VERS UNE COMPREHENSION DES RESEAUX SOCIAUX ET DE LA
PRESENCE DES MARQUES SUR LES PLATEFORMES SOCIALES
1.1 De l'origine du réseau social aux
réseaux socio-numériques
1.1.1 Retour sur l'origine de la notion de «
réseau social »
Un « réseau social » est aujourd'hui
défini comme étant constitué d'organisations ou
d'individus reliés entre eux par des liens qui sont créés
à l'occasion d'interactions sociales. Le terme réseau social
(social network) a été mentionné pour la première
fois par l'anthropologue anglais J. A. Barnes en 1954 (Balagué &
Fayon, 2010). J.A Barnes a contribué à l'avancement des
études sur les sciences sociales et la notion de « réseau
», mais cet avancement n'aurait pu être possible sans les nombreuses
recherches réalisées par ses prédécesseurs au cours
du vingtième siècle.
Pour remonter à l'origine des analyses portant sur les
interactions sociales, il faut s'intéresser aux explorations des formes
sociales menées par le philosophe et sociologue allemand, Georg Simmel,
reconnu le plus souvent par les analystes des réseaux sociaux comme
étant l'initiateur de ce courant (Forsé, 2002). Georg Simmel,
s'est positionné à un niveau intermédiaire entre l'analyse
de l'individu et celui de la société dans son ensemble, qui est
celui « des formes sociales » résultant de l'interaction entre
les individus (Forsé, 2002). L'approche de G. Simmel est reconnue par
bien des chercheurs comme une des plus importantes de l'analyse contemporaine
des réseaux sociaux.
Après les fondations posées par G. Simmel
à cet édifice, qu'est l'analyse des réseaux sociaux. Un
grand homme du nom de Jacob L. Moreno, apporta à cette analyse des
éléments importants. Ce médecin du travail, sociologue,
philosophe, psychothérapeute de groupe, homme de théâtre et
inventeur de « la sociométrie » a offert avec la
création du « test sociométrique » et du «
sociogramme » la possibilité d'étudier, d'examiner et de
représenter la position de chaque individu dans une structure sociale et
les relations d'attractions et de répulsions entre ces individus
(Moreno, 1934). Ces inventions confèrent à J. L. Moreno le
mérite d'avoir été le premier à tenter un examen
empirique et une représentation des relations sociales au sein d'une
structure.
L'anthropologue et ethnologue français Claude
Lévi-Strauss ajouta à son tour sa pierre à
l'édifice, à travers ses études portant sur les «
systèmes de parenté », et plus précisément sur
les corrélations
10
entre les « systèmes d'appellation1
» et le « système des attitudes2 »
(Lévi-Strauss, 1945). Pour mener à bien ses recherches, C.
Lévi-Strauss repris le cas classique en anthropologie, celui de «
L'Avunculat3 ». Ses observations lui permirent de
définir une loi générale, qui dit que les quatre
éléments (frère, soeur, père, fils) sont «
unis entre eux par deux couples d'opposition corrélatives, et tels que,
dans chacune des deux générations en cause, il existe toujours
une relation positive et une relation négative »
(Lévi-Strauss, 1945) ; ce qui veut dire que ce n'est donc pas entre
les termes désignant les relations entre les membres de la
parenté qu'il y a une relation, mais entre les relations entre les
termes.
Dans le courant des années cinquante, les
anthropologues de « l'Ecole de Manchester » ont ouvert de nouveaux
chemins à l'analyse des réseaux sociaux à travers les
travaux de J. A. Barnes et E. Bott. Cet à ce moment là de
l'histoire, que l'anthropologue anglais, J. A. Barnes mentionna pour la
première fois, le terme « social network » (réseau
social) dans un article de « Human relations ». Ces travaux
portaient sur l'analyse de l'organisation sociale d'une petite
communauté grâce à l'étude de l'ensemble des
relations existantes entres les individus de la ville de Bremnes en
Norvège. Ces études permirent à cet anthropologue de
bâtir un certain nombre d'hypothèses basées sur les
réseaux qu'il observait. Il fit une hypothèse très
importante portant sur la « densité » des relations au sein
des réseaux ; il constata en premier lieu, que tous les individus de
l'île pouvaient être indirectement connectés entre eux par
une chaîne ne comprenant pas plus de quatre « relais
intermédiaires » ; et en second lieu, il remarqua que le plus
souvent lorsqu'un individu de l'île était en relation avec deux
autres individus, il y avait une forte probabilité que ces deux autres
individus soient eux aussi connectés. Ces recherches ont permis par la
suite, l'ouverture à une nouvelle voie dans le développement des
instruments d'analyse des réseaux.
