ABSTRACT
The issues surrounding the management of community radio in
Kandi FM focus on the sociopolitical instrumentalisation of Kandi FM. The
various aspects of this phenomenon are analyzed in the various interactions
around the management of this radio and their implications for local
development. Thus, it is specifically a matter of identifying the political
factors, describing and analyzing both the concrete and daily management of
radio and the conditions for its real contribution to local development. To
this effect, in an interactionist approach combined with the systemic approach,
the logics of the actors in their roles, games and strategies are apprehended.
In addition, documentary research, interviewing and observation revealed that
the conflict, which undermines this radio, is essentially linked to paternity
and leadership. Then the question of ethnicity appears as a criterion of
management and ignores competence. The absence of the latter favors clientelist
and paternalistic relations, sponsorship and the influence of political
networks. These situations prevent this radio from effectively contributing to
local development.
Key words: political issues- community radios-
ethnicity-conflicts-Kandi.
9
INTRODUCTION
A l'ère de la globalisation, des entreprises
médiatiques colossales se sont constituées, s'appropriant les
moyens de communication et de production de l'information. L'appropriation et
le contrôle des médias sont désormais un enjeu majeur, car
ils sont devenus une arme. Ce faisant ils affirment leur «
quatrième pouvoir » pour le pire et le meilleur (TEDESCO, 2008).
Dans ce contexte de globalisation, de développement et
de réduction des coûts des technologies pour la communication,
plusieurs médias alternatifs ont vu le jour afin de permettre à
la population de se réapproprier les moyens de communication autrefois
confisqués. C'est ainsi que, sous l'impulsion des grands mouvements de
démocratisation, la radio communautaire a connu un essor mondial dans
les années 1990.
Au Bénin, la radio représente le média
classique de premier plan. Elle sert de source d'information et de
divertissement. Dans ce pays à population majoritairement
analphabète (plus 60%)1, les stations de radio ont connu un
grand succès, depuis la libéralisation de l'espace audiovisuel
intervenue au cours de l'année 1997. Dès lors, le paysage
audiovisuel s'est enrichi de plusieurs nouvelles stations radios
communautaires, religieuses et commerciales (GRÄTZ, 2011 ; 2014) .
La radio a connu dès sa naissance, la mondialisation.
C'est aussi le média qui s'est le mieux `'africanisé» et qui
atteint le mieux les populations des zones rurales. La radio reste le premier
média en Afrique (TUDESQ, 2002 ; LIGAGA et al, 2012).
La plupart des stations de radio implantées au
Bénin offrent une grande variété d'émissions,
comprenant des bulletins d'information, des revues de presse. Mais, il y a
également des plages musicales et des émissions en langues
1 La territoriale n°0027-Octobre 2 014, P18.
10
nationales. Dorénavant, ce sont surtout les
émissions interactives, traitant des sujets d'actualité ou des
faits de société et des jeux radiophoniques qui suscitent de plus
en plus l'intérêt des populations. La plupart des stations offrent
une grille de programmes assez diversifiés.
Mais, depuis quelques années, on assiste à une
spécialisation de certaines stations de radios. Il s'agit de : la radio
Banigansé de Banikoara, avec son slogan « libérer la parole
paysanne » ; la radio communautaire de Kandi avec pour slogan « Kandi
FM, au coeur du développement communautaire ».
A ce propos, les seules chaînes de radio nationales
souvent contraintes à fournir des messages « tout public », et
les radios privées commerciales, qui cherchent de façon
impérative à couvrir leurs charges de production et à
dégager de bénéfices, grâce aux nombreux espaces
publicitaires et autres, ne suffisent pas.
Les radios communautaires semblent, se révéler
comme celles avec lesquelles les populations peuvent compter. Elles
bénéficient a priori d'un bon crédit en ce sens qu'elles
offrent un cadre idéal pour la satisfaction des besoins des populations
en matière d'information et disposent de mécanisme de gestion qui
prévoit leur implication. C'est la raison pour laquelle, ces radios
communautaires font sans cesse partie des préoccupations des partenaires
au développement2. Elles s'inscrivent aujourd'hui plus que
jamais dans la problématique du développement durable des pays.
Cette préoccupation est d'autant plus cruciale pour le Bénin que
les populations y sont de plus en plus amenées à assumer à
l'échelle locale, une responsabilité croissante pour leur
mieux-être face à un environnement mondial en évolution
très rapide (EDAH, 2002).
À la faveur de la décentralisation et du vote de
la loi 97-010 du 20 août 1997, portant libéralisation de l'espace
audiovisuel, des radios et télévisions privées
2 L' Assertion `' partenaires au
développement» doit être ici prise dans son sens le plus
large et concerne les pouvoirs publics, les institutions et organismes de
développement multilatéraux et bilatéraux, les
communautés à la base etc (Clément EDAH, 2002).
11
ont été initiées dans nombre de
localités béninoises. Ainsi, le besoin de s'informer garanti par
le droit à l'information, a conduit les acteurs de développement
de la commune de Kandi, notamment l'association de développement, IRI -
BONSE, l'ensemble des organisations paysannes de la commune et l'administration
communale naissante, à travailler en synergie pour la création en
2004 d'une radio communautaire dénommée KANDI FM. Ceci s'est
matérialisé à travers l'attribution de la fréquence
(102.9MHZ) par la Haute Autorité de l'Audiovisuelle et de la
Communication (HAAC). A cet effet, une convention a été
signée entre la HAAC et l'association de développement IRI -
BONSE. Dès lors, la Commune de Kandi dispose d'un outil de
communication, d'une radio communautaire (GUININ ASSO, 2008-2009).
Comment les considérations socio-politiques influencent-elles la
gestion de la radio communautaire de Kandi FM ?
C'est à ces différentes questions que la
présente étude tente d'apporter des réponses. Elle se
structure en deux (02) parties. La première partie est consacrée
aux perspectives théoriques et cadre de l'étude. Elle comporte
deux (02) chapitres. La seconde partie composée de deux (02) chapitres
traite des enjeux politiques et d'interactions autour de la gestion de la radio
communautaire de Kandi.
NIGER
BURKINA FASO
Kandi
NIGERIA
TOGO
LEGENDE
Radios communautaires et assimilées
Radios rurales locales Radios commerciales Radios religieuses
ORTB
2 Radios ORTB,
6 Radios commerciales
3 Radios Religieuses
OCEAN ATLANTIQUE
Réalisation : Sahadou ZATO ALI. Décembre 2007
12
Figure 1 : Répartition des radios rurales et
communautaires au Bénin
13
Cette figure décrit le paysage médiatique,
spécifiquement les radios installées à travers le pays
jusqu'en 2007.
On y dénombre 31 Radios Communautaires et
Assimilées (RCA), 13 Radios Commerciales (RC) et 07 Radios Religieuses
(RR). Quant aux Radios Rurales Locales (RRL), elles sont au nombre de 05 au
cours de la même période. Ces radios sont implantées dans
les communes de : Banikoara, Tanguiéta, Ouaké,
Ouèssè et Lalo.
