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UNIVERSITÉ DE POITIERS
DÉPARTEMENT DE SOCIOLOGIE
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Christiania : micro-société subversive ou
« hippieland » ?
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Mémoire de Master 1
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Par Félix Rainaud
Sous la direction de Laurent Willemez
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Septembre 2012
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Remerciements
Je tiens à remercier toutes celles et ceux qui m'ont
permis de réaliser ce mémoire :
Mon directeur Laurent Willemez qui m'a accordé toute
sa confiance,
Mes parents pour leurs relectures et leurs conseils
précieux,
Silvia pour sa patience et ses encouragements jusqu'aux
derniers instants,
Toutes les personnes rencontrées lors de mon Erasmus
à Copenhague,
Le réseau Sqek pour leurs généreux
conseils bibliographiques,
Jean-Manuel Traimond pour ses conseils
avisés,
Sans oublier toutes celles et ceux qui m'ont
accompagné de près ou de loin au cours de l'année
écoulée.
Table des matières
Introduction
5
Première partie : Cadre
théorique, hypothèse, méthodologie
8
1.1 Cadres théoriques
8
1.2 Problématique
13
1.3 Hypothèses
14
1.4 Méthodologie
15
Deuxième partie : Christiania
et le modèle danois
18
2.1 Eléments de contextualisation de l'histoire
politique contemporaine du Danemark
18
2.2 Approche historique de Christiania
24
2.3 Des relations avec les autorités danoises
28
2.3.1 Mise en place de l'action publique :
problématisation de Christiania
28
2.3.2 Un espace stigmatisé
31
2.3.3 De « l'expérimentation
sociale » à la « normalisation »
35
2.4 Christiania au parlement
39
Troisième partie : Un lieu
symbolique
44
3.1 Une « ville libre » au
coeur de la capitale
44
3.2 Vivre la ville autrement
48
3.3 « Une utopie comme les
autres »
50
3.4 Mobilisation, promotion et défense du
freetown
52
3.4.1 Répertoire d'action collective de la
mobilisation pour la défense de Christiania
53
3.4.2 Christiania dans les médias
58
Quatrième partie : Un espace
à double tranchant pour les autorités
60
4.1 Un espace subversif...
60
4.1.1 Un fonctionnement selon des principes
libertaires
61
4.1.2 De faibles manifestations politiques
64
4.1.3 De la subversion par la (contre-) culture
69
4.1.4 Une institutionnalisation progressive
73
4.2 ... qui représente néanmoins des
avantages pour le gouvernement
75
4.3 Le double défi de la mondialisation et de
la gentrification : un contexte international de mutation du paysage
urbain
77
Conclusion
84
Bibliographie
86
Annexes
93
Introduction
Christiania semble pouvoir être qualifiée de
zone autonome permanente, selon la définition d'Hakim Bey,
écrivain américain qui est principalement connu pour ses
théories des zones autonomes1(*). Auto-proclamée « ville
libre », le quartier de Christiania s'auto-organise selon des
principes de démocratie directe et offre un contraste saisissant avec le
reste de la ville, bien plus commun aux grandes villes traditionnelles.
Bien qu'il existe ou ait existé d'autres
expériences de « zones autonomes permanentes »
à travers le monde, Christiania parait toutefois atypique. A la
différence des villages autogérés du Chiapas et d'Oaxaca
au Mexique, fruits d'une lutte armée entamée par une partie de la
population qui s'est élevée face aux autorités,
Christiania a été conquis de manière pacifique, face
à la quasi-indifférence des autorités en 1971. Sa
particularité provient aussi de sa situation géographique :
en plein centre-ville d'une capitale européenne, à un
kilomètre à peine du parlement s'érige donc, une zone
auto-proclamée « ville libre »
(« freetown »), en opposition et en décalage total
avec l'image de la métropole. Les quarante ans de la « ville
libre de Christiania » (« Fristaden Christiania »
en danois) furent célébrés par une semaine entière
de festivités à partir du 26 septembre 2011.
Tout cela implique une série de
questionnement concernant les relations entre l'Etat, et les
différentes institutions compétentes, en résumé
« le pouvoir », et Christiania, ainsi que sur la
portée contestatrice d'une telle « ville libre »
après quarante ans d'existence.
Afin de saisir au plus près la réalité et
l'exposer ici, il m'a semblé intéressant d'essayer de rendre
compte de la vie, de l'organisation et du fonctionnement du freetown. Ses
relations avec le gouvernement et la police sont également des
éléments qui apportent des réponses sur les tensions et
les enjeux que Christiania représente. L'évolution du contexte
politique et social, phénomènes intimement liés, sont
aussi bien sûr des éléments clés qu'il faut situer.
Toutes ces pistes de compréhension sont aussi à remettre dans un
contexte de compétition mondiale entre grandes métropoles et le
phénomène de gentrification.
Enfin, et pour reprendre les termes de journalistes de
Libération, est-ce que d'un espace révolutionnaire, de
contestation sociale actif, Christiania n'est devenu qu'une
« respectable microsociété
alternative »2(*),
dépossédée de son caractère subversif ; et si
tel est le cas, qu'est ce qui a tué la subversion à
Christiania ?
La première partie de ce mémoire consiste en un
cadrage théorique m'ayant progressivement amené à
définir avec plus de précision une problématique. J'y
présenterai également les hypothèses de départ,
d'autres apparues durant mon travail sur le terrain, ainsi que la
méthodologie utilisée pour ce travail de recherche.
La deuxième partie quant à elle sera l'occasion
d'une analyse socio-historique : par une contextualisation du freetown
dans la société danoise dans un premier temps puis par une
approche socio-historique de la ville-libre en elle-même. Cette
deuxième partie présentera aussi les relations entre les
autorités et Christiania, dont notamment une analyse des discussions
à ce sujet au parlement danois.
Ensuite, la troisième partie sera consacrée
à la portée symbolique de Christiania : de par sa promotion
d'un modèle différent, son caractère utopique, et les
luttes et les moyens mis en oeuvre pour sa défense jusqu'à
aujourd'hui.
Enfin, la quatrième et dernière partie cherchera
à définir la place de cette ville-libre dans la capitale danoise,
pour ses habitants et pour les autorités, en posant notamment la
question de son supposé caractère subversif et les menaces qui
pèsent sur elle dans un avenir plus ou moins proche.
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Figure 1 « Noms des zones, routes, places et
bâtiments mentionnés dans le plan local. Carte
réalisée par la commune de Copenhague »
Première
partie : Cadre théorique, hypothèse, méthodologie
L'objectif de ce premier titre est de positionner ma recherche
dans les différents champs qui ont alimenté mon
appréhension du terrain, ma démarche et ma réflexion,
notamment des travaux de géographes, d'historiens, d'anthropologues, et
bien sûr de sociologues. Le freetown de Christiania a été
l'objet de nombreuses études et recherches, mais la plupart d'entre
elles sont malheureusement en danois et donc peu accessibles sans maitriser la
langue. Mon étude concerne la « vie politique » de
Christiania en tant qu'espace occupé illégalement. Je me suis
donc concentré sur les travaux focalisés sur la sociologie des
mouvements sociaux, la sociologie de l'action publique et des institutions, et
enfin la sociologie et la géographie urbaines. C'est dans ce cadre que
j'ai été amené à approfondir certaines notions ou
concepts comme le « mouvement squat », la
« contre-culture » ou encore le
« pouvoir ». J'exposerai enfin les hypothèses de
départ ainsi que la méthodologie mise en place lors du travail de
terrain, qui s'est déroulé durant près de dix mois
à Copenhague.
1.1 Cadres
théoriques
Dans l'introduction du livre « Space for Urban
Alternatives ? Christiania 1971-2011 », Håkan THÖRN,
Cathrin WASSHEDE et Thomas NILSON, indiquent que l'un des objectifs de ce livre
est d'analyser Christiania avec une approche historique « en se
focalisant sur la ville libre en tant que question sociale, qu'espace pour la
construction de cultures alternatives et un site pour les luttes politiques
urbaines » (THÖRN, 2011 : 33).
Les notions de « culture alternative »,
« culture underground »,
« contre-cutlure », « sous-culture »,
sont des termes qui ont leur définition propre dans les travaux des
`cultural studies'. Toutefois, ces notions sont relativement proches les unes
des autres en ayant en commun une opposition à une culture dominante. De
plus, ces expressions posent souvent des problèmes de traduction et
d'interprétation. C'est la raison pour laquelle j'utiliserai
indifféremment dans ce mémoire l'une ou l'autre de ces
expressions avec pour définition minimale : « ce qui
s'oppose à la culture dominante ».
La dimension des « luttes politiques »
à Christiania lui confère le caractère de mouvement
social. En effet, un mouvement social se définit par quatre
éléments principaux. D'abord par son caractère
politique, dans le sens où les mouvements sociaux vont occuper un
espace public, parfois chercher à interpeller les institutions, etc...
Il y a ensuite un critère d'intentionnalité. Un mouvement social
est avant tout une volonté d'agir, et une volonté d'agir-ensemble
intentionnel. Il y a en effet une dimension de collectif, d'ensemble
d'individus qui vont se concerter, se coordonner en faveur d'une revendication,
d'une cause...
Le « mouvement squat » est un mouvement
social urbain. Le squat peut être défini comme « l'action
d'occupation illégale d'un local en vue de son habitation ou de son
utilisation collective », « des actes illégaux
localisés permettant la réalisation immédiate de la
réclamation » (PÉCHU 2010 : 8-10). Dans ses
travaux, Florence Bouillon propose une division des squats en deux
catégories : d'une part des « « squats
d'habitation » auxquels les occupants attribuent pour fonction
première la résidence ou l'abri, et les « squats
d'activités », destinés d'abord à accueillir des
projets artistiques, culturels ou militants » (BOUILLON
2011 : 7). Toutefois, Florence Bouillon précise que
« cette typologie, comme toute catégorisation
idéal-typique présente une limite évidente : celle de
la mixité de nombreux squats, lieux d'activité et d'habitation
à la fois » (ibid.). Etablir une typologie des squats est
une chose importante car le terme de « squat » recouvre bien souvent
des réalités très différentes (AGUILERA 2011). Hans
PRUIJT (2011 : 4) a proposé une typologie des squats. Selon lui on peut
les distinguer selon cinq configurations : le squat de
privation, basé sur la non possession de logement (personnes
SDF ou qui n'ont pas d'autre option que de dormir dans des refuges pour
sans-abris), le squat comme une stratégie de logement
alternatif (basée sur l'activisme et l'expression d'une
contre-culture dont l'objectif est de créer des logements pour eux), le
squat entrepreneurial dont l'objectif est de monter des centres
sociaux et des `espaces libres', le squat de conservation qui cherche
à protéger un quartier, un bâtiment, un paysage, etc., et
enfin le squat politique dont l'objectif est de former un
contre-pouvoir face à l'Etat. Comme l'affirme Håkan THÖRN
(2012 : 7) ces cinq configurations se retrouvent simultanément
à Christiania. Cécile Péchu propose pour sa part une
typologie en termes de logiques, plutôt que les
configurations de Pruijt. Il y aurait d'une part des squats de logique
« classiste » (engagé dans un rapport de
négociation, ou exprimant la volonté d'interpeller les
autorités pour l'obtention de logements), et des squats de logique
« contre-culturelle » (affirmant un droit à
l'espace, le plus souvent un « droit à la ville »)
d'autre part. Toutefois une telle classification n'évite pas le
même écueil que celui de Florence Bouillon, à savoir que
des squats peuvent à la fois être le résultat
simultané des deux logiques.
La forme d'action collective « squat »
possède une histoire, différente dans chaque pays :
« quelques pays européens avaient une
« tradition » du squat, qui faisait l'objet d'une forme de
tolérance ; des solutions juridiques et administratives
étaient inventées pour permettre à des situations de se
stabiliser et de se pérenniser » (BOUILLON 2011 : 80).
Toutefois, de plus en plus, même dans les villes qui ont connu une longue
tradition de squat, celui-ci est criminalisé. La notion de
« territoire » a reçu de nombreuses
définitions de la part de la doctrine juridique et des juristes donnant
lieu à plusieurs théories. « Le droit n'a jamais
pensé le territoire que par rapport à l'Etat »
indique même Paul ALLIES (1980 : 19). De plus, la définition
wébérienne de l'Etat par le monopole de la violence
légitime doit s'entendre comme sa monopolisation dans un espace
donné. La répression du mouvement squat apparait comme naturelle
du point de vue du pouvoir, en tant que volonté d'affirmer ou reprendre
la main sur un territoire dissident. Comme je l'exposerai au fil de ce
mémoire, nous verrons que la répression et l'intégration
(par l'institutionnalisation) sont caractéristiques des relations entre
l'Etat et les mouvements urbains radicaux.
Les travaux de Michel Foucault sur le pouvoir permettent de
distinguer entre trois grandes « théories du
pouvoir » : la souveraineté, le pouvoir disciplinaire et
le bio-pouvoir. La souveraineté chez Foucault s'exerce sur un
territoire, au contraire de la discipline qui s'exerce quant à elle sur
le corps. Pour lui, la souveraineté correspond au « droit de
glaive », autrement dit, le droit de vie et de mort du souverain sur
ses sujets et la « forme juridique [propre] à un type
historique de société où le pouvoir s'exerçait
essentiellement comme instance de prélèvement, mécanisme
de soustraction, droit de s'approprier une part des richesses, extorsion de
produits, de biens, de services, de travail et de sang, imposée aux
sujets. Le pouvoir y était avant tout droit de prise : sur les choses,
le temps, les corps et finalement la vie ; il culminait dans le
privilège de s'en emparer pour la supprimer (FOUCAULT,
1976 : 178)». Michel Foucault observe ensuite que
« l'Occident a connu depuis l'âge classique une très
profonde transformation de ces mécanismes du pouvoir », et
qu'ainsi, « la vieille puissance de la mort où se symbolisait
le pouvoir souverain est maintenant recouverte soigneusement par
l'administration des corps et la gestion calculatrice de la vie (ibid.
184) ». Le pouvoir disciplinaire consiste, en bref, en l'ensemble des
techniques de contrôle des individus et de leurs corps pour augmenter
leur productivité. Quand la souveraineté se concentre sur
l'espace, la discipline se focalise sur le corps « son dressage, la
majoration de ses aptitudes, l'extorsion de ses forces, la croissance
parallèle de son utilité et de sa docilité, son
intégration à des systèmes de contrôle efficaces et
économiques, tout cela a été assuré par des
procédures de pouvoir qui caractérisent les disciplines :
anatomo-politique du corps humain » (ibid. 183). Il s'agit en cela
d'un levier important de l'émergence du capitalisme. Enfin, le
bio-pouvoir se concentre sur la population dans son ensemble, il est
« centré sur le corps-espèce, sur le corps
traversé par la mécanique du vivant et servant de support aux
processus biologiques : la prolifération, les naissances et la
mortalité, le niveau de santé, la durée de vie, la
longévité avec toutes les conditions qui peuvent les faire varier
; leur prise en charge s'opère par toute une série
d'interventions et de contrôles régulateurs : une bio-politique de
la population » (ibid. 183). Cette nouvelle théorie du pouvoir
qui s'intéresse à la population ne supprime pas la technique
disciplinaire. « Les gouvernements s'aperçoivent qu'ils n'ont
pas affaire simplement à des sujets, ni même à un «
peuple », mais à une « population » »
(ibid. 36), on assiste autrement dit à une matérialisation du
pouvoir. La mise en place des mesures statistiques afin de collecter des
données sur la `population' symbolise le bio-pouvoir qui vise ainsi
à minimiser les risques, les dangers, les crises, à traiter les
aléas de la vie de la population en s'appuyant d'abord sur la
connaissance de cette population. « Ce bio-pouvoir a
été, à n'en pas douter, un élément
indispensable au développement du capitalisme; celui-ci n'a pu
être assuré qu'au prix de l'insertion contrôlée des
corps dans l'appareil de production et moyennant un ajustement des
phénomènes de population aux processus économiques [...]
les rudiments d'anatomo- et de bio-politique ont opéré aussi
comme facteurs de ségrégation et de hiérarchisation
sociale, agissant sur les forces respectives des uns et des autres,
garantissant des rapports de domination et des effets d'hégémonie
; l'ajustement de l'accumulation des hommes sur celle du capital,
l'articulation de la croissance des groupes humains sur l'expansion des forces
productives et la répartition différentielle du profit, ont
été, pour une part, rendus possibles par l'exercice du
bio-pouvoir sous ses formes et avec ses procédés multiples.
L'investissement du corps vivant, sa valorisation et la gestion distributive de
ses forces ont été à ce moment-là
indispensables. » (ibid. 185). Le bio-pouvoir est un mécanisme
de domination du capitalisme car il entend le gouvernement d'une population en
de seuls termes économiques. Cela explique le recours fréquent
aux principes de « laissez-faire », et des libertés
individuelles. Toutefois, si dans un sens les gouvernements de pays
d'économie capitaliste et libérale cherchent à maximiser
la liberté de circulation des biens et des personnes, trop de
circulation peut au final être perçu comme une menace pour la
sécurité et l'ordre public. On retrouve ces deux aspects du
libéralisme dans le discours du premier ministre danois en 2004, M.
Rasmussen, membre du Parti Libéral (Venstre), auteur d'un livre
qu'Håkan Thörn décrit comme un « manifeste
néolibéral célébrant la liberté et
l'idée de « l'Etat minimal » ». M.
Rasmussen est l'initiateur du plan de normalisation de 2004, et, à une
question qui lui fut posée par le Parti Socialiste à propos de ce
plan, il répondit par une allocution de cinq minutes au cours de
laquelle il utilisa à douze reprises le mot
« liberté », mais aussi dix fois le mot
« loi(s) ». Autrement dit, ce discours peut être
résumé ainsi : « la liberté oui, mais dans
le respect de la loi ». Ce discours est imprégné par
l'idée sous-jacente qu'il faut qu'une normalisation de Christiania
s'opère, que cela passe par le recours au pouvoir disciplinaire
(répression) ou par le bio-pouvoir où le Freetown finira par se
normaliser de lui-même. Autre exemple de recours à ce type de
discours, à propos de manifestations en 2008 réclamant
l'ouverture d'une nouvelle « maison des jeunes »
(« Ungdomshuset ») expulsée en 2007 :
« Pia Allerslev, leader du Parti Libéral et adjointe à
la culture, consternée a alors déclaré "Il est absolument
regrettable que la mairie reprenne des négociations. Ils/elles [les
manifestants] ne dénoncent pas l'usage de la violence et ça
semble pourtant signifier qu'ils auraient gagné. Ceci est une insulte
à tous les citoyens obéissants à la loi qui font
pacifiquement la queue quand ils ont quelques chose à demander à
la mairie." »3(*).
Ces propos illustrent bien également l'idée, qu'il existerait
certes une liberté de revendiquer, mais que celle-ci doit se tenir dans
le cadre strict de la loi.
« Même si très peu de Christianites
font partis d'organisations anarchistes, une claire majorité d'entre eux
partagent les analyses anarchistes sur l'Etat, l'autorité ou le
travail » (TRAIMOND, 1994 : 137). L'objet de ce
mémoire n'est pas de m'interroger et débattre sur les
différents courants de pensées de l'anarchisme puisqu'il n'existe
pas une doctrine standard ni de comité central distribuant des cartes
d'adhésion à un mouvement anarchiste. Christiania revendique une
autonomie et un mode de fonctionnement libertaire qui nécessite un
éclairage et un cadrage sur tout ce que l'on associe à
l'anarchisme et à la notion d'autonomie (qu'il ne faut pas confondre
avec le « mouvement Autonome » comme le rappelait
Sébastien Shiffre dans son mémoire : « l'autonomie
[étant] cependant l'une des caractéristiques des
autonomes »). L'anarchisme signifie différentes choses pour
différentes personnes. Il existe cependant des principes de bases sur
lesquels la plupart des anarchistes s'accordent et que l'on peut retrouver
en application à Christiania : l'autonomie et l'horizontalité
(par des structures de prises de décision horizontales), l'aide
mutuelle, l'association volontaire, l'action directe... (GELDERLOOS,
2010 : 3). De là à dire que Christiania est une
réelle société anarchiste, Jean-Manuel Traimond,
lui-même ancien Christianite s'abstient prudemment de
répondre : « Christiania est-elle anarchiste ?
L'auteur prudent laisse au lecteur le soin d'en juger » (TRAIMOND,
1994 : 139).
Qu'elle soit ou non une société anarchiste, la
naissance de Christiania a été le fruit d'une convergence de
personnes impliquées certes dans le mouvement autonome et d'anarchistes,
mais aussi de babas-cool hippies, de « drop-outs », etc...
comme l'annonce la quatrième de couverture des « Récits
de Christiania » de Jean-Manuel Traimond :
« Dès 1971, anarchistes et théologiens, yogis et
trafiquants, militants communistes et alcooliques militants, clochards repentis
et clochards pratiquants, cas sociaux et clarinettistes, anthropologues et
fraiseur-tourneurs occupèrent une caserne de Copenhague, créant
le plus vaste squat d'Europe : Christiania. »
1.2
Problématique
Considérant les cadres théoriques que l'on vient
de voir, Christiania en tant que squat (espace occupé
illégalement) est un territoire dissident aux yeux du pouvoir. le
questionnement de ma recherche dans le cadre de mon M1 sera dès lors,
de comprendre comment et pourquoi, le pouvoir, qui d'après les
écrits de Michel Foucault exerce une surveillance et un contrôle
continu sur l'individu et le territoire, laisse-t-il perdurer un tel
espace ?
La question de savoir si le freetown de Christiania est bien
une micro-société anarchiste au coeur de Copenhague, bien qu'elle
présente un certain intérêt en particulier au sein du
mouvement libertaire par les débats auxquels elle donne lieu, celle-ci
n'est pas l'interrogation centrale de mon travail, tout en étant
cependant un problématique récurrente tout au long de ce
mémoire.
Des hypothèses envisagées avant mon terrain
sous-tendaient cette problématique, d'autres ont émergées
au cours du travail d'enquête, évoluant avec la
problématique.
1.3
Hypothèses
Le point de départ de ma réflexion fut d'abord
d'appréhender Christiania dans le contexte politique du Danemark. En
effet, en remarquant que le mouvement squat est criminalisé dans une
très grande majorité de pays occidentaux, l'hypothèse
principale était qu'il doit exister dans la société
danoise, des raisons structurelles expliquant qu'un espace
autogéré puisse subsister sur une telle surface, en plein coeur
de la capitale. Le célèbre modèle de société
danois doit donc probablement être une explication à cela. La
sociale-démocratie et le modèle de société
pacifiée offert par les médias lorsqu'il est question du
Danemark, bien qu'il ne s'agisse que d'une image de façade, est
probablement l'une de ces raisons structurelles en question.
En outre, il faut envisager que face aux menaces, la
résistance des habitants de Christiania, des activistes mais aussi de
simples habitants de Copenhague, a pu porter ses fruits et permettre à
la ville-libre d'être toujours sur pied. L'action collective, les
mouvements sociaux, auraient alors remporté leur bras de fer face aux
institutions en gagnant « l'opinion publique »,
contraignant les autorités à laisser vivre le freetown.
Il faut aussi examiner l'hypothèse que la ville et
l'Etat perçoivent aussi de leurs côtés des
bénéfices grâce à Christiania. Au-delà des
retombées économiques provoquées par l'attrait touristique
d'un tel phénomène dans la capitale, Christiania
représente aussi près de mille personnes pour lesquels les
autorités n'ont pas à fournir aucune prescription. De plus,
Christiania est un lieu de relégation de « cas
sociaux »4(*) qui
permet à l'Etat de faire l'économie de traitements psychiatriques
et alcooliques, de logements, etc.
Enfin, une dernière possibilité est à
prévoir, celle qui, en lien direct avec les travaux de Michel Foucault a
conduit l'Etat à choisir la voie de l'institutionnalisation et de la
normalisation de Christiania afin de contrôler son potentiel subversif,
plutôt que la répression brutale.
1.4
Méthodologie
La première raison m'ayant attirée vers cette
problématique est liée au fait d'avoir eu l'opportunité de
partir en programme d'échange Erasmus à Copenhague. J'ai ainsi
bénéficié d'une période relativement longue pour
mon terrain puisque j'ai habité Copenhague de fin août 2011
à juin 2012 (soit presque dix mois).
J'avais en grande partie choisi la capitale du Danemark pour
cette raison que l'on m'avait raconté l'existence de cette
« ville libre », en plein coeur de Copenhague :
Christiania. Des amis m'avaient alors présenté Christiania comme
une sorte de « village gaulois », un foyer de
résistances politiques et d'activisme, en plein coeur de Copenhague.
J'avais entendu parler de ce quartier peu de temps auparavant lors de la
conférence de Copenhague de 2009 sur le climat. De nombreuses
manifestations, organisées autour de Christiania, avaient alors eu lieu
afin de faire pression pour certains, ou simplement critiquer pour d'autres,
cette grande rencontre internationale. J'avais tout de suite été
très curieux de comprendre comment un tel lieu, squatté, pouvait
encore exister quarante ans après alors qu'en France, les
expériences militantes de squat sont (presque) toujours
éphémères et mortes-nées. C'est donc cette
curiosité qui a été la question motrice de ce
mémoire. Le travail de recherche effectué e veut
interdisciplinaire, c'est à dire un lieu de rencontre autour de la
ville, mêlant géographie, histoire, sociologie, urbanisme,
ethnographie, un peu à l'image des «urban studies»
anglo-saxonne.
Pour y répondre, la monographie a été la
méthodologie que j'ai souhaité employer. André AKOUN et
Pierre ANSART dans leur Dictionnaire de sociologie, coédité par
les éditions du Seuil et Le Robert en 1999, donnent comme
définition de la monographie en sciences sociales : «
l'étude d'un groupement social localisé (famille, village,
ville, région, atelier, entreprise) à partir d'une enquête
directe ».
Plus concrètement : « Par «
monographie », on entend, dans les domaines de l'anthropologie et de la
sociologie, la démarche d'étude d'un phénomène ou
d'une situation relatifs à une société
déterminée, impliquant une enquête de terrain et
l'observation directe (in situ) propices à reconstituer ce
phénomène ou cette situation dans sa totalité.
L'enquête de terrain désigne l'ensemble des interventions
pratiques du chercheur dans un milieu social donné destinées
à saisir empiriquement l'objet de son étude. L'enquête de
terrain est certes faite d'observations in situ mais elle ne s'y réduit
cependant pas puisqu'elle intègre, à divers titres, le recueil de
témoignages d'informateurs de terrain et la collecte et le
dépouillement d'archives, de journaux, de documents écrits de
toutes sortes. L'enquête de terrain, associée de pareille
façon à l'observation directe, nécessite un contact
immédiat et de longue durée avec le terrain impliqué dans
l'étude. (DUFOUR et al., 1991)».
