Figure
14. Concentration des phéopigments (en ug/g de sédiment) dans la
carotte d'Ishungu (à gauche) et de Bukavu (à droite).
3. 2. INTERPRETATION DES
RESULTATS
Les nutriments dans les sédiments varient
raisonnablement, avec des fluctuations maximales pendant la saison sèche
(entre juin et septembre) et durant la période de grands vents (Pasche
et al., 2010). Les fluctuations observées dans les profils des
nutriments peuvent être liés à des taux différents
de leurs dépositions selon la productivité de la période
de déposition en question.
Dans le bassin de Bukavu, les apports externes
dépendent de l'intensité des activités de l'eau. Durant
cette période, les courants de conviction influencent la
productivité du lac (Pasche et al., 2010). Dans un bassin moins profond
comme celui de Bukavu, le taux de TP ne peut qu'être faible à
cause d'une production primaire élevée.
Lors de mélange des eaux dans le bassin de Bukavu, il
est possible que les matières dissoutes à l'interface
eau-sédiment soient relarguées dans la colonne d'eau alimentant
la production primaire ; et, cela explique la faible transparence de l'eau
de la baie de Bukavu (2,60 m) par rapport celle d'Ishungu (5,20 m) durant la
même période d'échantillonnage.
Ce phénomène de rélargage ne sera pas
d'application pour le bassin meromictique d'Ishungu qui, lui étant
très profond (~170 m), ce ne sont que les couches superficielles de la
colonne d'eau qui se mélangent sans atteindre la surface des
sédiments.
Il est ainsi raisonnable que la composition en nutriments des
sédiments d'un bassin profond et meromictique soit
caractérisée par un faible recyclage des nutriments
sédimentaires.
Les bassins dominés par les érosions sont
caractérisés par une concentration en TP élevée
à cause des apports du bassin versant (Müller et al., 2007). Le
taux de concentration de TP est plus élevé dans les
sédiments de Bukavu par rapport à ceux d'Ishungu. Muvundja et al.
(2009) ont trouvé que les rivières de la partie sud du lac Kivu
sont caractérisées par un flux des nutriments dû aux
activités anthropiques suite aux fortes densités
démographiques (Ville de Bukavu) dans le bassin versant.
Les raisons de fluctuations pour le TP sont aussi valables
pour le TN. On constatera que même pour le TN, dans le bassin de Bukavu,
il diminue en surface de la carotte, mais pas sensiblement comme le TP ;
pourtant à Ishungu, la distribution semble être homogène.
Cela fait alors penser à l'azote comme facteur co-limitant de la
production primaire tel que l'ont observé Sarmento et al. (2009).
La proportion molaire TN :TP qui décroit dans
les sédiments du bassin d'Ishungu (Fig. 12 à gauche) et
sensiblement dans ceux de Bukavu (Fig. 12 à droite) en fonction de
la profondeur, fait penser à une autre source de nutriments à
part les autochtones. Cette nouvelle source est bien sûr le bassin
versant (Muvundja et al., 2009). Le rapport TN :TP élevé
ainsi que la grande fluctuation de TP dans la carotte de Bukavu s'expliquerait
par une forte anthropisation du bassin versant immédiat
(déposition des matières terrestres).
Le profil de Chl a (Fig. 13) ne fait que corroborer cette
observation. La faible concentration en TP dans les sédiments
récents de Bukavu est certainement lié à une forte demande
en P par les microorganismes dans des conditions oxydantes plus favorables (4
mg O2/l au fond du lac) conduisant à une
régénération quasi-totale de phosphate soluble à
partir du phosphore organique déposé à la surface des
sédiments.
A Ishungu, le recyclage du phosphore sédimentaire
serait réduit par le déficit en demandeurs d'électrons
étant donnée les conditions réductrices
élevées qui y prévalent au fond du lac (Pasche et al.
2011). Cirhuza (2009) avait observé qu'à l'interface
eau-sédiment, la demande chimique en oxygène était la plus
élevée qu'à toute autre profondeur de la colonne d'eau du
lac.
En surface des carottes, on trouve moins de TP que de TN. En
profondeur, le TN est majoritaire à Bukavu comme à Ishungu. Ceci
prouve qu'il y a eu une grande modification dans le recyclage des nutriments au
lac Kivu.
Les majeures modifications observées dans le cycle des
nutriments du Lac Kivu peuvent être expliquées par un ou
l'ensemble de 3 changements environnementaux effectués sur le lac
Kivu : l'introduction de Limnotrissa miodon, la surpopulation et
les changements hydrologiques dans le bassin versant (Muvundja et al.
2009 ; Pasche et al. 2010 ; Pasche et al. 2012; Wüest et al.
2012 ; Descy . et al., 2012.
Le taux très élevé de chl.a dans le
bassin d'Ishungu par rapport à la baie de Bukavu se justifie par le
déficit des conditions anoxiques de l'interface eau-sédiment qui
permettent leur préservation d'une part, et les conditions
méromictiques, d'autre part, facilitant leur accumulation alors que dans
le bassin de Bukavu les sédiments sont constamment exposés
à l'oxygène, d'où leur dégradation facile et
avancée. Bianchi et al. (2000) avaient observé une plus grande
dégradation en pigments sédimentaires dans les conditions oxiques
de la Mer baltique par rapport à ceux exposés aux conditions
anoxiques confirmant ainsi que la préservation de la matière
organique pigmentaire des sédiments est favorisée par l'anoxie. A
Bukavu, le chl. a serait dilué par des apports allochtones accrus suite
à l'urbanisation et l'érosion (Muvundja et al. 2009).
L'allure du profil des phéopigments à Ishungu
montre un shift spectaculaire à partir de 12 cm de profondeur de la
carotte. Cette partie de la carotte coïncide à la partie où
des changements spectaculaires s'observent dans les autres paramètres
chimiques tels que le carbone organique et inorganique (Pasche et al. 2010&
2012 ; Muvundja, données non publiées). Par contre à
Bukavu, ce changement n'est pas aussi net qu'a Ishungu. La différence
est tout de même remarquable entre les phéopigments des
sédiments anciens comparés à ceux des sédiments
plus récents (Fig. 14 à droite).
Dans le domaine des biormaqeurs organiques, les
phéopigments trouvés dans les sédiments sont
considérés comme marqueurs de grazing zooplanctonique. Carpenter
et al.(1986) suggèrent que les phéopigments peuvent être
utilisées comme proxy de l'abondance du zooplancton ou de sa
prédation. La tranche de la carotte où survient le changement
spectaculaire coïncide avec l'introduction de Limnothrissa miodon
qui a eu lieu au lac Kivu à la fin des années 1950 et qui est
reconnu d'avoir soumis le zooplancton à une forte prédation
(Dumont 1986, Isumbisho et al. 2006). Cependant, la dégradation rapide
et facile des chloropigments dans les eaux aérées du bassin de
Bukavu peut également être accrue par la bioturbation au moyen des
macroorganismes benthiques (Bianchi et al. 2000).
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