![](Exclu-e-s-du-livret-de-famille--les-parents-sans-statut-se-raconter-au-sein-dune-pluriparentali1.png)
Université Européenne de Bretagne /
Université de Bretagne Occidentale Faculté Victor Segalen
(Brest)
Mémoire de Master 2
Exclu-e-s du livret de famille :
les parents sans statut
Se raconter au sein d'une pluriparentalité
|
Présenté par : REGNOULT Elodie
|
Dirigé par :
GAUTIER Arlette (Pr) CHARRIER Gilda (Mcf)
Membres du jury :
GAUTIER Arlette (Pr) CALVEZ Ronan (Pr)
|
Juin 2011
Remerciements
Mon intérêt pour le « pluri » se
traduit également dans ma vie universitaire et je tiens à
remercier la multitude de personnes qui ont gravité à un moment
ou un autre autour de mon mémoire - en apportant chacune sa richesse
singulière.
Gilda Charrier et Arlette Gautier pour m'avoir accompagnée
dans mon parcours de formation et permis de mener cette recherche
jusqu'à son terme.
Annick Madec... l'auteure, l'enseignante, et la personne... qui
par nos échanges et par ses écrits m'a permis de trouver ma place
à l'Université.
Charlotte Megino-Lloreda, Estelle Miot, David Viera qui ont
participé à différents moments en me lisant, en me
questionnant, en discutant avec moi de mon sujet et/ou en m'offrant mon
imprimante. Marion Libaud, pour l'intérêt qu'elle a porté
plusieurs fois à mon mémoire.
Maëva Bihoué, Arnaud Poveda, Nathalie
Narváez, Marie-Laure Deroff, Tifaine Perrint, Emilie Potin,
Hélène Trellu, Emmanuel Da Silva, Severiano Rojo Hernandez qui
m'ont apporté leurs conseils, aides, idées ponctuellement ou
régulièrement... qui m'ont pour certain-e-s lue, corrigée,
questionnée.
Anca Pascu pour m'avoir aidée à combler mes lacunes
en traitement de texte.
Odile et Carole « de la cafét' » qui
ont été présentes pendant mes longues heures de
travail.
Toutes les personnes que j'ai rencontrées et celles qui
m'ont permis de les rencontrer, pour m'avoir fait confiance et pour m'avoir
raconté leurs expériences de parentalité.
Table des matières
Pour introduire...l'objet de la recherche 5
Les limites de la démocratisation 25
1 Présentation des familles et du mode de
rencontre 26
1.1 Vanessa (mère statutaire) 26
1.2 Eva et Martine (mère statutaire) 27
1.3 Lisa 30
1.4 Mais où sont les hommes ? 31
2 Hommes et femmes dans la parentalité
33
2.1 Résidence principale chez la mère ou
résidence alternée ? 33
2.2 L'éducation de l'enfant : un ensemble de savoirs ou un
ensemble d'opinions ? 40
3 Deux femmes autour d'un enfant 45
3.1 La dite « horloge biologique » des femmes,
l'horloge sociale des individu-e-s 47
3.2 Le mythe de « l'instinct maternel » 50
3.3 L'enjeu du « savoir parental » 51
Faire reconnaître une parentalité sans
statut dans le cas de d'une homoparentalité 54
1 La parentalité : histoire de couple, histoire
des parents statutaires, histoire familiale
ou histoire individuelle ? 55
1.1 Le choix de la configuration : privilégier son couple
ou répondre à l'injonction de
l'hétéroparentalité 56
1.2 La séparation : d'une histoire de couple à une
histoire individuelle 62
1.3 Histoire d'une configuration, compositions, recompositions
familiales. 69
1.4 Raconter l'investissement des rôles parentaux au sein
d'un seul foyer 74
1.5 Raconter l'investissement des rôles parentaux dans le
cas d'une séparation 76
1.6 La matérialisation de l'histoire : les photos 78
1.7 Raconter une parentalité sans statut : petite
conclusion... 81
2 Les témoins de la parentalité
81
2.1 Les institutions, structures, contrats comme
témoins « officiels » de la parentalité 82
2.2 L'entourage comme témoin quotidien de la
parentalité 86
2.3 L'enfant comme confirmant la parentalité 89
2.4 Milieu social et regard sociétal 93
Faire reconnaître une parentalité sans
statut dans le cas de recompositions familiales 98
1 Présentation des personnes rencontrées
99
1.1 Anne 99
1.2 François 100
1.3 Philippe 102
2 Pour Anne, une question de territoire 102
2.1 Être mère, une identité 102
2.2 Souvenirs des années soixante-dix et construction de
la parentalité 104
2.3 Recompositions familiales et territoires de la
parentalité 105
2.4 Définir son rôle : pas la mère, pas la
copine 107
3 Pour François, pas vraiment parent mais «
je la considère comme ma fille » : se
définir après le décès du
père statutaire 108
4 Pour Philippe, être parent de tous les enfants :
une question de génération 113
4.1 La notion de « parent » : éduquer et
transmettre 113
4.2 Être parent de tous les enfants sous son toit 114
4.3 Etre parent de tous les enfants ? 117
5 Recompositions familiales et positionnement
genré 119
6 Frères et soeurs dans le discours de leurs
parents 120
En guise d'ouverture... L'histoire d'une
parentalité sans statut en dehors de tout espace
familial 122
1 Une relation en dehors de la famille 125
2 Des relations privilégiées
125
3 Une relation choisie, pas forcément
confirmée par l'autre 126
Pour terminer... Quelques conclusions... 128
Annexes 137
Pour introduire...
L'objet de la recherche
La deuxième moitié du XXème siècle
a été marquée par de nombreux débats politiques
relatifs aux nouvelles formes de famille (recomposition, homoparentalité
etc.). Dans les années soixante-dix, c'est la place des femmes et des
enfants au sein de la famille qui est redéfinie avec une autorité
parentale partagée mais uniquement dans le mariage1, la fin
de la puissance paternelle2, la contraception chimique, le droit
à l'avortement et le divorce par consentement mutuel3. Dans
les années quatre-vingt, les pères réclament le partage de
l'autorité parentale hors mariage car celle-ci est alors
unilatérale en cas de divorce ou de concubinage et elle est
généralement attribuée aux mères. Ils obtiennent la
loi de 19874 qui répond positivement à la demande tout
en imposant de définir une résidence habituelle pour l'enfant en
cas de séparation des parents. Le plus souvent, cette résidence
habituelle sera celle de la mère. En 2002, passe une loi sur la
résidence alternée5 dans l'objectif de créer
plus d'égalité entre père et mère et qui renforce
dans le même temps les liens parentaux statutaires6. Ceux-ci
deviennent indissolubles et détachés du lien conjugal.
Parallèlement, les discussions sur le PaCS
adopté en 19997 engendrent des débats sur
l'homoparentalité. Ce contrat ne concerne pas la filiation mais les
opposant-e-s craignent que le PaCS soit un mariage homosexuel impliquant une
filiation commune. La question de l'homoparentalité est également
discutée lorsque le gouvernement envisage un statut pour les
beaux-parents (demandé par Nicolas Sarkozy le 13 février
20098 mais déjà présent dans les
questionnements politiques depuis quelques années). Ce statut serait
valable pour les homoparents et pour plus deux individu-e-s responsables de
l'enfant. Ce projet de loi devait être prêt pour mai puis septembre
2009. En juin 2011, il n'est toujours pas abouti.
Les familles se diversifient, les débats se multiplient
mais cette diversification fait peur à certain-e-s qui
considèrent la famille en perte de sens. C'est le cas de Louis Souvet,
un
1 Auparavant, le père avait tout pouvoir.
2 Loi n°70-459 du 4 juin 1970 relative à
l'autorité parentale.
3 Loi n°75-617 du 11 juillet 1975 portant sur la
réforme du divorce.
4 Loi n°87-570 du 22 juillet 1987 sur l'exercice
de l'autorité parentale.
5 Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative
à l'autorité parentale.
6 Pour ma part, j'emploierai régulièrement les
termes de Virginie Descoutures, à savoir « parents statutaires
» et « parents non statutaires ». Les parents statutaires sont
celles et ceux reconnu-e-s par l'Etat, qui ont des droits et devoirs
vis-à-vis de l'enfant tel que qu'ils sont définis par le Code
Civil. En France, un enfant ne peut avoir d'une mère et qu'un
père statutaires. Les parents non statutaires sont toutes les personnes
qui se considèrent comme parents sans en avoir le statut, sans avoir de
droit ni de devoirs définis par l'Etat. DESCOUTURES Virginie (2010),
Les mères lesbiennes, Paris, Presse Universitaire de France.
7 Titre XIII du livre 1er du Code Civil.
8 Discours de Nicolas Sarkozy sur la politique
familiale au Palais de l'Elysée, Vendredi 13 février 2009, [en
ligne], URL :
http://www.elysee.fr/documents/index.php?mode=cview&press_id2332&cat_id=7&lang=fr,
Consulté le 3 avril 2009.
sénateur membre de l'Union pour un Mouvement Populaire
(UMP), lors du débat au sénat concernant l'attribution d'un
statut aux beaux-parents9 :
« Au regard de la fréquence des divorces, qui se
sont banalisés, et de l'homoparentalité, qui bouleverse tout
l'édifice construit jusqu'à présent, l'évolution
actuelle nous conduit tout droit vers des problèmes de
société et de santé. [...] On crée ici ou là
des désirs et des volontés ; les familles se composent, se
décomposent et se recomposent parfois plusieurs fois ; les gènes
humains sont mélangés, avec les mêmes risques que pour les
mariages entre cousins et cousines, qui engendraient des enfants pas toujours
normaux. Je me demande si nous ne nous dirigeons pas vers un modèle de
société difficile à gérer. »
Intervention de Louis Souvet lors de la session ordinaire du
Sénat en 2005-2006.
Les idéologies dominantes de la
parentalité
Ces représentations révèlent une tension
entre les intérêts individuels et la tentation politique à
un retour vers un ordre familial et politique établi, comme le souligne
Jacques Commaille et Claude Martin10. Les familles sont
supposées tendre vers une idée de « stabilité »,
c'est-à-dire être biparentales (deux parents),
hétérosexuées, cohabitantes. Ces idéologies sont
perçues comme naturelles. Avoir un enfant serait un projet commun,
porté par les deux conjoint-e-s en couple hétérosexuel.
Leurs rôles parentaux seraient définis en fonction d'un sexe
supposé biologique, ce qui induirait une complémentarité
père/mère. Celle-ci permettrait à l'enfant de se
construire tout en préservant l'épanouissement de chacune. Ces
différents points révèlent une trajectoire de
parentalité idéologique, ayant un sens cohérent et
dominant.
Par la biparentalité et
l'hétéronormalité11, on voit émerger la
recherche du primat des gènes et de la biologie pour définir les
liens de la famille, parfois sous couvert de l'intérêt de l'enfant
et de la pérennisation de l'ordre construit par la
société. Jusque dans la fin des années soixante et un peu
après, être en couple est confondu avec le mariage, et permet
d'avoir une
9 HYEST Jean-Jacques, Rapport d'information du
Sénat, session ordinaire de 2005-2006, n°392, p.23, [en
ligne], URL :
http://www.senat.fr/rap/r05-392/r05-3920.html,
Consulté le 3 avril 2009.
10 COMMAILLE Jacques, MARTIN Claude (1999), «
Les conditions d'une démocratisation de la vie privée », in
Borrillo Daniel, Fassin Eric, Iacub Marcela, Au-delà du PaCS :
L'expertise familiale à l'épreuve de l'homosexualité,
Paris, Presse Universitaire de France, p.61-78
11 Norme de l'hétérosexualité
sexualité « légitime » dans le but de
fonder une famille « légitime ». Même si couple et
mariage sont de moins en moins confondu-e-s12 dans les faits (ainsi
que couple et sexualité), et que la sexualité est peu à
peu dissociée de l'engendrement, est restée l'idée que
l'on doit cohabiter et fonder une famille, dès que la situation
professionnelle le permet. La différence est qu'aujourd'hui, dans les
représentations communes, on fait du couple et de la famille pour soi,
pour l'enfant et non plus pour l'organisation, la relation. Les relations
conjugales sont supposées être choisies et supposées
pouvoir se dissoudre dans l'intérêt des individu-e-s. De
même, avoir un enfant est supposé relever d'un projet, d'une
volonté et non plus d'une logique d'obligation perçue comme
naturelle13. Ceci se traduit par la contraception, l'avortement,
l'accouchement sous X d'une part, mais aussi par le rallongement de la
durée des études, le droit de se construire professionnellement
avant d'entrer dans un projet de parentalité, qui reste néanmoins
inéluctable.
Selon l'enquête de Juliette Halifax et Catherine
Villeneuve-Gokalp sur l'adoption en France14, 89,9% des candidat-e-s
à l'adoption sont en couple et vivent ensemble, 10,6% sont des femmes ne
vivant pas en couple et 0,3% sont des hommes qui ne vivent pas en couple. Parmi
les adoptant-e-s, 93,2% sont en couple et vivent ensemble, 6,8% sont des femmes
ne vivant pas en couple et 0% sont des hommes qui ne vivent pas en couple. Dans
les démarches d'adoption, seul-e-s peuvent adopter les couples
mariés ou les personnes célibataires (étant
déclarée célibataire toute personne n'étant pas
mariée), ce qui signifie qu'un couple non marié ne peut pas
adopter conjointement15. Le formulaire de candidature à
l'agrément du Conseil Général du Finistère est
lui-même révélateur. L'adoption ne peut se faire que par
une personne célibataire ou un couple marié cohabitant (il ne
peut y avoir qu'une adresse postale inscrite et
l'hétérosexualité du couple est clairement
explicitée)16.
Dans cette étude, ont été
également comptabilisées en couple, les personnes ayant fait le
projet de se marier pour pouvoir adopter conjointement. Cette étude met
donc en évidence, non pas la réelle situation conjugale à
l'adoption (les personnes dites célibataires pouvant, de fait,
être en couple), mais les représentations de la situation
conjugale « légitime » à la
12 Dans leur enquête sur les « nouveaux
couples », Catherine Villeneuve-Gokalp et Henri Leridon notent que de 1975
à 1985, le nombre de mariage a baissé de 30% et le nombre de
naissance hors-mariage a été multiplié par 2,5.
(VILLENEUVE-GOKALP Catherine, LERIDON Henri (1988), « Les nouveaux couples
: nombre, caractéristiques et attitudes », Population, vol
43, n°2, p.331-374)
13 BOLTANSKI Luc (2004), La condition foetale :
Une sociologie de l'engendrement et de l'avortement, Paris, Gallimard
14 HALIFAX Juliette, VILLENEUVE-GOKALP Catherine
(2005), « L'adoption en France : qui sont les adoptés, qui sont les
adoptants ? », Population et Société n°417
15 Articles 343, 343-1 et 346 du Code Civil
16 Conseil Général du Finistère,
Questionnaire à l'attention du ou des candidats à
l'adoption, [en ligne], URL :
http://www.cg29.fr/Le-Conseil-general-et-vous/Enfance-Jeunesse/Adoption,
Consulté le 18 avril 2009.
parentalité (93,2% des adoptant-e-s sont
déclaré-e-s en couple) ainsi que les inégalités
entre les hommes et les femmes face à la parentalité (0% des
adoptants sont des hommes déclarés seuls et 6,8% sont des femmes
déclarées seules). De même, dans son étude sur les
familles monoparentales, Elisabeth Algava17 montre que dans 85% des
cas, en France, en 1999, la dissolution d'un couple (marié ou non, par
séparation, divorce ou veuvage) était à l'origine d'une
famille monoparentale alors que dans 15% des cas, il s'agissait de
célibat.
Actuellement, dans le cas d'un couple non marié
où seulement l'une des deux personnes est parent statutaire, le conjoint
ou la conjointe de celui/celle-ci ne peut partager l'autorité parentale
de l'enfant que dans des cas exceptionnels18. Ce partage se fait
alors à la demande des parents statutaires, au cas par cas, afin de
pouvoir « accomplir tel ou tel acte concernant l'éducation, la
santé et la vie quotidienne de l'enfant. »19
Afin d'être reconnu comme parent de l'enfant, le
beau-parent peut recourir à l'adoption simple mais cette
procédure entraîne un déplacement de l'autorité
parentale du parent statutaire au beau-parent adoptant et l'autorité
parentale reste exclusive - dans le cas d'un couple non
marié20. Cette voie n'est donc que rarement empruntée
et ne permet pas le partage de l'autorité parentale. De plus, selon
Mirelle Brioude et Mathieu Peycéré « l'agrément est
dans la pratique refusé en cas d'homosexualité
avérée de l'adoptant et les tribunaux refusent
systématiquement l'adoption simple par le compagnon homoparental.
»21 L'adoption simple par un compagnon du même sexe, a
néanmoins déjà eu lieu mais reste rare et dépend du
tribunal qui va ou non l'accorder.
L'hétérosexualité - et
l'hétéroparentalité - sont argumentées par les
individu-e-s par des idées reçues mobilisant la nature : «
la nature nous a fait physiquement pour ça » et «
la nature ne permet pas à deux hommes ou deux femmes d'avoir un
enfant » et que si, « naturellement c'est comme ça,
c'est que c'est ce qu'il y a de mieux ». Les représentations
basées abusivement sur la biologie servent souvent d'argumentaires
(l'enfant ne peut avoir qu'un seul géniteur et qu'une seule
génitrice).
Cette confusion sociale des liens est également nourrie
par des normes éducatives issues d'une psychologie banalisée
(l'enfant doit avoir un référent et une référente
pour sa propre construction sexuée, il doit pouvoir identifier
clairement sa mère et son père). Elle est également
nourrie par l'idée qu'il faut conserver l'ordre établi dans la
société (ça a toujours
17 ALGAVA Elisabeth (2002), « Les familles
monoparentales en France : progression et diversité »,
Population n°4/5, p.733-758
18 Article 377 du Code Civil
19 GAUTIER Gisèle, op.cit. p.150
20 Article 365 du Code Civil
21 GAUTIER Gisèle, op.cit.
été comme ça, la société
n'est pas prête au changement, où va la famille ? Où va la
société ?)22.
Ces représentations ont été construites
selon des idées basées sur la différence des sexes. Dans
une étude sur les personnes intersexuées, Harold Garfinkel met en
évidence le renvoi à la nature par la société des
identités d'homme et de femme. Il met également en
évidence la dichotomie construite socialement qui reconnaît deux
et seulement deux sexes. Ces deux sexes sont apparentés à des
identités sexuées et des pratiques attribuées de
manière binaire et naturalisée aux hommes et aux
femmes23.
En cas de séparation ou de décès de l'un
des parents de l'enfant, il revient aux juges des affaires familiales de fixer
« les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou
non »24 , modalités qui se traduisent par un droit de visite. Si le
parent statutaire a désigné son conjoint ou sa conjointe comme
tuteur ou tutrice par voie testamentaire ou déclaration spéciale
devant notaire, le conjoint ou la conjointe peut alors obtenir
l'autorité parentale de l'enfant en cas de décès du parent
statutaire. A défaut, l'enfant est confié à l'ascendant du
degré le plus proche (grands-parents généralement).
Le débat au Sénat de 2005-2006, rendu compte
dans le rapport n°388, visait à généraliser cette
possibilité de partage d'autorité parentale dans la vie
quotidienne et à offrir la possibilité au juge, en cas de
décès du parent statutaire, de « désigner le
beau-parent comme tuteur si celui-ci le demande » sans testament ou
déclaration spéciale25.
C'est quoi la famille ?
A travers ces divers débats, et comme le rappelle Eric
Fassin, la définition universelle de la famille basée sur la
différence des sexes est questionnée. Le processus même de
définition scientifique est à remettre en cause. L'objectif n'est
donc plus pour le sociologue de
22 Jacques Commaille et Claude Martin parle de tension
entre démocratisation de la famille et souci de «
préservation du Bien commun » COMMAILLE Jacques, MARTIN Claude
(1999), op.cit. p.70
23 GARFINKEL Harold (2007), Recherche en
ethnométhodologie, Paris, Presses Universitaires de France
(1ère édition : 1967 : Studies in
Ethnomethodologie). Au moment des débats sur le PaCS, face à
Irène Théry, Eric Fassin dénonce l'universalisation de la
différence des sexes par la science. FASSIN Eric (2000), « Notre
oncle d'Amérique : Entretien avec Eric Fassin », entretien
réalisé par Philippe Mangeot et Victoire Patouillard,
Vacarme, n°12, [en ligne], URL :
http://www.vacarme.org/article31.html,
Consulté le 20 avril 2009.
24 Article 371-4 du Code Civil
25 GAUTIER Gisèle, op.cit. p.151
définir la famille mais d'étudier comment les
individu-e-s font leur famille, comment ils et elles négocient
leurs relations familiales, dans un contexte politique
particulier26.
Les études ethnologiques montrent que les codes et les
normes de la société dans laquelle nous vivons sont
contextualisé-e-s et ne valent donc que pour celle-ci. Dès lors
que nous nous intéressons à d'autres sociétés, nous
accédons à d'autres logiques sociales parfois très
différentes.
Chez les Baining de Nouvelle-Bretagne, la consanguinité
entre géniteur et enfants ou génitrice et enfants est
vécue comme une « honte »27 comme le souligne
Monique JeudyBallini, car les enfants sont alors la preuve de l'activité
sexuelle du géniteur et de la génitrice, « acte
désocialisant qui rabat les humains du côté de la nature.
»28. La parentalité ou la filiation se construit, chez
les Baining entre les adultes et les enfants qu'ils/elles n'ont pas
engendrés, mais qu'ils/elles nourrissent. La parentalité est
donc, définie ici, relativement à l'action nourricière par
opposition à l'acte d'engendrement.
Chez les Nuer du Soudan et d'Ethiopie, selon Anne Cadoret,
« lorsqu'un homme meurt sans être marié (ou encore sans
descendance), un parent proche prélève sur le bétail du
défunt la quantité nécessaire à la compensation
matrimoniale pour obtenir une épouse et il procrée au nom du
défunt : le défunt est le père social, et le
géniteur est désigné par le terme de parenté
correspondant à sa place généalogique (oncle, cousin
patrilatéral, etc.) »29. La paternité est par
conséquent, définie dans ce cas, par la ressource
matérielle apportée, et non, par la dite consanguinité.
Enfin, chez les Samo du Burkina Faso, le premier enfant d'une
femme est né de cette femme et d'un amant choisi, avant le mariage de
celle-ci parmi un groupe autorisé. Ce groupe doit être
différent de celui du futur époux. L'enfant est ensuite reconnu
comme le fils de cette femme et de son mari30. Si la mère et
la génitrice semble être une seule et même personne, le
père en revanche n'est pas le géniteur. La paternité est
définie par le mariage avec la mère. La parentalité serait
ici, donc définie comme issue d'une union maritale et non d'un projet
d'engendrement.
26 FASSIN Eric (2000), « Usage de la science
et science des usages : à propos des familles homoparentales »,
L'Homme, n°154-155, p.391-408.
27 JEUDY-BALLINI Monique (1998), «
Naître par le sang, renaître par la nourriture : un aspect de
l'adoption en Océanie », in Fine Agnès (dir), Adoptions
: Ethnologie des parentés choisies, Paris, Editions de La Maison
des Sciences de l'Homme, p.39.
28 Ibid p.39.
29 CADORET Anne (1999), « La filiation des
anthropologues face à l'homoparentalité », in Borillo
Daniel, Fassin Eric, Iacub Marcela (dir), Au-delà du PaCS :
L'expertise familiale à l'épreuve de l'homosexualité,
Paris, Presses Universitaires de France, collection « Politique
d'aujourd'hui », p.213.
30 HERITIER Françoise (1996), Masculin,
féminin, la pensée de la différence, Paris, Odile
Jacob.
La démographie des familles homoparentales et des
recompositions familiales en France
Le nombre de familles homoparentales est aujourd'hui, impossible
à estimer de manière précise, car elles n'ont aucune
reconnaissance juridique. Le terme « homoparentale » est un
néologisme inventé par l'Association des Parents Gays et
Lesbiens, mais juridiquement, l'homoparentalité n'est pas reconnue.
Le conjoint ou la conjointe du parent statutaire n'a encore aucun statut
à ce jour. Dans le cas d'une adoption ou de nouvelles techniques de
reproduction, seule l'une des deux personnes est reconnue comme
parent (l'adoptant-e ou la personne génitrice). Pour ce qui est des
couples homosexuels, ils ne peuvent pas non plus être
précisément estimés car les statuts matrimoniaux reconnus
en 2009 sur la feuille de recensement sont : « Célibataire
(jamais légalement marié(e)) », «
Marié(e) (ou séparé(e)) mais non divorcé(e))
», « Veuf, veuve », « Divorcé(e) ». Le PaCS,
le concubinage et les couples non cohabitants ne sont pas
comptabilisés. De plus, le nombre de PaCSé-e-s homosexuel-le-s
ne sont pas non plus comptabilisé-e-s car le sexe des
personnes contractantes n'est pas indiqué. « Le PaCS ne fait
aucune allusion aux configurations familiales homoparentales existantes
»31. Néanmoins, l'INED (Institut National
d'Etudes Démographiques) permet d'estimer le nombre de couples
homosexuels à environs 150 000 en 2005 grâce à
l'enquête EHF (Etude de l'Histoire Familiale). Cette enquête
présente, toutefois, certaines limites. Les couples
comptabilisés étaient des couples cohabitants (ce qui
ne représenterait que 50% des couples homosexuels). Ensuite,
certain-e-s refusaient de dévoiler leur situation atypique. Et enfin,
les questions étaient destinées à des couples
hétérosexuels. La difficulté se situait notamment dans
la définition que chacun-e donne au mot « couple »
et à sa relation. La notion de « couple » ici, ne renvoie
pas une définition juridique mais sociale. Cette même
enquête estime que 16% des couples homosexuels féminins comptent
au moins un enfant présent dans le ménage contre 0% des
couples homosexuels masculins. L'enfant présent n'est pas
forcément un enfant en commun et l'estimation du nombre de couples
ayant un enfant commun aux deux femmes ne s'élève qu'à
160. On peut se demander selon quels critères les conjoint-e-s
estiment que l'enfant est en commun ou non. L'un des deux parents
n'étant pas statutaire, il ou elle pourrait se considérer comme
parent dans le
31 RAULT Wilfried (2009), L'invention du
PaCS, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques,
p.109.
quotidien mais ne pas le déclarer dans l'enquête
EHF. Ces estimations restent donc imprécises et
minimales32.
Patrick Festy reprend cette enquête afin d'estimer le
nombre de couples homosexuels en France, en 2006, et le nombre de familles
homoparentales33. Il estime le nombre de couples homosexuels
à 150 000 dont 80 000 couples gays et 70 000 couples lesbiens. 2000
couples gays auraient au moins un enfant contre 10 000 à 12 000 couples
lesbiens. Evaluant le fait qu'il y aurait en moyenne deux enfants par famille,
il y aurait donc 24 000 enfants vivant dans des familles homoparentales. Tout
comme l'autre étude, cette estimation est à la fois
imprécise et minimale. D'une part, les couples non cohabitants ne sont
toujours pas comptabilisés. D'autre part, les enfants issus d'une union
hétérosexuelle, dont l'un des deux parents fait partie
aujourd'hui d'un couple homosexuel, ne sont pas comptés si les enfants
vivent avec l'autre parent. Selon Patrick Festy, il y aurait de 24 000 à
40 000 enfants appartenant à une famille homoparentale.
Concernant les recompositions familiales, « en 1999,
lorsqu'il vit au sein du foyer parental, un jeune de moins de 25 ans sur quatre
vit avec un seul de ses deux parents. Il réside une fois sur quatre avec
un parent et un beau-parent, et trois fois sur quatre au sein d'une famille
monoparentale. Un million d'enfants sont élevés par un couple
dont seul l'un des deux membres est leur parent : 63% habitent avec leur
mère et son nouveau compagnon, 37% avec leur père et sa nouvelle
compagne. »34
Les recompositions familiales sont donc des situations
beaucoup plus nombreuses - et également beaucoup plus socialement
admises que l'homoparentalité. Le conjoint et la conjointe du parent
statutaire porte un nom, le « beau-parent » et cela facilite
l'enquête quantitative puisque les personnes sont socialement
définies. Il est plus facile de se reconnaître comme correspondant
à la population d'une enquête quand les termes sont communs, que
lorsque la définition des places et des relations restent floue.
Néanmoins, dans le cas de mon enquête, il est sans doute plus
« facile » de se dire parent quand on a eu un enfant dans le cadre
d'une union homosexuelle que lorsqu'on est déjà défini-e
comme « beau-parent ».
32 TOULEMON Laurent, VITRAC Julie, CASSAN Francine
(2005), « Le difficile comptage des couples homosexuels d'après
l'enquête EHF », in Lefèvre Cécile, Filhon Alexandra
(dir), Histoires de Familles, Histoires familiales : Les résultats
de l'enquête Famille de 1999, Cahier de l'INED n° 156, Paris,
INED, p. 589- 602
33 FESTY Patrick (2006), « Le recensement des
familles homoparentales », in Cadoret Anne, Gross Martine, Mécary
Caroline, Perreau Bruno (dir), Homoparentalités : Approches
scientifiques et politiques, Paris, PUF, p.109-116.
34 BARRE Corinne (2005), « 1,6 million d'enfants
vivent dans une famille recomposée », in Lefèvre
Cécile, Filhon Alexandra (dir), op. cit., p. 273-281
Quand la sociologie s'en mêle...
