Le symbole de la paix dans le processus de démocratisation des régimes monolithiques d'Afrique noire. Le cas du Cameroun( Télécharger le fichier original )par Fridolin Martial FOKOU Ecole normale supérieure de l'Université de Yaoundé I - Diplôme de professeur de l'enseignement secondaire général 2ème grade 2012 |
II- Les facteurs endogènes : les avatars de l'alternance politique au Cameroun.Le vent de libéralisation politique au Cameroun peut être perçue comme antérieur au « vent d'Est ». Et pour cause, le changement survenu à la tête de l'Etat du Cameroun est un fait important dans la dynamique politique de ce pays. Cet acte est donc perçu, à travers les conséquences produit, comme un catalyseur du retour au multipartisme au Cameroun. En effet, il est important de le considérer sous ce prisme pour mieux comprendre «l'évolution de la société camerounaise» avant le début des contestations politiques de 1990. A- Le changement de régime politique au Cameroun : entre crises de continuité et espoirs de rupture.Lorsque le président Ahmadou Ahidjo affirme au soir du 04 Novembre 1982 à la radio camerounaise : Camerounaises, camerounais, mes chers compatriotes, j'ai décidé de démissionner de mes fonctions de président de la république du Cameroun [...] J'invite toutes les camerounaises et tous les camerounais à accorder sans réserve leur confiance et à apporter leur concours à mon successeur constitutionnel Mr Paul Biya. Il mérite la confiance de tous, à l'extérieur comme à l'intérieur91(*). C'est tout un peuple qui est plongé dans l'incertitude et dans le doute non seulement vis-à-vis de l'acte qui vient d'être posé mais aussi quant à l'avenir. De fait, la démission d'Ahmadou Ahidjo posait un certain nombre de questionnements dont l'un des plus pertinents semble être aujourd'hui l'enjeu et même le fondement de cet acte politique. Nous pourront percevoir que l'analyse de ces enjeux ont eu des conséquences qui, d'une manière volontaire ou non, ont impacté sur l'évolution de l'Etat du Cameroun. 1- Les enjeux de la passation de pouvoirLe « système monolithique » instauré par le président Ahmadou Ahidjo au lendemain de la lutte pour l'indépendance avait jeté les camerounais dans « une psychose générale dues à l'état de violence politique et de brutalité sans limite instauré par les gendarmes politiques du président de la république »92(*).Bien sûr comme le rappelle Jean-François Bayart, l'Etat post-indépendant du Cameroun était caractérisé essentiellement par un « système clientéliste ». Et pour cause, le chef de l'Etat souffrait d'une « légitimité claire » : Le chef de l'Etat a tiré sa légitimité même du pouvoir, légitimité de facto qu'à justifiée sa seule réussite et qui s'est ensuite transmuée en une légitimé secondaire, de jure et démocratique [...] La survie du régime est ainsi liée à la réussite d'un homme(en l'occurrence Ahmadou Ahidjo). L'histoire de l'un se résume largement à la maximisation continue des prérogatives de l'autre93(*). L'on comprend dès lors que l'annonce du départ du président ait surpris plus d'un. Mais après la surprise vient l'instant de l'angoisse et de l'espoir. Fanny Pigeaud le résume d'ailleurs en ces termes : Pour comprendre à la fois la popularité de Paul Biya à son accession au pouvoir en 1982 et la nature de son régime, il faut s'attarder sur les décennies qui l'ont précédé et l'ont en grande partie façonné. Sans remonter à l'ère précoloniale qui n'a pas été exempte de violences, la période de protectorat allemand qui a duré trente ans, celle de la tutelle française (1914-1960) puis les vingt-deux années de présidence d'Ahmadou Ahidjo ont été marquées par une même caractéristique : une gestion autoritaire et brutale, qui a durablement marqué l'ensemble des Camerounais94(*). L'accession au pouvoir du président Biya pose ainsi un double enjeu : celui de la libéralisation de la gestion de l'Etat et de la consolidation de l'unité nationale c'est- à-dire en fin de compte la promotion d'un cadre pacifique dans un environnement international en proie à de nombreuses « turbulences »95(*). Le Cameroun comme la plupart des pays d'Afrique et du tiers monde est en position de contrariété dû aux exigences internationales de cette dernière décennie du XXème siècle. Envisager la reconfiguration de la conception de la notion d'Etat entraine ainsi à opérer une sorte de révolution