THEORIQUES ET CADRE DE L'ETUDE
PREMIERE PARTIE : PERSPECTIVES
14
15
1ère PARTIE : PERSPECTIVES THEORIQUES ET CADRE
DE
L'ETUDE
La première partie de notre travail aborde en un
premier temps les considérations théoriques. Elle met en exergue
les perspectives socio-anthropologiques. En un second temps, elle décrit
la méthodologie de recherche adoptée.
CHAPITRE 1 : CONSIDERATIONS THEORIQUES DE L'ETUDE
DES ENJEUX POLITIQUES
Dans ce chapitre, j'aborde les questions théoriques
préliminaires à l'étude des enjeux politiques autour de la
gestion de la radio communautaire de Kandi FM. Un accent particulier est mis
sur les dynamiques qu'elle engendre à l'échelle locale.
I- Problématique
Depuis 1944, Paul LAZARSFELD était le premier à
mettre en évidence l'articulation qui pouvait exister entre les
médias et les réseaux sociaux d'influence.
Par contre c'est autour des années 60 qu'en France, la
sociologie investit le
domaine de l'information entraînant ainsi
l'émergence de la sociologie des médias (ETIENNE et al, 2004
:266). Cette branche disciplinaire a longtemps tâtonné en raison
de l'évolution rapide du monde médiatique dont le
développement, la diversité, les relations avec le public et le
monde politique transforment l'univers. Mais, l'objet de la sociologie des
médias demeure la communication (ibid.) qui s'effectue par de nombreux
canaux que sont : la presse, la radio, la télévision dont
l'ensemble constitue les médias. Elle ne s'est pas orientée vers
la dimension politique de ces médias. Pourtant, à l'instar des
autres médias, les radios locales comportent une dimension politique
importante.
16
En vue du rayonnement et de l'ancrage local de ces
médias, leur gestion a été confiée aux populations
qui produisent ou coproduisent des émissions intégrant les
spécificités culturelles et linguistiques dans les programmes.
Implantées pour la plupart dans les zones rurales, ces radios permettent
l'expression populaire, la proximité avec les animateurs, l'acquisition
d'une culture de l'information et du débat, autant de facteurs
d'émancipation et de prise de conscience qui sont le fondement de
l'identité culturelle (DIAGNE, 2005).
Dans cet immense champ de recherche, la radiodiffusion
constitue un lieu privilégié d'observation en Afrique, en raison
d'abord du retard qu'accusent les autres médias sur ce terrain et du
fait aussi de son adaptation au contexte culturel.
1-1- Problème
Plusieurs pays africains ont accompli des progrès
remarquables dans la construction de systèmes de gouvernance
démocratiques fondés sur l'égalité des citoyens et
leur participation au processus de prise de décisions. L'accès
à l'information par un plus grand nombre de citoyens est vital pour le
fonctionnement de la démocratie et le développement d'un pays. Le
rôle des médias publics comme moyens de diffusion d'informations
`'objectives» et de perspectives diverses au profit du public n'est plus
à démontrer (WILFRID et FRANCOIS 2013). Ainsi, dans un espace
social donné, la radio forge les opinions, guide des comportements et,
de ce fait, peut être au coeur de nombreuses stratégies dans des
contextes variés.
Compte tenu de sa prépondérance, les mutations
que ce média est en train de connaître, méritent bien que
l'on y prête une attention particulière. En effet, il
recèle de multiples enjeux : enjeux théoriques pour les
chercheurs, enjeux socioéconomiques pour les hommes d'action et enjeux
politiques pour les pouvoirs publics. Ces derniers enjeux constituent le point
central de la présente recherche.
17
Les radios communautaires font partie de ce paysage nouveau de
la radio. Leur genèse dans le contexte occidental posait
déjà le problème du rapport des mass média à
la société. Leur adoption en Afrique suscite en plus des
précédentes questions des réflexions sur leur rôle,
leur survie à long terme ainsi que leurs usages.
Au Bénin, jusqu'à la fin des années
quatre-vingt, le paysage audiovisuel était réservé aux
seules structures de l'Etat à part les deux quotidiens `'la Gazette du
Golf» et `'Tamtam Express». Ces derniers ont couru le risque de
paraitre au moment où le régime révolutionnaire
était en pleine mutation.
La conférence Nationale des forces vives de la nation
de février 1990 a ouvert la voie à la démocratie, et a
donné le signal à la pluralité de la presse au
Bénin. On note alors la parution de plusieurs titres de la presse
écrite. Mais c'est le vote de la loi 97-010 du 20 août 1997,
portant libéralisation de l'espace audiovisuel, qui a permis la
création des radios et télévisions privées.
Toutefois, l'attribution de la fréquence et la
règlementation de la presse au Bénin sont assurées par la
Haute Autorité de l'Audiovisuelle et de la Communication (HAAC). Par
ailleurs il existe des associations professionnelles telles que le Conseil
National du Patronat de la Presse et de l'Audiovisuel (CNPA), l'Union des
Professionnels des Médias du Bénin (UPMB) et l'Observatoire de la
Déontologie et de l'Ethique des Médias (ODEM).
Les Associations de développement aux lendemains de la
Conférence des Forces Vives servaient d'intermédiaire entre
l'Etat central et la population dans la perspective de promouvoir le
développement local. Mais à partir de 1999, avec le vote de la
n°97-028 du 15 janvier1999 portant organisation des Communes en
République du Bénin, les Maires ont désormais une
légitimité dans la gestion de la cité à travers les
élections libres et transparentes. Ainsi, avec le processus de
décentralisation déclenché au Bénin depuis 2003, on
assiste à une
18
reconfiguration de l'arène locale autour de la radio
Kandi FM. D'où la complexité des enjeux autour de cet outil de
communication.
« Cependant, l'installation et la gestion de la radio
représentent bien un enjeu en soi, déterminé par les
possibilités de promouvoir des cultures nationales au niveau local, des
emplois et positions formelles qui ne sont pas sans importance, surtout s'il
s'agit de positions permettant de mieux intervenir à travers une
implication dans les affaires publiques, suscitant l'accumulation de savoir et
des liens sociaux utiles » (GRÄTZ, 2006 :67).
Les acteurs sociaux s'organisent et s'affrontent pour
accéder aux ressources productives et aux fruits de la croissance, ou
pour défendre leurs positions
(WINTER, 2001 : 21). Ils le font dans des configurations
variables, plus ou moins formelles, plus ou moins légitimes, en fonction
des enjeux concernés.
Le terme même de radio communautaire constitue un enjeu
autour duquel les radios se livrent une concurrence.
