Jeux, enjeux et contraintes des grandes puissances au cours du printemps arabe. Le cas des membres du CSNU.( Télécharger le fichier original )par Ange Joachim MENZEPO Université de Dschang-Cameroun - Master en Sciences politiques 2015 |
CHAPITRE IVDES JEUX SOUMIS A PLUSIEURS CONTRAINTESDans la dynamique interactionnelle des grandes puissances au cours du printemps arabe, certains facteurs défavorables empêchent parfois la progression de celles-ci vers leurs objectifs ultimes desquels nous pouvons citer la protection des civils, l'instauration de la démocratie. « Leur intervention n'est pas encadrée par un corps de règles préétablies, elle s'est faite de manière conjointe par un jeu permanent d'échanges, de conflits, de négociations et d'ajustements mutuels »805(*). De ce fait, les grandes puissances et les pays du printemps arabe sont tous dans une structure de jeu806(*) où chacun agit en fonction de ses objectifs et est parfois confronté aux obstacles qui empêchent la réalisation de ceux-ci. J. ROJOT qualifie ces obstacles de contraintes, celles-ci étant les difficultés qui se dressent contre un acteur et qu'il doit affronter dans la progression de son action807(*). Ainsi, dans la poursuite de leurs objectifs, les grandes puissances sont confrontées à diverses contraintes. Celles-ci sont soit inhérentes à ces acteurs (Section I) soit extérieures à ceux-ci (Section II). SECTION I : LES CONTRAINTES INHÉRENTES AUX GRANDES PUISSANCES.Au rang des contraintes inhérentes aux grandes puissances, nous présenterons celle qui est commune à toutes les puissances (paragraphe1) et celles qui sont spécifiques aux Etats-Unis d'une part et à la France d'autre part (paragraphe 2). PARAGRAPHE I : LA CRISE ECONOMIQUELa démocratisation du Maghreb nécessite des moyens financiers. Pour soutenir le printemps arabe, les grandes puissances s'étaient engagées à financer le processus démocratique808(*). Une fois les régimes décriés renversés, la logique voudrait que les engagements soient tenus. A cette étape, il se pose un problème, celui de la disponibilité des ressources financières. Comment y parvenir lorsque celles-ci, plongées dans une crise, se trouvent déficitaires ? Pour se convaincre de ce que la crise en Occident est un obstacle au printemps arabe, un peu comme avec les concepts opérationnels isolés, nous sommes partis de l'analyse de certains auteurs (A), pour percevoir la situation réelle des grandes puissances (B). A. Le regard des auteurs et acteurs de la finance mondiale.La démocratie, c'est-à-dire la capacité des peuples à s'exprimer à travers des institutions qui produisent de la décision politique, est mise à mal par la crise européenne809(*). Au début du printemps arabe, beaucoup d'observateurs européens ont comparé les soulèvements contre les régimes autoritaires d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient à ceux qui avaient provoqué l'effondrement des régimes communistes européens en 1989. Ils espéraient voir déferler une vague de démocratisation et de développement alimentée par une nouvelle génération de jeunes, inspirés par les valeurs occidentales. Toutefois, comme l'a noté la directrice générale adjointe égyptienne du FMI Nemat SHAFIK en mai 2012, la différence, c'est qu'en 1989, « l'économie mondiale était en pleine expansion, l'Union européenne était prête à accueillir parmi ses membres des pays en transition et il était facile d'obtenir des financements externes »810(*). La transition des pays arabes s'est produite dans un contexte beaucoup plus difficile. Selon Mme SHAFIK, sans un « printemps économique » accompagnant le renouveau politique, le printemps arabe serait voué à l'échec, mais le poids des profondes réformes nécessaires pèserait lourdement sur les caisses déjà vides de ces pays instables. Le printemps arabe a été l'occasion de l'émergence de revendications démocratiques. Aujourd'hui, la question économique s'impose. L'exemple de la transition politique et économique en Europe de l'Est après la chute de l'URSS dans les années 1990 et 2000 est intéressant en termes de grille de lecture pour appréhender la situation actuelle des pays arabes. En effet, après une longue période d'un système économique et politique défaillants, l'Europe de l'Est a dû organiser sa transition. Elle a été aidée dans ce sens par l'Europe occidentale qui a financé des institutions et le développement de ces pays. Dans le cas des pays arabes, il paraît peu envisageable qu'un pays arabe puisse, ou même souhaite, occuper ce rôle financier pour aider à la stabilisation d'un pays de la région811(*). Dès lors, les seuls acteurs ayant les ressources financières et politiques pour stabiliser la région, et permettre un processus de transition relativement organisé sont les pays occidentaux. Etant donné la proximité géographique avec l'Europe, et le potentiel de déstabilisation régionale et mondiale d'un processus de transition mal géré qui s'éterniserait, il semble que cette question doive se faire de plus en plus prégnante auprès d'institutions telles que l'Union Européenne812(*). Commentant l'article de S. FONTAN, « Les pays arabes faces à la crise économique », un chercheur écrit : « l'auteur ne réalise pas