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Une agriculture urbaine durable à  Kigali.

( Télécharger le fichier original )
par Felicien SEBUHINJA
Universite du Maine - Master 2010
  

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VII.2. Analyse et discussion des résultats

Après inventaire et appréciation de leur valeur agricole, les terres réservées à l'agriculture, seront cartographiées, bornées et inscrites au cadastre qui va délivrer un document d'enregistrement. Les marais et les zones de culture sèche seront aménagés, pourvus de drainage et d'irrigation en fonction des besoins et des potentialités. Les protocoles de production et de distribution seront précisés et ces terres seront données aux groupements coopératifs qui vont les exploiter. Ces groupements bénéficiaires seront formés à leur usage et maintenance ainsi qu'aux bonnes pratiques agricoles et au portail phytosanitaires international. Les déchets organiques de la ville et des ménages seront récupérés et transformés en compost ou en briquettes énergétiques. Des normes d'hygiène et de qualité seront mises au point et contrôlées. Des ?centres d'innovations? seront créés au niveau des secteurs et des districts et le contexte institutionnel de l'agriculture urbaine sera consolidé.

Ainsi se résume les stratégies déployées à Kigali pour favoriser et maintenir l'agriculture urbaine à Kigali telles que stipulées dans le plan stratégique d'appui à l'agriculture urbaine et périurbaine et le master plan. L'analyse des jeux d'acteurs montre une divergence de vues des acteurs de l'agriculture, de l'environnement et de l'urbanisme sur le programme de l'agriculture urbaine et périurbaine. On note aussi une position relativement « calme » des acteurs institutionnels (MINAGRI et ses institutions,...) alors que la politique agricole nationale ne donne aucune importance spécifique à l'agriculture urbaine. La répartition actuelle des acteurs indique que c'est surtout la ville de Kigali, via ses services agricoles et le projet PAPUK financé par la FAO qui sont aujourd'hui actifs. Ils sont entourés de porteurs de projets qui hésitent à s'investir.

Ces résultats suggèrent que malgré les bonnes stratégies dressées, la marge de manoeuvre pour l'agriculture urbaine des grands espaces est vraiment très limitée.

L'accroissement de population va entraîner une forte demande en logements11, et l'urbanisation va progresser. En relation avec la généralisation de l'habitat pavillonnaire, l'accroissement de l'espace moyen consommé par nouvel habitant, s'il n'est pas enrayé par une densification de l'habitat, va accentuer la pression sur les espaces ouverts en périphérie de la ville. En particulier, pour le district de Gasabo dont le master plan prévoit que 70% de sa superficie demeurera rural

11 Il est prévu qu'il faudra construire 1/2 millions de nouveaux logements avec en moyenne 4,58 personnes par ménage (Kigali conceptual master plan, 2007, P.50)

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alors que son potentiel de croissance développable est de 65%, il ne sera pas possible de respecter cet objectif car les enjeux démographiques en ville dépassent largement ceux de l'agriculture.

En outre, la forte urbanisation engendre des risques pour le milieu naturel : pression sur la ressource en eau du territoire, problèmes croissants de l'assainissement des eaux usées et du traitement des déchets, artificialisation des sols. A ce titre, les espaces naturels de la ville de Kigali présentent un caractère remarquable avec de nombreuses zones d'intérêt écologique, qu'il s'agisse des zones humides ou des massifs collinaires environnants, ou encore des vallées alluviales. Cela va porter préjudice à l'agriculture des zones humides (wetland agriculture). En effet, certains aménagements et certaines pratiques ayant porté préjudice à la conservation de ces territoires, il sera difficile d'y maintenir et développer certaines productions agricoles dans un contexte d'urbanisation rapide. Malgré qu'elles puissent abriter certaines cultures comme la canne à sucre ou le riz, la plupart si ce n'est pas toutes seront probablement protégées pour ne servir que comme zone de traitement environnemental (Environmental Traitment Zone) et de réserves naturelles. Pour l'agriculture sèche, située à la périphérie de la ville et dans les zones résidentielles rurales, elle sera confrontée aux contraintes physiques. Les zones avec pentes supérieures à 20% qui couvrent 35% du territoire urbain serviront probablement à la reforestation. Eu égard à la pression démographique, des études supplémentaires quant à leur constructibilté seront probablement menées.

Les porteurs de projets constituent les acteurs clés. Or, leur engagement n'est pas aujourd'hui total, leur organisation n'est pas assurée et leur capacité de financement laisse à désirer. Les groupements coopératifs, attributaires des espaces agricoles connaissent des problèmes réels de gestion. Ces coopératives éprouvent, en outre, des difficultés dans le recrutement de leurs membres comme dans la mobilisation des fonds à investir dans les affaires (Task force pour la promotion des coopératives, 2006, p.29).