Quels que soient les divers mobiles politiques, religieux,
écologiques, socio-économiques ou culturels qui motivent les
aides, les objectifs assignés par exemple à l'implantation d'une
radio communautaire sont souvent multiples. L'attrait de la radio consiste
justement en ce qu'elle permet l'installation d'un système de
communication à la confluence des multiples besoins d'une zone
géographique déterminée ou d'une communauté
donnée. Les enjeux sont à ces points nombreux et
interdépendants qu'il est parfois difficile de les identifier
clairement.
En ce sens, la radio communautaire devient un enjeu autour
duquel s'observe un ensemble de jeux, de logiques conflictuelles, de
stratégies de contrôle et de positionnement des acteurs. Car, elle
est porteuse d'une dynamique de développement des localités dans
laquelle les acteurs sont impliqués. Comme l'affirment CROZIER et
FRIEDBERG (1977), l'individu est conduit à développer
19
des stratégies, soit dans une optique offensive, en
saisissant des opportunités lui permettant d'améliorer sa
situation, soit de façon défensive, en maintenant ou en
élargissant sa marge de liberté, et par conséquent sa
capacité à agir. C'est justement cela qui crée le
déphasage observé dans le champ de ce processus.
Dans la perspective de la psychologie sociale
expérimentale, pour étudier les médias elle fait appel
à deux conceptions du « social », différentes de celles
des anthropologues ou des sociologues des médias (Claude et al, 2004 :
11-12). Le social, tel que les individus se le représentent et tel
qu'ils l'ont assimilé cognitivement : valeurs, normes, savoirs sur les
producteurs, savoir-faire dans les traitements des messages et des
inférences des intentions du producteur. Dès lors, on
considère que les acteurs sociaux « transportent avec eux le social
», qu'ils réagissent et traitent des discours médiatiques en
fonction de leurs appartenances et positions sociales. Pour le psychologue, il
est donc légitime d'étudier la manière dont un sujet
réagit à des discours médiatiques, d'étudier des
interactions « virtuelles » où le contenu médiatique
est porteur de traces de l'intentionnalité des producteurs, dans un
espace d'observation où le sujet est seul et où toutes les
variables sont contrôlées.
Dans tous les cas, la radio communautaire pourrait être
assimilée à `'un champ de coopération et
d'interdépendance entre acteurs avec des intérêts
même contradictoires, c'est-à-dire un ensemble de "jeux
structurés"(CROZIER et FRIEDBERG, 1977 : 20).
En tant qu'objet de convoitise et instrument de pouvoir, la
radio est une entité éminemment politique, a fortiori quand elle
prétend être un émulateur communautaire (STEPHANE, 2003 :
131). Elle ne saurait se soustraire aux paradoxes, aux compromis et aux
capricieuses incertitudes que cela implique. Contrairement à des projets
plus conventionnels, plus exclusivement `'technicistes», un projet de
radio communautaire recherche le débat public. C'est de lui qu'elle tire
sa reconnaissance, son indépendance et son dynamisme.
20
De plus, à l'instar d'autres médias, la radio
exige une manipulation délicate. Car elle est un instrument de pouvoir.
Lorsque les communautés sollicitent son implantation, si elles ne sont
pas entièrement conscientes de ce que peut recouvrir ce pouvoir, elles
savent au moins qu'elles détiendront quelque chose que les autres
n'auront pas. Un village saura qu'il deviendra un pôle d'attraction pour
ses voisins. Une organisation locale promouvant une radio pourra vite
être suspectée par les autres de vouloir étendre son
influence sur la population. Si son implantation peut se faire en toute
innocence, les communautés ne tarderont pas à faire
l'expérience des nombreux enjeux d'influence qu'elle concentre. Il est
courant que des autorités locales s'étant au départ
désintéressées du projet, veuillent ensuite tout mettre en
oeuvre pour le contrôler. Cela peut parfois
dégénérer au point où les acteurs sociaux en
viennent aux mains ou qu'on assiste à la fermeture de la station comme
c'est le cas à Kandi FM en 2007.
De nos jours, au niveau local, nombre de Maires aspirent
à disposer de radios communautaires dans leurs communes ou prennent
eux-mêmes l'initiative d'en créer. C'est le cas des communes de
Malanville et de Gogounou qui n'attendent que l'octroi de la fréquence
par la HAAC. Les radios permettent de diffuser les communiqués
communaux, de rendre compte des rapports d'activités des conseils
communaux, de prévenir ou d'atténuer les conflits, d'amener les
administrés à débattre des questions de
développement sur la gestion des affaires politiques ou d'initier des
actions de solidarité, etc. Elles sont une aide précieuse dans
l'accomplissement des nouvelles tâches qui leur sont confiées.
Toutefois, dans certains cas, elles peuvent être des instruments
politiques sur lesquels des acteurs fondent leurs campagnes électorales
pour mieux exposer les projets de société en vue de convaincre
l'électorat. Pour ces multiples services, des mairies ou des
préfectures allouent des subventions aux radios. Certaines se contentent
au moins de payer les supports et autres matériels consommables, mais
nécessaires aux services qu'elles requièrent. D'autres mettent
à disposition des locaux. Cependant, certains refusent de participer
sous quelque forme que ce
21
soit, sous prétexte que les services dont ils
bénéficient sont à destination communautaire. L'argument
est également répandu au sein de la population et des ONGs. Faute
de donner des subsides aux radios, certaines autorités font tout de
même l'effort de les doter occasionnellement de petits matériels
de reportage, des dictaphones, des micros, des cassettes, etc. (STEPHANE, 2003
:93).
Dans ce contexte, la question fondamentale qui se pose est la
suivante : Comment s'opère le jeu des acteurs autour de la
gestion de la radio communautaire et quelles en sont les implications
politiques sur le développement de la Commune ?
Pour élucider toutes ces préoccupations et
obtenir des réponses aux questions posées, j'ai formulé
les objectifs et hypothèses de recherche ci-après.
1-2- Les objectifs de l'étude
Dans le cadre du présent travail de recherche, mes
réflexions sont orientées sur la gestion d'une radio de
proximité dans le contexte de la décentralisation. Je
considère cette gestion comme un enjeu politique.
Dès lors, l'objectif général
poursuivi à travers la présente recherche est d'analyser
les différentes interactions autour de la gestion de la radio
communautaire de Kandi et leurs implications sur le développement
local.
Plus spécifiquement, il s'agit de :
- Montrer la contribution de la radio communautaire au
développement local ;
- Décrire les relations entre les règles de
fonctionnement de la radio et sa gestion ;
- Identifier les facteurs politiques qui entravent la
contribution de la radio communautaire au développement local.
22
1-3- Les hypothèses de travail
- L'installation de la radio influence la promotion des
initiatives locales dans la commune ;
- Le respect des règles de fonctionnement de la radio
dépend des interactions autour de sa gestion ;
- Les enjeux politiques s'observent autour de la gestion de la
radio communautaire.
