INDICATEURS

NIGERIA

CAMEROUN

EFFECTIFS

Armée de terre

62 000

6 600

Armée de l'air

9 500

300

Marine

7 300

1 200

Garde nationale (Nigeria) Gendarmerie (Cameroun)

7 000

4 000

TOTAL

85 800

12 100

EQUIPEMENTS
TERRESTRES

Chars d'assaut

257

Non estimés

174 André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op. cit., p. 146 175Idem.

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EQUIPEMENTS
AERIENS

Missiles Sol Air

64

Non estimés

Avions de combat

95

16

Hélicoptères

15

4

EQUIPEMENTS
NAVALS

Navires de guerre

65

4

Source: Réalisé par l'auteur à base de données tirées de Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit., p. 7475 ; Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., pp. 223-224 et 227-228 ; Jean Pierre FOGUI, 2010, op. cit., p. 24.

Face aux convoitises nigérianes sur la péninsule de Bakassi, trois options s'offraient au Cameroun en vue de l'atteinte de l'objectif fixé : la poursuite de la voie de règlement diplomatique, le recours au règlement militaire et la solution judiciaire. Après l'analyse des deux premières options il ressort clairement que, poursuivre à travers la seule voie diplomatique aurait pu à terme favoriser la consolidation de la présence nigériane en territoire camerounais ; et que recourir au règlement militaire auraient été désastreux à tous les nivaux pour lesdits pays.

Dès lors, quels avantages offrait le recours au règlement judiciaire au Cameroun ? Ces avantages maximisaient-ils les chances de ce dernier d'atteindre son objectif ? Étaient-ils plus importants que les risques possibles qui l'accompagnaient ?

Là se trouvent les questions traitées dans le Chapitre II de la présente étude.

CHAPITRE II : LES ENJEUX DU RECOURS AU

REGLEMENT JUDICIAIRE

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L'engagement judiciaire constitue l'obligation la plus « parfaite » en matière de règlement des conflits176. Par rapport aux procédures diplomatiques, le recours au règlement judiciaire implique une plus grande renonciation au pouvoir discrétionnaire des Etats. Une fois une procédure judiciaire déclenchée, elle se poursuit normalement jusqu'à l'adoption d'une décision, apportant une solution définitive au conflit. Avant d'y recourir, un Etat doit scruter la valeur juridique de ses prétentions, en vue d'apprécier si la voie judiciaire est avantageuse ou dangereuse. Il doit évaluer ses chances de gain et ses risques de perte dans une instance qui se terminera par une décision obligatoire ; évaluation qui comporte toujours un élément d'incertitude.

A cet égard, le choix du règlement judiciaire du conflit de Bakassi, précisément le recours à la C.I.J., comportait des risques pour le Cameroun (Section I). Toutefois, ces risques ne pesaient pas autant que les nombreux avantages liés au recours à l'organe judiciaire principal des Nations Unies (Section II).

Section 1 : Les risques du recours au règlement judiciaire

Le choix du règlement judiciaire revêtait essentiellement deux inconvénients : d'une part, l'incertitude sur l'issue et l'exécution du jugement par le Nigeria (Paragraphe 1) et d'autre part, le souvenir de la première expérience malheureuse du Cameroun devant la C.I.J., à l'occasion de l'affaire de Cameroun septentrional (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'incertitude sur l'issue et l'exécution du jugement

L'impossibilité d'avoir une connaissance assurée sur l'issue du jugement de la C.I.J. (dont les résultats sont obligatoires) (A) et sur son exécution par la partie nigériane, dans un environnement dominé selon le courant réaliste des relations internationales par l'anarchie177 (B), fait partie des raisons qui auraient pu expliquer l'éloignement du Cameroun de la solution judiciaire. En effet, jaloux de leur souveraineté, les Etats rebutent parfois à déclencher une procédure dont ils ne savent pas quel sera le résultat, et si le défendeur s'y pliera.

176 Photini PAZARTZIS, 1992, op. cit., p. 66.

177 Lire à ce propos Pierre de SENARCLENS et Yohan ARIFFIN, 2006, op. cit., p. 14.

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A. Un choix à l'issue incertaine

L'incertitude sur l'issue du jugement revêtait deux aspects pour la partie camerounaise : d'une part, les risques de détérioration des relations avec le « grand voisin » nigérian et d'autre part, l'absence de garantie de victoire.

En ce qui concerne le premier aspect, tous les Etats éprouvent une crainte devant l'inconnu que représente une décision de justice obligatoire. Aller devant la C.I.J., revenait pour le Cameroun à s'opposer publiquement au Nigeria ; ce qui aurait pu être considéré par ce dernier comme un « acte inamical ». En effet, le recours à la Cour, qui ne pouvait se faire que de manière unilatérale, risquait de compromettre davantage les relations entre ces deux pays qui étaient déjà opposés dans une confrontation militaire (quoique de basse intensité). A titre illustratif, le Nigeria a soutenu devant la C.I.J. que le Cameroun avait fait preuve de mauvaise foi en continuant à entretenir avec lui des contacts bilatéraux sur les questions de frontières, alors qu'il s'apprêtait à s'adresser à la Cour178. Qui plus est, les autorités de Yaoundé étaient conscientes du coup psychologique qu'avait porté le contentieux camerouno-britannique, à propos de l'affaire du Cameroun Septentrional, sur les relations avec Londres, qui demeurent encore aujourd'hui « assez timides »179.

Par le recours à la C.I.J., le Cameroun prenait également le risque de perdre le procès engagé ; ce qui aurait été ressenti comme un second échec difficilement acceptable après celui de l'affaire du Cameroun septentrional. Dans ce contexte, les autorités Camerounaises auraient pu être moins enclines à recourir au règlement judiciaire. Qui plus est, l'absence de garantie de victoire découlait principalement du fait que les juges de l'instance judiciaire (en l'occurrence la C.I.J.) appliquaient un droit international dont les sources étaient variables et sur lesquelles les parties n'avaient quasiment aucune maîtrise. Le Statut de la C.I.J. affirmait à cet effet que « la Cour dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis applique les conventions internationales, soit générales, soit spéciales établissant des règles expressément reconnues par les Etats en litige ,
· la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale, acceptée comme étant le droit ,
· les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ,
· sous réserve de la disposition de l'article 59180, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de

178 Lire à ce propos Guy Roger EBA'A, 2008, op. cit., p. 50.

179 Comme il est analysé plus loin, le Royaume-Uni et le Cameroun ont entamé leurs relations d'Etats souverains avec un litige devant la C.I.J. MOUELLE KOMBI, relève à ce propos que « l'impact psychologique du contentieux camerouno-britannique à propos du Cameroun septentrional » figure parmi les raisons qui expliquent la timidité des relations politiques et diplomatiques entre les deux pays. Voir Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 134.

180 L'article 59 du Statut de la C.I.J. stipule que : « la décision de la Cour n'est obligatoire que pour les parties en litige et dans le cas qui a été décidé ».

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détermination des règles de droit »181. Ainsi, les parties au litige ne pouvaient pas forcément savoir quelle source ou alors quel raisonnement l'instance de jugement allait adopter pour rendre sa décision ; d'où l'incertitude. Cela aurait pu justifier la crainte par le Cameroun qu'une interprétation par la C.I.J. aille à l'encontre de son point de vue (et ainsi de ses intérêts). L'incertitude qui entoure le recours au règlement judiciaire a par exemple amené la Colombie et le Venezuela à privilégier, malgré l'existence d'engagements de règlement judiciaire182, l'institution d'une commission de conciliation pour le règlement du différend relatif au tracé de la frontière maritime entre les deux pays dans le golfe du Venezuela.

Par ailleurs, quelle que soit l'issue du jugement, avant la saisine d'une juridiction internationale, il est nécessaire de s'interroger sur les garanties de son exécution. Là encore, des incertitudes demeurent.

B. L'absence de certitude sur l'exécution du jugement

Bien qu'aux termes du Statut de la C.I.J. ses décisions sont obligatoires pour les parties en litige183, l'absence d'une autorité supranationale (c'est-à-dire d'un supérieur commun) capable de garantir leur exécution effective est au centre du débat, entre les tenants des courants réalistes et idéalistes, au sujet de la pertinence du droit international. S'inscrivant en faux contre les auteurs idéalistes, les réalistes affirment que du fait de la souveraineté étatique, les relations internationales sont caractérisées par leur faible niveau d'intégration institutionnelle. En effet, pour eux : « il n'y a pas de cour internationale habilitée à juger de manière systématique et cohérente l'ensemble des différends étatiques, ni de forces de police pouvant sanctionner les agressions afin de rétablir la paix. L'individu qui viole la loi au sein d'un Etat est passible d'une sanction. L'Etat contrevenant au droit international ne l'est généralement pas »184. ARON a ainsi vu dans l'absence d'une instance qui détienne le monopole de la violence légitime, le trait spécifique des relations internationales185.

Dès lors, le règlement d'un conflit par la voie judiciaire dépend généralement de l'existence de part et d'autre d'un minimum de volonté. Dans le cas contraire, cette voie risque d'être inefficace. En l'espèce, lors des travaux de la deuxième session ordinaire de l'Organe Central du Mécanisme de l'O.U.A. sur la prévention, la gestion, et le règlement des conflits en Afrique, les 24

181 Article 38 du Statut de la C.I.J.

182 Les deux Etats étaient liés par un Traité bilatéral de non agression, de conciliation et de règlement judiciaire datant du 17 décembre 1939. Malgré la proposition du recours à la C.I.J. par le Secrétaire Général de l'Organisation des Etats Américains et le Président Argentin lors des tensions en 1988, elle n'a pas été suivie par les parties.

183 Article 59 du Statut de la Cour Internationale de Justice.

184 Pierre de SENARCLENS, Yohan ARIFFIN, 2006, op. cit., p. 33.

185 Lire Raymond ARON, 1962, op. cit., p. 62

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et 25 mars 1994 à Addis Abeba, alors que le Cameroun attendait entre autres dudit Organe qu'il invite les deux pays (c'est-à-dire le Cameroun et le Nigeria) à soumettre leur antagonisme devant la C.I.J., le Nigeria insistait pour qu'il soit réglé par voie bilatérale. Dans ce contexte, des incertitudes pouvaient exister quant à l'acceptation nigériane de la compétence de la Cour, et ipso facto, l'exécution d'un arrêt éventuellement défavorable.

Par ailleurs, les modalités d'exécution des arrêts de la Cour, prévues par l'article 94 de la Charte des Nations Unies, étaient restées purement théoriques ; ceci en raison de considérations d'ordre politique. En effet, cet article donne la possibilité à l'Etat ayant eu gain de cause de faire recours, en cas d'inexécution de l'arrêt par la partie adverse, au Conseil de sécurité des Nations Unies ; qui, s'il le juge nécessaire, peut faire des recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exécuter l'arrêt. Toutefois, le problème qui se pose à ce niveau est celui d'éventuelles collusions entre les Etats membres du Conseil de Sécurité et l'Etat contre lequel le recours est orienté ; les Etats poursuivant avant tout leurs intérêts. L'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci186, qui demeure à ce jour la seule affaire où il a été fait appel au Conseil de Sécurité est à ce titre illustratif. Dans ce cas précis, les USA (membre permanent du Conseil de sécurité) avaient refusé d'exécuter l'arrêt du 27 Juin 1986 rendu par la C.I.J. Ils étaient allés jusqu'à opposer leur veto à une résolution du Conseil de sécurité qui avait pour objet de les contraindre, conformément à l'article 94 précité, à l'exécution de la décision de la Cour. Dès lors, même en cas de victoire du Cameroun, dans l'hypothèse où le Nigeria aurait refusé l'exécution de l'arrêt de la C.I.J., rien ne garantissait le succès d'un éventuel recours au Conseil de sécurité ; ses membres ayant a priori plus d'intérêts vis-à-vis d'Abuja que de Yaoundé.

A côté des incertitudes qui accompagnaient le choix du règlement judiciaire, le Cameroun avait été psychologiquement affecté des années auparavant par une décision, rendue par la Cour, qui consolidait le transfert d'une partie de son territoire au Nigeria.

Paragraphe 2 : Le traumatisme de la première expérience devant la C.I.J : l'affaire du Cameroun Septentrional

Le spectre de l'affaire du Cameroun septentrional (A) planait également autour de l'option judiciaire. En effet, les rapports entre le Cameroun et la C.I.J. avaient été pendant longtemps marqués, du fait de ladite affaire, par « une crise de confiance »187 (B).

186 Voir, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil, 1984 ; fond, arrêt, C.I.J. Recueil, 1986.

187 Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., p. 99.

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A. L'affaire en question

A la faveur du plébiscite des 11 et 12 février 1961188, le Cameroun s'était vu privé d'une communauté humaine de 250 000 habitants et de 44 000 km2 de territoire189. Lors de ce plébiscite, les populations (camerounaises sous administration britannique) devaient voter soit pour une intégration dans la Fédération du Nigeria, soit pour une réintégration au Cameroun190. Malgré les résultats de ces consultations traduisant la volonté des populations du Cameroun septentrional (ou Northern Cameroons) de devenir nigérianes, le Cameroun n'acceptait pas l'idée de perdre ses ressortissants et son territoire. Qui plus est, « l'Etat camerounais établissait un rapport de causalité entre le non respect, par la Grande Bretagne, de la règle de l'unité du territoire placé sous sa tutelle et les différences observées dans les options politiques des Camerounais méridionaux191 et septentrionaux »192. En effet, sous les régimes successifs de mandat de la SDN et de tutelle de l'ONU, la Grande Bretagne n'avait pas respecté l'unité physique du territoire camerounais qui lui avait été confié après la défaite allemande (durant la première guerre mondiale). Pour marquer sa désapprobation contre ces résultats, la République camerounaise vota contre la résolution 1608 (XV) du 21 avril 1961 des Nations Unies qui prenait acte de ce plébiscite, et s'opposa au transfert d'une partie de son territoire au Nigeria. Le 1er Mai, il proposa à la Grande Bretagne de conclure un compromis à l'effet de saisir la C.I.J. Celle-ci rejeta ladite proposition le 26 Mai 1961193.

Le Cameroun, qui était conscient des graves irrégularités qui avaient entachés ce scrutin, était convaincu que « la seule solution acceptable pour éviter qu'une monstrueuse injustice ne soit commise » était « d'annuler le plébiscite dans le Cameroun septentrional »194 Deux jours avant la fin du régime de tutelle, en l'occurrence le 30 Mai 1961, le Cameroun déposa, sur la base d'une clause de l'Accord de tutelle justificative de la compétence de la Cour, une requête devant la C.I.J. Il y évoquait les griefs ci-après : méconnaissance de l'unité administrative du territoire sous-tutelle ; non réalisation des objectifs énoncés par l'Accord de tutelle ; non respect de la résolution 1473 du

188 Ce plébiscite avait été organisé en vue de faciliter l'accession des territoires camerounais sous administration britannique à l'indépendance ; en l'occurrence, le Northern et le Southern Cameroons, ainsi divisé par la Grande Bretagne.

189Anicet OLOA ZAMBO, L'affaire du Cameroun septentrional Cameroun/Royaume-Uni, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 34 et p. 116.

190 Les questions posées étaient les suivantes :

1. Désirez-vous accéder à l'indépendance en vous unissant à la Fédération Nigériane indépendante ? ou

2. Désirez-vous accéder à l'indépendance en vous réunissant à la République Camerounaise indépendante ? Voir Ibid., p. 119.

191 Le Southern Cameroons (Cameroun méridional) avait choisi d'accéder à l'indépendance en réintégrant le Cameroun.

192 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p.189.

193 Lire à cet effet, André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op cit, p. 160-162.

194 « Position de la République du Cameroun à la suite du plébiscite des 11 et 12 février 1961 dans la partie septentrionale du territoire du Cameroun sous administration du Royaume-Uni de Grande Bretagne D'Irlande du Nord ». Voir, Anicet OLOA ZAMBO, 2007, op. cit., pp. 176-177.

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12 Décembre 1959 demandant la séparation administrative du Cameroun septentrional du Nigeria ; anomalies dans la préparation et le déroulement du plébiscite195. Pour ces raisons, il demandait à la Cour de juger que le Royaume-Uni n'avait pas respecté certaines clauses de l'Accord de tutelle. Afin de démontrer l'incompétence de la C.I.J. à connaître de cette requête, la Grande Bretagne souleva des exceptions préliminaires. Dans ces exceptions, il affirmait que la Cour n'avait pas été saisie selon les conditions requises par l'article 19 de l'Accord de tutelle196 ; qu'elle était incompétente ratione temporis, car la date du différend ou, du moins, celle des questions soulevées était antérieure au 20 septembre 1960, date d'admission de la République Fédérale du Cameroun aux Nations Unies ; et enfin, que le Cameroun ne poursuivait aucun recours, ne recherchait pas une décision quelconque de la Cour, mais visait « à obtenir de la Cour un avis consultatif sur l'exécution de l'accord de tutelle »197.

La Cour rejeta l'ensemble de ces exceptions préliminaires, mais, refusa de statuer au fond sur la demande du Cameroun. Elle affirma que le Cameroun ne pouvait lui demander de rendre un arrêt au fond sur le non respect par la Grande Bretagne d'un Accord expiré, conformément à la résolution 1608 des NU, le 1er juin 1961. Tout en reconnaissant la possibilité pour elle de prononcer un jugement déclaratoire, la Cour affirma que « même si une fois saisie d'une requête, elle estime avoir compétence, elle n'est pas obligée d'exercer cette compétence dans tous les cas »198. La C.I.J. constata qu'une décision selon laquelle l'autorité administrative aurait violé l'Accord de tutelle n'établirait pas un lien de cause à effet entre cette violation et le résultat du plébiscite. Qu'en déclarant les allégations du Cameroun justifiées au fond, elle serait réduite à « trancher une question éloignée de la réalité »199 et se trouverait dans l'impossibilité de rendre un arrêt effectivement applicable ; car selon elle, cet arrêt « n'infirmerait pas les décisions de l'Assemblée Générale200. L'arrêt ne remettrait pas en vigueur et ne ferait pas revivre l'accord de tutelle. L'ancien territoire sous tutelle du Cameroun septentrional ne serait pas rattaché à la République du Cameroun. L'union de ce territoire avec la République du Nigeria ne serait pas invalidée »201. Jugeant tout arrêt pouvant être prononcé dans ce litige sans objet, elle refusa comme l'avait

195 Voir à ce propos, Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 190-191.

196 Cet article subordonnait la compétence de la Cour à quatre conditions : l'existence d'un différend ; ce différend devant être soulevé entre l'autorité chargée de l'administration (en l'espèce la Grande Bretagne) et un autre membre des Nations Unies ; et s'élevant à l'interprétation ou à l'application des dispositions dudit accord ; enfin, ce différend devait pouvoir être réglé par négociations ou autre moyen. Voir, Anicet OLOA ZAMBO, 2007, op. cit., p. 190.

197 Voir, Anicet OLOA ZAMBO, 2007, op. cit., pp. 190-191.

198 Voir, ibid., p. 193.

199 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 193.

200 Il s'agit notamment ici de la Résolution 1608 (XV) de l'AG de l'ONU, approuvant les résultats du plébiscite des 11 et 12 février 1961.

201 Cité par Narcisse MOUELLE KOMBI, op. cit., p. 193.

demandé le Cameroun de prononcer un simple énoncé de droit qui « constituerait...son témoignage vital pour le peuple Camerounais »202.

Cette décision causa un traumatisme énorme au Cameroun.

B. L'incidence de l'affaire

Le jugement du 2 décembre 1963 brisa tous les espoirs des autorités camerounaises de voir un jour le Cameroun septentrional être réintégrer au Cameroun comme cela fut le cas avant la colonisation franco-britannique. La décision de la C.I.J. fut perçue comme une « non décision »203, un « déni de justice » 204 au détriment du Cameroun. Cette affaire eu un impact énorme dans l'imaginaire collectif des Camerounais (tout au moins ceux qui en avaient connaissance). La C.I.J. fut perçue comme un organe au service des intérêts des grandes puissances205. Des manifestations de rues parfois conduites par des Ministres ou des Députés furent organisées à Yaoundé « contre la Grande Bretagne, le Nigeria et la C.I.J. »206. Le Chef de l'Etat de l'époque Ahmadou AHIDJO décréta la journée du 11 février 1961 (date du plébiscite) journée de deuil national. Il en fit de même pour la journée du 2 décembre 1963 (jour du jugement de la C.I.J.). Toutefois, ces mesures n'eurent aucun effet. Ce jugement entraîna la désaffection des autorités Camerounaises à l'égard de la Cour, et une vive déception populaire. Il fut ressenti comme un échec politique douloureux.

Le traumatisme provoqué par cette affaire sur Yaoundé instaura un climat de méfiance qui contribua à rebuter le Cameroun de la C.I.J. A titre illustratif, les autorités de Yaoundé ont hésité pendant longtemps à souscrire à la clause facultative de juridiction obligatoire de la Cour, et ont maintenu leurs distances par rapport aux instruments pluri ou multilatéraux instituant la compétence de la C.I.J207. Ce n'est que le 3 mars 1994 qu'elles se sont décidées à ratifier, auprès du Secrétariat Général des Nations Unies ladite clause. En revanche, le Cameroun s'est tout de même aménagé une échappatoire. En effet, ladite déclaration qui a été prévue pour rester en vigueur pendant une période de cinq ans, continuera ensuite à produire effet jusqu'à notification contraire ou modification écrite par le Gouvernement de la République du Cameroun208.

202 Demande adressée par le Cameroun à la C.I.J. lors de l'affaire du Cameroun septentrional, citée par Anicet OLOA ZAMBO, 2007, op. cit., p. 194.

203 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 192.

204 Anicet OLOA ZAMBO, 2007, op. cit., p. 198.

205 Lire à ce propos, ibid., pp. 196-199.

206 Antoine ZANGA, L'OUA et le règlement pacifique des différends, Paris, 1987, Editions ABC, p. 28, cité par André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op cit, p. 161.

207 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 195.

208 Affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria, Observations de la République du Cameroun sur les exceptions préliminaires du Nigeria, op. cit., Chapitre 1, Première exceptions préliminaires : la Cour n'aurait pas la compétence pour connaître de cette requête, Paragraphe 1.03.

Il convient, néanmoins, de reconnaître qu'il y avait évolution en la matière ; on était ainsi passé de la méfiance vis-à-vis de la C.I.J., au retour de la confiance209. Ceci résultait sans doute de la prise de conscience des atouts que pouvait receler le recours à l'organe judiciaire principal des Nations Unies.

Section 2 : Les atouts de la voie judiciaire

L'option judiciaire avait plusieurs atouts210. Le Cameroun était assuré par le biais de cette voie d'avoir non seulement une solution définitive, mais encore, la solution la plus objective possible basée sur le droit211 (Paragraphe 2). Qui plus est, il existait des conditions qui permettaient aux autorités de Yaoundé d'être sûr d'atteindre l'objectif fixé en faisant recours à la C.I.J.212 (Paragraphe 1).

Paragraphe 1 : L'existence de conditions favorables

La décision de recourir au règlement judiciaire n'aurait pas été envisageable si le Nigeria n'avait pas souscrit des années auparavant à la clause facultative de juridiction obligatoire213. L'existence de cette déclaration offrait la possibilité au Cameroun d'attraire unilatéralement le voisin occidental devant la C.I.J. (A). Cette option lui était d'autant plus favorable que, les autorités Camerounaises pouvaient se prévaloir devant la Cour d'arguments juridiques pertinents à propos de la « camerounité » de la péninsule de Bakassi (B).

209 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 187.

210 En effet, il convient de rappeler que l'un des principes fondamentaux de la politique étrangère du Cameroun est le règlement pacifique des différends, au rang desquels on retrouve le règlement judiciaire.

211 Entretien avec le Professeur Maurice KAMTO, Co-agent du Cameroun devant la C.I.J., Ministre délégué auprès du Ministre de la Justice, Garde des sceaux, et Chef de la Délégation camerounaise au Comité de mise en oeuvre de l'Accord de Greentree, Yaoundé, le 24 juin 2011.

212 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, Secrétaire Général de PRESICAM à l'époque de la prise de décision, Yaoundé, 29 Juillet 2011.

213 La C.I.J. ne peut connaître d'une affaire que si les Etats en cause ont consenti à être partie à cette affaire devant elle (principe du consentement). Le consentement des Etats peut s'exprimer de trois manières : par compromis ; par le biais de traités comportant des clauses stipulant que les litiges sur l'interprétation ou l'application du traité en question seront soumis à la Cour ; et par déclaration unilatérale (Voir Département de l'information des Nations Unies, 2000, op. cit., pp. 27-28). (Il convient de relever que la pratique de la C.I.J. a ultérieurement consacré une quatrième voie : le forum prorogatum. C'est une acceptation non formaliste de la compétence de la Cour). Le Cameroun était conscient que le Nigeria, qui avait toujours manifesté une réticence en faveur d'un règlement judiciaire du problème, n'aurait jamais accepté la conclusion d'un compromis à l'effet d'une saisine conjointe de la Cour. Qui plus est, il n'existait pas de clause conventionnelle à laquelle le Cameroun pouvait se prévaloir pour la saisine de la Cour.

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A. La souscription nigériane à la clause facultative de juridiction obligatoire

L'article 36 paragraphe 2 du Statut de la C.I.J. stipule que les Etats parties au Statut peuvent, par déclaration unilatérale faite à n'importe quel moment, « reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l'égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour sur les différends d'ordre juridique ». Ce système dit de la clause facultative de juridiction obligatoire, revient à créer un groupe d'Etats ayant mutuellement donné compétence à la Cour pour régler tout différend qui pourrait surgir ultérieurement entre eux. En principe, chaque Etat de ce groupe a le droit de citer un ou plusieurs autres Etats du même groupe devant la Cour214. La souscription nigériane à ladite clause était un argument crucial en faveur du choix du règlement judiciaire du conflit de Bakassi215.

En effet, en 1965, le Nigeria avait fait une déclaration qu'il n'avait assorti d'aucune réserve. Il pouvait ainsi citer ou être citer à tout moment, quel que soit le différend, par tout Etat ayant fait ou venant à faire la même déclaration. Cette information était d'autant plus positive pour le Cameroun, que le Nigeria (qui avait manifesté des réticences vis à vis du règlement judiciaire) n'aurait jamais accepté la signature d'un compromis à l'effet d'une saisine conjointe de la Cour. Toutefois, afin d'exploiter cet avantage, il était nécessaire pour le Cameroun de souscrire au plus vite à ladite clause. Car dans la pratique, il arrivait que des Etats, pour éviter d'être cités devant la Cour par d'autres avec qui ils étaient en conflit, modifient ou retirent leur déclaration. Cela a été le cas du Royaume Uni216 qui avait mit fin à sa déclaration en Octobre 1955 pour exclure un litige avec l'Arabie Saoudite ; de l'Australie qui en avait fait de même pour éviter que le Japon ne recourt à la Cour au sujet d'un différend concernant la pêche des perles. La souscription camerounaise à ladite clause le 3 mars 1994, consacrait la réunion des conditions de recevabilité d'une requête contre le Nigeria devant la C.I.J.

B. La pertinence des arguments juridiques du Cameroun

A l'époque, le Cameroun disposait d'arguments juridiques pertinents lui permettant de faire valoir la « camerounité » de la péninsule de Bakassi devant la C.I.J. Ces arguments étaient d'ordre conventionnel et factuel.

214 Département de l'Information des Nations Unies, 2000, op. cit., p. 27.

215 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, op. cit.

216 A l'heure actuelle, le Royaume Uni est le seul des cinq membres permanents du Conseil de sécurité à avoir fait une déclaration d'acceptation de la juridiction de la C.I.J. toujours en vigueur.

