Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne
UFR03 Histoire de l'art et archéologie Mémoire
de Master 1 : Recherche Spécialités : Histoire de
l'art 2014-2015 1ère Session
Dossier de recherche présenté par
: BROSSEAU Clémentine
N° 11427215
« Je vais chercher au loin des sources
d'inspiration pour procurer des aliments toujours nouveaux à mon
imagination » : les collections « Femmes » de Jeanne
Lanvin 1909-1946.
TOME I
Dossier de recherche dirigé par Pascal
Rousseau
Maître de conférences à l'Université
Paris 1 Panthéon--Sorbonne (HicSA/CPC°)
2
Brosseau Clémentine
91 Avenue du Maréchal Maunoury - 41000 BLOIS 06 85
69 46 98
clementine.brosseau@hotmail.fr
3
Tables des Matières
Avertissements. 4
Avant Propos & Remerciements. 5
Introduction. 7
I - La culture artistique comme moteur de
création. 20
A -- Jeanne Lanvin, fondatrice de sa maison de Haute
Couture. 20
A.1 -- La maison Lanvin, symbole de la Haute Couture
Française. 20
A.2 -- L'expérience de la décoration. 22
A.3 -- La création sans dessins. 25
B -- Les origines de ses inspirations. 27
B.1 -- Une couturière « historienne ». 27
B.2 -- Le goût des voyages. 30
B.3 -- Sa bibliothèque, un lieu de création et
d'inspirations. 33
C -- Le milieu artistique et intellectuel du début
du XXème siècle. 35
C.1 -- Les personnalités artistiques dans son entourage.
35
C.2 -- Ses collaborations avec le théâtre. 37
C.3 -- Une collection personnelle d'oeuvres d'art. 38
II -- Lanvin et les arts plastiques. 42
A -- Ses inspirations contemporaines pour ses
modèles. 42
A.1 -- L'inspiration par sa propre collection d'oeuvres d'art.
42
A.2 -- Pablo Picasso et Henri Matisse dans les modèles de
Jeanne Lanvin. 45
A.3 -- L'art déco, une source d'inspiration pour la Haute
Couture des années 1920. 47
B -- La couleur et les broderies 51
B.1 -- Le mariage des couleurs et leurs origines artistiques
51
B.2 -- La broderie, l'ultime détail des modèles
Lanvin. 54
B.3 -- L'exotisme dans les broderies. 57
C -- Une réinterprétation des
vêtements du Quatroccento. 60
C.1 -- Les lignes fluides de Sandro Botticelli. 60
C.2 -- Les décolletés de Raphaël. 63
C.3 -- Les vêtements des peintres italiens. 65
III -- « Le peintre des anges » et Jeanne
Lanvin. 68
A -- Le « bleu Lanvin ». 68
A.1 -- Un bleu devenu le symbole de la maison Lanvin. 68
A.2 -- Naissance du « bleu Lanvin ». 70
A.3 -- Des modèles aux différentes nuances de bleu.
73
B -- La peinture de Fra Angelico dans les modèles
Lanvin. 75
B.1 -- Fra Angelico, la découverte de sa peinture et
l'utilisation de son bleu. 75
B.2 -- Modernisation des tuniques de Fra Angelico. 79
B.3 -- Analogie entre le Couronnement de la Vierge et la
robe Diva. 81
C -- Le doré et les anges. 84
C.1 -- Le doré chez Fra Angelico et Jeanne Lanvin. 84
C.2 -- Les anges vus par Fra Angelico et Jeanne Lanvin. 86
Conclusion. 90
Bibliographie. 96
Index 103
4
Avertissements.
1) Lors que nous décrirons un modèle, nous
partirons de l'allure générale pour aller aux détails, en
nous basant sur les photos pour le sens.
2) Pour le choix des modèles, nous avons
préféré des représentations en couleurs et sans
mannequin dans les cas possibles.
3) Si un modèle n'est pas représenté en
annexes, c'est que la représentation n'est pas disponible ou
inexistante.
4) Quand nous parlerons du Fond Forney, il s'agira d'un fond
rassemblant des images de Jeanne Lanvin, non-référencées,
disponible à la bibliothèque Forney.
5) La liste des ouvrages de Jeanne Lanvin n'étant pas
diffusable, seuls les ouvrages cités par Jérôme Picon
figurent dans cette étude.
5
Avant Propos & Remerciements.
J'ai toujours apprécié la mode et l'histoire de
la Haute Couture, vouant parfois un culte à certains créateurs.
Mais l'idée de travailler sur la mode et ses créateurs m'est
devenu une évidence, et une nécessité depuis maintenant
deux ans. À l'avenir, je souhaiterais devenir historienne de la mode.
Ma plus grande aspiration serait de faire reconnaître la
Haute Couture comme un art à part entière, au même titre
que le mobilier ou même l'architecture. Cette vision de la mode m'a
parfois valu des débats houleux avec les gens rabaissant les
créations vestimentaires à une simple utilité pratique ou
pensant que leur style vestimentaire n'est pas guidé par les grands noms
de la Haute Couture, ce qui est à mes yeux totalement faux.
À mes yeux, rédiger cette étude sur la
fondatrice de la plus ancienne maison de Haute Couture fut un honneur. Je ne
connaissais finalement que peu de choses sur Jeanne Lanvin et je suis ravi d'en
avoir autant appris. J'espère ainsi pouvoir apporter une contribution -
si légère soit-elle - à d'éventuels travaux sur le
sujet.
Au début de mes recherches, j'ai découvert que
la couturière s'était inspirée de Fra Angelico pour son
« bleu Lanvin ». L'idée du sujet de cette étude est
partie de cette constatation. J'ai voulu savoir de quelle oeuvre la
couturière s'était inspirée et si elle l'avait vu en
Italie ou en reproduction ? Ensuite, j'ai voulu connaître si la
couturière avait d'autres sources d'inspirations artistiques, et si oui
lesquelles ? J'ai rapidement découvert que les inspirations artistiques
de Jeanne Lanvin étaient nombreuses. Mais j'ai dû trouver les
modèles qui traduisaient ses inspirations, les auteurs n'indiquant
parfois aucun modèle. Cependant, j'ai aussi parfois fait le travail
inverse. Je déduisais une source d'inspiration à partir d'un
modèle, comme avec la robe Arabesque qui s'inspirait d'Henri
Matisse et dont j'ai dû retrouver le tableau. J'ai aussi quelques fois
nuancé les propos de certains auteurs sur des inspirations plastiques,
comme celles de Botticelli sur les modèles de Jeanne Lanvin.
J'aurais aimé encore plus approfondir mon travail en
observant plus de modèles, et en ayant un meilleur accès aux
ouvrages d'art de Jeanne Lanvin. Cependant, je me suis confrontée
à certaines limites le manque dont le manque de représentations
pour les modèles ou leur difficulté d'accessibilité. Mais
ce travail m'a conforté dans mon désir de continuer dans la
recherche dans les années futures.
6
La réalisation de ce mémoire n'aurait pas
été rendue possible sans le soutien de certaines personnes.
Aussi, je souhaite exprimer ma gratitude à toutes les personnes qui
m'ont aidé et conseillé à la réalisation de ce
mémoire.
Tout d'abord, mon directeur de recherche Pascal Rousseau,
maître de conférence à l'Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne, d'avoir accepté de diriger ce mémoire,
d'avoir cru en cette recherche et de m'avoir donné la possibilité
d'étudier sur ce milieu, la Haute Couture que j'affectionne. Je suis
reconnaissant de ses conseils, et de son soutien face à certaines
limites que j'ai connu.
Je souhaite aussi remercier Sophie Grossiord, commissaire de
l'exposition « Jeanne Lanvin » au Palais Galliera, pour m'avoir
guidée dans mes recherches dès le début de ce
mémoire et de m'avoir apporté le plus d'informations possibles.
Je souhaite aussi remercier Christian Gros de m'avoir accordé son temps
si précieux, pour rechercher des modèles ou me donner des
éléments manquants, et toujours dans les délais les plus
rapides. Pour cela, je le remercie vivement.
Je remercie aussi la maison Lanvin et sa chargée du
patrimoine Laure Harivel de m'avoir accordé l'accès au bureau de
Jeanne Lanvin, ainsi qu'à de nombreux croquis ou photographies.
Puis, je remercie la bibliothèque Forney et son
personnel de m'avoir aidé à consulter l'étendue de leur
fond Lanvin.
Plus personnellement, je souhaiterais remercier mes parents
pour leur soutien infaillible et d'avoir toujours cru en mes capacités.
Puis mon frère Corentin, lui aussi historien de l'art, d'avoir toujours
su me guider, me corriger, me soutenir et m'aider, et ce depuis ma
première année de faculté, je lui en saurais toujours
reconnaissante. Je remercie aussi mes relectrices situées aux quatre
coins du monde : Léa Herlet, Louise Mazoué et Lucia
Osorio-Brechelière. De manière générale mes amis
d'avoir toujours su trouver les mots pour m'encourager. Pour finir, je remercie
Cédric Rodien de m'avoir offert tous ces moments où le
mémoire n'était plus la priorité.
7
Introduction.
Jeanne Lanvin est l'une des couturières les plus
connues du début du XXème siècle. D'origine
bretonne, elle vient au monde en 18671. C'est l'aînée
d'une famille de onze enfants2. Elle naît dans une famille aux
revenus modestes, fréquemment aidée sur le plan financier par
l'écrivain Victor Hugo (1802-1885), un proche du grand-père
Jacques Firmin Lanvin. Dans ce contexte difficile, Jeanne est rapidement
obligée de travailler, elle devient alors modiste à l'âge
de treize ans, suivant des formations dans différentes maisons de Haute
Couture comme la maison Félix ou Cordeau & Laugaudin jusqu'en 1885
où elle s'établit à son compte. Jeanne Lanvin se marie en
1896 avec Emilio di Pietro et ils ont une fille, Marguerite en 1897. La
couturière ouvre une maison de Haute Couture en 1889 consacrée
à la création de vêtements pour enfants, et ouvre en 1909
un département « Femme ». Par la suite, la maison Lanvin ouvre
d'autres départements, dont un « Homme » et un « Sport
»3.
La fin du XIXème siècle et le
début du XXème siècle marquent les
prémices de la Haute Couture Française, dans toute son
élégance avec ses tissus rares et précieux. C'est une
période qui voit apparaitre la création de nombreuses maisons de
Haute Couture Française ainsi que des mutations vestimentaires
importantes, telles que l'arrivée du pantalon pour les femmes, mais
aussi des tenues plus confortables, ou des jupes plus courtes qu'auparavant.
Les femmes de ce nouveau siècle sont de plus en plus actives, leurs
tenues doivent être plus adaptées à leur quotidien et donc
plus confortables4. Le marché de la Haute Couture
connaît une révolution suite aux nouveaux modes de consommation et
de dépenses, permise par le progrès industriel qui amène
des productions en série et des innovations dans le système de
vente5.
De 1900 à la fin de la Première Guerre mondiale,
durant cette période appelée la « Belle époque
», le milieu de la mode est dominé par des maisons de Haute Couture
comme Worth ou Doucet. Charles-Frédéric Worth (1825-1895) peut
être désigné comme le pionnier de la Haute Couture
française6. Il crée des robes encore traditionnelles
marquant la fin du XIXème siècle. Jacques Doucet
(1853-1929) crée des tenues appréciées par les
comédiennes, usant de matériaux délicats et de tons
pastel. Les vêtements de cette décennie sont composés de
lignes
1 MERCERON, Dean L., Lanvin, Paris,
Éditions de la Martinière, 2007, p. 366.
2 PICON, Jérôme, Jeanne Lanvin,
Paris, Flammarion, 2002, p. 26.
3 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 366.
4 DESLANDRES, Yvonne ; MLLER, Florence,
Histoire de la mode au XXème siècle, Paris, Somogy,
1986, p. 39.
5 Ibid., p. 56.
6 Ibid., p. 42.
8
souples mettant la dentelle à l'honneur. De
manière générale, au début du
XXème siècle, la silhouette féminine perd de
l'ampleur7. Les robes se raccourcissent, coïncidant avec
l'indépendance récemment conquise par les femmes pendant la
guerre. L'un des couturiers les plus importants de cette nouvelle image de la
femme et de son style est Paul Poiret8. En effet, c'est le couturier
qui libère les femmes du corset en créant des robes droites. Le
début du XXème siècle reconnaît aussi
l'illustration de mode comme une forme d'art, grâce à Paul Poiret
(1879-1944), qui demande au décortateur Paul Iribe (1883-1935)
d'illustrer ses modèles pour un opuscule de promotion, Les robes de
Paul Poiret en 19089 (ill. 1).
Les années 1920 sont caractérisées par
des petites robes droites et plates sans aucun volume, nommées «
robes tubulaires »10. En effet, les années 1920
connaissent deux tendances : d'une part une continuation du classicisme
d'avant-guerre et de l'autre l'émergence « des années folles
» amenées par les artistes et les intellectuels. Les femmes de ces
années frivoles portent des robes plus courtes couvrant parfois à
peine le genou, et aspirent à une émancipation sociale. Elles ne
souhaitent plus retrouver la mode contraignante d'avant-guerre, et font preuve
d'un goût nouveau pour la sobriété11. Les
créateurs montants sont alors Jean Patou (1887-1936), Edward Molyneux
(1891-1974) et Gabrielle Chanel (1883-1971) 12 . La
couturière Gabrielle Chanel innove dans le secteur de la mode en
proposant des ensembles en jersey ou en tweed qui révolutionnent le
mouvement des femmes dans leurs vêtements. Elle lance aussi les pulls
over pour femmes ou encore la petite robe noire ; des vêtements simples
et élégants dans une époque où les tenues sont
souvent richement décorées. Ainsi, le style Chanel est
régulièrement associé à des vêtements dits
« pauvres »13. Il est rapidement décrié par
des couturiers plus classiques comme Paul Poiret, qui cite à son propos
: « Jadis, les femmes étaient architecturales comme des proues de
navires... Maintenant, elles ressemblent à de petits
télégraphistes sous-alimentés »14.
Les années 1930 sont le point culminant de l'industrie
de la confection15. Malgré le contexte économique
difficile avec la crise de 1929, le secteur de la Haute Couture est en
expansion, comptant environ quatre-vingts maisons de Haute Couture à
Paris à cette période16. En ce qui
7 Ibid., p. 46.
8 Ibid., p. 100.
9 Ibid., p. 33.
10 GARNIER, Guillaume, Op. Cit., p. 9.
11 DESLANDRES, Yvonne ; MLLER, Florence, Op.
Cit., p. 122.
12 Ibid., p. 120.
13 GARNIER, Guillaume, Op. Cit., p. 27.
14 Ibid.
15 Ibid., p. 9.
16 Ibid.
9
concerne les vêtements, les années 1930 sont
marquées par un rallongement de la robe, amorcé en 1928 par
l'anglais Norman Hartnell (1901-1979) et adopté en France en 1929 par
Lucien Lelong17. C'est le retour de la robe tridimensionnelle,
disparue avec les robes tubulaires des années 1920. Les couturiers
apportent alors du volume dans leurs vêtements, dans le but de modeler le
corps18. De plus, les années 1930 sont une période de
prédilection pour les combinaisons graphiques19. Ces
décors exigent une grande maîtrise technique. Tous les couturiers
de cette période utilisent ces combinaisons de motifs, mais le couturier
Cristóbal Balenciaga (1895-1972) est le plus représentatif de ce
courant20. Entre 1929 et 1939, la ville de Paris est la capitale de
la mode, et une capitale cosmopolite21. En effet, c'est là
que plusieurs créateurs d'origines étrangères souhaitent
s'installer et inaugurer leur entreprise dans la capitale parisienne. Les
nationalités les plus présentes sont les nationalités
russes, anglaises, américaines et allemandes22.
La Seconde Guerre mondiale a un fort impact sur les
vêtements et les accessoires des femmes. La mode connaît rapidement
une influence militaire avec l'apparition de tailleurs, une multiplication des
poches, des calots et l'utilisation plus importante de couleurs comme le bleu
militaire ou le kaki23. À cette époque, on
privilégie l'option d'une mode utilitaire. Parallèlement, «
l'élégance à la française » fait tout pour
perdurer et la création de robes de jour et du soir continue,
persévérant dans l'idée d'un « devoir
d'élégance » à entretenir24. Malgré
tout, même ces robes de créateurs sont marquées par des
préoccupations utilitaires, les vêtements se doivent d'être
plus chauds et d'être adaptés aux nouveaux moyens de transport
utilisés, telles que la bicyclette. Les couturiers doivent eux aussi
faire face au rationnement des Allemands pour de nombreux matériaux
comme la laine ou le cuir ou à des métrages de tissus plus
stricts.
La première partie du XXème
siècle est souvent considérée comme « l'âge
d'or » de la Haute Couture française, avec la création de
nombreuses maisons, l'utilisation de matériaux précieux ou encore
des ateliers d'artisans de grande réputation. Le monde de la Haute
Couture
17 Ibid.
18 Ibid., p. 12.
19 Ibid.
20 Ibid. p. 22.
21 GARNIER, Guillaume, Op. Cit., p. 115.
22 Ibid.
23 « Rencontre avec Marie-Laure Gutton »,
responsable du département accessoire au Palais Galliera de la Mode de
la Ville de Paris. Conférence : « 1940-1945 : les femmes et la mode
pendant la guerre », Fondation Pierre Bergé Yves Saint-Laurent, 5
mai 2015. Vidéo disponible sur le site de la fondation Pierre
Bergé Yves Saint-Laurent.
24 Ibid.
10
à cette période est symbolisé par un
esprit de solidarité et de famille entre les couturiers25.
Ces derniers se rassemblent fréquemment lors d'événements
annuels comme le Bal de la Couture à l'Opéra de Paris ou encore
dans des circonstances plus graves comme le décès de Jean Patou
en 193626. C'est notamment durant cette période que sont
fixées les saisons des défilés, qui sont encore les
mêmes aujourd'hui. C'est après la Première Guerre mondiale
que les couturiers décident de rassembler les défilés lors
de deux semaines, l'une en février et l'autre en juillet, afin de
présenter tous leurs modèles en même temps27. La
première partie du XXème siècle est une
période de savoir-faire inouïe28 et synonyme d'un
passage entre la Haute Couture du XIXème siècle
caractérisée par un certain classicisme et une nouvelle
génération de couturiers au style plus épuré,
concrétisée dans les années 1920-1930.
Jeanne Lanvin tend à se distinguer des autres
créateurs de cette époque pour différentes raisons. Tout
d'abord, par ses broderies d'une grande finition qui deviennent sa marque de
fabrique29. La création d'une couleur symbole de sa maison,
le « bleu Lanvin », participe également à sa
reconnaissance. Ensuite, la couturière établit un style
dès la Première Guerre mondiale, et arrive à se renouveler
jusqu'à la fin de sa vie en 194630. Jeanne Lanvin est une
couturière qui fait la transition entre la fin du
XIXème siècle marquée par le savoir-faire de
ses artisans et une nouvelle génération de couturiers qui se fait
connaître après la Première Guerre mondiale. La
créatrice sait adapter ce savoir-faire et un certain classicisme avec
une modernité absolue, se distinguant ainsi de ses concurrents. Jeanne
Lanvin est respectée par les anciens comme Paul Poiret et êtres
tout à la fois modernes pour une nouvelle génération de
couturiers.
L'historiographie de la couturière Jeanne Lanvin est
peu abondante en comparaison de son rôle dans l'histoire de la mode du
XXème siècle. En effet, jusqu'à sa mort en
1946, la couturière est régulièrement citée dans la
presse présentant l'actualité de la mode parisienne. Des journaux
comme Vogue, Minerva ou la Gazette du Bon Ton
réalisent de nombreux articles sur la couturière. Ils
présentent alors des croquis des dernières collections ou bien
des entretiens avec elle, et ces derniers permettent à Jeanne Lanvin
d'expliquer son processus créatif ainsi que ses sources d'inspirations.
De nombreux articles de l'époque font référence
à
25 GARNIER, Guillaume, Op. Cit., p. 76.
26 Ibid,
27 Ibid., p. 77.
28 Ibid., p. 9.
29 Ibid., p. 34-35.
30 Ibid.
11
sa bibliothèque composée d'ouvrages en tout
genre ainsi qu'à ses textiles, mais aussi à son impressionnante
collection d'oeuvres d'art. Cependant, après la mort de la
créatrice et jusqu'aux années 1970, son nom disparaît peu
à peu des journaux pour différentes raisons. La maison Lanvin est
tout d'abord reprise par d'autres créateurs, dont Antonio Canovas del
Castillo (1908-1984), jusqu'en 1963. Les journalistes ne mentionnent donc plus
Jeanne Lanvin, mais les modèles de Castillo-Lanvin. De plus, de 1963
à 2001 de nombreux autres couturiers se succèdent à la
maison Lanvin : Jules François Crahay (1964-1984), Maryll Lanvin
(1981-1989), Claude Montana (1990-1992), Dominie Morlotti (1993-1996), Ocimae
Versolato (1996-1997) et Cristina Ortiz (1997-2001). Les années 1990
marquent la fin de la Haute Couture pour la maison Lanvin en 1993, qui fait le
choix de se concentrer sur le prêt-à-porter féminin de
luxe, les accessoires et les départements « Homme » et «
Sport »31. Cette succession de couturiers ne voit
émerger aucune figure aussi emblématique que celle de sa
fondatrice, et la maison Lanvin, ainsi que le nom de sa fondatrice, tombent
lentement dans l'oubli.
L'absence de Jeanne Lanvin dans l'historiographie est
également due à une autre raison. En effet, la Haute Couture
n'est pas encore totalement reconnue par les spécialistes de l'art, et
les ouvrages sur la Haute Couture sont encore rares. Cependant, entre les
années 1970 et 1985, quelques livres commencent à paraître
sur le sujet. Ce sont des livres qui regroupent l'histoire de plusieurs
créateurs avec très peu d'analyses détaillées des
modèles. Pendant cette période, les spécialistes analysent
principalement les oeuvres de Gabrielle Chanel en omettant l'importance
d'autres noms de la Haute Couture, tout aussi révolutionnaires.
L'ouvrage de Caroline Rennolds Milbank, Couture : The Great Fashion
Designers, paru en 198532, redonne ses lettres de noblesse
à la maison Lanvin avec notamment une citation : « Of all the
houses in Paris, Lanvin is the oldest and the one that has displayed the most
continuity »33. L'ouvrage établit aussi des
rapprochements entre les créations de Jeanne Lanvin et les arts
plastiques : « Lanvin's sense of color and pattern had its roots in an
active appreciation of the visual arts [É] Throughout her collections,
embroideries appear that are reminiscent of Aztec, Renaissance,
eighteenth-century, Impressionnist or Cubist art »34.
31 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 366.
32 RENNOLDS MILBANK, Caroline, Couture : The Great
Fashion Designers, Paris, Robert Laffont, 1985.
33 Ibid., p. 48. Traduction de l'auteur :
« De toutes les maisons parisiennes, Lanvin est la plus ancienne et celle
qui a affiché le plus de continuité ».
34 Ibid., p. 53. Traduction de l'auteur :
« Le sens Lanvin de la couleur et du motif avait ses racines dans une
appréciation active des arts visuels [É] Tout au long de ses
collections, des broderies apparaissent avec des réminiscences de l'art
aztèque, de la Renaissance, du XVIIIème siècle,
de l'art impressionniste ou du cubisme.
12
À partir de la fin des années 1980 et au cours
des années 1990, les ouvrages sur la thématique de la Haute
Couture se développent, et sont principalement anglophones. Tout
d'abord, on peut citer le Dictionnaire de la mode écrit par
Georgina O'Hara Callan35 qui définit le travail de la
couturière ainsi : « Le savoir-faire de Jeanne Lanvin et sa science
de la broderie permettent de reconnaître immédiatement ses
créations »36. Il existe aussi Le Livre de la Haute
Couture par Mary Vaudoyer37 rappelant la place de Jeanne Lanvin
dans la première partie du XXème siècle, «
À la fin de la Première Guerre mondiale, Jeanne Lanvin est
déjà un couturier très réputé
»38. À cette période, une nouvelle ère
dans la mode se profile avec la création de maisons de Haute Couture
internationales comme Versace ou Dolce & Gabbana. La Haute Couture prend
une nouvelle dimension internationale et commerciale. Dans cette mouvance, la
publication d'ouvrages sur le sujet se développe. Ces derniers
souhaitent retracer l'histoire de la mode du début du
XXème siècle jusqu'aux années 1990. Certains
spécialistes comme Florence Müller s'y attèlent, avec par
exemple, son ouvrage Histoire de la mode au XXème
siècle paru en 198639, qui redonne à Jeanne
Lanvin sa place de couturière primordiale au XXème
siècle :
« [É] Elle conquit dès les premières
années du XXème siècle une des plus
élégantes et des plus fidèles clientèles de Paris.
[É] Elle se fit, dès le début, une
spécialité des entrelacs de passementerie, puis des broderies
pour lesquelles elle forma ses propres ouvrières ; sa maison fut ainsi
l'une des rares à posséder ses ateliers de broderie personnels.
[É] La couturière sut ainsi imposer son propre style, quelques
que fussent les modes et la longueur qu'elles enjoignaient d'adopter. C'est
ainsi qu'elle se spécialisa dans la réalisation de robes que
caractérisaient leur taille basse et leur ample jupe, qui ne
s'arrêtaient qu'à la cheville. [É] »40.
Ces publications des années 1990 démontrent un
regain d'intérêt pour des périodes clés de la mode,
par exemple l'exposition au Palais Galliera en 1987 sur les années
193041. Généralement, les spécialistes publient
des livres s'intéressant majoritairement aux années 1920 et 1930
comme ceux de Madeleine Ginsburg42 qui définit Jeanne Lanvin
en ces termes : « Lanvin s'intéressait à l'art contemporain
et à toutes les tendances de la mode, mais elle était surtout
aimée par sa simplicité pleine de grâce et son romantisme
»43. L'ouvrage de
35 O'HARA CALLAN, Georgina, The Encyclopaedia of
Fashion, Londres, Thames & Hudson, 1986.
36 Ibid., p. 158.
37 VAUDOYER, Mary, Le livre de la Haute
Couture, Neuilly-sur-Seine, V & O Éditions, 1990.
38 Ibid., p. 242.
39 DESLANDRES, Yvonne ; MLLER, Florence,
Histoire de la mode au XXème siècle, Paris,
Somogy, 1986.
40 Ibid., p. 96.
41 GARNIER, Guillaume, Paris Couture-
Années 30, Cat. Expo, (Palais Galliera. Musée de la Mode et
de la Ville de Paris, 7 mai 1987 - 30 septembre 1987, Paris), Paris,
Éditions des musées de la ville de Paris, 1987.
42 GINSBURG, Madeleine, Les années folles
de la mode : 1920/1932, Paris, Édition française : Celiv,
1990.
43 Ibid., p. 64.
13
Jean-Luc Dufresne44, au sujet des femmes
créatrices dans les années 1920, décrivant Jeanne Lanvin
comme un « exemple de réussite spectaculaire »45.
Dans ces ouvrages, le nom de Jeanne Lanvin se fait plus fréquent. Les
auteurs mentionnent ses différents départements (enfants, femme,
homme, sport). Ainsi, l'idée d'un style Lanvin commence à
être évoquée, reconnaissant des caractéristiques qui
lui sont propres. Jusqu'à aujourd'hui, de nombreux ouvrages
généraux citent donc de plus en plus Jeanne Lanvin comme,
étant une créatrice de référence au début du
XXème siècle en France, au même titre que
Gabrielle Chanel, Elsa Schiaparelli ou Madame Grès (1903-1993). Il
s'agit d'ouvrages tels que La Mode du Siècle de François
Baudot46 qui se réfère ainsi au talent de la
couturière : « Outre un métier qu'elle a poussé au
plus haut degré de perfection [É] »47 ou
réussit à définir des caractéristiques qui lui sont
propres :
« [É] Madame Lanvin a su créer un style
original, dénué de révolutions fracassantes. Il
épouse la sensibilité du temps. Développe un raffinement
exceptionnel d'entrelacs en passementerie, de broderies virtuoses, de perlages
aux harmonies florales légères et fraîches. Lanvin s'en est
fait une spécialité »48.
Un autre ouvrage, Le Dictionnaire Universel des
créatrices est écrit en 201349 et définit
la maison Lanvin ainsi : « Elle réussit rapidement à asseoir
la renommée de sa maison, qui devient l'une des plus
réputées de Paris avec la multiplication des lignes : sport,
fourrure, entres autres »50 et rappelant ses créations
modernes : « [É], mais elle se passionne aussi pour la
modernité, créant des robes à la coupe et au décor
audacieux »51.
Au début des années 1980 est découvert le
« trésor Lanvin », une collection de cinq cents modèles
non archivés. La maison Lanvin décide suite à cette
découverte, de créer un service patrimoine, ayant pour objectif
de s'occuper de toutes les créations antérieures de la maison
Lanvin, dont celles de la fondatrice Jeanne Lanvin. Cette découverte
tardive d'autant de modèles explique également la reconnaissance
tout aussi tardive des créations de Jeanne Lanvin après sa mort,
même dans sa maison de Haute Couture.
44 DUFRESNE, Jean-Luc ; MESSAC, Olivier (dir.),
Femmes créatrices années vingt, Paris, Éditions
Arts & Culture, 1988.
45 Ibid., p. 48.
46 BAUDOT, François, Mode du
siècle, Paris, Éditions Assouline, 2006.
47 Ibid., p. 68.
48 Ibid., p. 66.
49 CALLE-GRUBER, Mireille ; DIDIER, Béatrice
; FOUQUE, Antoinette, Le Dictionnaire universel des Créatrices,
Paris, Éditions des femmes, 2013.
50 Ibid., p. 2463.
51 Ibid.
14
La légitimation de Jeanne Lanvin est aussi à
rattacher au musée des Arts décoratifs de Paris, qui
décide en 1985 de réinstaller dans ses salles une restitution
d'une partie de l'appartement de Jeanne Lanvin, dont la chambre et le boudoir,
décorés par Armand-Albert Rateau (18821938). Cette installation
met en lumière la collaboration de la couturière avec le
décorateur. Les années 1990 voient la publication des deux
premières monographies sur la maison Lanvin. La première
monographie est celle d'Élisabeth Barillé en 1997 qui publie dans
la collection Mémoire de la mode un ouvrage portant sur la maison
Lanvin52. Dans un premier temps, le livre aborde de manière
romancée les archives de la maison Lanvin, et ensuite la vie personnelle
de Jeanne Lanvin. Dans le reste des paragraphes, Élisabeth
Barillé traite de la fondation de la maison Lanvin, mais n'aborde que
brièvement le département « décoration ». L'un
des derniers paragraphes évoque le bureau de Jeanne Lanvin comme un lieu
d'enchantement. L'auteur fait pour la première fois un lien entre le
« bleu Lanvin et l'artiste italien Fra Angelico. Elle établit une
chronologie à la fin de son ouvrage, mais ne présente aucune
bibliographie. Bien évidemment, l'ouvrage traite de Jeanne Lanvin, mais
l'analyse n'est pas plus approfondie que dans les ouvrages
généraux, et elle est surtout très romancée. De
plus, le livre est assez concis et rassemble essentiellement des images.
En 1998 apparaît la seconde monographie sur Jeanne
Lanvin. Elle est écrite conjointement par des journalistes
spécialisés dans la mode : Janine Alaux, François Baudot,
Sylvie de Chirée et Patrick Mauriès53. La
particularité de cet ouvrage est qu'une partie est écrite en
français et l'autre en italien. Chaque chapitre est rédigé
dans les deux langues. Il donne une vision générale de l'oeuvre
de Jeanne Lanvin. Dans une première partie, le livre s'intéresse
à la vie personnelle de la couturière. Puis, un chapitre
divisé en trois parties est consacré à ses
créations de modes féminines, les créations de chapeaux et
ses créations de modes masculines. Ensuite, le livre se termine sur deux
chapitres. Le premier traitant des collaborations de la couturière avec
le théâtre et le deuxième traitant du parfum
Arpège. C'est la première monographie sur Jeanne Lanvin
qui offre des rapprochements entre les modèles de la couturière
et les arts plastiques, notamment avec des peintres italiens comme Raphaël
et Botticelli ou les mosaïques byzantines. L'ouvrage est tiré
à peu d'exemplaires et offre de riches photographies, mais il ne
présente aucune note de bas de page ou encore de bibliographie.
52 BARILLÉ, Élisabeth,
Mémoires de la mode : Lanvin, Paris, Éditions Assouline,
1997.
53 ALAUX, Janine (dir.) ; BAUDOT, François ;
CHIRÉE, Sylvie de ; MAURIÈS, Patrick, Jeanne Lanvin,
Milan, Franco Maria Ricci, 1998.
15
La maison Lanvin est reprise en 2001 par le directeur
artistique Alber Elbaz (né en 1961), qui redonne un souffle nouveau et
une couverture médiatique à l'entreprise, dont le temps avait
émoussé les succès et la reconnaissance.
Jérôme Picon publie en 2002, une nouvelle
monographie sur la couturière54. L'ouvrage est le premier
à retracer entièrement la vie de Jeanne Lanvin. Dans cet ouvrage
de quatre cents pages, l'auteur fait découvrir tous les aspects de la
vie de Jeanne Lanvin de manière chronologique. Tout d'abord, il traite
tous les événements de sa vie personnelle dont son enfance, ses
mariages, la naissance de sa fille et leur relation ou encore les achats de ses
maisons. Ensuite, l'auteur démontre l'importance de la maison Lanvin et
de la couturière dans la mode du XXème siècle.
Il explique la place importante de Jeanne Lanvin dans les expositions
universelles ou encore la création de départements, alors
inexistants au XXème siècle comme le
département « Homme » dans la maison Lanvin. L'aspect de la
décoration dans ses intérieurs et ses collaborations avec
Armand-Albert Rateau sont traités. L'ouvrage est particulièrement
référencé en ce qui concerne les modèles
créés par Jeanne Lanvin, et l'auteur propose une courte
description ainsi que le nom de chaque modèle quand cela est possible.