Les conseils méthodologiques pour effectuer des
observations dans le cadre d'une enquête sociologique conseillent en
règle générale de procéder par étape. En
particulier, avant même que l'observation ne commence on recommande
à l'étudiant de préciser le choix de l'objet (syndicat,
pratique individuelle dans un lieu public...), le choix du terrain (lieux de
travail, comptoir de préfecture...), le mode d'observation qu'il va
retenir qui renvoie à la question de son statut d'observateur (à
découvert ou incognito, observation participante ou davantage en
retrait) (ARBORIO & FOURNIER, 2010 : 32). Pour mon travail de
mémoire, l'objet et le terrain se confondent : l'objet étant le
« freetown » de Christiania, le terrain étant défini de
lui-même par la surface du freetown. Il y a toutefois, comme on le verra
par la suite, une pluralité de terrains au sein même de
Christiania : zones d'habitation, zones à vocation plus culturelles,
zones à vocation commerciales...
L'observation participante a elle été
réalisée dans mon quotidien, à chacune de mes visites
à Christiania durant mon séjour à Copenhague, plus la
participation à des manifestations (anniversaire des quarante ans,
départ de manifestation du 1er mai...), au cours du temps
passé dans les cafés, pubs et aussi pour des visites touristiques
et des promenades ou déambulations sans but précis. La
méthodologie adoptée dans un premier fut l'observation libre et
non structurée. Puis, afin d'organiser mon observation des
différents lieux, je me suis aidé d'une grille d'observation que
je fais figurer en annexe. Les nombreuses visites sur le site dans des
contextes différents (ainsi que les plans et les différentes
publications) ont constitué les principales ressources de mon
travail.
Si comme l'affirme Bertrand GEAY « la technique de
l'entretien est longtemps restée la voie privilégiée de
l'enquête sur les pratiques militantes », il n'a pas
été aisé pour moi de prendre contact avec des habitants de
Christiania. En revanche, j'ai eu l'occasion de discuter de Christiania et de
ses aspects politiques au sein d'un groupe militant (par ailleurs totalement
extérieur au freetown) : Crisis Mirror5(*). J'ai pu grâce à ce
groupe avoir le point de vue d'activistes, tous comme moi extérieurs
à Christiania dans le sens où ils n'y habitaient pas. Au cours de
mon travail de terrain réalisé pendant les dix mois vécus
à Copenhague, mais en dehors de Christiania, j'ai tout de même pu
réaliser plusieurs entretiens (dont un de plus d'une heure avec un
Christianite a été enregistré, retranscrit et figure en
annexe).
La mesure statistique quant à elle, si elle est un
mode de « déconcertation des opinions premières », n'a
pas été utilisée pour des raisons d'ordre pratique.
D'abord il ne me paraissait pas pertinent d'essayer de collecter des
données parmi les visiteurs de Christiania, la plupart étant des
touristes. Cet exercice présentait aussi des difficultés
matérielles, autrement dit, imprimer un nombre considérable de
questionnaire, disposer des moyens et avoir le temps pour analyser et
retranscrire de telles données, le tout sans avoir l'assurance d'obtenir
des résultats significatifs. Enfin, les données statistiques
officielles ayant permis aux autorités de réaliser une
cartographie de Christiania avaient mobilisées dix fonctionnaires
pendant dix mois. Sans parler danois, et en étant aussi mobilisé
par les cours à l'université il m'était impossible de
réaliser un tel travail d'enquête. J'avais malgré cela
réalisé un questionnaire que j'avais envoyé sur internet
par l'intermédiaire du site « Couchsurfing » dont la
communauté se retrouve fréquemment à Christiania dans
l'espoir à la fois d'obtenir des témoignages de personnes
habitant Christiania, mais aussi de toucher une population relativement
hétéroclite en âge, opinions politiques, et dans leur
pratique de Christiania. Cependant, cette initiative fut un échec
puisque je n'ai pu collecter que six formulaires complétés.
Le matériel empirique collecté comprend donc
essentiellement des témoignages, des lectures sur l'objet
d'étude, le traitement d'articles de journaux, et de divers documents
écrits comme des articles militants, des brochures, des plans et des
cartes... mais aussi de vidéos, de photographies, le site internet de
Christiania, ainsi que d'autres sites internet réalisés par des
particuliers.
Deuxième
partie : Christiania et le modèle danois
2.1 Eléments de
contextualisation de l'histoire politique contemporaine du Danemark
Le Danemark est souvent présenté tant dans le
monde académique que politique ou médiatique, comme un
modèle : pour sa qualité de vie, son ouverture... autrement
dit, le Danemark serait l'archétype du modèle
socio-économique scandinave tant loué par certains. Cependant, la
question « qu'est-ce que le modèle socio-économique
scandinave ? » reste bien souvent sans réponse
convaincante. Des chercheurs ont ainsi tenté d'établir des
typologies de ce système socio-économique partagé par les
pays scandinaves (à savoir la Norvège, la Suède, la
Finlande, le Danemark mais aussi l'Islande). Toutefois, ce modèle
d'ouverture et l'exemplarité du système scandinave a sensiblement
été remis en question lors de la dernière décennie
et le modèle scandinave laisserait apparaitre un
« côté obscur »6(*).
Cet apriori positif concernant le système nordique est
le résultat de plusieurs facteurs. Tout d'abord, la santé
économique des pays scandinaves au cours des années 90
jusqu'à nos jours a contribué pour une large part à
construire cette représentation : le Danemark est aujourd'hui le
deuxième pays le plus riche de l'Union Européenne en terme de PIB
par habitant (derrière le Luxembourg) avec 59 928$ par an par
habitant7(*).
L'économie danoise est aujourd'hui structurée ainsi : 77%
pour le secteur tertiaire, 22% pour le secondaire et 1% pour le secteur
primaire. Ce qui est notable ici, c'est la disproportion entre le secteur
tertiaire de l'économie et les activités dédiées
à la pêche et à l'agriculture. Cela se reflète dans
l'organisation du travail, puisque entre les années 60 et 2010, les
emplois dans le secteur tertiaire ont presque doublés (passant de 40
à 77% de la masse salariale du pays) et « les trois plus
grands pôles d'emplois dans le secteur privé sont l'industrie
manufacturière, les services aux entreprises et les services financiers,
et le commerce/l'hôtellerie/restauration. Chacun de ces trois pôles
représente un quart de l'ensemble des emplois du secteur privé
(MADSEN et al 2011 : 228) ».
Dans le même temps le Danemark a profité de son
potentiel naturel en le transformant en un pôle économique
attractif dans le développement comme dans la production. Dans le
domaine de l'énergie, le Danemark dispose de ressource d'hydrocarbures
dans la mer du Nord, mais le Danemark a surtout beaucoup orienté sa
politique vers les énergies renouvelables : aujourd'hui, 27% de
l'électricité provient du solaire, de la biomasse, de la
géothermie, et de l'éolien, quand la moyenne des pays de l'Union
Européenne est de 18%. Le Danemark a su faire du domaine de
l'énergie renouvelable un domaine d'emploi et d'exportation et est
à ce titre l'un des pays les plus avancé en la matière en
Europe.
Autre élément emprunté au Danemark ayant
véhiculé une image positive du « modèle
scandinave » : l'accueil des migrants et des demandeurs d'asile.
Durant les années 70 et 80, le Danemark a accueilli de très
nombreux migrants, qu'il s'agisse de chercheurs d'emploi, européens ou
non, des réfugiés politiques, des demandeurs d'asile, etc. En
1980, 3% de la population danoise était des immigrés ou
descendants d'immigrés, alors que ce chiffre a été
porté en 2010 à 10% (les 2/3 de ces migrants viennent de pays
hors de l'Union Européenne dont le point commun est de connaitre ou
d'avoir connu la guerre : Turquie, Liban, Bosnie-Herzégovine,
Pakistan, Somalie et Iran). Néanmoins, sur ce point, l'image que
diffusait le Danemark a été considérablement
endommagée lors de la dernière décennie par le
gouvernement conservateur d'Anders Fogh Rasmussen qui travailla main dans la
main (entre 2001 et 2011) avec le parti d'extrême droite
« Dansk Folkeparti ». Ce gouvernement avait
considérablement diminué les droits des migrants, accru le
contrôle et restreint les conditions d'accueil des migrants (y compris
des demandeurs d'asile), allant même jusqu'à retirer le Danemark
des accords de Schengen pour réintroduire des contrôles à
la frontière terrestre avec l'Allemagne (mesure qui sera annulée
quelques mois plus tard, en Octobre 2011, peu après le retour des
Sociaux-démocrates au pouvoir). Le racisme est un facteur important dans
la société danoise comme le montre Margaretha Järvinen dans
son étude empirique sur les immigrants SDF à Copenhague.
« Les immigrants au Danemark - en particulier ceux des pays
non-occidentaux - sont souvent considérées à la fois comme
un problème économique et un problème culturel »
affirme-t-elle avant de reprendre une étude de Gaasholt et Togebi qui
avaient interrogé un échantillon représentatif de Danois
au sujet de leurs attitudes à l'égard des étrangers. Leur
conclusion était qu'il y a « un climat de peur et d'aversion
pour les immigrants et les cultures étrangères dans la population
danoise»8(*). Cette
étude est très intéressante et éclairante
puisqu'à travers les entretiens avec ces migrants SDF, Margaretha
Järvinen met en exergue deux traits très caractéristiques de
la société danoise : la discrimination, et le
problème du logement (JÄRVINEN 2003).
Le pilier principal du « modèle
danois » et qui en a fait sa réputation, plus encore que les
éléments précédents, est assurément le
« welfare state danois » qui se traduit par une forte
intervention de l'Etat. Cette intervention se reflète dans les taxes,
nombreuses et élevées, prélevées par l'Etat
à hauteur de 48,1% du PIB en 2009 quand la moyenne de l'Union
Européenne est de 38,4% du PIB. En retour, les politiques publiques ont
été orientées vers la santé publique,
l'éducation, le travail. Une autre caractéristique de cet
interventionnisme est bien visible en matière de promotion de la
parité hommes/femmes et des droits des femmes (à titre d'exemple,
le parlement danois, le Folketing, est composé de 40% de femmes).
Au-delà de la présence de femmes au parlement, qui relève
plus de l'anecdote que de l'affirmation de l'égalité
réelle entre les sexes, il existe un consensus général
pour dire que « la participation des femmes sur le marché du
travail dans les pays scandinaves a probablement été bien plus
loin que n'importe où ailleurs dans les pays
développés ». « En 1960, seulement 44% des
danoises avaient un travail en dehors de chez elles. En 1984, ce pourcentage
est passé à 74% (HOFF et ANDERSEN 1989 : 25) ».
Cette mise en contexte globale du Danemark permet de voir
pourquoi les chercheurs, politiciens et journalistes à travers l'Europe
ont porté (et portent encore) une si grande admiration pour les pays
scandinaves et en particulier le « modèle danois ».
Il faut d'ailleurs préciser tout de suite que l'utilisation de
l'expression « modèle scandinave » est un abus de
langage et ne correspond qu'à un idéaltype construit. S'il existe
certes des similitudes entre chacun des pays scandinaves, l'organisation des
politiques publiques et « l'interprétation de cet
idéaltype a été différent dans chaque Etat
scandinave [...] le welfare danois a été beaucoup plus
libéral que le suédois, plus orienté dans une voie
corporatiste (ABRAHAMSON 1999 : 54) ». Il existe bien des
caractéristiques générales partagées par les pays
scandinaves comme le fait que ces sociétés soient
présentées comme des « high trust
societies » « même si depuis quelques
années le niveau de la confiance dite verticale, celle qui porte sur les
institutions et les élites politiques, souffre d'un reflux certain
(HASTINGS 2006 : 388). » Dans cet article, Michel Hastings
montre surtout que la définition de cette idée d'un
« modèle scandinave » est culturelle et qu'elle est
construite par un ensemble représentations. Une longue tradition
d'ethnologues et d'explorateurs ont produit durant plusieurs siècles une
figure d'« Homo Scandinavicus » qui a émergé
et qui est encore présente aujourd'hui en toile de fond selon
Hastings : « le Viking dont on loue le caractère
démocratique des institutions d'assemblée (thing) et de
participation, le paysan, homme droit, simple et rude, petit
propriétaire libre, la femme au courage exemplaire, aux droits reconnus
et à la beauté fraîche, la famille royale et son ethos fait
de simplicité et de bonhomie, le prolétaire sage, respectueux et
travailleur (Ibid. : 380)». Cette « mythologisation
des sociétés nordiques » est en lien étroit et
conditionne en quelque sorte les représentations d'un
« modèle scandinave », réelle source
d'inspiration pour l'Europe et particulièrement en temps de crise
où le mythe d'un modèle scandinave providentiel et
préfabriqué est entretenu. Le portrait idyllique de la
performance économique et des conditions de vie du Danemark n'est
pourtant pas aussi simple, et la situation moins idyllique qu'il n'y parait.
Ainsi, le logement par exemple continue d'être un problème majeur
aujourd'hui à Copenhague, comme il l'était déjà en
1971 lors de l'ouverture de Christiania.
Le système danois repose sur une organisation
particulière des politiques sociales d'une part, axées autour de
la célèbre « flexicurité », et d'autre
part sur le « principe du consensus » qui
caractérise la nature de la démocratie danoise et le processus de
prise de décision politique. Ce principe de consensus veut que les
organisations patronales et les syndicats de salariés discutent
jusqu'à ce que qu'ils « arrivent à un compromis entre
leurs différents intérêts et présentent des
solutions conjointes au gouvernement (MADSEN et al. 2003 : 230).
Ainsi, « les années 1930, première décennie de
gouvernement social-démocrate, a vu le développement de cette
pratique d'intervention du système politique lors de
conflits » et, « depuis lors, les interventions du
système politique dans les conflits au sein du marché du travail
ont montré qu'il s'agissait plus de la règle que de l'exception
(ibid. 231). De plus, Esping-Andersen souligne également que
« les relations entre le Parti Social-démocrate et les
syndicats de salariés ont toujours été proches. Les
syndicats sont indispensables pour le financement des partis, et les partis ont
souvent été invoqués pour adopter une loi relative au
pouvoir de négociation des syndicats » (ESPING-ANDERSEN 1978:
44). Tout cela montre la vieille tradition d'articulation des conflits sociaux
relatifs au marché du travail, mais aussi la tradition politique au
Danemark basée sur la négociation, la discussion, le compromis et
le pragmatisme pour tendre vers le consensus. Cette volonté de
pacification des conflits sociaux explique en partie le fait que Christiania
puisse encore exister quarante ans après comme nous le verrons au fil de
ce mémoire.
Une autre explication de cette culture politique au Danemark
est intimement liée à l'histoire du Danemark, en particulier au
cours du 20ème siècle, le pragmatisme et la
modération s'expliquant partiellement par le paysage politique du
Danemark après la seconde guerre mondiale. La constitution de Juillet
1866 avait créé deux chambres législatives : le
Folketing (parlement élu) et le Landsting (à la fois élu
et nommé directement par le roi). La modification constitutionnelle de
1953 supprima le Landsting et laissa subsister uniquement le Folketing, faisant
ainsi du Danemark une monarchie constitutionnelle à régime
parlementaire unicaméral. Les pouvoirs du Folketing furent donc
étendus par cette nouvelle constitution : comme la
possibilité de voter des lois cédant des domaines de
souveraineté à des organisations internationales. Le
régime parlementaire unicaméral a encouragé et entretenu
un paysage politique multipartidaire et une culture du gouvernement de
coalition, et le consensus a souvent prévalu dans de nombreux domaines.
A titre d'exemple, on peut citer le Parti Radical qui a souvent
été amené à participer aux gouvernements
contraignant le Parti Social-Démocrate, leader du gouvernement la
plupart du temps entre 1929 et 1982 puis entre 1993 et 2001, à mener des
politiques très modérées. Les partis de droite, le Parti
Conservateur et le Parti Libéral, les « partis bourgeois
traditionnels » pour reprendre l'expression de Gosta Esping-Andersen
(1978), lorsqu'ils ont été dans l'opposition, ont souvent
trouvé des accords avec les partis de gauche et de la gauche
modérée membres de coalitions gouvernementales promouvant une
politique orientée vers la « collaboration de
classes ». Il ne faut pas entendre ici « collaboration de
classe » au sens « mussolinien » du terme
où toutes les classes devaient collaborer afin de maintenir la
hiérarchie sociale pour « le bien de la nation ».
Cette collaboration, ce compromis de classe est plus exactement le contrat
social de l'Etat moderne danois. Cet esprit de « collaboration de
classes » est symbolisé par le « Compromis de
Septembre » signé en 1899 : « les
caractéristiques fondamentalement libérales du modèle
danois ont prévalu depuis l'établissement du système de
négociation collective, avec la signature en 1899 du
« Compromis de Septembre » entre les deux syndicats de
salariés et du patronat nouvellement crées, L.O
(Landsorganisationen i Danmark [confédération syndicale danoise])
et D.A (Dansk Arbejdsgiverforening, [Confédération des employeurs
danois]) (MADSEN et al. 228) ». Ce contrat social prétend
abolir la pauvreté et les besoins tandis que le
« welfare » est garanti pour tous par un Etat providence
qui redistribue les profits de la croissance économique. En d'autres
termes, l'Etat social-démocrate fournit la stabilité et les
structures requises par l'économie capitaliste qui en retour fournit les
bases économiques du « welfare state ».
L'autre institution qui a fait la fascination, de la part du
monde politique en premier lieu, à travers l'Europe est l'organisation
des politiques sociales, à travers le concept de
« flexicurité » développé au cours des
dernières années. Elke Viebrock et Jochen Clasen ont fait
remarquer que « cette notion de `flexicurité' est une
expression à la mode dans les réformes du marché du
travail en Europe » mais qu'il n'en existe pas de définition
claire (VIEBROCK et al. 2009). Toutefois, « ce concept repose sur
l'hypothèse que la flexibilité et la sécurité ne
sont pas contradictoires mais complémentaires. [...] Il peut être
caractérisé de « troisième voie »
entre la flexibilité généralement attribuée au
marché du travail anglo-saxon et la sécurité rigoureuse
qui caractérise les pays d'Europe (du Sud) ». Alors en quoi
consiste cette flexicurité au Danemark ? « Le
modèle danois de la fléxicurité repose sur la combinaison
de trois éléments : un marché du travail flexible, un
soutien généreux aux personnes au chômage avec en
contrepartie un fort accent sur l'activation. Cette combinaison est
désormais connue comme le `triangle d'or' du marché du travail
danois. En un mot, ce modèle favorise une grande mobilité
professionnelle et géographique via une faible protection de l'emploi,
compensée par des prestations de chômage généreuses
et des politiques ambitieuses et actives pour le marché du travail
visant à l'amélioration des compétences et d'activation
pour les chômeurs (Ibid. 313) ». Ces politiques ont
été entreprises dans les années 90 par le premier ministre
social-démocrate Poul Nyrup Rasmussen. Le résultat avait
été une baisse significative et rapide du chômage de 12
à 6% et une augmentation du plein emploi de 6% (MADSEN 2003 : 100).
La raison de cet apparent succès des politiques de flexicurité
s'explique notamment par un contexte d'expansion économique favorable
dans le milieu des années 90, après la crise des années
80. Ce modèle Scandinave (ou plus exactement danois) est
présenté comme un exemple, en particulier en période de
crise : « Les réponses à la crise se trouveraient
donc dans des dispositifs originaux, exotiques dont il convient de louer non
seulement la performance mais aussi les effets induits sur l'ordre politique et
social en général. Les pays du Nord de l'Europe seraient donc
ainsi périodiquement conviés à jouer le rôle
d'inventeurs d'une équation magique (HASTINGS, 387) ».
Toutefois, ce modèle nordique apparait
« impossible » et même
« dangereux » à transposer toujours d'après
Hastings. En effet, les structures et les cultures existantes dans les pays
non-scandinaves ne peuvent à l'évidence pas subir de telles
transformations politiques et économiques, en particulier concernant la
dérégulation du marché du travail (il n'existe pas au
Danemark de code du travail par exemple, toutes les relations entre employeurs
et salariés sont gérées par des conventions collectives).
Le modèle scandinave ne s'impose donc pas comme une « formule
magique anti-crise », et les résistances dont il peut faire
l'objet dans les pays d'Europe continentale (bien que l'on puisse en regretter
le côté patriotique à l'instar de Michel Hastings) peuvent
apparaitre légitimes.
D'après Håkan Thörn, la violence politique
sous forme d'affrontement entre police et manifestants dans les pays
scandinaves est relativement faible comparée à une perspective
internationale. Ceci explique-t-il doit amener à faire une distinction
importante au sein de l'exercice du pouvoir disciplinaire (d'après la
typologie de Michel Foucault) entre des « mesures
coercitives » et des « mesures soft ». Il entend
par mesures coercitives le recours à la répression
policière, tandis que les mesures soft sont par exemple le dialogue, la
négociation, la coopération. La relative paix sociale et
l'absence de violence politique seraient expliquées par la culture du
consensus politique et la collaboration de classes qui s'est établi en
parallèle avec le développement du « modèle de
welfare scandinave ». Le Danemark, et Copenhague en particulier, ont
pourtant connu à plusieurs reprises dans l'histoire récente des
émeutes, parfois très violentes, comme lors de l'expulsion de
l'Ungdomshuset (maison des jeunes) qui avaient donné lieu à 6
jours d'émeutes dans la capitale danoise (BERTHO, 2010 ; NEGRI,
2008, Brochure « Ungdomshuset »).
Toutefois, il reste vrai qu'en promouvant un culture du
consensus donnant lieu à des pratiques de consultation, de
négociation et de dialogue, plutôt que de répression, le
modèle d'Etat providence danois a cherché à éviter
le recours à l'usage de « mesures coercitives », et
les sociaux-démocrates au pouvoir n'ont jamais exprimé le souhait
d'expulser manu-militari Christiania.
2.2 Approche
historique de Christiania
En 1971, l'armée danoise a fini d'abandonner ses
casernes situées à Christianshavn. 32 hectares de terrain (49 si
l'on compte la surface occupée par le lac), de bâtiments,
d'infrastructures diverses (hangars, écuries...) construits sur les
remparts ayant servi à défendre Copenhague contre la Suède
au 17ème siècle, sont laissés à
l'abandon. Dans la crainte d'un troisième grand conflit mondial,
l'industrie militaire trop cher à entretenir va alors être
déplacée et restructurée.
Au début des années 70, la remise en cause
globale de la société entraine certains à fuir la ville et
promouvoir un retour à la terre. Ce fut le cas par exemple avec les
communautés qui voient le jour dans le Sud de la France
(communautés dans le Larzac, Longo Maï en Haute-Provence, etc...)
ou aux Etats-Unis. Pour d'autres en revanche, la nouvelle société
émergera de la vie urbaine (que ce soit par défaut ou par
conviction), comme à Christiania.
Très vite des initiatives pour occuper l'espace
laissé libre par l'armée à Copenhague voient le jour, mais
sans succès. Jusqu'à ce que suite à l'appel d'un habitant,
Jacob Ludvigsen, intitulé « Émigrez avec le bus n° 8
» paru dans le journal alternatif `Hovedbladet', la communauté de
squatteurs et hippies parvint à s'établir durablement.
D'après CATPOH, « deux types de gens s'installèrent
dans les premiers mois : les « contre-cultureux », qui
cherchaient une nouvelle structure sociale, une base
d'expérimentation ; et puis ceux qui avaient besoin d'un logement
et n'en avaient pas. Il y avait ceux qui cherchaient un logement meilleur
marché, ceux qui pensaient que c'était un bon coin pour fumer,
ceux qui venaient s'installer simplement parce qu'ils aimaient cet endroit. A
ces derniers on pourrait rattacher un autre groupe : les ivrognes et les
clodos. Ils étaient plus âgés, étrangers pour
beaucoup (Finnois...). Ils venaient d'une école du quartier pour les
alcooliques. Puis de très jeunes mômes de la rue, trop jeunes pour
le « peace and love » et donc beaucoup plus
révoltés. Puis les Groenlandais, pour qui la vie au Danemark
n'est pas rose. Ils se sont tous retrouvés là »
(CATPOH 39). Ce tableau hétérogène de la population de
Christiania demeure vrai aujourd'hui (du moins pour ceux qui fréquentent
Christiania).
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Figure 2: "L'état social du Danemark" en 1977
d'après CATPOH
Ce fut alors le début de ce qui peut être
décrit aujourd'hui comme une partie intégrante du paysage urbain
de Copenhague : le Freetown de Christiania. L'histoire de Christiania
jusqu'à ce jour a été marqué par des séries
d'événements, de batailles et de luttes, internes comme externes.
Internes par exemple avec les tensions entre « pushers » et
« activistes » ; les batailles et les violences entre
gangs, `Hells Angels' contre `Bullshit' dans les
années 80. Cette guerre des gangs fera d'ailleurs plusieurs morts comme
en témoigne Jean-Manuel TRAIMOND (1994 : 38), jusqu'à ce
qu'ils soient expulsés par les christianites en 19879(*). Il ne s'agit là que
d'exemples des problèmes majeurs rencontrés par les christianites
depuis les quarante dernières années. Les menaces de fermeture
par les autorités ont également été un
élément clé dans l'histoire de Christiania, dont le statut
a évolué au gré des relations avec les autorités,
du statut « d'expérimentation sociale » à la
« normalisation ».
Le contexte politique du Danemark lors de la proclamation du
« freetown » a été un facteur important pour
permettre la création de Christiania et permet également de
mettre en lumière des éléments qui expliquent comment
Christiania a pu survivre jusqu'à aujourd'hui (THÖRN 2011). En
effet, lorsque les bâtiments de cette zone ont cessé leur usage
militaire à l'été 1971, le gouvernement ne disposait alors
d'aucun plan pour la reconversion de cet espace. De plus, au moment de la
proclamation du « freetown » le 26 septembre 1971, le
Danemark traversait une crise politique importante. Effectivement, lors des
élections nationales qui s'étaient tenues cinq jours plus
tôt, le parti de centre-droit et la coalition de gauche avaient chacun
obtenu 88 députés. Le Danemark étant une monarchie
parlementaire, les élections législatives désignent une
majorité au parlement qui se charge ensuite de choisir un Premier
ministre qui forme par la suite son gouvernement. Il faudra donc attendre le
décompte des voix des îles Féroé, le 10 octobre 1971
pour donner une majorité au Parti Social-Démocrate, soutenu
également par le Parti Socialiste. N'ayant plus de gouvernement
fonctionnel, la souveraineté de l'Etat était donc
« instable ». Ceci explique en grande partie la
non-réaction immédiate des autorités, que CATPOH explique
également par la focalisation des « notables » sur
l'intégration au Marché Commun. S'il n'y a pas eu à
proprement parler de vacance du pouvoir, la situation politique était
délicate : le Danemark a alors connu « trois semaines de
situation politique chaotique » d'après Håkan
Thörn.
