Conclusion
Ce mémoire anthropologique a été
rédigé à partir d'une expérience de stage en
Nouvelle-Calédonie sur l' « évaluation de la place du dugong
la société néo-calédonienne »,
commanditée par les partenaires du Plan d'actions dugong 2010-2015.
L'objectif principal de notre développement est de décrire la
dynamique des représentations, des savoirs et des pratiques relatives
à notre objet d'étude entre deux groupes d'acteurs qui
s'affrontent dans ce projet de patrimonialisation - la population locale et les
institutions en charge du projet - et ce tout en insistant sur les
contradictions internes à ces mêmes catégories non
homogènes. Notre postulat de départ était le suivant :
tous les savoirs et pratiques sociales sont déterminés et
déterminent une certaine appartenance identitaire à une
société, une communauté, une entité sociale
donnée.
Au sein de la catégorie « population locale
», l'opposition entre groupes sociaux la plus rencontrée sur le
terrain est celle entre la communauté kanak et les Calédoniens
d'origine européenne. Elle est particulièrement
révélatrice des conflits socio-ethniques de l'archipel, qui
prennent le pas sur de nombreux des sujets touchant cette
société, y compris sur la question du dugong et de sa protection.
Si nous avons travaillé durant le stage auprès de nombreuses
communautés différentes, nous avons choisi d'exposer ici nos
analyses sur la relation aux savoirs relatifs au dugong des Kanak et des
Calédoniens d'origine européenne car ce sont les seuls groupes
à posséder une tradition de la pêche et de la consommation
de ce mammifère marin. Dans ce conflit socio-ethnique, la
problématique de la conservation du patrimoine culturel reste le
monopole de la revendication identitaire mélanésienne puisque
l'identité culturelle « caldoche » peine à être
reconnue de tous dans la société actuelle
néo-calédonienne.
Ces confrontations peuvent aussi se déployer entre la
population locale et les membres institutionnels de ce projet de conservation,
en s'associant à une opposition entre tradition et savoir dit «
scientifique ». Seulement, ces frontières entre savoirs sont moins
immuables que présupposé. Par exemple, certains habitants, par
leur implication dans les comités de gestion des aires marines
protégées mis en place pour préserver les
écosystèmes et leurs faunes (donc le dugong dans les aires
conservant les herbiers marins), acquièrent de nouvelles
compétences pour s'adapter au format-type-projet, au vocabulaire
employé par les acteurs institutionnels et donc à leur type de
connaissance. A terme, ce transfert de savoirs, notamment sur la biologie du
dugong, vers la population locale est un objectif-clef à atteindre pour
le plan d'actions, qu'il réalise à travers des campagnes de
communication et de sensibilisation.
Par conséquent, notre questionnement s'est
également porté sur la place des savoirs locaux dans cette
stratégie de conservation à l'échelle territoriale, et
dans une moindre mesure, sur le rôle de cette étude dans la
politique de conservation lancée par le Plan d'actions dugong. En
utilisant d'une certaine manière ces savoirs, les acteurs
institutionnels peuvent solliciter la participation et la mobilisation des
habitants dans les projets de conservation, inversant ainsi quelque peu le sens
de la circulation des connaissances. L'inverse est aussi vrai : en invoquant
les « savoirs scientifiques », les populations locales deviennent des
interlocuteurs de choix pour les institutions. De fait, notre étude est
une occasion pour tous les acteurs impliqués dans la protection du
dugong de mieux comprendre les savoirs et perceptions des uns et des autres et
de permettre un dialogue plus apaisé et plus équilibré.
Juin 2015 98
DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs
et
pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
Enfin, l'axe patrimonial sous-entendu dans l'expression «
espèce emblématique » se conçoit dans la conjugaison
entre « le passé, le présent, le futur » (Bérard
et al. 2005 : 30) afin de construire aujourd'hui un avenir en
considérant les événements passés. Autrement dit,
la reconnaissance du patrimoine a pour vocation de jouer les consensus entre
les différents partis, c'est pourquoi il s'agit d'un outil très
mobilisé dans la réalisation du « Destin commun ». A ce
titre, nous rappelons les propos d'Emmanuel Tjibaou, directeur de l'ADCK, qui
résument l'idée de l'articulation entre patrimoine et politique
simplement
:
« Le destin commun, c'est la politique quoi !
Qu'est-ce qu'on met à la disposition des autres et qu'est-ce que les
autres nous donnent ? Mais pour pouvoir partager avec les autres, il faut se
connaître soi-même » (E. Tjibaou, Nouméa, juillet
2014).
Toutefois, certaines questions demeurent concernant la
compatibilité entre les objectifs de la conservation environnementale et
ceux relatifs au patrimoine culturel. Le milieu de la protection
environnementale étant un vecteur de changement social et le garant de
la transmission d'une pensée « scientifique », comment
concevoir alors que les acteurs environnementaux institutionnels puissent
prétendre oeuvrer à la pérennité de savoirs
traditionnels en permanent recul ? En effet, ces derniers souhaitent
sauvegarder le dugong en invoquant son importance patrimoniale et, en
parallèle, ils interdisent sa pêche aux populations locales,
mettant ainsi à mal une consommation et une pratique anciennes qui vont
sans doute se perdre. Ce paradoxe n'a pas été le sujet principal
de ce mémoire mais il pose question et mériterait d'être
davantage exploré à travers d'autres lectures
anthropologiques.
DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et
pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique
» menacée
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