1.2 Problématique
Le débat portant sur la relation entre la forme de
propriété et la performance3 de l'entreprise suscite
un vif intérêt sur le plan de la recherche surtout depuis que les
privatisations occupent une place importante dans l'agenda politique des
gouvernements à travers le monde.
Sur le plan théorique, trois principaux courants
viennent supporter la thèse de la supériorité de la forme
privée de propriété soit : la théorie des droits de
propriété (Alchian et Demsetz, 1973), la théorie des choix
publics (Buchanan, 1968; Niskanen, 1971; Tullock, 1976), et la théorie
d'agence (Jensen et Meckling, 1976). En effet, les entreprises publiques,
contrairement aux entreprises privées, ne sont pas fondées dans
le but ultime de maximiser les profits (Ramanadham, 1991; Gortner et al, 1993;
Rainey, 1996). De plus, le risque de faillite est quasi-inexistant pour les
entreprises publiques, ce qui n'incite pas les gestionnaires de ces
sociétés à une rigueur dans leur tâche et à
une recherche de l'efficacité comparativement à leurs pairs du
secteur privé.
Sur un plan purement empirique toutefois, le débat sur
l'accroissement de la performance, induit par la privatisation comme le
prévoit la théorie de l'efficience-X, a toujours suscité
une grande controverse. En effet, les méthodes utilisées par les
différents auteurs pour filmer cette relation ont connu une
évolution. On est parti des études faisant une comparaison entre
les entreprises publiques d'une part et les entreprises privées d'autre
part. Ces études ne portaient pas directement sur la privatisation. Et
même si, un très grand nombre d'études sur les
privatisations se regroupent dans cette vague4, cette méthode
suscite de vives polémiques. En effet, on ne saurait comparer des
entreprises différentes dans leurs objectifs, leurs tailles (petites,
moyennes, grandes), leurs contextes (monopole, concurrente). La critique
majeure ici est que ces recherches comparent des entreprises, et non pas le
phénomène de la privatisation ou mieux les effets du passage du
public au privé (Fouda, 2004).
A la lumière de ces critiques, on a
évolué vers des recherches portant sur l'incidence du transfert
d'une entreprise du secteur public au secteur privé. La performance
d'une entreprise privatisée peut être comparée
respectivement avec sa propre performance avant la
3 Arena, et al. (1991) définissent la
performance d'une entreprise comme un résultat que celle-ci
réalise et dont la nature et l'unité varient selon les
critères qui peuvent être, entre autres, ceux de
profitabilité, de productivité.
4 Blankart (1998), De Alesi (1980), borcherding et
al (1981), Millward (1982), Millward et Parker (1983), Yarrow (1986), Domberger
et Pigott (1986), Borins et Boothman (1986), Donohue (1989), Baily et Pack
(1995).
3
privatisation ou avec des firmes qui n'ont pas encore
été privatisées. Cette approche proposée par
Megginson et al. (1994) permet de comparer des échantillons importants
de firmes de taille économiquement significative, situées dans
des secteurs industriels hétérogènes, dans
différents pays et à des périodes variables.
Une des limites que l'on attribue à ces études
est que malgré l'accent qui est mis sur le phénomène de
privatisation, il reste que l'ambiguïté des résultats,
déjà critiquée dans la première vague de recherche
est toujours présente. En effet, certaines de ces études comme
celles de Bishop et Kay (1989), Martin et Parker (1995) et Parker (1993)
arrivent à la conclusion que la privatisation n'est pas forcement
synonyme d'accroissement de performance. D'autres, par contre comme celles de
Galal et al. (1992) et celle de Megginson et al. (1994) aboutissent à
une forte performance consécutive aux privatisations. Face à
cette ambigüité persistante, on est en droit de se poser la
question de savoir pourquoi cet écart entre prédictions
théoriques et observations empiriques ?
Le fait que les résultats des études empiriques
soient aussi divergents d'une méthode à une autre nous pousse
quand même à constater que le problème n'est pas forcement
au niveau de son opérationnalisation. Il faudrait peut-être
chercher dans sa conception ou dans celle des variables prises en compte dans
les analyses pour trouver ses origines.
