Université Paris II Panthéon Assas
Institut
des Hautes Études Internationales (IHEI)
Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la
Cour pénale
internationale
2
Rapport de recherche dirigé par Mme Pascale
MARTIN-BIDOU pour l'obtention du certificat de recherche approfondie
(février 2012)
Pierre GIRAUD, Magistrat
3
L'Institut des hautes études internationales
n'entend ni approuver, ni désapprouver les opinions émises dans
ce rapport. Ces opinions sont considérées comme propres à
leurs auteurs.
4
SOMMAIRE
INTRODUCTION 5
PREMIERE PARTIE La consécration et
l'encadrement statutaires du
pouvoir discrétionnaire du Procureur
12
A) La reconnaissance d'un pouvoir discrétionnaire aux
stades de l'ouverture d'enquête et du
déclenchement des poursuites ..13
B) Les controverses liées au pouvoir
discrétionnaire 18
DEUXIÈME PARTIE Les contrôles et
garanties dans la mise en oeuvre du
pouvoir discrétionnaire du Procureur
28
A) Les garanties et contrôles internes au Bureau du
Procureur 29
B) Le contrôle judiciaire sur l'action
discrétionnaire du Procureur .36
CONCLUSION .40
BIBLIOGRAPHIE 42
5
INTRODUCTION
6
Le travail du Procureur a « sans aucun doute un effet
politique et nous le voyons tous les jours. Et là, le nouveau Procureur
va devoir trouver le juste équilibre ». Les propos tenus par M.
Christian WENAWESER, président sortant de l'assemblée des Etats
parties au Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale
illustrent les liens étroits qu'entretiennent la justice pénale
internationale et le politique, et plus particulièrement, la relation
qui lie le Procureur de la Cour pénale internationale aux acteurs
internationaux traditionnels que sont les Etats et les organisations
internationales. Dans ce discours, tenu à l'occasion de
l'élection de Mme Fatou BENSOUDA pour succéder au Procureur Luis
MORENO OCAMPO, le président de l'assemblée des Etats parties
évoque les effets politiques possibles des décisions du Procureur
sans induire pour autant que ses décisions sont
déterminées par des considérations d'ordre politique. La
politisation possible des décisions, et notamment des décisions
du Procureur, constitue néanmoins l'un des aspects de la justice
pénale internationale donnant le plus lieu à controverses. Cette
critique, tenace, est inhérente à l'essor même de la
justice pénale internationale.
L'histoire de la justice pénale internationale
révèle en effet la forte proximité qu'entretiennent
répression internationale et politique. C'est dans le contexte de
guerres au retentissement majeur et dans la recherche de moyens de
châtier les vaincus, que l'idée de justice pénale
internationale a trouvé ses premières concrétisations.
Ainsi, après la première guerre mondiale, les alliés ont
envisagé au titre des sanctions infligées à l'Allemagne,
la constitution d'un tribunal composé de cinq juges nommés par
les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Italie et le Japon pour juger
l'ex-Empereur d'Allemagne, Guilllaume II, mis en accusation par ces mêmes
puissances pour offense suprême contre la moralité et
l'autorité sacrée des traités1.
Cette première étape en vue de l'instauration
d'une juridiction pénale internationale montre que les origines de la
justice pénale internationale sont moins à rechercher dans la
volonté de promouvoir un droit international des droits de l'homme et
d'en garantir l'effectivité que dans la volonté de punir l'ennemi
et en quelque sorte, « de continuer la guerre par d'autres moyens
».
Les tribunaux militaires institués après la
seconde guerre mondiale s'inscrivaient dans
1 Article 227 du traité de Versailles.
Réfugié aux Pays-Bas, Guillaume II ne fut jamais livré aux
vainqueurs.
7
la même logique de règlement des conflits voulue
par les vainqueurs. Ainsi du tribunal militaire international de Nuremberg
crée par les accords de Londres du 8 août 1945 et du tribunal
international pour l'Extrême-Orient crée suite à la
déclaration du Général MacArthur, Commandant suprême
des forces alliées. Conformément au souhait des alliés,
ces premiers tribunaux internationaux n'étaient composés que de
membres issus des Etats victorieux à savoir, l'URSS, les Etats-Unis, la
France et le Royaume-Uni. Bien que non exemptes de tout grief en ce qui
concerne notamment la commission de crimes de guerre2, les
puissances alliées avaient exclu que la responsabilité
pénale de leurs propres dirigeants puisse être
recherchée.
De plus, les procès satisfaisaient peu aux standards du
procès équitable3, et ce notamment dans le domaine de
l'administration de la preuve. Les articles 19 et 21 des accords de Londres
stipulaient par exemple que « le Tribunal n'exigera pas que soit
rapportée la preuve des faits de notoriété publique, mais
les tiendra pour acquis. Il considère également comme preuves
authentiques, les documents et rapports officiels des gouvernements
alliés ».
Enfin, les libertés prises quant au respect du principe
fondamental du droit pénal de non-rétroactivité de la loi
pénale, tendaient également à renforcer l'idée que
la justice pénale internationale était moins mobilisée
comme institution destinée à prémunir contre l'arbitraire
et à promouvoir le respect de la règle de droit, que comme
instrument des vainqueurs. Ainsi, l'introduction du crime contre
l'humanité au sein des accords de Londres a eu pour effet de voir
reprocher aux accusés, la commission d'un crime qui n'avait pas
été défini et qui n'existait pas au moment où ils
avaient agi. Si l'idée qui a prévalu alors était de
pallier l'insuffisance de la notion de crime de guerre seule en vigueur et qui,
ne concernant que les actes commis sur des civils et militaires d'Etats ennemis
excluait de son champ, les actes commis par des Allemands sur des juifs
allemands, cette brèche dans la non- rétroactivité a pu
conforter les critiques contre la justice pénale internationale, justice
d'exception4.
Les premières juridictions pénales
internationales s'inscrivent donc davantage dans la volonté
2 Le massacre de Katyn avait été imputé
par les Soviétiques aux troupes allemandes jusqu'à la chute du
mur de Berlin où ils ont reconnu qu'il avait été commis
sur instruction de Staline.
3 L'article 19 des accords de Londres stipule que « le
tribunal ne sera pas lié par des règles techniques relatives
à l'administration des preuves. Il adoptera et appliquera autant que
possible, une procédure rapide et non formaliste et admettra tout moyen
qu'il estimera avoir une valeur probante ». 4Cependant,
l'incrimination de crimes contre l'humanité a été peu
retenue par le Tribunal de Nuremberg.
8
des vainqueurs d'étendre leur domination au plan
international que dans celle d'affirmer la prééminence du
droit.
Les juridictions internationales instituées plus
récemment ont pâti de la même suspicion
d'instrumentalisation par le politique mais force est de constater qu'elles ont
su aussi s'affirmer en tant que juridictions garantissant le respect des droits
de la défense.
Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
crée le 25 mai 19935 et le Tribunal pénal
international pour le Rwanda crée le 8 novembre 19946 ont
été institués sur résolution du Conseil de
sécurité de l'organisation des Nations Unies prises sur le
fondement du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, c'est-à-dire par
l'organe exécutif de l'ONU, agissant dans le cadre du règlement
des conflits. Ils ont pu être perçus comme un levier
actionné par les vainqueurs pour asseoir leur victoire fondant ainsi un
argumentaire facile aux accusés poursuivis devant elles. Ce fut, entre
autre, la stratégie de défense adoptée par le
Président Slobodan MILOSEVIC devant le Tribunal pénal
international pour l'ex-Yougoslavie, celui-ci refusant, lors de sa
première comparution devant le tribunal pénal le 3 juillet 2001
de répondre aux juges affirmant : « je considère que ce
tribunal est faux, que l'acte d'accusation est un acte erroné, sans
légitimité » et ajoutant « le but de ce tribunal n'est
autre que de justifier les crimes commis par l'OTAN en Yougoslavie ».
Cependant, tout autant le tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie que le tribunal pénal international pour le Rwanda ont
respecté les principes fondamentaux du procès pénal. Les
infractions dont ils ont été et sont encore amenés
à connaître ont été, par ailleurs
préalablement définies.
L'observation, sur le temps long, du
développement de la justice pénale internationale montre qu'elle
a connu un double mouvement de diversification et
d'approfondissement.
Diversification puisque la justice pénale
internationale est rendue selon des formes multiples. Par des juridictions
internationales mais aussi par des juridictions internes auxquelles sont
reconnues le cas échéant, une compétence universelle. En
1993 par exemple, la Belgique s'était doté d'une
législation accordant à ses juridictions, compétence
universelle pour juger
5 Résolutions 808 et 827 du Conseil de
sécurité. Le TPIY est compétent pour l'ensemble de
l'ex-Yougoslavie c'est-à-dire à la fois pour les conflits de
Croatie, de Bosnie et du Kosovo.
6 Résolution 955 du Conseil de sécurité
9
les auteurs présumés de crimes de guerre ou de
crimes contre l'humanité commis à l'étranger quelque soit
leur nationalité et celle des victimes7. Diversification
encore, car la justice pénale internationale peut également
être rendue par des juridictions mixtes, à l'instar des Chambres
extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens. Diversification enfin car la
justice rétributive traditionnelle a parfois été
délaissée au nom de la recherche de la restauration des liens,
c'est l'exemple des commissions vérités et
réconciliation.
Approfondissement de la justice pénale internationale
avec la Cour pénale internationale. La création de cette Cour
apporte en effet un bouleversement notable dans la manière dont la
justice pénale internationale s'est jusqu'à présent mise
en oeuvre.
Tirant les enseignements des lacunes dont ont souffert les
juridictions répressives internationales ayant
précédé la Cour pénale internationale, les Etats
présents à Rome pour l'élaboration de son
Statut8, ont crée une juridiction à vocation
universelle et non plus ad hoc. La Cour pénale n'a par ailleurs plus
rien d'une juridiction circonstancielle. Elle est permanente et sans
compétence rétroactive.
L'ancrage de la justice pénale internationale
interroge. Pourquoi les Etats s'en remettent-ils aux juges ? Pourquoi les chefs
d'Etat bénéficiant d'immunités traditionnellement
reconnues consentent-ils à devenir justiciables ? Sont-ils vraiment
seuls à l'initiative de l'abandon de leurs immunités ? Si la
justice pénale internationale s'est autant développée
c'est sans doute qu'elle est assise sur d'autres ressorts que celui de la
quête de puissance des Etats. L'avènement des droits de l'homme,
l'universalisme juridique ont favorisé son développement. Le
postulat réaliste qui prétend voir dans la justice pénale
internationale, la traduction d'un rapport de force au profit de ceux qui en
sont les instituteurs révèle non seulement la difficulté
à concevoir une justice qui dépasserait le cadre
étatique9 mais aussi l'incapacité à envisager
la justice de manière autonome.
