FACULTÉ DES LETTRES ET DES SCIENCES
HUMAINES DÉPARTEMENT DES SCIENCES DU LANGAGE, DE L'INFORMATION ET DE LA
COMMUNICATION
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2015-2016
est etique du titre de fiction
érielle vers
un système
criptovisuel di
enre narratif
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Mémoire de master 1 Sémiotique &
Stratégies
sous la direction d'Isabelle Klock Fontanille
L'esthétique du titre de fiction sérielle, vers un
système scriptovisuel du genre narratif
L'esthétique du titre de fiction sérielle, vers un
système scriptovisuel du genre narratif
Morgane Longuepee.
Sous la direction d`Isabelle Klock Fontanille
Ce mémoire de recherches intitulé «
L'esthétique du titre de fiction sérielle, vers un système
scriptovisuel du genre narratif » entend dépeindre la
pluralité et l`hétérogénéité des
typographies à travers l'expérience cinématographique en
tant qu'objet culturel et décrypter les aptitudes sémiotiques
qu`elles formulent ; et ceci en tenant compte des genres
cinématographiques, des scénarii exploités et des
pratiques graphiques qui les influencent. Cette recherche d`ordre
sémiotique s`est articulée autour de trois thématiques de
production sérielle : « le genre historique », « le genre
fantastique» et « le genre policier ». Nous offrirons une piste
de réflexion sur l`apport de la forme du texte à l`écran.
Nous nous intéresserons aux rôles et caractéristiques du
flux textuel, ainsi qu`aux conditions culturelles et techniques de l`usage du
texte à l`écran.
SOMMAIRE
Introduction 7
1. L'esthétique textuelle dans le genre
cinématographique historique 13
1.1. Définition et délimitation du genre
cinématographique historique 17
1.2. Analyse de corpus filmique historique 19
1.2.1 Le haut moyen âge illustré par la fiction
sérielle Game of Thrones 20
1.2.2. Le moyen âge central illustré par la
fiction sérielle Vikings 24
1.2.3. Le moyen âge illustré par la fiction
sérielle Kaamelott 29
1.2.4. La renaissance illustrée par la fiction
sérielle Reign 33
1.2.5. L'époque moderne illustrée par la
fiction sérielle Versailles 38
1.3. Vers un système typographique propre aux fictions
sérielles historiques 43
2. L'esthétique textuelle dans le genre
cinématographique fantastique 46
2.1. Définition et délimitation du genre
cinématographique fantastique 47
2.2. Analyse de corpus filmique fantastique 49
2.2.1. Le genre fantastique d'épouvante
illustré par la fiction sérielle American Horror
Story 50
2.2.2. Le genre fantastique illustré par la fiction
sérielle Salem 56
2.2.3. Le genre fantastique d'anticipation illustré
par la fiction sérielle The 100 62
2.2.4. Le genre fantastique folklorique illustré par
la fiction sérielle The Vampire Diaries 66
2.3. Vers un système typographique propre aux fictions
sérielles fantastiques 71
3. L'esthétique textuelle dans le genre
cinématographique policier 74
3.1. Définition et délimitation du genre
cinématographique policier 75
3.2. Analyse de corpus filmique policier 76
3.2.1. Le genre policier à énigme
illustré par la fiction sérielle The Mentalist 77
3.2.2. Le genre policier à énigme
illustré par la fiction sérielle Bones 81
3.2.3. Le genre policier du polar illustré par la
fiction sérielle Criminal Minds 85
3.2.4. Le genre policier du polar illustré par la
fiction sérielle Dexter 89
3.2.5. Le genre policier du suspense illustré par la
fiction sérielle How To Get Away With
Murder 93
3.3. Vers un système typographique propre aux
séries télévisées policières 97
4. Conclusion 100
Bibliographie 102
7
L'esthétique du titre de fiction sérielle,
vers un système scriptovisuel du genre narratif
INTRODUCTION
Afin de comprendre la nature de l`objet de ce mémoire,
il convient tout d`abord d`identifier le rôle de l`écriture et ce
faisant, d`admettre l`hypothèse que sa conception ne se résume
pas seulement à une transposition de la parole.
En effet, il existe une conception étroite de
l`écriture qui divise celle-ci en deux codes ; le code « discret
» qui s`apparente à la langue « parlée » et le
code « substitutif ». Pour le linguiste Eric Buyssens, la langue
retranscrite à l`écrit résulte d`un code substitutif
puisque « lorsqu`on lit... On substitue les sons de la parole aux
caractères écrits, et c`est à partir de la parole qu`on
passe à la signification »1. En outre, ce rôle
substitutif serait en mesure de combler les lacunes qui incombent au langage
oral ; soit son caractère volatil et son faible rayon d`action. Les
auteurs de l`ouvrage Intertextualité, interdiscursivité et
intermédialité, Louis Hébert et Lucie Guillemette,
affirment que la fonction substitutive du langage permettrait « aux
productions linguistiques de se jouer des frontières : elle les rend
permanentes (et Derrida fait de cette permanence un des traits
définitoires de l`écriture) et transmissibles dans un vaste rayon
d`action; elle permet de stocker et de faire circuler les informations, sans
plus tenir compte des contraintes de temps et d`espace, ni des limites et des
faiblesses de la mémoire »2. De fait, cette permanence
évoquée par Derrida aurait été
décuplée et renforcée notamment par l`imprimerie qui a
permis une démultiplication de l`écrit. Les nouvelles
technologies permettent la diffusion et le partage d`innombrable textes ;
invalidant ainsi la prophétie de Marshall Mc Luhan et à celle des
Cassandre qui avaient prédit sa disparition devant les techniques
audiovisuelles, « l`écrit est plus présent que jamais dans
nos cultures »3.
Ainsi, l`écriture aujourd`hui omniprésente,
subirait toutefois les dommages d`une transposition de sa forme orale à
sa forme scripturale. Lionel Orient Dutrieux dans son ouvrage Typographie
et cinéma, déclare que ce préjudice serait
atténué par la typographie qui se poserait comme une «
tentative de restaurer potentiellement les particularités perdues
»4 de l`écriture.
Notre conception sémiotique voit dans l'écriture
et la typographie un moyen d'enrichir la signification. Francis Thibaudeau, en
1924 avait défini la typographie comme « l`art de reproduire les
textes au moyen de types mobiles, de grouper ceux-ci et de les accompagner
d`une ornementation appropriée à leur disposition et à
leur usage. Par extension, on comprend sous le nom de Typographie la
réunion de tous les arts qui concourent à l`Imprimerie
»5. Par ailleurs, la
1 E. BUYSSENS, Les langages et le discours, Bruxelles,
Office de publicité, 1943, p. 49.
2 L. HEBERT, L. GUILLEMETTE ; Intertextualité,
interdiscursivité et intermédialité, Canada, Presses
de l'Université Laval, 2009, p. 18.
3 J. M. KLINKENBERG, « Le sens et sa description »,
Précis de sémiotique générale, Paris,
Seuil, 1996, p. 92-100.
4 L. ORIENT DUTRIEUX, Typographie et cinéma, Gap,
Atelier Perrousseaux éditeur, 2015, p. 35.
5 F. THIBAUDEAU, Manuel de typographie moderne, Paris,
Bureau de l`Édition, 1924, p. 1.
8
L'esthétique du titre de fiction sérielle,
vers un système scriptovisuel du genre narratif
typographie « fait référence au dessin et
à la mise en forme des caractères »6, c`est un
procédé d`impression qui utilise les éléments en
relief ; mais c`est aussi l`art de composer et de mettre en page les textes.
Inspirée de la calligraphie, un art de
l`écriture scripturale, l`influence de l`art typographique s`est
étendue parallèlement à sa présence sur
différents supports. Ces multiples définitions font
apparaître une caractéristique essentielle de la typographie. En
effet, celle-ci ne se limite pas à une mise en forme de
caractères, mais s`étend à la mise en forme du texte sur
tous supports confondus. Les auteurs Lewis et Walker en 1989 ; évoquent
l`idée que la typographie aurait le pouvoir d`influer sur le sens du
mot7. De fait, la typographie permettrait de faciliter
l`interprétation du message véhiculé par celle-ci, en
confirmant ou en infirmant son sens.
Si à l`origine, l`usage de la typographie était
synonyme de pratique « impersonnelle et mécanique », servant
uniquement le texte et ayant pour objectif premier d`optimiser la
lisibilité en jouant son rôle fonctionnel ; à
présent, la typographie en tant que vecteur de valeurs dispose d`un fort
pouvoir connotatif. Nous tenterons de déterminer l`importance de la
forme textuelle dans l`oeuvre cinématographique.
Présent du titre, passant par le
générique jusqu`aux sous-titres, le texte vient compléter
et ajuster la compréhension et la réception du message. En effet,
le flux textuel fait partie intégrante des productions audiovisuelles ;
l`image, le texte et le son sont interdépendants et interagissent en
permanence à l`écran. Ces trois composantes constituent les
fondements mêmes de l`art cinématographique. Par ailleurs, nous
verrons que certaines productions filmiques ne prennent pas en compte les
incommensurables possibilités de la typographie en termes d`image ;
relayant son utilisation à une simple formalité d`usage. «
Cet effet est accentué lorsque le texte est séparé de
l`image. C`est le cas des génériques sur fond noir. Le texte se
dissocie du flot audiovisuel et commente le film, sa diégèse, ou
l`identifie. Le titre est alors supplétif à l`oeuvre filmique.
Certains cinéastes considèrent même que le film se situe
uniquement entre le générique de début et le
générique de fin, faisant l`impasse sur l`expérience du
spectateur - qui, lui, aura perçu l`ensemble de l`emballage
cinématographique » 8 . Pourtant, dans notre culture l`écrit
dispose d`un caractère solennel, il vient valider notre vision des
choses et structurer notre pensée. Dutrieux illustre l`apport du texte
dans la diégèse9, notamment avec son exemple du mandat
d`arrêt régissant la vie de certains personnages. Cela
démontre que « l`écrit est un moyen d`affirmation, de
coercition, voire
6 J. LALIBERTE, Formes typographiques, SaintFoy, Les
Presses de l`Université Laval, 2004, p. 27.
7 C. LEWIS, P.WALKER, Typographic Influences on Reading,
British Journal of Psychology, 1989, p. 241-257.
8 L. ORIENT DUTRIEUX.L, Typographie et cinéma,
Gap, Atelier Perrousseaux éditeur, 2015, p. 37.
9 Le terme diégèse est directement emprunté
à Étienne Souriau par Gérard Genette qui lui donne un sens
différent de celui que Platon et Aristote lui assignaient : ceux-ci
opposaient mimésis et diégésis, couple « boiteux
» pour Genette qui nie la pertinence de la notion d'imitation artistique.
« La diégèse est l'univers spatio-temporel
désigné par le récit » (Gérard Genette,
Figures III). Dans la terminologie propre à la narratologie, il s'est
avéré utile de distinguer le contenu du récit, l'histoire
et l'acte par lequel le récit « se narre ». Véronique
KLAUBER, « DIÉGÈSE, poétique »,
Encyclopædia Universalis, disponible sur
http://www.universalis.fr/encyclopedie/diegese-poetique/
[consulté le 11.04.2016].
9
L'esthétique du titre de fiction sérielle,
vers un système scriptovisuel du genre narratif
d`omnipotence. Il transcende l`homme, car il se situe à
un niveau supérieur ou différent. Cette caractéristique
influence considérablement notre perception de l`écrit au
cinéma »10.
Nous nous intéresserons au rôle de la typographie
et à la mise en forme du texte à l`écran. Je me propose
d`envisager ici la sémiotique des rapports possibles entre le texte et
l`image dans le titre de fiction sérielle, un art présent sur un
marché hautement concurrentiel qui engendre un fort besoin
d`appartenance de la part de ses usagers.
À travers une réflexion sur l`apport de la forme
typographique à l`écran, nous aborderons les rôles et
caractéristiques du flux textuel et graphique. Nous verrons
également les connotations et symbolismes culturels exploités
à partir de techniques et usages du texte à l`écran et
déterminerons le contexte externe qui les influence.
Le premier objectif de cette recherche sémiotique
à l`origine de ce mémoire sera de démontrer que les titres
de séries télévisées spécifient certaines
valeurs à travers leur typographie et leur jeu graphique, en admettant
l`hypothèse que ces typographies permettraient d`appréhender le
titre comme une identité visuelle soit un véritable logotype. Si
tant est que cela soit avéré; le second sera de faire
transparaître un système typographique composé de code
scripturaire, et/ou iconique capable d`être apparenté à une
typologie cinématographique.
La fiction sérielle est par définition, le fruit
d`une oeuvre de fiction télévisuelle sectionnée en
plusieurs parties, d`une durée généralement
équivalente, nommée « épisodes ». « Elle
fait l`objet d`une planification quant à son créneau (de
positionnement et de concurrence) et quant à son pouvoir d`attraction
(cotes d`écoute et revenus publicitaires). Comme la durée du
récit est renouvelable (de saison en saison), la fin du récit
demeure toujours temporaire et ouverte, c`est-à-dire que ses intrigues
et ses personnages sont toujours extensibles (de saison en saison) ». Ce
récit a recours à des intrigues premières et secondaires
et se compose de personnages principaux et secondaires. C`est une fiction
originale ou bien le fruit de l'adaptation d`une autre oeuvre existante,
réalisée par des scénaristes employés par un
télédiffuseur public ou privé, ou par une maison de
production indépendante. « Le traitement réaliste de
l`action ou des personnages peut créer une représentation
vraisemblable de certains évènements ou personnes bien
réelles, ce qui peut donner lieu, premièrement, à une
identification de la part des usagers et, en deuxième lieu, faire
l`objet d`appropriation de plus en plus manifeste (site, fanfiction --
une projection qu`exercent ces personnes réelles sur les
personnages et les évènements --,
fanart)11.
Comme nous l`avons évoqué
précédemment, le flux textuel dans notre société
est prépondérant. Si auparavant le texte évoquait une
retranscription sémantique du langage oral, il est aujourd`hui
10 Idem 8
11 A. ALOUI, « Internet et la définition de la
fiction télévisuelle sérielle », Communication,
Vol. 27/2 | 2010, 31.07.2012, disponible sur
http://communication.revues.org/3199
[consulté le 02.06.2016].
10
L'esthétique du titre de fiction sérielle,
vers un système scriptovisuel du genre narratif
représentatif d`une expérience visuelle et
sensible porteuse de nombreuses connotations. Dans l`art
cinématographique, le caractère visuel du texte fait partie de
ces fondements. Néanmoins, le texte, même perçu comme objet
visuel, est porteur d`un discours émis par l`oeuvre. Désormais,
les techniques graphiques permettent aux oeuvres cinématographiques,
même lorsque le discours investit l`espace fictionnel, de fournir le
signe visuel d`une forme de réflexion théorique de la
diégèse.
En effet, l`identité visuelle va venir
représenter l`interrogation des producteurs sur leur oeuvre mise en
scène de façon visuelle, et non pas une réflexion sur le
langage lui-même. Dans ce sens, l`art de la typographie dans l`espace
fictionnel sériel s`inscrit dans la tradition des arts visuels. Par
ailleurs, les stratégies communicationnelles de nos jours,
privilégient l`interaction entre médias. D`innombrables textes et
images sont ponctués d`éléments iconiques et textuels,
dans les supports publicitaires, les génériques ou bien les
logotypes. Cette omniprésence d`iconicité montre la
difficulté à communiquer un message sans passer par des signes
iconiques.
Le titre de fiction sérielle occupe une place toute
particulière. En effet, celui-ci constitue une forme de communication
ambiguë. L`identité visuelle dont usent les fictions
sérielles ne dispose pas d`une intention communicationnelle
explicitée. Le message est toujours indirect et son sens peut facilement
échapper au destinataire. Le destinataire peut à tort ou à
raison se considérer comme visé ou non par le message, qui peut
être mal interprété.
La question du traitement du titre est centrale dans l`art
cinématographique. En 1923, le critique et poète Robert Desnos
déclare que « tout ce qui est projeté sur l`écran
appartient au cinéma, les lettres comme les visages. Tous les moyens
sont bons qui donne de bons films et c`est dans l`esprit plutôt que dans
une technique accessoire qu`il convient de rechercher la pureté
»12.
Le titre remplit différentes fonctions
simultanées, correspondant à deux types de messages: le plan de
l`expression et le plan du contenu. Dans le premier cas, il joue un rôle
esthétique et remplit des fonctions, des objectifs et un rôle
« métacommunicatif » 13. Dans l`autre cas, il est
un objet sémiotique véhiculant un message qui peut être
déchiffré par sa fonction métalinguistique. En
règle générale, les deux types de messages coïncident
dans la situation de communication originale, soit celle du positionnement de
la fiction et de son genre cinématographique. Mais, il y existe d`autres
situations de communication où ils ne coïncident pas. Les titres
sont parfois mal travaillés ou connotent des valeurs
éloignées du genre dont il est question. Peut-être, par
simple erreur ou par objectif de provoquer un choc visuel et susciter
l`interrogation.
Pour la cible, la valeur de la fiction peut s`évaluer
à travers la situation de communication, à savoir la
création artistique d`une oeuvre graphique reproduite sur une
identité visuelle. D`après le type de
12 R. DESNOS, « Musique et sous-titres »,
Cinéma, Paris, Gallimard, 1966, p. 148.
13 Terme introduit par l'anthropologue, psychologue et
épistémologue américain Gregory Bateson en 1935, selon lui
la métacommunication est une communication qui se prend elle-même
pour sujet.
11
L'esthétique du titre de fiction sérielle,
vers un système scriptovisuel du genre narratif
message et d`après la valeur accordée au titre,
celui-ci fait l`objet d`un acte de communication remplissant des objectifs
cognitif, conatif ou affectif.
En termes d`objectif cognitif, le titre et la typographie vont
se mettre au service du texte dans un but informatif. La communication sera
symbolique, car le titre peut être choisi par l`émetteur en
fonction de récepteurs particuliers. Certaines typographies
évoquent un genre et sont destinées à une cible
définie. À travers elles, se transmet un besoin de
sécurité, de fait de l`approbation accordée par la forme
textuelle. Il s`agit d`une démarche de raisonnement logique.
En matière d`objectif affectif, la typographie devra
établir un contact d`ordre émotionnel dans un but plutôt
esthétique. La communication d`ordre esthétique est
indépendante de la valeur informative originelle. La valeur
esthétique implique aussi une valeur économique ; celle-ci
illustre la rareté de l`oeuvre, ainsi que de sa condition
matérielle et ses moyens en termes d`effets spéciaux ; c`est une
indication qualitative. On suscitera alors un besoin d`estime.
