Quant s'envolent les grues couronnées et refrains sous le Sahel ou l'expression de la modernité poétique chez F. Pacéré Titinga( Télécharger le fichier original )par N'golo Aboudou SORO Unversité de Bouaké - Maà®trise 2003 |
Elle épousait Il est plus fortUn lion ! Que toi et moi réunis ! p.14. p. 20. Il S'agit ici, du père de Tibo (T.F. PACERE), Naba Guiegmdé, 29e Roi de Manéga dont les dévises sont : "le lion occupe la brousse, les hyènes doivent disparaître" ; " le lion s'est lancé dans sa course, il ne faut pas inciter les chiens chasseurs à sa poursuite"1(*)55. A partir de ces devises, l'on a pris l'habitude de le nommer par les termes "Lion" ou "Roi-lion". Quant aux termes "bubale" et "scorpion", ce sont des noms initiatiques du Roi-Lion, c'est-à-dire du père de notre poète, ainsi que nous l'avons montré lorsque nous analysions la fonction initiatique. Le terme "masque", aux pages 13, 16 de Quand s'envolent les grues couronnées , lui, désigne la mère de PACERE, celle qui l'enfanta. Suivons ces versets extraits du long poème : "sa mère Fut un masque importé" "Il n'eut pas de mère! Le masque Qui l'enfanta Ne l'éleva pas" En effet le terme "masque" est la traduction du prénom mossé de la mère de PACERE : Lao wango. La mère biologique du poète est du groupe des Mossé-Gnougnoussé, autochtones occupant le sol avant l'arrivé des Mossé-Nakomsé1(*)56. Ce groupe de mossé (les gnougnousés) est désigné par les termes, nuage ( qui se traduit Sawadogo), pluie, éclair, foudre, vent, tempête ou tout autre élément atmosphérique ou climatique. Ce sont eux qui s'occupent du culte dans la société actuelle des mossé. Ils sont donc les dépositaires des masques et des fétiches. Manéga, le village natal du poète est désigné par les termes suivants : "la vielle terre", "la terre de zida", "la grande termitière", aux pages 8,18,24,25, du long poème ( Quand s'envolent les grues couronnées ). "La terre de fétiche", nom initiatique de PACERE d'après ZADI ZAOUROU1(*)57, est un syntagme qu'on retrouve aux pages 12, 14,et 15. D'autres noms ou prénoms mossé participent de la poétisation du texte dans Quand s'envolent les grues couronnées. Ce sont "Pawelga" (celui qui n'a jamais séparé les hommes), page 13, Passawindé (il en reste chez le créateur) pages 11 et 15, "l'endurance", page 15. Les noms de localités, les Zabyouya, les Soanda, les noms initiatiques et les prénoms chargés de sens, participent également de la poétisation du texte de PACERE. Cette façon de poétiser empruntée à la tradition mossé que le poète a soumis aux règles de l'écriture et de la langue française, est d'ailleurs, ce qui fonde sa modernité. Mais les emprunts ne s'arrête pas là. Nous l'avons déjà dit, Quand s'envolent les grues couronnées, est la traduction d'une chanson funèbre mossé. 3 - Le Bounvaonlobo ou la chanson funèbre En effet, le thème de la mort est de loin, celui qui domine la poésie de PACERE. Que ce soit dans Refrains Sous le Sahel, Ça tire sous le Sahel (avec VOLTACIDÉ), Quand s'envolent les grues couronnées ou dans Poésie de griots, la poésie pacéréenne semble célébrer la mort. En effet, dans la culture mossé, comme d'ailleurs dans toutes les cultures africaines, la mort d'un parent est l'occasion de grandes cérémonies où l'on laisse exploser ses émotions, son affection pour celui qui rejoint "la belle vallée". Quand s'envolent les grues couronnées tient du bounvaonlobo qui est une chanson funèbre que PACERE a entendu pour la première fois à l'age de 4 ans à la mort de son oncle. Il l'entendra en 1954 (à 11ans ) à la mort de son père puis en 1973, aux funérailles de Timini, celle qui l'éleva, comme l'exigeait la coutume. Et c'est sur la tombe de cette dernière que le poème-fleuve fut enregistré1(*)58. C'est ce qui justifie ces versets: "Timini /Devant cette tombe / Fermée sur / Milles larmes / Et / Mille pensées, / Quelques fragments / Se succèdent /Et ne se complètent pas". Le "REPOS" dans