Ces changements sociopolitiques ont engendré une
émulation scientifique - notamment en sociologie. La - ou plutôt
les familles sont au coeur de nombreuses recherches. François de Singly
considèrent que la « famille conjugale » d'Emile
Durkheim35 s'est transformée en « famille moderne 2
», c'est-à-dire que dans l'intensification du processus
d'individualisation et avec une société de plus en plus
pédocentrée, ce n'est plus le mariage qui est le centre de la
famille mais l'enfant36. Le lien électif de la
conjugalité peut-être rompu dans le divorce ou la
séparation. La famille doit servir la construction identitaire de
l'individu-e et sa socialisation. Cette construction de l'identité,
François de Singly l'étudie au sein du couple quand elle
s'effectue par le/la conjoint-e dans le cadre de couples
hétérosexuels (l'identité professionnelle féminine
par exemple peut-être confirmée, valorisée ou
niée)37. Il l'étudie aussi dans le cadre de la
socialisation enfantine, quand elle s'effectue par les parents, et notamment
les pères dont les rôles se sont transformés à
partir des années quatre-vingt en devenant « partenaires de jeu
» plus que « figures d'autorité ». L'identité se
construit par et avec les autres, et devient le but ultime des relations
entretenues.
Pour Jacques Commaille et Claude Martin, l'idée de
l'individualisation dans la famille repose sur l'idée d'une famille
construite non plus en fonction des intérêts de la
société mais en fonction de ceux des individu-e-s. « La
famille n'est pas seulement une réalité construite par les
individu-e-s, elle est contrôlée et par là,
instituée par la société, elle est une
réalité socialement construite par les regards que la
société et ceux qui y exercent le pouvoir portent sur elle, et
par les usages qu'on prétend faire d'elle en référence
à la société et à ce qui est
représenté comme étant les intérêts de
celle-ci »38. Si les individu-e-s s'individualisent et
s'émancipent de leurs rôles, c'est toujours sous le regard de la
société qui contrôle cette émancipation, au travers
de liens d'interdépendance (en terme d'échange d'argents, de
biens, de services).
Ce processus n'est pas sans aller avec un processus de
démocratisation de la famille. Commaille et Martin expliquent que «
la démocratie signifie la discussion, de façon à
garantir
35 DURKHEIM Emile (1921), « La famille conjugale
», cours de 1892, Revue Philosophique, reproduit in Durkheim
Emile (1975), Texte III, Paris, Editions du Minuit, p.35-49.
36 SINGLY François de (2007), Sociologie de
la famille contemporaine, 3ème édition refondue,
Paris, Armand Colin, Collection « 128 ».
37 SINGLY François de (1996), Le soi, le
couple et la famille, Paris, Nathan.
38 COMMAILLE Jacques, MARTIN Claude (1998), Les
enjeux politiques de la famille, Paris Bayard, p.47.
la supériorité du meilleur argument sur d'autres
types de détermination de la décision »39 S'inscrire
individuellement dans ce processus de « démocratisation »
implique une conception des espaces publics et privés comme lieux
d'égalité (égalité de genre, égalité
sociale) entre individu-e-s. Les auteurs s'intéressent alors à ce
qu'ils appellent « crise de la démocratie », car
différents facteurs économiques et socioculturels,
empêchent cette inscription de tous et toutes de manière
égale dans ce processus de démocratisation.
Dans les années quatre-vingt-dix, ce sont les travaux
sur les recompositions familiales qui se développent. En 1994, alors que
la loi de 1987 impose de fixer une résidence habituelle pour l'enfant,
Gérard Neyrand étudie la résidence alternée comme
une redéfinition des rôles féminins et masculins, et comme
une solution face à la séparation de l'enfant avec le parent non
gardien (généralement le père)40 Cette pratique
a commencé bien avant la loi de 2002 (par ailleurs, les lois sont bien
souvent la résultante de pratiques sociales existantes). Si la solution
apporterait des avantages relationnels (contact avec les deux parents), elle
impliquerait également des contraintes matérielles
(proximité, nouveau logement etc.).
Irène Théry et Marie-Josèphe Dhavernas
s'intéressent à la construction du rôle du beau-parent
« à la frontière de l'amitié »41.
Elles mettent alors en lumière un paradoxe : si le beau-parent est
« ignoré du droit, [il] ne l'est pas de la justice
»42 c'est-à-dire qu'il peut être mobilisé
lors d'une enquête sociale ou d'une expertise. Pour les auteures, la
spécificité de la relation des beaux-parents aux enfants est
qu'elle est choisie et désengagée. Ces caractéristiques
l'éloignerait de la parentalité et la rapprocherait de
l'amitié. Néanmoins, le beau-parent peut parfois se substituer
à l'autre parent en cas de décès ou de rupture de contact.
Sylvie Cadolle pense, quant à elle, que nous sommes passé-e-s
d'un système dans lequel le beau-parent se substituait au parent non
gardien et prenait la place du parent à un système au sein duquel
beau-parent et parent se trouvent en concurrence43. L'enfant est
parfois plus souvent avec le nouveau conjoint de sa mère mais doit
loyauté à son père. Les liens entre parents statutaires et
enfants sont devenus indissolubles et nous irions, selon Sylvie Cadolle vers
une pluriparentalité. Par ailleurs, Claude Martin précise que les
relations entre parents
39 Idem p.59.
40 NEYRAND Gérard (1994), L'enfant face
à la séparation des parents : Une solution, la résidence
alternée, Paris, Syros.
41 THERY Irène, DHAVERNAS Marie-Josèphe
(1993), « La parenté aux frontières de l'amitié :
statut et rôle du beau-parent dans les familles recomposées
», in Meulders-Klein Marie-Thérèse, Théry
Irène (dir), Les recompositions familiales aujourd'hui, Paris,
Nathan, p.159-187.
42 Idem p.170.
43 CADOLLE Sylvie (2000), Etre parent,
être beau-parent : la recomposition de la famille, Paris, Odile
Jacob et CADOLLE Sylvie (2007), « Allons-nous vers une
pluriparentalité ? L'exemple des configurations familiales
recomposées », Recherches familiales, n°4,
p.13-24.
statutaires ne prennent pas fin avec la rupture conjugale. En
effet, parmi sa population enquêtée, 66% des parents «
maintiennent des relations avec leur ex-conjoint, mais le plus souvent (dans
près d'un cas sur deux), celles-ci sont réduites aux
décisions concernant les enfants : leur circulation entre les deux
foyers, leur suivi scolaire, les vacances etc. Dans près de 25% de ces
cas où la relation parentale est maintenue, celle-ci dépasse ce
niveau strictement fonctionnel : 166 parents gardiens (soit 16,3% de ceux qui
ont répondu à cette question) nous disent avoir des relations
tout à fait amicales avec leur ex-conjoint. La rupture complète
de la parentalité ne concerne donc qu'un cas sur trois environ.
»44
Cela signifie que ces configurations issues de recompositions,
ne sont pas un ensemble d'électrons libres autour d'un enfant qui
circule, mais qu'elles impliquent des interrelations non-seulement entre
parents et enfants mais aussi entre les parents eux/elles-mêmes
qu'ils/elles soient en couple ou non. L'identité de parent ne se
construit donc pas seulement dans le couple et avec l'enfant mais à
travers un ensemble interactionnel plus ou moins étendu.
Didier Le Gall appréhende la place de la conjointe de
la mère dans le cas de recompositions homoparentales
féminines45. Elle peut ne pas être dite comme la
conjointe de la mère auprès des enfants, ou bien devenir une
sorte de « marraine », «consultante »46. Mais
comme pour toutes les recompositions, l'enjeu est pour elle de ne pas
concurrencer la place du père non gardien. La venue d'un enfant commun
ensuite, permettrait « d'institutionnaliser » la
famille47. Mais jamais, dans les familles étudiées par
Didier Le Gall, ces belles-mères ne sont appelées la «
deuxième maman » ou « l'autre maman ».
A la fois dans un contexte de recompositions familiales et
d'homoparentalité, ces familles ont des enjeux qui ne sont donc pas tout
à fait les mêmes que dans les familles homoparentales où
deux parents de même sexe veulent se faire reconnaître comme
tel-le-s. Ces configurations vont apparaître dans les objets de recherche
sociologiques dès la fin des années quatre-vingt-dix et à
partir des débats autour du PaCS. Eric Fassin montre un renversement de
la question homosexuelle dans les sciences sociales par un questionnement des
normes, imposé par les acteurs et actrices
elles-mêmes48. Les membres de ces différentes
44 MARTIN Claude (1997), L'après-divorce :
Lien familial et vulnérabilité, Rennes, Presse Universitaire
de Rennes, p.116.
45 LE GALL Didier (2001), « Recompositions
homoparentales féminines », in Le Gall Didier, Bettahar Yamina
(dir), La pluriparentalité, Paris, Presse Universitaire de
France, p.203-242.
46 Idem p.225.
47 Idem p.230.
48 FASSIN Eric (2008), L'inversion de la question
homosexuelle (nouvelle édition augmentée), Paris,
Edition Amsterdam.
formes familiales se font reconnaître sur deux
échelles : celle de la famille et celle de la parentalité.
A l'échelle de la famille, Anne Cadoret49
montre de quelle manière les familles homoparentales se constituent
à partir de modèles déjà existants. Lorsque deux
femmes ou deux hommes ont un enfant via les Nouvelles Techniques de
Reproduction (NTR) ou via le recours à l'adoption, la famille est
homoparentale mais il n'y a que deux parents vivant au sein d'un même
foyer). En revanche, lorsqu'un couple de femmes et un couple d'hommes se
mettent en accord pour avoir un enfant dans le cadre d'une
coparentalité50, la famille est pluriparentale mais l'enfant
a une mère et un père statutaires et cette forme familiale
rappelle directement les familles recomposées.
A l'échelle de la parentalité, Virginie
Descoutures étudie la relation entre les mères lesbiennes et
leurs enfants51. Elle montre que la reconnaissance de soi ou de
l'autre comme parent dépend des représentations que l'on se fait
de l'engendrement (une femme serait mère par le fait d'être
enceinte) et/ou de la reconnaissance par la loi (la filiation et dans une
moindre mesure l'autorité parentale). Le travail parental n'est pas
nécessaire aux yeux de la loi pour être reconnu-e comme parent
quand on a adopté ou reconnu l'enfant à l'Etat Civil. Cependant,
il est tout de même un argument politique dans la création de
nouveaux statuts (parent, coparent, beau-parent). Virginie Descoutures
relève l'aspect subjectif de la notion de travail parental. Il s'agit
d'un ensemble de représentations qui assignent les parents à
certaines tâches. Ces tâches sont attribuées à la
parentalité, de manière genrée. Dans le cas des couples
lesbiens, le travail parental de la mère non statutaire est vu comme
« complémentaire » de celui de sa conjointe, selon une
division des rôles essentialisée dans le cadre de famille
hétéroparentale52. Par exemple, on le verra, la
conjointe de la mère statutaire revendique alors un rôle de
séparation entre l'enfant et sa mère, rôle que certains
courants de la psychologie reconnaissent au père. Néanmoins, la
prise de décision se fait en général par le parent
statutaire, quel que soit son sexe.
49 CADORET Anne (2000), « L'homoparentalité,
construction d'une nouvelle figure familiale. », Anthropologie et
Sociétés, vol. 24, n°3, p.39-52.
50 Terme ici, utilisé dans le sens qui lui
ai donné par l'APGL en référence à son sens
premier, partage de l'autorité parentale. Ici la coparentalité
implique statutairement le père et la mère statutaires mais aussi
dans la réalité sociale, parfois concrétisée par
une charte sans valeur juridique, les conjoint-e-s de ceux/celles-ci.
51 DESCOUTURES Virginie (2006), « De l'usage
commun de notion de parentalité », in Cadoret Anne, Gross Martine,
Mécary Caroline, Perreau Bruno (dir), Homoparentalités :
Approches scientifiques et politiques, Paris, PUF, p.211-222
52 SINGLY François de, DESCOUTURES Virginie
(2005), « La vie en famille homoparentale », in Gross Martine (dir)
Homoparentalité, Etats des lieux, Paris, Erès,
p.329-343.
La reconnaissance semble également se faire à
travers l'enfant qui reconnaît l'adulte comme son parent. Ce parent non
statutaire n'est pas forcément défini comme père ou
mère mais relativement à un autre rôle, construit proche du
parrain et de la marraine à l'exception faite qu'il/elle ne remplit pas
son rôle parental à la suite du décès des parents
mais dès l'arrivée de l'enfant.
Enfin, la reconnaissance est également
publique53 (affichage du faire-part de naissance sur le lieu de
travail par exemple).
Pluriparentalités et parentalités sans statut
: quelle approche ?
Cette étude réalisée par Virginie
Descoutures s'ouvre sur une nouvelle question. De quelle manière cette
reconnaissance de soi en tant que parent sans statut s'effectue dans les
familles où père et mère statutaires sont présents
?
Cette question s'avère en fait inexacte car elle
présuppose que toute parentalité se construit dans la famille. En
réalité, il convient plutôt de se demander comment les
personnes qui se considèrent comme parents se font reconnaître
quand l'enfant a une mère et un père statutaires. Préciser
ma question tout en laissant l'ancienne me permet d'appuyer sur ce point car la
parentalité est habituellement étudiée comme relation
faisant partie de la catégorie et du champ « famille ». Or,
Philippe, une des personnes que j'ai rencontrées en
entretien54 raconte une parentalité construite en dehors de
toute organisation familiale. Par conséquent, si ce mémoire est
très proche du champ de la sociologie de la famille, il s'en
éloigne. Nous verrons qu'une configuration (homoparentale ou
recomposée par exemple) est un contexte essentiel à
considérer pour étudier les parentalités qui la compose.
Néanmoins, cette configuration n'est pas le centre de la recherche. Cela
complexifie encore la notion de « famille ». François de
Singly rappelle que c'est l'individu-e qui invente sa propre
famille55. Ici, l'individu-e nous montre qu'il/elle est capable
d'inventer sa parentalité sans l'inclure dans aucune
espèce de famille - même inventée par lui-même.
Il ne s'agit donc pas de comparer les configurations
familiales - ce qui serait à mon sens une vision réductrice des
diversités familiales et qui nierait la particularité des
configurations
53 DESCOUTURES Virginie (2005), « Le travail
d'institution de la famille homoparentale : entre droit à la
différence et droit à l'indifférence », in GROSS
Martine (dir) Homoparentalité, Etats des lieux, Paris,
Erès, p.345-355.
54 Voir chapitre sur « L'histoire d'une
parentalité sans statut en dehors de tout espace familial »
p.111.
55 SINGLY François de (2007), op. cit.
- mais plutôt de voir de quelle manière,
jusqu'où et avec quelle limite peut-on étudier les
parentalités sans statut pour elles-mêmes sans se centrer sur une
configuration particulière ?
Ce mémoire appartiendrait alors plutôt à
une sociologie de la parentalité, c'est-à-dire qu'il vise
à étudier des aspects de la parentalité - en
considérant la parentalité comme étant une
catégorie en soi.
Ceci ne signifie pas un cloisonnement de plus. La famille
reste un élément essentiel à la compréhension des
parentalités qui se construisent en son sein. De plus, nous verrons que
les espaces sociaux dans lesquels l'individu-e circule croisent vie
professionnelle et parentalité, couple et parentalité, politique
et parentalité...
D'un objet de recherche à des personnes
rencontrées
Les quatre premiers parents que j'ai rencontrés sont de
familles homoparentales et pluriparentales56. Père et
mère statutaires ne vivent pas ensemble et adoptent une résidence
alternée, ou bien une résidence principale chez la mère.
Le père et la mère sont en couple respectivement avec un homme et
une femme, eux/elles-mêmes défini-e-s par la famille comme parents
de l'enfant. C'est à partir de ces quatre premières rencontres
que j'ai dans un premier temps, mesuré les limites de la
démocratisation au sein de la famille57. C'est-à-dire
que dans un contexte qui veut tendre vers plus d'égalité, des
inégalités subsistent. Puis dans, un second temps, j'ai
étudié quels étaient leurs outils et stratégies
pour faire reconnaître les parentalités sans statut58
et j'ai constaté que ces familles étaient
régulièrement comparées - dans le discours de mes
interlocutrices et à l'échelle politique - aux familles issues de
recompositions, après divorce ou séparation des parents
statutaires. J'ai donc choisi dans un troisième temps d'élargir
ma population à toute personne se considérant comme parent d'un
enfant qui a un père et une mère reconnu-e-s par l'Etat. J'ai
rencontré trois personnes conjointes d'un parent statutaire
séparé et/ou divorcé de l'autre parent59.
Enfin, l'un-e de ses personnes m'a parlé d'une autre parentalité
construite en dehors de toute configuration familiale
particulière60.
J'ai procédé à chaque fois par entretien
compréhensif afin de saisir la logique des acteurs et actrices dans leur
volonté de se faire reconnaître. L'entretien est un outil
particulier du fait
56 Pour quelques repérages, voir «
Réseaux familiaux, familles » p.23.
57 « Les limites de la démocratisation »
p.25.
58 « Faire reconnaître une parentalité sans
statut dans le cas d'une homoparentalité » p.54.
59 « Faire reconnaître une parentalité sans
statut dans le cas de recomposition familiale » p.98
60 « L'histoire d'une parentalité sans statut en
dehors de tout espace familial » p.122
qu'il est à la fois outil et objet d'étude. En
effet, c'est l'interaction en contexte d'entretien qui sera analysée. Je
partage alors la conclusion de Marie-Laure Deroff : « Interroger et
considérer les effets interviewé-e-s/interviewer, c'est bien
analyser une situation constituant une interaction sociale dans et par laquelle
nous observons des processus sociaux. Ainsi ne s'agit-il pas de déplorer
les éventuelles dissimulations, les tris opérés par
l'interviewé-e, comme autant de biais empêchant d'accéder
à une quelconque « vérité », mais bien de
considérer ce qui se dit, comme ce que nous devinons d'indicible, comme
étant le produit d'une interaction sociale et en cela, l'objet
même de l'analyse sociologique. »61
Ces entretiens ne visaient pas à repérer des
régularités comme le permettrait une enquête quantitative
mais à replacer des logiques individuelles dans leurs contextes. Je pars
alors du principe que ce que me dit un-e individu-e et ses propres
stratégies ne sont jamais dû-e-s au hasard mais
révèlent des logiques de la société dans laquelle
il/elle vit. Ses représentations se sont construites comme telles parce
que le contexte dans lequel se trouve l'individu-e a permis cette construction.
Comme le rappelle Jacques Commaille et Claude Martin, « ce sont souvent
les pratiques sociales les plus en rupture qui révèlent des
mutations profondes même si elles restent quantitativement marginales :
le fait qu'elles soient rendues possible n'informe pas seulement sur ce
qu'elles sont à elles seules, mais sur les changements plus larges qui
les rendent effectivement possibles. » 62 C'est ce qui permet par ailleurs
à Harold Garfinkel de ne rencontrer qu'Agnès dans sa recherche
sur les individu-e-s intersexué-e-s.
Jean-Claude Kaufmann explique que l'utilisation des entretiens
est très diverses. Ils peuvent être peu nombreux mais être
dotés d'une richesse résidant dans « la densité
complexe de la chair biographique »63 ou bien être
très nombreux et dotés d'une richesse résidant dans la
« très grande diversité des réponses sur les points
de détail les plus fins »64 Christophe Giraud explique
que si les entretiens ne nécessitent pas d'être nombreux, ils
doivent cependant recouvrir « une gamme de comportements ou de situations
sociales différenciées par rapport aux objectifs de comparaison
de l'enquête. »65
J'ai souhaité recouvrir différents milieux,
rencontrer des hommes et des femmes, des situations de recompositions
familiales et des situations homoparentales. Pour ce dernier critère, je
n'ai rencontré aucun problème. En revanche, quand il s'agissait
de rencontrer des
61 DEROFF Marie-Laure (2007), « L'entretien
sociologique et l'intime : étude de cas », Les Cahiers de
l'ARS, n°4, « Genre et identités », p.81-98.
62 Op cit. p.53
63 KAUFMANN Jean-Claude (2004), L'entretien
compréhensif, Paris, Armand Colin, collection « 128 »,
p.15.
64 Ibid.
65 GIRAUD Christophe (2010), « Les techniques
d'enquête en sociologie », in Singly François de, Giraud
Christophe, Martin Olivier (dir), Nouveau manuel de sociologie, Paris,
Armand Colin, p.43.
hommes dans des familles homoparentales, les choses
étaient plus difficiles. De la même manière, pour les
milieux sociaux, je n'ai rencontré que des personnes d'un milieu
relativement bien doté. Je reviendrai plus tard sur ces
difficultés, à mon sens, significatives de la
réalité sociale des individu-e-s66.
Mes entretiens - quand ils étaient oraux (face à
face ou téléphone) - ont duré pour chacun entre 45 min et
1h30. Quand ils étaient écrits, ils étaient en
général plus longs, la personne prenant souvent soin de
rédiger une réponse particulièrement
développée à mes mails (pouvant aller jusqu'à une
dizaine de pages avant mes relances). Les entretiens en face à face ont
été enregistrés, les personnes étaient
prévenues et le dictaphone était posé sur la table. Ils
ont ensuite été retranscrits intégralement. A chaque fois,
au fur et à mesure de ce mémoire, je préciserai les
conditions des entretiens.
Afin de respecter les propos des personnes
enquêtées, et ayant utilisé les styles indirect et indirect
libre pour rapporter ces mêmes propos, je me suis servie des guillemets
lorsqu'un terme n'était pas de moi et qu'il ne pouvait pas être
correct d'un point de vue sociologique. Par exemple, et je l'expliquerai dans
ce mémoire, je ne peux pas parler de « parent biologique
», une relation étant socialement construite et non
biologique. Cependant, il me semblait pertinent de laisser les termes «
mère biologique », « père biologique
» etc. quand ils révélaient les représentations de
mes interlocutrices/interlocuteurs et qu'ils servaient leurs logiques.
Toutefois, pour Lisa, que je présenterai plus tard, philosophe sur les
questions de genre, l'entretien s'est déroulé par mail et elle
utilisait les guillemets exactement de la même manière que moi.
Les guillemets font donc également partie de son récit et
marquent une distance probablement intellectuelle vis-à-vis des termes
communs.
Les noms et dates de naissance ont volontairement
été changé-e-s afin de préserver l'anonymat des
personnes rencontrées. Seules les années ont été
respectées afin de replacer les évènements dans leurs
contextes socio-historiques. De même, je suis restée vague sur les
éléments permettant inutilement d'identifier la personne. Par
exemple, je n'ai pas changé les professions mais je n'indique parfois
que la catégorie socioprofessionnelle.
Presse, TV, littérature
Afin de compléter ma recherche par entretiens, j'ai choisi
d'observer les représentations de la famille et de la parentalité
véhiculées largement par les médias de masse
66 Voir « Présentation des familles et du
mode de rencontre » p.26 et « Se raconter comme parent : quels outils
pour quelle parole ? Parentalité et milieu social » p.134.
et par la littérature. En effet, replacer le discours
de mes interlocuteurs/trices dans un contexte plus général de
représentations permet d'appréhender des logiques
sociétales communes et de ne pas isoler les propos rencontrés en
entretien.
En effet, ce qu'on voit, ce qu'on lit et ce qu'on entend
participe activement à la construction de notre vision du monde. Mais ce
qu'on voit, ce qu'on lit et ce qu'on entend, ce sont aussi des univers, ceux
des écrivains, scénaristes, journalistes etc. On ne lit pas et on
ne regarde pas les mêmes choses selon notre âge, notre milieu,
notre identité sexuée. Etudier les représentations de la
famille et de la parentalité que portent médias, presse,
cinéma et littérature, c'est étudier le patchwork des
représentations de la famille et de la parentalité dans un
certain contexte. Je me suis limitée au contexte français. Les
représentations de la famille sont généralement
portées par des femmes pour les femmes. Longtemps assignées
à résidence, c'est pour elles que le coût des
évidences est le plus fort et ce sont elles qui sont, par
conséquent, à l'origine de nombreuses transformations
familiales67. Pour accéder à la professionnalisation,
pour le contrôle des naissances, pour le droit de disposer de leurs
corps. Elles ont donc davantage que les hommes, l'intérêt de
légitimer ces transformations. Mais elles sont aussi, par
conséquent, également celles qui ont le plus de poids à
appuyer les évidences. Elles sont donc, notamment dans la presse papier
et télévisée, celles qu'il faut convaincre des
évidences68 mais aussi celles qui seront mobilisées
pour témoigner des changements. Par leur assignation dans la famille, et
leur mobilisation pour s'en émanciper, les femmes deviennent alors les
représentantes de la famille et du discours familial. Cela m'a
été révélé à la fois, par la
difficulté d'accès aux pères pour réaliser des
entretiens, et par le constat de la dominance féminine dans les
intervenantes des émissions sur la famille. Ces femmes,
âgées de 25 à 50 ans en moyenne, potentiellement
mères, sont également les représentantes du lectorat des
magazines féminins.
Pour étudier les représentations de la famille
et de la parentalité, j'ai donc ouvert des livres, j'ai feuilleté
des magazines, j'ai regardé la télévision et je suis
allée au cinéma. Dans les parties qui vont suivre, je
présenterai de manière analytique mes lectures et leurs
lectorats, mes émissions, mes films et leur public au fur et à
mesure que leurs mobilisations me semblent pertinentes pour comprendre la
logique des actrices et des acteurs.
67 CADOLLE Sylvie (2007), op. cit.
68 CLAIR Isabelle (2007), « Dire à deux
le ménage », in Singly François de (dir), L'injustice
ménagère : Pourquoi les femmes en font-elles toujours autant ?
Les raisons des inégalités de travail domestique, Paris,
Armand Colin, p.179-223.
Réseaux familiaux, familles
![](Exclu-e-s-du-livret-de-famille--les-parents-sans-statut-se-raconter-au-sein-dune-pluriparentali2.png)
· Lisa
· Homoparentalité
· Milieu intellectuel, artistique
· Entretien par mail
· Echange étendu sur 1 mois et demi
Martine
· Martine et Eva
· Homoparentalité
· Milieu intellectuel, artistique
· Trois entretiens en face à face
· Entre 45min et 1h30 selon les entretiens
Véronique
PS
PS
Christian
Lisa
PS
PS
George
Esteban
Eva
Thibault
Jim
Compagne de Lisa
Axel
PS
Parentalité Couple
Parentalité statutaire
Couple rompu
![](Exclu-e-s-du-livret-de-famille--les-parents-sans-statut-se-raconter-au-sein-dune-pluriparentali3.png)
· Vanessa
· Homoparentalité
· Professions intermédiaires
· Entretien par mail
· Echange étendu sur 1 mois
Michelle
Vanessa
PS
PS
Antoine
Sarah
Karine
PS
Maël
François
PS
Jean- Claude
· François
· Recompositions familiales
· Professions intermédiaires
· Entretien en face à face
· 45 min environs
·
![](Exclu-e-s-du-livret-de-famille--les-parents-sans-statut-se-raconter-au-sein-dune-pluriparentali4.png)
Première conjointe de Patrick
PS
Stéphane Elizabeth
PS
Patrick
Aurélie Virginie Mickaël
Anne
PS
PS
Hugues
Anne
· Recomposition familiale
· Milieu intellectuel, artistique
· Entretien par téléphone
· 45 min environ
·
![](Exclu-e-s-du-livret-de-famille--les-parents-sans-statut-se-raconter-au-sein-dune-pluriparentali5.png)
Pascal
PS
Emilie Romain
PS
Odile Ruth
Philippe
Julien Maéva Yoann
PS
PS
Philippe
· Recomposition familiale
· Cadres, chefs d'entreprise
· Entretien par mail
· Echange étendu sur 1 mois
Les limites de la démocratisation
Dans cette partie, je commencerai par présenter les
familles homoparentales, nos rencontres et nos modes d'échange pour
ensuite entrer au coeur des récits et comprendre à travers des
discours exclusivement féminins (dans cette partie, je n'ai pas
rencontré d'hommes), comment, dans le récit, sont définies
les places des hommes et des femmes d'une part, et les places de deux femmes en
couple autour d'un même enfant, d'autre part.
1 Présentation des familles et du mode de
rencontre
J'ai rencontré quatre femmes : Vanessa, Eva, Martine et
Lisa (Eva et Martine sont en couple). Au-delà de leurs
présentations, je m'efforcerai à chaque fois de présenter
au mieux le contexte de notre échange, c'est-à-dire son
déroulement, son lieu et ce que cela implique. Je serai également
attentive à la perception qu'elles ont pu avoir de moi, enquêtrice
qui les écoutait et allait transcrire leurs propos dans un
mémoire de recherche. La prise en compte de la pensée de l'autre
dans l'échange est toujours là, et si elle n'est pas clairement
exprimée, elle est du moins supposée. C'est bien à moi
qu'elles s'adressaient, et c'est bien face à moi qu'elles essayaient de
légitimer leurs choix familiaux. Il convient donc de me prendre en
compte, du moins, l'image de moi qu'elles ont pu hypothétiquement se
construire.
1.1 Vanessa (mère statutaire)
Vanessa et Karine (26 et 27 ans) ont été en
couple pendant six ans et sont séparées depuis sept mois au
moment de l'entretien. Elles ont eu un enfant, Antoine, dans un projet de
coparentalité avec Maël, le père d'Antoine (43 ans).
