CONCLUSION
Dans la perspective de la construction d'une communauté
nationale de destin respectueuse de la diversité des appartenances
linguistiques et des expressions culturelles, l'Etat de Côte d'Ivoire
s'est engagé à tenir compte des conditions et besoins
particuliers en matière de culture de tous les groupes sociaux (cf.
l'article 52 de la loi N0 2014 - 425 du 14 juillet 2014 portant
politique culturelle nationale). Par cette disposition, l'Etat reconnait la
diversité culturelle comme fondement de la richesse du patrimoine
culturel ivoirien ets'engage à assurer le droit à la culture pour
tous les peuples, y compris les groupes minoritaires comme lesDègah.
Bien que minoritaire de par le nombre de sa population, cette
communauté retranchée dans seulement trois (3) villages du
département de Bondoukou se distingue par la richesse de son patrimoine
culturel et la multiplicité de ses différentes formes
d'expressions culturelles qui en font une société dynamique et
socialement enracinée. Ce patrimoine culturel exclusif, symbole de
l'identité du peuple, est un héritage historique vécu et
conservé depuis leurs origines voltaïques jusqu'en Côte
d'Ivoire, en passant par le Ghana actuel où la plus grande partie de la
communauté reste implantée.Au nombre des nombreuses pratiques
culturelles qui témoignent de la richesse et la vivacité du
patrimoine culturel des Dègah, on a le « Pidii » ou
fête d'ignames, le« HarèKwaala » ou
sanctification de la terre, le « Hamfaalô » qui
désigne la célébration du mariage traditionnel et bien
sûr les « Louuri » ou rites funéraires
annuels. Notons toutefois que ces célébrations se pratiquent
différemment d'un village à l'autre.Par exemple, dans le village
de Motiamo, on a entre autres rites, le « Gnangan » ou
fête de la nouvelle récolte, le
« Koumou » ou fêtede sanctification de la terre,
le « Djamé » ou sortie de masques et surtout le
« Gbônnô ».A ces différentes
célébrations, il faut ajouter les danses traditionnelles comme le
« Gban », le « Ganhin », le
« Wara », le « Logan », le
« Gobié », le « Naya », le
« Kpan-nan », le « Mandié », le
« Vogora » etc.
S'agissant du Gbônnô qui est le centre
d'intérêt de la présente étude, il faut retenir
qu'il consiste en un ensemble de rituels et de festivités dans le cadre
des rites funéraires annuels ou « Lourri »,
couplés avec la célébration du nouvel an traditionnel dans
le village. Ses fondements sont aussi bien d'ordre culturel et social. Au plan
culturel, la commémoration est motivée par la coutume
Dègah qui recommande que les morts soient enterrés après
leur décès et que leurs funérailles soient
reportées pour être célébrées en fin
d'année en présence de toute la communauté de parents et
amis. Sur le plan social, le Gbônnô apparait comme un
évènement festif occasionné par les animations de
réconfort après la douleur des funérailles, les
réjouissancesdu nouvel an et les retrouvailles annuelles entre les
populations. Ainsi, en tant qu'évènement communautaire, sa
célébration obéit à un long processus allant de la
fixation de la date par les sages jusqu'à la fête populaire du
nouvel an, en passant par les tâches préparatoires et les
cérémonials funéraires.
Comme tout évènement d'animation culturelle, le
Gbônnô n'est pas sans impacts. Ceux-ci s'apprécient à
divers niveaux. Au plan religieux et traditionnel, il est facteur de limitation
des malheurs et des décès caril permet de purifier le village et
d'effacer les impuretés des défunts. Sur le plan social, le
Gbônnô se veut un moment précieux et très
privilégié de retrouvaillesannuelles et d'intégration
socialepour tous les ressortissants du village à l'instar de
« Paquinou » en pays Baoulé. En termes d'apport
économique, l'évènement occasionne une activité
lucrative temporaire notamment dans le domaine de la restauration et de la
commercialisation des produits de consommation comme l'igname et autres. Il
faut compter également les nombreux projets d'investissements agricoles
et immobiliers qui démarrent chaque année dans le village
à l'occasion de l'évènement. En outre, il faut noter que
sur le plan culturel, le Gbônnô apparait comme
l'évènement par excellence qui témoigne du dynamisme et
l'unité du village, la vivacité de son patrimoine culturel et
l'authenticité de l'identité traditionnelle des populations.
L'évènement révèle surtout que le peuple
Dègah est très respectueux de la dualité de l'homme qui
est corps et esprit, car après les rites souvent pompeux
d'accompagnement du corps (l'enterrement), les morts doivent être
magnifiés dans leur ascension au royaume divin. C'est évidemment
ce qui explique la mobilisation et l'implication del'ensemble des populations
autour de la célébration.