Refrains sous le Sahel, tient également de cette logique du poète de faire de "la mort", son thème favori. celui qui lui permet d'extérioriser ses émotions nègres. A la manière de la poésie d'une "pleureuse", lors de funérailles en Afrique, le poème, le "REPOS", est un appel, une invitation à accepter la mort, "la tête haute", c'est à dire avec dignité, bravoure et honneur, parce que celui qui s'en est allé, fait désormais partie des guides spirituels de la tribu. Pour mieux saisir ce que nous venons de dire, suivons ces versets: "Tibo , / Ils t'appèleront! / Ils t'appèleront /... / Tibo, /Tu répondras à l'appel /... /La tête haute, / C'est ainsi qu'on quitte la terre de ses pères!" Pour le poète, la mort est un "repos" après un devoir bien accompli et une occasion pour changer de lieu. Ainsi qu'il l'exprime dans ces versets: "Tibo , / Ces chants du coq / Annoncent le repos des vieillards / Tu es venu / Tu as fait ton devoir / Change de chantier". A travers ce poème, nous sentons que pour le poète, la mort permet d'atteindre un univers initiatique et symbolique: "Tibo, On meurt pour être un guide, Tibo, On meurt pour être un flambeau". Ces versets, illustrent bien notre propos. Ils nous éclairent sur le rôle du défunt et, des ancêtres dans la société africaine traditionnelle. En effet celui qui quitte le monde des vivants devient un guide ou un flambeau pour ceux qu'il laisse derrière lui ( il s'agit bien des vivants). D'ailleurs chez les mossé ou même chez les africains les "morts ne sont pas morts"1(*)59. D'où le titre bounvaonlobo dont la traduction littérale est "l'envole de la grue couronnée"1(*)60. Autrement dit, l'homme ne meurt pas, il passe à une autre vie, comme "la grue couronnée" dont les mossé affirment avec PACERE n'avoir jamais vu de cadavre. En somme, la thématique dans notre corpus, tient de la poétisation du "référent culturel" mossé. Il en est d'ailleurs de même dans les autres textes poétiques de l'auteur. En procédant ainsi, le poète, revitalise les éléments de valeurs de sa culture en les adaptant aux exigences du progrès, du développement, devant la société à construire1(*)61. Abordons maintenant, les espaces et les temps qui sont évoqués dans les deux recueils du poète burkinabé. En effet, ces indices finissent de faire de notre corpus des textes poétiques emprunts de modernité. II - Les espaces et les temps évoqués par le poète. Dans les deux recueils, foisonnent plusieurs espaces et temps. Ce sont notamment l'Afrique et la France, la période coloniale et les indépendances, pour donner dans la généralité. Sans oublier le micro-espace que constitue l'école par rapport aux deux autres que nous avons déjà cités. 1- L'Afrique moderne En effet, à travers Manéga, le poète évoque l'hiatus entre l'Afrique traditionnelle et l'Afrique moderne. Dans ces versets, nous sentons que le poète se laisse aller au regret de l'Afrique antique. En effet, il semble pleurer cette Afrique où les maîtres-mots étaient : fraternité, solidarité, initiation. Suivons ces versets extraits de Quand s'envolent les grues couronnées : "Toutes les nuits, Nous apprenions ensemble L'histoire de la grandeur De la terre de Zida!" p.5 & p.8. "Et tous Fraternellement Construisirent la terre de Manéga!" p.6. Nous découvrons dans ces versets, une Afrique initiatique, unie, et fraternelle. Le poète nous la présente à travers le microcosme que constitue Manéga, son village natal. C'est cette Afrique fraternelle, solidaire et initiatique que le poète retrouvera en "feu" après son séjour en France dans le cadre de ses études. En effet à son retour de France, il découvre avec amertume que "le philosophe à la barbe de poussière, ne chante plus, ses refrains", que Manéga, n'a plus de maître initiateur. En lieu et place de celui-ci, nous avons des "pères missionnaires" qui apprennent à lire et à écrire à des enfants mal préparés à l'acquisition de l'alphabet occidental. Le ton satirique