Cette nouvelle voie fut très vite empruntée par
Elizabeth Bott, une psychologue canadienne qui rejoignit le département
d'anthropologie de l'Ecole de Manchester dans le début des années
cinquante. Elle se pencha sur l'analyse des relations entre les individus d'un
« groupe domestique4 » et la corrélation qu'elles
pouvaient avoir avec les relations de ces mêmes individus avec des
personnes extérieures. Après cette longue étude, elle se
rendit compte qu'il y avait une forte
1 Les systèmes d'appellation sont des
catalogues de termes pour désigner les différentes relations
entre membres d'un groupe familial (Père, fils, neveu, cousin...).
2 Le système des attitudes lui sert à la
définition des conduites associées à une appellation
(Respect, Familiarité / Amitié, Hostilité).
3 Le terme avunculat est un terme technique
utilisé, en anthropologie de la parenté, pour désigner la
relation entre une personne de référence (Ego) et son «
oncle maternel » ou, inversement, entre Ego et son neveu utérin ou
Ego et sa nièce utérine. Le terme avunculat dérive
lui-même du latin avunculus, un terme de parenté
utilisé pour désigner, dans cette langue, le frère de la
mère (MB) par opposition au frère du père patruus
(FF).
4 Un « groupe domestique » est un
réseau relationnel qui comporte des relations entre les membres du
groupe, et des relations avec des personnes extérieures.
11
corrélation entre l'intensité des relations dans
un couple et la densité de leurs réseaux extérieurs.
Autrement dit, plus les relations avec des personnes externes au groupe sont
denses, plus les rôles du mari et de la femme au sein du groupe sont
indépendants, et moins les relations entre eux sont intenses. Cette
étude à permis une avancée dans l'analyse des
réseaux sociaux pas uniquement grâce aux résultats obtenus,
mais surtout grâce à la technique d'étude empirique
utilisée par E. Bott. L'Ecole de Manchester a donc apporté
à ce grand édifice, qu'est l'analyse des réseaux sociaux
un bon nombre de concepts fondamentaux tels que la connexité, la
multiplexité, la densité, la groupabilité ; qui sont des
notions encore utilisées de nos jours et qui permettent une description
des attributs formels des réseaux et l'analyse de leurs effets sur le
comportement des individus.
Plus tard, l'introduction de quelques outils
mathématiques tels que la théorie des graphes et l'application
des calculs matriciels à l'analyse des données relationnelles ont
toutefois favorisé un certain nombre d'avancées
méthodologiques.
La théorie des graphes a permis de
générer une méthode de représentation graphique
plus aboutie que celles proposées par Moreno et Lévi-Strauss
quelques années auparavant, mais elle offre surtout une formalisation
qui permet de caractériser, de discerner et de catégoriser des
structures relationnelles en fonction de propriétés fondamentales
d'organisation des interrelations.
Cette avancée méthodologique est
consolidée au début des années soixante-dix par
l'introduction des méthodes algébriques et du calcul matriciel.
Le grand homme de ce mouvement, fut Harrison White, un sociologue
américain, actuellement professeur de sociologie à
l'université de Columbia à New York. Il joua un rôle
primordial grâce à l'élaboration de concepts d'analyse
basés sur l'utilisation de modèles algébriques et
matriciels permettant de représenter, d'analyser et de
hiérarchiser un ensemble d'éléments relationnels (Mullins,
1973). La représentation des analyses matricielles se fait sous forme de
tableaux, aussi appelés « Blockmodels », se type de
présentation des données sacrifie la dimension graphique en
faveur de la dimension analytique et offre un moyen plus performant pour
distinguer certaines propriétés structurales des réseaux
tels que la densité, la centralité, la popularité,
l'isolement...
Toutes ses recherches ont conditionné la
compréhension des réseaux socio-numériques tels que nous
les connaissons aujourd'hui, depuis l'avènement du « Web
2.05 » et des sites de réseaux sociaux. Cependant, il
est clair que toutes ses études ont porté sur les interactions
sociales d'un
5 L'expression « Web 2.0 »
désigne certaines technologies et des usages du World Wide
Web qui ont suivi la forme initiale du web, en particulier les interfaces
permettant aux internautes ayant peu de connaissances techniques de
s'approprier les nouvelles fonctionnalités du web. Ainsi, les
internautes peuvent interagir (partager, échanger, etc.) de façon
simple, à la fois avec le contenu et la structure des pages, mais aussi
entre eux, créant ainsi notamment le Web social.
12
point de vue général, et sur les réseaux
sociaux qualifiables de « traditionnels » et non «
numériques » ; il serait donc intéressant dans la poursuite
de notre analyse de définir la notion de réseau social
traditionnel, la notion de réseau socio-numérique et la
distinction entre ses deux concepts.
|