À la fin de l'ouvrage se trouve même un index des modèles
cités dans le livre avec leurs dates, leurs noms et leurs collections.
Cependant, l'ouvrage ne propose que peu de représentations visuelles
illustrant les propos, laissant parfois le spectateur imaginer les
modèles grâce aux descriptions. Dans le chapitre « Aux
sources d'une inspiration », l'auteur évoque les livres, les
étoffes collectionnées et le processus créatif de la
couturière. Jérôme Picon est le seul à fournir
autant d'informations sur la bibliothèque de Jeanne Lanvin, avec la
liste de la plupart de ses ouvrages. Dans un autre chapitre, il évoque
les tableaux de Jeanne Lanvin. Cependant, l'auteur offre très peu de
parallèles entre les modèles de Jeanne Lanvin et les arts
plastiques, analysant seulement un léger rapprochement entre le «
bleu Lanvin » et le peintre Fra Angelico. En définitive,
Jérôme Picon rédige un ouvrage complet, dont l'exactitude
des dates et des événements a grandement servi à la
rédaction de cette étude.
L'historienne de l'art Hélène
Guéné écrit en 2006 un livre sur la collaboration entre le
décorateur Armand-Albert Rateau et Jeanne Lanvin, offrant ainsi une
étude complète sur les rapports de la couturière à
la décoration55. L'ouvrage propose une analyse des
collaborations de Jeanne Lanvin avec le théâtre, et illustre son
ouvrage de rares photographies comme celles des demeures de la
couturière.
54 PICON, Jérôme, Jeanne Lanvin,
Paris, Flammarion, 2002.
55 GUÉNÉ, Hélène,
Décoration et haute couture : Armand Albert Rateau pour Jeanne
Lanvin, Paris, Éditions Les Arts Décoratifs, 2006.
16
Une nouvelle monographie sans précédent est
publiée sur Jeanne Lanvin en 200856. Cet ouvrage écrit
par Dean L. Merceron est réalisé en collaboration avec la maison
Lanvin. Ainsi, c'est l'actuel directeur artistique Alber Elbaz qui en signe la
préface. L'historien de la mode Harold Koda réalise une
sous-partie sur la place de Jeanne Lanvin dans l'histoire de la Haute Couture
au début du XXème siècle. L'ouvrage est
richement illustré avec de nombreuses représentations de
modèles encore inconnus du public, ce qui est rendu possible ici
grâce à la collaboration avec la maison Lanvin. De plus, chaque
modèle de l'ouvrage est accompagné d'une légende proposant
une description et une datation du modèle, malheureusement parfois le
nom des modèles manque dans l'ouvrage, même lorsqu'il s'agit de
pièces au nom connu. Le livre traite les aspects les plus importants de
la carrière de Jeanne Lanvin : ses créations de chapeaux, sa
ligne pour enfants, la robe de style, son lien avec sa fille ou encore
l'importance des détails dans son oeuvre. L'ouvrage de Merceron est le
premier à aborder de manière plus précise les inspirations
de Jeanne Lanvin et surtout leurs impacts sur ses modèles. Tout d'abord,
il insiste sur l'influence des différents voyages effectués par
Jeanne Lanvin sur l'ensemble de son oeuvre, et se retrouve autour du travail
sur les textiles. Il aborde ensuite les inspirations familiales, notamment
celles de sa fille, avant de s'intéresser à l'influence des
vêtements liturgiques. La plupart du temps, il démontre son propos
en juxtaposant deux représentations : la source d'inspiration et le
modèle concerné. La ressemblance est généralement
frappante aux yeux du spectateur. Sans précédent, l'ouvrage est
le premier à offrir des analyses sur la relation entre les
modèles de Jeanne Lanvin et les arts plastiques. Dean L. Merceron
propose plusieurs rapprochements, notamment celui avec Fra Angelico qu'il ne
réduit pas au simple « bleu Lanvin », puisqu'il pousse la
comparaison jusqu'aux motifs des robes du peintre et de la couturière.
L'auteur rédige un chapitre entier sur les relations entre l'Art
déco et les modèles de Jeanne Lanvin. Il met en valeur
également des liens entre les tableaux de Vélasquez et les robes
de la couturière. Au début de l'ouvrage, l'auteur offre de
manière rapide des rapprochements entre les oeuvres
collectionnées par la créatrice et ses modèles, sans pour
autant proposer de comparaisons directes. Grâce à ses
rapprochements inédits entre les arts plastiques et les modèles
de Jeanne Lanvin, l'ouvrage de Merceron est le plus complet à ce jour,
même si l'analyse pourrait encore être approfondie. L'auteur
établit aussi une liste complète des directeurs artistiques
depuis la mort de Jeanne Lanvin. Bien que les photographies d'une grande
qualité aient été utiles pour cette étude, le
manque de précision dans le nom des modèles est regrettable.
L'ouvrage présente un dernier
56 MERCERON, Dean L., Lanvin, Paris,
Éditions de la Martinière, 2007.
17
chapitre sur les oeuvres d'Alber Elbaz, actuel directeur
artistique des collections féminines, mais aucun chapitre sur les
oeuvres de ses prédécesseurs.
En 2008, la famille Polignac, descendante de Jeanne Lanvin,
décide de mettre en vente une partie de sa collection d'oeuvres d'art.
Ces ventes sont rapidement médiatisées, et les
spécialistes et le public découvrent une collection d'oeuvres
d'art riche en peintures de grands maîtres comme Edgar Degas, Auguste
Renoir et Pablo Picasso. Ces ventes aux enchères font l'objet d'une
couverture médiatique relativement importante, avec, notamment, des
articles dans le Figaro et le Figaro Magazine. Ces
découvertes permettent au public de redécouvrir le nom de Jeanne
Lanvin, comme celui d'une couturière de renom et d'une femme
cultivée. Ces catalogues de vente sont précieux, ils permettent
de connaître une partie des oeuvres d'art acquises par Jeanne Lanvin au
cours de sa vie, puisqu'aucune liste complète n'est établie
à ce jour. Malheureusement, ces catalogues de ventes précisent
rarement si ce sont des oeuvres acquises par Jeanne Lanvin ou par la famille
Polignac.
L'année 2014 marque les cent vingt-cinq ans de la
fondation de la maison Lanvin. Cet anniversaire est marqué par la
création d'un site internet de la maison Lanvin, proposant une
chronologie de la vie de Jeanne Lanvin et la description des principales
caractéristiques de son travail avec des croquis de modèles. Le
site propose aussi deux onglets sur les actuels directeurs artistiques, Alber
Elbaz pour la ligne femme et Lucas Ossendrijver (né en 1970) pour la
ligne homme. Cependant, le site ne propose aucune information à propos
des créateurs ayant travaillé entre la mort de Jeanne Lanvin et
les actuels directeurs artistiques, soit une dizaine de créateurs sur
cinquante ans.
Jeanne Lanvin obtient sa consécration avec la
première rétrospective de son travail en 2015. L'exposition est
organisée au Palais Galliera, au musée de la mode et de la Ville
de Paris. Elle se déroule du 8 mars 2015 au 23 août 2015. Cette
exposition est organisée en collaboration avec la maison Lanvin qui
détient la majorité des modèles de la couturière.
Grâce à cette collaboration, c'est le directeur artistique Alber
Elbaz qui aide à la scénographie de l'exposition, et fait le
choix conjointement au Palais Galliera de ne pas organiser l'exposition
chronologiquement, mais par thématique. Ainsi, l'exposition est
divisée en trois grandes parties : l'histoire du logo, le « bleu
Lanvin » et la gamme chromatique, le savoir-faire Lanvin, le noir et le
blanc, la robe de style, les chapeaux et le département enfants, les
broderies, l'exposition de 1925, les inspirations exotiques, l'influence
religieuse et médiévale, le géométrisme, les robes
de mariées et les robes du soir. L'objectif pour Alber Elbaz et Olivier
Saillard, directeur du Palais Galliera, est de marquer le spectateur par la
splendeur des robes de Jeanne Lanvin et non pas de présenter son oeuvre
de manière chronologique.
18
L'exposition connaît une couverture médiatique
importante, son vernissage s'étant fait durant la Semaine de la Mode.
Des grands noms de la mode s'y sont rendus comme Anna Wintour, actuelle
rédactrice en chef du Vogue édition américaine.
Le lancement de l'exposition pendant cette période a permis de mettre en
lumière le défilé d'Alber Elbaz et d'y chercher des
références aux modèles de Jeanne Lanvin. Par
conséquent, bien qu'il s'agisse de la première
rétrospective de Jeanne Lanvin, la présence de l'actuelle maison
Lanvin par la scénographie d'Alber Elbaz est à relever. Le nom de
Jeanne Lanvin n'est pas encore totalement détaché de la direction
actuelle de la maison Lanvin. Le catalogue de l'exposition est principalement
rédigé par les deux commissaires d'exposition : Sophie Grossiord
et Christian Gros57. La participation de spécialistes de
Jeanne Lanvin comme Hélène Guéné et Dean Merceron
est également à relever. Contrairement à l'exposition, le
catalogue est rédigé de manière chronologique, en se
divisant par décennies : les années 1910, 1920 et 1930. Chaque
décennie-chapitres propose des repères chronologiques sur la vie
de Jeanne Lanvin et son entreprise. Chaque période est
présentée selon ses caractéristiques reconnaissables et
appuyées de modèles. De plus, chaque partie propose des focus sur
différents points, il s'agit parfois d'une robe, ou de sa collection
d'oeuvres d'art, ou bien de ses collaborations avec le théâtre ou
de son rôle dans les expositions internationales. La fin du catalogue
d'exposition propose une liste de tous les modèles exposés avec
leur croquis, le nom du modèle, sa date et une description
précise du vêtement. Cette liste est divisée entre les
modèles du Palais Galliera qui en représente la majorité,
et celle des modèles exposés du patrimoine Lanvin. Le catalogue
d'exposition est le premier ouvrage sur Jeanne Lanvin à fournir de
telles descriptions et analyses de ces créations, ainsi que des
représentations des modèles dépouillées de
mannequins. Pour la rédaction de cette étude, ces descriptions et
photographies ont été de bonnes bases de travail, même si
l'exposition n'aborde pas les rapports directs entre l'inspiration des arts
plastiques et les modèles de Jeanne Lanvin. L'exposition conduit
à un certain engouement pour le sujet et inévitablement la
publication d'ouvrages autour de la couturière comme le roman racontant
la vie de Jeanne Lanvin d'Isabelle Mestre, nommé Jeanne Lanvin :
Arpèges, parus comme l'exposition en mars 201558.
L'historiographie sur Jeanne Lanvin et sa maison de couture
nous permet d'établir quelques rapprochements entre les arts plastiques
et les créations de la couturière. Malheureusement,
57 GROSSIORD, Sophie (dir.), Jeanne
Lanvin, Cat. Expo, (Musée de la Mode et du Costume Palais Galliera,
8 mars 2015 Ð 23 août 2015, Paris), Paris, Musée de la Mode et
du Costume Palais Galliera, 2015.
58 MESTRE, Isabelle, Jeanne Lanvin :
Arpèges, Paris, Le Passage Eds, 2015.
19
ces études se limitent souvent à la collection
privée de Jeanne Lanvin ainsi qu'à une comparaison entre le
« bleu Lanvin » et l'art de Fra Angelico. Dans les différents
ouvrages cités, de nombreuses pistes d'inspirations picturales
utilisées par Jeanne Lanvin pour ses modèles sont
mentionnées, mais leur analyse n'est jamais poussée. La mode
à l'époque du XXème siècle offre de
multiples rapprochements avec les arts plastiques. On peut donc naturellement
s'interroger sur de tels liens entre les créations de Jeanne Lanvin et
les arts plastiques. Afin de mieux cerner les limites de cette vaste question,
il nous faut donc nous interroger plus précisément à la
nature des liens, et donc des possibles influences, qui rapprochent les arts
plastiques de l'art de Jeanne Lanvin :
Tout d'abord, quelle place tenaient les arts dans la vie et la
carrière de la couturière ? Jeanne Lanvin s'est-elle
inspirée d'oeuvres picturales ou de motifs décoratifs comme
certains de ses confrères ? Il y a-t-il eu des influences artistiques
plus conséquentes que d'autres dans ses oeuvres ? La couturière
se distingue-t-elle des autres couturiers par ses inspirations ou
s'inscrit-elle dans une lignée de l'époque ?
Le premier axe d'étude se concentrera sur la place des
arts plastiques dans la vie personnelle et professionnelle de la
couturière : son processus créatif, sa collection de livres
(d'art ?) et son implantation dans les différentes sphères
artistiques seront abordés.
Puis, l'étude présentera de manière
détaillée les grandes inspirations plastiques
réinterprétées par Jeanne Lanvin dans ses modèles.
Il sera ainsi question de l'influence de sa propre collection d'art
contemporain dans ses créations, mais aussi de l'impact plus large des
arts plastiques en général dans ses couleurs et ses broderies,
éléments particulièrement centraux du travail de la
couturière. Les maîtres du quattrocento tiendront une
place toute particulière dans cette analyse, avec la
réinterprétation de leurs vêtements féminins.
Enfin, la relation très étroite entre les
créations de Jeanne Lanvin et les oeuvres de Fra Angelico fera l'objet
d'une étude à part entière. Cette dernière partie
de l'étude tentera de s'appuyer sur l'historiographie des analogies
entre les deux artistes tout en essayant de les réactualiser à
travers de nouvelles propositions.
20
I - La culture artistique comme moteur de
création.
A -- Jeanne Lanvin, fondatrice de sa maison de Haute
Couture.
A.1 -- La maison Lanvin, symbole de la Haute Couture
Française.
Jeanne Lanvin est la fondatrice de la plus ancienne maison de
Haute Couture française encore en activité. La maison Lanvin a
fêté ses cent vingt-cinq ans en 2014. En 1880, à seulement
treize ans, elle commence à faire du petit travail chez Madame Bonni
dans sa boutique qui se situe, au trois rue du Faubourg Saint-Honoré
à Paris59. Elle travaille alors comme livreuse et
arpète (nom d'apprenti dans le milieu de la couture). Cette
expérience d'apprentie est un bouleversement pour Jeanne Lanvin. Cette
enfant d'origine modeste découvre un monde fait de frivolités. En
1883, elle change d'entreprise pour rejoindre la maison Félix où
elle devient apprentie-modiste60. Parallèlement, la jeune
couturière entreprend la création de modèles de chapeaux
pour poupées, afin de les revendre à des magasins de
jouets61. Jeanne Lanvin réalise ses premières
créations à son nom. Par la suite, elle change à nouveau
de maisons de couture en travaillant chez Cordeau et Laugaudin, où elle
occupe les postes d'apprêteuse (poste consistant à la
préparation des fils ou des tissus pour les modèles) et de
garnisseuse (poste consistant à garnir la robe d'éléments
qui protège, renforce ou orne le modèle)62. En 1884,
une couturière espagnole lui propose d'aller travailler trois mois en
Espagne. Ce voyage est un échec. La patronne l'exploite et lui demande
de faire passer des tissus à la frontière. Malgré cette
mauvaise aventure, elle décide de réitérer
l'expérience chez Madame Valenti en 1885. Et cette fois-ci, tout se
déroule correctement. Elle y retourne même en 1886 et se lie
d'amitié avec Madame Valenti. En 1885, Jeanne Lanvin est au sommet de la
hiérarchie en tant qu'employée chez Cordeau et Laugaudin et ses
créations pour poupées rencontrent un certain succès. Cela
la pousse à s'installer à son propre compte, grâce à
ses économies, dans deux chambres sous les toits, rue du
Marché-Saint-Honoré à Paris63. L'année
1889 marque le début de la maison de mode Lanvin64. Elle
établit sa boutique au 16 rue Boissy d'Anglas à Paris s'en tenant
alors à la création de chapeaux. Un événement
personnel l'amène à créer des vêtements. En effet,
lors de l'année 1896, elle épouse le comte Emilio di Pietro et
donne
59 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p.
27.
60 Ibid.
61 Ibid.
62 Ibid.
63 Ibid.
64 Ibid.
21
naissance à une fille en 1897 :
Marguerite65. Sa fille devient sa muse, son inspiration
jusqu'à placer de nombreuses marguerites dans les broderies fleuries de
ses créations. La couturière devenue mère de famille se
met à concevoir des vêtements pour sa fille66. Ses
tenues sont remarquées par les mères des autres enfants qui en
souhaitent des semblables pour leur progéniture. Ce succès
amène la création du département « Enfant » chez
la maison Lanvin en 1908, et devient une véritable
réussite67. Les mères raffolent tellement des tenues
de leurs enfants, qu'elles veulent porter le même type de
vêtements. En 1909, la couturière ouvre une maison de Couture avec
deux départements : « Femme » et « Jeune fille
»68. L'ancienne apprentie devient une créatrice de
vêtements reconnus. Son nom figure dans l'annuaire de la mode et elle
adhère au Syndicat de la Couture. C'est l'une des premières
couturières référencées avec Nicole Groult et
Madeleine Vionnet. Jeanne Lanvin crée d'abord des robes inspirées
du style Empire jusqu'en 1912. Ces robes sont de tailles hautes, longues,
droites et cambrées. Par la suite, ses créations deviennent plus
complexes.
Malgré l'annonce de la Première Guerre mondiale,
Jeanne Lanvin décide de ne pas fermer sa boutique, et devient de fil en
aiguille l'une des premières couturières de Paris vers
191869. Elle participe notamment dès 1915 à
l'Exposition Universelle de San Francisco, puis ouvre de nombreuses succursales
à Biarritz ou Deauville et présente dès 1920 des
collections à l'international, comme en Argentine, au Brésil, en
Angleterre. La maison Lanvin compte alors vingt-trois ateliers dont deux
ateliers tailleurs, un atelier de lingerie, un atelier de chapeaux et trois
ateliers de broderie70. La maison de couture embauche huit-cents
personnes et présente trois cents modèles par collection. En
1925, la maison Lanvin connaît son apogée, sa fondatrice participe
à l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs en tant que
vice-présidente du pavillon de l'Élégance71. En
1927, la maison Lanvin est divisée en trois fonds de commerce : Couture,
Homme et Parfums72. Jeanne Lanvin construit une maison de couture
puissante et notable dans la première partie du XXème
siècle. La maison Lanvin est la première maison de Haute Couture
à créer un département pour « Homme », «
Femme », « Enfant » ; et également des
départements « Mariés », « Lingerie », «
Fourrure », « Sport », « Parfum » et «
Décoration ». Ces différents départements sont
l'illustration d'une réflexion de la couturière sur un style de
vie cherchant à réaliser plus que de simples vêtements.
Pour l'époque, elle crée
65 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p.
28.
66 Ibid.
67 Ibid.
68 Ibid.
69 Ibid., p. 29.
70 Ibid.
71 Ibid., p. 78.
72 PICON, Jérôme, Op. Cit., p.
206.
22
une maison de couture novatrice et audacieuse. Jeanne Lanvin
tient aussi une place primordiale au sein du milieu de la couture parisienne de
l'époque. Elle occupe des postes comme présidente de la section
couture à l'Exposition Coloniale en 1931 et présidente du
pavillon de l'Élégance à l'Exposition internationale en
193773. Elle est reconnue pour son talent par de nombreuses
récompenses comme la Légion d'honneur reçue en
193874.
La maison Lanvin est une des maisons de Haute Couture les plus
puissantes du début du XXème siècle. Son
influence sur le milieu de la mode à cette époque est non
négligeable. C'est une maison de couture unique ne dictant que sa propre
mode, et qui par sa notoriété se permet d'ouvrir de nouveaux
départements comme celui de la décoration intérieure avec
Armand-Albert Rateau.
A.2 -- L'expérience de la décoration.
Jeanne Lanvin, loin d'être une simple couturière
qui s'emploie à confectionner des vêtements, est une artiste
accomplie ayant pour objectif la création d'un art global, le concevant
comme un véritable mode de vie comme le montre cette citation : «
For an artist such as Jeanne Lanvin it was not complete to create clothes
that idealize women. She dreamed of surroundings that could frame and outlive
the fragility of clothes »75. Jeanne Lanvin crée
avant tout le monde, l'idée de « Lifestyle ». C'est
l'idée d'abolir les frontières entre la mode, le mobilier et le
décor quotidien. Le vêtement devenant un élément
d'art de vivre à part entière. Ainsi en 1920, elle décide
avec l'artiste Armand-Albert Rateau d'ouvrir un département voué
à la décoration d'intérieur76. L'artiste se
charge aussi de décorer ses différentes boutiques. Leur
entreprise propose différents produits qui vont des tentures, aux
meubles en passant par des lustres. Cette collaboration est rapportée
dès 1921 dans la revue de décoration anglaise : Arts &
Decoration77. L'article traite de cette collaboration
nouvelle et l'auteur affirme qu'avec la personnalité artistique de
Jeanne Lanvin qui est considérée comme une artiste originale,
moderne et distinguée, la nouvelle est capitale dans le monde de la
73 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p.
167.
74 Ibid.
75 RANDOLE, Léo, « An artist in Dress
and Decoration, The Entry of Jeanne Lanvin into a new field », Art
& Decoration, 1921, volume 15, numéro 6, Octobre 1921, p.
384-385. Citation p. 385 traduite par l'auteur : « Pour une artiste telle
que Jeanne Lanvin, il ne suffisait pas de créer des vêtements
rendant les femmes idéales. Elle songeait à l'environnement qui
pourrait les prolonger et survivre à la nature périssable.
»
76 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p.
77.
77 RANDOLE, Léo, Art. Cit., p. 384-385.
23
décoration : « The very recent entry of Jeanne
Lanvin into the field of interior decoration has aroused a great deal of
interest in all artistic circles »78.
Armand-Albert Rateau, décorateur français, est
né en 1882 et mort en 1938. Il est formé à l'école
Boulle et après de multiples expériences professionnelles
à l'étranger et chez de célèbres décorateurs
comme Georges Hoentschel, il s'établit à son compte en
191979. Son style est à part et grandement influencé
par son goût pour l'art antique. Il voyage en Italie en 1914, plus
particulièrement à Pompéi et Naples. Sa collaboration avec
Jeanne Lanvin lui permet de définir son style, un mélange
d'antiquisants et de modernes. Armand-Albert Rateau et Jeanne Lanvin se
rejoignent artistiquement. La couturière apporte la
créativité, l'idée d'un souffle moderne, et le
décorateur illustre le passé et le savoir-faire dans leur
collaboration. Cependant, cette collaboration est un échec, certainement
dû au contexte d'après-guerre et de crise80. Entre 1920
et 1925 Ñ période du département décoration chez
Lanvin Ñ, les goûts de la clientèle connaissent un
changement influencé par la crise. Les acheteurs se tournent vers un
style moderne et bon marché rendu possible grâce à l'essor
de l'industrialisation. Malgré cet échec, le goût de la
créatrice pour la décoration reste intact. Elle continue de
fréquenter les antiquaires, à la recherche de motifs pour ses
prochaines collections ou simplement pour décorer ses multiples
intérieurs81.
Jeanne Lanvin possède de nombreuses demeures : une
résidence au Bois de Boulogne, deux maisons au Vésinet et de
nombreuses villas d'été à Beaulieu, Cannes et
Pyla82. Toutes ses résidences sont reconnues pour être
des lieux richement décorés. Notamment, sa demeure au seize rue
Barbet-de-Jouy, décrite par la romancière Louise de Vilmorin :
« Elle s'était fait construire un palais rue
Barbet-de-Jouy qui correspondait au type de femme qu'elle avait
imaginée, Isolde de Harem, Mélisande un peu odalisque (...). Elle
n'avait aucune conversation et peu la mémoire des physionomies. Ainsi
pourvue et dépourvue, elle se tenait à la place qu'un obscur
instinct lui avait désignée et ne se sentait à son aise
que dans sa maison de commerce (!) ou chez elle, entourée des tableaux
qu'elle collectionnait... »83.
C'est en 1920 qu'elle achète l'ancien hôtel
particulier de la marquise d'Arconati Visconti (au seize rue
Barbet-de-Jouy)84. Jeanne Lanvin y fait des travaux de
rénovation et
78 Ibid., p. 384. Traduction par l'auteur
: « L'entrée très récente de Jeanne Lanvin dans le
domaine de la décoration intérieure a suscité beaucoup
d'intérêt dans tous les milieux artistiques. »
79 PICON, Jérôme, Op. Cit., p.
177.
80 Ibid., p. 175.
81 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 279.
82 PICON, Jérôme, Op. Cit., p.
204.
83 ALAUX, Janine (dir.), Jeanne Lanvin,
Milan, Franco Maria Ricci, 1998, p. 21. Citation de Louise de Vilmorin.
84 PICON, Jérôme, Op. Cit., p.
151.
24
construit une aile de réception où se suivent le
vestibule, la bibliothèque, la galerie, la salle à manger ; tous
aménagés par Armand-Albert Rateau en 1921 et 192485.
La décoration intérieure dans ses demeures est la confirmation
d'un goût pour les voyages, les couleurs, les arts décoratifs et
plus généralement de l'art. La couturière accorde une
place primordiale à la décoration de son intérieur, et
cela se ressent plus précisément dans sa chambre (ill. 2).
Armand-Albert Rateau la décore entre 1924 et 192586. La
pièce est une suite composée d'une salle de bains, de sa chambre,
d'un boudoir et d'un petit cabinet de verdure. La chambre présente une
alcôve comme dans les pièces du XVIIIème
siècle. Les murs sont d'un fond bleu créés par Jeanne
Lanvin et recouverts d'un décor blanc. Ce décor est à la
fois mi-floral, mi-végétal et s'étends sur environ un
mètre vingt. Il est constitué de motifs brodés faits au
point de chaînette mécanique réalisé dans les
ateliers de broderie Lanvin. La chambre est d'un style luxueux : les meubles
sont en bronze aux lignes épurées et retenues. Il y a aussi du
mobilier capitonné. La chambre de Jeanne Lanvin est l'exemple d'une
association rare de style, mais révélatrice de son goût
varié pour les arts, et de son génie à marier les genres.
La couturière collectionne aussi de nombreux objets en tout genre, dont
des bronzes de Miklos, et une collection impressionnante de boules de verres,
dont les irisations changeantes selon les heures nourrissent son
inspiration87. Son goût pour la décoration se retrouve
aussi dans son bureau à la maison Lanvin. En effet, dans la pièce
se trouve un bureau en bois d'Eugène Printz88
réalisé spécialement pour elle, en 1932 (ill. 3).
La maison Lanvin est puissante et novatrice, permet à
Jeanne Lanvin de s'essayer à la décoration. La couturière
refuse de se contenter de sa réussite, et le succès grandissant
de sa maison de Haute Couture est certainement dû à cette
volonté. Mais c'est aussi sa personnalité qui fait la
réussite de la maison de couture. Une personnalité en constante
création s'exprimant différemment des autres couturiers.
85 PICON, Jérôme, Op. Cit., p.
151.
86 Ibid.
87 BOURDET, Denise, « Jeanne Lanvin »,
Art & Style, 1946. Fonds Forney, dossier « divers ».
88 Eugène Printz est un
ébéniste et décorateur français, né en 1889
et mort en 1948. Formé à la copie de meubles anciens dans
l'atelier de son père à Paris. À partir des années
1920, il s'essaie à des créations de meubles modernes. PICON,
Jérôme, Op. Cit., p. 227.
25
A.3 -- La création sans dessins.
L'absence de dessins est l'une des caractéristiques de
Jeanne Lanvin et de son travail89. Ce détail est parfois
présent chez les créateurs de mode. Si Jeanne Lanvin ne dessine
pas, comment crée-t-elle ses modèles ? Comment fait-elle pour
expliquer ses modèles à ses couturières ? Jeanne Lanvin
explique elle-même son processus de création dans cette citation
:
« Quand il me vient une idée de robe, j'appelle
tout de suite ma dessinatrice. J'aimerais bien exécuter le croquis
moi-même, mais j'enrage de n'avoir jamais su me servir assez bien d'un
crayon. J'explique donc le modèle. Et tandis qu'elle l'esquisse, je le
rectifie jusqu'à ce qu'il soit conforme à mon aspiration. Une
première vient chercher le croquis, taille la toile, l'épingle
sur le mannequin et descend me la montrer. Je critique, je corrige, je modifie.
Et quand le mannequin s'en va, plusieurs robes sont nées de ces
tâtonnements. »90.
À chaque fois, Jeanne Lanvin a une idée
très précise de ses modèles. C'est un processus de
création très personnelle, parfois difficile à comprendre
pour les modistes. Tout se passe dans l'esprit de Jeanne Lanvin, où sont
rassemblées des centaines d'images, d'impressions, de ressentis qu'elle
a pu accumuler. Les images choisies ont été la plupart du temps
puisées, découpées et recollées par Jeanne Lanvin
elle-même91. Elle tenait de grands cahiers remplis d'images en
tout genre92. La couturière pouvait passer des heures dans
son bureau à collecter ces images et les organiser à sa
façon (ill. 4 et 7). Et de tous ces souvenirs, ces images se forme un
modèle, elle explique elle-même ce processus dans ces deux
extraits :
« Je travaille sans arrêt... Toute ma vie est
dirigée vers un but unique : ma maison de couture... Quand j'ai un
instant de liberté, quand je n'ai pas de robe à examiner sur le
dos d'un mannequin, pas de conférences avec une vendeuse, avec une
dessinatrice, je prends au hasard, un de ces ouvrages, de ces albums que vous
voyez -- là... Je regarde des estampes, des photographies... L'image
s'enregistre dans mon cerveau et en rejoint beaucoup d'autres que j'ai
puisés au cours de mes voyages, au cours de mes promenades dans les
musées et dans les livres... Elle va vivre dans le subconscient d'une
vie indolente, végétative... Et puis au bon moment, quand il
s'agit de mettre la collection sur pied, il y a des souvenirs qui surgissent
impérieusement et qu'on croyait oubliés... »93
;
« Je vous dirais donc également que je crée
avec des ciseaux, des étoffes, mon imagination et aussi mon inspiration
»94.
89 PICON, Jérôme, Op. Cit., p.
97.
90 BIEZVILLE de, Gisèle, et BROMBERGER,
Merry, « La lady de la couture », 15 novembre 1938, coupure
de presse sans indication de source, Paris, Patrimoine Lanvin. PICON,
Jérôme, Op. Cit., p. 211.
91 PICON, Jérôme, Op. Cit., p.
97.
92 Ibid.
93 DARYS, Gaston, En devisant avec Madame Jeanne
Lanvin, Minerva, 1938, 16 janvier 1938. Pages inconnues.
94 BOUDET, Jacques, Le monde des affaires en
France de 1830 à nos jours, Paris, Société
d'Édition de Dictionnaire et Encyclopédies, 1952, p. 637.
26
La couturière choisit un certain nombre d'idées
dans ses livres personnels et l'indique à son équipe de
dessinateur, dirigé par Monsieur Ochipenti95. Les dessins
sont ensuite soumis à Jeanne Lanvin et confiés à la
modéliste ainsi qu'à la première d'atelier. La
modéliste se charge de créer le patronage d'un vêtement
alors que la première d'atelier supervise la confection du
vêtement en atelier et le présente au couturier une fois
terminé. Chacune exécute une robe et un croquis, ce qui
amène parfois à deux interprétations totalement
différentes96. Malgré ce manque de dessins et parfois
de compréhensions des modistes, Jeanne Lanvin sait très
exactement ce qu'elle veut dans ses créations, ayant en tête un
modèle très précis. Comme le prouve cette citation :
« Elle est, nous dit-elle, guidée par une inspiration
extrêmement précise. Elle voit ses robes avant de les
réaliser... »97. La couturière est aussi
très attentive à la culture dans le choix de ses collaborateurs.
En 1925, elle recrute Odette Puigaudeau (1894-1991) pour s'occuper des dessins
colorés des modèles, mais cette femme n'est pas choisie au
hasard98. Elle est aussi reconnue pour être une savante des
fonds marins et avoir une grande connaissance de la peinture. Le goût de
l'art de Jeanne Lanvin va encore plus loin, car cette dernière se
compare très souvent à un artiste peintre. Ce qui n'est pas
anodin dans l'idée qu'elle se fait du processus créatif. Cette
citation le démontre bien :
« Si vous demandez à un peintre comment
peignez-vous ? Il serait fort embarrassé, il est possible qu'il vous
dise simplement, mais avec des pinceaux, de la couleur, une toile,
l'inspiration est cette force qui est en moi et qui m'oblige à
m'exprimer »99.
Cette citation est une réponse de Jeanne Lanvin
à un journaliste lui demandant de décrire, d'analyser son
processus créatif. Elle répond que, comme un peintre, elle peut
expliquer son inspiration en partie, mais qu'ensuite elle en est incapable. De
manière générale, Jeanne Lanvin se voit comme une artiste
peintre, pour elle une large jupe est comme une toile de peinture. Alors que
l'artiste peintre compose sa toile de couleurs, de reliefs ; la
créatrice compose son vêtement avec une coupe spéciale ou
des motifs brodés, perlés ou appliqués. La
couturière crée à partir d'images qu'elle collectionne, ou
qu'elle garde en tête. Ses sources d'inspirations sont nombreuses, mais
surtout variées. Ses collections se définissent au grès de
ses goûts et envies personnels. Par conséquent, l'idée d'un
style Lanvin est complexe à définir, bien que certaines
caractéristiques comme un grand travail de finition
95 DELPIERRE, Madeleine, L'atelier Nadar et la
mode : costumes, Cat. Expo, (Palais Galliera, Musée de la Mode de
la Ville de Paris, 15 mars 1977- 6 mai 1977, Paris), Paris, Palais Galliera,
Musée de la Mode de la Ville de Paris, 1977, réed, 1979. Propos
rapportés par Madame Buhler, p. 61.