L'enfant a deux ans et demi au moment de l'entretien. Karine ne voit plus
l'enfant. Elles travaillent toutes deux dans le domaine de l'enfance, dans une
profession classée par l'INSEE comme intermédiaire. Vanessa a
trouvé mon annonce qui disait que je recherchais, dans le cadre de mon
mémoire, des parents ayant construit un projet de coparentalité.
Cette annonce avait été déposée sur un site pour
homoparents et Vanessa m'a répondu, désireuse de témoigner
de son parcours. L'échange s'est fait par mail. Ce ne sera pas la seule.
Mon profil de famille relativement rare implique d'élargir la zone
géographique de mon enquête, et mon budget étudiant trop
restreint ne permet pas tant de déplacements. Mais les mails ont leurs
atouts. S'ils ne permettent pas la
spontanéité d'un discours oral, ils permettent
néanmoins de mettre en évidence ce que la personne souhaite dire
d'elle, de son parcours, la manière dont elle veut se faire
reconnaître quand elle contrôle relativement bien son discours
(elle peut se relire et corriger). Dans une étude sur la reconnaissance
de soi comme parent, la méthode trouve sa pertinence.
La première partie du récit que j'ai
reçue a, selon Vanessa, été écrite par
elle-même seule dans le passé, au fur et à mesure du
quotidien à partir du moment où elles ont envisagé d'avoir
un enfant. J'en serais la seule lectrice. Ce récit me semble pourtant
retravaillé par la suite comme laissent entendre certaines expressions
comme « cela aurait dû me mettre la puce à l'oreille,
quant à son comportement envers moi, mais l'envie de fonder une famille
était plus forte ». La deuxième partie correspond
à notre échange de mails, durant lequel elle commence par
conclure son récit à partir de son point de vue actuel -
c'est-à-dire notamment séparée de sa conjointe. Je
l'incite ensuite à revenir sur certains aspects de son histoire. Lorsque
je parlerai de Vanessa, je m'efforcerai à chaque fois de préciser
de quelle partie du récit il s'agit.
À la différence d'Eva et Martine, Vanessa n'a
pas pu observer ni ma manière d'être et de m'habiller, ni mes
interactions avec son fils. Elle sait seulement que je suis une
étudiante rédigeant un mémoire de sociologie - et que par
là, je peux faire passer son expérience dans l'espace reconnu
qu'est celui de l'Université. Elle peut également me supposer
assez jeune (car étudiante et me prénommant Elodie). En revanche,
il s'agit d'une femme qui s'adresse à une autre femme sur un sujet
qu'est celui de la famille, et cela peut sans doute expliquer la tendance pour
elle, comme pour Eva et Martine, à me parler des conflits avec le
père sans retenue ni crainte de jugement.
1.2 Eva et Martine (mère statutaire)
Ensuite, c'est en face à face, en me
déplaçant sur Paris, que j'ai rencontré un couple de
femmes, Eva et Martine (35 et 46 ans), parents d'Esteban, un enfant de quatre
ans, issu d'un projet de parentalité avec George et Jim, un couple
d'hommes (45 et 48 ans). J'ai rencontré ces femmes via une connaissance
commune, Alain, que je connais suffisamment pour ne pas douter du fait que je
leur ai été présentée par avance et de
manière très étendue, selon la perception qu'il a de moi.
Il me les a longuement présentées tout comme il m'a
présenté un homme que je rencontrerai plus tard, dans la suite de
mon mémoire. Je ne vois pas pourquoi il n'aurait pas fait la même
chose dans l'autre sens - ne serait-ce que pour présenter ma
démarche et rassurer mes futures interlocutrices. Mais
j'ignore ce qui leur a été dit de moi, je lui ai posé
directement la question mais celle-ci est restée sans réponse.
Ma rencontre avec Eva et Martine s'est effectuée en
présence d'Alain, dans un quartier bourgeois de la capitale. Alain
m'explique qu'il s'agit du quartier « homosexuel » de la ville. Le
café dans lequel elles m'ont donné rendez-vous n'est pas
ordinaire pour moi. Les sièges de la terrasse sont tournés,
alignés vers l'extérieur, tous dans le même sens comme dans
une salle de cinéma, et non pas les uns en face des autres. Alain
m'explique que c'est un lieu pour être vu, se montrer. Ce quartier permet
un entre-soi social au sein duquel l'homosexualité peut être
ouvertement dite.
Eva et Martine appartiennent à la classe dominante et se
présenteront elles-mêmes comme bourgeoises au moment des
entretiens. Je peux le noter dès la conversation
qu'elles entretiennent avec Alain autour de leur passion artistique commune.
Art qui n'est pas un simple loisir mais qui est devenu leurs métiers.
Dès ce moment-là, et pas seulement parce que je ne comprends
pas grand-chose aux aspects techniques énoncés, je ressens ma
différence de registre et je sens que mon langage pourrait être
perçu comme très familier. Alain nous laisse, Eva va chercher
Esteban à l'école. Je fais un premier entretien individuel avec
Martine dans le café. Puis, nous rejoignons Eva et Esteban. A
l'école, on ne croise personne. L'école est dans le même
quartier que le café, ce même quartier où
l'homosexualité peut être ouvertement dite. Nous allons chez
elles. Esteban appelle Martine « maman » et Eva par un
diminutif. Eva me dit qu'elle a lu Martine Gross mais qu'elle ne s'est pas
reconnue dans son ouvrage. Je mens en lui expliquant que je ne connais pas
très bien l'auteure, que je ne connais que rapidement son nom par
rapport à l'Association des Parents Gays et Lesbiens69. Mais
que je n'ai pas eu le temps de la lire. Je souhaitais qu'Eva me donne son
avis sans que le mien ne renforce ni ne fragilise sa position. Ce que peut
provoquer un accord ou un désaccord. Apparemment Martine Gross aurait
fait une enquête par questionnaire, certaines questions porteraient
sur la religion qu'Eva ne reconnaissait pas sa réalité. Elle a eu
l'impression qu'elle voulait défendre la coparentalité mais
que par conséquent, ce n'était plus leur réalité.
Elle m'explique aussi, qu'elle et Martine ont déjà
rencontré une étudiante pour un mémoire de master en
psychologie. Elles connaissent donc bien le processus et les disciplines en
question. Martine porte Esteban presque tout le long de la route, Eva sur
une cinquantaine de mètres et Esteban redemande Martine. Je ne
conclus pas pour autant que cela se passe de cette manière tous les
jours. Je n'ai pas observé leur vie quotidienne des semaines durant
mais
69 APGL dans la suite du texte.
seulement deux heures dans le cadre de mes entretiens. Une
pratique d'un jour n'est pas forcément une pratique quotidienne.
Néanmoins, cette pratique a été confirmée dans le
discours de Martine durant l'entretien.
Esteban est trop fatigué par sa journée
d'école pour me parler. Je fais l'entretien avec Eva dans un café
près de chez elles. Le café, un peu jazzy, est d'apparence moins
destiné aux classes supérieures. Les prix restent
élevés mais sans doute faut-il prendre en compte le fait que nous
nous trouvons à Paris.
Je suis invitée à manger chez elle. Pendant le
repas, Eva décide qu'Esteban ne doit pas manger de chocolat avant de
dormir, Martine accepte bien qu'elle soit prête à lui en donner.
Elles alternent pour s'occuper de lui, mais ce jour-là, Eva semble
intervenir principalement quand Martine est fatiguée. Cette impression a
été confirmée par le discours de Martine quand elle
m'expliquait que la « deuxième maman » était là
quand la « première » faisait défaut. Martine descend
Esteban dans sa chambre pour le mettre en pyjama et pour qu'il joue.
J'enregistre un dernier entretien, cette fois-ci conjointement avec Martine et
Eva. Esteban se trouve à l'étage en dessous et apprécie
peu que je lui fasse concurrence. Alors il demande de temps en temps la
présence d'une de mes interlocutrices.
Martine me raccompagne à la station de métro.
Il est sans doute nécessaire de rappeler que la
perception qu'elles ont pu avoir de moi n'est pas indépendante de notre
connaissance commune. En effet, Alain, notre intermédiaire est un membre
de ma famille, et outre le fait que j'ai certainement dû leur être
présentée, elles ont pu à travers lui, s'attendre à
rencontrer un certain type de jeune femme.
Alain est connu comme hétérosexuel, se
revendique comme attaché au couple et à la famille tout en
étant « nomade » professionnellement (mais c'est un homme et
la décohabitation est davantage légitimée pour les
hommes70). L'héritage a une dimension importante dans sa
famille où le patrimoine est conséquent. Martine et Eva l'ont
connu marié et père d'une fille unique. Elles pouvaient donc
s'attendre à voir une femme appartenant à un modèle
plutôt dominant, mais sans les contraintes familiales (étant
donné mon âge et mon statut d'étudiante, elles ne me
supposent pas mère) et donc mobile, afin de construire mes études
et ma vie professionnelle. Toutefois, je pourrais également être
supposée distanciée de ce modèle car étudiant
l'homoparentalité en sociologie (d'autant plus que l'approche
sociologique qu'elles ont eue de l'homoparentalité est celle de Martine
Gross, militante dans ce domaine). Cette tension a dû se confirmer dans
mon apparence physique à la fois se
70 CHARRIER Gilda (2008), « La mobilité
comme aspiration à l'utopie conjugale », in Dervin Fred, Ljalikova
Aleksandra, Regards sur les mondes hypermobiles : mythes et
réalités, Paris, l'Harmattan, p.37-71
voulant conforme et donc féminine mais
distanciée de cette féminité convenue (talons mais
usés, cheveux longs mais pas vraiment coiffés, manteau noir,
cintré mais usé également, un sac à main «
féminin71 » mais aussi un sac à dos rouge
sportif, posture à la fois réservée et
maniérée). Ensuite, je les ai perçues d'emblée
comme appartenant à une classe bourgeoise. Et à mes yeux
d'individue pensante et pleine de préjugés que je suis, j'ai
associé ce milieu-là à un certain type de codes sociaux
concernant les femmes en particulier et j'ai adapté mes manières
de dire et de faire. J'ai donc dû être perçue comme telle,
c'est-à-dire se voulant dans la conformité et donc «
féminine » (même si toujours distante vis-à-vis de ce
modèle).
Etant à ce moment-là une étudiante de 21
ans en France, je ne suis pas supposée connaître la
parentalité du point de vue des parents. Mon expérience quant
à la parentalité se limiterait en fait à celle de la
filiation, c'est-à-dire, en tant que fille de mes parents. Le fait que
je sois une fille, signifierait tout de même, que, selon elles, j'ai
joué à la poupée, et donc appris un peu plus qu'un
garçon n'est supposé le faire. Même si Esteban a
lui-même une poupée, et qu'elles n'adhèrent pas
forcément au stéréotype qui féminise ce jeu, le
fait d'avoir été une enfant, il y a un peu plus de douze-treize
ans, dans une société où cette représentation est
majoritaire, pourrait permettre cette supposition. De plus, je pourrais
également être supposée avoir fait du baby-sitting, autre
forme d'apprentissage dans la construction sociosexuée d'une femme.
J'aurais donc à leurs yeux, une moins bonne
connaissance de la parentalité qu'une femme de 35-40 ans mais une
meilleure connaissance que celle d'un homme de 21 ans. En revanche, je suis une
étudiante s'intéressant à l'objet « famille » et
j'ai donc, à leurs yeux, une autre forme de savoir.
Mes interlocutrices pourraient se positionner comme celles qui
savent, qui peuvent m'apprendre quelque chose d'une expérience que je ne
suis pas supposée avoir, tout en me voyant comme celle qui a reçu
un autre savoir « légitime » qui peut alors légitimer
et rendre objective leur expérience.
1.3 Lisa
J'ai rencontré Lisa (44 ans) deux ans plus tard sur
EFiGiES, une liste de diffusion qui met en lien étudiant-e-s,
doctorant-e-s et chercheur-e-s sur le genre et les études
féministes.
71 La « féminité » est une
construction sociale qui désigne les manières d'être, de
faire, de s'habiller et de se maquiller, que la société attend
des femmes.
Elle vit en couple et a un fils de onze ans, Thibault, issu
d'une ancienne union avec Véronique (46 ans), mère statutaire de
Thibault. L'enfant a été conçu dans le cadre d'un accord
de coparentalité avec Christian (51 ans), père statutaire, et son
conjoint, Axel (37 ans). Véronique vit en couple et est enseignante dans
le secondaire. Christian et Axel sont dans le milieu artistique. Lisa est
elle-même enseignante au lycée et fait de la recherche en
philosophie du droit et questions de genre. La recherche est de l'ordre du
loisir mais elle est tout de même titulaire du titre de docteure et donne
quelques conférences. Engagée socialement, elle est syndicaliste
et préserve du temps pour la rêverie et pour les arts (exposition
de peinture, art contemporain, cinéma, littérature,
théâtre, musique...). Elle fait des balades, un peu de sport en
salle, chante en chorale, prend du temps avec sa compagne, voit ses ami-e-s,
s'occupe de sa mère.
Lisa répond à l'annonce que je dépose sur
la liste et notre échange se fait par mail. L'entretien par mail
s'avère apporter de nouvelles contraintes de temps. La personne
répond quand elle veut/peut mais néanmoins, au lieu de
s'étendre sur une heure, cela s'étend sur plusieurs jours voire
plusieurs semaines. Lisa par exemple, ne pouvait me consacrer qu'une semaine
pendant les vacances de noël entre les deux fêtes. Mais au vu de
l'entretien final, il ne me semble pas que nous ayons été
obligées de l'écourter.
Lisa me sait en master à Brest, n'a su que j'avais 23
ans qu'à la fin de l'entretien et son niveau d'étude lui permet
de savoir qu'être à l'Université, de surcroît en
master, ne signifie pas forcément avoir vingt ans. Seul mon
prénom a pu éventuellement être un indice de ma
génération. Elle me sait inscrite sur la liste qui nous a permis
de nous rencontrer. Elle peut alors me supposer féministe, ou du moins
émancipée des attentes sociales vis-à-vis de la famille et
du féminin. Consciente qu'elle avait quelque chose à m'apprendre,
elle m'écrit « j'espère que mon témoignage te
sera utile pour ton master de sociologie et plus largement pour
appréhender la variété des manières de vivre.
». De plus, elle est chercheuse sur les questions de genre, et elle
me sait étudiante sur des questions se rapportant au genre, le rapport
au savoir était donc particulier. En effet, si Martine et Eva pouvait
considérer que j'avais une autre forme de savoir sur la
parentalité, Lisa pourrait considérer qu'elle en sait plus que
moi non seulement en termes d'expérience mais aussi en termes
d'études universitaires.
1.4 Mais où sont les hommes ?
Je n'ai pas pu rencontrer d'hommes, tout comme je n'ai pas pu
rencontrer l'ex conjointe de Vanessa. Il se trouve que comme dans toutes les
familles, l'éducation commune d'un enfant par des êtres
différents était source de conflits et que chacun et chacune se
voulait - comme tout un chacun - l'unique voix de ce conflit. Ces conflits ont,
à mes yeux, mis en évidence une difficulté sur laquelle je
me suis attardée à réfléchir en tant que jeune
chercheuse en apprentissage. Celle de l'utilisation des matériaux quand
ceux-ci portent sur la vie privée voire sur la vie intime des personnes
rencontrées.
Dans les sciences humaines et sociales, on ne manipule pas un
objet sans vie, on travaille avec des personnes. Il me semble donc important de
rappeler l'enjeu d'un récit comme celui-là.
Lors d'un récit, on cherche à donner du sens
autant à son discours qu'à son parcours. Il s'agit alors de
donner du sens à son présent tout en garantissant une
cohérence avec son passé et ses divers choix. Même avec la
volonté de se souvenir parfaitement, le passé est exprimé
au présent au moment du discours. De ce point de vue, le passé
n'est pas figé mais bien reconstruit tout au long du parcours. C'est ce
qui est bien visible ici avec Vanessa confrontée à sa rupture et
à un changement de configuration. D'une histoire de parentalité
dans laquelle elle plaçait son couple au centre, elle passe à une
histoire de parentalité sans couple, avec pour acteur et actrice adultes
principaux le père et la mère statutaires. C'est aussi ce qui se
passe pour Eva et Martine qui ont dû trouver une alternative entre leur
idéal de famille et la réalité qui s'est
présentée à elles quand elles se sont trouvées en
conflit avec le père de l'enfant. Par conséquent, comme pour
n'importe quelle situation dans laquelle on se trouve face à une
personne qui nous raconte une partie de sa vie, on ne peut pas penser avoir une
vue objective sur les évènements de son parcours. Nous n'avons
que la représentation qu'elle s'en fait, le sens qu'elle en donne et ce
qu'elle veut en montrer. Et il est possible que le lendemain, elle ne souhaite
plus en dire la même chose. Nous n'avons pas tous les
éléments du contexte d'écriture des mails (un coup de fil
de Karine la minute précédente par exemple) ni de la rencontre en
face à face (une rencontre avec le père sur le chemin juste avant
de me rencontrer par exemple). Ce sont des exemples et non la
réalité, mais qui signifient que j'ignore une grande partie du
contexte d'élocution de mes interlocutrices.
Il s'agit également de se méfier de ses propres
interprétations subjectives, relatives à notre propre vécu
d'actrice sociale, quand l'enquêté-e livre vivement ses ressentis.
« Si dans sa réflexion théorique, le chercheur peut trouver
à se rassurer sur sa capacité de mise à distance de ses
valeurs propres, de ses prénotions, dans le cadre du face à face
avec ses informateurs / informatrices, ne peut-il être renvoyé
contre lui-même à ses expériences
propres ? »72 Il s'agit donc de rester
prudent-e-s. Et de ne voir de ces récits que ce qu'on peut se permettre
d'en voir.
Mais le fait de n'avoir rencontré que des femmes n'est
pas, pour moi, un hasard. Cela reflète à mon sens, plus
largement, la féminisation d'un discours qui porte sur la famille.
C'est-à-dire qu'il est attendu des femmes qu'elles parlent de leurs
familles. De même, lorsqu'on parle famille, parentalité,
éducation des enfants, il est généralement pensé
que les mieux placées pour en parler sont les mères. Elles y sont
assignées et sont censées « savoir »73.
2 Hommes et femmes dans la parentalité
Dans ces familles, pères et mères sont
présent-e-s et sont éventuellement eux/elles-mêmes en
couple avec quelqu'un du même sexe. Je ne peux donc pas étudier la
manière de définir les places et rôles de chacun-e dans le
discours, sans m'attarder un instant sur la perception des rôles
féminins et masculins autour de la parentalité. Il s'est
présenté à moi deux questions, qui finalement se
rejoignent toutes les deux : la question du lieu de vie de l'enfant
(principalement chez la mère ou bien paritairement chez l'un-e et
l'autre) et la question de l'éducation de l'enfant. Eduquer
relève-t-il d'un ensemble de savoirs indiscutables ou bien d'un ensemble
de positionnements, d'opinions qui se valent mais qui demandent de faire des
choix ? Comment hommes et femmes négocient-ils/elles leurs perceptions
différentes de l'éducation d'un enfant ?
2.1 Résidence principale chez la mère ou
résidence alternée ?
72 DEROFF Marie-Laure (2007), « L'Entretien
sociologique et l'intime : étude de cas », Les Cahiers de
L'ARS, n°4, « Genre et identités », p.81-98.
73 Dans sa Chronique familiale en quartier
impopulaire, Annick Madec explique également que « quand
l'enquêteur est une enquêtrice, on ne peut dire que prendre une
femme comme guide dans « l'île » est un choix
méthodologique ou idéologique, c'est simplement poser les
questions de faisabilité de l'enquête. » Il faut « avoir
quelque chose à se dire » pour créer une relation. «
Les choses à se dire tournent autour des problèmes
matériels, sujet que les hommes évitent prudemment, et comme dans
tous les milieux, autour des enfants, sujet que les hommes abordent rarement.
Donc si les hommes ne sont guères présents dans ce texte, c'est
avant tout parce que l'enquête a été menée par une
femme. ». MADEC Annick (1996), Chronique familiale en quartier
impopulaire, Thèse de doctorat dirigée par
Jean-François Laé, Paris VIII, p.139.
La question date des années quatre-vingt avec la
montée du divorce et a été légiférée
en 2002. Mais ce n'est pas seulement une question d'intendance et
d'organisation, c'est aussi une question qui révèle les
représentations de chacun-e dans la parentalité. L'exercice de la
parentalité - pour les hommes comme pour les femmes - ne se fait pas de
la même manière selon la gestion des temps parentaux.
Nous allons voir que mes interlocutrices ne parlent pas de la
même manière de la place de chacun-e selon le mode de
résidence choisi.
Résidence principale chez la
mère
Vanessa, Karine et Maël conçoivent tou-te-s les
trois une charte de coparentalité, comme il leur a été
conseillé. En effet, l'APGL a créé cette charte, dans
l'objectif d'établir un accord écrit entre les membres d'une
coparentalité, sur les pratiques de la vie quotidienne autour de
l'enfant : son lieu de résidence, les rythmes de visites de l'enfant
chez l'un-e ou l'autre parent etc. Néanmoins, cette charte n'a aucune
valeur juridique. Elle permet seulement d'avoir une trace écrite des
accords de départ.
Dans celle de Karine, Vanessa et Maël, il est
décidé que l'enfant portera les deux noms accolés de ses
parents statutaires. L'autorité parentale sera partagée.
Maël déclarera l'enfant à la mairie au sixième mois
de grossesse, versera une pension alimentaire déclarée et aura un
droit de visite un week-end par mois et la moitié des vacances
scolaires. Dans son récit, Vanessa précise que Maël promet
l'enfant vivra principalement avec Karine s'il doit arriver quelque chose
à Vanessa. Après la naissance, les trois parents conviendront de
changer la fréquence des visites du père. D'un week-end tous les
mois, il et elles passeront à un samedi toutes les deux semaines. Petit
à petit, Maël aura des moments seuls avec Antoine jusqu'à
passer trois jours avec lui à Noël.
Quand Vanessa revient sur son récit dans son
échange avec moi, elle m'explique qu'elle et Karine n'ont jamais voulu
de résidence alternée à cinquante-cinquante. D'une part,
pour pouvoir partager tous les moments avec Antoine. Ce que Vanessa trouve
finalement égoïste de leurs parts puisqu'elles interdisaient au
papa de vivre ce qu'elles voulaient vivre elles-mêmes. Elle est contente
d'avoir la sensation que Maël a la même demande : voir son enfant
régulièrement dans une relation de confiance sans les contraintes
du quotidien. D'autre part, Vanessa est contre la résidence
alternée. Elle pense qu'un enfant a besoin de repères stables au
quotidien, surtout les premières années, et de ne pas changer
toutes les semaines de maison. Elle trouve plus sécurisant que la maison
d'Antoine soit clairement définie comme
ici, chez sa mère. Elle aurait pu accepter plus de
présence de la part de Maël mais, selon elle, ce rythme d'un
week-end sur deux lui suffit. Il n'aurait jamais exprimé le désir
d'avoir plus de temps.
Dans cette situation et en adoptant le point de vue de
Vanessa, l'exercice de la parentalité se fait pour le couple de femmes,
par le temps quotidien. Tandis que pour le père, il se fait par
l'attribution d'une pension alimentaire sans forcément un temps parental
continu puisqu'il ne voit l'enfant qu'un samedi sur deux.
Résidence alternée
Du côté d'Eva et Martine, c'est différent.
Martine me précise dans son récit qu'elles partagent le temps
d'Esteban. Aujourd'hui, il serait 60% du temps chez elles et 40% du temps chez
son père qui le récupère parfois à l'école.
Pour les vacances, Georges vient chercher Esteban chez elles, Martine le
ramène chez son père. Tous deux correspondent par mail sur tous
les points de santé, liés à l'école et autres. Il
et elle se téléphonent régulièrement aussi quand il
y a nécessité. Pour Martine, le lien personnel qu'elle
entretenait avec Georges étant complètement rompu, les deux
parents seraient comme des parents divorcés et gèreraient le
côté pratique avec cordialité.
Dans la soirée, Eva m'explique que lorsqu'Esteban
était bébé, il n'était que chez elles, le
père le voyait trois fois par semaine pour lui faire prendre son bain et
petit-à-petit, il l'a eu plus souvent chez lui.
A la différence de Vanessa, elles ont choisi d'arriver
à terme à une résidence alternée à
cinquante-cinquante. Par ailleurs, toujours dans ce même temps informel,
Eva m'explique qu'Esteban a une chambre chez chacun de ses parents. Dans chaque
chambre, il y aurait des affaires, des vêtements, des jouets
différents achetés par chacun de ses parents parce qu'ils/elles
n'ont pas les mêmes goûts et qu'ils/elles ne veulent pas
créer plus de conflits qu'il n'y en a déjà. Et de cette
manière, pas de valises à transporter.
Eva et Martine ne considèrent donc pas que la maison
d'Esteban soit leur appartement. Esteban a deux maisons, deux chambres, deux
univers. François de Singly et Benoîte DecupPannier rappellent que
certain-e-s chercheur-e-s expriment l'idée que la multiplicité
des espaces est nécessaire pour ne pas être réduit à
une seule identité. D'autres craignent que dans le cas des enfants,
cette multiplicité des espaces créent un « éclatement
identitaire »74. La
74 DECUP-PANNIER Benoîte, SINGLY François
de (2000), « Avoir une chambre chez chacun de ses parents
séparés », in Singly François de, Libres
ensemble, Paris, Nathan, p.353-382.
multiplicité des identités passe alors du choix,
de la construction individuelle, à un danger relevant presque des
troubles de la personnalité multiple. Pourtant, même
résidant dans un seul foyer, l'enfant connait d'autres espaces, d'autres
lieux de référence, d'autres identités par l'école
et par les activités sportives et culturelles.
Durant l'entretien, Martine m'explique qu'elle trouve la
coparentalité « géniale » et très difficile
parce qu'elle a un enfant de quatre ans, et depuis qu'il a six mois, elle est
régulièrement séparée de lui. Ce serait pour elle,
vraiment difficile à gérer. Quand Esteban est disponible, quand
il est chez elles, elles arrêteraient tout pour être avec lui sans
jamais chercher à compenser. Elles seraient dans la disponibilité
pour avoir une histoire en continu et non pas en pointillés. Puis, de
manière informelle, après l'entretien, elle m'explique que c'est
un confort d'être en coparentalité parce que quand Esteban est
chez son père, elle a du temps pour sa profession, pour elle, elle peut
« bosser à fond » et quand il est là, elle
peut être « mère à fond ».
Martine représente bien l'idéal des femmes des
classes moyennes d'aujourd'hui. Depuis un peu plus d'un siècle,
l'objectif de fonder une famille n'est plus seulement économique. La
famille est devenue un réseau de liens affectifs. La nouvelle
idéologie du couple est l'amour. Les membres de la famille deviennent
des individu-e-s que la famille doit servir. En 1925, en se confiant à
son amie Ede, Luella, le personnage de roman de Fitzgerald
énonçait déjà cet idéal75 :
« Je n'ai pas bougé de la maison pendant un an.
Tant que j'attendais Chuck, puis je l'ai nourri, cela ne me faisait rien. Mais
cette année, j'ai dit franchement à Charles que j'étais
encore assez jeune pour avoir envie de m'amuser. Et depuis, nous sortons, que
cela lui plaise ou non. (Elle médita un instant.) Il me fait tant
pitié que je me mets à hésiter, Ede, mais si nous restions
à la maison, c'est de moi que j'aurais pitié. Et pour t'avouer
une vérité de plus, je préfère qu'il soit
malheureux, plutôt que moi. »
Francis Scott Fitzgerald, L'accordeur
A l'époque de Luella, les féministes
réclament le droit au divorce et à l'amour libre. Le/la
partenaire doit être choisi-e à condition que ce soit dans
l'intérêt de tous et de toutes, y
75 FITZGERALD Francis Scott (2005), Une vie
parfaite suivi de L'accordeur, Paris, Gallimard
(1ère édition : 1925)
compris de l'enfant. Dans les années soixante-dix, avec
la fin de la puissance paternelle, les femmes obtiennent une nouvelle place
dans la famille qui se veut plus égalitaire et elles pourront
accéder à la sphère publique. Un idéal
d'accomplissement de soi dans tous les espaces : couple, famille, profession et
soi individuellement. 1968 a également marqué une
redéfinition des relations intergénérationnelles. Les
parents doivent accompagner l'enfant dans la construction de son
individualité propre. Cette démocratisation des relations
hommesfemmes d'une part et intergénérationnelle d'autre part
implique des intérêts contraires. Ce nouvel idéal noircit
les pages des magazines dont j'ai choisi un extrait76 qui me
paraissait éloquent :
« Le défi des parents n'est plus seulement de
former une famille harmonieuse. A l'éducation des enfants, s'ajoute
désormais la volonté de préserver le désir dans le
couple et de satisfaire ses aspirations personnelles. Trois exigences
légitimes, mais pas facilement compatibles. »
« S'épanouir... ensemble »,
Psychologie magazine, Hors-série n°10
Le couple cherche à laisser place à
l'individualité mais l'individualité et le couple ne doivent pas
léser l'enfant. L'enfant, comme individu-e dépendant-e, a des
intérêts plus souvent supposés que connus
réellement. Il est attendu de ses parents - surtout de la mère -
qu'ils et/ou elles lui permettent d'avoir à sa disposition ce que la
société suppose être des atouts pour sa propre
construction.