Lionnel Orient Dutrieux évoque le rôle connotatif
dans l`univers cinématographique, selon lui, « le texte est aussi
une image. Si l`écrit a apporté l`immortalité au discours
oral, il lui a aussi ajouté nombre de connotations. La forme du texte,
c`est-à-dire sa typographie, ancre l`écrit dans une histoire, une
époque et dans un contexte culturelle et sociale. On parle de
connotation lorsque la typographie véhicule un sens secondaire au sens
premier du texte. La connotation dépend du contexte : un
caractère aura un sens différent en fonction de son emplacement,
de sa taille, de sa couleur et des autres caractères environnants
»14. Ici, la communication tiendra de l`idéologique, le
titre sera envisagé comme un instrument de transmission de normes et de
valeurs sociales. On parlera alors d`un besoin d`appartenance. En effet, la
fiction sérielle est un récit qui « se déroule au
gré de son appropriation par le public usager et cette appropriation
dépend de la qualité de l`adaptation de son écriture
(scénario), de sa réalisation, de sa promotion, de sa
programmation au média de diffusion et aux jeux de la concurrence inter
et multimédia de la culture populaire locale (ou nationale),
c`est-à-dire à son marché. La fiction sérielle
demeure ouverte, car la fin du récit dépend du succès
immédiat et tangible des mises en oeuvre des rapports d`identification
et de projection entre les intrigues et les personnages et leurs publics
usagers, de la qualité de l`écriture du scénario, mais
aussi de la qualité de la réalisation, de la promotion et de la
programmation, et de l`appréciation des échotiers (presse,
émissions de variétés et opinion publique : lettres
ouvertes, lignes ouvertes, clavardage et forums) »15.
Nous tenterons de mettre en évidence le fait que la
typographie tend à s`imposer en véritable logotype, tandis que la
série se hisse au rang de marque. Nous déterminerons à
travers un corpus quels sont les codes textuels et iconiques utilisés
dans les titres de séries télévisées ; afin
14 L. ORIENT DUTRIEUX, Typographie et cinéma,
Gap, Atelier Perrousseaux éditeur, 2015, p. 65.
15 A. ALOUI, « Internet et la définition de la
fiction télévisuelle sérielle »,
Communication, Vol. 27/2 | 2010, 31.07. 2012, disponible sur
http://communication.revues.org/3199
[consulté le 02.06.2016].
12
L'esthétique du titre de fiction sérielle,
vers un système scriptovisuel du genre narratif
d`être en mesure de démontrer que le genre
cinématographique influence l`esthétique du texte. Ainsi, nous
verrons en quoi les codes scriptovisuels interviennent-ils dans
l`esthétique textuelle et enrichissent la signification du titre dans
les fictions sérielles ?
Afin de répondre à cette problématique,
nous élaborerons un corpus composé de titres de fictions
sérielles appartenant au genre historique dans une première
partie, au genre fantastique dans une deuxième partie et au genre
policier dans une troisième partie.
Les genres historique, fantastique et policier seront
définis dans leurs parties respectives. Quant à la
méthodologie, chacune des fictions sérielles du corpus sera
introduite par un synopsis. Puis, chacune des typographies sera analysée
en fonction de trois invariants ; le plan de l`expression, le plan du contenu
et le niveau fonctionnel.
Nous tirerons des conclusions à la suite de l'analyse
du corpus afin de dégager un système scriptovisuel propre au
genre narratif historique, fantastique et policier.
Enfin, nous conclurons ce mémoire de recherche dans le
but de répondre à la problématique
précédemment évoquée.
13
1. L`ESTHETIQUE TEXTUELLE DANS
LE GENRE CINEMATOGRAPHIQUE
HISTORIQUE
14
L?esthetique textuelle dans le genre cinematographique
historique
Isolée de sa situation de communication, la typographie
de fiction sérielle perd tout son sens et ne saurait être
analysée de façon pertinente, « La question de
l'identité visuelle... Qui est ici posée, et surtout celle des
conditions sémiotiques de sa production...Un logo n'existe pas en soi,
qu'il ne saurait s'analyser ni s'interpréter hors de l'univers
sémantique qui lui donne sa valeur est sa signification
»16.
En outre, les fonctions communicatives que peut remplir une
identité visuelle sont assujetties par les différents types de
signes qu`elle comporte. Toute identité visuelle où presque
comprennent des signes indiciaires, iconiques et symboliques. Le statut
sémiotique du titre de série est nébuleux et
équivoque à cause de cette triple fonction
référentielle en tant qu`indice, icône et symbole.
En tant qu`indice, le titre a pour fonction fondamentale
d`identifier la série et de marquer la valeur nominale de la
série. C`est là le rôle primitif et primordial de toute
typographie, et particulièrement du titre de productions culturelles.La
fonction indiciaire du titre de série est rehaussée par deux
autres types de signes, iconiques et symboliques.
En tant qu`icône, le titre présente une image de
la fiction comme un véritable logotype. Les titres de fictions
sérielles comme nous allons le voir, présentent en outre une
image supplémentaire. Celle-ci peut représenter un personnage,
une période de l`histoire, une communauté, des armes, des
symboles mystiques... Le rôle iconique est à l`origine un
rôle secondaire, mais, au cours des années, il est devenu de plus
en plus important. En tant que symbole, le titre ou identité visuelle
présente en principe simultanément les trois types de signes pour
éviter tout amalgame. Ces trois fonctions peuvent être plus ou
moins présentes.
Le titre de série en tant qu`identité visuelle
constitue ainsi un exemple parfait d`intermédialité entre le
texte et l`image, parce qu`il offre l`exemple d`un genre iconotextuel complexe,
répandu en très grand nombre à une échelle
internationale.
Explorer les rapports entre textes et images, expriment
certaines interrogations dans la pratique esthétique par des
phénomènes d`intermédialité ; soit par la recherche
d`une forme de transgression, ou d`une fusion entre les arts. Le concept est
énoncé au début des années 1960 par l`artiste
Fluxus Dick Higgins sous le terme d`« intermedia »,
littéralement, « entre les médias », et « se
définissent par le mélange inédit des médias entre
eux : les techniques intermédiaires impliquent une fusion conceptuelle
de l`élément visuel avec le texte ; d`où la calligraphie
abstraite, la poésie concrète, et la poésie visuelle
»17.
16 J. M. FLOCH, Identités visuelles, Paris, Puf,
2e édition, 2010, p. 78.
17 B. THIERS, « Penser l`image, voir le texte.
L`intermédialité entre histoire de l`art et littérature
», La Vie des idées, 29.06.2012. ISSN : 2105-3030,
disponible sur :
http://www.laviedesidees.fr/Penser-l-image-voir-le-texte.html
[consulté le 01.06.2016].
15
L'esthetique textuelle dans le genre cinematographique
historique
À travers notre corpus, nous distinguerons
différentes formes de jeux typographiques comme l`idéogramme dans
Vikings (l`agencement des lettres sur la page formant une image), le
typogramme dans American Horror Story (jeu avec la typographie), le
pictogramme dans The 100 (texte prenant la forme d`une image).
L`intermédialité comme concept poétologique et
théorie des médias s`oppose à des conceptions
traditionnelles de média isolé. Le concept renvoie à une
dynamique d`échanges et transferts de procédés et
structures médiales. La définition retenue ici est celle du
théoricien des médias Jürgen E. Müller. Elle comprend
l`intermédialité non seulement comme une
multimédialité - juxtaposition de média -, mais encore
comme un procédé conceptuel dans lequel les relations entre
médias sont interrogées et suscitent de nouvelles formes
d`expériences médiales pour le récepteur. Il s`agit d`un
mouvement de transferts de techniques entre les médias18.
Ce concept d`intermédialité vient corroborer
l`idée d`une esthétique textuelle « genrée ».
Jacques Fontanille explique que l`intermédialité est régie
par le genre « c`est le genre qui définit la hiérarchie
entre les médias assemblés, et qui permet de décider
lequel accueille les autres ; c`est ainsi que le genre «
représentation théâtrale » peut accueillir une
projection vidéo ou cinématographique ; de même, le genre
« peinture » peut accueillir des écritures
»19. Il évoque également que la notion de style,
sous-catégorie du genre, permet d`atteindre
l`intermédialité « les types d`associations entre
médias varient en continu depuis les combinaisons les plus figées
(la musique et le dialogue théâtral dans le genre «
opéra », ou la danse et la chanson dans le genre
cinématographique « comédie musicale ») jusqu`aux plus
inattendues, aux « collages » les plus incongrus (des
excréments humains dans une « installation » artistique)
»20. De ce fait, l`esthétique textuelle associée
aux fictions sérielles sert également une forme
d`intermédialité régie par le genre et les codes
typographiques, exprimant un système de valeurs en corrélation ou
non avec la trame narrative. « Tout comme le discours rapporté
autorise la cohabitation de points de vue conflictuels et dialogiques,
l`intermédialité peut donc aussi être utilisée pour
des confrontations, des négociations et des collusions, toute une
dialectique a inventé » 21 . Nous tenterons alors de
déterminer quels codes graphiques sont prédisposés
à servir tel ou tel genre de fictions sérielles.
Par ailleurs la diégèse, apparais comme le point
de départ d`une création graphique et permets de fournir les
critères distinctifs de l`intermédialité. « En effet,
ce qui distingue celle-ci de toutes les autres formes d`insertion
(l`intertextualité, par exemple), c`est la présence du support,
solidaire du texte visuel inséré, à l`intérieur du
médium d`accueil ; les deux réunis, objet-support et texte
visuel, constituent en effet le niveau de pertinence qui permet de
définir et distinguer les médias entre eux »22.
En effet, l`identité visuelle « se conçoit ou
s'apprécie selon les deux axes du
18 Ibidem
19 J. FONTANILLE, Intermédialité : l'affiche
dans l'annonce-presse, Université de Limoges, Institut
Universitaire de France, disponible sur
http://www.unilim.fr/pages
perso/jacques.fontanille/articles pdf/visuel/Intermediaannonceaffiche.pdf
[consulté le 01.06.2016].
20 Ibidem
21 Ibidem
22 Ibidem
L?esthetique textuelle dans le genre cinematographique
historique
"système" entre (l'axe paradigmatique) et du
"procès" (l`axe syntagmatique) »23. L`identité
visuelle constitue un ensemble de code, scripturaire et/ou iconique ;
répondant à un schéma actanciel qui comportera un
destinateur (émetteur) ; un objet (objectif) ; un destinataire
(récepteur) ainsi qu'un adjuvant (aidant) et un opposant
(adversaire).Quant au niveau fonctionnel, celui-ci sera primordial, il
constituera la viabilité sémiotique de l`ensemble graphique.
Nous pourrons ainsi observer cette
intermédialité entre les caractéristiques du flux textuel
et celle de la diégèse. Pour ce qui est du flux textuel,
plusieurs techniques graphiques participent à la création d`un
plan de l`expression et à un plan du contenu qui pourront indiquer le
contenu de la diégèse. En cela, que la typographie et l`ensemble
des codes scriptovisuels qui peuvent l`accompagner vont servir une
stratégie de marque, qui viendra illustrer le positionnement de la
fiction. Dans son ouvrage intitulé classification des caractères
Jean Claude Siegrist, dit que « La lettre sert non seulement à la
lecture, mais provoque chez le lecteur des réactions rythmiques ; elle
exprime une idée, contribue à créer l`ambiance, donne les
nuances »24.
En effet, le traitement typographique permet de faire
transparaître le positionnement de l`oeuvre en tant que marque. Ainsi, le
positionnement va inclure une image mentale dans l`esprit de la cible qui verra
la série comme un produit, une marque. Ce positionnement affirme
l`identité de la série, en marketing on peut identifier celui-ci
à travers la base line ; mais à l`écran celui-ci est plus
subtilement illustré. Le positionnement va permettre une
stratégie de différenciation. Le positionnement de la
série perçu à travers son identité visuelle pourra
être « objectif », c`est-à-dire baser sur des
caractéristiques rationnelles et vérifiables associées
à la fiction. Il pourra être « psychologique », la
typographie et ses choix graphiques seront davantage suggestifs qu`informatifs.
Enfin, le positionnement pourra être « symbolique », et
suscitera un besoin d`appartenance à travers la fiction. On parlera d`un
phénomène d`auto expression, afin que celui-ci réponde au
besoin d`affiliation ou de différenciation sociale de la cible. Une fois
le type de positionnement défini, celui-ci devra être attractif,
crédible, durable et distinctif.
16
23 J. M..FLOCH, Identités visuelles, Paris, Puf,
2e édition, 2010, p. 43.
24 J. C.SIEGRIST, Classification des caractères,
Eracom, 2008, p. 33.
17
L?esthetique textuelle dans le genre cinematographique
historique
1.1. DEFINITION ET DELIMITATION DU GENRE
CINEMATOGRAPHIQUE HISTORIQUE
Les séries télévisées, en tant que
forme narrative longue, permettent de raconter des évènements
passés dans leur durée. Ces fictions traduisent les besoins d'une
nation donnée de revisiter son histoire, et souvent un plan particulier
de cette histoire, pour y chercher ou lui donner un sens bien précis, en
rapport avec l'époque contemporaine. Dans la production de fiction
ancrée dans l'histoire, il est des sujets de prédilection.
Certaines périodes, personnages ou évènements
représentent des sources d'inspiration très riches pour les
scénaristes. En fonction de l`origine du pays, la trame narrative jouera
en faveur d`une période héroïque de celui-ci.
Le western illustre parfaitement ce phénomène ;
en effet, la conquête de l`Ouest fut revisitée à outrance
par les Américains jusqu`en 1970. Effectivement, pour les
Américains, le western représente leur passé, mais aussi
leur idéal de conquête. Dans le cadre de l'Amérique des
pionniers, entre 1860 et 1890, il raconte la quête d'un individu ou d'une
communauté. Dans la culture américaine, le western joue le
même rôle que le roman d'apprentissage du XIXe siècle dans
la culture européenne.
Il en est de même pour les Britanniques qui ont pris
pour habitude de narrer l`époque victorienne à l`apogée de
sa puissance et de son rayonnement culturel.
En revanche, redonner vie au Moyen Âge et ressusciter
les châteaux et aristocrates du XVIIIe siècle est quant à
lui, un art réservé aux Français.
Ce qui motive principalement l'intérêt d'un
créateur de série pour une période donnée, c'est la
question que lui pose cette époque et ce sont les réponses qu`il
cherche comme l'a dit Tom Fontana à propos de
Borgia25, sa dernière création et
première fiction historique26.
La chaine câblée HBO a joué un rôle
important dans ce tournant artistique en faisant de la fiction historique sa
marque de fabrique. Si auparavant les scénaristes revisitaient le
passé pour célébrer la grandeur nationale par une vision
angéliste des évènements, le XXIe siècle change la
donne. Insistant sur des scénarii violents et des décors plus
sombre pour souligner la brutalité, les rapports de force et les
inégalités de l`époque. « Comme tous les autres
genres de fiction télévisée, les séries historiques
sont donc avant tout le reflet de l'époque qui les produit, de ses
interrogations ou de ses certitudes, bien plus que celles qu'elles sont
supposées reconstituer. Le « décrochement temporel »
pour les séries fantastiques n'est en fait qu'un moyen de
dépayser le spectateur, d'obtenir son adhésion et son engouement
pour l'histoire qu`on lui raconte, et pour lui délivrer sans heurt un
25 Série télévisée
dramatico-historique reprenant les aventures de la célèbre
famille Borgia.
26 P. LANGLAIS, Tom Fontana, «Avec Borgia?,
j'ai compris que chaque culture voit les séries
différemment», 15.09.2014, disponible sur
http://www.telerama.fr/series-tv/tom-fontana-avec-borgia-j-ai-compris-que-chaque-culture-voit-les-series-differemment,116672.php
[consulté le 22.02.2016].
18
L?esthetique textuelle dans le genre cinematographique
historique
message souvent bien plus politiquement orienté et bien
plus critique que beaucoup de fiction située à l'époque
contemporaine »27.
Toute production filmique possède son identité
propre, son genre, son titre et sa typographie. Ces éléments vont
constituer le positionnement de l`oeuvre. Par conséquent, certains
critères axiologiques et historiques vont orienter le choix de la police
de caractères. Dans un objectif cognitif, la série
télévisée sera en mesure de partager l`histoire et le
cadre d`une époque en commençant par son identité
visuelle, soit sa typographie. En effet, la typographie a toujours
été ancrée dans l`histoire, dans la culture d`une
époque donnée. L`écriture a évolué au rythme
des années, elle est par conséquent caractéristique d`une
période donnée et des tendances qui la façonnaient
à l`époque.
En 1954, Maximilien Vox a permis de classifier les typologies
de caractères, et de les regrouper en classifications historiques.
« Chacune de ces familles correspond à la fois à un style
graphique, à un moment de l`histoire, à un fait intellectuel
»28.
Le passé est composé de différents
épisodes qui ont forgé notre histoire et qui, en fonction de
l`époque, disposent d`une typographie représentative. Les
typographies illustrant une production filmique ancrée dans l`histoire
puisent parfois leurs inspirations dans les ouvrages datant de l`époque
en question.
Ainsi, il est des codes typographiques qui sont
déjà rattachés dans notre inconscient collectif à
une époque donnée. « Chaque famille de caractères
selon la classification de Lure [la classification Vox fut proposée lors
de la retraite graphique internationale de Lure en Haute Provence]
possède son passé, son présent, son avenir
»29.
Certaines familles de caractères sont même
célèbres pour leurs connotations culturelles comme la police
Papyrus en référence à l`Égypte ancienne.
Les séries télévisées vont parfois
respecter ces codes typographiques rattachés à l`époque
ou, au contraire, casser les codes esthétiques dans une dynamique de
diversification et de modernité. Et c`est ce que nous allons analyser
à travers une analyse de corpus filmique historique.
27 P. SERISIER, M. BOUTET, J. BASSAGET,
Sériescopie, Ellipses, Paris, 2011, p. 459.
28 Typographie et Civilisation, « Classification
Vox », 2006, disponible sur
http://caracteres.typographie.org/classification/vox.html,
[consulté le 15.02.2016].
29 Ibidem
19
L?esthetique textuelle dans le genre cinematographique
historique
1.2. ANALYSE DE CORPUS FILMIQUE HISTORIQUE
Parmi toutes les séries historiques, celles
consacrées au Moyen Âge retiennent l`attention par le
mélange qu`elles proposent. Elles allient aspects légendaires et
une forte connotation religieuse en insistant sur l`influence réelle de
l`église à cette époque.
20
1.2.1 LE HAUT MOYEN ÂGE
ILLUSTRÉ PAR LA FICTION
SÉRIELLE GAME OF THRONES
21
22
Le haut moyen âge illustré par la fiction
sérielle Game of Thrones
Le récit s`apparente à un sous-genre de «
dark fantasy », il retrace la quête d`un héros ou d`un groupe
en la situant dans un monde imaginaire dans lequel les distinctions entre le
bien et le mal s'effacent au profit d'histoires au ton plus réaliste et
dur, parfois violent. Laissant généralement une grande part aux
manipulations et intrigues politiques, la dark fantasy entame également
une réflexion sur les côtés les plus sombres de
l'être humain. Installée dans des territoires fictifs, l`histoire
fait penser à la période du haut Moyen Âge en Europe et
adopte de nombreux codes propres à la fiction historique. En effet,
« Game of Thrones, qui a par moments des accents shakespeariens,
parle de ce jeu qu`engendre le pouvoir, sa conquête, sa conservation, les
convoitises qu`il nourrit en tous et en chacun, la folie qu`il peut inspirer et
les vengeances qu`il alimente »30. Adaptée de la saga
littéraire A song of ice and fire de George R.R Martin,
Game of Thrones est une série télévisée,
produite par la chaine HBO. À une époque oubliée, une
force a détruit l'équilibre des saisons. Dans un pays où
l'été peut durer plusieurs années et l'hiver toute une
vie, des forces sinistres et surnaturelles se pressent aux portes du royaume
des sept couronnes. La confrérie de la garde de nuit, protégeant
le royaume de toutes créatures pouvant provenir d'au-delà du mur
protecteur, n'a plus les ressources nécessaires pour assurer la
sécurité de tous. Après un été de dix
années, un hiver rigoureux s'abat sur le royaume avec la promesse d'un
avenir des plus sombres. Pendant ce temps, complots et rivalités se
jouent sur le continent pour s'emparer du trône de fer, le symbole du
pouvoir absolu.
