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La transgression des lois du mariage dans " le fils d'Agatha Moudio " de Francis Bebey

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par Arnaud Tcheutou
Université de Douala - Cameroun - Maitrise 2007
  

Disponible en mode multipage

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1i

A ma mère Nya Jeanne Nicole,

pour tout le sacrifice consenti à la réalisation de ce travail et de mon Etre.

Muna nu masengane na ngata.

Un enfant désobéissant obéit enchaîné1.

2ii

1- Proverbe duala traduit en français par Ebélé Wei in Le Paradis tabou : autopsie d'une culture assassinée, Douala, Editions Cerac, 1999, P. 212.

iii

REMERCIEMENTS.

Ce travail n'aurait pas été réalisé si nous n'avions pas bénéficié du soutien de certaines personnes. Nous voulons ainsi penser au Dr Nug Bissohong Thomas Théophile. Il est prié de trouver en ce Mémoire l'hommage que l'effort rend à la vertu de sa rigueur méthodologique et à la perspicacité de ses opinions. Puisse le salut de sa paternité ignorer les insomnies que nos lacunes lui ont causées tout au long de l'encadrement de cette recherche.

Un vibrant hommage est également rendu au Chef de Département de Linguistique, Littérature et Civilisations Négro-Africaines de l'Université de Douala, le Professeur Remy Sylvestre Bouelet, dont la riche expérience et la « pression » exercée sur nous ont été des facteurs non négligeables dans l'accomplissement de cette tâche. Pensons aussi à tous nos enseignants, de la première année jusqu'à ce niveau.

Reconnaissons et saluons l'apport moral, psychologique et surtout matériel, de Yankam Jacqueline, qui nous a été indéniablement salvateur.

Que dire donc à tous nos frères et soeurs, à tous nos amis et tous ceux qui nous ont aidé de près ou de loin, tout simplement MERCI...

iv

RESUME.

Ce mémoire porte sur la transgression des lois du mariage dans Le Fils d'Agatha Moudio de Francis Bebey. Ce sujet est motivé dans une certaine mesure par le noeud puis le dénouement de l'intrigue du roman. Le début du récit donne à voir le personnage principal, Mbenda, en parfaite harmonie avec les siens, du fait de sa bravoure et de son intégrité. La fin le présente diminué et déçu, à cause de l'anti-conformisme dont il fait montre tout au long de son parcours. La disparité constatée entre ces deux moments et les châtiments subis par les personnages qui se montrent anti-loyalistes, inspirent cette hypothèse : la transgression des lois du mariage est le motif de la dégradation des personnages. Ce postulat révèle en filigrane la nécessité d'obéir aux lois et règlements en vigueur dans sa communauté.

Le fonctionnement du phénomène de transgression étant au centre de l'étude, l'analyse est faite suivant la trilogie « Interdiction - Violation - Conséquence »2. A cette démarche s'associent la sémiotique selon la perspective de Greimas et la sémiologie de Claude Bremond qui permettent d'une part la démonstration de l'immanence des faits évoqués, et le structuralisme génétique qui permet, d'autre part, de valider l'ancrage de l'oeuvre dans la culture de l'auteur, notamment la culture sawa du Cameroun. La convocation de cette deuxième grille tient au fait que, malgré la dimension littéraire du sujet, il s'appuie sur une préoccupation d'ordre anthropologique qui est la transgression.

2- Bremond, Claude, Logique du récit, Paris, Seuil, 1993, P.104.

v

ABSTRACT

This work focuses on the disobedience of married'laws in the novel titled Le Fils d'Agatha Moudio by Francis Bebey. We are captivated to a greater extent by its subject-matter as a result of the plot and ending of the novel. The introduction exposes us to the main character, Mbenda, who is in full harmony with his kinsmen thanks to his bravery and integrity. The end of story, on the contrary, depicts him as weakened and disillusioned following his non-conformist attitude he shows through out his actions. The disparity that is clearly observed between the two crucial stages Mbenda has gone through, coupled with the ordeals suffered by characters who happen to be unworthy and subversive, enables us to draw this logical conclusion: the violation of married' laws is the root-cause of moral degradation of characters. Such a situation undoubtedly calls for an urge for a total and unconditional compliance with social laws and norms.

Since our discussion is centred around the assertion that explains the phenomenon of transgression, we have endeavoured to look at it from three dimensions: the ban, the violation and the consequence. We have, furthermore, included the semiotic in the light of Greimas and the semiology of Claude Bremond who contributed enormously to the explanation of the approach of such a theme and the structural genetics that has helped to maintain authentic fixed ideas in the novel, the traditional and belief of the author in particular and the sawa people's tradition of Cameroon in general. Despite the literal importance of our theme, its magnitude has been given an anthropological impetus of transgression.

6vi

QUELQUES MOTS CLES

1- Mariage

2- Interdiction

3- Transgression / Violation

4- Conséquence / Sanction

5- Dégradation

6- Lois

7- Tradition

8- Valeurs / Règles

9- Personnages

10- Actions.

KEY WORDS

1-

7vii

Marriage

2- Ban

3- Disobedience / Violation

4- Consequence / Sanction

5- Degradation

6- Laws

7- Tradition

8- Values / Rules

9- Characters

10- Actions.

INTRODUCTION GENERALE.

8

9

Le style simple qui frise par moments le comique, c'est ce qui a retenu notre attention dans Le Fils d'Agatha Moudio, un roman de Francis Bebey. Loin de la syntaxe complexe et du vocabulaire recherché, l'accessibilité à la sémantique du texte est d'une grande facilité. Jamais une de nos lectures des oeuvres romanesques n'a permis l'éloignement d'un support lexical qui permettrait de clarifier chaque fois le sens des termes. Si tant est que le charme du style est l'élément qui fonde l'intérêt pour ce corpus, deux motifs sont à l'origine du sujet : La transgression des lois du mariage dans Le Fils d'Agatha Moudio. D'abord, l'ambivalence de l'être et du faire de Mbenda, le personnage principal, qui postule la transgression comme un thème majeur de ce roman. Au lieu d'être l'incarnation de la loi comme on pouvait s'y attendre, puisque son nom signifie « La Loi »3, celui-ci s'affiche plutôt comme un anti-loyaliste. Ensuite la nature de ses rapports avec les siens au début et à la fin du récit, est une autre raison qui justifie l'essence du thème de la transgression. Dès le début de l'intrigue on peut entendre Mbenda, dont la bravoure et la popularité attirent l'assentiment de tous, décrire ainsi sa situation :

« Tous les habitants de notre village étaient fiers de moi. Pensez donc : pour eux, [...] j'étais un fils de Bilé, fils de Bessengué, j'étais un fils de ce village qui comptait un certain nombre de faits glorieux dans son passé. Du reste, depuis trois ou quatre ans, les yeux de tout le monde étaient braqués sur moi [...] et j'étais en train d'entrer peu à peu dans la légende... »4.

Ce passage démontre l'harmonie qui règne entre le personnage et les siens dès le début de son aventure. L'effritement de ce lien affectif l'amenuise et ceci à cause de son attitude qui se révèle contradictoire avec l'ordre établi dans la société du texte. Le principal motif de cette dégradation est à rechercher dans la relation intime et coupable qu'il entretient avec Agatha Moudio. La haine des autres à son égard et surtout celle de Maa Médi, sa mère, prend un goût amer lorsqu'il s'installe dans une vie maritale avec la fille désavouée. Son divorce d'avec la communauté est alors consommé, et la relation devient disjonctive. Mbenda décrit ainsi la nature de leurs rapports à la fin de son parcours : « Depuis, nous vivions tous les quatre, mes

3- « Mbenda », que ce soit dans le roman ou dans la langue originelle de l'auteur, le duala , signifie « la loi ». Tout comme dans le récit, nous allons par moment utiliser l'expression « La Loi » pour désigner le personnage ainsi nommé.

4- Bebey, Francis, Le Fils d'Agatha Moudio, Yaoundé, Editions Clé, 2001, P.20.

N.B.: Dans la suite de ce mémoire, nous citerons le corpus à partir des initiales suivantes de son titre : FAM ; puis suivra la page où la citation est extraite.

10

deux épouses, `'ma fille» et moi, tout le monde nous évitait autant qu'il pouvait » (FAM, 169). La déchéance dans laquelle il se retrouve démontre que le dénouement du récit est une sanction qui réprimande une attitude qui contraste avec l'ordre établi. Ainsi, la transgression se présente comme un thème pertinent dans le corpus.

Nombreux sont les chercheurs qui approuvent cette idée, si on s'en tient aux multiples critiques qui ont abordé ce sujet. Les perspectives d'analyse diffèrent quelquefois. Josette Ackad qui y a consacré une étude l'appréhende comme une séquelle que la colonisation a léguée au continent noir :

« La société camerounaise, à travers la littérature, apparaît tant avec les manifestations de la vie quotidienne qu'avec les normes qui régissent la bonne marche de toute la communauté. Le monde rural a donc ses interdits dont la transgression expose toujours à des sanctions [...]. Il est donc à noter que les différentes transgressions sont consécutives à l'intrusion de la civilisation occidentale dans la collectivité. » 5.

De façon générale, nombreux sont les critiques qui s'accordent à reconnaître que les oeuvres de Francis Bebey sont fortement imprégnées du mouvement colonial et de ses manifestations. La thématique majeure de la quasi-totalité de sa production romanesque a trait à la colonisation. Dominique Hoyet, à cet effet, indique que : « Ses romans constituent autant de témoignages sur l'Afrique précédant ou suivant immédiatement l'indépendance, et s'attachent en particulier à décrire les conséquences de la rencontre entre l'Europe et le continent africain »6. L'analyse de ces deux affirmations fait observer que les oeuvres de Bebey s'intéressent aussi à « la critique des moeurs et des traditions »7 ou à lire « Le Cameroun traditionnel à travers le roman »8. Le résumé fait à la quatrième de couverture de l'essai littéraire intitulé Francis Bebey corrobore ce point de vue :

« Cet essai que David Ndachi Tagne consacre à l'oeuvre romanesque de Francis Bebey se situe dans la même lignée que l'ouvrage Roman et réalités camerounaises publié par ce jeune critique aux éditions l'Harmattan en 1986. La lecture des oeuvres est faite à

5- Ackad, Josette, Le Roman camerounais et sa critique, Paris, Editions Silex, 1985, P.40.

6- Hoyet, Dominique, Francis Bebey, Paris, Nathan, 1979, P.25.

7- Ndachi Tagne, David, Roman et réalités camerounaises, Paris, L'Harmattan, 1986, P.56.

8- Ibid, P.63.

11

travers le prisme des réalités sociopolitiques d'une Afrique en mutation et en proie à de multiples convulsions »9.

Les chercheurs, surtout ceux des deux dernières décennies, s'inscrivent dans la vision de la critique senghorienne qui voudrait que les oeuvres africaines portent les marques de la société nègre, que celle-ci soit traditionnelle ou non10. Les Mémoires de Maîtrise11 de Rémy Sylvestre Bouelet et de René Kowap intitulés respectivement La Femme dans l'oeuvre de Francis Bebey et Francis Bebey et le petit peuple s'inscrivent dans cette perspective. En traitant de la thématique de la femme et du petit peuple, les auteurs de ces travaux examinent l'existence de ces catégories sociales dans les romans de cet auteur et établissent du même coup des comparaisons entre leur vécu dans le cadre social et celui-ci dans l'univers romanesque. En un mot, la plupart des chercheurs jusqu'ici ont fait une lecture strictement socio-historique du Fils d'Agatha Moudio.

Notre analyse, même si elle ne minimise pas les données historico-culturelles des faits sociaux de l'oeuvre, vise prioritairement à étudier le phénomène de transgression des valeurs liées au mariage. Ce phénomène s'inscrit dans une dynamique où des personnages qu'on peut qualifier de récalcitrants posent des actions qui leur sont préjudiciables. Les déconvenues que subissent ces derniers amènent à s'interroger sur l'origine de leurs sorts : pourquoi sont-ils frappés ? L'examen des différents rôles actantiels permet de comprendre que la transgression des lois du mariage est le motif de la dégradation des personnages. Cette hypothèse révèle la nécessité d'obéir à la norme sociale établie dans sa communauté.

La focalisation du sujet sur le mariage est liée à la prépondérance de ce thème dans le roman. Le titre éponyme, dans une certaine mesure, en est déjà révélateur. Il indique le rôle central de l'enfant dans la dynamique du récit. En principe, l'enfant est la quête du personnage principal Mbenda. En tant qu'unique « fruit » d'une veuve, il n'a pour seul objectif que de fonder un foyer - c'est-à-dire se marier - dans lequel il assurera l'extension de sa famille et la

9- Ndachi Tagne, David, Francis Bebey, Paris, L'Harmattan, 1993, Quatrième de couverture.

10- Sédar Senghor, Léopold, OEuvre poétique, Paris, Seuil, 1990, PP.369-408.

11- Cette désignation est en rapport avec l'actualité. Il y a de cela quelques décennies qu'on parlait de D.E.S. (Diplôme d'Etudes Supérieures) en lieu et place de la maîtrise.

12

pérennité de la mémoire de son défunt père. Nombreux sont les penseurs qui adhèrent à cette position, au nombre desquels David Ndachi Tagne qui déclare :

« Pour nombre de critiques - parmi lesquels le Professeur Bernard Fonlon - la grande valeur du Fils d'Agatha Moudio qui obtint le Grand Prix Littéraire de l'Afrique Noire en 1968 réside dans la révélation de la place de l'enfant dans nos sociétés traditionnelles. `'Francis Bebey prouve, soutenait Fonlon au cours d'une discussion, que chez nous, il n'y a aucune valeur au-dessus de l'enfant, que ce soit la fortune ou le prestige.» Même si dans cette oeuvre les enfants n'agissent pas concrètement, il demeure qu'ils représentent le point de mire, l'objectif à atteindre. C'est ce qui justifie le titre, résolument centré sur l'enfant. Dans l'oeuvre, l'enfant constitue en effet une quête pour le jeune Mbenda. Ayant perdu son père et vivant avec sa mère, il a pour devoir de créer une famille et de pérenniser leur lignée. »12

En circonscrivant notre analyse aux faits liés au mariage, il est donc clair que si des personnages sont désavoués dans le récit, c'est qu'ils ont violé des interdits se référant à cette institution. Etant donné que c'est une société traditionnelle qui est étudiée, les lois examinées sont elles-mêmes traditionnelles. Cependant l'analyse ne prend en compte que les éléments qu'offre le corpus. Ainsi, elle n'assume pas toutes les données du mariage : elle ne s'intéresse pas, par exemple, au veuvage.

Toutefois, il importe de signaler que le texte ne valorise pas directement les lois identifiées. Il condamne les actes de violation. C'est grâce à cette condamnation et aux interdits formulés qu'on estime qu'il défend certaines valeurs. En clair, c'est parce que le récit condamne l'infidélité, la fornication, la frivolité, l'exogamie et la contestation du choix parental d'un conjoint qu'on pense qu'il valorise la fidélité, la virginité de la fiancée, la stabilité dans le flirt et le respect du choix parental d'un conjoint. Il transparaît donc que l'étude se sert du raisonnement par l'absurde pour opérer les démonstrations nécessaires. C'est ce qui justifie les titres des chapitres qui valorisent les lois relevées tandis que les sous-titres retracent les procédés de violation. Cette démarche n'est pas singulière à ce travail puisqu'elle est admise dans les milieux scientifiques comme une méthode discursive.

La transgression peut donc être comprise comme une « relation [...] qui lie la proposition cause à la proposition effet »13. Elle s'inscrit dans la dynamique « Interdiction - Violation - Conséquence. », étant entendu que « la conséquence qui sanctionne l'infraction

12- Ndachi Tagne, David, Roman et réalités camerounaises, Op.Cit, P.126. 13 Bremond, Claude, Logique du récit, Op.Cit, P.104.

13

[...] ouvre sur un réseau de possibles alternatifs »14, (punition ou impunité). Notre analyse, s'inscrivant dans cette démarche, se limite aux cas de punition. L'objectif étant de sensibiliser les uns et les autres aux dangers auxquels s'expose celui qui ne respecte pas les lois traditionnelles. La corrélation des éléments de cette trilogie est telle que, toute sanction présuppose un déclic qui est l'action contrariante. En d'autres termes, « punir présuppose pécher, qui présuppose interdire. »15

L'association à cette démarche des modèles sémiotique de Greimas et sémiologique de Claude Bremond d'une part, et du structuralisme génétique d'autre part, permet d'enrichir l'analyse. La « critique de tendance greimassienne »16 est indispensable dans la mesure où le sujet invite à une évaluation des actions des personnages car le programme narratif de cette orientation méthodologique « permet d'appréhender la logique qui sous-tend le comportement d'un acteur »17. Grâce à ses quatre séquences - manipulation, compétence, performance et sanction - nous allons évaluer les actions et les différents rôles actantiels. Car ce programme a pour vocation de fixer les valeurs, de définir « ce qui motive le personnage, quelles sont les normes et les individus qui le font agir... »18. Au bout du compte, il permet d'évaluer son succès ou son échec. Puisque la sanction qui est la dernière séquence « permet de comparer les valeurs réalisées et les valeurs proférées, de voir comment et par qui est jugée l'action du sujet »19.

Le modèle de Bremond, parce qu'il s'intéresse aux « lois qui régissent l'univers raconté »20 et à l'agencement des évènements et actions dans un récit, nous aide à construire, quand c'est possible, le processus de violation des interdits. L'exercice consiste à s'enquérir des motivations du personnage, des aides dont il bénéficie ou non, des méthodes développées

14 - Ibid, P.76.

15 - Ibid, P.76.

16 - Jouve, Vincent, La Poétique du roman, Paris, Armand Colin, 2000, P.51.

17 - Ibid, P.54.

18 - Ibid, P.54.

19 - Ibid, PP.54-55.

20 - Ibid, P.55.

14

pour opérer l'infraction. Ces deux approches permettent une lecture véritablement immanente et structurale.

Cependant, l'obligation de rester accroché au texte n'interdit pas d'établir un rapprochement entre l'intrigue et la société car le sujet s'appuie sur une préoccupation d'ordre anthropologique qui est la transgression. Les lois dont il est question sont forcément inspirées par une réalité culturelle. Dans le cas d'espèce, il s'agit de la culture africaine et plus particulièrement, celle des Sawa du Cameroun, qui est le socle traditionnel de l'auteur. Beaucoup d'indices dans le roman le démontrent. Outre les faits de civilisation évoqués, on peut citer les dénominations des personnages et des lieux qui renvoient à des réalités concrètes. Dans le récit de même qu'en duala (la langue traditionnelle de l'auteur), le nom « Mbenda » signifie «la loi » (FAM, 15) ; « Eboa », « la prison » (FAM, 120).

Un autre élément d'analogie c'est la personnalité du personnage Eya. Il est présenté dans le roman comme un terrible sorcier « dont on disait qu'il avait supprimé un certain nombre de personnes » (FAM, 61). Francis Bebey, dans son jeune âge a connu un certain Eya qui était un redoutable sorcier. Il le déclare dans une interview qu'il a accordée à Fred Hidalgo en 1981 : « Mais juste en face [de notre maison], dans le village, habitait un homme qu'on appelait Eya Moussé : c'était l'espèce de sorcier du village chez qui les gens n'aimaient pas beaucoup aller, on disait qu'il était responsable de nombreux décès dans la région... »21.

Autre rapprochement, la scène de l'intrigue se passe en Afrique, au Cameroun et plus précisément à Douala. Les repères spatiaux tels que : « Yaoundé » (FAM, 195), « Douala » (FAM, 195), « L'estuaire du Wouri » (FAM, 185), « Nord-Cameroun » (FAM, 195) ... le justifient. Les rapports d'analogie entre l'oeuvre et la société confortent la convocation du structuralisme génétique. Puisque cette grille permet de démontrer l'ancrage des lois traditionnelles identifiées, dans la société africaine en général et Sawa en particulier.

