Contribution et analyse des conflits forestiers en milieu rural. cas de territoire de Bagata, province de Bandundu (RDC)( Télécharger le fichier original )par p. Basile SAKATA SELEBAY Université Catholique de Louvain - Master complementaire en Développement. environnement et société 2010 |
CHAPITRE 2. EXPLOITATION FORESTIÈRE EN MILIEU RURALLa forêt est la mère nourricière d'une grande partie des populations rurales. L'exploitation de celle-ci constitue un enjeu important et entraine souvent des conflits entre populations, représentants coutumiers et autorités publiques. L'exploitation forestière a un lien avec le droit foncier. Il n'est pas concevable de parler de l'exploitation forestière sans penser à la politique foncière. Sur un plan plus général, le principal constat qui se dégage de l'évolution des rapports fonciers contemporains est la forte croissance démographique, la multiplication des conflits, la montée des besoins monétaires et leurs conséquences sur l'extension des défrichements et des cultures, provoquant ainsi la dégradation des ressources forestières. La perspective d'une privatisation des terres apparaît aux un comme une solution et aux autres comme un repoussoir43(*). En réalité, il faut reconnaître qu'en RDC, la tendance à la privatisation des terres et des forêts communautaires par des chefs coutumiers reste d'actualité au mépris des codes foncier et forestier fixant le mode de gestion du patrimoine foncier et forestier, et cela même au sein des populations se réclamant d'un même ancêtre commun comme chez le peuple Yanzi du Territoire de Bagata dans le Bandundu à l'Est de Kinshasa44(*). Ce chapitre permet de montrer l'écart existant entre le prescrit légal, les attributions des autorités étatiques et les prérogatives traditionnelles des chefs coutumiers. Pour y parvenir, nous procéderons en deux temps : d'abord, circonscrire les liens existants entre le foncier et le forestier et ensuite les modes locaux d'exploitation forestière. On jettera aussi un coup d'oeil sur le système forestier dans quelques pays de la région. 2.1. Bref aperçu sur le système foncier congolaisLors de son établissement au Congo, l'Etat Indépendant adopta en matière foncière deux règles essentielles : Le respect des occupations indigènes en vue du libre exercice des droits coutumiers et le droit de l'Etat aux terres vacantes en vertu du principe généralement admis que les biens sans maitre appartiennent à l'Etat45(*) La réglementation foncière congolaise (Zaïroise) dans la période post-indépendante est déterminée par les principaux textes législatifs suivants: - l'ordonnance-loi n°66-343 du 7 juin 1966, dite "la loi Bakajika", par laquelle la République du Congo « Zaïre » reprenait tous ses droits foncier, forestier, et minier concédés ou cédés pendant la colonisation; - les lois n° 71-008 et n° 71-009 du 31 décembre 1971 portant modification de la constitution, qui affirme (art 10) que " le sol et le sous-sol zaïrois ainsi que leurs produits naturels appartiennent à l'état46(*). 2.1.1. Le système étatique institué par la loi foncièreLes rapports fonciers sont, à ce jour, essentiellement régis par la loi n° 073-021 du 20 juillet 1973 portant sur le régime général des biens, les régimes foncier et immobilier et le régime des sûretés, telle que modifiée et complétée par la loi n° 80-008 du 18 juillet 1980. Cette loi est intervenue dans le contexte particulier de l'hyper centralisme étatique et d'une volonté politique de maîtrise des processus économiques47(*). Ses origines remontent à l'ordonnance du 1er juillet 1885 relative à l'occupation des terres sur le territoire de l'EIC et dont les grands traits du régime foncier furent les suivants : - toute concession des terres faites par les indigènes est subordonnée à l'autorisation de l'État ; - les terres présumées vacantes appartiennent à l'État et ne peuvent être occupées sans titre légal ; - les terres occupées par les indigènes sous l'autorité de leurs chefs sont régies par leurs coutumes et usages et nul ne peut les en déposséder ; - les droits privés existants ou qui seront acquis dans l'avenir devront, pour être reconnus, être enregistrés par un officier public48(*). Ce texte marque la volonté claire du