1-4- Le cadre conceptuel
Lorsqu'on s'engage à faire un travail sociologique, il
est fondamental d'utiliser des « concepts ». Ainsi, selon Becker
(2002 : 180) « nous travaillons tous avec des concepts »
auxquels il est important d'apporter des essais de clarification. Il
s'agit de : interaction-acteurs-groupes stratégiques-conflit et
les notions telles que la radio communautaire et la radio locale
sont parfois utilisés dans des contextes très variés
au point où le sens commun s'interroge sur leur vraie signification.
- Acteur
Crozier & al. (1977) fondent son analyse
méthodologique sur l'acteur, qui offre l'occasion de comprendre le
rapport entre l'individu et l'organisation. C'est d'ailleurs pour faire
remarquer la dépendance de ce dernier par rapport à
l'organisation qu'il affirmait que «les acteurs ne sont jamais libres au
sein d'une organisation, ils sont récupérés par le
système officiel, qui est à son tour corrompu et influencé
par les acteurs »
Les acteurs d'un système peuvent être
organisés, informels, mais cela ne les empêche pas de jouer entre
eux avec le système. Entre autres aspects méthodologiques
retenus, y figurent les acteurs impliqués dans une arène. Ils
sont en général organisés en réseau selon des
configurations qui changent en fonction
23
des situations et sans frontière précise
(Biershenk & Olivier de Sardan, 1998). A partir du point de vue de ces
auteurs et des réalités, cette étude considère
l'acteur comme appartenant à plusieurs cercles concentriques d'un milieu
social. Les groupes informels ou organisés agissent pour se positionner
afin de mieux défendre leurs intérêts. C'est dans cette
logique que l'acteur est défini comme étant une
personne agissant dans un système (organisé ou informel) et qui
de façon directe et indirecte l'influence en même temps qu'il
reçoit ses influences. Ainsi, un acteur au cours de cette étude
sera toute personne proche ou éloignée qui a une certaine emprise
(directe ou indirecte) dans la gestion de la radio.
- Interaction
D'après Madeleine Grawitz (2004) in lexique des
sciences sociales, l'interaction est un processus
interpersonnel, amenant chez les sujets en contact, des actions et
réactions étudiées en particulier entre les membres d'un
groupe.
Dans cette perspective, l'interaction consiste en une approche
de l'action réciproque, c'est-à-dire d'actions qui se
déterminent les unes vis-à-vis des autres dans la séquence
de leur occurrence située et dans des relations intersubjectives. Erving
Goffman s'intéresse aux situations sociales (avec la définition
qu'il en donne dès 1964), aux (occasions de) rencontres, au corps
à corps. Et pour Goffman ce qui importe en premier lieu dans
l'interaction face-à-face c'est un problème de contact, de
gestion de la coprésence, avant d'être un problème
d'intercompréhension. Il traite l'interaction comme un ordre de faits
descriptibles, sans vouloir nécessairement lui conférer
directement une valeur fondamentale dans la production des structures sociales.
Dans ce sens et contrairement à Durkheim, Weber (1922) conçoit
les faits sociaux comme des interactions entre des comportements individuels
obéissant à des motivations et des intérêts qu'il
faut reconstituer. Il considère donc chaque individu comme
différent, ne réagissant pas de la même manière,
même placé dans les mêmes conditions, ainsi il tient compte
de la subjectivité des acteurs pour comprendre leurs actions.
24
L'interaction m'apparaît alors comme une notion qui
offre assez de légitimité et de lisibilité pour aborder la
problématique des enjeux socio-politiques autour de la gestion de la
radio communautaire.
- Groupe stratégique
Le mot groupe a un sens très vague en sociologie. Il
peut être utilisé pour désigner des ensembles en fonction
de leur taille, de leur durée d'existence ou de la nature des relations
qui existent entre leurs membres. C'est justement dans une démarche
pouvant conduire à son dépassement que certains sociologues
allemands EVERS et SCHIEL (EVERS et SCHIEL, in OLIVIER de SARDAN, 1995) ont
proposé l'alternative que constitue le « groupe
stratégique » qui répondait à la logique
selon laquelle les groupes socioculturels ne sont pas définitivement
constitués.
Les groupes sociaux varient selon les problèmes
considérés par un jeu continu d'alliances ou de conflits. Pour
reprendre BIERSCHENK et OLIVIER de SARDAN (1998) je dirai que le concept de
groupe stratégique suppose que dans toutes les
collectivités, les acteurs n'ont ni les mêmes
intérêts ni les mêmes représentations et que, suivant
les problèmes, les intérêts et les préoccupations
s'agrègent difficilement. Suivant le problème qui se pose donc
à la collectivité locale, les groupes stratégiques
changent de considérations. Il peut y avoir affiliation ou
désaffiliation. Tout repose sur la question de savoir « où
se trouve mon intérêt ? » le groupe
stratégique n'est donc pas un ensemble figé dont on
pouvait cerner tous les contours. C'est plutôt : « ...des
agrégats sociaux plus empiriques à géométrie
variable qui défendent des intérêts communs en particulier
par le biais de l'action sociale et politique » (cf BIERSCHENK et OLIVIER
de SARDAN, 1998). Et la principale situation qui offre aux groupes
stratégiques l'opportunité de se faire remarquer est celle du
conflit.
- Conflit
Le conflit peut être entendu comme la rencontre
d'éléments, de sentiments ou d'intérêts divergents.
Les conflits sont définis comme les manifestations
25
d'antagonisme ouvert entre deux acteurs (individuels ou
collectifs) aux intérêts momentanément incompatibles quant
à la possession ou la gestion de biens rares matériels ou
symboliques (BOUDON et al. 1993). D'un point de vue théorique, trois
(03) niveaux d'analyse sont à remarquer ; à partir des travaux
anthropologiques qui ont été menés sur le concept :
? le niveau empirique qui renvoie à l'idée que
toute société est traversée par des conflits ;
? le point de vue structuraliste qui postule l'idée que
les conflits renvoient à une différence de position en fonction
des catégories sociales en présence ;
? et enfin la piste fonctionnaliste pour laquelle les conflits
qui semble vouer les sociétés à l'émiettement ou
à l'anarchie, concourent au contraire à la reproduction
sociale.
Mais, dans mon travail, la lecture que je fais du conflit est
essentiellement d'ordre méthodologique. On part du conflit pour
apprécier « l'ailleurs », « l'arrière-cour »
des sociétés qui présentent une apparente
stabilité, une apparente cohésion, un manque de contradictions
internes. Certes, le conflit dont il est question ici ; est souvent une
confrontation ouverte, à courte durée et concerne la gestion de
la radio communautaire dans un contexte de décentralisation avec des
acteurs sociaux.
- Définition de la radio communautaire
Sur le plan juridique la nouvelle loi n° 2015-07 portant
code de l'information et de la communication en République du
Bénin, votée en sa séance du 22 janvier 2015 par
l'Assemblée Nationale règle la question de la typologie des
radios sonores privées non commerciales au Bénin. En effet, elles
sont par vocation des radiodiffusions sonores de proximité. Toutefois,
les principaux acteurs des organes concernés (notamment les
professionnels des radios), les caractéristiques et les
définitions données aux concepts dans la littérature de
la
26
communication institutionnelle, organisationnelle et politique
vont être analysées avant que ne soit suggéré le
sens que le présent document voudrait leur attribuer.