Par conséquent, les femmes ont le droit - voire
l'injonction dans certains milieux oüêtre mère au
foyer n'est pas socialement valorisé - de ne pas être que parent,
mais elles doivent l'être prioritairement.
Dans sa configuration, Martine semble avoir trouvé un
consensus. Qu'elle n'admet pourtant pas tout de suite en entretien, puisqu'elle
me parle d'abord de la difficulté d'être séparée de
son enfant. Sans doute oscille-t-elle entre assignation féminine
à la parentalité et aspiration féministe à se
détacher de ce modèle.
Pour Eva, qui n'a pas de statut, cette liberté est plus
simple à revendiquer. Elle ajoute qu'aujourd'hui, elle qui est en
démarche pour faire un enfant, trouve qu'une coparentalité a
énormément d'avantages. Ce serait une vie différente des
autres parents. A terme, elles sont
76 MAZELIN SALVI Flavia (2007), «
S'épanouir... ensemble », Psychologies magazine,
Hors-série n°10, octobre-novembre 2007, p.10.
libres de leurs mouvements la moitié du temps. Elle
explique qu'elle et Martine apprécient beaucoup de pouvoir vivre en tant
que femmes et de ne pas être dans une vie tournée exclusivement
vers l'enfant.
Mais la coparentalité, selon Eva est également
une situation très contraignante émotionnellement. Parce que
l'enfant est en perpétuelle séparation avec l'un de ses parents.
Eva pense que d'un point de vue psychologique, ce n'est pas forcément
évident à gérer pour lui et que c'est aussi un
apprentissage. Elle et Martine ne souhaitent pas qu'il se construise sur un
manque mais elles pensent qu'il faut qu'elles l'accompagnent de manière
très attentive par rapport à cela, qu'elles soient à
l'écoute. Selon Eva, à chaque fois qu'Esteban revient chez elles,
il faudrait un temps d'adaptation. Temps d'adaptation qui se traduirait par une
crise de larmes ou une suractivité de la part de l'enfant. Quelques
fois, il faudrait plusieurs heures voire une journée, pour qu'elles
reviennent avec lui à un rythme de croisière parce qu'il change
de système éducatif77. Il y aurait donc beaucoup de
travail pour les parents car la relation ne serait pas linéaire, mais
toujours interrompue, ce qui impliquerait de trouver ses marques à
chaque fois.
Dans son projet de coparentalité, Eva aimerait refaire
la même chose qu'avec Esteban, c'est-à-dire chercher un
père qui s'investirait vraiment dans l'éducation. En mettant en
place une résidence alternée pour arriver à six ans
à cinquante-cinquante. Elle précise que quand elle dit six ans,
c'est un repère à négocier au jour le jour.
Martine et Eva expriment à peu près les
mêmes idées même si leurs mots sont différents.
Seulement elles ne mettent pas en avant les mêmes choses. Martine
précise tout d'abord qu'il est difficile d'être
séparée de son fils avant d'expliquer le confort de la
résidence alternée. Alors qu'Eva procède dans l'autre
sens, valorisant le confort de la coparentalité avant d'en
préciser les contraintes. Cette division du temps pour soi, pour son
couple et du temps parental semble alors être un enjeu assez fort pour la
reconnaissance de soi comme parent d'une part, et pour l'affirmation des
libertés individuelles d'autre part.
Dans Elle78, la question du rôle de la
mère et de sa vie en dehors de la famille est
posée :
77 Elle en parle davantage dans « Négocier
la différence » p.43.
78BROUCARET Fabienne (2008), « Les mères
parfaites n'existent pas ! », Elle, [en ligne], URL :
http://www.elle.fr/elle/societe/les-enquetes/les-meres-parfaites-n-existent-pas/les-meres-parfaites-n-existentpas/(gid)/781292,
Consulté le 10 avril 2009.
« Qu'est-ce qu'une « mauvaise » mère
à vos yeux ? Il y a de multiples aspects. Concrètement, ce sont,
par exemple, les mamans qui prennent un jour de RTT, déposent leur
enfant à la crèche, filent aux soldes ou en profitent pour ne
rien faire de la journée, et reviennent à la crèche
à 18h avec un air épuisé ! Plus sérieusement, ce
sont des femmes qui ont envie de concilier leur rôle de mère avec
leur boulot, leur vie sociale, leur couple... »
« Les mères parfaites n'existent pas ! »
Elle
François de Singly et Benoite Decup-Pannier rappellent
que l'un « des intérêts du travail salarié est de
permettre à l'un des conjoints d'avoir un endroit qui échappe au
contrôle de son partenaire. »79 Mais hommes et femmes ne
sont pas égaux en termes d'espaces effectivement investis. La profession
est un mode d'émancipation féminine - soumis tout de même
aux horaires des sorties d'école, des mercredis et des enfants malades
(ce qui reste un souci majoritairement féminin) - alors que les hommes
ont également l'espace des loisirs (qu'une femme ne peut investir
qu'à condition qu'il n'empiète pas sur le temps parental). Pour
les hommes, il est au contraire valorisé de multiplier les espaces et
les temps d'appartenance sociale (et surtout professionnelle) dans l'espace
public - dans son intérêt personnel - et au nom de
l'intérêt de la famille80. Si le temps maternel se fait
exclusivement auprès des enfants, le temps paternel se fait
également sur le lieu de travail. Cela permet aux hommes de faire des
heures supplémentaires pour assurer leur rôle de père -
c'est-à-dire permettre à la famille d'avoir des revenus plus
élevés - tout en cultivant une logique de valorisation
individuelle dans l'espace public81.
La gestion des temps parentaux
Cette gestion des temps parentaux ne se fait pas de la
même manière chez Vanessa, Karine et Maël d'une part, et
Martine, Eva, George et Jim d'autre part. Vanessa se trouve de fait, plus
souvent dans l'espace parental que Martine et Eva qui 40% du temps, font de
leur appartement un espace quasi exclusivement conjugal. Le quotidien ne peut
être le même dans l'un et l'autre cas ni du côté des
femmes, ni du côté des hommes. George est amené en effet,
à
79 DECUP-PANNIER Benoîte, SINGLY François
de (2000), op.cit. p.353.
80 DUBAR Claude (2000), La crise des
identités : L'interprétation d'une mutation, Paris, Presse
Universitaire de France, collection « Le lien social » et CHARRIER
Gilda, DEROFF Marie-Laure (2006), « La décohabitation partielle :
un moyen de renégocier la relation conjugale ? », Cahiers du
Genre, n°41, p.99-115.
81 SINGLY François de (2001), « Charges
et charmes de la vie privée », in Laufer Jacqueline, Marry
Catherine, Maruani Margaret, Masculin-Féminin : Questions pour les
sciences de l'homme, Paris, Presse Universitaire de France, collection
« sciences sociales et société », p.149-167.
être « autant »82 avec l'enfant que
Martine alors que Maël ne rencontre Antoine que ponctuellement. La
division du travail parental « en face à face » s'en trouve
dès lors plus inégale - que cette inégalité soit
souhaitée ou non.
De plus, la place de la conjointe sans statut diffère
car dans le cas de Vanessa, avant la rupture de contact, Karine était
plus souvent avec l'enfant que son père. À un moment de
l'entretien, Eva rappelle aussi qu'au début Esteban était plus
souvent avec elle que son père. Ce ne sera plus le cas avec la
résidence alternée. Investir plus souvent l'espace parental que
le père pourrait donner une légitimité - toute relative -
comparable à celle des beaux parents vivant avec le parent gardien dans
les recompositions familiales.
Vanessa appuiera d'ailleurs sur le fait que Karine
s'investissait plus - en tant que sa partenaire - que Maël lui-même,
lors de la grossesse83.
2.2 L'éducation de l'enfant : un ensemble de savoirs
ou un ensemble d'opinions ?
Plusieurs individu-e-s différent-e-s autour d'un enfant
et une éducation à donner. Une, plusieurs ou une composée
de plusieurs points de vue ? La société attend des parents une
certaine cohérence, elle leur enjoint donc de faire avec leurs
différences de point de vue. Une stratégie peut être de se
construire un point de vue commun. Ce que Berger et Kellner expliquent pour le
mariage84 est valable pour la parentalité :
82 C'est tout de même relatif, le fait
qu'Esteban soit chez l'un-e ou chez l'autre ne signifie pas qu'il est avec
l'une ou l'autre. La profession, les autres temps sociaux peuvent
réduire ce temps de parentalité « en face à face
».
83 Voir « La parentalité : histoire de
couple, histoire des parents statutaires, histoire familiale ou histoire
individuelle ? p.48.
84 BERGER Peter, KELLNER Hansfried (2006), « Le
mariage et la construction sociale de la réalité », in
Berger Peter, Luckmann Thomas, La construction sociale de la
réalité, Paris, Armand Colin, p.318-319.
« Les deux individus ont intériorisé le
même monde général y compris les définitions
générales et les expectatives de la relation matrimoniale
elle-même. Leur société leur a fourni une image du mariage
allant de soit, et les a préparés socialement à entrer
dans les rôles déterminés du mariage. Tout de même,
ces projections relativement vides doivent maintenant être
actualisées, vécues et remplies d'un contenu expérimental
par les protagonistes. Cela exigera un changement dramatique dans leur
définition de la réalité et d'eux-mêmes.
« Comme le mariage, la plupart des actions de chaque
partenaire doit maintenant être projetée en relation avec celles
de l'autre. Les définitions de la réalité de chaque
partenaire doivent être constamment mises en relation avec les
définitions de l'autre. »
Peter Berger, Hansfried Kellner, « Le mariage et la
construction sociale de la réalité »
Quand élaborer des définitions communes n'est
pas possible et que chaque parent définit la réalité, la
parentalité, l'éducation de manières différentes,
d'autres stratégies apparaissent. J'ai pu en observer deux : Vanessa
revendique un savoir qui impose d'être suivi par tous et toutes. Martine
et Eva utilisent l'espace divisé en deux foyers pour délimiter
des territoires aux idées et modes de vie différent-e-s.
Des pères en apprentissage
Dans la charte de coparentalité que Vanessa, Karine et
Maël ont rédigée, il est convenu que Vanessa et Karine
prendront les décisions de la vie courante. Dans leur famille, les
compétences quotidiennes auprès de l'enfant sont
attribuées aux femmes.
Dans le récit qu'elle a rédigé par le
passé, Vanessa écrit qu'elle et Karine vivent mal ce qu'elles
ressentent comme un manque d'affection et de fierté de la part du
père. Selon Vanessa, Maël n'écoute pas ses conseils, «
si précieux pour un tout petit », fait preuve
d'intolérance et se moque de ses propos. Il la trouverait excessive et
trop protectrice. Elle se sent jugée en tant que mère et remet en
cause les actes de Maël en tant que père. Elle raconte qu'il
mettrait l'enfant en danger et n'écouterait pas ses besoins. Pour elle,
il souhaiterait sans se soucier d'elle, de Karine et d'Antoine, « casser
la fusion mère-enfant ».
Vanessa et Karine auraient essayé de lui expliquer que
si l'enfant devait effectivement, selon elles, se séparer de sa
mère, cela devait se faire en douceur. Elles appellent Maël au bout
de quelques heures durant lesquelles Antoine est chez lui. Vanessa explique que
Maël leur
reproche cet appel. Il parlerait d'Esteban comme «
d'une plante verte qui ne fait que dormir, manger et chier ».
Néanmoins, depuis le premier anniversaire d'Antoine,
Vanessa décrit les relations entre les trois parents comme
calmées, Maël serait de plus en plus fier de son fils, se sentirait
de plus en plus responsable, saurait réagir à sa demande. Il
ferait les courses pour Antoine quand Antoine est avec lui, ce que Karine et
Vanessa faisaient. Les deux femmes se sentiraient rassurées.
Pour Vanessa, dans une coparentalité, il faudrait que
le père s'implique dès le départ dans le quotidien ou bien
qu'il attende que l'enfant ait quinze mois et sache se faire comprendre avant
d'apprendre à s'en occuper seul. Dans ce dernier cas, le père
verrait le nourrisson les weekends prévus en compagnie des mères
pour éviter les conflits.
Ici, l'éducation est perçue comme un ensemble de
savoirs. Se pose la question de qui possède le savoir ? Dans la famille
de Vanessa, Karine et Maël, ce sont les femmes, le père
étant en « apprentissage ». Plus largement, dans les
représentations communes, on pense aussi que ce sont les femmes. Par le
renvoi à la « nature », à « l'instinct maternel
», à « l'expérience ». Ce point de vue a alors
tendance à justifier la désignation systématique d'une
résidence principale de l'enfant chez la mère. Se pose la
question de la possibilité de trouver la situation inverse. Un
père qui dicterait à la mère ses conduites avec l'enfant
s'il considère qu'elle le met en danger ou du moins qu'elle fait «
mal » les choses. N'ayant pas rencontré les pères, je ne
peux pas le dire à partir de mon terrain. Néanmoins, la
socialisation féminine et la socialisation masculine dans la petite
enfance sont différentes. Des rôles et des capacités sont
assigné-e-s aux enfants selon qu'il s'agisse de filles ou de
garçons. Aux filles, on offrira des jouets relevant de la sphère
domestique et du maternage. Aux garçons, on offrira des petites
voitures, des outils et des équipements de sport. Aux filles, on
accordera une qualité de communication et de soutien. Aux
garçons, des aptitudes physiques et une certaine autonomie85.
Le « savoir » parental accordé à la mère
relève donc d'une assignation à un rôle construit comme
féminin dès le plus jeune âge86.
85 ROUYER Véronique, ZAOUCHE-GAUDRON Chantal
(2006), « La socialisation des filles et des garçons au sein de la
famille : enjeux pour le développement », in Dafflon Novelle Anne
(dir), Filles-garçons : Socialisation différenciée
?, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
86 C'est également l'hypothèse de
Virginie Descoutures : « Je fais l'hypothèse que «
l'attachement » des mères à leur enfant et son pendant, la
difficulté de s'en séparer, sont aussi un indicateur de la charge
mentale qui pèse sur elles, plus que sur les pères. Les
mères sont socialement perçues et se perçoivent ainsi
elles-mêmes (ce qui reconduit la représentation sociale de la
maternité) comme davantage responsables de leur(s) enfant(s). Elles
« savent mieux », parce qu'elles sont mères » DESCOUTURES
Virginie (2010), Les mères lesbiennes, Paris, Presse
Universitaire de France, p.222.
Négocier la différence
Martine considère qu'elle n'a à intervenir que
de loin dans la relation entre George et Esteban. Elle trouve aujourd'hui
qu'Esteban n'est pas très bien traité par son père. Elle
le trouve dur et assez violent sans pour autant que cela prenne des proportions
inquiétantes. Mais en tant que mère, elle tient à lui dire
« ça, je ne suis pas d'accord ». Ensuite, il en
ferait ce qu'il veut. Ce qui est très important pour elle serait
d'être le relai. Si Esteban lui demande de dire quelque chose à
son père parce qu'il a quatre ans et qu'il ne peut pas le dire, Martine
ne se poserait aucune question, elle le dirait immédiatement. Mais entre
elle et George, elle pense qu'il et elle se sont choisi-e-s avec le coeur d'une
manière un peu excessive. Elle pense qu'elle aurait dû voir des
choses qu'elle n'a pas voulu voir à une certaine époque. Pour
elle, tant pis, c'est le père de son fils et elle fait avec. Leurs liens
sont très forts même en se voyant très peu et même si
Esteban a clairement deux familles, deux éducations, deux
manières d'aborder la vie. Elle dit qu'elle aime George et qu'elle
l'aimera toujours par le simple fait qu'il est le père de son fils.
C'est ce qu'Eva aime beaucoup dans la coparentalité :
cette double culture, double éducation. Même si George fait partie
de leur classe sociale et qu'il y a forcément des points en commun avec
elles - sinon elles ne l'auraient pas choisi - il y a des
éléments très différents entre les deux familles,
relatifs aux modes de vie, aux représentations, aux valeurs. La
politesse n'est pas la même chez George et chez elles, les règles
de vie, les loisirs, les critères « moraux » entre guillemets,
précise Eva, ne sont pas les mêmes. Les choses de la vie qu'elle
trouve importantes ne sont pas forcément les mêmes.
Jim a deux enfants également. A un moment donné,
Martine le voyait de manière idéale, un peu comme Eva,
c'est-à-dire un « deuxième parent ». Un soutien, un
autre modèle d'homme. Dans la pratique, les choses seraient moins
idéales. Selon elle, le fait que Jim ait deux enfants limiterait son
copaternage. George s'occuperait d'Esteban, Jim de ses enfants, ce serait un
peu chacun de son côté. Mais elle considère que tant pis,
ça les fait progresser. Elle considère qu'Eva
bénéficie énormément de cette progression dans sa
propre coparentalité qu'elle est en train de mettre en place. Martine
pense que même si les choses ne sont pas idéales, elles font
avec.
Elles ne feraient pas pour autant le deuil de leurs attentes,
elles iraient droit au but. L'idéal de la famille est pour Martine,
assez flou et dans le même temps, elle trouve que ce n'est pas plus mal.
Personne ne sait ce qu'Esteban va prendre chez l'un-e, chez l'autre et elle
trouve que tant mieux, c'est bien. Parce que comme ça, il aura un vaste
panel de modèles et il
fera ce qu'il voudra de sa vie, il prendra où il a
envie de prendre. C'est important pour elle qu'il ait cette
liberté-là. Martine et Eva trouvent très riche qu'il soit
élevé par plusieurs personnes différentes. Martine pense
qu'il a des choses très bien à prendre chez George et Jim alors
pour elle, tant mieux. Eva trouve que cela permet à Esteban comme
à elles de relativiser tout ce qui est d'ordre social et de la
culture.
Cette vision de l'enfant, profondément acteur de ses
choix (dans le discours tout du moins, je n'ai pas observé les
pratiques) semble être le comble de l'individualisme. Seulement, il faut
sans doute relativiser, comme Martine et Eva le font d'ailleurs
elles-mêmes, si l'enfant est incontestablement acteur, les
décisions relatives à son lieu de résidence, et aux
règles de vie - même différentes - dans ces lieux de
résidence ne relèvent pas de lui. Ce choix de modèle qui
lui est donné est valable pour un futur dans lequel il sera adulte.
Eva explique que si elles savaient qu'il y aurait des
différences de point de vue entre les deux familles, toutes n'auraient
pas été envisagées. Chacun-e ne pensait pas réagir
sur certaines choses de la manière dont ils/elles l'ont fait. Elle pense
qu'au début de leur projet, il y aurait eu un certain « flou
». Eva et Martine n'auraient pas forcément posé certaines
questions et attendu des réponses claires et précises. Elles se
seraient laissées un peu porter par leur vague d'enthousiasme. Il ya
aurait eu alors des choses sur lesquelles les parents n'étaient pas
d'accord : sur le temps passé par Esteban devant la
télévision, sur ce qu'il regarde à la
télévision, sur les fessées, sur les punitions. Mais Eva
préfère voir ces différences comme un apport, un
apprentissage de plus pour Esteban. Pour elle, il apprend des choses, à
gérer ses peurs en ne regardant pas à la télévision
ce qui l'effraie. Pour les fessées, Martine serait en train de discuter
avec George non pas pour lui imposer son point de vue mais pour l'expliquer.
George aurait dit à Esteban qu'il arrêterait de le taper.
Cependant, elles pourraient intervenir sur les choses qu'elles jugent graves,
comme des atteintes aux droits de l'enfant.
Ici, la différence est donc négociée de
manière qui pourrait être égalitaire entre les deux foyers.
Je ne peux pas évaluer l'égalité de George et Martine dans
leurs échanges auxquels je n'ai pas assistés, d'autant plus que
je n'ai pas rencontré George. Cependant, Martine et Eva ne s'autorisent
pas à faire valoir devant moi, un savoir supérieur à celui
de George, ce qui n'empêche pas qu'elles puissent penser que je leur
donne raison sur des éléments d'éducations. La «
neutralité » de l'enquêtrice trouve ses limites quand les
enquêtées deviennent elles-mêmes observatrices. J'ai en
effet rencontré Esteban à la sortie de l'école, je lui ai
parlé, j'ai « parlé » à sa poupée et je
désirais mener un entretien avec lui (que sa fatigue
a annulé). Elles ont donc pu percevoir ma propre vision
des enfants comme individu-e-s à part entière et possédant
leur parole propre.
Mais même si elles ont pu se dire que j'étais
d'accord avec elles sur certains points, cela ne signifie pas qu'elles ont
revendiqué leur opinion comme un savoir, une vérité
qu'elle pourrait légitimement imposer à George. Soit parce
qu'elles ne la considéraient tout simplement pas comme telle, soit parce
qu'elles ressentaient que ce n'était pas socialement correct.
Chez Martine, Eva, George et Jim, l'éducation est
perçue comme un ensemble d'opinions, de prises de position. Dans ce cas,
la désignation systématique de la résidence principale des
enfants chez la mère ne semble plus fondée. De même, les
débats autour des questions d'éducation ne donneraient plus
raison à un sexe mais au meilleur argument, à la meilleure
référence (souvent psychologique). C'est le principe de la
démocratisation87. Cependant, nous allons voir que ce n'est
pas si simple et que les questions de « savoirs » même chez
Martine et Eva persistent à être renvoyées du
côté du biologique, dans le contexte de leur couple dans lequel
l'une a été enceinte d'Esteban (Martine) et pas l'autre (Eva).
3 Deux femmes autour d'un enfant
Dans cette partie, je reviendrai à l'époque de
la parentalité où la question de la grossesse se posait. Deux
femmes et une seule sera enceinte. L'objectif est de voir ce que ce choix
révèle des représentations de la grossesse, très
présentes tout au long de l'histoire de la parentalité
ensuite.
La « maman parfaite »
Pour Vanessa et Karine, au début, ce devait être
Karine. Mais Karine n'a pas de travail fixe et compte passer des concours
l'année suivante. Vanessa précise que Karine ne se voit pas
enceinte. Vanessa s'imaginait « deuxième maman » et Maël
voyait Karine comme la « maman parfaite ». Vanessa est blessée
mais la décision est prise, Vanessa portera l'enfant et aura le statut
de mère.
Lorsqu'elle revient sur son récit, Vanessa explique que
Maël voyait Karine comme la « maman parfaite » car elle
était calme et ne le contredisait pas. Pour elle, le travail de
Karine
87 COMMAILLE Jacques, MARTIN Claude (1998), op cit.
p.59
auprès d'enfants lui offrait une
légitimité en termes de savoir qu'elle aurait dû avoir
aussi car elle travaille auprès des professionnels de la petite enfance,
mais selon elle, Maël ne comprenait pas sa profession. Le « savoir
» parental étant chez Vanessa et Karine attribué aux femmes,
lorsque se pose la question de qui sera enceinte, se pose la question de qui
est prête, c'est-à-dire implicitement, qui est la plus capable, la
plus « mature », la plus « femme ».
Un désir dit « biologique »
Pour Martine, quand la question d'avoir un enfant s'est
posée, il était évident que c'était elle qui
porterait l'enfant. Pour elle, elle était « biologiquement
» dans un désir d'enfant. Elle pense que dans un premier temps, Eva
a accepté qu'elle ait un enfant. Eva est plus jeune que Martine et donc,
pour Martine, forcément, elles n'étaient pas dans la même
énergie. C'est ensuite devenu son enfant aussi, elle aurait
laissé naître en elle son propre désir de maternité
(ce qui sous-entend que ce désir est obligatoirement présent).
Pour Martine, il n'y avait aucune ambiguïté là-dessus.
Martine voulait un enfant. Elle se souvient, quand elle a rencontré Eva,
quand elle s'est engagée dans une relation avec elle, elle lui aurait
dit « est-ce que tu te rends compte que je renonce à mon
désir d'enfant pour vivre avec toi ? ». Eva aurait
répondu : « Mais non, pas du tout, tu n'es pas obligée
de renoncer à ça ! » elle-même ayant, selon
Martine, réfléchi un peu sur la question. A ce moment-là,
Martine aurait attendu d'avoir « biologiquement » un vrai
désir d'enfant.
Eva explique un peu la même chose. Il n'y aurait pas eu
de discussion quant au fait que ce soit Martine qui porte l'enfant. C'est elle
qui aurait dit « je veux un enfant, je veux un enfant » et
Eva aurait accepté. A ce moment-là, elle n'aurait eu aucun
désir de porter un enfant, mais elle savait, selon elle, avant de
rencontrer Martine, qu'elle voudrait avoir des enfants et donc, que Martine en
aurait. Mais au moment de la rencontre, Martine était plus
âgée qu'elle et chez elle, le désir fort d'avoir un enfant
serait venu. Elles se seraient organisées entre elles, Eva lui aurait
dit qu'elle avait besoin d'un peu de temps au début, elles ont donc
attendu à peu près six mois avant de rencontrer des hommes.
L'enfant, au départ, aurait vraiment été le désir
de Martine.
L'âge d'avoir un enfant
Pour Lisa, au départ, les deux projets d'adoption et de
coparentalité ont coexisté. Comme un des amis de Véronique
s'était refusé à la coparentalité, elle
s'était tournée vers l'adoption.
Quant à Lisa, après le refus d'un premier ami,
elle imaginait le faire avec Axel avec qui elle était engagée
dans le mouvement associatif et qu'elle appréciait beaucoup. C'est seule
qu'elle est allée en parler à Axel mais Christian était
là et il est resté lors de la conversation. Ils ont
été vivement intéressés et ont demandé du
temps pour y réfléchir. Cela lui semblait bien parti. Puis ils
sont venus à la maison, ils et elles ont sympathisé à
quatre. Au fond, elle ne sait pas vraiment ce qui s'est passé au moment
de désigner qui serait enceinte. Elle ne dirait pas qu'une
décision a été prise au sens d'un moment explicite et
négocié. Ce qui a été avancé c'est qu'Axel
se sentait encore trop jeune. Il devait avoir 25 ans en 1998 tandis que
Christian en avait quatorze de plus. Par ailleurs, Véronique avait deux
ans de plus que sa conjointe. Ensuite, Christian et Véronique
étaient tou-t-e-s deux passionné-e-s de théâtre, et
Lisa pense que cela a dû bien « accrocher » entre eux. Cela se
serait imposé à Lisa qui aurait eu beaucoup de mal à
accepter le que Christian et Véronique feraient le premier enfant.
3.1 La dite « horloge biologique » des femmes,
l'horloge sociale des individu-e-s
Dans Psychologies magazine88, à la
question « pourquoi fait-on un enfant ? », les femmes
répondent « pour se sentir femme », la maternité
étant étroitement confondue avec la féminité
adulte, être mère c'est devenir femme adulte et
réciproquement. C'est la suite logique d'une vie. Les femmes peuvent
être actives dans la sphère publique à condition que cela
ne lèse pas mais serve la sphère familiale. Cette
représentation est également retrouvée dans le
dictionnaire où une femme est définie comme un « être
humain de sexe féminin qui peut donner naissance à des enfants
»89. Si les femmes peuvent aujourd'hui retarder l'âge de
la maternité par l'allongement des études et l'entrée dans
la vie professionnelle, l'enjeu identitaire reste lourd. Il place les femmes
mères en concurrence et marginalise les femmes sans enfant. Cet enjeu
est lourdement rappelé par la presse dite « féminine »,
cet article d'Elle90 en est un exemple :
88 MAZELIN SALVI Flavia (2007), «
S'épanouir...ensemble », Psychologies magazine,
Hors-série n°10, octobre-novembre 2007, p.13.
89 Le Dictionnaire [en ligne], URL :
http://www.le-dictionnaire.com,
Consulté le 18 février 2009.
90 SOING Isabelle, « Heureuses et sans enfants
», Elle, [en ligne], URL :
http://www.elle.fr/elle/societe/lesenquetes/heureuses-et-sans-enfants/heureuses-et-sans-enfants/(gid)/409832,
Consulté le 10 avril 2009. Si le titre en lui-même laisse penser
à l'idée du bonheur sans enfant, tout son contenu ne concerne que
le poids des injonctions sociales sur la vie de ces femmes.
« Au mieux, les nullipares volontaires suscitent la
pitié (elles loupent leur vie), au pire, elles sont suspectes de ne pas
aimer les enfants, d'être immatures, voire monstrueuses... »
« Heureuses et sans enfants »,
Elle
Plus une femme est âgée, plus elle est vue comme
« adulte » et plus elle a derrière elle l'expérience
des enfants (par la profession par exemple, mais aussi au sein de sa fratrie
etc.), plus on lui attribue des « compétences maternelles ».
Dans le même temps, on renvoie ces compétences au biologique et
à « l'instinct maternel ». Ce qui, dans les
représentations, ne gène pas puisque toute femme serait
amenée à vouloir être mère. Il s'agirait d'un besoin
physique, lié à « l'horloge biologique ». Si
l'on transforme « l'horloge biologique » en « horloge sociale
», on peut se dire que plus une femme est âgée, plus
l'injonction sociale d'avoir un enfant est forte91. Tant qu'elle est
jeune, elle construit sa vie professionnelle, ses études, sa vie de
couple (on ne demande plus à une femme d'être mère à
19 ans - on lui reprocherait d'ailleurs d'être économiquement et
socialement irresponsable). Mais ne jamais avoir d'enfant devient suspect, les
femmes sans enfant ne répondant plus à ce qui est reconnu par la
société comme « allant de soi ». Par conséquent,
entre deux femmes, la priorité de la grossesse est donnée
à la plus âgée. L'autre aura bien le temps d'en faire et la
femme la plus âgée est représentée comme la plus
« construite », la plus « mûre », la plus «
capable » d'être mère.