Plan de l'expression
Game of Thrones utilise la typographie Trajan,
créée en 1989 par la typographe Carol Twombly, celle-ci s`est
inspirée de la célèbre colonne Trajane
érigée au coeur de Rome en 106 après Jésus-Christ.
Une monumentale bande dessinée de 38 mètres de haut, un triomphal
outil de propagande en marbre à la gloire de la victoire de l`empereur
Trajan. Cette typographie fait référence aux capitales
monumentales et tient la promesse d`un véritable frisson. Trajan
appartient aux incises, qui regroupent les polices évoquant la gravure
des caractères dans la pierre ou le métal. Elle dispose
d`empattements petits et triangulaires.
Plan du contenu
Afin de personnifier Game of Thrones, Le Trajan s`est
vu quelque peu modifié. Les caractères ayant subi une
modification par rapport à la typographie originelle sont le « T
» et le « O ». Ce
30 P. SERISIER, M. BOUTET, J. BASSAGET,
Sériescopie, Ellipses, Paris, 2011, p. 505.
23
Le haut moyen âge illustré par la fiction
sérielle Game of Thrones
dernier est rempli de trois barres verticales. Ces barres
feraient symboliquement référence aux épées
valériennes qui emplissent le mysticisme de la série.
L`acier valyrien serait forgé avec l`aide de magie et
de souffle de dragon, dans une tradition forgeronne ancienne issue de l`antique
Valyria. Cet art oublié donnerait aux armes des qualités
exceptionnelles. Combinant légèreté, solidité et
tranchant les lames valyriennes seraient des armes sans égales. On
reconnaît ces épées par leur apparence
caractéristique : un aspect généralement fumé, d`un
gris sombre tirant sur le noir, avec des striures et la présence de
couches sombres et moirées. Par ailleurs, la prolongation de la barre
latérale du « T » renforce cette analogie avec les
épées. Ce « T » triomphal met la cible dans «
l`expectative ».
Niveau fonctionnel
Trajan est la police de caractères des blockbusters
américains, de Titanic en passant par Entretien avec un
vampire jusqu`au Seigneur des anneaux. Le cinéma
commercial américain surfe sur les connotations épiques
rattachées à la police de caractères.
Le Trajan s`est alors imposé comme la typographie
« grand spectacle ». Une fiction dont le titre porte cette police
permet au spectateur de s`attendre à de l`action, de grands moyens et
des effets spéciaux.
L`enjeu de cette typographie est complètement
pragmatique. Guidé par un enjeu pragmatique, l`utilisation
répétitive de la police dans les fictions de grands frissons,
pose le Trajan comme un choix pertinent et un gage d`efficacité. «
La symbolique qu`il impose est forte, solennelle, dramatique même
»31. La police Trajan connote une certaine
élégance, car cette famille de caractères incarne un
sentiment d`intemporalité et de classicisme, cependant elle ne permet
pas d`apporter une forme de distinction flagrante. En effet, cette police est
tellement célèbre qu`elle a été mise à
disposition du plus grand nombre via les logiciels de mise en page.
L`usage abusif de ce caractère pourrait traduire un
manque d`originalité. Mais, pour le professeur David Lewis, « les
consommateurs ont une préférence pour les produits familiers ; en
utilisant une fonte commune, les producteurs tenteraient donc de ne pas
froisser le public. C`est peut-être aussi parce que de nombreux longs
métrages utilisent un mélange des genres et rechignent à
être catégorisés »32.
31 D. RAULT, Guide pratique de choix typographique,
Paris, Perousseaux, 2008, p. 164-166.
32 D. LEWIS, The Brain Sell, Nicholas Brealey
Publishing, Londres, 2013, p. 22.
24
1.2.2. LE MOYEN ÂGE CENTRAL
ILLUSTRÉ PAR LA FICTION
SÉRIELLE VIKINGS
25
26
Le moyen âge central illustré par la fiction
sérielle Vikings
Scandinavie, à la fin du VIIIe siècle. Ragnar
Lodbrok, un jeune guerrier viking, est avide d'aventures et de nouvelles
conquêtes. Lassé des pillages sur les terres de l'Est, il se met
en tête d'explorer l'Ouest par la mer. Malgré la
réprobation de son chef, il se fie aux signes et à la
volonté des dieux, en construisant une nouvelle génération
de vaisseaux, plus légers et plus rapides. La série Vikings
est basée sur le personnage de Ragnar Lodbrok, ayant
réellement existé, et qui, de paysan, est devenu un explorateur,
un marin qui voulait découvrir les richesses que le monde
(au-delà de celui qu'il connaissait) avait à lui offrir.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, la typographie adopte un style
épuré. En effet, les linéales selon la classification Vox
ou « Antiques » selon la classification Thibaudeau regroupent les
typographies aux formes plutôt mécaniques et modulaires. La
typographie de Viking sans empattement arbore des largeurs uniformes et une
silhouette écrasée. Par ailleurs, certains caractères sont
traités comme des ascendantes et comportent une finition en forme de
biais. Nous sommes donc en présence d`une police sans empattement et non
grasse. Cela signifie que le dessin des lettres est peu contrasté
reflétant une forme d`opposition avec le « V » présent
et assez chargé. C`est aussi pour rajouter une forme de caractère
à la police que les trois stries ont été ajoutées
sur les lettres. Par ailleurs, les caractères sont indépendants
les uns des autres, ils possèdent chacun leurs propres espaces qui leur
confèrent des propriétés modulaires.
Plan du contenu
L`analyse typographique démontre que sur le plan du
contenu se pose une idée de contraste entre un style typographique
épuré et l`élément iconique chargé de
symboles. On est dans une sorte d`expérimentation conforme au
générique qui confronte des images et des sensations comme le
froid des abysses versus la terre qui s'embrase, le silence face au
chaos, la tranquillité des profondeurs par opposition aux vagues qui
s'écrasent contre les rochers.
La police dispose d`un aspect modulaire à
caractère monochasse. La stylisation amenée par la
modularité repose sur la clarté, la lisibilité et l`impact
visuel. La lettre doit revêtir une forme internationale, universelle et
se libérer des connotations culturelles restrictives.
Cependant, l`élément iconique prédomine.
La lecture du titre ne peut se faire de manière traditionnelle, de
gauche à droite. En fait, on lit ce titre comme un logo, comme un
idéogramme, dans sa globalité. Le « V » au centre du
titre pose tout de même un problème de lecture d`autant plus qu`il
est teinté de rouge, une colorie qui permet de le relayer au premier
plan.
27
Le moyen âge central illustré par la fiction
sérielle Vikings
La typographie de Vikings, malgré une forme
d`empattements en biais peu traditionnelle, possède des similitudes avec
les linéales dans son univers connotatif. En effet, les linéales
ont été liées à la nouveauté, mais
également à la conquête et à la mondialisation ; des
valeurs elles aussi véhiculées par la fiction.
Le « V » s`impose au centre du titre « Viking
» reprenant donc la première lettre du mot, mais on peut penser
à une référence au « V » de Victoire. Le «
V » de Viking raconte l`histoire de ce peuple. En effet, « la
"tranche" droite évoque la guerre, le sang et l'aspect
émoussé de la lame renforcent cette analogie. Le
côté gauche, plus détaillé, représente la
famille et le quotidien, de la construction des bateaux à la
fraternité qui unit ce peuple, pour finir, tout en bas, par le symbole
de la vie à la ferme et les récoltes qui rythment les saisons
». 33 Jean Marie Floch avait traité l`identité
visuelle comme un ensemble de signes qui « forme une série de
catégories sémantiques qui reste complémentaire
».34 Vikings illustre ces catégories sémantiques
dans son générique de présentation comme étant ;
terre versus mer, force versus faiblesse, construction versus
démolition, vie versus mort et fraternité versus trahison.
TRIBUS ET VIE EN COMMUNAUTÉ
VIOLENCE ET CONFLITS
Technologie et construction navale
Fraternité
Marque de conflit
Croissance et vie
En matière de choix chromatiques, on retrouve sur la
police et sur le « V » une texture effet métal, gris acier
représentant les armes. La tache de sang (rouge) fait
référence au conflit, à la lutte, une conquête du
Nouveau Monde. Par ailleurs, Michel Pastoureau évoque cette notion de
lutte de pouvoir à travers la symbolique de la couleur rouge qui selon
lui est « associée à la mise en scène du pouvoir et
du sacré, celle du sang et du feu, celle de la vie et de la vigueur,
celle de l`autorité et de la
33 King and Country Creates Bold and Iconic Logo for History
Channel`s Epic Vikings? Series, 20.03.2013, disponible sur
http://adland.tv/adnews/king-and-country-creates-bold-and-iconic-logo-history-channel-s-epic-vikings-series/136373966
,[consulté le 02.01.2016].
34 J. M. FLOCH, Identités visuelles, Paris, Puf,
2e édition, 2010, p. 97.
Le moyen âge central illustré par la fiction
sérielle Vikings
28
beauté. C`est une couleur ambivalente : à
l`époque romaine, le rouge, qui est à la fois la couleur de la
guerre et celle de l`empire, participe à toutes les victoires et
solennités »35.
Niveau fonctionnel
La stratégie des graphistes est de mettre en avant le
caractère victorieux des Vikings. Les Vikings étaient un de ces
peuples profondément liés aux éléments de la nature
: la mer, forcément, mais aussi le vent, le feu, les tempêtes, la
glace et la terre. On peut alors évoquer la notion de «
métadiscours »36 dont parlait Jean Marie Floch. Un
mysticisme omniprésent, les batailles, la violence et ces eaux
glacées qui parfois rappelaient à elles les guerriers
tombés au combat. On part dans l`exploration mythologique de ce
peuple.
`enjeu de ce choix typographique est clairement axiologique,
car il se sert volontairement de tous s éléments qui font vivre
encore de nos jours la légende des Vikings, ces images que nous avons
ous en nous, ces légendes nordiques, logées dans l'inconscient
collectif. La typographie en est émoin puisque celle-ci est très
étudiée notamment dans les droites horizontales et verticales. On
econnaît notamment des formes celtiques ainsi que des symboles nordiques
forts de sens sur le
V ». Le Jormungand qui « dans la mythologie
nordique, Jormungand, également connu sous le om de serpent de Midgard,
ou serpent du Monde, est un serpent de mer, et le cadet de la géante
Angrboda et du dieu Loki. Selon l'Edda en Prose, Odin prit les trois enfants de
Loki, Fenrisulfr, Hel et Jormungandr, et jeta Jormungandr dans le grand
océan qui encercle Midgard. Le serpent evint si grand qu'il fut capable
d'entourer la Terre et de saisir sa propre queue. Quand il la lâchera, e
sera la fin du monde »37. Il y a donc une analogie par rapport
à l`histoire Ragnar Lodbrok qui est n quête de dépassement
de soi et de besoin de réalisation38. Quant au Gungnir,
« Dans la mythologie nordique, Gungnir est la lance magique d'Odin ; elle
atteint toujours son but »39. Il faut bien reconnaître
ici une forme d`absence de neutralité de la figurativité,
celle-ci avait été démontrée par Greimas dans la
création d`identités visuelles « la dimension figurative et
celle où s'actualise, dans la production dans la saisie du sens, les
significations secondes : les connotations »40. La typographie
s`imprègne pleinement des symboles mythologiques nordiques et ancre la
série dès la lecture du titre dans l`atmosphère de
l`époque. Comme l`avait souligné Jean Marie Floch,
« La figurativité d'un logo dote celui-ci d'une certaine
épaisseur culturelle aux yeux de tel ou tel public ou de telle ou telle
cible, et rend plus efficace son message dénotatif
»41.
35 M. PASTOUREAU, Dictionnaire des couleurs de notre temps,
Paris, Bonneton, 1999, p. 189-193.
36 J. M. FLOCH, Identités visuelles, Paris, Puf,
2e édition, 2010, p. 92.
37 Ancient-Symbol, 2014, disponible sur
http://www.ancient-symbols.com/french/norsesymbols.html
[consulté le 14.03.2016].
38 Voir A. MASLOW, L?accomplissement de soi, Paris,
Eyrolles, 2004.
39 Ibidem 38
40 J. M. FLOCH, Identités visuelles, Paris, Puf,
2e édition, 2010, p. 70.
41 Idem, p. 71.
29
1.2.3. LE MOYEN ÂGE ILLUSTRÉ
PAR LA FICTION SÉRIELLE
KAAMELOTT
30
31
Le moyen âge illustré par la fiction
sérielle Kaamelott
« Les séries traitant du Moyen Âge
s`articulent souvent autour de la légende arthurienne avec une
fidélité plus ou moins grande aux écrits parcellaires qui
la fondent. La version la plus libre à ce jour est celle de la
série télévisée française Kaamelott
»42. Avec une thématique humoristique et dramatique
d'historique fantaisie, la fiction s`inspire donc de la légende
arthurienne tout en apportant une vision décalée de celle-ci.
Deuxième moitié du Ve siècle, île de Bretagne, alors
que l`Empire romain s`effondre et que le christianisme s`impose peu à
peu face aux dieux païens, le royaume de Kaamelott s`organise
autour de son souverain. Le roi Arthur ; entouré de ses fidèles
chevaliers, peine à être à la hauteur de la tâche que
les dieux lui ont confiée : rechercher le Saint Graal. Accablé de
chevaliers de la Table ronde passablement incompétents,
confrontés à la chute de l`Empire romain et aux incessantes
incursions barbares, il doit pourtant trouver le calice tant convoité.
Une quête qui s`annonce plus que difficile, un combat de tous les jours
où le roi légendaire va connaître bien des
déboires.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, les caractères de la
typographie de Kaamelott présentent une police à
empattements épais et rectangulaires caractérisée par un
faible contraste entre pleins et déliés ; renforcée par un
choix chromatique mettant en scène des lettres de feu offrant alors des
reliefs quasiment animés.
Cette typographie présente des similitudes avec la
police Papyrus. Créée par l'Américain Chris Costello en
1983. Le Papyrus est une police de caractères calligraphique romaine
avec des allures humanes, des bords bruts, et des courbes
irrégulières. Papyrus est une typographie qui évoque
l`aspect rustique et intemporel des siècles passés.
Par ailleurs, Kaamelott présente des
similitudes avec la police Folkard également, pour son aspect plus
fantaisiste.
Plan du contenu
42 P. SERISIER, M. BOUTET, J. BASSAGET,
Sériescopie, Ellipses, Paris, 2011, p. 499.
32
Le moyen âge illustré par la fiction
sérielle Kaamelott
Sur le plan du contenu, la fiction met en scène
druides, forêt de Brocéliande, korrigans, fées et
magiciens. À travers cette typographie Kaamelott, renoue avec
notre mythologie bretonne et celtique. Voir ressurgir, couplé à
sa typographie, un symbole emblématique du mythe arthurien permet donc
de provoquer un choc visuel diffusant les valeurs de l`époque. En effet,
dans les légendes arthuriennes, les anneaux borroméens sont
souvent associés aux chevaliers de la Table ronde. On retrouve ce
symbole borroméen formé par les descendantes du double
caractère « A ». La typographie est soulignée de la
tranche d`une épée, celle du roi Arthur, fonction
référentielle à la thématique de la fiction.
Niveau fonctionnel
La typographie révélée par la fiction est
baignée dans les mythes et légendes celtiques. La
stratégie de celle-ci est d`immerger immédiatement et totalement
le spectateur dans l`univers mythique qu`encadre la quête du Graal.
L`enjeu est à la fois axiologique et ludique, dans le
sens où la répétition des « a » et des « t
» démontre l`autodérision de la fiction. La typographie
évoque les valeurs d`une époque lointaine, le tout
surplombé d`un symbole « assigné » au roi Arthur.
À l`origine une production humoristique, la série prend une
tournure orientée comédie dramatique à partir de sa
quatrième saison, avant de basculer plus significativement dans le
dramatique lors de la suivante.
Au cours de cette évolution, la série modifie
son identité visuelle. Cela dans le but d`ajuster les nouvelles
ambitions de la série et sa nouvelle orientation vers le genre
dramatique. L`identité visuelle se renouvelle, car l`univers change,
cela se passe à Rome 15 ans avant Kaamelot, les producteurs
véhiculent alors une ambiance plus dramatique. Le symbole celtique
disparaît, la typographie décide d`exclure l`aspect humoristique
au profit d`un aspect représentatif de la guerre et du Moyen Âge.
Ici, l`iconique et le scripturaire sont entremêlés, si bien que
l`on peine à les distinguer. La lettre « T » se couple
à la garde de l`épée qui vient souligner le titre. La
lettre « a » est iconisée sans qu`on puisse identifier le
symbole qu`elle érige. En effet, ici le scripturaire prend tout en
charge, on ne reconnaît plus la référence aux anneaux
borroméens qui s`enveloppent autour de la lame de
l`épée.
33
1.2.4. LA RENAISSANCE
ILLUSTRÉE PAR LA FICTION
SÉRIELLE REIGN
34
35
La renaissance illustrée par la fiction
sérielle Reign
Reign est une série inspirée du
règne de plusieurs monarques du XVIe siècle à une
époque en proie aux troubles religieux. Cette production dévoile
le destin non pas d`une seule reine, mais de plusieurs comme Élisabeth
1ere, Catherine de Médicis et Marie Stuart. Il est question d`une vision
plus féministe où les hommes font office de second rôle ;
la fiction s`organise autour du point de vue des femmes, l`histoire est
reconstruite de manière à faire d`elles les narratrices de
celle-ci. On illustre une version différente de la femme du XIVe
siècle, une époque où même les femmes de haut rang
ne peuvent s`imposer qu`avec un « bon mariage » afin d`élever
leur position, leur rang et leur pays. Si l`histoire n`est pas respectée
à la lettre, elle décide néanmoins de mettre en avant des
personnages féminins aux caractères bien trempés dans un
monde où le machisme fait loi.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, la typographie choisie est
symbolique d`une époque bien précise. En France, vers le milieu
du XVIe siècle, les garaldes ont été conçues pour
simplifier le dessin des humanes. Si ce détail de l`histoire n`a rien
à voir avec les passions entre rois et reines, il nous plonge tout de
même dans l`époque en question.