96 DELPIERRE, Madeleine, Op. Cit., Propos
rapportés par Madame Buhler, p. 61.
97 Auteur inconnu, « Minerva vous parle
», Minerva, 16 Octobre 1938.
98 PICON, Jérôme, Op. Cit., p.
214.
99 BOUDET, Jacques, Op. Cit., p. 637.
27
ou un goût pour les broderies permettent de
reconnaître la griffe Lanvin100. La couturière en a
totalement conscience, mais défend un style Lanvin qui se définit
selon elle par l'ensemble de ses créations, comme le démontre
cette citation :
« Depuis des années, le public de mes collections
s'est plu à reconnaître un style Lanvin. Je sais que l'on en a
beaucoup parlé, et cependant je ne me suis jamais attachée
à un genre et n'ai jamais cherché à accentuer un certain
style déterminé. Je m'efforce au contraire, chaque saison, de
saisir l'impondérable qui vogue dans l'air, influencée par les
événements, et d'en tirer d'après ma
conception personnelle, une réalisation traduisant mon idéal
passager. [...] Le style « Lanvin » est donc simplement l'ensemble
des grandes
lignes qui caractérisent mes modèles et que l'on
retrouve chaque saison, mais dissimulé
sous un rythme nouveau, sous un mode imprévu qui est
d'ailleurs simplement la mode dont la recherche et l'embellissement ont rempli
ma vie »101.
Jeanne Lanvin à la tête d'une maison de couture
influente, ose redéfinir son style en permanence. C'est une initiative,
mais aussi presque une obligation. La couturière n'arrive à
créer que dans une recherche d'inspiration constante. Ses inspirations
ne s'expriment pas par croquis, mais par sa voix et les descriptions qu'elle en
donne aux modistes. Ainsi, il est naturel que son processus de création
passe par des images. La créatrice éprise de culture puise son
inspiration de partout, et notamment dans des livres qu'elle collectionne de
manière abondante. La maison Lanvin fait la différence dans la
Haute Couture française par sa fondatrice, un personnage
énigmatique, qui suit ses propres goûts, dictés par des
inspirations variées.
B -- Les origines de ses
inspirations.
B.1 -- Une couturière « historienne ».
Jeanne Lanvin est un personnage primordial et avant-gardiste
de la Haute Couture française. Cependant, son nom est peu connu du grand
public aujourd'hui, contrairement à une Coco Chanel. Cela est
certainement dû à sa personnalité
énigmatique102. Elle est d'une grande modestie et peu
bavarde, n'utilisant pas la parole pour asseoir son autorité comme le
montre cette citation : « Lorsque je ne dis rien, cela signifie que
j'approuve »103. Elle est acharnée et
dévouée à son entreprise, refusant de se contenter de son
talent et de sa réussite. Elle n'a jamais considéré le
succès de son travail comme acquis. C'est une femme issue d'un milieu
100 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 322-323.
101 « Le style » par Jeanne Lanvin. Vogue,
1945. Ibid., p. 322.
102 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 13.
103 Anecdote rapportée, entre autres, par Michael
Edwards, Parfums de légende, Op. Cit., p. 63, PICON,
Jérôme, Op. Cit., p. 239.
28
modeste qui a réussi grâce à son
ambition104. Elle est souvent citée comme, étant un
exemple de réussite spectaculaire au début du
XXème siècle.
La créatrice se définit comme une
couturière « historienne »105. Une créatrice
puisant son inspiration dans les époques du passé, mais aussi
dans les arts en général. Ainsi, elle met en place de nombreuses
gravures de costumes du XIXème siècle sur les murs de
sa boutique s'inscrivant dans la lignée d'une tradition du
métier. La couturière reconnaît un goût pour le
passé qui l'inspire106. À ses yeux, il est
inconcevable de ne pas intégrer le passé dans ses
créations. Cette idée est souvent présente dans les
processus créatifs, notamment chez des peintres ou des architectes. Une
bonne connaissance du passé permet de « mieux » créer.
C'est donc naturellement que la couturière fait appel aux connaissances
du passé. Elle en parle dans une interview de 1938 :
« Comment négliger les documents du passé,
reprends Mme Lanvin ? Ils représentent tout le travail, l'art et la
pensée des siècles qui nous ont précédés.
Cependant, ils doivent simplement servir à aimer notre imagination. Nous
devons les adapter à notre goût
moderne et donner un visage constamment nouveau aux choses qui
sont éternellement belles »107.
Une telle connaissance sur les époques passées
notamment sur l'histoire du vêtement est le fruit d'une documentation
assidue de la part de Jeanne Lanvin. La couturière est une
passionnée de musées et de bibliothèques108.
Cela lui a donc permis d'observer de nombreuses gravures représentant
des vêtements d'époques, que ce soit des robes de style Louis XIV,
mais surtout des robes de l'époque Empire. Cette documentation assidue
pour la création de ses modèles est citée par les
journalistes de l'époque :
« On sent que la ligne et l'ornement ne sont pas
seulement dus à l'imagination d'un dessinateur et à
l'habileté de l'ouvrière, mais que chaque modèle a
nécessité des recherches dans des gravures historiques, des
visites aux musées du costume et des notes prises à la
Bibliothèque nationale »109.
Au début du XXème siècle, la
plupart des couturiers font appel à des sources antérieures,
notamment Paul Poiret110. Mais ces derniers ont plus tendance
à copier des tissus ou des modèles qu'à les
réinterpréter ou les moderniser. Jeanne Lanvin est très
certainement la
104 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 13.
105 Ibid., p. 97.
106 Ibid., p. 323.
107 Minerva, Op. Cit., 1938.
108 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 97.
109 M.H « Lanvin et la mode à travers l'histoire
», Vogue, édition française, 15 novembre 1920, p.
11. PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 97.
110 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 103.
29
couturière la plus documentée sur l'histoire du
vêtement, pouvant largement se revendiquer « historienne » de
la mode. Elle collectionne de nombreuses gravures de mode comme celles
d'Alfredo Edel111. Mais aussi de multiples livres sur le sujet, et
certainement de nombreux modèles de robes qu'elle a pu acquérir
lors de ventes aux enchères. Dans sa bibliothèque personnelle se
trouve un nombre important de journaux sur l'histoire de la mode, anciens ou
modernes dont : La Mode artistique, Le Magasin des Demoiselles,
La Mode illustrée éditée par Didot, le
Journal des Modes, Le conseiller des Dames, Le Journal
des Dames et des Demoiselles, le Journal des Demoiselles, le
Journal de la Bonne Compagnie112. Il y a aussi des
livres sur les vêtements de styles régionaux ou d'époques,
comme sur les costumes antiques, russes ou sur les vêtements de la
Provence.
Ces connaissances sur les styles de vêtements
antérieurs lui permettent de créer « la robe de style »
qui s'inspirent de la silhouette à panier du XVIIIème
siècle113. Mais aussi de réaliser une
interprétation de la crinoline du Second Empire se caractérisant
par différents éléments : un haut étroit, une
taille basse et une jupe bouffante. La robe de style connaît au fil des
années des évolutions comme la partie jupe, parfois
relevée sur le devant ou encore fendue. Dans les années 1920,
cette robe est une opposition à la « robe tubulaire
»114. Jeanne Lanvin revisite les codes d'une robe
d'époque de manière moderne, comme l'explique ce passage :
« Comment ne pas songer aux grâces des menuets et
des révérences alanguies devant les toilettes de style, cependant
si modernes, de Mme Lanvin ? [...] Mme Lanvin a compris
que ces belles robes élargies s'harmonisent à la
femme de toutes les époques, et que leur charme est éternel comme
celui d'une véritable oeuvre d'art »115.
L'un des modèles les plus représentatifs de
cette « robe de style » est la robe Colombine (ill. 5), de
la collection hiver 1924-1925116. C'est une robe en taffetas de soie
couleur ivoire avec des applications de velours de soie noir sur le bas de la
robe. Le modèle est accompagné de broderies de grosses perles
fines et de fils métalliques or réalisés au point de
chaînette. La jupe est en large corolle. Un noeud en velours de soie
rouge est présent au niveau de la taille. Ce modèle est
inspiré des bergeries du XVIIIème siècle. Le
choix de ses étoffes apporte un
111 Alfredo Edel né en 1856 et mort en 1912, est l'un
des principaux peintres de costumes de l'époque. Ses aquarelles sont un
témoignage unique de la mode et des costumes des années
1890-1910. Vente aux enchères publiques, Libert Etienne, Castor Alain,
Exceptionnel ensemble de mille neuf cent quatre-vingt-quatre aquarelles de
la « belle époque » ayant appartenu à Jeanne
Lanvin, Paris, 9 février 1994, p. 3.
112 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 98-99.
113 Ibid., p. 139.
114 Ibid., p. 141.
115 Auteur Inconnu, Gazette du Bon Ton, n° 9
1924-1925, p. 421-422. GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 84.
116 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 90.
30
raffinement à la tenue, et les couleurs rouge et noir
sont en contraste avec la couleur ivoire qui apporte de la lumière
à la robe.
Jeanne Lanvin est une créatrice qui est en recherche
d'inspiration constante ; tout l'inspire même les détails du
quotidien. Elle extrait des éléments décoratifs de son
quotidien pour les intégrer à ses créations. Son esprit
est toujours en éveil, avec un très grand sens de l'observation.
Ainsi, tout élément est susceptible de se retrouver dans ses
collections117. La couturière connaît un
véritable amour de la beauté, mais aussi de l'art en
général. Elle absorbe les musées, achètent des
livres, des objets, des tissus et cela se ressent dans ses collections, comme
le montre aussi cette citation sur le style Lanvin :
« Lanvin fait son miel de toutes belles choses, de
l'harmonie antique et des colifichets du Second Empire, de la pureté des
Primitifs et des magnificences vénitiennes, des
coquetteries de la Pompadour et du charme vieillot de 1830,
pour fondre en son creuset ces mille éléments divers et
renouveler « le style »118.
À l'époque, elle est l'une des rares
couturières à se laisser influencer par l'art dans ses
créations. Cependant, la distinction doit bien être faite. La
créatrice ne retranscrit pas littéralement ses sources
d'inspiration. Elle est juste « inspirée par », de ce fait
elle comprend, capte l'essence d'une image, d'un objet ou encore d'un tissu et
le retranscrit à sa manière119. L'idée est de
produire une oeuvre originale pour Jeanne Lanvin. Tous ces
éléments d'inspirations ne sont pas retranscrits tels quels. Ils
mûrissent d'abord dans son esprit et sont réinventés dans
ses créations. Elle épure ses références et propose
ensuite un ensemble moderne et cohérent, se définissant de cette
façon comme une couturière « historienne ».
B.2 -- Le goût des voyages.
Les voyages réalisés par Jeanne Lanvin
renforcent son image de couturière « historienne ». Elle
divorce d'Emilio di Pietro en 1903 et se remarie en 1907 avec le journaliste
Xavier Melet qui devient consul de France à Manchester jusqu'en 1908 et
elle l'accompagne dans certains de ses voyages professionnels120.
Cependant, elle voyage généralement seule, prenant des vacances
quand sa société le lui permet. Elle voyage en Italie, en
Grèce, en Espagne, aux États-Unis dès 1915 ou encore en
Égypte (une photographie représentant Jeanne Lanvin
117 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 146.
118 Auteur inconnu, « Lanvin », La Gazette du
Bon Ton, 1925, supplément au n° 7, p. 318-319. PICON,
Jérôme, Op. Cit., p. 102.
119 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 20.
120 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 28.
31
devant les pyramides l'atteste)121. Cette
photographie montre cette recherche de sources pour ses créations (ill.
6). Comme le montre cette citation : « C'est pourquoi je vais chercher au
loin des sources d'inspiration et je me sers de mes voyages pour procurer des
aliments toujours nouveaux à mon imagination »122.
Cependant, un voyage aussi lointain est rare. En
général, elle préfère rester en Europe, lui
permettant de rester à proximité de Paris. À
l'époque, elle demeure tout de même l'une des rares
couturières à voyager. Les voyages ont une influence
conséquente sur ses créations. Ils lui facilitent la
découverte de nombreux monuments et on lui connaît un amour pour
les cathédrales. Cela lui permet aussi de découvrir des oeuvres
d'arts plastiques. Jeanne Lanvin se cultive par les livres, mais
préfère Ñ comme tout amoureux de l'art Ñ voir les
oeuvres en réelles, pour en apprécier la couleur, la
lumière, l'énergie qui s'en dégagent. Comme le
démontre cette citation :
« Mme Lanvin ne se contente pas de puiser des
inspirations dans le vaste réservoir de documents qu'elle s'est
constitué, et qui enclot tous les reflets des plus belles oeuvres du
génie humain, ces oeuvres, elle va les admirer, en été,
quand elle peut prendre quelques vacances, dans les Musées de l'Europe.
Les loisirs sont consacrés à l'étude, à la
méditation, à la chasse aux idées...
»123.
L'Italie pour ses paysages et son art, en fait l'une des
destinations favorites de Jeanne Lanvin. L'influence de ce pays dans ses
créations est reconnue à l'époque : « Elle est venue
de l'Italie, la voix de Rome Antique, dans ce modèle de Lanvin
»124. L'Italie et sa peinture sont une source d'inspiration
majeure pour Jeanne Lanvin125. La couturière adore ce pays,
où elle y passe notamment son voyage de noces126. Dans ses
collections deux modèles illustrent cette passion pour l'Italie : La
Cape Ascanio de 1920, c'est une cape en velours de coton noir garni de
biais d'asmodé bleu dur, avec un col châle de loutre de
rivière. Et le modèle : San Remo de 1920 c'est une cape
aussi en velours cerise garni de mouflon gris.
L'amour des voyages se retrouve aussi dans les noms de ses
modèles. Notamment avec des noms rappelant l'Italie : Ca d'Oro
(1929-1930), Vénitien (1929), Ciel de Naples
(1927-1928), Borghèse (1925). Jeanne Lanvin s'inspire
aussi des paysages français et notamment des paysages de bords de mer
qu'elle aime particulièrement pour le nom de ses modèles. Elle
a
121 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 28, 79.
122 Minerva, Art. Cit., 1938.
123 BOUCHER, François, « Le faubourg
Saint-Honoré : Jeanne Lanvin », La Renaissance de l'art
français et des industries du luxe, 1924, Juin 1924, p. 7-10.
124 ALAUX, Janine (dir.), Op. Cit., p. 22. Citation sans
source de 1921.
125 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 101.
126 Ibid., p. 57.
32
notamment une demeure à Pyla-sur-Mer, près
d'Arcachon127. En 1925, elle nomme un manteau en velours de laine
cerise doublé de foulard noir à pois blancs : le Pyla.
Plus généralement la couturière se passionne pour des pays
comme la Chine, le Japon, la Perse, mais aussi pour des cités comme
Babylone, Cnossos, Pompéi128. Elle a un goût pour les
formes antiques, asiatiques, mais aussi orientales. En Europe, le début
du XXème siècle connaît une vague de goût
pour l'exotisme par le colonialisme et notamment l'Exposition Coloniale
Internationale en 1931 à Paris. Des pays comme le Maroc,
l'Algérie sont redécouverts et suggèrent par exemple des
motifs de broderies et des formes de manteaux dérivés du burnous
à la créatrice. Jeanne Lanvin est de nature
réservée, mais ambitieuse, elle aime se cultiver, et notamment
par les voyages. Ces derniers sont nombreux et parfois lointains pour une femme
à l'époque du XXème siècle, mais sa
condition lui permet. En voyageant, la couturière s'ouvre l'esprit
à d'autres traditions, observe d'autres vêtements, d'autres
techniques qui l'inspire considérablement dans ses propres
créations, lui permettant même parfois de ramener des textiles
pour compléter sa collection.
En effet, Jeanne Lanvin possède dans sa
bibliothèque-bureau une collection de textiles
impressionnante129 (ill. 3). Majoritairement, ces textiles viennent
de ses voyages ou achetés aux Puces130. La plupart sont
encore présents dans son bureau. Sa collection est constituée de
tissus anciens, contemporains ou orientaux. Elle collectionne les costumes, les
étoffes, les bijoux, de divers pays ou époques131.
Comme des cols en dentelle de Venise, des tuniques africaines brodées,
des broderies coptes. Lors de la vente aux enchères de 2006, certains
modèles vestimentaires de sa collection personnelle sont vendus. Il y a
notamment des saris indiens brodés, des mouchoirs alsaciens du
XIXème siècle, des vêtements liturgiques des
XIXes siècles et XXes siècles. Cette
collection de tissus est indispensable dans le processus créatif de
Jeanne Lanvin. Les oeuvres d'art sont l'une des principales sources
d'inspirations, mais l'influence des vêtements du passé, les
voyages et les tissus le sont aussi132. Jeanne Lanvin
récupère très souvent des techniques, des broderies vues
sur des textiles, pour ses collections. Notamment son goût pour les
vêtements liturgiques se retrouve dans les années 1922-1923 avec
des vêtements qui reprennent des manches évasées
caractéristiques de ce type de vêtement. La couturière est
même considérée à l'époque comme la meilleure
interprète de ses
127 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 203.
128 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 146-154.
129 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 104.
130 Ibid., p. 105.
131 Ibid.
132 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 105.
33
vêtements liturgiques133. Les vêtements
japonais sont aussi souvent repris dans ses collections avec des vestes de
forme kimono comme avec le modèle Bouclier de 1934. C'est une
veste de forme kimono tronquée en taffetas de soie noir et rouge,
rebrodée de petits losanges en métal doré. La robe de soie
noire coupée en biais porte la même broderie métallique.
Ainsi, les vêtements variés que conserve Jeanne
Lanvin dans sa bibliothèque lui servent d'inspirations pour des
broderies ou des coupes. Sa bibliothèque où sont conservés
ses collections d'objets, de textiles et ses ouvrages est un lieu
apprécié par la couturière aimant s'y retrouver seule pour
réfléchir à ses prochaines collections.
B.3 -- Sa bibliothèque, un lieu de création
et d'inspirations.
Le bureau de la couturière à la maison Lanvin
reflète très nettement sa personnalité. Une
bibliothèque s'étend tout le long du pourtour de la pièce,
offrant un rayonnage impressionnant pour ses ouvrages, avec, en partie, basse
des vitrines pour ranger ses étoffes (ill. 3). Jeanne Lanvin
collectionne de multiples textiles et livres, sa collection pour une femme de
l'époque est remarquable. Sa bibliothèque est
régulièrement citée dans des articles comme ici en 1924
:
« Tous les grands ouvrages d'art, toutes les
reproductions des plus belles galeries publiques ou privées, tous les
documents relatifs à l'histoire vestimentaire, toutes les anciennes
publications de modes composent ce merveilleux répertoire
»134.
La bibliothèque de Jeanne Lanvin est reconnue pour sa
diversité avec des ouvrages en tout genre comme, les Contes de
la Fontaine, une édition des Essais de Montaigne, une
édition du Dictionnaire raisonné de Diderot, des
récits de voyages de Vernet135. Mais aussi des ouvrages
littéraires du XIXème siècle comme Charles
Baudelaire, Gustave Flaubert, André Malraux, Alfred de Musset, George
Sand. De manière plus originale pour une couturière, sa
bibliothèque est aussi composée de livres scientifiques, avec,
notamment, des traités de Chimie ou encore de
Mathématiques136. Mais aussi de nombreux livres de
botaniques, comme le Dictionnaire de Botanique de Pierre Bulliard,
La Flore médicale de François-Pierre Chaumeton, le
Nouveau traité des arbres fruitiers de Duhamel du Monceau.
Jeanne Lanvin
133 « ... avec des formes renaissance ou
moyenâgeuses, dans les décolletés, les bustes et les
manches. Lanvin en est une des meilleures interprètes. » DUFRESNE,
Jean-Luc, MESSAC, Olivier (dir.), Op. Cit., Propos de l'auteur, p.
55.
134 BOUCHER, François, Op. Cit., p. 7-10.
135 Vente aux enchères publiques, Libert Etienne,
Castor Alain, Exceptionnel ensemble de mille neuf cent quatre-vingt-quatre
aquarelles de la « belle époque » ayant appartenu à
Jeanne Lanvin, Paris, 9 février 1994, p. 30.
136 Ibid., p. 28-30.
34
collectionne aussi des gravures comme celle de Gustave
Doré, ou encore des caricatures d'Almanach Royal137.
Jeanne Lanvin créant ses modèles à
travers les images, il est certain que sa bibliothèque joue un
rôle majeur dans sa création. Les ouvrages littéraires
l'inspirent pour des noms de modèles comme Bacchus (1929-1930),
Artémis (1925), Salomé (1925), Chat
botté (1925), Hamlet (1929). Les ouvrages de
botaniques servent son imagination pour ce qui est des motifs floraux.
Cependant, les ouvrages d'art sont les plus influents dans la création
de la couturière. Bien qu'elle voyage beaucoup pour découvrir les
oeuvres de ses propres yeux, c'est certainement dans son salon avec ses livres
d'arts qu'elle étudie certaines oeuvres. Il y a environ quatre cents
ouvrages dédiés à l'histoire de l'art dans sa
bibliothèque, dont cinquante-quatre sont exclusivement
dédiés à la Chine ou au Japon dont des ouvrages sur la
sculpture chinoise. Elle a notamment des usuels sur l'art Déco, Le
Dictionnaire raisonné du mobilier français de
Viollet-le-Duc, ou encore la Grammaire de l'ornement par Owen Jones,
mais aussi les traités d'architecture de Blondel138. La
plupart des ouvrages d'art de Jeanne Lanvin sont complétés par
des cartes postales qu'elle chine lors de voyages où que des proches lui
rapportent139, et elle-même tient quelques cahiers où
elle regroupe des images d'oeuvres en fonction des villes ou pays, comme :
Venise, Vérone, Londres, Amsterdam. Avec ces différents ouvrages,
la couturière peut observer de nombreuses oeuvres d'art dans son salon.
Par exemple, l'Italie, qui est un pays cher à son coeur comporte de
multiples artistes dont les représentations d'oeuvres sont parmi les
plus répandues à l'époque140. En effet, des
gravures représentant les oeuvres d'artistes comme Titien, Raphaël
et Fra Angelico sont nombreuses. Dans sa bibliothèque, il y a deux
ouvrages majeurs le Kunstler Monographien141, les tomes de
la collection : les Villes d'Art célèbres édités
par H. Laurens, dont celui sur Venise écrit par Pierre
Gusman142. Dans cet ouvrage de nombreuses oeuvres sont
représentées dont La Madone et l'Enfant de Giovanni
Bellini143, l'Incrédulité de Saint-Thomas par
Cima da Conegliano144, La Glorification de saint Antoine
évêque de Lorenzo Lotto145 ou l'Assomption de
la Vierge de Titien146.Il y a aussi certains tomes de la
Collection des Classiques de l'art édité par Hachette
137 Vente aux enchères publiques, Libert Etienne,
Castor Alain, Exceptionnel ensemble de mille neuf cent quatre-vingt-quatre
aquarelles de la « belle époque » ayant appartenu à
Jeanne Lanvin, Paris, 9 février 1994, p. 8-16.
138 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 99.
139 Ibid., p. 102.
140 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 101.
141 Ibid.
142 GUSMAN, Pierre, Venise, Collection Les Villes d'Art
Célèbres, Paris, H. Laurens éditeur, 1904.
143 Ibid., p. 100.
144 Ibid., p. 111.
145 Ibid., p. 115.
p. 123.
146 Ibid.,
35
comme ceux sur Fra Angelico, Mantegna, Rembrandt,
Vélasquez, Raphaël, Watteau ou encore Holbein.
La bibliothèque de Jeanne Lanvin est son lieu de
création, elle s'y recueille, aimant la solitude, elle
préfère rester dans son bureau à collecter ou
découper ses images dans ses cahiers et étudier les divers
textiles accumulés lors des voyages147. Sa
bibliothèque est aussi la démonstration d'un esprit ouvert
à tout, comme le montre la diversité de ces ouvrages du
traité scientifique aux livres d'arts. Cependant, la couturière
est aussi une collectionneuse d'art renommée, baignant dans le milieu
artistique et intellectuel du début du XXème
siècle.
C -- Le milieu artistique et intellectuel du
début du XXème siècle.
C.1 -- Les personnalités artistiques dans son
entourage.
Bien qu'elle soit peu mondaine, Jeanne Lanvin est une
couturière qui est connue dans le milieu artistique à Paris au
début du XXème siècle. Malgré tout, elle
fréquente de nombreux artistes ou peintres comme Édouard Vuillard
(1868-1940) et Pierre Bonnard (1867-1947)148. La couturière
fait appel à Édouard Vuillard pour peindre sa fille
Marie-Blanche149. Lorsque ce tableau est livré, Jeanne Lanvin
lui passe une nouvelle commande afin de peindre son portrait150
(ill. 8). Elle pose assise sur son bureau en jaquette verte. Jeanne Lanvin ne
choisit pas de se faire représenter avec des étoffes ou des
aiguilles, symboles des couturiers, mais derrière son bureau seule comme
un homme d'affaires, plusieurs dossiers posés autour d'elle, pour
symboliser son côté « historienne » de la mode et
l'activité frénétique de la maison de couture. Pierre
Bonnard proche d'Édouard Vuillard et de la famille Polignac-Lanvin, aide
aux dernières retouches du tableau comme le montre cette citation :
« 10 novembre [1933] : dernières retouches Lanvin,
visite de Bonnard, compliments, à midi porte chez Guichardaz tableau
Lanvin chez les Polignac, essaie place dans le fond de la salle de musique,
figure petite là ; Albums, écris journal en attendant seul ; les
2 Polignac paraissent contents, embrassades ; M [m] e Lanvin ; monte ;
descendons déjà »151.
147 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 227.
148 Ibid., p. 279.
149 Ibid., p. 258.
150 Ibid., p. 279.
151 Édouard Vuillard, Journal, 30 mai 1933.
PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 279.
36
Ce tableau est exposé chez Marie-Blanche, la fille de
Jeanne Lanvin à sa livraison152. La couturière se fait
aussi représenter par l'artiste Clémentine-Hélène
Dufau (1869-1937) en 1925153.
Jeanne Lanvin rencontre ces artistes lors de manifestations
comme les expositions universelles ou des concerts. Sa fille Marie-Blanche est
une grande pianiste et fréquente de multiples artistes, son salon est un
haut lieu de rencontre d'art international (Sarah Bernhardt, Jean Cocteau,
Sidonie-Gabrielle Colette, Sacha Guitry, René Jacquemaire, Maurice
Ravel)154. Ainsi, tous les dimanches soirs, et notamment
l'été dans leur maison à Kerbastic, son salon est
composé de peintres, de musiciens, d'écrivains, de muses, de
mécènes. Elle fréquente aussi les salons les plus
réputés de Paris, dont celui des Beaumont. L'un des membres de la
famille, Étienne Bonnin de la Bonninière de Beaumont (1883-1956),
est un aristocrate fou d'art et de théâtres modernes. C'est lors
d'un bal donné par la famille Beaumont que Marie-Blanche rencontre son
futur mari, le comte Jean de Polignac. La famille est riche et apprécie
les arts155. Jeanne Lanvin rend souvent visite à sa fille
dans ses salons, et rencontre des artistes de toutes disciplines ou encore des
marchands d'art. La couturière en connaît comme Yvonne de
Brémond d'Ars (1894-1976), une antiquaire réputée. Elle
fréquente aussi les ventes aux enchères de l'époque.
Jeanne Lanvin cherche des oeuvres d'arts rares et souvent coûteuses, elle
ne passe pas par l'achat direct. De plus, quelques catalogues de ventres aux
enchères sont présents dans sa bibliothèque, confirmant sa
présence dans le milieu du marché de l'art.
Grâce à ce milieu artistique, la
couturière peut rencontrer des photographes comme Paul Nadar, et passer
des commandes pour son entreprise. Jeanne Lanvin est très proche du
photographe Paul Nadar156, photographe attitré de la maison
Lanvin entre 1909 et 1913157. Il réalise plus de cent
clichés pour Lanvin, et quand ce n'est pas Paul Nadar, le photographe
Chéri-Rousseau s'en charge. Pour les modèles de Jeanne Lanvin,
les fonds photographiques neutres et le style de Nadar s'adaptent bien. C'est
une esthétique en contradiction avec la photographie de l'époque,
Nadar met en avant un style dépouillé pour sublimer son sujet.
Une nouvelle approche de la photographie de mode apparaît158.
En effet, le modèle et non le mannequin est mis en valeur, parfois les
chapeaux vont même jusqu'à dissimuler le visage du
152 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 279.
153 Clémentine-Hélène Dufau, Portrait
de Jeanne Lanvin, 1925, Huile sur toile, Dimensions inconnues,
Musée des Art Décoratifs, Paris.
154 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 188.
155 Ibid., p. 180.
156 Paul Nadar, de son vrai nom Paul Tournachon, est né
en 1856 et mort en 1939. C'est un photographe français, fils du grand
photographe Nadar.
157 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 88.
158 Ibid.
37
mannequin. Le milieu de la haute couture connaît une
période d'essor économique, et les maisons de couture comprennent
vite l'intérêt de la photographie pour leurs entreprises. La
photographie permet une diffusion plus rapide et développée des
modèles dans la presse, et apporte plus de réalisme aux
modèles que les gravures de mode159.
Jeanne Lanvin, principalement grâce à sa fille,
côtoie des noms de l'art en ce début du XXème
siècle. Il s'agit parfois directement d'artistes, mais aussi de
mécènes, de marchands d'arts ou d'aristocrates. C'est en
fréquentant ces milieux artistiques que la couturière rencontre
des personnalités du monde du théâtre et élabore des
projets avec certains.
C.2 -- Ses collaborations avec le théâtre.
Jeanne Lanvin collabore avec le milieu du
théâtre, dès la fin de la Première Guerre mondiale.
D'abord, en habillant les actrices sur scène et à la ville,
celles-ci devenues des clientes fidèles et des amies proches comme Jane
Renouardt (1890-1972), Yvonne Printemps (1894-1977) et Régina
Camier160. La comédienne Yvonne Printemps est proche de
Jeanne Lanvin, elles se trouvent des points communs dans leur passé,
elle devient une mannequin récurrente pour la maison Lanvin. En 1928,
elle rentre en contact avec le comédien et metteur en scène Louis
Juvet161 dont la volonté est de renouveler le
théâtre français. La même année, Jeanne Lanvin
réalise des costumes pour la pièce Siegfried de Jean
Giraudoux, en habillant les actrices Valentine Tessier (1892-1981) et Lucienne
Bogaert162 (1892-1983). Jeanne Lanvin permet à Louis Juvet et
Jean Giraudoux (1882-1944) de se rencontrer et de constater leur même
conception d'un théâtre poétique. En 1929, elle
réalise aussi les costumes, les casques et les coiffures pour la
pièce de théâtre Amphitryon 38 de Jean Giraudoux
mise en scène par Louis Juvet163. Cette collaboration
continue aussi en 1931 avec la pièce Judith où Jeanne
Lanvin réalise les costumes pour Élisabeth Bergner (1897-1986) et
Line Noro (1900-1985) en Judith et Suzanne, ou encore, en 1934, avec la reprise
d'Amphitryon 38164. Ces collaborations sont toujours le
fruit d'une convivialité et d'une amitié entre ces trois artistes
: « Jouvet est
159 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 88.
160 Ibid., p. 246.
161 Louis Juvet né en 1887 et mort en 1951. C'est un
acteur français, metteur en scène et directeur de
théâtre.
162 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 248.
163 Ibid., p. 299.
164 Ibid.
38
toujours enthousiaste, écrit Giraudoux à sa
femme. Nous déjeunons à l'instant chez [Pierre] Renoir, tous
trois avec Labusquière le beau et Madame Lanvin, qui apporte les
maquette »165. Jeanne Lanvin n'est pas la seule
créatrice à réaliser des costumes pour le
théâtre, la très célèbre Gabrielle Chanel lui
fait concurrence. Jeanne Lanvin apprécie de collaborer avec le
théâtre au-delà de la création des costumes, elle y
vient souvent pour les répétitions voir les essais de costumes ou
admirer les décors se monter. Elle passe notamment quelques fois au
théâtre en fin de journée, sans raison
particulière166. Jeanne Lanvin aime s'investir dans d'autres
arts que la couture comme dans la décoration, mais aussi dans le
théâtre et son écriture. Elle réalise environ 300
modèles pour le théâtre d'après le patrimoine
Lanvin167 et s'inspire des mêmes éléments que
pour ses modèles habituels : l'art déco, la
végétation ou le bleu.
Jeanne Lanvin est entourée d'un milieu artistique qui
renforce son goût pour les arts, et lui permet d'être au coeur des
créations artistiques de ce début du XXème
siècle. C'est certainement cet entourage d'intellectuels et d'artistes
qui lui permet de renforcer son goût pour les arts, et d'acquérir
dans les années 1920 ses premières oeuvres. Jeanne Lanvin devient
alors une collectionneuse d'art réputée.
C.3 -- Une collection personnelle d'oeuvres d'art.
Jeanne Lanvin est une couturière « historienne
» avec de nombreuses collections d'étoffes et de livres, avec un
goût pour l'art prononcé. Sa collection d'art principalement
composée de tableaux le confirme. La créatrice collectionne des
objets et du mobilier d'arts comme des meubles d'inspiration pharaoniques, dont
un lit de repos soutenu par des pieds en forme de biche ou des fragments de
sculpture égyptienne168. La plupart de ces objets sont
achetés en magasins ou chez des antiquaires par Jeanne Lanvin
elle-même. Lors des ventes aux enchères des biens de la
couturière réalisées dans les années 1990 ou en
2008, ce sont principalement des objets d'arts qui sont en vente.
165 Lettre du 17 septembre 1929, citée dans le
catalogue d'exposition Jean Giraudoux, Paris, Bibliothèque nationale,
1982, p. 82-83. Cité dans PICON, Jérôme, Op. Cit.,
p. 249.