nouvel État de contrôler toutes les transactions foncières en définissant un cadre légal de référence et lui permet de contourner les limites résultant de la liberté de commerce consacrée par l'Acte général de Berlin. La politique foncière mise en oeuvre à travers l'activité législative du Roi Léopold II aura pour objectif de lui procurer un maximum de ressources en vue de poursuivre son entreprise financière. Lorsque, le 15 novembre 1908, l'EIC devient officiellement le Congo Belge, le domaine foncier privé de l'État, constitué grâce à la théorie des terres vacantes, fera l'objet de cessions ou concessions au bénéfice des sociétés commerciales. Sans trop s'attarder sur la législation foncière coloniale, indiquons simplement que l'article 15 de la Charte coloniale modifié plus d'une fois constitua la source de toute la politique foncière coloniale. De grandes concessions seront accordées non pas seulement pour des raisons fiscales, mais surtout eu égard à leur incidence sur le développement économique général de la colonie. Des transactions se feront sous réserve des droits des indigènes et après enquêtes minutieuses de disponibilité. Toutefois, ce procédé ne manquera pas de susciter certains conflits49(*). Pendant la première décade de l'indépendance, le régime foncier fut dominé par la conception du droit colonial. La rupture sera consacrée en dernière instance par la loi du 20 juillet 1973, elle-même faisant suite à la loi Bakajika50(*) qui, visant à corriger les abus et lacunes liés aux cessions et concessions antérieures au 30 juin 1960, fut abrogée en 1971 à cause du désordre occasionné. Une nouvelle proposition de loi d'avril 1972 débouchera plus tard sur la loi du 20 juillet 1973 telle que modifiée et complétée par la loi du 18 juillet 1980. Base de la législation foncière actuelle, elle s'inspire des régimes précédents, mais se différencie de ceux-ci par sa philosophie. Trois grands traits caractérisent son économie logique. Primo, le sol est la propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l'État. Secundo, les particuliers peuvent exercer sur son domaine privé des droits de jouissance sur le sol à travers les concessions qui sont des contrats conférant des droits réels fonciers autonomes. Tertio, seul le certificat d'enregistrement permet l'établissement et la transmission des droits fonciers et immobiliers et constitue leur moyen de preuve. Deux sortes de concessions sont organisées, à savoir : les concessions perpétuelles et les concessions ordinaires. Les premières sont réservées uniquement aux personnes physiques congolaises, qui peuvent en jouir indéfiniment dans les conditions de la loi. En revanche, les concessions ordinaires peuvent être accordées aux personnes physiques ou morales congolaises ou étrangères et ont une durée de 25 ans renouvelables. Il s'agit de l'emphytéose, la superficie, l'usufruit et l'usage51(*). La domanialisassions des terres occupées par les communautés locales a unifié le régime foncier et placé ces terres dans le domaine privé de l'État, régi par la loi foncière et ses mesures d'application. Nul ne peut donc se prévaloir des droits fonciers ou immobiliers sur elles s'il n'est pas détenteur d'un certificat d'enregistrement52(*). Cette position de la loi pose deux problèmes. L'un est conceptuel et tient au contenu à donner aux « communautés locales » et au contour des « terres occupées par ces communautés » et, l'autre, juridique, lié à l'ambiguïté du statut des dites terres et de la nature des droits sur elles. Le concept de communautés locales n'apparaît pas comme une catégorie juridique claire. Plusieurs expressions sont utilisées par les auteurs pour les désigner. Ainsi, les citant dans son étude consacrée à la gestion participative des aires protégées, Busane Ruhana Mirindi dit « qu'on recourt aux expressions : populations qui vivent à proximité des ressources, les habitants de villages proches des forêts contrôlées, la population locale, les intervenants locaux, les groupes d'usagers, les villageois, les communautés villageoises, etc. »53(*). Mafikiri Tsongo, nous parle de la coexistence des règles de gestions coutumières (par laquelle la terre est un bien collectif appartenant à la communauté) et