Christiania : micro-société subversive ou "hippieland" ?( Télécharger le fichier original )par Félix Rainaud Université de Poitiers - Master 1 Sociologie 2012 |
4.1.4 Une institutionnalisation progressiveToute une série de circonstances ont contribué à une institutionnalisation progressive de Christiania. Petit à petit, elle s'est transformée d'un lieu de loisir, en lieu de vie, puis en lieu de travail, tout en étant chaque année un endroit de plus en plus touristique. Le simple fait que les Christianites aient du « acheter leur liberté », en achetant le terrain, est un signe de cette institutionnalisation. Bien que le site internet mis en place pour récolter les fonds via les `Action populaires' annonce que « l'accord et la construction d'un nouveau fonds veille à ce que le logement à Christiania échappe à la spéculation dans l'avenir »28(*), la réintroduction de la notion même de propriété, réintroduit de fait cet espace dans le marché de l'immobilier. En effet, les habitants de Christiania n'ont pas l'autorisation de vendre leur maison, ni le terrain, ni de faire quelconque opération qui leur rapporterai un profit selon l'accord passé avec le gouvernement. Néanmoins, en devenant propriétaire du lieu, de nouveaux problèmes se poseront pour les Christianites, en particulier en termes de responsabilité, ce qui donnera aux autorités de nouveaux moyens de pression. De plus, le système d'actionnariat privé, pour soutenir la campagne de récolte de fonds, même s'il est symbolique, demeure un des piliers du capitalisme et de l'économie de marché. Que les Christianites aient recours à un tel système est surprenant et montre, sinon la chute des idéaux contestataires du Freetown, son institutionnalisation croissante. L'institutionnalisation se manifeste aussi par exemple à travers le droit du travail que les Christianites avaient tenté de mettre en place : « Christiania a loyalement tenté de bâtir une économie non capitaliste [...] Il a semblé évident que dans les collectifs de travail tous étaient égaux et que la seule autorité ne pouvait être que le møde des collègues (medarbejdermøde). Mais ici le droit christianite a été pollué par le droit extérieur, depuis que nombre d'activités économiques christianites ont adopté les règles danoises en se déclarant aux autorités. (TRAIMOND 2000) ». Les Christianites avaient toutefois convenu d'un salaire horaire minimum pour leurs activités économiques, et celles qui n'étaient pas déclarées aux autorités continuaient à être régies par les règles Christianites (Ibid.). Une autre manifestation de cette institutionnalisation de Christiania vient de l'art : des artistes Christianites vont peu à peu être reconnus et invités à intégrer les réseaux institutionnels de l'art. Par exemple, en 1977, L'exposition christianite Kærlighet og Kaos (Love and Chaos) s'ouvre à Charlottenborg, centre d'exposition artistique situé sur la place royale. L'art Christianite, à l'origine espace contre-culturel, va désormais s'exposer dans des galeries hors de ses propres murs, en plein coeur de Copenhague, à côté de la résidence royale. Le marketing est un autre élément montrant l'institutionnalisation de Christiania. En effet, le logo imprimé sur les t-shirts, autocollants, etc...que l'on peut acheter à la boutique dès l'entrée dans le freetown, est un immense succès commercial. Cette commercialisation peut sembler paradoxale, dans un espace où les logiques du marché sont a priori atténuées voire suspendues, et qui se revendique anticonformiste et contre-culturel. Bien que les Christianites se défendent de céder à la tentation de la promotion commerciale, voir publicitaire, en en faisant dans le même temps un contre-discours de préservation, à travers le slogan `Bevar (Préserver) Christiania', ce merchandising « made in Christiania » participe au processus de récupération et d'intégration de l'espace « étiqueté contre-culturel » en transformant des signes contre-culturels « en objets de consommation standardisés », ce que Dick HEBDIGE appelle la « forme marchandise » de récupération (op. cité 98). * 28 http://www.christianiafolkeaktie.dk/christiania.php |
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