avec lequel le poète nous parle de l'école montre bien l'incongruité de celle-ci. Elle fut d'ailleurs l'instrument qui permit aux colons de réussir la destruction des fondements de l'Afrique ancienne. Cette critique acerbe de l'école occidentale se lit dans les versets qui suivent, extraits de Quand s'envolent les grues couronnées : "L'école / Est une vieille case / Jetée en son centre! /Quatre-vingt et un enfants / Y crient désespérément / Que B plus A égale Ti / Avent de retenir Que B plus A égale à BA!" "Jetée" ici exprime toute la violence qui a présidé à l'intrusions de l'école en Afrique. Les conséquences de cette violence sont incalculables. En effet, à la fin, nous débouchons sur un Manéga ou une Afrique où il n'y a "plus rien du passé", où "le tam-tam lourd des héraults" n'appelle plus les initiés "dans la forêt sacrée". Avec la colonisation, l'Afrique a vu partir en "flamme" ses croyances et toute son "oeuvre élaborée depuis près d'un millénaire et renforcée au cours de l'histoire"1(*)62. L'Afrique moderne, c'est également la tribalisation du débat politique qui débouche généralement sur des guerres fratricides, sur des ethnocides ou des génocides. Nous avons encore en mémoire le cas du Rwanda (1994) en Afrique australe. Le poète a d'ailleurs été victime de ce racisme entre frères de race en mille neuf cent soixante huit. Il en a été marqué au point où les versets: "C'était / En mille neuf cent soixante-huit!", sont distribués douze fois dans Quand s'envolent les grues couronnées. Aux pages 50 et 51 du recueil qui contient le poème unique, PACÉRÉ laisse exploser sa colère en ces termes: "Adieu! / Tous les frères nègres ethnocides!" Ainsi que nous pouvons le constater, PACERE Titinga stigmatise dans sa poésie le racisme et l'intolérance que le colon a légués aux africains à l'issue de la colonisation. Ce dernier ( le Blanc) s'est servi de ces tares et s'en sert encore pour subjuguer l'Afrique, pour la maintenir sous son hégémonie, en dressant les ethnies les unes contre les autres. C'est cela aussi l'Afrique moderne. Et le poète burkinabé a su la rendre dans ce néologisme "ethnocidés", formé des termes "ethnie" et "cidé". Ici "cidé" tient certainement du suffixe "cide" du latin "caedere" (qui signifie "tuer"). En écrivant "cidé" en lieu et place de "cide", le poète ironise à la manière du Rakiya. Il tourne en dérision ces "frères nègres ....../ qui prirent Tibo pour un moaga/ et le couvrir d'anathèmes!/ en mille neuf cent soixante-huit.". En effet, en mille neuf cent soixante-huit, suite aux événements en France1(*)63, PACERE, a été harcelé, pourchassé, puis arrêté dans sa chambre d'étudiant à Dakar. Il subira toutes sortes de tortures avant d'être interné successivement dans les camps de Mangin et de Archinard1(*)64. Suivons ces versets qui en disent long sur la souffrance et l'amertume du poète qui se trouvait face à des frères qui n'étaient plus des frères : "C'était / En mille neuf cent soixante-huit! / Il n'y avait / Sous le ciel sans nuages, / Que des frères retrouvés / Mais, / Perdus / Qui se suicident! / ... / Ils perdirent /Dans la mêlée / Cette fraternité / A la quelle aspirent / Les peuples qui n'ont pas retrouvé / Leur enfance!" Au-delà des événements malheureux de 1968, le poète fait allusion ici aux africains des nations modernes qui ont perdu "la fraternité", valeur cardinale de nos ancêtres. Nous avons déjà vu l'importance du symbole de la "Termitière" dans la société antique africaine. Ces versets donnent à voir le sens de la solidarité, de la fraternité, que cultivaient ces sociétés. Et c'est cette civilisation que le "fondement du présent a détruite ,"1(*)65faisant de nous des héritiers "exsangues", "des miséreux" qui ne font que crier "Wii ! " "Wii ! ", ... Comme nous le voyons, l'Afrique moderne apparaît dans la poésie paceréenne, dans toute sa laideur. PACÉRÉ qui affirme avoir "vécu le passé et le présent" , "la brousse et l'école",1(*)66 tente dans sa poésie "de défendre la culture africaine" avec son équilibre général ou stabilisme1(*)67. Outre l'Afrique, nous avons l'espace européen et particulièrement la France qui apparaît dans la poésie pacéréenne, ce qui insiste sur son caractère moderne par rapport à celle dont elle est le prolongement. C'est à dire la "poésie médiatisée" de la vieille terre de Zida ( Manéga) et partant de l'Afrique. 