En effet, les Garaldes sont typiques de la Renaissance du XVIe
siècle. Reign bénéficie ainsi des mêmes
valeurs transmises par les Garaldes, soit l`aspect classique et intemporel
qu`évoque notamment l`histoire de France. Par ailleurs, cela
évoque une certaine élégance ; soit la qualité
première des monarques de l`époque. Les Garaldes
véhiculent les valeurs liées à l`humanisme et à la
Renaissance, valeurs qui viennent d`Italie. Selon la classification Vox ou
« Elzévir », elles regroupent les polices typographiques
à empattements présentant des empattements triangulaires et
créant un contraste net entre les pleins et les déliés.
Cet aspect constitue un critère important pour la visibilité. Les
caractères arborent des empattements lapidaires supérieurs et
inférieurs selon la classification d`Aldo Novarese.
Plan du contenu
La typographie de Reign est destinée à
mettre en avant les alliances et les mariages entre les monarques des
différentes nations. Même si la soif de pouvoir est
présente, Reign est une version qui met l`accent sur le
côté passionnel de l`histoire de France.
En effet, avec une trame narrative centrée sur l`aspect
passionnel de l`histoire de la royauté, Reign ne retranscrit
pas l`histoire de France, mais les alliances stratégiques qui y sont
nées. Afin de découvrir cet héritage, nous nous apercevons
qu`en actualisant les modalités graphiques, et au vu de certaines
techniques utilisées par les marques pour inscrire leur image dans
l`imaginaire collectif. Le traitement de la première lettre de Reign
est un exemple édifiant. Il est intéressant de constater
comment le premier caractère est stylisé. Comme dans un manuscrit
médiéval celui-ci rappelle la
36
La renaissance illustrée par la fiction
sérielle Reign
forme des lettrines, ceci augmente l`envie de lire
l`identité visuelle dans son intégralité. Cela constitue
une accroche de départ pour la cible.
Ce premier caractère, le « R » majuscule se
pose alors comme une descendante à la limite de l`écriture
cursive, dans le but de se coupler à un élément iconique.
Cette prolongation du « R » forme une arabesque ou une sorte de
ruban. De manière subjective, ce ruban pourrait évoquer la
symbolique des mariages et des alliances qui rythment l`intrigue de la
série, en faisant écho à la cérémonie des
mains liées « handfasting » qui est un très ancien
rituel de mariage, originaire de l'Écosse. Cette référence
n`est pas sans rappeler le personnage phare, Marie Stuart, reine
d`Écosse.
Niveau fonctionnel
La typographie de Reign expose alors des enjeux
clairement axiologiques en référence à l`Écosse et
au mariage entre Marie Stuart et François Valois ; les valeurs qui en
découlent s`apparentent au drame et à l`amour. Cette forme
calligraphique est teintée de rouge, une couleur utilisée lors
des mariages de l`époque selon Michel Pastoureau, « Au Moyen
Âge, le bleu est féminin, le rouge est masculin, cette tendance
s`inverse au XVIe siècle... la robe de mariée est rouge jusqu`au
19e siècle »43. Ce choix chromatique vient corroborer le
fait que la fiction mettra davantage en avant les caractères
féminins. Le rouge accentue cette passion et cette force que souhaitent
faire transparaître les scénaristes. Cela dit, le rouge
apparaît progressivement comme un avertissement sur les lourdes pertes
que vont subir les personnages. « Depuis des époques très
anciennes, la couleur rouge a été en Occident associée
à la mise en scène du pouvoir et du sacré, celle du sang
et du feu, celle de la vie et de la vigueur, celle de l`autorité et de
la beauté. C`est une couleur ambivalente : à l`époque
romaine, le rouge, qui est à la fois la couleur de la guerre et celle de
l`empire, participe à toutes les victoires et solennités
»44. Dans son ensemble, la typographie arbore un imprimé
d`acier pour nous rappeler les duels à l`épée symbolisant
une lutte, des confits et une thématique cinématographique de
cape et d`épée.
La forme en arrière-plan semble quant à elle,
inspirée d`une broche écossaise appelée « Luckenbooth
». On reconnaît la broche « Luckenbooth » à son
motif en coeur, composé d`un coeur simple ou de deux coeurs
entrelacés, souvent surmontés par une couronne stylisée.
La broche Luckenbooth généralement en argent, est une broche
traditionnelle du mariage écossais, donnée en gage d`amour par le
marié à sa promise le jour des noces, les coeurs symbolisant bien
sûr l`amour, et la couronne la loyauté. Cette broche est un bijou
fortement associé à Marie Stuart, car selon certains dires, elle
serait un
43 M. PASTOUREAU, Dictionnaire des couleurs de notre
temps, Bonneton, Paris, 1999, p. 189-193.
44 Ibidem
La renaissance illustrée par la fiction
sérielle Reign
symbole d`amour et de dévotion donné par la
reine Marie d'Écosse à Lord Darnley. D`autres «
légendes » racontent que c'était une broche de
fiançailles qui lui aurait été offerte par le dauphin de
France. De nombreux traits connotent l`entrelacement entre la passion, la
passion du pouvoir et la passion amoureuse, ils jouent le rôle de
fonction référentielle institué par Jakobson dans son
modèle des fonctions du langage. Il est relativement simple
d`appréhender ce travail typographique comme étant chargé
de référence à l`histoire exploitée par la fiction.
Dans son premier ouvrage, Lionnel Orient Dutrieux avait évoqué le
rôle séquentiel endossé par le générique
d`une fiction, qui d`une certaine manière « présente un
condensé de l`action à venir »45.
À travers ces éléments fortement
connotatifs, la typographie de Reign tend également à
jouer ce rôle séquentiel. De plus, ce rôle séquentiel
va de pair avec le rôle indexical qui permet d`identifier, mais aussi de
catégoriser la série dans un genre. « L`écrit a un
rôle indexical lorsque, en présence de l`objet
désigné, il qualifie cet objet ou établit le facto de la
diégèse »46.
37
45 L. ORIENT DUTRIEUX, Typographie et
cinéma, Gap, Atelier Perrousseaux éditeur, 2015, p. 50.
46 Idem, p. 60.
38
1.2.5. L?ÉPOQUE MODERNE
ILLUSTRÉE PAR LA FICTION
SÉRIELLE VERSAILLES
39
40
L?époque moderne illustrée par la fiction
sérielle Versailles
1667 est une année charnière pour les
scénaristes. La série met l`accent sur un point de vue nouveau du
règne de Louis XIV qui dépasserait les clichés du roi
absolu et tout-puissant, elle revient sur les difficultés connues par
Louis XIV dans la progression de ses projets. Notamment face à sa
noblesse, face à ses conseillers pour faire construire le château,
face aux difficultés économiques qui apparaissent à ce
moment du règne. Versailles n`est alors qu`un pavillon de chasse, il va
en faire une véritable résidence royale.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, la typographie de cette
série se veut très géométrique. Celle-ci
s`apparente à la famille des réales selon la classification Vox
ou « elzévirs », qui regroupe les polices typographiques
à caractères plus rationnels, aux formes plus
épurées et plus précises. Versailles montre des
empattements plus discrets et linéaires selon la classification d`Aldo
Novarese, avec un axe quasiment vertical. Ainsi que des pleins et
déliés plus contrastés pour une visibilité et une
lisibilité optimale. Les valeurs retranscrites par cette typologie de
lettrages dénotent une certaine modernité.
Plan du contenu
Au niveau du plan du contenu, la typographie de Versailles
est extrêmement riche de sens. En effet, l`enjeu est clairement
axiologique : Versailles décide de faire passer des valeurs de
modernité celle de la construction d`un monument historique et de ceux
qui l`ont édifié ! Les producteurs ont fait appel à
l`agence de publicité BETC pour la création de leur
identité visuelle ; une pratique commune pour la chaine Canal + qui
dispose d`importants moyens financiers pour leurs créations originales.
Versailles est une série historique, mais elle est davantage
une production moderne axée sur l`arrière-plan du règne
d`un roi. C`est pourquoi la police de Versailles décide de
sortir des « sentiers battus » comme l`a évoqué Olivier
Apers, directeur de création de la campagne.47 Dans
l`inconscient collectif, Versailles est synonyme d`enluminures et
d`extravagance. L`agence a pourtant décidé de réaliser une
prise de position en évoquant des outils de maçon plutôt
que des caractères en forme de bijoux ou encore des lettres à
plusieurs carats. Versailles arbore une police plutôt «
tiers état » et l`illusion référentielle permet
d`évoquer des valeurs à travers les choix typographiques ; comme
les empattements triangulaires pour symboliser la noblesse.
Les coloris évoquent l`artisanat, en
référence aux plans de construction et aux outils de
maçon. Les ascendantes par exemple, forment des équerres, car,
rappelons-le, la thématique est la construction
47 E. GAVARD, Pour la série Versailles, tout est dans
le logo, 03.11.2015, disponible sur
http://www.strategies.fr/actualites/marques/1027079W/pour-la-serie-versailles-tout-est-dans-le-logo.html
[consulté le 16.01.2016].
41
L?époque moderne illustrée par la fiction
sérielle Versailles
d`un roi. Des demi-cercles, des hachures et des angles droits
encadrent les caractères prenant ainsi des airs de plans d`architecte.
L`apparition des tracés architecturaux peut être qualifiée
de forme scripturale, car ces tracés représentent la main de
l`homme.
Ainsi, la récurrence de ces motifs de figures
géométriques empruntés à la construction, aux
mathématiques, au calcul, et à l`art développe une «
dimension figurative » comme l`a évoqué Jean Marie Floch. En
effet, ces éléments iconiques sont constitutifs de la dimension
figurative d`une forme de liberté et de modernité qui renvoie
à la construction et à la définition d'un roi. Si l`on
peut considérer que la sémiotique figurative s`applique à
la typographie de Versailles, nous sommes en mesure d`assurer d'une
part que cette typographie évoque un discours qui définit une
certaine modernité exaltée par un paradoxe qui installe par
lui-même le sujet « Versailles » et le mythe qui l'entoure. Et
d'autre part, celle-ci retranscrit un discours sur la liberté propre
à ce siècle difficile pour Louis XIV. Il convient alors
d'interpréter narrativement cette liberté comme l'objet de valeur
recherché par le roi, et défini par le premier discours. En
effet, les différentes figures géométriques de la
typographie parlent d'un sujet ; Versailles et de sa quête ; la
liberté moderne. La typographie de Versailles en tant que
sémiotique figurative48 comme l`a qualifié Jean Marie
Floch, a pour contenu narratif l`ascension d`un roi, d`une dynastie, d`une
époque.
Plus qu`une écriture iconique, c`est une
scénarisation de l`écrit qui nous plonge dans la
thématique exploitée par les scénaristes : la construction
de Versailles. Le château de Versailles n`existe pas encore. La
série traite de « l`avant » et du « pendant » la
construction, on suit alors l`ascension d`un homme. Cette typographie prend
à contre-pied l`époque évoquée. Si à
l`époque la tendance allait au grand volume, ici on simplifie ; nous
sommes dans la suggestion et la modernité des formes
épurées.
Cette typographie met donc en avant les rouages de l`histoire
et les secrets des coulisses plutôt que la grandeur des soirées de
l'époque. Les clichés gravitant autour de la noblesse sont mis de
côté pour privilégier l`intrigue et l`envers du
décor.
Niveau fonctionnel
Les éléments visuels ajoutés aux
caractères participent activement au processus de production de sens,
car c`est ainsi que l`on peut affirmer que la série ne traite pas de
l`âge d`or de Versailles, c`est-à-dire ce que représente
Versailles dans l`imaginaire collectif, mais bien de ce qui est en amont de son
prestige de renommée mondiale. Versailles parle de la
construction de cet édifice et de celles des hommes qui l`ont
habité. Pour rester dans cette dynamique de modernité, les choix
chromatiques rejoignent cette position. Comme l`a démontré Michel
Pastoureau dans son ouvrage le dictionnaire des couleurs de notre temps ;
« le noir est synonyme de tempérance,
48 J. M. FLOCH, Identités visuelles, Paris, Puf,
2e édition, 2010, p. 113.
L?époque moderne illustrée par la fiction
sérielle Versailles
humilité, austérité, il est symbole de
l`autorité et représente chic et élégance dans la
mode actuelle »49. C`est ainsi que l`iconographie des lettres
fait office de valeurs ajoutées et connote un véritable univers :
celui de la trame narrative. Si les caractères à empattements ont
pour habitude d`évoquer le contraire même de la modernité,
ici les empattements se joignent aux éléments iconographiques
comme pour tracer le chemin de l`ascension du château.
L`enjeu de cette typographie se veut donc plutôt
esthétique ; afin d`évoquer l`innovation. La stratégie
tend à sortir des codes de la série historique et s`illustre
parfaitement à travers l`ensemble de la campagne publicitaire. En effet,
les affiches de la campagne par exemple tendent plutôt vers la couverture
de magazine de mode plutôt que vers une série
télévisée. Des cinémagraphes ont été
imaginés pour les réseaux sociaux ; mettant ainsi en avant les
personnages emblématiques ou seul un détail : le feu s`animait.
Ceci dans le but de provoquer un accident visuel caractérisant la
série dans la modernité. Cela exprime une volonté de
matérialiser la modernité et sortir des codes de la série
historique.
42
49 M. PASTOUREAU, Dictionnaire des couleurs de notre
temps, Bonneton, Paris, 1999, p. 158.
43
1.3. VERS UN SYSTÈME
TYPOGRAPHIQUE PROPRE
AUX FICTIONS SÉRIELLES
HISTORIQUES
44
Vers un système typographique propre aux fictions
sérielles historiqyes
À travers ces différentes analyses, il est
intéressant de se demander s`il est possible de dégager un
système, sur les caractéristiques typographiques à
même de faire transparaître le genre historique.
Les capitales monumentales semblent aller de pair avec la
thématique historique. Les pleins et les déliés de la
typographie dite « historique » auront tendance à être
contrastés.
On remarque l`omniprésence d`empattements dans ces
typographies du genre historique. La neutralité n`est pas de mise,
puisque chaque série illustre une époque particulière qui
véhicule des valeurs dans l`imaginaire collectif. À travers la
classification d`Aldo Novarèse basée sur la forme des
empattements, nous pouvons remarquer la présence d`empattements
lapidaires à plusieurs reprises.
En effet, les typographies de Game of Thrones, Kaamelott,
Reign et Versailles comportent cette typologie d`empattements. Les empattements
lapidaires semblent transmettre les valeurs des siècles
passés.
Certaines typographies alternent avec différents
empattements entre fantaisies et linéaires, sans doute par souci de
modernité et de personnalisation. La typographie de la série
Vikings fait partie de ces exceptions. Cela s`explique par le fait que la
série gravite autour d`un personnage central Ragnar Lothbrok, un chef de
clan viking qui fait preuve d'innovation et de modernité ; des
caractéristiques propres aux typographies linéales.
Époques
|
Séries télévisées
|
Empattements lapidaires
|
Empattements linéaires
|
Empattements fantaisies
|
Le haut Moyen Âge
|
Game of Thrones
|
X
|
|
|
Le Moyen Âge central
|
Vikings
|
|
X
|
X
|
Le Moyen Âge
|
Kaamelott
|
X
|
|
X
|
La renaissance
|
Reign
|
X
|
|
|
L`époque moderne
|
Versailles
|
X
|
X
|
|
Par ailleurs, nous avons pu distinguer l`importance de la
texture dans la typographie. En effet, celle-ci fait souvent
référence aux matières et aux armes de l`époque.
45
Vers un système typographique propre aux fictions
sérielles historiqyes
Dans une thématique de « capes et
d`épées », l`acier, sous ses différents aspects plus
ou moins soignés, vient corroborer cette omniprésence du genre
historique. On illustre l`action de forger ses outils de combats par le feu,
d`en user par le sang et de triompher grâce à eux.
L`iconographie est également significative et
s`intègre complètement à la typographie. À
plusieurs reprises, les caractères se sont couplés à un
élément iconique représentatif de l`époque et des
personnages au coeur de la narration.
En définitive, nous avons pu démonter qu`une
forme de système typographique existe dans les identités
visuelles étudiées à travers le corpus historique. Cette
cohérence graphique s`explique notamment par les
références entre époques et les connotations culturelles
présentent dans notre patrimoine ; mais qu`en est-il des légendes
et mythes propres au genre fantastique ? Est`il possible d`adopter des codes
scriptovisuels à des fictions sérielles traitant de l`irrationnel
et de l`anormalité ?
Nous allons nous y intéresser dans une deuxième
partie consacrée à l`identité visuelle de fictions
sérielles du genre fantastique.
46
2. L`ESTHÉTIQUE TEXTUELLE
DANS LE GENRE
CINÉMATOGRAPHIQUE
FANTASTIQUE
47
L?esthetique textuelle dans le genre cinematographique
fantastique
2.1. DEFINITION ET DELIMITATION DU GENRE CINEMATOGRAPHIQUE
FANTASTIQUE
Le genre cinématographique fantastique tire son origine
de la littérature du même genre. Celui-ci voit le jour en adaptant
les plus grands classiques de la littérature fantastique comme
Frankenstein ou le Prométhée moderne ou encore
Dracula. Le fantastique se définit par rapport à
l'irrationnel et à l'anormalité. Pierre-Georges Castex
écrit dans Le Conte fantastique en France que c'est « une
intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle
»50. Cette intrusion se fait toujours dans un environnement
donné pour réel, dont l'irruption d'un élément
anormal fait contraste et justifie son caractère fantastique, sans pour
autant que l'élément en question appartienne au surnaturel.
Le genre fantastique résulte de la notion de
différence. En effet, distinguer ce qui relève du «
fantastique » c`est tout d`abord dissocier un autre être de
manière à s`interroger soi-même sur sa propre condition.
Au cours de son histoire, l'homme a peuplé son
imaginaire d'un grand nombre d'êtres lui permettant de représenter
ce principe de différence. Le genre fantastique voit naître des
personnages disparates ayant pour points communs de réunir en une seule
entité des caractéristiques propres à l'humain et des
aspects purement allégoriques qui les distinguent et leur fournissent
une identité.
Répondant à une forme de
behaviorisme51, les personnages de l`univers fantastique disposent
d`un panel de représentations capables d`illustrer certaines croyances
et possèdent une multitude de moyens leur permettant d`avoir un point de
vue critique sur l`humanité et sur le mode de fonctionnement de
celle-ci.
Le genre fantastique et les personnages qui l`illustrent
assument une fonction « miroir ». « C'est en les observant, ou
en les affrontant que les humains prennent conscience de leur propre
particularité et peuvent bâtir un discours critique. Toutes les
fictions et a fortiori, les séries télévisées
mettant en scène des personnages fantastiques proposent une
réflexion sur la condition humaine »52.
Le fantastique ne se définit pas selon un contexte
particulier, un récit fantastique peut concerner n'importe quelle
époque, et se dérouler dans un lieu réel ou imaginaire,
mais dont la dimension est cohérente.
50 P. G. CASTEX, Le Conte fantastique en France de Nodier
à Maupassant, Paris, Corti, 1951, p. 8.