7Cette législation avait notamment pour
objectif de juger les génocidaires rwandais. Le succès de la loi
expliqua son extension quelque soit la qualité officielle des personnes
mises en cause. La loi niait les conséquences attachées aux
immunités des chefs d'Etat et ministres des affaires
étrangères. Après l'arrêt Yerobia rendu par la Cour
internationale de justice en 1993 dans lequel celle-ci rappelait
l'opposabilité de ces immunités aux Etats, la Belgique a adouci
sa législation.
8 Le Statut de Rome est entré en vigueur le
1er juillet 2002 après sa ratification par 60 pays. A ce
jour, 120 Etats sont parties au Statut de Rome.
9V. notamment GARAPON (A), Des crimes qu'on ne
peut ni punir ni pardonner, pour une Justice internationale, Odile Jacob,
novembre 2002.
10
L'interpellation du Procureur général
américain au Tribunal militaire de Nuremberg, M.JACKSON évoque
cette justice au-dessus des Nations, l'idée d'un monde commun, d'une
justice post-conflit chargée de sauvegarder une communauté de
valeurs :
« Que quatre grands pays exaltés par leur victoire
et profondément blessés, arrêtent les mains vengeresses et
livrent volontairement leurs ennemis captifs au jugement de la Loi est un des
plus grands tributs que la Force payât jamais à la Raison
[É] Nous ne devons jamais oublier que les gestes sur lesquels nous
fondons aujourd'hui notre jugement contre ces défendeurs sont ceux sur
lesquels l'histoire nous jugera demain. Offrir à ces accusés une
coupe empoisonnée est aussi porter cette coupe à nos
lèvres. Nous devons appliquer à la tâche qui nous attend un
tel détachement et une telle intégrité intellectuelle que
ce procès passera à la postérité comme étant
la réalisation des aspirations de l'humanité à la justice
».
Alors que l'année 2011 a été une
année où l'actualité de la Cour pénale
internationale a connu une réelle importance : élections d'un
nouveau Procureur et de six nouveaux juges, ouverture de deux nouvelles
enquêtes concernant les situations en Libye et en Côte d'Ivoire,
les critiques restent encore pregnantes. C'est moins la Cour en
général et donc le principe de justice pénale
internationale qui sont critiqués que les décisions rendues par
les organes de la Cour et singulièrement par le Procureur. Le Procureur
est en effet l'un des organes incontournables et fondamentaux de la Cour. Au
regard des prérogatives qui lui sont confiées, son action
conditionne l'existence du procès international. Il suscite en
conséquence de nombreuses attentes et, corollaire, déceptions.
Que juger ? Qui juger ? La marge d'appréciation que lui ont reconnu les
Etats parties, la manière dont le Procureur de la Cour pénale
internationale élabore ses choix en matière d'enquête et de
poursuites ou encore les garanties qu'il présente en matière
d'impartialité constituent le siège des objections.
L'examen des dispositions statutaires montre que le Procureur
dispose d'un large pouvoir d'appréciation à l'occasion de deux
stades procéduraux fondamentaux : l'enquête et les poursuites. Ce
pouvoir peut d'ailleurs être qualifié de pouvoir
discrétionnaire. L'octroi de celui-ci tend à confirmer ce
mouvement vers l'autonomisation du judiciaire dans l'ordre
11
international (I). Il suscite des reproches, alors qu'il est
malgré tout encadré par l'existence de garanties internes au
Bureau du Procureur et par l'existence d'un contrôle judiciaire (II).
12
1ère partie : La consécration et
l'encadrement statutaires du pouvoir discrétionnaire du Procureur
13
Le Statut de Rome instituant la Cour pénale
internationale reconnaît aux Etats ainsi qu'au Conseil de
sécurité, un rôle essentiel dans la répression des
crimes internationaux en leur laissant la possibilité de renvoyer des
situations au Procureur, étape préalable à une
enquête voire à des poursuites. Rôle essentiel mais non
prépondérant. Le Procureur apparait en revanche, comme le
protagoniste dans la mise en mouvement de l'action répressive
internationale. En effet, le Conseil de sécurité et les Etats
parties ne peuvent que lui renvoyer des situations. Ils ne peuvent saisir
directement la Cour et doivent en conséquence saisir le Procureur. De
plus, à côté de cette possibilité qu'il a
d'être saisi pour enquête par les Etats parties et par le Conseil
de sécurité, le Procureur dispose également du pouvoir
d'agir proprio motu et donc de diligenter des enquêtes
d'initiative sans y avoir été préalablement invité
par les Etats parties ou par le Conseil de sécurité. Le Procureur
dispose d'un pouvoir discrétionnaire en matière d'ouverture
d'enquêtes et de choix des poursuites (A). L'existence d'un tel pouvoir
est à l'origine de controverses, lesquelles s'expliquent notamment par
les enjeux inhérents à l'action de la Cour, juger dans un
contexte politique (B).
A) La reconnaissance d'un pouvoir discrétionnaire
aux stades de l'ouverture d'enquête et du déclenchement des
poursuites.
La notion de pouvoir discrétionnaire est largement
utilisée par la doctrine pour appréhender le pouvoir
d'appréciation statutairement reconnu au Procureur de la Cour
pénale internationale au stade de l'ouverture d'enquête et de la
décision sur les poursuites10. Il faut y voir une
référence à la notion anglo-saxonne de «
Prosecutorial discretion ».
Pourtant cette notion de pouvoir discrétionnaire est
inconnue de la justice judiciaire française qui, pour saisir le pouvoir
d'appréciation des autorités de poursuite lui
préfère la notion « d'opportunité »
opposée à celle de « légalité ». La
notion de pouvoir discrétionnaire relève plutôt du
contentieux administratif 11.
La caractéristique des ordres judiciaires dans lesquels
s'applique le système d'opportunité des
10 Cette notion relève plutôt du droit
administratif où elle est opposée aux cas dans lesquels
l'administration est en situation de compétence liée. La notion
de pouvoir discrétionnaire est comme l'écrit le Professeur
René CHAPUS, « le pouvoir de choisir entre deux décisions ou
deux comportements (deux au moins) conformes à la légalité
». CHAPUS (R), Droit administratif général, PUF.
14
poursuites est que le Procureur peut engager des
poursuites lorsqu'il a connaissance d'une infraction juridiquement poursuivable
mais qu'il ne s'agit aucunement pour lui d'une obligation12. Ce
système s'oppose aux systèmes «
légalistes13 » dans lesquels le Ministère public
doit engager des poursuites dès lors que les conditions
légales sont réunies, c'est-à-dire dès lors qu'il
existe une infraction juridiquement poursuivable. Dans les systèmes
légalistes, seuls des motifs juridiques rendant les poursuites
impossibles telles que la prescription et l'amnistie par exemple, permettent au
Procureur de ne pas engager de poursuites.
Le pouvoir d'appréciation reconnu au stade de
l'enquête et des poursuites au Procureur de la Cour pénale
internationale par les articles 15 et 53 du Statut est semblable à celui
que connaissent les Procureurs dans les systèmes dits «
d'opportunité des poursuites ».
Le Procureur dispose en effet du pouvoir de décider
d'ouvrir ou non une enquête ainsi que du pouvoir d'engager ou non des
poursuites, prérogatives résultant des articles 13, 14, 15, 18 et
53 du Statut de Rome.
Le principe d'opportunité avait déjà
été introduit dans les Statuts de juridictions internationales
créées antérieurement. Au sein des tribunaux ad hoc
créés par le Conseil de sécurité des Nations Unies
par exemple, le Procureur dispose d'un pouvoir analogue d'appréciation
en opportunité 14.
Manifestation du pouvoir discrétionnaire dans
l'enquête diligentée par le Procureur de la Cour pénale
internationale en application de l'article 15 du Statut de Rome
Aux termes de l'article 15-1 du Statut de Rome, le Procureur a
la faculté d'initier des enquêtes proprio motu suite aux
renseignements qui lui sont adressés. Il convient de relever
12 La France, la Grande-Bretagne, la Belgique, le Luxembourg
ou encore les Pays-Bas figurent au nombre des Etats dont les systèmes
répressifs sont dits « opportunistes ».
13L'Allemagne, le Portugal ou encore l'Italie voir
Le ministère public en Europe, de Gilles ACCOMANDO et Christian
GUERY, in Le Parquet dans la République : vers un nouveau
Ministère Public ?, Colloque organisé les 29 et 30 mai 1995
à l'Assemblée nationale.
14 Le Bureau du Procureur du Tribunal pénal
international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) - tout comme celui du Tribunal
international pour le Rwanda - est distinct du Tribunal mais toute mise en
accusation proposée doit être soumise à un juge du TPIY
pour approbation. Ainsi, le pouvoir discrétionnaire du Procureur
d'entamer des poursuites devant le Tribunal est donc également
tempéré par le contrôle judiciaire.
15
que cette enquête d'initiative qui correspond à
un examen préliminaire se distingue de l'enquête préalable
aux poursuites, visée à l'article 15-3 du Statut. Le Statut
consacre en effet deux types d'enquête, l'une découlant du pouvoir
reconnu au Procureur de s'autosaisir, correspondant en fait à un examen
préliminaire effectué par son Bureau, l'autre étant
officiellement organisée par les articles 15 (3) et 53 (1) du Statut
comme phase préalable aux poursuites. C'est ce qu'expliquent Morten
BERGSMO et Pieter KRUGER15 analysant la rédaction anglaise de
l'article 15 (1) du Statut16. Selon ces auteurs, il y a
effectivement une différence entre les enquêtes spécifiques
de l'article 15(1) et l'enquête préalable à la
décision sur les poursuites. L'emploi du pluriel dans la version
anglaise pour décrire « the investigations » menées par
le Procureur montre selon eux que les plénipotentiaires ont reconnu au
Procureur, la faculté de diligenter des enquêtes avant d'envisager
de demander à la Chambre préliminaire de l'autoriser à
diligenter une enquête, en vue d'engager éventuellement des
poursuites.
Lorsqu'il entend mener des enquêtes d'initiative, le
Procureur a pour seules obligations, d'avoir préalablement recueilli des
renseignements mettant en évidence des crimes relevant de la
compétence de la Cour17. Si ces deux conditions cumulatives -
le recueil de renseignement et la compétence de la Cour - obligent le
Procureur à disposer d'éléments de fait et à
procéder à un contrôle juridique sur la compétence
de la Cour avant d'envisager l'ouverture d'une enquête proprio
motu, cette double exigence constitue une exigence minimale pour toute
autorité judiciaire. Il ne s'agit pas de mettre obstacle au pouvoir
d'initiative du Procureur en matière d'enquête mais plutôt
d'inscrire sa démarche dans la légalité et dans
l'impartialité.