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Sur le plan conventionnel, il pouvait se prévaloir de l'Accord anglo-allemand du 11 mars 1913217 établissant sans équivoque, dans ses articles 18, 19, 20 et 21, l'appartenance de la péninsule de Bakassi au territoire camerounais. L'article 20 en particulier précisait que « la péninsule de Bakassi restera camerounaise même si le cours de la rivière Akwa Yafe vient à changer d'embouchure et à se jeter dans le Rio del Rey »218. Le 12 avril 1913, le Protocole d'Obokum (autre Accord important) complétant en matière de démarcation l'Accord du 11 mars 1913 avait également été signé entre l'Allemagne pour le « Kamerun » et la Grande Bretagne pour les colonies du « Northern Nigeria » et du « Southern Nigeria ». En outre, comme le relève Martin Zachary NJEUMA, « il était spécifié qu'en cas de litige frontalier, le tracé figurant sur les huit cartes qui faisaient partie intégrante des accords (série 2240 des cartes de l'Amirauté britannique) ferait foi »219. Ces huit cartes situaient Bakassi du côté allemand, donc aujourd'hui du côté camerounais.

Après l'indépendance, le Premier Ministre Nigérian Tafawa BALEWA dans un échange de notes avec la Grande-Bretagne avait reconnu, au nom du Gouvernement Fédéral du Nigeria, toutes les obligations et responsabilités, de même que les droits et bénéfices découlant de toute Convention internationale valide qu'avait conclu le Royaume Uni pour le compte du Nigeria220. A titre illustratif, le 27 mars 1962, la Note diplomatique n°570 adressée au Cameroun par le Ministre Nigérian des Affaires Etrangères, reconnaissait que « le cours de la frontière de la Cross River à la mer, est déterminé par l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913, faisant ainsi de Bakassi une partie du Cameroun »221.

La création de l'O.U.A. en 1963 et surtout l'adoption de la Résolution 16.1 du Caire de 1964 étaient venues consolider cet état de droit. En effet, l'article III paragraphe 3 de la Charte de l'organisation panafricaine affirmait le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de chaque Etat et de son droit inaliénable à une existence indépendante. Cette Charte avait été ratifiée par le Nigeria. En outre, en 1964, le voisin occidental du Cameroun approuvait la Déclaration du Caire - prise dans le cadre de l'O.U.A. - qui consacrait le principe de l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation222.

217 Comme le relève le Dossier sur le différend frontalier de la péninsule de Bakassi, dans sa seconde édition publiée en 1998 par le Gouvernement de la République du Cameroun, l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913, est l'instrument de référence de la délimitation et de la démarcation de la frontière entre le Cameroun et le Nigeria (p. 29). C'est précisément sur la base de cet Accord que la C.I.J. a reconnu la nationalité camerounaise de la péninsule de Bakassi.

218 Gouvernement de la République du Cameroun, 1998, op cit, p. 29.

219 Martin Z. NJEUMA, 1999, op cit, p.166.

220 Nowa OMOIGUI « The Bakassi story », [En ligne], http://www.omoigui.com, consulté le 15 avril 2011, p. 14. 221Guy Roger EBA'A, 2008, op cit, p. 71. Voir également Nowa OMOIGUI, Idem.

222 Donc l'intangibilité de la frontière méridionale entre le Cameroun et le Nigeria définit par l'Accord Anglo-allemand du 11 mars 1913, qui consacre la « camerounité » de la péninsule de Bakassi.

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Par ailleurs, de nombreux faits étaient en mesure de témoigner de la « camerounité » de la péninsule de Bakassi. Le plébiscite des 11 et 12 février 1961 faisait partie de ces faits. En effet, en 1961, Bakassi faisait partie de la fraction du British Cameroon (en l'occurrence le Cameroun méridional ou Southern Cameroons) qui avait choisi le rattachement à la République du Cameroun. Comme le montre la figure ci-dessous, la zone de Bakassi était dénommée sur la carte du plébiscite « Victoria South West ». La Grande-Bretagne et la République du Cameroun avaient signé le 30 septembre 1961 l'instrument transférant le Cameroun méridional à la République du Cameroun223. Ce plébiscite n'avait fait l'objet d'aucunes contestations nigérianes et avait été reconnu par

l'ONU224.

Carte 1 : Localités du Southern Cameroons où se sont déroulés les votes pour le référendum du 11 février 1961. Carte établie par l'ONU.

 

Source : Archives SOPECAM, Cameroon Tribune

N° 5564 Mercredi 30 mars 1994.

En outre, durant la guerre civile nigériane (1967-1970), le Général Yacubu GOWON, alors Président du Nigeria, avait sollicité et obtenu l'autorisation d'utilisation provisoire de Jabane, localité de la péninsule de Bakassi, pour surveiller le ravitaillement du port de Calabar et étouffer

223Un échange de notes similaire entre la Grande-Bretagne et le Nigeria consacrait, le 31 mai 1961, la cession au Nigeria du Cameroun septentrional, rebaptisé par la suite province de Sardauna.

224 A travers la résolution 1608 (XV) du 2 avril 1961 des Nations Unies.

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ainsi la tentative de sécession du Biafra ; ce qui prouve que, les autorités nigérianes étaient au fait de la « camerounité » de la presqu'île.

Déjà en 1972, le Dr Teslim OLAWALE ELIAS, alors Chef du corps judiciaire de la République Fédérale du Nigeria, écrivait au Ministre des Affaires Etrangères dudit pays, Okoi ARIKPO, une lettre qui réaffirmait l'appartenance de la péninsule litigieuse au Cameroun. Dans ladite lettre, il conseillait à son pays d'honorer un certain nombre de Traités signés avant son indépendance et hérités de la Grande Bretagne le 1er Octobre 1960. Selon lui, l'Accord anglo-allemand précité démontrait que la péninsule de Bakassi était camerounaise ; car, la frontière internationale passait par le thalweg du fleuve Akpa Yafe et plaçait la péninsule du côté camerounais de la frontière225. En 1998, durant le conflit de Bakassi, le Professeur Okoi ARIKPO déclarera qu' « il convient cependant de faire valoir que le traité germanique de 1913 avait clairement établi que la zone litigieuse (de Bakassi) se trouvait en territoire camerounais bien qu'elle fut en majorité occupée par des Nigérians »226.

La valeur des arguments juridiques du Cameroun aurait été diminuée si les jugements de la Cour ne disposait ni d'autorité ni d'effectivité.

Paragraphe 2 : L'effectivité et l'autorité des jugements de la Cour

En droit, l'effectivité désigne le caractère d'une situation qui présente une réalité suffisante pour être opposable à un tiers227. En effet, la C.I.J. rend des jugements effectifs, par nature objectifs et définitifs, produisant des effets à l'égard des parties au procès (A). L'autorité quant à elle renvoie, dans le sens courant, « au droit de commander, la capacité de se faire obéir, l'ascendant ou l'influence que peut avoir quelqu'un sur son entourage »228. En droit, elle s'accompagne généralement de l'expression de « la chose jugée » et se rapporte au pouvoir attaché « à un acte de juridiction servant de fondement à l'exécution forcée du droit judiciairement établi, et faisant obstacle à ce que la même affaire soit à nouveau portée devant un juge »229. La C.I.J. jouissait de

225 Pour plus de précisions, lire Nowa OMOIGUI, op cit., p. 21 ; MGBALE MGBATOU Hamadou, 1999, op cit., pp. 69-70 ; «Guerre du Biafra (1967-1970) », Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest/OCDE, Note méthodologique sur la lecture des enjeux sécuritaires Sahel Ouest et Sahel Est, SWAC/D(2009)27, 2009, pp. 13-15, [En ligne], www.westafricaclub.org; consulté le 25 avril 2011. Sur la base de ce conseil qui avait été préalablement requis par le Ministre des Affaires Etrangères, Okoi ARIKPO, ce dernier conseilla le Général Gowon de privilégier les négociations relatives à la frontière maritime telle que définie par le traité anglo-allemand de 1913, lors des discussions avec le Président Ahidjo (Voir, Nowa OMOIGUI, op cit, p. 21.). Ce qui fut fait. De la déclaration de Yaoundé II à l'Accord de Maroua, le Nigeria n'a pas au cours des négociations remis en cause la « camerounité » de Bakassi.

226 The Guardian, Vol 6, N°4,653, Thursday March 22, 1992, cite par Gouvernement de la République du Cameroun, 1998, op cit, p. 31.

227 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT (dir.), 2003, op. cit., p. 239.

228 Bruno HONGRE, 2002, op. cit., p. 51.

229 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT (dir.), 2003, op. cit., p. 104.

cette autorité lorsqu'elle rendait ses décisions. Ainsi, le règlement judiciaire offrait au Cameroun non seulement l'assurance d'un jugement objectif et définitif, mais aussi, une garantie d'applicabilité de la décision rendue qui découlait de l'autorité dont bénéficiait la Cour (B).

A. L'assurance d'un jugement objectif et définitif

Le règlement judiciaire offrait aux autorités camerounaises la garantie d'une solution définitive dénuée de préjugés et de partialité. En effet, pour Philippe WECKEL, « si les Etats attachent une importance extrême à leurs intérêts territoriaux, ils peuvent aussi espérer trouver une protection renforcée auprès du juge. C'est dire que ce dernier devient un acteur essentiel de l'aménagement de l'espace. En ce domaine, il n'y a plus d'équivalence entre le règlement juridictionnel et les autres procédés d'ajustement des situations conflictuelles, parce que le juge apporte une qualité de règlement originale et recherchée que l'on nomme la justice »230. La Cour, qui avait d'ailleurs l'expérience de ce genre d'affaires, pouvait être sollicitée avec assurance par le Cameroun. A cet égard, il est à relever que « plus de la moitié des affaires contentieuses (soumises à la Cour) portent sur des différends territoriaux et frontaliers. Une autre part importante concerne des différends maritimes et des questions liées au droit de la mer »231.

L'objectivité de la Cour découlait du fait qu'elle statuait sur le différend qui lui était soumis conformément au droit international et sur la base de la preuve des faits en cause, au moyen d'un arrêt ou d'une sentence dûment motivée232. Par ailleurs, la Cour bénéficiait d'une présomption d'indépendance et d'impartialité qui garantissait son objectivité. Elle était composée d'un corps de magistrats indépendants, élus sans égard à leur nationalité parmi les personnes jouissant de la plus haute considération morale ; et possédant une compétence notoire en matière de droit international233. Les juges avaient des garanties d'indépendance, d'impartialité et de compétences (en termes notamment d'immunités, de rémunérations et d'incompatibilité professionnelles234). Une fois élus, ils ne représentaient ni leurs gouvernements, ni aucune autre autorité. Leur impartialité était reconnue dans le corps du Statut235 et du Règlement de la Cour236. D'ailleurs, afin de garantir

230 Philippe WECKEL, Le juge international et l'aménagement de l'espace : la spécificité du contentieux territorial, Paris, Pedone, 1998, p. 18, cité par Jacques Joël ANDELA, La défense des intérêts de l'Etat devant le prétoire international. Recherches sur la politique juridique extérieure du Cameroun, Mémoire de MASTER, Yaoundé, IRIC, 2010, p. 52.

231 Département de l'information des Nations Unies, 2001, op. cit., pp. 48-49. A ce propos, lire également Jacques Joël ANDELA, idem.

232 Département des Nations Unies, idem.

233 Article 2 du Statut de la Cour Internationale de Justice.

234 Pour éviter toute collusion, les juges de la C.I.J., n'ont pas le droit d'exercer une autre profession et ne peuvent d'ailleurs en aucun cas intervenir dans une précédente affaire qu'ils auraient eue en main.etc.

235 Article 20 du Statut de la Cour Internationale de Justice.

236 Articles 4 paragraphe 1 et 8 paragraphe 1 du Règlement de la Cour Internationale de Justice.

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l'égalité entre les Etats parties au litige et de montrer au mieux l'impartialité de la Cour, la possibilité était donnée à ces derniers de désigner des juges ad hoc (c'est-à-dire non titulaires)237 de leur nationalité considérés comme mieux à même de comprendre les arguments développés et de s'en faire les interprètes238.

L'autre avantage que recelait le règlement judiciaire, était celui du caractère définitif des arrêts rendus par la C.I.J. A travers cette voie, le Cameroun était assurée de régler une bonne fois pour toute sur la base du droit le conflit frontalier qui l'opposait depuis des années au Nigeria, et dont l'invasion de la péninsule de Bakassi n'était qu'une des matérialisations dramatiques. En effet, contrairement aux accords bilatéraux qui étaient sans cesse remis en cause par le Nigeria, tous les arrêts rendus par la Cour étaient définitifs et sans recours. S'il advenait qu'une partie en conteste le sens ou la portée, les seules possibilités qui lui étaient ouvertes étaient de présenter une demande en interprétation ou en révision. La demande en révision était subordonnée à la découverte d'un fait de nature à exercer une influence déterminante sur la décision et jusque là ignoré de la Cour, et de la partie qui en demandait la révision239.

En plus d'être objectif et définitif, l'arrêt rendu par la C.I.J. bénéficiait d'une envergure internationale et a fortiori d'une force obligatoire.

B. L'autorité de la Cour

La Cour était une assurance pour le Cameroun face à un adversaire prompt à remettre en cause les résultats acquis lors des pourparlers bilatéraux. En effet, les autorités de Yaoundé se devaient de recourir, après l'échec des tentatives de règlement diplomatique, à un mécanisme contraignant suffisamment à même d'aboutir à une décision qui obligeait l'adversaire240. A cet égard, la C.I.J. était le mécanisme le plus approprié. Le caractère obligatoire241 de ses arrêts interdisait tout refus d'exécution ; en vertu de l'article 94 de la Charte des Nations Unies, chaque membre de l'Organisation (y compris le Nigeria) s'engageait à se conformer aux décisions de la

237 L'art.31paragraphe 1 du Statut de la Cour permet au juge ayant la nationalité de l'une des parties en litige de conserver le droit de siéger dans l'affaire dont la Cour est saisie. Afin de rétablir l'égalité entre les parties, il est prévu, si d'aventure seule une des parties dispose d'un juge de sa nationalité alors qu'il n'en est pas de même pour l'autre partie, que cette dernière soit autorisée à désigner un juge ad hoc doté de prérogatives identiques à celles de ses pairs (art.31 paragraphe 2 du Statut). Si aucun des Etats en litige n'a de juge de sa nationalité siégeant auprès de la Cour internationale de Justice, l'art. 31 paragraphe 3 du Statut leur permet de désigner chacun un juge. Devant la C.I.J., le Cameroun a désigné M. Kéba MBAYE, et le Nigeria M. Bola AJIBOLA pour siéger en l'affaire comme juges ad hoc.

238 Catherine COLARD-FABREGOULE, Anne MUXART et Sonia PARAYRE, « Le procès équitable devant la Cour internationale de Justice », http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/41/90/87/PDF/, Consulté le 3 Août 2011.

239 Département de l'information des Nations Unies, 2000, op. cit., p. 39.

240 Jacques Joël ANDELA, 2010, op. cit., p. 49.

241 Sur le caractère obligatoire des arrêts de la C.I.J., lire Catherine COLARD-FABREGOULE, Anne MUXART et Sonia PARAYRE, op. cit., [En ligne].

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C.I.J. dans tout litige auquel il était partie. Ainsi, dans la pratique, à l'exception de l'Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, les Etats respectaient généralement les jugements au fond de la Cour. Catherine COLARD-FABREGOULE, Anne MUXART et Sonia PARAYRE relèvent à ce propos que « l'effectivité des jugements et de l'autorité de la Cour est réelle, même si elle ne repose que sur la bonne volonté et la bonne foi des Etats à l'égard du système judiciaire instauré par eux et auquel ils acceptent de se soumettre de leur propre chef »242.

Par ailleurs, le Cameroun pouvait également compter sur l'autorité morale des Nations Unies. En effet, la qualité de la Cour, d'organe judiciaire principal des Nations Unies, était apte à inspirer la confiance du Cameroun, quant à l'applicabilité d'un arrêt qui aurait été rendu dans une affaire l'opposant au Nigeria. Le Président Paul BIYA affirmait à ce propos qu' « on voit mal un pays, grand ou petit, défier ouvertement les Nations Unies au risque d'être mis au ban de la communauté internationale »243. Le Nigeria qui avait déjà sur la scène internationale l'image d'un pays peu soucieux des droits de l'homme et des convenances internationales244, n'avait pas intérêt à ouvrir contre lui un nouveau front en refusant l'exécution d'une décision rendue par l'organe judiciaire principal des Nations Unies.

Qui plus est, dans la pratique, l'ONU accompagnait souvent les Etats dans l'exécution des jugements de la Cour. L'organisation universelle était par exemple intervenue pour faciliter l'exécution de l'arrêt du 3 février 1994 rendu dans l'affaire Libye-Tchad dite de la bande d'Aozou245. C'était en présence d'observateurs de l'ONU, dépêchés sur place suite à l'adoption de la résolution 915 du Conseil de Sécurité du 4 mai 1994, que le territoire disputé avait été entièrement remis au Tchad246. Cette affaire était une illustration de la réussite de la Cour, là où toute la panoplie des autres moyens de règlement des différends avait échoué. Après l'arrêt, les parties avaient conclu un accord, le 4 avril 1994, mettant en oeuvre scrupuleusement la décision de la Cour, et par lequel étaient fixées les modalités du retrait de la Libye de la bande d'Aozou. Quatre mois après l'arrêt, en l'occurrence le 31 Mai 1994, la Libye achevait l'évacuation de ladite bande247.

Après analyse des enjeux du recours au règlement judiciaire, il ressort que le recours à la C.I.J. avait plus de bénéfices que de coûts éventuels pour le Cameroun.

242 Catherine COLARD-FABREGOULE, Anne MUXART et Sonia PARAYRE, op. cit. [En ligne].

243 Paul BIYA, 1996, op. cit., p. 7.

244 Lire à ce propos Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit., pp. 130-136.

245 La bande d'Aozou est territoire de 114 000 km2 situé au nord du Tchad, bordant la frontière avec la Libye.

246 Luigi CONDORELLI, « La Cour internationale de justice : 50 ans et (pour l'heure) pas une ride », European Journal of International Law, vol.6, n°1, 1995, p. 390.

247 Idem.

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

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La contribution du modèle I à l'explication de la décision du Cameroun est considérable. Il permet à l'analyste de construire un raisonnement basé sur des arguments logiques, par lequel il amène le lecteur à voir que, s'il avait été dans la même situation que le Cameroun, il aurait fait le même choix. Il identifie le problème qui s'est posé au Cameroun, en l'occurrence les convoitises nigérianes sur la péninsule de Bakassi ; il détermine l'objectif poursuivi par lui face à ce problème stratégique, à savoir le respect par le Nigeria de son intégrité territoriale ; ensuite, il identifie les différentes options soumises au Cameroun et procède à une analyse des conséquences attribuées à chacune de ces options. Le choix de Yaoundé, c'est-à-dire le règlement judiciaire, apparaît à terme comme la voie optimisant au mieux les chances de ce pays d'Afrique centrale d'atteindre son objectif. En d'autres termes, l'intérêt du Cameroun se trouvait dans le règlement judiciaire, en l'occurrence celui de la C.I.J., plus que dans tout autre mode de règlement de conflit.

Toutefois, nonobstant ses mérites, le modèle I reste une approche assez désincarnée. La décision est analysée comme un choix national. Aussi, ce qui revient le plus souvent ici c'est : l'option du « Cameroun » pour le règlement judiciaire, l'objectif du « Cameroun », les alternatives ouvertes au « Cameroun », etc. Il ne rend pas compte des dynamiques internes - pourtant importantes - qui ont influencées la prise de décision. D'où l'intérêt de l'application complémentaire du cadre conceptuel de James ROSENAU à la présente étude.

DEUXIEME PARTIE :

L'ANALYSE DU RECOURS AU REGLEMENT JUDICIAIRE SELON LES VARIABLES EXPLICATIVES DE ROSENAU

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De manière générale, les variables indépendantes élaborées par James ROSENAU, situent l'explication de la décision (variable dépendante) à deux niveaux248 : celui des acteurs institutionnels (Chapitre III), et celui du contexte sociologique (Chapitre IV).

Au niveau des acteurs institutionnels, la décision du Cameroun s'explique d'abord par le tempérament et les croyances du Président Paul BIYA, décideur ultime (variable idiosyncratique). Elle porte également la marque de l'environnement institutionnel qui l'a généré (variables de rôle et gouvernementales qui correspondent au modèle III d'ALLISON) ; en l'occurrence, l'appareil administratif impliqué dans le processus de prise de décision.

Au niveau du contexte sociologique général, l'explication prend en compte l'environnement interne dans lequel évolue le décideur final (variables sociétales), et l'environnement international, dans lequel le Cameroun se déploie (variables systémiques).

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248 Pour une taxinomie des théories de la décision, lire Jean BARREA, 1981, op. cit., pp. 254-255.

CHAPITRE III - L'INFLUENCE DES ACTEURS INSTITUTIONNELS

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L'analyse d'un problème praxéologique249 suppose la compréhension des structures décisionnelles impliquées250. Selon Frédéric CHARILLON, la prise de décision de politique étrangère est considérée comme le domaine réservée251 des plus hauts responsables de l'Etat252. Une telle affirmation revêt d'autant plus de pertinence qu'on se trouve dans le cadre d'un régime présidentiel, comme c'est le cas au Cameroun253.

Dans ce type de régime où, la politique étrangère est le domaine réservé du Chef de l'Etat, il est souvent nécessaire d'explorer le champ psychologique des décideurs pour rendre intelligible telle orientation ou tel choix de politique extérieure. En l'espèce, l'idiosyncrasie du Président Paul BIYA fait partie des variables explicatives déterminantes de la décision camerounaise (Section II).

Il convient toutefois de relever avec Thierry de MONTBRIAL que, dans l'immense majorité des cas, le commandement humain n'est pas le fait d'un homme seul. En effet, même si un décideur ou un arbitre ultime existe souvent, il repose généralement sur une organisation multifonctionnelle (structure décisionnelle)254. François BLUCHE affirme à cet effet que le Roi-Soleil lui-même qui se voulut monarque absolu, ne gouvernait jamais sans son conseil255. Ainsi, pour prendre cette décision, le Chef de l'Etat a eu besoin de l'expertise technique d'administrations bénéficiant d'une spécialisation en la matière. Ces dernières ont contribué par leur évaluation de la situation, à la décision finale (Section I).

249 Praxéologie ici est entendue au sens de Thierry de MONTBRIAL, c'est-à-dire, « la science des activités humaines organisées, appréhendées sous l'angle de l'exercice du pouvoir ». Voir Thierry de MONTBRIAL, 2008, op. cit., p. 3.

250 Ibid. p. 41.

251 Le Président Paul BIYA relève à cet effet que « dans tous les Etats modernes, il y a des secteurs qui sont considérés comme appartenant à ce qu'on peut appeler le domaine réservé du Président de la République. C'est la défense, la diplomatie, la sécurité intérieure, (...) en raison de leur incidence à la fois, sur la liberté des citoyens, sur la paix et la guerre éventuelle avec les étrangers », Interview accordée à la télévision nationale camerounaise, le 19 février 1987, cité par Simplice ATANGA, 1991, op. cit., p. 44.

252 Frédéric CHARILLON (dir.), 2002, op cit, p. 13.

253En effet, ici, le Président de la République est le garant de l'indépendance nationale et de l'intégrité territoriale. La Constitution du 2 juin 1972, en vigueur à l'époque de l'option des autorités de Yaoundé pour le règlement judiciaire du conflit de Bakassi, fait de lui le Chef de l'Etat et du Gouvernement (article 5). En tant que tel, il définit la politique de la nation. Il est responsable de la conduite des affaires de la République et de l'unité de l'Etat, qu'il représente dans tous les actes de la vie politique. Il nomme les Ministres et Vice-ministres qui sont responsables devant lui, et met fin à leurs fonctions (article 8). Il accrédite les Ambassadeurs et Envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères, dont les Ambassadeurs et Envoyés extraordinaires, en retour, sont accrédités auprès de lui. Il négocie et ratifie les Accords et les Traités. Il exerce le pouvoir règlementaire, nomme aux emplois civils et militaires, crée, organise et dirige tous les services administratifs nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Chef de la diplomatie et des forces armées, il veille selon l'article 9 de la Constitution précitée, « à la sécurité intérieure et extérieure de la République ». (Cette énumération n'est pas exhaustive. Pour plus de détails sur les prérogatives reconnues au Chef de l'Etat à l'époque, voir les articles 8, 9, 10, et 11 de la Constitution du 2 Juin 1972.)

254 Thierry de MONTBRIAL, 2008, op. cit., p. 41.

255 François BLUCHE, Louis XIV, Fayard, 1988, cité par Ibid., p. 42.

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Section 1 : Les variables gouvernementales et de rôle

De prime abord, il convient de rappeler que les variables gouvernementales et de rôle (du paradigme de ROSENAU) prennent toute leur ampleur dans l'approche dite « bureaucratique » de la décision (d'ALLISON)256. Les variables gouvernementales renvoient à toutes les institutions administratives, ayant été impliquées dans la prise de décision, hormis le Chef de l'Etat (Paragraphe

I). Les variables de rôle, quant à elles, privilégient l'influence sur la prise de décision, du statut et des attentes professionnelles des fonctionnaires représentants ces administrations (Paragraphe II).

Paragraphe 1 : L'apport des institutions administratives

La décision de régler le conflit frontalier camerouno-nigérian par voie judiciaire n'a pas été prise ex nihilo. En effet, diverses administrations ont procédé à une analyse de la situation (A) et, des concertations entre elles ont permis au Chef de l'Etat de se décider (B).

A. Les institutions intéressées

En cas de crise ou de conflit, l'urgence de la situation et le caractère court des délais amènent généralement les décideurs à s'entourer de leurs plus proches collaborateurs. Ces derniers sont généralement chargés du fait de leur expertise, de réfléchir sur la meilleure solution à adopter. Ce fut le cas comme l'a démontré Graham ALLISON, des membres de l'Executive Commitee of National Security Council, en abrégé ExCom, mis en place par John F. KENNEDY, lors de la crise des missiles de Cuba257.

Dans le cas d'espèce, l'expertise nécessaire à la prise de décision du Chef de l'Etat est venue de trois institutions : le Ministère des Relations Extérieures (1), le Ministère de la Défense (2), et le Secrétariat Général de la Présidence de la République du Cameroun (PRESICAM) (3).

1. La position du Ministère des Relations Extérieures

Il existe dans chaque secteur des spécialistes ou professionnels jouant un rôle important dans la définition des contours et caractéristiques de leur domaine. Dans le Gouvernement, c'est le cas du

256 Jean BARREA, 1981, op. cit., p.260.

257 Ce comité était chargé de réfléchir sur le meilleur moyen pouvant garantir le démantèlement des missiles soviétiques de Cuba. Il était composé des hommes de confiance du Chef de l'Etat à savoir entre autres : le Ministre de la justice (Robert KENNEDY, frère du Président), les Secrétaires d'Etat (Dean RUSK), et de la Défense (Robert McNamara), le Directeur de la CIA (John McCone), le Secrétaire au Trésor (Douglas DILLON), l'Assistant spécial pour les affaires de sécurité national (McGeorge BUNDY), le Conseiller spécial (Theodore SORENSON) etc. Lire pour de plus amples informations sur la composition de l'ExCom et les débats en son sein : Graham T. ALLISON, 1971, op cit.

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Ministère des Relations Extérieures (MINREX) en matière de politique étrangère. En ce domaine, le MINREX est l'organe ministériel investi d'une spécialisation fonctionnelle. Il a pour principale mission d'assurer la mise en oeuvre de la politique extérieure arrêtée par le Président de la République258. En tant qu'organe de conception, il contribue également à l'élaboration de la politique étrangère du Cameroun.

