Emancipation et représentations sexuées des femmes dans le système fédéral du tennis français( Télécharger le fichier original )par Baptiste Jalleau Université Paris-Est Créteil - Licence STAPS Management du Sport 2013 |
B- Sur le plan qualitatifLes chercheurs s'intéressant à l'histoire du sport ont commencé à travailler en faveur des femmes assez tardivement. Ce phénomène reste très contemporain lorsque l'on sait que les premiers travaux en faveur des femmes dans le secteur du sport apparurent au début des années 1970. Des travaux nord-américains, précurseurs dans ce domaine, apparaissent dans les années 1980 plus massivement, ce qui justifie le fait que notre historiographie débutera en 1983. L'histoire du sport, des femmes et du genre a largement été abordée par les Etats-Unis et le Canada, nations pionnières en la matière. L'Allemagne et l'Angleterre suivront par la suite. La France s'y intéressera que plus tard, elle bénéficiera des héritages précédents, ce qui lui permettra la production de travaux de qualité, malgré un retard très conséquent sur l'Amérique du Nord. Les travaux de Bourdieu changent beaucoup de choses dans la deuxième moitié du XXème siècle, il compare la société à un espace de jeu polarisé et définie une homologie entre la distribution sociale des pratiques sportives et l'espace des positions sociales. Ainsi il affirme qu'on ne peut comprendre une position sociale qu'en fonction d'autres positions sociales. La société est basée sur des aspects relationnels, elle se veut constamment évolutive. Un rapprochement avec notre sujet semble inévitable dès lors que l'on considère que la place des femmes dans leur pratique sportive notamment, ne s'aborde qu'en prenant compte de la place des hommes. Les années 1970 initiatrices du féminisme, puis focus sur la période 1983-1991 : Dans les années 1970, quelques biographies de sportives, dirigeantes ou éducatrices apparaissent, mais celles-ci demeurent marginales et descriptives, et se limitent à sortir ces femmes de l'ombre sur le plan individuel plus que pour oeuvrer et participer à l'évolution du sport et de ses représentations sociétales aux Etats-Unis. Néanmoins c'est dans ces années que les premières vraies déconstructions sociologiques féministes apparaissent. Les années 1970 représentent le fer de lance des travaux et études qui ont suivi et des évolutions observées, notamment avec les travaux menés sur les rapports sociaux de sexe, le genre. Apparaît le souhait de déconstruire des représentations concernant le masculin et le féminin, même si les travaux et concepts avancés à l'époque ne sont qu'un début... Nancy Struna publie un article en 1984 dans le « Journal of Sport History » où elle appelle à intégrer les apports de l'histoire des femmes au sein de l'histoire du sport. Elle va bien au-delà de simples approches descriptives, elle met en place des analyses critiques en terme de pouvoir, d'inégalité, de conflit et d'identité. « L'histoire du sport féminin demeure d'abord celle de la lutte des femmes pour la conquête d'un territoire historiquement masculin »4(*). A la fin des années 1980, les relations entre le sport et les femmes sont quasi-systématiquement étudiées avec la médecine. « Là où le sport n'était qu'oppression des femmes, il apparaît désormais aussi source d'émancipation »5(*). Les chercheurs s'aperçoivent que l'expérience acquise par le public féminin varie beaucoup en fonction de la pratique sportive courtisée. Ainsi des travaux apparaissent sur des sports pratiqués par les femmes, mais à connotation masculine, comme les sports mécaniques avec Gertrud Pfister, ou le cyclisme avec Patricia Mark. Entre 1983 et 1991, le sport est étudié à travers ses pratiques, ses institutions et ses discours. Il est étudié et appréhendé dans sa dimension inégalitaire, sa dissymétrie bien présente entre les hommes et les femmes. La domination masculine et l'exclusion des femmes représentent une branche du processus analysé par les chercheurs à cette époque. On y retrouve aussi le « rôle des représentations normatives du corps, la lutte des femmes pour conquérir l'institution sportive et les trajectoires d'excellence (championnes sportives et/ou dirigeantes) »6(*). Une forme de résistance aux courants machistes et misogynes historiques de la culture sportive apparaît dans les années 1980 avec l'insertion professionnelle au sein des UFR Staps en France, des historiens du sport. Des auteurs comme Georges Vigarello, André Rauch ou Pierre Arnaud vont s'intéresser à l'histoire du genre dans le domaine sportif, et produiront des travaux importants. Néanmoins, ce sont des spécialistes femmes de sociologie, de psychologie, et de psychanalyse qui produiront les premiers travaux concernant la question des pratiques sportives féminines en France. « La psychanalyste Françoise Libridy prononcera la première conférence d'une