L'ensemble de ces orientations méthodologiques et la perspective thématique sur laquelle l'analyse se fonde, permettent de structurer ce travail en deux parties. La première, subdivisée en trois chapitres, porte sur la discipline des comportements sexuels individuels. Nous nous intéressons ici aux lois qui donnent la possibilité à un personnage de réguler lui-même sa sexualité. D'abord, l'attention porte sur la stabilité dans le flirt pour démontrer combien il est important d'éviter la frivolité même dans une relation intime illégitime. Ensuite,

21 - Centre Culturel Francais, Francis Bebey : Un homme du monde, Douala, Centre Culturel Français, 2001, P.52.

15

l'analyse se penche sur la virginité de la fiancée en vue de prouver que l'oeuvre condamne les rapports sexuels avant le mariage. Enfin, notre regard s'intéresse à la fidélité des époux dans le but de montrer que le récit promeut cette attitude en réprimant l'inconstance des mariés. Dans la deuxième partie intitulée l'implication absolue de la communauté, les investigations sont orientées vers les lois plus coercitives qui empêchent le personnage de s'en dessaisir, faute de quoi il ne peut être marié. Elle a deux chapitres. Dans le premier, les investigations démontrent que le roman défend l'endogamie tandis que dans le second, elles s'attardent sur le respect du choix des parents pour montrer les inconvénients auxquels on s'expose lorsqu'on refuse d'épouser la fille choisie par un ascendant.

PREMIERE PARTIE :

LA DISCIPLINE DES COMPORTEMENTS SEXUELS INDIVIDUELS.

Le Fils d'Agatha Moudio renferme des lois conjugales qui sont plus ou moins coercitives. Les lois contraignantes astreignent les personnages à s'y soumettre faute de quoi ils ne peuvent être mariés. Elles sont relatives notamment à l'endogamie et à l'implication prééminente des parents dans le processus du mariage. La communauté a donc une influence notoire sur les choix et les décisions des actants. A l'opposé, il existe des lois qui se révèlent plus souples. Il n'en demeure pas moins que toute violation, dans un cas comme dans l'autre, expose à de sévères sanctions.

Cette partie s'intéresse à la catégorie de lois qui militent pour le libre-arbitre, sans toutefois minorer le self-control. Il est alors question de montrer que la société du texte promeut les valeurs qui visent la discipline des comportements sexuels individuels. Pour y parvenir, le travail est organisé en trois chapitres. D'abord il s'attache à démontrer la valeur de la stabilité dans le flirt, c'est-à-dire une union illégitime. Ensuite il prouve que le récit promeut la virginité de la fiancée. Enfin l'analyse montre comment l'oeuvre fait l'éloge de la fidélité. La stabilité, la virginité et la fidélité sont des valeurs dont l'incarnation dépend de l'individu en fonction de son self-control. On peut choisir de ne courtiser que des êtres non frivoles, de rester vierge avant le mariage, d'être fidèle à son conjoint.

L'organisation des trois chapitres prend en compte les étapes respectives qui aboutissent au mariage. C'est pourquoi le flirt, considéré comme l'ancêtre des noces, est d'abord examiné à partir de la stabilité qui assure l'harmonie de la relation. La virginité est examinée au deuxième chapitre parce que le moment où elle est constatée est proche du mariage. L'épreuve de virginité à laquelle la fiancée est soumise a lieu le jour du versement de la dot22. La fidélité est analysée en dernier lieu parce qu'elle se vit pendant le mariage. A notre sens, on ne saurait parler de cette valeur si l'union n'est pas légitimée.

L'antéposition de cette partie est relative à l'inféodation de la conscience individuelle à la mémoire clanique. L'individu ne se définit que par rapport à son groupe de parenté. La société a préséance sur lui. Il est donc normal de parler de l'influence de la communauté en seconde partie dans le but d'entériner son pouvoir.

17

22- Bureau, René, Recherches et études camerounaises, Yaoundé, Editions Clés, 2001, P.171.

LA STABILITE DANS LE FLIRT.

CHAPITRE I :

18

Ce chapitre peut sembler embarrassant en raison de la valeur qui y est défendue. Puisque la fidélité examinée au chapitre trois est aussi un gage de stabilité. Pourtant, la place de cette analyse est justifiée en ce sens qu'il établit une distinction entre l'instabilité d'un marié et celle d'un célibataire. Nous estimons que l'infidélité désigne le caractère instable d'un époux tandis que si l'union des conjoints est illégitime, il sied de parler de frivolité. Le contraire de la frivolité étant à notre sens la stabilité même si ce terme peut revêtir plusieurs connotations. La colère d'Agatha et le fait qu'elle ne soit plus disposée à rencontrer régulièrement Mbenda23 après qu'elle s'aperçoit que les parents de ce dernier sont en pourparlers pour son mariage avec Fanny, sont les deux attitudes qui renseignent sur l'interdiction de la frivolité dans le récit. En effet, après s'être rendue compte que La Loi « [allait] prendre pour femme la petite Fanny, elle ne retint plus sa colère »24 (FAM 93). Par la suite, puisque ce dernier « [est] marié aux yeux de tout le monde, Agatha ne se [met] plus à [sa] disposition comme autrefois. » (FAM, 93). Ainsi, l'intrigue valorise la stabilité des personnages même en dehors du cadre institutionnel du mariage. Notre souci dans ce chapitre est de démontrer que même quand les conjoints ne sont pas mariés, le sérieux est recommandé. C'est ce qui justifie le fait que Maa Médi s'interpose à toute relation entre son fils et Agatha parce que cette dernière est frivole. Pourtant Mbenda brave cet interdit. Trois actes le démontrent. L'analyse s'attarde d'abord sur le rendez-vous problématique qu'il donne à la prostituée25 ; ensuite au scandale qu'il provoque ; enfin au concubinage que les deux entretiennent malgré tout.

23- Mbenda et Agatha entretiennent un flirt (FAM, 17-94).

24- Agatha manifeste sa colère en cassant tout chez Mbenda. Le narrateur précise qu'elle « ne repartit chez elle qu'après avoir cassé [...] les trois verres et les cinq assiettes en porcelaine constituant le grand complet de [sa] vaisselle de célibataire. » (FAM, 93).

25- la frivolité d'Agatha s'apparente à la prostitution. Ses randonnées au quartier européen, c'est-à-dire des nantis, le démontrent (FAM, 21).

19

I.1- Le rendez-vous problématique avec la prostituée.

La bravade de Mbenda commence par une invitation audacieuse qu'il fait à Agatha. Il est important de relever, pour déplorer cet acte, qu'il habite dans la même concession que Maa Médi ; même si chacun a son propre domicile. C'est donc sous le nez de sa mère qu'il fait venir la fille honnie. Cette invitation lui fait plus de mal que de bien. C'est ce qui justifie son remord. L'espoir que Mbenda, en tant que fils unique, représente pour sa mère, l'amène à s'interroger sur les motivations qui l'ont poussé à donner rendez-vous à la fille dans la concession familiale :

« J'étais son fils, le seul vrai cadeau qu'elle eût jamais reçu du ciel, la seule personne aujourd'hui, sur qui elle pût compter. Je représentais tout pour elle, et je ne devais pas la décevoir et pourquoi avais-je donné rendez-vous à Agatha chez moi, presque sous les yeux de ma mère, alors qu'il était convenu que je ne m'occuperais pas de cette fille ? » (FAM, 50).

Le remord qui se dégage de ce propos indique la prise de conscience, par le locuteur, du drame qu'il a commis. La présence de la fille chez lui à un moment qu'il estime non indiqué, le plonge dans un sentiment mitigé qui l'amène à vouloir écourter son séjour :

« Agatha entra et se mit à me faire réfléchir : qu'allait dire Maa Médi si elle trouvait cette fille chez moi seule avec moi ? [...] Mais aujourd'hui, un dimanche après-midi où tout le monde était au village, ce n'était pas le jour à choisir pour me rendre visite, bien que la présente visite me combla littéralement de joie. -Il ne faut pas que tu restes longtemps ici, dis-je à Agatha, non, il ne faut pas... » (FAM, 17).

Seulement ce discours est une forme d'ironie dans la mesure où c'est Mbenda qui est l'instigateur du rendez-vous. Aussi, dans la mesure où les deux ont utilisé un moyen pour se mettre à l'abri de tout soupçon. Dans le but de se soustraire du regard des autres, Mbenda et Agatha utilisent un moyen pour détourner l'attention des habitants du village. Avant de s'amener chez son amant, Agatha a au préalable, versé une bonne poignée de sel de cuisine au feu, question de faire tomber une grande pluie qui devrait empêcher les autres de se rendre compte de sa présence chez celui-ci. Cette opération paraît efficace en Afrique et notamment chez les Duala en matière de stimulation d'un déluge. La fille de Moudio l'a expérimentée et le résultat a été satisfaisant :

«Agatha Moudio avait pris ses précautions avant de venir me rendre visite : elle avait jeté toute une poignée de sel de cuisine dans le feu. A Douala, tout le monde sait fabriquer la pluie : il suffit de brûler un peu de sel, et aussitôt le ciel se déclenche

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comme au temps de l'Arche de Noé. Pas de ces pluies insignifiantes, auxquelles résiste le premier imperméable venu. Non, de la vraie pluie de saison, de l'eau du ciel tombant en grosses gouttes serrées, et plus personne n'ose plus sortir » (FAM, 17).

La tactique est si réussie que les amoureux se sentent en sécurité et à l'abri de tout regard:

« Je [savais] que c'était elle qui faisait pleuvoir afin d'empêcher le village de s'inquiéter de sa présence chez moi. Maintenant, il n'y avait aucun danger que Maa Médi, qui habite deux maisons derrière la mienne, vint remarquer d'elle-même qu'Agatha était chez moi » (FAM, 18).

Pourtant, le manège s'avère vain car l'objectif n'est pas atteint. Tout le village est au courant de la présence d'Agatha chez Mbenda ce dimanche. Dans cette localité, les informations circulent à la borne-fontaine le matin. Les femmes se racontent des ragots en attendant que leurs cuvettes se remplissent. Le lendemain du rendez-vous, la mère Mauvais-Regard qui a d'« autres yeux » qui lui permettent de voir même dans l'au-delà, renseigne ses consoeurs :

« Et ce matin-là, [...], à la borne-fontaine, la mère Mauvais-Regard était en train de raconter à qui voulait bien l'entendre tout ce qu'elle savait des derniers événements du village ; et naturellement, à la une de son journal parlé matinal, il y avait la scandaleuse visite que la veille Agatha m'avait rendue avec la tranquille assurance de n'avoir été vue par personne » (FAM, 50).

Cette nouvelle irrite Maa Médi lorsqu'elle l'apprend et elle le manifeste. Dès que la mère de Mbenda est informée, elle rentre dans une grande colère, se sentant trahie par son fils : « Maa Médi était elle furieuse contre moi, ce qui se conçoit bien...» (FAM, 50). Tout compte fait, le manège de La Loi se révèle inefficace. Il opte pour une autre stratégie même si elle est plus risquée.

I.2- Le scandale du téméraire.

Cette démarche commence par la duperie. Pour apaiser la colère de sa mère, Mbenda lui fait croire que ce n'est pas lui qui a invité Agatha chez lui et qu'il n'était même pas informé de son arrivée:

« Je pris des précautions pour expliquer à Maa Médi, doucement, qu'Agatha était venue chez moi sans me prévenir, et surtout qu'il n'eût jamais été entendu entre elle et moi qu'elle viendrait me voir.- D'ailleurs, tu as bien vu, dis-je à ma mère : de peur

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d'être surprise par toi ou par quelqu'un d'autre, tu as bien vu comme elle s'est ingéniée à faire pleuvoir » (FAM, 50-51).

La redondance de « Tu as bien vu », (deux occurrences), dans ce discours vise à convaincre l'interlocutrice et l'amener à admettre la « véracité » de ces déclarations.

L'amant d'Agatha profite de cette duperie pour continuer d'entretenir sournoisement une vie amoureuse avec elle. L'aventure tourne au vinaigre quand cette dernière apprend que les parents de son partenaire sont en pleines négociations pour le mariage de leur fils avec une autre fille. Sa colère est compréhensible dans la mesure où son concubin lui a fait croire qu'il l'épouserait :

« Pour Agatha, ce temps pendant lequel je ne la voyais plus était trop long. Naturellement, le bruit des démarches que nous faisions en vue de mon mariage avait couru jusqu'à elle [...]. Un après-midi, elle arriva chez moi comme l'ouragan, et me sortit tout ce qu'elle avait d'amer contre moi. Et je manquais de loyauté, parce que je lui avais donné l'espoir que je l'épouserais, et que pendant ce temps, j'allais prendre une autre femme » (FAM, 92-93).

La déception de celle-ci l'emmène à tout détruire chez son prétendu prétendant avant de s'en aller : « et Agatha ne repartit chez elle qu'après avoir cassé sous mes yeux, les trois verres et les cinq assiettes en porcelaine constituant le grand complet de ma vaisselle de célibataire » (FAM, 93). L'objectif visé quand nous décrivons cette scène c'est de rendre compte du caractère distrait et sournois de la relation de Mbenda avec Agatha. Jusqu'ici, les deux vivent dans une discrétion. Le voeu du fils de Maa Médi après le désastre de sa conjointe l'approuve :

« Je ne voulais pas que Maa Médi, en rentrant de sa plantation le soir, mourut d'une crise cardiaque en apprenant que cette fille de mauvaise vie était venue allumer une bagarre scandaleuse chez moi, en plein jour, ce qui aurait signifié pour ma mère, que ces derniers temps encore j'avais donné à Agatha le sentiment que je l'épouserais » (FAM, 93).

Le mensonge, comme le dit le proverbe duala, « a les jambes trop courtes »26. Il finit toujours par être dévoilé. Le secret des amoureux est divulgué quand Mbenda manque publiquement de respect à sa mère. La grande gueule d'Agatha vis-à-vis de Dooh et les siens qui sont surpris de la voir dans la voiture d'un Blanc, se termine par cette

26-Ebélé, Wei, Op. Cit., P. 226.

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interrogation : « Etes-vous contents à présent ? ». Mbenda qui se trouve sur les lieux, ne cache pas sa jalousie après cette réaction :

« Non, moi, je n'étais pas content. J'avais vu Agatha la veille au soir, et elle ne m'avait pas dit qu'elle irait le lendemain matin à la ville, et je la trouvais-là, dans une belle auto bleue, et elle avait le toupet d'avouer à tout le monde, d'elle-même, qu'elle allait chez le propriétaire de la voiture... » (FAM, 150).

La jalousie ayant ceci de particulier qu'elle finit toujours par pousser la victime à la colère, le concubin réagit pour empêcher sa compagne de s'en aller : « Agatha, [cria t-il], tu ne vas pas y aller...Je te défends d'y aller » (FAM, 150). Maa Médi qui est dans les parages, ne laisse pas le temps à la fille qui « s'apprêta à dire quelque chose » (FAM, 150), de placer un mot. Elle intervient :

« Fils, mon enfant, de quoi te mêles-tu ? Laisse donc partir cette fille perdue, dans sa voiture. Qu'elle aille où elle veut, qu'est-ce que cela peut bien te faire ? Ce n'est pas ta femme, et tu ne dois pas te salir à lui adresser la parole... » (FAM, 150).

Ce discours montre bien que la mère ignore la relation des amoureux. La réaction de son fils après son intervention révèle tout. Elle est virulente et méprisante. Sur un ton menaçant, il rabroue sa mère, révélant ainsi au grand jour toute l'intimité qui le lie à Agatha : « C'en est assez, mère [dit-il] dans un ton de colère grandissante. Je te dis que c'en est assez. Dans ce village vous insultez tous cette fille ; elle n'est pas... » (FAM, 151). Malgré tout, la tendresse et le sens maternel de la mère ne faiblissent pas. Elle s'évertue autant que faire se peut de dissuader son fils. Mais en vain ; d'où sa désolation et sa mélancolie :

« Maa Médi essaya encore de me contenir, ce fut en vain. Alors, elle s'en alla en pleurant, disant que le ciel l'avait injustement punie en lui donnant l'horrible fils que j'étais, un fils qui ne lui épargnait même pas la honte d'être désobéie devant la foule » (FAM, 151).

Mbenda continue de s'opposer au départ d'Agatha pour la ville. Il menace de briser la voiture au cas où Dooh continue à la faire sortir de la boue : « Dooh, Dooh, arrête de pousser cette voiture, sinon je vais la mettre en morceaux » (FAM, 154). La partie se termine quand le roi Salomon intervient : « calmes-toi fils, sinon je vais te donner une correction exemplaire devant tout le monde » (FAM, 152). L'influence de ce personnage dans tout le village oblige l'insolent à se recroqueviller et à retourner chez lui fort déprimé.

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Rendu à son domicile, il trouve une oreille attentive, son épouse Fanny, qui compatit à sa déculottée. Elle lui propose même d'épouser Agatha en secondes noces si tant est qu'il l'aime : « Si tu l'aimes, pourquoi donc ne pas l'épouser ? » (FAM, 152). Mbenda saisit cette proposition comme une bouffée d'oxygène et s'empresse de rétorquer : « Ce n'est pas que je n'y pense pas, lui [répond- t-il], avec la même simplicité, mais c'est ma mère qui ne veut pas la voir. Si tu pouvais convaincre Maa Médi... » (FAM, 152). Grâce au soutien de Fanny, Mbenda essaie de persuader sa mère pour qu'elle lui pardonne son insolence et surtout pour qu'elle lui permette d'épouser Agatha. Malgré le statu quo de Maa Médi, il s'entête et s'engage contre toute attente à vivre maritalement avec son amante.

I.3- Le concubinage malgré tout.

Toutes les stratégies déployées n'ayant pas abouti, La Loi décide de vivre sous le même toit avec Agatha. Mais avant d'y parvenir, il tente une réconciliation qui échoue, après s'être rendu compte que tout le monde est désormais informé de sa liaison avec Agatha. Il tient à se faire excuser et à amener Maa Médi à approuver non seulement leur union, mais également la possibilité de leur mariage. La rencontre est ainsi décrite :

« L'incident de la rue, ce matin-là, ainsi que la bonté de ma femme, m'encouragèrent à aller affronter ma mère. - Tu sais, lui dis-je un soir tandis que nous dînions ensemble chez-elle, tu sais, tu dois me pardonner d'avoir été brusque l'autre jour. Tu es la seule personne au monde qui puisse vraiment me pardonner. Je regrette beaucoup cet incident, mais tu dois comprendre, toi aussi, qu'à présent j'ai grandi... » (FAM, 153.154).

La réaction de l'interlocutrice à l'entendre dire qu'il a grandi, fait en sorte que « la discussion de ce soir-là n'aboutit à rien » (FAM, 154). Chacun reste sur sa position sans « aucune intention de démordre [des] points de vue respectifs » (FAM, 154). Dans une hostilité ouverte, Mbenda déclare :

« Il fallait en finir, et je considérais [...] qu'il était temps pour moi de prendre des décisions, moi-même. Pourtant, la première décision que je voulais prendre, c'était d'épouser Agatha, et cela, je ne me sentais pas la force de le faire sans l'avis de ma mère » (FAM, 154).

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Malgré la flamme qui le parcourt et le soutien de Fanny, Mbenda qui, pourtant, a la compétence d'épouser Agatha en secondes noces, parce qu'il a le vouloir-faire27, ne se sent pas la performance de réaliser son voeu. Car il sait que c'est une tâche qui incombe aux parents et que la caution de sa mère est importante pour une telle entreprise.