En qualité d'organe statutairement chargé des relations avec les Etats étrangers, les Organisations Internationales et les autres sujets de la Communauté internationale259, il a une vue d'ensemble de la scène internationale. Ainsi, le Ministre des Relations Extérieures est, selon Samy COHEN, le seul Ministre capable de fournir une vue synthétique de la situation internationale, de réfléchir en termes globaux, de mesurer toutes les incidences externes des décisions prises260. Ces atouts ont permis au MINREX d'intervenir dans le processus qui a conduit le Cameroun à l'adoption de la décision qui fait l'objet de la présente étude.

Lorsque ce Département ministériel a été instruit du dossier Bakassi, il s'est prononcé pour un règlement diplomatique du conflit frontalier. Selon lui, le Cameroun ne pouvait atteindre ses objectifs de manière satisfaisante que par la poursuite de la voie diplomatique. Graham ALLISON à travers le modèle bureaucratique explique le penchant du MINREX pour une solution négociée par la place qu'il occupe dans l'appareil gouvernemental. Pour ALLISON, en tant qu'organe investi de questions diplomatiques et composé essentiellement de diplomates, il était logique pour le MINREX de privilégier cette voie261. En revanche, l'avis du MINREX n'était pas partagé par les militaires du Ministère de la Défense (MINDEF).

2. L'avis du Ministère de la Défense

Le MINDEF est responsable : de l'exécution de la politique militaire de défense et en particulier de l'organisation, de la gestion, de la mise en condition, d'emploi et de mobilisation de l'ensemble des forces régulières, supplétives, ou auxiliaires, ainsi que de l'infrastructure qui leur est nécessaire ; de la formation appropriée des fonctionnaires et des catégories de citoyens qui ont un

258 Article 5 (23) du Décret N° 92/245 du 26 novembre 1992 portant organisation du Gouvernement. (Ce Décret n'est plus en vigueur aujourd'hui. L'actuel texte portant organisation du Gouvernement est le Décret N°2004/320 du 8 Décembre 2004).

259 Article 5 (23) du Décret N°92/245 du 26 novembre 1992 précité.

260 Samy COHEN, La monarchie nucléaire. Les coulisses de la politique étrangère sous la Vème République, Paris, Hachette, 1986, p. 46, cité par Alain Titus BILOA TANG, 2000, op. cit., pp. 39-40.

261 Graham T. ALLISON, 1971, op. cit., pp. 166-167. Selon ALLISON, le point de vue des administrations impliquées dans le processus dépend prioritairement de la position qu'ils occupent dans le système décisionnel. D'où la formule: « Where you stand depends on where you sit ». Cette formule a été attribuée par Graham ALLISON à Don Price. Pour une lecture critique du modèle Bureaucratique d'ALLISON, lire Samy COHEN, 1998, op. cit., pp. 83-88.

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rôle à jouer dans la défense262. Il est également chargé de l'étude du plan de défense ; de la coordination et du contrôle des forces de défense263. Si le MINREX est l'organe spécialisé en matière de diplomatie, la défense constitue le domaine d'action du MINDEF. Selon Raymond ARON, ces secteurs sont des domaines cruciaux, qui constituent les principales composantes, de la politique étrangère d'un Etat, car les relations interétatiques comportent, par essence, l'alternative de la guerre et de la paix264.

A ces titres, le MINDEF a compté parmi les institutions intervenues pour trouver la solution la mieux à même de régler définitivement le conflit de Bakassi. S'agissant de l'avis de cette institution, ses experts se sont prononcés à l'époque en faveur d'un règlement militaire du conflit de Bakassi265.

3. La position du Secrétariat Général de PRESICAM

Le Secrétariat Général de PRESICAM fait partie des structures qui secondent le Président de la République dans la conception, la direction et l'orientation de la politique extérieure. Il est chargé, d'une manière générale, du suivi de l'exécution des instructions données par le Président de la République, et de la supervision de l'organisation du travail gouvernemental par le biais de conseils ministériels, et de réunions interministérielles266.

La majorité des dossiers de politique étrangère (y compris ceux venant du MINREX) sont confiés au Secrétariat Général267 pour étude et avis à la haute hiérarchie. Le Secrétariat Général est très imbriqué dans le circuit décisionnel268. En France où la tradition du « domaine réservé » est également très ancrée, le Secrétariat Général est considéré comme un « super-gouvernement ». Selon le Général Charles De Gaulle, il est « au centre et au courant de tout »269. « Il est le collaborateur du Président, l'organisateur des sommets élyséens, le surveillant, l'homme des

262 Article 12 de la Loi N°67/LF/9 du 12 Juin 1967 portant organisation générale de la défense, cité par Emmanuel ELA ELA, 2001, op. cit., pp. 166-167.

263 Article 5 (1) du Décret N° 92/245 du 26 Novembre 1992 portant organisation du Gouvernement.

264 Raymond ARON, 1962, op. cit., p. 18.

265 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, op. cit.

266 Article 2 (2) du Décret N°90/951 du 29 mai 1990 portant organisation de la Présidence de la République.

267 Au niveau du Secrétariat Général de PRESICAM, le Secrétaire Général et le Conseiller Technique chargé des problèmes diplomatiques - appelé au MINREX Conseiller Diplomatique du Président - interviennent dans l'élaboration de la politique étrangère. Autour du Conseiller Diplomatique, se forme ce que l'on appel au MINREX la « cellule diplomatique de la Présidence ». Pour une analyse des compétences et capacités d'influence, en la matière, de l'entourage administratif du Chef de l'Etat au niveau de PRESICAM, lire Simplice ATANGA, 1991, op. cit., pp. 67-70 et 74-78.

268 Il lui est souvent reproché d'empiéter sur des domaines relevant de la compétence du MINREX.

269 Pierre BIRNBAUM, Les sommets de l'Etat. Essai sur l'élite du pouvoir en France, Paris, Seuil, 1977, p. 98, cité par Simplice ATANGA, 1991, op. cit., p. 64.

contacts officiels et des réseaux officieux, l'inspirateur »270. Cette image, selon Simplice ATANGA, n'est pas très éloignée de celle du Secrétaire Général du Palais de l'unité271. Il convient de relever en outre qu'en matière de politique publique, parmi les quatre « cercles fondamentaux de la décision »272, le cabinet du Président (en particulier le Secrétariat Général) fait partie du premier cercle.

Ces atouts ont permis au Secrétariat Général, dirigé à l'époque par le Professeur Joseph OWONA, juriste de formation et enseignant de droit international, d'intervenir et d'influencer le processus de prise de décision. A ce titre, contrairement aux autres institutions impliquées dans le processus, le Secrétariat Général était persuadé que le conflit de Bakassi ne pouvait être réglé de manière efficace que par un recours à l'organe judiciaire principal des Nations Unies273. Toutefois, il a fallu que chaque administration instruite de l'affaire par le Chef de l'Etat arrive à le convaincre à travers ses arguments de la pertinence de son option.

B. Les concertations entre institutions

Le Chef de l'Etat a affirmé que l'affaire Bakassi a été le plus gros dossier qu'il ait eu à traiter en l'espace de trente ans274. A l'époque, le Cameroun faisait face à une violation manifeste de son intégrité territoriale, et les négociations n'avançaient plus du fait de malentendus persistants. Il fallait vite réagir afin d'empêcher que la situation ne se consolident en faveur du voisin nigérian, dont la volonté d'appropriation de la péninsule de Bakassi allait crescendo.

C'est dans ce contexte que l'étude de ce dossier a été confiée au MINREX. Du fait de la confidentialité qui l'entourait, son traitement n'a été attribué à aucun Service du MINREX. En raison de sa spécialisation technique en matières internationales, le MINREX a souhaité à l'époque avoir l'entière gestion du dossier Bakassi. Toutefois, la délicatesse de l'affaire, la nécessité pour le Chef de l'Etat d'avoir un éventail large d'analyses et de propositions en provenance de toutes les administrations expertes sur la question, et l'importance d'une gestion coordonnée du dossier, ont fait en sorte que sa gestion remonte à PRESICAM. Ainsi, de nombreuses réunions de concertations ont été convoquées à PRESICAM. Ces réunions avaient pour objet la recherche de la meilleure solution à adopter en vue d'un règlement définitif du conflit frontalier et étaient coordonnées par le

270 Samy COHEN, Les conseillers du Président. De Charles De GAULLE à Valéry Giscard d'ESTAING, Paris, PUF, 1980, pp. 61-77, cité par Simplice ATANGA, 1991, op. cit., p. 65.

271 Simplice ATANGA, Idem.

272 Pierre MULLER, Les politiques publiques, Paris, PUF, 1990, p. 72, cité par Alain Titus BILOA TANG, 2000, op. cit., p. 34.

273 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, op. cit.

274 Entretien avec Maître Douala MOUTOME, Ministre de la Justice et Garde des sceaux à l'époque de la prise de décision, op. cit.

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Secrétaire Général de PRESICAM qui servait de liaison avec le Chef de l'Etat. Elles regroupaient les représentants du MINDEF, ceux du MINREX et du Secrétariat Général de PRESICAM.

A ce niveau, chaque administration a essayé de faire accepter sa logique ou vision comme relevant de l'intérêt général. Le MINREX dont le Chef de Département était Diplomate de carrière, était pour une solution négociée. Il refusait d'envisager toute option qui reviendrait à attaquer frontalement le « grand voisin » Nigérian. Pour lui, il était plus propice de poursuivre avec la diplomatie car le règlement militaire et le recours à la voie juridictionnelle étaient propres à détériorer les relations diplomatiques entre les deux pays et n'offraient aucunes garanties de victoire. Les militaires du MINDEF étaient convaincus que l'on ne pouvait plus rien attendre des négociations avec le Nigeria. La seule voie capable de régler définitivement le conflit de Bakassi, selon eux, était la guerre. Ils avançaient comme argument le fait que, sur le terrain, les forces armées camerounaises avaient jusque là repoussé toutes les attaques nigérianes, et que les bilans en termes de perte en vies humaines par exemple étaient plus favorables au Cameroun qu'à l'adversaire. De l'avis des officiers généraux de l'armée, en matière de stratégie militaire, les forces camerounaises n'avaient pas grand-chose à redouter du Nigeria. Pour eux, en matière de rapport de force, le tout n'était pas d'être les plus nombreux ou les mieux équipés, encore fallait-il savoir se servir de son arsenal et de son potentiel275. Le Cameroun, à leur avis, avait les capacités nécessaires pour faire face à l'armée nigériane.

Le Secrétariat Général, dont le Secrétaire de l'époque Joseph OWONA était un Professeur agrégé en Droit international, était contre l'idée d'un affrontement armé. Pour lui, gagner une bataille ne signifiait pas que l'on pouvait gagner une guerre contre le Nigeria. En termes de rapport de force démographique, économique et militaire276, le voisin occidental battait le Cameroun. Bien que le Secrétaire Général ait marqué à l'époque une réticence vis-à-vis de la solution militaire, il n'était pas pour autant en faveur du statu quo, ou de la poursuite de l'unique voie diplomatique comme le préconisait le MINREX. Selon lui, on ne pouvait faire valoir les droits du Cameroun sur la péninsule de Bakassi qu'en protestant contre l'occupation nigériane277. Et cela ne pouvait se faire valablement que par le recours à la C.I.J. Il se servit de deux arguments pour faire prévaloir cette option : la souscription nigériane sans réserve à la clause facultative de juridiction obligatoire et la pertinence des arguments juridiques du Cameroun. Qui plus est, la solution rendue par la Cour avait l'avantage d'être définitive et, prenait le monde entier à témoin en cas d'inexécution d'une des parties. Afin de se rassurer de la capacité du Cameroun à pouvoir soutenir valablement un dossier

275 Zacharie NGNIMAN, op. cit., p. 97.

276 A titre illustratif, confère Tableau 2 (présenté plus haut) qui ressort les effectifs et armement des armées nigérianes et camerounaises en 1994.

277 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, op. cit.

devant la C.I.J., permettant de prouver la « camerounité » de Bakassi, il a également été fait appel à un expert en la matière en l'occurrence le Professeur Maurice KAMTO.

Ces concertations ont permis au Chef de l'Etat d'avoir une vision large de la situation et de se décider pour le règlement judiciaire du conflit de Bakassi, une semaine avant le dépôt de la requête du Cameroun auprès de la C.I.J. La décision ainsi prise, sa mise en application a été confiée au Ministère de la Justice (MINJUSTICE), qui s'est chargé de la préparation et de la défense du dossier du Cameroun devant la C.I.J.278

Au regard de la décision finale, il ressort que le SG/PRESICAM est l'institution administrative qui avait le plus influencé la prise de décision.

La variable rôle fait partie des facteurs qui ont permis à la balance de pencher en faveur du règlement judiciaire.

Paragraphe 2 : La variable de rôle

La question que se pose l'analyste ici est celle de savoir si les fonctionnaires impliqués dans la prise de décision ont bien rempli les rôles qui leurs sont dévolus et dans quelle mesure leur qualité professionnelle a influencé la décision prise. Dès lors, il convient de ressortir (autant que possible) le rôle joué par les fonctionnaires des Ministères intéressés (A) et celui des fonctionnaires de SG/PRESICAM (B).

A. Le rôle des fonctionnaires des Ministères intéressés

Dans sa pré théorie de la politique étrangère, James ROSENAU démontre l'influence que peut avoir le rôle des individus impliqués dans la prise de décision, sur le comportement extérieur de l'Etat279. Le « rôle » renvoyant ici au statut des fonctionnaires représentant chacune des administrations impliquées dans la prise de décision ainsi qu'aux attentes de leur environnement en général et de leur hiérarchie en particulier (en l'occurrence le Chef de l'Etat auquel ils ont des comptes à rendre). En d'autres termes, cette variable postule que le statut et les nombreuses attentes vis-à-vis des fonctionnaires impliqués dans la prise de décision du Cameroun ont influencé cette dernière. La capacité d'influence des individus représentants une administration sur la décision finale est dès lors fonction du professionnalisme280 et de l'aptitude de chacun à rapprocher ses

278 Entretien avec Maître Douala MOUTOME, op. cit.

279 James ROSENAU, The Scientific Study of Foreign Policy, New York, Free Press, 1971, pp. 108-109.

280 Le professionnalisme renvoie à la compétence (« skill ») dans l'exercice de son métier.

propositions de la vision et des orientations générales du Chef de l'Etat en matière de politique étrangère.

En l'espèce, les témoignages recueillis montrent que les fonctionnaires représentants les institutions impliquées dans la prise de décision jouaient pleinement leurs rôles. Tous voulaient répondre aux attentes du Chef de l'Etat en remplissant au mieux les missions qui leur avaient été confiées par ce dernier. L'une des raisons à même d'expliquer ce professionnalisme est le pouvoir que confère la Constitution au Président de la République de nommer les Ministres et Vice-ministres qui sont responsables devant lui, et de mettre fin à leurs fonctions281.

Au MINREX, le Ministre (diplomate de carrière) s'est entouré d'une équipe de trois collaborateurs dont deux diplomates de carrière et un contractuel d'administration en service dans ledit Ministère. Conformément aux missions qui leur étaient statutairement confiés en matière de mise en oeuvre de la politique étrangère du Cameroun, et de par les informations et les connaissances qu'ils avaient du conflit frontalier282, ces individus ont procédé à une analyse de la situation et ont soumis leur conclusion au Chef de l'Etat par le biais du SG/PRESICAM.

De par non seulement les responsabilités qui leur sont confiées en tant que représentants d'un Département statutairement chargé de la mise en oeuvre de la politique militaire de défense du Cameroun, mais aussi, des attentes du Chef de l'exécutif, les fonctionnaires du MINDEF se sont investi pour trouver la solution la mieux à même de régler de manière définitive le conflit de Bakassi. A titre illustratif, de nombreuses autorités de ladite structure ont fait des descentes sur le terrain du conflit283. Le même souci a guidé le Secrétaire Général de PRESICAM et ses collaborateurs qui ont effectués des voyages dans différents pays du monde afin de rassembler des éléments matériels permettant de prouver la capacité du Cameroun à défendre la « camerounité » de Bakassi devant la C.I.J.

281 Article 8 de la Constitution du 2 Juin 1972.

282 Il convient de rappeler que le Ministre des Relations Extérieures et ses collaborateurs se sont déployés sur le terrain diplomatique dès le début du conflit. A titre illustratif, le Ministre a été dépêché par le Président Camerounais à Abuja le 13 janvier 1994, porter un « message de paix et de conciliation » au Général ABACHA. Il a conduit la délégation camerounaise lors de la rencontre entre le Nigeria et le Cameroun les 9 et 10 février 1994 à Buea (comme il est mentionné plus haut, l'objet de cette rencontre était de trouver une solution diplomatique au conflit de Bakassi) ; ainsi que durant les travaux de la deuxième session ordinaire de l'Organe Central du Mécanisme de l'O.U.A. sur la prévention, la gestion, et le règlement des conflits en Afrique, les 24 et 25 mars 1994 à Addis Abeba où, il a été question du conflit de Bakassi.

283 Le 25 février 1994, le Ministre délégué à la Présidence chargé de la défense conduit sur le front une délégation comprenant certains officiers généraux à la tête de l'armée, afin d'inspecter les troupes déployées à Bakassi.

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B. Le rôle des fonctionnaires de SG/PRESICAM

Le Chef de l'Etat s'était entouré à l'époque de fonctionnaires dévoués, compétents dans leur domaine respectif et préoccupés par la violation nigériane de l'intégrité territoriale du Cameroun ; ce qui avait fait peser la balance en faveur du règlement judiciaire, c'était non seulement la vigueur des arguments de ses partisans284, mais surtout l'aptitude de ces derniers à faire correspondre leur vision aux orientations générales du Chef de l'Etat en matière de politique étrangère ; en l'occurrence, la recherche d'une solution pacifique et définitive. Ceci explique l'éviction de l'option militaire par nature violente et de la solution diplomatique, susceptible d'être remise en cause.

L'option judiciaire était apparue lorsque le Secrétaire Général de par ses responsabilités d'autorité chargée du suivi de l'exécution des instructions données par le Président de la République, et de la supervision de l'organisation du travail gouvernemental285, s'était rendu compte, après vérification, que le Nigeria avait souscris à la clause facultative de juridiction obligatoire. Le Cameroun qui n'avait jusque là pas ratifié ladite clause devait agir rapidement afin de préserver cette option. En vue d'exploiter au mieux cette opportunité, les partisans de l'option judiciaire se sont servis pour faire peser la balance en leur faveur de l'exemple du Portugal dans l'affaire du droit de passage en territoire indien286.

En effet, dans cette affaire, le Portugal avait accepté la juridiction obligatoire par une déclaration du 19 décembre 1955 et saisi la Cour par une requête contre l'Inde trois jours plus tard. Cette célérité avait pour but d'empêcher l'Inde de retirer sa déclaration.

En outre, pour faire valoir auprès du Chef de l'Etat cette option, il avait encore fallu réunir des informations et éléments matériels prouvant la capacité du Cameroun à défendre devant la Cour la « camerounité » de la péninsule de Bakassi. C'est ainsi que, des fonctionnaires du Secrétariat général, par exemple, avaient parcouru de nombreux pays afin de rassembler des informations287. Quand la décision a été prise, cette tâche est revenue au MINJUSTICE.

Au regard de la décision finale, il ressort que les fonctionnaires du SG/PRESICAM ont eu plus d'influence que les autres fonctionnaires sur la prise de décision.

284 En l'occurrence, le Secrétariat Général de PRESICAM représenté par le Secrétaire Général le Pr. Joseph OWONA, l'expert universitaire le Pr. Maurice KAMTO, et plus tard le MINJUSTICE représenté par Maître Douala MOUTOME.

285 Article 2 (2) du Décret N°90/951 du 29 mai 1990 portant organisation de la Présidence de la République.

286 Voir, Droit de passage sur territoire indien, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil, 1957 ; fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960.

287 Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, op. cit.

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Quelle que soit la pertinence d'une option, la décision finale revient au Chef de l'Etat qui, selon son tempérament et sa culture, choisit la solution qui lui paraît la plus appropriée. Il est selon Ferry DE KERCKHOVE, « le décideur de base »288.

Section 2 : La variable idiosyncratique

La variable idiosyncratique se rapporte aux qualités particulières qui distinguent un dirigeant des autres par ses choix politiques et son comportement289. En effet, les actes politiques sont marqués par la personnalité de leurs auteurs. Comme expression d'une volonté humaine, la manoeuvre diplomatique, selon Alain PLANTEY, en a les caractères : audace ou timidité, sûreté ou velléité, fermeté ou pusillanimité, ampleur ou médiocrité290.

La figure de certains hommes politiques prend souvent une place décisive dans le rayonnement international d'un pays, ou encore le déclenchement ou l'évolution de certaines guerres. Les exemples d'hommes politiques qui, par leur tempérament ont déterminé l'orientation politique de leur pays sont légion. Mohandas KARAMCHAND GANDHI a eu par son exceptionnel charisme et sa célèbre doctrine de la « résistance passive », un rôle déterminant dans la lutte pour l'indépendance de l'Inde. Ahmed SEKOU TOURE a eu une forte influence sur le rejet par la Guinée, de l'intégration au sein de la Communauté française. Nicolas SARKOZY a été l'artisan du retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN et de son rapprochement avec les USA, après le refroidissement de leurs relations suite au rejet de l'invasion américaine en Irak. Dans le cas d'espèce, Sani ABACHA, homme militaire arrivé au pouvoir par coup d'Etat, a été à l'origine (dans sa quête de légitimité intérieure) du conflit qui fait l'objet de la présente étude.

James ROSENAU réaffirme à cet effet, l'importance des variables idiosyncratiques dans l'analyse de la prise de décision en politique étrangère. Ce facteur, s'il compte dans l'étude de la politique étrangère des pays développés291 est, selon lui, le plus important dans l'explication du comportement international des pays en développement292.

288 Ferry DE KERCKHOVE, 1972, op. cit., p. 512.

289 James N. ROSENAU, 1966, op.cit., p. 43 ; voir également, James N. ROSENAU, 1971, op. cit., p. 108 et suiv.

290 Alain PLANTEY, 2000 op. cit., p. 34.

291 De nombreux auteurs ont par exemple mis en exergue l'importance de la variable cognitive dans l'étude du comportement de l'administration BUSH (Etats-Unis) lors des opérations « Enduring Freedom » en Afghanistan et « Iraqi Freedom » en Irak. Voir par exemple Tanguy STRUYE DE SWIELANDE, « L'influence de la variable cognitive dans le processus décisionnel de l'administration BUSH (2001-2005) », Les Cahiers du RMES, volume IV, numéro 1, 2007.

292 Voir en Annexe 13 le tableau reliant les variables les plus déterminantes par rapport au type de société (page 142).

Aussi est-il nécessaire, dans l'explication du recours au règlement judiciaire, de ressortir l'idiosyncrasie du Président Paul BIYA (Paragraphe 1) et d'étudier la corrélation entre celle-ci et la décision prise (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'idiosyncrasie du Chef de l'Etat

La connaissance du passé d'un dirigeant peut permettre de mieux saisir son comportement d'adulte293. En effet, l'expérience née des leçons acquises dans le cadre non seulement familial, spirituel et scolaire, mais aussi, administratif et politique (A), participe à forger le tempérament des hommes d'Etat ; et compte parmi les outils qui permettent d'établir le code opérationnel ou système de croyances politiques desdits hommes (B).

A. L'expérience accumulée

De sa formation (1), le Chef de l'Etat du Cameroun a acquis des valeurs perceptibles dans sa prédilection pour un règlement judiciaire du conflit de Bakassi. En outre, tous les postes de responsabilité qu'il a occupé avant son accession à la magistrature suprême lui ont permis d'avoir une expérience des arcanes du pouvoir (2).

1. La formation reçue

Le Président Paul BIYA est né le 13 février 1933 à Mvomeka'a (Arrondissement de Meyomessala, Département du Dja-et-Lobo, Région du Sud Cameroun). Il est issu d'une famille modeste et pieuse de neuf enfants dont le père, Etienne MVONDO ASSAM, est catéchiste et la mère se nomme Madame MVONDO, née Anastasie EYENGA.

Après ses études primaires à l'école de la Mission Catholique de Nden (Zoétélé), il suit une formation au pré-séminaire Saint Tharcissius d'Edéa (1948-1950), puis au séminaire Saint Joseph d'Akono (1950-1954) où il apprend les vertus de la rigueur et de l'austérité294. Son départ pour une école laïque, le Lycée Général Leclerc, puis pour la France où il poursuivra ses études, n'entameront pas sa culture judéo-chrétienne acquise dans l'enfance. Il obtient une Licence et un Diplôme d'Etudes Supérieures de Droit Public à la Sorbonne. Il est également diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris (plus connu sous le nom de « Sciences Po ») où il décroche un diplôme de Sciences Po, option Relations Internationales, et de l'Institut des Hautes Etudes d'Outre-Mer, où il obtient un diplôme dans la section administrative.

293 Raymond-F HOPKINS et Richard-W MANSBACH, Structure and process in international politics, New York and London, Harper & Row Publishers, 1ère ed., p. 139, cité par NKOBENA Boniface FONTEM, 2008, op cit, p.97.

294 Lire à ce sujet François MATTEI, Le Code Biya, Paris, Balland, 2009, pp. 65-90.

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De sa culture judéo-chrétienne acquise dans l'enfance, le Président Paul BIYA hérite d'une personnalité anti-belliciste. Florent ETOGA, l'un de ses camarades de lycée et d'université, affirme à ce propos retenir chez l'homme un trait constant : « sa répulsion pour tout ce qui est violent : violence physique, violence morale ou violence intellectuelle »295. En termes d'expériences, son parcours professionnel viendra compléter la formation reçue dans le cadre familial et académique.

2. La carrière administrative

Avant son accession à la magistrature suprême, le Président Paul BIYA a occupé pendant près de vingt ans d'importants postes de responsabilité dans l'administration camerounaise. Grâce à ces différents postes, il a acquis une expérience riche et variée.

Il a respectivement servi comme Chargé de mission à PRESICAM (Octobre 1962) ; Directeur du Cabinet du Ministre de l'Education Nationale, de la Jeunesse et de la Culture (janvier 1964) ; Secrétaire Général dans le même Ministère (Juillet 1965) ; Directeur du Cabinet Civil de PRESICAM (Décembre 1967) ; Secrétaire Général et Directeur du Cabinet Civil de PRESICAM (janvier 1968) ; Ministre d'Etat, Secrétaire Général de PRESICAM (Juin 1970) ; et Premier Ministre, du 30 Juin 1975 jusqu'en 1982 lorsque, le 6 novembre, en tant que dauphin constitutionnel296, il devient Président de la République après la démission du Président Ahmadou AHIDJO. Les longues années passées dans l'administration lui ont permis de vite s'adapter à sa stature de Chef de l'Etat. Abdoulaye BABALE, alors Ministre, témoigne que ce qui a marqué les Camerounais, c'est la parfaite maîtrise avec laquelle le nouveau Président de la République a su prendre les choses en main. Il affirme : « Nous avons eu l'impression d'être en face d'un athlète qui s'est très bien préparé. Dès les premières heures, on s'est tout de suite aperçu qu'il maîtrisait parfaitement les rouages de l'Etat et l'ensemble des problèmes qui se posaient à notre pays »297.

Sa carrière politico-administrative lui a permis d'avoir une expérience des arcanes du pouvoir, une maîtrise des problèmes épineux, et une perspicacité à saisir les sentiments humains. Cela lui a également permis d'affiner son point de vue sur les questions brûlantes d'ordre national et international298.

L'expérience accumulée par le Président aussi bien avant qu'après son accession au pouvoir a contribué à la formation de son système de croyances.

295 François MATTEI, 2009, op. cit., p. 40.

296 En vertu de l'amendement constitutionnel issu de la loi N°79/02 du 29 juin 1979.

297 Interview d'Abdoulaye BABALE, ancien Ministre, réalisé par Aimé Francis AMOUGOU, in « Paul Biya, l'homme, l'oeuvre, l'ambition », Cameroon Tribune, Edition spéciale du 06 Novembre 2007, p. 15.