de la part de l'élite gouvernante à Yaoundé. Car qu'est ce qu'une révolution sinon ? De l'avis d'Hubert Mono Ndjana, « toute révolution est un retournement radical, et ce retournement, tranquille ou non, constitue déjà en lui-même une violence faite aux structures anciennes »96(*). A l'analyse donc, la passation de pouvoir au Cameroun posait un problème de renouvellement de la classe politique dirigeante. Les « idées neuves » veulent se substituées aux « vieilles idées ». Ce qui, au-delà de toute idée avancée pour justifier le départ de l'ancien chef de l'Etat97(*), pose le problème de la pérennité du système. C'est à l'aune de ces considérations qu'on peut « rigueur, moralisation de la gestion publique, démocratisation » comprendre les slogans politiques adoptés par Paul Biya lors de sa prestation de serment à savoir dont il en fait les maitres-mots de sa ligne politique. Mais, Quelles que soit les motivations qui le poussent à se prévaloir de ces mots d'ordre (rigueur, moralisation de la gestion publique, démocratisation), ceux-ci ont canalisé de puissantes aspirations au changement et introduit la notion de démocratie comme idée régulatrice et norme de jugement dans la politique au sein même du parti unique98(*). Ceci a amené les deux hommes à se brouiller au sujet de la base même du pouvoir politique au Cameroun après 1982. Pour le président Ahmadou Ahidjo, « l'UNC (parti unique) définit les grandes orientations de la politique que le gouvernement doit mettre en oeuvre »99(*), tandis que pour le nouveau chef de l'Etat, c'est le président de la république qui incarne la politique gouvernementales. Ainsi déclare-t-il, « en ce qui concerne la constitution [...] qui est la règle la plus élevée, il est dit que c'est le président de la république qui définit la politique de la nation »100(*). On peut dès lors penser que cet usage controversé met en place au Cameroun les germes d'une « crise de succession » car le socle de stabilité que constituait le cumul de fonctions de président de la république et de président du parti est désormais remis en cause et même contesté par deux hommes dont les aspirations s'avèrent de plus en plus opposées. Alors, note Luc Sindjoun, La crise de succession présidentielle met en jeu, de manière succincte, des acteurs ayant des ressources politiques différentes. L'un, le président Paul Biya, a comme ressource matérielle l'Etat, et idéologique le changement et l'autre, Ahmadou Ahidjo, le parti unique et idéologique, la continuité101(*) Toujours est-il que cette confrontation posa le problème du bicéphalisme politique au Cameroun. Cette situation allait, de manière volontaire ou non, entrainer le Cameroun au bord du gouffre et susciter des enjeux dont le terme sera l'ouverture politique à la compétition électorale. * 91 V. Ndi Mbarga, Ruptures et continuités au Cameroun, Paris, L'Harmattan, 1993, pp.11-12. * 92 A. Eyinga, Introduction à la politique camerounaise, Paris, L'Harmattan, 1986, p. 234. * 93 J. F. Bayart, L'Etat au Cameroun, Paris, presse de la Fondation Nationale de Science Politique, 1986, p.143. * 94 F. Pigeaud, Au Cameroun de Paul Biya, Paris, Karthala, 2011, p. 9, consulté sur http:// www.google.fr/le-processus-de-démocratisation-au-cameroun/, le 05 Octobre 2011 à 21h32. * 95 Y-A. Chouala, « Désordre et ordre dans l'Afrique Centrale actuelle : démocratisation, conflictualisation et transitions géostratégiques régionales », thèse de doctorat 3ème cycle, Diplomatie, Relations Internationales, IRIC, Yaoundé, 1999, p.283. * 96 H. Mono Ndjana, L'idée sociale chez Paul Biya, Yaoundé, UY/SOPECAM, 1985, p.90. * 97 Pour plus amples information sur les raisons du départ d'Ahmadou Ahidjo, se référer à Ph. Gaillard, Ahmadou Ahidjo, patriote et despote. Bâtisseur de l'Etat camerounais, Paris, éd. Jeune Afrique, 1996. * 98 F. Eboussi Boulaga, La démocratie de transit au Cameroun, Paris, L'Harmattan, 1997, p. 34. * 99 Cameroon Tribune, n°2592 du 30 au 31 Janvier 1983, p. 3. * 100 Ibid., n°2703 du 18 Juin 1983, p.8. * 101 L. Sindjoun, «Le président de la république du Cameroun à l'épreuve de l'alternance néo-patrimoniale et de la transition démocratique », M.-C. Diop et M. Diouf, Les figures du politique en Afrique. Des pouvoirs hérités aux pouvoirs élus, Paris/ Dakar, CODESRIA/ Karthala, 1999, p.78. |
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