C'est dans ce sens qu'il cherche un médiateur qui a pour mission d'infléchir la position de Maa Médi. Il sollicite la sagesse du roi Salomon pour cela. Ce dernier n'adhère pas promptement à ses intentions et lui rappelle d'ailleurs ceci : « fils, tu vas tuer ta mère si tu fais cela » (FAM, 154). Son insistance, parce qu'il pense que « [sa mère] n'en mourra pas » (FAM, 154), oblige son vis-à-vis à affermir sa position :

« J'insiste, fils, je crois que tu vas faire beaucoup de mal à ta mère si tu épouses cette fille-là et puis, qui dans ce village te pardonnerait d'avoir pris une fille comme celle-là qui a une si longue histoire derrière elle, et qui a causé du tort à notre communauté... » (FAM, 155).

Cependant, Mbenda finit par avoir le dessus sur lui. Et le roi Salomon décide de rencontrer la mère de Mbenda. Le sage roi, à l'image de celui de la Bible, affronte ainsi la détermination et la finesse d'esprit de Maa Médi :

« Femme, je reconnais avec toi que la conduite de [Agatha] n'est pas exemplaire. Loin de là. Mais peut-être que si elle était aux mains de quelqu'un qui l'aime, elle changerait vite, elle deviendrait une autre femme, elle deviendrait même l'exemple de la vertu ? » (FAM, 156).

L'honneur et l'attachement viscéral de la mère à la dignité inspirent une objection :

« C'est vrai que l'on a vu cela dans les temps anciens ; c'est vrai, mais aujourd'hui, cela ne se voit plus nulle part, et surtout pas dans ce village et puis, roi, dis moi : qui veux-tu qui porte la honte d'avoir une bru qui a fait la vie avant l'âge, sous les yeux de tout le monde, et qui vient se caser chez mon fils alors que personne ne veut d'elle ? Qui ? Moi ? » (FAM, 156).

L'intelligence des deux « anciens » du village rend le débat très houleux et très enlevé. Mais, tout compte fait, « du haut de son rang d'ancien [le plus sage] » (FAM, 152) et sa notoriété dans le village, Salomon ne réussit pas à l'emporter sur Maa Médi. Les derniers arguments sont fort précis, déterminants et tranchés. Le roi qui croit pouvoir infléchir en

27- Groupe d'Entrevernes, Analyse sémiotique des textes, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1985, P.17.

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dernier ressort la position de son adversaire, en lui rappelant que la première épouse de Mbenda lui a été imposée et donc il est normal de respecter son choix, lance :

« Femme, tous tes arguments sont bons. Ce n'est pas moi qui irais te donner tort. Mais il faut que tu comprennes les choses comme elles se présentent : [ton fils] aime une fille. Il se trouve que c'est selon nous, une fille perdue. Mais lui, il l'aime, et il voudrait l'épouser. Il nous a d'abord témoigné son respect envers nous, en épousant une femme que nous lui ordonnions pratiquement de prendre ; mais il attend de même, que nous respections sa personnalité en acceptant le choix qu'il a fait, de son plein gré, d'épouser Agatha... » (FAM, 157-158).

La réplique est foudroyante et sans appel. Maa Médi, visiblement, tient à mettre un terme à cette discussion en étant plus catégorique et ferme sur sa position :

« Jamais, roi, je te dis qu'il ne l'épousera jamais sinon, moi, je cesserai d'être sa mère. Quoi ? [...] Dis-moi que La Loi va épouser une telle créature, et je te répéterai que je cesserai d'être sa mère s'il fait cela malgré mon refus » (FAM, 158).

Malgré la grande sagesse, la notoriété et la forte personnalité du roi Salomon28 dans le village, Maa Médi, alors qu'elle n'est qu'une femme, ne cède pas. Ce qui traduit sa ferme détermination à ne pas voir le mariage entre son fils et Agatha se réaliser. Ce qui arrive pourtant. Mbenda finit par « épouser » la fille honnie à la grande déception de sa mère. L'histoire remonte à quelque temps après l'altercation entre Salomon et Maa Médi. Agatha est allée rencontrer son partenaire pour lui soumettre son projet de « partir pour un long voyage. [...] Elle allait y rester très longtemps» (FAM, 159). Elle sollicite pour cela son avis : « Alors décide-toi... Que je parte demain ? » (FAM, 160) demande-t-elle. L'amant a bien compris le manège de la « fille perdue » : « C'était une véritable déclaration que la belle Agatha était en train de [lui] faire » (FAM, 160).

Fanny qui est-là et comprend tout, « cligna de l'oeil » (FAM, 160), question de dire à son mari : « Allons donc, pourquoi laisserais-tu passer une telle occasion ? Sois raisonnable : une femme qui vient te demander de la prendre, ne t'y trompe pas, c'est une femme qui meurt

28- Le roi Salomon est un personnage dont la notoriété est établie dans tout le village Bonakwan. Sa vivacité intellectuelle lui vaut son nom, à en croire ce passage: « il disait les choses qu'il pensait, avec des pointes de sagesse dignes du nom qu'il portait. C'était, du reste, à cause de cette sagesse que notre village l'avait sacré roi, bien que de toute sa vie, Salomon n'eut connu que son métier de maçon » (FAM, 62). La célébrité évoquée dans l'extrait tire son fondement du parallélisme entre ce personnage et celui de la Bible ayant le même nom. Ce texte sacré présente le roi Salomon comme un personnage dont la sagesse est incommensurable.

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d'amour pour toi » (FAM, 160). Ayant découvert le manège, « l'aveuglement »29 et surtout la naïveté de Mbenda, le pousse à persévérer dans l'erreur. Au lieu d'encourager sa concubine à s'éloigner de lui question d'obéir à sa mère, il l'empêche plutôt de partir:

« Ecoute, [...] Maa Médi ne veut pas entendre parler de notre mariage, et personne dans notre village [...]. Personne sauf peut-être le roi Salomon. [...] A part lui, il y a Fanny. Elle ne te veut pas de mal, bien au contraire. Nous sommes deux à vouloir que tu ne t'en ailles pas en voyage demain, ni même après demain » (FAM, 160-161).

Fanny toute aussi naïve que son mari, argumente « Oui, c'est vrai [...]. S'il n'y avait pas les `'autres» à considérer, tu sais, tu pourrais venir habiter ici n'importe quand. Mais surtout il ne faut pas que tu partes » (FAM, 161).

A partir des deux dernières interventions, il apparaît que dans le jeu de relations entre les personnages, Mbenda en tant que sujet opérateur et d'état, bénéficie du soutien de Fanny et du roi Salomon qui sont ses adjuvants. Quand à Maa Médi qui est le chef de file des opposants, elle a, comme alliés, tout le reste des habitants du village et surtout la mère Mauvais-Regard qui lui manifeste publiquement son attachement. Reconnu comme un personnage ayant des pouvoirs maléfiques capables de sonder l'invisible, son nom en dit d'ailleurs long, elle envisage un mauvais sort contre Fanny et Agatha au cas où Mbenda vient à épouser cette dernière. Ayant été au courant de tout ce qui se trame entre les trois, elle va tout raconter à Maa Médi ; «Puis elle rentra chez elle, en se disant dans son for intérieur que si `'leur fils» s'amusait à leur faire `'une chose pareille», elle `' couperait le fil des grossesses à ses deux épouses» » (FAM, 161). N'empêche qu'après cette nuit, le mariage factice entre Mbenda et Agatha se concrétise. Le narrateur raconte la scène :

« En effet, quelque temps après ce soir-là, [Agatha] revint une nuit accompagnée d'une de ses tantes. [...] Chacune d'elles portait une valise, une lourde valise. Elles s'étaient installées, et avaient d'elles-mêmes décidé qu'Agatha ne repartirait plus dans son village. ?C'est ta femme à partir de cette nuit? [...] avait dit la tante d'Agatha, et je vous souhaite du bonheur pour toute la vie... » (FAM, 168-169).

La facticité de ce « mariage » tient au fait qu'il ne s'est pas passé selon les règles traditionnelles de l'art. C'est donc à juste titre qu'il est caractérisé de concubinage. Puisque Mbenda qui s'engage dans une telle alliance viole un interdit ; il en est sévèrement puni.

29- Bremond Claude estime que l' « élément moteur de la faute [est] l'aveuglement. » in Communication, 8, L'Analyse structurale du récit, Paris, Le Seuil, 1981, P.79.

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Au terme de cette analyse, il est clair que ce chapitre relève le distinguo qu'il y a entre l'instabilité d'un marié et celle d'un célibataire. Il a aussi pour objectif de démontrer l'importance de la stabilité des partenaires dans une relation amoureuse même illégitime. Par conséquent, il vise à prouver que la frivolité est interdite dans Le Fils d'Agatha Moudio. Mbenda viole cette loi en développant une relation intime avec Agatha qui est une prostituée, alors que sa mère s'y oppose vivement. La répression de son acte se manifeste par la mise en quarantaine dont il est victime de même que sa maisonnée. Dès le lendemain du jour où il s'installe dans un concubinage avec la fille honnie, sa mère ne tarde pas à réagir. Elle vient le voir le lendemain, accompagnée de son acolyte la mère Mauvais-Regard, et lui dit :

« Je viens te voir et te parler en présence de quelqu'un qui doit être mon témoin même après ma mort. Tu as refusé d'écouter mes conseils, et tu es allé prendre cette fille. Reste avec elle, je te souhaite de ne jamais le regretter. Je sais, quant à moi, que cette petite femme blanche que tu viens d'épouser t'en fera voir de toutes les couleurs [...] et, entends bien ce que je te dis : Ne t'attends plus à me voir chez toi. Jamais plus » (FAM, 169).

La rupture est scellée. Le mouvement est suivi par les autres habitants du village. Le coupable décrit ainsi sa nouvelle situation à la suite de sa mère : « Et les deux femmes étaient reparties sans me laisser placer un mot. Depuis nous vivions tous les quatre, mes deux épouses, `'ma fille» et moi, et tout le village nous évitait autant qu'il pouvait » (FAM, 169). Même ses fidèles compagnons de pêche le rejettent, ne voulant plus de lui dans leur équipe. Mbenda est « furieusement mis en quarantaine » (FAM, 169). Malgré les supplications du roi Salomon pour que ses amis le gardent dans leur groupe, la décision reste inchangée :

« Depuis près de deux mois, je vivais seul, avec mes deux femmes et l'enfant de Fanny. J'allais seul à la pêche, malgré l'intervention personnelle du roi Salomon, qui avait longuement supplié mes compagnons de me garder dans leur équipe. `'Nous aimons bien La Loi, avaient-ils répondu, mais quand il s'amuse à épouser une femme qui fait la honte de notre communauté, alors, nous ne sommes plus d'accord avec lui... »» (FAM, 168).

Mbenda se retrouve donc seul, abandonné à lui-même, à cause de sa relation intime avec une fille frivole. C'est pour éviter la prostitution que la société exige que la jeune fille soit vierge avant le mariage.

CHAPITRE II :

LA VIRGINITE DE LA FIANCEE.

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Lorsque Hélène Yinda déclare que : «La jeune fille qui [parvient] au mariage vierge [est] d'emblée une femme vertueuse »30, elle valide par là la loi de « la preuve de la virginité » qui a cours chez les peuples de la côte du Cameroun le jour du mariage. En effet, « la vérification de la virginité de la fiancée est pratiquée [chez] les Duala, Malimba et Batanga... »31. Ces deux affirmations consacrent cet état comme un élément très important dans le mariage d'une fille. Le Fils d'Agatha Moudio s'inscrit dans cette logique en s'opposant aux rapports sexuels de la fille avant le mariage. Deux éléments clarifient cette interdiction. D'abord l'opposition de Maa Médi au mariage entre son fils et Agatha Moudio avec qui il a une relation intime. Parce que cette dernière « connaît déjà l'homme » c'est-à-dire entretient des rapports sexuels alors qu'elle n'est pas mariée, la mère de Mbenda trouve qu'elle n'est plus digne d'être sollicitée pour les noces. Ensuite l'étonnement de La Loi vis-à-vis de l'attitude de sa compagne, atteste que cette pratique est proscrite. L'indignation se manifeste dans l'expression « pensez donc » glissée dans ces paroles : « pensez donc qu'à son âge, elle savait déjà `'tout faire» » (FAM, 18-19). « Savoir déjà tout faire » et « connaître déjà l'homme » revêtent la même signification puisqu'elles sont des traductions littérales du duala en français. Il transparaît donc que la virginité de la fiancée est sacralisée dans le roman. Comment Agatha viole-t-elle cette loi ? Trois attitudes déterminent sa démarche. Premièrement la pratique sexuelle avant cours ; deuxièmement la proposition indécente à laquelle elle se livre ; troisièmement la grossesse aux allures de vengeance qu'elle contracte. Au bout du compte, l'impudique subit des représailles.

30- Yinda, Hélène, (dir.), Femmes africaines, Yaoundé, Editions Sherpa, 2002, P.97.

31- Bureau René renchérit la pensée de Yinda en affirmant que : « Le soir même du mariage, la mère du garçon fait le constat. Ou bien elle montre le sang qui a coulé à la perforation de l'hymen, comme chez les Duala, ou bien, plus discrètement, elle prévient son mari qui envoie des félicitations au père de la fille. Dans le cas où la fiancée n'est pas vierge, le garçon a le droit de la renvoyer chez elle en la refusant définitivement. », in Recherches et études camerounaises, Op.Cit, P. 171.

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II.1- La pratique sexuelle avant cours.

Les rapports sexuels qu'Agatha entretient alors qu'elle n'est pas encore mariée constituent la première action de violation qu'elle pose. Qu'est-ce qui témoigne de la prématurité de ces rapports ? Quelles sont les motivations de la fille ? Telles sont nos préoccupations dans cette sous-partie.

Agatha est une fille de dix-sept ans. Malgré son âge, elle n'est pas encore autorisée à avoir des rapports sexuels. Deux éléments le démontrent. Le premier, c'est le fait que Mbenda craint d'avouer à sa mère qu'il n'a jamais eu de rapport intime avec Fanny alors que celle-ci a seize ans32. C'est dire que Fanny, bien qu'elle soit plus jeune qu'Agatha, est autorisée à s'investir dans cette pratique. On comprend que c'est la situation matrimoniale d'Agatha qui pose problème.

Le deuxième élément qui justifie la précocité, c'est la redondance de l'adverbe de temps « déjà » qui se dégage dans les propos de Mbenda, le compagnon d'Agatha. Ce dernier s'inquiète lui-même de l'attitude de sa compagne :

« J'avais en face de moi une enfant de [vingt-et-un] ans, qui faisait déjà parler d'elle comme peu de gens y arrivent au bout de toute une vie. Je ne souhaiterais jamais à aucune fille d'aucun pays d'avoir la réputation d'Agatha Moudio [...] Elle savait déjà `'tout faire» [...] `' Elle connaît déjà l'homme» » (FAM, 18-19).

Même si on peut expliquer ce comportement, il demeure qu'il transgresse une loi. Il est important de préciser les motivations de cette attitude non pour la défendre mais pour argumenter son caractère zélé. Agatha est une enfant dont la naissance a beaucoup irrité son père parce qu'il ne s'attendait plus à la venue d'une fille dans son ménage. Elle explique en ces termes l'ambiance qui a entouré sa naissance :

« Pour ce qui est de mon père, je reconnais toutefois qu'il se montra bon avec ma mère, car il lui accorda jusqu'à une troisième chance [pour faire un garçon]. Ce fut alors que je vins au monde, moi que mon père n'attendait pas, puisqu'il voulait un garçon. Mon arrivée déclencha son courroux. On n'avait encore jamais vu un homme dans une telle colère lors de la naissance d'un enfant » (FAM, 33).

Pour calmer cette colère, la famille de la mère de l'enfant a confectionné des présents qu'elle a remis au père. Agatha s'en souvient :

32- Fanny a seize ans au moment où elle contracte la grossesse. Ceci transparaît dans les propos de Mbenda qui explique pourquoi il refuse d'avoir des rapports sexuels avec elle : « Je ne m'étais pas encore proposé de faire un enfant avec cette gamine de seize ans à peine. Elle avait beau être ma femme, je ne la connaissais pas davantage pour cela. `'Il faut qu'elle soit plus grande», me disais-je chaque fois que je sentais une envie sérieuse de commettre un détournement de mineure. » (FAM, 141).

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« Ma mère me raconta un jour, que mon père refusa de me voir, pendant les deux ou trois premiers mois de ma vie, et que les gens de la famille de maman allèrent le supplier de me pardonner d'être venue. Ils apportèrent un coq au plumage blanc, deux cabris, deux grosses ignames et un billet de cinq cents francs qu'ils remirent à mon père pour le réconcilier avec moi » (FAM, 33).

Malgré tous ces cadeaux, le père ne désarme pas totalement. La fille pense même qu'en dehors de la maladie qui est à l'origine de la mort de sa mère, les peines que ce dernier lui a fait subir en sont aussi une cause. Elle l'explique dans sa réponse à la question de Mbenda qui veut savoir si la réconciliation ne profitait pas aussi à la mère :

« Mais tu sais, dans le fond, il ne m'a jamais pardonné tout à fait. Quant à maman, il lui mena la vie de plus en plus dure, et si la pauvre femme est morte à la suite d'une longue maladie, les mauvais traitements que mon père lui infligea ne l'aidèrent pas beaucoup à s'en remettre, crois-moi. Je suis persuadée qu'elle est morte de chagrin, autant que de maladie » (FAM, 34).

À la suite de cette intervention, Mbenda veut se rassurer à combien de temps cela remonte. Elle répond : « il y a trois ans de cela... » (FAM, 5) et poursuit : « Oui elle est morte depuis trois ans. J'avais un peu plus de quatorze ans quand ma mère mourut. Depuis, j'ai été abandonnée à moi-même. Et toute seule, j'ai grandi, oh, j'ai beaucoup grandi, c'est moi qui te le dit » (FAM, 35). Il ressort dans les deux dernières phrases de cette déclaration une tonalité rageuse qui révèle en filigrane une intention de révolte. Même si son compagnon la comprend, il n'en demeure pas moins qu'il reconnaît que sa conduite est des plus mauvaises :

« Je voyais mieux, dans mon esprit, la succession des faits : c'était en effet depuis deux ou trois ans que cette petite fille était devenue la personne la plus en vue de la région, c'était donc après la mort de sa mère, que seule ou presque seule dans la vie, avec un père qui s'occupait plus de ses trois autres épouses et `'de ses enfants garçons», elle avait peu à peu acquis sa célébrité, une célébrité de fort mauvais goût. [...] La mauvaise conduite d'Agatha était la conséquence d'une éducation mal conduite, laissée au hasard » (FAM, 34-35).

Ce discours justifie implicitement le caractère vengeur de l'attitude d'Agatha. Elle est révoltée d'une part contre son père qui n'a jamais voulu d'elle; et d'autre part contre la société qui ne l'a pas récupérée après la mort de sa mère. Mais qui l'a aussi abandonnée à elle-même. Depuis lors, elle viole tabous et interdits. Sa vengeance se poursuit avec la demande en mariage qu'elle fait à son partenaire.

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II.2- La proposition indécente faite par l'impatiente.

L'acte de violation se poursuit par la demande en mariage faite à un homme. Dans un environnement où ce sont les hommes qui doivent s'engager dans une telle entreprise, Agatha a l'audace de faire une proposition de mariage à Mbenda. Sur un ton au départ doux et nuancé, sa déclaration se termine par une affirmation plus précise et imposante :

« Mon avenir, ce sera désormais le tien, La Loi. Tu feras de moi ce que tu voudras, si tu veux me prendre pour épouse [...]. Non je vais te dire : c'est moi que tu épouseras, parce que tu m'aimes, et que moi je t'aime plus qu'aucune autre femme ne t'aimera jamais au monde » (FAM, 36-37).