166 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 249.
167 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 239.
168 MERCERON, Dean L., Op. Cit., 2007, p. 287-288.
39
Sa collection de tableaux débute vers 1925, en pleine
apogée de la maison de couture, c'est une période de richesse,
mais aussi de construction169. En 1920, lors de la construction de
sa maison au 16 rue Barbet-de-Jouy, Jeanne Lanvin a déjà en
tête l'idée d'avoir de nombreux tableaux et adapte les travaux en
conséquence (annexe I)170. Jeanne Lanvin collectionne
majoritairement des oeuvres du XIXème siècle et du
mouvement impressionniste, avec un goût certain pour le post
impressionniste171. Sa collection se compose de divers artistes
comme Eugène Boudin, Mary Cassatt, Paul Cézanne, Gustave Courbet,
Edgar Degas, Étienne-Adrien Drian, Henri Fantin-Latour, Jean-Louis
Forain, Jean-Honoré Fragonard, Roger de La Fresnaye, Édouard
Manet, Odilon Redon, Auguste Rodin, Pierre Roussel, Alfred Stevens ou encore
Édouard Vuillard. La couturière collectionne aussi des oeuvres
italiennes s'étalant du XVIème siècle au
XVIIIème siècle avec notamment des oeuvres de
l'école vénitienne, et des oeuvres du XVIIIème
siècle ou XIXème siècle de l'école
française. De manière plus individuelle, elle compte dans sa
collection des noms comme George Braque (1882-1963) ou Pablo
Picasso172 (1881-1973). Ainsi, que des pièces atypiques comme
une peinture impériale chinoise qu'on retrouve dans sa maison entre la
bibliothèque et le salon. Certains artistes sont plus présents
dans sa collection comme Edgar Degas (1834-1917). La créatrice a deux
pastels de l'artiste, dont un tableau nommé La modiste, qui
représente une femme masquée par les glaces, les comptoirs, ou
même les chapeaux, la modiste s'effaçant derrière la
marchandise. En tout, une dizaine de Degas sont présents dans sa
collection. Jeanne Lanvin débute sa collection par l'achat de tableaux
impressionnistes. Elle en collectionne beaucoup particulièrement des
Renoir. Elle a véritablement un coup de coeur pour l'artiste, et
possède une trentaine de ses oeuvres. Ce goût pour la peinture
d'Auguste Renoir (1841-1919) s'explique par ses nombreuses
représentations de femmes ou d'enfants173. C'est un
thème cher à Jeanne Lanvin, qui se retrouve dans sa collection
puisque celle-ci est majoritairement composée de thèmes
féminins, maternelles ou d'enfance. De la sorte, elle porte son
dévolu sur l'oeuvre de Renoir plutôt que sur l'oeuvre de Claude
Monet (1840-1926), qui pour elle est une peinture plus proche de la nature.
Chaque oeuvre de sa collection révèle une part de sa
personnalité, comme l'explique Anika Guntrum dans un article du Figaro
:
169 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 268.
170 Ibid.
171 Christie's France, Collection Jeanne Lanvin Fondation
Polignac Kerjean et Forteresse de Polignac, Paris, 1er Décembre
2008.
172 Voir la liste des tableaux de la collection de Jeanne Lanvin
en annexe I.
173 SCHLUMBERGER, Éveline, « Au 16 rue
Barbet-de-Jouy, avec Jeanne Lanvin », Connaissance Des Arts,
1963, n°138, Août 1963, p. 62-70.
40
« Cette collection porte l'empreinte de l'âme de
Lanvin. Il fallait, à l'époque, un esprit très moderne
pour faire cohabiter des Renoir extrêmement classiques avec des
compositions plus innovantes de Degas et Picasso »174.
En effet, une telle collection est impressionnante par divers
aspects. Tout d'abord, d'un point de vue économique, il montre la
richesse de cette femme d'affaires au début du XXème
siècle. Cette collection présente des belles pièces comme
des Degas ou des Renoir déjà coûteux pour l'époque.
Ensuite, cette collection est remarquable par son éclectisme, comme cela
laisse comprendre la citation. Pour oser associer des Degas avec des peintures
asiatiques, il faut avoir un esprit ouvert et très moderne, ce
qu'à Jeanne Lanvin175. Malheureusement, cette collection de
peintures remarquables est aujourd'hui assez vague à discerner. En
effet, depuis 1958, il n'y a plus de traces de ces tableaux. Ils ne sont pas
vus en public, ni dans les musées, ni dans les expositions. Ils sont
restés absents pendant près de 50 ans du marché de l'art,
et c'est seulement lors des ventes aux enchères des biens Jeanne Lanvin
en 2008 que ses oeuvres sont redécouvertes. Il y a peu d'informations
sur cette collection, notamment les années d'achats qui restent
très abstraites entre 1924 et 1932. Sur les achats eux-mêmes, il
est impossible de savoir s'ils sont effectués avec l'argent personnel de
Jeanne Lanvin ou celui de la maison Lanvin. C'est aussi le cas pour les tissus
et les livres. Aujourd'hui cela pose des problèmes de
propriétés des biens, appartenant soit à la maison Lanvin,
soit à la famille Polignac, héritiers de Jeanne Lanvin.
Cette collection d'oeuvres d'art est le symbole d'une culture
artistique notable. Elle se sert souvent de sa collection et de son goût
pour les arts comme source d'inspiration dans ses
créations176, mais aussi dans les noms de ses modèles
avec des noms comme Étrusque (1929), Watteau (1925),
Renoir (1924), Ca d'Oro (1929-1930). Cependant, il arrive que
ce soit les modèles de la couturière qui servent d'inspiration.
C'est le cas avec l'artiste Albert Braïtou-Sala, qui réalise Le
Portrait d'Odette Alfano en 1939177. Cette huile sur toile
représente la femme vêtue d'une robe de Jeanne Lanvin : le
modèle Fusée de la collection été en 1939
(ill. 10). Ce modèle est une robe de satin de soie blanche
imprimé gris à motifs de plumes de paon, avec des applications de
rubans en mousseline de soie corail dessinant des plumes et rappelant ainsi les
motifs de paon. La doublure est en toile de coton blanche.
174 ROCHEBOUèT, Béatrice De, « Les
trésors des Lanvin aux enchères », le Figaro, 2008,
27 novembre 2008, p. 30. Citation D'Anika Guntrum, directrice du
département impressionniste chez Christie's France.
175 Ibid.
176 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., 2015, p. 162.
177 Ibid.
41
Cette passion pour l'art la distingue de ses contemporains,
par son approche esthétique empreinte de romantisme, mais aussi de
nostalgie. Jeanne Lanvin avec ses créations s'inspirant de sa passion
pour les arts, réussit à faire de l'actuel avec les maitres du
passé. La créatrice est définitivement à classer
comme une couturière « historienne », ayant un goût pour
le savoir en général. Cela se ressent dans sa bibliothèque
avec des ouvrages variés, mais aussi dans sa collection
d'étoffes. La couturière est une amoureuse de l'art pour laquelle
sa collection de tableaux fait partie intégrante de sa vie. Ce
goût pour les arts inspire incontestablement Jeanne Lanvin pour ses
créations.
42
II -- Lanvin et les arts plastiques.
A -- Ses inspirations contemporaines pour ses
modèles.
A.1 -- L'inspiration par sa propre collection d'oeuvres
d'art.
Jeanne Lanvin est une couturière appréciant
collectionner de nombreuses oeuvres d'art. Sa collection est principalement
composée d'oeuvres impressionnistes. Vers 1910, l'art impressionniste
devient nettement plus populaire. La couturière a dans sa collection des
oeuvres d'Edgar Degas (1834-1917), d'Auguste Renoir et d'Odilon
Redon178. Auguste Renoir est un peintre français né en
1841 et mort en 1919 c'est donc un contemporain de Jeanne Lanvin. Cependant, il
est peu probable qu'ils se soient rencontrés malgré le milieu
artistique de la couturière. La peinture de Renoir séduit la
couturière par ses thèmes féminins. Il peint de nombreux
portraits de femmes, mais aussi d'enfants, en saisissant leur tendresse, leur
ingénuité, leur sourire. Les enfants ne posent pas comme des
modèles adultes, mais librement avec spontanéité. Cette
caractéristique touche Jeanne Lanvin en tant que mère, vouant
elle-même une admiration sans fin à sa fille. Auguste Renoir sait
capter la vie parisienne contemporaine dans des moments d'abandons complets. Il
voyage en 1881 en Italie et y découvre les oeuvres de Raphaël ou
encore le site de Pompéi. Ces découvertes lui
révèlent le sens de la composition pour ses toiles. Jeanne
Lanvin, elle aussi grande amatrice d'art italien, a certainement su percevoir
ce sens de la composition dans les toiles de Renoir. Malgré tout, le
bleu souvent présent dans les compositions d'Auguste Renoir, un bleu qui
nait de la lumière, ne peut être rapproché du bleu Lanvin.
En effet, le bleu observé dans les oeuvres de Renoir comme dans le
Bal du Moulin de la galette179, peint en 1876, n'est en
rien identique au bleu Lanvin. Généralement, les touches de bleu
chez Renoir sont présentes sur les personnages et leurs vêtements
ou dans la représentation de la nature. Malgré cette adoration
pour les oeuvres de Renoir, rien ne permet de déterminer une
véritable source d'inspiration de sa peinture dans les modèles de
Jeanne Lanvin. Il y a seulement un modèle de 1924 du nom de
Renoir. C'est une robe longue noire à manches longues. Le col
et les poignets sont soulignés par de la dentelle blanche. Au niveau de
la taille se trouve une ceinture avec du tissu noir et de la dentelle blanche.
La ceinture se finit par deux pompons tombant sur la jupe, ils sont eux aussi
en dentelle noire.
178 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 162-163.
179 Auguste Renoir, Bal du moulin de la Galette, 1876,
Huile sur toile, 131 x 175cm, Musée d'Orsay, Paris.
43
L'art d'Auguste Renoir touche plus la femme Jeanne Lanvin que
la créatrice. Elle préfère se faire photographier devant
ses tableaux de Renoir plutôt que s'en servir d'inspiration (ill. 9). Il
existe une photographie posée où Jeanne Lanvin est assise, les
jambes croisées regardant au loin. Elle pose dans le salon de son
hôtel particulier en 1930. Derrière elle, on peut observer deux
Renoir accrochés au mur dans des cadres dorés. Celui du haut est
une huile sur toile de 1906, nommé La leçon
180 . Cette oeuvre représente une femme aidant deux
filles à l'apprentissage de la lecture. Au contraire, l'oeuvre en
dessous est non identifiée, elle représente une femme lisant.
Cette photographie peut paraître anodine, mais elle permet pour la
couturière d'affirmer son statut de mère, ainsi que de femme
instruite, mais également de montrer sa richesse, par la présence
de tableaux de maîtres ainsi que des bijoux présents sur ses
vêtements.
Jeanne Lanvin apprécie aussi l'art d'Odilon Redon.
L'auteur Dean Merceron reconnaît une influence de l'artiste sur les
modèles de Jeanne Lanvin, sans citer précisément
d'exemples181. Pour lui, Jeanne Lanvin s'inspire de
l'intérêt du peintre pour le mystère, l'art de la couleur,
le désir du noir. Odilon Redon est un peintre français né
en 1840 et mort en 1916, appartenant au mouvement artistique du symbolisme. De
manière générale, l'artiste traite de l'intime, des
pensées, souvent de manière sombre, voire même
ésotérique. Il traite souvent des thèmes comme les
rêves ou encore les monstres. Sa carrière se divise en plusieurs
catégories qui se définissent par une présence ou non de
couleurs ; connaissant la sensibilité de la couturière pour les
couleurs, ceci peut être une explication du goût de Jeanne Lanvin
pour l'artiste. L'auteur Dean Merceron évoque dans son ouvrage l'oeuvre
Le Bouddha, peinte en 1905 d'Odilon Redon182, comme une
peinture pouvant offrir un lien entre les deux artistes. Néanmoins, il
n'offre aucun rapprochement avec un modèle précis de la
couturière, et se limite à des rapprochements théoriques
au sujet de la couleur et de l'approche artistique entre les deux artistes. En
observant les oeuvres d'Odilon Redon, dont celles citées par Dean
Merceron, des caractéristiques communes aux modèles de Jeanne
Lanvin sont toutefois perçues : une harmonie des couleurs, des bleus se
rapprochant du bleu Lanvin, des silhouettes fluides, des décors
travaillés et somptueux souvent faits de couleurs dorées peuvent
faire écho aux broderies de la couturière. Cependant, ces
éléments restent très vagues et ne permettent pas un
rapprochement direct entre les créations de Jeanne Lanvin et celle
d'Odilon Redon, malgré une même conception de l'art.
180 Auguste Renoir, La leçon, 1906, Huile sur
toile, 56,5 x 46,7 cm, collection privée.
181 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 20.
182 Ibid., p. 24.
44
De la même sorte l'inspiration des impressionnistes dans
les modèles de la couturière, se situe davantage dans
l'évocation de la couleur ou de la lumière, que dans des
rapprochements directs. La couturière cherche à intégrer
un état d'âme et une atmosphère dans ses créations.
Elle souhaite apporter de la légèreté, de la
lumière comme vues dans les oeuvres impressionnistes. En effet, tous ces
artistes sont différents dans leur style, mais tous ont le même
rapport particulier à la couleur, indissociable de la lumière,
également présent dans le travail de notre couturière. La
transparence du ciel, la chaleur d'une carnation, la vivacité de l'art
sont des sujets présents dans leurs toiles, et Jeanne Lanvin y est
particulièrement sensible183. Dans les oeuvres
d'Eugène Boudin (1824-1898) et d'Edgar Degas, la couturière
reprend des gris et des bleus pâles. L'utilisation de vert chartreux est
à voir dans les oeuvres de Mary Cassatt (1844-1926) dont Jeanne Lanvin
possède quelques toiles184. Le jeu subtil de
complémentaires est une caractéristique de la peinture de Camille
Pissarro (1830-1903), présente aussi dans les modèles de Jeanne
Lanvin185. Le rouge vermillon d'Édouard Vuillard peut
être également observé dans les tenues créées
par la couturière186. Finalement, Jeanne Lanvin s'inspire peu
de sa collection de tableaux pour créer ses modèles, et surtout
jamais de manière directe, sauf pour les couleurs. Cependant, au sujet
de la robe Fusée de 1939, un rapprochement peut-être fait
avec l'oeuvre d'Édouard Vuillard (1868-1940) : Vallotton chez les
Natanson de 1897187 (ill. 11), que Jeanne Lanvin a dans sa
collection d'après Laurent Cotta188. Les broderies de ruban
vermillon sur une faille imprimée noir et grise sur la robe font
référence au foulard rouge vif qui se détache sur la tenue
de Misia Natanson. Malgré tout, cette hypothèse ne s'arrête
qu'à un détail rouge présent dans la peinture ou sur le
modèle, et ne permet pas d'affirmer que Jeanne Lanvin s'inspire
directement de cette oeuvre pour le modèle.
La créatrice aime s'entourer de ses oeuvres d'art et
s'en inspire de manière générale pour le rendu de ses
modèles. Cependant, aucun rapport direct ne peut être fait entre
les oeuvres d'art personnelles de Jeanne Lanvin et ses modèles,
particulièrement au sujet de ses oeuvres impressionnistes
collectionnées.
183 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 162-163.
184 Ibid.
185 Ibid.
186 Ibid.
187 Édouard Vuillard, Vallotton chez les
Natanson, 1897, huile sur carton, 37,5 x 27, 9 cm, collection
privée.
188 « Excepté Vallotton chez les
NatansonÉ aucune autre toile de sa collection n'offre de rapport aussi
évident ». Citation de Laurent Cotta. GROSSIORD, Sophie
(dir.), Op. Cit., p. 162.
45
A.2 -- Pablo Picasso et Henri Matisse dans les
modèles de Jeanne Lanvin.
Jeanne Lanvin collectionne aussi des oeuvres d'art qui lui
sont contemporaines, elle ne reste pas figée sur les oeuvres du
passé189. Ainsi, dans sa collection de tableaux se trouvent
des artistes comme Étienne-Adrien Drian (1885-1961), mais aussi des
oeuvres d'avant-garde, bien que peu nombreuses. Pour l'instant, seules trois
oeuvres sont connues. Une oeuvre de Georges Braque (1882-1963) : le Profil
à la palette en 1939 ; une oeuvre de Roger de Fresnaye (18851925)
en 1923 : l'Écossais et La coiffure de Pablo Picasso
(1881-1973) de 1922 (Annexe I). Jeanne Lanvin rend hommage à Pablo
Picasso en nommant un de ses modèles par son nom en 1929. Alors, que
l'abstraction voit le jour dans les milieux artistiques, la couturière
réalise une série de quatre pulls nommés des «
sweaters », d'une modernité notable. Ces derniers sont de couleurs
unies blanches ou bleu marine avec un col en V. Cependant, sur le devant de
chaque pull figurent des motifs géométriques abstraits. L'un de
ces modèles porte le nom de Piccasso, le lien avec l'artiste
Pablo Picasso est évident malgré le rajout de la lettre « C
» (ill. 12). C'est un modèle de 1929, le pull est de couleur bleu
marine avec un col en V et stylisé de motifs rectangulaires sur le
devant, puis de lignes verticales aux poignets et à la taille. Les
motifs géométriques sur le devant du pull sont deux rectangles et
un carré rouge sur le côté gauche. Pour séparer les
deux rectangles rouges, Jeanne Lanvin place un rectangle beige en forme de S,
puis un autre rectangle beige est présent en bas à droite, et un
sur le haut de la manche droite du vêtement. Il est possible que le
rajout de la lettre « C » soit une erreur. En effet, dans l'index des
modèles réalisés par Jérôme Picon dans son
ouvrage190, un modèle Picasso est nommé,
daté lui aussi de 1929. Ainsi, le nom du modèle Piccasso
présent sur le dessin du « sweaters » est très
probablement une erreur de l'époque, corrigée ensuite par
Jérôme Picon. Un autre « sweater » fait
référence à l'avant-garde artistique du
XXème siècle. Il s'agit du modèle Cubiste
de 1939 (ill. 12). Il s'agit d'un pull sans manches avec une encolure en
V. Le modèle est beige foncé et accompagné de motifs sur
le devant. Le décor est composé d'une large bande noire oblique
parcourant le pull du haut gauche au bas droit. Il y a aussi deux lignes jaunes
qui se croisent dans le bas gauche du pull. De plus, une fine ligne noire
parallèle à la plus grande bande jaune. Un côté de
l'encolure est aussi marqué de la couleur jaune. Là encore, ce
« sweater » est décoré de motifs
géométriques d'une modernité remarquable, et rappelle les
oeuvres géométriques omniprésentes en ce début du
siècle.
189 Christie's France, Collection Jeanne Lanvin Fondation
Polignac Kerjean et Forteresse de Polignac, Paris, 1er Décembre
2008.
190 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 383.
46
Jeanne Lanvin s'inspire aussi de l'oeuvre d'Henri Matisse
(1869-1954) avec la robe Arabesque de 1939 (ill.13) : il s'agit d'une
longue robe à col rond, et aux manches évasées. Sur tout
le long de la robe figure des motifs d'entrelacs, mais surtout des arabesques.
Ce modèle est photographié à l'époque sur un faux
mannequin. Il semble que ce soit une photographie provenant d'un
journal191 (ill. 13). La photographie prise en 1940 présente
le modèle sur un mannequin non vivant assis sur une table. Au second
plan, une représentation d'une oeuvre de Matisse composée des
mêmes motifs que la robe est visible. L'oeuvre de Matisse
représentée sur la photographie est : La leçon de
piano de 1916192 (ill. 13). La couturière s'inspire ici
des motifs arrondis de Matisse présents dans la plupart de ses oeuvres.
Sur la photographie sous le visage représenté dans l'oeuvre se
trouvent deux lignes arrondies se rejoignant. Ce motif est présent de
manière verticale sur la robe de Jeanne Lanvin, au niveau des manches et
sur les côtés de la robe, puis sur la poitrine. Le motif en bas de
l'oeuvre de Matisse est une longue ligne sinueuse avec des points dans les
zones creuses, ces éléments se retrouvent sur le devant de la
robe en dessous de la ceinture. Jeanne Lanvin ici reprend les arabesques
présentes dans l'oeuvre de Matisse. Cette photographie est
intéressante, elle démontre l'influence des arts plastiques dans
les créations de Jeanne Lanvin. Cette dernière l'affirme avec ce
style de photographie, où est représenté un modèle
avec l'oeuvre picturale dont elle s'est inspirée. Le décor montre
aussi un goût pour les arts en général de la part de la
couturière, avec ces colonnes massives décorées de motifs
figuratifs. Un autre modèle de Jeanne Lanvin fait preuve d'une
inspiration au niveau des arabesques. Il s'agit de la robe de 1931, dont le nom
est sans équivoque : Arabesque (ill. 14). C'est une robe en
tulle de soie noire, avec des applications de tulle de soie blanc pour
créer le décor. Ce motif occupe la totalité de la surface
de la robe. Les motifs ne sont pas remplis, seule la ligne est présente.
Cet élément peut rappeler la ligne de Matisse, une fine ligne de
dessins. Cependant, l'inspiration reste légère ici et ne permet
pas d'affirmer une comparaison directe entre le modèle Arabesque
de 1931 et l'oeuvre d'Henri Matisse. Le rapprochement entre les deux
artistes est plutôt théorique, car chez chacun le décor
tient un statut emblématique. Dans les années 19201930, des
éléments comme les arabesques d'un papier peint, le fer
forgé d'une rambarde ou les feuilles d'une plante sont des
éléments aussi essentiels que les arts majeurs193.
Finalement, chez Henri Matisse, l'ornement est aussi noble que le reste de
l'oeuvre et c'est une idée
191 Photographie tirée d'un journal dont le nom n'est
pas connu. Pas daté. Photographie disponible à la
bibliothèque municipale Forney à Paris.
192 Henri Matisse, La leçon de Piano, 1916,
Huile sur toile, 245,1 x 212,7 cm, Museum of Modern Art, New-York.
193 FELICI, Lucio (dir.), Encyclopédie de
l'Art, Paris, Libraire Générale Française, 2005.
Notice sur Henri Matisse.
47
présente dans les modèles de Jeanne Lanvin. Les
détails d'une grande finition sont l'une des caractéristiques des
créations de Jeanne Lanvin, cela se retrouve dans les surpiqures, les
broderies ou des techniques comme l'appliqué. De manière
générale, les robes de Jeanne Lanvin sont assez sobres dans leurs
couleurs unies et leurs coupes élégantes, et ce sont souvent les
détails qui amènent l'originalité et le style aux
créations de la couturière194. Cette idée que
l'ornement est inséparable du décor est aussi un principe fort de
l'Art Nouveau, mouvement contemporain à Jeanne Lanvin qui l'a
certainement influencé.
Ces artistes appartiennent aux mouvements artistiques
d'avant-gardes du XXème siècle,
particulièrement influents dans les années 1920 dans le milieu de
la mode et de la décoration. Un style comme le cubisme est souvent
repris par des motifs géométriques et anguleux. Jeanne Lanvin
comme d'autres couturiers se laisse influencer par ces artistes
avant-gardistes, et s'ouvre vers un mouvement artistique contemporain de ses
collections : l'Art déco.
A.3 -- L'art déco, une source d'inspiration pour la
Haute Couture des années 1920.
Jeanne Lanvin côtoie des artistes du style Art
déco, l'influence de ce mouvement sur ses modèles est
spontanée. Tout d'abord, la couturière s'associe avec le
décorateur Armand-Albert Rateau, artiste important de ce mouvement
même s'il garde son propre style inspiré d'oeuvres antiquisantes.
Surtout, la couturière souhaite un logo pour sa maison de haute couture.
C'est un fait novateur pour cette époque, où la plupart des
couturiers signent seulement de leur nom195. C'est l'illustrateur et
le décorateur Paul Iribe, né en 1883 et mort en 1935, qui s'en
chargent. L'artiste est souvent considéré comme l'un des
précurseurs du style Art déco en France196. Il
travaille aussi comme illustrateur de mode collaborant avec Paul Poiret,
Jacques Doucet et Coco Chanel. Pour la couturière Jeanne Lanvin, il
réalise le logo de la maison en 1923 en reprenant une photographie
personnelle de Jeanne Lanvin et de sa fille lors d'un bal costumé
donné en 1907197. Il retravaille la photographie en stylisant
les tenues enflées, suggérant une ronde entre les tenues et les
mains jointes de la fille et de la mère. Aujourd'hui le logo est
toujours celui de la maison Lanvin.
194 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 109-112.
195 Ibid., p. 19.
196 Ibid.
197 Ibid.
48
L'Art déco est un style artistique présent entre
les années 1920 et 1930, en place aussi bien dans les arts
appliqués que l'architecture et l'art graphique. Il se pose en
héritier de l'Art Nouveau mais rejette tout surcharge ornementale ou
motifs floraux. L'Art déco se caractérise davantage par des
figures animales ou féminines. Les lignes sont plus
épurées, les couleurs plus vives, les lignes sobres et surtout
géométriques. L'Art déco est à son apogée
lors de l'Exposition Universelle des Arts décoratifs de
1925198. Lors de cette exposition, des ponts importants sont faits
entre les arts décoratifs et la mode. L'objectif étant d'abolir
les frontières entre ces deux domaines artistiques199.
L'artiste Sonia Delaunay (1885-1979) le prouve avec la création de
tissus simultanés en 1923, puis en 1924 avec des robes illustrant un
poème de Joseph Delteil200. Elle ira jusqu'à ouvrir
une boutique de vêtements lors de l'Exposition internationale des Arts
décoratifs de 1925201. Les liens entre les deux domaines
artistiques sont aussi présents chez la couturière Elsa
Schiaparelli. Cette dernière collabore souvent avec des artistes
surréalistes comme Salvador Dalí (1904-1989) et aime
particulièrement détourner la fonction des vêtements pour
leur donner une dimension symbolique, comme en détournant un escarpin en
chapeau en 1937202. La mode ne s'est certainement jamais autant
inspirée de l'art plastique que dans les années 1920, en
utilisant des créations qui leur sont contemporaines. Avant 1925, il
s'agit d'un style reprenant des motifs géométriques, alors
qu'à partir des années 1920 ce sont des motifs se tournant vers
l'abstraction. De manière générale, l'Art déco est
une source d'inspiration pour de nombreuses maisons de couture de
l'époque comme Paul Poiret ou Jacques Doucet, notamment pour les
accessoires203. Jeanne Lanvin puise dans l'Art déco et
s'inspire de motifs géométriques comme le décrit Dean
Merceron :
« Jeanne Lanvin, et avec elle toute la communauté
de la mode, fit de l'association noir-blanc-argenté le comble du chic.
Au plus fort de l'ère Arts-déco, ce furent les couleurs de
prédilection de la haute couture. Le noir, en particulier, rappelait la
couleur des laques tant prisées par les arts décoratifs et
l'ébénisterie du temps »204.
La couturière reprend principalement ce style pour
l'ornementation de ces tenues. Certains modèles sont explicitement de
style Art déco par leurs motifs géométriques
répétés qui imposent un rythme. Deux modèles de
Jeanne Lanvin montrent cette influence de l'Art
198 CARL, Klaus H. ; CHARLES, Victoria, Art Déco,
New-York, Parkstone Press International, 2013.
199 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 192-195.
200 DELTEIL, Joseph, La mode qui vient, illustrée
par des modèles de Sonia Delaunay le 24 mai 1924.
201 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 257-258.
202 DESLANDRES, Yvonne ; MLLER, Florence, Histoire
de la mode au XXème siècle, Paris, Somogy, 1986,
p. 168.
203 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 257-258.
204 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 278.
49
déco : les modèles Boulogne et
Guilheim (ill. 15). La robe Boulogne de la collection hiver
de 1920 est en crêpe de couleur beige avec des surpiqures rouges. Les
motifs géométriques sont des applications de velours bleu marine.
La tenue est aussi composée de broderies de perles blanches. Le second
modèle, nommé Guilhem ou Ali Baba date aussi de
la collection hiver de l'année 1920. C'est une robe en crêpe
georgette de couleur beige clair avec des surpiqures rouges. Les motifs
géométriques sont ici noirs et posés en application. La
tenue est aussi composée de perles blanches brodées. Cette tenue
propose un fond de robe en crêpe et pongé noir avec un plastron
brodé de corail, d'or et de perles blanches. Les deux modèles ont
le point commun d'être de couleur crème pour le fond et de
créer un contraste avec les couleurs rouge ou bleu marine. Les motifs
sont en formes de triangle et se répètent. La série des
sweaters de 1929, cité au-dessus est aussi un rappel de l'Art
déco par ses motifs d'art géométrique, voir même
abstrait avec des couleurs fortes. Ces pulls sont de couleurs neutres : bleu
marine, beige ou blanc et décorés de motifs
géométriques sur le devant. Ce sont des motifs de couleurs
rouges, bleus, noirs créant un contraste avec le reste du pull. Ces
pulls sont d'une modernité remarquable pour l'époque, et,
même, encore de nos jours. L'inspiration géométrique est
aussi présente dans le modèle Pénombre de 1929
(ill. 16). C'est une robe faite en mousseline de soie blanc et noir. La coupe
et le perlage sont asymétriques. Le décor de la tenue est
réalisé par une juxtaposition de triangles de perles tubulaires
noires en jais et blanc satiné. Ce mélange crée un
contraste avec le noir scintillant et le blanc mat. Le décor par ses
triangles est géométrique sur tout le long de la robe.
Jeanne Lanvin s'inspire du style Art déco dans ses
modèles par différents biais, cela passe aussi par l'harmonie
bicolore et surtout de noir et blanc qu'on observe dans ses chapeaux dès
1909205. L'un des modèles les plus représentatifs de
cette combinaison de noir et de blanc est le modèle : les
Éclairs de la collection été de 1933 (ill. 17). Cette
robe est en mousseline de soie blanche imprimée noire. Le modèle
reprend les caractéristiques des robes du soir. Elle est près du
corps, les manches sont de dimensions et de formes conséquentes,
l'addition de volumes est judicieusement placée. Les rayures obliques
permettent d'affiner la silhouette au niveau de la taille. Les manches en
mousseline effeuillées donnent l'impression d'un modèle
léger. La couturière cherche avant tout à magnifier les
femmes qui portent ses tenues. Deux autres modèles correspondent
à cette combinaison de blanc et de noir, mais aussi à cette
idée de géométrie et de symétrie. Il s'agit des
robes Concerto et Sèvres réalisées entre
1934-1936. (ill. 18). Le modèle Concerto, est une robe en
crêpe de couleur ivoire, dont le col cabochon
205 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 43.
50
est en rhodoïd, fait en pointes-de-diamant cousues sur du
tulle ivoire. La robe Sèvres en est le parfait opposé.
La robe est en crêpe de couleur noire, et agrémentée au col
du même plastron mais couleurs ivoires. Cependant, des manchettes ivoire
dans la même matière sont rajoutées sur ce modèle.
Deux modèles présentent aussi cette même opposition. Les
modèles Orphée et Passionnata de la collection
hiver de 1928 (ill. 19). La robe Orphée est une robe blanche
avec un détail noir à la ceinture et un pan de la jupe noire. La
robe Passionnata offre le parfait opposé. C'est une robe noire
avec les détails blancs. Ces modèles reprennent l'harmonie
bicolore présente dans l'Art déco au début du
XXème siècle. Le contraste entre les deux couleurs est
parfois associé à des couleurs acidulées, couleurs dites
« fauves » ou au « bleu Lanvin »206. Mais le
noir et le blanc s'accordent avec des lignes claires qui soulignent leur
tracé ou suscitent une illusion de mouvement et d'espace dans le
vêtement. Cette association de couleurs est réellement
appréciée par la créatrice, qui l'utilise parfois dans son
décor privé, mais aussi dans ses vêtements. Le sol de sa
salle de bain au seize rue Barbet-de-Jouy, est fait d'un motif
géométrique à bases de triangles composées de
marbre de couleurs noir, blanc et ocre207 (ill. 2). La
créatrice utilise aussi cette opposition binaire dans ses tenues
personnelles. Elle est généralement habillée en tailleur
noir et blanc208.
L'inspiration pour l'Art déco est aussi présente
dans l'utilisation de la couleur argentée. Celle-ci rappelle celles des
laques prisées par les arts décoratifs et
l'ébénisterie au début du XXème
siècle209. On la retrouve dans la plupart des collections de
l'époque comme le démontre cette citation :
« La folie actuelle pour l'argenté, qui a
déjà balayé tous les aspects de la décoration
d'intérieur, se porte aussi sur la mode et les accessoires. Apparue en
1922, elle a duré quelques années. Inexplicable, comme la plupart
des engouements. Cet enthousiasme pour l'argent de préférence
à l'or s'est manifesté par la multiplication des brocarts
lamés, des
gazes argentées, des broderies de fil argenté,
du lamé argent, des franges argentées, souvent associés
à des fonds noirs, corail ou vert jade »210.
L'argenté est souvent combiné avec le noir, ou
une palette de couleurs qui comprend des roses tendres, du vert, des bleus,
dont le fameux « bleu Lanvin ». Un modèle de 1936 non
nommé et composé d'une veste de soirée en lamé
argent en est un parfait exemple. La silhouette reprend une coupe de type
chinoise, mais la veste en argent ressort sur le reste de l'ensemble en noir.
Jeanne Lanvin utilise aussi de nombreuses fois l'argent dans les motifs et
206 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 272.
207 Ibid., p. 292.
208 Ibid., p. 272.
209 Ibid., p. 278.
210 Citation Vogue, 1926, MERCERON, Dean L., Op.
Cit., p. 278.