298 NKOBENA Boniface FONTEM, 2008, op cit., p.99.

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B. Le code opérationnel du Chef de l'Etat

Afin de saisir le système de croyances ou code opérationnel du Président Paul BIYA, il convient de répondre aux dix questions proposées par Alexander GEORGE et, se rapportant aux principales croyances politiques d'ordre philosophique (1) et instrumental (2) du décideur ultime.

1. Les croyances philosophiques

Les dix questions susmentionnées se divisent en deux groupes composés de cinq questions. Le premier groupe permet de saisir les croyances du Président Camerounais à l'égard des problèmes philosophiques ci-après :

· Quelle est la nature essentielle de la vie politique ? Quel est le caractère fondamental des opposants politiques de quelqu'un ?

De son expérience dans les arcanes du pouvoir, il tire la leçon selon laquelle, dans la vie comme en politique, les hommes sont capables du meilleur, comme du pire. La responsabilité des dirigeants à quelque niveau qu'ils soient dans l'appareil de l'Etat étant, selon lui, de faire en sorte que le pire n'advienne pas299, et cela commence à son avis par la promotion de l'éthique dans la vie politique ; d'où son credo « rigueur et moralisation ». Selon lui, « il n'y a pas de société viable sans une éthique acceptée »300.

Il perçoit le monde comme étant de plus en plus interdépendant, mais encore marqué par les appétits de domination et d'exploitation des nations puissantes sur les nations faibles et par des affrontements idéologiques de plus en plus meurtriers ; d'où la nécessité d'oeuvrer pour l'avènement d'une humanité plus solidaire301.

· Quelle est la probabilité pour quelqu'un de réaliser ses valeurs et aspirations politiques fondamentales ? Peut-on être optimiste ou doit-on être pessimiste à ce sujet ?

Le Président Paul BIYA est un homme politique optimiste. Dans son action extérieure comme dans le domaine de la politique intérieure, son « pari fondamental demeure le rejet de la fatalité : en effet, selon lui, à l'image de l'individu, le Cameroun ne peut s'affirmer et s'épanouir que dans un environnement équilibré et profondément marqué par la paix. Or, les conditions premières de celle-ci sont aujourd'hui la consolidation de l'indépendance des Etats et l'impulsion de leur coopération »302. Il croit ainsi que ces modalités exigent des nations la promotion des

299 Propos du Président Paul BIYA, extrait de François MATTEI, 2009, op. cit., p. 118.

300 Propos du Président Paul BIYA devant le Conseil national de l'UNC, en novembre 1982, extrait de François MATTEI, 2009, op. cit., p. 230.

301 Paul BIYA, 1987, op cit., p.19.

302 Ibid., pp. 19-20.

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principes tels que la tolérance, le respect des différences culturelles et idéologiques, l'abstention de recourir à la force en vue d'imposer une vision du monde ou un système sociopolitique303.

· Le futur politique peut-il être prévu ?

A l'analyse de son parcours et de ses discours, on peut affirmer qu'il ne croit pas en l'existence d'un chemin, tout tracé et prédestiné, qui conduise un acteur individuel ou collectif à ses aspirations. Pour lui, la capacité de réussite de tout un chacun dépend de son acharnement. Tout n'est pas acquis. La vie se caractérise par l'imprévisibilité ; d'où la nécessité de se fixer des objectifs et de se donner les moyens de les atteindre. A titre illustratif, s'adressant à la jeunesse camerounaise, il affirme : « rappelez-vous (...) qu'à l'échelle individuelle et collective, rien de grand ne peut se faire sans dépassement, sans sacrifices, sans victoire sur soi même, finalement sans une certaine ascèse »304.

· A quel point peut-on contrôler ou dominer le développement historique?

Comme il a été susmentionné, le Président Paul BIYA est un homme politique optimiste. Il a la conviction ferme que « dans un pays, en toutes circonstances, on trouve toujours les ressources du sursaut et du renouveau »305. Il pense ainsi, qu'en tant que dirigeant, il a un grand rôle à jouer dans l'infléchissement ou l'orientation de l'histoire dans des directions salutaires au Cameroun. A titre illustratif, il déclare le 21 juillet 1990 dans une interview accordée à Yves MOUROUSI sur Radio Monte Carlo qu'il « souhaiterait entrer dans l'histoire comme celui qui a apporté la démocratie et la prospérité au Cameroun ».

· Quel est le rôle de la chance dans les affaires humaines ?

Il n'accorde pas grand rôle à la chance dans les affaires humaines. Pour lui, tout est question de dépassement de soi, de travail et de sérieux. A titre illustratif, François MATTEI, qui a écrit une biographie du Président Paul BIYA, raconte comment ses camarades d'université se souviennent de son ironie envers ceux qui jouaient sur la chance en faisant des impasses sur les programmes306. Pour lui, rien de durable, et encore moins d'efficace, ne peut se faire dans l'improvisation et le manque d'engagement307.

303 Paul BIYA, 1987, op cit., p. 21.

304 Voir Discours du Président Paul BIYA à la jeunesse camerounaise à l'occasion de l'édition du 11 février 1983 de la Fête de la jeunesse, cité par François MATTEI, 2009, op. cit., p. 233.

305 Propos du Président Paul BIYA, extrait de François MATTEI, 2009, op. cit., p. 115.

306 François MATTEI, ibid., p. 136.

307 Ibid., p. 121.

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2. Les croyances instrumentales

Le deuxième groupe de questions se rapporte aux croyances relatives aux moyens de l'action politique, encore appelées « croyances instrumentales » :

· Quelle est la meilleure façon d'arrêter les objectifs de l'action politique ?

Pour lui, les objectifs de l'action politique doivent correspondre aux réalités de la société vers laquelle ils sont orientés. Toute décision avant d'être prise doit avoir été suffisamment mûries et confrontées aux réalités. Il reste persuadé que la science politique est une science de la réalité quotidienne telle que vécue dans une cité donnée, et qu'une théorie politique n'est digne d'attention que si elle surmonte l'épreuve de cette réalité vécue dans la cité308. Il affirme ainsi que : « la cité camerounaise a ses valeurs et ses particularités. C'est de celle-ci que nous tentons de tirer les enseignements nécessaires à notre action, plutôt que d'emprunter à d'autres cités des règles de conduite et d'action mal adaptées à la vie nationale camerounaise »309.

· Quelle est la façon la plus efficace de poursuivre ces objectifs ?

Selon lui, le légalisme, la patience, le pragmatisme, la paix et la discrétion sont les conditions d'une poursuite efficace des objectifs de l'action politique.

S'agissant du légalisme, son passage au séminaire lui a permis d'intégrer pour sa vie entière le commandement : « custodi regulam, et regula custodiet » (« garde la règle, et la règle te gardera »)310. Ainsi, le respect des normes dans la poursuite des objectifs de l'action politique constitue pour lui une garantie d'efficacité et de sécurité. Quant à la patience, elle est pour lui une vertu. Elle s'accompagne chez lui du silence, ce qui le rend totalement imprévisible. François MATTEI relève à ce propos que : « la Bible et les grands philosophes n'ont fait que nourrir et renforcer chez lui une tendance innée à réfléchir longtemps avant d'agir »311.

Il croit qu'en politique, il est parfois nécessaire d'être pragmatique. Il affirme à ce propos que : « la politique de conduite d'une nation nécessairement est obligée d'être par moments, pragmatique. Car ici, à un moment donné, les nécessités de l'action ou de la réussite de l'action appellent non pas l'abandon, mais l'oubli momentané de certains aspects idéologiques. On n'a pas à choisir. La primauté, c'est la réussite de l'action politique »312. Ainsi, tout en ne s'opposant à aucune idéologie, il ne garde que les vertus de chacune. « Il prend ce qui est bon à droite et à

308 Paul BIYA, 1987, op cit., p. 13.

309 Idem.

310 François MATTEI, 2009, op. cit., p. 80.

311 Ibid., p. 245.

312 Propos du Président Paul au Club de la Presse de RFI (Radio France Internationale) à ses débuts dans la carrière de Président, extrait de François MATTEI, 2009, op. cit., pp. 319-320.

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gauche, et rejette ce qui est mauvais, pour en faire une politique idéale »313. Sa conception de la politique de non alignement est une parfaite illustration de ce pragmatisme. En effet, pour lui, le non alignement ne signifie ni le rejet de tout partenaire, ni le refus de toute alliance, mais, il consiste plutôt à sauvegarder en permanence la possibilité et la liberté de négocier de nouvelles alliances ou de dénoncer les anciennes314.

Le Président Paul BIYA a en répulsion toutes les formes de violence. En effet, la paix est pour lui le meilleur moyen d'atteindre les objectifs de l'action politique. Il s'agit d'un concept très présent dans son discours politique ; au point où, certains observateurs parlent d'une véritable « obsession de la paix »315. Le Chef de l'Etat camerounais considère ce concept comme une finalité et un préalable à la construction nationale, mais également comme un facilitateur, et le socle des relations entre les États316.

Enfin, pour lui, la discrétion est un gage de succès de toute entreprise politique. Il affirme à ce propos qu' « un Chef d'Etat doit être discret. La gesticulation n'est pas un signe de vitalité. L'important n'est pas le verbe. C'est l'action méthodique et rationnelle »317.

· Comment les risques de l'action politique sont-ils calculés, contrôlés et acceptés ?

Dans la réalisation des objectifs de l'action politique, il fait preuve « d'une prudence pragmatique »318. Face à un problème, avant de prendre une décision, il discerne parmi les différentes solutions proposées celle qui présente le moins d'inconvénients, car il est convaincu « qu'aucune solution n'est parfaite. Seul le temps contraint à choisir la moins mauvaise »319. Bien qu'il ne cherche pas les situations à risque, face à elles, il les accepte et s'applique à les vivre sans céder à leur pression320.

· Quelle est la meilleure chronologie à suivre dans la poursuite des objectifs ?

Le Président Paul BIYA n'est pas un impulsif. Pour lui, il est mieux d'attendre le temps opportun pour agir ; c'est-à-dire lorsqu'on sait que son action ne génère plus d'inconvénients ou d'effets secondaires. « Dans l'urgence, il se hâte de donner au temps, le temps...de digérer tout ou partie du problème, de lui permettre d'avoir une vision lucide de tous les paramètres qui composent

313 François MATTEI, Ibid., p. 319.

314 Paul BIYA, 1987, op cit., p. 147-148.

315 Lire à ce sujet Marc OMBOUI, « Paul BIYA : l'obsession de la paix », in http://cameroun2010.info/fr/politique-cameroun-paul-biya.html, consulté le 9 juillet 2011.

316 Voir idem.

317 Interview accordé à l'hebdomadaire Jeune Afrique, en septembre 2004, extrait de François MATTEI, 2009, op. cit., p. 33.

318 NKOBENA Boniface FONTEM, 2008, op cit., p. 102.

319 François MATTEI, 2009, op. cit., p. 319-320.

320 Pour des illustrations, lire François MATTEI, Ibid., p. 286.

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ce problème, et ensuite seulement, d'introduire les aménagements, de formuler les propositions, de prendre les décisions. Bref de reprendre la main »321.

· Quels sont l'utilité et le rôle des divers moyens aptes à une telle poursuite ?

Il convient de rappeler qu'il privilégie dans une telle poursuite, la paix, le légalisme, la patience, la discrétion et le pragmatisme.

Pour lui, la paix est utile dans la mesure où elle offre les conditions propices à la réalisation des objectifs de l'action politique. A titre illustratif, il a la conviction indubitable que c'est dans la paix et la stabilité que le Cameroun peut espérer développer ses richesses et en jouir322. S'agissant du légalisme, le respect des normes dans la poursuite des objectifs de l'action politique est pour lui une condition d'efficacité et de sécurité. Quant à la patience, son utilité réside dans le fait qu'elle permet de garder son sang froid et de résister aux difficultés, quelle que soit leur gravité apparente, tout en étant capable de prendre une décision rapide et ferme au moment le plus approprié ; la patience favorise ainsi la rationalité dans la prise de décision323. Pour ce qui est de la discrétion, il s'agit selon lui d'une qualité nécessaire au succès de l'action politique. C'est pour cette raison que dans ce domaine, « il a toujours préféré voir qu'être vu »324. En ce qui concerne le pragmatisme, tout en appréciant la liberté qu'il confère dans la poursuite des objectifs de l'action politique, le Président Camerounais affirme la nécessité d'essayer de maintenir la balance égale entre l'exigence momentanée de pragmatisme (pour la réussite de ladite action), et l'exigence d'idéologie325.

L'analyse du code opérationnel du Président Paul BIYA révèle la centralité du pacifisme dans son système de croyances. En effet, la paix est pour lui non seulement un idéal et une valeur dont la construction doit être permanente (ce constat découle de l'analyse de ses croyances philosophiques), mais aussi, un moyen et un objectif de l'action politique (ce constat découle de l'analyse de ses croyances instrumentales).

Le système de croyances du Chef de l'Etat ainsi dégagé, il convient de ressortir son impact sur la décision de saisir la C.I.J., pour un règlement judiciaire du conflit de Bakassi.

321 François MATTEI, 2009, op. cit., p. 327.

322 Paul BIYA, 1987, op. cit., p. 11.

323 NKOBENA Boniface FONTEM, 2008, op cit., p. 100.

324 François MATTEI, 2009, op. cit., p. 9.

325 Propos du Président Paul au Club de la Presse de RFI (Radio France Internationale) à ses débuts dans la carrière de Président, extrait de François MATTEI, 2009, op. cit., pp. 319-320.

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Paragraphe II : L'impact du système de croyances du Chef de l'Etat sur la prise de décision

Le système de croyances du Président Paul BIYA a influencé le comportement international du Cameroun de deux manières. A travers la persévérance dans la voie du pacifisme (A), et la prudence pragmatique dont le recours à la C.I.J. est le reflet (B).

A. La persévérance dans la voie du pacifisme

Dès le début du conflit, le Chef de l'Etat camerounais a manifesté une prédilection en faveur du règlement pacifique. Après l'invasion de la péninsule de Bakassi par l'armée nigériane, l'inclination pour la paix, la patience et l'esprit de dialogue de ce dernier ont permis d'éviter une guerre aux deux pays. Ferdinand Léopold OYONO, ami proche du Président BIYA et Ministre des Relations Extérieures durant le conflit, explique que « malgré sa vive émotion et ses légitimes ressentiments au regard de cette violation manifeste de l'intégrité territoriale dont il est le garant, le Président Paul BIYA avait tenu à s'enquérir de la situation en téléphonant personnellement à son homologue et frère Sani ABACHA »326.

L'attachement du Chef de l'Etat à la paix, préalable selon lui pour l'épanouissement du Cameroun327, compte parmi les paramètres qui expliquent l'orientation première du pays vers une action diplomatique328.

En effet, dans un souci d'apaisement, le Président Camerounais a d'abord exploré, l'éventualité d'une solution bilatérale. Néanmoins, cette voie n'a donné aucun résultat positif. Fidèle à ses convictions, il a confirmé son option résolue pour le règlement pacifique en s'orientant cette fois vers une solution multilatérale. Toutefois, les Organisations Internationales saisies, en l'occurrence l'O.U.A. et l'ONU, malgré leurs efforts ne sont pas parvenues à résorber l'antagonisme camerouno-nigérian.

A ce moment s'est posé le problème de la solution la mieux à même de permettre le règlement définitif du conflit de Bakassi. Fidèle à ses principes, parmi lesquels figure le légalisme, le Chef de l'Etat a pris une décision qui, tout en lui permettant de rester dans la voie pacifique, montrait la détermination des autorités camerounaises pour un règlement, juste, durable et conforme au droit international, du conflit frontalier avec le « grand voisin » occidental. Le 31 décembre 1994, il a ainsi expliqué son option au peuple camerounais : c'est « le souci de dialogue et de paix

326 Propos recueilli par Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit., p. 14.

327 Paul BIYA, 1987, op cit., p.19.

328 A titre illustratif, l'armée camerounaise, conformément aux instructions, a eu une attitude essentiellement défensive. Le déploiement militaire, en vue de la défense de l'intégrité territoriale, n'a pas empêché la diplomatie d'agir.

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qui nous a déterminés à préférer les voies du droit à celles de la force pour favoriser le règlement du différend »329.

B. La prudence pragmatique

Dans la poursuite de l'objectif du Cameroun, en l'occurrence le respect nigérian de la « camerounité » de Bakassi, le Président Paul BIYA a fait preuve de prudence et de pragmatisme, éléments figurant parmi ses croyances instrumentales. Par pragmatisme, il a fait recours à l'instance judiciaire qui, au vue des arguments juridiques du Cameroun et la souscription nigériane à la clause facultative de juridiction obligatoire, garantissait le mieux la réussite de l'action politique. Toutefois, ce pragmatisme était prudent car, le Nigeria avait à plusieurs reprises prouvé sa mauvaise foi aux autorités Camerounaises.

En effet, le Président Camerounais qui a occupé depuis 1962 des postes de responsabilité au sommet de l'administration camerounaise, avait sans doute été témoin des diverses démarches de négociation sur les questions frontalières, dont les résultats avaient plus tard été remises en cause par le Nigeria330. Qui plus est le régime du Général Sani ABACHA cherchait depuis le déclenchement du conflit de Bakassi, selon les termes de Jean Pierre FOGUI, à « bluffer » le Cameroun331. Un épisode dudit conflit permet d'illustrer ces propos. En effet, jusqu'en 1991 avant leur modification par les autorités nigérianes, toutes les cartes utilisées chez le voisin occidental du Cameroun, situaient la péninsule de Bakassi en territoire camerounais. En février 1994, lors d'une audience accordée par le Président ABACHA à la Mission de Médiation française, l'Attaché militaire de France a cherché à prouver la vacuité de la thèse nigériane sur la péninsule de Bakassi en dépliant une de ces cartes sur la table. Le Chef de l'Etat nigérian, sans embarras, a réagis en balayant de sa main la totalité de la péninsule de Bakassi et a déclarant avec vigueur, « Tout ceci est à nous »332.

La mauvaise foi apparente des autorités d'Abuja a inspiré une prudence pragmatique au Président Paul BIYA. Instruit par l'expérience, il a préféré un règlement définitif du problème par la C.I.J., c'est-à-dire un règlement prenant clairement à témoin l'opinion publique internationale et la communauté internationale, et exerçant, de ce fait, une plus grande contrainte juridique et morale sur les parties concernées.

329 Message de Voeux du Président Paul BIYA à la Nation, le 31 Décembre 1994.

330 Il convient de relever par exemple que lors de la signature (1975) et de la remise en cause (1978) de l'Accord de Maroua par le Nigeria, et même durant la première grande crise entre le Nigeria et le Cameroun le 16 mai 1981, le Président Paul BIYA était Premier Ministre depuis janvier 1975.

331 Lire au sujet de l'usage nigérian de la « théorie du bluff (ou du poker) » sur le Cameroun, Jean Pierre FOGUI, 2010, op. cit., p. 22.

332 Episode relaté par Jean Pierre FOGUI, 2010, op. cit., p. 22.

Dès lors, il peut être affirmé que le Chef de l'Etat compte parmi les décideurs qui, par leur tempérament ont déterminé le comportement international de leur pays. Ainsi, Me Douala MOUTOME, Ministre de la Justice, Garde des sceaux lors de la prise de décision, et premier Agent du Cameroun lors de la procédure devant la C.I.J., affirme qu' « il fallait être celui qui dirige ce pays, le Président BIYA, pour choisir l'option judiciaire à côté de deux autres : la guerre, ruineuse par ses effets ; ou la conciliation, expérimentée depuis de longues années sans résultats tangibles »333. Le Professeur Maurice KAMTO, co-agent du Cameroun lors de la même procédure, déclare quant à lui que « le Chef de l'Etat c'est quelqu'un d'essentiellement pacifique. Son tempérament l'inclinait vers la recherche d'une solution pacifique »334.

La variable idiosyncratique compte ainsi parmi les facteurs les plus déterminants qui expliquent le processus de prise de décision du Cameroun. Elle pèse plus que les variables gouvernementales et de rôle

Après l'analyse de l'influence des acteurs institutionnels, il convient de ressortir le rôle qu'ont pu jouer la société nationale et l'environnement international sur la prise de décision étudiée.

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333 Interview de Me Douala MOUTOME, Ancien Ministre de la Justice du Cameroun, et premier Agent du Cameroun lors de la procédure devant la C.I.J., réalisé par R. D. LEBOGO NDONGO, in Cameroon tribune N°9161/5360, Spécial BAKASSI, Jeudi 14 Août 2008, p. 51.

334 Entretien avec le Professeur Maurice KAMTO, op. cit.

CHAPITRE IV - LE RÔLE DES VARIABLES SOCIOLOGIQUES

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Les variables sociologiques renvoient dans la présente étude aux variables sociétales et systémiques du paradigme général de ROSENAU. En effet, comme le soulève Jean BARREA, ces deux groupes de variables peuvent offrir les deux grands plans de l'approche sociologique de la décision335. A travers ces variables, l'analyste examine l'influence de l'environnement national et international sur la prise de décision du Cameroun.

Ainsi, sur le plan sociologique, le choix porté par les autorités camerounaises sur la C.I.J. pour le règlement du conflit de Bakassi résulte d'une part, de la prise en compte de considérations d'ordre sociétal (Section I), et d'autre part, de l'influence du milieu international dans lequel le pays se meut (Section II).

Section 1 : Les variables sociétales

Les variables sociétales se rapportent à l'ensemble des aspects non gouvernementaux (nationaux) qui influence le comportement international d'un pays sur un problème donné. Il s'agit de la culture nationale, de l'opinion des acteurs de la société civile, des médias, des citoyens, des leaders politiques (Paragraphe I) ; et enfin, du contexte socio-économique et politique intérieur (Paragraphe II).

Paragraphe 1 : La culture et l'opinion publique nationales

La culture nationale renvoie à l'ensemble des valeurs collectives partagées par la population, et auxquelles elle attache du prix. En tant que contrainte inconsciente, elle exerce une grande influence sur la politique étrangère (A). Bien que son influence sur la prise de décision n'ait pas été aussi importante que celle de la culture nationale, l'opinion publique nationale (B), compte parmi les variables sociétales explicatives de la décision camerounaise.

A. L'influence de la culture nationale

Le Cameroun, comme beaucoup d'autres pays, a ses valeurs et ses particularités336. Le peuple camerounais est connu comme un peuple profondément épris de paix. NKOBENA relève à ce propos qu'une étude de l'attitude générale de cette population, face à certains problèmes, montre

335 Jean BARREA, 1981, op. cit., p. 262.

336 Paul BIYA, 1987, op. cit., p. 13.

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que les Camerounais entretiennent une culture de paix. Lorsqu'une question de nature à diviser le pays au point de mettre à mal sa stabilité survient, la population camerounaise préfère généralement la paix à la violence337. Cet attachement profond s'explique sans doute par l'histoire de ce pays d'Afrique centrale, qui est avec l'Algérie, l'un des rares pays africains à avoir acquis son indépendance de haute lutte. En effet, le mouvement nationaliste camerounais incarné par l'Union des Populations du Cameroun (U.P.C.) a âprement lutté contre les autorités coloniales françaises, pour l'indépendance et la réunification du Cameroun. Le traumatisme de cette guerre de libération qui a eu pour conséquence des milliers de mort, a selon les termes de Jean Pierre FOGUI : « vaccinés le peuple camerounais contre le virus de l'aventure et les gênes de la violence ; car ce qui fait la marque distinctive de ce peuple depuis l'indépendance, aussi bien sur la scène continentale que dans le concert des Nations, c'est le refus de la guerre, donc l'attachement viscéral à la paix, à la stabilité et à la coopération entre les peuples »338.

Depuis l'indépendance, les rares tensions qui sont survenues au Cameroun ont été ponctuelles339. Dans un pays de plus de 250 nations culturelles, de pluralité religieuse (catholicisme, protestantisme, islam et animisme), il existe parfois des antagonismes ethniques, mais le plus souvent instrumentalisés sous forme, selon la terminologie de Luc SINDJOUN, de « rente identitaire »340. Aucun affrontement ethnique à l'échelle de ceux survenus dans d'autres pays africains tels que le Nigeria, le Rwanda ou le Burundi, n'a encore été enregistré au Cameroun. Le Cameroun apparaît ainsi comme une exception face à l'instabilité qui caractérise la sous région à laquelle il appartient, en l'occurrence l'Afrique centrale.

Cette culture de paix a pesé de manière inconsciente sur le choix d'un règlement pacifique du conflit par la C.I.J. Le Chef de l'Etat qui évoque souvent dans ses discours l'attachement constant du peuple camerounais à la paix341, l'a reconnu en ces termes au lendemain de la rétrocession de la péninsule de Bakassi : « Je crois que nous devons surtout en retenir que l'option que nous avons prise - c'est-à-dire de recourir aux moyens de droit plutôt qu'à l'usage de la force - s'est trouvée pleinement justifiée, car nous sommes un peuple profondément épris de paix »342.

337 Pour une illustration de ladite culture de paix, lire NKOBENA Boniface FONTEM, 2008, op. cit., p. 124.

338 Jean Pierre FOGUI, 2010, op. cit., p. 28.

339 Le Cameroun n'a connu que des tensions limitées dans le temps, que ce soit au début des années 1990 avec les fameuses opérations « villes mortes », ou plus récemment avec les perturbations de février 2008.

340 Lire à ce sujet, Luc SINDJOUN, Construction et Déconstruction locales de l'ordre politique au Cameroun. La sociogenèse de l'Etat, Thèse de Doctorat d'Etat Université de Yaoundé II, 1994.

341Message du Président Paul BIYA, à la Nation à la suite du retrait de l'administration et des forces nigérianes de la presqu'île de Bakassi, le 14 Août 2008.

342 Message du Président Paul BIYA à la Nation, le 14 Août 2008, op. cit.

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B. L'inclination de l'opinion publique camerounaise pour le règlement

pacifique

Bien que certains auteurs lui aient reproché son peu d'intérêt pour le conflit343, les citoyens, les partis politiques, les médias et certaines ONG se sont manifestés sur la question344. Il est vrai qu'au début du conflit, les Camerounais se sont peu exprimés sur le problème. Une frange de l'opinion avait d'ailleurs prise l'annonce, le 19 février 1994 par la CRTV345, des attaques nigérianes à Bakassi pour des manoeuvres politiques visant une diversion de l'attention des populations des problèmes nationaux346. C'est la médiatisation des différentes démarches entreprises par le Gouvernement qui leur a fait prendre conscience de la réalité des évènements.

A partir de ce moment, une sorte d'union nationale s'est créée à propos de la « camerounité » de la péninsule de Bakassi. Une enquête réalisée à l'époque à Douala, Yaoundé, et Garoua sur près d'une centaine de Camerounais de tous les âges, sexes, religions, professions et tendances politiques a fait ressortir l'opinion du public sur l'affaire Bakassi, et sa gestion par les autorités gouvernementales347. Cette enquête a été publiée le 17 mars 1994 ; c'est-à-dire avant la décision du Cameroun de recourir à la C.I.J.

D'après ladite enquête, les Camerounais ont condamné fermement et à l'unanimité l'occupation d'une partie de leur territoire par les troupes nigérianes. Ils ont appelé les autorités gouvernementales à tout mettre en oeuvre pour récupérer tous les points occupés du territoire. S'agissant de la gestion gouvernementale du problème, les Camerounais interrogés à Douala, Yaoundé et Garoua, ont pensé que les autorités gouvernementales avaient agi dans le bon sens. Certains ont estimé toutefois que l'opinion nationale aurait dû être informée en décembre 1993, dès l'occupation d'une partie de la péninsule. Ils ont adhéré à l'unanimité avec la stratégie du Gouvernement faite de souplesse et de fermeté, et considéré la saisine des instances internationales incontournable pour un règlement durable de ce conflit ; car, estiment-ils, « on ne peut pas négocier avec quelqu'un qui vous tient à la gorge ».

