C.3 -- Les vêtements des peintres italiens.
L'influence de Raphaël et de Botticelli montre bien
l'intérêt de la couturière pour l'Italie et ses motifs
renaissants. Elle visite aussi la ville de Venise, comme en rend compte cette
photographie non datée où la couturière est sur la place
Saint-Marc (ill. 6). Au vu de son goût pour les arts et les
musées, la créatrice a certainement dû observer les oeuvres
des grands maîtres vénitiens comme Titien lors de ce voyage. En
outre, la couturière a de nombreux ouvrages d'art contenant des gravures
des maîtres italiens ainsi que des monographies des artistes comme
Michel-Ange, Tintoret, Titien ou Véronèse270. La
couturière a aussi pu observer ses oeuvres italiennes lors d'une
exposition tenue au Petit Palais à Paris, en 1935 : « Exposition de
l'art italien de Cimabue à Tiepolo ». Lors, de cette exposition de
nombreuses oeuvres sont présentes dont celles de Botticelli, Fra
Angelico, Guido Reni, Raphaël, ou encore Primatice. Les oeuvres de
Botticelli présentes sont : La Madone à la grenade, La Vierge
l'Enfant Jésus et saint Jean, La Naissance de Vénus. En ce
qui concerne Raphaël, l'exposition rassemble des oeuvres comme : Le
Mariage de la Vierge, La Muta, Un miracle de saint Jérôme, La
Donna Velata. Enfin, les oeuvres de Fra Angelico présentes sont :
L'Annonciation et l'Adoration des Mages, La Naissance de
Saint-Jean-Baptiste, La Vierge et l'Enfant, avec
269 Art Goût Beauté, n97, Septembre 1928.
GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 27.
270 Propos Laure Harivel. Responsable du Patrimoine Lanvin.
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anges et saints, La Descente de Croix, Le Couronnement de
la Vierge et le Martyre de saint Cosme et de saint
Damien271. Jeanne Lanvin s'inspire d'autres artistes italiens
moins connus comme Sandi di Tito. Il réalise au XVIème
siècle, un portrait de Catherine de Médicis, alors reine de
France272 (ill. 38). Sur ce portrait, le peintre présente la
reine dans une longue robe noire sûrement en velours avec un
décolleté rectangulaire et des manches bouffantes marquant les
épaules. La tenue est décorée d'une ceinture dorée.
Jeanne Lanvin réalise en 1926, une robe ressemblant à la tenue
peinte. En effet, il s'agit d'une robe en taffetas de soie noire avec le
même décolleté. La coupe est identique, aussi
cintrée sur le haut du corps et bouffant sur le bas. La robe
réalisée par la couturière semble plus courte que celle
peinte par Sandi di Tito. Néanmoins, le point de ressemblance est
dû aux épaules bouffantes avec un décor ivoire. L'oeuvre
est conservée aux Galeries des Offices à Florence, il est
envisageable que Jeanne Lanvin ait pu l'observer lors de sa visite dans la
ville.
Ce goût pour les motifs italiens est aussi dû au
mouvement artistique des préraphaélites dans la deuxième
moitié du XIXème siècle. C'est un mouvement qui
rappelle les débuts de la Renaissance et fait réapparaître
des images de cette époque. Ce style marque les esprits à la fin
du XIXème siècle et au début du
XXème siècle. Jeanne Lanvin a très certainement
vu des oeuvres préraphaélites dans sa jeunesse ou plus tard, lui
confirmant son goût pour les oeuvres italiennes et leurs couleurs. De
manière générale, il est indéniable que la
couturière soit influencée par de nombreux mouvements picturaux
pour créer ses collections. Cette influence picturale est
remarquée à l'époque par la presse :
« Les demoiselles d'honneur qui porteront ces robes et
l'élite des jeunes et jolies femmes qui se sont inlassablement
vouées au « style » nous feront rêver tour à tour
de Winterhalter, des Infantes de Velasquez et des Vénitiennes de Longhi,
tout en demeurant Ð par le miracle de Lanvin Ñ de fines silhouettes
bien modernes »273.
À cette époque, Jeanne Lanvin est «
l'incarnation de l'inspiration picturale en France »274. En
effet, aucun couturier ne s'inspire autant de mouvements picturaux anciens ou
modernes. La couturière faisant référence aux arts
plastiques dans le nom de ses modèles, les coupes de ses
vêtements, les broderies, les couleurs. Cependant, ce n'est jamais une
copie stricte des arts qu'elle propose, mais une réinterprétation
de ceux-ci, souvent d'une grande modernité. La couturière
s'inspire aussi bien des arts italiens, de l'Art déco comme de l'art
271 RICCI, Seymour de (dir.), Exposition de l'art italien
de Cimabue à Tiepolo, Cat. Expo, (Petit Palais), Paris, Petit
Palais, 1935.
272 Sandi di Tito, Portrait de Catherine de
Médicis, vers 1585, dimensions inconnues, Galerie des Offices,
Florence.
273 « Lanvin », La Gazette du Bon Ton, Paris,
1925, supplément au n°7, P.54. PICON, Jérôme, Op.
Cit., p. 171.
274 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 171.
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oriental. À la différence de l'Art déco
où elle s'inspire des motifs, Jeanne Lanvin puise dans les
vêtements portés par les personnages de la peinture italienne. De
toutes ses inspirations se dégage un style, une unité entre
1918-1935. Finalement, une influence se dégage des créations de
Jeanne Lanvin, celle de l'artiste italien Fra Angelico.
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