1-1-1-2 A l'origine de l'action publique face aux
risques majeurs, une politique de transition
Nous allons présenter un épisode
révélateur de la structuration de l'action publique pour faire
face aux risques majeurs. Cet épisode revient sur l'origine de
l'apparition de la notion de risques majeurs dans les politiques frangaises. La
description que nous allons en faire est tirée d'un article des
politologues Genevieve Decrop et Claude Gilbert, datant de 1992,
intitulé «L'usage des politiques de transition : le cas des
risques majeurs».5
En France, c'est en 1981 que les politiques s'emparent de la
notion de «risque majeur». Cela se traduit par la création
d'un commissariat à l'étude et à la prévention des
risques naturels majeurs par le président de la République
Francois Mitterrand au lendemain de son élection. Celui-ci nomme
à sa tête Haroun Tazieff, scientifique émérite, pare
de la volcanologie frangaise, et personnalité médiatique
reconnue. Cet acte semble ainsi indiquer de prime abord un «coup»
politique. Cependant, il s'accompagne par la suite d'une décennie de
structuration administrative ayant pour objet les risques naturels, ensuite
étendus aux risques technologiques, et à la gestion de crises
liée à ces risques.
Ce premier élan peut être défini comme une
«aventure» politique plutTMt qu'une véritable politique
publique telle que les chercheurs la définissent habituellement. En
effet, son émergence, sa configuration particuliere, sa morphologie
administrative et la quasiimpossibilité d'évaluer ses
résultats font de cette gestion des risques majeurs une politique
à la marge. Le premier chantier de l'équipe restreinte d'Haroun
Tazieff fat la réalisation de l'inventaire des risques naturels et de
leur cartographie. La loi du 13 juillet 19826, relative à
l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles donna à ce
programme toute sa légitimité.
Le décret du 10 avril 1984 transforme le commissariat
en une délégation directement rattachée au Premier
Ministre. Un budget et des locaux propres lui sont alors dédiés,
accompagnés par de nouvelles attributions : «participer
à l'elaboration des programmes d'utilisation des moyens de secours
nationaux en cas de catastrophes, qu'elle qu'en soit l'origine, de proposer les
mesures de coordination interministerielle necessaire» et
«de proposer au Premier Ministre les mesures necessaires à
l'information du public». Tous les éléments d'une
action publique globale de gestion des risques majeurs sont présents
dans ce texte. La loi du 22 juillet 1987 reprendra d'ailleurs l'ensemble de ces
éléments.
La vision globale de la gestion des risques majeurs n'est pas
sans générer des divergences au plus haut niveau de l'Etat, en
particulier avec le ministere de l'Industrie. Cependant, il est
également intéressant de souligner l'observation bienveillante du
ministere de l'Environnement qui voit, de par les catastrophes, ses themes
remis à l'ordre du jour. Ainsi, lors de la cohabitation de 1986, le
ministere de l'Environnement dirigé par Alain Carignon intégra le
secrétariat d'Etat aux risques majeurs. Avec l'intégration de
l'objet «risque majeur» dans le ministere de l'Environnement, le
rTMle central de Tazieff se
5 Genevieve Decrop et Claude Gilbert,
«L'usage des politiques de transition : le cas des risques
majeurs», In:Politiques et management public, vol. 11
n° 2, 1993. La modernisation de la gestion publique : les legons de
l'expérience - Actes du Cinquieme Colloque International Paris - 26/27
mars 1992 (Deuxieme partie). pp. 143-157.
6 Il est intéressant de noter qu'Haroun
Tazieff lui-même avait à l'époque critiqué cette
loi. Ses conséquences en termes de déresponsabilisation des
citoyens face aux risques naturels constituaient l'argument principal de cette
critique. Nous y reviendrons en 2-2-3
termine. Celui-ci tire alors un bilan pessimiste de son
passage au gouvernement : «On avait naguere créé (...)
un secrétariat d'Etat, mais on l'a fait trépasser alors qu'il
n'était qu'un bébé de deux ans à peine. On avait
créé une délégation aux risques majeurs, laquelle a
presque aussitTMt sombré dans la vanité, le gaspillage et
l'inefÞcacité d'une administration courtelinesque».
L'évaluation mitigée qu'il fait de son action peut
se traduire ainsi :
- il aura fallu dix ans de batailles de frontieres et de luttes
intestines pour faire entrer les risques majeurs dans la pratique
administrative.
- le rTMle de l'importation du concept de risques majeurs aura
surtout été médiatique.
Malgré ces critiques, le traitement politique de la
question des risques naturels et technologiques n'en reste pas là. La
notion de risques majeurs est consacrée par la loi du 22 juillet 1987
qui lui donne une légitimité juridique. L'architecture
administrative actuelle se dessine alors. Le ministere de l'Environnement, tres
impliqué dans la conception de ce texte, se charge de la mise en oeuvre
de ses grandes orientations : traduction des risques dans les documents
d'urbanisme, et information du public. En plus de la surveillance des
établissements classés (exercé depuis 1971 par le
ministere de l'Environnement via les DRIR7) est donc
conÞée la «surveillance» des élus locaux en
matiere de prévention des risques naturels. Pour leur part, le ministere
de l'Intérieur et la sécurité civile s'afÞrment dans
leur prérogative en matiere de gestion opérationnelle des
crises.
L'épisode Tazieff, suivi par le «phagocytage»
de la question des risques majeurs par le ministere de l'Environnement
constitue une séquence révélatrice de deux transitions
caractéristiques. La première est une tentative, presque
avortée, de construire une stratégie globale, au sens militaire
du terme, de la gouvernance des risques majeurs au sein des administrations.
Cette tentative peut être qualiÞée de «politique de
transition», qui a plus fait évoluer les esprits et la culture des
fonctionnaires qu'elle n'a véritablement changé le mode
d'administration des risques majeurs.
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