que les deux situations sont tellement différentes dans les deux cas au point qu'aujourd'hui on ne peut pas assumer, chose qu'il a fait, que l'Europe occidentale pourrait parvenir à résoudre la situation de crise politique, sociale et économique dans la zone Arabe ou aider à débloquer cette situation et la raison est simple, l'Europe occidentale elle-même souffre d'un problème d'intégration monétaire, économique et politique qui sera couronnée par l'échec de l'union monétaire dans la zone ou la disparition des régimes les plus faibles et l'émergence d'une force européenne émanant d'un seul acteur éco-politique ( l'Allemagne peut être...) »813(*). Ce commentaire tient la route. Il est d'ailleurs appuyé par cet écrit de Ibrahim WARDE814(*) qui rapporte qu' « en élisant une nouvelle Assemblée nationale le 26 octobre 2014, les Tunisiens porteront les espoirs du « printemps arabe ». Confrontées au chaos libyen, à la guerre syrienne ou à l'autoritarisme égyptien, les populations ne se font plus d'illusions quant aux promesses des Occidentaux. Annoncée main sur le coeur dans une cité balnéaire française en 2011, l'aide économique internationale n'est jamais arrivée ». Un moment évoqué, le « Plan Marshall » pour l'Afrique du Nord s'est fracassé sur la ' crise de l'euro815(*). Frédéric ENCEL, pour attester de la situation d'impossibilité pour l'Occident d'aider financièrement le processus de démocratisation du Maghreb, souligne que : « ce qui est triste, c'est que nous ne pouvons même pas proposer une espèce de plan Marshall parce que les Occidentaux sont désargentés. Et à qui donnerait-on les fonds ? A quel Etat »816(*) ? « Les pays du sud méditerranéen n'ont pas été contaminés par la crise financière, mais ils ont fortement subi la récession des pays occidentaux, particulièrement de l'Europe »817(*) écrit Henry MARTY-GAUQUIE. Il exprime ainsi la forte corrélation existant entre crise en Occident et impossibilité ou tout au moins difficulté à poursuivre les objectifs du printemps arabe. Une décision de soutien avait, en effet, été prise par les grandes puissances au G8, instance multilatérale818(*) de laquelle la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis sont membres. Le lancement réussi, sous présidence française, du Partenariat de Deauville, constituait sans aucun doute une réelle avancée, compte tenu de l'incapacité où se trouvait l'Europe, en mars 2011, à coordonner seule une réponse819(*). Cependant, cette construction n'est pas sans faiblesses. Parmi ses multiples lacunes, il se trouve en bonne place que la mise en oeuvre du partenariat s'est avérée très tributaire de l'environnement politique et économique prévalant tant dans les pays en transition, que dans les pays développés donateurs820(*). Dans les pays du G8, la crise économique mondiale et ses amplifications successives ont dominé les concertations au point que, sous la pression des contraintes budgétaires et des plans d'ajustement structurels, les engagements d'aides bilatérales ont été moindres qu'annoncés ; dans la même ligne, les priorités d'actions indiquées aux Institutions Financières Internationales par leurs actionnaires ne plaçaient plus la Méditerranée au premier rang des préoccupations821(*). Loin d'être de simples analyses de penseurs et d'analystes, la situation financière et économique de l'Occident est véritablement critique et les analyses ci-dessus mentionnées sont vérifiables à partir des données sur la situation réelle de ces pays. * 805 SMOUTS (M.-C.) cité par POKAM (H.D.P.), « Partenaires internationaux et gouvernance des collectivités locales au Cameroun » dans Cahier de la coopération décentralisée, N° 2 Août 2010, p. 107. * 806 ELIAS (N.) op.cit. p. 86. * 807 ROJOT (J.), op.cit, p. 294. * 808 Voir chapitre 1 et 2 de cette étude. * 809 Editorial de la Revue Politique Etrangère 1, 2012, p. 8. * 810 Nemat SHAFIK citée par MORIZOT Valentine, « L'Europe 1948 et le printemps arabe », publié sur www.Voxeurop.eu, consulté le 10 novembre 2014. * 811 FONTAN Sylvain, « Les pays arabes faces à la crise économique », publié le 12 mai 2014 sur www.leconomiste.eu, consulté le 06 novembre 2014. * 812 Ibid. * 813 Commentaire fait sur www.leconomiste.eu le 13 mai 2014, consulté le 06 novembre 2014. * 814 WARDE Ibrahim, « Un plan Marshall sans lendemain pour les printemps arabes », Le Monde Diplomatique, octobre 2014, p. 6. * 815 STROOBANTS Jean-Pierre, « L'Europe ne parvient pas à peser sur les suites du printemps arabe », publié le 21 septembre 2012 sur Le Monde.fr, consulté le 08 novembre 2014. * 816 ENCEL Frédéric, entretien avec DIFFALAH Sarah, « La Libye en plein chaos : fallait-il vraiment renverser Kadhafi ? », Le Nouvel Observateur, 08 août 2014. * 817 MARTY-GAUQUIE Henry, «La communauté internationale et le printemps arabe: aspects économiques», La Note de Conventions, N° 10, 2013. * 818 Voir chapitre 2 de cette étude. * 819 MARTY-GAUQUIE (H.), op.cit. * 820 MARTY-GAUQUIE (H.), op.cit. * 821 Le débat, puis la décision d'augmentation du capital de la BEI (prise au Conseil européen du 30 juin 2012) ont été animés par la nécessité d'une initiative de croissance en Europe, et non par l'augmentation de l'aide aux pays tiers. |
|