Cette déclaration rend l'interlocuteur circonspect et méfiant : « Ecoute, Agatha, [...] écoute, tu me parles exactement comme les blanches parlent à leurs hommes. Je vois parfois, ici, le dimanche quand les chasseurs viennent chez nous, je vois parfois comment l'une des dames gronde son mari. Tu m'effraies car je pense que tu ferais la même chose si nous étions mariées » (FAM, 38). Cette réaction est compréhensible. Agatha a posé un acte qui est à la limite étrange et extraordinaire : une femme qui demande en mariage un homme, cela relève du jamais vu et du jamais entendu. La frustration de La Loi le dispose moins à épouser la fille. Pourtant, avant la proposition indécente, il est littéralement séduit par cette dernière ; il entrevoit même un bel avenir pour eux : « nous serions heureux [...] ; et nous aurions des enfants, beaucoup d'enfants... » (FAM, 30).

Sa méfiance l'amène à reconsidérer les perspectives de leur relation : « L'avenir est si mystérieux, Agatha, continuons à nous aimer, et nous verrons les choses se préciser d'elles-mêmes dans le temps et puis, toi, tu es encore jeune, tu sais bien que... » (FAM, 37). L'évocation de la jeunesse de la fille l'irrite. Elle se sent dénigrée, car elle a le sentiment que son compagnon veut utiliser son âge comme un alibi jouant en sa défaveur dans leur probable futur mariage. Les interrogations dont elle accable son interlocuteur démontrent qu'elle est en colère:

« Quoi ? Je suis encore jeune ? Tu veux dire que je suis encore trop jeune pour devenir ta fiancée ou ta femme ? Je suis jeune, et je te parle comme une grande personne ? Et je te dis que nous nous marions, je t'aiderais à devenir un homme ? Je suis trop jeune pour toi, dis moi : as-tu donc une fille plus vieille que moi à épouser ? Et puis, qui t'a dis qu'il te faille nécessairement une vieille femme, comme si tu étais déjà vieux, toi-même ? » (FAM, 37).

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L'indignation qui s'empare davantage de Mbenda, indique de plus en plus que les femmes ne doivent pas poser un tel acte :

« Agatha m'inquiéta un peu par cette manière de m'annoncer que j'allais l'épouser, elle, et pas une autre femme. Je ne sais quelle sensation désagréable parcourut d'un trait mon épine dorsale, comme la jeune fille parlait avec cet air plein d'assurance. J'eus un peu peur. Je me dis qu'avec une femme comme celle-là, l'avenir me réservait sans doute, entre autres surprises, celle d'avoir à compter avec la personnalité très marquante de ma chère épouse » (FAM, 37).

Le narrateur justifie son attitude et même la règle d'une manière générale en affirmant que leur village n'a pas encore atteint un niveau de « modernité » qui établit une égalité entre l'homme et la femme. L'entreprise de la fille de Moudio est propre aux réalités de la civilisation occidentale. En conséquence, puisque nous sommes dans un contexte purement africain, il est inadmissible qu'une femme veuille jouer le rôle de l'homme à qui il revient le plein droit de mener les démarches en matière de noces. Même si, dans le texte, on reconnaît à la femme africaine une liberté d'expression et d'action, on ne lui reconnaît pas encore ce droit. Le narrateur le précise :

« La femme africaine des temps modernes, elle a quelque chose à dire. Je lui souhaite de placer son opinion à l'endroit opportun de la conversation afin que son mari, civilisé à cent pour cent, tienne compte de l'avis exprimé par elle. Tout le monde doit profiter du progrès. Mais dans notre village, [...] les choses n'en étaient pas encore arrivées à ce stade élevé de la civilisation européenne, qui prône sans réserve l'égalité entre les hommes et les femmes d'ici-bas » (FAM, 38).

L'acte d'Agatha est d'autant plus audacieux dans ce sens qu'il viole non seulement un droit réservé aux hommes, mais encore plus aux parents. Le droit de demander une fille en mariage ne revient même pas aux jeunes même s'ils sont des garçons. C'est une exclusivité des parents. En Afrique, le mariage n'est pas l'affaire de deux individus, mais de deux familles. En tant que tel, seuls les parents sont à même de procéder aux négociations y relatives. A ce sujet, Mey et Spirit affirment que « la conception traditionnelle veut que [...] l'influence des vieux sur le choix des partenaires [soit établie], parce que, eux seuls connaissent les bonnes familles »33.

33- Mey, Gerhard et Spirik, Hermann, La Famille africaine en milieu africain, Yaoundé, (Maison d'édition S.P.), 1975, P.144.

33

Le rôle central des parents, du début à la fin, dans tout processus de noces justifie donc l'institutionnalisation de la dot comme seule instance de légitimation du mariage en Afrique34. Ainsi, au moins deux motifs peuvent argumenter le grief contre Agatha : non seulement elle viole le principe selon lequel la femme ne doit pas demander un homme en mariage, mais aussi elle écarte les ayant droits dans la démarche, en jouant leur rôle. On comprend donc la réaction de Mbenda qui tente de ramener sa partenaire à l'ordre :

« Tu sais bien qu'une femme ne dit jamais à un homme : `'Tu m'épouseras, c'est moi que tu épouseras »... Et puis, tu sais bien que la chose ne dépend pas de nous, mais surtout de nos parents. Toi, tu n'as plus ta mère ; quant à moi, j'ai perdu mon père voici plus de quinze ans ; mais cela ne signifie nullement que nous soyons seuls au monde, et autorisés à prendre une décision quelconque au sujet de notre mariage : il reste tout de même nos deux familles respectives à consulter » (FAM, 38-39).

Malgré le fait que le père de Mbenda ne vit plus, et qu'en conséquence sa mère peut être seule à décider de son mariage, Maa Médi rencontre le chef Mbaka pour lui confier la mission. Ce dont elle informe son fils : « Je suis allée voir Mbaka. [...] Je lui ai dit que tu voulais te marier. Je ne lui ai pas caché mon inquiétude au sujet d'Agatha, et je lui ai rappelé que la fille de Tanga t'est destinée. Il a bien compris toute l'affaire » (FAM, 58-59).

La démarche de Maa Médi démontre bien l'exclusion de la femme dans une affaire de mariage. La preuve, durant tout le processus et pendant toutes les négociations avec la belle-famille, elle n'intervient même pas une seule fois, pourtant il s'agit bien d'une question qui concerne son unique enfant. D'ailleurs, elle ne fait même pas partie du collectif composé, exclusivement des hommes, pour les négociations de la dot. Après que le chef a suivi l'affaire, Maa Médi poursuit : « Il a réfléchi, puis il a réuni les anciens. Ils y étaient tous : Moudiki, Bilé, Ekoko, Mpondo-les-deux-bouts, le roi Salomon, et même Eya. Avec Mbaka lui-même, cela faisait sept personnes. [...] Ces sept hommes les plus vieux du village... » (FAM, 59).

La négociation de mariage n'est pas seulement une affaire d'hommes mais surtout des parents. C'est donc à juste titre que nous qualifions l'attitude d'Agatha de prétentieuse, de même que celle qui la conduit à accoucher d'un mulâtre.

34- Ibid, PP. 67-74.

34

II.3- La grossesse de l'impudique.

La transgression de la loi sur la virginité de la jeune fille avant le mariage se termine par l'enfant auquel la compagne de Mbenda donne naissance alors qu'elle n'est pas encore mariée. L'enfantement survient à la suite d'un affrontement. L'audace de la fille de Moudio se termine par l'accouchement d'un mulâtre. Tout remonte à la première dispute qui l'oppose à Fanny, depuis que Mbenda s'est installé dans une union libre35 avec elle. Celui-ci fait ce témoignage à ce sujet : « Un jour, tandis que j'étais parti pour quelque temps en haute mer, Agatha et Fanny trouvèrent le moyen de se quereller, `'mon fils comme tu n'as encore jamais vu ça», me raconta le roi Salomon à mon retour. » (FAM, 72). Cette querelle naît du fait que chaque femme accuse l'autre de vouloir l'utiliser comme une « esclave » en lui abandonnant tous les travaux domestiques (FAM, 172-173). Une légère accalmie les réconcilie. Mais une autre dispute les divise encore après que le conjoint est allé vaquer à son occupation. Il en rend compte ainsi :

« Ce fut alors d'une rentrée de pêche qu'un jour, je provoquais le `'départ définitif» d'Agatha. Pendant mon absence, les deux femmes s'étaient encore violemment querellées, `'mon fils tu n'as encore jamais vu chose pareille...Elles ont failli en venir aux mains» me rapporta le roi Salomon. » (FAM, 175).

Cette énième altercation inspire une vengeance à Agatha. Après que Mbenda a écouté les deux femmes, question de connaître l'instigatrice du trouble, chacune est rentrée dans son domicile, en espérant que le « mari » viendrait d'abord chez elle avant d'aller chez l'autre : « chacune repartit dans sa maison avec la certitude que je viendrais la voir avant de me rendre chez l'autre » (FAM, 176). N'ayant pas le don d'ubiquité, Mbenda utilise Adèle, la fille de Fanny, comme prétexte pour s'inviter d'abord chez celle-ci :

« Comment un homme pouvait -il se départager et se rendre simultanément chez ses deux épouses ? Je ne trouvai guère la solution à ce problème grave. J'allai d'abord ...chez Fanny en prétextant que je voulais voir la petite Adèle. » (FAM, 176).

La réaction d'Agatha fut immédiate. Elle se sentit ridiculisée, moins importante parce qu'elle n'a pas d'enfant : « Du coup, je faisais perdre à Agatha le pari selon lequel j'entrerais d'abord chez elle avant d'aller chez Fanny. Quelle affaire... Agatha entra dans une colère

35- Mbenda et Agatha finissent par vivre sous le même toit bien que celui-ci reste marié à Fanny. Mais leur union n'est pas légitime parce qu'il n'y a pas eu de dot. (FAM, 169).

35

folle. [...] J'aurai dû la rassurer dans son orgueil d'avoir été `'la première à me connaître» » (FAM, 177). Sa colère se manifeste à travers l'affront qu'elle relève:

« Elle vint jusque dans la maison de Fanny. [...] Elle entra comme un ouragan : j'ai compris, dit-elle, tu viens voir ta femme avant de venir chez moi. Tu n'entres pas chez moi d'abord, parce que moi je n'ai pas d'enfant à te montrer. Eh bien, je vais te faire un enfant, moi aussi » (FAM, 177).

Le défi d'Agatha se concrétise par la grossesse qu'elle entraîne dans son foyer après sa fugue. Après la dispute, la fille de Moudio abandonne son foyer pour n'y revenir qu'après deux semaines (FAM, 177-178). La grossesse qu'elle porte à son retour, provoque beaucoup de réticence au moment où les autres s'en aperçoivent. Cette grossesse semble amener Maa Médi à reconsidérer sa position vis-à-vis de l'union de son fils et Agatha36 parce qu'elle croit que l'enfant qui va naître est celui de son fils. La mère Mauvais-Regard, son alliée, se veut beaucoup plus prudente. Après que Mbenda informe sa mère de la situation de sa concubine, celle-ci à son tour va voir son acolyte pour lui porter la nouvelle. Seulement, son interlocutrice se montre réservée :

« Il faut que l'on voit ça de près, dit la [femme sceptique]. Toi, Médi tu te laisses trop facilement embobiner. Et si cette fille a forgé un mensonge, dans le seul but de te rallier ? Tu vas croire ça comme quelqu'un qui l'avait vérifié ? Nous devons vérifier la chose avant de dire quoi que ce soit, et surtout avant de nous réconcilier avec notre fils » (FAM, 190).

Même après s'être rassurée au terme d'un test magico-traditionnel37, la mère Mauvais-Regard demeure sceptique. Dans le but de la contenter, Mbenda va la voir deux jours après « pour lui remettre un petit cadeau : du tabac, du sel de cuisine, un foulard multicolore et une pipe en terre cuite » (FAM, 193). Mais le scepticisme demeure : « Pourtant, malgré tout cela, la mère Mauvais-Regard n'arrivait pas à se départir de sa réserve au sujet de la grossesse de ma femme. [...] Cette vieille sorcière aux quatre yeux, décidément, devait penser à quelque chose de difficile à exprimer » (FAM, 194). La réserve de celle-ci qui est considérée jusqu'ici comme l'empêcheuse de tourner en rond, finit par affecter la Loi qui commence, lui aussi, à s'inquiéter. Parlant de la « sorcière », il dit :

36- La mère de Mbenda a toujours condamné sa relation avec Agatha à cause des mauvaises habitudes de cette dernière. La mère Mauvais-Regard la soutient dans sa position. La suite de ce travail en dit long.

37- Quatre vieilles femmes parmi lesquelles la mère Mauvais-Regard procèdent à certains rituels traditionnels pour s'assurer de l'effectivité de la grossesse d'Agatha. (FAM, 192).

36

« Son attitude créa une atmosphère pessimiste qui, peu à peu, m'enveloppa ne me laissant pas sans crainte au cours des mois suivants, où pourtant, les dimensions abominables d'Agatha, prenant des proportions qu'on ne leur connaissait pas jusque-là, démontraient clairement que ma femme attendait un enfant » (FAM, 194).

Alors que « personne n'arrivait à trouver ce qu'avait la mère Mauvais-Regard » (FAM, 194), et que même Mbenda cessait de s'inquiéter parce que la grossesse était maintenant visible, l'avenir lui donna raison. Agatha, quelque temps après, accoucha d'un enfant « tout blanc, avec de long cheveux défrisés » (FAM, 204). A la surprise générale de ceux qui étaient jusque-là crédules. Le fils de Médi, quand même, garde espoir dans la mesure où, il estime qu'au bout d'un temps plus au moins court, « le fils d'Agatha allait prendre sa couleur définitive » (FAM, 206): « Je gardai bon espoir un mois entier après la naissance du petit garçon, mais son teint chocolat au lait ne changea guère, ou si peu, que c'était à peine perceptible » (FAM, 206). Pour mettre fin aux questionnements qui alimentent l'étonnement des uns et des autres au sujet de l'enfant d'Agatha, la mère Mauvais-Regard, visiblement réconfortée, décide enfin de parler. Elle s'adresse à Mbenda :

«Je la voyais, ta femme, quand le Blanc grand et fort et avec des dents en or venait la chercher la nuit, lorsque tu étais absent. Il venait à bicyclette afin de n'attirer l'attention de personne. Je l'ai vu plusieurs fois. Mais, fils, que voulais-tu que je dise alors ? Tout le monde ne serait-il pas parti à parler de ma mauvaise langue ? Aussi avais-je refusé de révéler ce que je voyais... Un jour, ta femme est rentrée très tard, au petit matin, et j'ai encore vu le blanc sur sa bicyclette ; il était venu la raccompagner... Ne cherche pas, et n'essaie pas de t'y tromper : l'enfant d'Agatha, ce n'est pas le tien, fils » (FAM, 206).

Voilà qui clarifie les choses. Agatha a réussi son coup. Elle a aussi fait un enfant. Et surtout un mulâtre, pour davantage meurtrir Mbenda. Mais sa vengeance a un effet boomerang.

Tout compte fait, les investigations qui visent à démontrer que la virginité avant le mariage est sacralisée dans le texte, attestent aussi que Agatha a violé cette loi d'abord en entretenant des rapports sexuels précoces, puis en faisant des avances à un homme, enfin en contractant une grossesse extraconjugale. Même si on peut considérer ses actes comme une vengeance contre son père et sa société qui l'ont abandonnée après la mort de sa mère, il n'en demeure pas moins qu'ils violent des interdits. Les offenses dont elle est victime sont une

forme de sanction de son forfait. Elle est affublée des qualificatifs que Mbenda, son compagnon, a du mal lui-même à supporter: « Je ne souhaiterais jamais à aucune fille d'aucun pays d'avoir la réputation d'Agatha Moudio. Dans notre village, comme dans le sien, tout près du notre, ainsi que dans tous les villages des environs, on pensait généralement que l'extraordinaire beauté de cette `'créature de Satan» masquait tout le mal qu'elle savait déjà faire » (FAM, 18). Les rétributeurs, notamment toute la société du texte à l'exception de Mbenda, trouve que « Agatha n'était pas une fille, mais le diable en personne... » (FAM, 20).

Les invectives de Maa Médi sont plus crues lorsque son fils s'attaque à elle dans le but de défendre sa partenaire en démontrant qu'elle est une jeune fille comme toutes les autres : « `'Jeune fille, jeune fille», [...]. Tu t'imagines donc avoir affaire à une jeune fille [...] Pour l'instant, elle ne vaut pas chère, et ce n'est pas à toi d'aller t'encombrer des déchets... » (FAM, 20-21). Hélène Yinda justifie la haine contre la coupable en affirmant que :

« Dans la plupart de nos sociétés traditionnelles, la virginité est célébrée et est un signe de bonne éducation, de bonne tenue. [...]. En effet, la dignité, la considération que les autres t'accordent tient de tes options sexuelles en rapport avec ce que la société s'est donnée comme normes. Plus un enfant, ou un adulte, se [laisse] aller sur le plan sexuel, plus il [est] montré du doigt et taxé de paria dans [nos] cultures »38.

À cause de la fornication, Agatha est devenue une paria dans sa société. Cette pratique est condamnée en vue de préserver les mariages des probables risques de l'infidélité. Car les conjoints qui ont forniqué peuvent être tentés de continuer à entretenir des relations intimes avec le partenaire qu'ils n'ont pas finalement épousé.

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38- Yinda,Hélène, Op.Cit., P. 97.

CHAPITRE III : LA FIDELITE DES EPOUX.

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L'harmonie conjugale passe sans doute par la confiance qui est le ferment de la fidélité des conjoints. Ce principe inscrit l'adultère au rang des attitudes qui mettent en péril la stabilité du ménage. La grossesse extraconjugale que contracte Fanny39 avec Toko, un ami de son mari Mbenda40 en est une illustration parfaite dans le récit. Même si on peut considérer cet acte comme une vengeance41 contre un époux qui infantilise sa partenaire en la trouvant immature à la pratique de l'acte sexuel42, il n'en demeure pas moins qu'il est un cas de violation vivement condamné dans l'univers fictionnel. Dès lors, il est question de démontrer qu'en stigmatisant l'adultère, le roman valorise la fidélité. Toutefois, il importe de clarifier les interdits et les sanctions enregistrées afin que l'acte de Fanny soit considéré comme un méfait. Car en l'absence d'une réglementation spécifiant ces deux éléments, tout comportement à priori contraire aux moeurs, est susceptible de disculpation. Ainsi, des interrogations se posent : quelle est l'interdiction violée ? Comment s'exprime-t-elle dans le texte ? L'analyse du corpus permet de constater que l'interdit relatif à l'infidélité s'exprime à travers deux attitudes : le secret préservé par le mari cocu et l'angoisse due au forfait révélé.

39- Fanny est l'épouse choisie par le père de Mbenda (FAM, 142).

40-Fanny, l'épouse de Mbenda, a conçu un enfant avec Toko au cours de ses infidélités. Cette grossesse étonne plus d'un au rang desquels le mari cocufié qui exprime son indignation en ces termes : « Toko se disait mon ami ; moi aussi, je le considérais comme tel. N'empêche que c'est lui qui se chargea de faire proprement le premier enfant de ma femme. Les amis et les femmes sont ainsi. Alors que j'aurais juré tous les dieux de la terre que Fanny ne connaissait pas encore l'homme, pour la simple raison que je lui avais laissé une paix royale depuis que nous étions mariés, voilà qu'elle se mit à grossir du ventre, sans me prévenir...lentement, mais sûrement. » (FAM, 142).

41- Le fait de choisir un ami de son partenaire justifie à suffisance le souci de vengeance de l'adultérine.

