Encore une bourgade en 1910, Kinshasa ne comptait que dix
mille habitants et deux ans après son élévation en
capitale nationale en 1922, elle n'aura que 23 730 habitants. En 1959, à
la veille de l'accession du pays à sa souveraineté nationale et
internationale, elle en compte 442 422 et aura près de 8 000 000
d'habitants en 2007.
Située dans la région tropicale de l'Afrique
centrale, la ville s'étendra de plus en plus sur les versants des
collines convexes et sableuses qui pourtant étaient
déclarés impropres à la construction (non
aedificandi) par l'administration coloniale et par le Bureau
d'études d'aménagement urbain (B.E.A.U). Ce dernier était
appuyé dès le milieu des années septante par la
coopération française en matière d'urbanisme.
Cette politique d'anarchie en matière de lotissement a
eu pour principal effet dès les années septante, l'apparition
sensible du ravinement sur les versants des collines sableuses à fortes
pentes. Ce ravinement menaçait alors les quartiers planifiés et
structurés se trouvant aux sommets et pourvus d'infrastructures de
drainage d'eaux usées et de pluie. Certaines de ces nouvelles
constructions, n'ont pas hésité à construire sur les
égouts sinon à les boucher. Les conséquences n'ont pas
tardé à se faire remarquer. A chaque pluie exceptionnelle, la
ville déplore des pertes en vies humaines, des dégâts
matériels et la naissance de nouveaux ravins ou l'extension
phénoménale d'anciens ravins sur les versants de collines du sud
et de l'ouest de la ville ainsi que des conséquences néfastes
dont l'ensablement et les inondations dans les quartiers situés en bas
ou sur la plaine.
Ce travail est né du Partenariat entre le Musée
royal de l'Afrique centrale (MRAC) de Tervuren en Belgique et le Centre de
Recherches Géologiques et Minières (CRGM) de Kinshasa en
République Démocratique du Congo (RD.Congo). Ce Partenariat veut
doter le CRGM des capacités humaines et techniques devant l'aider
notamment à étudier et éradiquer ce
phénomène de ravinement qui s'exacerbe à travers la partie
haute de la ville constituant un handicap majeur à son
développement. C'est donc dans ce contexte que la présente
étude va se focaliser sur la partie haute de la ville de Kinshasa,
laquelle est de plus en plus gravement touchée par ce
phénomène. En fait, causant plusieurs catastrophes : pertes en
vies humaines, coupures de routes, destruction de maisons, effondrement de
pylônes électriques, destruction du réseau de drainage des
eaux, rupture de tuyaux de conduite d'eau, ... Les érosions constituent
à Kinshasa un véritable fléau et dont, en plus, le
coût est prohibitif. Or, l'efficacité de leur maîtrise
requiert inéluctablement une connaissance scientifique de haut niveau.
Chose qui, actuellement, accuse malheureusement beaucoup de
défaillances. Cela justifie la volonté que nous exprimons pour
étudier comment remédier à cette situation.
Dans ce travail, nous ne ferons pas usage de
l'équation de WISCHMEYER (Universal Soil Loss Equation, USLE) qui est
appliquée dans le cas d'une érosion agricole et normalement
diffuse ou en petite rigole. Le type d'érosion que nous voulons
étudier constitue déjà un cas d'érosion grave et
concentrée comme les méga-ravins à travers la ville haute
de Kinshasa.
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Nous mènerons une analyse spatio-temporelle pour nous
aider à identifier les causes principales du ravinement à
Kinshasa. Nous pensons que l'urbanisation (structure de la ville, voies de
communication) est bien à l'origine du phénomène ; par le
fait qu'elle a conduit à un changement du régime hydrologique sur
les versants de cours d'eau.
Etant dans le domaine d'analyse et de cartographie des
risques naturels, la première étape consiste à
établir une carte d'aléas (carte prédictive) par
l'inventaire systématique des événements passés et
de leurs caractéristiques. Ainsi, nous avons choisi de mener cet
inventaire des ravins entre 1957 lorsque les affaires foncières
étaient encore gérées normalement et 2007 ou cinquante ans
plus tard incluant une période caractérisée par une
gestion anarchique des terres. Nous pensons qu'il est relativement
évident d'établir une cartographie de l'aléa «
ravinement » que de celle de la vulnérabilité
engendrée par l'urbanisation. Contrairement à l'aléa qui
évolue peu à l'échelle d'une vie, la
vulnérabilité évolue dans le temps et l'espace en fonction
des sensibilités des individus et de la société. Tel est
le cas de la ville de Kinshasa où l'évolution de la
vulnérabilité (son expansion) a principalement fait
évoluer le risque du ravinement.
Pour mener cet inventaire, nous avons usé de la
télédétection et du système d'information
géographique SIG (FADUL et al., 1999 ; WADE et al.,
2008) en nous servant d'un stéréoscope binoculaire, des
photographies aériennes de 1957, des images LANDSAT de 1979 et SPOT 5 de
2006/7, des images Google Earth 2008 et 2009 et de l'anaglyphe des images SPOT
5 de Kinshasa. Nous avons utilisé quelques cartes telles que la feuille
géologique de 1963 et la planche géotechnique de 1977/76 de
Kinshasa. Nous avons usé du Système de positionnement global
différentiel DGPS Pathfinder Pro Series pour le contrôle des
points au sol et des logiciels tels que ARCGIS 9.x, ENVI 4.x pour les
différents traitements notamment le montage de notre SIG ou la
digitalisation des ravins.
Notre difficulté est à trois niveaux ; à
savoir :
- l'utilisation d'une image SPOT 5 à une
précision de 5 mètres, commandée pour la construction du
modèle numérique de terrain (MNT) pour la ville de Kinshasa.
Pourtant nous avions besoin d'une image à très haute
résolution (HTR=1m) pouvant nous faciliter l'identification même
de petits ravins ;
- la non familiarité avec les outils et logiciels
modernes de télédétection et du SIG ;
- la non disponibilité du MNT pendant que nous
terminons notre travail qui pouvait nous donner une idée de la
dégradation du milieu par le calcul automatique du volume de terres
arrachées.
D'abord, nous nous attarderons à présenter,
sans être exhaustif, le milieu naturel et humain de la ville de Kinshasa
ainsi que son évolution au fil du temps jusqu'en 2007 (géologie,
climat, sols et végétation, hydrographie et ressources en eau
souterraine, évolution démographique et expansion urbaine). Cela
est ainsi fait pour que nous ayons une idée aussi globale que
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possible du contexte dans lequel sévit le ravinement,
tout en brossant succinctement les dégâts qu'ils causent.
Ensuite, nous inventorierons les ravins apparaissant entre
1957 et 2007 dans un SIG et analysons avec des statistiques
élémentaires les données obtenues. Cet inventaire est
couplé avec la lithologie, les conditions géotechniques, tout en
recherchant les éventuelles relations entre la distribution spatiale des
ravins et la structure urbaine. Nous le comparerons avec les résultats
de VAN CAILLIE (1976/77) pour nous donner une idée de cette
évolution à mi-parcours. Aussi, nous exposerons les techniques de
lutte anti - érosive utilisées afin de nous imprégner de
la gestion du phénomène par la population kinoise et
l'autorité urbaine.
Avant de conclure, nous nous lancerons dans un exercice
complexe : celui d'analyser les risques du ravinement afin de faire ressortir
les causes réelles du phénomène ainsi que la proposition
d'éventuelles méthodes de prévention et de gestion pour
réduire les impacts négatifs consécutifs à ce
phénomène à travers la ville de Kinshasa.
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