Primus FONKENG qui a travaillé sur l'opinion de deux journaux de langue anglaise, The Herald et The Post, à propos du conflit de Bakassi, permet, par le biais des résultats de ses recherches, de ressortir l'avis des Camerounais culturellement et géographiquement les plus proches

343 C'est le cas par exemple de Zacharie NGNIMAN, 1996, op cit., p. 122.

344 Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op cit, p. 83. Dans sa thèse, il montre comment la majeure partie de l'opinion publique soutenait le Cameroun dans la gestion du conflit de Bakassi.

345 CRTV : Cameroon Radio Television, chaîne de radio et de télévision nationale.

346 Voir l'Annexe 12, qui traite des articles de presse négatifs publiés par The Herald et The Post sur le conflit de Bakassi Propos (page 141).

347 Enquête réalisée par trios Journalistes de Cameroon Tribune, en l'occurrence NTA à BITANG (à Douala), Isidore MENDENG (à Garoua), et Jean-Marie NEOSSI (à Yaoundé). Voir Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N°5555, Jeudi 17 mars 1994, p.3. Voir en Annexe 10, les résultats de cette enquête (page 139).

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de la zone de conflit et du Nigeria. The Herald et The Post ont condamné l'occupation nigériane de la péninsule de Bakassi. Toutefois, ils ont relevés que cette situation était imputable à la négligence par les autorités gouvernementales des zones et des populations vivant le long de la frontière avec le Nigeria. Selon The Herald, «The Government has neglected the people, making them to rely on the Nigerian Government for their social and economic sustenance. For example, Cameroonians have to travel through Nigeria to get to Akwaya in Cameroon, due to the absence of roads linking Akwaya to the rest of the country»348. Quant au journal The Post il affirme que: «Bakassi is the outcome of the criminal neglect and marginalisation of the people living along the Cameroon-Nigeria border and the english-speaking provinces»349. The Herald recommande en revanche que, dans une situation comme celle de Bakassi, où l'intégrité du territoire est menacée, pour rester crédible vis à vis du monde, « all Cameroonians should rally behind the Government and seek measures to resolve the conflict »350.

De nombreuses ONG se sont prononcées en faveur d'un règlement pacifique, quel qu'il soit. Le Mouvement National de Dialogue, une association des Droits de l'Homme, a approuvé l'attitude graduelle de dialogue, d'apaisement, de paix et de fermeté adoptée par Yaoundé pour le règlement de ce conflit. Dans un Communiqué, l'association a interpellé les deux parties au conflit à un règlement pacifique car, selon elle, « une guerre entre les deux pays serait une catastrophe pour les populations des deux communautés et engendrerait des souffrances physiques et morales aux pauvres citoyens soumis jusqu'ici aux misères quotidien »351. La Ligue Nationale des Droits de l'Homme du Cameroun, a appelé au sens inné de justice et de vérité, de loyauté et de solidarité des leaders politiques, des organisations humanitaires, des personnalités morales et des Etats, « afin que soit engagé un dialogue direct et sans condition en vue d'un règlement définitif de ce conflit honteux »352. Le « Nigerian Union in Cameroon » important groupe d'intérêt comprenant la communauté nigériane du Cameroun a loué la voie du règlement pacifique353.

S'agissant de l'apport des partis politiques, les leaders politiques ont unanimement condamné l'agression nigériane. Le R.D.P.C., parti au pouvoir dont le Chef de l'Etat camerounais est le Président national, a réaffirmé par la voix de son Secrétaire Général, son soutien et ses encouragements aux démarches engagés par le Gouvernement. Il a recommandé la solution du conflit sur la base des éléments de droit existants, le respect du principe du règlement pacifique des

348 The Herald, N°1271, October 27, 2002, p. 7., cité par Primus FONKENG, The Views of the Herald and the Post

newspapers on the Cameroon-Nigeria border crisis over the Bakassi peninsula, 1993-2002, Master, Yaoundé, Université de Yaoundé I, 2004, p. 40.

349 The Post, N° 0171, May 8, 2000, p. 9, cité par Primus FONKENG, 2004, op. cit., p. 52.

350 The Herald, N° 1277, November 10, 2002, p. 6, cité par Primus FONKENG, 2004, op. cit., p.47.

351 Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N° 5563, Mardi 29 mars 1994, p. 3.

352 Idem.

353 MGBALE MGBATOU Hamadou, 2001, op cit, p. 83

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différends, ainsi que le recours aux instances internationales compétentes. Le M.D.R., et l'U.P.C., ont affiché la même position. Bien que relevant « le refus du Gouvernement d'informer comme cela se doit le peuple Camerounais », l'U.D.C. a condamné le recours au règlement militaire et souhaité une solution pacifique au conflit354. Le M.D.P. a demandé instamment au Gouvernement de persévérer dans la « recherche d'une solution définitive en recourant à l'arbitrage d'une instance internationale afin d'éviter à l'avenir le renouvellement des revendications et/ou occupations nigérianes au gré des changements de régime dans ce pays voisin »355. Le S.D.F., principal parti de l'opposition, tout en étant favorable au règlement pacifique du conflit, a affirmé que la poursuite des hostilités était imputable au Président Paul BIYA qui, selon lui, avait fait montre de son incapacité à engager le dialogue avec le gouvernement nigérian356.

En bref, malgré l'existence d'une certaine opinion qui réclamait de fortes représailles militaires357, la majorité des Camerounais, influencée par la culture nationale de paix était favorable à l'orientation pacifique mais ferme adoptée par le Gouvernement. Ces avis ont influencé la décision camerounaise, ne serait ce qu'en tant que ressource morale. En effet, contrairement à la situation au Nigeria, une certaine union sacrée de la nation s'est faite autour du Gouvernement Camerounais. Le Pr Augustin KONTCHOU KOUOMEGNI, Ministre d'Etat chargé de la Communication, Porte parole du Gouvernement a témoigné à l'époque que, malgré quelques petites voix dissidentes (parlant du S.D.F.) le Gouvernement ressentait cela358.

Le contexte socio-économique et politique intérieur, compte parmi les paramètres qui ont influencés le processus de prise de décision du Cameroun.

Paragraphe 2 : Le contexte socio-économique et politique

Les considérations d'ordre socio-économique et politique (A), ont eu une influence indubitable sur le choix des autorités camerounaises pour le règlement judiciaire du conflit de Bakassi. Face à une situation socio-économique et politique délicate, le Gouvernement avait pour principal préoccupation le développement dont la paix et la stabilité sont des conditions sine qua non (B).

A. La conjoncture socio-économique et politique

354 Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N° 5543, Vendredi, 25 février 1994, p. 2.

355 Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N° 5563, Mardi, 29 mars 1994, p. 3.

356 Zacharie NGNIMAN, 1996, op cit., p. 93.

357 Voir, Wilson Y.N. TAMFUH, 2009, op cit, p. 100.

358 Propos tenus lors de la réunion de Briefing de la Presse nationale et internationale par le Ministre d'Etat chargé de la Communication, Porte parole du Gouvernement, sur le conflit de Bakassi, op. cit., p. 4.

A l'époque de la prise de décision, le Cameroun faisait face à une récession économique sans précédent dans son histoire, et à un Programme d'Ajustement Structurel (PAS) dont les conséquences se traduisaient en termes de baisse de niveau de vie des populations (1). A ce tableau peu reluisant, s'ajoutait une situation politique délicate (2).

1. Une situation socio-économique délicate

Au tournant des années 1985-1986, le Cameroun, qui était pourtant bien parti dans les années 1970, a vu son économie s'amenuiser et connaître une involution. A partir de cette période, le taux de croissance n'a cessé de baisser. Les chocs extérieurs359 et l'inadéquation des réponses apportées auxdits chocs ont déréglé les rouages de l'économie camerounaise, et entraîné une récession brutale dans la plupart des secteurs productifs. Malgré la réduction des dépenses, l'Etat n'est pas arrivé à maîtriser le déficit. Il a toutefois assuré son financement en accumulant des arriérés intérieurs et extérieurs360, qui se sont poursuivis jusqu'à l'exercice 1993/1994. La crise de liquidité a secoué les entreprises et le système bancaire, et la pression fiscale qui dépendait de la valeur des exportations pétrolières (voir en Annexe l'activité pétrolière du Cameroun entre 1987 et 1995), s'est dégradée361. De 1986 à 1993, le PIB réel a diminué de 5% par an de telle sorte que le revenu par habitant ne correspondait plus en 1993, qu'à la moitié de ce qu'il était en 1986362. La chute brutale des cours des produits de base a eu pour conséquence le déséquilibre des finances publiques et budgétaires. Ainsi, de 1986/1987 à 1992/1993, les recettes de l'Etat ont diminué de moitié, passant de 877 à 431 milliards de Francs CFA363.

On a assisté également à un accroissement de la dette publique. Elle est passée de 93,8 milliards de FCFA à 158,8 milliards de FCFA de 1986 à 1993. Le service de la dette a connu une croissance égale à 69,3% environ364. De plus, le taux de croissance économique a considérablement baissé : - 6,4 % en 1987 ; - 3,4 % en 1989 ; - 2,5 % en 1990 ; - 4 % en 1992 ; et - 3 % en 1993365.

359 Les chocs extérieures, qui se rapportent à la détérioration des termes de l'échange, la dépréciation du dollar US, la chute brutale des cours des produits de base (café, cacao, pétrole, coton), ont eu des conséquences manifestes sur l'économie (de rente) camerounaise.

360 MINPAT, PNUD, Bureau des Services d'Appui des Projets, Etudes socio-économiques régionales de la pauvreté au Cameroun. Cadrage national, 2000, p. 9, cité par Sylviane WANDJA, Pétrole et croissance économique au Cameroun de 1978 à 2002, Approche historique, Maîtrise en Histoire, Yaoundé, Université de Yaoundé I, 2006, p. 52.

361 La pression fiscale sur le secteur pétrolier était alors de 70%, alors que celle s'appliquant sur le secteur secondaire était très inférieure (17 à 18 % sur les importations, et 12 à 13 % sur les activités intérieures). (Voir Sylviane WANDJA, 2006, op. cit., p. 52).

362 Sylviane WANDJA, 2006, op. cit., p. 53.

363 Jean Joël AERTS, Denis COGNEAU, Javier HERRERA, L'économie camerounaise : un espoir évanoui, Paris, Karthala, 2000, p.51.

364 Sylviane WANDJA, 2006, op. cit., p. 56.

365 TOUNA MAMA, Crise économique et politique de dérèglementation au Cameroun, Paris, l'Harmattan, 1996, p. 15.

Dans le même ordre d'idée, le Cameroun est passé selon Touna MAMA d'un pays à « capacité d'endettement international bonne, à un Etat endetté »366.

Le contexte économique n'a guère favorisé le progrès social. Le taux de scolarisation est passé de 66,21 % en 1990/1991, à 61,36 % en 1992/1993, soit une réduction de 4,85 points367. La suppression des bourses et l'instauration des droits universitaires dans l'enseignement supérieur ont mis les parents, déjà touchés par une baisse drastique des salaires, dans une situation précaire. En effet, en 1993, l'Etat camerounais qui était proche de la banqueroute a été forcé de réduire de 50 à 70 % les salaires de la fonction publique. Les effets de cette réduction, renforcés par les conséquences inflationnistes de la dévaluation du F.CFA en janvier 1994, ont eu une incidence lourde sur le pouvoir d'achat des Camerounais. Tous les secteurs ont été touchés. Le secteur sanitaire par exemple a fait face à une réalité douloureuse. La quasi-totalité des médicaments utilisés étant importé et facturé en monnaie étrangère, le Gouvernement, face à la dévaluation devait doubler les frais, s'il voulait avoir les quantités habituelles de médicaments368. La réduction des salaires a entraîné des grèves369 qui ont provoquées la paralysie des administrations publiques et des sanctions gouvernementales allant de la suspension de salaires (154 Magistrats ont vu leurs salaires suspendus) à la révocation des fonctionnaires grévistes (73 enseignants ont par exemple été démis de leur fonction). Les résultats obtenus de l'enquête sur les conditions de vie des ménages ont révélé que la pauvreté touchait alors 50,5 % de la population camerounaise370.

La situation politique était également délicate.

2. Une situation politique fragile

Le Cameroun est une société caractérisée par une pluralité culturelle371. Pour plus de 250 ethnies, on retrouve principalement trois religions, à savoir, le christianisme, l'islam et l'animisme. La domination franco-britannique (1919-1916) a eu pour conséquence l'émergence de la distinction entre « Francophones » majoritaires, et « Anglophones » minoritaires. Cette pluralité a fondé le discours politique sur la nécessité de l'unité nationale, garante de l'intégrité territoriale, d'Ahmadou

366 Idem.

367 République du Cameroun, Enjeux et défis de l'Initiative PPTE, p. 15, cité par Sylviane WANDJA, 2006, op. cit, p. 56.

368 A l'époque, le Dr Moustapha LAPNET intervewé par le quotidien Cameroon Tribune parlait de négociations en cours sur le sujet. (Voir Archives SOPECAM, Cameroon Tribune N°5523, Jeudi 27 janvier 1994, p. 2).

369 L'action des enseignants du secteur public débuté le 27 novembre 1993 sous l'instigation d'un syndicat nommé Syndicat National Autonome de l'Enseignement Secondaire (SNAES), est relayée en janvier 1994 par la grève des magistrats et des médecins.

370 République du Cameroun, op. cit., p. 15.

371 Il convient de relever qu'il n'existe pas de matrice historique pour le Cameroun comme ce fut le cas pour le royaume de Kongo. Le Cameroun est né de la jonction de multiples nations culturelles indépendantes dans la logique de la géopolitique africaine de l'Allemagne entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle.

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AHIDJO à Paul BIYA. Toutefois, dans un contexte de récession économique, la libéralisation de la vie politique au Cameroun en 1990, caractérisé par le « déchirement national, le malaise, la crise et l'incertitude identitaire »372, a provoqué une récupération politique de ces clivages culturels.

Par-dessus et au-delà des questions « Bamilékés », « Béti » et « Kirdi » si souvent substantialisées et théorisées, « le problème anglophone » relève d'une catégorie qu'il n'est pas permis d'ignorer373. Au cours de la décennie 1990, le « problème anglophone », encore appelé la « question anglophone », s'est posé comme un défi pour la préservation de l'unité nationale et la consolidation de l'intégration nationale.

En effet, au sein d'un Etat composé en majorité de Francophones, la minorité anglophone se dit marginalisée et victime sur le plan du système éducatif par exemple, de « la politique d'assimilation » des dirigeants francophones. C'est ainsi que, pour protester contre cette politique et réclamer l'instauration d'un GCE Board of Examinations devant consacrer leur autonomie dans l'organisation des différents examens anglophones374, les corrections des examens de 1992 et la rentrée scolaire d'Octobre 1993, ont été bloquées à l'initiative du Teachers Association of Cameroon (T.A.C.) et des parents anglophones. Dans les années 1990, la « question anglophone » a été la problématique dominante qui a structuré le champ de représentation des rapports entre « l'Etat » et « la Société »375. A l'époque (et même aujourd'hui), les anglophones de l'ex Southern Cameroons, se sont dis traités comme des « ennemis dans leur propre maison »376, ce qui a accentué leur « sentiment de non-appartenance à la République du Cameroun »377. C'est ainsi que, au nom de l'identité anglophone et de l'égalité entre anglophones et francophones, on a assisté à la naissance de divers mouvements anglophones de revendication378.

Dès lors, le choix porté par le Cameroun sur le règlement judiciaire du conflit de Bakassi répondait au souci des autorités de Yaoundé de préserver la stabilité extérieure, mais surtout intérieure du pays, face aux divers mouvements fédéralistes et sécessionnistes qui menaçaient la

372 Louis-Marie NKOUM-ME-NTSENY, « Dynamique de positionnement anglophone et libéralisation politique au Cameroun: de l'identité à l'identification », Polis: revue camerounaise de science politique, vol. 1, numéro spécial, 1996, p. 68. Louis-Marie NKOUM-ME-NTSENY parle à cet effet de « récupération identitaire de la libéralisation politique ».

373 Idem.

374 Synonyme de dessaisissement de l'Etat.

375 Luc SINDJOUN, Mathias Eric OWONA NGUINI, « Politisation du droit, juridicisation de la politique : l'esprit socio-politique du droit de la transition démocratique au Cameroun », Colloque CEAN-CERDRADI, Bordeaux, 27-28 Octobre, 1995, p. 4, cité par MOUICHE Ibrahim, « mutations socio-politiques et replis identitaires en Afrique : le cas du Cameroun » in African Journal of Political Science, n°2, décembre 1996, p. 189.

376 Propos de John NGU FONCHA. Il a été Premier Ministre du Cameroun méridional et Vice Président du Cameroun après l'indépendance. Il a aidé à la création de la fédération en 1961. Il a démissionné du R.D.P.C. en 1990, et a par la suite plaidé la cause anglophone aux Nations Unies en 1995. Voir Piet Konings, « Le "problème anglophone" au Cameroun dans les années 1990 », Politique africaine n°62, 1996, pp. 25-34.

377 Lire sur ce sujet Louis-Marie NKOUM-ME-NTSENY, op. cit., pp. 68-100.

378 C'est le cas du « Southern Cameroon National Conference » (S.C.N.C), d' « Ambazonia movement », de « Free West Cameroon Movement », de « Southern Cameroon Youth League » etc.

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construction nationale et par là, l'intégrité territoriale. En effet, l'action géopolitique d'un Etat se situe au niveau externe et interne. Au niveau interne, l'Etat mène une politique de puissance379 pour la maîtrise de sa « statotérritorialité ». Le territoire est une ressource politique fondamentale ; c'est la base matérielle du pouvoir étatique380. Un Etat est jugé fiable et viable, lorsqu'il est capable de maîtriser son espace national ; ce qui n'est pas le cas quand une guerre éclate, qui plus est dans le cas du Cameroun où, des mouvements irrédentistes étaient situés dans la principale zone de tension. MGBALE MGBATOU Hamadou relève à ce propos qu'« un affrontement militaire d'envergure dans la région anglophone de Bakassi (frontière du Nigeria) prêtait le flanc à toute sorte d'incursions nigérianes avec le risque d'une alliance militaire entre les sécessionnistes anglophones et le Nigeria, tous contestataires de l'ordre territorial camerounais »381. Le Président Paul BIYA déclarait justement à ce propos qu' « il convient d'être vigilant »382.

La première moitié des années 1990 a été une période délicate pour les autorités gouvernementales, qui se sont vues confrontées à de sérieux problèmes d'ordre socio-économique et politique. Face à ces problèmes, l'une des principales solutions était la promotion de la justice et du progrès sociale383, objectif qui nécessite la recherche permanente du développement.

B. L'impératif du développement

%384 ;

Entre l'impératif de développement et la nécessité de sauvegarder son intégrité territoriale, le Cameroun se trouvait dans un dilemme cornélien. Ce d'autant plus que l'ampleur de ses besoins ne pouvait s'accommoder de dépenses militaires aussi importantes que celles qu'exige une guerre. Dans le contexte socio-économique et politique sus décrit, il ne pouvait ni se permettre d'entretenir des foyers de tension, ni sacrifier les ressources de l'Etat dans une guerre fratricide. Ferdinand Léopold OYONO, Ministre des Relations Extérieures à l'époque de la prise de décision, exprimait bien cela en ces termes : « Nous sommes en plein dans les réformes des structures politiques et économiques de notre pays. Nous avons renoué avec la croissance qui est aujourd'hui de 5

379 Connue sous le nom de puissance publique. C'est en cela que pour Max WEBER, l'Etat est le détenteur exclusif du monopole de la violence physique légitime. Lire à ce propos, Max WEBER, Le savant et le politique, introduction de Raymond ARON, Paris, Plon, 1959, pp.100-101 cité par Luc SINDJOUN, Construction et Déconstruction locales de l'ordre politique au Cameroun. La sociogenèse de l'Etat, Thèse de Doctorat d'Etat en Science politique, p.53.

380 Luc SINDJOUN, idem.

381 Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., p. 155.

382 Paul BIYA, Un Nouvel Elan, Entretien avec Charles NDONGO, Yaoundé, Multimédia, 1996, p. 22.

383 Ceci est d'autant plus vrai lorsque l'on sait que les replis identitaires naissent des malaises occasionnées par l'inégale répartition de la richesse entre les diverses couches de la population, et l'existence de clivages sociaux.

384 Avec la dévaluation du franc CFA de janvier 1994, le Cameroun a légèrement renoué avec la croissance. Depuis cette date, le taux de croissance de l'économie camerounaise avoisine 4 à 5 %. Le taux d'inflation, quant à lui, après avoir connu une forte hausse pour atteindre 32,5 % en 1994, n'a cessé de décroître jusqu'à atteindre un taux plancher de

l'inflation qui était de 20 % il y a quelques années est retombée à 6 % (...), et ce n'est pas vraiment d'une guerre aussi absurde que nous avons besoin en ce moment. Nous n'en avons pas voulu. Nous n'en voulons pas. »385.

Le contexte socio-économique et politique intérieur a ainsi renforcé la détermination des autorités camerounaises, en faveur des options compatibles avec le développement et la consolidation de l'unité nationale, priorités et intérêts vitaux du Cameroun.

En vue de restaurer les équilibres macro-économiques, le Cameroun s'est engagé progressivement entre 1988 et 1989, dans des PAS, avec l'appui d'un accord de confirmation du F.M.I. approuvé par le Conseil d'administration dudit Fonds, le 14 mars 1994, et d'un crédit à l'ajustement de la Banque mondiale. Durant l'antagonisme camerouno-nigérian, l'impératif est demeuré au développement et au progrès social. C'est ainsi que, afin d'assainir sa situation économique et financière, le Cameroun a fait une demande d'allègement de sa dette extérieure auprès du Club de Paris, qui, lors d'une réunion tenue du 24 au 25 mars 1994 à Paris, a consenti à près de 50 %. Pour contribuer à atténuer auprès des foyers le renchérissement des coûts qui a accompagné la dévaluation du Franc CFA, le Chef de l'Etat a par exemple pris une ordonnance386 exonérant de douane certains produits de première nécessité387 jusqu'au 30 Juin 1994. Afin de protéger l'industrie locale et permettre aux produits camerounais de soutenir la concurrence, d'autres produits importés388 ont été soumis à une taxation globale de 5 % pendant cette période.

En outre, dans la poursuite de son objectif de développement, le Cameroun n'avait pas intérêt à ternir son image de pays calme, stable, viscéralement attaché à la paix et à la coopération entre les peuples389. En effet, cette image, garante de la crédibilité internationale dudit pays, est une importante ressource pour la promotion de son développement. Thierry De MONTBRIAL, prenant l'exemple des Etats-Unis, affirme à cet effet que « l'on ne doit pas sous-estimer l'importance, pour la cohésion d'un groupe, de son image réfléchie »390. Le style du Président Paul BIYA en matière de politique étrangère semble ainsi, selon certains auteurs, se résumer à un renforcement de la stabilité interne comme stratégie de pesée dans les affaires internationales, et de rayonnement à

1,2 % en 2000. Voir « Rapport d'Information du Groupe d'amitié France-Cameroun (mission de février 2003) », [En ligne], www.assemblee-nationale.fr, consulté le 30 juillet 2010.

385Jeune Afrique Economie, N°218, p. 75, cité par Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., p. 110.

386 Il s'agit de l'Ordonnance N° 94/007 du 16 février 1994.

387 En l'occurrence, le riz, les produits pharmaceutiques, les livres et brochures scolaires.

388 En l'occurrence, la farine, et les sucre raffinés.

389 Cette image a d'ailleurs été considérablement renforcée dans le monde suite à l'attitude pacifiste du Cameroun durant le conflit de Bakassi. A titre illustratif, Le 18 mai 2010, lors des festivités du 50ème anniversaire de l'indépendance du Cameroun, dans son allocution à l'occasion de la cérémonie de remise de la Flamme de la Paix au Président de la République du Cameroun, le Président de la Commission de l'Union Africaine a félicité l'orientation pacifique adoptée dans le conflit de Bakassi, et relevé que « le peuple Camerounais connait la paix »

390 Thierry De MONTBRIAL, 2008, op. cit., p. 71.

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l'extérieur391. L'image d'un pays serein, prompt à respecter ses engagements internationaux, a également des retombées sur le plan économique. Ces retombées s'évaluent par exemple, en termes d'attrait des Investissements Directs Etrangers (I.D.E.). I.D.E. entrants qui, combinés à des facteurs complémentaires392, exercent un rôle favorable à la croissance393.

En résumé, le choix porté par le Cameroun sur le droit, et ainsi sur la paix, illustre bien le constat dégagé par Narcisse MOUELLE KOMBI quant à l'incidence considérable de l'impératif de développement sur les choix et orientations de l'activité internationale de l'Etat camerounais394.

L'explication de la décision camerounaise serait tronquée, si elle ne faisait ressortir l'influence de l'environnement international dans lequel il se déploie.

Section 2 : Les variables systémiques

La variable systémique se rapporte aux éléments de l'environnement international qui ont pu influencer par leurs avis, appuies ou par toute autre action, la prise de décision du Cameroun.

En effet, comme le relève Pierre De SENARCLENS et Yohan ARIFFIN, dans bon nombre de cas, l'Etat, entendu comme puissance publique souveraine, parvient à revendiquer le monopole de la coercition intérieure ; mais son pouvoir d'imposer des décisions, de légiférer, d'administrer et de punir ne s'exerce pas de façon entièrement autonome, à l'abri de toute contrainte ou influence extérieure. Aucun Etat ne peut assumer seul la défense de sa sécurité et de son indépendance395. Pour ROSENAU, cette réalité s'applique a fortiori pour les pays en développement, où les variables idiosyncratique et systémique sont les plus déterminantes dans l'analyse de la prise de décision. Toutefois, le système international ne limite pas uniquement les capacités d'action des Etats ; ses caractéristiques peuvent influencer leur comportement en leur offrant des opportunités propres à

391 Lire à ce sujet Yves Alexandre CHOUALA, « La crise diplomatique de mars 2004 entre le Cameroun et la Guinée équatoriale : Fondements, enjeux et perspectives », Polis: revue camerounaise de science politique. Volume 12, 2004, p. 155.

392 Ces variables complémentaires des IDE peuvent être selon Marouane ALAYA, Dalila NICET-CHENAF et Eric ROUGIER, les facteurs habituellement mobilisés pour expliquer la croissance, comme « le travail, le capital et le progrès technique, et selon l'expression de FONTAGNE et GUERIN (1997), des catalyseurs de la croissance, comme l'insertion commerciale, le niveau du capital humain, les infrastructures, la taille du secteur bancaire et financier ». (Voir Marouane ALAYA, Dalila NICET-CHENAF et Eric ROUGIER, « A quelles conditions les IDE stimulent-ils la croissance ? IDE, croissance et catalyseurs dans les pays méditerranéens », in Mondes en Développement, vol. 37, n°148, 2009, p. 120.)

393 Marouane ALAYA, Dalila NICET-CHENAF et Eric ROUGIER, « A quelles conditions les IDE stimulent-ils la croissance ? IDE, croissance et catalyseurs dans les pays méditerranéens », in Mondes en Développement, vol. 37, n°148, 2009, p. 120.

394 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 75.

395 Pierre de SENARCLENS et Yohan ARIFFIN, 2006, op. cit. p. 1.

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faire avancer leurs objectifs396. C'est dans ce double sens que doit être analysé l'influence des acteurs internationaux sur le choix des autorités de Yaoundé (Paragraphe II).

Sans nier le statut d'acteur international du Nigeria, il convient d'analyser son influence sur la prise de décision de façon particulière ; car, s'agissant des variables systémiques, la perception camerounaise de ce pays et la nature multidimensionnelle de leurs relations ont constitué les éléments les plus déterminants de la décision camerounaise (Paragraphe I).