42- Malgré la légitimité dont jouit leur union, Mbenda trouve que Fanny est une mineure qui n'est pas encore prête à se livrer aux rapports sexuels. Il s'explique de cette façon : « Je ne m'étais pas encore proposé de faire un enfant avec cette enfant de seize ans à peine. Elle avait beau être ma femme, je ne la connaissais pas davantage pour cela. `'Il faut attendre qu'elle soit plus grande», me disais-je chaque fois que je sentais une envie sérieuse de commettre un détournement de mineure. » (FAM, 141).

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III.1- Le secret préservé par le mari cocu.

La discrétion que les personnages mariés emploient pour soustraire de l'attention des autres leurs intimités extraconjugales est une preuve que l'infidélité est interdite dans le milieu représenté. L'embarras de Mbenda à dire ce qu'il ferait le soir du jour où Fanny sera kidnappée et le silence qu'il adopte au sujet de l'absence des rapports sexuels dans son couple, en sont des illustrations.

Mbenda craint de révéler son adultère au roi Salomon qui l'approche pour un renseignement. En principe, les « anciens » de son village décident d'envoyer un groupe de jeunes pour kidnapper Fanny. Seulement, ils ne veulent pas que le mari de celle-ci soit de la commission. Et même, ils tiennent à s'assurer que ce dernier, parce qu'il a coutume de se rendre régulièrement chez sa belle-famille, n'aille pas là-bas le soir où l'opération doit avoir lieu. C'est pourquoi, ils chargent le roi Salomon d'aller s'informer. Ce dernier le rencontre la veille et lui pose la question : « Fils [...] que fais-tu demain soir ? » (FAM, 97). Mbenda qui, visiblement, n'avait « aucune intention d'aller chez Tanga » (FAM, 96) parce que, dit-il, « d'abord, je n'avais pas d'argent à dépenser en cadeaux ce jour-là, ensuite je voulais aller voir... mais oui : Agatha Moudio » (FAM, 96), hésite à répondre :

« Demain soir ? Demandai-je au roi Salomon, un peu embarrassé, et vous savez bien

pourquoi. Demain soir ?...Euh...je ne fais rien de spécial...je serai chez moi, je vais me coucher, je me sens un peu fatigué depuis quelques jours. Je me reposerai » (FAM, 97)

L'idée du kidnapping est nourrie par le fait que la famille de Fanny la garde toujours alors que les négociations de son mariage avec Mbenda ont été menées à bien et que la dot a même déjà été versée. Toko est le principal acteur de l'opération. C'est lui qui trouve le prétexte qui invite la mariée à les accompagner, le dernier soir de la visite.

La tradition de la société du texte veut qu'au terme des fiançailles, le futur époux ou ses proches rendent régulièrement visite à la belle-famille. Les amis qui sont à l'honneur le jour ultime ont une mission à eux confiée par les anciens de leur village : ils doivent rentrer avec Fanny par tous les moyens43. C'est Toko qui trouve l'astuce qui permet de réaliser l'opération. Lorsque Tanga, le beau-père, demande à sa femme qui somnole (FAM, 98-99) d'aller se coucher, il profite de l'occasion et dit : « Et nous aussi [...] allons nous retirer ; il commence à

43 - Les parents de Mbenda trouvent que les fiançailles ont trop duré. Depuis qu'ils ont versé la dot, Tanga ne se décide pas à leur « donner » leur femme. C'est pour cette raison qu'ils commettent une expédition qui a pour mission de kidnapper Fanny. Dans l'environnement culturel du texte, la démarche est permise (FAM, 94-100).

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se faire tard...Fanny tu ne veux pas nous raccompagner jusqu'à la porte du jardin ? Juste-là, dans la rue, puis tu reviens... » (FAM, 99). A ces mots, le père réagit favorablement en demandant à sa fille de faire quelques pas avec les visiteurs. Le narrateur décrit ainsi ce qui s'en suit :

« Bientôt, ils atteignirent la rue. C'est alors que tout changea. Toko et Ebanga prirent la petite fille, chacun par un bras, fermement, tandis que son cousin Ekéké, sifflant un air convenu à l'avance, appelait les autres gaillards cachés dans les buissons. Tous entourèrent soudain Fanny, qui en fut effrayée. Elle essaya de crier, d'appeler au secours, de pleurer, impossible ; quelqu'un lui mit une main dans la bouche, et personne, dans le voisinage, n'entendit de plainte d'aucune sorte. [...] Nous t'emmenons chez nous cette nuit, Fanny, annonça Ekéké ; à partir de cette minute, tu es la femme de La Loi, tu es notre femme. Allons-y, emmenons-là. » (FAM, 100).

Après le kidnapping, Mbenda ne tient pas Fanny en considération. Il la délaisse en refusant tout contact sexuel avec elle parce qu'il se complait dans l'intimité extraconjugale qu'il entretient avec Agatha. Mais il fait le black-out sur ce sujet lorsqu'il informe sa mère que l'enfant de Fanny n'est pas le sien. Il estime que lever le voile sur un tel secret impliquerait son manque de sérieux et son inconstance dans la mesure où on sait que des conjoints ne sauraient mener une existence durable sans acte sexuel. Si l'un d'eux refuse de s'engager dans une telle pratique, cela suppose qu'il se complait ailleurs. De cette manière l'adultérin justifie son attitude :

« Ce n'est pas vrai, je n'avais pas tout avoué à Maa Médi, lorsque j'étais allé lui dire que l'enfant de Fanny n'était pas le mien. Tout avouer à ma mère ? Je n'y pensais pas, car cela eût impliqué que je lui [révélais] en même temps mes propres infidélités à Fanny » (FAM, 147).

La Loi sait pertinemment qu'il ne pourrait être pardonné s'il avoue son adultère. La sérénité dont jouit Maa Médi après le mariage de son fils, atteste son sentiment de victoire dans le combat contre Agatha. Car celle-ci est une fille avec qui son fils entretient une intimité qu'elle condamne. Maintenant que ce dernier est marié, sa tranquillité est assurée. Elle ne craint plus une autre présence féminine qui pourrait nuire à sa stabilité :

« Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, Maa Médi, allait dormir tranquille. Son fils était marié, bien marié. Il n'y avait plus à craindre l'entrée d'une fille [...] quelconque, qu'elle fût Agatha Moudio ou une autre » (FAM, 129).

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Cette sérénité est une preuve que la mère de Mbenda ignore l'infidélité parce qu'elle n'est pas inscrite dans son schème vital. Pour elle, c'est une pratique qui ne saurait exister puisque son environnement la méconnaît. Ainsi, on peut comprendre la peur qui domine les personnages dont les infidélités ont été mises à nu.

III.2- L'angoisse due au forfait révélé.

La preuve de l'infidélité suscite des frayeurs qui justifient l'interdiction de cette pratique. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la peur d'Endalé qui a conçu un enfant adultérin pendant que son mari est incarcéré44. L'impudence de celle-ci développe en elle une anxiété débordante. Malgré l'absence prolongée de son conjoint légitime du fait de son incarcération, Endalé sait que son acte n'est pas pardonnable. La grossesse qu'elle a « gagnée » au cours de ses randonnées est la preuve palpable de sa tricherie. Elle redoute la violence de son mari qui pourrait être confronté à la dure réalité après sa libération. Le narrateur décrit ainsi le trouble qui l'anime:

« Endalé était-là, le coeur battant. Qu'allait dire son mari en rentrant [de la prison] ? Elle n'était pas seule à avoir ? gagné? un enfant en perdant momentanément son mari, mais c'était elle qui avait le plus peur, connaissant bien le caractère violent de son époux » (FAM, 195).

Malgré le fait que le pauvre « est mort à Mokolo » (FAM, 195), toujours est-il que l'enfant de son épouse tout comme ceux des autres femmes qui ont accueilli leurs maris sortis de prison avec des enfants naturels, porte « le nom d'Eboa, qui signifie `'la prison» » (FAM, 120). L'infidélité est d'autant plus scandaleuse lorsqu'il en résulte une grossesse. C'est pourquoi on décide d'appeler ainsi toute la progéniture des épouses dont les maris étaient incarcérés45 lors de leur conception. Ceci pour permettre à ces derniers de toujours se souvenir des quatre années qu'ils ont passées en prison, et surtout de la faute que leurs épouses ont commise. Le détail à ce propos est ainsi livré :

« Les femmes étaient lasses de pleurer leurs maris absents pour si longtemps. Bientôt, celles d'entre elles qui n'étaient pas encore près de la vieillesse, se mirent à se

44- Endalé est l'une des trois femmes qui ont conçu des enfants pendant que leurs maris purgent leur peine de « quatre ans de prison ferme [...] dans le Nord du pays, à Mokolo. » (FAM, 116). Parmi les adultérines, elle est seule à avoir peur de la réaction de son conjoint quand il constaterait la preuve de son infidélité.

45-Ces personnages sont incarcérés parce qu'ils ont torturé leur congénère oncle Gros-Coeur qu'ils accusent injustement de sorcellerie (FAM, 105-117).

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consoler ardemment avec de jeunes gens malhonnêtes soit de chez nous, soit d'autres villages des environs. Elles poussèrent le scandale jusqu'à la conception d'enfants à qui l'on donna par la suite, à tous, les noms d'Eboa qui signifie la `'prison». Ce nom rappelle toujours aux `'pères» les quatre années qu'ils passèrent en prison et pendant lesquelles ils ne s'attendaient pas à trouver des enfants `'à eux», à leur retour au village » (FAM, 120).

Même si toutes les trois grossesses sont « une ironie du sort » (FAM, 120) parce qu'aucune des femmes qui les ont contractées n'a pu faire d'enfant avec son partenaire légitime, il n'en demeure pas moins que les époux cocufiés sont déçus. D'ailleurs tout ceci est considéré comme un scandale que la mère Mauvais-Regard, grâce à ses dons surnaturels, aurait provoqué pour semer le trouble dans les couples. On lui reconnaît des pouvoirs occultes qui empêcheraient les femmes de concevoir si elle le souhaite. Et même, on lui attribue la responsabilité de l'infertilité de ces trois femmes avant l'emprisonnement de leurs conjoints. A la question de Mbenda : « pourquoi donc a-t-elle permis à trois femmes de concevoir en l'absence de leurs maris ? » (FAM, 132), Maa Médi répond, en haussant les épaules : « Pourquoi...pourquoi, mais tu ne sais donc pas qu'elle n'a pas peur de provoquer de petits scandales de temps en temps ? » (FAM, 132).

L'infidélité est d'autant plus un scandale que tous les enfants adultérins sont considérés comme ceux des époux légitimes. En adoptant les enfants issus des unions extraconjugales, la société du texte voudrait effacer toutes les traces de l'infidélité. Cette conduite cadre avec celui de la tradition duala en particulier et le code civil camerounais en général. Dans ce code, en son article 312, il est indiqué que « l'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari ». Plus loin, dans l'article 313, précision est faite que : « le mari ne pourra, en alléguant son impuissance naturelle, désavouer l'enfant : il ne pourra le désavouer même pour cause d'adultère ». Ces deux articles, en consacrant de prime abord le mari comme père de l'enfant né pendant le mariage, nient implicitement l'infidélité et l'adultère. La loi exaltant d'ailleurs en son article 212 que « les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance ».

Un parallèle est établi entre ces dispositions et les lois qui régissent le mariage dans la société du texte. Mbenda est sommé de s'approprier la paternité de l'enfant à qui Fanny a donné naissance, même s'il est avéré qu'il n'est pas le géniteur. Tout le monde sait que l'épouse de Mbenda a commis un adultère. Mais compte tenu du fait que l'on recuse l'infidélité, on feint d'ignorer le véritable géniteur, pourtant bien connu :

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« Tout le monde, ma mère en tête, considérait l'enfant qui venait de naître comme mon enfant. Personne ne se souciait de savoir qui en était le vrai père : tout le monde savait que Fanny était ma femme, elle ne pouvait mettre au monde que mes enfants à moi, et non ceux de quelqu'un d'autre » (FAM, 145).

Tout compte fait, l'instabilité conjugale ne jouit d'aucun assentiment. Elle est vivement condamnée et même réprimée.

En conclusion, on constate que l'infidélité est interdite dans l'environnement textuel malgré les cas de violation. C'est ce qui explique la sanction appliquée à Fanny qui a eu la maladresse de faire un enfant avec Toko, l'ami de son mari Mbenda. Elle subit des invectives de Maa Médi qui regrette de s'être démenée pour que son fils l'épouse46: « Si j'avais su que les choses en viendraient-là, je ne me serais jamais tracassée pour ton mariage, dit-elle à son fils, [...] Je ne [t'] aurais pas forcé à prendre tout de suite cette petite écervelée et hypocrite de Fanny » (FAM, 144). L'inconduite de cette dernière provoque une amertume qui pousse les siens à la vouer aux gémonies. A travers des chansons de méchanceté, on lui souhaite toutes sortes de maléfices : « Il [...] eut des chansons pour elle, et pour son enfant aussi, chacune d'elle portant une dose de méchanceté que j'avais du mal à supporter moi-même. C'est ainsi par exemple qu'on lui prédisait la naissance d'un enfant `'sans tête, ni cou, ni menton». » (FAM, 144-145)

Il n'est pas donc superflu de terminer ce chapitre en avouant qu'en condamnant l'adultère, le roman de Francis Bebey célèbre la fidélité. C'est en vue de garantir cette stabilité que la communauté s'investit de façon prééminente dans la dynamique du mariage. Puisque l'inconfort conjugal peut entraîner le déséquilibre social.

46- Maa Médi a tout fait pour que son fils épouse la fille choisie par son mari (FAM, 58-59).

DEUXIEME PARTIE :
L'IMPLICATION ABSOLUE DE
LA COMMUNAUTE.

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La postposition de cette partie est liée à la prééminence que le groupe social exerce sur l'individu en l'empêchant de s'engager dans n'importe quelle relation intime. Il vient d'être démontré que le respect de certaines lois dépend du self-control et même si la communauté réprime les personnages qui les violent, il n'en demeure pas moins qu'elle ne peut les empêcher d'exprimer leur libre-arbitre. A coté de ces valeurs, il en existe d'autres qui musèlent la liberté individuelle. Il s'agit notamment de celles relatives à l'implication absolue des parents dans la démarche de mariage. Ainsi, l'objectif dans cette partie est celui de démontrer la préséance du pouvoir institutionnel et plus précisément du consentement de la communauté dans la dynamique des noces. Les lois traditionnelles reconnaissent la dot comme seul élément de légitimation d'une union. On peut donc comprendre pourquoi les sociétés sawa attestent qu' « il n'y a pas de `'dibà» sans dot. Les autres formes d'union sont déviantes ou atrophiées »47. Or en matière de négociation de la dot, seuls les parents sont concernés puisqu'en Afrique, le mariage n'est pas une affaire entre deux individus, mais une union de deux familles voire deux sociétés. C'est ce qui fait dire à René Bureau que « la plupart des rites successifs ont trait à l'alliance entre deux groupes »48 . Une question mérite d'être posée lorsqu'on se réfère au corpus. Comment se traduit l'implication absolue de la communauté ? L'analyse du texte montre que ce pouvoir se manifeste à travers l'exaltation de l'endogamie d'une part et le respect du choix des parents d'autre part. L'examen de ces lois est faite respectivement aux chapitres quatre et cinq.

47- Bureau René, Recherches et études camerounaises, Yaoundé, Editions Clé, 2001, P.166.

48- Ibid, P.176.

CHAPITRE IV : L'ENDOGAMIE.

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Dans le but de préserver la pureté du sang et d'éviter la déstabilisation des équilibres culturels, les sociétés traditionnelles sont généralement favorables à l'endogamie. Ce régime délimite l'espace hors duquel un membre d'une communauté ne peut aller chercher un conjoint faute de quoi sa relation ne peut être validée. Ceux qui viennent d'ailleurs sont considérés comme « n'importe qui » (FAM, 22), pour rester dans la terminologie du corpus. La connotation péjorative que revêt cette expression indique que la société du texte s'oppose à l'exogamie. Ainsi, il est question de démontrer dans ce chapitre que Le Fils d'Agatha Moudio encourage les mariages entre membres d'un même groupe ethnique. Agatha viole cette loi en entretenant d'abord une relation intime avec un congénère qui n'est pas de la même tribu qu'elle. Nous caractérisons une telle relation d'intertribale49 . Ensuite en se mettant avec un Blanc. L'interdiction de ces actes transparaît d'une part dans le désaveu des relations intertribales ; d'autre part dans l'hostilité contre les unions interraciales.

49- Nous entendons par relation intertribale ou interethnique toute union entre des personnages de race noire mais de tribus ou d'ethnies différentes.

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IV.1- Le désaveu des relations intertribales.

L'antipathie des Bonakwan à l'égard de toute relation intime avec un étranger, notamment un congénère issu d'une autre tribu, montre que l'exogamie est proscrite dans l'environnement textuel. Headman par exemple est considéré comme « n'importe qui » parce qu'il n'est pas de Bonakwan, c'est-à-dire de la même tribu que sa partenaire, Agatha. La haine développée contre lui entraîne aussi la désaffection de la communauté vis-à-vis de cette dernière qui viole la loi de l'endogamie en se mettant avec un étranger. L'inconduite de celle-ci est l'un des motifs pour lesquels Maa Médi refuse toute union entre son fils et elle. Dans un tête-à-tête où Mbenda veut convaincre sa mère de ce que sa partenaire « n'est pas ce que... » (FAM, 21), il se heurte à la réplique suivante:

« Dis moi qu'elle n'est pas ce que l'on en dit ? Ce n'est pas moi qui vais te rappeler [...] son inexplicable histoire avec Headman, le chef des manoeuvres de la voirie. Un homme comme celui-là, un homme qui n'est rien et qui n'a rien, et qui n'est même pas de chez nous... Agatha se laisse emmener par lui, et tu me dis qu'elle n'est pas ce que je pense, et qu'elle ne mérite pas que je t'éloigne d'elle ? » (FAM, 21).

Non seulement on condamne l'étrangeté de Headman, mais aussi sa pauvreté. Ce qui démontre l'esprit matérialiste des membres de la société du texte. L'étonnement du narrateur lorsque sa mère le rappelle à l'ordre justifie cet élan porté vers le matériel :

« Maa Médi avait raison. Je n'avais pas pensé au scandale que Agatha avait provoqué quelque temps auparavant, lorsqu'il s'était révélé qu'elle avait été `'embarquée» par Headman. Personne chez nous ne le lui pardonnait. Une jeune fille comme il faut n'a pas à se laisser emmener par n'importe qui. Et Headman, qui n'était qu'un employé de la voirie, et qui travaillait debout toute la journée, même sous la pluie quand il pleuvait, et qui par surcroît n'avait même pas l'avantage d'être `'de chez nous», Headman était n'importe qui. » (FAM, 22).

Cette attitude se manifeste également contre Tante Adèle, une allogène qui a épousé Oncle Gros-Coeur, un originaire de Bonakwan. Dina, une autochtone « à l'allure mesquine et insignifiante » (FAM, 41), s'appuie sur le statut de son mari ressortissant de la même ethnie qu'elle, pour la mépriser régulièrement :

«Elle ne manquait jamais l'occasion de lui rappeler, avec quelque mépris dans le ton, qu'elle n'était pas d'un village voisin, mais que mon oncle était allé la prendre loin, des jours et des nuits de marche plus loin dans la brousse, déclare le narrateur. » (FAM, 42).