51
les décors de ses créations, notamment pour les
paillettes ou les fils de broderie. C'est le cas avec le modèle de 1925,
Clair de Lune (ill. 20) qui est une cape monacale en lamé
argent. Le capuchon surdimensionné est composé de motifs
géométriques et se termine par un pendentif avec un
gland211.
La couturière s'inspire de l'Art déco dans le
choix de motifs géométriques ou de couleurs argentées dans
ses collections. Ce mouvement est le seul mouvement artistique contemporain
dont la créatrice s'inspire, préférant davantage se
tourner vers des oeuvres plus anciennes et classiques pour le choix des
couleurs ou des broderies.
B -- La couleur et les broderies
B.1 -- Le mariage des couleurs et leurs origines
artistiques
La couleur est l'une des caractéristiques principales
des modèles de Jeanne Lanvin. Tout d'abord, la couturière ouvre
une usine de teinture pour son entreprise en 1923 à Nanterre. Là
encore, sa bibliothèque prouve ce goût et cette attention
portée aux couleurs avec deux ouvrages : Les couleurs d'aniline de
la Badische Anilin & Soda-Fabrik Ludwigshafen s/Rhin et leur application
sur laine, coton, soie et autres fibres textiles212 ; et
l'autre ouvrage est Le Répertoire de couleurs pour aider à la
détermination des couleurs des fleurs, des feuillages et des fruits
publiés par la société française des
chrysanthémistes en 1905213.
Jeanne Lanvin est reconnue pour l'emploi subtil des couleurs
dans ses modèles214. Elle joue avec comme un peintre jouerait
avec sa palette de couleurs. Même si elle utilise le noir de
manière conséquente dans ses modèles, la plupart sont
rehaussés de tons chauds, « fauvistes » allant du vert
chartreux, à la rouille ou à l'orange ocre. Un assombrissement du
coloris des modèles est à noter pendant les deux guerres
mondiales215. Le goût pour les couleurs se retrouve
évidemment dans les tenues, mais aussi dans le nom des modèles
comme Coquelicot, Satan, Rubis,
Émeraude, Fuschia, Pistache,
Épinard, Jonquille. C'est avec Albert-Armand Rateau
qu'elle définit les couleurs emblématiques de la maison Lanvin
qui sont le blanc, le
211 Ouvrage de passementerie de forme ovoïde, souvent
orné de houppes ou de franges.
212 Les couleurs d'aniline de la Badische Anilin &
Soda-Fabrik Ludwigshafen s/Rhin et leur application sur laine, coton, soie et
autres fibres textiles, Ludwigshafen, Badische Anilin & Soda-Fabrik,
1901.
213 DAUTHENAY, Henri ; OBERTHR, René,
Répertoire de couleurs pour aider à la détermination
des couleurs des fleurs, des feuillages et des fruits, Paris, Librairie
horticole, 1905.
214 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 272.
215 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 136.
52
noir et le bleu, et de manière générale
les coloris délicats. Jeanne Lanvin est reconnue comme une coloriste
sensitive, créant ses propres couleurs à l'aide de son atelier de
teinture et développe une palette de couleurs harmonieuse. Une citation
de Mary Pickford216 dans un entretien à Vogue le
montre :
« Paris, Lanvin !! Deux noms que j'aime parce qu'ils
évoquent pour moi tant de belles choses. Ce que j'ai trouvé ici ?
Des modèles très jeunes comme je les préfère et une
harmonieuse compréhension des couleurs »217.
Cette harmonie des couleurs et ce goût pour les tons
chauds dans ses modèles sont intéressants, voire même
ironiques, quand on sait que Jeanne Lanvin s'habille quasiment toujours en
tailleurs blanc et noir et aborde peu souvent de la couleur sur ses tenues
personnelles. Les couleurs que Jeanne Lanvin utilise sont le fruit d'une
étude intense sur les couleurs, et reflètent dans la plupart des
cas ses artistes et ses amis préférés comme Édouard
Vuillard, Auguste Renoir ou encore Odilon Redon218. Elle aime aussi
utiliser des couleurs tranchées inspirées de l'art italien de la
Renaissance et notamment de l'artiste Fra Angelico. Son sens de la couleur
prend naissance dans une appréciation active des arts visuels comme le
montre cette citation :
« Un lambeau de fresque délavé au fond
d'une église, le balcon d'une maison, un portrait dans un musée :
elle s'approchait, fixait le détail ornemental, la nuance de coloris -
et cela
devenait, l'année suivante, un motif de broderie, ou le
« Rose Polignac » ou le « vert Vélasquez
»219.
Deux noms de couleurs créées par la maison
Lanvin portent le nom d'artistes. Tout d'abord le « rose Polignac »
faisant référence au nouveau nom de sa fille220.
Depuis son second mariage avec le comte Jean de Polignac, Marguerite s'est
rebaptisée Marie-Blanche de Polignac. Ce rose est créé
pour rendre hommage à sa fille qui portait très souvent une
nuance de rose corail, un peu atténué. Le « rose Polignac
» est peut-être légèrement inspiré du rose
présent dans les oeuvres de Pierre Bonnard (1867-1947). C'est un rose
pâle allant vers le beige.
L'autre couleur portant un nom d'artiste est le « vert
Vélasquez », qui s'avère être un vert amande dans les
modèles de Jeanne Lanvin221. Diego Vélasquez est un
artiste assurément
216 Mary Pickford est une actrice canadienne née en 1892
et morte en 1979 à la renommée internationale.
217 Citation de Mary Pickford. PICON, Jérôme,
Op. Cit., p. 138.
218 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 162.
219 SCHLUMBERGER, Éveline, Art. Cit., p. 62-70.
220 Texte Interne de la maison Lanvin sur le « bleu Lanvin
» écrit en 2013 et 2014.
221 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 83.
53
apprécié par la couturière pour qu'elle
donne son nom à l'une de ses couleurs. Le peintre est un artiste
espagnol né en 1599 et mort en 1660 qui réalise de nombreux
portraits d'une grande finesse, et souvent en pied permettant donc de voir la
tenue en entière. Il voyage en Italie et en revient avec de grandes
inventions chromatiques qui vont sûrement séduire Jeanne Lanvin,
cette amoureuse de l'art italien. Diego Vélasquez est un peintre qui
utilise une technique visible chez les peintres flamands. Il utilise un fond
clair sur lequel s'ajoutent des couleurs transparentes. Cette technique permet
d'apporter une grande luminosité au tableau. Néanmoins, le
peintre n'utilise pas des couleurs criardes ou tranchées, sa palette
chromatique est restreinte et se tourne principalement vers des tons terreux.
Il utilise bien du vert dans ses oeuvres, mais il s'agit d'un vert sombre
tourné vers le marron. L'une des oeuvres où le vert est le plus
frappant est le portrait de Sebastiàn de Morra, peint en
1645222 (ill. 21). Dans cette oeuvre, l'artiste représente un
nain assis, les poings sur les jambes. Il est vêtu d'une tenue verte avec
des manchettes blanches sûrement en dentelle et surmonté d'une
cape rouge avec, encore, de la dentelle au niveau du col. Dans cette oeuvre, le
vert est présent, il est franc et plus lumineux que dans les autres
oeuvres de Diego Vélasquez. Cependant, le vert ne peut être
défini comme une couleur caractéristique de l'artiste. De plus,
celui utilisé par Jeanne Lanvin est différent, le vert est
plutôt vert-amande ou vert-absinthe, donc avec des nuances
claires223. Au contraire, le vert utilisé par Diego
Vélasquez est plutôt un vert foncé, un vert dit «
sapin » de nos jours. Jeanne Lanvin utilise le vert absinthe dans la robe
Lesbos de l'année 1925 (ill. 21) présentée
à l'Exposition internationale des Arts décoratifs. Ce
modèle est une robe de soie et satin de couleur vert absinthe,
composée de deux bandes libres lamées et perlées
accrochées aux épaules, et de deux autres accrochées au
début du décolleté. Ce vert est aussi repris dans la robe
la Duse de 1925 (ill. 21), une robe en soie de couleur verte absinthe,
accompagnée d'un tulle vert absinthe. La tenue est décorée
de broderies de perles, de strass et de tubes argentés. Cependant, au vu
des rapprochements des oeuvres du peintre et des modèles de la
couturière, le vert nommé Vélasquez par Jeanne Lanvin n'a
rien à voir avec le vert utilisé par l'artiste dans ses oeuvres.
Néanmoins, une influence de la peinture de Vélasquez est
présente dans les créations de Jeanne Lanvin au niveau de la
coupe des vêtements224. En effet, la plupart des robes
présentes dans les compositions de Vélasquez sont des robes
à la silhouette infante avec de très larges jupes comme dans
l'Infante Marguerite en bleu de
222 Diego Vélasquez, Portrait de Sebastian de
Morra, 1645, Huile sur toile, 106,5 x 81 cm, Musée du Prado.
Madrid.
223 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 83.
224 Ibid.
54
1659225 (ill. 22). Jeanne Lanvin étudie les
oeuvres de l'artiste grâce à un ouvrage de sa bibliothèque,
un tome sur Vélasquez dans la collection Les Classiques de l'art
édité par Hachette en 1911. Le terme « infante » est un
titre donné aux enfants nés après l'aîné
parmi les héritiers des rois d'Espagne et du Portugal. Les robes
infantes sont donc les robes que les petites filles héritières
portent. Il s'agit d'une reprise avec leurs larges jupes de la robe à
paniers et de la robe crinoline. Comme le montre cette citation :
« Les demoiselles d'honneur qui porteront ces robes et
l'élite des jeunes et jolies femmes qui se sont inlassablement
vouées « au style » nous feront rêver tour à tour
de Winterhalter, des Infantes de Vélasquez et des Vénitiennes de
Longhi, tout en demeurant - par le miracle de Lanvin - de fines silhouettes
bien modernes »226.
Il y a deux modèles de Jeanne Lanvin reprenant cette
ligne infante. La première, une robe de style de 1920 (ill. 22), en
faille de soie noire rebrodée de perles de verre et de cristal. L'ourlet
de la jupe est rebrodé de bandes de fils métallisés
dorés et de petits miroirs ronds. La jupe est très large,
à la manière d'une robe infante, des paniers de largeurs sont
placés sous la jupe. Puis, un autre modèle reprend
également la ligne infante, il s'agit de la robe Minerve de
1928 (ill. 22). C'est une robe en dentelle lamée et en tulle diaphane.
Le bas de la robe est large. Le bas de la jupe forme une pointe
asymétrique.
Jeanne Lanvin apporte un grand soin aux couleurs dans ses
créations, à tel point qu'elle invente ses propres nuances avec
ses ateliers de teinture. Le nom de ses couleurs est parfois inspiré de
peintre, comme Diego Vélasquez. Cependant, la couturière emprunte
plus une ligne de jupe précise à Vélasquez, que son vert.
Son goût pour les couleurs fortes lui vient certainement plus des
artistes italiens et de leurs palettes chromatiques. La couturière
apporte aussi un grand soin aux détails de ses tenues, dont les
broderies.
B.2 -- La broderie, l'ultime détail des
modèles Lanvin.
Les broderies sont l'une des caractéristiques
principales de l'art de Jeanne Lanvin227. Après la
Première Guerre mondiale, elle favorise le travail de broderie et de la
dentelle228. La maison Lanvin est composée de trois ateliers
de broderie. Les premiers sont des ateliers dits
225 Diego Vélasquez, L'Infante Marguerite en bleu,
1659, Huile sur toile, 127 x 107 cm, Le Kunsthistorisches Museum,
Vienne.
226 « Lanvin », La Gazette du Bon Ton, Paris,
1925, supplément au n7, p. 319.
227 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 109.
228 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 134.
55
classiques avec des ouvrières qui travaillent les
broderies à la main pour un travail de précision. Il y a aussi
des ateliers dits mécaniques ou « Cornelie »229
pour des détails moins techniques230, même si les
broderies se font surtout à la main. En tout, ce sont environ 1000
personnes qui travaillent dans les ateliers de la maison Lanvin. Un chiffre
remarquable, qui dénote de la richesse de cette maison de haute couture
et du soin apporté à ses tenues, et notamment aux
décors231. D'après Olivier Saillard, les ateliers de
la maison Lanvin, dont ceux de broderies ont été parmi les plus
talentueux de Paris à cette époque.232 Ce goût
pour la broderie, et généralement du détail soigné
lui vient de la création de chapeaux233. En effet, Jeanne
Lanvin avant de créer des robes confectionnait des chapeaux. À
l'époque, le chapeau est un accessoire dans lequel le décor prend
régulièrement le dessus sur la fonction pratique. Le chapeau est
constitué de plumes, de rubans, de dentelles ou encore de perles. C'est
un accessoire transformable au grès des envies. La couturière
n'oublie pas ces éléments et les réutilise dans la couture
amenant l'originalité de ses tenues par les détails comme le
décrit Sophie Grossiord :
« La prédilection de Jeanne Lanvin pour le
décor brodé, d'un grand raffinement, se manifeste très
tôt. La maison se fait une spécificité des applications de
passementerie et des rehauts soutachés d'or qui dessinent, chez l'adulte
comme chez l'enfant, de délicats décors vermicultés
»234.
La couturière emploie les broderies de
différentes façons avec de fausses perles fines, des perles de
verres, des perles blanches ou de couleurs, des perles argentées, des
perles rondes ou plates. Mais les broderies sont aussi parfois composées
de tubes, de plumes, de copeaux de métal, de bandelettes de fourrure ou
encore de paillettes. Les broderies sont souvent de différentes
couleurs. Généralement, on retrouve les broderies sur les
ceintures ou les ourlets de jupes tombant à la cheville, mais aussi de
nombreuses fois sur le devant du vêtement235. Jeanne Lanvin
utilise particulièrement la broderie dans les années
1920-1925236, ainsi que le perlage. Néanmoins, elle abandonne
ces deux techniques au profit du travail des
229 Le véritable nom de ces machines à coudre
mécanique est Cornely. L'orthographe « Cornelie » est
certainement une erreur d'orthographe de l'époque.
VAUDOYER, Mary, Le livre de la Haute Couture, Neuilly-sur-Seine, V
& O Éditions, 1990. Propos page 242 : « [É] elle sera
d'ailleurs la première à intégrer dans son
établissement deux ateliers permanents de broderie : un, classique, de
broderies à la main et un second de broderies mécaniques dites
« Cornelie », du nom de son inventeur. »
230 VAUDOYER, Mary, Op. Cit., p. 242.
231 Groppo Pierre, « Visite privée de l'exposition
Jeanne Lanvin au Palais Galliera », Site internet Vogue Paris, 8
mars 2015. Propos d'Olivier Saillard, directeur du palais Galliera -
Musée de la mode de la ville de Paris.
232 Ibid.
233 GROSSIORD, Sophie (dir), Op. Cit., p. 49-50.
234 Ibid., p. 110.
235 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 109-112.
236 Ibid.
56
tissus comme le lamé vers 1930. L'un des modèles
illustrant ces broderies est le modèle Cyclone
réalisé en 1939 (ill. 23). C'est une robe de soirée
en taffetas gris fumée tirant sur le noir. Le bas de la robe est
baleiné à double volant. Le bustier, la bretelle et le
côté droit au niveau de la hanche sont rebrodés de
paillettes argentées, de perles de rocaille et de petites marguerites en
verre corail. Le modèle Mille et une nuits de 1925 (ill. 24)
est aussi un parfait exemple des broderies de la maison Lanvin. C'est une robe
du soir en crêpe de soie vert absinthe lamé et brodé de
perles nacrées, de cristaux du bijoutier Swarovski et de longs tubes
transparents. Les découpes en lamé sont aussi ornées des
mêmes détails, elles sont reliées aux avant-bras.
L'encolure est agrémentée d'un sautoir à double rang en
trompe-l'oeil. La robe a pour but d'être « une robe bijoux
»237. Les robes de Jeanne Lanvin se transforment en
véritable bijou pour les clientes. L'idée est de rien n'avoir
à enfiler d'autre que la robe. Ce sont surtout les robes pour le soir
qui sont ornées de manière somptueuse, comme l'explique cette
citation d'époque du magazine Vogue : « Les broderies de perles
somptueuses comme un travail de joaillerie restent les plus
élégantes pour le soir »238. Les bijoux sont un
accessoire primordial dans les tenues du soir de l'époque permettant de
montrer son statut social, et aussi son élégance. Une citation
d'un article rappelle l'importance du bijou dans les tenues bourgeoises du
début du XXème siècle : « En un temps
où l'élégance véritable exige un bijou pour chaque
robe, un bijou qui s'harmonise avec le vêtement par la couleur et par le
style, on devait arriver à travailler en bijoux les perles
irisées et les gemmes scintillantes »239. La presse de
l'époque fait les louanges de ces robes en rappelant leurs similitudes
avec la joaillerie. Certains décors de robes s'apparentant à de
longs sautoirs comme la robe Lesbos de 1925 (ill. 21).
À la fin des années 1920, Jeanne Lanvin dresse
la broderie et le perlage au sommet de leur art en réunissant l'ornement
flamboyant et brillant avec le classicisme sobre des robes du
soir240. Cette excellence dans les broderies est reconnue par les
journalistes de l'époque qui ne manquent pas de le rappeler aux futures
clientes :
« Les broderies, cette saison, sont faites
d'incrustations d'étoffe ou de fourrure, en rosaces, en étoiles,
en bandes, en losanges, souvent serties ou rebordées de métal, de
perles, de nacre ou d'ivoire sculpté. [É] Les robes du soir sont
toutes des chefs-d'oeuvre. Tuniques blanches de satin incrusté de
rosaces de soie rose rebrodées de perles, fourreaux noirs largement
rayés de pourpre soulignée de losanges de sequins brillants,
dentelles d'azur aux
237 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 109-112.
238 Vogue, 1er Septembre, 1925, p. 4.
GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 112.
239 « Robes perlées », Gazette du Bon
Ton, n6, 1924-1925, p. 291. PICON, Jérôme, Op.
Cit., p. 134.
240 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 109.
57
ailes constellées de diamants forment une merveilleuse
symphonie de formes et de couleurs »241.
Ce goût pour la broderie et le perlage de la
couturière lui vient des tuniques242. Ce vêtement est
un haut qui se caractérise par son absence d'ouverture sur le devant. Ce
type d'habit est présent dans les pays orientaux ou dans le monde
liturgique et il est généralement orné. Jeanne Lanvin aime
ce vêtement simple qu'elle marie avec un décor riche très
apprécié de l'époque, comme la broderie243.
C'est un vêtement courant dans les pays orientaux où se trouvent
aussi de nombreuses broderies qui inspirent la couturière comme le
montre le modèle Saxe de la collection hiver de 1912 (ill. 25).
Ce modèle est une robe de velours de soie bleu clair et sur le devant de
la tenue se trouve une broderie faite de fils noirs, bleus, ocre et rouges. Ce
modèle reprend les caractéristiques de la tunique par sa coupe
peu ouverte sur le devant et par ses motifs d'inspiration orientale
Jeanne Lanvin est réputée pour ses broderies qui
sont d'une grande finition, mais aussi pour le renouvellement qu'elle offre
à cette technique244. En étudiant les tissus
étrangers et notamment orientaux, la couturière découvre
de nouvelles techniques de broderie comme la méthode du « m'tra
»245 et du « ménézel
»246. Ces techniques orientales mettent fin
au matelassage de soie repiquée au travers et point passé plat.
Ce ne sont plus des broderies françaises classiques comme on pouvait
trouver dans les régions de la Bretagne, de la Flandre et de l'Auvergne.
Finalement, c'est surtout des cultures étrangères que Jeanne
Lanvin s'inspire, notamment en Roumanie ou au Japon.
B.3 -- L'exotisme dans les broderies.
Jeanne Lanvin s'inspire beaucoup de l'Orient dans la
réalisation de ses broderies247. C'est une région
d'une grande ressource pour le textile avec notamment, des tissus comme le
coton ou encore la laine. Cette influence est aussi due à un contexte
historique différent, les voyages des Européens vers l'Orient se
développent au tournant du XXème siècle. De
plus, la France est un pays colonial important avec des colonies se trouvant en
Afrique du Nord, Afrique
241 Gazette du Bon Ton, n°2, 1924, p. 52-53.
GUÉNÉ, Hélène, Décoration et haute
couture : Armand Albert Rateau pour Jeanne Lanvin, Paris, Éditions
Les Arts Décoratifs, 2006, p. 167-169.
242 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 133.
243 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 230.
244 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 133.
245 Ibid.
246 Ibid.
247 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 146.
58
subsaharienne et en Asie du Sud-Est. Cette influence se
retrouve dans les broderies, mais aussi simplement dans le nom de ses
modèles comme avec Ramsès (1931), Maharanée
(1925), Istamboul (1929-1930) ou encore Ali Baba
(1925).
L'influence de l'Orient en Occident est aussi amenée
par des raisons politiques comme la révolution de Téhéran
vers 1925, marquant le passage alors d'un état souverain à une
constitution, le peuple réclame une assemblée, le pays se tourne
alors vers la modernité. La révolution met en lumière la
Perse à cette époque peu connue en Occident, et cela se ressent
dans les broderies de l'époque. Jeanne Lanvin s'inspire des broderies de
style persanes dans le modèle Sigurd ou Lohengrin, de
la collection été de 1927 (ill. 26). C'est un manteau dalmatique
du soir en taffetas de soie noir. Sur ce manteau sont présentes des
broderies de paillettes et de fils métalliques or et cuivre. Ces
broderies s'inspirent de la broderie Perse, qui reprend souvent des motifs
floraux et entremêlés248. Ici les paillettes tentent de
créer des motifs floraux en bas du manteau, avec des tiges et l'arrondi
des feuilles. Jeanne Lanvin possède plusieurs ouvrages dans sa
bibliothèque sur l'art Perse dont un sur les miniatures persanes.
Cet orientalisme constant à l'époque se ressent
dans la peinture avec des artistes comme Eugène Delacroix (1798-1863) ou
encore Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867). Dans le mobilier, il y a des
oeuvres faisant référence à la Chine, la Turquie ou encore
le Japon. Cette tendance s'observe aussi dans les vêtements avec
l'apparition de broderies orientales, de manches kimono, ou de plumes.
L'exotisme est une source d'inspiration constante et inévitable pour la
mode dans les années 1920. Jeanne Lanvin le prouve avec deux
modèles. Tout d'abord, le modèle Ermite daté vers
1910-1914 est un modèle de manteau à capuche d'inspiration
orientale, qui rappelle les manteaux d'hommes orientaux du nom de burnous,
visible principalement en Afrique du Nord. Une photographie disponible à
la bibliothèque Forney présente un modèle de 1945 (ill.
27). Le modèle est d'inspiration orientale. La jupe est de couleur vert
jade et accompagnée d'un haut bleu turquoise, brodé de paillettes
et de cabochons verts. Un large pan du haut bleu se prolonge devant la jambe
droite, cela accentue l'effet d'ampleur vers le bas de la tenue. Le
modèle est aussi accompagné d'un bandeau turquoise dans les
cheveux. Ainsi, de manière générale Jeanne Lanvin se
laisse influencer comme les autres maisons de couture, par le style oriental
qui touche les pays occidentaux au début du XXème
siècle. En effet, des maisons de couture comme celle de Paul Poiret sont
aussi touchées par cette vague d'exotisme249. Cependant, la
couturière de la maison Lanvin va au-
248 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 132.
249 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 123-125.
59
delà d'une simple reprise des codes vestimentaires
orientaux, et s'inspire aussi de l'art oriental et ses motifs.
Les mosaïques byzantines sont une source d'inspiration
pour la couturière par ses détails précis et nombreux
malgré des périodes stylistiques abstraites, vers le
Xème siècle250. Janine Alaux l'exprime
ainsi dans son ouvrage : « [É] l'or des mosaïques byzantines
transposé en brocart »251. C'est un art décoratif
abstrait qui permet de puiser dans ces motifs. Jeanne Lanvin utilise aussi
cette influence dans le nom de ses modèles avec la tenue nommée
Bysantin de 1929, dont robe en tulle noir avec un gilet sans manches
décoré de quadrilatères n'offre peu de relation avec
Byzance, si ce n'est le choix de la couleur doré pour le
décor.
Les broderies sont surtout influencées par l'art
graphique islamique, comme sur le modèle In Salah au niveau de
la broderie (ill. 28). C'est un modèle de 1929. Il s'agit d'une veste en
crêpe de couleur bleu marine, avec un col vert céladon. Les
manches sont longues et évasées au niveau des poignets. La veste
est décorée de broderies faites de fils beiges et de perles
blanches. Les motifs sont présents sur les manches et le devant de la
veste. Ce motif évoque ceux de l'art islamique par leurs arrondies et
leurs arabesques végétales252. La veste peut
même être rapprochée précisément d'une plaque
de revêtement en céramique présentant une calligraphie,
provenant d'Iran, daté de 1350-1400. Cette plaque offre des motifs aux
lignes sinueuses faites d'arabesques. Le modèle Jupiter de 1920
(ill. 29) est aussi un bon exemple de ses inspirations orientales multiples. Le
vêtement est un manteau en velours de couleur violine, avec un
décor en lamé or. Le manteau est composé de piqûres
et de broderies de fils d'or. La coupe est simple et ample, ce qui s'oppose
à la richesse du décor. Celui-ci se trouve dans le dos en haut du
manteau. Et à l'avant sur les parements du col châle, les poches
et le bas des manches. L'utilisation du velours permet de créer des jeux
de lumière avec le décor doré. Le décor est fait de
motifs géométriques s'inspirant de l'art égyptien,
byzantin et de l'Art déco. Comme toujours la couturière s'inspire
de motifs anciens ou ici orientaux, en les réinterprétant de la
manière moderne, et ici en les stylisant dans un esprit Art
déco.
Jeanne Lanvin dépasse les arts orientaux et s'inspirent
parfois des arts précolombiens. En effet, des motifs reprenant des
formes aztèques sont aussi présents dans les créations de
la couturière253, comme sur ce modèle de 1920-1924
(ill. 30), non nommé : c'est une robe en taffetas de soie noire avec de
la dentelle et de la mousseline noire. La jupe est à huit pans. La
250 ALAUX, Janine (dir.), Op. Cit., p. 27.
251 Ibid.
252 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 148-149.
253 O'HARA, Georgina, The Encyclopaedia of Fashion,
Londres, Thames & Hudson, 1986, p. 158.
60
robe est accompagnée de broderies en perles d'argent au
niveau du col et du devant de la robe. Les broderies sont aussi faites de
strass, sequins et fausses émeraudes. Les motifs sont placés sur
le devant de la jupe, les broderies rappellent des motifs
géométriques aztèques. Ce sont des motifs circulaires et
géométriques composés de petits symboles. Ce modèle
provient très certainement de la collection Riviera
réalisée en 1921. Il est attesté que cette collection
fait appel à des motifs aztèques pour les
broderies254. Il existe aussi un modèle Maya (ill.
31), non daté. C'est une longue robe bleue, agrémentée de
bretelles pailletées argentées. La robe est accompagnée
d'une ceinture du même bleu que la robe. Des losanges sont
dessinés en surpiqure sur le devant de la tenue. Ainsi, le nom de la
robe Maya ne s'inspire pas de l'art Maya. Jeanne Lanvin possède
dans sa bibliothèque un ouvrage rédigé par Ernest Brumer
et Adolphe Basler sur l'art Précolombien, publié en 1928, qui a
certainement dû lui servir pour étudier certains motifs.
La qualité des broderies de Jeanne Lanvin est reconnue,
ce sont toujours des détails d'une technicité remarquable,
réalisée majoritairement à la main. La couturière
apporte un soin particulier dans l'ensemble de ses collections, comme en
témoigne l'ouverture de trois ateliers de broderie. Ce sont souvent ses
broderies s'apparentant parfois à de somptueux bijoux, qui magnifient
les créations de la couturière. Jeanne Lanvin aime sublimer ses
créations de tissus par ses broderies. De la même manière,
la couturière s'inspire de nombreux arts. Pour ses broderies elle puise
dans les motifs ethniques comme les arts orientaux ou
aztèques255. La couturière n'en reste pas là et
trouve également son inspiration dans la peinture italienne pour nourrir
ses créations.
C -- Une réinterprétation des
vêtements du Quatroccento.
C.1 -- Les lignes fluides de Sandro Botticelli.
Jeanne Lanvin apprécie la peinture italienne de la
Renaissance et s'en inspire, notamment des artistes Sandro Botticelli et
Raphaël. D'après Janine Alaux, la couturière apprécie
les femmes peintes par Sandro Botticelli : « Jeanne Lanvin était
fascinée par la beauté des figures botticelliennes, fût-ce
dans leur interprétation décadente ».256
254 O'HARA, Georgina, The Encyclopaedia of Fashion,
Londres, Thames & Hudson, 1986, p. 158.
255 RENNOLDS MILBANK, Caroline, Op. Cit., p. 53.
256 ALAUX, Janine (dir.), Op. Cit., p. 60.
61
Sandro Botticelli est un peintre italien né en 1445 et
mort en 1510. C'est un peintre arrivant à manier une inspiration
naturaliste et une tendance à l'abstraction formelle, allant même
parfois jusqu'à réaliser des broderies. Il apporte un soin
particulier aux vêtements dans ses tableaux, et
généralement ils sont ornés. Les figures féminines
de Botticelli se définissent comme des « silhouettes »
d'après André Chastel257. Sandro Botticelli est
souvent décrit comme un artiste de la ligne et du contour. Le mouvement
est apporté par la draperie et la chevelure des personnages. Son style
est un art ornemental, avec un soin particulier apporté à la
végétation et aux détails des tenues. La plupart des
vêtements peints par Sandro Botticelli peuvent se définir par une
reprise des motifs floraux, des robes ceinturées à la taille, un
ornement au niveau des manches et du décolleté, un tissu souple
dans les plis et des tissus transparents. L'artiste reprend ces
caractéristiques dans son oeuvre Le Printemps peint entre 1478
et 1482258 (ill. 32). Tout d'abord, les minces couches de peinture
permettent au vêtement de se fondre avec le décor et de
créer une impression de transparence dans le tissu. Le personnage de
Flore sur le côté droit présente deux
caractéristiques des vêtements botticelliens : les motifs floraux
et la taille resserrée.
Jeanne Lanvin reconnaît une fascination pour ses figures
botticelliennes. La couturière possède chez elle de nombreuses
gravures d'art italien, dont certaines de l'artiste, comme l'Annonciation
de 1485. De plus, la couturière voyage de nombreuses fois en
Italie, et, même si aucun cahier de voyages ne figure à ce nom, il
est fort probable que Jeanne Lanvin ait vu des oeuvres de Botticelli, notamment
le Printemps (ill. 32) ou La Naissance de Vénus de
Sandro Botticelli exposée respectivement à l'Académie et
au Musée des Offices259 à Florence, ville qu'elle a
visité. Cette fascination pour les figures féminines de
Botticelli se retrouve dans différents modèles, non
identifiés comme sur le modèle de cette
photographie260 (ill. 33). La robe de gauche est une robe en
mousseline de soie brique retenue au cou, à la taille et aux manches par
des fronces, et se pose sur un fond de satin blanc dont l'encolure est
montante. La robe sur la droite de la photographie est une tunique en
mousseline de soie bleu ciel terminée par une large bande
argentée piquée. Dans ce modèle, le même tissu est
employé pour la ceinture et les larges emmanchures. Cette tunique se
porte sur un fourreau de satin blanc qui s'évase dans le bas. Ces deux
modèles aux lignes presque immatérielles rappellent
257 « É ses corps sans volume sont
dessinés arbitrairement. Comme le dit très bien Chastel, ce sont
des silhouettes. », Daniel Arasse, « La ligne et la surface
», Beaux-Arts : Botticelli, Numéro Hors Série,
Beaux-Arts Collection, 2003, p. 14.
258 Sandro Botticelli, Le Printemps, 1478-1482,
Tempera sur panneau de bois, 203 x 314 cm, Galerie des Offlices, Florence.
259 GEBHART, Émile, Florence, Collection Les
Villes d'Art Célèbres, Paris, H. Laurens éditeur, 1906.
260 Photographie disponible à la bibliothèque
municipale Forney à Paris. Fonds Lanvin, dossier 1935 : Article «
l'Élégance chez soi », Plaisir de France, 1935, p.
45.
62
la principale caractéristique des vêtements
peints par Botticelli, la fluidité du tissu. Jeanne Lanvin va même
jusqu'à nommer une de ses créations par le nom de l'artiste,
Botticelli, modèle créé entre 1910 et 1914, non
identifié. C'est une robe en brocart rouge avec un col. Les poignets
sont faits de dentelle or et la ceinture de faille bleue. Il existe un autre
modèle nommé Botticelli, de 1921 (ill. 34). C'est une
longue robe bleu clair et ample. Le décolleté de la robe est fait
de tressages et des pans de tissus s'échappent des manches. La tenue
comporte un décor au niveau de la ceinture, certainement fait de
tressages et de broderies. Malgré son nom, la tenue n'offre pas de
rapports avec les peintures du maître italien.
La créatrice fait aussi référence
à l'artiste italien à l'Exposition universelle de New York en
1939, d'après Hélène Guéné261
(ill. 35). Jeanne Lanvin expose son vêtement sur un modèle
représentant un « ange botticellien ». Il n'est pas
étonnant de voir Jeanne Lanvin exposer ses modèles sur un ange
connaissant son goût pour les oeuvres de l'art italien du Quattrocento.
