B. Critique
Les arguments en faveur de la loi du pays d'origine sont bien
connus57. On se bornera à rappeler le principal, qui est
qu'elle favorise une dissémination des oeuvres en assurant la
sécurité des ayants droits, lesquels pourront par exemple
identifier plus facilement le titulaire du droit, en sachant que la question
est réglée une fois pour toutes, avant que l'oeuvre franchisse
les frontières.
En réalité, outre que l'existence d'une longue
chaîne de contrats peut compliquer la situation en créant des
incertitudes, la sécurité liée à la
stabilité du rattachement ne serait un avantage que si le pays d'origine
pouvait être facilement identifié58.
Tel n'est pas le cas. S'en remettre à la publication au
sens de l'article 3al.3 de la Convention de Berne (fabrication d'exemplaires en
nombre suffisant pour satisfaire les besoins raisonnables du public) n'est
guère satisfaisant.
Dans le principe déjà, si le rôle capital
dévolu à l'acte de publication du point de vue du conflit de lois
s'explique par l'idée que « la loi du lieu d'origine du droit
d'auteur est identifiée au lieu où l'oeuvre a acquis, pour la
première fois, une dimension sociale, c'est-à-dire au lieu
où elle a rencontré pour la première fois un public
»59, il est difficile de comprendre pourquoi la simple
communication au public serait dépourvue à cet égard de
toute portée60.
Mais surtout la mise en oeuvre de la solution va soulever des
difficultés pratiques pour la diffusion sur les réseaux
numériques. Si l'on s'en tient à la conception
matérialiste de la publication de la Convention de Berne, il semble
logique de considérer que cette diffusion ne vaut pas publication,
puisque la simple mise à disposition ne peut sans abus de langage
constituer une fabrication d'exemplaires61. Or cela revient à
ériger en postulat qu'une oeuvre divulguée pour la
première fois sur le réseau n'est pas publiée, alors
pourtant qu'elle peut être reçue (et d'ailleurs reproduite) par la
planète entière, ce qui, soit dit en passant, est difficile
à comprendre pour le commun des mortels, et qui ne permet pas en toute
hypothèse de trouver un pays d'origine62.
On peut toujours bien sûr imaginer d'élargir la
définition pour y englober la divulgation par l'entremise du
réseau. Encore faudra-t-il localiser cette divulgation ?. Le lieu
57 J.GINSBURG, The private international law of
copyright in an era of technological change, Hague academy of
international law, 1998,p.99.
58 Internet et les Réseaux
Numériques, rapport du conseil d'état, Paris, la
documentation français, 1998, p.149. 59J.-F.CHASSAING,
Internet et le droit pénal, Dalloz 1996, p..329.
60 J.-S. Bergé, op. Cit. p.173.
61 G. KOUMANTOS, op.cit, p.231.
62 Ibidem.
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de l'injection, qui se prête à toutes les
manipulations, n'offre pas une sécurité suffisante. Il est plus
tentant de désigner le lieu d'établissement de l'opérateur
responsable du site63.
Mais l'Internet n'est pas un réseau structuré,
et il y est plus difficile de localiser des opérateurs, qui peuvent
être de très petite taille, que de retrouver le siège
social du producteur de l'oeuvre cinématographique à partir
duquel peut être déterminé, par application de l'article
5.4 de la Convention de Berne, le pays d'origine de l'oeuvre.64
Laisser le juge déterminer le pays d'origine en «
prenant en compte les circonstances de l'affaire »exclut toute
prévisibilité. Reste le domicile ou la résidence de
l'auteur, mais la solution n'est pas facile à appliquer au cas,
très fréquent, de pluralité d'auteurs.
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