Ainsi, l'Association des Radiodiffuseurs Communautaires du
Québec, AMARC3 définit la radio communautaire comme
« un organisme de communication indépendant, à but non
lucratif, à propriété collective, géré et
soutenu par des gens d'une communauté donnée. Elle est un outil
de communication et d'animation qui a pour but d'offrir des émissions de
qualité répondant aux besoins d'information, de culture,
d'éducation, de développement et de divertissement de la
communauté dont elle est issue ». AMARC Afrique et Panos Afrique
Australe (1998), nous en indiquent quelques caractéristiques
(déclaration du Niger du 17 août au 18 septembre 2001) :
+ La radio rurale communautaire trouve sa
légitimité dans l'expression d'une volonté locale et se
doit d'y répondre en tant que radio de proximité ;
+ La radio rurale communautaire se doit de respecter et de
refléter l'équité dans les communautés avec la
prise en compte du genre ;
+ La radio rurale communautaire se doit de fonctionner dans
l'optique d'une pratique exemplaire de gouvernance dans un contexte de
reddition des comptes ;
+ La radio rurale communautaire a une mission d'information,
de formation, d'éducation et de divertissement ;
+ La radio rurale communautaire est un vecteur de
développement, sa programmation se doit d'illustrer cette utilité
sociale ;
+ L'émanation de la société civile, la
radio rurale communautaire n'est l'appendice d'aucun pouvoir financier,
institutionnel ou autres ; elle se doit de veiller à son
indépendance ;
+ La radio rurale communautaire est laïque.
3 Site web www.amarc.rg
27
I...]. Pour Virgil (1997), la radio
communautaire doit susciter la participation citoyenne et la défense des
intérêts des citoyens ; résorber les problèmes
quotidiens ; accepter toutes les opinions en présence ; encourager la
diversité culturelle ; inclure les femmes en tant qu'actrices et non
comme fait valoir ; refuser les pensées uniques et accepter la parole
plurielle sans exclusive.
Il ressort des deux définitions citées supra que
la radio communautaire renvoie à certains préalables à
savoir : respect de la participation citoyenne aux débats en cours dans
le champ social pour la défense des intérêts en termes de
bonnes pratiques de gouvernance ; respect de la libre expression des citoyens ;
promotion de la diversité culturelle et enfin expression plurielle sans
censure.
Le présent travail de recherche désigne les
radios communautaires comme celles qui sont créées par les
communautés et pour les communautés. Alors, il conviendrait de
désigner par le terme radio communautaire, toute radio privée non
commerciale et pour laquelle les communautés ont pris une part
très active dans la création et qui est effectivement
gérée par des organes collectifs mis en place par ces mêmes
communautés. Elle est une radio de proximité qui est
essentiellement tournée vers les besoins des populations qu'elle
dessert. Cela suppose aussi que leurs attentes soient prises en compte dans la
grille des programmes. Une radio communautaire peut être implantée
aussi bien en milieu rural qu'en milieu urbain, pourvu qu'elle respecte les
conditions sus-spécifiées.
- La radio rurale locale : une radio de proximité
orientée vers le monde
paysan.
L'Agence Intergouvernementale de la Francophonie et le Centre
Interafricain d'Etudes en Radio Rurale de Ouagadougou (2000) désignent
par radio rurale locale, une radio de proximité, participative qui
libère la parole paysanne, fait réfléchir les auditeurs,
les incite à l'action. En somme la radio rurale locale est une radio de
proximité écoutée par les populations
rurales/paysannes.
28
Au Bénin, il existe de nos jours cinq (05) radios
rurales locales (RRL). On les retrouve à Lalo, Tanguiéta,
Ouèssè, Banikoara et Ouaké. La spécificité
de ces radios rurales locales par rapport aux radios communautaires
réside en partie dans le fait que leur création a
été initiée « de l'extérieur » ;
puisqu'elle émanait d'une décision des gouvernements des pays
ayant en partage le français, réunis aux sommets du Québec
en 1987 et du Sénégal en 1989. Un autre point de cette
distinction vient du fait que les responsables de ces stations radios sont
désignés par l'Office de Radiodiffusion et de
Télévision du Bénin (ORTB) qui assure leurs charges
salariales. D'ailleurs, la coordination de ces stations radios se fait par cet
office.
Il est à noter que ces radios évoluent
présentement vers un mode de gestion participative dans lequel les
communautés prennent de plus en plus part au processus de prise de
décision. Toutefois, elles continuent, pour le moment, d'être
démarquées des radios communautaires.
II- Etat de la question
Parlant de la recherche et autres investigations en
Sociologie, Henri MENDRAS stipule que :
« Le sociologue (...) n'a pas la
prétention de repenser la totalité d'un problème. Il veut
regarder les faits et en tirer des schémas d'analyse et
d'interprétation. Pour ce faire, il commence par examiner les
conclusions de ses devanciers qui ont étudié les mêmes
faits ou des faits analogues, et à partir de leurs conclusions, il
cherche à aller plus loin avec des instruments plus performants »
(MENDRAS, 1996 :9).
1- Revue critique de la littérature
J'ai exploré la littérature existante ayant
abordé les différents aspects des dynamiques média et
société dans le processus du développement
communautaire.
29
? La radio comme support de valorisation de la culture et
de nationalisme
Les sociologues ont commencé à
s'intéresser aux médias et les étudier à partir des
années 1970 (BREST, 2004). Les recherches universitaires sur les
médias sont récentes et encore peu nombreuses au regard d'autres
secteurs de la recherche universitaire. Comme le souligne Livingstone (1999)
« nous ne savons peut-être pas grand-chose sur Internet, nous en
connaissons un rayon sur la télévision ». Rieffel
(2010) nous informe que les premières recherches ont porté sur
l'effet des médias puis d'autres pistes comme « le statut culturel
de la télévision ». Selon Livingstone (op. cit. 1999),
l'idéal d'une chambre d'adolescent de l'an 2000 est saturée de
médias (télévision, livres, magazines, ordinateur avec
accès Internet, téléphones portables, lecteur MP3, poste
radio etc.).
Bei et Gérard (2001) stipulent que : « plus on
vient d'un milieu favorisé, plus on a de chances de maîtriser les
outils informatiques, plus on vient d'une famille défavorisée,
plus on doit se contenter de jouer sur une console ».
La lecture par les journaux et les livres a baissé au
profit des médias électroniques. Cela ne veut pas dire que les
gens liront moins. Rieffel (op.cit. 2010) affirme même que nous lirons
peut-être à l'avenir davantage à l'aide d'écrans.