L'examen préliminaire mené par le Bureau du
Procureur dans le cadre de l'article 15 (1) comprend deux phases, l'une «
passive » consistant à recevoir des informations, l'autre «
active » consistant à en rechercher puis à en
contrôler la pertinence. Les renseignements
15 BERGSMO (M), KRUGER (P), in Otto Triffterer (editor):
« Commentary on the Rome Statute of the International Criminal Court
» p 704.
16La version anglaise de l'article 15 (1) stipule
que « The Prosecutor may initiate investigations
proprio motu on the basis of information on crimes within the
jurisdiction of the Court » tandis qu'aux
termes de la version française : « le Procureur
peut ouvrir une enquête de sa propre
initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la
compétence de la Cour ».
17Le respect de ces critères fait
néanmoins l'objet d'un contrôle par le Bureau du Procureur et
éventuellement par les juges. V. 2ème partie.
16
réunis par le Procureur dans ce cadre sont
qualifiés par le Statut de communications. Ils proviennent pour
l'essentiel d'acteurs extra étatiques, notamment d'organisations non
gouvernementales.
Le Statut précise qu'il appartient au Procureur qui en
est destinataire, d'en vérifier le sérieux en recourant pour cela
à de larges sources non limitativement énoncées par
l'article 15 (2) du Statut, dès lors qu'elles sont dignes de foi. Au
nombre d'entre elles figurent les Etats ainsi que l'Organisation des Nations
Unies.
Il incombe donc au Procureur qui envisage de demander à
la Chambre préliminaire d'autoriser l'ouverture d'une enquête,
d'avoir réuni ou de réunir des renseignements sérieux puis
de s'assurer que ceux-ci tendent à caractériser la commission de
crimes relevant de la compétence de la Cour. En tout état de
cause, il ne lui appartient pas à ce stade d'avoir réuni des
éléments de preuve18.
Si le Procureur refuse de diligenter une enquête
d'initiative, il ne peut y être contraint même par la Chambre
préliminaire. Le Statut lui impose uniquement d'aviser ceux qui lui ont
fourni les renseignements de son refus d'enquêter sans qu'aucun recours
ne leur soit accordé.
Les conditions requises par l'article 15 (1) pour permettre au
Procureur d'initier des enquêtes sont limitées de sorte que son
pouvoir d'initiative est réel. Le Procureur est donc bien en mesure de
mener discrétionnairement des enquêtes d'initiative dans le cadre
de l'article 15 du Statut.
L'ouverture d'enquête sur renvoi de
situations
18 En ce sens notamment, l'arrêt rendu par la Chambre
préliminaire II le 31 mars 2010 relative à la demande
d'autorisation d'ouvrir une enquête dans le cadre de la situation en
République du Kenya rendue en application de l'article 15 du Statut de
Rome, ICC-O1/09 14/86 : « en ce qui concerne la condition fondée
sur la base raisonnable pour croire, énoncée à l'article
53-1-a, la Chambre considère que c'est là la norme
d'administration de la preuve la moins stricte que prévoit le Statut.
Cela est logique étant donné la nature de la procédure
à ce stade précoce, laquelle se limite à un examen
préliminaire. De ce fait, par comparaison avec les
éléments de preuve recueillis au cours de l'enquête, les
renseignements en possession du Procureur, n'ont pas à être
complets ni déterminants. Cette conclusion émane également
du fait que, à ce stade précoce, les pouvoirs dont dispose le
Procureur sont limités et ne peuvent être comparés à
ceux que lui confère l'article 54 du Statut au stade de l'enquête
».
17
Les articles 13 et 14 du Statut confèrent
respectivement qualité au Conseil de sécurité de
l'Organisation des Nations Unies et aux Etats parties au Statut de Rome pour
demander au Procureur de diligenter une enquête.
L'article 13 du Statut reconnaît au Conseil de
sécurité de l'Organisation des Nations Unies le pouvoir de
demander au Procureur de la Cour pénale internationale d'ouvrir une
enquête, sur le fondement d'une résolution prise au visa du
chapitre VII de la Charte, c'est-à-dire lorsque la paix et/ou la
sécurité internationale(s) sont
menacée(s)19.
Aux termes de l'article 14 du Statut, tout Etat partie peut
saisir le Procureur aux fins d'enquête dès lors qu'un crime
relevant de la juridiction de la Cour paraît avoir été
commis20.
Lorsqu'une situation est renvoyée par un Etat partie au
Procureur aux fins d'enquête, ou lorsque celui-ci est saisi par le
Conseil de sécurité des Nations Unies poursuivant les mêmes
fins, il doit en principe ouvrir une enquête, l'article 53 du Statut
utilisant l'indicatif et stipulant que le Procureur ouvre une
enquête après évaluation des renseignements
fournis21. Toutefois, ce même article réserve au
Procureur la faculté de décider de ne pas en ouvrir dans des cas
limitativement énumérés qui relèvent pour deux
d'entre eux d'une appréciation strictement juridique - en cas
d'incompétence de la Cour et d'irrecevabilité de l'affaire - et
pour le dernier, de l'appréciation d'une notion aux contours plus
incertains, celle des intérêts de la justice. Dans tous les cas,
la décision de refus peut alors être soumise au contrôle de
la Chambre préliminaire, soit sur demande des parties ayant saisi le
Procureur d'une demande d'enquête22, soit sur autosaisine de
la Chambre préliminaire si la décision de refus est fondée
sur les seuls intérêts de la justice23.
Dans le cas de renvois de situations par les Etats parties et
par le Conseil de sécurité,
19 Le Conseil de sécurité a
déféré deux situations à la Cour : celle de la
région du Darfour au Soudan ainsi que la situation en Libye, deux Etats
non parties au Statut de Rome. Le Procureur a ouvert une enquête sur ces
deux situations.
20 À ce jour, trois États parties au Statut de
Rome - l'Ouganda, la République démocratique du Congo et la
République centrafricaine - ont déféré à la
Cour des situations concernant des faits s'étant déroulés
sur leur territoire.
21 article 53 du Statut.
22 article 53 (3) a du Statut.
23 article 53 (3) b du Statut.
18
l'ouverture d'enquête apparaît moins relever de
l'opportunité que de la légalité dans la mesure ou,
exception faite du recours aux intérêts de la justice pour ne pas
enquêter, la décision du Procureur sur l'ouverture d'enquête
est déterminée par des considérations strictement
juridiques.
Dans la décision sur les poursuites
Une fois les investigations terminées, le pouvoir
discrétionnaire du Procureur s'exerce à l'occasion de la
décision sur les poursuites. Le Procureur peut choisir tant les crimes
que les personnes qu'il entend poursuivre mais s'il envisage de ne pas
poursuivre, il doit se fonder sur l'absence de base raisonnable pour le faire,
sur l'irrecevabilité de l'affaire ou encore sur les
intérêts de la justice. Cette notion déjà
mobilisable en matière d'ouverture d'enquête est élargie en
ce qui concerne la décision sur les poursuites puisqu'elle recouvre
aussi des considérations propres à l'auteur des crimes tels que
son âge et éventuellement son handicap.
C'est donc d'un pouvoir discrétionnaire que le
Procureur dispose dans le déclenchement de l'enquête et des
poursuites, ce pouvoir se rapprochant de ce que le système judiciaire
français connaît sous le nom d'opportunité même s'il
connaît, selon le stade procédural, certaines nuances.
Déjà connu des juridictions répressives internationales
avant sa reprise dans le Statut, le principe d'opportunité
présente des avantages significatifs en matière de punition des
infractions internationales. Il permet tout d'abord au Procureur
d'opérer un filtre dans les affaires soumises au Juge. Bien
employée, cette liberté lui permet de ne soumettre au juge que
les affaires les plus graves conformément à la règle selon
laquelle De minimis non curat Praetor règle d'ailleurs reprise
dans le Statut de Rome qui fait de la gravité, une condition de
recevabilité des affaires.
Outre qu'il permet d'éviter de paralyser les
juridictions en opérant un choix au sein des infractions poursuivables,
le principe d'opportunité permet de tenir compte des évolutions
survenues dans les affaires. MM. MERLE et VITU24 relèvent en
effet que:
« L'expérience prouve qu'une affaire se modifie
parfois d'une façon considérable entre l'ouverture des poursuites
et le jugement qui sera rendu : tel dossier se gonfle
d'éléments
24 MERLE (R), VITU (A), « Légalité ou
opportunité des poursuites » in Extrait du « Traité de
droit criminel », T.II, 4e éd., p.331 n°278 -
Éditions Cujas, Paris 1989.
19
nouveaux qui traduisent progressivement la gravité
réelle de l'affaire; dans tel autre, l'infraction commise prend des
dimensions sensiblement plus modestes. En reconnaissant au ministère
public la possibilité d'arrêter le cours de l'action
répressive, on renonce à l'idée d'une immutabilité
du procès jusqu'à la décision juridictionnelle, mais on
accorde
plus d'importance à la « vie » de l'affaire et
à ses transformations ».
L'ensemble de ces caractéristiques expliquent la
préférence pour ce principe plutôt que pour le principe de
légalité même si ce dernier est traditionnellement
présenté comme plus respectueux de l'égalité devant
la justice et de l'indépendance des juridictions dans la mesure
où d'une part, il nie à l'autorité poursuivante le pouvoir
de classement d'une affaire lorsqu'une infraction existe et empêche toute
discrimination parmi les affaires et où d'autre part, il ne
reconnaît qu'aux seules juridictions de jugement, le pouvoir de mettre
fin au procès25.
25 Aussitôt prise la décision sur la mise en
mouvement de l'action publique, le Procureur ne peut abandonner les poursuites
car cela reviendrait à dessaisir la juridiction de jugement. Son pouvoir
d'initiative est alors très restreint à ce stade.
20
B) les controverses liées au pouvoir
discrétionnaire
Les critiques formulées à l'encontre de la
justice pénale internationale tiennent d'abord aux circonstances de
création de ces juridictions. La création de juridictions
à compétence rétroactive a en effet favorisé le
discours selon lequel le vainqueur d'un conflit recourait à la justice
afin d'obtenir une sanction pénale contre les perdants. Cette justice
post-conflit était donc décrédibilisée ab
initio. Ces critiques n'ont pas totalement disparu avec la signature et la
ratification du Statut de Rome mais elles se sont malgré tout
affaiblies, la Cour pénale internationale ayant une vocation permanente
et n'ayant pas de compétence rétroactive.