Cela implique également de considérer la
grossesse comme impliquant nécessairement la maternité - et
l'impliquant plus que pour la conjointe, elle-même parent mais qui ne
sera pas enceinte. Quand Maël dit qu'il voyait Karine comme la «
maman parfaite », il demande bien à la femme enceinte d'être
plus compétente que sa conjointe.
Dans le récit de Lisa, c'est surtout l'âge d'Axel
qui est évoqué. Il se serait senti trop jeune. Pour les hommes,
la parentalité est davantage perçue comme une décision
à prendre et non un besoin. Selon Psychologies
magazine92, les hommes font des enfants afin de s'inscrire dans
une lignée, dans une histoire familiale, ou bien en se soumettant
consciemment à une
91Arlette Gautier montre que le contrôle de
la reproduction est très inégalitaire dans le monde. Si
l'injonction d'avoir un enfant en France est sociale, elle est patriarcale dans
certains pays (Sahel, Côte d'Ivoire), étatique dans d'autres ou
bien à la fois étatique et patriarcale (Togo). A l'inverse,
certains pays imposent la contraception (Chine, Vietnam) ou la
stérilisation à une certaine partie de sa population
(Etats-Unis). GAUTIER Arlette (2001), « Des grossesses sûres,
désirées et libres ?», 24ème
Congrès international sur la population, Session 63 : Social change,
gender and population, Salvador de Bahia, UIESP.
92 MAZELIN SALVI Flavia (2007), op.cit.
logique sociale. L'émission de France 5, « Paroles
d'hommes, Paroles de pères »93 met en lumière la
nouvelle idéologie du rôle de « père » et les
injonctions qui l'accompagnent.
Cette émission semble chercher avant tout à
démontrer une omniprésence de la mère dans la relation du
père à l'enfant. Dans l'épisode 2, « Le blues du
futur père », on peut repérer les arguments avancés
pour montrer une difficulté d'être père face à la
pression sociale, mais surtout, selon eux, face à la pression de la
mère. Selon l'idée principale de ce documentaire, si l'homme ne
souhaite pas être père, c'est parce que la pression est trop
forte, comme le souligne la voix off qui présente le sujet :
Voix off « Quand l'enfant va naître, on dit au
père qu'il est sa chair, que désormais, c'est aussi à lui
de s'en occuper parce qu'il en aura la responsabilité. Pour toujours.
Etre père, c'est aussi cette violence-là. Alors certains parmi
eux ne vont plus bien du tout et prennent la fuite. »
Ce qui est décrit comme une responsabilité
« naturelle » chez les femmes devient une responsabilité
angoissante chez les hommes. Malgré tout, être père de
l'enfant dont on est le géniteur semble aujourd'hui être une
obligation sociale (avec sans doute un bémol dans le cas de
l'Insémination Artificielle avec Donneur94).
Idéologiquement, si le géniteur ne souhaite pas être
père, c'est qu'il y a un problème, une trop grande pression, pas
assez de place, trop jeune, pas de situation sociale « stable ».
Il est moins socialement admis qu'un géniteur ne
souhaite pas devenir père lorsque celui-ci est plus vieux,
c'est-à-dire, censé avoir une profession stable, une vie
privée stable, alors qu'il est concédé à un homme
de vingt ans, le fait de devoir finir ses études, d'avoir une
profession, une place dans la sphère publique qui n'est pas encore
avérée.
Greg, un homme de 23 ans, père d'un enfant de quatre
ans, interviewé dans l'émission, revient sur l'annonce de la
grossesse. Il ne s'est jamais imaginé avoir un enfant à 20 ans,
il était loin de penser ça. Il veut d'abord se créer
lui-même avant de créer autre chose. C'est peut-être pour
ça d'ailleurs qu'il a « déconné ». Tout se
chamboule sans sa tête, il ne sait pas où il va, il prend peur et
il n'assume pas. Il prend la décision de partir à 7 mois de
grossesse. La voix off présente alors Nissiam, un homme de 46 ans,
père d'une petite fille de 3 ans. « Nissiam a
déjà eu deux fils d'un premier mariage. Jade est sa petite
dernière. Ses premières expériences de la paternité
ne l'ont pas empêché à un moment de choisir la fuite en
avant. » Nissiam s'explique. Quand Jade est née, il a eu peur.
Effectivement (effectivement laisse
93 ALLONNEAU Sylvie (2007), « Paroles
d'hommes, Paroles de pères », février 2007, épisode 2
: « Le blues du futur père » [vidéo en ligne], URL :
http://www.vodeo.tv/4-34-4550-le-blues-du-futur-pere-2-8.html,
Consultée le 03 octobre 2009.
94 IAD dans la suite du texte.
supposer que la réponse lui a été
soufflée par la question de l'intervieweuse), malgré son
âge avancé, il s'est retrouvé dans une phase où il
se posait beaucoup de questions, ça l'a emmené
effectivement, à avoir un moment de « pétage de
plomb ». Il fuit un peu cette paternité et il se retrouve dans un
premier temps à ne pas l'assumer. Il faut alors une dispute avec sa
compagne au point d'une séparation qui dure plusieurs mois pour qu'il
prenne conscience qu'il faut selon lui qu'il grandisse et qu'il devienne
réellement un père. On revient sur Greg qui continue son
récit. Il pense que c'est aussi une question de maturité, qu'il
n'était peut-être pas prêt à avoir un enfant.
D'ailleurs, s'il n'avait pas d'enfant, il ne serait toujours pas prêt
à en avoir un.
L'émission qui met en scène ces deux
récits, associe « père » et « entrée dans
l'âge adulte ». D'ailleurs, le verbe « assumer » est un
verbe qui revient dans les deux interviews et qui fait échos à
une notion de responsabilité adulte.
Idéologiquement, une femme devient pleinement femme -
et donc adulte - en étant mère, quelque soit son âge
(à aucun moment, l'émission n'évoque l'âge des
mères à la naissance de leurs enfants). Un homme devient homme
adulte par la vie professionnelle. Etre père semble alors la
confirmation, la preuve d'une vie publique stable, en place pour les hommes.
Cela signifie qu'il peut assurer la vie matérielle de la famille. S'ils
ne sont pas pères, c'est qu'il y a quelque chose qui n'est pas
achevé-e pour entrer dans la sphère publique et donc, dans
l'âge adulte au masculin.
3.2 Le mythe de « l'instinct maternel »
Pour Martine, Eva a la place qu'elle prend, qu'elle veut
prendre. Très clairement, c'est Martine, la mère d'Esteban. Il
n'y aurait ambiguïté ni pour Eva, ni pour Martine. Pour Martine, la
mère « biologique » n'a pas les mêmes
réflexes que ce que la littérature a tendance à appeler
« parents sociaux ». Esteban dirait « Eva, c'est ma
deuxième maman », c'est comme ça qu'elles le lui
auraient présenté. Ce ne serait pas la « maman
numéro un » et la « maman numéro deux
» mais c'est la « deuxième maman », celle
qui viendrait quand la maman fait défaut d'une manière ou d'une
autre. Martine a été hospitalisée l'an dernier, c'est Eva
qui se serait occupée d'Esteban qui aurait alors projeté sur elle
énormément de choses qu'il ne vivait qu'avec Martine.
Martine et Eva ont d'autres enfants dans la tête, qui
seront, elles le pensent, là un jour. Mais il ne pourrait pas y avoir de
confusion entre qui sont les enfants de Martine et qui sont
les enfants d'Eva. Esteban est le fils de Martine. Les enfants
d'Eva seront aussi les enfants de Martine mais en retrait. Parce que, pour
Martine, il ne faut pas s'inventer des histoires, c'est « dans les
tripes ». « Dans ses tripes », c'est Martine qui
décide pour Esteban. Elles vivent ensemble, elles font des choses
ensemble. Mais les choix fondamentaux, c'est Martine qui les ferait. Pour elle,
c'est comme ça, c'est la nature des choses. Ce n'est pas qu'elle est
prioritaire parce qu'elle l'a mis au monde, c'est parce que pour elle, leurs
liens « organiques », « spirituels »,
« énergétiques » procèderaient de cette
manière-là. Ce serait lié au fait qu'elle l'a porté
pendant la grossesse. Et quand Eva aura ses enfants, Martine ferait alors une
expérience d'une relation maternelle qu'elle ne connaît pas. Elle
ne sait pas comment elle sera. Elle sait qu'elle les accueillera à bras
ouverts, elle les ressent déjà comme des êtres faisant
partie de son histoire à cent pour cent. Mais la réalité
du lien, elle n'en a aucune idée. Ce qui est clair pour elle, c'est que
c'est Eva qui décidera, qui saura. Parce que pour elle, le lien maternel
est un lien de connaissance. Pas une connaissance livresque mais une
connaissance spirituelle, énergétique dont un enfant aurait
besoin. Pour Martine, la mère sait. La mère sait sans se le
formuler mentalement. Donc, pour elle, à partir du moment où il y
a une personne qui sait à cette rapidité-là et de
manière aussi pointue, la personne qui accompagne dans le maternage,
elle accompagne.
Eva explique que dans leur famille, la « mère
biologique », c'est la « mère officielle »
ou en tout cas, la « première maman ». Eva explique
qu'elle est ce qu'on appelle la « mère sociale ».
Pour elle, le lien se ferait très « naturellement »
aussi mais il se construirait avec le temps. Le lien existerait dès le
départ car au départ, Esteban était beaucoup plus avec Eva
qu'avec George puisqu'il vivait chez elle et qu'Eva s'en occupait autant que
Martine. Mais pour Eva, il y a quand même un questionnement, ou,
pense-t-elle, moins d'évidence qu'avec la « mère
biologique ». Pour elle, dans son cas, il y a une construction, une
relation qui évolue.
3.3 L'enjeu du « savoir parental »
Pour Martine et Eva, si elles ne rapportent pas directement le
« savoir parental » au féminin, en revanche, elles le
rapportent à la biologie. Eva n'étant pas la génitrice
d'Esteban saurait moins que Martine. Mais dans leur raisonnement, puisqu'elles
rapportent le « savoir », plus précisément à la
grossesse, on peut aussi en déduire qu'elles le rapportent au
féminin. Pourquoi déclarer que Martine sait mieux d'Eva mais pas
que George ?
Dans le premier cas, il y a cohabitation. George ne peut pas
concurrencer directement Martine puisque leurs temps parentaux sont
séparés et l'exercice de leur parentalité s'exerce sur des
lieux différents. Sans doute les choses auraient-elles été
différentes si tous deux vivaient ensemble. De plus, la
société a assigné des rôles différents aux
femmes et aux hommes dans la parentalité en créant les concepts
de mère et de père. Martine et George sont donc tou-te-s les deux
parents mais en étant perçu-e-s comme différent-e-s et
complémentaires. Par ailleurs, Martine affirme leurs différences
de point de vue quand à l'éducation. Chacun-e peut revendiquer le
droit d'avoir Esteban chez lui/elle partiellement, principalement ou
exclusivement. Tant que ce droit n'est pas en danger, et avec un espace et un
temps parental (celui de George) sur lequel Martine n'a pas emprise (il et elle
ne vivent pas ensemble), il est sans doute plus simple pour elle de se placer
sur un pied d'égalité avec George et de négocier la
différence effective.
Eva, elle, n'a pas de rôle défini par la
société. « Mère sociale », «
deuxième maman » dénote un rôle qui se
rapporterait plus au féminin alors que « coparent »
neutralise le rôle en termes de genre. Elle doit donc se définir
par rapport à ce qui est connu comme étant de l'ordre de la
parentalité (les rôles de père et de mère) tout en
se différenciant du père et de la mère d'Esteban et
surtout de cette dernière avec qui elle cohabite. L'idéologie
actuelle de la famille est celle de la complémentarité des
parents, laquelle justifie les inégalités mais assigne aussi
à la différence. Et les prises de décision quant à
l'éducation engendrent souvent des conflits comme on peut le voir entre
les mères et les pères des familles rencontrées. Dire que
l'une sait mieux sur les choses importantes permet aussi d'éviter la
confrontation des points de vue et les conflits (si les deux points de vue se
valent) dans le couple. Couple dont le lien est à protéger car la
législation n'assurant aucun droit à Eva, seule Martine
décide du lien entre Eva et Esteban en cas de séparation.
Eva explique qu'elle accompagnait Martine pour rencontrer les
éventuels pères des enfants que Martine porterait mais
qu'aujourd'hui, Martine préfère qu'Eva les rencontre seule dans
un premier temps. Certaines conceptions de la parentalité ont donc
changé chez Martine. Pour Martine, dire qu'elle sera « en
retrait » par rapport aux enfants d'Eva, permet de justifier le
« retrait » d'Eva par rapport à Esteban. Pour Eva,
différencier la relation « construite » et la
relation « naturelle » qu'ont respectivement elle et Martine
par rapport à Esteban, permet également de justifier ces
nouvelles inégalités.
Les inégalités sont donc très fortes. Elles
se jouent tant au niveau du statut que des questions de genre. J'insisterai sur
les premières tout en prenant en compte les secondes.
Entre un parent statutaire et un parent non statutaire,
après la séparation, la gestion du droit de visite se fait dans
la sphère privée et l'Etat n'intervient pas. Mais même,
durant l'union, on ne peut pas revendiquer son point de vue de la même
manière. Si cette inégalité de « savoir » est
renvoyée au biologique et plus précisément si elle est
renvoyée à la grossesse, elle n'en est pas moins due au statut.
Lors des mouvements féministes, l'enjeu était de faire passer le
privé dans l'espace public à travers la politique afin de
défendre l'intérêt des dominé-e-s95. La
démocratisation passe par une égalité de droit et donc par
une reconnaissance de ces droits et statuts dans l'espace politique.
Dans le cas de George qui n'a pas été enceint
d'Esteban, il peut choisir sa manière d'exercer la parentalité
même en cas de désaccord avec la mère. Car l'Etat lui offre
50% de l'autorité parentale depuis 1987. Cependant, cela semble plus
difficile pour Maël car il passe moins de temps auprès de l'enfant.
Le temps parental est donc également une variable de
légitimité.
Dans la partie suivante, je souhaite étudier comment
les parents qui n'en ont pas le statut se font reconnaître et font
reconnaître leurs rôles. Au fil des rencontres, je me rendrai
compte que la définition même de « parent » n'est pas
évidente, qu'elle est multiple et qu'elle dépend beaucoup du
milieu et de l'enfant lui-même.
95 COMMAILLE Jacques, MARTIN Claude (1999), «
Les conditions d'une démocratisation de la vie privée », in
Borrillo Daniel, Fassin Eric, Iacub Marcela, Au-delà du PaCS :
l'expertise familiale à l'épreuve de l'homosexualité,
Paris, PUF, p.61-78.
Faire reconnaître une parentalité sans
statut
Dans le cas de d'une homoparentalité
1 La parentalité : histoire de couple, histoire
des parents statutaires, histoire familiale ou histoire individuelle ?
Quand nous racontons - que ce soit notre vie, une relation, un
évènement, des vacances, une journée etc. - nous ne
racontons jamais tout, seconde après seconde, détail après
détail. Nous sélectionnons ce que nous souhaitons dire. La
manière de raconter dit alors beaucoup de nous, de nos
représentations, de nos stratégies discursives. Les personnes que
l'on choisit d'inclure dans l'histoire, avec quelle récurrence, quelle
importance donnée. Celles qu'on nomme, celles qu'on ne nomme pas, la
manière dont on les nomme. Les espaces mobilisés, les lieux
évoqués, les temps, les époques. Les sentiments ressentis,
ce qui est pensé, imaginé. La manière de rendre le tout
linéaire et cohérent, d'enchaîner les propos. Tout cela est
signifiant. « Une personne qui exprime ses souvenirs, ne donne pas ou pas
seulement idée de scènes vécues dans le passé, pour
l'intérêt des connaissances qu'elles recèlent ou le
pittoresque des situations. Cette personne révèle, par la
position dans laquelle elle se décrit et l'interprétation qu'elle
produit, son lien à tel groupe, sa distance à tel autre, et nous
permet ainsi de situer son identité pour autrui [...] Au travers des
jugements produits, qui définissent l'évènement ou la
personne présentée positivement ou négativement,
l'individu - ou le groupe - définit ses références, ses
appartenances et ainsi son identité en se souvenant. » 96 Ce n'est
donc pas tant ce qui est dit qui importe mais pourquoi on choisit de le dire
à ce moment-là, ce qu'on souhaite dire. Parler de sa
parentalité en se référant à l'histoire de son
couple ou en se référant à la configuration toute
entière (qui comprend éventuellement un autre couple) ou encore
en ne se référant qu'à soi, c'est dire des choses qui vont
au-delà des propos tels qu'ils sont énoncés. C'est dire,
comme le souligne Gilda Charrier, ses appartenances, sa proximité ou sa
distance à tel ou tel groupe, son positionnement. Dans le récit,
ces références varient. Parfois, mes interlocutrices me parleront
plus de leur couple, d'autres fois d'elles seules, ou alors des seuls parents
statutaires, ou bien de l'ensemble des parents. L'enjeu n'est pas le même
et le choix du groupe auquel on se réfère révèle
des stratégies différentes. Je m'attarderai sur celles qui
concernent la reconnaissance des parentalités sans statut.
96 CHARRIER Gilda (1993), Mémoire et
identité : Le souvenir de l'accès à la profession comme
expression de l'identité pour soi, Thèse de doctorat
dirigée par François de Singly, Université Paris V, p.20
et p.26. Cette thèse s'appuie notamment sur les travaux fondateurs de
Maurice Halbwachs, qui a proposé une approche sociologique de
l'étude de la mémoire en la considérant comme la
reconstruction du passé à partir d'un point de vue
présent. HALBWACHS Maurice (1994), Les cadres sociaux de la
mémoire, Paris, Albin Michel (1ère édition
1925, Librairie Alcan)
J'ai repéré des moments du récit qui
m'ont semblé - après lecture de mes entretiens - importants pour
faire valoir une relation de parentalité : le choix de la configuration
qui est le choix des personnes qui feront partie de la famille et surtout
l'enjeu de ce choix dans le discours, dans la manière de le justifier ;
la séparation du couple de femmes qui engendre une rupture dans le
parcours et implique de le reconstruire, depuis le point de vue d'une conjointe
séparée, afin de faire valoir ou non la parentalité sans
statut ; la coparentalité elle-même, non pas son choix mais de
quelle manière elle est utilisée pour faire valoir la
parentalité sans statut ; l'investissement des rôles dits
parentaux dans le couple, non pas l'investissement tel qu'il est mais tel qu'il
est raconté, et enfin l'usage des photographies pour illustrer son
récit, pour le servir.
1.1 Le choix de la configuration : privilégier son
couple ou répondre à l'injonction de
l'hétéroparentalité
Dans le récit qu'elle a écrit dans le
passé, quand Vanessa raconte l'histoire de leurs parentalités
à elle et Karine, elle commence au moment de leur rencontre.
L'évidence de former une famille, l'évidence d'avoir un enfant un
jour. Les démarches pratiques ont commencées trois ans plus tard
avec l'idée d'une Insémination Artificielle avec Donneur Anonyme
en Belgique. Le donneur anonyme permet de construire l'histoire de la
parentalité exclusivement au sein du couple, pour que « chacune
ait sa place de « parent »97 », explique
Vanessa. Pour Anne Cadoret, le choix d'une configuration homoparentale
particulière permet de faire reconnaître sa configuration comme
assimilable à un ordre familial reconnu. Dans un projet de
coparentalité, on choisit alors l'hétéroparentalité
- par la présence d'un homme et d'une femme - et on laisse de
côté la biparentalité (l'enfant a plus de deux parents).
Dans le choix de l'IAD, on choisit la biparentalité - deux parents - en
laissant de côté l'hétéroparentalité (ce sont
deux parents de même sexe) 98. Mais choisir le donneur anonyme
n'est pas seulement opter pour une configuration à deux parents qui
permet de s'identifier au système biparental occidental. C'est aussi une
manière de raconter l'histoire de la parentalité, de lui donner
du sens en l'incluant dans la suite d'une histoire de couple. Si couple et
parentalité sont moins confondu-e-s depuis la montée du divorce
et la résidence alternée (on continue d'être parent
après séparation du couple), il paraît néanmoins
comme « allant de
97 Les guillemets sont de Vanessa.
98 CADORET Anne (2000), «
L'homoparentalité, construction d'une nouvelle figure familiale »,
Anthropologie et sociétés, vol. 24, n°3,
p.39-52.
soi » que la parentalité débute par une
histoire conjugale. Raconter son couple pour raconter la parentalité,
c'est construire son récit dans la logique commune « Ils furent
heureux et eurent beaucoup d'enfants » pour reprendre la conclusion
des dessins animés de Walt Disney. Pour prendre un exemple plus
récent, on entendait encore sur les radios il y a dix ans, Axelle Red
qui chantait « Parce que c'est toi, je voudrai un jour un enfant et
non pas parce que c'est le moment, parce que c'est toi. » L'enfant
aujourd'hui est perçu comme la preuve d'amour au sein du couple, la
preuve de l'existence du couple à titre posthume.
Ceci est une représentation particulière de la
parentalité, elle n'est pas universelle. Chez les Nayar du nord de
l'Inde, société matrilinéaire décrite par
Marie-Elisabeth Handman, une femme peut épouser un homme, sans avoir de
rapports sexuels avec lui et avoir un ou plusieurs amants, être enceinte
sans qu'aucun de ces amants ne soit reconnu ni comme père, ni comme
géniteur. Le père des enfants est l'oncle
maternel99.
Raconter l'histoire de la parentalité en partant de son
couple est donc bien typique d'un contexte occidental et permet de faire
reconnaître l'autre, en tant que partenaire de parent statutaire, comme
parent de l'enfant (Par ailleurs, avant la recherche en paternité, le
père de l'enfant était le mari de la mère).
Documentaires et psychologues (lu-e-s et rencontré-e-s)
font buter Karine et Vanessa sur le principe du donneur anonyme, car il
représente, pour elles, les « origines » de l'enfant
que ce dernier ne pourra pas connaître.
Quand j'interroge Vanessa que le sens qu'elle donne au mot
« origine » de l'enfant, elle m'explique qu'il était important
qu'Antoine connaisse ses « origines », c'est-à-dire
qu'il connaisse ses ascendants, d'où il vient physiquement, qu'il puisse
voir que son nez ou sa bouche vient du côté paternel, qu'il puisse
avoir un arbre généalogique comme tout le monde avec deux
côtés paternel et maternel... voire un troisième avec
Karine (ce qui n'est selon elle que du plus, pour un enfant). Pour Vanessa, la
compagne de la mère ne pourra jamais remplacer le côté
paternel, en termes « d'origines physiques, physiologiques
», même si elle peut jouer un rôle parental au quotidien et
apporter autant qu'un père. Elle renvoie cela à la nature :
« tant que deux femmes ne pourront pas avoir d'enfant ensemble
physiquement parlant, le terme d'origine qu'elle nomme paternelle ou
géniteur doit rester ». Vient ensuite selon elle, le choix de
la place du père ou non, de l'acceptation de « non-origine
» de l'enfant
99 HANDMAN Marie-Elisabeth (1999), «
Sexualité et famille : approche anthropologique », in Borrillo
Daniel, Fassin Eric, Iacub Marcela (dir), Au-delà du PaCS :
L'expertise familiale à l'épreuve de l'homosexualité,
Paris, Presses Universitaires de France, Collection « Politique
d'aujourd'hui », p.245-261.
ou non. Pour Vanessa, la place du père est importante
pas tant pour la ressemblance physique mais pour ce qu'elle appelle «
l'origine biologique ».
Selon Martine, avec Eva, elles avaient décidé
que de toute façon, il y aurait un père. Qu'Esteban se trouve
d'autres modèles parentaux, qu'il crée dans sa vie d'autres
modèles parentaux que ses parents « biologiques »
(terme de Martine), c'est parfait pour elle. Pour Martine, le fait qu'Esteban
ait un père ainsi que d'autres modèles parentaux n'est pas
quelque chose de très intellectualisé. Pour elle, c'est important
qu'il ait un père et un père qui soit un homme, ce qui
n'empêche pas une relation singulière avec Eva. Une relation qui
n'est pas vraiment une relation de mère car pour Martine, Eva n'est pas
la mère d'Esteban. Eva serait selon Martine, un concept entre le
père et la mère. Un concept qui n'existe pas dans les mots, ce
serait à la fois son père et à la fois sa mère.
Martine raconte que pour elles, c'était sans doute plus facile à
vivre qu'il ait un père qui soit un homme plutôt qu'un père
qui soit une femme ce qui aurait pu provoquer de la confusion dans sa
tête. Pour Martine, Esteban a un père et une mère «
biologiques », ce qui serait clair pour beaucoup de gens (cela
fait penser aux recompositions familiales). Cela plait à Martine d'avoir
cette relation privilégiée avec un homme et non pas un homme de
substitution qui entrerait dans la configuration du père modèle.
Pour elle, un père, ce n'est pas ça. Elle souhaitait
éviter à Esteban de se trouver dans une quête
désespérée de recherche de son géniteur. Elle se
réfère alors à Françoise Dolto qui aurait
énoncé qu'il vaut mieux un père alcoolique que pas de
père du tout. Martine ajoute qu'il vaut mieux que ce soit un père
« biologique » qu'un modèle paternel projeté
sur l'entourage comme cela se pratique dans le milieu homosexuel.
Eva explique qu'elles ont fabriqué leur famille en
fonction de leurs contraintes, leurs envies, c'est-à-dire que d'un point
de vue « biologique », elles ne pouvaient pas avoir d'enfant
ensemble et qu'elles avaient envie que l'enfant ait un père d'un point
de vue « social ». Il lui semble même qu'il y a des
recherches qui se font pour que deux femmes puissent avoir un enfant ensemble
d'un point de vue « biologique » mais elles avaient de toute
façon décidé que ce qui leur plaisait était que
l'enfant ait un père et une mère, qu'il puisse être
élevé par ses deux parents.
Il y a donc deux craintes différentes : l'absence de la
connaissance des « origines », et l'absence de référent
masculin. Ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Le
référent masculin renvoie à l'éducation, à
la socialisation de l'enfant lui-même. Les « origines » sont
renvoyées communément au biologique comme dans le cas de
l'adoption. Elles peuvent également renvoyer, comme le souligne Vanessa,
à la constitution d'un arbre généalogique -
lequel comprend pourtant bien des manques en termes de
référent-e-s ayant participé à notre socialisation
et qui ajoute des personnes que nous n'avons jamais connues. Notre
société a construit cet arbre sur l'idée de la filiation
à comprendre en termes de lignée dans un système
bilinéaire et hétéronormé (un côté
maternel, un côté paternel), et non sur la réalité
des relations elle-même. Selon Martine Segalen et Claude Michelat, si
l'intérêt pour la généalogie est ancien, il a
changé de sens dans les années quatre-vingt. D'une transmission
des biens, des objets dans l'aristocratie, on est passé à une
réaffirmation de l'identité à travers la construction d'un
imaginaire familial100. La construction d'une
généalogie existe donc avant la recherche en paternité.
L'enfant était autrefois supposé être du mari de la
mère puisque la mère devait l'exclusivité de sa filiation
à son mari. Les « origines » ont donc été
longtemps supposées mais surtout leur idée a été
construite par la société - passant d'une identité de
classe sociale à une identité individuelle au sein d'une famille.
Leur aspect biologique n'a jamais été réel. Par ailleurs,
Lisa qui n'est pas la mère statutaire de Thibault, qui ne l'a pas
porté durant la grossesse, se définit comme au plus proche des
« origines » de l'enfant par sa présence à sa
naissance et dans les premières années. Il s'agit donc bien d'une
construction à la fois sociale et individuelle.
Si les origines telles qu'elles sont perçues
(c'est-à-dire « biologiques ») ne sont pas
réelles, cette crainte est néanmoins souvent
évoquée dans le cas de l'adoption et de l'insémination
médicalement assistée avec donneur anonyme.101 Dans un
article de Côté Femme au sujet de
l'adoption102, on peut lire que :
100 SEGALEN Martine, MICHELAT Claude (1991), « L'amour de la
généalogie », in Segalen Martine (dir), Jeux de
familles, Paris, Presse du CNRS, p.193-208.
101 Par ailleurs, un projet de loi envisage de lever
partiellement l'anonymat des donneurs de gamètes, [en ligne], URL :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl10-304.html#timeline-6,
Consulté le 20 avril 2011. Ce projet de loi confirme la construction
sociale du biologique comme élément de l'identité.
102 Propos recueilli par CHAMPENOIS CLAIRE (2002), « J'ai
aidé mon fils à retrouver sa mère biologique »,
Côté Femme, 24 avril 2002, [en ligne], URL :
http://www.dorigineinconnue.org/affiche.php?noenr=56,
Consulté le 02 juin 2009.