Française dans l'histoire du sport féminin, en 1978, lors d'un congrès de la société internationale d'histoire du sport (HIPSA) tenu à Paris »7(*). Sur la décennie suivante, celle-ci poursuivra ses analyses dans la construction des rôles sociaux et des normalisations corporelles. « Deux thèses de sociologie du sport sont soutenues sur les pratiques physiques des femmes en 1982 et 1986 »8(*). Cela montre que l'intérêt porté aux femmes dans le secteur sportif prend de l'importance en termes de recherches, la considération portée aux femmes dans le sport change, et évolue. A la même période, Catherine Louveau s'impose comme LA spécialiste de la sociologie du sport féminin. Elle se charge du chapitre concernant l'approche sexuée des pratiques dans l'ouvrage de Christian Pociello « Sport et société » en 1984. Les analyses de Catherine Louveau sont novatrices à plusieurs titres : d'une part elles puisent dans les travaux de Bourdieu et de la sociologie du travail, qui a développé des outils permettant l'interprétation des pratiques féminines ; d'autre part en anticipant sur l'analyse des différences entre les sexes, mise en corrélation avec une étude sur la différenciation sociale des sportives elles-mêmes. Les travaux de Catherine Louveau déboucheront en 1991, sur une véritable sociologie historique du sport féminin dans une synthèse co-signée avec Annick Davisse. Focus sur la période 1991-2000 : Dans les années 1990 et 2000, de nombreuses évolutions apparaissent au niveau historiographique sur le plan international, et méthodologique pour le cas français concernant le sport et les femmes. Au début des années 2000 il devient même logique et indispensable d'étudier l'histoire du sport en prenant en compte les facteurs de genre sexué. En 1994, à l'initiative de Pierre Arnaud (historien du sport réputé) et Thierry Terret, avec l'aide d'autres chercheurs concernant la question de la construction et représentation du sport féminin (Catherine Louveau, Gertrud Pfister, Tony Mangan), est prononcée une conférence réunissant 120 participants. Les analyses et les perspectives prononcées s'inscrivaient dans un registre relativement « nouveau » pour l'époque. Les auteurs cités ci-dessus, même s'ils travaillent sur un seul et même sujet (aussi vaste soit-il), ne sont pas en accord sur tous les points. Ainsi « pour Pierre Arnaud, l'histoire du sport féminin révèle une progressive a-sexuation de ses caractéristiques au profit d'une logique de l'efficience motrice, elle est au contraire pour Catherine Louveau l'illustration du conservatoire des identités sexuelles que constitue depuis toujours l'institution sportive »9(*). Cette citation révèle les points de vue divergents obtenus de l'étude historiographique du sport féminin. Pour Pierre Arnaud, le sport s'en va dans une direction où les genres sexués « s'effacent » au profit d'objectifs sportifs privilégiant l'efficience motrice10(*). Catherine Louveau quant à elle, opte une idéologie selon laquelle le sport persiste à asseoir les identités sexuelles, comme il l'a toujours fait. Dans les années 1990 en France, les études et avancées sur le thème que l'on convoite végètent11(*) quelque peu. En effet, seulement une douzaine d'articles paraissent entre 1994 et 199912(*), ceci dû certainement aux divergences en termes de point de vue et d'interprétation entre les auteurs, les amenant sur des chemins différents concernant le sujet de l'histoire du sport et des femmes. Les travaux menés sur cette période montrent la domination masculine prégnante sur le sport, le phénomène naturel qui en découle, ainsi que l'exclusion des femmes. Les critères utilisés sont centrés sur les pratiques sportives largement connotées masculines (base-ball, football américain, rugby...), mais aussi sur l'institution scolaire (sur laquelle nous reviendrons plus tard dans ce mémoire) et les médias. Le sport féminin s'inscrit historiquement dans l'idéologie confortant les stéréotypes dominants. Stéréotypes comprenant la sexualité, maternité, et la beauté des femmes ; mais également des stéréotypes articulant les femmes avec les autres catégories sociales (nation, religion, classes sociales, race, ethnicité...). L'émancipation des femmes n'est que peu évoquée et analysée dans la mesure où les mouvements féministes et le sport féminin ont encore une relation très étroite dans les années 1990. « La conquête du sport par les femmes ne se produit pas de la même manière, ni selon les mêmes rythmes en fonction des activités, des lieux (fédérations sportives ou affinitaires, mouvements de jeunesse...) ou des cultures nationales »13(*). C'est en ces termes que l'on voit les différences d'évolution concernant le sport féminin qu'ont pu observer les chercheurs. On a vu précédemment que les études menées ont commencé bien plus tôt en Amérique du Nord qu'en Europe, la vision du sport dans sa