51 Le behaviorisme est une méthode psychologique
fondée sur l`observation objective du comportement
déterminé par l'environnement et l'histoire des interactions de
l'individu avec son milieu.
52 P. SERISIER, M. BOUTET, J. BASSAGET,
Sériescopie, Ellipses, Paris, 2011, p. 579.
48
L?esthetique textuelle dans le genre cinematographique
fantastique
« Dans un monde qui est bien le nôtre, celui que
nous connaissons, sans diables, sylphides, ni vampires, se produit un
évènement qui ne peut s`expliquer par les lois de ce même
monde familier. Celui qui perçoit l`évènement doit opter
pour l`une des deux solutions possibles : ou bien il s`agit d`une illusion des
sens, d`un produit de l`imagination et les lois du monde restent alors ce
qu`elles sont ; ou bien l`évènement a véritablement eu
lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors
cette réalité est régie par des lois inconnues de nous. Ou
bien le diable est une illusion, un être imaginaire ; ou bien il existe
réellement, tout comme les autres êtres vivants : avec cette
réserve qu`on le rencontre rarement. Le fantastique occupe le temps de
cette incertitude ; dès qu`on choisit l`une ou l`autre réponse,
on quitte le fantastique pour entrer dans un genre voisin, l`étrange ou
le merveilleux. Le fantastique, c`est l`hésitation
éprouvée par un être qui ne connaît que les lois
naturelles, face à un évènement en apparence surnaturel
»53.
Les frontières du fantastique au cinéma sont
nébuleuses. En effet, le genre avoisine avec le merveilleux, la fantasy,
la science-fiction et l'horreur.
Dans un article publié en mars 1982 dans L'Écran
fantastique intitulé « Tentative de définition du
fantastique », Jean-Claude Romer comprend le genre dans six
catégories54.
Tout d`abord, le fantastique stricto sensu
qui est rattaché au folklore et à la tradition, autour
des légendes, des fantômes, des vampires, des loups-garous et des
sorcières. Selon sa définition « on peut parler de
Fantastique lorsque, dans le monde réel, on se trouve en présence
de phénomènes incompatibles avec les lois dites "naturelles"
» ; la science-fiction gravite autour de thèmes en
rapport avec l'« intervention d'une intelligence dans le processus de
phénomènes incompatibles avec les lois dites "naturelles" »
; l'anticipation, quant à elle se distingue de la
science-fiction, car tout en se situant dans un monde futur, les
phénomènes sont « compatibles avec les lois dites
"naturelles" » ; l'insolite est retranscrit à
travers des fictions illustrées « dans le monde du réel, on
se trouve en présence de phénomènes inhabituels, mais
compatibles avec les lois dites "naturelles" » ;
l'épouvante base son intrigue « dans le monde du
réel ou de l'imaginaire, on se trouve en présence de
phénomènes qui tendent à susciter chez le spectateur
certaines réactions psychiques ou viscérales dans le registre de
la peur » ; et pour finir, le merveilleux qui appartient
au domaine des contes de fées, de la fantasy et de la mythologie. «
On peut parler de Merveilleux lorsque, dans le monde de l'imaginaire, on se
trouve en présence de phénomènes incompatibles avec les
lois dites "naturelles" ».
53 T. TODOROV, Introduction à la littérature
fantastique, Paris, Seuil, 1970, p. 29.
54 E. DENIS, Qu'est-ce que le « Fantastique »,
disponible sur
http://www.devildead.com/indexdossier.php3?langage=1&maindossier=21&page=18
[consulté le 17.01.2016].
49
L?esthetique textuelle dans le genre cinematographique
fantastique
2.2. ANALYSE DE CORPUS FILMIQUE FANTASTIQUE
Nous allons analyser l`identité visuelle à
travers les fictions sérielles appartenant au genre fantastique. L`art
de choisir la bonne typographie dépend de nombreux paramètres qui
sont parfois subjectifs. De l`histoire des polices de caractères aux
connotations actuelles, nous allons voir comment les polices d`écritures
servent des projets spécifiques comme l`esthétique textuelle ou
d`autres finalités de séries télévisées
fantastiques.
50
2.2.1. LE GENRE
FANTASTIQUE
D?ÉPOUVANTE ILLUSTRÉ
PAR LA FICTION SÉRIELLE
AMERICAN HORROR STORY
51
52
Le genre fantastique d?epouvante illustré par la
fiction sérielle American Horror Story
American Horror Story est une série horrifique
d'anthologie. En effet, celle-ci aborde chaque saison de manière
à illustrer une intrigue, un lieu, une époque et des personnages
différents ; dont le dénouement vient mettre fin à
l`histoire pour laisser place à une tout autre intrigue
indépendante dans la saison suivante. À travers les saisons, le
casting est quasiment identique cependant, les acteurs endossent des
rôles dont les caractères et les identités varient. Cette
série tient sa particularité en cela, puisque même si un
fil conducteur relie les saisons entre elles, l`ambiance, la thématique
fantastique et les personnages sont changeants. Comme si l`on observait les
différentes vies antérieures de cette tribu de personnages
inexorablement liés par un passé, un présent et
peut-être un futur.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, la typographie utilisée
pour American Horror Story, est le résultat d`un assemblage de
deux polices de caractères soit, Rennie mackintosh et Willow.
La typographie Rennie Mackintosh s`inspire des travaux
d`écriture et des dessins du designer et architecte écossais
Charles Rennie Mackintosh, un artiste réputé pour ses
constructions, intérieurs et meubles très avant-gardistes,
créés au tournant du siècle à Glasgow en
Écosse. La Rennie Mackintosh fut créée en 1993 par George
R. Grant pour le Willow Tea Room en Écosse qui appartient à la
Charles Rennie Mackintosh Font Company (CRMFontCo). La police Rennie Mackintosh
est une police sans sérif qui possède un style tout à fait
unique, dont les caractères majuscules et minuscules inclus sont
traités comme des capitales. Les majuscules « A » et « H
» disposent d`une double barre transversale et leurs minuscules d`une
triple barre transversale. Les caractères « Q » et « O
» sont très intéressants lorsque l`on met en
parallèle le traitement des majuscules et des minuscules. En effet,
alors que le « Q » majuscule détient un grand bol ainsi qu`une
descendante prolongée qui atteint le niveau de référence,
le « Q » minuscule quant à lui possède un bol
plutôt réduit et une descendante qui s`arrête au-dessus du
niveau de référence.
La police d`origine Willow regular a été
conçue par Joy Redick en 1990, et fait partie de l'Adobe Originals
Woodtype Collection. ITC Willow a été conçu par Tony
Forster en 1990. Une police contemporaine, telle que Willow, évoque le
style Arts and Crafts écossais rendu populaire par le peintre et
réformateur social Jessie Marion King (1875 à 1949), ainsi que
l'architecte et designer
53
Le genre fantastique d?epouvante illustré par la
fiction sérielle American Horror Story
Charles Rennie Mackintosh (1868-1928) de l'école de
Glasgow. La typographie s`inspire de la devanture du Willow tea Room, un des
trois salons de thé à Glasgow conçu par Mackintosh. La
police de caractères se distingue par ses barres doubles transversales
sur les majuscules « A » et « H » et le design inhabituel
de la majuscule « O », qui est soulevé au-dessus du niveau de
base, avec deux points centrés au-dessous du bol.
Ces typographies ont été
entremêlées et retravaillées en 2011 afin de servir l`image
de la série d`anthologie. Ainsi, la typographie d`American Horror
Story est une police sans empattement de la famille des antiques. Elle
présente de faibles contrastes entre pleins et déliés. Il
y a un contraste intéressant entre un oeil relativement petit
comparativement à de longs jambages inférieurs ou encore une
certaine inclinaison de l`axe des lettres.
La police se distingue par les doubles barres transversales
sur la majuscule « H », et la conception inhabituelle de la majuscule
« O », qui est soulevée au-dessus du niveau de
référence, avec un point centré sous le bol. L`oeil du
caractère « O » s`est élargi, mais reste pourtant petit
en comparaison avec les autres caractères. Ce caractère se pose
maintenant en dessous du niveau de référence, une
caractéristique qui n`existait ni dans Willow ni dans Rennie
Mackintosh.
|
On remarque également que le « A » a perdu sa
seconde barre et que les barres du « E » sont maintenant toutes de la
même largeur. Comparativement à Willow et Rennie Mackintosh.
De plus, le « C » trop lourd, qui était si
atypique dans la Rennie mackintosh, est maintenant plus conventionnel.
|
Le « R » quant à lui, présente une
alternance des largeurs au niveau des déliés qui contrastent avec
les pleins. Ces déliés contrastent avec l`apparence
linéale des autres caractères afin d`appuyer la
différenciation de cette police de caractères.
Plan du contenu
La typographie est basée sur l'écriture de
Charles Rennie Mackintosh. Celle-ci fut travaillée en 1904 pour le
Willow Tea Room. Mackintosh s`est inspiré du nom « Sauchiehall
» qui, en vieux
54
Le genre fantastique d?epouvante illustré par la
fiction sérielle American Horror Story
Écossais, se traduit par « à l'Allée
des Saules »55. La signification celtique du saule
possède une longue histoire associée au symbolisme des pratiques
métaphysiques et rituelles. Le saule, depuis les temps antiques, a
toujours été associé à la mort. En Europe du Nord,
le mot « witch » (sorcière) et « wicked » (mauvais)
sont dérivés du nom « willow » (saule). En effet,
l`origine du mot « witch » vient de "wei" qui signifie « pour
tordre » et provient du latin « vicis » qui veut dire le «
changement ». « Witch » est aussi quelque chose fait d'osier;
quelque chose qui pourrait être plié facilement, comme une branche
de saule. On le considère comme un arbre d'enchantement.
Dans la mythologie celte, il est associé au mythe de la
création de deux oeufs écarlates d`un serpent de mer, qui
contenaient le soleil et la terre. Ces oeufs ont été
cachés dans les branches du saule jusqu'à ce qu'ils aient
éclos, de ce fait apportant la vie terrestre. Le saule est
également associé à la mort, car c'est la conclusion
évidente à la naissance et à la vie. Il représente
aussi la santé et la fertilité.
Une autre caractéristique du saule est sa grande
flexibilité. Le saule est l'un des rares arbres qui peuvent se plier
dans des poses extravagantes sans rupture. Ceci constitue une métaphore
puissante pour ceux d'entre nous sur un chemin spirituel. Le message ici est de
s`adapter à la vie plutôt que de la combattre. Outre sa
capacité d'adaptation, le saule est capable non seulement de survivre,
mais aussi de prospérer dans certaines conditions des plus difficiles.
Le saule est un producteur prolifique, il est capable de prendre racine
à partir d`une seule branche56.
À travers ces références mythologiques
celtes, la typographie du Willow Tea Room de la même manière que
celle de la série American Horror Story s`imprègne de
ces valeurs associées à la vie, à la mort, mais aussi
à la renaissance ; des thématiques au coeur de la trame narrative
de la série.
Ainsi, la réédition de la police de
caractères Charles Rennie Mackintosh correspond parfaitement à
American Horror Story. En dehors du contexte de la fiction, ces
lettres sinistres ne semblent pas seulement donner au lecteur un sentiment
d'élégance ou de distinction. En effet, les barres horizontales
du A et du H sont toutes les deux très proches du niveau
supérieur. Ce qui les rend inégales, mais également
menaçantes du fait de leur hauteur de jambage comme si elles se tenaient
debout prêtes à bondir. Par ailleurs, dans American Horror
Story les caractères pourraient métaphoriser des maisons,
des asiles et l'autorité incontestable de cette force supérieure
qui exerce constamment son emprise sur les personnages.
La typographie de la fiction arbore un style appelé
« all-caps ». Alice Robb s'est penchée sur la question pour le
magazine américain The New Republic. Redirigée par un linguiste
vers des groupes de discussion Usenet, précurseurs des forums, elle
cite, entre autres, le message posté par
55 The willow tea rooms, History, disponible sur
http://www.willowtearooms.co.uk/ [consulté le 02.03.2016].
56 Celtic Meaning of the Willow Tree, disponible sur
http://www.whats-your-sign.com/celtic-meaning-willow-tree.html
[consulté le 02.05.2016].
55
Le genre fantastique d?epouvante illustré par la
fiction sérielle American Horror Story
un certain Dave Decot, en 1984, qui définit l'usage des
lettres capitales. Selon lui, « il y a trois façons de mettre en
exergue son discours. La première serait d`utiliser les lettres
capitales pour que les mots sonnent plus fort, la deuxième serait
d`entourer d'astérisques les mots sur lesquels on voudrait mettre
l'accent. Et enfin, la troisième serait d`espacer les caractères
»57. Pour la typographie de la série, la
sobriété et la discrétion ne sont pas de mise. En effet,
en décidant de mettre en exergue son titre avec ce style all-caps,
American Horror Story adopte une position de supériorité
hiérarchique, créant non en s'excusant des situations
inconfortables pour le téléspectateur.
Dans l'univers fantastique et horrifique, il y a des
irrégularités entre le réel et l`irréel. Dans la
police de caractères d`American Horror Story, l`exemple parfait
est celui de la lettre « O ». Contrairement aux autres
caractères, il semble être parfaitement circulaire; une perfection
qui, dans le contexte, semble hors de propos. Contrebalancer cette lettre
circulaire, d'une taille disproportionnée et d`un petit point
carré qui le soulève, inverse cette notion de normalité
typographique. À l`envers, on peut remarquer que le « O » a un
signe diacritique.
Les traverses du « E » sont alignées et le
terminal supérieur du « S » est prématurément
attaché. Ceci ajoute un aspect disproportionné aux
caractères. Le jambage inférieur du « R » est semblable
à une faucille, répété à cinq reprises dans
le titre. Bien qu`il ait de l`espace entre chaque caractère, le « O
» mentionné ci-dessus semble être compressé entre les
caractères environnants, créant une claustrophobie
légère. Ces caractères disproportionnés, la
structure irrégulière, les crénages serrés et des
caractères aiguisés, cette police de caractères
particulière évoquent la singularité de la fiction.
Niveau fonctionnel
L`enjeu de la typographie de cette série est tout
autant esthétique que pragmatique. Esthétique tout d`abord, car,
elle met en avant un style innovant et précurseur. En effet, cette
typographie élégante est en adéquation avec l`art nouveau,
les influences japonaises, les formes naturelles, et les lignes courbées
qui ont inspiré Charles Rennie Mackintosh.
Tin second enjeu d`ordre pragmatique est également en
cause, car ces caractères novateurs vont susciter l`intérêt
et la curiosité de la cible. Celle-ci sera donc dans une démarche
introspective au regard de cette série arborant une typographie d`un
nouveau genre.
57 A. ROBB, How Capital Letters Became Internet Code for
Yelling, And why we should lay off the all-caps key, 17.04.2014,
disponible sur
https://newrepublic.com/article/117390/netiquette-capitalization-how-caps-became-code-yelling
[consulté le 03.05.2016].
56
2.2.2. LE GENRE
FANTASTIQUE ILLUSTRÉ
PAR LA FICTION SÉRIELLE
SALEM
57
58
Le genre fantastique illustré par la fiction
sérielle Salem
Cette série télévisée reprend le
mythe de la chasse aux sorcières dans la célèbre ville du
Massachusetts. L`intrigue se déroule au XVIIe siècle, où
la célèbre communauté puritaine de Salem est
confrontée à la multiplication des cas de sorcelleries. Alors que
George Sibley dirige d'une main de fer la communauté, le puritanisme, la
chasteté, la piété, la torture et les humiliations
publiques sont monnaie courante pour les habitants. Après sept ans
d'absence, le capitaine John Alden revient à Salem où il retrouve
son ancienne maîtresse Mary Sibley. Rongée par le
désespoir, celle-ci a abandonné son âme aux
sorcières de l`Essex dont l`ambition est de prendre leur revanche sur
les puritains. Au fil des épisodes, la présence des forces
occultes devient de plus en plus sensible parmi les habitants. Assujettie
à une oppression délétère, à la fois
menacée par les Amérindiens, par les Français et par des
forces occultes, la ville de Salem est en proie à un huis clos
oppressant. L'angoisse monte crescendo grâce aux réactions
imprévisibles des habitants, susceptibles de jeter n'importe quel
innocent à la vindicte populaire.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, la typographie de la série
présente des similitudes avec la famille des antiques, dû à
son absence d`empattements traditionnels. Selon la classification d`Aldo
Novarese, cette police de caractères est tout de même pourvue
d`empattements fantaisies très peu marqués, voire quasiment
floutés. Ce tracé de lettres « dépouillé
», caractéristique des antiques, donne un aspect brut à la
typographie, un aspect renforcé par une alternance d`épaisseur
entre les pleins et les déliés. Son dessin s`apparente aux
capitales grecques et s`inspire des inscriptions retrouvées sur les
façades des anciens temples grecs.
Ses formes géométriques, libres d`ornementation,
semblent être gravées dans la pierre. Il y a également une
absence de jointure entre les pointes du « A » et du « M »,
ainsi qu`une absence de barre transversale dans le « A ».
Plan du contenu
La ville de Salem est porteuse d`un mythe ancestral, « le
procès des sorcières de Salem est un épisode fameux de
l'histoire coloniale des États-Unis qui entraîna la condamnation
et l'exécution de personnes accusées de sorcellerie en 1692 dans
le Massachusetts. Généralement analysé comme
découlant d'une période de luttes intestines et de paranoïa
puritaine, ce procès se solda par l'exécution de vingt-cinq
personnes et l'emprisonnement d'un bien plus grand nombre »58.
Par ailleurs, dans l`inconscient collectif, Salem est rattachée à
un univers peuplé de légendes en rapport avec la sorcellerie. Le
mythe va alors amorcer l`image surnaturelle du schéma narratif
profilé par la série.
58 Les Sorcières de Salem, pièce de
théâtre écrite par Arthur Miller en 1953.
59
Le genre fantastique illustré par la fiction
sérielle Salem
|
La typographie expose un aspect brut évoquant
l`assemblage de brindilles. Selon les légendes, la force des
sorcières résiderait dans leur environnement. Elles puiseraient
leur force dans la nature. Ainsi, mettre en scène des brindilles de bois
va renforcer la mystification de la typographie. Afin d`appuyer la fonction
référentielle au mythe des sorcières, le
générique illustre l`alphabet cryptographique alchimique. C'est
essentiellement un alphabet à but cryptographique qui va renforcer cette
analogie et ponctuer le générique de mystères et de signes
en tous genres.
|
Quant au choix iconographique, celui-ci évoque la
« trinité occulte » apparentée aux pratiques de
sorcellerie. La sorcellerie utilise les symboles comme support du pouvoir
magique par la puissance des ondes de forme qu'ils dégagent ainsi que
par « l'égrégore » ou inconscient collectif auquel un
symbolisme occulte est traditionnellement lié. « Dans sa
signification, le triangle symbolise le feu, il est associé au chiffre
3. Il est symbole de divinité et par conséquent c`est un symbole
de puissance. Le triangle est le principe du masculin et du féminin qui
s'unissent pour donner naissance à un troisième principe (comme
le père et la mère donnent naissance à un enfant) c`est
une notion d`union et d`harmonie »59. Le triangle est parfait
s'il est équilatéral, car il représente l'équilibre
entre l'intellect, le coeur et la volonté. Le triangle peut aussi
représenter les trois attributs de la Divinité: Puissance, Amour
et Sagesse, ou pour prendre un parallèle divin chrétien, le
Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou encore chez l'homme, toujours dans
la conception chrétienne, le corps, l'âme et l'esprit. Les
occultistes ont eux aussi leur trinité : les groupes trinitaires «
soleil, lune, étoiles » et « cercle, triangle, pentagramme
». Le triangle est d'ailleurs le symbole principal du mouvement occulte
« Nouvel Âge ».
