Conclusion
Christiania est un mouvement alternatif. Alternatif d'abord
dans le rapport qu'il impose face aux caractéristiques d'un espace
urbain traditionnel. Alternatif ensuite car comme son nom l'indique, l'objectif
avoué de Christiania a été d'essayer de construire une
alternative politique et économique au sein même du système
capitaliste bercé de sociale démocratie. La ville-libre
s'était en effet crée en réaction aux failles du `welfare
state' danois : le manque de logements, la prise en charge des exclus de
toutes sortes... Certains y ont alors vu l'opportunité d'une critique du
capitalisme et la possibilité de construire un réel espace
autogéré. Cependant, aujourd'hui si Christiania est devenu un
haut lieu de la culture et de la contre-culture à Copenhague,
l'activité politique y semble aujourd'hui assez faible. D'un espace
anti-institutionnel, Christiania s'est en quelque sorte transformée
jusqu'à aujourd'hui en une institution anti-bureaucratique, comblant les
limites du `welfare state' et finissant par opérer le travail des
travailleurs sociaux mieux que ceux-ci n'en étaient capables. La prise
en charge des « cas sociaux » par les Christianites s'est
en effet institutionnalisée, en prenant en charge par exemple les cures
de désintoxications des toxicomanes ou en collaborant avec les
autorités municipales ou étatiques dans différentes
circonstances. Cette institutionnalisation a désamorcé la
critique radicale du capitalisme. D'un message revendicatif, d'une
volonté d'établir une réelle société
alternative, il semble que le pragmatisme ait eu raison des ambitions des
premiers habitants du freetown pour laisser la place à un discours de
conservation : « laissez-nous vivre comme nous
l'entendons ». Tout le paradoxe de Christiania réside
finalement dans cette phrase de CATPOH : « Carl Madsen
[le premier avocat de Christiania que j'ai déjà
évoqué] était très conscient que Christiania
n'était pas une transformation radicale de la société,
mais il savait aussi que la commune libre représentait une aide pour
beaucoup, une façon de pouvoir vivre mieux dans une
société capitaliste ». La portée de la
promotion de ce mode de vie (l'autogestion, la prise de décision
par des outils de démocratie directe comme le consensus et le refus du
vote), est d'ailleurs très limitée par la « double
vie » de certains habitants : le fait d'avoir un travail
à l'extérieur, d'avoir en moyenne plus de voitures que les autres
habitants de la capitale danoise...
Outre le fait que Christiania soit utile au pouvoir dans la
gestion des cas sociaux et facilite aussi le contrôle du trafic de
drogues, il ne faut surtout pas négliger son impact touristique.
Étant la deuxième attraction touristique du Danemark après
le Parc de Tivoli, les Christianites et leurs soutiens ont su jouer de cette
popularité et en faire un moyen de pression sur le gouvernement. Les
autorités ayant dans un premier fermé les yeux sur l'occupation
de l'ancien terrain militaire (du fait du contexte politique, de l'absence de
plan pour cette zone vierge...), il leur a été chaque
année un peu plus difficile d'envisager une fermeture du freetown par la
force. La stratégie mise en place fut donc de reprendre progressivement
le contrôle en misant sur son institutionnalisation.
« Christiania se professionnalise dans l'exercice
de lui-même et bientôt le Christianite jouera au Christianite pour
satisfaire le client et deviendra une caricature de lui-même, version
old-school. Le modèle conceptuel vers lequel converge ce processus est
celui du parc à thème [...] il faudra un jour embaucher des
acteurs pour jouer aux hippies activistes, organiser des spectacles
folkloriques, etc.
Devenu actionnaires de leur propre ville-entreprise, les
christianites transmettront à leur enfants, non-résidents puisque
les habitations seront devenue chambre d'hôtel, un capital tout à
fait conséquent.
Devenue marque internationale, le merchandising ira bon train
et les campagnes de communication dans les magazines de voyage internationaux
seront là pour entretenir l'imaginaire de Christiania dans une fiction
toute capitaliste. Les actionnaires de la deuxième
génération n'auront pour repère que les souvenirs de
grand-père pour échafauder leur stratégie. Ils
n'hésiteront pas à utiliser les méthodes de l'imagineering
de Disney pour optimiser les performances... bienvenue à
HIPPIELAND...»
Raphaële Bidault-Waddington
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