« Découvrir ses origines représente, pour
un être humain, une nouvelle filiation. Elle ne remplace pas la filiation
affective (adoptive et juridique), elle s'y ajoute. Votre maman témoin,
Maïté, n'a pas compris tout de suite la souffrance de son fils
Adrien. Ce n'est pas par crainte de le perdre s'il retrouvait ses parents
biologiques. Mais elle estimait sans doute que, pour Adrien, petit
garçon heureux, aimé et aimant, les liens du sang ne comptaient
pas à ce point. Le malaise de son fils ne s'effaçant pas,
Maïté, avec intelligence et générosité, a
décidé de l'accompagner dans ses recherches. Elle sentait sans
doute qu'elle devait être à ses côtés le jour
où il connaîtrait son passé, car cela représente une
épreuve. À l'évidence, la maman d'Adrien a beaucoup
réfléchi à la question, elle a pris le risque de la
vérité par amour pour son fils »
« J'ai aidé mon fils à retrouver sa
mère biologique », CôtéFemme
Devant un tel article, on peut alors supposer que le
rôle d'un « bon parent » est de permettre à l'enfant de
connaître ses « origines », ce qui est jusqu'à ce jour
et au moment de mes entretiens - impossible en France dans le cas de l'aide
à la procréation médicalement assistée où
l'anonymat du donneur est pour le moment, encore obligatoire103. En
revanche, c'est possible dans le cas d'une coparentalité entre femmes et
hommes.
Dans un tel contexte, on peut noter certains conflits
d'intérêts comme le rappelle Vanessa qui voulait vivre sa
parentalité exclusivement en couple sans priver l'enfant des atouts que
la société lui fabrique. Pour elles, pour leur couple, elle
souhaitait une famille sans autre personne que Vanessa et Karine. Mais pour
l'enfant, elles ont l'impression de faire un choix égoïste car il
n'aurait alors pas de père. Martine et Eva affirment avoir voulu que
l'enfant ait un père dès le départ mais Martine
considère Eva comme quelqu'un avec qui elle a fait un enfant en
priorité, au nom de leur histoire d'amour et de leur famille qu'elles
sont en train de construire ensemble. Pour elle, c'est la personne avec qui
elle fait des enfants. Elle aura toujours, selon elle, un droit de regard sur
la vie et sur l'éducation d'Esteban même en cas de
séparation. Ce ne serait pas une place circonstancielle.
L'absence « d'origine », l'absence de
référent du sexe opposé sont craintes mais ces craintes
entrent en concurrence avec une histoire de la parentalité que l'on veut
conjugale.
103 La loi est en train d'être discutée mais les
sénateurs refusent pour le moment de lever l'anonymat sur le don de
gamète. Etapes de la discussion [en ligne], URL :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl10-
304.html#timeline-6, Consulté le 20 mai 2011.
Vanessa parle davantage de la première crainte (celle
des « origines ») que de la seconde (celle du «
référent »), mais la décision plus tard d'opter pour
un père qui s'investit même un week-end sur deux plutôt que
pour un donneur connu confirmera que la deuxième crainte était
également présente.
L'absence de référent du sexe opposé est
une crainte également véhiculée dans les médias. Un
épisode des Maternelles montrent deux mères qui
expliquent qu'elles ont pris en compte cette peur du manque de
référent masculin en nommant un parrain pour chaque enfant, ceci
afin de représenter cette figure masculine qu'elles auraient selon elles
« mise de côté » pour le passage à
l'adolescence notamment104. Dans « Parents comme ci, enfants
comme ça105 », la pluralité des
référents dans l'entourage des mères est mise en valeur
mais la question de « l'idée du père » est
posée. Objection à laquelle répond la femme
concernée, âgée de 20 ans, dont le père et les deux
mères ont conclu un accord de coparentalité. Elle n'a pas connu
son père car il est mort mais l'idée du père, elle l'a.
Plus que le référent masculin, c'est donc cette crainte de manque
du père qui persiste dans les représentations. Il faut
l'idée de la présence physique du père, même
ancienne en cas de décès ou de rupture de contact, même
lointaine en cas de distance géographique. Il n'est donc pas
étonnant que la question se soit posée chez Vanessa et Karine. On
retrouve la même idée chez les pères. Dans un article de
Têtu News - sur les couples gays qui font appel à la
Gestation Pour Autrui (GPA) - est évoqué le deuil des
pères à ne pas offrir de mère à leurs
enfants106.
Presque toutes les images véhiculées reviennent
à expliquer que l'absence de père ou de mère constitue un
manque pour la construction de l'enfant. Pourtant, dans certaines
sociétés, comme celle des Nuers du Soudan et d'Ethiopie, les
enfants peuvent être élevés par deux femmes, le père
étant la personne ne pouvant pas être enceinte (ce qui peut
correspondre à une femme stérile ou ménopausée) et
assurant l'apport matériel de la famille107. Cette
représentation de la nécessité de
l'hétéroparentalité pour la construction de l'enfant -
très présente dans les sociétés occidentales -
trouve ses limites dès lors qu'on regarde ce qui se passe ailleurs.
Vanessa et Karine pensent alors à l'insémination
artisanale avec un donneur connu, qui ne participera pas à
l'éducation de l'enfant mais que l'enfant pourra connaître. Elles
sont déçues du manque d'investissement des hommes
rencontrés. Elles veulent finalement que
104 LE MARCHAND Karine (2006), op.cit.
105 HATTU Jean-Pascal, op.cit.
106 TERVONEN Taina, op.cit.
107CADORET Anne (1999), « La filiation des
anthropologues face à l'homoparentalité », in Borrillo
Daniel, Fassin Eric, Iacub Marcela (dir), Au-delà du PaCS :
l'expertise familiale à l'épreuve de l'homosexualité,
Paris, Presses Universitaires de France, p.205-224.
l'enfant ait un père et optent donc pour une forme de
coparentalité. Une coparentalité avec une résidence
principale chez les mamans. Elles rencontrent alors Maël, 40 ans,
célibataire homosexuel, qui semble avoir les mêmes attentes de la
famille qu'il veut fonder. Vanessa et Karine ont alors 23 et 24 ans. Leurs
modes de vie sont très différents mais la différence est
dite comme une richesse pour l'enfant. Maël sera le père de
l'enfant.
Dans le cas de Karine, Lisa et Eva, leurs relations avec
Antoine, Thibault et Esteban sont exclusivement privées puisque l'Etat
n'intervient pas alors que dans le cas du père et de la mère
statutaires, l'Etat intervient à travers les lois qui protègent
le lien entre l'enfant et ses parents statutaires. Ici, les relations de
Karine, Lisa et Eva à leurs enfants dépendent non pas de l'Etat
mais de Vanessa, Véronique et Martine. Par conséquent, l'histoire
du couple comme participant à raconter celle de la parentalité
prend d'autant plus d'importance.
1.2 La séparation : d'une histoire de couple
à une histoire individuelle
Vanessa
Dans la situation de Vanessa, la conception de l'enfant se
passe par insémination artisanale et c'est Karine qui « engendre
» Vanessa. Vanessa raconte qu'au moment où elle est tombée
enceinte, elle a été surprise du calme de Maël qui aurait
simplement répondu : « C'est bien. ». Karine
participe à la grossesse de Vanessa chez le gynécologue et chez
elles : écographie, monitoring, les mouvements du bébé,
découverte du sexe du bébé. Tout le long de son
récit, Vanessa parle au « nous ». Maël ne vient ni aux
échographies ni aux préparations à l'accouchement. Selon
Vanessa, il n'est pas intéressé par leurs récits qu'elles
écrivent. Il ne compte pas participer à l'accouchement ce qui
arrange Vanessa qui vit alors la grossesse exclusivement en couple.
Vanessa prépare un projet de naissance pour la
maternité afin que Karine puisse participer à l'accouchement,
être la première à être en contact avec l'enfant si
Vanessa devait être inconsciente, couper le cordon ombilical et faire les
premiers soins.
Avant de partir à l'hôpital pour accoucher, elles
sont toutes les deux et Karine prend une dernière photo de son amie
enceinte. Puis Vanessa discute de la configuration de sa famille avec la
sage-femme. Comme prévu, Karine participe à l'accouchement, coupe
le cordon, prend l'enfant dans ses bras après la pesée. Vanessa
précise que c'est au moment où Karine a
pris Antoine dans ses bras qu'il s'est arrêté de
pleurer. Maël est venu quelques heures après la naissance. Pour
Vanessa, il n'a fait preuve d'aucune émotion.
On voit bien alors que quand Vanessa parle de Karine, la
« deuxième maman » sans statut, elle en parle dans un
rôle de partenaire de la mère. C'est-à-dire que Karine
aurait fait ce qu'il est attendu d'un père lorsqu'il est en couple avec
la mère dans un contexte hétéroparental : engendrement,
suivi de la grossesse, participation aux échographies, à
l'accouchement. Cette manière d'être et de faire est reconnue
comme permettant d'investir le rôle de parent quand l'enfant n'est
présent physiquement que dans le corps de la mère. A condition
d'être en couple avec la mère (ici, le père ne participe
pas par exemple). Cette manière d'investir la grossesse n'est pas
universelle et en France, elle date des années soixante-dix avec la
redéfinition de la place de chacun-e dans la famille. Béatrice
Jacques rappelle que « selon les sociétés, l'accouchement
peut être un moment exclusivement maternel, exclusivement paternel
(rôle symbolique du père) ou exclusivement social (l'enfant est
avant tout accueilli par un groupe) »108. Les us et coutumes
autour de la grossesse varient avec le contexte, avec les époques, avec
l'espace géographique, avec le milieu. Dans le contexte de Vanessa et
Karine, cela permet de se faire reconnaître ou de faire reconnaître
l'autre comme parent qui se soucie de sa conjointe et de l'enfant. Ensuite,
pour appuyer sans doute la reconnaissance de Karine comme parent, Vanessa
insiste sur l'absence d'investissement du père. Karine serait donc
« meilleure partenaire de la mère » que le père
lui-même. Cette reconnaissance se fait alors au sein du couple, aux yeux
du personnel médical et à toute personne, collectif ou
institution109 à qui on veut bien le raconter. Ici, en me
racontant son histoire, Vanessa s'adresse à l'institution universitaire
puisque je me suis présentée comme une étudiante
rédigeant un mémoire.
Par ailleurs, lorsque Vanessa relate les conflits avec le
père, elle inclut Karine dans un « nous » en opposition
à Maël. Cette manière de « faire bloc » permet
également de légitimer la place de sa partenaire, qu'on
reconnaît comme ayant son mot à dire face au père
statutaire.
Dans le mail que Vanessa m'a envoyé en me joignant son
récit, elle commence par le conclure en expliquant que depuis que Karine
est sortie de sa vie, elle a de meilleures relations, plus franches avec
Maël. Une grosse dispute au moment de la séparation aurait
108 JACQUES Béatrice (2007), Sociologie de
l'accouchement, Paris, Presses Universitaires de France, p.151.
109 En se basant sur la définition d'Ervin Goffman, les
institutions sont « des lieux (pièces, appartements, immeubles,
ateliers) où une activité particulière se poursuit
régulièrement. [...] Certaines institutions fournissent un cadre
à des activités qui définissent la position sociale de
l'individu, indépendamment du zèle ou de l'indifférence
qu'il y manifeste. D'autres, au contraire, ne sont que le cadre
d'activités libres et gratuites, pratiquées en dehors du temps
consacré à des tâches plus sérieuses. » GOFFMAN
Erving (1968), Asiles : études sur la condition sociale des malades
mentaux, Paris, Edition de Minuit (1ère édition
1961, Anchor Books)
permis de dire ce que chacun-e pensait et de rappeler qu'en
tant que parents reconnus, chacun-e pouvait avoir le juge de son
côté en cas de litige. Elle pense avoir toujours essayé de
maintenir une bonne relation père-fils dans l'intérêt
d'Antoine. Antoine serait très content d'aller voir son père et
cela ferait plaisir à Vanessa.
Si Vanessa avait été la «
deuxième maman », elle imagine qu'elle aurait
été présente tout comme la « mère
biologique ». Elle imagine que sa place aurait été tout
aussi importante au quotidien. Elle se voyait devoir prendre cette place dans
la société en forçant la reconnaissance car elle n'aurait
pas supportée d'être mise de côté. Elle s'est donc
efforcée en tant que « mère biologique » de
faire en sorte que la société ne mette pas Karine de
côté quand elle était présente. Mais pour elle,
Karine ne voulait pas cette place et ne s'est jamais battue. Elle a ressenti ce
qui s'est passé durant la rupture comme une confirmation de ce
sentiment.
En tant que conjointe séparée, Vanessa a
dû revoir l'angle de vue sous lequel elle regardait sa famille. Elle ne
peut plus parler de son histoire comme d'une histoire exclusivement de couple
(« afin que chacune ait sa place de « parent » »)
puisque le couple est terminé et que l'histoire continue, sans la
présence physique de Karine auprès de l'enfant. La
décision qu'elle a prise concernant Karine, elle n'aurait pas pu la
prendre avec Maël qui a un statut et des droits reconnus. Elle doit donc
faire avec Maël d'une manière ou d'une autre.
De plus, si Maël concurrençait l'histoire que
Vanessa aurait voulue exclusivement conjugale, la rupture du couple rompt
également la concurrence. La redéfinition de la relation entre
Vanessa et Karine entraîne une redéfinition des autres relations
alentours.
Quand je l'incite à revenir sur le choix de qui d'elle
ou Karine, sera enceinte de leur enfant, Vanessa se dit déçue
qu'après un long travail de recherche, Karine finisse par lui annoncer
qu'elle n'était pas prête. Elle pense aujourd'hui qu'elle s'est
laissée entrainée par son envie (à Vanessa) d'avoir un
enfant sans le vouloir vraiment. Elle a évoqué l'idée de
prendre le relai et Karine aurait tout de suite été d'accord.
Plus tard, elles auraient envisagé avec Maël d'avoir un
deuxième enfant. Vanessa raconte que Maël voulait que ce soit
Karine qui le porte. Vanessa était d'accord. Elle raconte que Karine
n'était pas prête et qu'elle ne savait pas si elle le serait un
jour. Pour Vanessa, c'était le début des conflits, elle voulait
savoir s'il y aurait un deuxième enfant et Maël ne voulait pas,
selon elle, attendre, à cause de l'âge. Vanessa avait l'impression
qu'il n'y avait plus aucun dialogue possible, plus aucune envie en commun, dont
l'envie d'avoir un enfant.
En relisant ce passage de mon entretien, j'ai pensé
immédiatement à l'article de Gilda Charrier et François de
Singly, « Vie commune et pensée célibataire
»110 dans lequel il et elle s'interroge sur la construction
d'une « pensée conjugale » et la conservation d'une «
pensée célibataire » dans le mariage à partir des
théories de Maurice Halbwachs. « La mémoire fonctionne non
pas selon un principe d'accumulation, mais selon l'actualité de notre
appartenance (et les intérêts associés à ces
appartenances). »111 Car Vanessa parle depuis son point de vue
de conjointe séparée. Elle ne se situe plus comme membre d'un
couple et n'a plus à faire valoir sa relation de couple ni une
sphère de « pensée commune », pour reprendre
l'expression de Gilda Charrier et François de Singly. Pensée
commune qu'elle valorisait par le « nous », dans le récit
qu'elle a écrit à l'époque où elle était en
couple. Un « nous » qui servait à faire corps. Aujourd'hui,
Vanessa explique que Karine exprime toujours l'envie de voir l'enfant mais elle
ne parle pas de ce désir comme étant commun à toutes les
deux, car cela signifierait l'appartenance à la relation conjugale
pourtant rompue et ne justifierait pas la rupture de contact entre Karine et
l'enfant. Elle peut alors se placer d'un autre point de vue en faisant valoir
ses responsabilités de mère qui choisit qui peut se trouver dans
l'entourage de l'enfant sans lui nuire.
En revanche, depuis la séparation, elle a à
faire valoir sa relation non pas de couple mais de partenariat parental avec
Maël qui peut, lui, faire valoir juridiquement ses droits. Cela implique
de redéfinir le discours, le parcours. Pour Maël, elle n'utilise
pas le « nous », car nul besoin de revendiquer une pensée
commune. Elle est « avec » lui comme deux conjoint-e-s
séparé-e-s continuent d'être « avec » l'autre
dans la sphère parentale, c'est-à-dire capable de négocier
les questions d'éducation avec leurs différences de points de vue
individuels parce que tous deux ont des droits vis-à-vis de
l'enfant112.
Lisa
Lisa a envie d'être parent après une rupture.
Elle vient de vivre dix ans de vie commune et elle est alors en plein dans sa
vie d'adulte avec toutes sortes de responsabilités professionnelles et
associatives. Il est évident pour elle qu'elle peut choisir une nouvelle
région plus avenante où vivre et construire une famille. Elle
l'imagine adoptive, avec elle pour seule parent. Elle ne pense pas encore
à un nouveau couple.
110 SINGLY François de, CHARRIER Gilda (1988), « Vie
commune et pensée célibataire », Dialogue,
n°102, p.44-53.
111 Ibid. p.46.
112 MARTIN Claude (1997), op cit.
Enfant, à l'école élémentaire,
elle aurait dit comme les autres qu'elle souhaitait plus tard avoir deux
enfants, mais il était alors selon elle inimaginable d'être «
prise pour épouse » ou d'être « prise pour
mère ». Elle aurait été élevée par
une mère qu'elle dit misogyne et qui aurait banni les poupées.
Elle aurait imaginé l'avenir de sa fille dans la carrière ou du
moins dans le travail. Lisa raconte qu'elle avait l'esprit et le corps
indépendants. Elle se voyait plutôt maîtresse d'école
et aventurière. Pas encore clairement lesbienne, mais cela serait venu
au lycée. Le désir d'enfant apparut plus tard, vers trente ans,
après ces dix ans de conjugalité.
Parler de son enfance donne du sens à son parcours
ensuite. On légitime nos manières de dire, de faire par
l'enfance. Soit par une vocation113, soit par une éducation
donnée. Cela ne signifie pas que les choses se sont passées comme
telles. Lisa parle depuis son point de vue d'adulte séparée de la
mère de son fils dans un contexte particulier. Elle offre de cette
manière une cohérence à ses propos et à son
vécu de parent et de féministe, tout en appuyant sur le fait que
ses choix sont individuels, inscrits son parcours et non issus d'un couple ou
d'une négociation conjugale.
Elle rencontre Véronique avant de changer de
région. Elles auraient parlé famille quasiment à la
première conversation. Elle reste donc dans la ville où elle
réside et quelques jours après, elles cohabitent. Il y aurait une
forme d'évidence. Mais les choses ne se passent pas exactement comme
Lisa le souhaite. Véronique aurait lancé une demande d'adoption
au bout de quinze jours sans lui en parler, sans l'associer. Ensuite, avec
l'accord de Véronique, Lisa approche un ami gay de longue date et devant
son refus, un autre ami gay très proche, Axel, en couple avec Christian,
pour une coparentalité. Finalement, c'est Christian qui « fait
» le premier enfant avec Véronique qui laisse alors tomber sa
demande d'adoption. Axel et Lisa doivent « faire » ensuite le
second.
Lisa vivrait la grossesse de Véronique au jour le jour,
véritablement passionnée, comme un compagnon pourrait
l'être, elle l'imagine, en couple hétérosexuel. Cet enfant,
elle l'aurait, dès la conception, « adopté ».
Quand Lisa dit qu'elle a « adopté » Thibault «
dès la conception » et qu'elle s'est «
engagée comme parent », cela signifie pour elle
qu'à compter de ce moment-là, elle l'aurait pris en charge en son
nom, qu'il y ait ou non d'autres parents. Elle considère qu'elle doit
lui assurer son bien-être matériel (sa sécurité et
ses principaux besoins) et son éducation, ce qui viserait si possible
son bonheur par le sentiment qu'il devrait avoir d'être important dans
cette relation, par le développement de ses aptitudes physiques,
113 CHARRIER Gilda (1993), Mémoire et identité
: le souvenir de l'accès à la profession comme expression de
l'identité pour soi, Thèse de doctorat dirigée par
François de Singly, Université Paris V.
par sa compréhension du monde qui l'entoure, par son
insertion sociale et son ouverture aux autres, et surtout sa progressive
autonomie.
Dans son discours, Lisa assoie une nouvelle fois
l'individualité de son parcours, son identité de parent
indépendante de celle des autres. Elle investit dans le même temps
des rôles reconnus comme parentaux notamment dans un milieu intellectuel
(en cultivant l'enfant), reconnus comme plutôt « masculins »
(accompagnement de la grossesse, bien-être matériel, stimulation
motrice) ou plutôt « féminins » quand elle racontera
plus tard qu'elle s'occupe également de tout ce qui appartient au
quotidien vital et utilitaire de l'enfant, ce qui est plus souvent
attribué aux mères (hygiène, coucher, achats). Elle
investit alors un rôle parental qui comprend plusieurs aspects reconnus
indépendamment de la dimension genrée de ce rôle («
masculin », « féminin ») - ou alors, selon le point de
vue depuis lequel on se place - dépendamment de toutes les dimensions
genrées de ce rôle. Cela signifie qu'elle ne dépendrait pas
des autres parents pour assurer l'éducation de l'enfant,
c'est-à-dire qu'elle ne serait pas simplement le «
complément » de la mère ou du père, ce qui
révèle une autre manière d'individualiser son parcours de
parentalité.
Thibault naît le 5 octobre 1999. Lisa accompagne
Véronique pendant l'accouchement, sauf que malgré l'autorisation
qu'elles ont obtenue de pouvoir y assister, père «
biologique » et compagne, Lisa doit sortir la dernière
heure pour lui laisser la place. Elle vit cela comme sa propre expulsion et
angoisse car l'accouchement est difficile et elle craint qu'il arrive quelque
chose à l'enfant. Christian lui annonce la naissance. A la sortie de la
maternité, une photo d'eux quatre montrent les « garçons
» entourant Véronique de tous leurs soins et Lisa en bordure. C'est
un peu l'image qu'elle garde de cette configuration familiale où tout se
serait passé trop vite, selon elle, la famille avant le couple et le
couple de parents « biologiques » avant la
coparentalité à quatre. Ils et elles n'auraient pas eu assez le
temps de se parler, Lisa a le sentiment de n'avoir pas été
écoutée et entendue. Axel et Lisa ne parviennent pas à
« faire » le second enfant tant désiré, malgré
un an et demi de tentatives rationnalisées, la prise d'hormones, le
recours finalement interrompu à une clinique d'insémination
bruxelloise. Elle part en 2001 pour une autre qui la fait rêver. Thibault
a un an et demi.
Dès lors, elle se serait affirmée comme parent
et elle se représente cela comme une question de survie car le lien
à Thibault serait profondément inscrit en elle. Elle est alors
dévorée par la culpabilité à rompre avec la
mère de son fils, d'autant que sa nouvelle relation serait sans
intérêt et qu'elle s'y accrocherait à l'absurde. Elle
aurait besoin de voir Thibault, de le voir vivre, grandir et son existence
n'aurait aucun sens si elle ne pouvait assurer cet
engagement qu'elle a pris à son égard. Elle
aurait insisté mais n'aurait pas pu le voir durant les premières
grandes vacances.
Lisa raconte qu'elle a eu plusieurs fois l'impression
d'être mise de côté. Notamment quand Véronique et
Christian auraient décidé que tou-te-s deux feraient l'enfant
sexuellement. Lisa était contre, mais Christian aurait affirmé
qu'un enfant se fait comme cela, et qu'il n'imaginait pas d'autre solution.
Dans tous les cas de coparentalité qu'elle connait, cela s'est toujours
passé par insémination soit domestique soit médicalement
encadrée. D'ailleurs, Lisa et Axel ont fait leurs tentatives par
insémination domestique et au bout d'un an et demi d'échec quand
elle lui a proposé de le faire aussi en passant par la sexualité,
il s'y serait refusé.
Lisa ressent qu'elle est entrainée dans cette histoire
sans avoir de pouvoir. La rupture se serait passée sur le même
mode. Elle rêvait d'une autre, et débutait tout juste une relation
sexuelle avec elle. Véronique était au courant, ce n'était
pas une situation facile et elle n'aurait pas duré longtemps, selon
elle, d'une façon ou d'une autre. Un jour, Christian les aurait tou-tes
« convoqué-e-s » et aurait dit à Lisa que si elle
faisait souffrir Véronique il fallait qu'elle parte et qu'elle l'avait
terriblement déçu. Et ni Véronique ni Axel n'auraient
répondu. Elle est partie, mais selon elle, mal partie. C'est comme si
Christian, par son genre, par son âge, par sa profession peut-être
aussi de directeur d'entreprise culturelle, d'employeur et de licencieur,
était devenu le chef de leur famille associative qui englobait
désormais son couple.
Lisa et Christian sont en concurrence. En engendrant
sexuellement Véronique, Christian entre dans un rôle convenu comme
étant celui du partenaire de la mère, ce même rôle
qui fait reconnaître Lisa comme parent. La place que prend Christian
fragilise alors la reconnaissance que Lisa pourrait avoir en tant que parent,
à travers son couple. La sexualité, longtemps
considérée comme devant être exclusive afin d'assurer
l'exclusivité de la filiation, prend une symbolique très forte
dans le cas de l'engendrement d'un enfant. Dans la situation de Lisa, la
relation sexuelle entre Christian et Véronique empêche Lisa de
raconter l'histoire de la parentalité au sein de son couple au moment de
l'engendrement comme l'a fait Vanessa. Hors être présent
dès la conception est une variable importante dans les familles faisant
un accord de coparentalité, car c'est ce qui permet de se distinguer des
beaux-parents des recompositions familiales. Lisa insiste d'ailleurs sur le
fait qu'elle a « adopté Thibault dès la conception
». De la même manière, pour l'accouchement, sa sortie de la
salle de travail la fait passer « après » Christian et elle ne
peut plus accompagner la naissance de l'enfant, acte reconnu comme parental.
Lisa a l'impression que Véronique était
angoissée à l'idée que Lisa lui « vole
» son enfant. Elle ne saurait dire pourquoi elle ressent cela, mais elle
croit qu'il était insupportable
pour Véronique d'imaginer une « autre
mère », une « mère alternative »
comme si elles avaient pu être en rivalité de maternité, en
concurrence, et que Véronique n'aurait pas été sûre
de l'emporter. Pour Lisa, cette possessivité allait contre les projets
conjugaux comme familiaux.
La concurrence s'est jouée entre Lisa et
Véronique toujours parce que les rôles de mère et
père sont socialement construits pour être exclusifs mais de plus
parce que Véronique a le pouvoir d'accepter ou non la place de Lisa
auprès de Thibault. L'enjeu pour Lisa de raconter sa parentalité
comme un parcours individuel devient donc à la fois nécessaire
(puisqu'elle ne peut pas prendre appui sur les parents statutaires - ou alors
très peu) et difficile puisque elle n'a pas de statut. Parler de
l'angoisse de Véronique permet quelque part de montrer sa propre place
auprès de l'enfant. Elle permet de plus de rappeler les accords de
départ en termes de construction de projets et de configurations
familiales que Lisa, dans son récit, dit « mieux » respecter
que les autres parents de l'enfant. Cela permet de mettre en avant un parcours
de parentalité plus cohérent que celui des autres, qui eux/elles
ont un statut reconnu de parent.
Si Lisa et Vanessa passe toutes deux d'une histoire de couple
à une histoire individuelle, l'enjeu reste néanmoins
différent. Contrairement à Vanessa, Lisa n'a pas de statut et
faire de son histoire, une histoire individuelle ne permet pas seulement
d'offrir une cohérence à son parcours à travers son
discours. Cela permet également de se faire reconnaître comme
parent « inconditionnellement » tout en rappelant que l'histoire
vient d'une configuration qui l'impliquait, d'une histoire de couple qui est la
sienne voire même d'une histoire qui précédait son histoire
de couple, puisqu'elle aurait projeté d'être parent avant de
rencontrer Véronique. Par ailleurs, Vanessa revient sur ses propos
anciennement écrit en expliquant que finalement, Karine ne souhaitait
peut-être pas cette place. Lisa, elle, insiste sur sa place de parent
dès le départ, dans un projet individuel puis conjugal.
Cela passe par l'envie - individuelle - d'avoir un enfant, une
implication dans la grossesse en tant que partenaire dans le couple,
l'inscription dans une configuration qui la comprend comme « parent
», le tout permettant de revendiquer la parentalité même
individuelle après la séparation.
1.3 Histoire d'une configuration, compositions,
recompositions familiales.
Martine et Eva
À la différence de Martine, Eva commence en
présentant la configuration de sa famille dont elle fait pleinement
partie. Parler de parentalité pourrait éventuellement l'exclure,
selon les représentations. Parler d'un projet de coparentalité
tel que l'entend l'APGL l'inclut forcément.
Au départ, elle raconte qu'elle et Martine souhaitaient
avoir un enfant et elles ont rencontré un homme qui vit en couple et qui
voulait aussi avoir un enfant. Elles ont rencontré plusieurs personnes
et ont choisi cet homme-là. Ce serait principalement Martine, la future
mère « biologique », qui aurait fait son choix
même si l'avis d'Eva comptait aussi. C'est Martine qui aurait «
bon, cette personne m'intéresse, cette personne ne
m'intéresse pas... » Elles auraient rencontré des
hommes ensemble, elles auraient fait plusieurs rencontres intéressantes
et assez rapidement selon Eva, elles ont rencontré George et elles ont
fait un enfant avec lui. Leur famille, c'est une coparentalité,
c'est-à-dire qu'il y a deux parents « biologiques »
et des coparents qui seraient plus ou moins investis dans l'éducation de
leur fils.
Eva est sa « deuxième maman », elle
se présenterait à lui comme telle et il la prendrait comme telle
aussi alors que le copain de George, lui se présenterait comme
« parrain ». Pour elle, il participe beaucoup à
l'éducation mais ne le considère pas comme son fils. Il se ferait
appeler « parrain », par son prénom. Eva et Martine aurait
bien senti qu'il y aurait d'un côté, les enfants de Jim et de
l'autre, le fils de George. Alors que selon Eva, elle et Martine
considèreraient Esteban comme leur enfant et les suivants seraient leurs
enfants quelle que soit la « mère biologique ».
