L'évolution des politiques agricoles et leur incidence sur l'économie et le développement rural au Cameroun (1960-2014).( Télécharger le fichier original )par ARSENE GUY DAVY MEBA UNIVERSITE DE YAOUNDE I, ENS YAOUNDE - DIPPES II 2014 |
B. Evaluation des politiques agricoles sous économie administréeIl s'impose à ce niveau de faire un break et d'évaluer les effets des politiques agricoles pendant l'économie administrée et la situation du paysan. 1. Politiques agricoles et croissance économique pendant les vingt glorieuses (1960-1980) Dans les années soixante, l'économie camerounaise profita de la stabilité des cours mondiaux de ses biens d'exportation les plus importants, le café et le cacao. Malgré les problèmes de rendement et de qualité, la production agricole augmenta de façon significative grâce à des extensions de la surface de production. Cela permit la réalisation d'une croissance du PIB de 5,9% par an en moyenne entre 1960 et 1969 (en prix constants de 1980)316(*). Cet accroissement du fut le fait d'une économie exportatrice de matières premières agricoles. Par exemple, alors qu'il exportait 93 600 tonnes de cacao et 48 800 tonnes de café en 1965, le Cameroun en exporte respectivement 110 620 tonnes et 92 460 tonnes en 1975317(*). Tableau n° 6 : Évolution de la part de l'agriculture dans le PIB au Cameroun de 1965 à 1972
Source : Banque Mondiale, World DevelopmentIndicator, 2014 Dans la première moitié des années 70, cette dynamique de croissance se ralentit. Bien que la croissance des recettes d'exportation de café et de cacao se poursuivait, cela ne se répercutait plus sur le PIB, dont la croissance moyenne annuelle en prix constants de 1980 baissa à 4,1% par an (de 1969 à 1976)318(*). La part de l'agriculture dans le PIB stagna autour de 30%. A partir de 1977, la croissance des recettes d'exportation de café et de cacao s'affaiblit et devint même négative dans les années 80. C'est l'exploitation de pétrole débutant en 1977 qui fut à l'origine de la croissance économique de cette période. La part de l'agriculture dans le PIB stagna autour de 30% (tableau n°7). Pendant la période de l'économie administrée, les produits agricoles d'exportation représentaient plus de 50% de la valeur des exportations du pays (tableau n°8). Tableau n° 7 : Évolution de la part de l'agriculture dans le PIB au Cameroun de 1965 à 1980
Source : WDCI 2014 Tableau n°8: contribution de l'agriculture à la croissance du PIB de 1966 à 1985
Source : Banque Mondiale (WDI, 2014) Graphique 2: évolution du rendement des cultures d'exportation Source : FAOSTAT 2. Un bilan mitigé Le bilan de actions menées par l'Etat révéla que : malgré l'effort de développement de la recherche agronomique, les acquis sont restés inaccessibles aux paysan du fait d'une part, du niveau peu développé des liaisons entre la recherche et la vulgarisation ou de leur quasi inexistence dans certains cas ; d'autre part, de l'inadaptation des thèmes de recherche aux besoins réels des petits producteurs. Les actions menées par l'Etat témoignaient certes d'une volonté politique affirmée de consolider l'agriculture comme moteur essentiel, mais les résultats furent peu insuffisants.Le constat qui peut être fait est que la bonne tenue des cours des produits de base n'a pas toujours profité au secteur agricole : les paysans enregistrèrent au cours des vingt glorieuses une dégradation continue de leur capital social319(*) du fait d'une activité agricole dans laquelle les fonctionnaires se trouvent à l'amont et à l'aval des décisions et des axes stratégiques. Ce capital remplissait néanmoins une double fonction. D'une part, il servait de soupape sécuritaire aux chefs de ménages en termes d'assurance, de retraite, de rente annuelle, et permettait d'autre part de financer la scolarisation des enfants ainsi que les soins primaires320(*). La volonté de s'appuyer sur la paysannerie pour développer les productions destinées au marché intérieur ne s'est pas traduite par l'accroissement des moyens mis à sa disposition. La révolution verte lancée en fanfare en 1973 n'a pas réussi sa percée comme prévu : le taux d'exode rural s'est en fait accéléré : 16% de la population vivaient dans les centres urbains aux alentours de 1970, 34% en 1980321(*). Bien que l'agriculture soit le moteur économique pendant cette période, on distingue toujours un secteur rural défavorisé, fortement enclavé et vivant pratiquement dans des conditions de pauvreté totale322(*). Malgré le maintient de l'autosuffisance alimentaire et une évolution favorable de la production agricole,le constat qui s'impose est que les performances de ce secteur ont connu une évolution mitigée et les potentialités de production sont restées insatisfaisantes (graphique 3 et 4) pour un pays comme le Cameroun. Graphique 3: evolution des principales cultures d'exportation de 1960 à 1980 en tonne Graphique n° 4: evolution des principales cultures vivrières en tonne de 1960 à 1980 Source : FAOSTAT
Source : FAOSTAT L'impact du programme de mécanisation agricole reste marginal et 85,3% des agriculteurs continuent d'utiliser uniquement l'énergie humaine dans la production agricole contre 12,9% utilisant la traction animale et 1,8% pour les tracteurs.Les sociétés de développement créées pour encadrer les producteurs sont devenues pour la plupart des gouffres financiers pour les subventions publiques sans résultats probants.Les coopératives mises en place ont de piètres performances en raison de l'interventionnisme poussé des pouvoirs publics et de la mauvaise gestion des bureaucrates dirigeants. Notons de même que le système de commercialisation des produits d'exportation comporte beaucoup d'intermédiaires ; ce qui entraîne des coûts de commercialisation élevés. Le secteur rural est toujours miné par une précarité totale malgré l'émergence de grands cultivateurs de cacao, ce produit étant vendu uniquement entre le mois de septembre et octobre. Tout le long de l'année, le paysan est ainsi quasiment abandonner à lui-même et se livre à une économie de subsistance ou d'autocosommation. Ainsi, bien que le secteur agricole ait bénéficié du cinquième environ des investissements publics du pays et de l'interventionnisme pendant la période des vingt glorieuses, le succès des stratégies successives est reste mitigé et la condition du paysan du paysan reste à déplorer. Les gains du secteur agricole ont plutôt servit dans d'autres domaines que le secteur rurale qui renferme les ¾ des producteurs agricoles. Cette situation s'empire avec l'avènement de la crise des années 80 qui amène le gouvernement à revoir sa politique économique * 316 M. Fark-Grüninger, «La transition économique à l'ouest du Cameroun», p.83. * 317 G. H. FongangFouepe, «Les mutations du secteur agricole bamiléké», p.87. * 318 M. Fark-Grüninger «La transition économique à l'ouest du Cameroun», p.84. * 319 P. Dessouanne, P. Verre, «Cameroun : du Développement Autocentré au National Libéralisme», Politique Africaine, n° 22, 1986, pp.120-137. * 320 Entretient avec C. Ondo Eyi, 42 ans, Conseiller d'orientation au lycée de Banganté, le 14 Aout 2013 * 321 J.-C. William, «Cameroun : les avatars d`un libéralisme planifié» politique Africaine, n° 18, 1985, pp 44-70 * 322Anonyme, 65 ans, Ingénieur agronome à la retraite, Yaoundé, le 12 juin 2013. |
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