En effet, les auteurs sont partis d'une analyse de la
performance basée sur des comparaisons des valeurs moyennes et
médianes des ratios de rentabilité tels que Return On Sales (ROS
ou Résultat net/Chiffre d'affaires), Return On Equity (ROE ou
Résultat net/Capitaux propres) et Return On Assets (ROA ou
Résultat net / Total de l'actif) ; des ratios de productivité
tels que Sales Efficiency (SPE ou Ventes réelles / Effectif), Net Income
Efficiency (IPE ou Résultat net/Effectif) et Assets Per Employee (APE ou
Actif total / nombre d'employé) ; des ratios des dépenses
d'investissement ; l'emploi et les ratios d'endettement pour les mêmes
firmes trois années pour la plupart avant et après la
privatisation.
Cependant, cette analyse ne permet que de cerner l'effet
statique de la privatisation. Ce qui suppose implicitement que l'influence de
la privatisation se produit instantanément, qu'il y a une rupture, un
choc, entraînant un redressement relativement rapide de la performance.
De plus, ces mesures comptables bien qu'occupant une place dominante dans les
études existantes sont faites lors de périodes non synchrones et
dans des systèmes comptables différents. Les conditions
sectorielles et macroéconomiques changent au cours des sept ans et
affectent différemment les entreprises selon le caractère plus ou
moins international de leurs activités, ce qui pourrait être
à l'origine de substantiels biais. Pour palier à ces limites,
4
Alexandre et Charreaux (2004) suggèrent d'introduire
dans l'analyse les variables de contrôle rendant compte de la conjoncture
économique et recourir aux entreprises relevant du même
système comptable national. Notre étude obéit à
cette logique.
Afin d'approfondir l'étude, certains auteurs
suggèrent de découper l'analyse en deux sous période (t =
-3 à 0 et t = 0 à +3). Il s'agit maintenant de comparer d'une
part les valeurs moyennes et les médianes des mêmes mesures de
performance pour les mêmes firmes trois années pour la plupart
avant la privatisation avec celui de la date d'événement (date de
privatisation) et d'autre part on compare celui de la date
d'événement avec les valeurs moyennes et les médianes des
mêmes mesures de performances pour les mêmes firmes trois
années après la privatisation. Cette approche a été
critiquée car elle ne donne qu'une vision grossière de
l'efficacité dynamique, raison pour laquelle on est arrivé
à la mise sur pied plus tard des modèles
économétriques de données de panel intégrant de
nouvelles variables permettant de mieux cerner cet effet.
C'est ainsi que certains auteurs introduisent donc dans
l'analyse l'étude des facteurs temps (statique/dynamique), et
environnement (politique et économique). C'est le cas de Villalonga
(2000) qui fait l'hypothèse selon laquelle les effets de la
privatisation sur la performance sont fonction de la période (plus ou
moins longue) considérée par l'étude. D'autres, par contre
intègrent dans le modèle les variables telles que « le
contexte de privatisation, les caractéristiques organisationnelles et de
gouvernance de l'entreprise et de leviers d'efficacité » qui sont
de nature à influencer d'une manière ou d'une autre la
performance des firmes privatisées.
Aujourd'hui, plus de vingt ans après le
démarrage officiel des programmes de privatisation au Cameroun, il
serait intéressant de s'interroger d'avantage sur le
phénomène encore en cours. Si la littérature actuelle
recense plusieurs fondements théoriques en faveur des privatisations, il
reste que les études empiriques n'arrivent pas toujours à
corroborer entièrement l'hypothèse d'accroissement de performance
induite par la privatisation. De plus, ces divergences dans les mesures et les
méthodes d'analyse renforcent d'ailleurs les discordances dans les
conclusions sur la supériorité supposée de la performance
de l'entreprise privatisée. Stiglitz (2000) affirme que : « bien
que les cas de gaspillage de l'Etat soient nombreux, les faits ne confirment
pas toujours l'idée selon laquelle le secteur public serait fatalement
moins efficace que le secteur privé », d'où on se demande :
quelle est l'incidence réelle de la privatisation des
entreprises publiques camerounaises sur leur performance ? Autrement dit,
qu'elle est l'impact du transfert de propriété du
secteur
5
public au secteur privé sur leur performance,
notamment en termes de rentabilité et de productivité
?
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