Cependant, l'évènement fait face à de
sérieuses menaces liées notamment aux difficultés de
programmation et de transmission et surtout à l'influence des religions
révélées. Le manque de référentiels
calendaires dans la fixation des dates de l'évènement occasionne
parfois des célébrations faussées au niveau de la
périodicité exacte et apparait comme une entrave à la
participation de certaines catégories sociales comme les fonctionnaires,
les élèves et étudiants qui sont
généralement confrontés à un problème
d'agenda pendant ce temps. Il y'a aussi le désintérêt des
jeunes pour les danses, chants et pratiques traditionnels
exécutés pendant l'évènement, ce qui pose un
problème de transmission et de pérennisation de la
célébration. Aussi, la non-implication directe des religions
révélées dans la célébration a pour
conséquence imminente la dénaturation totale de
l'évènement qui pourrait, à la longue, se réduire
à son seul caractère festif commémoratif du nouvel an.
Caril n'y aura quasiment plus de décès à
célébrer lors des rites funéraires, puisquepresque toutes
les populations ont une appartenance au christianisme ou à l'islam. A
ces menaces, il faut ajouter l'absence d'un dispositif organisationnel concret
et le manque de communication sur de l'évènement pour l'ouvrir au
monde. Face à ces constats, nous proposons une approche
stratégique de redynamisation allant de l'initiation des jeunes aux
usages liés à la traditionà la mise en place d'un plan de
communication autour de l'évènement, en passant par l'implication
de tous les cadres et autorités administratives locales, la mise en
place d'un conseil de sauvegarde de l'évènement et la
définition des responsabilités dans l'organisation au sein d'un
Commissariat Général du Gbônnô que nous recommandons
vivement.
Du point de vue scientifique, s'il y'a un mérite qu'il
convient d'attribuer à la présente étude, c'est au sens de
l'édification des futurs chercheurs et l'ensemble de la
société humaine sur les Dègah de Motiamo et leur
tradition, en mettant à leur disposition un mémorandum qui
établit définitivement la vérité scientifique sur
leurs pratiques culturelles. Cet écrit met ainsi fin au risque de
déformation de la tradition des Dègahdans sa transmission. Ce
mémoire révèle surtout la menaceà laquelle fait
face le Gbônnô en tant qu'évènement culturel majeur
dans le village deMotiamo, du fait notamment de l'influence des religions
révélées. Ainsi, même si ce travail ne vient rien
inventer, il a au moins la convenance de rectifier des spéculations
quelques fois erronées sur les Dègah et leur tradition, notamment
ceux de Motiamo.
Nous pensons donc que ce travail ne sera pas sans
intérêt pourla communauté scientifique, tout le
peupleDègah et l'ensemble de la société. Naturellement, il
peut être utile aux historiens, aux sociologues, aux ethnologues, aux
anthropologues etc., dans la conduite de leurs recherches sur le peuple
Dègah. Il apparait également comme une boussole pour les
ressortissants Dègah dans la connaissance de leur propre histoire et
leur culture. Il permettra surtout à l'ensemble de la
société de découvrir ce peuple autonome longtemps
assimilé à d'autres du fait de sa minorité. Ce
mémoire est donc un moyen de promotion du peuple Dègahdans la
dynamique de la promotion de la diversité culturelle et les
minorités linguistiques. Aussi, les réflexions et propositions de
stratégies qui y sont contenues peuvent servir d'orientation dans le
cadre des actions de sauvegarde du patrimoine national. C'est pourquoi il peut
être aussi utile à la connaissance des professionnels de l'action
culturelle qui pourront s'en inspirer. Ainsi, cette étude devra
être largement diffusée et partagée pour
l'intérêt de ses potentiels bénéficiaires
susmentionnés.
Toutefois, notre sujet tel que formulé,
présente un vaste champ d'étude que nous ne prétendons pas
avoir intégralement exploité. Le thème abordé nous
donne de nous interroger sur un certain nombre d'aspects relatifs
àl'organisation des funérailles chez les Dègah. La
première problématique que nous sommes tenté de soulever
à cet effet est de savoir qu'est-ce qui accompagnent les défunts
lors de leur enterrement et pourquoi enterre-t-on certains défunts
à la maison et non pas au cimetière? Cette problématique
semble d'autant plus fondamentale que l'éluciderpermettra de comprendre
par exemple si les Dègah continuent d'enterrer leurs chefs traditionnels
avec des têtes humaines comme l'histoire nous l'a enseigné.Une
autre préoccupation qu'il convient d'aborder dans cette dynamique est de
savoir quels sont les rapports entre les vivants et les morts après les
rites d'accompagnement définitif et quel est l'intérêt du
« Togan » qui est un rituel annuel d'adoration des morts
trois (3) ans après leur côta.
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