Avec l'évolution des différents médias, chacun a
accès à la culture sauf que selon Rieffel (ibid) « cette
culture est réduite au divertissement et à la culture
éphémère, elle est synonyme de manipulation des individus
». Selon Jean Baudrillard : la culture diffusée par les journaux,
la radio, la télévision est non seulement synonyme de
déperdition de contenu mais aussi de perte de repères (ibid). La
culture des « cultivés » s'oppose à la culture de
« masse » (op.cit. Rieffel, 2010). Les cultivés
considèrent la culture proposée par les médias comme un
nouvel opium du peuple ou une mystification délibérée. La
culture de masse privilégie la quantité à la
qualité, elle est véhiculée par les
30
« mass média » qui sont une culture sans
racine, sans rite, sans folklore. Les lecteurs s'identifient à cette
culture.
Les auteurs africains des indépendances ont soutenu
l'avènement de la radio sur le continent noir. Francis BEBEY (1963)
constate que « grâce à la radio, le visage de l'Afrique a
beaucoup changé ces dernières années. Il est appelé
à changer encore davantage au cours des années à venir
[...]. On écoute les chants enregistrés la
veille par les hommes de radio venus de la ville et qui ont emporté les
voix des meilleurs chanteurs de ce village-ci ou d'un autre village beaucoup
plus éloigné. On écoute le conte de la tortue malade, tel
que les gens de tel pays le disent chez eux ; on écoute les conseils
d'hygiène et l'on se promet de les mettre en pratique dès le
lendemain, parce qu'ils viennent de la radio et que cela a son importance ; on
écoute les informations... on veut savoir ce qui s'est passé dans
la journée ici et ailleurs, et l'on a une confiance illimitée
vis-à-vis de cet homme ou de cette femme qui informe des milliers de
gens à la fois, mieux que ne le ferait le meilleur tam-tam d'Afrique
».
L'importance de l'implantation de la radio sur le continent
africain résulte de la comparaison faite par l'auteur. Autrefois, dans
les villages, les seules distractions, une fois la nuit venue, étaient
les danses, les chants, les contes et toutes sortes de jeux. Au clair de la
lune que l'on ne sait pas apprécier à sa juste valeur dans un
pays qui, depuis longtemps bénéficie de
l'électricité. La radio joue ainsi le rôle de distraction,
d'instruction et de pédagogie d'échanges en Afrique. Même
si elle prend aux habitants le temps qu'ils auraient voulu consacrer à
leurs jeux, à leurs danses nocturnes. Cela signifie que la vie sociale
de l'Africain, de nos jours, connaît une dimension dynamique très
appréciable. La radio qualifiée de boîte magique de la
parole, fait découvrir aux populations africaines toutes les formes de
leurs connaissances c'est-à-dire leur culture, leur civilisation, leurs
arts et les richesses que comporte leur langue. Poussant plus
31
loin la réflexion, l'auteur rapporte que la radio
remplace en Afrique le message tambouriné et le crieur public.
Ainsi, elle amplifie la possibilité de transmettre au
loin ; et garde l'avantage de parler à tout le monde à la fois.
Par ailleurs, depuis l'installation de la radio dans les pays d'Afrique Noire,
ses possibilités en tant que moyen d'information, de promotion nationale
et sociale ont fait leur preuve. De nombreux spécialistes des affaires
africaines reconnaissent que la boîte magique de la parole a joué
un très grand rôle dans la prise de conscience du nationalisme,
tant dans les pays d'expression française que dans la zone anglo-saxone.
Elle a également contribué à la mise en place des
institutions politiques actuelles des jeunes Etats africains. Avec
l'avènement de la radio en Afrique, ce sont des habitudes qui changent,
des réunions silencieuses de gens attentifs autour d'un récepteur
remplaçant les danses au clair de lune, pourtant chères à
tous. Ces réunions autour d'un poste peuvent être le point de
départ d'une campagne de grande envergure destinée par exemple
à supprimer l'analphabétisme sur le continent.
Deux conceptions, tout à fait différentes l'une
de l'autre, selon Francis BEBEY, sont à la base des installations
radiophoniques africaines actuelles. Dans le système anglophone la radio
est perçue comme un service national dont le but est de couvrir
l'étendue du territoire national tandis que dans celui francophone on a
plutôt à faire à la constitution de réseau de
média à étendue plus ou moins réduit.
? Les radios communautaires comme instrument de
démocratisation
Ainsi, avec la tentative de promouvoir la démocratie en
Afrique au début des années 90, directement induite par la fin de
la guerre froide, les radios communautaires sont considérées
comme un instrument privilégié de la constitution d'un espace
public d'expression plurielle et de débat (Tudesq, 2002). Ces espaces de
débat, contribuent à la construction d'un processus
démocratique dans les échelons locaux. Ils favorisent du
même coup le
32
développement économique par la promotion d'une
gouvernance participative des affaires publiques locales.
Les travaux de Wasserman (2010), examinent le rôle que
pourraient jouer les médias populaires pour encourager le débat
politique, fournir des informations pour le développement, ou critiquer
les définitions mêmes de la «démocratie» et du
«développement». Dans cette même perspective, l'ouvrage
de Liz Gunner et al. (2011), démontre à partir de données
empiriques qualitatives que la Radio en Afrique est une compilation d'essais
qui se préoccupe du vécu quotidien et des affaires
sociopolitiques de plusieurs pays africains.
En ce qui concerne Jallov (2012), il examine ce qui ne marche
pas et les défis auxquels sont confrontés les stations de radios
communautaires en Afrique. En effet, Empowerment Radio sert comme un
complément de guide pratique de la Radio en Afrique, lequel
évalue sévèrement les fonctions sociopolitiques et
culturelles de la Radio en Afrique. En réalité, l'ouvrage de
Jallov est perçu comme une compilation de bonnes pratiques au
rayonnement de la radio communautaire pour le changement social en Afrique.
En somme, Jallov (2012) et Gunner (2013) expliquent pourquoi
la radio reste encore la tribune significative de communication en Afrique
suivant le milieu socio-culturel et le paysage politique.
Tilo Grätz (2014), quant à lui s'est
intéressé à la prévalence croissante des
émissions radio participatives en République du Bénin. Il
s'agit des émissions traitant de sujets tabous tels que la
sexualité et l'intimité. La popularité de ce format
émergeant illustre les processus actuels d'appropriation des
médias électroniques en Afrique de l'Ouest, y compris leur impact
sur la communication publique contemporaine.
Il existe aujourd'hui plusieurs types de radios locales qui
partagent beaucoup de traits communs avec les radios communautaires dans le
champ médiatique
33
africain. Dans cet ensemble, il n'est pas aisé de
caractériser précisément la radio communautaire d'autant
qu'elle bénéficie d'une grande popularité. La
dénomination, elle-même est chargée de pouvoir symbolique
car elle est considérée comme valorisante par certaines
radios.