2- La France La terre des gaulois, apparaît dès la page 31 dans ces versets: "C'était En mille neuf cent soixante-huit! Lanjuinais Onze Rue Lanjuinais!" Nous sommes ici à Rennes, où le poète a débarqué pour la première fois en 1968, en France. C'était à la faveur d'une bourse du gouvernement qui le permettait de poursuivre ses études en métropole.1(*)68. Dans la suite du poème, toujours à la page 31, nous découvrons une France raciste. L'auteur pour dénoncer ce racisme, utilise le procédé du "rakiya" qui consiste à faire rire là où les larmes sont prêtes à couler, là où règne l'amertume. Ainsi il ironise en disant de lui-même: "Ton corps Salira tous les draps de France," L'ironie est rendue ici par "tous les draps de France". Cependant cette dérision, nous permet également de saisir toute la haine dont a souffert, et continue de souffrir, le Nègre. Le poète est profondément déçu par la réalité qu'il découvre : c'est ce qu'on peut lire dans ces versets : "Ton pays à pour beaux nous LA LIBERTE L'EGALITE LA FRATERNITE " p.32 & p.34 En mettant la devise de la France en grands caractères, à la suite des ces versets qui nous suggèrent avec forte insistance l'inégalité, le racisme et l'exclusion dont le Nègre est victime dans ce pays ( cette France qu'il a pourtant défendue), qu'on dit sien, le poète veut insister sur la méchanceté et la perfidie du Blanc. C'est d'ailleurs pour quoi il interpelle la jeunesse africaine à travers ce proverbe dans Ainsi on a assassiné tous les mossé1(*)69: "Quand le crâne du chien est en putréfaction, il n'en sent pas l'odeur, parce que son nez est situé hors du circuit. " En d'autres termes, PACÉRÉ met en garde les jeunes intellectuels qui trouveront intolérable son ouvrage parce que leur refusant le droit d'être gaulois. Au-delà du racisme aux pages 31, 32, 33, 34 et 35, le poète de Manéga dénonce les atrocités et les emprisonnements dont sont victimes les nègres. La France et toute l'Europe en sont les auteurs. Et cette image est perceptible dans ces séquences où Timini semble s'adresser à Tibo, son enfant. Cette image est partagée par tout le monde à tel point qu'une mère s'adresse à son enfant (Tibo) en ces termes: Quand tu reviendras Tu m'amèneras Du pays des blancs Un foulard rouge Tu m'amèneras .................... Un foulard de tête Il y a des oiseaux déçus Rouge! Des prisons Il y a dessus Fermés dans les nuits Des oiseaux pleureurs Noyées dans les sangs Sur du sang Rouge! p.39 & p. 40 C'est le souvenir Que par delà les eaux Des civilisations ont apporté A tes mères p.38 Dans ces versets, la France est mise au banc des accusés. Et les charges retenues contre elle sont: tortures, meurtres, emprisonnement. Un flash-back aux pages 31, 32, 33, 34 et 35 du poème fleuve de PACERE qui font état du racisme exacerbé dont le Nègre est l'objet en France, confirme notre analyse. En effet nous découvrons dans ces pages une France hostile au Noir. Elle ne s'embarrasse pas des droits d'un "ballafré" tel le maoga PACERE et partant de tout africain noir. Une telle civilisation où l'égalité, la fraternité et la liberté ne sont valables que lorsque le Nègre est absent, ne peut qu'expatrier en Afrique noire des hommes sans foi ni loi. C'est cela que le poète dénonce également dans ses textes poétiques. Aussi, dans le deuxième recueil, Refrains sous le Sahel, l'Occident et la France sont-ils évoqués. Le poème "Aux anciens combattus" nous parle des tirailleurs sénégalais morts sur les champs de batailles de Verdun, du