Paragraphe 1 : Le caractère particulier de l'adversaire

Au-delà de l'intransigeance manifestée par le Nigeria dans le cadre des tentatives de règlement diplomatique, d'autres paramètres propres à ce pays (B), et à ses relations avec le Cameroun (A), ont pesé sur la prise de décision.

A. Les exigences d'une paix obligée avec le Nigeria

La paix entre le Cameroun et le Nigeria est « obligée »397. C'est sans doute pour cette raison qu'Abuja occupe une place cruciale dans la politique africaine de Yaoundé. Dès leur accession à l'indépendance, les deux pays ont échangé des Ambassadeurs sur une base résidentielle. Première sortie africaine du second Chef de l'Etat Camerounais (20 avril 1983), le Nigeria abrite l'une des Ambassades camerounaises les plus importantes d'Afrique, qualitativement et quantitativement398. Aujourd'hui, il est le seul pays africain où le Cameroun détient deux Consulats (à Lagos et à Calabar), et auquel est consacré tout un Service au MINREX. Les dirigeants Camerounais, du Président Ahmadou AHIDJO au Président Paul BIYA, ont toujours privilégié la voie pacifique dans le règlement des incidents qui ont opposés les deux pays. En 1994, face aux résultats peu satisfaisants des procédés de règlement diplomatique engagés au plan bilatéral et multilatéral, les autorités Camerounaises ont préféré le procès à la guerre. L'importance ainsi accordée par le Cameroun à son voisin occidental, obéit à des considérations d'ordre sécuritaire (1), historico-culturel (2), et économique (3).

396 Encyclopedia of the New American Nation, op. cit., [En ligne].

397 Voir Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit., p. 7 et p. 125.

398 En 1987, l'Ambassade du Cameroun à Lagos (ex capitale nigériane) est celle qui compte en Afrique le plus grand nombre de personnel diplomatique. En l'occurrence 13, avant Addis Abeba qui en compte 10. En 1997, le Nigeria reste en tête avec 30 personnes en service dans la mission diplomatique suivit d'Addis Abeba avec 28 personnes. Fait remarquable, l'Ambassade du Cameroun au Nigeria est celle parmi les rares qui compte un personnel militaire (dont le nombre est d'ailleurs le plus élevé). Pour plus de précisions, lire MGBALE MGBATOU Hamadou, 2001, op. cit., p. 247-250.

1. Les exigences sécuritaires

Tout Etat définit son existence, ses attitudes, ses interventions, son originalité par rapport à ceux qui l'entourent399. IFTENE POP relève à cet effet que « la sécurité de chaque Etat (...) a dépendu et dépend encore dans une large mesure des relations existant entre pays voisins »400. Paradoxalement, la frontière, tout en étant un lieu de jonction, un instrument d'intégration, est un vecteur de contagion d'insécurité et de criminalité. Les zones frontalières401 sont souvent des dépôts, des points de chargement et de déchargement des caches pour contrebandiers, malfaiteurs et trafiquants d'origine diverse402. Les pays frontaliers peuvent également s'avérer être des zones arrières de déstabilisation politique.

Carte 2 : La Frontière Terrestre entre le Cameroun et le Nigeria.

 

Source : République du Cameroun, Affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria (Cameroun c. Nigeria : Guinée Equatoriale (intervenant)), Aide Mémoire, Juillet 2002, p. 15.

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Ces raisons figurent sans doute parmi les facteurs qui expliquent la place de choix qu'occupe Abuja dans la politique africaine de Yaoundé, et l'option résolue du Cameroun pour la paix par le droit. En effet, comme l'illustre la carte ci-dessus, le Nigeria est le pays avec lequel le Cameroun partage la plus longue ligne frontalière soit 1720 km403. Il est également le pays dont le

399 Alain PLANTEY, 2000 op. cit., p.41.

400 Iftene POP, Voisinage et bon voisinage en Droit international, Paris, Pedone, 1980, p. 10, cité par Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., p. 155.

401 Les zones frontalières procèdent de la frontière et les jouxtent. Elles se trouvent à la confluence de deux territoires nationaux.

402 Janet ROITMAN, « La Garnison-entrepôt », Cahiers des Sciences Humaines, Nouvelle série n°6, 1998, p. 41, cité par André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op. cit., p. 226.

403 Voir en annexe 2 la carte agrandit de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria (page 131).

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voisinage est le plus difficile à assumer. En effet, les phénomènes tels que la criminalité organisée, la démographie galopante, l'instabilité politique, la récurrence des conflits interethniques, les mouvements de résistance armée, font de lui une réelle préoccupation pour le Cameroun. En outre, la frontière lacustre, terrestre et maritime en partage est touchée par des problèmes tels que : la contrebande de marchandises, de denrées diverses, de produits pétroliers, et des minerais ; le recel de biens et matériels ; la fraude douanière et policière ; la corruption ; et les échanges sexuels ou prostitution transfrontalière404. La contrebande, qui demeure le phénomène le plus répandu, a des conséquences néfastes pour le Cameroun tant sur le tissu industriel, que sur la fiscalité.

Sur le plan religieux, le Nigeria est un lieu d'impulsion de dynamiques religieuses vers le Cameroun. Maud LASSEUR observe à cet effet que dans la partie méridionale du pays, la myriade de « nouvelles églises » qu'on observe aujourd'hui405, s'était d'abord développée dans la zone anglophone jouxtant le Nigeria (1950), avant de gagner le reste du Cameroun francophone406. Ceci s'illustre également avec la religion musulmane qui s'est introduit à partir du septentrion vers 1806, par le biais des «Djihad »407 menées par Othman DAN FODIO depuis le Nord du Nigeria.

Sur le plan démographique, la croissance nigériane explosive est à l'origine de flux migratoires officiels et clandestins. L'immigration nigériane est à ce titre numériquement et historiquement l'une des plus importantes au Cameroun408. A l'initiative de Yaoundé, un accord offrant le cadre juridique nécessaire à la règlementation de la circulation des personnes et des biens a été conclu avec le Nigeria le 6 février 1963.

Ces phénomènes sont autant d'enjeux sécuritaires qui obligent le Nigeria et le Cameroun à coopérer et à entretenir un voisinage paisible, dans l'intérêt de leurs populations respectives. Le Président Paul BIYA déclare à ce propos que : « le Cameroun est un pays pacifique, car il sait que la paix aux frontières est une condition sine qua non de son développement »409. De même, comme le rappel l'épisode de la guerre du Biafra, où le soutien d'Ahmadou AHIDJO a évité une partition

404 Sur les phénomènes d'insécurité transfrontalière entre le Cameroun et le Nigeria, lire Ibid., pp. 226-235.

405 En l'occurrence : Full Gospel Mission, Apostolic Church, Vraie église de Dieu etc.

406 Maud LASSEUR, « Religions» Atlas, in BEN YAHMED D. (dir), Atlas de l'Afrique : Cameroun, les éditions J.A, 2006, pp.80-81, cité par Hubert WANDJI KABAO, les échanges commerciaux entre le Cameroun et le Nigeria de 1960 à 2008, DEA, Yaoundé, Université de Yaoundé I, 2009, p. 79.

407 Djihad : propagation et défense de l'islam, Djihad signifie en arabe : « exercer ses plus grands efforts pour atteindre le règne de Dieu ».

408 Lire à ce sujet Jacques-Blaise NKENE, « Les étrangers, acteurs de la vie politique camerounaise : l'expérience des immigrés nigérians dans la ville de Douala », Revue Africaine d'Etudes Politiques et Stratégiques, n° 1, 2001, p. 85. A partir de chiffre tiré du quotidien gouvernemental Cameroon Tribune du 4 février 1993 (p. 13), l'auteur estime à 3.000.000 le nombre de Nigérians vivants au Cameroun. Parmi les cités à forte implantation nigériane on retrouve entre autres : l'île de Manoka, les villes de Tiko et de Mouanko, à Douala on peut par exemple citer les quartiers « Yabassi » et « Lagos ».

409 Message de voeux du Président Paul BIYA, à la nation, 31 Décembre 1998.

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de la République Fédérale du Nigeria, la sécurité des deux voisins dépend l'un de l'autre410. La présence de la minorité anglophone sécessionniste dans la région frontalière, était un important élément de déstabilisation politique susceptible d'être utilisée par Abuja contre Yaoundé ; d'où la nécessité de conserver des relations de bon voisinage avec le « géant occidental ». Ce d'autant plus qu'au-delà de la proximité géographique, les deux pays étaient liés par l'histoire et la culture.

2. Les exigences historico-culturelles

Le Cameroun et le Nigeria ont d'importants liens historique et culturel. Leur histoire a été caractérisée par une succession de brassages humains qui a laissée aux deux pays de fortes similitudes sociologiques, culturels et religieuses, une interdépendance et une cohésion que les frontières n'ont pu ébranler411. Les Djihad lancées par Othman DAN FODIO, aidé par l'un de ses généraux l'Emir Adama412, ont permis d'étendre dès le 19ème siècle, l'empire de Sokoto413 du Nigeria actuel à l'Adamaoua (Nord Cameroun). Cela a contribué à instaurer une tradition de commerce politique et économique entre le sultanat de Sokoto au Nigeria, et ses vassaux dans la partie septentrionale du Cameroun414. Les valeurs et les institutions diffusées dans cet ancien Empire ont créé une unité culturelle entre le Nigeria et le Cameroun dans leurs parties septentrionales. Cette unité se manifeste dans la pratique de l'islam, la recrudescence des mariages inter-régionaux (entre Haoussa par exemple), et dans l'organisation des chefferies traditionnelles (le système des Lamidats). Les liens entre les Lamidats du Cameroun, et ceux du Nigeria, sont restés vivaces. Ainsi, en 1994, les autorités religieuses du Nord avaient adressé une pétition au Général Sani ABACHA lui demandant d'éviter de déclarer la guerre à Yaoundé et menaçant de se désolidariser de toute initiative belliqueuse vis-à-vis du Cameroun415. La volonté des autorités religieuses nigérianes et du Cameroun de préserver la paix, découlaient également de l'existence de plusieurs familles et ethnies établies de part et d'autre de la frontière. Il s'agissait notamment des Foulbés, des Haoussas, des Kanuri, des Mambila etc. Ces liens étaient également perceptibles au niveau de la zone frontalière méridionale desdits pays.

410 Un territoire voisin est susceptible de servir de base de repli à des citoyens mal intentionnés voulant déstabiliser les institutions de leur pays. Pour éviter tout cela, les deux Etats sont obligés de coopérer.

411 Lire Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., pp. 242-251, qui procède à une analyse pertinente de la place du Nigeria dans la politique africaine du Cameroun.

412 Adama a reçu l'étendard de guerre d'Othman DAN FODIO en 1806. Sultan de Sokoto, il a marqué au 19e siècle l'histoire des conquêtes des chefferies traditionnelles et d'islamisation, dans la partie septentrionale du Cameroun et du Nigéria. C'est de ce sultan que découle de la région camerounaise « Adamaoua ».

413 L'empire Sokoto s'étendait de Masina dans le haut Niger jusqu'à l'Adamaoua, incluant ainsi le Nord Cameroun actuel.

414 Après avoir conquit la partie septentrionale du Cameroun, Adama a soumis les chefs coutumiers peulhs de cette région à son autorité. Ils sont ainsi devenus des vassaux du sultan de Sokoto, dont la capitale était basée à Yola au Nigeria.

415 Zacharie NGNIMAN, 1996, op. cit., p. 149.

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Au Sud de la frontière, deux évènements ont contribué au développement des liens entre le Cameroun et le Nigeria : la colonisation britannique et le référendum de 1961. En effet, les Camerounais (des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest) et les Nigérians, cultivent encore les liens nés des quarante années (1919-1961) d'union administrative avec le Nigeria. Ces liens ont été renforcés lorsqu'il a fallut qu'une partie du Cameroun soit définitivement rattachée au Nigeria suite au référendum de 1961. Du jour au lendemain, des familles, des amis ont été séparés et se sont vus attribués des nationalités différentes416. Ces liens se sont diversifiés grâce aux flux migratoires au niveau des frontières. Les Camerounais présents dans ces régions sont liés aux Nigérians par toutes sortes d'affinités : mariage, parenté, cohabitation, amitié ; certains enfants reçoivent leur éducation dans des écoles nigérianes417. Comme dans le Nord, on retrouve de part et d'autre de la frontière méridionale les mêmes ethnies418. A titre illustratif, les Isanguelé présents au Cameroun dans l'Arrondissement d'Isanguelé se retrouvent au Nigeria dans les localités d'Oron et Annoto ; les Ejagham sont localisés près de Mamfe au Cameroun, et à Ikom au Nigeria ; les Boki occupent certains Départements de la Manyu au Cameroun, et sont situés à Ikol et Obudu au Nigeria419.

Ces raisons figurent parmi les paramètres qui expliquent le souci constant des autorités camerounaises d'entretenir des relations de paix et de confiance avec le voisin occidental. Le Président Paul BIYA affirme à ce propos que, « voués par l'histoire et la géographie à vivre ensemble, unis par des liens multiples ancrés dans une communauté de culture, les peuples nigérian et camerounais ont toutes les raisons possibles de promouvoir des rapports d'amitié et de coopération mutuellement bénéfiques »420.

3. Les exigences économiques

Lors de la prise de décision, les autorités Camerounaises étaient conscientes de la nécessité de recourir à une solution à même de permettre l'atteinte de l'objectif fixé, tout en minimisant le plus possible les risques de détérioration des relations avec le Nigeria, important partenaire économique du Cameroun. En effet, en tant que pays en développement, le Cameroun et le Nigeria faisaient face à l'époque421 à de nombreux défis422 qui rendaient leur coopération incontournable.

416 Jean Emmanuel PONDI, Laurent ZANG, « The Cameroon-Nigeria border cooperation: presentation and analysis of bilateral agreements and treaties », Revue Camerounaise des Relations Internationales, Vol. V, 1998, N°1-2 mai, 2000, p. 171.

417 André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op. cit., p. 229.

418 Comme c'est d'ailleurs le cas pour la majorité des zones frontalières en Afrique. Pour ce cas précis, voir l'Annexe 6 relative aux ethnies présentes de part et d'autre de la frontière méridionale entre le Cameroun et le Nigeria (page 135).

419 Sur le Peuplement de la zone frontalière, lire André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op. cit., pp. 134-139.

420 Message du Chef de l'Etat à la Nation à la suite du retrait de l'administration et des forces nigérianes de la presqu'île de Bakassi, le 14 Août 2008.

421 De même qu'à l'heure actuelle.

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Le fait que la longue frontière en partage soit pour eux à la fois une opportunité et une contrainte, les avaient amenés dès le lendemain de leurs indépendances à encadrer juridiquement les échanges multidimensionnels qui y étaient déjà très dynamiques. Ainsi, il existait depuis le 6 février 1963, un Protocole d'Accord sur le mouvement des personnes et des biens. Par ce protocole, les Etats parties tenaient compte des mouvements des personnes et de leurs biens personnels, des mouvements des biens commerciaux, ainsi que de la collaboration pour la lutte contre la contrebande423. Aux termes de l'article 3 de l'Accord commercial du 02 mars 1963 portant révision dudit Protocole, les Etats parties s'engageaient à s'accorder « réciproquement dans la limite de leurs règlementations respectives la liberté d'établissement aux nationaux des deux pays pour l'installation des organisations commerciales, professionnelles et culturelles, à condition toutefois que cette liberté ne soit pas en opposition avec les institutions des pays intéressés »424.

La collaboration contre la contrebande était énoncée dans le titre III dudit Protocole. Elle était articulée autour des patrouilles communes dans les eaux territoriales, les solidarités en ravitaillement, en combustibles et provisions des bateaux patrouilleurs, et l'examen des tarifs douaniers visant à diminuer la contrebande425. En 1994, la contrebande à elle seule constituait une importante raison de préservation des relations pacifiques entre le Cameroun et le Nigeria. Ce phénomène, aux conséquences néfastes sur l'économie, dominait fortement les rapports commerciaux entre lesdits pays. A titre illustratif, durant la campagne coton 94/95, le chiffre réel des exportations de coton graine provenant de la contrebande vers le Nigeria se situait autour de 10 à 15 % de la production camerounaise426 ; ce qui représentait un manque à gagner pour la SODECOTON et pour l'Etat en termes de pertes de recettes fiscales427. Dans des villes camerounaises comme Bamenda, Kumbo, Limbe, Tiko, ou Mamfe, près de 80 % des produits vendus étaient issus de la contrebande ou de la fraude douanière. Des produits camerounais investissaient également le marché nigérian de façon illicite428.

En vue de réguler et de renforcer leurs échanges commerciaux, le Nigeria et le Cameroun avaient signé le 13 janvier 1982 un Accord commercial (révisé le 17 décembre 1991) dont l'article

422 En l'occurrence : l'auto suffisance alimentaire, la pauvreté, l'emploi, le manque d'infrastructures, l'augmentation de la capacité énergétique (le Nigeria par exemple manque d'énergie électrique pour alimenter son tissu industriel et les ménages), le renforcement de la qualité des soins de santé, la promotion de la scolarisation, etc. Il convient de rappeler que les deux pays n'avaient pas échappé à la crise économique qui frappait les pays africains depuis les années 1980.

423 Oumar MOUSSA, l'intégration économique entre le Cameroun et le Nigéria, Mémoire de MASTER, Yaoundé, IRIC, 2011, p. 44.

424 Ibid.., p. 46.

425 Ibid., p. 45.

426 Javier HERRERA, « Vers un rééquilibrage du commerce frontalier entre le Cameroun et le Nigeria ? », ORSTOM/DIAL, Extraits (pp. 4-8 et pp. 9-14) de Rapport de mission au Cameroun du 13 au 28 mai 1995, p. 72.

427 Le manque à gagner en pertes de recettes fiscales pour l'Etat peut être chiffré à environ 1 350 milliards de franc CFA. Voir Ibid., p. 73.

428 Mais à une proportion moindre que les produits nigérians vers le Cameroun.

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2 stipulait : « pendant la période de validité du présent accord, les parties contractantes feront tous les efforts possibles, en vue d'accroître le volume du commerce entre leurs pays et s'efforcerons d'établir entre elles, une balance commerciale équilibrée en essayant par tous les moyens d'éradiquer les phénomènes de contrebandes et fraudes qui enfreignent le déroulement normal du commerce entre les deux Etats »429. Par cet accord, lesdits pays s'octroyaient mutuellement à l'article 1, les avantages propres à la clause de la nation la plus favorisée430. Le Nigeria représentait un grand marché pour le Cameroun. Il y exportait de manière formelle, des produits alimentaires, vestimentaires, agricoles (café, coton, etc.), industriels et agro-industriels431. Il y importait du pétrole brut pour le compte de la SONARA, des matériaux scolaire et électronique, des produits vestimentaires, du matériel automobile, des cosmétiques, etc.432

Dès lors, compte tenu des possibilités et potentialités productives qu'il pouvait y avoir dans une coopération camerouno-nigériane soutenue, Yaoundé ne pouvait que persévérer dans la voie du règlement pacifique.

B. Le rôle de la culture politique nigériane

La nature instable du système politique nigérian a toujours été un frein aux efforts de règlement diplomatique des problèmes frontaliers avec le Cameroun.

En effet, le Nigeria a une culture politique beaucoup plus tumultueuse que celle du Cameroun. Depuis son accession à l'indépendance, il a totalisé sept coups d'Etat militaires réussis. En 2002, il faisait partie des pays africains où les militaires avaient eu le règne le plus long, soit 26 ans sur quarante deux433. Le premier régime militaire y a été instauré, après le coup d'Etat du 15 janvier 1966, par le Général Johnson AGUIYI-IRONSI. La même année, c'est-à-dire le 29 juillet 1966, ce dernier a été assassiné et remplacé par le Général Yakubu GOWON. Durant la présidence de GOWON, la signature de l'Accord de Maroua avait consacré de sérieuses avancées (relevées plus haut) dans les négociations relatives à la frontière maritime camerouno-nigériane. A titre illustratif, après la signature dudit Accord, le Général GOWON avait manifesté son optimisme par ces propos : « Le Nigeria et le Cameroun sont maintenant parvenus à l'établissement concret de la frontière séparant les provinces camerounaises du Nord-ouest et du Sud-ouest du Nigeria, la zone

429 Oumar MOUSSA, 2011, op. cit., p. 47.

430 Par cette clause, chacun s'engage à étendre à l'autre les avantages commerciaux qu'il viendrait à accorder conventionnellement à l'avenir à d'autres Etats.

431 Lire, Ministère du développement industriel et commercial, Rapport annuel sur les échanges commerciaux Nigeria-Cameroun, Yaoundé, 1990, cité par Hamadou MGBALE MGBATOU, 2001, op. cit., p. 255.

432 Sur les flux commerciaux entre les deux pays, lire Oumar MOUSSA, 2011, op. cit., pp. 68-76.

433 André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op cit, p. 150.

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conflictuelle permanente entre les forces frontalières de sécurité. Les deux Chefs d'Etat sont d'accord sur les détails de la frontière maritime entre le Cameroun et le Nigeria et réaffirment leur engagement pour la liberté et la sécurité de la navigation dans le chenal de la Calabar Cross River »434.

Toutefois, le 29 juillet 1975, la destitution du Général GOWON et l'arrivée au pouvoir du Général Murtala RAMAK MOHAMMED, ont mis à mal les avancées susmentionnées. Murtala MOHAMMED, qui cherchait un moyen afin de gagner en légitimité face au mécontentement populaire dû aux clivages sociaux, et au renversement de GOWON, a recouru à la technique du « red herring » ou « technique de l'échappatoire »435, encore appelée par certains analystes « théorie de l'exutoire externe »436, ou « stratégie de la dérivation »437. En effet, face à des difficultés d'ordre interne auxquelles ils ne trouvent pas de réponse, il arrive que certains dirigeants suscitent un ennemi extérieur, dans le but de « détourner et de canaliser ailleurs la colère de leur peuple »438. Dans cet esprit, le Général Murtala MOHAMMED a décidé d'examiner les Accords maritimes de Yaoundé II et de Maroua. L'idée qui en est ressortie a été celle selon laquelle GOWON avait cédé la péninsule de Bakassi au Cameroun439. A ce propos, une partie de l'opinion publique nigériane reste encore persuadée du fait que Bakassi a été cédée par GOWON à AHIDJO en remerciement de l'aide apportée par le Cameroun lors du conflit du Biafra440. Ce qui se révèle inexacte lorsqu'on analyse l'histoire de la péninsule de Bakassi441.

Le Général Murtala MOHAMMED a ainsi qualifié l'Accord de Maroua de « document scandaleux »442 et remis en cause unilatéralement ses acquis. Quelque temps après (1976), ce dernier a été renversé par le Général OLUSEGUN OBASANJO sous qui, le Nigeria a

434 Général Yakubu GOWON, Chef de l'Etat du Nigeria cité par MGBALE MGBATOU Hamadou, 1999, op. cit., p. 68.

435 Il s'agit en négociation internationale, d'une technique de diversion. La partie à la négociation qui l'utilise, introduit un fait, une idée, un évènement qui détourne l'attention sur le fait objet de la négociation, ceci afin d'échapper à une difficulté.

436 C'est le cas de Jean-Pierre FOGUI, 2010, op cit, p. 21.

437 C'est le cas d'Hamadou MGBALE MGBATOU, 1999, op cit., p. 75.

438 Jean-Pierre FOGUI, 2010, op cit, p. 21.

439 A propos de cela, Tamfuh Y.N Wilson affirme que, juste quatre semaines après la prise de pouvoir, le Gouvernement de Murtala Mohammed a commencé à formuler des revendications sur la péninsule de Bakassi en déclarant l'Accord de Maroua illégale. Lire Wilson Y.N. TAMFUH, « Effective international dispute resolution : a case study of the Bakassi conflict between Cameroon and Nigeria», in Revue Camerounaise d'Etudes Internationales, N°2, 1er Semestre 2009, p. 88.

440 A titre illustratif, « The Vanguard », un journal nigérian basé à Lagos, attribue la responsabilité du conflit de Bakassi à l'ancien Président Nigérian le Général Yacubu GOWON. Il affirme que le problème de la cession de la péninsule de Bakassi au Cameroun date des Accords de Yaoundé II (1971), et de Maroua (1975). D'après lui, «The peninsula was handed to Cameroon by GOWON for assistance to Nigeria during the civil war of 1967-1970, which led to the defeat of the Biafran secessionists» (Voir The Vanguard, n°415, Lagos, 18 October, 2002, p. 5, cité par Primus FONKENG, 2004, op. cit., p. 83).

441 Lire à ce propos, Nowa OMOIGUI, op. cit. [En ligne].

442 Rapport du groupe d'experts nigérians publié en 1988, sous la direction de Monsieur Bassey E. ATE, cité par André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op cit, p. 150.

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officiellement dénoncé ledit Accord lors de la réunion de la Commission mixte camerouno-nigériane à Jos du 1er au 4 novembre 1978. OLUSEGUN OBASANJO a permis en 1979, le retour du pays à un régime civil dirigé par Alhadji Shehu SHAGARI. Néanmoins, ce dernier a été destitué en août 1983 par le Général Mohammed BUHARI, qui a été à son tour évincé du pouvoir en 1985, par le Général BABAGINDA. L'élection présidentielle organisée en juin 1993, a permis la victoire de Moshood ABIOLA. Néanmoins, elles ont été annulées ; ce qui a causé une crise politique et amené le Général BABAGINDA à démissionner en août 1993. Ernest SHONEKAN qui a pris la tête du Gouvernement intérimaire est mis à l'écart trois mois plus tard par le Général Sani ABACHA.

Les négociations frontalières entre le Cameroun et le Nigeria se sont faites au gré des différents régimes nigérians, parfois très sommaires et putschistes443 (le cas GOWON et Murtala MOHAMMED est à ce titre illustratif). Elles ont également été mises à mal par le tempérament des hommes politiques Nigérians de l'époque. Militaires pour la plupart, ces derniers, par soucis de légitimation populaire, d'unité intérieure et de consolidation de l'autorité de leur régime, ont parfois eu recours à la stratégie de la dérivation444. Au vue de la culture politique nigériane, les autorités de Yaoundé recherchaient une voie pacifique de règlement du conflit, dont les résultats auraient été définitifs et insusceptibles de toute remise en cause par Abuja. La saisine de la C.I.J. s'est dès lors imposée comme le meilleur choix possible.

Par ailleurs, la faveur de la communauté internationale pour un règlement pacifique du conflit de Bakassi a été une ressource non négligeable dans la prise de la décision camerounaise.

Paragraphe 2 : L'influence des acteurs internationaux

Les acteurs internationaux ont été unanimement favorables au règlement pacifique du conflit frontalier entre le Cameroun et le Nigeria. Aussi, certains Etats (A) et Organisations Internationales (O.I.) (B) ont-ils explicitement ou non « recommandé au Nigeria et au Cameroun la procédure judiciaire, comme alternative crédible pour régler leur différend frontalier »445.

A. Le rôle des acteurs étatiques

443 André-Hubert ONANA MFEGUE, 2002, op cit, p. 168.

444 En effet, selon Pierre de SENARCLENS et Yohan ARIFFIN, « les Etats autoritaires adoptent des projets nationalistes agressifs pour renforcer leur unité intérieure, et consolider l'autorité de leur régime. En 1982, la junte argentine s'engage dans la guerre des Malouines (Fakland) pour masquer ses échecs économiques et ses contradictions internes. » (Voir Pierre de SENARCLENS et Yohan ARIFFIN, 2006, op. cit. p. 62.). En l'espèce, la décision du Général Sani ABACHA, d'envahir la péninsule de Bakassi, peut également être analysée dans cet esprit.

445 MGBALE MGBATOU Hamadou, 2001, op. cit., p. 211.

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La France est l'Etat qui s'est le plus impliqué auprès du Cameroun pour un règlement pacifique du conflit frontalier (1). A côté d'elle, d'autres pays se sont prononcé en faveur d'une solution définitive propre à préserver la paix entre les deux pays (2).