Se définir comme parents revient à
définir ce qui n'est pas un parent. Tout comme Vanessa parlait de
l'investissement de Karine en opposition à la non implication de
Maël, Eva se compare à Jim qui se ferait appelé «
parrain » ou par son prénom et qui donc serait « moins »
parent que Eva. On attribue des critères à une identité
auxquels on s'identifie (être parent c'est se présenter comme
« maman » ou « papa », je me présente comme «
deuxième maman » donc je suis maman) en s'opposant à ceux
qui n'y répondent pas. Dans le même temps, si Eva se
présente comme la « deuxième maman », elle se fait
appeler par un diminutif proche de son prénom.
Pour son projet de coparentalité, Eva aurait
rencontré plusieurs hommes. Ce serait un peu différent de la
situation de Martine, car Eva les rencontrerait seule alors que Martine et
Eva auraient rencontré ensemble George et ceux qui
l'ont précédé. Martine ne souhaiterait rencontrer les
hommes seulement quand Eva considère qu'ils pourraient être le
père de ses enfants. Cela signifie que quelque chose a changé
depuis qu'elles sont devenues les parents d'Esteban. Sans doute, leur
première conception de la coparentalité tendait vers plus «
d'égalité » alors qu'aujourd'hui, mère statutaires et
« deuxième maman » sont très
différenciées. Quand Martine se veut « en retrait
» vis-à-vis des enfants d'Eva, dans son discours, face à moi
ou dans le choix de leur père, cela lui permet de justifier les
inégalités présentes avec sa conjointe. Toutes deux
renvoient cela au « naturel », à la capacité de
réflexion supposée supérieure de la part de la mère
qui sera enceinte. Et cela même avant la grossesse puisque cela se joue
dès le choix du père.
Martine a rencontré quelques hommes
sélectionnés par Eva qui pour l'instant ne correspondraient pas.
Parce que, pour Eva, le conjoint est aussi important. Elle aime bien rencontrer
les hommes seuls, surtout au départ et puis s'il et elle ont quelque
chose en commun, elle rencontre aussi leurs conjoints. Jusqu'à
présent, le conjoint aurait posé problème parce que la
personne révélait une partie d'elle-même qui ne
correspondrait pas à ses projets.
Ce mode de rencontre implique les parents non statutaires tout
en offrant la priorité aux futurs parents statutaires. Mais Eva donne de
l'importance au conjoint et le fait qu'elle soit elle-même conjointe de
la mère statutaire d'Esteban n'est sans doute pas anodin puisque ne pas
reconnaître d'importance au conjoint, c'est ne pas revendiquer sa propre
importance vis-à-vis d'Esteban. Elle doit donc négocier ce qui
est convenu au sein du couple (priorité au parent statutaire) et
reconnaissance individuelle.
Pour Eva, « deuxième maman », ce
n'est pas vraiment un rôle, ce serait plutôt une relation. Ce
serait de l'émotion, de l'affection, de l'investissement
émotionnel, de l'investissement éducatif. Au départ, elle
aurait considéré qu'elle allait être sa mère. Elle
ne se serait pas dit, suite à une rencontre avec lui « tiens,
je vais être sa mère », elle s'est dit au départ
« voilà, c'est l'idée de notre famille »,
qu'elles seraient deux mères, avec une clarté évidente que
ce serait deux mères différentes, que ce ne serait pas
forcément la même chose chez les autres. Elle souhaitait
présenter à Esteban les choses de manières très
claires. Il pourrait compter sur elle comme sur une mère et elle
s'occuperait de lui comme une mère.
Martine - elles en auraient discuté ensemble -
souhaiterait se positionner comme « deuxième mère
». Eva pense que Martine, en tant que « mère
biologique » comme en tant que « co-maman », se
positionne plus dans du ludique, de l'émotion, de la tendresse et elle
pense qu'elle le fera pour les deux. Eva pense que ce ne sera pas la même
relation de toutes
façons parce qu'il y aurait clairement une
différence du fait qu'Esteban est son « fils biologique
». Dans l'émotion, dans le côté « tripes
», dans le côté « animal », Eva pense que
ce sera différent mais elle pense que pour Martine, Martine attend sa
fille, elle ne se dit pas qu'elle attend la fille d'Eva mais sa fille.
On sent une tension entre le renvoi à la nature et la
définition de soi. D'un côté, dans le couple, elles ont
toutes deux convenu qu'il y avait un savoir « naturel », «
viscéral ». Martine précise qu'elle est la mère
d'Esteban et qu'Eva sera la mère de ses propres enfants. Mais pour Eva,
les relations semblent moins cloisonnées. Elle se considère comme
la mère d'Esteban tout en se différenciant de Martine. Et elle
pense - alors même que Martine ne parvenait pas à se projeter -
que Martine aura une relation similaire avec ses enfants qu'avec Esteban. Eva
fait preuve d'une tension - plus que Martine - entre la volonté de
hiérarchiser les « savoirs parentaux » (pour éviter les
situations conflictuelles irrésolvables en cas de désaccord dans
le couple) et la volonté de se faire reconnaître comme parent
d'Esteban et donc de tendre vers une égalisation des relations
parentales, d'une égalisation entre les enfants eux-mêmes (agir de
la même manière avec les un-e-s et les autres que le lien soit
statutaire ou non).
Elle sait peu de choses sur Jim parce qu'elles ne le voient
plus du tout. Il y aurait eu un moment donné où elles se seraient
rendues compte qu'elles ne pouvaient pas gérer la situation à
quatre, qu'il y avait beaucoup de malentendus, de quiproquos. Tous et toutes
auraient décidé que Martine et Georges allaient gérer
tou-te-s seul-e-s, entre eux deux. Ce qui ne les empêcherait pas pour Eva
et Martine de prendre les décisions à deux, et pour George et
Jim, de prendre les décisions à deux mais qu'il n'y ait qu'un
seul point de rencontre et pas quatre.
Martine n'a pas toujours vu leur relation à elle et
George comme une relation de parents divorcés. Au départ, pour
elle, il et elle étaient comme des ami-e-s, des gens très proches
qui partagent un idéal, qui ont envie de créer une famille
différente à quatre, et non pas une famille deux et deux. Mais
cela n'a pas fonctionné de cette manière car pour Martine, du
côté de Georges et Jim, ce n'est pas très clair. Pour elle,
ce sont des gens très mondains et elle associe cela avec le port d'un
certain nombre de masques sociaux. Derrière ces masques, elle trouve que
ce ne sont pas forcément des choses très belles et la
parentalité ferait tomber les masques. Elles se seraient alors
trouvées en face de personnes différentes. Alors quand ça
dysfonctionne, Martine dit stop et elle dit « bon ok, on arrête de
se voir et puis c'est tout ». Elles auraient alors fait appel au tribunal
et au juge des affaires familiales. Et à partir de là, une
nouvelle relation aurait été inventée qui lui semble
beaucoup plus saine.
Martine et Eva ne raconte pas l'histoire de leur
parentalité de la même manière. Martine fait valoir une
histoire conjugale d'une part, dans laquelle elle donne la priorité de
sa filiation à sa conjointe. Elle fait valoir une histoire entre elle et
George d'autre part, une histoire qui ressemble à la construction d'une
parentalité au sein d'un couple. Il et elle se sont choisi-e-s «
avec le coeur ». Elle l'aime parce que c'est le père de
ses enfants. Tou-te-s deux sont comme des parents divorcés. Quand elle
parle de leur configuration, elle en parle comme quelque chose qui n'a pas
réussi, qui a dû être renégociée et
transformée. Eva, quant à elle, valorise prioritairement la
configuration qui lui donne une place, un rôle tout en appuyant sur le
fait que pour elle, leur famille c'est elle, Martine et Esteban.
C'est-à-dire son foyer, son couple. Elle différencie sa relation
avec Esteban de celle que Martine a avec lui comme cela semble avoir
été négocié dans son couple, tout en appuyant sur
l'idée de leur famille, basée sur la coparentalité.
D'ailleurs, pour Eva, rater sa famille, c'est ne pas la construire selon sa
propre notion de famille même si cette notion change avec le temps. Pour
Martine, rater sa famille, c'est constater que son enfant souffre. La
première mobilise ce qui permet de lui donner une place auprès
d'Esteban, la seconde répond aux attentes sociales vis-à-vis des
mères.
Eva aussi appuie sur la relation qui uni(ssait) George et
Martine, tout en parlant de sa relation avec l'homme qu'elle choisira pour ses
enfants. La négociation se joue dans le fait que toutes deux seront
mères statutaires et toutes deux seront parents sans statut. Une
manière d'équilibrer les inégalités à
défaut d'égalité. Si toutes deux ont un enfant reconnu par
l'Etat comme étant leur enfant, cela rééquilibre les
droits de chacune en cas de séparation (pour voir l'enfant avec lequel
on n'a aucun droit, on doit accepter que l'ex conjointe voie l'enfant avec
lequel l'Etat nous reconnaît des droits). La création
d'égalité est ainsi une forme de résistance à la
logique dominante. Elles se créent toutes les deux un statut et des
droits en équilibrant les relations vis-à-vis des enfants avec
qui elles vivent communément.
Lisa
Concernant la famille, c'est comme une association que Lisa
imaginait cette coparentalité, une sorte de travail d'équipe pour
un projet partagé. La famille comme démocratie locale, au niveau
du moins des parents. Famille associative, cela signifiait aussi plusieurs
choses : moins de risque "d'appropriation" de l'enfant, et aussi une certaine
relativité des normes (notamment les normes qu'assoie chaque structure :
alimentation, hygiène, vêtement...) mais ils et elles partageaient
les grandes valeurs, les horizons.
Comme Eva, Lisa appuie sur la configuration, sur les valeurs
communes, le milieu commun. Sur la constitution d'un groupe auquel elle
appartient, dont elle partage les valeurs, ce milieu. Faire pleinement partie
de ce groupe qu'est la famille associative, c'est se définir une place
au sein de cette famille, celle ici de parent. Comme Lisa le précise,
c'est l'idéal qu'elle avait imaginé et non celui qu'elle a le
sentiment d'avoir vécu dans sa réalité. Néanmoins,
elle raconte que pour avoir le droit de voir Antoine après la
séparation, elle a rappelé la configuration sur laquelle
s'était construite leur famille - ce qui montre bien l'importance de
cette configuration dans la définition de soi comme parent.
1.4 Raconter l'investissement des rôles parentaux au
sein d'un seul foyer
Martine explique qu'Esteban fait sa crise oedipienne avec Eva
et non avec son père puisque c'est Eva qui est en couple avec Martine et
non son père. Puis elle explique que s'il a besoin d'un câlin, ce
serait vers Martine qu'il viendrait en priorité. Pour tout ce qui est de
l'ordre du maternage, ce serait vers elle. Pour le jeu, ce serait de
préférence vers Eva.
Cette fois-ci, ce n'est pas le récit de la grossesse
qui permet de se positionner comme parent, partenaire de la mère, mais
les références psychologiques quant aux développements de
l'enfant. Certains psychologues décrivent un partage de tâches
paternelles et maternelles comme le montre cet extrait de Jean Le
Camus114.
« K.E et K. Grossmann (1998) [...] ont
suggéré des moyens d'investigation mieux ajustés aux
rôles spécifiques de chacun des deux parents. Confirmant que la
situation étrange convenait bien à l'examen du lien de l'enfant
à sa mère, ils ont soutenu que la situation de jeu se
prêtait mieux à l'étude de la relation de l'enfant à
son père. [...] Les auteurs ont conclu à la
nécessité de respecter les adéquations: jeu et «
père stimulant » d'une part, situation étrange et «
mère réconfortante » d'autre part, bref de positionner la
mère et le père à des places différentes sur «
le continuum attachement-exploration »
Jean Le Camus, « Le lien père-bébé
».
L'idée ici, n'est pas de questionner ces courants de
pensée psychologiques (je n'en ai pas les compétences) mais de
voir ce qui peut en être retenu et interprété par
d'éventuel-le-s lecteurs et lectrices. En effet, dans les milieux
sociaux moyens supérieurs, la lecture
114 LE CAMUS Jean (2002), « Le lien
père-bébé », Devenir, n°22,
p.151-152
d'ouvrages de psychologie est courante et porteuse de courants
de pensée de sens commun. Chacun-e l'interprète et définit
les rôles de père et mère de manière
différenciée, en les associant à des vérités
naturelles (vérités car l'auteur-e est légitimé-e
par son titre universitaire). La mère aurait un rôle lié
à l'affect et le père, un rôle lié au jeu, aux
stimulations motrices et tou-te-s deux seraient donc différent-e-s et
complémentaires.
On retrouve ces représentations dans les discours, les
pratiques, les articles de presse dite féminine. Pour reprendre
l'article de Marie-Claire, sur « Ces hommes qui adoptent en solo
», on remarque cette différence des rôles entre
homme-père et femme-mère. Pour les hommes ayant pu aller au bout
des démarches d'adoption, et ayant adopté, leur rôle
parental est défini comme à la fois « père » et
à la fois « mère », à la fois « autoritaire
» et à la fois « câlin »115. Il y aurait
deux sexes, il y aurait donc deux parents : le père et la mère.
Le père et la mère sont censé-e-s être les
représentants de la différence entre les hommes et les femmes
tout en représentant la tendance à l'égalité et la
démocratie dans la famille (chacun-e a son mot à dire). Un
père n'est pas supposé « materner » et une mère
n'est pas supposée faire le lien entre la sphère familiale et la
sphère publique. Lorsqu'un parent est seul, on dit qu'il « endosse
» le rôle de l'autre, sans toutefois pouvoir réellement
compenser (d'où la demande d'un entourage de sexe opposé). Eric
Fassin montre à quel point ce principe de différenciation
sexuée est devenu une loi culturelle même s'il n'est pas une loi
politique116. Les parents cherchent donc à être
à la fois unifiés, porteurs d'un même discours au sein de
la famille, « complémentaires » à travers les
différences afin de justifier voire de taire les
inégalités entre les femmes et les hommes.
Dans le cas de Martine et d'Eva, il ne s'agit pas d'une femme
et d'un homme mais de deux femmes. La transposition permet de faire valoir
alors la partenaire de la mère comme parent, puisqu'elle intègre
le rôle socialement mais aussi - dans ce cas précis -
scientifiquement117 reconnu comme étant celui d'un parent, le
père.
De la même manière, alors que Vanessa expliquait
que Maël considérait qu'il devait séparer la mère de
l'enfant, Martine explique que c'est le rôle d'Eva puisqu'elle est sa
conjointe. Là encore, ce qui est décrit par la psychologie comme
étant le rôle du père permet de faire valoir Eva comme
parent « scientifiquement reconnu ».
115 BLAIZE Cécile, MARESCAUX Laure, « Ces hommes qui
adoptent en solo », Marie-Claire, [en ligne], URL :
http://www.marieclaire.fr/,ces-hommes-qui-adoptent-en-solo,20161,186.asp,
Consulté le 10 avril 2009.
116 FASSIN Eric (1999), « Pour l'égalité des
sexualités », Audition publique du 27 janvier 1999,
Vacarme, n°08, [en ligne], URL :
http://www.vacarme.org/article22.html,
Consulté le 19 mai 2009.
117 Scientifiquement car venant des écrits des
psychologues - en tout cas de leurs interprétations. De toute
manière, même face à la science, il s'agit de rester
critique et prudent-e. Dès le 18ème siècle,
durant l'époque coloniale, le racisme politique et populaire
était appuyé par un racisme scientifique.
Ceci est valable au sein d'un même foyer, pour un couple
cohabitant. C'est la cohabitation qui permet de dire ce partage des rôles
même si l'enfant a un père reconnu comme tel. En effet, l'espace
cadre la définition de soi. Si on se situe dans un espace plus large
qu'est celui au sein duquel l'enfant circule, Eva doit se différencier
du père pour définir un rôle qui n'est pas
déjà investi. En se situant au sein du foyer composé par
Martine, Eva et Esteban, Eva peut se définir comme le dit «
complément » de la mère en référence au
rôle reconnu comme celui du père. Les temps et les espaces
étant séparés en deux foyers et sur le mode d'une
résidence alternée, Eva ne fait donc pas concurrence au
père et peut se faire reconnaître à travers les traits qui
lui seraient habituellement attribués.
1.5 Raconter l'investissement des rôles parentaux
dans le cas d'une séparation
Lisa, séparée de Véronique, ne vit plus
avec elle. L'investissement parental est alors raconté
différemment. Lisa explique qu'il faut toujours se réapprivoiser,
se retrouver, ce n'est pas évident d'être un « coparent
divorcé » comme elle s'appelle. A ce titre, elle partagerait
la situation émotionnelle des pères divorcés. Depuis fin
2006, elles formeraient une sorte de « famille recomposée
» avec sa compagne et Thibault. Elle suppose que sa compagne serait une
sorte de « belle-mère » mais elles n'ont jamais
encore employé ce terme. Elle pense qu'elle a peut-être aussi
aimé et choisi sa compagne parce qu'elle la projetait dans ce
rôle-là. Lisa explique qu'elle a insisté auprès de
Véronique afin de lui verser une petite pension alimentaire.
C'était pour elle, symboliquement fort. La pension alimentaire, c'est la
preuve de la participation matérielle, la preuve d'un apport reconnu
communément comme étant celui des pères divorcés.
C'est de plus un apport reconnu comme relevant de la parentalité quand
on n'est pas quotidiennement auprès de l'enfant. C'est la ressemblance
avec des familles reconnues, des parents reconnus.
Elle raconte qu'elle a dû quitter le logement familial
en avril 2001 et elle n'a pu voir Thibault que quelques heures par ci par
là jusqu'aux grandes vacances. Puis elle se serait entendue dire qu'il
était hors de question qu'elle l'ait pendant les vacances car tout
était organisé avec les pères et les grands-parents et que
c'était déjà assez compliqué comme ça. Et de
fait, il ne lui aurait pas été confié. A la rentrée
de septembre, elle a dû appeler pour organiser une rencontre
hebdomadaire. Elle ne sait plus quels termes elle a employés. Elle ne
croit pas avoir dit que Thibault en avait besoin par exemple. Elle ne pense pas
non plus qu'elle ait parlé d'un quelconque droit. Elle ne pense
même pas avoir dit qu'elle était sa mère
ou son parent. Elle pense avoir plutôt parlé de
la configuration sur laquelle s'était construite leur famille, qu'elle
existait et qu'elle tenait à Thibault. C'était plutôt le
registre sentimental selon elle. Mais elle ne se souvient plus.
Elle raconte qu'en août 2006, par
téléphone, Véronique lui a reproché un article paru
dans un magazine sur les ruptures homoparentales, alors qu'elle l'aurait fait
sans haine pour évoquer ce qu'elle considère comme des
échecs. Véronique dit que Lisa les a totalement
abandonné-e-s elle et Thibault. Lisa explose et rappelle ses demandes
répétées qui étaient rejetées, sans issue,
le refus de sa pension alimentaire, le peu dont elle se contentait depuis cinq
ans, jamais une nuit chez elle, aucun week-end, aucune vacances etc. Ce
jour-là d'août 2006, Lisa se souvient avoir parlé d'un
droit tout théorique à avoir Thibault un quart du temps soit une
semaine toutes les quatre semaines, et un quart des vacances. Véronique
serait restée sans voix, Lisa pense qu'elle ne l'avait jamais
envisagé sous cet angle et Lisa aurait continué en disant que
comme elle avait bien conscience que Thibault avait déjà deux
foyers chez Véronique et chez les pères, ce ne serait pas
très évident pour Thibault d'en gérer un troisième.
Lisa aurait renoncé à cette idée mais elle trouverait
normal de le voir et de l'avoir davantage avec elle. Elle pense qu'ayant
échappé au pire (le quart du temps), Véronique aurait
concédé ou compris sa vision et elles se seraient mises d'accord
sur un week-end tous les deux mois entre chaque vacances scolaires et au moins
une semaine pendant les vacances.
En septembre 2006, ce fut leur premier week-end à tous
les deux et elle raconte qu'elle était très heureuse. Elle avait
acheté tout le nécessaire pour qu'il puisse dormir chez elle, des
choses qui représentent le quotidien : brosse à dent, pyjama,
slip de rechange, tee-shirt, puis le petit maillot de bain... Pour elle, ce
sont de vrais fétiches dont elle en a conservés certains. Pour
elle, il et elle ont été inscrit-e-s dans une autre histoire
à partir du moment où il a dormi et pris son petit
déjeuner chez elle, où il et elle ont même le temps de
prendre le temps.
Lorsqu'elles vivaient ensemble, Lisa aurait assumé les
fonctions parentales à parité avec Véronique. Mis à
part l'allaitement dès début, elle aurait nourri Thibault,
l'aurait lavé, changé, habillé, mais jamais
arrêté le travail pour le garder, cela aurait été
selon difficile à expliquer. Elle aurait joué, lui aurait lu des
histoires, joué de la guitare et chanté des chansons,
expliqué le monde, et d'autres choses. Et après la
séparation, dès qu'elle le voit, c'est toujours ce qu'il et elle
feraient. Ces pratiques sont celles que l'on reconnaît aujourd'hui comme
faisant partie des fonctions parentales : offrir les outils de
compréhension du monde, cultiver l'enfant tout en assurant le quotidien,
les pratiques ordinaires : habillement, l'hygiène, le coucher, le lever,
les repas. L'achat de choses simplement « utiles » est le symbole
même de la parentalité. Il ne s'agit pas des cadeaux que
l'entourage plus ou moins proche pourrait faire. Il s'agit d'objets
dont l'enfant se moque (comme la brosse à dent) mais
qui lui sont nécessaires. Subvenir à ce genre de besoin place la
personne dans un rôle particulier, reconnu socialement comme celui de
parent.
Et puis, il y a eu la première semaine de grandes
vacances. Lisa aurait eu Thibault exceptionnellement deux semaines
l'été dernier. Le clan composé de Thibault, Lisa et sa
compagne, peut alors partir plus loin, en Grande-Bretagne. Voyage qui a
donné lieu à des photos que j'évoquerai plus
loin118, photos qui sont les premiers éléments de
l'histoire de Lisa auxquels j'ai eu accès, dès la première
prise de contact.
Voir l'enfant sur un rythme - sinon quotidien - comparable
à celui des familles après la séparation des parents,
permet de faire reconnaître une parentalité pratiquée en
face à face avec des moments passés ensemble et donc la
construction d'une histoire commune, avec des objets qui participent à
la construction de cette histoire et d'une mémoire
familiale119 (Lisa conserverait d'ailleurs ces objets, qui ne sont
communément conservés que par les parents). Le rythme
régulier des rencontres et la pension alimentaire font échos
à un droit réservé habituellement aux parents statutaires
(les grands-parents ayant droit à une semaine par an) et finalement
reconnu - puisque permis - par la mère statutaire.
Si le lien peut être reconnu en mobilisant d'autres
liens alentours (avec la mère statutaire par exemple), il en est
d'autant plus précaire puisque dépendant de l'espace privé
et principalement de la mère. Si la reconnaissance, quand elle est
possible, en est accrue c'est parce qu'elle n'est pas systématique et
que la démocratisation au sein de la famille est un processus qui ne
concernent que les personnes ayant un statut parental défini par
l'espace politique. Le statut empêche toute remise en question de
l'existence de la relation.
1.6 La matérialisation de l'histoire : les
photos120
Quand Lisa me raconte l'histoire de sa parentalité,
elle m'explique qu'il lui apparaît comme une cruelle évidence,
dès la maternité qu'elle va devoir créer sa
parentalité envers et contre tou-te-s. Les flashes crépitent,
elle est présente et heureuse mais personne ne songerait à la
photographier. Au troisième jour et parce qu'elle l'aurait
exprimé, elle est prise en photo avec Thibault. Mais de photo avec
Véronique, il n'y en aurait jamais eu aucune.
118 Dans « La matérialisation de l'histoire : les
photos »
119 MUXEL Anne, op cit.
120 MUXEL Anne (1996), Individu et mémoire
familiale, Paris, Armand Colin.
Dès le premier mail de notre rencontre, Lisa m'envoie
deux photos prises en Grande-Bretagne, l'été
précédant l'entretien. Sur la première, Thibault, un
garçon souriant au premier plan, défiant l'objectif. Ses cheveux
blonds sont recouverts d'une capuche de sweet shirt. A l'arrière plan,
une maison avec un escalier de pierre, et une femme en anorak s'avançant
vers Thibault, les cheveux courts. Il s'agit de la compagne de Lisa. Sur la
seconde, un green, Thibault pose, une main sur le club, l'autre sur la
hanche, en jean et en sweet jaune. Lisa aime bien ce double visage de Thibault.
Ces photos montrent bien selon elle où il en est en ce moment, entre la
spontanéité de l'enfance, quand il bondit vers l'appareil (la
première), et le sens de la mise en scène de soi, le captage du
regard, un peu de frime aussi, de l'adolescence (la seconde). Pour elle, il
s'agit du moment où on commence à hésiter à courir
comme un « gamin » vers ses parents, et qu'on reste un peu
sur son quant-à-soi, qu'on maintient une petite distance
personnalisante. A chaque âge sa singularité, conclut-elle.
Les photos sont socialement importantes. Elles servent de
construction d'une mémoire commune, on voit en image le baptême,
l'anniversaire auxquels nous n'avons pas pu assister. Nous pouvons ensuite le
décrire et le raconter comme si nous y étions allé-e-s. De
la même manière, nous avons les images de nos parents,
grands-parents, plus jeunes, avant notre naissance. Ces photos participent donc
grandement à la construction d'une mémoire familiale et nous
intègre dans une histoire commune au-delà de notre vécu
individuel. Elles sont le support, les illustrations de ce que racontent les
membres de notre famille. Comme Annie Ernaux, qui dans Les
années121, part des pages d'un album photo qu'elle
tourne. Elle décrit les photos et raconte, en faisant le lien avec ses
souvenirs, l'époque, le contexte socio-historique.
M'envoyer deux photos de Thibault est pour Lisa important.
Comme on montre la photo de son enfant dans son portefeuille, pour elle, me
montrer ces photos, c'est dire qu'il est son fils. Ne pas être prise en
photo à la maternité, c'est ne pas être reconnue comme
parent. Car dans notre société, l'album de naissance d'un enfant
est composé des photos du nourrisson dans les bras de ses parents. Par
ailleurs, c'est la preuve en image d'une histoire, celle des vacances en
Grande-Bretagne, du temps partagé, du fait qu'elle le voit toujours. La
preuve du lien aussi, car Thibault court vers l'objectif, puis pose, ce qu'elle
traduit par la relation qu'un adolescent entretient avec ses parents. Ce qui
suppose qu'elle est parent.
De plus, à travers la description et
l'interprétation qu'elle fait de la photo, elle montre qu'elle
connaît Thibault, son « évolution », ses aptitudes
développées.
121 ERNAUX Annie (2008), Les années, Paris,
Gallimard, Collection « Folio ».
Quand Lisa choisit de me montrer ces photos en particulier, ce
n'est évidemment pas pour me dire qu'elle est partie en Grande-Bretagne,
ni qu'elle a passé ses dernières vacances avec sa conjointe, ni
qu'elle a fait du golf. L'histoire qu'elle raconte à ce moment-là
est celle de sa relation avec Thibault.
Pour aller plus loin, les photos ont un autre effet sur notre
interprétation. C'est que nous avons tous et toutes le même type
de photos de notre enfance - au sein de notre génération. En
regardant une photo étrangère de quelqu'un-e que nous ne
connaissons pas, nous reconnaissons et projetons une scène que nous
avons vécue. Et nous interprétons la photo à partir de ce
souvenir. J'ai l'exemple en tête d'une photo avec laquelle je m'amuse
souvent. On y voit mon grand-père, un gros bonhomme aux cheveux et
à la moustache grise, des lunettes, penché à table
à la fin d'un repas (il reste la tasse de café, la serviette en
papier chiffonnée, la bouteille d'eau vide) au dessus une petite
règle jaune qu'on discerne mal, avec des trous au milieu pour dessiner
des formes. Il tient un crayon, dessine ces formes et semble concentré.
A sa gauche, penché au dessus de son dessin, un petit garçon de
sept ans, attentif, habillé en bleu et une petite fille, accoudée
à la table, le visage caché par la main, sur laquelle elle repose
sa joue, tournée vers le dessin aussi, habillée toute en rose,
une queue de cheval retenue par un chouchou rose. Toutes mes amies ont eu
l'impression de voir la photo idéale d'un grand-père et de ses
petits-enfants, le grand-père sage, calme, qui raconte des histoires.
En réalité, pour avoir été
présente durant cette scène, il était en train de jurer et
de prononcer toutes les grossièretés possibles en langue
française parce qu'il ne comprenait pas comment marchait ce « truc
» et comme d'habitude, il parlait très fort.
Cette anecdote me permet d'avancer que la
réalité que nous avons l'impression de voir à travers les
photos, n'est en fait qu'une interprétation projetée à
partir de notre propre univers, nos propres souvenirs. Tout comme lorsqu'on
voit une jeune femme avec un bébé dans les bras et qu'on en
déduit qu'elle est sa mère (alors qu'il s'agit de la nourrice).