Pour autant le nouveau gouvernement ne va pas tarder à
s'inquiéter de ce qu'il se passe à Christiania puisqu'en novembre
1971 des représentants du ministère de la défense, de la
justice, du logement, de la culture, de la mairie de Copenhague, et de la
police se réunissent. De cette réunion il ressort que tous
s'accordent sur l'impossibilité de « vider »
Christiania de ses habitants et empêcher ensuite le retour et
l'installation de nouveaux squatteurs. Ils s'accordent en revanche pour tendre
vers une « normalisation » des relations entre les
Christianites et l'Etat danois. De nouveau, deux ans plus tard, en 1973,
Christiania obtient de la part du gouvernement le statut
« d'expérimentation sociale », assurant sa survie
pour les trois années à venir.
Il a existé au Danemark un mouvement squat (mouvement
`BZ'10(*)) assez
important, revendicatif et contestataire proche du mouvement Autonome. Il est
apparu à Copenhague après la seconde guerre mondiale, comme dans
d'autres pays développés ou en développement, en deux
vagues : d'abord à la fin des années 60, début des
années 70 ; puis dans les années 80 partant des Pays-Bas, et
en particulier d'Amsterdam (MIKKELSEN & KARPANTSCHOF 2011 : 609) comme
le montre le graphique figurant en Figure 211(*). Le graphique
présenté en Figure 3 montre que le pic
d'activité de ce mouvement aura lieu en 1990, avec environ 65 actions
impliquant près de 11 000 personnes (soit une moyenne de 170
personnes par action). Celui-ci est moins actif aujourd'hui, principalement
à cause de la répression, des squats historiques ayant
été légalisés (les occupants ayant dû prendre
en charge le coût des travaux de remise aux normes en échange de
la concession d'occupation de la part de l'ancien propriétaire) ou
expulsés. Ces squats étaient pour la plupart issue d'une
filiation contre-culturelle anarcho-punk et « Do it
yourself ». A l'image de l'histoire de Christiania, l'histoire de ce
mouvement BZ a connu des épisodes plus ou moins violents qui trahissent
l'image d'un pays socialement pacifié (les deux événements
les plus marquants ayant sans doute été la « bataille
de Ryesgade » en 1986 et l'éviction de l'Ungdomshuset en
2007).

Figure 4 : Principales actions de squat au Danemark
de1946 à 2005
Source: Données recueillies par
Flemming Mikkelsen: `Collective action in Denmark 1946-2005'
Nombre de participants
Nombre d'actions

Figure 5 : Graphique représentant les actions du
mouvement 'BZ' et le nombre de participants.
2.3 Des relations avec
les autorités danoises
Si Christiania a connu de nombreuses barricades au cours de
son histoire, les relations entre le freetown et les autorités n'ont pas
été les mêmes que celles entretenues avec les autres squats
de Copenhague. Malgré sa stigmatisation par les autorités, les
Christianites semblent avoir été considérés comme
des interlocuteurs légitimes aux yeux du pouvoir. Cette impression
ressort particulièrement de l'étude des débats autour de
Christiania au parlement réalisée par Håkan Thörn.
2.3.1 Mise en place de l'action publique :
problématisation de Christiania
Le squat est en règle générale
constitué en problème public avant d'être la cible de
l'action publique. Malgré le caractère social-démocrate
dont la société danoise est imprégnée (avec tous
les principes de négociation, de consensus développés plus
tôt), et le contexte politique difficile lors des élections, les
institutions publiques ne tardent pas à s'inquiéter du freetown
et le problématiser. La mise en problème de Christiania a suivi
les mêmes occurrences que n'importe quel autre squat. On peut
établir une typologie de la mise en problème de Christiania en
suivant le travail d'Håkan Thörn dans « Space for
urban alternative ». Ce dernier y recense les problèmes
que Christiania a constitué pour les différents partis politiques
à travers leurs déclarations au parlement et en propose une
classification en s'appuyant sur les travaux de Michel Foucault sur le
pouvoir.
Dans un premier temps, Christiania a été
problématisé face à la souveraineté de l'Etat.
Cette problématisation s'est exprimée à travers le
discours de l'ancien premier ministre, M. Rasmussen, qui en 2003 voulait
« refaire régner la loi à Christiania » ou
dans les débats qui ont amené à la loi de 1989. Les
théories de Michel Foucault sur le pouvoir développées
plus haut permettent de comprendre en quoi Christiania pouvait
représenter un problème pour le pouvoir (sans en être
nécessairement une menace). Ainsi, Christiania a pu constituer un
problème en s'autoproclamant « ville libre » et en
développant un modèle de micro Etat indépendant et
autonome, au coeur de la capitale danoise, en étant ainsi un danger pour
la souveraineté de l'Etat danois. Christiania fut aussi perçu
comme un problème disciplinaire : la loi de l'Etat n'étant
pas respectée, ce problème se solutionnera au travers des mesures
« soft » comme l'accord de 1972, et au travers des mesures
« coercitives » comme les patrouilles de police
anti-émeutes dans Christiania dans les années 90.
Enfin, Christiania pouvait représenter un
problème face au bio-pouvoir : la population de Christiania
n'étant pas recensée et les autorités n'ayant pas les
données permettant de contrôler les risques et les dangers par
anticipation. La mesure bio-politique par essence qui a cherché à
introduire ce bio-pouvoir à Christiania fut le « plan de
normalisation ». Par définition, en cherchant à
« normaliser » l'espace, les autorités ont
cherché à introduire la bio-politique à Christiania.
Les mouvements sociaux occupent très souvent une place
importante dans la construction des problèmes publics. Dire qu'une cause
devient un problème public c'est dire qu'une cause peut devenir une
question susceptible d'être posée dans le système public,
c'est-à-dire susciter l'attention des autorités, et
nécessiter une solution. Un mouvement social peut ainsi devenir un
acteur majeur qui transforme une cause en problème public. Il y a alors
une mise sur agenda du problème public dû au mouvement social, qui
par son action oblige les différents acteurs à trouver des
solutions. En tant que mouvement social, Christiania vérifie cette
règle en confrontant les autorités à une réaction
face à plusieurs sujets de société : la consommation
et la vente de drogues, le logement, etc... Ainsi par exemple dans le
débat sur la drogue qui éclot dans la société
danoise à la fin des années 60, principalement autour de la
question du cannabis, Christiania, enclave hippie où la drogue occupe
une place importante, sera à la fois stigmatisé par l'image de
havre de la drogue qui lui sera accolée, mais le freetown sera aussi un
acteur majeur dans le débat qui occupe les autorités entre
légalisation, dépénalisation ou répression du
cannabis, au point d'aller jusqu'à organiser eux-mêmes les
traitements de désintoxication pour les consommateurs de drogues
dures.
Sur le cas particulier de la drogue, l'action publique n'a
évidemment pas attendu la naissance de Christiania pour se mettre en
marche. L'article de Lau Laursen sur la drogue dans la société
danoise et les solutions qu'ont voulu y apporter les autorités permet
très bien de re-contextualiser ce débat, et de voir comment
Christiania fut à la fois porteur d'un stigmate (« havre de la
drogue et de drogués »), et dans le même temps un acteur
du débat contre la criminalisation des « drogues
douces », en particulier le cannabis.
Lau Laursen nous apprend dans cet article que dès les
années 60, des politiques publiques sur la drogue sont
lancées : « l'usage de drogues illicites en tant que
phénomène social dans la société danoise moderne du
welfare industrialisé s'est développé au cours des
années 1960. Cela fut d'abord visible par la culture du cannabis, qui
était liée avec les éléments de la rébellion
de la jeunesse comme une protestation contre le mode de vie bourgeois, mais
bientôt le problème du cannabis fut institutionnalisé comme
un problème social dans la société danoise. Au
début, les autorités et le public regardaient le problème
du cannabis comme une question de contrôle social, et le
développement du contrôle des drogues et de l'action de la police
étaient les mesures que la société choisit d'utiliser. En
1969, la peine maximale pour détention illégale de drogue a
été élevée de deux ans d'emprisonnement pour passer
à six ans, alors que dans le même temps, les ressources pour les
activités antidrogues de la police ont été fortement
augmentées. [...] En 1975, la peine maximale fut de nouveau
relevée, cette fois à un emprisonnement maximal de dix
ans ». (LAURSEN 27)
Néanmoins, Christiania va avoir son rôle à
jouer dans la mise en place de l'action publique de lutte contre la drogue au
Danemark en soutenant par exemple une ligne radicalement libérale qui
fut reprise dans le débat politique. On peut ainsi voir en cela une
sorte de légitimation de Christiania. En reprenant à leur compte
le discours porté par les Christianites, les parlementaires
reconnaissent dans un sens non seulement une légitimité à
Christiania, mais aussi un pouvoir de proposition pour la
société : « Il y a eu plusieurs tentatives
[parlementaires] pour obtenir un soutien pour des mesures radicalement plus
libérales : les propositions pour
des expériences portant sur l'héroïne sur la ligne
du modèle suisse, l'installation de salles de santé permettant
aux toxicomanes de se faire des injections dans des conditions plus
hygiéniques et moins stressantes que dans les rues, la
libéralisation possible de la réglementation du cannabis
(comités parlementaires sur la santé et des affaires sociales
1998), et la décriminalisation de la possession de drogues pour sa
propre consommation. » (Ibid. 21).
2.3.2 Un espace stigmatisé
« Les effets de la stigmatisation territoriale se
font aussi sentir au niveau des politiques publiques. Dès lors qu'un
lieu est publiquement étiqueté comme une « zone de
non-droit » ou une « cité
hors-la-loi » et hors la norme, il est facile aux autorités de
justifier des mesures spéciales, dérogatoires au droit et aux
usages, qui peuvent avoir pour effet - sinon pour objectif - de
déstabiliser et de marginaliser plus encore leurs habitants, de les
soumettre au diktat du marché du travail dérégulé,
de les rendre invisibles, ou de les chasser d'un espace
convoité ».
(Loïc WACQUANT 2007 : 22)
La stigmatisation peut se définir comme l'exclusion
associée à un sentiment péjoratif, une connotation de
dévalorisation, au moins aux yeux du
« stigmatisateur ». Dans le cadre de Christiania, la
stigmatisation a été un instrument politique utilisé par
tous ses adversaires.
Autrement dit, une image négative du freetown a
été diffusée dans les médias et à travers
les discours des partis politiques afin d'arriver à atteindre un
objectif : sa fermeture. Un effet de la stigmatisation territoriale sur
Christiania a aussi été « d'exacerber les pratiques de
différenciation et de distanciation sociales internes qui contribuent
à diminuer la confiance interpersonnelle et à saper la
solidarité locale » (WACQUANT, 2007a : 188). En effet, en
imposant une pression constante sur Christiania (en particulier sur la question
de la drogue), les autorités ont ainsi cristalisé davantage les
tensions internes.
Pour continuer avec les théories de Loïc Wacquant,
Christiania a souffert de l'image d'être « consigné dans
un territoire clos, réservé et inférieur, lui-même
dévalorisé par son double statut de réserve raciale et
d'entrepôt pour les rebuts humains des couches les plus basses de la
société. » Le « statut de réserve
raciale » est cependant à nuancer puisque Loïc Wacquant
évoque en effet par-là « les Noirs du ghetto
américain qui souffrent de la conjugaison des
stigmatisations » qui n'est absolument pas comparable avec ce
qui peut exister à Christiania. Il existe toutefois une discrimination
importante des Inuits du Groenland dans la société danoise dont
certains ont trouvé refuge à Christiania.
« Le sens aigu de l'indignité sociale
qui enveloppe les quartiers de relégation ne peut être
atténué qu'en reportant le stigmate sur un autre diabolisé
et sans visage - les voisins du dessous, la famille immigrée qui habite
dans un immeuble mitoyen, les jeunes de l'autre côté de la rue
dont on dit qu'ils « se cament » ou qu'ils « font
du bizness » » (WACQUANT, 2007b : 21). Là
encore on peut observer que cette remarque de Loïc Wacquant s'est tout
à fait vérifiée à Christiania. Là où
la drogue circulait librement, celle-ci est un jour devenue un problème
qui n'a trouvé de solution que dans l'expulsion manu militari
des junkies lors de la `Junk Blockade' de 79. Le conflit de
génération et celui avec les pushers peut être mis dans cet
ensemble.
Christiania a donc été stigmatisé
concernant l'usage et la vente de drogue, qu'il s'agisse, dès les
premières heures, de toutes les sortes de drogues comme le LSD et
l'héroïne, jusqu'à la `Junk Blockade' de 1979, ou
plus récemment et encore aujourd'hui par rapport au trafic de haschich.
Christiania fut aussi accusé d'être la plaque tournante de
l'exportation de drogue vers la Suède, entrainant à plusieurs
reprises des tensions diplomatiques entre les pays voisins.
Afin de répondre à ce stigmate de
« havre de la drogue » accolé à l'image du
freetown, les christianites ont organisé des débats,
récurrents et ouverts, sur la place de la drogue dans la
société. Jean-Manuel Traimond rapporte l'arrivée de
l'héroïne dans le freetown (TRAIMOND 1994 : 121) ainsi que les
étapes des cures de désintoxication conséquentes. La
drogue a ainsi été combattue au sein même du freetown. Cela
est valable pour les drogues dures (avec l'épisode de la `Junk Blockade'
donc) mais aussi pour le trafic du haschich : « Dès le
début, il y avait cependant aussi des opinions partagées
concernant les drogues, qui séparaient les Christianites en
différents groupes. Le Christianite Børge Madsen affirme qu'un
énorme fossé s'était creusé entre militants et
pushers dès le début des années 1970, principalement sur
la question des bénéfices, mais le fossé devenait de plus
en plus net au cours des années 1980, lorsque le marché du
haschisch a commencé à devenir plus autonome » (NILSON
2011 : 210). De plus, « à l'un des premiers meetings
commun (qui gouverne Christiania) une résolution fut adoptée qui
statuait que Christiania `en tant que communauté alternative, ne pouvait
sous aucune condition autoriser le commerce de drogues. Evidemment, à
cette époque, la vente de drogue était devenue un problème
concernant Christiania tout entier. Selon un Christianite influent, Per
Løvetand Iversen, il y avait eu une hausse de vente de drogues à
Christiania, malgré les résolutions antérieures. Peu de
temps après que cette résolution fut prise, un article paru dans
le périodique de Christiania fit entendre des critiques sur le trafic de
drogue en cours à Christiania. Être un pusher à Christiania
ne devrait pas être possible, écrivait l'auteur, et
suggérait que tous les dealers (comme les utilisateurs de drogues dures)
devraient être expulsés » (Ibid. 209).
Il n'y a pas que les médias ou les discours politiques
qui ont alimenté la stigmatisation de Christiania. L'action de la police
y a aussi joué un rôle important en ramenant les junkies
arrêtés à Copenhague devant Christiania. On peut citer
à ce titre, cet épisode rapporté par Jean-Manuel Traimond,
très parlant et qui montre bien l'entreprise de stigmatisation de
Christiania : « Comme tout arrive, la police danoise eut un
jour un coup de génie : elle comprit comment faire d'une pierre
deux coups et se débarrasser des junkies de Copenhague tout en
détruisant Christiania. Jusque-là, seuls les plus
désespérés des junkies s'installaient à
Christiania. Un junkie rencontre déjà en ville tant de
difficultés qu'un lieu si rude qu'il faut y couper son bois pour se
chauffer n'a aucun charme pour lui. La police changea cela : elle offrit
l'impunité aux junkies arrêtés en possession de drogue en
échange de la promesse de s'installer à Christiania et de n'en
plus sortir. S'ils acceptaient, une voiture de patrouille les y emmenait
aussitôt. Avec le temps, la police ne demanda plus leur avis aux
junkies : elle les déposait dans Prinsessegade en les avertissant
qu'ils seraient coffrés si on les revoyait en ville. Je tiens ceci de
nombreux témoignages de junkies entendus pendant et avant le blocus, et
notés par des membres des organisations caritatives. L'idée,
brillante, faillit réussir.» (TRAIMOND, 1994 : 128).
La `Junk Blockade' fut certainement l'un des
évènements les plus marquants de l'histoire de Christiania
d'autant plus comme le fait remarquer Maria Hellstrom, citée par John
Jordan et Isabelle Frémeaux, que cet évènement
« frappa la communauté alternative en son point le plus
faible, c'est-à-dire la tentative de maintenir des règles et des
normes sans structures explicites de sanction ou de punition »
(FREMEAUX & JORDAN 274). Concrètement, les Christianites
décidèrent un jour de 1979 d'expulser les junkies et les
revendeurs de drogues dures du freetown. Pour ce faire, ils fermèrent
les accès à Christiania durant 40 jours afin d'imposer le
bannissement des drogues dures à Christiania. Le problème fut
réglé mais pour une courte durée seulement puisque le
trafic de drogues reprit sous le contrôle des gangs, en particulier de
Bullshit. Le problème des drogues dures fut définitivement
réglé à Christiania avec la dissolution de Bullshit en
1987. A la suite de cette dissolution de nouvelles règles furent
établies à Christiania : l'interdiction d'insignes montrant
une appartenance à un gang, pas de violence, pas d'armes et pas de
trafic de drogues dures.
La position des Christianites sur les drogues fut d'ailleurs
la même que celle des Blacks Panthers :
« Christiania's position on drugs is the same as that of the
Black Panther Party and the Metropolitan Indians: life drugs (marijuana,
hashish, mushrooms) should be cheap and legal while death drugs (speed,
cocaine, heroin) should be unavailable » (KATSIAFICAS,
2006 : 183). Ce « nettoyage » des drogues dures, leurs
vendeurs et leurs consommateurs, s'accompagnait en parallèle de
campagnes pour la légalisation des drogues douces, en particulier le
cannabis : « Le mouvement pour la légalisation du
cannabis à Christiania était centré autour de `Free Hash',
un groupe de personnes qui mirent publiquement en avant des arguments sur les
impacts positifs de fumer du hasch, et, finalement, cherchait à
légaliser le haschisch. Leur devise était: `Combattre les
stupéfiants - autoriser le haschich' » (NILSON, 211). Cette
entreprise de promotion du cannabis était donc, à travers le
discours portant sur la dépénalisation du haschich, un moyen de
sortir Christiania du stigmate de « fumeurs
délinquants ».
Un autre argument va servir la stigmatisation territoriale de
Christiania : l'argument sanitaire. En effet, les bâtiments
squattés étant d'anciens bâtiments militaires, non
destinés à être des habitations, ceux-ci ne disposaient ni
de toilettes, ni de douches. De plus, « entre l'abandon par
l'armée de la caserne en 1969 et l'arrivée des squatters en 1971,
débrouillards et artisans ont pillé la plomberie, les portes, les
baignoires, les cuvettes de WC, les circuits électriques, les
éviers » (TRAIMOND 2000). Avec la présence de nombreux
enfants, pour beaucoup orphelins, dans le freetown, cet argument sera repris
lors du premier débat sur Christiania au parlement comme nous le verrons
plus loin. Ainsi, bien que les Christianites aient dès le début
de leur occupation payé l'eau et l'électricité,
« il est à noter que même les gouvernements
conservateurs n'ont jamais coupé l'eau et l'électricité,
par peur des épidémies » (TRAIMOND 1994 : 103).
Enfin, dernier élément de la stigmatisation
territorial : l'insécurité, cristallisée par la
présence des gangs. Bullshit en particulier sembler faire régner
la peur, aux Christianites comme aux personnes extérieures :
« les Bullshit, certes, en rajoutaient : trafiquants d'armes,
racistes, structurés, formellement du moins, en grades militaires,
sillonnant Christiania de leurs Harley-Davidson malgré l'aversion
générale pour voitures et motos, porteurs de croix
gammées... » (Ibid. 40). D'ailleurs, comme on le verra plus
tard dans l'analyse des débats sur Christiania au parlement, la
stigmatisation de cet espace dans le débat de 2003 ne se fait plus par
le recours à des images ou des concepts de misère sociale,
sanitaire, etc... mais en l'associant à des bandes criminelles de
motards, de « blousons noirs »
(« rocker-kriminalitet ») et à la peur de citoyens
ordinaires pour leur sécurité personnelle en venant et en
emménageant dans le voisinage du « freetown ».
2.3.3 De « l'expérimentation
sociale » à la « normalisation »
La voie alternative, le contre-exemple de la
société consumériste, que Christiania voulait
représenter va être tolérée par les
autorités, avant d'être légitimée en étant
proclamée « expérimentation sociale » en 1973
par le gouvernement social-démocrate. Malgré les raids
réguliers de la police, en particulier dans les années 80, et les
débats qui se poursuivent au parlement et dans la société
danoise quant à l'avenir du freetown, Christiania sera presque
laissé tranquille pendant près de trente ans.
Dès 1972, le nouveau gouvernement difficilement
élu fut confronté à l'obligation de prendre une
décision. Le choix des autorités se limitait entre :
« une solution violente avec une intervention policière ou une
approche délibérative ; cette dernière fut
préférée » (KARPANTSCHOF, 2011 : 43). Le
ministère de la défense (propriétaire du lieu) tendit la
main à Christiania en exprimant son désir de normaliser ou
légitimiser les conditions d'existence de Christiania. Plusieurs
facteurs expliquent cette prise de position : le tableau reproduit en
Figure 6 montre que les autorités danoises devaient
faire face à une inflation des actions de squat qui les occupaient
déjà sur plusieurs fronts. De plus, le gouvernement n'avait aucun
plan officiel pour l'utilisation future des lieux et ne pouvait donc pas
justifier une expulsion d'une telle ampleur sans projet crédible. Le 31
mai 1972 le premier traité entre Christiania et l'Etat danois fut
signé. Ce protocole d'accord était une convention minimale, qui
ne réglait pas des questions telles que les rapports avec la police.
Toutefois, en dix points, il réglait la question du financement de l'eau
et de l'électricité. Un groupe de contact avec les Christianites
fut aussi mis en place. A l'époque déjà
« Christiania s'est organisé en 9 ou 10 quartiers
indépendants ayant leur propre autonomie financière. Les
habitants de chaque quartier se réunissent entre eux pour discuter de
leurs problèmes spécifiques. Les questions plus
générales comme l'attribution d'aides financières, les
soins médicaux, l'assistance sociale, le statut des étrangers ou
la répression policière sont discutées au cours
d'assemblées générales » nous apprends
CATPOH (CATPOH : 15). Les premiers éléments de normalisation
étaient déjà présents dans cet accord de 1972
étant donné qu'il prévoyait l'enregistrement des habitants
de Christiania (exercice du « pouvoir disciplinaire soft »)
ainsi qu'une coopération avec les autorités municipales. Il faut
ici souligner que le sens de l'expression
« normalisation » va évoluer au fil du temps et des
gouvernements. Chaque parti va apporter sa vision d'un espace
« normalisé » en rapport à Christiania.
La normalisation peut d'abord être entendue comme une
normalisation interne dans le sens où des règles sont produites
à l'intérieur même de Christiania, règles qui
ordonnent l'espace. Michel Foucault suggérait que des espaces
ordonnés peuvent transformer des corps indisciplinés et
incontrôlés en sujets volontaires et disciplinés.
Dès lors, comment cette notion foucaldienne de normalisation agit-elle
à Christiania ? Autrement dit, outre les « normes
écrites », comment sont produites les normes qui
définissent l'usage de l'espace à Christiania? Selon Christa
Simone Amouroux, « les pratiques de normalisation sur le
contrôle du corps sont évidentes, par exemple, dans le
contrôle de Pusher Street où courir, prendre des photos, et les
drogues dures sont interdites. Courir est interdit car les gros chiens,
entrainés pour l'attaque des voleurs ou des intrus sont excités
par les mouvements brusques dans la rue. Les photographies sont interdites car
les pushers ne veulent pas que des étrangers -touristes et policiers-
documentent leur activité illégale » (AMOUROUX
2011 : 238). Des relations de pouvoir sont donc inscrites dans
l'espace : il y a une normalisation, une disciplinarisation de l'espace,
en particulier à Pusher Street dont le point de départ est
matérialisé par un brasero autour duquel plusieurs Pusher
observent et maintiennent cet ordre. Leur position leur permet en plus de
contrôler trois entrées différentes de Christiania dans le
même temps, un peu à la manière du panoptique de Bentham.
Il n'y a toutefois pas que Pusher Street qui produise un contrôle, une
discipline sur le corps : Christiania n'a par exemple que deux
entrées principales afin de contrôler le flux de personnes entrant
et sortant, les habitants de Christiania gèrent et contrôlent eux
même les conditions d'hébergement, etc... Christa Amouroux donne
l'exemple « qu'à Christiania, squatter est désormais
interdit. Une fois fondée en tant que squat, la communauté a
exclu les pratiques sur lesquelles elle était basée »
(ibid. 244).
Depuis le premier débat sur Christiania en 1971, la
« normalisation » a été le concept clé
du gouvernement pour reprendre le contrôle et gouverner le
« freetown ». La normalisation est un concept qui a
beaucoup évolué en termes de signification. Dans les
années 70 le sens qui était donné au concept de
normalisation était en lien avec la représentation de Christiania
comme un « problème social », une
« expérimentation sociale »... Dans le débat
de 1974 les sociaux-démocrates,
« défenseurs » du « freetown »
considéraient que les institutions de l'Etat providence, le welfare
state danois, pour l'aide sociale pouvaient parfois être trop couteuses,
et pas suffisamment efficaces, voire par moment inhumaines. L'expression
« expérimentation » pour qualifier Christiania
à l'époque revêt donc concrètement les images de
laboratoire, de test... qui lui sont associés. Håkan Thörn
affirme qu'une autre caractéristique importante du modèle social
scandinave était « la culture du consensus qui
était une source de légitimité pour le gouvernement, mais
qui fournissait aussi un certain agencement de l'espace, au travers duquel des
mouvements urbains autonomes tels que Christiania pouvait s'établir. Du
point de vue du gouvernement, la culture du consensus implique un
« pouvoir disciplinaire soft » (« soft
disciplinary power »), basée sur une coopération
conditionnée. Dans le cas de l'accord de 1972, cela signifiait que
l'autogestion du « freetown » était
tolérée sous un certain nombre de conditions, la plus importante
d'entre elles était la coopération avec les autorités
sociales de Copenhague ».
En 1984, une nouvelle coalition de conservateurs et de
libéraux accède au pouvoir. Ce nouveau gouvernement proposera en
1989 un « plan local » pour Christiania. Ce plan divise
Christiania en deux parties : une rurale qui doit être
évacuée, une urbaine qui doit être régulée et
légalisée. Face à ce plan les Christianites vont publier
leur propre plan : le « Plan vert comme une alternative
visionnaire au plan local ». Le plan de Freetown montre une ville
verte en étroite interaction avec la nature: recyclage de l'eau,
compostage des déchets de cuisine, énergies renouvelables,
péniches dans le lac etc...12(*). La loi de 1989 sur Christiania lui assure un statut
légal et accorde le droit aux Christianites à la
propriété collective. Cette loi sera votée par la gauche
comme par la droite. Les sociaux-démocrates et le Parti Socialiste
voient en cette loi l'assurance de l'existence de Christiania, comme ils le
défendent depuis 1972. Pour certains à droite cette
législation est une bonne chose puisque Christiania n'était pour
eux qu'un problème aux yeux de la loi et l'ordre. Grâce à
ce cadre légal il est désormais possible de régler ce
problème. Cette loi sur Christiania donne surtout lieu à deux
interprétations très différentes : pour la gauche on
légalisait Christiania, quand pour la droite on renforçait enfin
la loi sur un territoire hors de contrôle depuis deux décennies et
qui était un problème pour la souveraineté du pouvoir.
L'influence du néolibéralisme, en vogue à
travers les Etats occidentaux dans les années 80 va progressivement
mettre un terme à ces essais de gouverner Christiania à travers
une combinaison de mesures sociales-libérales et disciplinaires soft.
Concernant le gouvernement de la vie urbaine, des chercheurs ont
remarqué combien ce nouveau pouvoir empreint de
néolibéralisme a amené une augmentation de la
privatisation des espaces publics en lien avec le développement de la
politique de la tolérance zéro, du discours sécuritaire et
des mesures coercitives. C'est l'objet du chapitre d'Anders Lund HANSEN dans
« Space for urban alternative » :
« Christiania and the right to the city ». L'objectif est
de « nettoyer » la ville. En l'occurrence cette
métaphore a été utilisée au sens propre plus tard
par la municipalité de Copenhague. En 2006, une nouvelle loi donne le
droit illimité à la police d'arrêter ou de rechercher un
individu sur certaines zones, Christiania en faisant partie. Dans le même
ordre d'idée, en 2009, juste avant le sommet sur le climat qui se tenait
à Copenhague, le parlement passa une loi, appelée
« lømmelpakken » autorisant la police a
détenir un individu pendant 12h sans le placer en garde à vue
pour empêcher d'éventuelles émeutes. Des milliers de
personnes ont ainsi été détenues plusieurs heures à
titre « préventif » (la justice danoise a par
ailleurs récemment annulé et déclaré
illégales bon nombre de ces arrestations). Dans le débat de 2002,
le Parti Socialiste avait fait remarquer qu'il était assez
extraordinaire, dans le contexte scandinave, que le gouvernement exerce un tel
contrôle sur la police. L'augmentation de l'activité
policière coïncide avec le déplacement de la question de la
sécurité qui entourait Christiania. Comme on l'a vu, la question
de la sécurité dans le débat de 1974 par exemple, avait
plus à voir avec des questions d'ordres sanitaires et sociales. Dans les
années 2000, la sécurité est devenue une
problématique beaucoup plus répressive, s'appuyant sur la
sécurité des personnes et des biens.
En 2001, Christiania va réellement revenir
sérieusement sur l'agenda politique. Le nouveau gouvernement d'Anders
Fogh Rasmussen, fruit d'une alliance entre libéraux, conservateurs, et
nationalistes va alors mettre en place un agenda politique qui voulait rompre
très clairement avec la politique des sociaux-démocrates, comme
par exemple la tolérance vis-à-vis des activités
illégales de Christiania. Le nouveau premier ministre va alors
manifester son intention de nettoyer Christiania et « le rendre
à tous les citoyens » : c'est la naissance du
« plan de normalisation », qui prévoit l'arrestation
des pushers, la fermeture de Pusher Street, la privatisation de Christiania
(réintroduction de la propriété privée contre la
propriété d'usage...)
Le plan de normalisation a eu pour fondement
« l'identification de trois transgressions clés qui ont
placé Christiania « en-dehors » de la
société : le refus de payer pour la propriété
et d'autres taxes, la vente de cannabis, et la construction de maisons communes
et des coopératives sur un espace public. Ce discours politique a
ensuite construit une série de stratégies coercitives et
spatiales légitimes pour permettre à l'Etat de re-contrôler
Christiania. Cela a commencé avec l'arrestation des pushers. La
reconquête spatiale quand `Pusher Street' fut fermée et lorsque
certaines maisons furent jugées
« inadaptées » à l'habitation. Cette
stratégie spatiale continua avec la destruction de plusieurs maisons et
le déplacement de plusieurs résidents. Bien que Christiania n'ai
pas encore été privatisé, le processus de normalisation a
commencé à diviser la communauté entre ceux qui ont
soutenu une intrusion limitée et ceux qui s'y sont totalement
opposé » (AMOUROUX, 2009 : 113).
Le plan de normalisation de Christiania démontre
comment l'Etat entreprend de gouverner une population à travers
différentes stratégies de contrôle comme la privatisation,
la rénovation urbaine, ou les expulsions forcées. Ce plan de
normalisation représente toute une logique que les Christianites
considèrent comme contraire à leur mode de vie, d'organisation,
de penser et de construire. La normalisation est d'abord, dans les mains de
l'Etat, un moyen d'amener Christiania vers une relation d'égalité
avec le reste de Copenhague et du Danemark en termes de justice (à
travers le paiement de taxe), de responsabilité (sur la
propriété privée) et sur la notion de bien public
(l'accès aux espaces publics).
Après avoir évoqué les processus de
« stigmatisation territoriale » et de gestion urbaine de
problèmes sociaux (en référence aux travaux de Loïc
Wacquant), qui sont des préalables nécessaires aux projets
d'évacuation de la zone et de la destruction des bâtiments
(solution souvent évoquée au parlement danois), Håkan
Thörn a fourni un compte rendu et une analyse des positions des
différents partis politiques du paysage politique danois au travers des
différents débats d'envergure sur Christiania au parlement (comme
l'annonce le titre de son chapitre `Governing Freedom -- Debating the Freetown
in the Danish parliament'). Il est intéressant de prêter attention
à ces débats puisqu'ils montrent combien Christiania a une
portée symbolique dans la société danoise en ce sens que
le freetown a été un marqueur des oppositions
« droite/gauche » au parlement.
2.4 Christiania au
parlement
Håkan Thörn ouvre d'abord son tour d'horizon des
différentes positions des partis politiques par le débat de 1974,
« The first Christiania Debate ». Pour rappel, des élections
anticipées ont lieu en décembre 1973, amenant le Parti
Libéral (Venstre) au pouvoir. Le chef du gouvernement Krag, membre du
Parti Social-Démocrate minoritaire au parlement depuis les
élections disputées de 1971, démissionne peu après
la victoire du « oui » lors du referendum pour l'adhésion du
Danemark à la Communauté Européenne. Suite à ces
nouvelles élections anticipées, le Parti Libéral dirigera
un gouvernement avec la plus petite minorité au parlement que le
Danemark ait connu (22 sièges seulement sur 179) et soutenu par le Parti
du Progrès, le Parti Populaire Conservateur, le Parti
Social-Libéral danois (ou Gauche Radicale), les démocrates du
centre, et le Parti Chrétien Démocrate. En 1974, le nouveau
ministre de la défense Erling Brondum déclara qu'il ne
reconnaissait pas l'accord de 1973 et le statut « d'expérimentation
sociale » de Christiania, avant d'affirmer qu'il ne reviendrait pas
malgré cela sur cet accord. Il ordonna néanmoins la destruction
de 60 bâtiments occupant une surface de 20 000 m². La
problématique de la souveraineté nationale fut
immédiatement abordée dans ce débat par un membre du parti
populiste Fremskridtspartiet (Parti du Progrès) en faisant un
parallèle entre l'occupation de Christiania et l'occupation allemande
lors de la seconde guerre mondiale. Si cette comparaison ne fit pas
l'unanimité, tous les partis de droite en revanche s'accordèrent
à dire que Christiania pose un problème vis-à-vis de la
souveraineté de l'Etat danois. Pour sa part le Parti Conservateur
affirma que la moitié des habitants de Christiania sont des
étrangers et que les représentants de l'Etat sont ainsi des
alliés de « délinquants ». Le Parti Socialiste accuse
quant à lui le Parti Libéral au pouvoir de cautionner ce point de
vue en appréhendant le « problème Christiania » comme
un problème relevant de l'ordre et de la loi (en référence
au pouvoir disciplinaire évoqué par Michel Foucault). Plus grave
encore pour le Parti Conservateur, Christiania pourrait « propager »
un problème de discipline au sein de la société danoise en
diminuant leur confiance dans la loi et la police qui est empêchée
de faire son travail dans Christiania. Les Sociaux-démocrates mettent
eux en exergue que le problème principal que constitue Christiania
concerne les enfants et la jeunesse. Il y a en effet dans Christiania beaucoup
d'orphelins qui se sont même organisés dans deux bâtiments
au sein d'une « organisation » : Børnemagt (« Le
pouvoir des enfants »)13(*). Ce dernier élément est aussi pour
certains un élément important dans la stratégie de
stigmatisation territoriale de Christiania. Pour le parti Centrumdemokraterne
(centre démocrate), Christiania est « clairement un problème
disciplinaire puisque les enfants sont autorisés à habiter dans
le freetown « sans surveillance ni de leur parents ni des autorités
[...] dans un environnement de drogue et de criminalité. » [...]
L'argument des sociaux-démocrates que Børnemagt et les propres
travailleurs sociaux de Christiania coopèrent avec les services sociaux
de Copenhague, impliquant que le pouvoir disciplinaire du gouvernement n'est
pas totalement absent de la zone, est jugé illégitime par leurs
opposants » (THÖRN, 2011 : 78). Les discours de la droite
utilisent cette image d'enfants exposés à la consommation de
drogues et à des relations sexuelles « immorales », «
illégales » voir incestueuses afin de stigmatiser Christiania. Les
Chrétiens-démocrates (Kristeligt Folkeparti) estiment quant
à eux que Christiania multiplie les problèmes sociaux de la
société danoise. En réponse, le Parti Socialiste et les
sociaux-démocrates inversent cette rhétorique et affirment que
les problèmes que l'on peut rencontrer dans Christiania ne sont pas
propres à Christiania mais qu'ils sont au contraire répandus dans
la société en général. Cet argument sera par la
suite repris à de nombreuses reprises par les Christianites
eux-mêmes : s'il existe des problèmes à Christiania, des
problèmes similaires existent dans d'autres quartiers de Copenhague.
Lors du débat de 2004, l'Alliance Rouge-Verte (Enhedslisten), qui
prône un contrôle étatique et un encadrement légal
pour la vente du haschich, demanda si le fait qu'une quantité
substantielle de haschich ait été saisie à Hellerup, une
banlieue de classe moyenne supérieure de Copenhague, implique que la
police soit déployée pour normaliser Hellerup ? C'est
d'ailleurs un argument et une interrogation que j'ai pu entendre à
plusieurs reprises dans des discussions sur Christiania :
« Il y a du trafic et des consommateurs de drogues dures en
dehors de Christiania, alors pourquoi ne parler que du haschich de
Christiania ? Il y a peut-être des problèmes à
Christiania, mais dans d'autres quartiers aussi, alors pourquoi vouloir raser
Christiania, alors que personne n'ose imaginer raser des quartiers comme
Vesterbro ou Nørrebro ? » (Notes de
terrain).
Il y a objectivement une division concernant Christiania entre
la gauche et la droite au sein du parlement danois. La confusion qu'il y a eu
dans l'espace politique danois lors de l'auto-proclamation du freetown de
Christiania ne fut que le point de départ d'une période de
troubles pour la politique danoise : en 1972 le parti d'extrême
droite Fremskridtspartiet est créé (aujourd'hui Dansk Folkeparti,
Parti du Peuple Danois) et est directement crédité de 20% dans
les sondages ; en 1973 le Danemark entre dans la Communauté
Economique Européenne après un referendum. Les élections
de décembre 1973 sont surnommées « élections
tremblement de terre » car elles vont renverser le paysage politique
danois. Comme je l'ai déjà précisé elles verront le
pays connaitre la plus petite minorité de gouvernement de l'histoire.
Depuis des décennies les sièges au parlement étaient
partagés entre 5 ou 6 partis formant soit un bloc de gauche soit un bloc
de droite afin d'obtenir une majorité au parlement. Lors de ces
élections dix partis obtiennent des sièges dont cinq nouveaux
partis. Si les bouleversements dans la politique danoise n'ont alors pas
été « si dramatiques que prévu » nous
dit Håkan THÖRN, cela va désordonner le parlement pendant la
décennie à suivre. L'auteur évoque même que ce
tremblement de terre n'a peut-être même pris fin qu'avec le second
« séisme politique » que connaitra le
Danemark : la victoire la plus large de l'histoire d'une coalition de
droite en 2001 avec le Parti Libéral (Venstre), le Parti Conservateur et
le Parti du Peuple Danois à la rhétorique xénophobe
agressive.
Le second séisme politique du 20ème
siècle au Danemark intervient en novembre 2001. Deux mois après
les attentats du 11 septembre qui vont exacerber le discours anti-immigration
qui se propage dans la société, la droite remporte les
élections en Novembre 2001. Dans son premier discours lors de ses voeux,
le nouveau premier ministre Anders Fogh Rasmussen affirme se lancer dans une
« guerre culturelle » dont Christiania est une cible
évidente. Le nouveau gouvernement se fixa comme objectif de
résoudre une fois pour toute le « problème
Christiania ». Ainsi quatre grands débats parlementaires vont
avoir lieu entre 2002 et 2004. Tout en assurant que Christiania ne serait pas
expulsé, les derniers débats emprunts des idéologies des
partis de droite, largement majoritaire au parlement, voulaient mettre fin au
symbole d'une « culture alternative de gauche » qu'est
Christiania. Dans ces débats, le Parti Libéral au pouvoir ne
déclara pas seulement qu'il fallait mettre un terme à la
propriété collective mais aussi à la démocratie par
consensus qui a été un obstacle selon ses partisans aux
tentatives du gouvernement de reprendre le contrôle de Christiania.
Håkan Thörn note qu'en comparant les débats
de 1974 et ceux de 2004, les expressions « problème
social » et « expérimentation sociale »
sont absent en 2004. L'expression « expérimentation
sociale » n'est utilisée qu'une fois par le Parti
Chrétiens-Démocrate relève-t-il. Le nouvel argument
majeur, utilisé le plus fréquemment, des défenseurs de
Christiania au parlement (Sociaux-démocrates, Parti Socialiste, et
l'Alliance Rouge-verte qui a succédé au Parti Communiste) a aussi
changé : ils insistent sur le statut d'attraction touristique
majeure de Chrsitiania nous apprend Håkan Thörn. Le débat de
2003 s'est principalement centré sur la vente de marijuana dans Pusher
Street à Christiania, intégrée dans un discours plus
général de « peur urbaine » et de
« tolérance zéro ». Lors de sa
première intervention dans le débat en 2003, le nouveau ministre
conservateur de la défense Svend Aage Jensby déclara :
« le plus bel endroit que nous avons dans Copenhague est affreusement
situé », et : « les habitants de la belle
partie de Christiania n'osent pas envoyer leurs enfants dans les rues car ils
ont peur [...] des dealers et autres éléments
criminels », avant de faire un rapport sur les nouvelles
stratégies policières concernant Christiania : 326 actions
sur les six derniers mois (soit près de deux interventions par jour)
selon le rapport de la police de Copenhague. Les données du
ministère de l'intérieur danois témoignent de cette mise
en place de la politique de « tolérance
zéro » :
« Plus de 5 700 voitures ont
été contrôlées, 1 500 individus
fouillés, 300 enquêtes ont été effectuées. Il
y a eu 850 cas d'atteinte à la loi sur la drogues de
constatés ; 7 contre le paragraphe 191 de la loi pénale sur
les crimes grave liés à la drogues, près de 1 300
infractions au code de la route, 1 100 procès-verbaux de
stationnement, environ 100 personnes ont été
arrêtées. Je peux ajouter que sur ces six mois, 695 kilos de
marijuana ont été saisi ainsi que près d'1,6 million de
couronnes - soit plus que ce qui avait été saisi en trois ans
entre 1998 et 2001. [...] Comme je l'annonçais plus tôt,
l'intensification de l'action de la police va se poursuivre jusqu'à
l'éviction de Pusher Street » (THÖRN,
2011 :9).
Les joutes verbales sur Christiania revêtent donc un
caractère symbolique, et permettent à chacun d'exposer ses
idéologies, ses utopies, ses stéréotypes, en bref sa
vision de la société. La gauche défendait Christiania, la
droite l'attaquait, l'extrême droite en profitait pour démontrer
l'échec du welfare danois. Christiania nait aussi en parallèle de
la société médiatique où le débat public
devient un spectacle.
Troisième
partie : Un lieu symbolique
3.1 Une « ville libre » au coeur de
la capitale
Christiania s'insère dans le quartier de Christianshavn
(littéralement « le port de Christian »), le plus
vieux quartier de Copenhague. On constate également sur cette carte que
Christiania se situe à moins d'un kilomètre de tous les lieux de
pouvoir danois : le commissariat central de police (en bleu sur la carte),
le parlement (en vert), le palais royal (en rouge).
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Comme Paris, la ville de Copenhague peut être
définie comme une « ville primate » selon la
définition que Mark Jefferson avait proposée en 1939 : une
ville au moins deux fois plus grande que la deuxième ville d'un pays,
signifiant une disproportion importante entre la première et la
deuxième ville du pays. D'après les chiffres de la banque de
statistiques du Danemark14(*), la ville de Copenhague compte en 2012, 1 213
822 habitants15(*) quand
la deuxième ville du Danemark, Aarhus, en compte 314 545.
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Bien qu'en pratique, comme le rappellent Yves GRAFMEYER et
Jean-Yves AUTHIER (2008 : 12), « les critères de la
taille et de la densité du peuplement ne suffisent certes pas à
distinguer ce qui est ville de ce qui ne l'est pas, d'autant plus qu'ils sont
sujets à d'inépuisables controverses socio-culturels
différents. Mais on ne peut pas non plus faire abstraction de ces
indicateurs commodes qui traduisent, tant bien que mal, l'une des dimensions
constitutives du fait urbain ».
Les villes primates, en tant que fait urbain, ont ainsi
davantage tendance à être des pôles d'attraction de la
population qui tendent ainsi à grossir et s'étendre de plus en
plus.
D'un simple regard sur une carte du centre-ville de
Copenhague, on s'aperçoit que la « commune libre de
Christiania » (en orange sur la carte ci-dessus) occupe une place
centrale dans la capitale danoise en terme de géographie, basée
sur les anciennes fortifications, qui jusqu'à il y a 150 ans bordaient
la ville.
Le phénomène urbain renvoie
inévitablement à l'idée de centralité :
« Centralité du marché qui permet et régule
les échanges économiques ; centralité du pouvoir qui
contrôle, redistribue, et institue des règles de coexistence entre
les groupes sociaux ; centralité des dispositifs qui organisent la
division technique et sociale du travail ; centralité, aussi, des
lieux de culte, de loisir, et plus généralement de tous les
services offerts par la ville. Les propriétés
géométriques de l'espace, l'antériorité historique
du noyau initial à partir duquel la ville s'est étendue, les
représentations symboliques qui lui sont associés, sont autant
d'éléments qui tendent à faire du coeur
géographique de l'agglomération le principal point d'appui et le
lieu emblématique d'un grand nombre de fonctions
centrales » (Ibid. 14).
Cette définition de la ville à la lumière
du concept de centralité permet certainement de comprendre pourquoi
Christiania a pu apparaitre comme un quartier « banal » de
Copenhague, un quartier comme un autre, et ainsi développé un
contre-discours de promotion du freetown face à la stigmatisation, la
marginalisation et la répression. On retrouve en effet à
Christiania tout ce qui détermine le caractère
« central » d'une ville d'après la définition
donnée ci-dessus : une économie et un système
politique parallèles aux autres quartiers du centre-ville, des lieux de
culte (un temple bouddhiste par exemple) et de loisir (les nombreux parcs pour
les enfants, l'écurie, les promenades autour du lac...) ainsi que des
services (épicerie, médecin...). Christiania pourrait donc
être défini comme un phénomène urbain
« marginal » ou « contre-culturel »,
intégré dans un phénomène urbain
« classique » ou « traditionnel ». On
peut dès lors émettre l'hypothèse que sa popularité
ne serait pas la même aujourd'hui si les éléments
principaux de la notion de centralité, que l'on retrouve dans
tous les centres-villes, n'y existaient pas. En effet, de nombreuses personnes
viennent profiter de services proposés soit exclusivement à
Christiania (achat de haschich en pleine rue ou la possibilité de fumer
un joint avec des risques limités), voire d'autres services qu'ils
pourraient aussi retrouver ailleurs dans le centre-ville de Copenhague
(parcours de footing, produits bio...).
Pour Yves GRAFMEYER et Jean-Yves AUTHIER, « si
l'on veut étudier une population particulière, il faut se donner
les moyens d'identifier les personnes concernées [...] une
première façon de procéder consiste à
délimiter à priori un sous-ensemble présentant une
relative homogénéité au regard d'un critère que
l'on juge pertinent compte tenu de l'objectif de la recherche (Ibid.
22)». Dans certains cas il s'agira alors de s'orienter vers des
critères démographiques comme l'âge ou la structure du
ménage, dans d'autres le critère sera celui de la position
socio-professionnelle, l'origine géographique ou encore le type
d'habitation.
En ce qui concerne la population de Christiania, les
autorités ont cherché à évaluer la
« réalité sociologique » de la
« ville libre » en 2004. Une commission de dix
fonctionnaires a alors eu en charge de « cartographier la cité
et ses habitants » en dix mois. Les conclusions de ce rapport sont
présentées par Hans Drachmann dans un article pour le quotidien
Politiken et repris par Courrier International. D'après le rapport,
Christiania comptait officiellement 878 habitants et « les chiffres
montrent que la population ne se renouvelle pas beaucoup. En une
décennie, les habitants ont, en moyenne, vieilli de... dix ans. En fait,
la moitié des habitants ont entre 30 et 49 ans et, malgré les 150
enfants dénombrés, il y a peu de jeunes et presque pas de
personnes âgées ». Ces chiffres confirment le constat
que la population ne s'est pas renouvelée et s'est plutôt au
contraire installée à Christiania. « Par ailleurs,
alors qu'on s'attendrait à une rigoureuse égalité entre
les sexes, Christiania compte une majorité d'hommes. `Sur le plan
démographique, Christiania est un quartier de quadras', constate la
`commission Christiania' » rapporte ce même article. Une autre
conclusion du rapport concerne les immigrés à Christiania :
contrairement à Copenhague qui compte de nombreux immigrés, en
particulier d'Afrique et du Moyen-Orient, et malgré l'image de
« sanctuaire de tolérance » et un
« antiracisme militant », « [Christiania] ne
compte presque pas d'immigrés extra-européens ». Ceci
s'explique par le système de cooptation d'une part et le manque de
logement à Christiania, puisqu'il n'est plus possible de construire de
nouveaux bâtiments. Par comparaison, en 1978, d'après l'ouvrage de
CATPOH, et signe de l'ouverture des Christianites, au début de l'hiver,
« on pouvait compter 750 personnes vivant en permanence à
Christiania, 293 venant de Copenhague, 227 d'autres régions du Danemark
et 230 de pays étrangers. Il faut ajouter à ce nombre plusieurs
dizaines de personnes ne faisant qu'un séjour assez court dans la
commune, en particulier des étrangers. »
On observe donc une grande homogénéité
à Christiania vis-à-vis de ces données
démographiques.
En matière d'habitat, le rapport indique que les
habitants de Christiania jouissent de 50 mètres carrés en moyenne
contre 44 mètres carrés pour les habitants des autres quartiers
de Copenhague. Toutefois, cette moyenne ne doit pas masquer de grandes
inégalités concernant le logement à Christiania : de
grandes maisons très spacieuses et manifestement très
confortables côtoient des logements très précaires, qu'il
s'agisse de caravanes, ou des maisons sans eau chaude ni toilettes. Le rapport
indique également qu'un habitant sur trois travaille, un autre tiers
touche une allocation ou une pré-retraite, le reste n'ayant pas de
revenus connus, et qu'en moyenne les revenus imposables des Christianites sont
de 14 250 euros, soit la moitié de ce que gagnent les habitants de
Copenhague. De plus, un habitant de Christiania sur trois gagne moins de
6 700 euros par an, et seul un sur huit gagne plus de 27 000 euros.
Toutefois ces données ne doivent pas être prises comme un
révélateur de précarité car d'une part
« les habitants de Christiania vivent souvent en autarcie au sein
d'une économie parallèle », mais aussi parce que la vie
en communauté leur procure d'autres liens de solidarité
(basés sur l'échange ou le don) que les liens de voisinage ou
familiaux traditionnels. « Globalement, conclut l'article, les
chiffres recueillis par la commission donnent une image contrastée de
Christiania Une partie importante des 878 habitants a un emploi, des revenus
confortables, et de bons logements. Une autre a de gros problèmes
sociaux, consomme beaucoup d'alcool et de haschisch. On y trouve même
quelques Groenlandais marginalisés, ajoute la commission, qui n'a pas
voulu être prise en défaut de précision ».
En outre, d'après l'article, les habitants de
Christiania possèdent plus de voitures par personne que les habitants de
Copenhague. Cela confirme ce que l'on observe le long du mur d'enceinte qui
longe la route (Refshalevej) où des dizaines de voitures sont
garées, les voitures étant interdites dans Christiania. Ceci est
un réel paradoxe : l'écologie est l'un des sujets les plus
chers aux Christianites, au point qu'ils ont interdit la circulation aux
voitures dans le freetown, mais ceux-ci ont plus de voitures que les autres
habitants de Copenhague. Toutefois, ce paradoxe ne doit pas occulter le rapport
à la ville différent qui a été promu et qui existe
encore à Christiania.
3.2 Vivre la ville
autrement
L'une des choses les plus marquantes à Christiania
concerne le rapport à la ville et la façon de vivre la
ville :
Notes de terrain
Les routes sont en réalité des chemins de
terre ou pavés, tout ce qui est communément appelé
« mobilier urbain » est quasiment absent, exception faite
du mobilier réellement utile et directement fonctionnel :
poubelles, bancs... Il n'y a pratiquement pas de réverbères, du
fait de la volonté d'économiser l'électricité, ce
qui crée une atmosphère très sombre, en particulier
l'hiver lorsque la nuit tombe dès 15h30 et que Christinia est
plongé dans le noir. Il n'y a pas non plus de plaques de rues
étant donné qu'il n'y a pas officiellement d'adresses (à
l'exception d'une rue en hommage à une célèbre chanteuse
de reggae danoise d'origine jamaïcaine décédée dans
un accident de voiture : Natasja's Gade). Des panneaux de communications
sont en revanche disposés dans de nombreux endroits. Ils annoncent
souvent des journées d'actions (`aktionsdag') qui sont ouvertes à
la bonne volonté de tous. Il s'agit souvent en l'occurrence de venir
aider au nettoyage des chemins, des berges du lac, ou bien de réaliser
des constructions un peu plus importantes. Il y a en revanche plusieurs espaces
pour enfants avec balançoires, toboggans... Il y également
quelques toilettes et des range-vélos. Les voitures étant
interdites il y a une borne rétractable à une entrée, et
peu de places de stationnement à l'extérieur. Les sucettes
publicitaires, abris-bus, et toutes les petites choses qui contrôlent
l'usage que l'on a traditionnellement de la ville (potelets, carrefours,
passages piétons, trottoirs, etc...) sont ici inexistants et
remplacés par des oeuvres d'art (parfois très sommaires il faut
le reconnaitre), laissant transpirer une ambiance et un sentiment de
liberté.
Cette observation est confirmée par le récit qui
est fait par John Jordan et Isabelle Fremeaux dans « Les sentiers
de l'utopie » : « Nous marchons le long d'un
mur de fortification de ce qui ressemble, de l'extérieur, à une
cité médiévale. Au bout de quelques minutes, nous nous
retrouvons face à une arche de pierre marquant l'entrée de cette
mystérieuse enclave. Soudain, c'est comme si nous avions
pénétré un autre monde ou une autre époque. Au lieu
de la ville frénétique que l'on vient de laisser derrière
nous, l'endroit est incroyablement paisible. Pas de lampadaires, pas de
néons, pas de panneaux publicitaires. Au lieu des cris stridents des
klaxons et du brouhaha assourdissant des moteurs, il n'y a que le calme des
rues pavées et des simples chemins de terre battue où seuls
circulent vélos et piétons. Nous sommes au coeur d'une capitale
européenne et, pourtant, on peut respirer, voir les étoiles,
discuter sans avoir à élever la voix ! Bienvenue à
Christiania, « Libre Ville » depuis 1971, chef-lieu de
l'imprévu » (FREMEAUX & JORDAN 2011 : 269).
Ce qui est valable à Christiania pour le mobilier
urbain, l'est encore plus en ce qui concerne l'architecture. La fantaisie
architecturale de Christiania contraste très nettement avec
l'homogénéité architecturale des centres-villes
modernes : « les bords du lac sont parsemés de
maisons fabriquées au cours des années par les Christianites,
avec pour seules restrictions leurs goûts, leurs envies, leurs fantasmes.
On y trouve au hasard une maison flottante, un luxueux chalet de bois ou une
habitation entièrement faite de verre ; plus loin, une sorte de
vaisseau spatial semble posé à côté d'un arrangement
complexe de baraques de chantier décorées de peintures
d'inspiration népalaise » (ibid. 271).
L'architecture joue aujourd'hui un rôle majeur dans
l'organisation et la pratique de la ville puisqu'elle a été
associée à une idéologie liant à la fois des
dimensions esthétique, historique, mais surtout aussi économique.
Ce n'est pas un hasard si dans nos sociétés l'architecte occupe
une place à part et est considéré comme une profession
intellectuelle supérieure. Il se distingue clairement des autres
métiers de la construction (pour la plupart manuels), distinction qui
est le résultat de la division du travail, et qui élève
l'architecte au rang de spécialiste et d'intellectuel (dans la mesure
où il est celui qui est capable d'imaginer le futur bâtiment parce
qu'il maitrise les mathématiques, la géométrie, qu'il peut
visualiser et créer un plan avec les bonnes proportions, etc...)
(SEGAUD, 2010).
3.3 « Une
utopie comme les autres »
« Du fait même qu'il se veut constructif,
l'anarchisme rejette, tout d'abord, l'accusation d'utopie »
Daniel Guérin, L'Anarchisme, Ed. Gallimard, 1965
(augmentée : 1973)
Dans de nombreux travaux et ouvrages (un chapitre du livre
« Les sentiers de l'utopie » de Frémeaux et Jordan
est consacré à Christiania, idem dans celui de Malcolm Miles
« Urban Utopias: The Built and Social Architectures of
Alternative Settlements »), dans des articles de presse (par
exemple l'article du Monde du 23 mars 2011 intitulé « A
Copenhague, la fin de l'utopie Christiania »), mais surtout dans les
discussions avec les habitants de Copenhague, Christiania est souvent
décrit comme une utopie. Il me parait donc important de revenir quelques
instants sur cette notion d'utopie, appliquée à Christiania.
Le statut d'utopie attribué à Christiania semble
logiquement en assurer sa popularité. En effet, l'utopie est par essence
un lieu où l'on vit libre, heureux et paisible. Si l'on se
réfère aux premières références bibliques,
l'utopie est le royaume de Dieu sur terre, un lieu où le monde serait
rétabli, les gens vivant en paix et en harmonie avec eux-mêmes et
avec la nature. Pour celui à qui l'on attribue souvent la
pérennité de l'utopie en tant que concept de philosophie
politique, Thomas More (suite au roman faisant le récit de la
découverte de l'Etat du même nom), l'utopie exprime la vision
d'une société égalitaire où la liberté
individuelle et la responsabilité sociale sont les deux
éléments clés. Utopia de Thomas More était
influencée par les exigences de liberté qui régnait parmi
la bourgeoisie de son temps, un rêve qui, comme tous rêves, est
nourri par la réalité.
La pensée utopique est une critique du statu quo
existant, par exemple en tentant de surmonter les inégalités
sociales, l'exploitation économique, la répression sexuelle et
les autres formes possibles de la domination. Elle est donc toujours une
recherche de changement social. Néanmoins, la notion d'utopie porte en
elle une contradiction latente, puisqu'elle vise à construire un
contre-système, en rompant avec les perspectives, les normes
contemporaines, tout en en faisant partie. Pour illustrer cela, Christiania,
par exemple, « a loyalement tenté de bâtir une
économie non capitaliste : mais à mille personnes perdues dans
une métropole capitaliste d'un demi-million d'habitants... »
(TRAIMOND 2000). Les points de suspension qui ponctuent cette phrase laissent
entrevoir les difficultés et les paradoxes inhérents au
freetown.
Michel Foucault définit les utopies comme
« des emplacements sans lieu réel. Ce sont les
emplacements qui entretiennent avec l'espace réel de la
société un rapport général d'analogie directe ou
inversée. C'est la société elle-même
perfectionnée ou c'est l'envers de a société, mais, de
toute façon, ces utopies sont des espaces qui sont fondamentalement
essentiellement irréels. » Foucault poursuit sa
réflexion sur les utopies, ces espaces non existants, en
développant le concept d'hétérotopie :
« Il y a également, et ceci probablement dans toute
culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs,
des lieux qui ont dessinés dans l'institution même de la
société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes
d'utopies effectivement réalisées dans lesquelles les
emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l'on
peut trouver à l'intérieur de la culture sont à la fois
représentés, contestés et inversés, des sortes de
lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient
effectivement localisables. Ces lieux, parce qu'ils sont absolument autres que
tous les emplacements qu'ils reflètent et dont ils parlent, je les
appellerai, par opposition aux utopies, les
hétérotopies » (FOUCAULT 1984). Il serait donc
plus approprié, en accord avec la définition de Michel Foucault,
de qualifier Christiania d'hétérotopie plutôt que d'utopie.
L'une des propriétés de l'utopie/hétérotopie est
qu'elle peut agir comme un facteur de motivation et d'organisation. En effet,
la croyance dans l'utopie peut être la dynamique qui relie les personnes
autour de l'opposition contre la société existante.
On ressent à Christiania une certaine ambivalence, le
double sentiment d'être à la fois dans une sorte de monde
parallèle utopique et dans le même temps un quartier de Copenhague
comme un autre. Ce sentiment se construit par des images, des
représentations de scènes vécues dans la vie quotidienne.
Il n'est pas rare de voir par exemple des personnes en costume avec leur
attaché-case venir à Christiania à la sortie de leur
travail pour fumer un joint comme si cela leur semblait naturel. L'ordinaire,
la routine du quotidien côtoie en quelque sorte l'extraordinaire de ce
qui fait de Christiania un espace unique en son genre par la liberté
quasi-totale qu'il procure.
De la sorte, Christiania est à la fois une alternative
mais aussi un miroir de la société danoise. Les habitants de
Copenhague voient certes en Christiania un mode d'organisation alternatif, mais
le considère dans le même temps comme un quartier de Copenhague
à part entière et comme les autres.
3.4 Mobilisation,
promotion et défense du freetown
«In many ways, there are a lot of Danes who like
Christiania...but they don't like it, and there is a word in Danish that
doesn't exist in English to express this idea... It's kind of `ambiguous', but
it is not exactly the same: it means that you like Christiania but you don't
like it... It's a place they love to hate.»
Entretien avec Richard Lee Stevens
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Figure 7 L'opinion des danois sur Christiania de
1975-2003 (pourcentage)
Source: Gallup surveys Apr. 1975, Feb. 1976, Jan. 1977,
Jan. 1978, Aug. 1984, 1988, Sep. 1996, Mar. 2003.
3.4.1 Répertoire d'action collective de la mobilisation
pour la défense de Christiania
A travers les lectures d'articles ou les livres
déjà publiés sur Christiania, l'on peut observer la
façon concrète dont les individus se mobilisent et qu'il existe
ainsi une « grammaire des pratiques » guidant les actions
de défense de Christiania. Ainsi, les stratégies de
défense des Chrsitianites ont été (et demeurent
aujourd'hui) diverses : pétitions, débats,
négociations, élections, procès... Ces différentes
stratégies ont alors ouvert plusieurs fronts de luttes pour Christiania,
qu'il s'agisse de batailles politiques, juridiques ou des batailles de rue.
L'ouvrage de CATPOH offre en la matière un
exposé très détaillé des actions qui ont pu
être menées pour défendre Christiania (en particulier
celles des premières années, de toute évidence les plus
importantes).
Les Christianites ont ainsi présenté une liste
aux élections municipales de mars 1974, ainsi qu'en 1978 comme le
raconte Jean-Manuel Traimond (TRAIMOND 1994 : 93). La participation aux
élections semble davantage répondre à une stratégie
de défense publique et médiatique du freetown engagée par
les Christianites, plutôt qu'à la mise en pratique d'une
stratégie « municipaliste libertaire » visant
à encourager, favoriser ou participer au développement d'un
mouvement territorial autogestionnaire dans la ville. Les Christianites
étaient porteurs de revendications réalisables au niveau
municipal, justifiant ainsi leur implication lors de ces élections. On
peut douter que l'objectif initial fut pour eux de
« généraliser l'autogestion à tous les aspects
de la société faisant ainsi disparaître le
capitalisme »16(*), ce qui est l'idée porteuse du
« municipalisme libertaire »17(*). Se présenter aux
élections semble à cette époque davantage être une
provocation à l'égard des institutions. En faisant figurer sur la
liste des homosexuels, des écologistes, des « amis des
animaux », les Christianites cherchent à faire éclore
de nouvelles réclamations sociétales portées par des
« nouveaux mouvements sociaux ».
Les Christianites vont aussi intégrer dans leur
répertoire d'action, l'action en justice. Très souvent les squats
ont recours ou sont contraints à l'action judiciaire. Si elles n'ont pas
pour objectif de donner raison aux squatteurs, les actions en justice
permettent néanmoins de gagner du temps précieux afin de
construire une mobilisation autour du squat. Même l'avocat Christianite
Carl Madsen (ancien militant exclu du Parti Communiste18(*)) ne croyait pas à la
« justice », mais « il savait se servir de la
cour pour la mettre devant ses propres contradictions » (CATPOH 23).
En décembre 1975 que les Christianites vont
décider « en assemblée générale de
poursuivre le gouvernement pour rupture des promesses tenues en mai 1972 sur le
statut provisoire « d'expérimentation sociale » de
Christiania. Cette aventure judiciaire se poursuit le 10 février 1977
lorsqu'à la suite du procès intenté par Christiania, les
juges finissent par donner raison au gouvernement mais en reconnaissant
toutefois à Christiania un rôle culturel et social. De plus,
« la cour conclut également « qu'au point de vue
social, on peut douter de la nécessité de fermer Christiania
puisque cet espace resterait encore inoccupé pendant longtemps, mais la
Cour n'est pas responsable pour trancher cette question politique. Le
judiciaire renvoie donc la balle dans le camps du législatif,
gouvernement et parlement qui se voient tenus de choisir entre des
critères sociaux ou légaux. La décision juridique `oblige
les habitants de la commune libre à évacuer les lieux sans
délai'... alors qu'il est accédé à la demande du
ministère de la Défense qu'un avis d'expulsion soit
notifié aux habitants. Christiania décide de faire appel de ce
jugement. La décision de la cour suprême montre clairement que la
« Justice » n'est pas du côté de la commune
libre, mais qu'on lui reconnait une existence sur laquelle on peut bâtir
quelque chose » (CATPOH 22). En effet, le 2
février 1978, la cour suprême confirme le jugement de
février 1977 qui rendait illégale toute occupation des lieux
depuis le 1er Avril 1976. Cette première bataille juridique
s'achève donc par l'occasion donnée par la justice aux
autorités d'en finir avec Christiania. Toutefois, l'équation pour
les autorités n'est pas aussi simple que cela puisque ces verdicts
mettent en lumière des problèmes humains et sociaux que le
parlement et le gouvernement devront ensuite prendre en charge.
Pour se prémunir d'une intervention d'évacuation
physique de la police, les Christianites avaient mis en place un système
de chaîne faite avec des barils de pétrole vide.
« Si l'on voyait arriver la police on devait frapper sur ces
barils. Si l'on entendait frapper sur ces barils, on devait
téléphoner à Fabrikken qui déclenchait une
chaîne téléphonique vers l'extérieur, dont on
espérait qu'elle toucherait plus de 30 000
personnes » (TRAIMOND 116). CATPOH nous apprend aussi, qu'en
plus de cette chaîne téléphonique, le plan de
résistance prévoyait également des happenings, un blocus
des ponts, des aéroports et de tout le trafic de Copenhague et du reste
du Danemark afin de dissuader le gouvernement d'employer la manière
forte.
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Après ce premier épisode juridique, les
Christianites retourneront devant les tribunaux à plusieurs reprises. Le
dernier épisode judicaire de Christiania a eu lieu en 2011. Une
série de procès visaient là encore à gagner du
temps face au plan de normalisation.
Figure 8 Christiania Bike servant de stand pour
acquérir une 'Folkeaktie'
Suite aux dernières lois de normalisation et les
derniers procès perdus, les Christianites devaient récolter la
somme de 76 millions de couronnes pour devenir propriétaire de
Christiania avant le 1er juillet 2012. Pour y parvenir, un
système d'actionnariat privé a été mis en place. Il
permet à n'importe qui de devenir le propriétaire symbolique
d'une portion de Christiania. En échange d'une somme allant de 100
couronnes (environ 15 €, le montant minimum) jusqu'à 10 000
couronnes, l'acheteur solidaire reçoit une « action
populaire » (`Folkeaktie'), signifiant son soutien au freetown.
«So now we are trying to sell shares, `people's
shares' in order to buy Christiania by ourselves instead of loaning money and
these shares will help. For the moment we have 7 million kroners and we need 72
million» (Entretien avec Richard Lee
Stevens).
Des habitants de Christiania sont même allé
à New-York faire la promotion de ces actions populaires auprès du
mouvement `Occupy Wall Street' en novembre 201119(*). Finalement, ce système
d'action populaire ne permit pas aux Christianites de récolter
suffisamment d'argent (9 203 128 couronnes furent tout de même
récoltées) et ils durent se résigner à
emprunter.
De grandes manifestations aux portées très
symboliques ont aussi souvent été organisées. Alors qu'un
ordre d'expulsion frappait Christiania pour le 1er Avril 1976, une
série d'actions vont ponctuer la « fête du
printemps », lors de la semaine précédant le
1er Avril. Une grande marche sur le parlement et la mairie est
organisée. En rassemblant 30 000 personnes, « elle est la
plus grande manifestation pacifique jamais organisée »
d'après CATPOH (20). Lors de cette semaine une « armée
arc-en-ciel » est mise en place, consistant à porter un
brassard d'une certaine couleur, chaque couleur faisant référence
à certaines fonctions auxquels les défenseurs de Christiania
peuvent s'identifier et ainsi exprimer leur soutien. L'appel à la
création de cette armée arc-en-ciel fut publié dans le
journal de Christiania, Ugespejlet :
« En créant une armée arc-en-ciel,
les personnes travaillant dur et qui collaborent entre elles, chaque individu
à sa manière, nous pouvons être unis, un pour tous et tous
pour un, et surmonter la situation menaçante à laquelle nous
sommes confrontés. Parce que nous nous aimons les uns les autres, nous
pouvons nous organiser en pratique, en dépit de nos
différences. »

Sur le même modèle, les Christianites avaient
déjà imaginé une « armée de
femmes » et une « armée de paysans ».
Cette campagne imaginative de l'armée arc-en-ciel joua un rôle
assurément décisif en réunissant autant de personnes.
Pendant le débat budgétaire du 30 mars, l'éviction
planifiée fut dans un premier temps retardée puis finalement
annulée. Durant cette semaine les plus grands groupes ou chanteurs du
Danemark avaient produit un disque en l'honneur de Christiania. Le 30 mars au
soir, le groupe « Action Théâtre » joua
à l'Opéra de Christiania une pièce intitulée
« Poisson d'Avril », comme pour célébrer la
victoire sur les autorités.
Les Christianites ont également à plusieurs
reprises procédé à des fermetures de Christiania en
bloquant ses entrées. Ces actions pouvaient avoir des buts et des
destinataires parfois différents. En 1979, lors de la `Junk Blokade',
les cibles étaient les junkies, qui une fois évacués de
Christiania furent interdit de rentrer par un blocus des habitants. Dix ans
plus tard, le même mode d'action fut opéré afin de chasser
les pushers. Un mur fut alors construit devant l'entrée principale de
Pusher Street. Il s'agissait alors d'une étape supplémentaire
dans la lutte contre la drogue deux ans après le départ du gang
Bullshit de Christiania. Enfin, le gouvernement a aussi été le
destinataire de ces blocus de Christiania. Par exemple, un des derniers
exemples en date remonte à avril 201120(*). Les Christianites avaient tout fermé à
l'intérieur de Christiania ainsi que les entrées afin de
protester et de gagner du temps pour reconsidérer une offre du
gouvernement pour acquérir et louer les bâtiments. Après
trois jours et trois assemblées communes, Christiania décida de
prendre part à des négociations concernant cette offre de
l'Etat.
Cette action de blocus peut sembler surprenante. En agissant
ainsi, les Christianites renversent en quelque sorte les réclamations
des autorités. En effet, alors que le souhait des autorités a
parfois été de voir fermer Christiania, il s'agit pour les
habitants du freetown de montrer à travers le blocus à quel point
la « ville-libre » est utile.
La dimension symbolique des actions a surement
été l'instrument le plus utilisé par les Christianites
pour se défendre au moyen d'actions spectaculaires relayées et
visibles médiatiquement. Si ces actions ont surement atteint leur but
étant donné le fait que Christiania subsiste encore aujourd'hui
et qu'une majorité de la population y est désormais favorable, le
message politique en se diluant dans le spectacle en a sûrement
pâti, contribuant en partie à l'affadissement notable de la
combativité des Christianites. On peut sur ce dernier point se reporter
à l'histoire de la destruction de la Cigar Box en 2004, et qui fut la
première maison détruite par les autorités danoises
à Christiania depuis plusieurs années. Celle-ci fut reconstruite
immédiatement non pas par des habitants de Christiania, mais par des
défenseurs extérieurs du freetown, pendant que d'autres
érigeaient des barricades dans Princessgade pour détourner
l'attention de la police.
3.4.2 Christiania dans les médias
Se rendre visible, se faire voir par les médias,
accéder à l'espace public est souvent un enjeu important
pour un mouvement social (pas toujours, dans la mesure où certains
rejettent la présence des médias de masse, affiliés et
complices de l'idéologie capitaliste et de la classe dominante et
préférant le recours à un « journalisme
DIY » : blogs, Indymedia, etc...). C'est le cas de Christiania
où l'accès et la diffusion médiatique ont
été un outil très utilisé par les Christianites.
Cependant la « médiatisation » entraîne avec
elle un certain nombre de contraintes et d'écueils à
éviter pour le mouvement social. Ainsi, la parole publique doit
être contrôlée de sorte que la mobilisation parle d'une
seule voix, et celle-ci doit être
« vulgarisée » si l'on veut que le discours soit
facilement repris par les médias. La logique de la
« spectacularisation » d'une mobilisation a souvent
été très maitrisée par les Christianites qui ont
ainsi bénéficié d'un outil de promotion indéniable,
quitte à diluer le message politique.
Dans le processus de promotion de Christiania, mis en place
par les Christianites eux-mêmes afin de se défendre, le rôle
et l'importance des médias de masse, nationaux et encore plus le
médias internationaux, fut et demeure donc très importante. Les
médias ont été l'une des meilleures armes des
Christianites dans leur combat politique avec les autorités. Si les
médias ont parfois été très critiques envers
Christiania (en particulier lors des premières années), ils ont
en règle général et au fil des années adopté
une attitude plutôt « bienveillante » à
l'égard de Christiania (cf. l'article du quotidien danois
Politiken et repris dans Courrier International n°705).
L'image d'espace stigmatisé associé à la violence,
à la drogue, et soumis au règne des gangs, etc... s'est
progressivement transformée en une image d'espace calme et pacifique,
expérimental et créatif tout en associant à Christiania un
caractère relativement folklorique. Par exemple, Maria Hellström
Reimer raconte l'histoire du film-documentaire de 46 minutes,
« Journal du freetown » (`Dagbog fra en fristad'),
qui fut diffusé à la télévision nationale le
1er avril 1976, alors que le gouvernement venait de planifier le
« nettoyage » de Christiania qui devait intervenir trois
mois plus tard. « Ce documentaire du réalisateur danois
Poul Martinsen a suivi une famille danoise « typique », la
famille Hansen d'une banlieue située entre Copenhague et Roskilde :
Hedehusene, dans leur visite à Christiania. Eli Hansen est un ouvrier du
bâtiment au chômage qui a la quarantaine ; Lise Hansen est une
aide à domicile qui approche la quarantaine ; et leurs deux fils,
Morten, onze ans, et Jesper, seize ans. Ils ont accepté de passer une
semaine dans le Freetown, et le documentaire propose ainsi une perspective
`insider/outsider' de Christiania. Alors que la famille estimait à
l'origine que la communauté devait être fermée, à la
fin de la semaine, Monsieur et Madame Hansen et leurs fils avaient
changé d'opinion. En ayant partagé le quotidien des
Christianites, la famille s'est rapprochée du point de vue que
Christiania, en tant qu'alternative, devait subsister. En retransmettant ce
changement d'attitude, le séjour télévisé de la
famille Hansen a peut-être fait comprendre au gouvernement que le
« nettoyage » était politiquement impossible, et
seulement deux jours avant la fermeture programmée, le gouvernement
lança l'idée d'un `atterrissage en douceur' changea la demande de
fermeture immédiate pour une fermeture `sans délai
urgent' » (HELLSTRÖM REIMER : 132).
Les médias internationaux quant à eux ont en
général offert une image plus que flatteuse de Christiania et en
ont fait ouvertement la promotion en décrivant Christiania comme un
endroit extraordinaire, à ne manquer sous aucun prétexte si l'on
visite Copenhague (cf. à titre d'exemple l'article publié dans le
Guardian du 30/09/2011, p.3, ou encore l'article du monde « A
Copenhague, les touristes aiment s'aventurer dans le quartier de
Christiania » du 12/10/2007).
En partie du fait de sa médiatisation et de sa mise en
scène spectaculaire, Christiania a progressivement été
dépossédé de son message politique : à
savoir, la critique des insuffisances du modèle social-démocrate.
En d'autres termes et pour conclure sur ce point, cette citation du sociologue
britannique spécialiste des `cultural studies' Dick Hebdige me semble
particulièrement pertinente et tout à fait transposable à
Christiania21(*) :
« comme le signale Stuart Hall (1977)22(*), la télévision
et la presse ne se contentent pas d'enregistrer les résistances
culturelles, « elles les réinscrivent dans la configuration de sens
dominante ». Les jeunes qui choisissent de participer à une
sous-culture spectaculaire sont simultanément « retournés
» à travers leur exposition dans les médias et
renvoyés à la place que leur confère le sens commun,
à savoir celle de « bêtes sauvages », sans aucun doute,
mais aussi de « braves fils de famille », de « pauvres
chômeurs » et de « jeunes gens à la mode ». C'est
par le biais de ce processus constant de récupération que l'ordre
subverti est restauré et que les sous-cultures sont
intégrées en tant que spectacle distrayant au sein de la
mythologie dominante dont elles émanent en partie : « démon
familier » (folk devil), figure apprivoisée de l'Autre et de
l'Ennemi » (HEBDIGE, 2008 : 98).
Quatrième
partie : Un espace à double tranchant pour les autorités
Immédiatement après le début de
l'occupation en 1971, un petit groupe de personnes a formulé l'objectif
suivant pour Christiania :
«L'objectif de Christiania est de construire une
société autonome où chaque individu peut s'exprimer
librement et doit rendre des comptes à la communauté. Cette
société doit être autonome financièrement, et les
aspirations communes doivent continuellement s'attacher à montrer que la
pollution mentale et physique peuvent être évitées.
»
13/11-1971. Ainsi formulé par Sven, Kim, Kim, Ole et
Jacob 23(*)
4.1 Un espace subversif...
Cet objectif est un élément central de
Christiania. Au-delà de ses prétentions utopiques d'une
société idéale, il est le point de départ de la
constitution d'une communauté dont le but sera de subvertir les normes
existantes. Cette subversion s'exprimera à Christiania par
différents canaux, qu'il s'agisse du mode de fonctionnement interne
à Christiania qui va prôner la démocratie directe avec des
assemblées de quartiers, ou des manifestations politiques des mouvements
sociaux qui trouveront à Christiania de nombreuses ressources (lieux de
réunion, point de convergence des luttes...). Aussi, le
théâtre d'action politique occupera une place centrale dans la
remise en cause de la vie quotidienne. Aujourd'hui, force est de constater que
les entreprises de subversion qui ont vu le jour à Christiania sont
beaucoup moins radicales et qu'elles ont été
réappropriées, réintégrées par les normes de
la société.
4.1.1 Un fonctionnement selon des
principes libertaires
« La présence du fait politique est
partout dans la ville : la ville exerce des fonctions politiques ou
administratives à l'égard d'un territoire plus ou moins
vaste ; elle participe à l'encadrement territorial. Elle
gère, d'autre part, ses propres affaires. Mais la ville, lieu de
centralité, est également site privilégié de
l'expression, de la diffusion des idées, de la lutte aussi ;
capitale, elle organise les dominations comme elle couve les
révolutions » a écrit l'urbaniste Marcel
RONCAYOLO24(*). L'esprit
originel de ce fait urbain de la capitale danoise qu'est Christiania est en
partie le résultat de la rébellion de la jeunesse dans les
années 60 qui avait un idéal et la motivation
d'expérimenter une gouvernance démocratique alternative.
« Le seul dénominateur commun des nouveaux habitants
était un anarchisme réduit à l'essentiel, l'horreur de la
hiérarchie en constituant l'alpha et l'oméga. Deux principes
indispensables à tout squat s'y greffèrent : la
supériorité du droit d'usage sur le droit de
propriété (en principe, qui s'absente plus de trois mois perd
tout droit au local qu'il prétend conserver) et le recours à la
discussion plutôt qu'à la force » note Jean-Manuel
TRAIMOND (1994 : 99). Comme je l'ai déjà
évoqué plus haut, il y a eu une production de normes implicites,
qui ont disciplinarisé l'espace et les corps.
Aussi, la question de la participation des habitants dans les
prises de décisions politiques (autrement dit la démocratie),
concernant leur ville, leur quartier, leur environnement, est une question
souvent reprise dans le débat politique contemporain (l'un des arguments
principaux de la campagne présidentielle de Ségolène
Royale en France en 2007 par exemple était la
« démocratie participative » sensée
répondre à cette question). La participation des habitants dans
les prises de décisions sur leur quotidien est une des
caractéristiques principales de Christiania. C'est cette participation
lors des assemblées, par leurs règles de droit propre, que les
Christianites s'assurent et expriment leur autonomie politique, bien plus qu'un
simple rassemblement territorial ou économique. Le mode de prise de
décision au sein de la « commune libre » est
emprunté à la tradition libertaire à travers la
démocratie directe sans aucun contrôle étatique.
Face aux différents problèmes qui pouvaient se
poser à Christiania, « la solution [...] exigeait souvent soit
une action concertée, soit une règle contraignante. Qui allait
édicter cette règle contraignante ? Møde, en danois,
signifie réunion, assemblée. Assemblée
générale se traduit par fællesmøde. Les
premières assemblées générales se
rassemblèrent donc. Il fut vite évident que leur autorité,
en théorie la seule possible, serait limitée. (TRAIMOND
2000)». L'assemblée générale, le
fællesmøde, avait donc autorité pour édicter des
mesures contraignantes. Mais de l'aveu de J-M TRAIMOND : « il
fut vite évident que leur autorité, en théorie la seule
possible, serait limitée », considérant que :
« Trois cents personnes (dont vingt plus ou moins ivres, cent
fumant joints et shilums, cinq accompagnées de bébés
hurlant, douze accompagnées de chiens aboyant, deux d'une santé
mentale vacillante) prennent malaisément des décisions
pratiques », et que « bon nombre de christianites,
préférant la bière à l'anarchisme ressentent peu de
respect à l'égard des fællesmøder. Ce qui ne
signifie pas qu'ils en négligent systématiquement les
prescriptions. » (TRAIMOND 2000).
L'inefficacité des fællesmøde,
le « souverain ultime du corps politique
Christianite », entraina la division administrative de Christiania en
zones, très inégales en termes de populations (la plus grande
recense 80 personnes, la plus petite seulement 9), dont le nombre varie selon
les périodes et les sources, mais dont on peut aujourd'hui fixer le
nombre entre 13 et 15 (cf carte en annexe) : « l'ordre normal de
décision politique ou de résolution des conflits était
ceci : On discute entre voisins [dans les assemblées de zone :
områdemøder], ou au husmøde
(réunion de maison) ». Toutes les affaires intérieures,
qu'il s'agisse de questions d'ordre purement pratique, économique ou
social, sont discutées lors des réunions mensuelles de zone
où seuls les résidents de la zone ont accès. Pour les
questions qui touchent la communauté toute entière,
l'Assemblée générale de Christiania, le
fællesmøde est maintenu : « 80 % (mon
estimation, que je ne crains guère de voir contester) des litiges (je ne
parle donc pas des débats politiques) tranchés par les
område - et fællesmøder concernent l'occupation de tel ou
tel appartement, maison, roulotte... » (Ibid.).
Si la résolution d'un conflit échoue à
l'områdemøder, le conflit est discuté au
fællesmøde. Si aucune solution n'est adoptée,
« on recommence, à l'un quelconque des échelons.
Jusqu'à ce qu'un jour la solution naisse, ne serait-ce que de la
lassitude générale » (Ibid.).
En parallèle à ces deux sortes de
réunions, il existe également des réunions d'affaires
composées principalement de représentants des différentes
entreprises de Christiania. Ces réunions sont ouvertes à tous les
Christianites - et aux Christianites seulement! Ces réunions sont donc
une affaire purement intérieure, fermée à l'observateur
extérieur - et tout le monde y a librement la parole.
La structure du mode de prise de décision est
organisée autour du principe de consensus démocratique et le
rejet du vote, qui signifie qu'en principe une décision peut être
prise s'il y a un consensus autour d'elle. Ce processus de prise de
décision est directement emprunté aux assemblées vikings.
Lors de notre entretien avec Richard Lee Stevens, celui-ci est revenu
également sur le déroulement d'un
fællesmøder où les personnes souhaitant
prendre la parole doivent demander « le bâton de
parole »:
Entretien avec Richard Lee Stevens
When you were finished speaking, you give it to somebody
else who wants to speak. And when he's finished speaking, he gives the stick to
somebody else who could speak.
Then you put the stick down and we are all agreeable on
it.
At the beginning this was a relatively new, interesting
... process.
But strangely enough, or (possibly?) enough we have kept
... the process all along till this day.
That means we have never at any time made a vote. We have
always spoken openly and the real condition is that there is usually people who
suggest what we have to talk about, what kind of decision we have to make. Many
time it's about, relationship with the government, with the outside government
or some kind of relation with the violence or [some kind of] a bar, or problem
in a bar. So we have someone raise the question and ... the question and tries
to present the different parts of the problem. And many people talking who know
about the problem, they come and talk about it. And then the guide, the one
who's running the meeting says `we're finished with that. Now it's open for
discussion'
And then the person who wants to speak, whoever raises
their hand and they can speak.
At one point, the one who's running the meeting says
`We're going to take a break now' and we try to precise where we are in
...
So she or he raises the point again and he tells about
what we have to talk about this , it seemed to be we'd be ... agreeable on this
part of it, but we're still not ... on other part. If everybody agree about
that, we can go further.
Making one hour, two hour-discussion then try to
reformulate the question until we come to the point when we have to make a
decision and then we found that we are all agreeable.
This, takes a lot of time.
Comme évoqué plus haut, Jean-Manuel Traimond a
témoigné des difficultés qui pouvaient survenir lors des
réunions à Christiania. Aussi, la reproduction des rapports
sociaux de domination qui structurent nos sociétés peuvent se
retrouver dans les mouvements sociaux, en particulier lors des
assemblées : les ambitions personnelles, les logiques de
confiscation du pouvoir, la confiscation de la parole et l'instauration de
médiations qui limitent les relations interindividuelles sont des
critiques qui sont souvent adressées aux assemblées lors des
mouvements sociaux outre leur lenteur.
« Il est remarquable que, pour la période
dont je peux traiter avec sûreté, soit 1971-1984, les
règles positives du droit christianite sont restées
extraordinairement peu nombreuses, en gardant à l'esprit qu'on ne
saurait qualifier de règles positives les interdictions du meurtre, du
viol.... qui pour les christianites tombent sous le sens. [...] Les
aktivister (activistes) plus politisés, en général
d'origine bourgeoise et de haut niveau de scolarisation, ont poussé
à la création de plusieurs autres règles qui n'ont jamais
entraîné la même unanimité :
- Le « loyer » (contribution à la caisse
commune) ;
- La règle selon laquelle n'ont droit à
participer aux møder que les gens qui dorment à Christiania
(Nombre de vendeurs de haschich qui passent toute leur journée à
Christiania sans y dormir s'invitent aux faellesmøder qui les
intéressent);
- L'interdiction de vendre une habitation à son
occupant suivant ou de l'acheter au précédent ;
- L'interdiction d'installer de nouvelles roulottes
;
- L'obligation d'en référer à
l'områdemøde pour qui souhaite emménager (afin que, d'une
part, les droits de ceux qui ont depuis longtemps demandé à
emménager dans tel ou tel endroit lorsqu'il deviendrait libre soient
respectés. Et, d'autre part, afin que l'on puisse éviter d'avoir
pour voisin quelqu'un d'impopulaire ou de dangereux).
Si elles sont plus ou moins contestées, ces
règles existent encore aujourd'hui à Christiania.
La lenteur des assemblées générales, si
elle pouvait être un inconvénient à première vue, a
aussi joué un rôle positif pour les Christianites. En effet, ce
mode de prise de décision interne a aussi permis de
considérablement ralentir l'action politique des gouvernements. Comme je
l'ai montré plus tôt, le Danemark a construit en particulier au
long du XXème une « identité
sociale-démocrate » notamment caractérisée par
le dialogue. En usant de ce mode de prise de décision, qui peut
être particulièrement long comme le rappelle Richard Lee Stevens
dans l'entretien, le gouvernement ayant reconnu Christiania comme un
interlocuteur légitime a parfois dû attendre de longs mois avant
d'obtenir une réponse de la part des Christianites.
4.1.2 De faibles manifestations
politiques
L'histoire de Christiania est liée à un contexte
politique qui était celui de la « Nouvelle
gauche » : « En outre, en dépit des
méthodes illicites, le but du Freetown lui-même n'était pas
sans résonance [...] avec une société influencée
par la Nouvelle Gauche et les visions communautaires qui se propageaient
à cette époque rebelle concernant le droit des peuples à
l'autodétermination, le choix d'un mode de
vie » (THÖRN, 2011 : 44). D'après Razmig
KEUCHEYAN, « la nouvelle gauche politise des aspects de
l'existence jusque-là considérés comme extérieurs
au champ politique. La politisation de la sexualité en
est un exemple, dont on sait l'importance qu'elle prendra au cours des
années 1970, notamment au sein des mouvements féministes et
homosexuels. C'est pourquoi la « critique de la vie quotidienne »
chère à Henri Lefebvre constitue une thématique centrale
de la période. Elle débouche sur une mise en cause des formes
traditionnelles - social-démocrate et centraliste démocratique -
d'organisation de la gauche, au bénéfice d'organisations moins
hiérarchisées et plus souples. (KEUCHEYAN, 2010 :
51) ». Durant les années 80, perçues en
général comme l'avènement du néolibéralisme,
le Danemark voit aussi l'émergence et le développement de
mouvements sociaux forts au sein desquels Christiania jouera un rôle
moteur (mouvement des femmes, mouvement pacifiste, mouvement écologiste,
mouvement squat, mouvements de solidarité...). Par exemple, en 1976, Le
Front de libération homosexuel (Bøssernes Befrielses Front)
s'installe à Christiania et Bøssehuset (« la maison
gay ») est créé...
Présenté comme un espace contre-culturel et une
sorte de « micro société alternative », la
première visite à Christiania fascine. Mais après
seulement quelques heures d'observations, on en vient vite à se demander
si Christiania n'est pas devenu une parodie d'elle-même. Ce sentiment est
très bien retranscrit par Christa Amouroux qui fait part à
la fois des tensions internes dans le freetown, et du malaise de certains
activistes face à ce que devient Christiania, c'est-à-dire un
marché de cannabis en plein air :
«Within Christiania the closure of Pusher Street was
fraught with tension. For many activists, Pusher Street was sapping the
community of its vitality and legitimacy, and reducing Christiania to a parody
of itself a . From this point of view, Christiania became synonymous
with drugs, illegality, and transgression. These activists said the community
was plagued by the effects of the hash trade's professionalization:
intensification of policing, raids, criminality, violence, and
commercialization b .The anti-consumption and anti-capitalist
philosophy that formed the basis of Christiania's ideology was openly mocked by
the intensely guarded space of Pusher Street where millions of Danish Kroner
were made every year, and where grim-faced pushers were constantly on the
lookout for undercover cops, suspecting a raid at any time.»
a. Although there are many sub-groups in Christiania,
the two main groups most often identified are--the activists and the pushers.
The activists are the ones who took the time to speak with me and represent
only a fraction of the total population, and I did not have the opportunity to
speak with that many who identify as «pushers.» The few conversations
I had with the pushers were guarded because they are extremely wary of speaking
with potential «informants.»
b. Christiania is at once a trademarked community and
an internationally recognized «brand,» but it is also associated with
the anti-capitalist, women's and peace movements. Members from these various
groups participate in developing transnational political connections when they
contribute to blogs on Christiania website, attend conferences and participate
in what Christianitter refer to as «happenings.» Christiania
maintains its status as cultural critic through its marketing, merchandising
(buttons, t-shirts, stickers, etc) and a variety of other political practices
(for example, by protesting the war in Iraq or hosting and cross-fertilizing
with other social movements). (AMOUROUX : 116)
Toutefois, cette relation aux drogues à Christiania
peut être perçue comme un acte de désobéissance
civile sur la vie quotidienne. Dans ce contexte, être un dealer ne
devrait dès lors plus être entendu simplement comme comportement
criminel individuel. Puisque la communauté accepte tacitement l'usage de
certaines drogues, les fournir à un prix raisonnable fait partie du
processus de vie selon les normes et les valeurs autodéterminées.
Afin de régler les tensions entre pushers et activistes la solution
serait donc de faire valoir la vente de cannabis comme un acte politique.

Figure 9 Lors de la visite parlementaire de
Christiania le 7 juin 2012, on observe au premier plan des policiers en
uniforme, et devant eux un petit groupe de manifestants suivant la
délégation, dont une personne avec un drapeau `Fri
Hash'.
Mis à part la mobilisation en faveur de la
dépénalisation des drogues douces, on ressent peu d'engagement
politique et activiste à Christiania. Lors de mon enquête de
terrain, principalement fournie par mon observation participante
extérieure à Christiania, où mon rapport au freetown
était le même qu'un habitant de Copenhague, la grande
majorité de mes sorties à Christiania étaient
gouvernées par un intérêt culturel : aller voir un
concert, sortir dans un bar, voir une exposition ; ou simplement pour
flâner, et non pas politique. J'ai eu très peu l'occasion de voir
des manifestations politiques à l'intérieur même de
Christiania. Mis à part quelques affiches pour des manifestations ou des
concerts antifascistes, et des manifestations pour la légalisation du
cannabis.
Cette sensation de « manque
contestataire » me sera confirmée à plusieurs reprises
lors de discussion avec des habitués de Christiania et d'autres
habitants de Copenhague (étudiants, militants politique...)
Notes de terrain
Aujourd'hui j'ai revu Patrick25(*) au Pêcheur de lune tout
à fait par hasard. Alors que je prenais un café, il s'installe
avec moi et nous commençons à parler de Christiania. Je lui avoue
que je suis un peu surpris de l'absence de manifestations politiques à
Christiania et que je n'ai pas l'impression qu'il y ait une réelle
conscience politique parmi les gens qui viennent ici. Il me
répond : « c'est vrai qu'il ne se passe pas
grand-chose ici... et c'est dommage car c'est un endroit qui devrait accueillir
des grandes manifestations internationales ! En plus il y a des gens qui
attendent ça ! Et bon à part ce qu'il y avait eu là
pour l'environnement il y a deux ans c'est sûr que c'est
dommage ! »
Les mouvements revendicatifs des grands débuts (comme
on peut les voir par exemple dans le livre de CATPOH) semblent loin. Si la
structure de l'organisation anti-hierarchique et la démocratie directe,
fidèles à l'esprit anti-autoritaire qui a vu naitre Christiania,
demeurent, Christiania n'est plus aujourd'hui le catalyseur de mouvements
sociaux qu'il a pu être. Toutefois, des liens ont été faits
avec le mouvement `Occupy Wall Street' puisque certains habitants de
Christiania sont allés sur place, et ont retrouvé là-bas
une organisation proche de celle de Christiania :
«So this kind of way of working: we have no
leaders, and never had a ... leader, is an interesting way of living and we can
see today that in fact, we just, for, a couple of... half a year ago we went to
occupy Wall Street, some people of Christiania went to occupy Wall Street. In
the beginning, cause `Occupy Wall Street' movement has no leaders also. All ...
What we're in now, even though we've been here for years, they've gradually
begun to be other kind of social movements which have this kind of a
character.
Previous social movements, whether we're talking about
women's movement or civil rights' movements all of them had leaders. And people
who worshipped ... who were used as leaders ... spokesmen. But this aspect is
beginning to change now. And it's interesting because we've been doing this for
40 years. But there are being now starting other movements which are trying to
develop a movement in another way of life, in another way of living, another
way of existing another way of being with each other
...»(Entretien avec Richard Lee Stevens)
«You could say that we have experience with occupying a
piece of public ground for more than 40 years,» Manghezi said. «We
would like to share our experience with the movement.» (CREMER,
Justin, «Christiania goes Wall Street», The Copenhagen Post, 4
novembre 2011)
Bien qu'il n'y ait plus une activité militante
florissante, Christiania demeure un espace de formation politique pour de
nombreux jeunes de Copenhague. L'influence de Christiania sur des
générations de mouvements politiques contestataires, en
particulier les mouvements anti-autoritaires, a été sans
équivoque. « Comme un Christianite l'a expliqué,
dans une grande partie de l'Europe des militants politiques émergent
généralement du milieu punk rock dur, alors qu'au Danemark,
beaucoup de gens qui deviennent activistes étaient d'abord des hippies
dont les premières expériences d'actions
autodéterminées étaient à Christiania. Christiania
est une base arrière sécurisée où les squatteurs
expulsés peuvent s'échapper et à partir de laquelle de
nouvelles actions peuvent émaner ; Christiania offre un
répit dans la tourmente de la répression urbaine et le
stress » (KATSIAFICAS 184).
L'hypothèse évoquée en début de
paragraphe et faisant reposer le manque d'activité politique sur les
tensions entre `pushers' et `activistes' est intéressante. On comprend
en effet que ces tensions, querelles et autre bagarres ont pu finir par
épuiser les plus militants des membres de la communauté.
Toutefois, ces tensions ne peuvent pas expliquer à elles seules que ce
qui fut la piste de lancement de nombreux mouvements sociaux dans les
premières années soit aujourd'hui amorphe en termes de
portée contestatrice. Il me semble plutôt qu'une pluralité
de facteurs vient s'ajouter à ces tensions. Il faut bien voir d'abord
que les Christianites luttent déjà pour la survie de Christiania
depuis aujourd'hui 40 ans. Le « laissez-nous vivre comme nous
l'entendons » adressé aux autorités par les
Christianites est bien le message le plus diffusé par les Christianites.
4.1.3 De la subversion par la (contre-)
culture
A l'image du mouvement Provo aux Pays-Bas, Christiania
représente un « style de vie, avançant la quête
de l'infini, de l'inconnu et de l'irrationnel, s'opposant aux valeurs strictes,
à la culture rationnelle et aux bornes bien définies de la
société bourgeoise ». Toujours à l'instar de
Provo, Christiania « a sa place parmi la contre-culture puisque nous
y trouvons le refus de l'aliénation, pris dans un sens
général, et la mise sur pied de structures parallèles.
Dans ce mouvement, il y avait des tendances à la marginalité dans
et en opposition à la société, ainsi qu'une dimension de
rupture et de contestation culturelle. C'était un mélange
paradoxal de contestation esthétique et politique, profondément
imprégné de valeurs romantiques » (PAS, 2005 :
345). Les ressemblances entre le mouvement Provo et Christiania ne
s'arrêtent pas là. Avec le même « romantisme
libertaire », les thèmes abordés étaient les
mêmes, comme la guerre du Vietnam, la vie communautaire, la
liberté sexuelle. Les mouvements contre-culturels comme celui des Provos
furent une source d'inspiration pour les futurs Christianites.
Autre influence contre-culturelle qui transpire à
Christiania : les Diggers de San Francisco, surtout à travers
l'expérience du théâtre d'action politique Solvognen,
arrivé à Christiania au Printemps 197226(*). Le petit groupe de San
Francisco, influencé par le mouvement hippie, la contestation contre la
guerre au Vietnam, l'émergence du Free Speech Movement et admirateur de
la révolution cubaine et de Che Guevara pratiquait le `Guerilla
Theater' qui consiste à faire du théâtre,
considéré comme un moyen de contestation politique, dans la rue
tout en connaissant le terrain et en étant mobile afin d'échapper
aux arrestations. Pour leur part, la plupart des membres de Solvognen
(« Le charriot de soleil ») avaient été des
activistes défenseurs du Vietnam, des squatteurs, des hippies, des
yippies et ils étaient toujours en contact avec des groups
protestataires. Par exemple, le Comité Vietnam prêta
« micros, amplificateurs et mégaphones » pour la
performance de l'Armée de Pères Noël (TRAIMOND, 1994 :
73). Dans le même esprit que les Diggers, le
« théâtre d'action » de Solvognen
« implique une intervention dans une situation déjà
établie, c'est à dire, le public et les autorités sont
contraintes à co-agir et donc à révéler ce qui est
normalement masqué par l'ordre établi ». De plus, autre
élément nourrissant son caractère subversif :
« le théâtre d'action n'est pas reconnu comme du
théâtre par la société bourgeoise et n'a donc pas sa
place dans le cadre du ministère des Affaires culturelles, mais sous le
ministère de la Justice » (JORGENSEN, 1982 :17).
Les actions de ce théâtre d'action ont
été nombreuses et souvent retranscrites dans des livres ou des
articles et il serait trop long d'en faire tout le répertoire ici.
Toutefois, certaines actions nous renseignent sur le caractère et
l'importance de ce théâtre. La première pièce de
Solvognen eut lieu à Christiania dans le « Grey
Hall » et était intitulée Elverhøj
(« la colline des elfes »). Dans cette pièce, un
dragon avalait les capitalistes en clignant des yeux ;
« clairement le dragon [...] était une
référence directe à la Chine de Mao »
(JORGENSEN : 21). Ce même dragon servira par la suite de symbole en
étant présent lors des manifestations dans la cour du
ministère de la défense.
Plus tard, organisa la NATO Army qui était une
action de critique de l'impérialisme américain. Une centaine de
personnes y participèrent. Le but déclaré de l'action
était de « familiariser la population civile aux tentatives
renforcées de l'OTAN visant à neutraliser des
éléments subversifs et anarchistes dans notre
société » au moyen d'exercices militaires durant six
jours à Copenhague. L'action de Solvognen fut lancée lors de le
conseil des ministres de l'OTAN en Juin 1973. Cette action attira beaucoup
d'attention et eut une large couverture médiatique.
A Noël 1974, Solvognen présenta aux habitants de
Copenhague (et, par la radio et la télévision, l'ensemble de la
population) « l'armée de Père Noël ».
Cette action prévoyait d'interpréter littéralement le
mythe de la générosité sans limite du Père
Noël, « de manière à montrer que la
générosité et la bonté ne peuvent être
vraiment réalisées selon les modalités offertes par une
société capitaliste » (JORGENSEN : 17). Les
actions des premiers jours (`la première phase') devaient
rafraîchir l'image du Père Noël bon et généreux
et cimenter cette image dans la conscience publique. Par exemple, après
avoir donné des bonbons à des enfants, ils rendirent visite
à des personnes âgées, les Pères Noël
tentèrent aussi de remédier aux problèmes du chômage
et de la pénurie de logements. On vit encore les Pères Noël
« aborder des ouvriers défonçant la chaussée,
leur offrir une bière et prendre leur pioche pour travailler à
leur place [...] dans les écoles distribuer des livres (une bande
dessinée contestataire) aux enfants [...] dans les autobus distribuer
des livres, des poulets surgelés et des tickets [...] entrer en rang par
deux dans la cour du quartier général de la police [où]
ils chantèrent des julesange27(*) » (TRAIMOND, 1994 : 74).
L'objectif était de montrer qu'il fallait bien plus que la
charité de Noël pour régler ces problèmes. L'action
entra ensuite dans une nouvelle phase, plus dure, où la stratégie
était de révéler le vrai visage de la
société bourgeoise : « les pères noël
proclamèrent que leur arrivée était `le dur accouchement
d'un enfant sain par une société malade' » (ibid. 74).
Cette phase commença lorsque l'Armée de Pères Noël
escalada une clôture de barbelés entourant l'usine de montage de
General Motors où des ouvriers devaient être licenciés
« pour donner des emplois à leurs propriétaires
légitimes ». L'action prend ici une tournure encore plus
politique, en prenant le parti de la classe ouvrière et en affirmant sa
solidarité dans la lutte contre le chômage. Dans les jours
suivants, l'Armée de Pères Noël se rendit d'abord au
tribunal du travail « cette court hostile à la conscience de
classe ». Après un discours se terminant par « A bas
le tribunal du travail », prononcé par un auteur
célèbre (Ebbe Kløvedal), les pères noël
« [suivirent] cette instruction à la lettre et
[procédèrent] sur-le-champ à la destruction du Tribunal
grâce aux barres à mine, aux pioches et aux marteaux-piqueurs
dissimulés sous la banderole » (ibid. 75). Le lendemain ils se
rendirent dans deux grands magasins pour distribuer des cadeaux aux clients
(des livres qu'ils prenaient sur les présentoirs dans le magasin).
Chacune de leur action fut accueillie par une intervention de la police, ce qui
venait renforcer leurs idées et mettait en évidence les facteurs
d'oppression dans la société : « Solvognen
atteignit enfin son but lorsqu'on vit, devant des journalistes
discrètement prévenus, un policier matraquer un père
noël » (Ibid. 76). L'autre but de leur action fut atteint, en
parvenant à montrer « le caractère fictif de la
charité de Noël » (JORGENSEN : 18).
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Figure 10 L'Armée des Pères Noël
dans les rues de Copenhague, avec "l'Oie de Troie"
Plus tard, Solvognen continuera de produire des pièces
de théâtre à Christiania, dans le Grey Hall ainsi que sous
un chapiteau en abordant différents thèmes : la domination
masculine (Kobmandsliv), le fascisme (Soldaterkammerater), la
pollution (Dyrehaere), la dépendance aux drogues (Det hvide
slot), et le chômage dans la dernière
pièce (Chartertour Amora).