1. L'influence française

L'influence française sur le choix du Cameroun s'analyse essentiellement en termes d'absence de certitude quant à l'intervention de Paris en cas de guerre ; et de soutiens manifestés en faveur d'un règlement pacifique.

La politique camerounaise de défense repose essentiellement sur la préservation de l'indépendance nationale et de l'intégrité territoriale446. En matière de défense, le Gouvernement a pour préoccupation majeure de « rechercher une assurance contre les risques d'une agression, s'assurer la certitude de n'être point attaqué ou de recevoir, en cas d'attaque, l'aide immédiate et efficace d'autres Etats »447. Ceci revient à dire que, pour le Cameroun, l'engagement dans une guerre est subordonné à l'appuie d'autres Etats. Augustin KONTCHOU-KOUOMEGNI parle à ce propos de l'extraversion du système de sécurité des Etats africains ; et explique cela par le caractère dérisoire de leurs moyens de défense448.

Bien qu'un Accord de défense ait été conclu entre la France et le Cameroun le 14 février 1974, cette dernière n'avait pas intérêt à ce qu'une guerre éclate entre Yaoundé et Abuja ; car, cela l'aurait obligé à intervenir militairement, mettant ainsi en péril ses intérêts économiques au Cameroun et a fortiori au Nigeria. La visite le 18 mars 1994 au Cameroun de Philippe JAFFRÉ, Président du Groupe ELF Aquitaine (société de nationalité française), est à ce titre illustratif449. Elle peut être analysée comme s'inscrivant dans le cadre des différentes initiatives françaises en vue de promouvoir un règlement pacifique et définitif du conflit.

En effet, dans le secteur de l'énergie, le groupe Elf Aquitaine était à l'époque de la prise de décision d'une importance indéniable pour la France et les pays d'Afrique noir Francophone producteurs de pétrole. Aussi disait-on que « qui dirige Elf gère des centaines de milliards de francs par an et pèse sur la politique industrielle de la France et sur la politique des pays africains producteurs de pétrole » 450. Le groupe Elf avait alors d'importants intérêts au Nigeria. Elf Nigeria

446 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op cit, p. 62.

447 Joseph OWONA et Antoine ZANGA, « Les doctrines de sécurité en Afrique centrale », in Le Mois en Afrique, n°235-236, août-septembre 1985, p. 3, cité par Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op cit, p. 62.

448 Augustin KONTCHOU-KOUOMEGNI, « L'Etat africain, mythe ou réalité : à la recherche de la souveraineté », RJPIC, n° 1, janvier-février 1988, pp. 46-47, cité par Narcisse MOUELLE KOMBI, Ibid., p.63.

449 A la suite de l'audience à lui accordé par le Chef de l'Etat du Cameroun, M. JAFFRE a affirmé à la presse avoir évoqué avec le Chef de l'Etat le conflit frontalier entre le Cameroun et le Nigeria. (Voir Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N° 5557, Lundi 2 mars 1994, p. 3.)

450 Lire Zacharie NGNIMAN, 1996, op cit, pp. 23-24.

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Ltd par exemple était classée 3ème sur la liste des plus importantes entreprises exerçant au Nigeria, avec un chiffre d'affaires d'environ 170 milliards de FCFA pour l'année 1990. De même, Elf Marketing Ltd, une autre filiale présente au Nigeria, avait un chiffre d'affaire de 9 milliards de FCFA pour la même année. Le Nigeria occupait à l'époque, le rang de troisième fournisseur mondial de la France, et celui de premier fournisseur en Afrique subsaharienne451. « Si un pays comme le Cameroun ne représentait que 20 mille barils dans la production quotidienne d'Elf, le Nigeria lui, en représentait plus de 135 mille »452.

Les intérêts français n'étaient pas uniquement présents dans le secteur de l'énergie. En 1974, une vingtaine de firmes françaises opéraient au Nigeria. Dix ans plus tard, elles étaient plus de 180 à travailler dans des secteurs aussi divers que le commerce, la banque, l'agriculture, la construction, les télécommunications, et l'assemblage de véhicules. A titre illustratif, dans l'industrie automobile, depuis 1962, l'usine Michelin avait fourni environ 60 % de tous les pneumatiques vendus au Nigeria ; en 1983, l'usine Peugeot avait produit 55 000 véhicules au Nigeria, soit respectivement 70 et 25 % des voitures et véhicules commerciaux vendus cette année là453. Selon Shehu OTHMAN, « les ventes d'armes, qui ont pour origine des fournitures accordées aux forces fédérales au début de la guerre civile, ont continué à se développer »454.

Bien qu'ils ne soient pas aussi importants que les intérêts économiques nigérians de la France, les intérêts de Paris au Cameroun n'étaient pas négligeables. Ainsi, au Cameroun, ELF était représenté par sa filiale ELF SEREPCA qui opérait sur onze concessions et sept permis. Avec 70 % de la production totale de pétrole, Elf SEREPCA était le leader dans la production, mais également dans la distribution pétrolière au Cameroun depuis le rachat en 1993 des parts de la British Petroleum455. Le Cameroun était également le premier partenaire commercial de la France parmi les pays d'Afrique noire francophone, juste avant la Côte d'Ivoire456. Au-delà de ces intérêts économiques, le principal intérêt de Paris au Cameroun était stratégique457.

Alors, tout en soutenant le Cameroun, la France mettait tout en oeuvre pour que le conflit connaisse une issue pacifique458. C'est sous son initiative que le Parlement européen avait voté,

451 Daniel BACH, « Dynamique et contradictions dans la politique africaine de la France : les rapports avec le Nigeria (1960-1981) », Politique Africaine II, 1982, cité par Hamadou MGBALE MGBATOU, op. cit., p.177.

452 MGBALE MGBATOU Hamadou, op. cit., p.177.

453 Shehu OTHMAN, « Les relations internationales globales du Nigeria », in D.C. BACH, J. Egg et J. Philippe (dir.), Nigeria, un pouvoir en puissance, Paris, Karthala, 1988, p. 79.

454 Idem.

455 Lire Zacharie NGNIMAN, 1996, op cit, p. 24.

456 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit, p. 131.

457 En raison de l'appartenance du Cameroun à l'Afrique Francophone.

458 A titre illustratif, dès le 23 février 1994, après l'audience qu'avait accordé le Chef de l'Etat au Général Français de brigade RIGAUD, Chef de mission militaire de coopération, on a signalé la présence au port de Douala d'un bâtiment de guerre de la marine française, le « Ventose F-733-Valeur » équipé de radars, d'une piste d'atterrissage pour les

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malgré l'opposition de la Grande Bretagne, une résolution appelant à porter le conflit frontalier entre le Cameroun et le Nigeria devant la C.I.J.

2. La position des autres Etats

La campagne diplomatique internationale entreprise par le Cameroun afin de démontrer la vacuité des thèses nigérianes sur la souveraineté de Bakassi, les velléités guerrières d'Abuja et surtout la nécessité d'un retrait pacifique de l'armée nigériane, a permis aux autorités camerounaises de se rendre compte de l'appuie de nombreux pays africains à une issue pacifique du conflit459. Néanmoins, aucun Etat africain n'a pris le risque de se prononcer officiellement sur la question. Le seul pays qui est intervenu activement pour une solution politique du problème est le Togo à travers la médiation du Président Étienne GNASSINGBE EYADEMA.

Hors de la sphère africaine, les Etats ont appelé les protagonistes à régler le problème sans aboutir à un conflit armé. Les Etats-Unis ont invité les parties à faire preuve de modération et à ne pas engager de nouvelles actions militaires. L'examen des rapports entre le Cameroun et les USA à cette période, permet d'affirmer que les autorités de Yaoundé ne pouvaient s'attendre à aucun soutien d'ordre militaire de la part des Américains. En effet, non seulement leurs relations restaient tendues du fait de l'Ambassadeur Américain Frances COOK, jugée par le pouvoir trop favorable à l'opposition460, mais aussi, les USA et les pays aujourd'hui dits émergents, commençaient juste a manifesté l'intérêt qu'ils ont actuellement pour les Etats du Golfe de Guinée461. La Grande Bretagne

hélicoptères de combat, et d'un long canon. Le lendemain, des parachutistes français venus de Bangui (République Centrafricaine) à bord de deux hélicoptères « Puma » et d'un avion de transport militaire de type « Transaal », ont débarqué à la base militaire de Yaoundé. Parallèlement, les autorités françaises ont dépêché à Yaoundé une mission diplomatico-militaire conduite par le Général QUESNOT, Chef d'Etat major particulier du Président François MITTERRAND. Cette mission était composée de Bruno DELAYE, Conseiller du Président Français pour les Affaires Africaines et Malgaches, Jean-Marc ROCHEREAU DE LA SABLIERE, Directeur des Affaires Africaines au Quai d'Orsay, et du Colonel BENTEGEAT, dont les attributions officielles n'avaient pas été précisées. Après avoir été reçue en audience par le Président Paul BIYA, ladite mission s'est rendue à Abuja afin de rencontrer les autorités nigérianes. La composition de cette mission illustrait bien la stratégie adoptée par la France. En l'espèce il s'agissait selon le précepte de LYAUTEY de : « montrer sa force pour ne pas avoir à s'en servir ».

459 Lire à cet effet Zacharie NGNIMAN, 1996, op cit, p. 107-117.

460 A l'époque, au cours d'une émission télévisée le 13 mars 1994, le Ministre Camerounais Douala MOUTOME avait dénoncé « le silence coupable des Américains devant l'agression nigériane », et avait conclut à l'endroit des USA, « il faudra que l'on nous embête un peu moins dès lors qu'il s'agit de juger notre démocratie ». (Lire à cet effet, Zacharie NGNIMAN, 1996, op cit, p. 94)

461 AWOUMOU Cômes Damien Georges affirme à cet effet que : « la pose des fondations de l'actuelle ruée vers le continent africain, qui est le fait surtout des Etats-Unis, a débuté avec les années 90 ». Selon Philippe COPINSCHI et Pierre NOÊL, Elf a ainsi pu rester un acteur central du jeu pétrolier au Gabon, au Congo-Brazzaville ou encore au Cameroun (pays francophones ayant subit une influence coloniale française) jusque dans les années 1990, malgré les éventuels aléas des relations de la France avec ces pays. Pour de plus amples informations sur la ruée actuelle vers le Golfe de Guinée, lire Cômes Damien Georges AWOUMOU, « Le golfe de Guinée face aux convoitises », In Enjeux, N°22 janvier-mars 2005, pp.15-20 ; Philippe COPINSCHI et Pierre NOÊL, « L'Afrique dans la géopolitique mondiale du pétrole » in Afrique Contemporaine, N° 216 2005/4, 2005, pp. 29 à 42.

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quant à elle, avait toujours manifesté « un désintérêt relatif pour son ancien pupille »462. Ce facteur, conforté par le contentieux camerouno-britannique à propos de l'affaire du Cameroun septentrional devant la C.I.J., et l'insertion de fait du Cameroun à l'ensemble francophone463, ne permettait pas à Yaoundé d'espérer une quelconque aide militaire de la part de Londres. Par ailleurs, la Grande Bretagne paraissait avoir plus d'intérêts au Nigeria, avec qui, malgré des tensions ponctuelles, elle entretenait des relations privilégiées.

B. Les recommandations des O.I.

L'Afrique, continent « sinistré » selon le terme employé par le Directeur Général du FMI de l'époque Michel CAMDESSUS, devrait aujourd'hui plus qu'hier se passer du règlement militaire des situations conflictuelles464. Aussi, l'ONU (1), les Organisations Internationales Africaines intéressées (2), et l'Union Européenne (U.E.) ont instamment, explicitement ou implicitement, encouragé le Nigeria et le Cameroun à une solution pacifique conforme au droit international.

1. Le rôle de l'ONU

Le leitmotiv qui conduit à la naissance de l'ONU en 1945, est la préservation de la Paix et de la Sécurité internationale. Cette Organisation Internationale de caractère universel attache une importance capitale au règlement pacifique des conflits, qui fait l'objet du Chapitre VI de sa Charte. Le Cameroun qui a été administré pendant près de quarante et une année (1919-1960) par l'ONU, et avant elle la SDN, accorde beaucoup de crédit à cette institution dont il reste très fidèle aux principes465.

C'est ainsi que le 28 février 1994, Yaoundé a saisi le Conseil de sécurité de l'affaire Bakassi. Suite à cela et à une lettre envoyée par le Nigeria audit Conseil, le Président de cet organe a encouragé, conformément à la philosophie de l'ONU, le règlement pacifique du conflit466.

Tout en affirmant le caractère impératif du règlement pacifique des conflits, l'organisation universelle laisse aux Etats la possibilité de choisir les procédés qui leur sied le mieux. L'article 33 de la Charte dresse à cet effet, une liste non limitative où se mêlent procédés politiques et

462 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 134.

463 Idem.

464Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N° 5546, mercredi 02 mars 1994, p. 3.

465 Le Préambule de la Constitution du Cameroun du 2 Juin 1972 révisé par la loi N° 96/06 du 18 janvier 1996 affirme ainsi la volonté du Cameroun d'entretenir « avec les autres nations du monde des relations pacifiques et fraternelles conformément aux principes formulés par la Charte des Nations Unies. »

466 Affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria, Observations de la République du Cameroun sur les exceptions préliminaires du Nigeria, op. cit., Chapitre 2, Deuxième exception préliminaire : les parties auraient l'obligation de résoudre toutes les questions frontalières au moyen des dispositifs bilatéraux existants, paragraphe 2.42.

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juridiques. Aux termes dudit article, « les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent chercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de leur choix ». Le Cameroun qui avait déjà expérimenté les procédés politiques de règlement a, dès lors, choisit dans le respect des recommandations de la Charte, la voie judiciaire.

Dans ce cas précis, le système international a offert une opportunité au Cameroun d'atteindre ses objectifs.

2. Les Organisations Intergouvernementales africaines intéressées

Dans la sphère africaine, deux O.I. se sont exprimées sur la situation entre le Cameroun et le Nigeria dans le Golfe de Guinée. Il s'agit de l'O.U.A. et de la Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC).

L'O.U.A. dont le Cameroun est l'un des membres fondateurs a instamment encouragé les parties à une solution pacifique sur la base des principes de la Charte de l'organisation panafricaine et des Nations Unies. Le 24 mars 1994, le Conseil ministériel du Mécanisme sur la Prévention, la Gestion, et le Règlement des conflits, a invité le Cameroun et le Nigeria à travers une Déclaration, « à faire preuve de retenue et à prendre les mesures appropriées pour rétablir la confiance réciproque, y compris le retrait des troupes et la poursuite du dialogue » 467.

Au niveau sous-régional, les Etats de la CEMAC ont affiché une attitude de neutralité468. Aucun Etat membre de cette organisation d'intégration sous-régionale auquel appartient pourtant le Cameroun, n'a ouvertement soutenu Yaoundé. En revanche, lors d'un Sommet informel organisé le 28 février 1994, les Chefs d'Etat de cette institution ont souhaité « que les démarches en cours aboutissent très rapidement à une solution préservant la paix et l'unité africaine »469.

3. La position de l'Union Européenne

467 Suite aux travaux de la deuxième session ordinaire de l'Organe Central du Mécanisme de l'O.U.A. sur la prévention, la gestion, et le règlement des conflits en Afrique, les 24 et 25 mars 1994 à Addis Abeba, l'Organe a adopté une Déclaration, relative au conflit de Bakassi, dans laquelle elle a retenue les principales positions camerounaises notamment : la réaffirmation des principes fondamentaux des Chartes des Nations Unies et de l'O.U.A. comme cadre de résolution pacifique de ce conflit à savoir : l'inviolabilité des frontières héritées de la colonisation, le respect de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'indépendance de tous les Etats. C'est de cette Déclaration dont il est question plus haut. (Voir Archives SOPECAM, Cameroon Tribune, N 5562, Lundi, 28 mars 1994, p. 3)

468 Pour une analyse du comportement des Etats de la CEMAC durant le conflit de Bakassi, lire ALIYOU Sali, L'attitude des Etats de la CEMAC face au conflit de Bakassi et ses effets sur l'institution, Mémoire de DEA, Université de Dschang, 2008. Seule la Guinée Equatoriale est intervenue plus tard au cours du procès.

469 MGBALE MGBATOU Hamadou, 2001, op cit, p. 204.

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L'U.E. est un important partenaire du Cameroun. Son poids dans les relations internationales, et ses diverses contributions au développement du pays470 sont autant de facteurs qui favorisent son audience auprès des autorités camerounaises. Début mars 1994, elle s'est exprimée par le biais d'un Communiqué471 diffusé à Yaoundé par l'Ambassade de la République Fédérale d'Allemagne, au nom de la Grèce qui assumait alors la Présidence de l'U.E. Par ce Communiqué, l'U.E. a affirmé qu'elle « croit fermement qu'il n'existe qu'une voie unique pour résoudre ce problème à savoir le règlement pacifique ». Pour y parvenir, elle a « instamment » demandé aux parties de rechercher une solution à travers « l'arbitrage ou la médiation de n'importe quelle institution régionale ou internationale », et de mettre tout en oeuvre pour éviter toute action militaire qui aggraverait la situation.

Bien qu'il soit intervenu à l'initiative de la France, le Parlement Européen est une institution propre dont il est important d'évoquer indépendamment l'action. En mars 1994, après le Communiqué de l'U.E. précité, cette institution européenne a incité le Cameroun et le Nigeria à régler définitivement leur opposition frontalière par la voie judiciaire. Elle a en effet voté une résolution appelant instamment à porter le conflit frontalier camerouno-nigérian devant la C.I.J. Par ce vote, les députés européens ont exprimé l'opinion des populations européennes qu'ils sont chargés de représenter.

Au terme de ce chapitre, il convient de relever la prépondérance des variables systémiques sur celles sociétales dans l'explication du processus de prise de décision du Cameroun ; et plus particulièrement du facteur relatif au caractère particulier de l'adversaire. En effet, la puissance du Nigeria472, sa promptitude à remettre en cause les accords négociés, et le degré des relations que le Cameroun entretenait avec lui ont exercé une influence décisive sur le choix du mode de règlement de conflit.

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE

470 En 1994, le Cameroun faisait par exemple partie du groupe des pays A.C.P. auquel l'U.E. accordait, conformément à l'Accord de Lomé de 1975, non seulement des préférences tarifaires non réciproques pour les exportations vers son marché, mais aussi des systèmes de compensation du déficit des recettes d'exportations, suite à la fluctuation des prix sur les marchés mondiaux (C'était le cas du STABEX, et plus tard avec l'Accord de Lomé II en 1979, du SYSMIN. L'Accord de Cotonou de juin 2000 supprime ces mécanismes). Le Cameroun bénéficiait également des financements du Fonds Européen pour le développement.

471 Communiqué publié dans Cameroon Tribune, N° 5547, Vendredi 04 mars 1994, p. 3. (Voir Archives SOPECAM).

472 Sur la politique juridique extérieure du Cameroun, lire Jacques Joël ANDELA, 2010, op. cit. Il affirme que face à un adversaire manifestement plus puissant, le Cameroun privilégie le recours au prétoire international (les différends entre le Cameroun et la Grande Bretagne ainsi qu'entre le Cameroun et le Nigeria devant la C.I.J. sont à ce titre illustratif); dans le cas contraire, il préfère recourir aux mécanismes concertés (c'est le cas des désaccords territoriaux avec la République centrafricaine et la Guinée équatoriale), pp. 48-50.

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Au terme de la seconde partie de cette étude, il convient de relever qu'au-delà de l'explication fournie par le modèle de l'acteur rationnel, les variables explicatives de ROSENAU ont permis de ressortir de manière concrète le rôle joué par le MINREX, le MINDEF et le SG/PRESICAM dans la prise de décision. Combiné au code opérationnel, la variable idiosyncratique du cadre conceptuel de ROSENAU a permis de voir dans quelle mesure le tempérament du Chef de l'Etat a finalement déterminé le comportement international du Cameroun.

Ledit cadre a également permis de ressortir l'influence de l'environnement national et international sur le choix du Cameroun. Ainsi, au niveau national, le choix des autorités de Yaoundé tenait compte de la conjoncture socio-économique interne, et obéissait à la stratégie de développement du pays. Sur le plan politique, elle était une illustration de la volonté de Yaoundé de préserver la stabilité et l'unité nationale, dans un contexte « pluriculturel ». Cette décision a également été influencée par la culture de paix qui caractérisait le peuple camerounais, et ressortait dans les avis de l'opinion publique qui, malgré quelques voies discordantes, avait manifesté sa prédilection pour un règlement pacifique du conflit de Bakassi.

Au niveau international, le contexte était favorable à un règlement pacifique du conflit de Bakassi. Ainsi, le Cameroun, qui ne pouvait plus poursuivre avec l'unique voie de règlement diplomatique en raison de la culture politique nigériane et qui ne pouvait non plus faire recours à la solution militaire du fait des liens multidimensionnels qui unissaient son peuple au peuple nigérian, a pris la décision de porter l'affaire devant la C.I.J.

CONCLUSION GENERALE

Au départ, la présente étude s'est fixée deux objectifs : d'une part, la mise en exergue des principaux facteurs qui sont à l'origine du choix porté par le Cameroun sur la C.I.J. pour le règlement du conflit de Bakassi ; et d'autre part, la vérification de l'applicabilité de modèles explicatifs de la décision de politique étrangère, généralement élaborés dans des pays développés et en particulier anglo-saxons, sur une décision prise par un pays en développement (en particulier africain).

Pour ce faire, elle s'est basée sur une méthodologie particulière. En effet, la poursuite des objectifs fixés s'est faite sur la base des éléments théoriques que sont le modèle de l'acteur rationnel

d'ALLISON et les variables idiosyncratiques, gouvernementales (pendant du modèle bureaucratique d'ALLISON), de rôle, systémiques et sociétales du paradigme de ROSENAU. La collecte des données a été réalisée à partir des entretiens (avec des personnalités qui ont été impliquées dans la prise de décision, ou qui ont eu connaissance du processus décisionnel) et de l'analyse documentaire (des ouvrages généraux et spécialisés, des revues, des archives et documents officiels). Quant au traitement desdites données, il a été fait usage de la méthode de l'analyse décisionnelle et de celle de l'analyse systémique.

L'étude a permis de se rendre compte, dans une première partie, de la rationalité du comportement des autorités camerounaises face à l'occupation nigériane de la péninsule de Bakassi, et à l'échec des tentatives de règlement diplomatique entreprises. L'application du modèle de l'acteur rationnel a ainsi permis de voir dans quelle mesure le recours à la C.I.J. était le choix qui optimisait le mieux, face aux autres solutions envisagées (en l'occurrence la poursuite de la voie diplomatique et le recours à la voie militaire), les chances du Cameroun d'atteindre son objectif (c'est-à-dire, le respect par le Nigeria de son intégrité territoriale, sans recours à la guerre).

Cette étude a également permis de constater, dans une seconde partie, que la décision du Cameroun a été favorisée par des variables d'ordre gouvernemental (les analyses et expertises des institutions administratives que sont le MINREX, le MINDEF et le SG/PRESICAM), de rôle (les fonctionnaires impliqués dans la prise de décision), idiosyncratique (les qualités particulières du Chef de l'Etat et son code opérationnel dans lequel le pacifisme a une place centrale), sociétal (le rôle de la société civile, des médias, des leaders d'opinion, de la culture de paix et de la fragilité du contexte socio-économique et politique), et systémique (le caractère particulier de l'adversaire, ainsi que la faveur des acteurs internationaux pour le règlement pacifique).

Toutefois la recherche a été rendue difficile par quelques problèmes d'ordre théorique et pratique. Sur le plan théorique, le modèle de l'acteur rationnel, malgré sa pertinence, reste assez désincarné ; d'où la nécessité de l'associer à d'autres éléments théoriques pour une meilleure explication de la dynamique interne du processus décisionnel. Quant à l'approche de ROSENAU, malgré sa pertinence et son caractère scientifique, il convient de reconnaître qu'elle demeure relativement incomplète. La critique majeure contre ses variables explicatives réside dans le fait que la différence entre « rôle » et « gouvernement » est très fine ; en ce sens que la décision d'un Gouvernement est le résultat de l'ensemble des efforts de ses fonctionnaires pris individuellement. ROSENAU lui-même le reconnaît lorsqu'il qualifie son cadre conceptuel de « pré-théorie »473 de la politique étrangère.

473 Lire à ce propos son article « Pre-Theories and Theories of Foreign Policy ». (James N. ROSENAU, 1966, op. cit., pp. 27-92).

Sur le plan pratique, divers obstacles ont rendu l'atteinte des objectifs de cette étude ardue. Ces obstacles sont liés notamment : à la durée de la recherche qui est très courte pour permettre une bonne analyse ; à la nature du sujet qui pose des difficultés en ce sens que le processus de prise de décision est caractérisé par l'opacité. En effet, les discussions qui aboutissent à la prise de décision se déroulent à huis clos dans ce que David EASTON appel la « boîte noire »474. Les données sont ainsi difficilement accessibles au chercheur. En outre, de nombreuses personnalités dont le témoignage était nécessaire à cette étude sont soit décédée, soit retraitée et difficile d'accès ; l'absence de sources écrites sur le processus de prise de décision étudiée et l'existence de difficultés quant au recoupement des informations orales recueillies figurent également parmi les problèmes rencontrés.

Les résultats de la recherche ont tout de même permis de tirer quelques leçons, sur le plan théorique et professionnel, pour l'avenir.

Sur le plan théorique, l'étude permet d'affirmer (s'agissant des variables de ROSENAU) la prépondérance des variables idiosyncratiques, suivies des variables systémiques et gouvernementales dans l'explication du processus décisionnel dans la politique étrangère du Cameroun, validant ainsi la thèse de ROSENAU. Par ailleurs, l'applicabilité des modèles théoriques susmentionnés à l'analyse de la prise de décision du Cameroun s'avère également pertinente pour les autres pays africains, voire pour d'autres pays en développement. La méthode utilisée dans la présente recherche pourrait ainsi permettre à d'autres chercheurs d'analyser des décisions de politique étrangère prises dans des contextes différents.

Sur le plan professionnel, la présente analyse permet de relever la nécessité d'une stratégie plus cohérente et efficace en matière de sécurité et de politique étrangère. En effet, à l'époque de la prise de décision, il était reproché au Cameroun ses carences fonctionnelles en matière de coordination interministérielle de son action internationale475. Le Comité interministériel de coordination des relations internationales qui était censé être un centre d'intelligence et une structure consultative en matière de politique étrangère, n'avait qu'une existence « fantomatique », en dépit de son institutionnalisation formelle476. Durant le conflit de Bakassi, de par sa composition477 et ses missions478, ce Comité était l'organe le plus apte à débattre des solutions à

474 David EASTON compare le système politique à une boîte noire recevant des inputs (exigences ou soutiens) de son environnement et y répondant par des outputs (décisions, actions, politiques). Pour de plus amples informations sur le sujet, lire l'ouvrage de David EASTON, A Framework for Political Analysis, New York, Wiley & Sons, 1965, 143p.

475 Narcisse MOUELLE KOMBI, 1996, op. cit., p. 39.

476 Ibid., p. 40. Le Comité interministériel de coordination des relations internationales a été créé en octobre 1973. Il est régi par le Décret N°78/026 du 16 janvier 1978.