Danube, de Sébastopol, du Monastir et dont les noms sont ignorés. C'est là une ingratitude et une méchanceté de la part de la France, envers tous les nègres dont le sang est versé pour sa liberté. Tous "ces tirailleurs improvisés" qui se sont sacrifié pour la libération de la France, sont méconnus. Cette injustice, le poète la stigmatise à travers tout le poème de la page 52, à la page 55: "Tirailleurs improvisés / Méconnus / Inconnus / Innommés / Mal nommés / Sans étiquettes /Travestis / Salis / Enterré ou ressuscités! / Tirailleurs sénégalais / Vous êtes morts, / Morts!" Dans ces versets nous sentons le mépris dont ont été l'objet tous ces africains qui ont combattu vaillamment auprès des occidentaux pendant les première et deuxième Guerres Mondiales pour libérer la France. Cette ingratitude de la France et le mépris qu'elle affiche à l'endroit des colonisés sont dénoncés dans le poème "LA DEUXIÈME GUERRE" aux pages 60 à 68. A ces pages, il est surtout question des retombés après la victoire des alliés en 1945. En effet l'histoire nous enseigne que l'URSS, la France, l'Angleterre et l'Amérique se sont attribués exclusivement la victoire sur le nazisme. Ils se sont donc largement servis, en se partageant l'Allemagne et ses colonies. Quant à l'Afrique personne ne s'en est occupée et même les promesses d'indépendances ont failli ne pas être tenues, n'eut été la vigilance de certains intellectuels africains d'alors. Encore que ces indépendances n'ont été que partielles tant dans la forme que dans le fond puisque nous dépendons toujours des anciennes métropoles aux plans économique, intellectuel, monétaire, politique, et même cultuel. En somme, la France et l'Occident, n'ont pas une image saine dans les textes poétiques de PACÉRÉ. Et il ne saurait en être autrement dans la mesure où ils sont à la base du déracinement de la jeunesse africaine avec leur politique coloniale qui s'était fixé pour objectif d'assimiler tous les Nègres à la civilisation occidentale tout en faisant une table rase de celle des indigènes.
Un poème, c'est avant tout ce qu'il suggère, en ce sens qu'il ne se borne pas à créer une simple émotion mais plutôt est porteur d'une signification profonde. C'est ce que semble soutenir Barthélemy KORTCHY qui a écrit que "l'oeuvre véhicule nécessairement une charge idéologique"1(*)70. Aussi cette conception de l'oeuvre est-elle énoncée par J.P. Makouta-Mboukou dans son ouvrage Les grands traits de la poésie Négro-Africaine, en ces termes: "un poème ne procure donc pas seulement un plaisir poétique, ni seulement un plaisir esthétique, mais aussi un plaisir éthique." En d'autres termes, un poème, au-delà de la forme matérielle, est porteur d'un message profond et qui constitue ce que J. P. Makouta-Mboukou appelle sa "quintessence", ou encore son sens "spirituel", "mystique".1(*)71 Pour saisir cette quintessence de la poésie "Paceréenne", nous allons donc nos atteler à faire du corpus choisi, une lecture au sens de la "lectio"1(*)72 du Moyen Âge. De cette "lectio", nous allons faire appel à la lecture anagogique qui "s'attachait à rechercher le sens spirituel, mystique, éthique des poèmes". En effet, nous nous attèlerons à faire ressortir le sens caché du corpus, c'est-à-dire la signification profonde des textes poétiques de PACERE. Ce sens caché, l'auteur lui-même n'en est probablement pas conscient ou s'il en est conscient, il n'en mesure pas forcement la porté. Pour atteindre notre objectif, nous allons procéder par étape. D'abord, nous dégagerons la signification immédiate ou explicite. Ensuite, nous verrons l'idéologie implicite ou ce qui constitue, la "quintessence" du corpus.