Ce théâtre anti-autoritaire assumait son
caractère socialiste, ce qui lui valut d'être décrit comme
«la manifestation culturelle de gauche la plus puissante à ce
jour » (Ibid. 23). Les caractéristiques propres à ce
théâtre politique en font un acteur majeur du caractère
subversif de Christiania. En effet, « probablement plus de 500
personnes ont été impliquées dans les activités de
Solvognen au fil des ans », le groupe n'étant composé
que d'amateurs (ibid. 24). De plus, dans leurs activités internes, les
membres de Solvognen avaient cherché à s'organiser selon un mode
de fonctionnement anti-autoritaire et autogéré :
« la division du travail clairement définie dans les
théâtres « établis » (entre les
artistes et les techniciens, et avec la coordination de la gestion et de la
distribution des emplois) est totalement étrangère à la
Solvognen. Ce que le théâtre institutionnalisé garde
séparé et attaché à certaines personnes ayant des
compétences (dramaturge, producteur, acteur), Solvognen le conserve
comme un ensemble uni, cela de manière aussi systématique qu'on
ne trouve trace d'un culte de la vedette. Les performances sont le
résultat d'un sentiment collectif, et, par conséquent, le groupe
n'a jamais mis en avant l'un des contributeurs. Pas même dans les
interviews données par les membres de Solvognen l'idée du
collectif ne fut trahie. Dans les premières années, les membres
sont toujours apparus comme membres de la fictive `famille Jensen' »
(ibid. 24). Au-delà même du théâtre, le projet de
Solvognen était de chercher à développer une autre
organisation de la société en abattant les cloisons entre le
théâtre et la vie quotidienne : « Solvognen est le
groupe de théâtre danois qui a le plus constamment collé
à l'idée qu'il ne devrait y avoir aucune limite entre le
théâtre et les autres activités politiques. Le travail du
groupe a été, en soi «une tentative de développer une
nouvelle façon d'organiser l'existence humaine et, dans ce cadre, de
mettre au point un nouveau procédé de production par les
co-producteurs, où l'individu contribue à la création d'un
produit en fonction de la capacité et l'envie. "(KjargaardJ, orgen &
Carl Chr. Reiche, Solvognens sceneteateraestetik csc frigorelse).
L'organisation et le mode de production sont dans un sens une partie de
l'utopie de Solvognen, tout comme les performances sont une réalisation
naissante de celle-ci » (ibid. 25).
Selon David HEBDIGE, « en resituant et
recontextualisant les marchandises, en détournant leurs usages
conventionnels et en en inventant de nouveaux, le promoteur d'un style
sous-culturel ouvre au monde des objets la voie de nouvelles
lectures secrètement subversives » (HEBDIGE 108). Cette
formule pourrait tout à fait s'appliquer à Solvognen. Bien qu'il
ne s'agissait pas nécessairement de
« marchandises », Solvognen avait détourné le
théâtre de ses usages conventionnels et en avait inventé de
nouveaux, se faisant ainsi un agent de subversion de la société
danoise des années 1970.
Dès le départ, l'Etat avait cherché à
institutionnaliser Christiania en lui accordant un statut légal
spécialement inventé à son intention : celui
d'expérience sociale. Comme je l'ai déjà
évoqué plus haut, sa durée programmée est de trois
ans, mais grâce à une mobilisation populaire importante, le
gouvernement renoncera. Par la suite les pressions gouvernementales
s'accentueront de plus en plus afin de « normaliser »
Christiania.
4.1.4 Une institutionnalisation
progressive
Toute une série de circonstances ont contribué
à une institutionnalisation progressive de Christiania. Petit à
petit, elle s'est transformée d'un lieu de loisir, en lieu de vie, puis
en lieu de travail, tout en étant chaque année un endroit de plus
en plus touristique.
Le simple fait que les Christianites aient du
« acheter leur liberté », en achetant le terrain,
est un signe de cette institutionnalisation. Bien que le site internet mis en
place pour récolter les fonds via les `Action populaires' annonce que
« l'accord et la construction d'un nouveau fonds veille à ce
que le logement à Christiania échappe à la
spéculation dans l'avenir »28(*), la réintroduction de la notion même de
propriété, réintroduit de fait cet espace dans le
marché de l'immobilier. En effet, les habitants de Christiania n'ont pas
l'autorisation de vendre leur maison, ni le terrain, ni de faire quelconque
opération qui leur rapporterai un profit selon l'accord passé
avec le gouvernement. Néanmoins, en devenant propriétaire du
lieu, de nouveaux problèmes se poseront pour les Christianites, en
particulier en termes de responsabilité, ce qui donnera aux
autorités de nouveaux moyens de pression. De plus, le système
d'actionnariat privé, pour soutenir la campagne de récolte de
fonds, même s'il est symbolique, demeure un des piliers du capitalisme et
de l'économie de marché. Que les Christianites aient recours
à un tel système est surprenant et montre, sinon la chute des
idéaux contestataires du Freetown, son institutionnalisation
croissante.
L'institutionnalisation se manifeste aussi par exemple
à travers le droit du travail que les Christianites avaient tenté
de mettre en place : « Christiania a loyalement tenté de
bâtir une économie non capitaliste [...] Il a semblé
évident que dans les collectifs de travail tous étaient
égaux et que la seule autorité ne pouvait être que le
møde des collègues (medarbejdermøde). Mais ici le droit
christianite a été pollué par le droit extérieur,
depuis que nombre d'activités économiques christianites ont
adopté les règles danoises en se déclarant aux
autorités. (TRAIMOND 2000) ». Les Christianites avaient
toutefois convenu d'un salaire horaire minimum pour leurs activités
économiques, et celles qui n'étaient pas déclarées
aux autorités continuaient à être régies par les
règles Christianites (Ibid.).
Une autre manifestation de cette institutionnalisation de
Christiania vient de l'art : des artistes Christianites vont peu à
peu être reconnus et invités à intégrer les
réseaux institutionnels de l'art. Par exemple, en 1977, L'exposition
christianite Kærlighet og Kaos (Love and Chaos) s'ouvre à
Charlottenborg, centre d'exposition artistique situé sur la place
royale. L'art Christianite, à l'origine espace contre-culturel, va
désormais s'exposer dans des galeries hors de ses propres murs, en plein
coeur de Copenhague, à côté de la résidence royale.
Le marketing est un autre élément montrant
l'institutionnalisation de Christiania. En effet, le logo imprimé sur
les t-shirts, autocollants, etc...que l'on peut acheter à la boutique
dès l'entrée dans le freetown, est un immense succès
commercial. Cette commercialisation peut sembler paradoxale, dans un espace
où les logiques du marché sont a priori atténuées
voire suspendues, et qui se revendique anticonformiste et contre-culturel. Bien
que les Christianites se défendent de céder à la tentation
de la promotion commerciale, voir publicitaire, en en faisant dans le
même temps un contre-discours de préservation, à travers le
slogan `Bevar (Préserver) Christiania', ce merchandising
« made in Christiania » participe au processus de
récupération et d'intégration de l'espace
« étiqueté contre-culturel » en transformant
des signes contre-culturels « en objets de consommation
standardisés », ce que Dick HEBDIGE appelle la
« forme marchandise » de récupération (op.
cité 98).
4.2 ... qui
représente néanmoins des avantages pour le gouvernement
Christiania s'est créé dans les années
70 en réaction aux abus d'un système, et afin de montrer qu'un
mode de vie alternatif était possible. Toutefois si aujourd'hui
Christiania subsiste c'est en partie grâce à ce système, et
en particulier à cette tradition politique du consensus dans la
société danoise comme je l'ai évoqué plus haut. Si
un dialogue s'est ouvert entre les autorités et Christiania c'est aussi
parce que ces autorités ont eu conscience que le freetown soulage
effectivement le système, d'autant plus qu'il ne représente pas
une menace pour lui.
D'après Jean-Manuel TRAIMOND, de
« très nombreux christianites (les deux tiers ? la
moitié ?) » peuvent être
bénéficiaires d'une aide sociale de la part de l'Etat. Cette
aide, somme forfaitaire égale pour tous, est inférieure à
celle d'habitants d'autres quartiers de la capitale et est reversée
à la caisse commune de Christiania. De fait, « l'Etat danois
économise là des dizaines de millions de couronnes. Selon les
christianites, ceci explique pourquoi l'Etat ne les a jamais
expulsés [...] sans compter les frais d'hospitalisation
psychiatrique ou gériatrique qu'entraînerait notre
disparition » (1994 : 103). Une telle affirmation revient
à s'interroger en termes de coût/avantage. Autrement dit,
Christiania représente-t-il un coût ou un bénéfice
en terme financier pour l'Etat danois ? Cette question est en lien direct
avec le statut d'expérimentation sociale accordée plus tôt.
Des positions critiques affirment que les Christianites en occupant ce lieu ont
une dette envers l'Etat pour n'avoir payé ni l'eau ni
l'électricité (ce qui n'est pas le cas puisque les Christianites
payent l'Etat pour leur consommation d'eau et d'électricité). Les
sociaux-démocrates déclarant pour leur part que cette dette est
négligeable comparée aux économies que Christiania fait
faire à l'Etat en prenant en charge un nombre significatif d'individus
qui devraient sinon se tourner vers les institutions publiques (« des
dizaines de millions de couronnes » selon J-M TRAIMOND (1994 :
102). Cet argument rejoint celui évoqué dans la
problématique de ce mémoire. Il est aussi repris par Jean-Manuel
Traimond29(*) lors d'une
interview à Radio Libertaire le 23 décembre 20l0 lorsqu'on
l'interroge sur les relations entre l'Etat danois et Christiania :
« La chose qui a sauvé Christiania depuis le départ,
c'est que Christiania entre autres caractéristiques est une
réserve de cas sociaux. Et cette réserve de cas sociaux
coûte beaucoup moins cher à l'Etat danois, que si lesdits cas
sociaux vivaient à l'extérieur de Christiania [...] chaque fois
qu'un politicien a dit : « dans trois mois je les
vire ! », il a ensuite fais son addition et s'est dit,
« j'ai mille personnes à recaser, ça va me couter
très cher », et c'est l'une des raisons fondamentales pour
lesquelles les christianites ont été tolérés par
l'Etat danois. »30(*)
Ce raisonnement en termes de bilan coût/avantage
évoqué par Jean-Manuel paraît assez pertinent pour
comprendre comment Christiania a pu subsister dans le contexte danois.
Autrement dit, Christiania représente pour les autorités danoises
une poche d'air qui vient compenser les failles de l'Etat providence en prenant
en charge des cas sociaux. Dès les premières années, les
autorités ont compris que Christiania ne représentait pas une
menace en termes d'ordre public. D'après CATPOH « au cours
de ses six années d'existence, Christiania a pu prouver qu'elle ne
représentait pas la menace redoutée par la société
en ce qui concerne la criminalité et l'hygiène ».
Bien au contraire, Christiania a démontré qu'elle pouvait avoir
des résultats valables de réinsertion sociale et l'opinion
publique comme le gouvernement, ne tenaient pas à provoquer
l'affrontement direct, surtout dans un pays dont la police n'avait pas
utilisé de gaz lacrymogène contre des manifestants depuis les
années 30 (KATSIAFICAS 184).
Sous la pression et les critiques de la Suède et du
Conseil Nordique, qui ont demandé à de nombreuses reprises la
fermeture de Christiania, les autorités danoises n'ont pourtant jamais
employé la manière forte pour faire évacuer Christiania.
La proposition de fermer purement et simplement Christiania était
contrée par l'argument que cela ne ferait que déplacer le
problème à un autre endroit. Le trafic de drogue concentré
à Christiania était même davantage facile à
contrôler pour les autorités.
Les pressions directes exercées par la Suède, ou
celles des gouvernements danois successifs ne sont pas les uniques menaces pour
le freetown de Christiania. La mondialisation de l'économie
entraîne avec elle une transformation du paysage urbain mais aussi des
fonctionnalités et des relations traditionnelles de la ville qui
menacent les espaces occupés illégalement tel que
Christiania.
4.3 Le double
défi de la mondialisation et de la gentrification : un contexte
international de mutation du paysage urbain
« La « troisième mondialisation
» que nous connaissons actuellement ne se réduit pas au
phénomène strictement économique que l'on désigne
habituellement par le terme de « globalisation », qui sous-entend
l'idée d'un vaste processus d'unification, mais correspond à des
réalités multiples sur le plan culturel, politique, juridique et
social, qui s'inscrivent progressivement dans les territoires et tout
particulièrement dans l'espace urbain (ANTONIOLI & CHARDEL,
2007) ».
Dans le documentaire « Les raisons de la
colère », Alain Bertho affirme à propos de
l'expulsion de l'Ungdomshuset que : « ce qui décide la
mairie de Copenhague à réagir aussi froidement dans cette
histoire, c'est qu'il y a une opération financière. Ce
qu'explique la mairie c'est que ces jeunes sont hors de la loi, mais ce qui
explique cette détermination, c'est qu'il y a une opération
financière. Ce bâtiment il est en centre-ville, enfin dans un
quartier pas tout à fait dans la périphérie et il y a la
possibilité de faire une opération financière dessus,
c'est ça la logique. » L'espace des centres-villes est
dorénavant un enjeu économique majeur et cela menace de
normaliser des formes de vie, comme Christiania.
Le chapitre de l'ouvrage collectif « Space for
urban alternatives » écrit par Anders Lund HANSEN
(« Christiania and the Right to the City »), ainsi que sa
thèse sont particulièrement éclairant pour saisir les
phénomènes de globalisation et de gentrification. L'auteur y
apporte à la fois des éléments de définition, mais
aussi une application empirique aux cas de Copenhague et de Christiania. Anders
Lund Hansen utilise ainsi les travaux de Zygmunt Bauman, lequel a montré
parmi ses nombreuses études sur la modernité (« la
société liquide »), que la globalisation a
intensifié les luttes pour l'espace. D'après Hansen, Bauman a
développé l'image de « guerre de l'espace »
(« space wars ») dont la substance est la façon dont
l'Etat moderne augmente sa demande de contrôle sur l'espace.
Comme je l'ai évoqué précédemment,
Copenhague est une « ville primate ». Elle n'est pas
seulement deux fois plus grosse que la seconde ville du Danemark, elle
concentre aussi un tiers de la population totale du pays. Copenhague ne connait
donc aucune concurrence sur le territoire danois en termes
« d'attractivité », ce qui est confirmé par
le projet COMET :
«Copenhague est la seule aire métropolitaine
au Danemark et la seule réellement liée au système urbain
Européen. En conséquence, la région de Copenhague n'a pas
réellement de compétiteur national.»31(*)
L'espace de la ville est un enjeu de compétitions, de
« luttes », à la fois entre citadins ou entre
citadins et organisations pour l'usage et l'appropriation matérielle et
symbolique de l'espace. Avec la mondialisation de l'économie, les villes
elles-mêmes se trouvent donc en compétition les unes avec les
autres. C'est dans cette compétition internationale qu'aujourd'hui,
Copenhague se présente comme une concurrente à Stockholm dans la
lutte pour le contrôle de l'espace du Nord de l'Europe, d'autant plus
avec l'ouverture de l'Union Européenne aux ex-pays soviétiques de
la Baltique (Estonie, Lituanie, Lettonie). Pour remporter cette lutte, la ville
doit de fait devenir compétitive, à l'image d'une entreprise sur
le marché mondial. Dans le cas de Copenhague, cette
compétitivité s'est construite en partie sur la
coopération avec la ville Suédoise de Malmö :
« Finalement, cette coopération ambitieuse et
transfrontalière est devenue le point focal d'un rayonnement
international également vecteur d'une nouvelle identité promue
à l'étranger. La coopération métropolitaine semble
donc aujourd'hui un levier puissant de l'attractivité future des villes,
à travers la mise en cohérence des politiques territoriales.
(IAURIF 2006) ».
Afin de rendre une ville attrayante pour l'investissement de
capitaux, les terrains publics sont vendus à des sociétés
privées qui ont une responsabilité nettement moindre envers
l'électorat. C'est le cas de Copenhague avec l'ancienne maison des
jeunes, l'Ungdomshuset vendu à une secte religieuse. Une fois la zone
développée, les habitants pauvres et marginalisés sont
déplacées. C'est ce processus de déplacement des
populations pauvres des centres-ville que l'on appelle gentrification. Les
auteurs s'étant intéressé à ce processus pointent
comme un élément clé de l'accomplissement de ce processus,
la proximité et la connectivité entre
« l'habitat » et les centres de production du capitalisme
moderne, c'est à dire la production de services. Comme l'affirme
Jean-Pierre GARNIER, « la ville compétitive fonctionne sur le
triptyque industries de pointe, centres de recherches et laboratoires,
enseignement supérieur ».
A Copenhague, « l'extension matérielle de
la rhétorique prend la forme de l'établissement d'institutions
comme le Learning Lab Denmark [laboratoire de recherche en `learning and
competence development in the knowledge society']; ériger des oeuvres
emblématiques de l'architecture tels que Arken (L'Arche), le nouveau
musée d'art moderne, et Den Sorte Diamanten (Le Black Diamond), le
nouvel annexe de la Bibliothèque royale sur le front de mer, et la
construction de nouveaux environnements bâtis pour les principaux acteurs
de la «nouvelle économie». . . y compris les hôtels de
luxe, des restaurants, des centres de conférence et les centres
commerciaux, comme la nouvelle Fisketorvet (La place du poisson) sur le port. A
cela il faut ajouter les investissements dans des logements de luxe et le
renouvellement des logements centre-ville financé publiquement pour
attirer des employés de la «nouvelle classe moyenne» dans la
nouvelle économie. Ces processus de gentrification,
générés par les politiques publiques, entraînent la
déportation des résidents marginalisés de quartiers
défavorisés qui ne rentrent pas dans le `disneyesque' «ville
créative». Mais de l'autre côté, les coûts
sociaux, sont en grande partie négligés ». Hansen,
Anderson and Clark cités par AMOUROUX (2009 : 119)32(*)
Toujours concernant ces centres de compétitivité
de la ville, Ørestaden à Copenhague répond à ces
impératifs puisque ce nouveau quartier accueille à la fois des
entreprises compétitives, des institutions universitaires et de
recherche... Ce nouveau centre urbain d'Ørestad, co-piloté par
l'État et la ville, qui se construit dans la partie Sud de Copenhague
est planifié pour répondre parfaitement à ce que l'on
traduit généralement par ce « processus de
gentrification » : une planification urbaine d'un quartier
à proximité voire intégré dans le centre-ville
ancien, qui doit être connecté dans le monde en réseau (au
travers du développement des transports par exemple, Ørestaden
étant relié directement par métro à 5 minutes du
centre-ville et de l'aéroport de Copenhague, au train de ville et au
pont qui relie Copenhague à Malmö), et dont le rayonnement doit
être international afin d'y faire venir les investisseurs nationaux et
internationaux. L'objectif est d'accueillir 52 000 emplois. 20 000 habitants,
20 000 étudiants d'ici 2020-2030 sur cet espace de 310 ha, en
mêlant donc activités innovantes et habitat. Ørestaden
pourrait être en quelque sorte le symbole de la concurrence avec la
capitale suédoise pour le contrôle de cette zone d'influence
qu'est l'Europe du Nord : « Ørestad, associé à
la liaison sur l'Øresund (2000) et à la création de
l'Øresundregion, s'intègre dans une
«géostratégie» d'échelle européenne qui
renforce la place du Danemark entre la Scandinavie, l'Europe orientale et
l'Europe occidentale » (LECROART 2007 : 31).
A gauche : l'ancien plan d'urbanisme de Copenhague, le
« Fingerplan » ;
A droite, le plan d'intégration de Copenhague.
Ces deux plans montrent le changement d'échelle entre
l'ancien et le nouveau plan d'urbanisation de Copenhague.
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Toutes ces notions qui intègrent le concept de
gentrification tel que « l'accessibilité »,
« l'attractivité », la
« connectivité », la
« concurrence », sont des notions qui intègrent par
ailleurs le champ lexical de la « cité par projet »
mis en évidence par Luc Boltanski et Eve Chiapello dans « Le
nouvel esprit du capitalisme ». On les retrouve dans les documents
faisant la promotion de ce nouveau centre urbain. Par exemple, le projet COMET
déjà évoqué plus haut dresse un tableau idyllique
de ce futur quartier hyper-moderne :
«Ørestaden is a major urban development
scheme, which is centrally located - between the old city centre of Copenhagen
and Copenhagen's international airport. The idea is to create a `city annex',
which will attract national and international investors. Beside the central
location the attractiveness of the area is its accessibility from all parts of
the Øresund Region (by different means of transportation, i.e. motorway,
rail and metro). Also its location right next to a major green area is an
attraction of the area.
The area has the form of a long rectangle with a width of
600 metres and 5 kilometres in the length (indeed it has been dubbed `the tie'
for that very reason). The area is served by a newly built, fully-automated
`metro', which has six stops in the area.
In total the area is 310 hectares. One third of this area
is a green area, including small ponds, which are providing conditions for
special biotopes.
Cette contextualisation de la situation urbaine de Copenhague
cherche à montrer que l'existence de Christiania est le fruit d'une
lutte quotidienne pour sa préservation : « une lutte
contre la normalisation et pour leur vision du droit à
la ville » (HANSEN, 2011 : 294). En effet, à quelques
hectomètres de ce nouveau quartier hypermoderne, Christiania existe
toujours jusqu'à maintenant et résiste à de tels enjeux
économiques, financiers, mais aussi politiques (en termes d'influence
politique internationale). Il est évident que les stratégies de
gouvernance urbaine libérales et le processus de gentrification ont
influencé et mis la pression sur Christiania et ses stratégies
culturelles et politiques, comme le montrent les documents produits par
Christiania depuis les années 80 en réponse aux plans et rapports
officiels produits par le gouvernement cherchant à légaliser ou
normaliser Christiania.
« Quand le ministère de l'environnement
(Miljøministeriet, 1991) présenta un Plan Local pour Christiania,
le Freetown répondit avec le Plan Vert soulignant les visions d'un
environnement écologiquement durable. Comme l'a montré
Hellström (2006:74), le plan de Christiania est en plusieurs point
similaire au Plan Local officiel : alors que le Plan Local parle vaguement
de `valeurs culturelles, hostoriques et récréatives', le Plan
Vert va étonnamment plus loin, pointant le conflit entre certains
bâtiments sur les remparts et "l'équilibre esthétique dans
cette zone autrement belle et paisible".» (Thörn 2012 :
22)
Par exemple, un premier lien que l'on peut observer entre la
création d'une identité pour les régions d'Øresund
et de Scania à travers le projet Ørestaden et Christiania fut la
création du quartier d'Holmen, quartier résidentiel voisin de
Christiania et construit autour de l'opéra.
Comme toutes les grandes capitales européennes, la
ville de Copenhague a aussi entrepris des transformations marketing sous le
slogan `Wonderful Copenhagen'. La ville devient une marque, un produit
marketing qui se décline sous la forme de produits dérivés
afin de promouvoir la ville. Ce phénomène porte le nom de `city
branding', et il est commun à toutes les grandes métropoles
mondiales : « Lond-On », « I
amsterdam », « be Berlin »,
« cOPENhagen », « B Belfast »... Le
slogan `cOPENhagen - open for you' est en réalité un slogan
à sens unique, puisque comme le fait remarquer Anders Lund Hansen,
l'ouverture mise en exergue ne s'adresse qu'aux publics disposant d'un capital
(culturel, économique ou symbolique) suffisant pour
bénéficier d'un droit à la ville :
« Ces processus de gentrification, générés
par des politiques publiques, entrainent un déplacement des
résidents du centre-ville qui n'entrent pas dans la `nouvelle
économie créative' ni dans les aspirations de Copenhague
à être un `environnement propice aux affaires
de classe internationale'. La ville est alors ouverte à
certaines personnes et fermée à d'autres. A la lumière de
ces changement de la scène urbaine, Christiania est sous une pression
considérable » (HANSEN, 2011 : 303).
L'apparition de cette campagne de promotion de la ville de
Copenhague a d'autant plus exercé une pression sur Christiania vers sa
normalisation qu'elle est née au début des années 2000,
coïncidant quasiment avec l'arrivée au pouvoir de la coalition
Libéraux-Conservateur. Cette marchandisation de l'image de la ville a
inévitablement mis davantage de pression sur Christiania, en particulier
en matière de tourisme puisque Christiania est le deuxième site
touristique de Copenhague (il suffit d'ouvrir n'importe quel guide touristique
sur le Danemark pour s'en assurer). Bien qu'il soit difficile de chiffrer le
nombre exact de touristes fréquentant annuellement la ville-libre, ce
nombre est estimé à un million et entre 20 000 et
30 000 personnes se rendent chaque jour à Christiania. Toutefois,
le tourisme n'est pas pris comme une mauvaise chose à Christiania. Au
contraire, les christianites ont toujours accueilli les touristes et en ont
fait un argument de promotion et de défense du freetown : en organisant
par exemple leurs propres visites guidées du freetown (lors de la visite
guidée réalisée dans le cadre du cours `Danish society',
Nina, la guide, nous apprends qu'il y avait d'ores et déjà 103
visites guidées de 2 prévues juste pour cette semaine).
Avec le plan de normalisation conclu en 2004, qui est sans
aucun doute la menace la plus importante qui pèse aujourd'hui sur le
Freetown, et en imposant la ré-introduction de la notion de
propriété privée sur les bâtiments, nul ne peut dire
si la suite ne donnera pas lieu à une course aux enchères de la
part du gouvernement et des promoteurs pour réacquérir le
territoire petit à petit, en maintenant une pression financière
sur les habitants. En effet, à partir de l'instant où le sol fait
l'objet de transactions financières, les emplacements centraux sont
inévitablement les plus convoités dans la compétition
entre les différents acteurs de la vie sociale et politique urbaine,
c'est-à-dire les habitants, mais surtout les entreprises, les
administrations...
Conclusion
Christiania est un mouvement alternatif. Alternatif d'abord
dans le rapport qu'il impose face aux caractéristiques d'un espace
urbain traditionnel. Alternatif ensuite car comme son nom l'indique, l'objectif
avoué de Christiania a été d'essayer de construire une
alternative politique et économique au sein même du système
capitaliste bercé de sociale démocratie. La ville-libre
s'était en effet crée en réaction aux failles du `welfare
state' danois : le manque de logements, la prise en charge des exclus de
toutes sortes... Certains y ont alors vu l'opportunité d'une critique du
capitalisme et la possibilité de construire un réel espace
autogéré. Cependant, aujourd'hui si Christiania est devenu un
haut lieu de la culture et de la contre-culture à Copenhague,
l'activité politique y semble aujourd'hui assez faible. D'un espace
anti-institutionnel, Christiania s'est en quelque sorte transformée
jusqu'à aujourd'hui en une institution anti-bureaucratique, comblant les
limites du `welfare state' et finissant par opérer le travail des
travailleurs sociaux mieux que ceux-ci n'en étaient capables. La prise
en charge des « cas sociaux » par les Christianites s'est
en effet institutionnalisée, en prenant en charge par exemple les cures
de désintoxications des toxicomanes ou en collaborant avec les
autorités municipales ou étatiques dans différentes
circonstances. Cette institutionnalisation a désamorcé la
critique radicale du capitalisme. D'un message revendicatif, d'une
volonté d'établir une réelle société
alternative, il semble que le pragmatisme ait eu raison des ambitions des
premiers habitants du freetown pour laisser la place à un discours de
conservation : « laissez-nous vivre comme nous
l'entendons ». Tout le paradoxe de Christiania réside
finalement dans cette phrase de CATPOH : « Carl Madsen
[le premier avocat de Christiania que j'ai déjà
évoqué] était très conscient que Christiania
n'était pas une transformation radicale de la société,
mais il savait aussi que la commune libre représentait une aide pour
beaucoup, une façon de pouvoir vivre mieux dans une
société capitaliste ». La portée de la
promotion de ce mode de vie (l'autogestion, la prise de décision
par des outils de démocratie directe comme le consensus et le refus du
vote), est d'ailleurs très limitée par la « double
vie » de certains habitants : le fait d'avoir un travail
à l'extérieur, d'avoir en moyenne plus de voitures que les autres
habitants de la capitale danoise...