? La radio communautaire comme instrument de bonne
gouvernance et de développement
Les radios communautaires jouent un rôle essentiel pour
les populations éloignées des centres urbains. Elles permettent
une couverture du territoire et un maintien des missions de service public que,
ni l'Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin
(ORTB), pour des questions de délabrement et de topographe, ni les
radios commerciales, fautes de marchés porteurs, ne peuvent assumer dans
toutes les langues et sur tout l'ensemble du territoire.
Un des paramètres qui expliquent les différences
de dynamique d'une station à une autre est leur ancienneté. Les
radios communautaires, à l'instar des autres catégories de
radios, ont du mal à trouver leur second souffle, après les
années d'enthousiasme dû à la nouveauté à la
fraîcheur des équipes et des équipements et à
l'appui des partenaires techniques et financiers. Rares sont celles qui
maintiennent une dynamique de croissance. Même bien gérées,
les ressources locales sont insuffisantes pour faire face au renouvellement ou
au simple entretien des équipements, rapidement dégradés
par une alimentation électrique instable et des conditions climatiques
très éprouvantes.
En outre, la législation et les règlements ne
favorisent pas la promotion des médias communautaires : traitement
fiscal non spécifique, redevances, taxes, droits d'auteurs, charges
téléphoniques élevées, factures
d'électricité exorbitantes, aggravées par l'alimentation
au moyen de générateurs à essence ou au gasoil. En plus de
ces problèmes généraux, la radio Kandi FM, fait face au
34
problème d'électricité, des coupures
régulières et les baisses de tensions qui endommagent les
appareils.
Une grande partie des stations donne l'impression d'un
épuisement de l'énergie et des moyens de la dynamique de
départ. Les problèmes de rémunération apparaissent,
les équipements sont en fin de vie et leur non renouvellement
dévoile les faiblesses de la gestion, l'absence d'anticipation ou
même de la précarité de la situation financière des
radios communautaires. Les stations ont découvert la faiblesse du
potentiel économique de leur zone et la difficulté à
maintenir l'enthousiasme et la participation des communautés.
Les demandes en formation dans le secteur de la radio
communautaire sont croissantes et vont rester très élevées
les années à venir, sur des aspects spécifiques et sur les
innovations. Les évaluations des formations effectuées dans la
plupart des pays et par divers formateurs individuels indiquent clairement la
nécessité de créer une ingénierie de formation
spécifique, mieux adaptée et à coût réduit.
Plusieurs structures d'appui aux radios communautaires sont inscrites dans une
démarche de recherche-action et de capitalisation d'expériences
et offrent aujourd'hui une expertise pour concevoir et développer des
formations de qualité.
Une lecture croisée de ces thématiques permet de
retenir d'une part que, les radios de proximité constituent un outil de
communication pour le renforcement de la démocratie à la base.
D'autre part, elles constituent un instrument de communication pour la
promotion du développement au niveau local. Quelle que soit la
sphère considérée, les radios communautaires remplissent
des fonctions spécifiques.
35
Au-delà de ce tour d'horizon de la littérature
portant sur l'objet de recherche, il est utile de préciser
l'originalité de cette recherche car : « la science
n'évolue pas par accumulation de connaissances, mais par erreur
rectifiée ».
2- Qu'apporte de nouveau cette recherche ?
A travers cette recherche, j'envisage saisir, à
l'échelle locale, la reconfiguration de l'arène locale autour de
la radio Kandi FM dans le contexte de la décentralisation. Les usages
faits d'une innovation peuvent porter l'empreinte de la culture technologique
des acteurs sociaux qui se l'approprient. Ainsi, pour une société
tournée vers la culture endogène où les réseaux
sociaux physiques restent encore forts, ce que peuvent apporter de nouveau les
réseaux sociaux numériques peut dépendre des usages que
les acteurs sociaux, en font. Pour y parvenir, je l'ai inscrit dans un
schéma théorique précis intégrant
l'interactionnisme symbolique et l'approche compréhensive de Weber.
3- Modèle théorique
Deux modèles d'analyse sont utilisés dans cette
recherche : l'interactionnisme symbolique et l'approche compréhensive de
Max Weber.
3-1- L'interactionnisme symbolique
La socialisation d'un objet technique passe par son «
intégration dans l'ensemble des significations sociales, culturelles et
imaginaires que l'on peut saisir au niveau de la vie quotidienne ».
Cette intégration n'est du domaine « ni de l'évidence ni
de la fatalité » (Mallein et Toussaint, 1994 : 317). Je
propose donc, une approche empirique qui privilégie la
nécessité de retrouver l'acteur au quotidien dans ses motivations
mais aussi et surtout dans ses relations avec les autres acteurs sociaux autour
de la gestion de la radio Kandi FM. Dans cette perspective, l'interactionnisme
symbolique apparaît alors comme une démarche pertinente pour
aborder le conflit autour de la gestion de la radio communautaire. En effet, il
considère comme données de base pour l'analyse sociologique, les
explications, les descriptions, les motivations ainsi que les
36
intentions des acteurs dans leur contexte social (Blumer, 1969
: 225). Pour ce dernier, l'interactionnisme symbolique se résume en un
seul principe : « les humains agissent à l'égard des
choses en fonction de la signification qu'elles ont pour eux ».
Ainsi, à travers ses motivations, son histoire de vie, les études
de cas réalisables sur lui et les formes de communication qu'il
développe pour agir, interagir et obtenir des résultats, on
pourra retrouver les éléments essentiels pour la connaissance
d'un phénomène qui place l'acteur social au centre de ses
dynamiques, (Amouzouvi, 2004 : 22). Cette perspective théorique me
permet seulement de saisir le phénomène du point de vue des
interactions entre les acteurs sociaux autour de la gestion de la radio Kandi
FM. Il me faudra alors trouver une autre approche théorique qui puisse
également aider à saisir le phénomène du point de
vue des « activités » qui s'y mènent, ou des usages en
cours. Mon second choix est porté sur l'approche compréhensive
développée par Max Weber.
3-2- L'approche compréhensive de
Weber
Pour weber (1922), cité par Giraud (2004 : 47), la
sociologie se définit comme « ...une science qui se propose de
comprendre par interprétation l'activité sociale et
par-là, d'expliquer causalement son déroulement et ses effets
». Il inaugure l'approche compréhensive de la sociologie dont
le but est d'analyser le social en partant du sens que donne un acteur social
(individu, groupe social ou communauté ...) à ses
actions/activités. Weber appréhende donc la sociologie comme une
science dont la spécificité de l'objet est l'activité
sociale et dont l'étude nécessite une démarche
compréhensive. Pour situer l'objet de ma recherche dans cette approche
théorique, il est important de partir de la définition qu'il a
donné aux concepts « activité/action » « et
activité sociale ». Il définit l'« activité
» comme un « comportement humain (peu importe qu'il s'agisse d'un
acte extérieur ou intime), quand et pour autant que l'agent ou les
agents lui communiquent un sens subjectif ». Par activité
« sociale », il entend l'activité qui, «
d'après son sens visé, par l'agent ou les agents, se
37
rapporte au comportement d'autrui, par rapport auquel
s'oriente son déroulement ». La nécessité de
compréhension découle de l'orientation rationnelle du
comportement de l'acteur social. Weber distingue quatre (04) types d' «
activités». Il s'agit de l'activité « rationnelle en
finalité » (établissant un rapport entre des moyens et des
fins) ; l'activité « rationnelle en valeur » (qui subordonne
la rationalité en finalité à une valeur de
référence) ; l'activité « rationnelle par
affectivité » (dépendant directement des émotions) et
l'activité « rationnelle par tradition » (reposant sur la
tradition). L'exploitation de ce modèle d'analyse offre des
matériaux permettant de catégoriser les différents types
de conflit autour de la gestion de la radio communautaire de Kandi.