Le modèle porté par le mannequin est nommé l'Ange
de 1939 (ill. 35). C'est une robe de dîner en crêpe de soie,
de couleur bleue (celle créée par la couturière). La robe
est rehaussée de broderies faites de paillettes d'or et d'argent. Les
motifs sont différents au-devant et au dos. Ils sont de plus grandes
tailles sur l'avant qu'au dos du vêtement. Sur le devant de la tenue, les
broderies sont en forme de croix grecque. Sur les côtés de la
jupe, le bas et les manches, les broderies sont des lignes suivant la coupe du
vêtement. Les broderies sont composées de lignes courbes. La
taille est resserrée par des rubans noués, et retombants sur les
côtés de la jupe, ils présentent aussi des broderies aux
motifs différents. Cependant, rien ne permet d'affirmer que ce
mannequin-ange choisi pour présenter ses modèles lors de
l'Exposition universelle de New York en 1939 est inspiré des anges
peints par le peintre. Dans les oeuvres de Sandro Botticelli, les figures
d'anges ou ailées sont courantes. Les ailes du mannequin sont
effectivement typiques de celles étudiées sur les oeuvres de ces
maîtres italiens, elles sont longues, gracieuses et féminines.
Mais le visage du modèle est des plus banal et très loin des
visages délicats peints par Sandro Botticelli. Jeanne Lanvin s'inscrit
dans l'esprit de L'Exposition internationale de 1939 qui permet de mettre en
avant le goût français dans diverses salles, empruntant à
la Grèce Antique comme à la Renaissance italienne262.
Dans les deux cas, on recherche un goût pour la beauté
idéalisée. Néanmoins, ici le lien avec un seul artiste
italien est à éviter, et la présence de cet ange est
plutôt le résultat d'une observation générale des
oeuvres italiennes de la Renaissance.
261 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 261.
262 Ibid.
63
Cependant, il ne faut pas attribuer complètement ces
créations de vêtements légers à l'inspiration
botticellienne. Une inspiration des vêtements antiques Ñ notamment
des tuniques Ñ est plus que possible quand on connaît la
collection de documents sur l'histoire des vêtements de la
couturière. Cette dernière, bien qu'inspirée par l'oeuvre
de Botticelli, a tout aussi bien pu s'inspirer de vêtements antiques,
avec l'idée de drapé léger et resserré à la
ceinture. La couturière semble aussi s'inspirer d'un autre maître
italien, Raphaël.
C.2 -- Les décolletés de Raphaël.
Dans l'ouvrage écrit par Janine Alaux, cette
dernière affirme que Jeanne Lanvin s'est inspirée des
décolletés peints par l'artiste Raphaël : « [É]
les décolletés « tentant », séduisantes
dérives de ceux des Vierges de Raphaël »263. C'est
un peintre italien né en 1483 et mort en 1520, également
architecte. Ses oeuvres se caractérisent par une composition claire, un
espace structuré, un naturel dans les attitudes, une précision du
dessin, une finesse et une variété physionomique et
psychologique. Raphaël représente de nombreuses figures
féminines. Il voue un véritable culte pour la femme dans ce
qu'elle a de chaste, d'où les nombreuses représentations de
vierges, mais aussi dans ce qu'elle a de séduisant et de secret. Jeanne
Lanvin étudie certainement Raphaël grâce aux ouvrages d'art
de l'époque, dont le Kunstler Monographien, présent dans
sa bibliothèque, qui recensent dans un de ses tomes des gravures des
oeuvres de Rapha`l264 dont La Madone à la prairie,
peinte par Raphaël entre 1505 et 1506 (ill. 37) ou La belle
Jardinière réalisée vers 1507265 et le
tome Raphaël de la collection des Classiques de l'art
édité par Hachette, qui regroupe la totalité des oeuvres
de l'artiste.
Les vêtements peints par Raphaël sont
caractérisés comme la plupart des tenues féminines du
quattrocento par une fluidité et une finesse du tissu. Ceux de
Raphaël offrent une palette de couleurs plus variées et distinctes.
La majorité de ses tenues sont composées de motifs
stylisés, mais le peintre est principalement reconnu pour ses
décolletés. La poitrine des personnages est souvent bombée
pour attirer le regard du spectateur vers le cou de ses personnages
féminins. Dans ses tenues, le décolleté est arrondi ou
rectangulaire, et majoritairement délimité du reste de la tenue,
par des bandes noires ou dorées de plusieurs centimètres. Ce sont
principalement ces décolletés qui ont influencé Jeanne
Lanvin. Il est
263 ALAUX, Janine (dir.), Op. Cit., p. 22.
264 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 101.
265 KNACFUSS, Hermann, Raffael, Collection
K·nstler-Monographien, Bielefeld Leipzig : Velhage & Klasing, 1895.
64
courant que des bijoux se trouvent au centre du
décolleté certainement pour attirer l'oeil du spectateur. La
peinture, La dame à la licorne, de 1505-1506266
(ill. 36), reprend cette caractéristique. La femme est vêtue d'une
robe rouge et beige, avec autour de son cou un sautoir qui se termine au niveau
de sa poitrine. Le bijou est composé d'une chaîne simple qui se
resserre vers une pierre précieuse rectangulaire rouge, certainement un
rubis. En dessous de la pierre se trouve une perle accrochée. Au niveau
du décolleté de sa robe se trouve une bande rouge de tissu pour
délimiter le vêtement de la peau. La couturière utilise
cette technique d'une bande au niveau du décolleté pour le
séparer du reste de la tenue. Elle s'en sert surtout sur des
modèles faits du bleu Lanvin, comme les modèles Donatienne
et Vitrail de 1920-1921 (ill. 36). Les deux sont composés
d'une bande noire large au niveau d'un décolleté arrondi. La
couturière réinterprète particulièrement
l'idée de bijoux au niveau du décolleté, comme avec le
modèle Mille et Une nuits de 1925 (ill. 24), décrit
auparavant. Dans ce modèle, des pans de tissus totalement brodés
de perles nacrées sont cousus au niveau de l'encolure, donnant
l'impression d'une véritable robe bijoux.
Janine Alaux dans son ouvrage sur la couturière affirme
que cette dernière est aussi influencée par « les longues
tenues de soie blanche bordée de rouge géranium » du
peintre267. Cependant, aucune oeuvre de l'artiste ne présente
ce type de vêtements, même si un rapprochement peut-être fait
entre le rouge géranium et des peintures. La Madone à la
prairie, peinte par Raphaël entre 1505 et 1506268 (ill.
37), présente une tenue dans cette couleur. Cependant, la couleur rouge
et plus particulièrement cette nuance dite « rouge géranium
» n'est pas forcément utilisée par la couturière. Il
existe bien des modèles de couleur rouge, dont une cape de 1927 sans
nom. C'est une cape en velours à la doublure noire, accompagnant un
ensemble du soir. La comparaison entre le peintre et les modèles de la
couturière ne peut aller plus loin en ce qui concerne : « les
longues tenues de soie blanche bordée de rouge géranium »
par le peintre et les modèles de la couturière. La
couturière est influencée par les vêtements des personnages
de Raphaël, et en reprend plusieurs caractéristiques. Tout d'abord,
l'idée de drapés tombants et resserrés à la taille,
le tout offrant un aspect très fluide. La forme arrondie des
décolletés des personnages féminins se retrouve dans les
modèles de la couturière. La présence de bijoux
récurrents chez Raphaël apporte un effet somptueux dans ses
peintures. Ils sont souvent placés au centre du décolleté,
ou sur le bord donnant à ses tenues aux coupes légères
un
266 Raphaël, La dame à la licorne,
1505-1506, Huile sur bois, 65 x 51 cm, Galerie Borghèse, Rome.
267 ALAUX, Janine (dir.), Op. Cit., p. 22.
268 Raphaël, La Madone à la prairie,
1505-1506, Huile sur bois, 113 x 88 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne.
65
sentiment de luxe. Cette caractéristique est la plus
retrouvée chez les modèles de la couturière. Comme
l'affirme cette citation :
« Les modèles des nouvelles collection [É]
sont à nouveau élégamment ornés de broderies ;
elles règnent partout et surtout aux encolures, autour des emmanchures
qu'elles
encadrent avec une préciosité gracieuse, cernant de
joyaux la ligne des décolletages »269.
Jeanne Lanvin crée des vêtements que des
bijoux-broderies subliment, et ceux-ci sont majoritairement placés au
centre du décolleté. Cependant, malgré ces
caractéristiques communes aucun lien direct ne peut être
effectué entre les tableaux du maître italien et les
vêtements de la couturière. La créatrice s'inspire d'une
impression générale que dégagent les vêtements
peints par Raphaël. Jeanne Lanvin puise chez Raphaël en reprenant le
style de ses décolletés. Ceux-ci sont démarqués par
une bande de couleurs, attirant l'oeil grâce à des bijoux.
Cependant, la comparaison entre les modèles de la couturière et
les oeuvres de l'artiste italien s'arrête sur ce point.
C.3 -- Les vêtements des peintres italiens.
L'influence de Raphaël et de Botticelli montre bien
l'intérêt de la couturière pour l'Italie et ses motifs
renaissants. Elle visite aussi la ville de Venise, comme en rend compte cette
photographie non datée où la couturière est sur la place
Saint-Marc (ill. 6). Au vu de son goût pour les arts et les
musées, la créatrice a certainement dû observer les oeuvres
des grands maîtres vénitiens comme Titien lors de ce voyage. En
outre, la couturière a de nombreux ouvrages d'art contenant des gravures
des maîtres italiens ainsi que des monographies des artistes comme
Michel-Ange, Tintoret, Titien ou Véronèse270. La
couturière a aussi pu observer ses oeuvres italiennes lors d'une
exposition tenue au Petit Palais à Paris, en 1935 : « Exposition de
l'art italien de Cimabue à Tiepolo ». Lors, de cette exposition de
nombreuses oeuvres sont présentes dont celles de Botticelli, Fra
Angelico, Guido Reni, Raphaël, ou encore Primatice. Les oeuvres de
Botticelli présentes sont : La Madone à la grenade, La Vierge
l'Enfant Jésus et saint Jean, La Naissance de Vénus. En ce
qui concerne Raphaël, l'exposition rassemble des oeuvres comme : Le
Mariage de la Vierge, La Muta, Un miracle de saint Jérôme, La
Donna Velata. Enfin, les oeuvres de Fra Angelico présentes sont :
L'Annonciation et l'Adoration des Mages, La Naissance de
Saint-Jean-Baptiste, La Vierge et l'Enfant, avec
269 Art Goût Beauté, n97, Septembre 1928.
GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 27.
270 Propos Laure Harivel. Responsable du Patrimoine Lanvin.
66
anges et saints, La Descente de Croix, Le Couronnement de
la Vierge et le Martyre de saint Cosme et de saint
Damien271. Jeanne Lanvin s'inspire d'autres artistes italiens
moins connus comme Sandi di Tito. Il réalise au XVIème
siècle, un portrait de Catherine de Médicis, alors reine de
France272 (ill. 38). Sur ce portrait, le peintre présente la
reine dans une longue robe noire sûrement en velours avec un
décolleté rectangulaire et des manches bouffantes marquant les
épaules. La tenue est décorée d'une ceinture dorée.
Jeanne Lanvin réalise en 1926, une robe ressemblant à la tenue
peinte. En effet, il s'agit d'une robe en taffetas de soie noire avec le
même décolleté. La coupe est identique, aussi
cintrée sur le haut du corps et bouffant sur le bas. La robe
réalisée par la couturière semble plus courte que celle
peinte par Sandi di Tito. Néanmoins, le point de ressemblance est
dû aux épaules bouffantes avec un décor ivoire. L'oeuvre
est conservée aux Galeries des Offices à Florence, il est
envisageable que Jeanne Lanvin ait pu l'observer lors de sa visite dans la
ville.
Ce goût pour les motifs italiens est aussi dû au
mouvement artistique des préraphaélites dans la deuxième
moitié du XIXème siècle. C'est un mouvement qui
rappelle les débuts de la Renaissance et fait réapparaître
des images de cette époque. Ce style marque les esprits à la fin
du XIXème siècle et au début du
XXème siècle. Jeanne Lanvin a très certainement
vu des oeuvres préraphaélites dans sa jeunesse ou plus tard, lui
confirmant son goût pour les oeuvres italiennes et leurs couleurs. De
manière générale, il est indéniable que la
couturière soit influencée par de nombreux mouvements picturaux
pour créer ses collections. Cette influence picturale est
remarquée à l'époque par la presse :
« Les demoiselles d'honneur qui porteront ces robes et
l'élite des jeunes et jolies femmes qui se sont inlassablement
vouées au « style » nous feront rêver tour à tour
de Winterhalter, des Infantes de Velasquez et des Vénitiennes de Longhi,
tout en demeurant Ð par le miracle de Lanvin Ñ de fines silhouettes
bien modernes »273.
À cette époque, Jeanne Lanvin est «
l'incarnation de l'inspiration picturale en France »274. En
effet, aucun couturier ne s'inspire autant de mouvements picturaux anciens ou
modernes. La couturière faisant référence aux arts
plastiques dans le nom de ses modèles, les coupes de ses
vêtements, les broderies, les couleurs. Cependant, ce n'est jamais une
copie stricte des arts qu'elle propose, mais une réinterprétation
de ceux-ci, souvent d'une grande modernité. La couturière
s'inspire aussi bien des arts italiens, de l'Art déco comme de l'art
271 RICCI, Seymour de (dir.), Exposition de l'art italien
de Cimabue à Tiepolo, Cat. Expo, (Petit Palais), Paris, Petit
Palais, 1935.
272 Sandi di Tito, Portrait de Catherine de
Médicis, vers 1585, dimensions inconnues, Galerie des Offices,
Florence.
273 « Lanvin », La Gazette du Bon Ton, Paris,
1925, supplément au n°7, P.54. PICON, Jérôme, Op.
Cit., p. 171.
274 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 171.
67
oriental. À la différence de l'Art déco
où elle s'inspire des motifs, Jeanne Lanvin puise dans les
vêtements portés par les personnages de la peinture italienne. De
toutes ses inspirations se dégage un style, une unité entre
1918-1935. Finalement, une influence se dégage des créations de
Jeanne Lanvin, celle de l'artiste italien Fra Angelico.
68
III -- « Le peintre des anges » et Jeanne
Lanvin.
A -- Le « bleu Lanvin ».
A.1 -- Un bleu devenu le symbole de la maison Lanvin.
Jeanne Lanvin fait du « bleu Lanvin », le symbole de
sa maison de Haute Couture, une caractéristique essentielle de ses
modèles et l'une de ses couleurs favorites dans sa vie
privée275. Cette nuance de bleu permet de reconnaître
un modèle de la créatrice, sans même regarder sa griffe.
Jeanne Lanvin s'approprie ce bleu dans le but d'en faire un état
d'âme plus qu'une simple teinte. C'est une couleur renvoyant à la
pureté virginale, au romantisme, au lointain, au sang princier et aux
tableaux précieux. Le « bleu Lanvin » est utilisé par
la maison de couture pour la publicité, les cartons d'invitations, les
flacons de parfum et les boîtes d'emballage276. L'utilisation
de ce bleu dans les vêtements, mais aussi comme symbole permet de
distinguer la maison Lanvin de ses deux principaux concurrents : les couturiers
Paul Poiret et Gabrielle Chanel. Le premier utilise généralement
des couleurs fastueuses dans ses créations. Alors, que Gabrielle Chanel
est reconnue pour la sobriété de ses tenues, n'utilisant
quasiment que le noir277.
Le bleu est un symbole de la maison Lanvin
apprécié par ses clientes comme l'actrice Mary Pickford. Cette
dernière choisit pour un soir, une robe de crêpe turco
héliotrope et satin clair. Elle reconnaît dans une interview
appréciée les créations de Jeanne Lanvin pour ses coupes,
mais aussi pour ses couleurs : « Pour sa couleur, et aussi parce que la
forme s'adapte très exactement à mon type ; avec cette double
qualité, conclut Mary Pickford, vous avez tout le secret de mon
enthousiasme pour l'artiste qu'est Lanvin »278. Des
déclarations de personnes connues à l'internationale comme Mary
Pickford ventant les mérites des couleurs sur les tenues de la maison
Lanvin, collabore au succès du « bleu Lanvin » comme symbole
de la maison de Haute Couture. Il existe aussi un autre élément
à l'international qui permet de corroborer le succès du «
bleu Lanvin ». Il s'agit du choix de robe de la nouvelle Première
Dame des États-Unis : Eleanor Roosevelt en 1933279. Au vu de
la mauvaise économie de son pays à cette période, elle se
tourne vers des créateurs nationaux en grande majorité, mais
pourtant lors de cet événement elle fait le choix de la maison
Lanvin. Cependant, elle choisit
275 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 136.
276 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 35.
277 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 136.
278 Entretien avec Mary Pickford, Vogue, 1er Septembre
1924. PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 138.
279 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 139.
69
pour cette occasion une robe de dîner
désigné par la presse par « misty blue satin, a new Lanvin
shade »280. La presse de l'époque encense ce choix de
robe. Il s'agirait d'une robe de dîner en bleu satin drapé avec un
décolleté en V.
Le « bleu Lanvin » est aussi le symbole de la
collaboration entre Jeanne Lanvin et Armand-Albert Rateau281. Cette
collaboration officialise le « bleu Lanvin » comme symbole de la
maison de Haute Couture. Les deux artistes utilisent le « bleu Lanvin
» lors de la décoration du théâtre Daunou dont ils
sont en charge (ill. 39). Le théâtre est inauguré en 1921
par Lanvin Décoration. La scène du théâtre est
encadrée de colonnes peintes dans des teintes de lapis-lazuli, couleur
chère à la couturière. Le décor est composé
de scène florale et faunesque, sculptée en bas-relief sur un fond
ivoire, rappelant la chambre de Jeanne Lanvin. Cependant, le « bleu Lanvin
» qu'on retrouve dans la chambre de la couturière est un bleu plus
foncé, dans une nuance bleue royale. Les rideaux du théâtre
sont réalisés à partir du « bleu Lanvin » et la
moquette est de couleur or. Ce décor bleu est très rare pour un
théâtre, car, généralement, ils sont
décorés de rouge depuis le Second Empire282. La
couturière réutilise ce bleu pour décorer sa « loge
d'actrice » lors de l'Exposition internationale des Arts Décoratifs
de 1925 à Paris283. Cette loge appartient à la classe
25, c'est celle des Arts du Théâtre, et la couturière est
la seule inscrite (ill. 39). La loge est située au premier étage.
À l'entrée, il y a un vaste palier d'escalier avec un grand
rideau de scène de Mousseau. Derrière ce rideau se trouvent deux
salons. Dans l'un de ces salons se trouvent deux loges que se partagent Paul
Poiret et Jeanne Lanvin. Dans celui de la couturière, les rideaux sont
bleus. La loge est composée de cinq panneaux avec un lé de
shantung bleu brodé encadrant des miroirs. La loge fait ici encore
écho à la chambre à coucher de Jeanne Lanvin, où
les murs sont recouverts de shantung de « bleu Lanvin » brodé
par ses ateliers de motifs stylisés blancs et or.
Bien que Jeanne Lanvin ait une utilisation du bleu
particulière, elle n'est pas la seule couturière à
exploiter cette couleur. En effet, le bleu est une couleur présente dans
le milieu de la mode au début du XXème siècle.
Elle est présente dans plusieurs maisons de Haute Couture
française284. Tout d'abord, la maison Madeleine et Madeleine
lance le « bleu Madeleine » vers 1920. Le bleu est aussi
conseillé aux lectrices de magazine de mode comme une couleur à
arborer vers 1925. Tout d'abord, une journaliste mode explique que pour
être dans l'air du temps, il faut se tourner vers le mauve : «
N'exhibez pas sans honte une robe d'un rose tirent
280 Traduction : « brumeuse satin bleu, une nouvelle
nuance Lanvin ». Texte Interne de la maison Lanvin sur le « bleu
Lanvin », écrit en 2013 et 2014.
281 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 35.
282 GUÉNÉ, Hélène, Op. Cit.,
p. 50.
283 Ibid., p. 214.
284 PICON, Jérôme, Op, Cit., p. 136.
70
vers le mauve qui pourrait faire croire que vous n'êtes
pas à la page. Pour l'instant, la vogue est aux lavandes, aux parmes,
à tous les violets francs »285. Cependant, quinze jours
plus tard cette même journaliste explique que finalement la couleur
à suivre est le bleu : « Actuellement on est plongés dans le
bleu »286. Cette affirmation est illustrée par des
créations de Jean Patou, Georgette et de Jeanne Lanvin. Et même
avant les années 1920, une vague de bleu est présente dans le
milieu de la Haute Couture avec la création d'un parfum par Guerlain du
nom de l'Heure bleue en 1912.
Jeanne Lanvin s'approprie une nuance de bleu
particulière et en imagine le bleu représentatif de sa maison de
Haute Couture : le « bleu Lanvin », l'utilisant dans de nombreux
modèles. Ce bleu est finalement surtout le symbole, la marque de
fabrique de la maison Lanvin. L'utilisation du bleu n'est pas unique à
cette époque, la couturière s'inscrit dans une mouvance de
l'époque avec ce « bleu Lanvin ». Cependant, là
où la couturière se distingue des autres couturiers dans son
rapport au bleu c'est autour de l'inspiration de l'artiste Fra Angelico et la
réutilisation de son bleu.
A.2 -- Naissance du « bleu Lanvin ».
Jeanne Lanvin aime la couleur pour ses modèles, mais
aussi dans sa vie personnelle. Sa collection de tableaux regorge d'oeuvres aux
couleurs harmonieuses comme celles d'Auguste Renoir ou Odilon
Redon287 et ses modèles sont régulièrement
rehaussés de couleurs. La couturière crée elle-même
certaines nuances de couleurs pour ses collections grâce à ses
ateliers de teinture comme le « vert Vélasquez ». Cependant,
dans toutes ses collections, une couleur se détache de manière
significative du reste des modèles : le bleu, qui l'amène
à imaginer le « bleu Lanvin ». Le bleu est une couleur dont la
symbolique a souvent changé en histoire de l'art. L'historien de l'art,
Michel Pastoureau, explique dans l'un de ses ouvrages les différentes
symboliques de cette couleur288. Le bleu devient une couleur en
vogue à partir du XIIème siècle, et se retrouve
alors plus répandu pour les vêtements de l'époque. Le bleu
est alors présent dans les mosaïques
paléochrétiennes. La couleur est aussi connotée d'une
forte symbolique dans la religion chrétienne. C'est la couleur du
manteau de la Vierge en deuil. Dans les vitraux des monuments religieux
chrétiens, le bleu est aussi particulièrement présent.
285 Propos de Clarisse dans la revue de l'Art Vivant au
1er juillet 1925. PICON, Jérôme, Op. Cit., p.
136.
286 Propos de Clarisse dans la revue de l'Art Vivant
vers le 15 Juillet 1925. Ibid.
287 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 162.
288 PASTOUREAU, Michel, Bleu l'histoire d'une couleur,
Paris, Éditions du Seuil, 2000.
71
Comme, par exemple, les réputés vitraux de
Chartres, qui offrent un verre d'un bleu très lumineux à fondant
sodique et coloré au cobalt. Le bleu est aussi la couleur de la
royauté et de l'aristocratie, faisant référence au sang
bleu des nobles, mais aussi à la pierre lapis-lazuli, souvent
considéré comme « l'une des pierres précieuses les
plus nobles »289. Le bleu se retrouve dans les vêtements
jusqu'au milieu du XVème siècle. À cette
période, le bleu devient une couleur morale par opposition au rouge et
au noir.
Cette couleur est quasiment présente dans toutes les
collections réalisées par Jeanne Lanvin, des débuts de la
maison de Haute Couture aux années 1940, en passant par les
départements « Enfants » et « Femme ». Dans le
département « Femme », le bleu est présent sur les
robes, les manteaux ou les accessoires290. Parfois, en étant
l'élément majeur d'une collection comme le prouve cette citation
: « Chez Jeanne Lanvin, une belle collection bleue et blanche ; toutes
sortes d'impressions bleu [es], d'un bleu exquis de porcelaine de Delft ou de
Sèvres sur fond blanc »291. Le « bleu Lanvin »
est présent dans tous les détails des modèles comme les
doublures, les ceintures ou les sacs.
Le « bleu Lanvin » connaît différentes
interprétations autour de sa nuance. Alors, que Catherine
Ormen292 le définit comme un « bleu à base de
lapis-lazuli », Janine Alaux293 le voit comme un « bleu
tirant sur le mauve ». Aujourd'hui, la maison Lanvin définit le
« bleu Lanvin », dans un texte réalisé par ses soins,
comme un « bleu céleste, frôlé de mauve
»294. Plus précisément, la maison Lanvin affirme
que la couturière a choisi une nuance dans le Répertoire de
couleurs pour aider à la détermination des fleurs, des feuillages
et des fruits295, pour officialiser ce fameux « bleu
Lanvin » (ill. 40). Il s'agit de la nuance « bleue outremer ton
n° 2 bleuet des champs » (ill. 40), choisi entre 1926 et
1927296. Jeanne Lanvin s'approprie cette teinte en son nom et
créer le « bleu Lanvin » à l'aide de ses ateliers de
teinture. L'appellation « bleu Lanvin » semble
réfléchie par Jeanne Lanvin, cependant le nom ne dispose de rien
d'officiel. Il s'apparente aux dénominations faites comme « le
tailleur Chanel » ou « le Smoking de Saint-Laurent ». Les
origines de ce « bleu Lanvin » sont floues. Pour le construire,
Jeanne Lanvin s'est inspirée d'un répertoire de couleurs, de
livres du domaine de la biologie, tout en puisant dans l'art des vitraux et aux
influences de l'art italien. En effet, il est affirmé par
différents auteurs comme Dean Merceron que le « bleu Lanvin
»
289 PASTOUREAU, Michel, Op. Cit., p. 21-23.
290 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 33.
291 Art et la mode, juillet 1943, p. 11. GROSSIORD, Sophie
(dir.), Op. Cit., p. 34.
292 GIRAC-MARINIER, Carine (dir.), ORMEN, Catherine, Un
siècle de mode, Paris, Larousse, 2012, p. 9.
293 ALAUX, Janine (dir.), Op. Cit., 1998, p. 22.
294 Texte Interne de la maison Lanvin sur le « bleu Lanvin
», écrit en 2013 et 2014.
295 Ibid.
296 Ibid.
72
est bien la démonstration que la couturière
puise ses inspirations dans les différents domaines artistiques. Pour le
« bleu Lanvin », on suggère une inspiration de Fra Angelico,
des vitraux médiévaux ou des miniatures
médiévales297, comme l'atteste cette citation : «
elle a ravi [É] au doux Fra Angelico un peu de son bleu céleste,
pour le fixer Ñ bleu vitrail, bleu Lanvin Ñ comme une parure
d'idéal sur les robes »298. De plus, un voyage de la
couturière en Italie est attesté dans les années 1920, lui
permettant certainement d'observer les oeuvres des maîtres italiens comme
Fra Angelico299. En effet, de nombreuses oeuvres de l'artiste sont
présentes à Florence au début du XXème
siècle. Dans les différents ouvrages ou articles de
l'époque, il est dit que la couturière aurait observé les
oeuvres de Fra Angelico à « s'en raidir la nuque
»300, ce qui laisse supposer que les oeuvres étaient
exposées au plafond. Il s'agirait alors très certainement de
fresques, comme celles du couvent de San Domenico réalisée vers
1435 ou celles de San Marco réalisée par Fra Angelico vers 1440.
Dans les deux cas, ce sont des fresques présentes à Florence,
où Jeanne Lanvin s'est hypothétiquement rendue. De plus, la
couturière collectionne les ouvrages de la collection Les Villes d'Art
célèbres, et même s'il n'est pas avéré
qu'elle possède le tome sur Florence, l'hypothèse est probable.
En supposant que la couturière a accès à cet ouvrage dans
sa bibliothèque, elle a pu observer les représentations d'oeuvres
de Fra Angelico comme L'ensevelissement du Christ, La Vierge aux
étoiles, La Crucifixion de Fra Angelico, La Vierge et l'Enfant
Jésus accompagné de plusieurs saints301. Un
article paru lors de la vente aux enchères des oeuvres d'art de Jeanne
Lanvin suppose que le « bleu Lanvin » serait inspiré de la
couleur d'un ciel d'une fresque302. Ainsi, Jeanne Lanvin a aussi pu
observer les oeuvres de Fra Angelico en gravures dans les très nombreux
ouvrages d'art de sa bibliothèque, ou dans des représentations
d'oeuvres placées ensuite dans ses carnets de voyage. Les origines de ce
fameux bleu interrogent déjà les spécialistes de la mode
dans les colonnes de la Gazette du Bon Ton : « Pour le choix des
couleurs, Lanvin allie son bleu, le bleu vitrail Lanvin au bleu marine
»303. Le « bleu Lanvin » est un donc un
mélange de plusieurs bleus dont ceux présents dans les vitraux
médiévaux et dans les fresques de Fra Angelico. Jeanne Lanvin
joue sur ces nuances et ces origines floues en offrant différentes
déclinaisons de ce « bleu Lanvin ». Grâce, encore,
à ce Répertoire de couleurs pour aider à la
détermination des fleurs, des feuillages et des fruits, elle
utilise des
297 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 136.
298 Gazette du Bon ton, 1925, sans auteur,
supplément n°7, p. 318. PICON, Jérôme, Op.
Cit., p. 136.
299 BOUCHER, François, Art. Cit., Juin 1924, p. 7-10.
300 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 136.
301 GEBHART, Émile, Op. Cit., p. 50.
302 PRAT, Véronique, « Un défilé de
maîtres : la collection Jeanne Lanvin redécouverte », le
Magazine, 11 octobre 2008, p. 66-72.
303 Gazette du Bon Ton, n°2, 1924-1925, p. 52.
GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 33.
73
nuances comme le bleu lavande, le bleu de cobalt factice, le
bleu de Sèvres et bien d'autres pour ses modèles. L'album de la
collection Biarritz de 1920 montre ces différentes variations
de bleu304. La maison Lanvin comptabilise environ une vingtaine de
tons au cours des années 1920, allant parfois jusqu'à superposer
plusieurs tons de bleus dans un seul modèle selon Jérôme
Picon305. Il s'agit du modèle Cléopâtre
de 1926-1927, c'est une robe en tissu d'un ancien bleu et or avec du tulle
en bas. La robe est garnie de rubans à figures or sur fond de
crêpe de Chine bleu, avec une ceinture en tissu bleu avec un noeud. Il
existe aussi d'autres modèles superposant plusieurs nuances de couleurs.
Le modèle Bleu nuit de 1926-1927 est une robe en caprice bleu
avec par dessus du velours bleu, les deux bleus présentent des nuances
différentes.
Ainsi, le bleu nommé par la couturière «
bleu Lanvin » est un bleu royal tirant parfois sur le mauve.
Au-delà d'une référence à une couleur
précise, l'appellation « bleu Lanvin » désigne surtout
l'utilisation régulière de ces nuances de bleu par la
couturière dans ses modèles tout au long de sa carrière.
Jeanne Lanvin aime la couleur bleue, qui renvoie l'idée de raffinement
et de rareté, toujours dans la recherche d'un goût exquis et d'un
idéal de féminité.
A.3 -- Des modèles aux différentes nuances de
bleu.
Le bleu est la couleur la plus utilisée par la
couturière dans ses collections, et elle est couramment reprise dans le
nom de ses modèles. Le nom des modèles fait
référence à des fleurs de couleur bleue, des pierres
précieuses, à la mer ou encore parfois au ciel. Les
créations de Jeanne Lanvin en bleu sont généralement des
robes. Le bleu est une couleur intéressante pour un vêtement,
pouvant être une couleur chaude, mais aussi froide, permettant d'offrir
au vêtement en fonction de ses teintes un effet chaleureux ou bien
sévère306. Tout d'abord, les noms des robes utilisant
le « bleu Lanvin » rappellent parfois les sources d'inspiration de
cette couleur comme la robe Vitrail de 1920307 (ill. 36).
Le modèle est une robe mi - longue bleue, composée de manches
resserrées aux poignets. Le col est marqué d'une bande noire se
prolongeant sur le centre de la robe et le haut des manches. Les manches et la
partie droite de la robe présentent des motifs de losanges avec des
ovales à l'intérieur. Chaque intersection est marquée de
broderies rouges. La robe est resserrée à la taille par une
304 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 34.
305 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 138.
306 Ibid., p. 137.
307 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 33.
74
ceinture rouge faite de pompons. Ainsi, des modèles
voient le jour sous le nom de modèle Heure Bleue en 1925. Il
s'agit d'une robe liseuse en suprême de bleu doublé de
suprême fuchsia, ou encore le modèle Watteau de
1926-1927, qui est une robe de taffetas bleu à volants garnis de
dentelle noire. La robe est accompagnée d'un empiècement de tulle
avec un ruban en argent et des roses sur le corsage et à la taille.
C'est le cas aussi avec le modèle nommé Fresque en 1926,
qui est une robe en crêpe de Chine de couleur « bleu Capri »
avec broderie de laine blanche au niveau des manches. Il y a aussi un
modèle de 1923, Azur et Ciel bleu. Il s'agit d'un ensemble du
jour avec robe et veste dans un bleu clair avec des bandes blanches
disposées aux poignets, intérieur du col de la veste et
décolleté. Sur le croquis de ce modèle est noté le
mot « Italie » en haut à droite. De nombreux noms de
modèles dont les représentations sont inconnues évoquent
le bleu. Par exemple, le modèle Bleu Nuit de 19261927, ou
encore Danube Bleu de la collection Hiver en 1932. Il existe aussi un
modèle du nom d'Oiseau bleu de 1925. Le modèle Bleu
nuit est une robe bleue se terminant au niveau des genoux. Elle est faite
de manches longues resserrées aux poignets. Le haut de la robe se
présente comme une veste avec un fond de robe de la même couleur
cachant le décolleté. La taille est marquée par une
ceinture en tissu et un noeud. La jupe est composée de plusieurs pans.
Sur l'un des carnets de la collection, la robe est décrite de cette
manière : « robe en caprice bleu fond velours bleu - et crêpe
de broderie argent »308. Plusieurs fois, la couturière
n'hésite pas à réutiliser le même nom pour
différents modèles. C'est le cas avec le nom Ciel Bleu
qui est utilisé pour un modèle en 1940 et un autre en 1942.