Niveau fonctionnel
Ici, l`enjeu de la typographie est axiologique : on cherche
à évoquer la thématique empreinte de spiritisme qui
encadre la série. Le scripturaire est mis en relief par une iconographie
qui illustre les personnages principaux de la série sous un angle
psychologique et symbolique.
59 Magie des symboles, 2016, disponible sur
http://legrimoire.sitego.fr/symboles.html
[consulté le 14.04.2016].
60
Le genre fantastique illustré par la fiction
sérielle Salem
En effet, le « triangle relationnel » constitue une
dimension archétypale de la vie humaine. Les triangles évoquent
généralement des émotions très douloureuses, quel
que soit le point du triangle sur lequel nous nous retrouvons. Comme des
sentiments de jalousie, d`humiliation et de trahison. Comme si nous devions
vivre avec le sentiment d`être un traître - d`être
malhonnête, de blesser quelqu`un. Les émotions impliquées
dans une relation triangulaire sont souvent déchirantes, et entament
l`estime de soi.
Le personne trahie (une apparente victime)
Le triangle
Le traître: une âme divisée
L'instrume nt de la trahison: le prédateur
La sorcière Mary Sibley aussi nommée «
samhain » se tient en haut du triangle relationnel.
« On représente le traître qui est une âme
divisée. Il éprouve un amour, une attraction ou un besoin pour
deux objets différents. La plupart d`entre nous présument que
l`amour doit être exclusif, même si, à un niveau conscient,
nous professons une perspective plus libérale »60.
Le capitaine John Alden se tient en bas à gauche du
triangle relationnel. « La personne trahie, qui est apparemment la victime
non consentante de l`incapacité du traître à aimer de
manière exclusive. Les trois points du triangle sont secrètement
interchangeables. Ils ne sont pas aussi différents qu`ils le paraissent
à première vue. Mais la personne trahie est
généralement persuadée d`être loyale, et que c`est
l`autre personne qui se montre déloyale »61.
Enfin, le puritain John Sibley, qui est aussi l`instrument de
la trahison, est illustré en bas à droite du triangle
relationnel. « Il s`agit de la personne qui intervient apparemment dans
une relation déjà existante entre deux personnes et menace de la
détruire ou de la modifier »62.
60 L. GREENE, Relationships and how to survive them,
L'Éternel Triangle, CPA Press, London, 1999, disponible sur
http://www.astro.com/astrologie/intrianglef.htm
[consulté le 16.04.2016].
61 Ibidem
62 Ibidem
61
Le genre fantastique illustré par la fiction
sérielle Salem
Cette série repose sur la montée de
l'hystérie collective des habitants. Les rôles ne sont pas
figés entre les « bons » et les « méchants ».
Chaque chasseur est susceptible de devenir une proie. Ainsi, l'intrigue ne se
réduit pas à une simple confrontation entre les fanatiques de
Dieu et ceux du Diable. La discorde est semée de manière occulte
par le clan des sorciers qui détient le pouvoir dans la ville. Chaque
habitant finit donc par soupçonner son voisin et par vouloir
s'entretuer. Salem parvient à renouveler le mythe de la
sorcellerie tout en exploitant de manière convaincante ce qui fait
partie du folklore des sorcières.
62
2.2.3. LE GENRE
FANTASTIQUE
D?ANTICIPATION ILLUSTRÉ
PAR LA FICTION SÉRIELLE
THE 100
63
64
Le genre fantastique d?anticipation illustré par la
fiction sérielle The 100
The 100 est une série
télévisée américaine post-apocalyptique dont le
concept est développé en parallèle du roman éponyme
de Kass Morgan par Jason Rothenberg. L`intrigue débute 97 ans
après qu`un holocauste nucléaire ait décimé la
population de la Terre, faisant disparaître ainsi toute forme de
civilisation. Au même moment, douze stations spatiales étaient en
orbite, faisant de leurs 4000 occupants les seuls survivants. Afin de faire
perdurer l`espèce humaine, ces douze stations se sont rassemblées
afin de garder leurs habitants en vie, elles sont rebaptisées l`Arche.
Trois générations se sont succédées dans l'espace ;
on compte désormais 2 237 survivants, mais leurs ressources
s`épuisent. Les dirigeants de l`Arche prennent alors des mesures
draconiennes pour assurer leur futur. Notamment, exiler un groupe de 100
prisonniers mineurs à la surface de la Terre pour découvrir si
celle-ci est redevenue viable. Pour la première fois depuis près
d'un siècle, des humains retournent sur la planète Terre. Pour
les 100 survivants, la Terre est une planète étrangère
dont ils ignorent tout, un endroit mystérieux pouvant être magique
un instant et mortel l'instant suivant. La survie de l'espèce humaine
repose sur les 100, ils doivent parvenir à cohabiter avec les natifs de
la Terre dont ils ne soupçonnaient pas l`existence.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, la typographie de The 100 n`est
composée d`aucun empattement et fait partie de la famille des Antiques.
Celle-ci a été retravaillée à partir de la
deuxième saison de la série afin d`illustrer au mieux la
thématique de la série. Les modifications apportées
portent en grande partie sur la texture de la typographie et sur ses choix
chromatiques qui, à l`origine, arboraient uniquement du noir.
En effet, l`évolution de la police montre maintenant
des lettres construites, inspirées des lettres gravées sur
pierre. C`est d`ailleurs l`aspect « fissuré » et «
craquelé » de la typographie qui permet d`évoquer les
vestiges d`une autre civilisation. Les approches très serrées des
lettres disparaissent dans le nombre 100 pour devenir un tout iconique.
65
Le genre fantastique d?anticipation illustré par la
fiction sérielle The 100
La police utilisée pour la fiction est composée
de traits assez arrondis. L`effet produit est un aspect lisse qui apporte une
sensation de chaleur, aussi le texte arrondi est perçu d'une
manière logique et naturelle pour son lecteur.
Plan du contenu
Au lancement de la série, la typographie ne comportait
pas de grandes indications sur le genre cinématographique, c`est alors
le générique qui s`en chargea. Lors de cette présentation
rythmée par une musique épique, on nous montre, après un
plan dans l`espace et le détachement de l`arche, des paysages de la
planète terre et des schémas qui évoquent à la fois
l`armée et la science. La question du genre est centrale pour une
identité visuelle, et le choix des réalisateurs se porte alors
sur l`aspect « armée » et « science » de la fiction.
En effet, la série repose essentiellement sur une thématique de
survie, sur l`Arche, comme sur Terre, dans une déclinaison dystopique
post-apocalyptique. La typographie, qui était alors peu
révélatrice, se voit modifiée pour la deuxième
saison afin de rejoindre cette thématique.
L`aspect de la police est riche de sens et évoque
l`armée par ses teintes « camouflages ». Les formes
hexagonales font référence à la dimension scientifique
semblable à un algorithme moléculaire. Ces formes font
référence à la génétique, à
l`évolution de l`espèce humaine et son adaptation face à
l`environnement toxique sur terre.
La lueur qui apparaît au coeur des deux zéros
forme un flash évoquant ainsi la rencontre de deux civilisations ; celle
de l`arche et des natifs de la terre. Les deux chiffres expriment une forme de
collision qui n`est pas sans rappeler une forme d`explosion, celle de la bombe
nucléaire qui a entraîné une fin, mais aussi un
renouveau.
Niveau fonctionnel
L`enjeu de cette typographie relève de
l`esthétique. En effet, la typographie maintenant revisitée
ajoute un côté épique qui contribue à donner un
côté grandiose et aide à établir correctement
l`atmosphère de la série.
L`objectif de cette identité visuelle est avant tout
cognitif, car elle révèle deux informations contextuelles et
informationnelles, soit les personnages et le contexte post-apocalyptique.
66
2.2.4. LE GENRE
FANTASTIQUE
FOLKLORIQUE ILLUSTRÉ
PAR LA FICTION SÉRIELLE
THE VAMPIRE DIARIES
67
68
Le genre fantastique folklorique illustré par la
fiction sérielle the Vampire Diaries
La série télévisée
américaine The Vampire Diaries appartient au genre
dramatico-fantastique créée par Julie Plec et Kevin Williamson.
Celle-ci s`inspire des romans éponymes de L. J. Smith. La fiction
raconte l`histoire d`Elena Gilbert, une adolescente de 17 ans qui vit et
étudie au lycée de Mystic Falls en Virginie. Elle et son
frère, Jeremy, 15 ans, vivent avec leur tante Jenna Sommers, depuis la
mort de leurs parents, décédés dans un accident de voiture
quatre mois auparavant. Elena trouve alors du réconfort dans son journal
intime. Elle y raconte son histoire d`amour naissante avec un mystérieux
jeune homme qui partage cette habitude à coucher sur papier les
aventures de ses journées. Celui-ci s`adonne à cette passion
depuis bien plus longtemps que la jeune femme puisque, en
réalité, ce garçon ténébreux va se
révéler être un vampire né en 1847.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, on remarque que la typographie
est sans empattement. Celle-ci rappelle la police Helvetica light.
« L`Helvetica fut créée en 1957 sur la base de la police
Neue Haas Grotesk de Max Miedinger, graphiste suisse, pour répondre
à un besoin précis : dessiner un caractère qui colle
à l`époque naissante, une époque moderne, en pleine
accélération des techniques et des modes de vie
»63.
Ici, la police reflète le modernisme via l`illusion
référentielle dont parlait Courtés, celle-ci « est
soumise aux règles en usage dans un groupe social donné. Elle
repose sur des marques productrices d'effets de sens dont dépend la
véridiction de l'énoncé, et non son rapport à la
vérité qui ne relève pas du champ de la sémiotique,
mais renvoie au contrat fiduciaire entre l'énonciateur et
l'énonciataire »64.
En effet, il y a une véritable
isotopie/allégorie entre la thématique vampirique qui traverse
les siècles, et la typographie Helvetica perçue comme
étant indémodable. À travers des lignes pures, la police
représente un idéal typographique de perfection et de
lisibilité, elle se met au service du texte.
63 C. POULOT, Helvetica, la petite robe noire de la
typo, 13.10.2007, disponible sur
http://www.lemodalogue.fr/2007/10/helvetica-la-petite-robe-noire-de-la-typo/
[consulté le 05.05.2016].
64 J. COURTES, Analyse sémiotique du discours de
l'énoncé à l'énonciation, Hachette, Paris,
1991, p. 40-43.
69
Le genre fantastique folklorique illustré par la
fiction sérielle the Vampire Diaries
Par ailleurs, la capitale « V » est iconisée
et fusionne avec une arabesque rouge. La plus « fortement connotée
des couleurs » selon Michel Pastoureau, va renforcer l`objet de la
fiction, soit la passion entre humain et vampire ; sans parler de la
référence évidente au sang, qui se rapporte à la
thématique vampirique. Les points du caractère « i »
sont manquants ce qui renforce cette idée de nouveauté et de
modernité.
Plan du contenu
Les caractères linéaires sont plutôt
éloignés de l`idée que l`on peut se faire des
éléments qui composent la série. En effet, les vampires
s`éloignent des valeurs de modernité portées par la police
Helvetica. Dans la littérature fantastique, ils font partie
intégrante d`un folklore qui aurait tendance à évoquer le
passé. Dracula de Bram Stoker publié en 1897, est le premier
roman à apporter suffisamment de renouveau, de détails
précis sur le vampire. Il permet alors de créer une
identité propre en inventant le vampire originel : le comte Dracula.
Stoker s`inspire de récits mythologiques comme d`inspirations
historiques pour créer son personnage. Dracula crée un
véritable engouement qui marque une étape cruciale dans la
littérature fantastique. Il devient même le vampire de
référence pour les générations suivantes, il
continue aujourd`hui de fasciner le public et d`inspirer les auteurs. Il
incarne, comme ses prédécesseurs, la figure de
l`altérité ; il est l`aristocrate venu de l`Est, symbolisant
ainsi l`étranger venu asservir et corrompre la société
victorienne.
Ainsi, une thématique qui aborde un mythe ancien tel
que le vampirisme aurait tendance à appeler une typographie à
empattements qui, par illusion référentielle, évoquerait
une forme de noblesse par des empattements triangulaires et de grandes
ouvertures.
À ce titre, l`élément contextuel du
journal intime aurait tendance à mettre en avant une typographie d`ordre
scriptural pour évoquer des aventures couchées sur papier. La
typographie de la série surprend alors en utilisant le « V »
comme symbole. Ce caractère est couplé à un autre
élément en forme d`arabesque pour finir en une goutte de sang,
car, comme on peut l`imaginer, les épisodes risquent d`être
sanglants.
Le vampire moderne est donc un beau jeune homme, une sorte de
héros au coeur pur, aux antipodes du mort-vivant traditionnel. Il n`est
plus aristocrate décadent, mais intégré dans la
communauté. En définitive, le vampire actuel vit plutôt des
histoires d`amour hétéro centrées, monogames et
très platoniques. Finalement, le vampire d`aujourd`hui est devenu un
héros romantique, démythifié et idéalisé, en
somme assez loin de Dracula. Il n`incarne plus l`altérité
terrifiante, mais un alter ego supérieur, une sorte de super
héros ou de demi-dieu.
En effet, la perception du vampire dans la fiction
sérielle est très éloignée de celle des premiers
aux teints cadavériques. Jean Marigny, spécialiste du genre
explique dans son essai La fascination des
Le genre fantastique folklorique illustré par la
fiction sérielle the Vampire Diaries
vampires que « cette vision aseptisée
permet aux vampires de devenir des héros à part entière
que l`on peut même envier ou admirer : ils ne sont pas nuisibles, ils
sont pratiquement invulnérables et la vieillesse et la maladie n`ont
aucune prise sur eux »65.
Niveau fonctionnel
L`enjeu de cette typographie est avant tout pratique, car les
caractères Helvetica permettent une très grande
lisibilité.
L`utilisation de cette police Helvetica traduit
également un enjeu pragmatique. En effet, la typographie
bénéficie d`un gage d`efficacité et de
pérennité. Elle permet d`inciter la cible à regarder la
série, car l`utilisation répétée de la typographie
fait partie de son environnement.
« L`Helvetica, de par ses caractéristiques
intrinsèques, peut être utilisée pour tout type de
communication... On la retrouve sur les panneaux signalétiques du Code
de la route, les enseignes de magasins, en 1964 pour la signalétique des
J.O de Tokyo, mais aussi pour des marques aussi variées que Lufthansa,
Nestlé ou Evian...L`Helvetica accessible à tous fait partie de
notre paysage quotidien »66.
Ce choix typographique moderne s`explique aussi par
l`évolution de l`image du vampire tant en littérature qu`en
audiovisuel. Le vampire s`adresse à un public cible composé
d`adolescents et de jeunes adultes. L`auteure Stephenie Meyer a lancé le
nouvel âge d`or des vampires à travers la saga Twilight. Depuis,
les ouvrages vampiriques foisonnent au rayon Young Adults et font
émerger un nouveau genre ; la littérature bit-lit : soit la
contraction de « bit » qui signifie mordre en anglais et de «
lit » le diminutif de littérature.
70
65 J. MARIGNY, La fascination des vampires, Klincksieck,
2009, p. 63.
66 Idem 64
71
2.3. VERS UN SYSTÈME
TYPOGRAPHIQUE PROPRE AUX
FICTIONS SÉRIELLES
FANTASTIQUES
72
Vers un système typographique propre aux fictions
sérielles fantastiques
Le genre fantastique s`apparente à la typologie
fictionnelle relevant de l`imaginaire dont les éléments
contextuels s`éloignent de la réalité telle qu`on la
connaît. Les séries gravitant autour de cette thématique
doivent donc relater une image qui s`éloigne du réel tant dans sa
trame narrative que dans sa représentation en matière d`image.
Ce genre devrait alors faire émerger des typographies
nouvelles, toujours dans l`objectif de s`éloigner de ce qui se fait
déjà en la matière.
À travers ces différentes analyses, nous
pourrions tenter de déceler un système typologique en termes de
représentation visuelle. Ce corpus fait transparaître des
similitudes en matière de choix graphiques ; ces similitudes pourraient
alors évoquer le genre en lui-même.
En effet, l`absence d`empattements dans ces polices
évoquant le modernisme pourrait permettre de caractériser le
genre fantastique ; un genre qui ne se définit pas selon un contexte
particulier, un lieu ou une époque. Ainsi les caractères modernes
et linéaires apporteraient une dimension cohérente à la
fiction qui se pose à mi-chemin entre l`anormalité et
l`irrationnel.
Aussi les éléments iconiques couplés aux
typographies des fictions sérielles fantastiques vont alors accentuer ce
caractère distinctif, voire mystique. À ce titre, certaines
formes aux connotations surnaturelles et propices aux mystifications vont alors
s`accoler aux typographies, afin de plonger d`emblée le spectateur dans
l`imaginaire lugubre et mystérieux de chacune des productions
cinématographiques. C`est le cas par exemple pour les fictions Salem
et The Vampire Diaries.
Genres
|
Séries télévisées
|
Caractères linéaires
|
Textures neutres
|
Éléments iconiques
|
Fantastique d`épouvante
|
American Horror Story
|
X
|
X
|
X
|
Fantastique folklorique
|
Salem
|
X
|
|
x
|
Fantastique d`anticipation
|
The 100
|
x
|
|
X
|
Fantastique folklorique
|
The Vampire Diaries
|
X
|
X
|
x
|
73
Vers un système typographique propre aux fictions
sérielles fantastiques
En matière de choix chromatique, les typographies
auraient tendance à miser sur la neutralité en utilisant du noir
pour une texture tout aussi neutre. Et cela, pour renforcer la
thématique lugubre et horrifique abordée par le fantastique.
D`autre part, l`utilisation de police existante comme la
Rennie Mackintosh ou encore l`Helvetica, démontre une prise de position
pragmatique de la part des graphistes. En effet, l`Helvetica est une police
dont les qualités et l`efficacité ne sont plus à
démontrer.
Aussi, la Rennie Mackintosh est une police d`écriture
avant-gardiste voir destroy, elle attire le regard et les interrogations.
Susciter la curiosité et l`intrigue se rapporte au genre fantastique,
dont la trame narrative est rythmée par des éléments
irrationnels, ou irréalistes.
De fait, ce corpus démontre que les fictions
appartenant au genre fantastique permettent d`utiliser une large palette
d`éléments scriptovisuels. En effet, les identités
visuelles de ce genre « irrationnel » revisitent des typographies
comme Helvetica qui fait pourtant partie intégrante de notre
environnement et de la réalité telle qu`on la connaît.