477 Placé sous l'autorité du Secrétariat général de la Présidence, il comprend comme membre de droit : les Ministres chargés des Relations Extérieures, de la Défense, du Développement industriel et commercial, du plan et de l'aménagement du territoire, ainsi que les responsables de la Sécurité intérieure, de la Sécurité présidentielle, du

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même de permettre au Cameroun d'optimiser ses chances d'atteindre son objectif face à l'intransigeance nigériane. Bien que les débats n'aient pas été conduits dans ce cadre, et que le règlement judiciaire ait connu une issue heureuse, l'évolution du concept de sécurité et l'émergence de nombreux défis en la matière nécessitent une structure intégrée (dont l'action serait effective et efficace) en matière de politique étrangère et de sécurité. La création du Conseil National de Sécurité (CNS) semble répondre à ce souci479. En effet, cet organe a pour mission de « faire périodiquement la synthèse des renseignements intéressant la sécurité intérieure et extérieure de la Nation ; formuler des propositions d'orientation de renseignement prévisionnel ; donner son avis sur tout dossier à lui soumis par le Président de la République »480. Pour ce faire, il est doté d'un Secrétaire permanent et de membres statutaires occupant au sein de l'exécutif des postes stratégiques en matière de défense, de sécurité et de diplomatie481.

Cet organe a pour vocation d'être un forum de discussion et de conseil du Chef de l'exécutif, face à la recrudescence des phénomènes d'insécurité tels que les vols à main armée, les atteintes aux personnes et aux biens, les méfaits des coupeurs de route, les prises d'otages, la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée, etc. Le CNS est également chargé d'anticiper et de prémunir le pays contre d'éventuelles menaces. Les missions du Conseil en font une structure stratégique ; d'où la nécessité d'une application effective et suivie du Décret du 8 janvier 2009 précité.

Néanmoins, pour une meilleure coordination de l'action gouvernementale en matière de sécurité nationale (garantie pour plus d'efficacité du processus de prise de décision en situation de crise ou de conflit), l'administration du CNS pourrait être confiée (en lieu et place du Secrétaire Permanent) à un Conseiller à la sécurité nationale nommé par le Président, comme c'est le cas aux USA482. La personnalité occupant le poste de Conseiller Technique chargé des problèmes diplomatiques (appelé couramment Conseiller Diplomatique du Président) pourrait ainsi se voir confier cette fonction483. En effet, comme l'a affirmé le Président Paul BIYA, « aujourd'hui, la sécurité mérite une vision globale, pour ne pas dire stratégique. On ne peut pas par exemple traiter séparément les problèmes de la sécurité intérieure et ceux de la sécurité extérieure qui

Renseignement et, un responsable de la division des affaires diplomatiques à la Présidence de la République. (Lire à ce propos, Narcisse MOUELLE KOMBI, idem.)

478 Il est chargé dans le cadre des orientations définies par le Chef de l'Etat de « déterminer les objectifs de la République du Cameroun dans le domaine international ; de coordonner les actions divers départements ministériels en vue d'atteindre ces objectifs et de procéder périodiquement à l'évaluation des relations extérieures ». (Voir Narcisse MOUELLE, idem).

479 Le CNS a été créé par Décret N°2009/004 du 8 janvier 2009.

480 Article 1 du Décret N°2009/004 du 8 janvier 2009 portant création et organisation d'un Conseil National de Sécurité.

481 Voir Article 3 du Décret du 8 janvier 2009 précité en annexe 15 (page 144).

482 Aux USA, le National Security Council est présidé par le Chef de l'Etat américain et son administration est confiée à un conseiller à la sécurité nationale nommé par lui.

483 Cette proposition répond à la nécessité d'avoir une structure intégrée en matière de sécurité et de politique étrangère.

entretiennent des interactions évidentes »484 ; d'où la nécessité d'une plus grande rationalisation485 du processus de prise de décision.

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484 Extrait de la communication spéciale du Chef de l'Etat à l'ouverture des travaux de la première réunion du Conseil National de Sécurité, le 14 juillet 2011.

485 La rationalisation renvoie en l'espèce à une organisation méthodique et logique destinée à améliorer l'efficacité ou le rendement du processus de prise de décision en matière sécuritaire au Cameroun.

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Références électroniques

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6. Documents et textes officiels

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125

- Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine adoptée le 25 Mai 1963 à Addis Abéba en Ethiopie.

- Charte des Nations Unies adoptée le 26 juin 1945 à San Francisco.

- Communiqué de presse de la Présidence de la République du 19 février 1994, relatif aux

accrochages militaires entre le Cameroun et le Nigeria dans la presqu'ile de Bakassi.

- Constitution du Cameroun du 2 juin 1972.

- Décret N°90/951 du 29 Mai 1990 portant organisation de la Présidence de la République

- Décret N° 92/245 du 26 Novembre 1992 portant organisation du Gouvernement.

- Décret N°2005/286 du 30 juillet 2005 portant organisation du Ministère des Relations Extérieures.

- Décret N°2009/004 du 8 janvier 2009 portant création et organisation d'un Conseil National de

Sécurité.

- Gouvernement de la République du Cameroun, Dossier sur le différend frontalier de la péninsule

de Bakassi, Deuxième édition, Août 1998.

- Règlement de la Cour Internationale de Justice.

- Statut de la Cour Internationale de Justice.

7. Journaux, Rapports et Autres documents

- Archives SOPECAM, Cameroon Tribune : n°5523, jeudi 27 janvier 1994 ; n° 5543, vendredi 25 février 1994 ; n° 5546, mercredi 02 mars 1994 ; n° 5547, vendredi 04 mars 1994 ; n°5548, lundi 07 mars 1994 ; n°5555, jeudi 17 mars 1994 ; n° 5557, lundi 2 mars 1994 ; n° 5562, lundi 28 mars 1994 ; n° 5563, mardi 29 mars 1994 ; n° 5564, mercredi 30 mars 1994.

- « BIYA, le stratège visionnaire », dossier Bakassi, in Jeune Afrique Economie, n°374, novembre-décembre 2008.

- Cameroon tribune n° 9161/5360, spécial Bakassi, jeudi 14 août 2008.

- Communication spéciale du Chef de l'Etat à l'ouverture des travaux de la première réunion du Conseil National de Sécurité, le 14 juillet 2011.

- Communiqué final à l'issue de la réunion du Conseil National de Sécurité présidée par le Chef de l'Etat, le 14 juillet 2011.

- HERRERA Javier, « Vers un rééquilibrage du commerce frontalier entre le Cameroun et le Nigeria ? », ORSTOM/DIAL, Extraits (pp. 4-8 et pp. 9-14) de Rapport de mission au Cameroun du 13 au 28 mai 1995.

- International Crisis Group, « Cameroun, un Etat fragile ? », Rapport Afrique, n° 160, 25 mai 2010.

- Message du Président Paul BIYA à la nation, le 23 mars 1994.

126

- Message de voeux du Président Paul BIYA à la nation : le 31 Décembre 1994 ; le 31 décembre 1998 ; le 31 décembre 2002.

- Message du Président Paul BIYA à la nation à la suite du retrait de l'administration et des forces nigérianes de la presqu'île de Bakassi, le 14 août 2008.

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- République du Cameroun, Affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria (Cameroun c. Nigeria : Guinée Equatoriale (intervenant)), aide mémoire, juillet 2002.

8. Sources numériques diverses

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9. Entretiens

- Entretien avec Monsieur TANDA Robert, Diplomate, Membre de la Délégation du Cameroun à la C.I.J., Membre de la Délégation du Cameroun à la Commission mixte Nations Unies, Cameroun/Nigeria, Inspecteur Général des Affaires Consulaires au MINREX, le 3 et le 6 mai 2011. - Entretien avec Monsieur le Professeur Joseph BIPOUN WOUM, le 25 mai 2011.

- Entretien avec Monsieur le Dr. Anicet ABANDA ATANGANA, Membre de la Délégation du Cameroun à la Commission mixte Nations Unies, Cameroun/Nigeria, le 16 juin 2011.

- Entretien avec Monsieur le Professeur Maurice KAMTO, Co-agent du Cameroun lors de procédure devant la C.I.J., Ministre délégué auprès du Ministre de la Justice, Garde des sceaux, et Chef de la Délégation camerounaise au Comité de la mise en oeuvre de l'Accord de Greentree, le 24 juin 2011.

- Entretien avec Monsieur NJIMOLUH KOMIDOR Hamidou, Ministre plénipotentiaire, Conseiller diplomatique du Chef de l'Etat à l'époque de la prise de décision, Ambassadeur du Cameroun auprès de la République du Congo et de la République d'Angola, 26 juin 2011.

- Entretien avec Maître Douala MOUTOME, Ministre de la justice et Garde des sceaux à l'époque de la prise de décision, premier Agent du Cameroun lors de la procédure devant la C.I.J., Douala, le 26 juillet 2011.

- Entretien avec le Professeur Joseph OWONA, Secrétaire Général de PRESICAM à l'époque de la prise de décision, Yaoundé, le 29 juillet 2011.

128

129

ANNEXES

130

Annexe 1 : Carte représentant le Cameroun et le Nigeria.

 
 

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131

Annexe 2 : Carte agrandit de la Frontière Terrestre entre le Cameroun et le Nigeria

Source : République du Cameroun, Juillet 2002, op. cit., p. 15.

132

Annexe 3 : Situation de la péninsule de Bakassi au Cameroun

Source : Hamadou MGBALE MGBATOU, 1999, op. cit., p. 143.

Annexe 4 : Carte de la Péninsule de Bakassi.

133

Source : Jeune Afrique Economie,
N°374, Novembre-Décembre 2008, p. 49.

134

Annexe 5 : Carte des frontières du Cameroun sous administration franco-

britannique.

Source: Anicet OLOA ZAMBO, 2007, op. cit., première de couverture.

Annexe 6 : Carte d'ethnies présentes de par et d'autre de la frontière méridionale entre le Cameroun et le Nigeria.

Tiré de : Hubert WANDJI KABAO, Les échanges commerciaux

135

entre le Cameroun et le Nigeria de 1960 à 2008, Mémoire de DEA, Yaoundé,
Université de Yaoundé I, 2009, p. 83.

136

Annexe 7

COMMUNIQUE DE LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE DU CAMEROUN DU 19 FEVRIER 1994 RELATIF AUX ACCROCHAGES MILITAIRES ENTRE LE CAMEROUN ET LE NIGERIA DANS LA PRESQU'ILE DE BAKASSI.

« Du 18 au 19 février 1994, un incident a opposé des unités de notre armée postées dans la presqu'île camerounaise de Bakassi aux unités de l'armée nigériane. En effet, des détachements nigérians ont lancé une série d'attaques contre nos troupes. Celles-ci ont riposté et repoussé les assaillants. Cet accrochage n'est que le prolongement d'une situation qui dure depuis le 21 décembre 1993, date à laquelle les unités nigérianes ont occupé certains points du territoire camerounais dans la presqu'île de Bakassi ; devant cette situation, et afin de préserver la paix, le gouvernement a engagé des négociations avec le gouvernement nigérian pour parvenir à un règlement pacifique du conflit. A cet effet, plusieurs missions de haut niveau ont été dépêchées au Nigeria.

L'incident du 18 février est intervenu pendant que se poursuivaient ces négociations.

Aussi notre pays a-t-il décidé de saisir le Conseil de Sécurité des Nations Unies, la Cour Internationale de Justice de La Haye et l'Organe Central de prévention, de gestion et de règlement des conflits de l'OUA afin de faire prévaloir notre bon droit contre l'occupation illégale d'une partie de notre territoire. Le Cameroun réaffirme sa souveraineté sur la presqu'île de Bakassi conformément :

1. Au traité germano-britannique du 11 mars 1913.

2. A la règle de l'intangibilité des frontières issues du référendum de 1961 rattachant à l'ancien Cameroun oriental la partie méridionale du Cameroun sous tutelle britannique ;

3. A la déclaration de Maroua de 1975 délimitant les frontières maritimes entre le Nigeria et le Cameroun.

Ce faisant, la République du Cameroun entend persévérer dans la voie du règlement pacifique, juste et durable de cette question ; elle maintiendra les contacts en cours avec la République du Nigeria ».

LE SECRETAIRE GENERAL DE LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE

Joseph OWONA.

137

Annexe 8 : Activités pétrolières du Cameroun (en tonne)
entre 1987-1995

ANNEE

PRODUCTION

EXPORTATION

TAUX

D'EXPORTATION

1987

8

348

000

7

700

000

92,2

1988

8

295

000

7

300

000

88,0

1989

8

113

784

5

928

850

73,1

1990

7

834

781

7

410

785

94,6

1991

7

235

200

7

000

900

96,8

1992

6

790

000

6

620

000

97,5

1993

6

600

000

6

170

000

93,5

1994

8

508

841

3

830

124

65, 9

1995

5

380

212

3

219

604

59,8

Source : MINPAT, Annuaire statistique du Cameroun 1997, p. 112,
tiré de Sylviane WANDJA, 2006, op. cit., p. 51.

Annexe 9 : Extrait de presse relatif au dépôt de la requête introductive d'instance du Cameroun auprès de la C.I.J

138

Source : Cameroon tribune N°9161/5360, Spécial BAKASSI, Jeudi 14 Août 2008, p. 32.

139

Annexe 10 : Résultats de l'enquête d'opinion réalisée par Cameroon Tribune sur l'affaire Bakassi

Annexe 11

Positive news articles published by the Herald and the Post news papers

The Herald

The Post

1

Bakassi round: Cameroon 1, Nigeria 0

1

Biya request U.N. peace keeping force.

2

Paul Biya seeks French support

2

Annan invites Biya and Obasanjo over Bakassi.

3

Biya orders creation of relief commission for Bakassi refugees.

3

U.N. established mixed commission.

4

Cameroon lobbies international community.

4

Cameroon wins its case at the Hague.

5

Cameroon's diplomatic success.

5

Cameroonians welcomes ICJ verdict.

6

Statement on the Bakassi crisis by President Biya.

6

Cameroon and Nigeria project good lesson for Africa.

7

International Court rules in favour of Cameroon

7

Cameroon's historic victory.

8

Cameroon tactfully handles case at the Hague.

8

Bakassi belongs to Cameroon.

9

Cameroonians rally behind Bakassi case.

9

Cameroon's peaceful policies.

10

Kofi Annan invites Biya and Obasanjo

10

Nigerians are very confortable in Cameroon.

11

Annan's create mixed commission.

11

 

12

Thaw in Cameroon-Nigeria relations.

12

 

13

Cameroon's peaceful foreign policy.

13

 

14

Cameroon's historic victory.

14

 

15

Cameroon projects good lesson for Africa.

15

 

16

Bakassi has always been part of Cameroon.

16

 

17

Close to 4 million Nigerians live in Cameroon.

17

 

18

Cameroon's preventive diplomacy over Bakassi.

18

 

19

Cameroon's hospitality to Nigerian citizens.

19

 

140

Source: News articles on the Bakassi crisis published by the Post and The Herald,
1993-2002, tiré de Primus FONKENG, 2004, op. cit., pp. 66-67, (couleur en arrière plan ajoutée en
vue de ressortir les articles qui entrent le plus dans le champ de la présente étude).

Annexe 12

Negative news articles published by the Herald and the Post news papers

The Herald

The Post

1

Biya denounces peace meeting with Abacha over Bakassi.

1

Bakassi verdict, Biya deserves no praises.

2

Bakassi crisis, thorny part to resolution.

2

Bakassi crisis, a shameless oppression of the regime.

3

Bakassi crisis and the policy of diversion.

3

Nigerian will not give up Bakassi.

4

Bakassi crisis, of what interest to Anglophones.

4

Cameroon grapples with refugees problems.

5

Lack of Government assistance to Bakassi refugees.

5

Bakassi crisis and the governement's policy of diversion.

6

Bakassi crisis, No to patriotism.

6

Anglophone soldiers killed in Bakassi peninsula.

7

Government's poor policy toward Anglophone provinces.

7

Cameroonian lawyer predict controversial verdict on the crisis.

8

Poor border policies.

8

Verdict on Bakassi will hasten SCNC drive for independent.

9

Cameroon provides very few Anglophone judges at the Hague.

9

SCNC denounces the occupation of Southern Cameroon's territory.

10

Indifference of Cameroon Government on the Bakassi crisis.

10

«La République du Cameroun is killing Nigerian citizens»

11

Harassment of Nigerian citizen by Cameroonian gendarmes.

11

Southern Cameroon's claim over the Bakassi peninsula.

12

 

12

Anglophones arrested over Bakassi crisis.

13

 

13

Anglophones view the crisis with mixed feelings, indifference and jubilation.

14

 

14

A cry of no patriotism on the Bakassi crisis.

15

 

15

Bakassi and the poor treatment on the Anglophone provinces.

16

 

16

Selective victimization on English speaking provinces by gendarmes.

17

 

17

Poor border policies by the Cameroonians Government.

18

 

18

Anglophone press manifests no sympathy on the Bakassi crisis.

19

 

19

Poor relations between Biya and Abacha.

20

 

20

Cameroon suffers casualties.

141

Source: News articles on the Bakassi crisis published by the Post and The Herald,
1993-2002, tiré de Primus FONKENG, 2004, op. cit., pp. 67-68, (couleur en arrière plan ajoutée en
vue de ressortir les articles qui entrent le plus dans le champ de la présente étude).

142

Source: Eugene L. MALTAIS, op. cit., p. 14.

Annexe 13

A Schema Relating Variables to Conditions.

State of Development

Idiosyncratic

8

underdeveloped economy

Role

8

developed economy

State of Policy

Governmental

8

closed policy

Societal

8

open policy

Size of Country

Systemic

8

small country

143

Annexe 14 :

PROTOCOLE D'ENTRETIEN

1. A partir de quel moment a-t-on estimé qu'il était nécessaire dans cette affaire de recourir au droit ?

2. Quelles autres options avaient été, ou étaient envisageables ?

3. A votre avis, est ce que le rapport de force permettait au Cameroun de recourir à la voie militaire ?

4. En quoi la saisine de la C.I.J. apparaissait elle comme le choix le plus rationnel ?

5. Quelles sont les garanties qu'offrait l'option judiciaire ?

6. A quel niveau la décision a-t-elle été prise ?

7. Quels sont les acteurs qui ont contribués à la prise de cette décision ?

8. Comment les réflexions ont-elles été menées ? (Une cellule de crise a-t-elle été mise en place ? Si oui, à quelle date et comment ? Quelles étaient ses attributions ? Combien de fois s'est elle réunie ? Comment se sont déroulés les travaux en son sein ?)

9. Quelle était l'opinion du public sur la question ? Comment était elle perçue par les acteurs impliqués dans le processus décisionnel ? En ont-ils tenu compte ?

10. L'environnement international a-t-il joué en faveur de cette décision ? Si oui, quels sont les acteurs internationaux qui ont encouragés le règlement judiciaire du conflit de Bakassi ?

11. Le tempérament du Chef de l'Etat a-t-il joué en faveur de la prise de cette décision ? Dans quelle mesure ?

12. Existe-t-il une autre personnalité que vous pouvez nous conseiller de rencontrer ?

Annexe 15 :

144

Décret N°2009/004 du 8 janvier 2009 portant création et organisation d'un Conseil
National de Sécurité

REPUBLIQUE DU CAMEROUN PAIX - TRAVAIL - PATRIE

DECRET N° 2009/004 du 8 JAN 2009

Portant création et organisation d'un Conseil National de Sécurité.-

LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DECRETE :

Article premier - (1) Il est créé, à compter de la date de signature du présent décret, un Conseil National de Sécurité en abrégé « CNS » et ci-après désigné : « Le Conseil »

(2) Le Conseil est appelé à :

- faire périodiquement la synthèse des renseignements intéressant la sécurité

intérieure et extérieure de la Nation.

- formuler des propositions d'orientation de renseignement prévisionnel ;

- donner son avis sur tout dossier à lui soumis par le Président de la République.

Art.2 - Le Conseil National de Sécurité est administrativement rattaché au Secrétariat Général de la Présidence de la République.

Art.3 - (1) Sont membres du Conseil :

- le Secrétaire Général de la Présidence de la République ;

- le Ministre chargé de l'Administration Territoriale et de la Décentralisation ;

- le Ministre chargé de la Défense ;

- le Ministre chargé des Relations Extérieures ;

- le Directeur du Cabinet Civil du Président de la République ;

- le Délégué Général à la Sûreté Nationale ;

- le Secrétaire d'Etat à la Défense ;

- le Chef d'Etat-major des Armées ;

- le Chef d'Etat-major particulier du Président de la République ;

145

- le Directeur de la Sécurité Présidentielle ;

- le Directeur Général de la Recherche Extérieure ;

- le Directeur Central de la coordination à la gendarmerie nationale ;

- le Commandant de la garde Présidentielle.

(2) Le Président de la République peut inviter toute personne à prendre part aux

travaux du Conseil en raison des points inscrits à l'ordre du jour.

Art.4 - Le Conseil national de sécurité se réunit sur convocation du Président de la

République, soit en séance restreinte soit en séance plénière.

- presidenceducameroun.com, prctv.cm, presidenceducameroun.cm -

Art. 5 - (1) Le secrétariat du Conseil est assuré par un secrétaire permanent nommé par décret du Président de la République.

(2) Le secrétaire permanent participe aux travaux du Conseil avec voix consultative.

Art.6 - Les travaux du Conseil National de Sécurité donnent lieu à l'élaboration d'un rapport soumis à l'appréciation du Président de la République.

Art.7 - Les frais de fonctionnement du Conseil National de Sécurité sont imputés au budget du Secrétariat Général de la Présidence de la République.

Art.8 - Sont abrogés le décret N° 86/1435 du 3 décembre 1986 portant création du Conseil National de Sécurité et le décret N° 86/1436 du 3 décembre 1986 portant création d'un comité interministériel sur le renseignement.

Art.9 - Le présent décret sera enregistré, puis publié au Journal Officiel en français et en anglais.

Yaoundé, le 08 JAN 2009

Le Président de la République, (é) Paul BIYA

TABLE DES MATIERES

146

DEDICACE i

REMERCIEMENTS ii

ABREVIATIONS, ACRONYMES ET SIGLES iii

LISTE DES CARTES, TABLEAUX ET ANNEXES v

RESUME i

ABSTRACT viii

SOMMAIRE ix

INTRODUCTION GENERALE 1

CHAPITRE PRELIMINAIRE : LE CADRE THEORIQUE 19

Section 1 : L'apport des modèles explicatifs d'ALLISON 20

Paragraphe 1 : L'approche de l'acteur rationnel 20

A. Les caractéristiques du modèle 20

B. Les propositions générales de l'approche 21

Paragraphe 2 : L'approche bureaucratique 22

A. Les particularités de l'approche 22

B. Les suggestions générales du modèle III 23

Section 2 : Le cadre conceptuel de ROSENAU 24

Paragraphe 1 : Les variables non cognitives 25

A. Les variables gouvernementales et de rôle 25

B. Les variables sociétales et systémiques 26

Paragraphe 2 : Les variables cognitives 27

A. La variable idiosyncratique 27

B. La combinaison de la variable idiosyncratique et du code opérationnel d'Alexander

GEORGE 28

CONCLUSION DU CHAPITRE PRELIMINAIRE 29

PREMIERE PARTIE : L'APPLICATION DU MODELE DE L'ACTEUR RATIONNEL A LA

PRISE DE DECISION DU CAMEROUN 30
CHAPITRE I : LES DESSEINS DU CAMEROUN FACE AUX CONVOITISES NIGERIANES

ET LES SOLUTIONS NON JUDICIAIRES ENVISAGEES 32

Section 1 : L'exposé du problème et de l'objectif du Cameroun 32

Paragraphe 1 : Les convoitises nigérianes sur la péninsule de Bakassi 32

A. Les potentialités de la péninsule de Bakassi 33

B. L'occupation nigériane de la péninsule et les tentatives de règlement diplomatique 34

1. La présence nigériane en territoire camerounais 34

2. Les efforts de règlement diplomatique du conflit 35

Paragraphe 2 : Le respect de l'intégrité territoriale du Cameroun 37

A. La reconnaissance de la « camerounité » de Bakassi 37

B. Le retrait des forces armées nigérianes de la péninsule 38

Section 2 : Les options non judiciaires soumises au Cameroun 39

Paragraphe 1 : La poursuite de la voie diplomatique 39

A. Les mérites du règlement diplomatique 39

B. Les limites de la voie diplomatique 41

Paragraphe 2 : Le règlement militaire 44

A. Une solution envisageable 44

147

148

B. Une option coûteuse et indésirable 45

1. Les coûts de la guerre 45

2. La perception du rapport de force 46

CHAPITRE II : LES ENJEUX DU RECOURS AU REGLEMENT JUDICIAIRE 50

Section 1 : Les risques du recours au règlement judiciaire 50

Paragraphe 1 : L'incertitude sur l'issue et l'exécution du jugement 50

A. Un choix à l'issue incertaine 51

B. L'absence de certitude sur l'exécution du jugement 52
Paragraphe 2 : Le traumatisme de la première expérience devant la C.I.J : l'affaire du

Cameroun Septentrional 53

A. L'affaire en question 54

B. L'incidence de l'affaire 56

Section 2 : Les atouts de la voie judiciaire 57

Paragraphe 1 : L'existence de conditions favorables 57

A. La souscription nigériane à la clause facultative de juridiction obligatoire 58

B. La pertinence des arguments juridiques du Cameroun 58

Paragraphe 2 : L'effectivité et l'autorité des jugements de la Cour 61

A. L'assurance d'un jugement objectif et définitif 62

B. L'autorité de la Cour 63

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE 65

DEUXIEME PARTIE : L'ANALYSE DU RECOURS AU REGLEMENT JUDICIAIRE SELON

LES VARIABLES EXPLICATIVES DE ROSENAU 66

CHAPITRE III - L'INFLUENCE DES ACTEURS INSTITUTIONNELS 68

Section 1 : Les variables gouvernementales et de rôle 69

Paragraphe 1 : L'apport des institutions administratives 69

A. Les institutions intéressées 69

1. La position du Ministère des Relations Extérieures 69

2. L'avis du Ministère de la Défense 70

3. La position du Secrétariat Général de PRESICAM 71

B. Les concertations entre institutions 72

Paragraphe 2 : La variable de rôle 74

A. Le rôle des fonctionnaires des Ministères intéressés 74

B. Le rôle des fonctionnaires de SG/PRESICAM 76

Section 2 : La variable idiosyncratique 77

Paragraphe 1 : L'idiosyncrasie du Chef de l'Etat 78

A. L'expérience accumulée 78

1. La formation reçue 78

2. La carrière administrative 79

B. Le code opérationnel du Chef de l'Etat 80

1. Les croyances philosophiques 80

2. Les croyances instrumentales 82
Paragraphe 2 : L'impact du système de croyances du Chef de l'Etat sur la prise de

décision 85

A. La persévérance dans la voie du pacifisme 85

B. La prudence pragmatique 86

CHAPITRE IV - LE RÔLE DES VARIABLES SOCIOLOGIQUES 88

Section 1 : Les variables sociétales 88

Paragraphe 1 : La culture et l'opinion publique nationales 88

A. L'influence de la culture nationale 88

B. L'inclination de l'opinion publique camerounaise pour le règlement

pacifique 90

Paragraphe 2 : Le contexte socio-économique et politique 92

A. La conjoncture socio-économique et politique 92

1. Une situation socio-économique délicate 93

2. Une situation politique fragile 94

B. L'impératif du développement 96

Section 2 : Les variables systémiques 98

Paragraphe 1 : Le caractère particulier de l'adversaire 99

A. Les exigences d'une paix obligée avec le Nigeria 99

1. Les exigences sécuritaires 100

2. Les exigences historico-culturelles 102

3. Les exigences économiques 103

B. Le rôle de la culture politique nigériane 105

Paragraphe 2 : L'influence des acteurs internationaux 107

A. Le rôle des acteurs étatiques 107

1. L'influence française 108

2. La position des autres Etats 110

B. Les recommandations des O.I. 111

1. Le rôle de l'ONU 111

2. Les Organisations Intergouvernementales africaines intéressées 112

3. La position de l'Union Européenne 112

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE 113

CONCLUSION GENERALE 114

BIBLIOGRAPHIE 118

ANNEXES ..129

TABLE DES MATIERES 146






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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand