D'un objet de recherche à des personnes
rencontrées
Les quatre premiers parents que j'ai rencontrés sont de
familles homoparentales et pluriparentales56. Père et
mère statutaires ne vivent pas ensemble et adoptent une résidence
alternée, ou bien une résidence principale chez la mère.
Le père et la mère sont en couple respectivement avec un homme et
une femme, eux/elles-mêmes défini-e-s par la famille comme parents
de l'enfant. C'est à partir de ces quatre premières rencontres
que j'ai dans un premier temps, mesuré les limites de la
démocratisation au sein de la famille57. C'est-à-dire
que dans un contexte qui veut tendre vers plus d'égalité, des
inégalités subsistent. Puis dans, un second temps, j'ai
étudié quels étaient leurs outils et stratégies
pour faire reconnaître les parentalités sans statut58
et j'ai constaté que ces familles étaient
régulièrement comparées - dans le discours de mes
interlocutrices et à l'échelle politique - aux familles issues de
recompositions, après divorce ou séparation des parents
statutaires. J'ai donc choisi dans un troisième temps d'élargir
ma population à toute personne se considérant comme parent d'un
enfant qui a un père et une mère reconnu-e-s par l'Etat. J'ai
rencontré trois personnes conjointes d'un parent statutaire
séparé et/ou divorcé de l'autre parent59.
Enfin, l'un-e de ses personnes m'a parlé d'une autre parentalité
construite en dehors de toute configuration familiale
particulière60.
J'ai procédé à chaque fois par entretien
compréhensif afin de saisir la logique des acteurs et actrices dans leur
volonté de se faire reconnaître. L'entretien est un outil
particulier du fait
56 Pour quelques repérages, voir «
Réseaux familiaux, familles » p.23.
57 « Les limites de la démocratisation »
p.25.
58 « Faire reconnaître une parentalité sans
statut dans le cas d'une homoparentalité » p.54.
59 « Faire reconnaître une parentalité sans
statut dans le cas de recomposition familiale » p.98
60 « L'histoire d'une parentalité sans statut en
dehors de tout espace familial » p.122
qu'il est à la fois outil et objet d'étude. En
effet, c'est l'interaction en contexte d'entretien qui sera analysée. Je
partage alors la conclusion de Marie-Laure Deroff : « Interroger et
considérer les effets interviewé-e-s/interviewer, c'est bien
analyser une situation constituant une interaction sociale dans et par laquelle
nous observons des processus sociaux. Ainsi ne s'agit-il pas de déplorer
les éventuelles dissimulations, les tris opérés par
l'interviewé-e, comme autant de biais empêchant d'accéder
à une quelconque « vérité », mais bien de
considérer ce qui se dit, comme ce que nous devinons d'indicible, comme
étant le produit d'une interaction sociale et en cela, l'objet
même de l'analyse sociologique. »61
Ces entretiens ne visaient pas à repérer des
régularités comme le permettrait une enquête quantitative
mais à replacer des logiques individuelles dans leurs contextes. Je pars
alors du principe que ce que me dit un-e individu-e et ses propres
stratégies ne sont jamais dû-e-s au hasard mais
révèlent des logiques de la société dans laquelle
il/elle vit. Ses représentations se sont construites comme telles parce
que le contexte dans lequel se trouve l'individu-e a permis cette construction.
Comme le rappelle Jacques Commaille et Claude Martin, « ce sont souvent
les pratiques sociales les plus en rupture qui révèlent des
mutations profondes même si elles restent quantitativement marginales :
le fait qu'elles soient rendues possible n'informe pas seulement sur ce
qu'elles sont à elles seules, mais sur les changements plus larges qui
les rendent effectivement possibles. » 62 C'est ce qui permet par ailleurs
à Harold Garfinkel de ne rencontrer qu'Agnès dans sa recherche
sur les individu-e-s intersexué-e-s.
Jean-Claude Kaufmann explique que l'utilisation des entretiens
est très diverses. Ils peuvent être peu nombreux mais être
dotés d'une richesse résidant dans « la densité
complexe de la chair biographique »63 ou bien être
très nombreux et dotés d'une richesse résidant dans la
« très grande diversité des réponses sur les points
de détail les plus fins »64 Christophe Giraud explique
que si les entretiens ne nécessitent pas d'être nombreux, ils
doivent cependant recouvrir « une gamme de comportements ou de situations
sociales différenciées par rapport aux objectifs de comparaison
de l'enquête. »65
J'ai souhaité recouvrir différents milieux,
rencontrer des hommes et des femmes, des situations de recompositions
familiales et des situations homoparentales. Pour ce dernier critère, je
n'ai rencontré aucun problème. En revanche, quand il s'agissait
de rencontrer des
61 DEROFF Marie-Laure (2007), « L'entretien
sociologique et l'intime : étude de cas », Les Cahiers de
l'ARS, n°4, « Genre et identités », p.81-98.
62 Op cit. p.53
63 KAUFMANN Jean-Claude (2004), L'entretien
compréhensif, Paris, Armand Colin, collection « 128 »,
p.15.
64 Ibid.
65 GIRAUD Christophe (2010), « Les techniques
d'enquête en sociologie », in Singly François de, Giraud
Christophe, Martin Olivier (dir), Nouveau manuel de sociologie, Paris,
Armand Colin, p.43.
hommes dans des familles homoparentales, les choses
étaient plus difficiles. De la même manière, pour les
milieux sociaux, je n'ai rencontré que des personnes d'un milieu
relativement bien doté. Je reviendrai plus tard sur ces
difficultés, à mon sens, significatives de la
réalité sociale des individu-e-s66.
Mes entretiens - quand ils étaient oraux (face à
face ou téléphone) - ont duré pour chacun entre 45 min et
1h30. Quand ils étaient écrits, ils étaient en
général plus longs, la personne prenant souvent soin de
rédiger une réponse particulièrement
développée à mes mails (pouvant aller jusqu'à une
dizaine de pages avant mes relances). Les entretiens en face à face ont
été enregistrés, les personnes étaient
prévenues et le dictaphone était posé sur la table. Ils
ont ensuite été retranscrits intégralement. A chaque fois,
au fur et à mesure de ce mémoire, je préciserai les
conditions des entretiens.
Afin de respecter les propos des personnes
enquêtées, et ayant utilisé les styles indirect et indirect
libre pour rapporter ces mêmes propos, je me suis servie des guillemets
lorsqu'un terme n'était pas de moi et qu'il ne pouvait pas être
correct d'un point de vue sociologique. Par exemple, et je l'expliquerai dans
ce mémoire, je ne peux pas parler de « parent biologique
», une relation étant socialement construite et non
biologique. Cependant, il me semblait pertinent de laisser les termes «
mère biologique », « père biologique
» etc. quand ils révélaient les représentations de
mes interlocutrices/interlocuteurs et qu'ils servaient leurs logiques.
Toutefois, pour Lisa, que je présenterai plus tard, philosophe sur les
questions de genre, l'entretien s'est déroulé par mail et elle
utilisait les guillemets exactement de la même manière que moi.
Les guillemets font donc également partie de son récit et
marquent une distance probablement intellectuelle vis-à-vis des termes
communs.
Les noms et dates de naissance ont volontairement
été changé-e-s afin de préserver l'anonymat des
personnes rencontrées. Seules les années ont été
respectées afin de replacer les évènements dans leurs
contextes socio-historiques. De même, je suis restée vague sur les
éléments permettant inutilement d'identifier la personne. Par
exemple, je n'ai pas changé les professions mais je n'indique parfois
que la catégorie socioprofessionnelle.
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