D`autre part, le genre fantastique autorise une forme d`excentricité aux
graphistes. Le genre fantastique est certainement le plus approprié pour
faire émerger de nouvelles formes typographiques.
Dans une troisième et dernière partie, nous
parlerons d`un univers plus rationnel, celui du genre policier.
74
3. L`ESTHÉTIQUE TEXTUELLE
DANS LE GENRE
CINÉMATOGRAPHIQUE
POLICIER
75
L?esthétique textuelle dans le genre
cinématographique policier
3.1. DEFINITION ET DELIMITATION DU GENRE
CINEMATOGRAPHIQUE POLICIER
Le genre policier tient son origine du roman du même
nom, il est reconnu également sous l`appellation « polar » en
argot. Ce genre littéraire base sa trame narrative sur
l`élucidation d`un crime. En règle générale, il
s`agit d`une enquête policière ou bien d`une enquête
réalisée par un détective privé. « Le roman
policier est le récit rationnel d`une enquête menée sur un
problème dont le ressort principal est un crime »67. Ce
genre narratif se concentre sur un crime au sens juridique du terme. Celui-ci
est structuré en fonction de six invariants que sont le crime, le
mobile, le coupable, la victime, le mode opératoire et
l`enquête.
À travers la typologie du genre policier, on recense
plusieurs catégories de romans policiers dont les
caractéristiques diffèrent en fonction de leurs manières
d`aborder l`enquête. Dans son ouvrage poétique de la prose,
Tzvetan Todorov met en évidence trois genres à
l'intérieur du roman policier ; le roman à énigme, le
roman noir et le roman à suspense68.
En effet, le roman à énigme
implique deux versions de l`histoire, l`une racontant le crime et ce
qui y a conduit et l`autre illustrant la reconstitution et le cheminement de
l`enquête. Ce ne sont pas deux histoires différentes, mais deux
aspects, deux points de vue d'une même histoire. « L'histoire du
crime raconte « ce qui s'est effectivement passé », alors que
l'histoire de l'enquête explique « comment le lecteur (ou le
narrateur) en a pris connaissance »69. L'histoire de
l'enquête sert de médiateur entre le lecteur et l'histoire du
crime. Le détective examine indice après indice, piste
après piste.
Ce sous-genre met l`enquête au premier plan, la
focalisation narrative se fait sur les procédures professionnelles de
cette enquête, et moins sur sa finalité ; le mobile se pose en
arrière-plan pour faire la lumière sur le mode opératoire
et le crime en lui-même, l`intrigue s`articule davantage sur la question
du « comment » que du « qui ».
Pour ce qui est du roman noir, celui-ci ne
montre pas le crime d`un point de vue antérieur. En effet, le
récit coïncide désormais avec l'action. « Le roman noir
moderne s'est constitué non autour d'un procédé de
représentation, mais autour du milieu représenté, autour
de personnages et de moeurs particuliers; autrement dit, sa
caractéristique constitutive est thématique »70.
Ici, le mystère possède une fonction secondaire,
subordonnée et non plus centrale, comme dans le roman à
énigme.
67 J. SADOUL, Anthologie de la littérature
policière, Paris, Ramsay, 1980, p. 10.
68 T. TODOROV, « Typologie du roman policier »,
Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1980, p. 9-19.
69 Idem p. 9.
70 Idem p. 13.
76
L?esthétique textuelle dans le genre
cinématographique policier
Le roman noir se concentre sur le coupable, la victime ou
l`enquêteur et met en premier plan la société. La narration
est principalement orientée sur des personnages insérés
dans une société réduite à ses aspects
négatifs.
En revanche, la structure de ce roman est
bien souvent marquée par l`élément « victime »
qui peut se voir multiplié tandis que l`élément «
mode opératoire » sera ritualisé. Tous les
éléments sont surdéterminés par une approche
psychologique.
Quant au roman à suspense, il combine
les propriétés des deux autres genres. « Du roman à
énigme, il garde le mystère et les deux histoires, celle du
passé et celle du présent ; mais il refuse de réduire la
seconde à une simple détection de la vérité
»71.
Tout comme dans le roman noir, le présent prend la
place centrale. Le mystère est un point de départ, mais
l'intérêt principal vient de la seconde histoire, celle du
présent. Il y a la curiosité de savoir comment s'explique les
évènements passés, mais il y aussi le suspense de voir ce
qui va arriver aux personnages principaux.
Le roman à suspense se divise en deux
sous-catégories. La première, « l'histoire du
détective vulnérable » où le détective
s`intègre à l'univers des autres personnages au lieu d'être
réduit à un observateur indépendant et la seconde ; «
l'histoire du suspect-détective » où le personnage principal
doit s`efforcer de prouver son innocence en enquêtant lui-même.
3.2. ANALYSE DE CORPUS FILMIQUE POLICIER
Les sous-catégories du genre policier
évoquées sont répertoriées à partir de trois
transformations du schéma narratif. Tout d`abord, la
modification de l'élément initial. En effet, si
l`intrigue démarre par la représentation du crime, du coupable ou
de la société le sous-genre ne sera pas la même. Autre
transformation possible ; la hiérarchie des
informations. Lorsque l`on décide de mettre au premier plan
telle ou telle étape du processus policier, le sous-genre mettra en
avant le ou les protagonistes en rapport avec l`étape en question.
Enfin, la multiplication des éléments est
également déterminante. En multipliant les victimes, par exemple,
on aboutit aux romans mettant en scène un serial killer. En multipliant
les coupables, on obtient un crime collectif et une brigade
spécialisée comme un groupe de profileurs. Nous allons tenter de
constituer un corpus à même de représenter chacune de ces
sous-catégories du genre policier afin d`analyser leurs identités
visuelles.
71 T. TODOROV, « Typologie du roman policier »,
Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1980, p. 17.
77
3.2.1. LE GENRE POLICIER À
ÉNIGME ILLUSTRÉ PAR LA
FICTION SÉRIELLE THE
MENTALIST
78
79
Le genre policier à énigme illustré
par la fiction sérielle The Mentalist
The mentalist est une série
télévisée américaine créée par Bruno
Heller, diffusée depuis 2008. Cette fiction raconte les enquêtes
de l'unité des crimes majeurs du California Bureau of Investigation
(CBI), dirigée par Teresa Lisbon. Celle-ci travaille en étroite
collaboration avec Patrick Jane, consultant doté de facultés de
mentalisme. Il possède un savoir-faire aguerri en matière de
psychologie. Hypnose, prestidigitation ou encore manipulation, l`ensemble de
ses talents font de lui un mentaliste dont le sens de déduction est
très efficace et très utile aux enquêtes du CBI. Cependant,
celui-ci a d`abord exercé ses talents en tant que voyant, une
expérience qui lui a également permis d'acquérir des
connaissances pointues en matière d'analyse psychologique. À
cette occasion, il s`est attiré les foudres d`un tueur en série
en l`humiliant sur un plateau de télévision. Ce tueur se fait
appeler « John le Rouge », un surnom qui fait écho à sa
signature qui n`est autre qu`un smiley sur un mur peint du sang de ses
victimes. L`intrigue démarre à ce point précis, lorsque le
tueur en série décide de donner une leçon à Patrick
Jane en décimant sa famille.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, la typographie de la série
télévisée présente des caractères
géométriques et linéaires, sans empattements semblables
à la police Helvetica Neue Medium. Helvetica, une police qui porte des
valeurs de modernisme et d`efficacité en termes de lisibilité.
Comme évoqué précédemment, l`Helvetica fut
créée dans la finalité d`obtenir un caractère en
adéquation avec l`époque de sa création. 1957 est une
époque moderne, dont les pratiques et les modes de vie sont en pleine
progression.
Par ailleurs, un élément iconique de forme
rectangulaire encadre le nom « mentalist » et met ainsi de
côté l`article défini « the ». En matière
de choix chromatique, la couleur utilisée met d`autant plus en avant le
mentaliste. En effet, le rouge vient servir la thématique fictionnelle
par divers moyens ; le rouge, une couleur riche en connotation selon Michel
Pastoureau72. Cette couleur établit donc des
interprétations plurielles, elle permet de faire ressortir le texte et
de le mettre en avant en l`avançant au premier plan ce qui optimise la
visibilité. Une visibilité doublée d`une lisibilité
établie par le choix de la police. D`autre part, le rouge fait
référence à la trame narrative qui gravite autour de la
traque du tueur en série John le rouge.
72 M. PASTOUREAU, Dictionnaire des couleurs de notre
temps, Bonneton, Paris, 1999, p. 189-193.
80
Le genre policier à énigme illustré
par la fiction sérielle The Mentalist
Plan du contenu
Sur le plan du contenu, l`utilisation de la police Helvetica
concède une sorte de valorisation au message. En effet,
l`identité visuelle de la série télévisée
reflète une forme d`avancée et de modernisme dans l`illusion
référentielle73. Le mentalisme est un terme nouveau
à l`époque de la diffusion de la série, une
capacité inconnue et impressionnante qui est mise en lumière par
la fiction.
La forme rectangulaire tend à promouvoir la
capacité de mentalisme de Patrick Jane. Cette mise en forme
d`encadrement du terme « mentalist » est semblable à un
tampon, « approuvé », ici, on vient confirmer les
qualités professionnelles de Patrick Jane, et par conséquent
l`efficacité de la fiction. En effet, la symbolique de la forme
rectangulaire s`apparente à la construction humaine et évoque une
réflexion cartésienne. Cette mention encadrée
possède une fonction référentielle qui d`après
Jakobson, permet de centrer le message sur le contexte « ce qu'on appelle
aussi, dans une terminologie quelque peu ambiguë, le
référent »74. La fonction
référentielle, contrairement à toutes les autres, «
ne fait pas l'objet d'une présentation détaillée et semble
aller de soi »75.
Niveau fonctionnel
La stratégie illustrée par cette typographie est
de mettre en avant le détective et ses capacités propres. En
effet, The mentalist tient du registre de la fiction à
enquête, du récit à énigme. Cette typologie du genre
policier implique deux versions de l`histoire, l`une racontant le crime et ce
qui y a conduit et l`autre illustrant la reconstitution et le cheminement de
l`enquête ; comme dans d`autres séries policières telles
que Elementary76 ou encore Lie to me77
qui centre la narration sur les capacités et le caractère du
détective. La typographie de The mentalist relève de
l`enjeu pragmatique puisque l`on souhaite tout d`abord justifier, voire
même approuver les qualités professionnelles du protagoniste
Patrick Jane. Affirmer l`efficacité de celui-ci revient à
affirmer la réussite de l`intrigue et par conséquent de la
fiction. D`autre part, nous pouvons déceler un enjeu pratique rempli par
la police utilisée qui permet une visibilité optimale grâce
à des formes de caractères mises au service du texte.
73 J. COURTES, Analyse sémiotique du discours de
l'énoncé à l'énonciation, Paris, Hachette,
1991, p. 40-43.
74 R. JAKOBSON, Le modèle des fonctions du langage de
Jakobson, Paris, Éditions de Minuit, 1963, p. 213.
75 Ibidem p 214.
76 Série télévisée qui revisite
l`histoire du grand détective Sherlock Holmes.
77 Série télévisée qui vante les
capacités d`un certain Cal Lightman, psychologue expert en
détection de mensonges par l'analyse de « micro-expressions
».
81
3.2.2. LE GENRE POLICIER À
ÉNIGME ILLUSTRÉ PAR LA
FICTION SÉRIELLE BONES
82
83
Le genre policier à énigme illustré
par la fiction sérielle Bones
Celle qui ne tarde pas à être surnommée
bones (ossements) se nomme en réalité Tempérance Brennan.
Cette spécialiste en anthropologie est capable de déceler une
infinité de détails dans un squelette. Ainsi, les détails
les plus intimes d`un cadavre n`ont aucun secret pour elle : sexe, origine
ethnique, régime alimentaire ou encore activité sportive. Une
capacité d`observation hors du commun qui va être
sollicitée à maintes reprises par le FBI, dès qu'un
cadavre fortement décomposé et donc difficilement identifiable
est retrouvé. La scientifique redonne alors vie au corps tout en
découvrant la cause de sa mort. Autour d`elle, une équipe de
scientifiques composée de chimistes, d`entomologistes et d`experts en
reconstitution.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, la typographie de Bones
est composée de traits géométriques plutôt
rectilignes. La police arbore des caractères dont les jointures ne sont
pas reliées entre elles. D`autre part, les pleins et les
déliés sont peu contrastés du fait du caractère
linéal de la police utilisée. L`identité visuelle est
soulignée d`un trait afin d`appuyer sur l`importance du titre. Par
ailleurs, il y a un jeu graphique sur le « O » qui est iconisé
en forme octogonale. En termes de coloris, les éléments
scripturaires sont blancs tandis que l`élément iconique est
ocre.
Plan du contenu
Sur le plan de contenu, la typographie est fortement
connotée dans l`esprit de la thématique fictionnelle. En effet,
les caractères linéaires qui ne présentent aucune jointure
accentuent cette allégorie aux ossements, « bones » en
anglais. D`autre part, l`identité visuelle est soulignée comme
pour souligner une évidence ou, pour aller plus loin, des preuves
accablantes. En effet, l'apport des sciences et des technologies est venu
accréditer l'idée d'une justice qui reposerait sur des preuves
irréfutables et ne pourrait donc commettre d`erreur en condamnant un
innocent. « Alors que sous la monarchie, la justice était rendue
suivant l'arbitraire royal, avec l'avènement de la république,
cette même justice exige une pratique impartiale et aveugle
légitimée par le soutien des sciences, discipline
présentée comme objective puisque se fondant sur d`autres
sciences »78.
Le jeu typographique sur le « o » vient corroborer
cette idée d`une approche scientifique liée à la
génétique. La symbolique de cette forme géométrique
symbolise « la pluralité et la complexité... Ces formes
peuvent aussi être utilisées pour les métiers scientifiques
en rapport avec la chimie, les mathématiques ou encore la physique. Ce
type de forme permet de mettre en avant des « atouts
78 P. SERISIER, M. BOUTET, J. BASSAGET,
Sériescopie, Ellipses, Paris, 2011, p. 380.
84
Le genre policier à énigme illustré
par la fiction sérielle Bones
techniques ou technologiques »79. Les choix
chromatiques sont également révélateurs de la trame
narrative. L=omniprésence de blanc vient appuyer l`idée d`une
science exacte et d`une forme de neutralité et d`impartialité de
la part du cadavre, mais aussi de l`anthropologue. « Le blanc est aussi
associé à la matière indécise (spectre,
fantôme), à la vieillesse, à la mort (linceul), mais aussi
à l`innocence (blanc comme neige, montrer patte blanche), le berceau
»80. Par ailleurs, la forme octogonale connote
déjà l`idée d`une preuve irréfutable
démontrée par une référence
génétique. Cette forme arbore une couleur ocre, qui dans les
cultures traditionnelles, se rattache à la « Terre Mère
». Elle est utilisée lors de rituels liés à la mort
(retour du corps à la terre) ou à la chasse. En Afrique, les
couleurs rouge et ocre sont les couleurs de l`initiation. Chez les
Amérindiens, l`ocre est la couleur de l`origine de l`Homme.
Niveau fonctionnel
« Dans la plupart des séries policières des
années 2000, les connaissances scientifiques sont appliquées pour
démasquer les meurtriers. Cette tendance à l'intervention des
spécialistes dans le travail d'investigation est allée croissante
au fil du temps jusqu'à occuper une place prépondérante
»81. La série Bones base son intrigue sur le mode
opératoire. Celui-ci met le mobile en arrière-plan pour faire la
lumière sur le crime en lui-même. La forme typographique rejoint
cette idée de mettre en avant l`enquête comme à travers le
roman procédurier ; l`enquête est au premier plan, la focalisation
narrative se fait sur les procédures professionnelles de cette
enquête, et moins sur sa finalité. C`est une dynamique courante
dans les séries policières à caractère scientifique
comme Les experts82 ou encore Body of
proof83.
La stratégie de cette identité visuelle est
d`installer le spectateur dans l`expectative. Dans cette typologie de fiction
sérielle, l`innovation narrative s'est accompagnée d'une mise
à nu du corps de la victime présenté dans les plus infimes
détails, parfois même invisible à l'oeil nu. La typographie
illustre alors les ossements, la génétique. Le spectateur est
plongé dans l'immense complexité du corps qui fascine toujours
plus. L`enjeu de la typographie est de retranscrire cette volonté de
mise à nu du corps humain, nous avons une double prise de position,
esthétique d`une part et pragmatique
d`autre part.
79 R.ANDRIAMANANTENASOA, La symbolique des formes,
couleurs et polices en vue de la création d?un logo, 16.02.2015,
disponible sur
http://www.newave.be/blog/2015/02/la-symbolique-des-formes-couleurs-et-polices-en-vu-de-la-creation-dun-logo/
[consulté le 15.05.2016].
80 I. COUSSERAND, Le petit livre des couleurs,
Communication et organisation, 21.06.2012, disponible sur
http://communicationorganisation.revues.org/3500
[consulté le 16.05.2016].
81 P. SERISIER, M. BOUTET, J. BASSAGET,
Sériescopie, Paris, Ellipses, 2011, p. 380.
82 Les Experts est une série
télévisée américaine illustrant les enquêtes
d`une équipe de criminalistique créée en 2000.
83 Body of proof est une série
télévisée américaine racontant les enquêtes
d`une femme médecin légiste diffusée depuis 2011.
85
3.2.3. LE GENRE POLICIER DU
POLAR ILLUSTRÉ PAR LA
FICTION SÉRIELLE
CRIMINAL MINDS
86
87
Le genre policier du polar illustré par la fiction
sérielle Criminal minds
Depuis 2005, la série télévisée
Criminal minds raconte comment une équipe de profiler du FBI
démasque les innombrables serials killer qui semblent peupler les
États-Unis. À l`aide non pas des sciences « dures »,
mais des sciences humaines ; psychologie, sociologie, victimologie,
géographie, anthropologie, etc. Cet aspect « littéraire
» de la série est accentué par une citation d`auteur
(scientifique, homme politique, écrivain, philosophe) qui ouvre et
ferme, chaque épisode et commente ce qui s'est déroulé.
Criminal minds illustre une équipe d'élite de profileurs
du FBI qui analysent les esprits criminels les plus tordus du pays, anticipant
leurs prochains mouvements avant qu'ils ne frappent à nouveau.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, la typographie utilisée
appartient à la famille des linéales ; celles-ci possèdent
une apparente neutralité. Elles permettent de faire prévaloir le
contenu textuel sur sa forme. Aucun empattement n`est présent et les
pleins et les déliés sont peu contrastés pour une
lisibilité optimale. Les caractères de cette police bold sont
uniquement en capitales, cela permet de transmettre des valeurs de
sérieux et d`importance, pour optimiser l`impact du message à
transmettre. Il y a des différences de taille de police, le nom de la
série prédomine sur les autres éléments textuels.