La couturière utilise régulièrement le bleu dans ses
collections donc quelquefois de manière avant-gardiste. C'est le cas
avec la robe Gal309 (ill. 41). Le modèle est une
robe en crêpe de soie imprimée noir et bleu à rayures.
Cette robe présente plusieurs caractéristiques du style Lanvin :
le luxe de la tenue se trouve dans les détails comme avec les volants
bordés de passepoils fabriqués dans la même soie
rayée que le corps de la robe. Le jeu de transparence de tulle bleu sur
le col et le montage des volants sont les démonstrations d'une finition
appliquée des modèles de la maison Lanvin. Cette robe est
audacieuse par son association de la couleur bleu nuit et du
noir310. Au début du XXème siècle,
cette association de couleurs est perçue comme une faute de goût,
la mode étant plutôt aux tons pastel. Cependant, la
créatrice n'hésite pas à associer
308 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 40.
309 Ibid., p. 36.
310 Ibid.
75
ces deux couleurs, sûrement pour faire
référence aux tenues du Second Empire où ce mariage de
couleurs était commun311.
Cependant, le nom des modèles ne reflète pas
nécessairement la réalité du vêtement. Par exemple,
le modèle Opaline de 1926-1927 qui est une robe de couleur
vermeille, mais sur le croquis la robe est légendée de «
bleu Nattier ». La robe est accompagnée d'un collier de perles
bleues, de rose et d'argent. La couturière joue avec le nom de ses
modèles. La robe nommée Lazulli de 1926-1927 devrait
faire référence à la pierre précieuse bleue proche
du bleu outremer utilisé pour le « bleu Lanvin », mais le
modèle est légendé sur le croquis d'un « bleu roi
». Un modèle frappant de ce jeu entre la tenue et le nom du
modèle est la création l'Ange Bleu, de 1931. Il s'agit
d'une longue robe avec un haut vert, bas blanc et noeud noir, n'offrant aucun
rapprochement avec son nom ou la couleur bleue. Ici, le modèle fait
référence au cabaret berlinois l'Ange bleu, cité dans le
film éponyme l'Ange bleu de 1930 réalisé par
Josef von Sternberg avec Marlène Dietrich312. Mais ces
différences entre la couleur des modèles et leurs noms sont aussi
parfois dues aux acheteuses. En effet, les conditions d'achats au début
du XXème siècle s'éloignent de nos conditions
actuelles. Les maisons de Haute Couture à cette époque
accueillent des clientes fortunées qui n'hésitent pas à
demander des changements sur les tenues, dont leurs couleurs. Ainsi, les
légendes indiquant des nuances différentes sur les croquis
peuvent être le résultat de nouvelles demandes des
clientes313.
Jeanne Lanvin utilise très régulièrement
le bleu dans ses créations, elle l'apprécie aussi pour ses choix
personnels. Bien qu'elle conçoive le « bleu Lanvin », elle
n'hésite pas à détourner le bleu dans différentes
nuances. Le bleu est la couleur symbole de la maison de Haute Couture,
particulièrement vers 1926-1927.
B -- La peinture de Fra Angelico dans les
modèles Lanvin.
B.1 -- Fra Angelico, la découverte de sa peinture et
l'utilisation de son bleu.
Jeanne Lanvin s'inspire de l'artiste Fra Angelico pour le
« bleu Lanvin » et la création de certains modèles.
L'artiste italien connaît un regain d'intérêt à la
fin du XIXème siècle et au
311 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 36.
312 JOIN-DIETERLE, Catherine (dir.), Marlène
Dietrich, Création d'un mythe, Cat. Expo (Palais Galliera,
Musée de la Mode de la Ville de Paris, 14 juin 2003 - 12 octobre 2003),
Paris-Musées, 2003, p. 194.
313 Propos de Christian Gros, attaché de conservation au
Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.
76
début du XXème
siècle314. En effet, avant cette période l'artiste est
célébré par la critique comme un peintre mystique, allant
parfois jusqu'à le surnommer le « peintre des anges
»315. Certaines de ses caractéristiques comme des
couleurs lumineuses, un usage des couleurs accentuées et un espace
défini par la lumière séduisent le public au tournant du
XXème siècle. Cet engouement permet de faire
redécouvrir un artiste parfois oublié au détriment
d'autres maîtres italiens du Quattrocento. Le premier historien de l'art
à écrire sur Fra Angelico est Giorgio Vasari (1511-1574).
Jusqu'au début du XXème siècle, les auteurs se
basent sur les écrits de Vasari, décrivant plutôt le
peintre comme un religieux réalisant des fresques. Ces écrits
placent la date de naissance de Fra Angelico en 1387, puis le fait rentrer dans
les Ordres en 1407 et lui attribue un exil de dix ans avec Dominci. Jusqu'au
milieu du XXème siècle, seules deux dates de ses
oeuvres sont connues. À cette période, l'historien de l'art
Roberto Longhi (1890-1970) et son collègue Mario Salmi (1889-1980)
voient dans l'oeuvre de Fra Angelico, une peinture novatrice. Cette
théorie est contredite par l'historien de l'art John Pope-Hennessy
(1913-1994), qui définit l'artiste italien comme « un
réactionnaire fidèle à son idéal intransigeant
d'art religieux réformé »316. Les connaissances
sur Fra Angelico subissent un véritable tournant en 1955 ; où se
déroule à Rome et à Florence une grande exposition qui
rassemble de nombreuses oeuvres de l'artiste, dont des tableaux, des
enluminures et des dessins. Face à tant d'oeuvres originales, les
spécialistes sont obligés de raviser leur jugement sur l'artiste.
Fra Angelico n'est alors plus défini comme un peintre
médiéval. L'organisateur de l'exposition, Mario Salmi, rattache
l'artiste à une formation médiévale tardive et le
définit comme un pionnier de la Renaissance. Par la suite, John
Pope-Hennessy se rattache à cette théorie. Dans les années
suivant l'exposition, de nombreuses publications font date, comme celles de
Stefano Orlandi et celle de l'archiviste Werner Cohn. Ces derniers publient des
documents inédits remettant en cause les croyances sur la
carrière de Fra Angelico. Ainsi, sa date de naissance est
attribuée vers 1400 et non en 1407. Werner Cohn découvre aussi
que l'activité artistique de Fra Angelico est avant sa vocation
religieuse, et qu'il vit comme un peintre laïc, sous le nom de Guido di
Piero, à Florence en 1417. L'artiste italien est désigné
comme un contemporain de Masaccio et comme un peintre majeur à Florence
de 1420 à 1440. Ainsi, l'artiste Fra Angelico connaît un vif
intérêt des historiens de l'art dans la première partie du
XXème siècle. Fra Angelico est un artiste italien
né donc vers 1400 près de Florence et mort à Rome en 1455.
La première apparition de son nom, en tant que peintre, date de
314 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 101.
315 Ibid.
316 COLE AHL, Diane, Fra Angelico, traduit par Philippe
Mothe, Paris, Phaidon, 2008, p. 8.
77
1417. Entre 1418 et 1423, il devient moine chez les
Dominicains. Il s'intéresse aux oeuvres d'un artiste : Masaccio. Ses
oeuvres relèvent d'une composition remarquable, elles ne sont pas
composées de vides, contrairement aux miniatures
médiévales. Le rendu pictural est d'une grande finesse. Fra
Angelico est un artiste novateur, il donne à ses personnages des accents
de réalisme, voire même une humanité, rarement vus dans la
peinture italienne à cette période. Le spectateur observe les
personnages comme si les corps pesaient réellement sur le sol. La
lumière de ses oeuvres est saisissante pour l'oeil du visiteur. Il
utilise quelques fois la technique du clair/obscur pour augmenter l'effet
lumineux d'une oeuvre. Sa peinture est souvent définie comme appartenant
au style du gothique flamboyant ou une synthèse entre la tradition
gothique et le nouveau langage de la Renaissance317. La couleur dans
les oeuvres de Fra Angelico est primordiale. En effet, ses oeuvres sont
variées et colorées. Il y a toujours différents champs de
couleurs relevant d'un grand raffinement. De plus, la composition de ses
oeuvres est faite par la couleur, comme chez Masaccio. Ses oeuvres sont d'une
véritable richesse chromatique. Dès 1938, des historiens de l'art
comme Édouard Schneider aborde cette richesse chromatique dans leurs
ouvrages : « La vibration des verts, des bleus, des rouges, illumine cette
oeuvre dont les visages reflètent fidèlement la pensée
méditative du peintre »318. Le bleu est une couleur
très présente dans les oeuvres de l'artiste319, la
majorité en étant composées. Fra Angelico reprend pour
cette utilisation un bleu lapis-lazuli320. C'est un bleu
tranché et un pigment rare pour l'époque.
L'une des oeuvres les plus représentatives de
l'utilisation du bleu par l'artiste est Le Couronnement de la Vierge
(ill. 42) peinte entre 1434 et 1435321. L'oeuvre illustre ce
thème biblique. La scène est composée de neuf marches en
marbre conduisant à un trône sur lequel est assis le Christ. Marie
est à genoux devant son fils et se fait couronner Reine des Cieux.
Autour d'eux sont figurés de nombreux personnages regroupés. La
composition est de plan pyramidal. Le bleu dans l'oeuvre est
prééminent. Au premier abord, il semble être partout dans
l'oeuvre, alors qu'en détail, le bleu est amené par touche dans
l'oeuvre. Tout d'abord, le bleu est choisi pour le « fond » de
l'oeuvre, visible en haut de la peinture. Puis, le bleu est ensuite
présent par touches sur les vêtements des personnages. En bas du
tableau, cinq figures présentent du bleu, dont deux personnages avec des
capes bleues. Ensuite, deux anges sur chaque côté
présentent des robes bleues. D'autres touches de bleues sont
présentes sur les
317 FELICI, Lucio (dir.), Op. Cit., Notice sur Fra
Angelico.
318 SCHNEIDER, Édouard, Fra Angelico, Paris,
Éditions d'Histoire et d'Art, Librairie Plon, 1938, p. 14.
319 FELICI, Lucio (dir.), Op. Cit., Notice sur Fra
Angelico.
320 Ibid.
321 Fra Angelico, Le Couronnement de la Vierge,
1434-1435, Retable, Tempera sur panneau, 213 x 211 cm, Musée du Louvre,
Paris.
78
côtés, notamment dans les capuches de certains
personnages. Enfin, la Vierge est recouverte d'un manteau bleu et le christ
d'une cape bleue. Ici, Fra Angelico utilise le bleu pour attirer l'oeil du
spectateur. Avec le bleu, il délimite la composition pyramidale de
l'oeuvre, amène le spectateur à se concentrer sur certains
personnages, dont les deux principaux, la Vierge et le Christ. L'oeil du
spectateur est naturellement attiré par cette couleur forte qui le guide
du bas du tableau vers le haut où se déroule l'action principale.
Cette peinture fait son entrée au Louvre en 1812322. Ainsi,
la couturière a très certainement pu observer cette oeuvre lors
d'une de ses nombreuses visites au Louvre. De plus, la couturière
possède dans la bibliothèque de son bureau, le tome : Fra
Angelico da Fiesole, L'oeuvre du maitre, de la collection « Les
Classiques de l'art », édité par Hachette en
1911323. Dans cet ouvrage, l'auteur anonyme décrit l'art de
Fra Angelico ainsi : « [É] où il montra toute sa
maîtrise et l'harmonieux développement de ses dons, avant de les
manifester au même degré dans la fresque et les grands tableaux
d'autel »324. De plus, l'ouvrage propose en seconde partie des
reproductions de toutes les oeuvres de l'artiste, et même quelques
esquisses. Les reproductions sont divisées en différentes parties
: OEuvres composées pour Fiesole, Florence et L'Ombrie ; L'oeuvre de
Saint-Marc à Florence et Rome et Orvieto : les dernières oeuvres
de Toscane. Parmi les reproductions présentes dans l'ouvrage, il y a
L'imposition du nom à saint Jean-Baptiste de
1434-1435325, les anges musiciens de la Madone des Linaiuoli
de 1433326, L'annonciation du couvent San Marco de
1442-1443327, L'annonciation de Cortone de
1433-1434328 et Le Couronnement de la Vierge de
1430329. L'ouvrage propose de nombreux détails des oeuvres
permettant à Jeanne Lanvin d'observer précisément les
tenues des personnages, bien que les reproductions soient en noir et blanc. La
couturière peut aussi observer ces reproductions de l'artiste italien
dans l'un de ses carnets de voyage nommé Florence. Dans ce dernier se
trouvent essentiellement des cartes représentant les oeuvres de Fra
Angelico à Florence, celles du couvent de San Marco.
Jeanne Lanvin est captivée par les oeuvres de
l'artiste, et particulièrement par ce bleu saisissant. Elle reprend
à Fra Angelico son bleu, mais s'inspire aussi des tenues de ses
322
http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/le-couronnement-de-la-vierge,
site consulté en avril 2015.
323 SCHOTTMLLE, Frida, Fra Angelico da Fiesole :
l'oeuvre du maître : ouvrage illustré de 327 gravures,
Collection des Classiques de l'art, Paris, Hachette, 1911.
324 Ibid., p. 15.
325 Ibid., p. 22.
326 Ibid., p. 37-42.
327 Ibid., p. 106.
328 Ibid., p. 72-73.
329 Ibid., p. 48-53.
79
personnages pour la création de ses propres
modèles, en reprenant leurs formes ou leurs motifs.
B.2 -- Modernisation des tuniques de Fra Angelico.
À plusieurs reprises, Jeanne Lanvin s'inspire de
vêtements vus dans les oeuvres de l'artiste Fra Angelico pour concevoir
ses collections330. Tout d'abord, deux modèles portent le nom
de l'artiste, un datant de 1925 et un autre datant de 1936331 (ill.
43). Le modèle de 1925 rend hommage au peintre332. C'est une
robe très bleue, bordée d'or et d'argent. La robe a un large
décolleté arrondi et se termine par un immense col retombant en
châle comme une capuche de moine. Au niveau du col, de la ceinture, des
poignets et du devant de la robe sont présents des morceaux de tissus
tressés à la manière d'une corde. Cependant, le
modèle de 1936 est nettement moins en lien avec Fra Angelico. Il s'agit
d'une longue robe du soir violette sans manches avec un décolleté
en V. Le haut de la robe est transparent, et présente une doublure rose
en dessous pour cacher le corps. La robe est ceinturée de pans de tissu
rose avec un noeud sur le côté.
Jeanne Lanvin s'inspire aussi des tenues des personnages
représentés par Fra Angelico. Ce dernier est un artiste à
la peinture minutieuse, les représentations de vêtements sont
imprégnées de réalisme. En effet, le tombé des
drapés, le rendu des matières, les reflets de l'orfèvrerie
et des tissus, les effets de mouvements et les plis marqués sont le
rendu d'un travail de précision. Édouard Schneider l'aborde dans
son ouvrage : « É la beauté des plis de sa robe, se
détachent sur la pure limpidité d'un fond d'or
»333. Les tenues sont toujours colorées de
manière différente pour chaque personnage, permettant au
spectateur de mieux les différencier du reste de l'oeuvre. Jeanne Lanvin
s'inspire des tenues peintes par Fra Angelico comme avec ce modèle
La Diva, de la collection 1935-1936334 (ill. 49). Cette
tenue est celle de Madame Boussiron, une fidèle cliente de la maison
Lanvin dans les années 1930335. À l'origine, ce
modèle se portait avec un manteau violet du nom de Bacchus. Le
modèle Diva est une longue robe assez sobre. La couleur choisie
par la créatrice est le « bleu Lanvin », tirant ici sur le
bleu roi. La robe est en soie, offrant des jeux de reflets en fonction des
330 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 33.
331 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 138.
332 Ibid.
333 SCHNEIDER, Édouard, Op. Cit., p. 18.
334 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 38.
335 Ibid.
336 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 38.
80
mouvements. Les manches sont décorés de
paillettes argentées. Ce sont des superpositions coniques de paillettes,
avec différentes tailles et reliées entre elles par un fil. Le
motif est géométrique. La robe est originale par son opposition
entre la sobriété du velours et de la coupe, et l'éclat de
son décor qui offre des jeux de lumière. Le modèle
Diva peut être rapproché de la tenue
Sérénité, dont les formes sont identiques, la
différence est obtenue par les manches. Le premier modèle offre
juste un décor de paillettes, alors que le second offre des manches
entièrement pailletés. Le modèle Diva est une
reprise des tenues peintes par Fra Angelico336 dans l'Imposition
du nom à saint Jean-Baptiste337 (ill. 44) de 1434-1435.
Cette oeuvre est le panneau d'un retable non identifié. L'image est
composée de sept personnages dans un jardin, un personnage masculin et
six personnages féminins. L'homme à gauche est
Saint-Jean-Baptiste. Dans les bras d'une des femmes se place Jésus. La
scène se passe dans un jardin avec au second plan une architecture
offrant plusieurs ouvertures, dont une en forme d'ogive, trace d'un
héritage gothique toujours présent chez l'artiste.
L'éclairage provient de la droite de l'oeuvre. Les femmes sont toutes
vêtues de robes colorées et somptueuses aux couleurs bleues,
vertes ou rouges. Chaque tenue est rehaussée de broderies dorées
aux poignets, manches ou cols. La tenue de la femme, la plus à gauche,
est comparable au modèle Diva de la couturière.
Il s'agit dans le tableau d'une longue robe bleue, s'apparentant au «
bleu Lanvin ». La coupe de la robe est identique, longue et fluide, avec
la taille légèrement resserrée. Cette forme tunique
rappelle les tenues des anges de Fra Angelico. Des décors flamboyants
sont présents aux manches des deux modèles. Pour le modèle
de la couturière, il s'agit de paillettes argentées et pour la
représentation picturale il s'agit de broderies de couleur or. Dans
l'oeuvre de Fra Angelico, la robe est composée de broderies au col, sur
le devant de la poitrine, aux manches, aux poignets et aux bas de la robe, or ;
ce n'est pas le cas pour le modèle Diva. Malgré, cette
différence, les deux modèles proposent de nombreuses
caractéristiques communes. Ainsi, cette tenue imaginée par Fra
Angelico peut être rapprochée du modèle Diva de
1935-1936 338 (ill. 44). Un autre modèle de 1934-1935 offre
un rapprochement avec les tenues peintes par Fra Angelico (ill. 44). Il s'agit
d'une longue robe « bleu Lanvin » coupée comme une chemise. La
robe est composée de boutons sur le devant jusqu'en bas de la robe. Les
manches sont très évasées au niveau des poignets,
rappelant certains vêtements liturgiques. Les emmanchures
présentent des détails en doré, comme des
337 Fra Angelico, L'imposition du nom à saint
Jean-Baptiste, 1434-1435, Tempera sur bois, 26 x 24 cm, Musée de
San Marco, Florence.
338 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 38.
81
bracelets, et les boutons sont aussi en doré. Cette
forme de vêtements peut rappeler certains vêtements peints par Fra
Angelico.
Jeanne Lanvin reprend surtout la forme des tuniques
portées par les personnages de Fra Angelico, car ce sont des
vêtements fluides resserrés à la taille. Cette
caractéristique est reprise dans le manteau Sérénade
ou Barcarolle de la collection 1945-1946. Ce modèle
réemploie le « bleu Lanvin » dans une nuance
légèrement plus foncée. L'impression de tunique est
apportée par l'ampleur de la jupe et le volume des manches. Le
vêtement est resserré à la taille. La couturière
reprend cette coupe tunique avec les manches évasées et la taille
marquée dans les modèles Concerto et Sèvres
de 1934-1936 (ill. 18) ou dans la robe Polaire de 1934 (ill. 45).
Une photographie d'un article de 1935339 présente une tenue
rappelant aussi les tuniques de l'artiste italien. La tenue de gauche sur la
photographie est une longue robe fluide, avec des manches
évasées, mais resserrées aux poignets. Le col est large et
arrondi. La taille est simplement marquée par un élastique
à l'intérieur de la tenue. La robe ne comporte pas de
décor. Cette tenue simple présente les mêmes
caractéristiques que certaines tenues des personnages peints par Fra
Angelico : un effet tunique, des manches évasées, une coupe
fluide.
Jeanne Lanvin s'inspire et admire profondément
l'artiste Fra Angelico. Elle s'en inspire de différentes
manières, comme en réactualisant dans ses tenues un bleu
utilisé par l'artiste, un bleu tranché courant à cette
époque du Quattrocento. La couturière va au-delà de ce
travail sur le bleu des oeuvres de Fra Angelico. En effet, elle observe et
réinterprète les tenues de types religieux ou
médiévaux peintes par le maître italien. Ce sont des tenues
fluides, inspirées par des tuniques ou des vêtements monacaux.
B.3 -- Analogie entre le Couronnement de la Vierge et la
robe Diva.
Tout au long de sa carrière, Jeanne Lanvin s'inspire
des tenues de Fra Angelico pour la création de ses modèles.
Cependant, dans les années 1930 une influence plus précise se
dessine au sujet de l'artiste italien. La couturière semble s'inspirer
directement340 du retable du Couronnement de la Vierge,
peint vers 1427-1429341 (ill. 42).
339 Photographie disponible à la bibliothèque
municipale Forney à Paris. Fonds Lanvin, dossier 1935 : Article «
l'Élégance chez soi », Plaisir de France, 1935, p.
45.
340 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 20.
341 Fra Angelico, Le Couronnement de la Vierge,
1434-1435, Retable, Tempera sur panneau, 213 x 211 cm, Musée du Louvre,
Paris.
82
Cette oeuvre décrite plus tôt comme la plus
représentative de l'utilisation du bleu par l'artiste
italien342 est aussi l'oeuvre dont la couturière s'est le
plus inspirée pour les tenues. La peinture comporte une cinquantaine de
personnages. Ils sont tous habillés de manière différente,
et l'artiste apporte ici un grand soin à ses tenues. Le rendu des
matières, les broderies et les plis sont travaillés avec le plus
grand réalisme. La couturière réinterprète
précisément des tuniques des quatre principaux anges musiciens.
Ce sont deux anges de chaque côté de la Vierge et du Christ, un
ange habillé en rose et un autre vêtu de bleu. Bien
évidemment, le lien avec les tenues de Jeanne Lanvin est avant tout
perceptible avec les tenues bleues. La première tenue bleue est celle
à la gauche du tableau. Il s'agit d'une longue tunique bleue, avec des
manches longues. La taille est resserrée. Le vêtement est
décoré de motifs dorés sur tout le long de la tunique, et
de bandes dorées au niveau des manches et de deux bandes en bas de la
tunique. La deuxième tenue bleue est celle située à la
droite du tableau. Là aussi, il s'agit d'une longue tunique bleue avec
des manches longues et la taille resserrée. Le vêtement
présente aussi des motifs dorés, mais ceux-ci sont
différents. De fines bandes dorées semblent être
présentes sur toute la tenue. Il y a aussi de larges bandes
dorées au niveau des poignets, des manches et de la poitrine. Le bas est
décoré de deux bandes décoratives fines aux lignes
sinueuses. Malgré le fait que les deux tuniques soient dans le
même esprit, chaque tenue offre des différences de décor.
Les deux modèles roses sont dans le même style. La tenue est
longue avec le col haut et les manches jusqu'aux poignets. Par contre, seule la
tunique rose à la gauche du tableau semble avoir la taille
resserrée, celle de droite ne l'est pas, s'apparentant plus à une
tunique large. Les deux tenues sont aussi décorées de motifs
dorés, mais moins présents par rapport aux tenues bleues.
Jeanne Lanvin semble s'inspirer de ces tenues pour
différents modèles. Tout d'abord, le modèle
présenté en 1939 à l'Exposition universelle de New York.
Il s'agit de la robe l'Ange de 1939, et présenté dans la
collection Hiver de 1940343 (ill. 35 et 46). Elle est bleue, avec
des manches longues. La taille est resserrée par du ruban noué
à la taille dont les pans retombent de chaque côté de la
robe. En premier lieu, la coupe choisie par la couturière reprend
l'esprit des tuniques de Fra Angelico. Ensuite, la robe est
décorée de plusieurs motifs brodés. Ces motifs sont faits
de paillettes or et argent accompagnées de fils rouges. Les motifs sont
différents au-devant et au dos de la tenue. Les motifs s'inspirent
d'ornements religieux orthodoxes. Au niveau de la poitrine se trouve un motif
en forme de croix grecque. Sur le bas de la robe s'y trouvent trois autres
identiques, mais plus larges. Ensuite, chaque manche
342 FELICI, Lucio (dir.), Op. Cit., Notice sur Fra
Angelico.
343 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 261.
83
comporte aussi un motif brodé. Les pans de la ceinture
sont tout le long décoré de motifs brodés. Au dos, le
retour des motifs brodés des manches est visible. Le dos ne comporte pas
de motifs brodés, il est juste uni. Par contre, le bas de la robe
comporte une dizaine de petits motifs brodés en forme de petites fleurs.
Pour ce modèle, la couturière semble s'inspirer directement des
tenues des anges présents dans le Couronnement de la Vierge
daté vers 1435344 (ill. 42). Cependant, ce type de
modèles est aussi vu dans d'autres oeuvres de l'artiste italien. Un
rapprochement peut être effectué avec un détail de la
Madone des Linaiuoli (ill. 46) au couvent de San Marco à
Florence345. L'oeuvre est composée en son centre d'une Vierge
à l'Enfant, puis le tour du retable est décoré de petits
anges musiciens. L'un des anges musiciens est vêtu d'une tunique dans le
même esprit avec la coupe longue, resserrée à la taille et
les manches longues, et comporte aussi des décors brodés
dorés sur le long de la robe avec des accentuations aux manches ou aux
poignets. Édouard Schneider en 1938 analyse l'oeuvre ainsi : « D'un
dessin très sûr, l'Ange et la Vierge se dressent au sein d'une
riche lumière d'or, évoquant par leurs formes allongées et
leurs courbes pures l'harmonie et la suavité de l'adoration
chrétienne »346. La tenue de l'ange dans
l'Annonciation de 1434347 (ill. 48) est aussi une
référence pour les modèles de Jeanne Lanvin, reprenant la
même forme de tunique, les mêmes décors brodés. Ces
tenues s'apparentent aux modèles de Jeanne Lanvin, comme l'Ange
de 1939 (ill. 35 et 46). Dean Merceron l'explique ainsi dans son ouvrage :
« Là encore la silhouette rappelle celle des robes
angéliques de Fra Angelico »348. Un autre modèle
rappelle les tenues peintes par Fra Angelico. Il s'agit d'un modèle de
1936 (ill. 47), non identifié. Il s'agit d'une longue robe blanche. Le
col monte jusqu'au cou et les manches sont évasées. Ce
modèle est ceinturé à la taille pour créer un effet
blousant, semblable aux tuniques peintes par Fra Angelico. La robe est aussi
décorée de traits dorés ou argentés,
reflétant la lumière dans la tenue. Ce décor semble
être le même sur les tenues de l'ange bleu et rose sur la droite du
Couronnement de la Vierge (ill. 42) de Fra Angelico, avec de fins
traits dorés disposés sur l'ensemble de la tenue.
Incontestablement, Jeanne Lanvin apprécie et s'inspire
de l'artiste italien Fra Angelico. Elle réinterprète son bleu
légendaire, les tenues de ses anges et leurs motifs brodés, mais
toujours de manière moderne. Avec l'exemple du Couronnement de la
Vierge et de la robe l'Ange,
344 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 20. SCHNEIDER,
Édouard, Op. Cit., p. 22.
345 Fra Angelico, La Madonne des Linaiuoli, Tempera
à l'oeuf sur plâtre, Florence.
346 SCHNEIDER, Édouard, Op. Cit., p. 22.
347 Fra Angelico, Annonciation, 1433-1434,
Détrempe sur bois, 175 x 180cm, Musée diocésain,
Cortone.
348 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 187.
84
l'influence est d'autant plus évidente. La
couturière reprend les codes de ces tenues médiévales pour
réaliser ses modèles du début du XXème
siècle. Elle semble réinterpréter pour ses
créations l'utilisation du doré ou des anges de Fra Angelico.
C -- Le doré et les anges.
C.1 -- Le doré chez Fra Angelico et Jeanne
Lanvin.
Les liens entre l'artiste italien et la couturière
française sont nombreux, au niveau des coupes des vêtements et de
la couleur bleue, mais d'autres liens sont aussi possibles entre les deux
artistes. Via l'utilisation du doré, une correspondance peut-être
effectuée entre les oeuvres de Fra Angelico et les vêtements de
Jeanne Lanvin349. Au Moyen-Âge, l'or est principalement
utilisé comme revêtement à l'aide de feuilles d'or. Le
doré est une nuance du jaune, cette couleur est le symbole du pouvoir,
mais surtout de la puissance, symbolisant le pouvoir par la richesse. C'est une
couleur évoquant le faste et le luxe. Dans la religion
chrétienne, la couleur dorée correspond à la couleur de
Dieu, assimilée à l'idée de soleil. Le doré est
donc aussi une couleur renvoyant à l'immortalité. Par
conséquent, cette couleur est régulièrement
utilisée dans les tableaux religieux du Quattrocento rappelant l'aspect
religieux. Le doré est aussi la marque d'une richesse d'un peintre
pouvant utiliser un matériau aussi noble que l'or350.
Fra Angelico utilise lui aussi le doré dans ses
oeuvres. En effet, le doré est l'une des couleurs
prééminentes de ses oeuvres351. Il l'utilise pour de
nombreux détails, dont les broderies des vêtements, l'or apportant
de la somptuosité. Les cols et le bout des manches sont aussi couramment
marqués d'une bande dorée. L'artiste l'utilise surtout pour
symboliser tous les éléments religieux ou mystiques de ses
peintures. De cette façon, les auréoles des anges sont peintes en
doré, permettant d'interpeller l'oeil du spectateur. Parfois, ce sont
les détails d'une scène qui sont en doré pour rappeler
leur côté mystique. Par exemple, dans l'Annonciation de
1434 (ill. 48), en haut à droite de l'image est figurée la
colombe avec une aura dorée, démontrant au spectateur son
côté religieux. La colombe symbolise ici le Saint-Esprit. Le
doré dans l'oeuvre de Fra Angelico renforce l'effet lumineux de ses
peintures et permet d'y refléter la lumière naturelle.
L'historien de l'art Édouard Schneider l'aborde le doré et les
anges ainsi :
349 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 20.
350 COLE AHL, Diane, Op. Cit., p. 95-113.
351 Ibid.
85
« Mais c'est au Gesù que nous trouvons les plus
belles compositions. L'Annonciation, d'abord, avec ses chauds tons
d'or, la forme céleste de son Ange, les mains exquises de Marie, d'une
facture nettement supérieure aux premières oeuvres de Fiesole
»352
En ce qui concerne la couturière, celle-ci utilise
aussi le doré dans ses créations. Tout d'abord, le doré
est régulièrement utilisé pour illustrer le logo de la
maison Lanvin, notamment sur les parfums Arpège353.
Ensuite, Jeanne Lanvin se sert souvent de cette couleur pour créer les
décors de ses modèles. Le doré permet de sublimer une
tenue et d'y apporter plus de lumière, celle-ci s'y reflétant en
fonction des mouvements354. Ainsi, sur le manteau Jupiter
de 1920 (ill. 29), le dos est décoré de motifs
géométriques effectués au motif d'or. L'utilisation du
fils d'or apporte de l'éclat au velours violet qui constitue le manteau.
Une autre tenue, présumée de Jeanne Lanvin, datée vers
1936, est un ensemble du soir composé d'une robe en crêpe de soie
noire et d'un boléro dans la même matière. Les manches et
la ceinture sont décorés de lamé en or. Le choix de la
couleur dorée permet ici d'apporter une touche d'originalité
à la tenue entièrement composée de noir. Le même cas
de figure existe avec la robe Polaire de 1934 (ill. 45), la robe est
en velours noir. Les manches sont faites de tulle doré sur lesquelles
les couturières ont brodé des paillettes dorées de formes
carrées. Grâce au doré, la tenue est assez somptueuse pour
être une robe du soir, la majorité du vêtement étant
en noir. L'aspect luxueux est régulièrement apporté par la
broderie dans les vêtements de Jeanne Lanvin, dont la broderie
dorée, comme avec un manteau de 1937. Le manteau est en taffetas noir
avec de grandes manches kimono, dont le dos est ouvert par un
décolleté bénitier. Sur tout le long du dos est
placée une bande de broderies faites de paillettes dorées
superposées allant du dos de l'encolure à l'ourlet. Ce manteau du
soir est luxueux par sa coupe majestueuse et par ce travail de broderie
reflétant toutes les lumières. Parfois, c'est l'emplacement du
décor doré sur la tenue qui rappelle les tenues peintes par
l'artiste italien. Le modèle, Mensonge de 1939-1940 (ill. 49),
est une veste en velours bleue avec des applications de galons en lamé
or sur les bras et le devant. Ce décor doré à cet
emplacement rappelle les tenues des anges dans le Couronnement de la
Vierge (ill. 42). En effet, ces personnages présentent aussi sur
leurs tenues des décors dorés sur leurs manches dans le
même style. La couturière utilise parfois le doré comme
couleur principale de ses modèles, c'est le cas avec deux tenues. Tout
d'abord, le modèle Apollon (ill. 50) datée aux alentours
de 1925 est une robe mi - longue en lamé or. La robe n'a pas de manches,
mais simplement des
352 SCHNEIDER, Édouard, Op. Cit., p. 13.
353 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 19.
354 Ibid., p. 112.
86
bretelles laissant les bras dégagés.
L'emmanchure des bras, le col et le devant de la robe sont composés de
bandes libres ou cousues, puis brodées de perles et de tubes en verre.