En revanche, la marge d'appréciation
conférée au Procureur, tout au long de la phase
précédant le jugement, est le siège de nombreux reproches.
Ces reproches ont trait tout autant à la mise en oeuvre du pouvoir
discrétionnaire dans la décision d'enquêter qu'au choix des
personnes poursuivies ou encore qu'aux incidences de la mise en oeuvre de ce
pouvoir discrétionnaire sur les processus de paix.
Les griefs quant à la mise en oeuvre du pouvoir
discrétionnaire dans la décision d'enquêter
L'octroi au Procureur de la Cour pénale internationale
de la possibilité de mener discrétionnairement des enquêtes
d'initiative a été discuté lors de la conférence
diplomatique des plénipotentiaires qui s'est tenu à Rome en juin
et juillet 1998.
Les délégations étaient divisées
en deux camps. Certaines ont défendu cette possibilité affirmant
que l'efficacité de la Cour serait renforcée ainsi que
l'effectivité de sa juridiction dans les cas où le Conseil de
sécurité, par le biais du veto, ou les Etats parties, ne
voudraient pas la saisir. L'autosaisine devait donc constituer une garantie
contre une politisation de la Cour à supposer bien sûr que le
Procureur soit indépendant.
A l'opposé, certaines délégations
arguaient que cette troisième voie allait précisément
politiser l'action de la Cour et l'institution du Procureur. Selon ce point de
vue en effet, le Procureur risquait d'être saisi de demandes
d'enquêtes émanant d'entités diverses telles que des
organisations non gouvernementales ou des personnes privées,
animées par des considérations politiques. Parmi les Etats
défavorables, les Etats-Unis d'Amérique ont fait
21
valoir qu'il serait peu judicieux de donner au Procureur la
faculté d'entamer de lui-même des enquêtes car, outre la
surcharge de la Cour qui en résulterait, cela provoquerait des
confusions et controverses et affaiblirait la nouvelle institution plutôt
que de la renforcer. Considérant que la menace était que le
Procureur se transforme en ombudsman des droits de l'homme se
saisissant des plaintes émanant de n'importe quelle source, ils avaient
plaidé en faveur de la limitation de la compétence de la Cour
pénale internationale aux seuls cas qui lui seraient soumis par le
Conseil de sécurité.
L'analyse des dispositions statutaires régissant
l'enquête initiée par le Procureur montre que les décisions
négatives de celui-ci, celles par lesquelles il refuse de s'autosaisir
et de provoquer une enquête proprio motu sont parmi les plus
critiquées26. En effet, le Procureur est conduit à
opérer un choix que peuvent ne pas comprendre, ceux qui lui ont
adressé les renseignements d'autant que le Procureur a pour seule
obligation statutaire de leur notifier sa décision de ne pas diligenter
d'enquête sans avoir à motiver cet avis. Or les raisons d'un tel
refus peuvent être très variables.
L'examen préliminaire des renseignements reçus
par le Bureau du Procureur peut en avoir révélé
l'insuffisance de même qu'il ne peut parfois être tiré
aucune conséquence juridique des renseignements reçus, lesquels
ne caractérisent pas une infraction susceptible de relever de la
compétence de la Cour. Dans ces deux cas de figure, le refus du
Procureur se comprend dans la mesure où sa fonction impose de ne pas
donner suite aux plaintes futiles le Statut réservant la
compétence de la Cour aux crimes les plus graves.
Des considérations extra-juridiques peuvent cependant
également être à l'origine du refus du Procureur
d'envisager d'ouvrir de lui-même une enquête.
Ainsi notamment de la politique revendiquée par le
Bureau du Procureur qui entend, au nom de l'efficacité de
l'enquête postérieure à l'examen préliminaire,
limiter l'usage des dispositions du Statut concernant l'enquête
proprio motu et favoriser les enquêtes sur renvoi
26 Certains auteurs considèrent que le pouvoir
discrétionnaire du Procureur se manifeste surtout dans ses
décisions négatives. En ce sens, STITH (K), « The arc of the
Pendulum ; Judges, Prosecutors and the Exercise of Discretion », Yale Law
Journal 2008 ; pp 1420 à 1422 « In the context of the criminal law,
to exercise discretion means, most simply, to decide not to investigate,
prosecute, or punish to the full extent avalable under the law ».
22
de situations27.
Ces refus s'inscrivent alors dans un choix de politique
pénale du Bureau du Procureur. Les critiques quant au contenu même
de cette politique pénale, voire quant à la
légitimité du Procureur de la Cour à définir une
politique pénale, sont alors mobilisées. Elles émanent
notamment des organisations non gouvernementales et de la société
civile internationale qui ne disposent que de la voie de l'article 15 (1) pour
accéder à la juridiction de la Cour.
Par ailleurs, le choix des infractions objet des poursuites
tout comme celui des personnes devant être poursuivies constituent
également des aspects controversés de la mise en oeuvre du
pouvoir discrétionnaire générant des critiques tenaces
étant observé que contrairement au Statut des tribunaux
militaires et des tribunaux ad hoc, le Statut de la Cour pénale
internationale ne prédétermine pas les situations justifiant
l'ouverture d'enquête et de poursuites28.
27 A la date de rédaction du présent rapport, le
Procureur n'a sollicité la Chambre préliminaire aux fins
d'autorisation d'ouverture d'une enquête, qu'à deux reprises, en
2008 s'agissant de la situation au Kenya dans le contexte des violences post-
électorales ainsi que la situation en Côte d'Ivoire par demande du
23 juin 2011. Dans ces deux cas, la Chambre préliminaire a
autorisé l'ouverture d'une enquête.
Dans un document du Bureau du Procureur d'octobre 2010, le
Bureau indique que si l'Etat concerné refuse de déférer la
situation, il peut alors à tout moment décider l'ouverture d'une
enquête de sa propre initiative et rappelle que c'est ce choix qui a
été fait s'agissant de la situation au Kenya. In « Document
de politique générale relatif aux examens préliminaires
», octobre 2010, p17, disponible sur www.icc-cpi.int
28 Par exemple l'accord de Londres du 8 août 1945
instituant le tribunal militaire de Nuremberg stipulait en son article 6 que :
« Le Tribunal établi par l'Accord mentionné à
l'article 1er ci-dessus pour le jugement et le châtiment des grands
criminels de guerre des pays européens de l'Axe sera compétent
pour juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays
européens de l'Axe, auront commis, individuellement ou à titre de
membres d'organisations, l'un quelconque des crimes suivants [à savoir]
« Les crimes contre la paix (É), les crimes de Guerre, les crimes
contre l'Humanité ».
La résolution 955/1994 du Conseil de
sécurité de l'Organisation des Nations Unies portant Statut du
Tribunal pénal international pour le RWANDA stipule en son article
1er qu'un tribunal international est crée et «
chargé uniquement de juger les personnes présumées
responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit
international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens
rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis
sur le territoire d'États voisins, entre le 1er janvier et le 31
décembre 1994 ».
La loi sur la création des chambres extraordinaires au
sein des tribunaux cambodgiens dispose en son article 1er que ces
chambres sont établies pour juger « les hauts dirigeants du
Kampuchéa démocratique et les principaux responsables des crimes
et graves violations du droit pénal cambodgien, des règles et
coutumes du droit international humanitaire, ainsi que des conventions
internationales reconnues par le Cambodge, commis durant la période du
17 avril 1975 au 6 janvier 1979 ».
23
Dans ces circonstances, le pouvoir
discrétionnaire dont dispose le Procureur de la Cour pour choisir les
Etats au sein desquels une enquête sera diligentée
génère reproches et suspicions quant à sa capacité
à agir contre les puissants.
Le Bureau du Procureur a par exemple procédé
à un examen préliminaire s'agissant des situations en Irak,
Afghanistan, Colombie, Géorgie, Guinée, Palestine, Venezuela,
Honduras et République de Corée mais sans ouvrir d'enquête.
En ce qui concerne la situation en Afghanistan de nombreuses organisations non
gouvernementales ont dénoncé les agissements des forces de la
coalition29. Le Bureau du Procureur a annoncé officiellement
qu'il analysait cette situation en 2007 et que cet examen porterait sur des
crimes présumés relevant de la compétence de la Cour
qu'auraient perpétré tous les acteurs concernés, y compris
les forces de la coalition et les rebelles, mais il expose, à ce jour,
n'avoir reçu aucune réponse à ce jour du gouvernement
afghan malgré ses demandes de renseignements.
L'implantation des situations actuellement soumises
à la juridiction de la Cour conforte les critiques liées à
la capacité de la Cour à agir contre les puissants et à
tendre vers l'universalisme de la sanction. Toutes ces situations concernent en
effet exclusivement l'Afrique.
Treize affaires dans le contexte de sept situations ont
été ouvertes à la Cour depuis son instauration
jusqu'à aujourd'hui.
Ces situations concernent l'OUGANDA qui a renvoyé en
décembre 2003 au Procureur, la situation concernant le nord du pays et
plus spécifiquement les agissements de l'Armée de
résistance du seigneur30 ; la République
centrafricaine, le gouvernement
29 Différentes accusations sont évaluées,
aussi bien contre les soldats de l'OTAN que contre les rebelles. Selon les
Nations unies, plus de 2 000 civils ont été tués en
Afghanistan en 2008. Environ 40% d'entre eux l'ont été par les
armées de la coalition. L'Afghanistan ayant ratifié le
traité de Rome qui fonde la Cour pénale internationale, tout
crime de guerre commis sur son sol après 2002 peut être l'objet
d'une enquête de la Cour. Le procureur OCAMPO a annoncé qu'il
procédait à un examen préliminaire.
30 Le conflit actuel en OUGANDA dure depuis l'insurrection
réussie de 1986 d'un groupe rebelle mené par l'actuel
président, Yoweri Museveni. Depuis que le Président Museveni et
son mouvement, l'Armée de résistance nationale, ont pris le
pouvoir et ont installé le système de « démocratie
sans parti », il y a eu de nombreux mouvements rebelles basés dans
le nord de l'OUGANDA. Le plus puissant, l'Armée de résistance du
Seigneur (ARS) ou Lord Resistance Army (LRA) continue à lutter contre le
gouvernement. L'armée de résistance du Seigneur (ARS),
accusée d'avoir mené depuis 1987 une insurrection contre le
gouvernement et l'armée ougandais, entendait renverser le
président
24
centrafricain ayant renvoyé au Procureur de la Cour les
crimes commis sur son territoire depuis juillet 2002 date d'entrée en
vigueur du Statut de Rome31 ; la situation en République
démocratique du Congo (RDC) suite au renvoi de la situation par le
président de la RDC le 19 avril 2004, pour des faits commis sur son
territoire notamment en Ituri depuis l'entrée en vigueur du
Statut32 ; la situation au Soudan et notamment dans la province du
Darfour suite à la résolution 1593 du Conseil de
sécurité des Nations Unies du 31 mars 200533 ; la
situation
ougandais MUSEVENI et mettre en place un régime
basé sur les Dix Commandements de la Bible. En 2002, son
chef Joseph KONY aurait ordonné aux forces de l'ARS d'attaquer les
populations civiles et aurait eu recours à la conscription forcée
d'enfants. S'en seraient suivis des actes criminels comprenant le meurtre,
l'enlèvement, la réduction en esclavage sexuel, la mutilation
ainsi que l'incendie d'un grand nombre de logements et le pillage de camps. Le
7 juillet 2005, un mandat d'arrêt a été
décerné par la Cour pénale internationale à
l'encontre de Joseph KONY mais ce dernier est toujours en fuite.
31 Depuis son indépendance en 1960, la
République centrafricaine a connu de nombreuses révoltes
armées et coups d'État. En 2002 et 2003, le conflit armé
entre les forces armées nationales du président de
l'époque, Ange-Félix PATASSE et les forces de rébellion
menées par M. François BOZIZE, ancien chef d'état-major
des forces armées centrafricaines et, soutenues par les forces du
Mouvement de libération du Congo (MLC) dirigé par Jean-Pierre
BEMBA GOMBO a été marqué par quantité de violences
sexuelles commises à l'encontre de la population civile. Le 22
décembre 2004, les autorités de République centrafricaine
(RCA) ont déféré la situation au Bureau du Procureur.
Après analyse de la situation, le Bureau du procureur a annoncé
le 22 mai 2007 sa décision d'ouvrir une enquête en RCA. Le 24 mai
2008, Jean-Pierre BEMBA GOMBO a été arrêté par les
autorités belges et remis à la Cour en exécution du mandat
d'arrêt décerné à son encontre le 23 mai 2008 pour
crimes de guerres et crimes contre l'humanité qu'il aurait commis en RCA
pendant la période allant du 25 octobre 2002 au 15 mars 2003.
32 Le 17 mars 2006, un premier mandat d'arrêt concernant
la situation en RDC a été descellé et rendu public. Il
visait Thomas LUBANGA DYILO, le chef de l'Union des Patriotes Congolais (UPC),
un mouvement politique et militaire. Thomas LUBANGA a été
arrêté et transféré à La Haye le jour
même. Le 26 janvier 2009, le procès contre Thomas LUBANGA DYILO
s'est ouvert à La Haye, pour l'enrôlement et la conscription
présumés d'enfants soldats pour les faire activement participer
aux hostilités. Le procès contre Germain KATANGA et Mathieu
NGUDJOLO CHUI qui s'est ouvert le 24 novembre 2009 est le deuxième
procès de la CPI. Ils sont accusés de crimes de guerre et crimes
contre l'humanité présumés commis dans le village de
Bogoro (Ituri, est de la RDC) entre janvier et mars 2003.
33 La crise du Darfour est un conflit qui se déroule
dans l'ouest du Soudan depuis 2003 et qui oppose d'une part l'armée
soudanaise, et la milice janjaweed, recrutée principalement parmi les
tribus du nord, les Rizeigat, aux populations « africaines » de la
région (Fur, Zaghawa, MassalitÉ) notamment au Mouvement de
Libération du Soudan et au Mouvement pour la Justice et
l'Egalité. Le gouvernement soudanais dénie publiquement tout
soutien au mouvement janjaweed, mais il lui aurait fourni argent et assistance
et aurait participé avec elle à des attaques contre les Fur. Les
attaques du gouvernement et des Janjaweed contre la population civile
non-Baggara ont provoqué plusieurs centaines de milliers de morts et une
crise humanitaire majeure avec le déplacement de plus de deux millions
de personnes. Deux mandats d'arrêt ont été
décernés à l'encontre du Président du Soudan, M.
Omar Hassan Al Bashir qui serait pénalement responsable en tant que
coauteur ou auteur indirect, au sens de l'article 25-3-a du Statut de Rome pour
cinq chefs de crimes contre l'humanité : meurtre ; extermination;
transfert forcé; torture; viol. Deux chefs de crimes de guerre : le fait
de diriger intentionnellement des attaques contre une population civile en tant
que telle ou contre des personnes civiles qui ne participent pas directement
aux hostilités - article 8-2-e-i ; et pillage - article 8-2-e-v.
Trois chefs de génocide : génocide par meurtre
(article 6-a), génocide par atteinte grave à
l'intégrité physique ou mentale (article 6-b), et génocide
par soumission intentionnelle de chaque groupe ciblé à
25
au Kenya ; la situation en Côte d'Ivoire et enfin la
situation en Libye suite à la résolution 1970 (2011) du Conseil
de sécurité du 26 février 2011.
Dans les deux cas d'ouverture d'enquête
proprio motu, seules des situations en Afrique ont été
choisies. Il ne peut être exclu que le Procureur ne peut que
difficilement envisager, non pas de procéder à un examen
préliminaire, mais d'ouvrir une enquête sur des situations qui
intéressent des puissances de premiers plans et a fortiori engager des
poursuites contre leurs auteurs. En effet, ces dernières peuvent par le
biais du Conseil de sécurité des Nations Unies, ordonner qu'il
soit sursis à enquête ou à poursuites34.
Certaines d'entre elles n'ont d'ailleurs pas signé ou ratifié le
Statut de Rome35.
Mais si les attentes en terme d'universalisme des situations
soumises à la Cour sont légitimes, aucune disposition statutaire
n'énonce pour autant d'obligation particulière en matière
de répartition géographique des situations. Le Statut
n'oblige pas le Procureur à s'assurer que les enquêtes et les
poursuites dont il a l'initiative concernent tous les continents, tout au plus
a-t-il l'obligation d'être impartial dans l'exercice de ses
prérogatives36.
Les cas d'enquête et de poursuites
décidées après renvoi des États parties et du
Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies suscitent
quant à elles des critiques qui sont moins dirigées contre le
Procureur, que contre ceux qui le saisissent.
S'agissant des renvois de situations par les Etats
parties, il est parfois opposé que les nouveaux régimes
politiques cherchent ainsi à se retourner contre leurs
prédécesseurs et opposants. Cette remarque n'est pas
sans fondement dans la mesure où certains Etats parties ont pu
désigner au sein des situations qu'ils déféraient à
la Cour, des groupes ou des individus susceptibles d'être poursuivies.
Ainsi par exemple du renvoi par l'OUGANDA de la situation dans le nord du pays
et spécifiquement des agissements de l'Armée de résistance
du Seigneur. Toutefois, le Procureur de la Cour pénale
internationale,
des conditions d'existence devant entraîner sa destruction
physique (article 6-c).
Voir In SELLIER (J), Atlas des peuples d'Afrique, La
Découverte, 2005, p 46. V. aussi BONIFACE (P), Atlas des relations
internationales, Hatier.
34 Cette résolution doit cependant être
adoptée sur le fondement du Chapitre VII de la Charte ce qui suppose que
l'enquête ou les poursuites menacent la paix et/ou la
sécurité internationales. V. Article 16 du Statut de Rome.
35 Notamment la Chine, Les Etats-Unis, la Russie et l'Inde.
36 Sur l'impartialité et la déontologie voir II
-2.
26
M. OCAMPO avait alors indiqué expressément qu'il
fallait interpréter le cadre de ce renvoi à la lumière des
principes énoncés dans le Statut de Rome et analyser en
conséquence, les crimes liés à la situation au nord de
l'OUGANDA, quels qu'en soient les auteurs37. Le Bureau rappelle
régulièrement ce principe. Ainsi en ce qui concerne la situation
en COTE D'IVOIRE, le Procureur a déclaré en marge des poursuites
engagées contre l'ancien président Laurent GBAGBO qu'il saisirait
la Cour de nouvelles affaires et ce quelque soit l'affiliation politique des
personnes concernées, c'est-à-dire même si elles font parti
du camp des Forces nouvelles, ex rebelles, du président
OUATTARA38.
S'agissant des renvois de situations par le Conseil de
sécurité, les critiques liées à la composition du
Conseil de sécurité sont parfois utilisées pour tenter de
jeter le discrédit sur le renvoi en soulignant le défaut
d'impartialité du Conseil.
En ce qui concerne enfin le choix des personnes poursuivies,
le Bureau du Procureur ne s'est jamais considéré lié par
les listes nominatives éventuellement fournies par les Etats parties ou
le Conseil de sécurité, à l'appui de leurs
renvois39. Ainsi dans le cadre de la situation au Kenya, une
commission avait été créée par le gouvernement
kenyan en février 2008. Cette commission, dite « Commission of
Inquiry on post Election violence », présidée par un juge
kenyan, Philippe WAKI, avait fourni avec son rapport, une liste de suspects au
Secrétaire général des Nations Unies qui l'a transmise le
9 juillet 2009, au Procureur de la Cour. M. OCAMPO a affirmé par
l'intermédiaire de son Bureau que cette liste n'était pas tenue
pour contraignante ; qu'elle reflétait les conclusions de la commission
et qu'elle serait soumise au même examen que les autres sources qui lui
parviennent40.
Le Procureur, seule structure investie du droit de poursuivre,
a donc une liberté totale pour
37 Lettre du Procureur M. MORENO OCAMPO au Président de
la Cour, M. KIRSCH. Lettre annexée à la Décision relative
à l'assignation de la situation en Ouganda à la Chambre
préliminaire II le 6 juillet 2004. Disponible sur
www.legal-tools.org
38 Déclaration du Procureur du 30 novembre 2011, «
Justice sera faite pour les victimes ivoiriennes de crimes commis à
grande échelle : M. GBAGBO est le premier à devoir rendre compte
de ses actes. Il ne sera pas le dernier. » sur
http://www.icc-cpi.int
39 A l'inverse, au tribunal militaire de NUREMBERG, 4
organisations avaient été déclarées criminelles et
le simple fait d'en faire partie constituait un crime (le NSDAP (le parti nazi)
; la S.S. ; le S.D. (Service de Sécurité) ; la Gestapo (Police
politique).
40 Une approche similaire avait été suivie
s'agissant de la situation au Darfour, la Commission internationale
d'enquête de l'Organisation des Nations Unies ayant adressé au
Procureur en avril 2005, une liste incluant les noms de 51 personnes ainsi que
les raisons pour lesquelles la Commission les soupçonnait de
s'être rendues coupables de crimes au Darfour.
27
apprécier quelles personnes il poursuivra, en tenant
compte en particulier de ce que la Cour est compétente pour juger les
plus hauts criminels.
Les réserves quant aux incidences de la voie
judiciaire sur les processus de paix
Cette critique opposée à la justice
pénale internationale se décline en réalité en deux
griefs. L'un est dirigé contre la justice pénale internationale
en général au motif que la voie judiciaire serait inopportune et
constituerait une forme d'ingérence dans le politique, les questions
dont elle est amenée à connaître étant strictement
politiques41. C'est ici le principe même de justice
pénale internationale qui est en cause. D'autres contestent moins le
principe que le moment où la justice pénale internationale tend
à être mise en oeuvre en raison des incidences que peuvent avoir
les décisions de justice sur des Etats en transition. Ce type d'argument
est facilement mobilisable lorsque le Procureur de la Cour pénale
internationale met en oeuvre son pouvoir discrétionnaire pour poursuivre
les auteurs de crimes qui viennent de se commettre dans des Etats entrant
à peine dans un processus de transition. Dans ces circonstances en
effet, l'intervention judiciaire est perçue comme étant de nature
à attiser les dissensions internes ; les décisions d'ouvrir une
enquête voire d'engager des poursuites, perçues comme
menaçantes pour la paix. Dans un article consacré « aux
enquêtes et à la latitude du Procureur de la Cour pénale
internationale42 », Arnaud POITEVIN cite la situation en
OUGANDA et plus particulièrement l'intervention d'une
délégation de chefs Acholi du Nord du pays ayant fait part au
Procureur de ses craintes quant aux conséquences pernicieuses d'une
décision d'enquête sur le cessez-le-feu alors en pourparlers.
L'actualité plus récente fournit également des exemples
similaires. Ainsi de la situation en COTE D'IVOIRE, le Front populaire ivoirien
(FPI), parti du président GBAGBO, ayant annoncé qu'il suspendait
sa participation à tout processus de réconciliation nationale par
suite du transfèrement de l'ancien président à la Cour
pénale internationale à LA HAYE.
L'examen des travaux préparatoires et des dispositions
statutaires montre que les Etats parties ont également craint les
possibles conséquences négatives de la mise en oeuvre de la voie
judiciaire sur les processus de paix puisqu'ils se sont réservés
la possibilité d'agir sur les
41 voir introduction
42 POITEVIN (A), « Cour pénale internationale :
les enquêtes et la latitude du Procureur », Droits fondamentaux,
n°4, janvier-décembre 2004. Voir aussi ALLEN (T), Trial
Justice: The International Criminal Court and the Lord's Resistance Army
(2006)
28
travaux du Procureur de la Cour dans de telles circonstances.
Le Statut permet en effet au Conseil, qui a la responsabilité principale
du maintien de la paix, de suspendre les enquêtes ou les poursuites
lorsqu'elles sont susceptibles de menacer la paix et/ou la
sécurité internationales43. Le Conseil de
sécurité n'a pas fait un usage efficace de cette
prérogative même si à deux reprises, en 2002 et en 2003, il
a adopté des résolutions préventives dans lesquelles il
demandait sur le fondement de l'article 16 du Statut de Rome, qu'aucune
enquête ou poursuite ne soit engagée à l'encontre de
personnels originaires d'un Etat non partie, qui aurait contribué
à une opération de maintien de la paix sur le territoire d'un
Etat partie.
Cette initiative, particulièrement contestable sur un
plan juridique dans la mesure où elle consistait pour le Conseil de
sécurité à se reconnaître la faculté de
suspendre préventivement les enquêtes et poursuites alors
même que l'article 16 s'applique à des situations pendantes devant
la Cour, n'a eu aucun effet et n'a pas été
renouvelée44.
Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la Cour
pénale internationale est incontestable tant dans sa décision
d'ouvrir ou non une enquête que dans la sélection des affaires et
des personnes poursuivies. La mise en oeuvre d'un tel pouvoir dans un domaine
où les questions judiciaires et politiques s'imbriquent, explique les
attentes et les craintes que cristallise le Procureur. Le Statut lui
confère en effet des prérogatives de nature à en faire une
institution essentielle dans l'approche des questions relatives à la
résolution des conflits les plus graves. Mais, le Procureur reste avant
tout une autorité judiciaire dont l'action est soumise au respect de la
règle de droit, en l'occurrence du Statut, lequel le contraint à
respecter des critères juridiques dans ses décisions sur l'action
répressive. Aux garanties internes au Bureau du Procureur de nature
à assurer du bon emploi du pouvoir discrétionnaire (A), s'ajoute
la soumission éventuelle de ce dernier au contrôle juridictionnel
(B).
43 L'article 16 du Statut de Rome intitulé «
sursis à enquêter ou à poursuivre » dispose que :
« aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être
engagées ni menées en vertu du présent Statut pendant les
douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de
sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une
résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des
Nations Unies ; la demande peut être renouvelée par le Conseil
dans les mêmes conditions ».
44 Résolution 1422 (2002) adoptée par le Conseil
de sécurité lors de sa 4772e séance, le 12
juin
2003
et Résolution 1487 (2003) adoptée par le Conseil
de sécurité lors de sa 4772e séance, le 12
juin
2003
29
IIème partie- Les contrôles et garanties
dans la mise en oeuvre du pouvoir discrétionnaire du Procureur
31
Dans ses décisions sur l'enquête et sur les
poursuites, le Procureur est notamment soumis, au respect des dispositions des
chapitres 2 et 5 du Statut de Rome. En interne, son Bureau doit s'assurer,
chaque fois qu'il est fait usage du pouvoir discrétionnaire, de la
juridicité de ses décisions et du respect des conditions
énoncées dans le Statut. Ce contrôle de
légalité effectué au sein même du Bureau
témoigne de ce que le Procureur est avant tout une autorité
judiciaire ce que confirment aussi les garanties statutaires qui s'attachent
à la fonction de Procureur de la Cour (A). En tout état de cause,
l'existence d'un contrôle judiciaire possible sur l'action
discrétionnaire du Procureur constitue une garantie
supplémentaire du bon emploi du pouvoir discrétionnaire (B).
A- Les garanties et contrôles internes au Bureau
du Procureur
Le Procureur de la Cour pénale internationale dispose
de garanties statutaires fortes inscrites à l'article 42 du Statut de
Rome afin d'éviter que ses décisions soient arbitraires et de
permettre donc, des décisions rendues de façon
indépendante et impartiale.
Ainsi, aucune autorité n'exerce de contrôle
direct sur le Bureau du Procureur de la Cour. La durée de son mandat, 9
ans, l'absence de possibilité d'être reconduit dans ses fonctions
au-delà de ce délai, sont de nature à accroître
l'efficacité de son action et le suivi d'une politique pénale
cohérente.
Le Procureur doit agir en toute indépendance et a pour
devoir d'être impartial sauf à s'exposer à la mise en
oeuvre de la procédure de récusation organisée par le
Statut. Le Procureur est mis à l'abri de poursuites inopportunes
même s'il doit être relevé qu'il peut en cas de manquement
aux devoirs de son état, être démis de ses fonctions par la
voie judiciaire conformément à l'article 46 du Statut.
Les contrôles effectués par le Bureau, sur le
respect des conditions de mise en oeuvre du pouvoir discrétionnaire
apportent également des garanties.
Avant d'envisager l'ouverture d'une enquête, le
Procureur doit conformément aux dispositions des articles 15 (3) et 53
(1) du Statut et 48 du Règlement de procédure et de preuve,
s'assurer qu'il résulte des renseignements fournis, une base raisonnable
laissant penser qu'un crime relevant de la compétence de la Cour a
été commis. Le Procureur a
32
l'obligation d'établir l'existence de cette base
raisonnable devant la Chambre préliminaire lorsqu'il est à
l'initiative de l'enquête ce qui implique qu'il s'assure de l'existence
d'une base raisonnable anticipe dès le stade de l'enquête.
Dans certains cas restrictifs où il n'envisage pas
d'initier une enquête bien qu'il a été sollicité en
ce sens par le Conseil de sécurité ou par un Etat partie sur
renvoi d'une situation, le Procureur peut être obligé de prouver
l'absence de base raisonnable pour suivre.
La notion de base raisonnable ne se limite pas à
l'appréciation d'éléments factuels. Elle renvoie
également à une appréciation juridique de la
compétence de la Cour et de la recevabilité de l'affaire.
Le Procureur doit s'assurer que la Cour pourrait être
compétente temporellement, matériellement, territorialement et
personnellement.
La compétence ratione temporis de la Cour
implique que le crime ait été commis après l'entrée
en vigueur du Statut, soit en général après le
1er juillet 2002 ou après l'entrée en vigueur du
Statut pour l'Etat partie lorsque celui-ci l'a ratifié
après45. En cas de renvoi par le Conseil de
sécurité, le Procureur ne peut ouvrir d'enquête que pour
les faits commis à partir de la date stipulée dans le
résolution. Pour ce qui concerne la situation en Libye par exemple,
seuls les faits postérieurs au 15 février 2011 entrent dans la
compétence temporelle de la Cour. Enfin, en cas de déclaration
déposée par un Etat partie en application de l'article 12-3 du
Statut de Rome46, la compétence temporelle s'apprécie
à la date indiquée dans cette déclaration. Ainsi
s'agissant de la situation en Côte d'Ivoire actuellement pendante devant
la Cour, le Procureur s'est fondé sur une déclaration
d'acceptation de compétence de la Cour du 18 avril 2003 par laquelle
l'Etat ivoirien a accepté pour une durée
indéterminée, la compétence de la Cour. Cette
déclaration ayant été confirmée par le
Président OUATTARA, le 14 décembre 2010.
45 Article 11 (2) du Statut
46 Aux termes de l'article 12 (3) du Statut : « si
l'acceptation de la compétence de la Cour par un Etat qui n'est pas
Partie au présent Statut est nécessaire aux fins du paragraphe 2,
cet Etat peut, par déclaration déposée auprès du
Greffier, consentir à ce que la Cour exerce sa compétence
à l'égard du crime dont il s'agit. L'Etat ayant accepté la
compétence de la Cour coopère avec celle-ci sans retard et sans
exception conformément au chapitre IX.
33
La compétence matérielle implique que les
renseignements examinés fassent ressortir l'existence d'un crime
relevant de la compétence de la Cour c'est-à-dire
conformément aux articles 5 et suivants du Statut, le crime de
génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et
le crime d'agression47.
Le contrôle effectué par le Bureau du Procureur
sur la compétence ratione loci48 de la Cour pour
connaître des faits pour lesquels il envisage de diligenter une
enquête consiste à s'assurer que le crime a été
commis sur le territoire d'un Etat partie ou dans un Etat non partie au Statut
qui a néanmoins consenti par déclaration à ce que la Cour
exerce sa compétence où encore dans n'importe quel Etat lorsqu'il
a été saisi par le Conseil de sécurité.
Quant à la compétence personnelle, elle suppose,
dans les cas notamment où les crimes ont été commis dans
un Etat non partie au Statut, que le crime ait été commis par le
ressortissant d'un Etat partie ou par n'importe quel ressortissant si le
Conseil de sécurité est à l'origine du renvoi de
l'affaire. Si le Procureur ne peut incontestablement ni enquêter ni
poursuivre les crimes commis sur le territoire d'Etats non parties par les
ressortissants d'Etats non parties, sauf saisine du Conseil de
sécurité des Nations Unies, la communication de son Bureau dans
de telles circonstances, est susceptible d'alerter l'opinion internationale et
de constituer une pression sur le Conseil de sécurité afin que ce
dernier renvoie le cas échéant, la situation au Procureur.
Ainsi que le rappelle le Procureur dans le Document de
politique générale relatif aux examens préliminaires
rendu public en octobre 2010, à travers le contrôle de la
caractérisation des critères de compétence c'est un cadre
objectif à l'intérieur duquel le Bureau peut mener ses
enquêtes qui se définit. Il s'agit de s'assurer que l'action du
Bureau du Procureur s'inscrive bien dans le respect du Statut et dans les
limites qu'il lui impose.
47 Le Statut ne définissait pas le crime et ne
prévoyait pas les conditions d'exercice par la Cour, de sa
compétence. Le 11 juin 2010, les États présents à
la Conférence de révision du Statut de Rome ont adopté par
consensus des amendements au Statut de Rome, notamment une définition du
crime d'agression. Désormais au terme de l'article 8 bis du Statut, le
crime d'agression s'entend de « la planification, la préparation,
le lancement ou l'exécution par une personne effectivement en mesure de
contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un État,
d'un acte d'agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur,
constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies ». Les
conditions d'entrée en vigueur adoptées à Kampala
prévoient que la Cour ne pourra exercer sa compétence à
l'égard du crime d'agression qu'à partir du 1er janvier 2017,
date à compter de laquelle les États parties devront prendre une
décision pour activer la compétence.
48 Articles 11 et 12 du Statut
34
Le contrôle de la recevabilité de l'affaire
implique de s'assurer que l'affaire pour laquelle une enquête est
envisagée satisfait aux conditions de l'article 17 du Statut,
c'est-à-dire qu'elle se concilie avec le principe de
complémentarité, essentiel dans le Statut de Rome, et avec
l'exigence d'un certain niveau de gravité de l'affaire.
Le Procureur doit s'assurer que l'affaire pour laquelle il
envisage une enquête n'a pas fait l'objet d'une enquête ou de
poursuites internes, la Cour étant complémentaire des
juridictions nationales. Deux cas de figure doivent être
envisagés, celui d'une enquête ou de poursuites en cours au sein
de l'Etat partie concerné d'une part, celui d'un enquête
terminée au sein de l'Etat partie concerné lorsque ce dernier a
décidé de ne pas poursuivre d'autre part. En principe dans ces
deux cas de figure, l'affaire est irrecevable. La Cour ne pouvant en
connaître, le Procureur ne devrait pas la solliciter pour ouvrir une
enquête. Cet article prévoit néanmoins des réserves
qui tiennent aux cas où un Etat n'aurait pas la capacité de faire
l'enquête, de poursuivre lui-même ou bien n'en aurait pas la
volonté49. Le Bureau du Procureur doit donc procéder
à un examen préliminaire de l'existence ou non d'enquêtes
et de poursuites dans les Etats parties concernés. En l'absence
d'enquête ou de poursuites sur les faits pour lesquels le Procureur
envisage d'initier une enquête, la recevabilité de sa
requête paraît acquise. En revanche, la tâche de son bureau
est moins évidente lorsqu'une enquête a effectivement
été faite par l'Etat partie concerné mais que celui-ci
n'entend pas engager de poursuites. L'examen porte alors sur la volonté
de l'Etat dans l'enquête ce qui implique d'apprécier le
comportement des autorités de poursuites internes. Le Statut est taisant
quant aux éléments de comparaison.
Le Procureur doit également s'assurer que les personnes
qu'il entend éventuellement poursuivre n'ont pas déjà
été jugées pour les mêmes faits et que l'affaire
présente un caractère suffisant de gravité. L'examen de ce
dernier critère constitue une obligation en vertu de l'article 17 (1d)
du Statut mais également du préambule puisque celui-ci affirme
que la Cour est instituée afin de sanctionner les crimes les plus graves
touchant l'ensemble de la communauté internationale et ainsi de lutter
contre leur impunité. Aucune disposition ne vient préciser la
consistance de ce critère mais le Bureau du Procureur a
précisé que dans son appréciation de la gravité, il
tenait compte d'aspects qualitatifs et quantitatifs et qu'il prenait
49 Ce principe tend à distinguer la Cour pénale
internationale des tribunaux pénaux internationaux qui avaient
primauté sur les juridictions pénales nationales et qui pouvaient
notamment demander le dessaisissement des juridictions à tout stade de
la procédure et pour toute affaire.
35
ainsi en considération, l'échelle, la nature, le
mode opératoire et l'impact des crimes. Dans sa demande d'autorisation
d'ouverture d'enquête s'agissant de la situation au Kenya, le Procureur a
évoqué au soutien de sa demande, le nombre estimé de
victimes, 1200, et leur nature, meurtres et violences sexuelles notamment. Dans
son document de politique générale relatif aux examens
préliminaires, le Bureau du Procureur invoque également le
critère de gravité pour justifier qu'il n'a pas envisagé
d'enquête s'agissant de la situation en Irak. Le Bureau affirme en effet
que les renseignements reçus ont établi l'existence d'une base
raisonnable permettant de croire que des crimes relevant de la
compétence de la Cour avaient été commis, à savoir
l'homicide intentionnel et le traitement inhumain. Toutefois, il indique qu'il
ressort de ces renseignements que les crimes commis l'ont été en
nombre limité, quatre à douze victimes estimées
d'homicides intentionnels et un nombre réduit de victimes de traitements
inhumains, à savoir, près de vingt personnes 50.
Le critère des intérêts de la justice est
au nombre de ceux qui ont donné lieu à critiques51. Si
le Procureur n'a pas à démontrer que l'enquête ou les
poursuites serviraient les intérêts de la justice ce qui lui
facilite la tâche dans sa décision d'ouvrir une enquête ou
de poursuivre, il peut par contre invoquer le fait que cette enquête ou
ces poursuites ne serviraient pas les intérêts de la justice, pour
refuser d'enquêter ou de poursuivre. Ainsi l'article 53-1 (C) dispose que
« s'il y a des raisons sérieuses de penser, compte tenu de la
gravité du crime et des intérêts des victimes, qu'une
enquête ne servirait pas les intérêts de la justice »,
le Procureur peut conclure qu'il n'y a pas de base raisonnable et donc ne pas
ouvrir d'enquête. Une décision similaire peut-être prise en
ce qui concerne les poursuites si conformément à l'article 53-2
(C), le Procureur estime que « poursuivre ne servirait pas les
intérêts de la justice, compte tenu de toutes les circonstances, y
compris la gravité du crime, les intérêts des victimes,
l'âge ou le handicap de l'auteur présumé et son rôle
dans le crime allégué ». Le Statut octroie au Procureur la
possibilité de refuser l'ouverture d'enquête ou l'engagement de
poursuites sur ce seul fondement. Aucune disposition statutaire ne vient en
fixer précisément le contenu ce qui interroge quant à
cette notion d'intérêts de la justice.
50 Le Bureau du Procureur précise que les
autorités internes ont engagé des procédures pour ces
faits bien que non concernées par le principe de
complémentarité en raison de l'insuffisante gravité des
crimes. V. le communiqué du Bureau du Procureur du 9 février 2006
intitulé « Réponse du Bureau du Procureur concernant les
communications reçues à propos de l'Irak ».
51 Aucune décision de refus d'enquête ou de
poursuites n'a pour le moment été fondée sur les
intérêts de la justice.
36
Les intérêts de la justice semblent autoriser
à « ne pas savoir » puisque le Procureur peut, en les
invoquant, refuser d'enquêter. Ils semblent également permettre et
ce alors même que des responsabilités individuelles auraient
été identifiées, que la Cour serait compétente et
l'affaire recevable, de ne pas poursuivre.
Telle que formulée dans les articles 53-1 (C) et 53-2
(C), la notion d'intérêts de la justice semble donc ouvrir la voie
à un possible « déni de justice ».
Malgré l'importance de ses effets, cette notion est
imprécise dans son contenu, imprécision qui l'expose à de
nombreuses interprétations possibles. D'aucuns défendent le fait
qu'elle pourrait permettre au Bureau du Procureur de laisser place à la
mise en oeuvre des formes alternatives de justice et notamment de formes
réparatrices.
D'autres ne la définissent pas positivement mais
concluent qu'elle n'est pas synonyme de bonne administration de la justice et
ne renvoie pas exclusivement aux droits de la défense ou aux conditions
du procès équitable52.
En tout état de cause, la notion
d'intérêts de la justice est distincte de celle
d'intérêts de la paix. Les intérêts de la paix dont
la sauvegarde relève essentiellement du Conseil de
sécurité de l'organisation des Nations Unies, ne sauraient
être mobilisés trop aisément par le Procureur pour refuser
d'enquêter ou de poursuivre ce d'autant plus que le Conseil dispose
déjà de la prérogative de suspendre les enquêtes ou
les poursuites pour ces mêmes motifs.
Une approche positive de la notion permet plutôt de
conclure que les intérêts de la justice, qui s'apprécient
toujours in concreto, incluent la gravité du crime et les
intérêts des victimes, même si la formulation
française est moins explicite que la formulation anglaise sur ce
52 Dans ses « réflexions sur la notion
d'intérêts de la justice au terme de l'article 53 du Statut de
Rome », la Fédération internationale des
droits de l'homme faisait valoir que cette notion est plusieurs fois
mobilisée dans le Statut et dans le Règlement de procédure
et de preuve faisant référence alternativement aux :
1- intérêts de l'institution judiciaire, au sens
d'une bonne administration de la justice.