De plus, un élément iconique vient mettre un point au titre, une
forme rectangulaire de couleur rouge. En matière de choix chromatique,
on observe une alternance de rouge et de blanc, le rouge faisant ressortir les
caractères, toujours dans une dynamique de mise en avant.
Plan du contenu
La police bold en capitales et linéale met l`accent sur
l`aspect procédurier de la fiction. Une forme de sérieux en lien
avec la justice transparaît notamment à travers la mise en forme
de l`identité visuelle de Criminal Minds. Celle-ci rappelle le
format habituellement utilisé pour les cartes de visite. En effet, on
présente la série comme une entreprise qui vend un service en
étroite collaboration avec de véritables professionnels. Il
apparaît alors plusieurs informations complémentaires comme la
localisation « quantico » l`appellation du service « FBI »
et leurs profils professionnels « unité d`analyse du comportement
humain ». Par ailleurs, c'est en cela que se distingue la série,
Criminal Minds est un travail d'équipe, les enquêteurs
fonctionnent de manière coordonnée et synchronisée comme
s`ils étaient les organes d'un même corps. Chaque membre de cette
unité d'élite possède sa propre personnalité, son
histoire, mais aussi sa spécialité. Ils sont dépendants
les uns des autres et leurs résultats dépendent aussi de cette
complémentarité.
Les policiers aiment s`identifier à travers un logotype
qui symbolise leur service, comme l`esquisse d`une philosophie en toile de fond
de chaque affaire criminelle réussie. La forme iconique vient corroborer
cette idée. En effet, la symbolique du rectangle qui possède des
caractéristiques similaires au carré évoque la
construction humaine. « Cette forme véhicule la notion
d`entreprise, de
88
Le genre policier du polar illustré par la fiction
sérielle Criminal minds
fabrication humaine et le sérieux. Le carré a
tendance à refléter des idées/actions structurées,
organisées »84.
D`autre part, le choix d`une police en partie rouge vient
rejoindre la thématique abordée par la série, soit les
meurtres, les victimes, mais aussi l`enquête et la justice rendue
à travers la symbolique du blanc. « Avec le noir et le rouge, il
compose même la base du système antique des couleurs. Il s'oppose
peu à peu au rouge qui symbolise la guerre alors qu'un drapeau blanc
agité signifie une demande de paix lors de la guerre de Cent Ans... Le
blanc possède un symbolisme solidement ancré dans le temps et
quasi universel avec l'innocence, la lumière divine ou la
pureté... le blanc représente le cycle de la vie
»85.
Niveau fonctionnel
À travers cette typographie, on met en avant la
dimension intellectuelle de la fiction. En effet, « les années 2000
ont été pour les séries procédurales celles du
triomphe de la science. Après des décennies pendant lesquelles le
flair, l'intelligence, la force de la déduction ou la force physique ont
servi à la résolution d`énigmes et à l'arrestation
de meurtrier, les flics sont passés au second plan pour laisser la place
aux experts en scène de crime, au légiste et aux scientifiques en
général »86. L`identité visuelle est en
corrélation avec l`évolution du genre policier, un enjeu
pragmatique est mis en cause. En effet, la série souhaite
démontrer les caractéristiques scientifiques de son équipe
de profileurs, mais aussi démontrer son efficacité.
La stratégie ici engagée est d`illustrer un
aspect sombre de l`humanité et un contexte social en crise comme dans le
roman noir. La fiction sérielle gravite autour du mobile, on se
concentre sur le coupable, la victime et les profileurs. « Le polar voit
le mal dans l`organisation sociale transitoire. Un polar cause d`un monde
déséquilibré, donc labile, appelé à tomber
et à passer. Le polar est la littérature de la crise
»87. La narration est principalement orientée sur des
personnages insérés dans une société réduite
à ses aspects négatifs. En revanche, l`enquête, le mode
opératoire et le crime servent d`éléments de décor.
Quant au mobile, il est surdéterminé par sa relation à la
société. De même, la typologie des comportements a
été détaillée avec force de précisions pour
établir le portrait psychologique et social de tueur en série
dans Criminal Minds. Ce qui est important est moins leur
culpabilité que l'ensemble de comportements constitutifs de leur
pathologie.
84 R. ANDRIAMANANTENASOA, La symbolique des formes, couleurs
et polices en vue de la création d?un logo, 16.02.2015, disponible
sur
http://www.newave.be/blog/2015/02/la-symbolique-des-formes-couleurs-et-polices-en-vu-de-la-creation-dun-logo/
[consulté le 17.05.2016].
85 I. COUSSERAND, Le petit livre des couleurs,
Communication et organisation, 21.06.2012, disponible sur
http://communicationorganisation.revues.org/3500
[consulté le 16.05.2016].
86 P. SERISIER, M. BOUTET, J. BASSAGET,
Sériescopie, Paris, Ellipses, 2011, p. 380.
87 J-P. MANCHETTE, Interview dans « Charlie mensuel
n°126 de juillet 1979.
89
3.2.4. LE GENRE POLICIER DU
POLAR ILLUSTRÉ PAR LA
FICTION SÉRIELLE DEXTER
90
91
Le genre policier du polar illustré par la fiction
sérielle Dexter
Dexter Morgan, le personnage principal de la série
télévisée Dexter, est un personnage aussi complexe que
contradictoire. Expert en médico-légal spécialisé
dans l'analyse de traces de sang dans la police le jour, tueur en série
la nuit. La série est inspirée du livre Ce cher Dexter
de l'écrivain Jeff Lindsay devenu un best-seller en la
matière. Dexter Morgan n'est pas exactement un citoyen américain
comme les autres. Il porte, en effet, un lourd secret. Traumatisé dans
sa plus tendre enfance par le meurtre de sa mère, il a été
ensuite recueilli par un officier de police de Miami. Il se dit incapable de
ressentir la moindre émotion. Incapable, si ce n'est lorsqu'il satisfait
les pulsions meurtrières que son père adoptif lui a appris
à canaliser. De ce fait, Dexter ne tue que les autres tueurs qui sont
parvenus à échapper au système judiciaire. Dexter
opère toujours avec le même mode opératoire. Il commence
par choisir sa victime, il la suit et s'assure qu'elle est bien coupable d'un
ou de plusieurs meurtres non punis. Il l'attire ensuite dans un lieu
isolé préalablement recouvert de film plastique du sol au plafond
et décoré de photos de ses victimes ou des victimes
elles-mêmes. Bien que sa soif de tuer lui pèse, il parvient
à mener une existence relativement normale et à sauver les
apparences auprès de ses collègues, amis et petite amie.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, la typographie de la série
utilise la police Soda script bold. Le titre de la fiction est en capitales et
présente des pleins et des déliés légèrement
contrastés du fait de sa forme fantaisie.
La typographie est mêlée à des formes
iconiques, ressemblant à des tâches qui envahissent le code
scripturaire. En matière de coloris, la thématique
policière est encore une fois partisane du rouge.
Plan du contenu
Le choix chromatique est révélateur, il va de
pair avec les formes iconiques ; soit les taches de sang puisque le
protagoniste tueur en série a une double vie et sa couverture de
personne lambda est un expert en tache de sang travaillant à la
criminelle de Miami. En effet, Dexter Morgan, est spécialiste en traces
de sang à la police de Miami le jour, tueur en série la nuit. Une
routine journalière sanglante qui va dès lors prendre une couleur
métaphorique, celle du crime, de la mort, de la torture, de la chair et
du sang ; le rouge.
D`autre part, dans l`identité visuelle, il
apparaît progressivement des taches de sang. Il y a une gradation de
violence. On peut alors déceler une forme de dualité chez Dexter,
un garçon sans histoire pour son entourage, un monstre sanguinaire pour
ses victimes. Ces taches de sang
92
Le genre policier du polar illustré par la fiction
sérielle Dexter
permettent entre autres d`attester de l`humanité du
sociopathe, car il peut saigner. Tin individu aussi méticuleux que
Dexter ne permettrait pas d`afficher des taches de sang négligemment
réparti. Mais cette maladresse prend alors un sens si on l`a
perçoit comme la preuve de la faillibilité de Dexter, de son
humanité.
En outre, le caractère « T » se retrouve
iconisé et évoque un indice sur le mode opératoire du
criminel. En effet, celui-ci a pour arme de prédilection un couteau
qu`il plonge dans le coeur de ses victimes.
Niveau fonctionnel
Pour cette série, la typographie sanglante permet une
réflexion pragmatique, la thématique est claire Dexter est un
meurtrier.
Cette fiction peint le portrait d`un anti héros, un
tueur en série dont les victimes vont se multiplier tandis que son
« mode opératoire » va être ritualisé. Tous les
éléments sont surdéterminés par une approche
psychologique. Il y a périodiquement focalisation sur l`assassin en
train d`accomplir ses forfaits. Dexter appartient à une typologie
fictionnelle policière de psychopathe comme pour les séries
télévisées Hannibal ou encore Bates motel.
La typographie présente alors un enjeu pragmatique en faisant
transparaître le caractère du personnage principal.
93
3.2.5. LE GENRE POLICIER DU
SUSPENSE ILLUSTRÉ PAR
LA FICTION SÉRIELLE HOW
TO GET AWAY WITH
MURDER
94
95
Le genre policier du suspense illustré par la
fiction sérielle how to get away with Murder
How to get away with Murder aussi appelée plus
simplement Murder est une série qui retrace l`histoire d`un
professeur et avocate de droit pénal. Annalise Keating, avocate de la
défense, représente les criminels, des plus violents
jusqu`à ceux suspectés de simple fraude. Son objectif est de
faire presque tout ce qui lui est possible pour gagner leur liberté. De
plus, chaque année, Annalise sélectionne un groupe
d`élèves, qui se révèlent être les plus
intelligents et les plus prometteurs, à venir travailler dans son
cabinet en tant que stagiaires. Car apprendre auprès d`Annalise est
l`occasion d`une vie. Seulement ses stagiaires vont être impliqués
dans un assassinat, Annalise Keating va tout mettre en oeuvre pour leur
éviter d`être inculpés pour meurtre. Ainsi, l`intrigue
montre tous les stratagèmes qui garantissent d`éviter une
condamnation pour meurtre.
Plan de l'expression
Sur le plan de l`expression, on remarque que cette
identité visuelle est composée de deux typographies distinctes.
Cette identité visuelle est délimitée en deux parties par
une différence de style typographique, mais, aussi de choix
chromatique.
La première partie « how to get away » en
blanc, semble similaire à la police Old style Century Hotel
créée par Linn Boyd Benton et Morris Fuller. Cette police
à empattements permet une optimisation de la lisibilité, elle est
caractérisée par des empattements triangulaires, des pleins et
déliés contrastés appartenant à la famille des
réales.
La seconde partie de l`identité visuelle en rouge, pour
« Murder » rappelle la police saissant. Tin style fantaisie
plutôt scriptural qui évoque une écriture rapide et
agitée, voire nerveuse, du fait de ses capitales bold et de ses
minuscules cinétiques. Saissant arbore une forme typographique moderne.
Cette police comprend des ligatures pour donner l`impression d`une liaison
entre les caractères afin de renforcer l`idée d`une pratique
scripturale et authentique.
96
Le genre policier du suspense illustré par la
fiction sérielle how to get away with Murder
Plan du contenu
Sur le plan du contenu, la première partie de
l`identité visuelle « how to get away » possède un
aspect dactylographié. Tin style typographique propre à ceux
utilisés dans les romans. Ceci démontre que la fiction va
raconter une histoire digne d`un roman policier, l`histoire d`un crime. Au fil
des épisodes, le suspense avance tandis que l`étau se resserre
autour du meurtrier.
La couleur blanche utilisée pour cette police
évoque la mort liée à l`intrigue de la série, qui
consiste à échapper à une condamnation pour meurtre. La
typographie à empattements rejoint cette idée en usant de
caractères utilisés par la presse, l`identité visuelle
amorce une mise en garde ; celle de figurer fait dans la rubrique faits
divers.
La seconde partie du titre de cette série
télévisée interpelle par son aspect calligraphique
à l` opposé de la police précédemment
utilisée.
Pour « Murder », la couleur rouge est en
corrélation avec le sujet, soit le meurtre et le sang. La typographie
composée d`un style scripturaire évoque une forme de signature et
fait référence au commendataire, mais, surtout au crime en
lui-même. On donne ainsi un nom à la situation afin
d`éviter toute ambiguïté ; c`est un meurtre.
Niveau fonctionnel
La stratégie de ce double choix typographique est de
mettre l`accent sur la préoccupation principale, voire obsessionnelle,
de cette fiction sérielle qui est de couper le fil qui relie le crime au
meurtrier. Cette rupture entre meurtre et meurtrier est illustrée
à travers ce dégroupement typographique.
L`enjeu typographique est d`ordre esthétique, il tend
à provoquer un choc visuel de par la différence des typographies
et des choix chromatiques totalement éloignés. La typographie
illustre parfaitement l`intrigue de la série, soit le crime ou comment
commettre le crime parfait.
97
3.3. VERS UN SYSTÈME
TYPOGRAPHIQUE PROPRE
AUX SÉRIES TÉLÉVISÉES
POLICIÈRES
98
Vers un système typographique propre aux
séries télévisées policières
De nombreuses fictions sérielles souhaitent faire des
promesses en matière de scenarii à travers leur identité
visuelle, des promesses qui restent difficiles à dépeindre
explicitement.
Il est cependant possible d`y faire référence en
recourant adroitement à des perceptions collectives relatives aux
couleurs, formes, textures, motifs ou tout autre dispositif perçu comme
universel ou propre à une certaine culture. Pour obtenir une
représentation iconique efficace d`un concept de fiction abstrait, le
concepteur doit être compétent en symbolisme, en iconographie et
en conventions culturelles.
À travers ce corpus d`identité visuelle du genre
policier, nous avons pu remarquer que certains codes et usages comportent des
similitudes.
En effet, à plusieurs reprises, les typographies sont
couplées à des éléments iconiques de formes
géométriques pour évoquer l`ordre, la rigueur et le
contexte policier. La symbolique de cette typologie de forme
géométrique fait transparaître des actions
structurées et bien souvent un travail en équipe, un format
représenté dans les fictions policières.
D`autre part, il y a une omniprésence de
caractères linéaires pour appuyer un aspect érudit et
moderne afin de mettre en avant les capacités des enquêteurs, ceci
dans l`objectif de se rapprocher de la conception de la réalité
et de s`éloigner de la « fiction ».
Sous catégories du genre policier
|
Séries télévisées
|
Choix chromatique : rouge
|
Polices graisses
|
Présence d`éléments iconiques géométriques
|
Typographies linéales
|
Typographies scripturales
|
Énigme
|
Mentalist
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
Énigme
|
Bones
|
|
|
X
|
X
|
|
Noir
|
Esprits criminels
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
Noir
|
Dexter
|
X
|
X
|
|
X
|
|
Suspense
|
Murder
|
X
|
X
|
|
|
X
|
99
Vers un système typographique propre aux
séries télévisées policières
Par ailleurs, les typographies du corpus policier usent de
capitales monumentales et de polices bold. Des choix qui permettent
d`évoquer un message impactant, mais aussi d'illustrer un besoin
d`estime assouvi de la part des enquêteurs qui représentent
quelque chose de supérieur ; les forces de l`ordre.
En termes de choix chromatiques, le rouge prédomine,
sans doute pour évoquer le fil conducteur qui relie les enquêteurs
à l`enquête soit le crime. La couleur rouge, fais gage d`impact
visuel, car elle fait ressortir les caractères et attire ainsi
l`attention. Celle-ci possède une fonction référentielle
au contexte, au référent.
Pour conclure, notre analyse du corpus policier prouve que de
la trame narrative va être déterminante dans la forme
typographique adoptée par l`identité visuelle. En effet, le genre
fantastique privilégiait l`excentricité, le genre policier est
davantage réaliste et pragmatique tant dans sa trame narrative que dans
ses choix typographiques. Nous l`avons vu, des polices linéales, des
graisses et des formes géométriques ; les typographies
évoquent la rigueur assimilée au contexte policier.
En définitive, les analyses sémiotiques de la forme
textuelle des titres de fictions sérielles évoquées
démontrent le pouvoir typographique et sa capacité à
enrichir la signification.
100
4. CONCLUSION
101
Si à l`origine la typographie était
exclusivement réservée à servir la mise en page, c`est un
art qui est couplé à l`art cinématographique/sériel
pour optimiser son pouvoir et son impact interprétatif. Dans un
environnement hautement concurrentiel où l`art du spectacle est
prépondérant, la typographie tend à hisser la série
télévisée au rang de marque. En effet, la perception du
public dépend de l`image de marque et celle-ci doit être porteuse
d`un message et de valeurs et adopter un positionnement. En véritable
produit marketing la série télévisée doit servir
une copy stratégie complète, la promesse à ses
téléspectateurs, la preuve, le bénéfice et le ton.
Cette évolution marketing intégrée à l`industrie
cinématographique a mis du temps pour concevoir la forme textuelle comme
un vecteur de valeurs et de connotations. Selon John Halas, un
réalisateur hongrois, celle-ci aurait mis 50 ans pour « admettre
l`utilité des arts graphiques dans la production de films... Auparavant,
la cohérence visuelle des supports liés à la promotion du
film n`était pas primordiale pour les productions... L`intervention de
la publicité dans la création même de la forme filmique
deviendra pourtant inéluctable, c`est une idée nouvelle,
imposée par la prolifération du marché
»88.
La cohérence graphique est un usage important dans les
séries télévisées, car c`est une production
récurrente tout comme les acteurs que l`on peut associer
typographiquement à la série dans le générique ce
qui renforce l`identification. La typographie de série devient alors un
moyen de différenciation cohérent, pour sa récurrence
à chaque début d`épisode. Ces logos sont gage de «
qualité d`une expérience cinématographique qui se destine
à être renouvelée. « S'ils adaptent leurs formes pour
se fondre dans la diégèse de la série, c`est pour mieux
faire partie du spectacle et en acquérir l`aura... aborder le texte au
cinéma, c`est le replacer dans un contexte : une expérience
temporelle cadrée et composée de multiples signaux en
interaction. Le dessein des caractères a la capacité d`influencer
radicalement la perception du texte, mais aussi des images et des sons.
Dépassant les limites de l`écran, la typographie participe tant
à la forme qu`au fond du message filmique. Elle offre aux
réalisateurs et designers un champ de possibilités fascinant
»89.
C`est un fait, nous sommes dans un environnement en
perpétuelle mutation rythmé par l`avant-garde et les nouvelles
technologies. Les techniques de communication ayant évolué,
l`industrie filmique se doit de s`armer des mêmes techniques
publicitaires que les marques. Aujourd`hui, les séries
télévisées conservent les mêmes caractères
typographiques sur leur multiplicité de supports pour permettre une
reconnaissance immédiate portée par la cohérence. Cette
cohérence permet au public d`identifier la série
télévisée comme un tout, une unité voir une
communauté ; et cela dans une perspective de mémorisation et de
fidélisation liée à l`assouvissement d`un besoin
d`appartenance.
88 L. ORIENT DUTRIEUX, Typographie et cinéma,
Gap, Atelier Perrousseaux éditeur, 2015, p. 107.
89 Idem p. 113.
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