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La haine de Dina est motivée par le fait que le mari de Tante Adèle est un fonctionnaire, c'est-à-dire un homme nanti différent de ses pairs qui n'ont pour activités que la pêche et les travaux champêtres. La querelleuse fonde donc sa jalousie sur l'aisance matérielle dont jouit sa rivale et approuve par conséquent l'esprit matérialiste de la société du texte. Le narrateur justifie l'idée de jalousie en ces termes : « Mon Oncle Gros-Coeur était le seul de notre village qui travaillât d'une manière régulière à la ville ; et Dina , dont le mari était pêcheur comme la plupart des hommes de chez nous, enviait terriblement tante Adèle » (FAM, 41).

Les Bonakwan manifestent aussi leur acrimonie en développant des réflexions et des racontars qui vont à l'encontre des leurs qui sont mariés aux congénères étrangers. Mbenda lui-même n'en est pas exempt. Il dévoile son esprit endogamique en s'interrogeant sur les raisons qui ont poussé Oncle Gros-Coeur à épouser Tante Adèle : « Je me demande pourquoi l'Oncle Gros-Coeur était allé prendre ma tante des jours et des nuits de marche si loin dans la brousse » (FAM, 42).

Epouser quelqu'un d'une autre tribu anime les passions. Les femmes en font un sujet phare dans leurs ragots à la fontaine publique. Ceci transparaît dans les propos du narrateur qui ironise sur l'avènement de cet appareil dans son village : « Si vous voulez apprendre que le vieux Eboumbou va prendre sa troisième femme, et que celle-ci vient de chez les Bakokos, [...] alors, allez à la borne-fontaine et là, vous apprécierez le progrès à sa juste valeur » (FAM, 40).

Aucune discrimination n'est faite lorsqu'il s'agit de désavouer les relations interethniques. Les Blancs eux-mêmes en sont victimes.

IV.2- L'hostilité contre les unions interraciales.

Les Occidentaux, bien qu'ils soient les Maîtres parce que ce sont des colons, et malgré leur richesse, n'ont pas les faveurs des Bonakwan. Ainsi, le matérialisme de ce peuple a des limites quand il s'agit de préserver la pureté du sang. Tout lien affectif avec les Blancs suscite des passions. Maa Médi accuse Agatha d'avoir des randonnées avec des Occidentaux : elle va tous les jours « au quartier européen se faire inviter par le premier blanc » (FAM, 21).

L'étonnement de Dooh lorsqu'il aperçoit cette dernière dans la voiture d'un Blanc est aussi fort illustratif. En effet, une belle voiture bleue appartenant à un Européen s'est amenée

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dans le village d'Agatha pour l'embarquer. À son retour, elle s'est embourbée au niveau de Bonakwan : « C'est alors que les gens, qui s'affairent autour d'elle, [pour la faire sortir de la boue] remarquèrent à l'intérieur...Agatha » (FAM, 149). Et Dooh de s'écrier : « Tiens, Agatha, [...]. C'est donc toi, notre soeur, qui part, ainsi dans la voiture d'un blanc ? Connais-tu donc le propriétaire de cette auto ? » (FAM, 150). Que d'interrogations qui désapprouvent l'exogamie !

Rien d'étonnant dans cette attitude quand on sait que Le Fils d'Agatha Moudio a un fort enracinement dans la culture Sawa et notamment duala. Et de ce fait, fort du principe selon lequel « toute oeuvre littéraire, dans sa construction et ses effets, entretient d'étroites relations avec les dimensions sociales, historiques et mythiques de l'existence »50, l'auteur a dû puiser dans sa culture d'origine. Car il est connu que les Duala nourrissent une certaine antipathie pour l'étranger. Ebélé Wei, de son vrai nom Valère Epée, un grand dignitaire de cette communauté a voulu contester cette identité, pourtant il la confirme et la justifie plutôt lorsqu'il dit : « Accusé à tort d'une [exogamie] largement justifiée, [les Duala] ont quand même mieux que d'autres contribué à renverser au Cameroun le règne colonial blanc... »51

Un élément permet de comprendre cette haine : les excès de la colonisation. Malgré le fait que Le Fils d'Agatha Moudio est une oeuvre qui a été publiée en 1967, c'est-à-dire après l'indépendance du Cameroun, les séquelles du mouvement colonial et notamment ses vices, y sont très présents. Outre le phénomène de transgression qui traduit les velléités d'abandon des traditions locales, on peut citer les pillages52. On peut aussi penser à l'assassinat des chefs Duala à l'instar de Rudolph Douala Manga Bell, pendu le 08 août 1914. Ebélé Wei rappelle à cet effet que : « Les Duala, [...] sont depuis le grand sacrilège de1914, foncièrement méfiants envers les Blancs...Lesquels, à en croire la vieille rumeur générale, ?vous soutirent tout sans rien vous livrer d'eux? »53.

Ainsi, on comprend pourquoi la société du texte est anti-occidentale en particulier et contre les étrangers en général. Ce comportement tire son fondement de la fierté que ce peuple éprouve pour sa tribu.

50 - Glaudes, Pierre et Reuter, Yves, Le Personnage, Paris, P.U.F., 1998, P.32.

51 - Ebélé, Wei, Le Paradis Tabou : autopsie d'une culture assassinée, Op.Cit,, P.29.

52- Les chasseurs blancs pillent la forêt de Bonakwan (FAM, 5-16).

53- Ebélé, Wei, Op.Cit., P.23.

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Les Bonakwan éprouvent un grand engouement lorsqu'il s'agit de préserver leur identité. Ceci explique les châtiments dont ils accablent ceux d'entre eux qui transgressent les lois. Leurs ancêtres sont des conquérants qui ont pu imposer leur hégémonie dans les localités riveraines. Ils ont glané beaucoup de richesses au cours de leurs conquêtes. Les Bonakwan se sentent le devoir de pérenniser ce dynamisme. Pour ce faire, ils préservent le lien de sang en évitant d'embrasser « n'importe qui ». Le narrateur l'approuve en ces termes :

« Nous étions, dans la proche banlieue de Douala, les descendants de Bilé, fils de Bessengué, cet homme qui avait autrefois étonné toutes les tribus doualas par son incomparable richesse, et qui régna sur la tribu des Akwas `'pendant des siècles», même après sa mort. Nous ne pouvions donc pas `'épouser n'importe qui»» (FAM,13).

Le narcissisme que ce peuple éprouve le porte vers le courage et l'entrain à défendre leurs intérêts. Deux éléments le démontrent : la pression que Moudiki exerce sur le chef Mbaka pour qu'il revendique un dédommagement des singes que les colons pillent et le challenge que Mbenda oppose aux Blancs afin qu'ils cèdent à la doléance.

La forêt de Bonakwan est pillée sans contrepartie par les chasseurs blancs qui y pratiquent leur activité tous les dimanches. Cette situation irrite les autochtones qui se sentent dépossédés indûment de leurs biens et ridiculisés dans leur fierté. Moudiki est le premier à manifester son ras-le-bol en exigeant au chef Mbaka de réclamer un dédommagement. Après une vive dispute motivée par l'hésitation du chef qui évalue les risques d'une telle action puisqu'il s'agit quand même de s'opposer aux Blancs, donc aux Maîtres, Moudiki finit par convaincre son vis-à-vis en affirmant :

« Chef Mbaka, j'ai toujours eu l'impression que ton sens pratique n'était pas placé au bon endroit, mais cette fois-ci, je crois que je ne me trompe pas. Je vais t'expliquer ce que je veux dire : ces gens-là ce ne sont pas des gens de chez nous ; ce sont des étrangers. S'ils viennent chasser ici, nous ne pouvons pas leur permettre de le faire gratuitement. Ils devraient payer quelque chose... » (FAM, 7).

La seconde action revendicatrice est posée par Mbenda. Dans un affront ouvert, il défie les chasseurs qui s'entêtent à ne pas plier l'échine. La pression de Moudiki décide le chef qui formule finalement la doléance de la communauté aux colons. Mais ceux-ci refusent de céder :

« Tu ne l'auras pas, ton sel54 pour la tribu. Nous ne vous devons rien. Nous venons ici chasser des singes qui n'appartiennent à personne. D'ailleurs sans nous et nos fusils,

54- Le locuteur parle de sel parce que dans sa requête, le Chef Mbaka a réclamé de l'argent pour acheter du sel pour la communauté (FAM, 11).

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la colonie des singes de votre forêt vous causerait bien du tort jusque dans votre village. Nous sommes des bienfaiteurs, et c'est vous, au contraire, qui devriez penser à nous payer quelque chose, au lieu de nous faire perdre notre temps alors que nous avons faim... » (FAM, 13).

Cette réaction irrite profondément Mbenda qui sort de sa réserve. Il le confirme en déclarant :

« Vous faire perdre votre temps ? Parce que vous avez des fusils, vous croyez que nous aurons peur de vous demander de nous dédommager si vous venez chasser dans notre forêt ? Eh bien, je vous déclare que vous ne partirez pas d'ici avec ces singes, si vous ne faites pas comme vous le demande le chef Mbaka... » (FAM, 14).

La dureté du ton de ce propos traduit le souci de défendre l'orgueil et l'identité transmis par les ancêtres. L'intérêt porté à la défense du patrimoine communautaire est si grand que tout le village se désole de l'attitude d'Agatha qui a eu l'impudence d'aller avec « n'importe qui ». Le narrateur l'approuve :

« Personne chez nous ne lui pardonnait. [...] Elle avait été une affaire dégoûtante. Je me souviens, en entendant Maa Médi me [...] rappeler [l'histoire], de la honte que nous avions tous eues à l'idée qu'une descendance de Bilé, fils de Bessengué, s'était abaissée à ce point, entraînant dans l'ignominie le souvenir de l'ancêtre irremplaçable. [...] c'est vrai, Maa, dis-je, c'est vrai, j'avais oublié tout cela » (FAM, 22).

Il est donc clair que les Bonakwan éprouvent une grande fierté d'eux-mêmes. Ceci se matérialise par le narcissisme et l'entrain à défendre le patrimoine ancestral qui les caractérisent. Ces attitudes particularisent l'endogamie car cette institution préserve l'identité. On comprend alors pourquoi les méfaits d'Agatha lui valent une punition.

Force est de constater que les relations intimes avec un étranger sont proscrites dans l'univers de notre corpus. C'est pour cette raison que la « justiciable »55 est vivement raillée. Maa Médi est la première qui manifeste son mépris lorsque, évoquant l'aventure avec Headman, elle avance : « Dis moi qu'elle n'est pas [une fille perdue] » (FAM, 21).

Tout le village, à travers les rires de moquerie de Dooh et ses amis, se joint à elle pour accabler Agatha. Cette désapprobation se manifeste au lieu où l'automobile bleue s'est

55- Bremond, Claude, Op.Cit., PP. 66-82 (Les justiciables, selon la terminologie de Bremond, sont les mis en cause dans la violation d'un interdit).

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embourbée, à la suite de l'outrage de la coupable. Cette réaction suscite la dérision que le narrateur décrit ainsi : « Et la foule moqueuse se mit à rire, rire jusqu'au point de décontenancer Agatha... » (FAM, 150). Dans un autre contexte, on aurait vu les villageois affichant un regard envieux à l'égard de leur congénère et ceci à cause du confort dans lequel elle se retrouve. Que non ! Ils la vilipendent au contraire.

Agatha, de même que sa lignée, est aussi mise en quarantaine. Le fait qu'elle soit allée avec Headman est si honteux et humiliant que les descendants de Bilé se désolidarisent de l'arbre généalogique qui unit leur lignée à celle de la traître :

« Dans notre village, nous étions consolés en nous disant qu'après tout, les gens de chez Agatha appartenaient à une branche de l'arbre généalogique tout à fait différente de celle dont nous étions descendus. Nous avions tenu bon dans cette façon d'expliquer les `' [bêtises] des filles de Bonakamé» et face à cette philosophie... de fuite, nous en étions peu à peu arrivés à considérer que le scandale ne nous regardait que de loin » (FAM, 22).

En somme, les contacts intimes avec un étranger sont des liaisons dangereuses dans le roman de Bebey. L'endogamie que l'intrigue promeut vise à sélectionner les conjoints à épouser.

LE RESPECT DU CHOIX DES PARENTS.

CHAPITRE V :

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La sécurisation du régime endogamique donne le pouvoir aux parents de marier leur progéniture. C'est le cas dans le roman de Francis Bebey. Le père de Mbenda avant de mourir, lui a trouvé une femme même si celle-ci n'était pas encore conçue. Cette dernière volonté est au centre des préoccupations de toute l'intrigue car c'est elle qui déchaîne les passions et permet le déploiement des actions qui débouchent sur la malédiction de Mbenda qui viole cette loi à travers une ruse bien concoctée. La prééminence de cet élément dans le récit justifie la position de ce chapitre. Puisque c'est le non-respect de cette dernière volonté qui donne au roman tout son sens. Dès lors, il se pose le problème de l'acceptation d'un conjoint choisi par des ascendants. En effet, il est strictement interdit dans la société du texte de désavouer le partenaire choisi par un parent. La violation de ce principe se fait d'abord à travers l'opposition ouverte contre la dernière volonté, ensuite l'adhésion hypocrite de l'entêté et enfin les secondes noces en guise d'expédient.

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V.1- L'opposition ouverte contre la dernière volonté.

La ruse de Mbenda commence par le fait qu'il minimise sans détour Fanny, la fille choisie par son défunt père. Celui-ci avant de rendre l'âme, a pris la peine de lui trouver une femme même si celle-ci n'était pas encore née. C'est à Tanga, son ami intime, qu'il s'est confié. C'est pour cette raison que nous pensons qu'il s'agit d'une dernière volonté. En ces termes, le défunt s'adresse à son ami : « Ecoute, Tanga, si jamais l'une quelconque de tes femmes a une fille un jour, je t'en supplie, donne la pour épouse à mon fils, tu m'entends, Tanga ? » (FAM, 26). Le narrateur précise que : « Et Tanga avait répondu oui en pleurant, voyant que son ami fermait les yeux pour de bon » (FAM, 26-27). Les propos du mourant indiquent que, jusqu'alors, Tanga n'avait pas encore un enfant de sexe féminin. Et Mbenda, à ce moment n'avait que six ans. Il se rappelle des fiançailles entre lui qui n'était qu'un gamin et une fille qui n'était même pas encore conçue : « C'est ainsi qu'à l'âge de six ans, je me trouvais déjà fiancé, bien que ma future femme ne fut même pas encore conçue dans le ventre de sa mère. » (FAM, 27).

Malgré la jeunesse de La Loi et l'imprévisibilité de l'avenir - il pouvait ne pas avoir de fille plus tard - Tanga ne dénie pas la dernière volonté de son ami. Connaissant toute la sacralité d'un voeu formulé à l'heure de la mort, il fait tout pour que celui-ci se réalise. Sa plus grande contribution est avant tout celle de mettre au monde une fille. S'étant rendu compte que ses deux épouses ne lui font que des garçons, il est obligé de prendre une troisième femme, qui, finalement, donne naissance à Fanny, sa première fille. La quête d'un enfant de sexe féminin dure trois années ; ce qui veut dire que l'opération n'a pas été facile. Le narrateur explique :

« Quelques trois années passèrent, avant [que ma fiancée] se montrât enfin au grand jour : c'était Fanny, la première fille de la femme de Tanga, ou plutôt de sa troisième femme ; car voyant qu'aucune des deux épouses qu'il avait, lors de la mort de mon père, n'arrivait à mettre de fille au monde, Tanga, par amitié pour mon père, prit une troisième femme, qui lui donna finalement une fiancée pour moi. » (FAM, 27).

Toutes les peines que Tanga s'est donné pour avoir une fille justifient à suffisance la puissance de la « dernière parole » et l'obligation d'honorer la mémoire des morts. Mbenda le confirme : « Chez nous, le meilleur testament écrit n'avait guère la force de la parole de l'homme devant la mort. La parole signifie la vie, la vie qui continue, et que l'homme doit respecter à tout moment, parce qu'elle est la seule chose d'ici-bas qui ne passe guère » (FAM, 25).

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Pourtant, La Loi désobéit avec ruse à son père, même si on peut considérer que ses arguments ne sont que des prétextes. Puisque la jeunesse de la fille et l'impatience qu'il évoque, ne sont pas fondées. Il trouve que Fanny qui lui est destinée est beaucoup plus jeune que lui. Car elle a treize ans tandis qu'il en a vingt-deux. Il s'imagine que Agatha, pourtant vilipendée, qui a dix-sept ans, lui convient mieux :

« Fanny avait maintenant treize ans. J'en avais vingt-deux. Je me demande pourquoi je fis machinalement ce rapprochement, mentalement, pour découvrir qu'Agatha, qui avait un peu plus de dix-sept ans, me conviendrait certainement mieux, comme épouse, que Fanny. » (FAM, 27).

Sa mère qui porte une grande attention sur lui parce qu'elle ne veut pas qu'il dérape en déshonorant la mémoire de son défunt époux, comprend l'alibi. Elle s'engage à dissiper l'embarras de son fils au cours d'un échange:

« Tu sais, ce n'est pas parce qu'elle n'a que treize ans que tu vas refuser de l'épouser... Au contraire, son âge est un atout pour toi. Une femme, mon fils, ça se travaille. Prends-là pendant qu'elle est encore toute petite, et tu auras tout le temps de la façonner à ta manière, et d'en faire une épouse tout à fait à ta convenance. A treize ans, elle n'est pas trop jeune pour se marier, crois-moi » (FAM, 27).

Dans le strict souci de voir se concrétiser le voeu de son défunt époux, Maa Médi va plus loin dans son argumentaire en invitant son fils à la patience. Si celui-ci trouve que Fanny est très jeune, rien ne l'empêche cependant d'attendre quelques années, le temps qu'il estime déjà la fille plus mature afin de l'épouser. L'insistance de la mère dévoile en filigrane la sacralité de la dernière volonté. Pour elle, quel que soit le temps que cela va prendre, le plus important c'est que Mbenda se marie avec celle que son père a choisie. C'est pourquoi, poursuivant sa réflexion, elle déclare : « Et puis, dis-moi : Qu'est-ce qui te presse de te marier tout de suite ? Tu peux bien attendre encore un an ou deux, et prendre femme lorsque Fanny aura quinze ans... C'est l'âge que j'avais, moi-même, lorsque ton père m'épousa... » (FAM, 28).

Maa Médi croit pouvoir infléchir la position de son fils en l'invitant à la patience. Pourtant elle lui donne là l'occasion de montrer qu'il ne peut plus attendre. Mbenda se saisit de la proposition de sa mère comme une bouffée d'oxygène puisque cet argument suscite en lui un autre prétexte. Il estime qu'il ne peut plus attendre quelque temps avant de se marier. Sachant que le mariage a une grande valeur dans son environnement, il croit que sa mère va céder à son

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voeu d'épouser Agatha sur le coup. Il ignore que le problème n'est pas de se marier mais celui de savoir qui est-ce qu'il doit épouser. Il se dévoile ainsi :

« C'était-là que commençaient les divergences. C'est que je n'avais plus l'intention d'attendre un an ou deux pour me marier. Je voulais le faire le plus tôt possible, je crois que je l'aurais fait tout de suite, si Maa Médi m'avait donné l'autorisation d'épouser Agatha Moudio » (FAM, 28).

Ces propos révèlent son irrespect vis-à-vis des dernières paroles de son père ; il s'en moque d'ailleurs. Selon lui, c'est sa mère qui est l'empêcheuse de tourner en rond. Pourtant, celle-ci n'a pour seul souci que celui de voir le voeu de son défunt mari se réaliser. Il confirme son entêtement et le désaveu de la volonté de son père en rétorquant à sa mère : « Si j'épouse Fanny parce que je suis obligé de le faire, [...] eh bien, je le ferai, Maa. Seulement que j'attende encore deux ans, je ne le voudrais pas » (FAM, 28). Son seul souhait quand il s'entête c'est de ne pas épouser Fanny mais plutôt Agatha même si son mariage avec cette dernière déboucherait sur une fatalité. Il s'accroche davantage sur son impatience pour discréditer Fanny :

« Je venais de fixer un point sur lequel je me voulais intransigeant. J'espérais par là conduire ma mère à admettre qu'il me fallait une femme tout de suite, et une femme qui en fût déjà une, non une épouse-enfant [...] Je me dis que cette "femme qui en fût déjà une" serait Agatha » (FAM, 29).