4- Justification du choix du sujet
Le choix d'un thème est souvent lié à
l'existence d'un problème. Ainsi, le problème autour de la
gestion de la radio communautaire de Kandi dans le contexte de la
décentralisation demeure une préoccupation quotidienne. Au
Bénin, plusieurs ONGs ou intervenants extérieurs, diverses
personnalités s'intéressent en ce moment aux problèmes de
la gestion des radios de proximité en l'occurrence les radios
communautaires.
Dans un passé récent, j'ai collaboré avec
mon co-directeur en tant qu'assistant de recherche dans la production de
données empiriques sur la radio en Afrique de l'Ouest. Partant de cette
expérience, j'ai décidé d'investir ce champ dans le cadre
des recherches de fin de formation du DEA. Vu l'intérêt que la
problématique de la gestion de la radio communautaire de Kandi
présente pour les acteurs socio-politiques et la presse, il m'a paru
important d'investiguer ce domaine.
Les solutions trouvées pour régler les
problèmes sociaux des communautés à la base, est
l'implantation des radios communautaires qui est apparue comme un outil et un
vecteur de développement local.
38
Ainsi, se présente la situation qui m'a conduit
à cette tentative d'explication des enjeux sociopolitiques autour de la
gestion de la radio communautaire de Kandi dans le contexte de la
décentralisation en cours dans notre pays.
Ce faisant, cette étude n'a pas la prétention
d'aborder tous les aspects de la gestion des radios de proximité. Elle
se limite à quelques réflexions sur les mobiles réels qui
contribuent à l'instrumentalisation de la radio sur fond de divisions
politiques ou ethniques. En outre, ce travail, s'inscrit dans le cadre d'un
programme de recherche avec l'Université de Hambourg qui porte sur la
radio en Afrique de l'Ouest dans le domaine de la recherche en Technique HE
2998/4-1 en sciences sociales du collège de Recherche de Leibnitz
dirigé par le Professeur Hengartner en Allemagne.
39
CHAPITRE 2 : PRESENTATION DU CADRE DE L'ETUDE ET DE
LA METHODOLOGIE DE RECHERCHE
Ce deuxième chapitre aborde le cadre spatial,
sociodémographique et ensuite la partie méthodologique de
l'étude. Cette dernière comporte la théorie de base de
l'analyse et les différentes étapes de la recherche.
1- Les modes de communication avant l'installation de
la radio Kandi FM
Il faut souligner qu'avant l'installation de la radio Kandi
FM, il existait deux canaux de communication à savoir : les canaux de
communications traditionnelles et ceux modernes.
1-1- Les canaux de communications
traditionnelles
Ainsi, parmi les canaux de communications on dénombre
: le crieur public, le gongonneur, les assemblées d'assise, les lieux de
culte (mosquées, églises etc.), la noix de colas, les amuses
gueules (bon-bon). De plus, on passe parfois par les personnes ressources
issues de la grande famille (information de bouche à oreille).
1-2- Les canaux de communications modernes
Il s'agit ici : de la radio nationale, la radio
régionale de Parakou, la radio rurale locale de Banikoara.
2- La radio Kandi FM et sa couverture
médiatique
Dans la diffusion de l'information, la radio Kandi FM couvre
entièrement les dix (10) arrondissements de la Commune. En outre,
d'autres zones couvertes par Kandi FM sont : la commune de Gogounou (30km) ; la
commune de Malanville (arrondissement de Guéné : 80km) ; la
commune de Karimama (120 km) ; la commune de Banikoara (arrondissement de
Founougo : 75 km) ; la commune de Ségbana (arrondissement de
Libantè : 95 km) et Gaya (Niger).
40
3- Présentation du cadre de
l'étude
Cette rubrique s'intéresse à la situation
géographique et historique de la ville de Kandi.
3-1- Situation géographique
La Commune de Kandi est située au Nord Bénin.
Elle est au centre du Département de l'Alibori entre 10°90' et
11°35' de latitude Nord et 2°38' et 3°15' de longitude Ouest.
Elle est limitée au Nord par la Commune de Malanville, au Sud par la
Commune de Gogounou, à l'Est par la Commune de Ségbana et
à l'Ouest par la Commune de Banikoara. Elle couvre une superficie de
3421 km2, soit 12,8% de l'ensemble du département. Le chef-
lieu de la commune : Kandi est située à 650 km de Cotonou.
3-2- Historique de Kandi
Les Baatombu (25,66%), groupe majoritaire dans la commune de
Kandi, sont originaires de Bussa (Nord-ouest du Nigéria) et furent
installés à Nikki au 15ème siècle. A la
suite des querelles et pillages, certains princes quittèrent Nikki pour
créer les autres royaumes bariba au Nord-Bénin dont Kandi. Ainsi,
les Baatombu s'étaient établis d'abord à Kassakou puis
à Kandi au 18ème siècle. En effet, il
s'agissait au départ d'un chasseur nommé OROU SOUROU qui au cours
d'une randonnée de chasse était arrivé à la
latitude de Kandi où il vit beaucoup d'éléphants et
s'exclama « sin-nou ba kan-ne » ce qui signifie littéralement
« les éléphants sont côte à côte »
en Baatonou. D'où le nom KAN-NE déformé en KANDI avec
l'avènement de la colonisation.
Les autres groupes sont les Mokollé (9,73%) originaires
d'Ilé Ifè et d'Oyo (Nigéria). Ils se sont établis
dans les localités s'étendant de Kandi jusqu'à Goun-goun.
Ensuite les Peulh (23,89%) originaires venus des zones sahéliennes
(Niger et Burkina-faso) ; sont arrivés dans la région en
quête de pâturages. Ces Peulh
41
éleveurs se retrouvent sur l'ensemble du territoire de
la commune dans les campements appelés « ga » autour des
villages. Enfin les Dendi (30,97%) originaires du Nord, après avoir
traversé le Niger se sont d'abord installés à Karimama et
à Guéné puis à Kandi.
Aujourd'hui, la commune abrite plusieurs autres groupes
ethniques minoritaires que sont : les Djerma (2,65%), les Gando (3,53), et des
autres ethnies (3,57%), etc. (cf. le messager de la commune de Kandi, 2005 et
Institut Kilimandjaro, 2012).
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