Les récentes mutations des agronomes vers les secteurs ruraux constituent un signe précurseur qui montre que le volet agricole doit migrer vers les secteurs ruraux de la ville. L'utilisation des vases sur les balcons et des jardins sur les toits au titre agricole au lieu d'agrément (fleurs) dépendra de l'interprétation du master plan par les élus de la ville.

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Un dernier point qui mérite d'être signalé est la marginalisation de l'agriculture par les citadins de Kigali. L'agriculture était mal notée par tous les citadins abordés dans l'étude d'identification des besoins du master plan. Elle n'était votée que par les gens en provenance des zones périphériques de la ville (Kigali conceptual master plan, 2007).

Une ville, un pays ou un terroir peut-il vivre des seuls importations de l'extérieur12 ? Pourquoi l'agriculture est-elle si marginalisée alors qu'elle est le seul secteur à fournir la nourriture dont l'humanité a besoin pour vivre? L'agriculture ne peut-elle pas susciter le démarrage du développement comme le pensent ces citadins? Autant de questions suscitées par notre recherche ?

A la question sur la capacité de l'agriculture à susciter le démarrage du développement, les économistes néoclassiques comme Hirschmann ou marxistes répondront par la négative. Selon eux, l'agriculture ne peut constituer le point de départ du développement du fait de la faiblesse des `'effets de liaison»13 qu'elle suscite. Dans cette perspective, le `'vrai» développement ne peut être qu'industriel (Henri de France, 2001, p.144). Cette affirmation ne peut pas être généralisée aux pays du Tiers-Monde (encore moins pour le Rwanda). D'abord, parce qu'une implantation volontariste d'unités de production industrielle dans un pays du Tiers-Monde peut y demeurer à l'état de corps étranger, sans exercer les effets de liaison escomptés. Puis, parce qu'à contrario les activités agricoles peuvent générer des effets induits d'industrialisation (idem, p.145). Le même auteur donne l'exemple asiatique où en Asie de l'Est, une augmentation d'un point de pourcentage de la croissance de l'agriculture a en général entraîné une hausse de 1,5 point de pourcentage de la croissance du secteur non agricole.

12 Selon Drechsel et al.(1999, p. 19 cité par SEBUHINJA, 2009), pour une ville de 3 à 4 millions d'habitants, le besoin en aliment avoisine les 3 000 tonnes par jour ou l'équivalent de 1 000 camions par jour chaque camion étant chargé de 3 tonnes. Ceci suppose l'entrée en ville de 2 camions toutes les 3 minutes. Kigali Centre peut-il relever ce défi sans l'agriculture urbaine ?

13 L'effet de liaison traduit la spécificité qu'ont certains investissement à en induire d'autres nouveaux investissements (ou arrivent à le faire plus rapidement que le reste). On peut considérer que deux mécanismes d'induction jouent à l'intérieur du secteur des activités directement productives. Le premier, l'approvisionnement en inputs, la demande dérivée ou les effets de liaison en amont : c'est-à-dire que toute activité économique déterminera les efforts pour produire localement les inputs qui lui sont nécessaires. Le deuxième, l'utilisation des outputs, ou les effets de liaison en aval : c'est-à-dire que toute activité qui, par nature, ne répond pas exclusivement à des demandes finales déterminera des efforts pour utiliser ses outputs comme inputs dans des nouvelles activités (Hirschman, 1958, p. 100 cité par Elies Furio-Blasco, 2002). D'après Hirschman A.O., l'agriculture ne stimule pas directement, par des effets de liaison, la création de nouvelles branches d'activité.

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Ces éléments font ressortir le dynamisme requis à l'agriculture urbaine de Kigali dans une ville alimentée par un flux migratoire soutenu14. Dans une telle situation, comment maintenir durablement cette agriculture urbaine alors que tous les éléments l'en éloignent ? Les enjeux territoriaux peuvent être traduits par les principes du développement durable, consistant ici à associer la croissance économique à la croissance démographique, tout en préservant le potentiel de ressources du territoire. L'agriculture apparaît à ce titre comme une composante majeure, en tant qu'élément du cadre de vie et de la culture locale, génératrice de paysage et activité économique à part entière. Elle constitue à ce titre un actif spécifique remarquable, à condition de faire l'objet d'une véritable activation-requalification en tant que ressource du territoire (Pecqueur, 2003 ; Peyrache-Gadeau, Pecqueur, 2004 cité par JARRIGE, THINON et NOUGAREDES, 2006).

14 Il est projeté que, dans les prochains 25 ans, plus de 1 million d'habitants vont migrer vers les villes du Rwanda (Kigali master plan, 2007). Kigali recevra la plus grosse part de ces migrants.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery