CHAPITRE II:
Aperçu général sur les conflits
armés en Afrique.
De toute l'histoire de l'humanité, à l'exemple
des guerres des philistins contre les israélites Il y a plus de deux
mille ans27, la guerre est considérée comme un moyen
de se positionner en leader mondial, de s'arroger le privilège de la
puissance.
Vu comme légitime voire positive, la guerre comme le
souligne Michael Howard : « avant 1914, la guerre était
presque universellement comme un moyen acceptable voire inévitable ou
même désirable de résoudre les différends
internationaux28 ; par cette réflexion, cet historien
militaire appuie la pensée d'Emmanuel Kant qui soutient qu' «une
paix prolongée favorise la prépondérance d'un esprit
purement marchand, dont découlent un égoïsme, une
lâcheté et un manque de visibilité dégradant et tend
à souiller la vertu de la nation », ou celle d'Ernest Renan
qui en 1871 déclarait que la guerre «[était] une des
conditions du progrès, le coup de fouet qui empêch[ait] un pays de
s'endormir, contraignant la médiocrité satisfaisante à
quitter son apathie.» 29
La légitimité de la guerre ne saurait perdurer
avec la première guerre mondiale qui a crée une attitude de
rétractation chez des analystes de la guerre, les politiciens
chevronnés qui de moins en moins, se vantent de la guerre comme moyen de
s'octroyer le statut de la puissance.
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27- Louis SECOND, Sainte Bible, guerre contre les
Philistins, 1 Samuel ch.13.v. 13 et SS.
29 - M. Howard, The causes of wars and other Essays, Cambridge
(MA), Harvard University Press, 1984 (2° éd.), p.9.
29- Jean Mueller, retreat from doomsday: the
obsolescence of Major War, New York, Basic Books, 1989, Chap.2
Arnold Toynbee a même qualifié cette volte face
de « fin d'une période de cinq mille ans durant laquelle, la
guerre avait été une des institutions centrales de
l'humanité »30. Cependant, ce changement d'attitude
n'a pas empêché le monde de glisser vers la guerre de 1939-1945. A
l'issue de ce conflit, les pays occidentaux vont se désengager de la
guerre comme moyen de régler les différends
internationaux31, comme le témoigne Michael Howard en 1991,
qu'il était devenu «possible que la guerre, au sens d'un conflit
majeur et organisé entre sociétés hautement
développées, ne se reproduise plus et qu'un ordre international
stable soit établi.»
2.1. Les traditionnels conflits armés de
l'Afrique, cristallisés par des facteurs coloniaux.
Comme toute société organisée, l'Afrique
d'antan vivait de ses traditions orales, où se déroulaient des
conflits héroïques. Dans ces groupes où le pouvoir
n'était pas centralisé, le conflit opposa des villages ou groupes
de villages lesquels s'affrontaient par saison, suivant des rites ou des
croyances religieuses, avec pour seul but de conquérir des espaces, les
pâtures ou imposer un mariage. Au delà des villages, les conflits
prenaient la forme d'une expression de pouvoir ; les frontières
jamais bien délimitées se sont transformées au fur et
à mesure, car un territoire dominé par un souverain se
définissait sous l'emprise de celui-ci sur ses dépendants.
L'espace s'élargissait au fur et à mesure que la population
s'accroissait ; la guerre était un moyen de s'affirmer et
d'exprimer sa supériorité, en contrôlant des axes
économiques, des espaces riches, à développer les
marchands..... Dans ces conflits, les règles visaient à garantir
la survie de la civilisation du peuple et de la tribu: les guerriers ne
s'attaquaient pas aux femmes et aux enfants, ne détruisaient pas les
récoltes et les arbres fruitiers, n'empoissonnaient ni eau, ne
détruisaient pas les lieux et édifices sacrés. Chaque
civilisation a formé des zones de refuge humain à
l'intérieur desquelles, certaines règles de solidarité
étaient établies et respectées au profit des personnes
vulnérables.
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30- E- Luard, war in International Society : a Study in
International Sociology, New Haven(CT), Yale University Press, 1986,
p.365.B.Bradie, War and Politics, New York, Macmillan, 1973,p.30 - A.J.
Toynbee, Experiences, New York, Oxford University Press, 1969,p.214. Pour une
analyse des raisons du changement d'attitude face à la guerre, voir
J.Mueller, the remmants of war, Ithaca(NY), Cornell University Press, 2004
chap.3.
31- Charte des Nations Unies - 26 juin 1945, ch.6, art.33
Platon ne l'a-t-il pas écrit : « Il
faut observer certaines limitations dans les guerres entre cités
grecques, mais que ces limites n'ont plus cours dans les guerres contre les
perses » ?
Évidemment, avec l'observation de ces
précautions dans les conflits traditionnels de l'Afrique le nombre des
morts était limité, l'environnement moins détruit, les
guerriers prenaient garde aux champs, aux ressources naturelles bref, à
tout ce qui avait trait à la vie des populations. Toutes les actions
armées si elles étaient mises en oeuvre, auraient mis en
péril la survie des communautés.
Dans la culture africaine, un ensemble de populations
placé sous l'emprise d'un chef guerrier n'est pas destiné
à la déportation vers l'extérieur. Cependant, la
pénétration des occidentaux vers le XVIème
siècle32 sur les côtes africaines, va entraîner
de nouvelles formes de conflits armés dits « guerre
esclavagiste ». Par le biais des comptoirs européens
installés sur les côtes, l'homme africain commence à
détruire tous les équilibres traditionnels de son
continent : abandon des activités rurales et artisanales,
développement du commerce d'esclavages. L'arme à feu devient le
moyen le plus indiqué pour quiconque désire maîtriser cette
source de revenu : l'esclavagisme.
A travers les transactions commerciales (celles de
l'esclavage) et diplomatiques, les armes à feu se propagent en Afrique
en général et, en Afrique de l'Ouest en particulier. Du
XVIIème au XIXème siècle, les populations locales sont
intéressées par les armes ; « l'ère du
fusil européen annonce par conséquent la fin de la
stabilité politique des sociétés africaines
traditionnelles qui n'en disposaient, mais pour s'en procurer, il fallait
fournir des captifs aux Européens ou leur donner des gages
solides....» 33
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32- Alain TIREFORT, Guerre et Paix en Afrique noire et
à Madagascar XIXème et XXème
siècles- Presse Universitaire de Nantes - 2ème semestre 2009
; p. 14
33- Sy YAYA, les légitimations de l'esclavage et
de la colonisation des nègres, L'Harmattan, Paris 2009, p. 14
à 18
Durant cette période, on dénombre 6000 à
7000 hommes africains transférés, 3000 fusils fournies par an par
Birmingham entre 1775 et 1800, toutes sortes de fusils étaient de la
partie : chassepot, gras, winchester américain, le sel
français, des produits autrichiens et britanniques....... Aussi, ce
commerce qui représente 4% des produits importés par les pays
africains, et placé au 4ème rang des produits identifiables,
demeure actif en Côte d'ivoire même au delà de l'acte de
Bruxelles de 1890, interdisant le commerce de fusils de tir rapide en
Afrique34.
Si les armes à feu ont cristallisé les conflits
en Afrique, la pression physique et la torture n'étant pas du reste.
L'institution des travaux forcés pour les cultures de rentes :
café, caoutchouc, sucre, coton etc...., assortie de la peine de fouet,
d'atteinte à l'intégrité physique et morale des
autochtones, privés de leurs droits de liberté sur leur propre
terre, sont autant des faits qui ont marqué le rapport colons -
autochtones.
L'administration locale a obligation de répondre
positivement à toutes demandes provenant de la hiérarchie, au
risque de se voir tomber sous le coup d'une peine de toutes natures. Les
soldats avaient pour seule mission d'obliger les populations à
travailler de jour comme de nuit, parcourant des villages pour faire
exécuter les travaux ; pour ce faire, Ils doivent utiliser leurs
armes pour obtenir de « bons résultats ». En fin de
journée ou au terme de la mission, les soldats doivent justifier l'usage
des cartouches par le nombre des mains droites qu'ils ont
prélévées35.
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34 - Hélène d'Almeida TOPOR, l'Afrique du
20è siècle à nos jours, Armand Colin, Paris, 2010,
382 p.
35- Roger CASEMENT, rapport de voyage dans le Haut Congo
(1903), enquête d'histoires africaines, 1985, p.48
- Jean FREMIGACCI, mise en valeur coloniale et travail
forcé : la construction du chemin de fer Tananarive-Antsirabe
(1911-1913), Omaly, Sy Anio, n°12, 1975, p.102-103
Pendant cette période, les mouvements sociaux, qu'ils
soient corporatifs ou revendicatifs ne trouvent leur réponse que dans la
violence, l'humiliation, la privation de liberté.36 Tous ces
poids ont contribué à la naissance de la haine et du ressentiment
qui se développent vis à vis du colon, réduisant
l'indigène au silence, silence de rancoeur. La
prolifération des armes à feu, la violation des droits humains
par le colonisateur démontrent que la violence et la colonisation sont
intimement liées. La colonisation n'étant pas faite dans la
douceur, ceux qui la subissent ne peuvent être que violents ; c'est
ce qui va caractériser l'Afrique du XIXème au
XXème siècle.
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