La première lecture du corpus nous donne une certaine impression. C'est cette lecture que l'on nommait certainement "lectura" au Moyen Age. Cette première lecture ou la "lectura" est superficielle. Elle ne retiendra pas notre attention à ce niveau de notre travail. Et cela parce qu'elle ne nous permettra pas d'avancer sur le sentier de notre initiation. En revanche, à ce stade de notre réflexion, nous ne pouvons que saisir "l'idéologie générale" du corpus. C'est-à-dire, le "prétexte" qui, comme le dit Guy Michaud, cité par J. P. Makouta-Mboukou1(*)73, donne au "poète l'occasion de s'exprimer afin de dire quelque chose de plus profond, de plus vital ..." Il s'agira pour nous dans ce chapitre d'une "lecture profonde" des textes. Notre visée ne sera pas de toucher à toute la "quintessence", du corpus, à cette étape de notre réflexion. Nous nous limiterons ici, au sens "mystique", "spirituel", accessible à un grand nombre de lecteurs. Cela signifie que nous allons faire des textes poétiques de PACERE, des lectures "allégorique" et "tropologique"1(*)74 qui ne sont que les premières étapes de la "lectio". La troisième et dernière étape étant la lecture "anagogique", c'est elle qui nous intéressera au chapitre suivant. En effet le prince de Manéga, nous le savons, est fortement enraciné dans sa culture, la culture mossé. Et il suffit d'être quelque peu pénétré de cette culture pour saisir la signification première qui nous intéresse ici. Elle est certainement celle que peuvent se faire des "fileuses"1(*)75 qui écoutent les tambours de Manéga. Elles en sont émues mais elles ne sont pas ébranlées: elles sont au stade de "l'utile"1(*)76. C'est à cette signification proche de l'instruction et indispensable à cette instruction que nous invite ce chapitre premier. * 155 YÉPRI Léon, op. cit., p. 9. * 156 Gnougoussé et Nakomsé sont des sous-groupes de l'ethnie Mossé. Ce sont des peuples originaires du Burkina Faso . Les Nakomsé s'occupaient de la politique, tandis que les Gnougnnoussé s'occupaient du culte des ancêtres ou de la terre. YEPRI Léon, op. cit., p.180. * 157 ZADI ZAOUROU, thèse d'Etat, p. 595. * 158 YEPRI Léon, op. cit. * 159 Birago Diop, "Souffles", in Anthologie de la Poésie nègre , Op.cit p. 144. * 160 ZADI Zaourou, Thèse d'Etat, p.588. * 161 YÉPRI Léon, op. cit., p.252. * 162 Dans son oeuvre, Ainsi on a assassiné tous les mossé, PACÉRÉ affirme: "je suis né à un moment où cette civilisation détruite, substituée par d'autres visions du monde, dans les grands centres connus de l'empire, était dans mon village de Manéga, encore en proie aux flammes." p. 15. * 163 En effet , en 1968, la France connue des troubles sociaux qui furent durement vécus et reprimés dans les milieux estudiantins en métropole et dans les colonies (à Dakar pour ce est de l'AOF). * 164 YÉPRI Léon, op. cit., p. 118. * 165 T. F. PACERE, Ainsi on a assassine tous les mossé , op . cit., p. 14. * 166 T. F. PACERE, id., p. 15. * 167 Le stabilisme pour PACERE, c'est l'équilibre général qui est la condition sine qua non du bonheur collectf. Ibid., p.22. * 168 YÉPRI Léon, op. cit. , pp. 120-121. * 169 T.F. PACERE, op. cit., p 15. * 170 Barthélémy KOTCHY, op. cit, p.65. * 171 J. P. Makouta-Mboukou, op. cit., p.170. * 172 Au Moyen age, selon J.P. Makouta-Mboukou, "une oeuvre pour être bien décodée exigeait plusieurs lectures successives". Et on accédait au sens littéral par la "lectura" (une lecture élémentaire), puis le sens profond se révélait après la "lectio" (lecture profonde) qui comprenait trois étapes: lecture allégorique, lecture tropologique et lecture anagogique. Op.cit p. 121. * 173 J. P. Makouta_Mboukou, op. cit., p.171. * 174 Au Moyen Age, la lecture allégorique "permettait de recenser les symboles, les images, les figures, en un mot tous les aspects matériels du texte". La lecture topologique, quant à elle "interprétait les symboles recensés pour leur faire correspondre des significations morales". J. P. Makouta-Mboukou, id., p.121. * 175 Ahmadou Ampaté-Bâ, op.cit, p.17 * 176 Ahmadou Ampaté-Bâ dit de son conte (Kaydara) qu'il est futile pour les bambins, utile pour les fileuses et instructeur pour les mentons velus et les talons rugueux. Op.cit, p.17 |
|