la loi foncière étatique (par lesquelles l'état octroie un droit de jouissance sur les terres sous forme de concession foncière individuelle)54(*). Cependant, dans la pratique des transactions foncières, force est de constater que les paysans recourent aux catégories coutumières, alors que la coutume n'est plus formellement source des droits fonciers depuis l'unification du régime foncier. En outre, alors qu'ils ont été dépossédés de leur pouvoir foncier par la loi du 20 juillet 1973, les autorités coutumières continuent dans la pratique à jouer un rôle déterminant dans l'attribution des terres. Cette situation est source de confusion des droits et d'insécurité foncière. De ce qui précède, une interrogation vient à l'esprit : pourquoi le législateur, alors qu'il a organisé les droits de jouissance sur son domaine foncier, a-t-il postposé cette réglementation concernant les communautés locales ? Plusieurs explications peuvent être données pour saisir cette position législative. On peut voir dans cette position une manière pour l'État de vouloir éviter l'affrontement avec les autorités coutumières dont le pouvoir politique et le prestige sont fondés sur le pouvoir foncier. Organiser la maîtrise foncière en reconnaissant des droits réels fonciers autonomes qui confèrent aux paysans le pouvoir ultime d'aliéner librement leurs droits pourrait menacer tout le système politique traditionnel que l'on veut préserver et contrôler. La terre étant considérée traditionnellement comme un support des relations sociales de pouvoir et de fraternisation, il faut éviter une réglementation qui menacerait la position sociale des chefs en permettant aux paysans de s'affranchir vis-à-vis de leur autorité. C'est pourquoi l'État observe un certain principe d'équilibre dans la mise en oeuvre de la législation foncière. Cela lui laisse dans la pratique une marge de manoeuvre pour négocier le genre de rapports fonciers à développer avec l'autorité coutumière. Cette attitude assure son autorité sur l'espace paysan sans affronter le pouvoir coutumier. D'autres parts, en postposant la réglementation des droits de jouissance des communautés locales, l'État, investi par des acteurs aux logiques patrimoniales et clientélistes, leur a ouvert une brèche de spoliation et d'exploitation des espaces paysans. Dans ce sens, le législateur, qui n'est autre que ces acteurs transformés en producteurs des lois, a créé un espace d'accumulation. Somme toute, il faut constater que pour la sécurité juridique des utilisateurs du sol, le cadre juridique foncier en milieu rural crée une discrimination entre, d'un côté, les terres concédées et assorties d'une protection légale spéciale par un certificat d'enregistrement et, de l'autre, des terres dont les utilisateurs ne bénéficient d'aucune protection juridique péremptoire. Ainsi donc, « si aucune disposition n'est prise rapidement, la question du développement rural, côté population rurale, sera difficile à résoudre »55(*). * 43 Lavigne Delville Ph (1998). Quelle politiques foncières pour l'Afrique rurale ? Récincilier pratique, légitimité et légalité KARTHALA et coopération française p.9 * 44 Lire sur le site, www.atol.be/docs/ebib/Art_presse.doc, consulté le 10 mars 2010. * 45 FERDINAND, L'exploitation forestière au Congo Belge, 1945, p. 109. * 46 PALUKU KITAKIA, A. « Interactions entre la gestion foncière et l'économie locale en région de Butembo, Nord Kivu en République Démocratique du Congo », Thèse, UCL, 2007, p.107. * 47 UTSHUDI ONA, I. « La gestion domaniale des terres rurales et des aires protégées au Sud-Kivu: Aspect juridiques et pratique d'acteurs », in Annuaire des Grands Lacs, L'Harmattan, Paris, 2008, pp. 415-442 * 48 www.atol.be/docs/ebib/Art_presse.doc, consulté le 10 mars 2010. * 49 UTSUDI ONA,I; op.cit. p. 420-421 * 50 Htt//fr.wikipedia/loi_Bakajika * 51 http/creation-pmewallonie.be/Demarche/batiment/BAT4/BATO4/htm * 52 UTSHUDI ONA.I, op.cit. p. 422. * 53 UTSUDI ONA, I, op.cit, p. 423. * 54 PALUKU KITAKIA, A. « Interactions entre la gestion foncière et l'économie locale en région de Butembo, Nord Kivu en République Démocratique du Congo », Thèse, UCL, 2007, p. 63. * 55 Ibidem. |
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