2 - Droits de la défense, l'intérêt de la
justice est invoqué comme exception aux poursuites en cas de
violation de ces droits
3 - Procès équitables : l'exception est
justifiée par une règle du droit international des droits de
l'Homme ou, à défaut, en droit comparé.
37
point53.
Le critère de gravité du crime ayant
nécessairement été examiné au stade de la
recevabilité de l'affaire, il est peu probable que le Procureur examine
de manière autonome la caractérisation de ce critère dans
le cadre de l'examen sur les intérêts de la justice et surtout
qu'il apprécie cette notion différemment qu'au stade de l'examen
préliminaire.
La notion d'intérêts des victimes n'est pas non
plus précisée mais le Bureau du Procureur a tenté de
l'expliciter affirmant qu'elle renvoyait tout autant à leur
intérêt à voir la justice rendue qu'à celui de voir
leur protection assurée. Ce critère a été
particulièrement pris en compte par le Bureau du Procureur dans les
situations en OUGANDA et au Darfour, la vie même des victimes
étant en cause.
Le Statut précise les contours de la notion
d'intérêts de la justice lorsqu'elle est utilisée pour
refuser d'engager des poursuites. Dans ce cadre, des considérations
propres à la personne de l'auteur peuvent être prises en compte
notamment en ce qui concerne son âge ou son état de
santé.
Le Statut est sans ambiguïté sur le fait
que le recours aux intérêts de la justice se doit d'être
exceptionnel, le principe étant l'enquête et les poursuites
lorsque la compétence de la Cour est établie et que l'affaire est
recevable.
Le Procureur de la Cour pénale internationale voit donc
sa marge d'appréciation des situations considérablement
encadrée par le Statut. Conduit à s'assurer par
l'intermédiaire de son bureau de ce que les situations pour lesquelles
il envisage une enquête ou des poursuites satisfont aux conditions
juridiques requises, le Procureur peut par ailleurs voir ses décisions
soumises à un contrôle judiciaire.
53 Aux termes de la version anglaise de l'article 17 du Statut,
le Procureur doit déterminer si « taking into account the gravity
of the crime and the interests of the victims, there are
nonetheless substantial reasons to believe that an investigation
would not serve the interests of justice ».
38
B- Le contrôle judiciaire de l'action
discrétionnaire du Procureur
L'instauration d'un tel mécanisme a été
voulue par les Etats parties comme contrepartie au pouvoir d'initiative du
Procureur, afin notamment de garantir qu'aucune accusation ne soit
lancée sans motif valable, les craintes étant que le Procureur
soit soumis aux pressions politiques émanant notamment des organisations
non gouvernementales.
Certains Etats avaient d'ailleurs souhaité qu'un appel
puisse être interjeté à l'encontre des décisions
d'enquête et de poursuites du Procureur mais c'est finalement un
contrôle judiciaire a priori qui a été retenu. En effet, en
application de l'article 15 (3) du Statut : « s'il conclut qu'il y a une
base raisonnable pour ouvrir une enquête, le Procureur présente
à la Chambre préliminaire une demande d'autorisation en ce sens
accompagnée de tout élément justificatif recueilli ».
La Chambre préliminaire peut alors autoriser ou non l'ouverture d'une
enquête54.
La Chambre préliminaire est peu exigeante concernant
les éléments rapportés à ce stade par le Procureur
au soutien de sa demande proprio motu. Elle se borne à exiger
que ces éléments soient « complets » ou «
déterminants » compte tenu du stade procédural peu
avancé. Elle paraît effectuer un contrôle très
restreint précisant d'ailleurs qu'admettre à ce stade que les
éléments présentés par le Procureur constituent une
base raisonnable de penser qu'un crime relevant de la compétence de la
Cour a été commis, ne préjuge en rien de la suite.
Son appréciation est autonome. Et si dans sa
décision sur la situation au Kenya du 31 mars 2010, la chambre
préliminaire a jugé que la base raisonnable dont elle
était amenée à s'assurer de la
caractérisation55 recouvrait la même acception que
celle devant être prouvée par le Procureur56, elle a
précisé l'approche qu'il convenait d'avoir de certains
critères, complétant ainsi la lecture qu'en avait le Bureau du
Procureur.
Ainsi par exemple de la notion de gravité, la Chambre
jugeant dans la décision précitée que la gravité
des crimes peut être appréciée tant quantitativement que
qualitativement et que
54 Au sein du Tribunal pénal international pour l'ex-
Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda, le Bureau
du Procureur est un organe distinct du Tribunal mais toute mise en accusation
proposée doit être soumise à un juge pour approbation. Le
pouvoir discrétionnaire du Procureur d'entamer des poursuites devant ces
tribunaux est donc également tempéré par un contrôle
judiciaire.
55 article 15-4
56 Article 15-3 et 53-1
39
« sur le plan qualitatif, ce n'est pas le nombre de victimes
qui importe, mais plutôt l'existence de certains facteurs aggravants ou
qualitatifs liés à la commission des crimes qui font qu'ils sont
graves ».
De plus, la Chambre a circonscrit dans le temps, la
période pour laquelle elle autorisait le Procureur à
enquêter alors même que celui-ci était approximatif dans sa
demande se bornant à citer des évènements commis en 2007
et en 200857. Enfin la Cour n'a pas hésité à
préciser le champ matériel possible pour l'enquête,
à savoir, les seuls crimes contre l'humanité visés dans la
demande du Procureur58.
Le contrôle judiciaire s'exerce sur le pouvoir
discrétionnaire du Procureur d'ouvrir une enquête d'initiative
mais pas dans ce seul cas de figure. Ainsi, lorsque le Procureur décide
de ne pas ouvrir d'enquête ou de ne pas poursuivre et qu'il s'agit d'une
situation déférée par le Conseil de sécurité
ou par un Etat partie, le Conseil ou l'Etat partie peut saisir la Chambre
préliminaire afin qu'elle examine cette décision. La Chambre peut
éventuellement demander au Procureur de la reconsidérer.
La Chambre préliminaire peut également
contrôler d'office les décisions de ne pas enquêter ou de ne
pas poursuivre du Procureur prises sur le seul fondement des
intérêts de la justice ainsi qu'en dispose l'article 53-3 (b) du
Statut.
Dans la mise en oeuvre de sa marge d'appréciation, le
Procureur est donc incontestablement soumis au respect de la règle de
droit. L'enserrement de ses décisions dans des critères
étroits dont il assure l'application et dont il contribue avec la
Chambre préliminaire à fixer les contours, confirme qu'il est en
situation de pouvoir discrétionnaire et jamais d'arbitraire. En
l'état du nombre réduit de décisions judiciaires
l'autorisant à enquêter et en l'absence de décision
judiciaire relative à un refus du Procureur d'enquêter ou de
poursuivre, son pouvoir discrétionnaire n'apparaît pas
entamé. De l'intensité du contrôle judiciaire sur ses
décisions dépendra en effet, l'étendue de son pouvoir
discrétionnaire car ainsi que le formule le Professeur CHAPUS, « au
fur et à mesure que s'accroît le contrôle du juge,
l'opportunité
57 La Chambre a ainsi fixé une période comprise
entre le 1er juin 2005 date à laquelle le Statut est
entré en vigueur pour le Kenya et le 26 novembre 2009, date à
laquelle le Procureur a déposé sa demande d'autorisation à
la Cour.
58 Le Juge Hans-Peter KAUL a émis une opinion
dissidente considérant que la Chambre aurait dû
refuser
d'autoriser le Procureur à ouvrir une enquête. Le juge s'est
principalement fondé sur le fait que
les actes qui ont été commis sur le territoire
de la République du Kenya ne constituaient pas selon
lui, des crimes
contre l'humanité relevant de la compétence de la Cour.
s'échappe59 È.
40
59 In CHAPUS (R), op.cit p. 1058
41
CONCLUSION
42
Le Procureur de la Cour pénale internationale est l'un
des organes incontournables et fondamentaux de la Cour puisque son action
conditionne l'existence du procès international.
L'affirmation de cette institution et les prérogatives
qui lui sont conférées en matière de poursuites des crimes
les plus graves est sans nul doute, l'une des manifestations les plus
significatives de l'autonomisation du judiciaire dans l'ordre international.
L'analyse de la manière dont l'exercice des poursuites internationales a
été envisagé depuis la création des
premières juridictions répressives internationales montre en
effet une translation qui s'opère depuis les Etats, autrefois fortement
influents dans le choix des personnes poursuivies, vers le Procureur,
autorité judiciaire, dont l'indépendance et l'impartialité
sont garanties.
Les orientations affichées par le Bureau en termes
d'examens préliminaires et de poursuites constituent les
prémisses d'une véritable politique pénale internationale.
Elles viennent par ailleurs soutenir ce constat qu'émerge dans l'ordre
international, une autorité nouvelle aux prérogatives
conséquentes.
Mais les décisions du Procureur de la Cour
pénale internationale sur l'enquête et sur les poursuites sont
avant tout des décisions fondées en droit et en fait. Elles sont
discrétionnaires, donc jamais arbitraires et susceptibles par ailleurs
d'être l'objet d'un contrôle juridictionnel.
Les questions posées par les choix effectués par
son Bureau renvoient quant à elles à une interrogation
essentielle, celle de la consistance de l'acte de justice. La décision
d'initier une enquête comme la décision de poursuivre sont en
effet des actes judiciaires c'est-à-dire des actes rendus dans des
affaires particulières qui vont néanmoins exercer des effets
au-delà de ces affaires. Les décisions du Procureur de la Cour
pénale internationale ne sont pas politiques en ceci qu'elles ne sont
pas générales mais toujours prises à l'occasion de
l'examen d'affaires particulières. Ceci dit, elles se rapprochent des
décisions et délibérations politiques dans la propension
qu'elles ont à tirer vers l'exemple, vers le général dans
le but de dissuader la réitération des crimes les plus graves
touchant l'ensemble de la communauté internationale.
Ces décisions qui ont bien sûr des effets
politiques garantissent aussi incontestablement la primauté du droit
dans l'ordre international. Elles contribuent ce faisant à consolider
cet universalisme juridique qui est au principe même de l'idée de
justice pénale internationale car
pour juger ces crimes, « il faut une juridiction plus
élevée, des débats plus retentissants, une scène
plus grande 60».
43
60 Cité in GARAPON, Des crimes que l'on ne peut ni punir
ni pardonner (op cit)
44
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Hague Justice Portal : http://www.haguejusticeportal.net/
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