Maa Médi comprend aussi cet autre alibi. C'est pourquoi, très intelligemment et avec beaucoup de courtoisie, elle rétorque : « Si tu la veux tout de suite, mon fils, rien de plus simple, puisque son père n'attend qu'un mot de nous » (FAM, 29).

Précédemment, on a vu que deux motifs la motivaient à condamner la relation de Mbenda avec Agatha : le caractère prostitué de cette dernière et ses rapports intimes avec des infortunés et des étrangers. Un autre motif vient se greffer à ceux-ci : le devoir de mémoire. Elle veut voir traduite dans les faits la dernière volonté de son cher époux. Pour cela, elle tient à écarter tout danger, toute présence féminine qui peut détourner son fils :

« La position de Maa Médi était nettement définie. Ma brave mère restait d'autant plus fidèle à la dernière volonté de son mari, qu'elle considérait Agatha comme la seule fille

au monde à qui je ne devrais jamais faire de proposition de mariage. » (FAM, 29).

Pourtant, malgré tout, Mbenda s'enlise dans l'erreur et la bêtise. Il cède au charme de la fille désavouée : « Devant Agatha, je me sentais encore plus incapable que jamais de suivre les conseils de ma mère. Elle m'ensorcelait, littéralement... » (FAM, 30).

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Le regret qu'il éprouve plus tard indique que rien ne l'oblige à se marier plus tôt, surtout qu'il ne connaît rien du mariage. Si aucune motivation ne peut justifier son impatience, on peut donc conclure qu'il est tout simplement animé par le seul besoin de désobéir à ses parents. Et c'est la raison pour laquelle nous qualifions ses arguments de prétexte. Il l'approuve en ces termes :

« Je ne sais pas, moi non plus, ce qui me pressait tant. Aujourd'hui, cela me paraît même ridicule, que j'aie voulu à tout prix me marier le plus tôt possible, juste au moment où ma mère pensait le contraire : c'est d'autant plus ridicule, que je ne savais pas très bien ce qu'un homme faisait d'une femme une fois qu'il l'avait épousée ». (FAM, 28-29).

Malgré l'aveuglement de Mbenda par le charme d'Agatha, il s'aperçoit qu'il ne peut faire fi de Fanny. Il feint d'obéir à sa mère en optant pour une autre stratégie beaucoup plus insidieuse qui limite ouvertement l'affrontement.

V.2- L'adhésion hypocrite de l'entêté.

Persuadé qu'il ne peut convaincre sa mère, Mbenda fait semblant de s'aligner. Il s'agit là d'une autre forme de ruse. L'échec de la contestation ouverte conduit l'obstiné dans une sorte d'hypocrisie. Il fait semblant d'obéir à ses parents en feignant d'être d'accord avec les anciens de son village qui sont chargés de rencontrer la famille de Fanny. Lorsque sa mère l'informe qu'elle a vu le chef Mbaka pour qu'il mobilise ses pairs afin qu'ils aillent rencontrer la famille de Fanny, Mbenda ne manifeste aucune résistance. Seulement, on peut s'apercevoir que ce n'est pas de gaieté de coeur qu'il adopte cette attitude. Pour lui, c'est un moyen de se mettre à l'abri des haines et des tentatives de meurtre dont il peut être victime. Surtout que parmi les anciens consultés pour la cause, il y a Eya dont tout le monde redoute le pouvoir maléfique. Pourtant, le chef Mbaka, en compagnie des autres, se montre très démocrate quand il le reçoit pour un entretien pour avoir son avis au sujet de leur intervention dans son mariage :

« Ecoute, fils, dit le chef, je dois t'annoncer tout d'abord que l'esprit de ton père est présent ici, avec nous, en ce moment même. Sache donc que nous ne faisons rien qui aille contre sa volonté [...] nous allons te marier. C'est notre devoir de te marier, comme cela a toujours été le devoir de la communauté de marier ses enfants. Mais, si à l'exemple de certains jeunes gens d'aujourd'hui, tu crois que tu peux mener à bien, tout seul, les affaires de ton propre mariage, nous sommes, prêts à te laisser les mains libres, et à ne plus nous occuper de toi dans ce domaine-là » (FAM, 60).

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La liberté que le chef laisse à Mbenda est motivée par le fait que Maa Médi n'ait « pas caché [son] inquiétude au sujet d'Agatha, et [qu'elle] lui [ait] rappelé que la fille de Tanga [lui était] destinée » (FAM, 59). Même si Mbenda pense que cette liberté est « toute théorique » (FAM, 61), on ne peut pas manquer de relever son désintérêt pour son mariage avec Fanny. D'ailleurs, lui-même affirme que, n'eut été sa peur pour un mauvais sort, il n'aurait pas admis la médiation des anciens ; et par conséquent, il n'aurait pas épousé la fille de Tanga. Il avoue en ces termes:

« Et puis, comment oser dire à ces gens graves et décidés, que je voulais me passer d'eux ? Je vous dis qu'il y avait-là, entre autres personnes, Eya, le terrible sorcier, le mari de la mère Mauvais-Regard. Dire à tout le monde présent que je refusais leur médiation, c'était presque sûrement signer mon arrêt de mort » (FAM, 61).

Le choix que Mbenda opère dans l'alternative du chef n'est pas de son initiative. Il est motivé, au cours de l'entretien où tous les sept anciens sont-là, par le roi Salomon qui, d'un geste discret de la tête, le lui a inspiré. Coincé « au carrefour des temps anciens et modernes » (FAM, 61), comme il le dit, il ne sait pas où donner la tête. Il sollicite du regard le roi Salomon afin que celui-ci l'oriente dans son choix.

« Je pensai, dans mon for intérieur, que de tous ces hommes groupés autour de moi, seul le roi Salomon pouvait m'inspirer une certaine confiance [...]. Je tournai les yeux vers lui, comme pour lui demander conseil. Il secoua affirmativement la tête, assez légèrement pour que les autres ne voient pas, assez cependant pour que je comprenne, et moi je devais me ranger à son avis, » (FAM, 62).

C'est dire que, si le roi avait réagi négativement, il se serait mis d'accord avec lui et n'aurait pas cédé au choix de son père. Jusqu'à lors, son engagement n'est pas total. Il prie Dieu pour que les négociations engagées plus tard avec la famille de Fanny échouent. Pendant que les pourparlers se déroulent et vont d'ailleurs bon train, il prie pour qu'ils aboutissent à une impasse : soit que la famille de Tanga refuse de se soumettre à la volonté d'Edimo, son père, soit qu'elle complique la tâche au point de décourager Mbaka et les autres :

« Les parents de Fanny pouvaient aussi bien refuser notre mariage. Après tout, rien ne les forçaient à l'accepter : les dernières volontés d'un homme qui n'était pas de chez eux, ne pouvaient guère engager toute leur communauté. `' Seigneur, souhaite-t-il, s'ils pouvaient seulement avoir la bonne idée de refuser, ou de nous compliquer les choses à tel point que nous soyons, nous-mêmes amenés à nous désister...» » (FAM, 72).

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Au moment où les négociations au sujet de la dot sont de plus en plus houleuses et que les deux familles sont déjà sur le point de s'entendre pour la somme et les cadeaux à verser, un fait embarrassant vient perturber les pourparlers. Un des parents de Fanny prend la parole et informe ceux de Mbenda que, parce qu'ils ont traîné avant de venir demander leur fille en mariage, celle-ci est déjà fiancée à Manfred Essombé, un jeune homme de Bonapriso, vendeur à la « Compagnie Soudanaise » (FAM, 81). Cette déclaration ravit Mbenda qui, parce que les négociations allaient jusque-là bon train, désespérait déjà. On peut l'entendre dans un regain d'espoir et de joie s'exclamer : « tout espoir de me voir débarrassé de Fanny n'était-il pas encore perdu ? » (FAM, 81). Mais cette satisfaction est éphémère. Car Mbenda qui voit dans les précédentes fiançailles une entorse pour son mariage avec Fanny, est surpris de voir sa famille rembourser la dot précédente. Et le mariage entre le fils d'Edimo et la fille de Tanga est conclu. Mais Fanny continue d'habiter chez eux. Un soir où Mbenda et ses amis se font raccompagner par la jeune fille au terme d'une visite chez la belle-famille, on peut l'entendre se dire :

« De toute façon, Fanny était encore une petite gamine, et je n'avais pas encore commencé à la considérer comme une fille devant bientôt devenir mon épouse. [...] Je ne pouvais pas dire que cette petite compagne timide jusqu'au mutisme me ravit tellement le coeur. (FAM, 96-97).

Même le soir du kidnapping où, de son retour de chez Agatha, il trouve Fanny et Maa Médi chez lui, il continue de s'entêter. En le voyant, sa mère dit à la jeune mariée : « Ma fille, [...], voici mon fils. C'est ton mari. Reste ici avec lui, pour le servir et lui faire des enfants, beaucoup d'enfants » (FAM, 101). Il réagit ainsi dans son for intérieur :

« Je ne fis pas davantage attention à la pauvre Fanny que lorsque j'allais voir ses parents, soit disant pour faire la cour à ma fiancée. Pour moi, c'était une petite fille, dont il fallait avant tout achever l'éducation en attendant que, plus tard, elle se mit à me faire des enfants » (FAM, 101).

Il se dégage de ces propos un désintérêt de Mbenda à l'égard de Fanny bien que les deux soient mariés. Enfin, l'hypocrisie se manifeste à travers le refus de tout contact sexuel avec l'épouse choisie. Ceci nous amène à qualifier leur union de prétendu mariage. Car, l'acte sexuel qui est le fondement de l'intimité d'un couple et d'un mariage, puisque le but principal du mariage est la procréation, est absent entre eux. Depuis que les deux sont mariés, il y a environ deux ans, ils n'ont jamais connu ce type de plaisir, ceci à cause de Mbenda. Il estime que sa

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partenaire est une gamine et qu'il ne voudrait pas « commettre un détournement de mineure » malgré les seize ans de la jeune fille. Lui-même donne les raisons pour lesquelles il la délaisse :

« Vous savez que je ne m'étais pas encore proposé de faire un enfant avec cette enfant de seize ans à peine. Elle avait beau être ma femme, je ne la connaissais pas davantage pour cela. "Il faut attendre qu'elle soit plus grande ; me disais-je chaque fois que je sentais une envie sérieuse de commettre un détournement de mineure" » (FAM, 141).

Ce refus est une forme de contestation du choix de son père tout comme la bigamie dans laquelle l'entêté se retrouve.

V.3- Les secondes noces en guise d'expédient.

Dans le but de détourner l'attention des siens, Mbenda prend Agatha en secondes noces. Il adopte cette stratégie parce qu'elle lui permettrait de se passer de Fanny sans que ses détracteurs ne s'en aperçoivent. On se rappelle que la tante de cette dernière l'a emmenée un soir, chacune d'elle chargée d'une grande valise, chez son concubin sans que celui-ci s'y attende. Mais on ne pouvait parler en ce moment de mariage puisque l'union ne s'était pas passée selon les canons traditionnels. Le narrateur s'en souvient :

« En effet vous vous rappelez dans quelles circonstances j'ai fini par épouser Agatha Moudio. Vous savez comment elle-même était venue s'installer chez moi, à un moment où je ne l'attendais plus, d'ailleurs [...] vous vous en souvenez. Et lorsqu'elle vint chez moi un [...] soir, avec ses deux lourdes valises et accompagnée par sa tante, elle se maria à la manière d'une fille tout à fait libre de ses mouvements et de ses actes. » (FAM, 197).

Mais la relation est normalisée peu après la sortie de prison du père de la concubine. Ayant constaté, après sa détention, que sa fille est « mariée », ce dernier réclame des présents qui tiennent lieu de dot :

« Dès le retour de Moudio, aussitôt qu'il apprit que sa fille était mariée, il s'empressa de venir me voir ; pour me souhaiter `' un bon mariage avec sa fille», et me demander ce que je comptais faire à l'avenir. Cela voulait dire tout simplement que je devais envisager l'avenir avec beaucoup de bouteilles et de cadeaux destinés à mon beau-père : - Comment ? Tu me prends ma fille, et je n'ai même pas bu une gorgée `' d'eau `' ? Me demanda Moudio. » (FAM, 197-198).

Les cérémonies de pourparlers en vue de donner ou de prendre une fille en mariage ne nécessitent pas toujours, dans le contexte africain, la présence de tous les parents des deux parties. Un seul individu, surtout du côté du prétendant, suffit pour représenter les autres. On

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peut considérer que le roi Salomon, qui accompagne Mbenda pour aller remettre les cadeaux au père d'Agatha, est le représentant des autres anciens de leur village. Le plus important, lors de ce type de négociations, c'est la dot. Mbenda explique la démarche qui les a conduits à normaliser sa relation avec la fille de Moudio:

« C'est ainsi que le jour même, j'achetai un pagne long et large, ainsi que deux bouteilles d'eau d'écosse, de la célèbre marque Johnny Walker. Le soir, j'appelai le roi Salomon, et ensemble, nous allâmes voir Moudio [...] » (FAM, 198).

Celui qui respecte cette démarche se sent soulagé, fier d'avoir suivi les voies de la légitimation. Il n'est plus considéré comme un « voleur de femme » ou celui qui a pris « une fille perdu ». C'est ce qui arrive au narrateur.

« Je venais de gagner la partie. Je savais que désormais, personne dans ce village ne me refuserait d'être le mari d'Agatha. [...] aussi, lorsqu'à son retour Moudio vint me voir pour me demander `' une gorgée d'eau», considérai-je sa démarche comme un véritable soulagement pour moi, plutôt qu'un devoir à accomplir. La preuve était faite à présent que je n'épousais pas `' une fille n'appartenant à personne», comme des gens l'avaient dit volontiers chez nous. J'étais heureux d'aller lui offrir les cadeaux que le roi Salomon et moi avions apportés. » (FAM, 200-201).

La consécration de ce mariage se confirme lorsque la famille de la fille exige qu'il verse une somme d'argent, devant servir de montant de la dot, comme participation aux festivités célébrant le retour de Moudio :

« Mon beau-père alla plus loin que je ne l'avais prévu, car lui et ses gens m'obligèrent, en outre, à contribuer en argent à la préparation des festivités qui allaient avoir lieu pour saluer son retour au pays natal. Lorsqu'il surent que j'allais le faire, ces braves gens de Bonakamé se croisèrent les bras, en se disant que [...] ma contribution pouvait équivaloir à la dot que j'aurais dù normalement payer pour prendre Agatha... » (FAM, 201).

Il n'est pas donc erroné de parler de polygamie en ce qui concerne la situation matrimoniale de la Loi. Puisque, si son mariage avec Agatha est caractérisé de factice au début, il se normalise par la suite comme nous venons de le démontrer. Seulement, cette bigamie est un acte de désobéissance qui vise à léser l'épouse choisie par le père. Il épouse Agatha parce qu'il ne considère pas Fanny comme sa femme. Les déboires qu'il rencontre dans son ménage à trois justifient son mal-être.

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De bout en bout, La Loi se distingue dans le récit comme le personnage le plus récalcitrant. Son refus d'épouser la fille que son père a choisie avant de mourir lui est grandement préjudiciable. La stérilité dont il est victime est la matérialisation de la malédiction dont il est victime. Dans un milieu où la procréation constitue la raison d'être de tout individu et même de tout mariage, Mbenda n'a pas fait d'enfant bien qu'il ait épousé deux femmes fécondes. Ses deux mariages s'avèrent donc inutiles. Son rêve de procréation, comme le souligne Ndachi Tagne56, ne se réalise pas quand on sait combien compte l'enfantement dans son environnement. L'enfant assure l'intégrité, la pérennité de l'espèce humaine et même l'immortalité. Les recherches de l'anthropologue américain Bohannan, menées sur les cultures africaines, valident cette affirmation :

« Ce n'est qu'en mettant au monde un enfant qu'une femme devient authentiquement membre du groupe de parenté de son mari, et ce n'est qu'à la naissance de l'enfant qu'un homme est assuré de "l'immortalité" d'une position dans la généalogie de sa lignée, ou même de sécurité et d'estime auprès des membres les plus importants de sa communauté »57.

Eboumbou, un des amis de Mbenda, soutient cette idée. En réaction à Ekéké58 qui condamne la polygamie parce que, dit-il, elle nécessite beaucoup de dépenses ; car entretenir plusieurs femmes n'est pas facile, il déclare : « Il ne s'agit pas de les entretenir, [...], il s'agit simplement de leur donner la chance de mener une vie de femme : être dans un foyer, y faire des enfants pour la continuation nécessaire de l'espèce humaine... » (FAM, 185). Ce propos encourage et célèbre la polygamie parce qu'elle permet d'avoir un maximum d'enfants. Ce qui n'est pas le cas pour La Loi. Son infertilité est un signe de colère de ses ancêtres, représentés par son défunt père.

L'importance de l'enfant dans le texte peut également être considéré comme un élément justificatif de la stérilité de Mbenda. Puisque dans un contexte où la progéniture assure l'intégrité et une valeur sociale, la stérilité s'apparente à la mort. David Ndachi Tagne s'inscrit dans cette vision lorsqu'il pense que :

« Le caractère sacré de l'enfant en tant que signe de vie dans une famille apparaît clairement dans le roman camerounais, que le site soit exclusivement le village ou la ville

56- Confer introduction.

57- Bohannan, Paul, L'Afrique et les Africains, Paris, Editions Inter-Nationales, 1969, P.240.

58- Ekéké est lui aussi un ami et même un cousin de Mbenda (FAM, 184).

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ou à cheval entre les deux univers. Un [homme] n'a-t-il pas d'enfant que cela apparaît comme une malédiction qu'il faut conjurer par tous les moyens. »59.

Ebélé Wei partage ce point de vue lorsqu'il atteste que, chez les Duala, la naissance fait partie des cinq missions ou fonctions du corps, et par conséquent d'un homme60. Pour être plus précis, Ndachi Tagne s'inscrit dans cette logique et affine sa pensée quand il déclare:

« Si l'on s'oppose au mariage de Mbenda avec Agatha, c'est qu'elle a jusque-là mené une vie désinvolte qui risquerait de l'empêcher d'avoir des enfants. [...]. Le drame de Mbenda dans Le Fils d'Agatha Moudio, c'est que Fanny - qu'il considérait comme étant trop jeune - et Agatha qu'il épouse en secondes noces lui produiront toutes des enfants adultérins. »61.

Le dépaysement du fils de Maa Médi à la fin du récit est donc compréhensible : malgré son statut de polygame, il n'a pas procréé. Il a été prouvé qu'il n'est pas le géniteur des deux enfants qui ont vu le jour dans son foyer. Le premier, à savoir la fille de Fanny, a pour père Toko. Le second qui est un mulâtre est celui d'un Blanc. L'amertume dans laquelle la dernière naissance le plonge, justifie son désenchantement. Après la naissance du fils d'Agatha, il est invité à attendre un mois pour voir si cet enfant prendrait la « couleur définitive » (FAM, 206). Cette invitation l'excite vivement : « Encore une fois, les événements me forçaient ainsi à tourner mes yeux vers l'avenir. `' Mais quand donc vivrai-je le présent complet ?» [Pensa-t-il] avec amertume » (FAM, 205). Il dit « encore une fois » parce qu'après la naissance de Adèle, le roi Salomon l'avait consolé en lui faisant croire que : « mon fils, un enfant est un enfant, [...]. Un enfant, c'est avant tout ce qu'il sera demain. Je te répète, les yeux n'ont pas besoin de regarder derrière... » (FAM, 146).