dimension culturelle est bien différente et à dissocier d'une nation à l'autre. Les systèmes d'organisation (au niveau de l'Etat et dans le secteur privé avec les fédérations) varient beaucoup selon les pays, et les cultures nationales jouent un rôle dans la chronologie des évolutions observées concernant l'histoire du sport et des femmes. Au début des années 2000, de nombreuses thèses sont rédigées et présentées pour améliorer les travaux menés jusqu'à cette période. Des communications sont prononcées en 2004, l'idée étant désormais de ne plus présenter simplement le sport féminin comme une catégorie à la conquête d'un univers masculin, mais d'insister sur le champ précis qu'il représente, « dans sa propre dynamique interne, avec ses figures d'excellence ou atypiques, ses institutions et ses conflits internes ».14(*) En finalité, on peut dire que l'attention portée aux femmes dans le sport est quelque chose de « récent », en ce sens que les études menées et conférences orientées sur le sport et les femmes pour améliorer les représentations accordées à celles-ci et faire évoluer la pratique sportive féminine, sont apparues il y a peu de temps. « La première conférence internationale sur les femmes et le sport, à laquelle ont participé des décisionnaires nationaux et internationaux du sport a eu lieu en mai 1994 à Brighton, au Royaume-Uni. La prise de conscience de cet enjeu15(*) est donc récente et s'inscrit dans un contexte social et politique devenu favorable à la prise en compte des inégalités entre les femmes et les hommes »16(*). En France, c'est à partir de 1998 que le Ministère chargé des sports met en place des moyens et des structures pour faire progresser la place des femmes dans la société et le monde sportif, et permettre la pratique quelque soit le niveau, de toutes les femmes sportives, constituant un des objectifs principaux. Le 6 juillet 2000, une loi réaffirme l'accès égal des femmes et des hommes à la pratique sportive à tous les niveaux de responsabilité au sein des associations. En 2004, l'Etat français s'applique à faciliter l'accès à la fonction publique dans le secteur du sport pour les femmes, à assurer des contenus de formation égalitaires. Des articles de loi sont mis en place concernant l'accès des femmes à la pratique sportive... (L.100-1 et L.131-9 du Code du sport) "Les activités physiques et sportives constituent un élément important de l'éducation, de la culture, de l'intégration et de la vie sociale. Elles contribuent notamment à la lutte contre l'échec scolaire et à la réduction des inégalités sociales et culturelles, ainsi qu'à la santé. La promotion et le développement des activités physiques et sportives pour tous, notamment pour les personnes handicapées, sont d'intérêt général ». Cette citation fait référence aux externalités positives apparaissant avec les activités physiques et sportives. Le sport peut s'inscrire dans un registre éducatif bénéfique à la Jeunesse en difficulté d'un point de vue scolaire, car il contribue à un bien-être corporel et mental. L'Etat souhaite améliorer le développement des activités physiques et sportives dans sa dimension institutionnelle, il souhaite améliorer l'accès et l'enseignement des APS. Il juge bon ce développement pour palier aux problèmes d'inégalités sociales, le sport étant un « terrain de jeu » pouvant être bénéfique pour tous. « Les fédérations sportives agréées participent à la mise en oeuvre des missions de service public relatives au développement et à la démocratisation des activités physiques et sportives... » L'Etat souhaite une mise en application coordonnée des projets pédagogiques et institutionnels relatifs aux activités physiques et sportives avec les fédérations agréées. Apparaît alors une nécessité de contribution des fédérations sportives agréées, communiquant pour l'Etat. Les fédérations jouent désormais un rôle d'intermédiaire en terme de communication relative aux APS pour l'Etat. * 4 TERRET Thierry, « Le genre dans l'histoire du sport », CLIO. Histoire, femmes et sociétés, n°23, 2006, p. 209 * 5 Ibid., (Thierry, 2006) p.210 * 6 Ibidem. * 7 Ibidem. * 8 Ibid., p. 211 * 9 Ibid., p. 212 * 10 Efficience : Une activité sera dite d'autant plus efficiente qu'elle permettra d'atteindre à moindre coût (énergie et cognitif) le même niveau d'efficacité (efficacité = résultat). LEPLAT "Les habiletés cognitives dans le travail", 1989. * 11 Synonyme : Stagner. * 12 Ibid., p. 212 * 13 Ibid., p.215 * 14 Ibidem * 15 « L'enjeu » dont il est question ici fait référence à la reconnaissance sportive des femmes, leur considération sur le plan du développement sportif. * 16 Source internet : www.sports.gouv.fr - Site du Ministère des Sports, de la Jeunesse, de l'Education populaire et de la Vie associative - Article « Femmes et sport », 12/2012 |
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