Outre le fait que Christiania soit utile au pouvoir dans la
gestion des cas sociaux et facilite aussi le contrôle du trafic de
drogues, il ne faut surtout pas négliger son impact touristique.
Étant la deuxième attraction touristique du Danemark après
le Parc de Tivoli, les Christianites et leurs soutiens ont su jouer de cette
popularité et en faire un moyen de pression sur le gouvernement. Les
autorités ayant dans un premier fermé les yeux sur l'occupation
de l'ancien terrain militaire (du fait du contexte politique, de l'absence de
plan pour cette zone vierge...), il leur a été chaque
année un peu plus difficile d'envisager une fermeture du freetown par la
force. La stratégie mise en place fut donc de reprendre progressivement
le contrôle en misant sur son institutionnalisation.
« Christiania se professionnalise dans l'exercice
de lui-même et bientôt le Christianite jouera au Christianite pour
satisfaire le client et deviendra une caricature de lui-même, version
old-school. Le modèle conceptuel vers lequel converge ce processus est
celui du parc à thème [...] il faudra un jour embaucher des
acteurs pour jouer aux hippies activistes, organiser des spectacles
folkloriques, etc.
Devenu actionnaires de leur propre ville-entreprise, les
christianites transmettront à leur enfants, non-résidents puisque
les habitations seront devenue chambre d'hôtel, un capital tout à
fait conséquent.
Devenue marque internationale, le merchandising ira bon train
et les campagnes de communication dans les magazines de voyage internationaux
seront là pour entretenir l'imaginaire de Christiania dans une fiction
toute capitaliste. Les actionnaires de la deuxième
génération n'auront pour repère que les souvenirs de
grand-père pour échafauder leur stratégie. Ils
n'hésiteront pas à utiliser les méthodes de l'imagineering
de Disney pour optimiser les performances... bienvenue à
HIPPIELAND...»
Raphaële Bidault-Waddington
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http://www.youtube.com/watch?v=Dd01ibajyk4
· Les raisons de la colère. Film
d'Alain Bertho et Samuel Luret, 2010
· « Le côté obscur du
modèle scandinave » émission de France Culture
diffusée le 02.08.2011 dans Les Matins d'été de France
culture. Disponible en ligne :
http://www.franceculture.fr/emission-les-matins-d-ete-le-cote-obscur-du-modele-scandinave-2011-08-02.html
· « Christiania - Denmark »
:
http://www.youtube.com/watch?v=yaau_-eD63g&feature=fvst
· «Christianias Mandat» :
http://www.youtube.com/watch?v=kOqqVa4Eo0g
· TAPERECORDER - ryesgade 58,
vimeo.com/14242155
Brochure :
« Ungdomshuset, un espace de liberté et
d'autonomie saboté par les autorités danoises pour le profit
d'une secte d'extrême droite. »
http://infokiosques.net/IMG/pdf/Ungdomshuset.pdf
« De la misère en milieu hippie »
Ken Knabb,
http://infokiosques.net/IMG/pdf/misere_hip_infokiosques-net.pdf
Documents divers :
IAURIF, « Les leviers de l'attractivité des
métropoles : exemples internationaux », Note Rapide,
Territoires de l'aménagement, Mars 2006, n°413.
BIDAULT-WADDINGTON, Raphaële, « Petite Histoire
de Christiania en 3 utopies », France Fiction, 2007.
INOWLOCKI, Didier, « CHRISTIANIA ou Quand les
hippies font de la politique (malgré eux) ».
Guide de Christiania :
http://www.christiania.org/inc/guide/?lan=gb
Ressources électroniques :
Site internet de Christiania,
http://www.christiania.org/
Encyclopædia Universalis,
http://www.universalis-edu.com
Foucault.Info,
http://foucault.info
Wikipedia, en.wikipedia.org -
da.wikipedia.org -
fr.wikipedia.org
Le dessous des cartes, Danemark,
http://www.arte.tv/fr/LE-DANEMARK-/392,CmC=523930,view=maps.html
Annexes
ANNEXE 1 : GRILLE D'OBSERVATION DES DIFFERENTS LIEUX
DE CHRISTIANIA
Contexte
|
Comment la place s'articule-t-elle avec le tissu urbain ?
Est-elle en rupture ou en continuité ?
|
Approche sensible
|
Place ouverte - fermée ?
Densité de population ?
Place lumineuse - sombre ?
Place sécurisante - angoissante ?
Place étroite - spacieuse ?
Place gaie - triste ?
Place colorée - terne ?
Place calme - bruyante ?
|
Analyse spatiale
|
Aspect monumental
Formes
Volume d'ensemble
Relief
Style dominant
Bâtiments :
- Organisation de la disposition
- Couleur
- Style : un ou plusieurs ?
- Cohérence architecturale
- Types de bâtiments : publique, privé,
religieux
Signalisations, expressions diverses
Environnement naturel, végétal / urbain,
bétonné
|
Les fonctions de la place
|
Fonction de circulation (voiture, piéton,
vélo...)
Fonction commerciale (vente de souvenirs, de haschich...)
Fonction de rencontre (bar, épicerie, boulangerie...)
Fonction résidentielle
Fonction administrative (bureau de poste...)
Rythme et activité au cours de la journée
|
Usages du lieu
|
Usage ponctuel / habituel ?
Usage(s) de la place par les visiteurs ?
Usage en rapport avec la fonction ?
Interactions entre les gens
|
Lecture sociale
|
Christianites ou visiteurs ?
Dominante sociale (homogène ou
hétérogène socialement) ?
· Age des personnes présentes ?
· Sexe ?
· Ethnie ?
· Famille, personnes seules, couples...
· Aspect physique
Humeur
|
Annexe 2 : Retranscription partielle de l'entretien
semi-directif avec Richard Lee Stevens16/04/2012
Richard Lee Stevens est un sociologue américain. Il
habite Christiania depuis 1974. Il nous reçoit avec thé et
café dans la salle commune de la zone Mælkebøtten où
il habite, là où ont lieu les réunions. Il nous
reçoit. La salle est assez grande, avec plusieurs tables de 6-7 places
disposées parallèlement, et un espace cuisine. Nous le
rencontrons dans le cadre du cours « Danish Society » qui
organise cette visite de Christiania. Nous somme une dizaine d'étudiants
à participer
Il commence par nous présenter Christiania sans
revenir sur les détails, nous présente le lieu où nous
sommes, puis commence par nous parler des prises de décision à
Christiania :
[...] We have a talking stick. When you were finished speaking,
you give it to somebody else who wants to speak. And when he's finished
speaking, he gives the stick to somebody else who could speak. Then you put the
stick down and we are all agreeable on it. At the beginning this was a
relatively new, interesting ... process. But strangely enough, or (possibly?)
enough we have kept ... the process all ... the day. That means we have never
at any time made a vote. We have always spoken openly and the real condition is
that there is usually people who suggest what we have to talk about, what kind
of decision we have to make. Many time it's about, relationship with the
government, with the outside government or some kind of relation with the
violence or [some kind of] a bar, or problem in a bar. So we have someone raise
the question and ... the question and try to present the different parts of the
problem. And many people talking who know about the problem, they come and talk
about it. And then the guide, the one who's running the meeting says
«we've finished with that. Now it's open for discussion». And then
the person who wants to speak, whoever raises their hand and they can speak.
At one point, the one who's running the meeting says `We're going
to take a break now' and we try to precise where we are in ... So she or he
raises the point again and he tells about what we have to talk: about this, it
seemed to be we'd be ... agreeable on this part of it, but we're still not ...
on other part. If everybody agree about that, we can go further.
Making one hour, two hour-discussion then try to reformulate the
question until we come to the point when we have to make a decision and then we
found that we are all agreeable.
This, takes a lot of time. And usually it goes where ... one
meeting a big decision and it has to go after 3 areas. That maybe we need to
talk about it. There are 13 areas in Christiania, and these areas were formed
in 1979/1980. And they're self-supported areas, meaning they have their own
decision-making process each one their areas. But they still have to relate to
the common meeting. We made this area decision-making process for the 13 areas
after we had a big problem with drugs, I mean the hard drugs.
So we made a... we blocked all the exits and entrances of
Christiania all the way around for 24 hours a day for 3 months. And we'd not
let anybody in, well you could come in or out but you got controlled in terms
of hard drugs ... using hard drugs and we told them `you have to get out of
Christiania you can't be here but we'll help you in treatment'. And we treated
with our program we developed a program for treating the hard drugs at the time
for ... in fact.
... For a number of months, they came back to Christiania to say
they wanted to, and they get their house back. But they couldn't be here, while
they were on hard drugs.
And that time, in order to be able to keep that controlling, you
had to be much more close to people you live with. So we divided ourselves in
the 13 areas. And these are geographical areas, and each area is responsible,
for, not that time, just of keeping the hard drugs out but in all other kind,
economic ... In terms of who moves in and who moves out, any kind of other
problems in the area.
And these meetings are held in each area, one time a month and
they're open to everybody at the meeting, anybody of the area ...
So this kind of way of working we have no leaders, and never had
a ... leader, is an interesting way of living and we can see today that in
fact, we just, for, a couple of... half a year ago we went to occupy Wall
Street, some peoples of Christiania went to occupy Wall Street. In the
beginning, cause `Occupy Wall Street' movement has no leaders also. All ...
What we're in now, even though we've been here for years, they've
gradually begun to be other kind of social movements which have this kind of a
character.
Previous social movements, whether we're talking about women's
movement or civil rights' movements all of them had leaders. And people who
worshipped ... who were used as leaders ... spokesmen. But this aspect is
beginning to change now. And it's interesting because we've been doing this for
40 years. But there are being now starting other movements which are trying to
develop a movement in another way of life, in another way of living, another
way of existing another way of being with each other ...
It's not really easy, because you are really part of it... also
with this aspect of no ownership.
How to move in and move out
Christiania?
When a house is available because someone moved out or died...
you don't sell the house. The way it usually happens... in fact, recently
there is a house which was open in this area here... in fact it was a house
with a workshop. The woman who lived here died and she had also a house. Both
her house and workshop had to be changed because she didn't have a house
anymore and the way that usually happens is that in our area it is completely
described in the internet in Danish. What happen is relatively complicated.
We'll try to make it short. We look at the house and... the people in the area
look at the house and there's a meeting about the house. What kind of condition
it is in, how many people should live there...? Before it is necessary to
repair the house, should it be a family? Is the house appropriate for children
or what? And so, the next step is, the decision is made by the area and it's
put in the newspaper... The newspaper that comes out every Friday. And this
house is put in the newspaper and it says as well, if you want to apply for the
house you can come to a meeting at this time, and the meeting is in this room
is this area, and people come and watch who has this house. It's unusual really
that we who live here, we sit around the edges and the people who want the
house sit in the middle and one by one they stand up, they tell why the want
the house. It means that you have to personally argue for why you want the
house or why you should have the house.... So you have to present yourself.
Generally the person who visits the house is a person who has a connection to
Christiania, maybe he was living outside of Christiania and working in
Christiania, maybe he was loaning a house, etc...
The reason why we have to be sure that this person who ?? the
house will also be part of the decision making process and understand the
decision making process, and will be active in it. ??? 60 000 people who
want the house, because no one normally move out from Christiania, it only
happens when they die or if they get married.
Even if I've been building up myself or if I've put a lot of
expenses in the house, it's not my house it's Christiania's house. If I move
out I'll have to give the house to Christiania.
You have a kind of responsibility, like on week-ends you have the
working days. For instance, last week-end we had one in this area and everyone
can participate like in cleaning the area, cleaning the bushes, or doing an
activity... cleaning up the area. It is still voluntary, but we expect that you
participate in those working week-ends. We usually have two or three times a
year, and maybe two more during the spring.
One of the biggest problems for us is: the government wants us to
be normal and they are pressuring us to apply by all the regulations in terms
of the building codes. We have tried to negotiate to build new houses, but the
government is no way interested in negotiating unfortunately.
So in our all 40 years we have been living here, we had that
confrontation with the government. But we have existed under about seven or
eight different governments, in the Danish parliament, and there have been some
great differences: some governments just looked at Christiania as a social
experiment and let us do what we want to do; but the last ten years there were
a greater pressure to try to force Christiania to be normal. But it has not
really worked at all. The government doesn't really exist; we exist and they
exist, and they write letters to us and we try to communicate but there no real
dialogue.
So we have in the last couple of years been working on a
negotiation where we could buy Christiania. This decision in terms of
Christiania, if we should buy or not buy, has been agreed with our community.
We have had about 15 common meetings to make a decision. At the end that was in
June one year ago, we ended this common meeting and said: «ok we
buy». And now we are in the process of negotiating the aspects of buying
the property and it should be finished for the 1st of July. Buying
is an unusual situation because a great part of the buildings in Christiania
are National monuments. For example in the other side of the water, just over
there! And the problem is you can't buy a national monument so we'll have to
rent them. So we are buying most of the property but we can't really buy all.
And the people like... I have a house that I have built but I own the house so
I don't buy my own house but I rent the land underneath the house from the
government. So it's very complicated, but we are in this process now. So now we
are trying to sell shares, `people's shares' in order to buy Christiania by
ourselves instead of loaning money and these shares will help. For the moment
we have about 7 million kroners and we need 72 million. We don't think we will
have all the money for the 1st of July and we will borrow the rest
of money. But it keeps going on, people will still be able to participate in
helping us to buy Christiania.
If you buy Christiania, can you sell it
back?
So, we can have much more sovereignty over the property and in
our decisions. There are areas in Copenhagen, where the government goes in, and
helps rebuilding here, make it much better, much prettier ... so we are loaning
the money from the state, and the state is guaranteeing that if we end up not
being able to pay the loan back, then they would take Christiania again. But
even if we are buying, we can't sell anyway. According to the agreement it is
not possible to make any kind of profit on buying Christiania and then sell it
to anybody else.
What would be the consequences once you have buy
Christiania?
We are hoping we could build more houses, but we doubt we will be
able to. And even if we can, we don't have much more space. There are some
areas where we could build a house, but also we can't build on the water, but
again this water is part of the national monument as it is a moat, part of the
fortification so you can't build on it.
How can you explain the fact that Christiania
still stands up after 40 years squatting, because in all the western countries
squatting movements has been criminalized? Is it because of the Danish
context?
It's very difficult... but I agree it is because of that Danish
context. Because, in many ways, there are a lot of Danes who like
Christiania...but they don't like it, and there is a word in Danish that
doesn't exist in English to express this idea... It's kind of `ambiguous', but
it is not exactly the same: it means that you like Christiania but you don't
like it... It's a place they love to hate. Christiania today if it was closed,
many people would say that Christiania is a very very inexpensive solution to
an expensive problem. Because people who are living in Christiania now, if you
close it now, they will need to find a place to take care of them, they
couldn't survive without this kind of background around them. And I think that
many Danish governments have come to the point that we are here for so long now
that closing it would not be appropriate for the people living there and for
the Danish people because Christiania is part of themselves. [...] I think it
couldn't have existed in the United States or another country without the
welfare state because the people who... many at the beginning were unemployed
and had unemployment benefit... and I don't think it could have existed without
that to things: the Danish mentality and the Danish way of thinking of the
Danish welfare state, because it has protected us somewhere.
[...]
People living outside are too individualized, they can't feel
they are part of something, part of the community, part of the collective, part
of social networks. But here they feel like that. I can tell you many stories
about that. For example, I have a neighbour, who a couple of years ago was
becoming an alcoholic and drank quite a lot He was becoming very isolated.
People decided to go to talk with him and invite him to diner, people who were
living in the area, and try to find how to help him. And it worked! So people
who are involved continue to try to make it work.
People outside Christiania really don't understand how can we
live in a society where you don't call the police? There is noone stealing from
each other here. The only problem we had in this area is that people where
coming in the house. Many years ago, there was a couple who were together and
they broke up. The boy came into the house one night and tried to beat her, and
she escaped from him and came to her neighbor and then he left. What happened
here, what we did was, because he lived here we spoke immediately with him, and
talk to him about it, and all the area talked about it, and they made an
agreement that he shouldn't talk with her, he shouldn't be with her whatsoever.
The Christiania self-making decision, and make sure that it works ??? They
don't talk to each other now, but they don't have a police report, and they
were able to develop themselves.
In my way of thinking, I think Christiania is a way much better
to thought, that the community solves it trying to talk with this person and
make sure he won't do it again. And that is the way we have always worked. In
terms of violence in a bar, it is the same thing. If someone has done some kind
of violence in a bar and beat somebody, we call a meeting, and the person who
has done the violence comes to that meeting, and Christiania decides after a
dialogue with him in terms of what should be done. If he lives here, that
recently happened to someone who lives in Christiania, he was living here for
many years but we discovered that he was an alcoholic and was on drugs, so we
told him and told him he could not be in Christiania if he didn't follow
rehabilitation. So we paid for his rehabilitation, so he had to go through that
for half a year and then he came back. So what we do: we paid for, we talked to
him, we discussed with him, people around him had the responsibility in terms
of protection, the rehabilitation was not done by Christiania but by a company
outside Christiania but we paid for it. I think it is this kind of
responsibility for the people living in the community, I think it's the best
part. It doesn't work 100% of time, but it works a major part of the time. The
people in the community have the responsibility of the well-being of people
living here.
[...]
Police has said to the politicians that they can't control that
hash at all now. Because they have tried to push it out of Christiania 30 -40 %
of the population of people living in Denmark smoke or have smoked hash, and
the opinion in Denmark is that it is not really too bad. There was discussion
in parliament about should it be allowed... like the city of Copenhagen has had
a law which said that they should make free hash in Copenhagen. But they can't
do it because the state won't allow it, but they have passed this law. This law
has gone to the parliament, which is now pressurized somehow to allow the city
of Copenhagen to make an experiment with the legalization of hash.
What about electricity and
water?
We pay a rent; we pay all those taxes individually. I pay about 3
800 kr, so plus my wife that mean we pay 7 600kr per month including the rent
of the house, the water and the electricity. And the house which I've built
myself is about 17m², so it's not a big house. I addition to that I pay
also for the fire. We had a discussion on that point because we pay
individually and people live in large houses and other in small houses, so we
are in the process now to take a decision about paying by square meters, and we
have to make that decision and this is what is going to happen. It is not cheap
to leave here, and we are also in the situation that maybe we gonna have a
problem after we buy Christiania, maybe it will become much more expensive,
because we are going to pay for loaning money, so we are in the process to
figure out how to do that. This is going to be one of our biggest problems in
terms of buying Christiania.
[...]
Because of the welfare state we have been able to allow a great
number of people who are on invalid pensions to live in Christiania. My
conviction is that Christiania couldn't exist without the welfare state. My own
belief is that the welfare state has been a very important part of allowing
Christiania to exist.
[...]
We are getting not more than 5% of ??? Most of white, there are
very very few people who are not white people. We have a number of people
coming from Greenland, unfortunately those who come from Greenland have a great
alcohol problem, but they have an alcoholic problem in Greenland also
[...]
What difference you make between Christiania and
Ungdomshuset?
The youth house has always seen themselves when they existed as
being separate from Christiania. Many of them have been autonom... They
supported Christiania and we supported them...
[...]
Christiania is a very large area and it is very difficult to stop
it, control it somehow. Christiania has always been a symbol; the youth house
was also a symbol.Annexe 3 : Tableau synthétique du paysage
politique parlementaire danois

après les élections législatives
anticipées du 4 décembre 1973Annexe 4 : Frise chronologique de
Christiania

![]()


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
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
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
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
* 1 L'article Wikipedia sur les
Zones autonomes permanentes cite Christiania comme exemple.
Zone autonome permanente. (2011, mars 1). Wikipédia,
l'encyclopédie libre. Page consultée le 11:48, octobre 7,
2011 à partir de
https://secure.wikimedia.org/wikipedia/fr/w/index.php?title=Zone_autonome_permanente&oldid=62769745.
* 3
http://toulouse.indymedia.org/spip.php?article19045
* 4 Je reprends ici
l'expression utilisée par Jean-Manuel Traimond dans une interview
accordée à Radio Libertaire le le 23/12/2010.
* 5 Ce groupe politique est un
groupe de réflexion sur la « crise du capitalisme
aujourd'hui ». Il est né à l'initiative de danois et de
grecs résidents à Copenhague, et regroupe majoritairement des
grecs, des danois, des espagnols, des français, des portugais. (
http://www.crisismirror.info/)
* 6 « Le côté obscur du
modèle scandinave » émission de France Culture
diffusée le 02.08.2011 dans Les Matins d'été de France
culture. Disponible en ligne :
http://www.franceculture.fr/emission-les-matins-d-ete-le-cote-obscur-du-modele-scandinave-2011-08-02.html
* 7 World Economic Outlook
Database-April 2012, site web du Fond Monétaire International :
http://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2012/01/weodata/index.aspx,
Consulté le 17 mai 2012
* 8 Gaasholt, Ø. and
Togeby, L. (1995) I syv sind. Danskernes holdninger til flygtninge og
indvandrere. Arhus: Politica.
* 9 « Bullshit, en
décomposition rapide, restera à Christiania jusqu'à ce que
la police découvre en 1986 dans le sous-sol de Multimédia un
cadavre aux pieds coulés dans le béton. Ses derniers membres
disparaissent avant qu'une émeute de christianites ne les
écharpent. » (Traimond 1994 : 39)
* 10 « `BZ' est la
contraction phonétique du mot danois signifiant squat est qui a
été érigé en symbole » (Mikkelsen &
Karpantschof 2011 : 609)
* 11 Sur l'histoire du mouvement squat au Danemark,
voir aussi l'article de Michael Scølardt : « A Short
History of the Copenhagen Squatters Movement », publié sur
Indymedia Irlande le 03/09/2006 :
http://indymedia.ie/article/78192
* 12 Guide de Christiania
p.7
* 13 Une grande place est
d'ailleurs faite aux enfants dans l'ouvrage de CATPOH.
* 14
http://www.statistikbanken.dk
* 15 Si l'on considère
l'aire métropolitaine de Copenhague,
« Hovedstadsområdet », soit les communes de
Copenhague, Frederiksberg, Albertslund, Brøndby, Gentofte, Gladsaxe,
Glostrup, Herlev, Hvidovre, Lyngby-Taarbæk, Rødovre, Tårnby
and Vallensbæk, ainsi que certaines parties de Ballerup, Rudersdal,
Furesø, Ishøj and Greve.
* 16 L'expression est ici
empruntée à un document de l'Organisation Communiste Libertaire
intitulé : « L'illusion d'un municipalisme
libertaire », consultable en ligne :
http://oclibertaire.free.fr/upl/OCL_municipalisme.pdf
* 17 Le «municipalisme
libertaire» a été théorisé par Murray
Bookchin. Celui-ci encourage les libertaires à se présenter aux
élections municipales, en s'appuyant sur une redéfinition de la
notion de citoyenneté. Cette proposition avait rencontré beaucoup
d'hostilité au sein du mouvement libertaire, étant, parmi
d'autres critiques, considérée comme une dérive
réformiste.
* 18 « Oui, j'ai
été membre du Parti Communiste pendant de longues années.
J'y suis rentré parce que je pensais que c'était un parti
révolutionnaire. Aider à détruire le respect de la loi a
été une de mes plus grandes préoccupations, ainsi que la
destruction de la confiance et du respect que les gens portent envers la cours
de justice, qui n'est jamais qu'un appareil au service de la classe
dirigeante. » Carl Madsen, cité par CATPOH
* 19 CREMER, Justin,
«Christiania goes Wall Street», The Copenhagen Post
, 4 novembre 2011,
http://cphpost.dk/news/international/christiania-goes-wall-street
[consulté le 26/04/2012]
* 20 FYFE, Jimmy,
«Accepting `normalisation' bid, Christiania reopens», The
Copenhagen Post, 30 avril 2011,
http://cphpost.dk/news/local/accepting-`normalisation'-bid-christiania-reopens
[consulté le 26/04/2012]
* 21 Le sujet de l'ouvrage de
Dick Hebdige est le mouvement punk au Royaume-Uni.
* 22 HALL S., «
Culture, the Media and the «Ideological Effect»
», in J. CURRAN et al. (dir.),
Mass Communication and Society, Arnold, Londres, 1977.
* 23 Ici cité de
Maagensen, Bjarne, 1996, Christiania - en længere historie
(Christiania - a Longer History). København: Gunbak og Kaspersen,
p. 12.
* 24 Marcel Roncayolo, La ville
et ses territoires, Paris, Gallimard, 1990, citation, p.145.
* 25 Patrick est un
français vivant dans le quartier Sud de Copenhague (Amager) et qui vient
à Christiania chaque week-end pour « se ressourcer »
et respirer, Christiania est « son oxygène » comme
il aime à le dire
* 26 « Le projet
initié par les Diggers dans le quartier du Haight-Ashbury - à
savoir la construction d'une « ville libre » dans la ville de San
Francisco qui se nourrirait des déchets de son hôte et
distribuerait librement les moyens de sa survie - a exposé le fait de
l'abondance matérielle et la possibilité d'un nouveau monde
fondé sur le principe du don », Brochure « De la
misère en milieu hippie », Ken Knabb
* 27 Chants de Noël
* 28
http://www.christianiafolkeaktie.dk/christiania.php
* 29 Jean-Manuel Traimond a
vécu 5 ans à Christiania, de 1979 à 1984. Il est l'auteur
de Récits de Christiania publié en 1994.
* 30
L'intégralité de l'interview est écoutable ici :
http://www.youtube.com/watch?v=Dd01ibajyk4
* 31 Le projet COMET
(Competitive Metropolises) était coordonné par l'Institute for
Urban and Regional Research, Austrian Academy of Sciences, Vienna et
supporté financièrement par la Commission Européenne, DG
Research, 5th Framework Program, Key Action 'The City of Tomorrow and Cultural
Heritage' (Project no. EVK4_CT_2001_00050): www.comet.ac.at
* 32 Lund Hansen, Anders; Hans
Thor Andersen and Eric Clark, 2001 Creative Copenhagen: Globalization, Urban
Governance and Social Change. European Planning Studies 9(7):851-869.