Pourtant, cette fois-ci, la situation est plus douloureuse à supporter. C'est avec beaucoup d'angoisse et d'anxiété qu'il s'en va rechercher du réconfort auprès de Salomon. Après la confirmation de la mère Mauvais-Regard du fait qu'il n'est pas le père de l'enfant d'Agatha, il raconte : « Je m'en allai, la tête lourde, répéter au roi Salomon ce que je venais d'apprendre. Que faire ? Lui demandai-je » (FAM, 206). Les conseils et le réconfort que Salomon lui apporte à la fin du récit montre qu'il est abattu :

59- Ndachi Tagne, David, Roman et réalités camerounaises, Op.Cit., P.126.

60- Ebélé, Wei, Op.Cit., P.58.

61- Ndachi Tagne, David, Op.Cit., P.126.

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« Allons, fils, remets-toi, [...] ; et puis regarde donc les choses en face. Tu n'as pas le droit de te laisser abattre ainsi, toi. La Loi, le plus fort des jeunes gens de chez nous. Et puis, tu sais, qu'il vienne du ciel ou de l'enfer, un enfant c'est toujours un enfant. » (FAM, 207).

Deux raisons peuvent justifier le dépaysement de l'insoumis : d'abord l'adultère de ses épouses certes, ensuite et surtout la stérilité dont-il est victime à la fin de son aventure. Il s'en tire d'ailleurs comme le grand perdant. Il se souvient amèrement des propos maléfiques tenus à son encontre par sa mère après qu'il engage une vie de concubinage avec Agatha : « Mon fils, me répétait-elle, c'est moi qui te le dis, cette femme-là...elle t'en fera voir de toutes les couleurs » (FAM, 208). Sa malédiction n'est pas seulement le fait de Maa Médi ; la providence s'acharne aussi contre lui. Il pense qu'il a été « trompé par le sort » (FAM, 208). La Loi est donc victime d'une ironie du sort. Les regrets qui clôturent l'intrigue sont une leçon qui invite les uns et les autres à l'obéissance et surtout au respect du choix d'un conjoint fait par un parent.

CONCLUSION GENERALE.

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En conclusion générale, on constate que Francis Bebey laisse transparaître son traditionalisme dans Le Fils d'Agatha Moudio à travers les sanctions auxquelles il soumet les personnages qui enfreignent les lois coutumières. Dans un style hautement humoristique, il peint les ambiguïtés qui se sont installées dans sa société au lendemain de l'indépendance de son pays, le Cameroun. Il s'inscrit dans le sillage des auteurs, à l'instar de Josette Ackad et David Ndachi Tagne, qui estiment que le contact entre le Blanc et le Noir est la cause de l'immixtion de la thématique de la transgression dans les oeuvres africaines. La colonisation impose aux Africains, notamment les Sawa, les valeurs occidentales. Les cultures d'accueil se trouvent dans une impasse où elles sont menacées d'annihilation. L'écrivain se fait donc l'écho de ces traditions si séculaires, en vouant à la déchéance les personnages qui ne s'y conforment pas.

L'analyse de la question de la transgression des lois du mariage à travers la trilogie « Interdiction - Violation - Conséquence » a été bénéfique à double titre : d'abord elle a permis de mettre ce travail en marge de la mêlée des critiques qui perçoivent ce thème comme une séquelle de la colonisation ; ensuite elle a permis d'analyser le fonctionnement de ce phénomène à travers l'oeuvre qui a servi de corpus. Car l'hypothèse, à savoir la transgression des lois du mariage est le motif de la dégradation des personnages, exige non seulement de démontrer l'enracinement de l'oeuvre dans la culture de l'auteur, notamment la culture sawa, mais aussi, de décrire les rapports entre les personnages, d'évaluer ceux-ci et d'étudier l'enchaînement de leurs actions. D'où la convocation des grilles telles que la sémiotique et la sémiologie d'une part et le structuralisme génétique d'autre part.

L'intérêt scientifique d'une telle recherche est double. Le sujet traitant d'une préoccupation d'emblée anthropologique, livre aux chercheurs dans ce domaine des rudiments culturels devant leur permettre de fonder leur recherche. Surtout pour ceux qui travaillent sur la culture Sawa. Les littéraires qui s'intéressent eux aussi à la thématique de la transgression, pourront trouver dans ce mémoire les orientations méthodologiques utiles à leur recherche.

L'organisation de ce travail en deux parties a permis de sérier les valeurs transgressées en deux catégories. La première invite à la discipline des comportements sexuels individuels. Elle traite des lois qui sont plus souples et moins contraignantes, c'est-à-dire des lois dont le respect dépend du libre-arbitre. Dans cette logique, l'analyse s'est premièrement intéressée à la stabilité des conjoints dans le flirt. Le chapitre qui traite de cette valeur permet d'établir le distinguo entre l'instabilité d'un marié (l'infidélité) et celle d'un célibataire (la frivolité). Il a été question ici de

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montrer que la frivolité est condamnée même quand les personnages ne sont pas mariés. Le deuxième chapitre s'est attelé à démontrer que la virginité de la jeune fille avant le mariage est recommandée. Le troisième argumente l'éloge de la fidélité auquel l'oeuvre se livre. Le souci de ce chapitre est donc de récuser l'infidélité. En clair, l'oeuvre condamne les personnages frivoles, ceux qui forniquent et ceux qui sont infidèles. La deuxième partie, quant à elle, interroge les lois plus coercitives en raison du fait qu'elles ne dépendent pas du self-control. Il s'agit de prouver l'implication absolue de la communauté dans la dynamique des noces. Les valeurs examinées ici démontrent qu'aucun mariage ne peut être fait sans l'implication de la société et surtout des ascendants. Car en Afrique, ce sont les familles qui se marient et non les individus. Ces lois exaltent l'endogamie et le respect du choix d'un parent. Leur étude, respectivement faite aux chapitres quatre et cinq, donne à constater que le texte condamne l'exogamie et la contestation du conjoint choisi par un parent. Il urge de signaler que la démarche discursive utilisée est le raisonnement par l'absurde.

Les principaux coupables sont Agatha et Mbenda. Mais c'est le cas de ce dernier qui est le plus marquant. Car en plus du fait qu'il soit le personnage principal et le narrateur, les paradoxes que dégagent son être et son faire, donnent à l'oeuvre tout son sens. Le premier dérive de l'inadéquation entre ses actions et la signification de son nom. « Mbenda » signifie « La Loi ». Ainsi on se serait attendu que ce personnage incarne l'honnêteté, la justice et le respect de la norme, fort du principe de corrélation qui doit exister entre le nom et la destinée. Balzac commente ainsi ce principe :

« Il [existe] une certaine harmonie entre la personne et le nom. [...] Je ne voudrais pas prendre sur moi d'affirmer que les noms n'exercent aucune influence sur la destinée. Entre le fait de la vie et les noms des hommes, il est de secrètes et d'inexplicables concordances [...] visibles qui surprennent... »62.

Or Mbenda se distingue plutôt par son hypocrisie, sa désobéissance, son anticonformisme et son anti-loyalisme.

Le deuxième contraste se dégage du noeud et du dénouement de l'intrigue. La lecture de l'oeuvre à travers les approches susdites, donne à constater que malgré le caractère homo- et intra-diégétique du narrateur, la subjectivité de ses opinions ne domine pas, ni n'épouse celle de l'auteur. La preuve, en tant que créateur de son intrigue, ce dernier a voulu que le parcours de

62- Glaudes, Pierre et Reuter, Yves, Op.Cit., PP. 62-63.

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son personnage principal, le narrateur, soit progressivement dégradant au point de donner lieu à une déchéance totale. Contrairement à ce qui transparaît très souvent lorsque le narrateur est intra- et homo-diégétique, les points de vue de Mbenda, puisqu'il s'agit de lui, contrastent avec ceux de l'auteur et par conséquent, ne constituent pas des enseignements. La désacralisation de La Loi à la fin du récit le postule comme un « personnage négatif »63. Le résumé de son anti-héroïsme peut être appréhendé à travers le contraste entre le début et la fin de l'intrigue.

Le culte que la tribu lui voue à l'incipit, est une marque de sympathie et de gratitude qui témoigne du grand amour et de la parfaite harmonie qui les unit. La loyauté et la justice qui lui sont reconnues le consacrent comme un être intègre. Si du fait qu'il n'est pas chef, il ne règne pas sur plusieurs villages comme ses antres, il n'est pas à exclure l'hégémonie dont jouit son village sur les autres grâce à sa force musculaire. Les parties de lutte remportées - quand on sait combien compte cette épreuve dans les villages d'Afrique - justifient fort opportunément sa mythification. Ses exploits et son sacre sont ainsi peints par lui :

« Tous les habitants de notre village étaient fiers de moi. Pensez donc : pour eux, je représentais des temps disparus depuis longtemps dans la nuit sombre des ans et de l'injustice. J'étais un vrai fils de Bilé fils de Bessengué, j'étais le fils de ce village qui comptait un certain nombre de faits glorieux dans son passé. Du reste, depuis trois ou quatre ans, les yeux de tout le monde étaient braqués sur moi : les parties de luttes engagées avec les villages des alentours m'avaient donné l'occasion de prouver ma force musculaire, et j'étais en train d'entrer peu à peu dans la légende, tout comme les grands lutteurs de chez nous qui m'avaient précédés » (FAM, 14).

Comme le démontre cette illustration, les rapports entre Mbenda et les siens sont excellents au début de l'intrigue. Rien ne projette un signe de dysharmonie et de distorsion entre les relations. Pourtant l'héroïsme du personnage, du fait d'une conduite anti-conformiste, va glisser pour le laisser échoir à la décadence et la disgrâce. Les raisons de cette dégradation sont à chercher dans la violation de l'ordre établi. La malédiction dont il est victime en est la conséquence la plus saisissante. Elle réprime la transgression de la dernière volonté de son défunt père. Celui-ci, en mourant, a pris la peine de marier son unique fils. Malheureusement ce dernier a contesté son choix malgré les conseils de sa mère. Ce qui lui a valu un mariage angoissant et surtout sa stérilité, alors qu'il a épousé deux femmes fécondes. Et que lui-même n'est pas déclaré infertile. La première, Fanny ; celle choisie par son père, et qu'il « épouse » à regret et malgré lui, a fait un enfant adultérin avec son ami intime Toko. La seconde, Agatha

63- Ibid, PP. 35-36.

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Moudio, celle qu'il aime vraiment alors qu'elle est détestée par tout le monde, fait un enfant mulâtre.

L'attitude de sa mère de même que celle des autres à son égard, au dénouement, n'est pas des plus réconfortants. Devant le sort qui éclabousse son fils tout en lui extirpant la fierté d'être finalement grand-mère, Maa Médi reste silencieuse et pantoise. La naissance, une fois de plus, dans le foyer de son fils, d'un enfant adultérin, et de surcroît d'un métisse, l'assomme littéralement. Elle est, peut-on le dire, dépassée par les évènements et le silence en est la meilleure forme d'expression. Elle n'est pas seule à s'émouvoir, tout le village se sent aussi accablé :

« Il était là, tout blanc, avec de longs cheveux défrisés. Agatha me regarda et baissa les yeux. Elle ne savait que dire, Maa Médi non plus, Fanny non plus. Aucune d'entre elles n'avait attendu un enfant aussi tout blanc. Dans le village on se perdait en conjecture à propos de l'enfant d'Agatha... » (FAM, 204).

Pourtant au début de l'intrigue, la fierté de la mère pour son brillant et vaillant garçon n'est pas à démontrer. Les conseils qu'elle lui prodigue sans cesse témoignent de la solide harmonie qui les unit. Il l'approuve lui-même :

« J'étais un homme courageux et l'orgueil de ma mère à qui l'on rapportait que j'étais le plus fort des pécheurs de mon âge. Et depuis qu'elle me considérait comme un homme un homme véritable, Maa Médi se faisait de moi une image qu'elle voulait immuable :»que je demeure brave et honnête» » (FAM, 24).

Le contraste relevé entre l'incipit et le dénouement du récit fait penser à une ironie du sort dont est victime le personnage principal de Francis Bebey. Ces deux contrastes s'apparentent à la différence de sens qui est créatrice de sens selon les sémioticiens. Car c'est dans cette ambiguïté que se dégage la vision réelle de l'oeuvre et, qui dans le cas d'espèce, est une vision traditionaliste. A cet effet, notre étude valide les thèses de Glaudes et Reuter selon lesquelles :

« Aucun récit n'est absolument `'neutre», car il propose une certaine représentation de la réalité, parmi d'autres possibles ,
· à ce titre, il porte les marques d'une vision du monde, qu'elles soient manifestes ou latentes ,
· ces marques textuelles peuvent être analysées avec les instruments de la linguistique et de la sémiotique ,
· elles se concentrent pour une bonne part sur ces objets sémiologiques. Complexes que sont les personnages, dans la mesure où ils figurent - directement ou indirectement - des sujets, leurs conduites, leurs rapports aux autres et au monde. »
64

64 Glaudes, Pierre et Reuter, Yves, Le Personnage, Ibid, PP. 63-64.

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Tout compte fait, Le Fils d'Agatha Moudio est un hymne à l'obéissance. C'est le culte du respect inconditionnel des lois et normes qui régissent la société traditionnelle.

BIBLIOGRAPHIE.

72 II

I- CORPUS

1- Bebey, Francis, Le Fils d'Agatha Moudio, Yaoundé, Editions Clé, 2001, Réedition.

II- TEXTES CRITIQUES SUR LES OUVRAGES DE FRANCIS BEBEY

2- Bouelet, Remy Sylvestre, La Femme dans l'oeuvre de Francis Bebey, Mémoire de Maîtrise, Université de Yaoundé, 1974, inédit.

3- Centre Culturel Français, Francis Bebey : un homme du monde, Juillet 2001.

4- Hoyet, Dominique, Francis Bebey, Paris, Fernand Nathan, 1979.

5- Kowap, René, Francis Bebey et le petit peuple, Mémoire de Maîtrise, Université de Yaoundé, 1976, inédit.

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7- SEPIA, `'Qui êtes-vous Francis Bebey ?» in Revue culturelle, n° 4, 1990, PP.5-10.

III- TEXTES CRITIQUES SUR LA LITTERATURE NEGRO-AFRICAINE

8- Ackad, Josette, Le Roman camerounais et sa critique, Paris, Editions Silex, 1985.

9- Chevrier, Jacques, Littérature nègre, Paris, Armand Colin, 2001.

10- Locha, Mateso, La Littérature africaine et sa critique, Paris, Karthala/ACCT, 1986.

11- Magnier, Bernard, Poésie d'Afrique au Sud du Sahara, 1945-1955, Paris, Actes Sud/Editions UNESCO, 1995.

12- Mouralis, Bernard, Les Contes d'Amadou Koumba, Paris, Bernard Lacoste, 1991.

13- Ndachi Tagne, David, Roman et réalités camerounaises, Paris, L'Harmattan, 1986.

14- Sédar Senghor, Léopold, OEuvre Poétique, Paris, Seuil, 1990.

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IV- TEXTES DE THEORIE ET DE CRITIQUE LITTERAIRES

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17- Barthes, Roland, Essais critiques, Paris, Seuil, 1964.

18- Beaud, Michel, L'Art de la thèse, Paris, La Découverte, 1996.

19- Bernault, Florence, (dir.), Enfermement, prison et châtiments : du 19è siècle à nos jours, Paris, 1999.

20-

III7

Bourneuf, Roland et Ouellet, Réal, L'Univers du roman, Paris, P.U.F., 1972.

21- Bremond, Claude, Logique du récit, Paris, Seuil, 1973.

22- Bremond Claude, « La Logique des possibles narratifs » in Communication, 8, L'Analyse structurale du récit, Paris, Le Seuil, 1981, PP 66 - 81.

23- Dirkx, Paul, Sociologie de la littérature, Paris, Armand Colin, 1999.

24- Ducrot, Oswald et Todorov, Tzvetan, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, 1972.

25- Genette, Gérard, Figure II, Paris, Le Seuil, 1972.

26- Glaudes, Pierre et Reuter, Yves, Le Personnage, Paris, P.U.F., 1998.

27- Goldman, Lucien, Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1964.

28- Groupe d'Entrevernes, Analyse sémiotique des textes, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1985.

29- Jouve, Vincent, La Poétique du roman, Paris Armand Colin, 2000.

30- Raimond, Michel, Le Roman, Paris, Armand Colin, 1988.

31- Valette, Bernard, Le Roman, Paris, Nathan, 1992.

32- Valette, Bernard, Le Roman : initiation aux méthodes et aux techniques modernes d'analyse littéraire, Paris, Nathan, 1992.

33- Zeraffa, Michel, Roman et société, Paris, P.U.F., 1971.

V- OUVRAGES GENERAUX

34- Ahidjo, Ahmadou, Organisation de l'Etat civil : ordonnance No 81-02 du 29 juin 1981, Yaoundé, Fasst éditions, 1981.

35- Beitone, Alain, Sciences sociales, Paris, Editions Dalloz, 2002.

36- Bureau, René, Recherches et études camerounaises, Yaoundé, Editions Clé, 2001.

37- Ebélé, Wei, Le Paradis tabou : autopsie d'une culture assassinée, Douala, Editions Cerac, 1999.

38- Mey, Gerhard et Spirik, Hermann, La Famille africaine en milieu africain, Yaoundé, (Maison d'édition S.P.), 1975.

39- Nkolo, Foé, Le Sexe de l'Etat, Yaoundé, Presses Universitaires de Yaoundé, 2002.

40- Olawalé, Elias, La Nature du droit coutumier africain, Paris, Présence Africaine, 1961.

41- Rosny, Eric de, Les Yeux de ma chèvre, Paris, Plon, 1996.

42- Yinda, Hélène, (dir.), Femmes africaines, Yaoundé, Editions Sherpa, 2002.

VI- WEBBOGRAPHIE

74 IV

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TABLE DES MATIERES.

76 VI

DEDICACE i

EXERGUE ii

REMERCIEMENTS iii

RESUME iv

ABSTRACT v

QUELQUES MOTS CLES vi

KEY WORDS vii

INTRODUCTION GENERALE. 7

PREMIERE PARTIE : LA DISCIPLINE DES COMPORTEMENTS SEXUELS

INDIVIDUELS 15

CHAPITRE I : LA STABILITE DANS LE FLIRT. 17

I.1- Le rendez-vous problématique avec la prostituée. 18

I.2- Le scandale du téméraire. 19

I.3- Le concubinage malgré tout. 22

CHAPITRE II : LA VIRGINITE DE LA FIANCEE. 27

II.1- La pratique sexuelle avant cours. 28

II.2- La proposition indécente faite par l'impatiente 30

II.3- La grossesse de l'impudique. 33

CHAPITRE III : LA FIDELITE DES EPOUX. 37

III.1- Le secret préservé par le mari cocu. 38

III.2- L'angoisse due au forfait révélé. 40

DEUXIEME PARTIE : L'IMPLICATION ABSOLUE DE LA COMMUNAUTE 43

CHAPITRE IV : L'ENDOGAMIE. 45

IV.1- Le désaveu des relations intertribales. 46

IV.2- L'hostilité contre les unions interraciales. 47

VII

CHAPITRE V : LE RESPECT DU CHOIX DES PARENTS 52

V.1- L'opposition ouverte contre la dernière volonté. 53

V.2- L'adhésion hypocrite de l'entêté. 56

V.3- Les secondes noces en guise d'expédient. 59

CONCLUSION GENERALE. 64

BIBLIOGRAPHIE. I

TABLE DES MATIERES. V






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