Le lamé en or se reflète dans les broderies de verre. L'autre
modèle est la robe Walkyrie de 1935 (ill. 50). Elle est en
lamé or. La doublure de la robe est de la même teinte et elle est
faite d'un corsage en lamé or aussi. La robe est marquée à
la taille par une ceinture de soie bleu marine surpiquée, dans un esprit
japonisant, rappelant le obi japonais (ceinture servant à fermer les
vêtements traditionnels japonais).
Le doré régulièrement utilisé par
Jeanne Lanvin dans ses créations peut être influencé par
Fra Angelico, mais aussi par d'autres artistes ou mouvements artistiques. La
couturière apprécie les arts orientaux dont la couleur
dorée est l'une des caractéristiques principales, notamment dans
les mosaïques byzantines355. Ces dernières sont souvent
composées d'un fond doré sans profondeur, non-inscrit dans une
réalité spatiale. Le doré met aussi en avant les nombreux
bijoux des personnages, leurs cols ornés ou encore les longues
traînes à motifs présents dans les mosaïques. L'art
byzantin vise constamment au sublime en se concentrant surtout sur les couleurs
et la tenue356.
Jeanne Lanvin utilise le doré dans ses tenues et
particulièrement dans leur décor. Cependant, même si elle
s'inspire de Fra Angelico qui utilise, lui, majoritairement le doré dans
ses oeuvres, un lien direct et avéré entre les deux ne peut
être établis. En effet, l'utilisation du doré par la
couturière peut être due à un simple choix de couleur dans
la mouvance de l'argenté par exemple. Le doré utilisé
n'est pas directement influencé par Fra Angelico, mais il est possible
que Jeanne s'en soit inspirée de manière générale
pour l'utilisation du doré.
C.2 -- Les anges vus par Fra Angelico et Jeanne Lanvin.
L'autre élément repris de l'artiste italien par
Jeanne Lanvin est la figure de l'ange. Les anges apparaissent dans les
représentations à l'Antiquité notamment à Rome et
à Babylone, correspondant au début du christianisme. Ces figures
ailées sont particulièrement présentes dans les
mosaïques de Ravenne, ce sont les plus anciennes mosaïques de l'art
chrétien. Les anges sont presque toujours figurés avec des ailes,
principalement dans les représentations d'art chrétien. Le corps
est semblable à un être humain, même si les figures sont
idéalisées. Il
355 ALAUX, Janine (dir.), Op. Cit., p. 27.
356 FELICI, Lucio (dir.), Op. Cit., Notice sur l'art
byzantin.
87
existe différentes catégories d'anges :
l'archange présent dans l'Annonciation à Marie, le
chérubin, les anges déchus ou encore l'Ange
musicien357.
Fra Angelico est un artiste de peintures religieuses
chrétiennes. Ainsi, les figures d'anges sont régulièrement
présentes dans ses oeuvres, notamment l'archange Gabriel dans les
représentations de ses Annonciations ou encore l'Ange Musicien. La
représentation des anges est l'une de ses spécialités,
l'artiste est souvent surnommé Angelicus pictor,
c'est-à-dire « le peintre des anges »358. De plus,
il est souvent considéré comme l'artiste marquant la transition
entre les représentations médiévales des anges et celles
de la Renaissance qui suivirent359. La figure d'anges est
présente dans l'Annonciation de 1434 (ill. 48) ou encore le
Couronnement de la Vierge daté vers 1435 (ill. 42). Fra
Angelico représente les anges de manière
idéalisée360. Les figures sont élancées
renforcées par les tuniques qui tombent jusqu'au sol. Les visages sont
androgynes et sereins. Les ailes des anges sont toujours extrêmement
raffinées. Le centre des ailes est parfois décoré de
motifs comme dans l'Annonciation361 (ill. 48) vers
1442-1443, elles sont décorées de bandes de différentes
couleurs avec des points et des lignes servant de décor pour chaque
bande. Dans toutes les représentations, les ailes se terminent finement,
comme une simple ligne. Le choix de représenter les ailes de
manière si raffinée renforce le côté mystique et
rare des anges. Édouard Schneider aborde en 1938 dans sa monographie les
tuniques fluides des anges : « On dirait qu'elles rayonnent sur celles des
Anges aux souples tuniques »362. Jeanne Lanvin apprécie
sûrement la figure des anges dans la peinture. Cela se ressent dans la
décoration de sa chambre. Au-dessus de son lit se trouve une enluminure
avec les représentations d'anges363 (ill. 2). Il s'agit d'une
peinture russe du XIXème siècle. Ce goût pour
les anges se retrouve aussi dans ses créations.
Tout d'abord, elle nomme plusieurs de ses modèles par
le mot ange. Il y a le modèle Ange bleu de 1931. C'est une
longue robe sans manches. Le haut est vert, le bas est blanc. Un noeud noir est
aussi présent sur la robe. Il existe aussi un autre modèle
nommé l'Ange bleu de 1932 (ill. 51). Il s'agit d'une longue
robe bleue avec des manches évasées et un col rond. La robe est
légèrement resserrée à la taille. L'exemple le plus
représentatif de ce goût pour les anges est le modèle
l'Ange de 1939364 (ill. 35 et 46). Ce modèle est une
longue robe bleue, avec des manches longues. La taille est resserrée par
un ruban noué à la taille dont les pans retombent
357 GIORGI, Rosa, Anges et démons, traduit de l'italien
par Dominique Férault, Paris, Éditions Hazan, 2004.
358 COLE AHL, Diane, Op. Cit., p. 8.
359 Ibid., 137-141.
360 Ibid.
361 Fra Angelico, Annonciation, 1442-1443, fresque, 230
x 297cm, Couvent San Marco, Florence.
362 SCHNEIDER, Édouard, Op. Cit, p. 14.
363 GUÉNÉ, Hélène, Op. Cit.,
p. 126.
364 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 187.
88
de chaque côté de la robe. La couturière
reprend tout d'abord la coupe des tuniques peintes par Fra Angelico. Ensuite,
la robe est décorée de plusieurs motifs brodés. Ces motifs
sont faits de paillettes d'or et d'argent accompagnés de fils rouges.
Les motifs sont différents au-devant et au dos. Le modèle est
présenté pour la première fois à l'Exposition
universelle de New York en 1939365 (ill. 35). La couturière
fait le choix de placer le modèle sur un mannequin représentant
un ange. Ce dernier a un visage féminin et les cheveux courts. Le corps
est dissimulé sous la tenue. Les ailes sont surtout
déployées sur les côtés permettant au spectateur
d'observer la tenue et les ailes de face, qui descendent jusqu'en bas du
mannequin. Le haut des ailes donne l'impression de petites plumes. Le bas des
ailes est composé de grandes lignes stylisant les ailes. Le choix de la
couturière n'est pas anodin. En effet, en exposant un modèle
nommé l'Ange (ill. 35 et 46) sur un mannequin ange, Jeanne
Lanvin fait le choix de renforcer le côté mystique,
médiévale souhaité pour la tenue. De plus, cette
association permet de rappeler au spectateur les influences de peintures
médiévales et religieuses affectionnées par la
créatrice. Aujourd'hui, ce cas est le seul exemple connu d'exposition
d'un modèle de Jeanne Lanvin sur un mannequin ailé. De la sorte,
la couturière s'est certainement servie d'anges en plâtre pour
exposer tous ses modèles en 1939366, lors de l'Exposition
universelle de New York (ill. 35). La couturière aime exposer ses
modèles sur des mannequins inanimés ou en situation, ce
goût lui vient de son admiration pour les poupées367.
Ainsi, dans les archives ce sont plutôt les représentations
inanimées qu'elle gardait que les photographies de ses modèles.
Ce choix lui permet souvent de symboliser l'influence des arts plastiques sur
ses tenues. C'est le cas avec la robe Arabesque inspirée
d'Henri Matisse en 1939 (ill. 13), pour laquelle la couturière fait le
choix de la présenter le vêtement sur un mannequin devant l'oeuvre
du peintre qui a servi de sources. La créatrice utilise le même
principe avec le mannequin ange. Jeanne Lanvin symbolise ici son goût
pour la peinture religieuse du Quattrocento, sans, forcément,
évoquer un lien avec les anges de Fra Angelico.
Jeanne Lanvin crée le « bleu Lanvin » et
l'érige en symbole de sa maison de Haute Couture. Pour cette
création elle s'inspire du bleu utilisé par Fra Angelico ou du
bleu des vitraux. Tout au long de sa carrière, elle l'utilise à
de nombreuses reprises pour ses modèles, mais aussi ses projets de
décorations personnels ou professionnels et s'inspire pour ses
modèles de certaines
365 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 261.
366 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p, 187.
367 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 216-217.
89
tenues portées par les personnages, notamment les
anges. Ces derniers sont des figures appréciées par la
couturière, qui va jusqu'à exposer ses modèles sur des
anges en plâtre.
90
Conclusion.
Malgré ses origines modestes, Jeanne Lanvin est une
femme qui se cultive tout au long de sa vie. Dès que son entreprise le
lui permet, elle voyage à la découverte de pays encore inconnus
comme en Orient ou dans certains pays d'Europe368. Dans ses voyages,
elle apprend de nouvelles techniques de couture, ramène des tissus et
observe les tenues des locaux. Ces voyages l'entrainent aussi en Italie, lui
permettant d'observer de ses propres yeux les oeuvres des maîtres du
Quattrocento qu'elle apprécie tant. La couturière possède
une bibliothèque composée d'ouvrages littéraires,
scientifiques ou d'art ce lui permet de continuer à étudier ses
oeuvres préférées dans son bureau. Cette
bibliothèque est son lieu de création et
d'inspiration369. Le processus créatif de la
couturière se résume à ce bureau où regorgent des
milliers d'images. La couturière ne sachant pas dessiner, elle puise son
inspiration au moyen des images qu'elles trouvent dans ses livres, et explique
ses modèles aux modistes. Jeanne Lanvin côtoie le monde artistique
grâce à sa fille musicienne, mais aussi par l'intermédiaire
de ses collaborations avec le théâtre. La couturière
apprécie par-dessus tout l'art allant jusqu'à ouvrir un
département « décoration » avec Armand-Albert Rateau.
Jeanne Lanvin est aussi une collectionneuse d'art pointue et se constitue une
collection composée d'oeuvres de Pablo Picasso, d'Auguste Renoir ou
d'Edgar Degas. Elle utilise ce goût de l'art pour confectionner ses
modèles, réinterprétant dans ses collections des motifs de
l'Art déco ou encore d'Henri Matisse. La couturière s'inspire
également de motifs orientaux pour les broderies, de couleurs
fétiches d'artistes pour inventer ses propres couleurs ou encore de
vêtements peints par les artistes du Quattrocento pour créer ses
propres modèles. Les inspirations de la couturière sont diverses
et se retrouvent dans la plupart de ses caractéristiques comme la coupe,
les broderies et les couleurs. Cependant, l'artiste dont elle s'inspire
principalement est le peintre italien Fra Angelico. De ce peintre, elle
réinterprète le bleu, les vêtements des personnages et les
anges370.
Les inspirations des arts plastiques dans ses modèles
sont difficiles à définir, elles sont présentes dans toute
l'étendue de ses collections371. Dans le travail de Jeanne
Lanvin, il est impossible de dire qu'une inspiration correspond à une
unique collection. La couturière s'inspire des arts plastiques,
cependant ce ne sont pas ses seules sources d'inspirations. En effet, Jeanne
Lanvin reprend certaines caractéristiques des vêtements
liturgiques comme les
368 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 101.
369 Ibid., p. 104.
370 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 20.
371 Ibid.
91
manches longues, ou même des motifs rappelant sa famille
comme les marguerites, faisant référence au nom d'origine de sa
fille372. Le style Lanvin ne peut donc pas se résumer
à l'influence des arts plastiques, ni même aux autres influences.
Jeanne Lanvin est aussi connue pour ses « robes de styles » ou ses
robes au style romantique373. Le style Lanvin est difficile à
définir pour les historiens de la mode, il est à la fois d'un
grand classicisme, mais également d'une grande originalité par
certaines inspirations. De plus, Jeanne Lanvin elle-même refuse de se
cantonner à un seul style et résume son oeuvre ainsi :
« Depuis des années, le public de mes collections
s'est plu à reconnaître « un style Lanvin ». Je sais que
l'on en a beaucoup parlé, et cependant je ne me suis jamais
attaché à un genre et n'ai jamais cherché à
accentuer un certain style déterminé. Je m'efforce au contraire,
chaque saison, de saisir l'impondérable qui vogue dans l'air,
influencé par les événements, et d'en tirer,
d'après ma conception personnelle, une réalisation traduisant mon
idéal passager.
Une création reflète nécessairement les
formes artistiques emmagasinées dans la mémoire, celles qui
semblent les plus vivantes, les plus neuves, et les plus complexes à la
fois.
Loin de vouloir me répéter et me soumettre
à une idée préconçue, je me fie à mon
instinct et m'abandonne à mon inspiration. Si j'aime la mesure, je
n'admets pas plus l'excès que l'étriqué : je redoute la
pauvreté de ligne et la sécheresse autant que le faste lourd et
choquant.
Justement parce que la mesure est une nécessité
pour moi, j'ai toujours réagi contre ce qui masculinise la femme,
recherchant par des formes variées et des détails toujours
nouveaux à ajouter une grâce et un charme de plus à la
féminité. Ceci ne m'empêche pas de concevoir des ensembles
très sport, qui répondent aux gestes violents des jeux actuels.
J'admire trop la vie ardente et jeune pour sacrifier systématiquement,
par amour de la « robe », par exemple, la jupe-culotte ou le
knicker.
Si mon interprétation accuse un genre, un style, elle
n'est ni volontaire ni réfléchie. Prenons l'exemple de deux
peintres du passé et du présent. Sans comparaison
prétentieuse, et seulement pour rechercher l'explication de ce mot
« style », posons-nous à leur propos la même question.
Renoir a-t-il cherché ou subi son style ? Christian Bérard a-t-il
le souci de créer du Christian Bérard ? Très naturellement
le caractère apparaît dans toute création artistique, et je
dirai même que c'est ce caractère émanant de l'individu,
malgré lui, qui crée le personnage et le signale à
l'attention de tous.
Lorsque l'on a l'esprit orienté vers la création
constante, tout ce que l'oeil enregistre se transforme et s'adapte pour cette
création, quelle qu'elle soit. Le travail se fait naturellement en soi,
il devient un instinct, une vérité, une nécessité,
un autre langage.
Le style « Lanvin » est donc simplement l'ensemble
des grandes lignes qui caractérisent mes modèles et que l'on
retrouve chaque saison, mais dissimulées sous un rythme nouveau, sous un
mode imprévu qui est d'ailleurs simplement la mode dont la recherche et
l'embellissement ont rempli ma vie »374.
Cette citation de Jeanne Lanvin explique toute son oeuvre et
son processus créatif. Mais surtout, la couturière explique que
les influences artistiques sont, pour elle, naturelles.
372 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 170.
373 GROSSIORD, Sophie (dir.), Op. Cit., p. 83.
374 « Le style » par Jeanne Lanvin. Vogue,
1945. PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 322-323.
92
Jeanne Lanvin meurt le 6 juillet 1946, à l'âge de
soixante-dix-neuf ans375. À la suite de son
décès, c'est sa fille Marie-blanche de Polignac qui prend la
relève de la maison Lanvin en devenant président-directeur
général de Jeanne Lanvin SA et de Lanvin Parfum SA. En 1950, elle
décide d'engager le couturier Antonio Canovas del Castillo pour
réaliser les créations, et la maison devient Castillo-Lanvin
jusqu'en 1963. Jusqu'en 2001 se succèdent de nombreux couturiers : Jules
François Crahay (1964-1984), Maryll Lanvin (1981-1989), Claude Montana
(1990-1992), Dominie Morlotti (1993-1996), Ocimae Versolato (1996-1997) et
Cristina Ortiz (1997-2001)376. Les années 1990 marquent un
tournant dans la maison, avec la fin de la Haute Couture par la maison Lanvin
en 1993 et le choix de se concentrer sur le prêt-à-porter
féminin de luxe, les accessoires, les départements « Homme
» et « Sport »377. De la mort de Jeanne Lanvin
jusqu'en 2001, la maison de couture connaît une succession de
créateurs dont les noms ne se sont pas associés à la
maison Lanvin, hormis celui d'Antonio Canovas del Castillo. C'est en 2002 avec
la désignation du créateur Alber Elbaz que la maison Lanvin
retrouve une figure emblématique. C'est un couturier né en 1961,
d'origine israélo-américaine, qui s'est formé à la
Shenkar College Engineering and Design378. Il travaille pour des
maisons de Haute Couture comme Guy Laroche ou la ligne de
prêt-à-porter féminin « Saint-Laurent rive gauche
» de la maison Yves Saint-Laurent ; des années formatrices dont il
déclare : « Chez Laroche, j'ai découvert la femme
française, et, chez Saint-Laurent, j'ai appris la volonté
d'atteindre la perfection »379. Dès son arrivée
à la maison Lanvin, il dessine en plus des vêtements, une
collection de bijoux, de chaussures et de sac à main. Son travail pour
la maison Lanvin lui fait remporter de nombreux prix, dont l'International
Fashion Award du CFDA en 2005 et 2006, le prix du Couture Council
Award for Artistry of Fashion en 2007. Ces honneurs reflètent le
succès de la maison Lanvin depuis la nomination d'Alber Elbaz comme
directeur artistique. Le créateur redonne ses lettres de noblesse
à la plus ancienne maison de Haute Couture française encore en
activité, et reprend dans quelques-unes de ses collections des
caractéristiques propres à Jeanne Lanvin380. Tout
d'abord, comme l'ancienne créatrice, il souhaite effacer les limites
entre les âges, créer des tenues mettant en valeur la femme et
l'habiller de la tête aux pieds381. Puis, Alber Elbaz continue
dans ses collections d'utiliser les trois couleurs « créées
» par Jeanne Lanvin, le « bleu Lanvin », le
375 PICON, Jérôme, Op. Cit., p. 326-327.
376 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 366.
377 Ibid.
378 Ibid., 310-311.
379
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/donnedieu/aelbaz.html.
Consulté de 05 mai 2015.
380 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 310-311.
381 Ibid.
93
« Vert Vélasquez » et le « Rose Polignac
» (ill. 52), tout en les déclinant dans différentes nuances.
Le créateur aime les vêtements légers, il
réinterprète les robes du soir de Jeanne Lanvin avec des tenues
monochromes, drapées et fluides. De plus, Alber Elbaz comme Jeanne
Lanvin vouent un culte aux broderies. Pour les siennes, il utilise des perles,
des paillettes, des sequins ou encore des strass. Il réutilise aussi les
rubans, les broderies et les perles, aimées de Jeanne Lanvin, pour les
accessoires382. L'héritage de Jeanne Lanvin reste encore
présent dans la maison Lanvin. Le « bleu Lanvin » est encore
utilisé pour les shopping bags. Alber Elbaz a aussi
restitué deux départements appréciés de la
fondatrice, celui de la mariée avec la collection Blanche et
celui de l'enfant avec la ligne Petite383. Les
références exotiques et aux arts plastiques aimés de
Jeanne Lanvin sont cependant peu présentes dans les collections d'Alber
Elbaz. En effet, le créateur perpétue les codes de la fondatrice
de la maison Lanvin en s'efforçant de ne pas tomber dans la copie et en
prenant des libertés.
Jeanne Lanvin, en s'inspirant des arts plastiques, s'inscrit
dans une lignée d'autres couturiers faisant des ponts entre art et mode.
En effet, dans la première partie du XXème
siècle, les échanges entre les arts plastiques et la mode sont
courants. Tout d'abord, grâce aux expositions universelles mêlant
différentes disciplines et permettant à des décorateurs,
des architectes ou des stylistes de travailler ensemble. Dans ces
années, des créatrices marquent leurs temps, comme Elsa
Schiaparelli considérée comme une artiste avant-gardiste pour ses
créations384, avec des amis comme Salvador Dalí qui
lui crée un tissu représentant un homard pour l'un de ses
modèles. La couturière invente des vêtements pleins de
fantaisies, introduisant dans la mode la dimension symbolique et s'amusant
à détourner les fonctions des vêtements. L'exemple le plus
connu de son travail est l'escarpin transformé en chapeau. De plus, la
plupart des couturiers du début du XXème siècle
reprennent les motifs géométriques de l'Art déco,
notamment Paul Poiret. L'Art déco est aussi présent dans les
vêtements des années 1920, notamment dans la coupe en biais, sa
forme dépouillée ou son tissu dont Madeleine Vionnet est la
principale représentative. Lorsque la question de l'influence des arts
plastiques et de la mode est posée, la plupart des analyses se portent
essentiellement sur la seconde partie du XXème siècle,
et majoritairement sur un couturier, Yves Saint-Laurent. Ce dernier est le
symbole même de la quintessence entre art et mode. Ce couturier né
en 1936 et mort en 2008 est l'un des créateurs les plus
révolutionnaires de cette seconde partie du XXème
382 MERCERON, Dean L., Op. Cit., p. 310-311.
383 MERLE, Sandrine, « Que reste-t-il de Jeanne Lanvin ?
», Les Échos, Octobre 2014. Consulté sur le site en
ligne, le 06 mai 2015.
384 DESLANDRES, Yvonne ; MLLER, Florence, Op. Cit.,
p. 154.
94
siècle. Il a réinventé le vestiaire
féminin avec la création de smokings pour femmes ou encore la
réinterprétation de la saharienne385. Le couturier est
aussi le créateur de l'un des vêtements les plus
représentatifs de ces ponts entre art et mode avec la robe
Mondrian. Lors de la collection automne-hiver de 1965, le
créateur rend hommage à l'oeuvre de Piet Mondrian (1872-1944) et
plus précisément à la composition C (III) de
1935386 (ill. 53). Il s'agit d'une robe en lainage descendant
jusqu'aux genoux et effaçant les contours du corps pour un rendu droit
des épaules aux genoux, tout en intégrant le travail de Mondrian
avec ses principales caractéristiques telles que l'abstraction
minimaliste, les couleurs primaires et la géométrie du peintre.
La robe Mondrian ouvre la voie aux mini robes imprimées aux
motifs Op Art et Pop Art, utilisées par la styliste américaine
Betsey Johnson (né en 1942)387. Le couturier Yves
Saint-Laurent lors de sa collection (printemps-été) scandale de
1971 utilise des reproductions, jugées obscènes, de vases
antiques, pour réaliser trois modèles de robes aux coupes simples
et structurés388. Ces rapports entre mode et art continuent
au fil du temps. En 1985, le collectif de stylisme The Cloth reprend dans ses
imprimés des découpes d'Henri Matisse ou encore de Keith Haring
(1958-1990)389. Le collectif travaille leurs vêtements comme
des peintres, à l'aide de pinceaux ou de marqueurs. Puis en 1991, la
maison de Haute Couture Versace signe une robe imprimée reprenant le
tableau d'Andy Warhol (1928-1987) représentant Marilyn
Monroe390. La seconde partie du XXème
siècle contrairement à la première n'hésite pas
à reprendre directement les oeuvres plastiques dans le vêtement,
contrairement par exemple à Jeanne Lanvin qui ne faisait que s'en
inspirer.
Ces parallèles entre l'art et la mode amènent
généralement à des questions plus larges. La mode est-elle
un art ? Le créateur de vêtement est-il un artiste au même
titre que le musicien ou le peintre ? Bien évidemment, il n'y a pas de
réponses objectives. Pour la majorité des gens, la mode n'est pas
un art, mais une simple création de vêtements, ou de l'artisanat ;
même si cette fonction relève d'une qualité artistique.
Toutefois, la créatrice Elsa Schiaparelli explique la vision de son
travail comme ceci « Le dessin de robe [É] n'est pas à mon
avis une profession, mais un art »391. Et parfois, ce sont des
figures iconiques de l'époque qui
385 CHENOUNE, Farid ; MLLER, Florence, Yves
Saint-Laurent, Cat. Expo, (Petit Palais - musée des Beaux-Arts de
la Ville de Paris, 11 mars - 29 août 2010, Paris), Paris, Éditions
de la Martinière, 2010, p. 38.
386 Ibid., p. 70.
387 DESLANDRES, Yvonne ; MLLER, Florence, Op. Cit.,
p. 262-263.
389 FOGG, Marnie, Tout sur la mode. Panorama des chefs
d'oeuvres et des techniques, Paris, Flammarion, 2013, p. 434-435.
390 Ibid., p. 470-471.
391 SAILLARD, Olivier (dir.), Fashion Mix : mode d'ici,
créateurs d'ailleurs, Cat. Expo (Palais de la Porte dorée, 8
décembre 2014 - 31 mai 2015, Paris), Paris, Flammarion, 2014, p. 63.
388 CHENOUNE, Farid ; MLLER, Florence, Op. Cit.,
p. 201-202.
95
l'exprime comme Andy Warhol au sujet du travail d'Yves
Saint-Laurent et de Jean-Paul Gaultier :
« Je crois qu'aujourd'hui, la façon dont on
s'habille est une forme d'expression artistique. Saint-Laurent, par exemple, a
fait du grand art. L'art réside dans la façon de
composer la tenue entière. Prenez Jean-Paul Gaultier.
Ce qu'il fait est vraiment de l'art »392.
Le milieu de la mode se divise sur ce sujet. Il est
indéniable que la Haute Couture est un moyen d'expression
reflétant la créativité du couturier, mais aussi
permettant de faire passer un message politique, de dénoncer, de
provoquer et parfois d'influer sur les moeurs. Pierre Bergé (né
en 1930), cofondateur de la maison de Haute Couture Yves Saint-Laurent,
répond lui à cette question ainsi : « La mode n'est pas un
art, mais il faut être un artiste pour la créer
»393. En effet, si la Haute Couture n'est pas, encore
aujourd'hui, considérée comme un art à part
entière, il est certain que les créateurs sont
considérés comme des artistes. Parfois, ce sont les
créateurs eux-mêmes qui se comparent à des artistes comme
Jeanne Lanvin :
« Si vous demandez à un peintre comment
peignez-vous ? Il serait fort embarrassé, il est possible qu'il vous
dise simplement, mais avec des pinceaux, de la couleur, une toile,
l'inspiration est cette force qui est en moi et qui m'oblige à
m'exprimer »394.
De plus, au même titre que les peintres ou les
sculpteurs, les créateurs font de plus en plus leurs apparitions aux
musées que ce soit dans les collections permanentes ou pour des
expositions. Parfois, ce sont des expositions organisées par des
musées spécialisés dans la mode comme le Palais Galliera
qui offrent de grandes rétrospectives et exposent les modèles
comme les plus grands chefs d'oeuvres de la peinture. Puis, quelques fois, ce
sont des expositions se déroulant dans d'autres musées, comme la
rétrospective sur le travail de Jean-Paul Gaultier qui se déroule
au Grand Palais du 1er avril au 3 août 2015. À cette
occasion, le Grand Palais organisera une conférence le 1er
juin 2015 qui fera certainement avancer le débat sur la place de la mode
et du couturier dans l'art : « Le couturier est-il un artiste ? ».
392 Andy Warhol, Mondo Uomo, novembre 1984. LORROT,
Thierry-Maxime (dir.), La planète mode de Jean-Paul Gaultier : de la
rue aux étoiles, Cat. Expo (Grand Palais, 1er avril 2015
au 3 août 2015, Paris), Paris, Éditions de la Martinière,
2011, p. 216.
393 « Rencontre avec Pierre Bergé »,
président de la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint-Laurent.
Conférence : « Yves Saint-Laurent 1961-1971 : 10 ans pour
révolutionner la mode », Fondation Pierre Bergé Yves
Saint-Laurent, 16 avril 2015. Vidéo disponible sur le site de la
fondation Pierre Bergé-Yves Saint-Laurent.
394 BOUDET, Jacques, Op. Cit, p. 637.
96
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Index
B
Balenciaga, Cristóbal, 9
Baudelaire, Charles, 33
Beaumont, 36
Bellini, Giovanni, 34
Bergé, Pierre, 95
Bergner, Élisabeth, 37
Bernhardt, Sarah, 36
Blondel, Jean-François, 34
Bogaert, Lucienne, 37
Bonnard, Pierre, 35, 52, 102
Bonni, Madame, 20
Bonnin de la Bonninière de Beaumont, Étienne,
36
Botticelli, Sandro, 3, 5, 14, 60, 61, 62, 63, 65, 101, 102
Boudin, Eugène, 39, 44
Boussiron, Madame, 79
Braïtou-Sala, Albert, 40
Braque, George, 39, 45
Brémond d'Ars, Yvonne de, 36
Bulliard, Pierre, 33
C
Camier, Régina, 37
Cassatt, Mary, 39, 44
Castillo, Antonio Canovas del, 11, 92
Cézanne, Paul, 39, 100
Chanel, Gabrielle Coco, 8, 11, 13, 27, 38, 47, 68,
71
Chaumeton, François-Pierre, 33
Chéri-Rousseau, François G., 36
Cocteau, Jean, 36
Colette, Sidonie-Gabrielle, 36
Conegliano, Cima da, 34
Cordeau & Laugaudin, 7, 20
Courbet, Gustave, 39
Crahay, Jules-François, 11, 92
D
Dalí, Salvador, 48, 93
Degas, Edgar, 17, 39, 40, 42, 44, 90
Delacroix, Eugène, 58
Delaunay, Sonia, 48
Delteil, Joseph, 48
Diderot, Denis, 33
Dietrich, Marlène, 75, 98
Doré, Gustave, 34
Doucet, Jacques, 7, 47, 48
Drian, Étienne-Adrien, 39, 45
Dufau, Clémentine-Hélène, 36
Duhamel du Monceau, Henri Louis, 33
E
Edel, Alfredo, 29
Elbaz, Alber, 15, 16, 17, 92
F
Fantin-Latour, Henri, 39
Flaubert, Gustave, 33
103
Fontaine, Jean de la, 33
Forain, Jean-Louis, 39
Fra Angelico, 3, 5, 14, 15, 16, 19, 34, 52, 65, 67, 70, 72,
75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 86, 87, 88, 90,
101, 102
Fragonard, Jean-Honoré, 39
Fresnaye, Roger de la, 39, 45
G
Gaultier, Jean-Paul, 95, 99 Georgette, 70
Giraudoux, Jean, 37, 38 Grès, Madame, 13 Groult,
Nicole, 21 Guitry, Sacha, 36
H
Haring, Keith, 94 Hartnell, Norman, 9 Hoentschel, Georges, 23
Holbein, Hans, 35 Hugo, Victor, 7
I
Ingres, Jean-Auguste-Dominique, 58 Iribe, Paul, 8, 47
J
Jacquemaire, René, 36 Johnson, Betsey, 94
Jones, Owen, 34 Juvet, Louis, 37
L
Lanvin, Jacques Firmin, 7
Lanvin, Marie-Blanche (Marguerite), 7, 20, 35, 36, 52,
53, 54
Lanvin, Maryll, 11, 92
Laroche, Guy, 92
Laugaudin, 7, 20
Laurens, H., 34, 61, 101, 102
Lelong, Lucien, 9
Lotto, Lorenzo, 34
M
Madeleine & Madeleine, 12, 21, 26, 69, 93, 97, 98
Malraux, André, 33
Manet, Édouard, 39
Mantegna, Andrea, 35
Masaccio, 76
Matisse, Henri, 3, 5, 45, 46, 88, 90, 94
Médicis, Catherine de, 66
Melet, Xavier, 30
Michel-Ange, 65
Molyneux, Edward, 8 Mondrian, Piet, 94
Monet, Claude, 39
Monroe, Marilyn, 94 Montaigne, Michel de, 33 Montana, Claude, 11,
92 Morlotti, Dominie, 11, 92 Musset, Alfred de, 33
N
Nadar, Paul, 26, 36, 97 Natanson, Misia, 44 Noro, Line, 37
O
Ochipenti, Monsieur, 26 Ortiz, Cristina, 11, 92
Ossendrijver, Lucas, 17
P
Patou, Jean, 8, 10, 70
Picasso, Pablo, 3, 17, 39, 40, 45, 90
Pickford, Mary, 52, 68
Piero, Guido di, 76
Pietro, Emilio di, 7, 20, 30
Pissarro, Camille, 44
Poiret, Paul Poiret, 8, 10, 28, 47, 48, 58, 68, 69, 93
Polignac, (famille), 17, 35, 36, 39, 40, 45, 52, 92, 100,
101
Primatice, 65
Printemps, Yvonne, 37, 61
Printz, Eugène, 24
Puigaudeau, Odette, 26
R
Raphaël, 3, 14, 34, 42, 60, 63, 64, 65, 101, 102 Rateau,
Armand-Albert, 14, 15, 22, 23, 24, 47, 51, 57, 69, 90, 98, 99, 100
Ravel, Maurice, 36
Redon, Odilon, 39, 42, 43, 52, 70
Rembrandt, 35
104
Reni, Guido, 65
Renoir, Auguste, 17, 38, 39, 40, 42, 43, 52, 70, 90, 91
Renouardt, Jane, 37
Rodin, Auguste, 39
Roosevelt, Éléanor, 68
Roussel, Pierre, 39
S
Saint-Laurent, Yves, 9, 71, 92, 93, 94, 95, 97
Sand, George, 33
Schiaparelli, Elsa, 13, 48, 93, 94
Sternberg, Josef von, 75
Stevens, Alfred, 39
Swarovski, 56
T
Tessier, Valentin, 37 Tintoret, 65 Titien, 34, 65 Tito, Sandi di
66
V
Valenti, Madame, 20
Vasari, Giorgio, 76
Vélasquez, Diego, 16, 35, 52, 53, 54, 70, 93, 101
Vernet, 33
Véronèse, Paul, 65
Versolato, Ocimae, 11, 92
Viollet-le-Duc, Eugène, 34
Vionnet, Madeleine, 21, 93
Visconti, Arnocati, 23
Vuillard, Édouard, 35, 39, 44, 52
W
Warhol, Andy, 94, 95
Watteau, Antoine, 35, 40, 74 Wintour, Anne, 18
Worth, Charles-Frédéric, 7
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