Ou encore quand nous lisons un livre et que nous avons l'impression d'en avoir
des images précises et qu'au moment de les confronter (avec un-e autre
lecteur/lectrice ou une mise en scène cinématographique), nous
sommes surpris-e-s de constater que nous n'avons pas tou-te-s vu les
mêmes choses - ni retenu les mêmes choses.
Les photos ne représentent donc pas la
réalité mais servent plusieurs histoires, une histoire par
personne qui montre ces photos et une histoire par personne qui les regarde. Le
socle commun à ces histoires est ensuite construit par la parole et des
références communes. « Car que cherche-t-on en se penchant
sur une photographie dite de famille ? A coup sûr un supplément
d'identité, mais aussi le support d'une narration de sa propre histoire,
enfin une
inscription dans une temporalité. »122
Ce n'est pas l'histoire telle qu'elle a été vécue qui
intéresse, mais telle qu'elle est racontée communément par
tout-e-s celles et ceux qui la reconnaissent comme ayant existé.
1.7 Raconter une parentalité sans statut : petite
conclusion...
Quand une personne n'est pas reconnue individuellement comme
parent, indépendamment des relations qui l'entourent, elle est
obligée de passer par un ensemble d'autres relations pour faire valoir
sa parentalité : le couple, la configuration coparentale, la filiation
(l'enfant la reconnaît comme parent). Même Lisa, en rupture avec le
reste de la coparentalité fait valoir la configuration et la
confirmation de sa relation par son fils. Faire reconnaître une relation
implique alors d'en faire reconnaître d'autres qui entourent cette
même relation. Il semble difficile de la faire reconnaître de
manière isolée. C'est le combat de Lisa qui exprime sa
parentalité comme un lien qu'elle a construit seule, car elle ne ressent
pas l'appui des autres adultes. Mais elle ajoute également que tant que
Thibault était trop petit pour la reconnaître comme parent, sa
parentalité était perçue, selon elle, comme un
délire. Une relation ressentie pour soi, si elle n'est pas
partagée, si elle est unilatérale et si elle n'est pas
confirmée par d'autres, n'a alors aucune validité socialement.
Faire reconnaître une parentalité sans statut
à travers les autres relations qui l'entoure, c'est également la
rendre dépendante de ces autres relations. Quand ces dernières
sont rompues, la personne doit alors reformuler son discours et trouver
d'autres relations - ou alors une nouvelle manière de parler des
anciennes - pour faire valoir sa parentalité. Cela peut se traduire par
« ça a commencé par... » une histoire de couple, une
configuration particulière... Dans ce cas, même si celles-ci sont
rompues, leur existence ancienne permet de construire son récit qui
valorise la parentalité sans statut comme une relation fondée sur
une histoire partagée - et donc comme une relation valide.
2 Les témoins de la parentalité
Quand l'Etat ne reconnaît pas une forme de
parentalité, les personnes impliquées ont besoin de
témoins pour la prouver, la faire entendre comme étant une
parentalité. Les
122 MUXEL Anne, op.cit p.169.
chercheurs/ses, les enquêteurs/trices, les
étudiant-e-s comme moi font partie de ces témoins. Mais dans leur
récit, d'autres sont mobilisés. D'une part, les structures,
éléments officiels, parfois institutionnels qui d'une
manière ou d'une autre, sont mobilisées dans le discours et
parfois aussi dans les pratiques. D'autre part, l'entourage quotidien qui -
s'il est moins reconnu comme « objectif » - a pour lui le fait
d'être le témoin de la sphère privée, de
l'ordinaire, du quotidien.
2.1 Les institutions, structures, contrats comme
témoins « officiels » de la parentalité
Le Pacte Civil de Solidarité
Lisa et Véronique ont contracté un Pacte Civil
de Solidarité. Dans ce dernier, elles ont pu - comme cela est possible -
ajouter les mentions qu'elles souhaitent, notamment celles qui concernent leur
coparentalité123 :
"Article V : Quant aux enfants issu-es de cette
co-parentalité, la conclusion du PaCS devra être un
élément d'appréciation en faveur d'un éventuel
droit de visite et/ou de garde de la partenaire n'ayant pas l'autorité
parentale
Article VI : En cas de décès de l'une des
partenaires, des dispositions plus précises sont notifiées par
testament concernant les biens et la responsabilité co-parentale"
Cependant, au moment de leur séparation, Lisa ne sait
pas si son lien avec Thibault sera reconnu. Elle ne voit pas le PaCS et son
libellé mentionnant la coparentalité comme une vraie protection
et aurait-elle fait appel à un juge pour trancher ? En effet, celui-ci
n'assure aucun droit à la partenaire qui n'est pas reconnue comme
parent, et ne crée pas de filiation commune entre les conjointes. Il
s'agit seulement d'un élément d'appréciation pour le
juge.
Comme il suffit de signifier unilatéralement la rupture
du PaCS au Tribunal d'Instance qui l'a enregistré initialement, et que
de toute façon c'est un contrat privé, elle se retrouve un peu
toute seule. Non seulement il n'y a pas de statut et donc ce ne sont que des
« éléments
123 Extrait du PaCS conclu entre Lisa et sa conjointe.
d'appréciation » pour le juge, mais encore faut-il
aller voir un juge... C'est une démarche que Lisa n'a pas osé
faire, voire peut-être pas pensé faire... Car pour elle,
judiciariser, c'est sans doute déjà déclarer un peu la
guerre. Et ce qu'elle aurait obtenu à l'époque - ou pas - aurait
radicalement changé la nature des relations avec son ex-conjointe. Et
peut-être aurait-ce été invivable, elle ne le sait pas.
Faire inscrire l'existence de la coparentalité sur le
PaCS permet de simuler une reconnaissance officielle par l'institution que
représente le Tribunal d'Instance. En France où la tradition
écrite est très importante, où tout passe par les
documents papiers, parler de sa configuration décrite dans un contrat -
même privé - sert d'argument à la reconnaissance.
Par ailleurs, ni le PaCS ni le couple ne sont des
institutions, mais néanmoins, parler de la coparentalité dans le
PaCS, fait écho à la légitimation des enfants dans le
mariage qui existait encore jusqu'en juillet 2005124.
Etat Civil et
maternité
Toujours dans la même tradition écrite, Vanessa,
dans son projet de naissance, précise que Karine - en tant que personne
ayant participé à l'accouchement - sera celle qui
déclarera l'enfant à la mairie afin que son nom figure sur l'acte
de naissance en tant que déclarante125. Mais l'enfant ne
pourra être reconnu que par Vanessa et Maël. Vanessa raconte que les
sages-femmes étaient à la fois surprises et épatées
par la démarche. Elle mobilise alors deux arguments institutionnels :
l'Etat Civil (par la déclaration) et la maternité (par le projet
de naissance et en racontant la réaction des sages femmes). Ces deux
institutions ont un point en commun : elles sont spécialisées
dans les naissances et peuvent témoigner de qui est parent. L'Etat Civil
officiellement, car c'est son rôle d'attester de la filiation de chaque
individu-e sur l'acte de naissance. La maternité officieusement, par sa
proximité avec les parents au moment de la naissance. L'Etat Civil ne
reconnaîtra pas Karine comme parent. Néanmoins, Vanessa peut
mobiliser - et elle mobilise - le document officiel rédigé par
les services publiques et qui témoigne de la participation de Karine
à l'accouchement et donc à la naissance d'Antoine. En cela,
l'Etat Civil la reconnaît officiellement comme ayant eu un rôle
dans la naissance de l'enfant.
Caisse d'Allocations Familiales
124 Ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet
2005 portant sur la réforme de la filiation.
125 Article 57 du Code Civil.
Une fois Karine inscrite sur l'acte de naissance, c'est la CAF
que Vanessa mobilisera dans son discours pour faire valoir la
parentalité de Karine. Aux yeux de la CAF, Karine serait chef de
famille. Cela signifie qu'elle est responsable du dossier, qu'elle touche les
aides comme ayant l'enfant à sa charge (la CAF ne demande pas d'avoir de
lien de parenté) et par conséquent qu'elle participe à
l'entretien et l'éducation de l'enfant.
Vous assurez financièrement l'entretien et assumez la
responsabilité affective et éducative d'un enfant que vous ayez
ou non un lien de parenté avec lui, cet enfant est reconnu à
votre charge pour le versement des prestations jusqu'au mois
précédant :
- ses 20 ans
- ses 21 ans pour le complément familial et les aides au
logement.
En cas de séparation ou de divorce, n'est pas
considéré à charge au sens des prestations familiales
l'enfant pour qui vous versez une pension alimentaire.
Extrait du site de la CAF
Utiliser le terme de « chef de famille » fait aussi
écho à la place longtemps occupée par les pères
jusqu'en 1970. Comme l'Etat Civil, la CAF ne reconnaît pas Karine comme
parent, néanmoins, elle reconnaît des actes traduits socialement
comme étant parentaux (il ne suffit d'ailleurs pas de verser une pension
alimentaire pour que l'enfant soit reconnu à charge mais bien qu'il y
ait une vie quotidienne partagée, une cohabitation et un investissement
éducatif déclaré).
Les lieux d'accueil de l'enfance, l'espace
public
Quand elle et Véronique vivaient ensemble et toujours
maintenant, Lisa emmenait Thibault à la crèche, l'accompagnait
chez le médecin, lisait des livres à la bibliothèque,
toute-s deux se baladaient. Elle a rarement eu l'occasion de l'emmener à
ses activités extrascolaires, mais tout de même quelques fois
quand il allait au judo. Elle ne croit pas avoir eu l'occasion de l'emmener
à l'école, mais elle a eu chaque semaine l'occasion de le
reprendre à la sortie. Lisa adorait littéralement et elle adore
toujours aller à la sortie de l'école : l'attente
dans le lot des parents (qui parfois, comme le précise
Lisa, ne sont certainement que des nourrices ou baby-sitters), la sortie des
enfants, la joie de Thibault à courir vers elle et la retrouver, voir
les copains de Thibaut, les relations qu'ils nouent entre eux, leur type de
langage etc. Pour elle, c'est un moment social, d'abord, et tellement intime
comme des retrouvailles. Ensuite, elle et Thibault discutent de ce que tou-te-s
deux vont faire de leur temps, où se balader par exemple.
Les espaces publics - et a fortiori les lieux
d'accueil des enfants comme les crèches, garderies, écoles - sont
des lieux au sein desquels on peut rendre public sa parentalité. Si,
comme le précise Lisa, les adultes qui attendent les enfants peuvent
être des professionnel-les ; aux yeux des personnes qui les entourent qui
ne les identifient pas, ce sont des parents. Par ailleurs, derrière une
porte de classe de petite section, j'ai déjà entendu
l'enseignante dire aux enfants : « C'est l'heure des mamans !
» Parmi les « mamans » : des hommes, des pères, des
baby-sitters etc. Aller chercher l'enfant à l'école, à la
crèche, à ses activités sportives et culturelles, c'est
faire preuve de son investissement auprès de l'enfant, un investissement
traduit par la société comme étant parental. C'est aussi
avoir l'école, la crèche, les lieux d'activités comme
témoins. Le personnel nous reconnait comme étant
impliqué-e-s dans la vie de l'enfant. Par ailleurs, lorsque la justice
demande à une personne de prouver son investissement parental, on lui
demande des lettres de structures comme celle-ci - ou tout autre lieu d'accueil
- attestant qu'elle est venue chercher ou accompagner
régulièrement l'enfant126.
C'est aussi un moment particulier avec l'enfant, que l'on peut
faire valoir. Un moment où l'enfant raconte sa journée. Une
transition entre l'école, la crèche, les activités et le
retour chez soi. Après, il y a les devoirs, le diner, les jeux, le
coucher. Les échanges sont différents.
Les structures et les institutions servent souvent de
témoins à la parentalité. D'autant plus lorsqu'elles
concernent directement l'enfance et qu'un parent est censé les
rencontrer dans son parcours de parent. Vanessa mobilise la maternité,
l'Etat civil et la CAF afin de faire reconnaître Karine. Martine et Eva
mobilisent l'Université et la recherche scientifique à travers
leurs références et mon intermédiaire. Lisa mobilise
l'école et le PaCS. Témoins dits « officiels » voire
« institutionnels » et supposés objectifs quant aux
définitions concernant les familles, les parents, l'éducation.
Ces stratégies visent à compenser partiellement l'absence de
126 C'est ce que j'ai observé dans le cadre de mes
activités militantes, quand un homme de nationalité
étrangère, en instance de divorce et père d'un enfant
français, était menacé d'expulsion.
statut. Partiellement, car elles ne garantissent aucun droit
aux parents sans statut. Elles peuvent éventuellement permettre une
reconnaissance sociale.
Ces différentes actions (PaCS, CAF, Etat-civil, projet
de naissance) sont des actions politiques visant à faire de ces
témoins « officiels », des témoins politiques de ces
formes de parentalité.
2.2 L'entourage comme témoin quotidien de la
parentalité
La famille élargie
Pour Lisa, les parents de Véronique n'en ont que pour
Christian, seul coparent à leurs yeux. La mère de Lisa ne se
sentirait pas concernée. Dans la famille d'Eva, Martine trouve que c'est
plus compliqué que dans la sienne. La mère de Martine aurait
accueilli Esteban avec autant d'amour selon elle, que s'il était
né dans une famille hétéroparentale, que si Martine
était mariée à un homme.
Eva aurait vécu une épreuve difficile lors de
l'annonce de son homosexualité à 21 ans. Elle aurait
été rejetée, niée dans sa vie, ses désirs,
l'objet de manipulation et de railleries. Par la suite, le fait que Martine
porte un enfant - même si c'était leur projet à toutes les
deux - a donné lieu à la fois à de l'indifférence
pour ses parents et à de la condamnation pour son frère et ses
cousins. Le fait d'avoir un enfant représentait pour elle le scellement
de leur union, il serait devenu clair qu'elles avaient un projet de vie
à moyen terme. Elle pense que l'indifférence de ses parents
était une manière de nier son couple. L'arrivée d'Esteban
aurait ensuite très rapidement détendu les relations avec ses
parents. Sa mère aurait fondu devant le nourrisson, son père
aurait suivi. Ce serait aujourd'hui beaucoup par Esteban que leur relation
s'exprimerait mais à aucun moment, ses parents ne la
reconnaîtraient comme ayant un enfant. Ils penseraient tout au plus
qu'elle s'est mise une responsabilité sur le dos. Son frère quant
à lui, à ce jour serait très distant et
désapprouverait, selon elle, « qu'elle ne satisfasse pas tous
les désirs de ses parents ».
Les familles élargies d'Eva et de Lisa - et
principalement leurs parents - auraient pu jouer le rôle de
témoins de la parentalité, en reconnaissant l'enfant comme
appartenant à leurs familles. Cela se traduit par la définition
de soi comme grand-parent, et la définition de l'enfant comme
petit-fils. Ces définitions reviennent à inscrire symboliquement
l'enfant dans sa propre lignée et ainsi, confirmer l'identité de
parent d'Eva et de Lisa.
Elles ne peuvent pas ici faire valoir ce mode de
reconnaissance mais l'évocation même de ce qui me semble
être une déception, montre que certaines attentes existaient,
qu'elles n'ont pas trouvé réponse, et que cette reconnaissance de
la part de la famille est un élément important pour elles.
Par ailleurs si Lisa m'a parlée d'elle-même de sa
mère qui ne se sentait pas concernée, Eva et Martine ne m'ont
parlé au départ que d'une situation plus compliquée avec
la famille d'Eva. C'est parce que je lui ai demandé si elle pouvait m'en
dire plus, si cela n'était pas trop personnel qu'Eva a
précisé. Ce qui me fait penser que ce manque de reconnaissance
n'est que relativement dicible pour se faire valoir comme parent auprès
de moi, de ce que je représente. Si Lisa pouvait parler plus facilement
des personnes qui ne la reconnaissaient pas comme parent, c'est - je pense -
dû à notre mode de rencontre127 et à ses propres
études en sciences humaines et sociales. Elle connaît ma
démarche et pas seulement en tant qu'enquêtée, l'ayant
elle-même pratiquée en tant que chercheuse. Eva et Martine savent
moins ce que je vais faire de leur discours, la prudence est donc certainement
plus présente.
Les parents statutaires
Lisa n'est pas sûre que Véronique et Christian la
voient comme un coparent à part entière car cette
coparentalité est restée fortement axée sur le couple de
géniteur et génitrice. Elle croit que même Axel, si
présent auprès de Thibault, plus concrètement
présent que Christian qui serait accaparé par sa vie
professionnelle, n'est pas vraiment considéré comme père
ou parent et elle ne sait pas comment il le vit. Quant à elle, en 2001,
Christian ne voulait plus la croiser et Véronique la tolérait
comme « marraine » de Thibault. Si au début,
c'était une garantie qu'elle existait toujours, elle aurait tout fait
pour rester « parent » à part entière.
Quant au fait qu'elle se soit « affirmée comme
parent », cela aurait été une réponse au
sentiment qu'elle avait que ses coparents auraient bien tiré un trait
sur sa parentalité, notamment par cette nouvelle appellation de «
marraine », et il aurait donc fallu qu'elle s'impose. Elle serait
devenue « floue », précise-t-elle en faisant
référence à la chanson d'Anne Sylvestre qui dit ça
: « floue, je te vois floue » pour une histoire d'amour qui
s'est évaporée. Elle croit qu'elle n'aurait rien eu, aucun droit
si elle ne l'avait pas demandé car Thibault était trop petit pour
faire valoir cette sorte de besoin.
127 Nous nous sommes rencontrées sur une liste de
diffusion pour doctorant-e-s, étudiant-e-s, jeunes chercheur-es en
question de genre et études féministes.
Dans les récits de Martine et de Vanessa, il
apparaît clairement qu'elles ont un rôle important dans la
confirmation de leurs amies comme parents. Pour Martine, Eva a la place qu'elle
prend, qu'elle veut prendre mais Martine est la mère d'Esteban.
Qu'Esteban se réfère aux autres adultes, c'est parfait pour elle,
elle ne lui met pas de limites à ce niveau-là. C'est avant tout
avec Eva qu'elle fait des enfants. Vanessa dit qu'elle s'est battue pour que
Karine ait sa place de parent tout comme elle aurait aimé que Karine
fasse de même si elle avait été la mère
statutaire.
Les parents statutaires - et a fortiori la mère
à qui est conféré le savoir de ce qui est le mieux pour
son enfant - sont les premiers à être reconnus comme
légitimes à définir l'entourage de leur enfant. Par
ailleurs, Vanessa l'exprime comme un devoir lorsqu'elle dit qu'elle a du dire
« stop » à ce qu'elle juge être un manque de
responsabilité de la part de Karine, « stop » qui s'est
traduit par une rupture de contact. Ce sont les parents statutaires qui
décident de chez qui l'enfant peut se trouver, des lieux où il
peut être - à travers la notion de responsabilité. Si
l'enfant est chez un adulte sans l'autorisation des parents, cet adulte en
France, peut être accusé d'enlèvement. Donc l'absence de
statut n'implique pas seulement que la relation soit négociée
dans le privé, elle nécessite qu'elle soit négociée
avec les parents statutaires qui ont des droits.
Le choix des parrains et des
marraines
Du côté de Vanessa et Karine, Antoine aura deux
marraines et un parrain : une grande amie à Vanessa, la soeur de Karine
et le frère de Maël. Là encore, et dans la même
logique que la mobilisation des différentes structures de l'enfance, il
s'agit d'une stratégie qui permet de créer un lien plus «
officiel », reconnu à travers les parrains et marraines. Que la
soeur de Karine soit la marraine d'Antoine crée un lien entre la famille
de Karine et son enfant. De plus, le fait que la soeur de Karine accepte
d'être la marraine d'Antoine peut démontrer qu'elle
reconnaît Karine comme étant parent d'Antoine. Et le fait que les
parents statutaires, qui ont le pouvoir de décisions, acceptent que la
soeur de Karine soit la marraine d'Antoine, démontre également
qu'il la considère comme parent.
L'entourage quotidien qu'il soit la famille élargie,
les parents statutaires, ou les parrains et marraines peut témoigner de
l'exercice de l'activité parentale. Par l'accès ou leur
appartenance à la sphère privée des parents sans statut.
Si la reconnaissance ne parait pas « institutionnelle » de la
même manière que parait celle de l'école, l'Etat civil ou
le PaCS, elle
touche néanmoins à la vie de tous les jours, aux
pratiques de tous les jours, à la vie ordinaire des familles.
L'école, le PaCS, l'Etat Civil permettent de faire reconnaître les
parents tels qu'ils et elles sont dans la sphère publique tandis que
l'entourage quotidien permet de faire reconnaître leurs pratiques
privées, dans la sphère publique. C'est aussi ce que les
personnes rencontrées attendent généralement des
sociologues (ou tout autre chercheur/se rencontré-e). Notre accès
à leur espace privé dans une situation particulière (celle
de l'enquête) permet de faire passer leur expérience dans l'espace
publique.
Cela ne signifie pas que les parents sont toujours ce qu'ils
et elles sont de manière égale que ce soit en présence des
familles élargies, de la sociologue ou exclusivement du couple. La mise
en scène de soi est bien évidemment
différente128. Néanmoins, en mobilisant ces personnes
pour se faire reconnaître, c'est bien leur espace privé qu'ils et
elles cherchent à faire reconnaître - et à rendre public
par le biais de la sociologue.
2.3 L'enfant comme confirmant la parentalité
Pour Lisa, la question qui se poserait tout de même, en
particulier quand l'enfant est petit, ce serait d'avoir les idées assez
claires et assez de confiance en soi pour qu'une telle parentalité ne
soit pas vécue tout simplement comme un délire. Car dans sa
situation, elle était seule à produire des signes de sa
parentalité. Quand l'enfant grandit, la relation deviendrait «
réciproque », la parentalité prendrait alors appui sur le
regard de l'enfant et cesserait de paraître à ce point
délirante.
La question de la « réciprocité » est
récurrente dès lors qu'on étudie les relations
privées. Le couple, la parentalité, l'amitié etc. Une
relation n'est socialement valide que si elle est reconnue par tous ses
protagonistes. Pour autant, que faire des enfants adoptés qui
recherchent leur géniteur ou leur génitrice, appelé-e-s
parfois dans le sens commun « mère biologique » ou
« père biologique » ? Que faire du débat sur
l'accouchement sous X, dans lequel on déclare que l'enfant crée
le lien avec sa génitrice, dès la grossesse, alors que cette
dernière aurait le droit de ne pas être mère ? Que faire
également du débat sur l'IAD, avec donneur anonyme, dans lequel
le donneur ne se définit pas comme père, mais que quelques
enfants issus de l'IAD aimeraient connaître ? Enfin que faire de ces
phrases entendues : « je ne suis pas son père, mais elle est ma
fille » ?
128 GOFFMAN Erving (1973), La mise en scène de la vie
quotidienne : la présentation de soi, Paris, Les Editions de
Minuit.
Si l'on en croit le dictionnaire129, une relation
réciproque « marque un échange équivalent entre deux
personnes, deux groupes, deux choses ». « Réciproque » se
dit également de « deux propositions dont l'une implique
nécessairement l'autre » comme en mathématique. Socialement,
parler de relation réciproque demande à savoir ce qu'il y a dans
la tête de l'un-e et l'autre. Ce qui est impossible. Deux personnes qui
se disent toutes deux amoureuses l'une de l'autre ne donneront pas le
même sens, ni la même définition au mot « amoureux
». Ou bien cette commune définition sera construite dans le couple
- afin de devenir commune. Mais elle ne l'est pas d'emblée et il est
impossible de vérifier. Les représentations, les
définitions dépendent du parcours individuels et des univers mis
à disposition de l'individu-e. Chaque individu-e donne du sens à
ce qui l'entoure et à ce qu'il/elle vit, mais ce sens reste singulier.
On ne peut pas mesurer l'équivalence de deux sentiments, de deux
définitions d'une relation. A partir de quand les perceptions de la
relation sont-elles suffisamment différentes pour ne plus la dire «
réciproque » ?
Entre deux personnes, il y aurait donc bien deux relations.
L'avantage pour la parentalité, c'est qu'en français, nous
possédons les deux mots pour dire ces relations : parentalité (du
point de vue des parents) et filiation (du point de vue de l'enfant).
Anne Cadoret définit la filiation de deux
manières, selon qu'on se situe dans la cadre de la parenté ou de
la parentalité. Du point de vue de la parenté, la filiation
serait l'inscription de l'enfant dans une lignée. Elle aurait donc un
aspect historique, institutionnel et figé, et serait définie
selon un code de relation systémique, « une grille relationnelle
»130. C'est ce code qui définirait la position de
l'individu-e dans sa famille. En France, le système de parenté
étant bilatéral et exclusif131, on cherche à
identifier l'unique mère et l'unique père au sein des relations
existantes d'un individu.
Certaines recherches ethnologiques ont montré que cette
représentation de la filiation était une construction sociale, et
qu'il existait d'autres modèles dans des sociétés
différentes132. L'adoption, utilisée par les adultes
dans les sociétés occidentales, comme un moyen par défaut
d'avoir des enfants, est une pratique courante dans certaines
sociétés
129 Dictionnaire Encyclopédique Larousse 1998.
130 CADORET Anne (2006), « De la parenté à la
parentalité », in Cadoret Anne, Gross Martine, Mécary
Caroline, Perreau Bruno (dir), Homoparentalités : approches
scientifiques et politiques, Paris, PUF, p.31.
131 La famille en France s'est construite sur un
système de parenté bilinéaire, c'est-à-dire que
nous pouvons hériter de deux parents et de nos quatre grands-parents.
Les représentations du sens commun ont alors fait coïncider parents
et géniteurs/génitrices dans un contexte
hétéronormé et exclusif (un seul père, une seule
mère). SEGALEN Martine (2008), Sociologie de la famille
(6ème édition révisée), Paris, Armand
Colin.
132 FINE Agnès (2001), « Pluriparentalité
et système de filiation dans les sociétés occidentales
», in Le Gall Didier, Bettahar Yamina (dir), La
pluriparentalité, Paris, Presses Universitaires de France,
collection « Sociologie d'aujourd'hui », p. ??
comme celle des Sulka de Nouvelle Bretagne133. Sont
alors reconnu-e-s comme parent à la fois celui et celle qui l'ont fait
naître et celui et celle qui l'ont adopté. Suzanne Lallemand parle
dans ce cas d'adoption inclusive, et d'adoption exclusive lorsque le
géniteur et la génitrice sont exclu-e-s, comme c'est
majoritairement le cas en Europe et en Amérique du nord134
Dans le cadre de la parentalité, Anne Cadoret
définit la filiation comme la pratique nourricière et
éducative dans la petite enfance, lorsque l'enfant est
présent135. Si on reprend les propos d'Eric Fassin sur le
rôle des sciences sociales et la définition de la famille, la
parentalité - comme la filiation - ne doit pas être définie
de manière aussi précise par les sociologues136. C'est
l'individu-e qui construit la relation de parentalité et/ou de filiation
au quotidien, qui la définit ou non selon ce qu'il en
perçoit137.
L'enquête d'Eva Lelièvre, Géraldine Vivier
et Christine Tichit138 sur la parenté instituée et la
parenté choisie, montre que, du point de vue de l'enfant, la filiation
ne se définit pas forcément uniquement par le statut juridique du
parent. En effet, de nombreuses figures parentales sont ainsi définies
par les enfants eux-mêmes, sans que celles-ci n'aient été
géniteurs, génitrices ou parent-e-s adopti-f-ve-s.
Ces exemples montrent bien que la parentalité et la
filiation ne s'impliquent pas mutuellement. En revanche, quand on est parent
sans statut, faire valoir que l'enfant nous considère comme parent
permet de faire valoir sa relation comme confirmée par tou-te-s ses
protagonistes.
S'approprier le mythe des origines
Lisa ressent profondément qu'elle a un statut
sentimental particulier : elle serait au plus proche des « origines »
de Thibault sans être prise dans le quotidien. Thibault adorerait lui
poser des questions sur sa naissance, ou sur les petites aventures ou
mésaventures de quand il était tout petit. Quand il
s'était cogné à la douche, quand il s'était
brûlé la main dans sa soupe,
133 JEUDY-BALLINI Monique (1998), « Naître par le
sang, renaître par la nourriture », in Fine Agnès (dir),
Adoptions : Ethnologie des parentés choisies, Paris, Editions
des sciences de l'homme.
134 LALLEMAND Suzanne (1988), « Un bien qui circule beaucoup
», in Abandon et adoption - liens du sang, liens d'amour,
Autrement, n°96, p.135-141.
135 CADORET Anne (2006), op cit.
136 FASSIN Eric (2000), « Usage de la science et science des
usages : à propos des familles homoparentales », L'Homme,
n°154-155, p.391-408.
137 SINGLY François de (2007), Le lien familial en
crise, Paris, Editions Rue d'ULM.
138 LELIEVRE Eva, VIVIER Géraldine, TICHIT Christine
(2008), « Parenté instituée et parenté choisie. Une
vision rétrospective des figures parentales en France de 1930 à
1965 », Population, n°63, p.237-266.
il en reste de petites traces sur son corps. Elle croit qu'il
aime entendre et réentendre le désir de le voir naître.
Elle pense qu'elle est moins dans la réalité et que donc elle
aurait un rapport au mythe de « l'origine ».
Ce passage du récit de Lisa n'est pas sans
évoquer les situations d'adoption différenciant parents adoptifs
et parents ayant connu l'enfant tout petit. Ce que Lisa met en avant, c'est
l'histoire, la relation vécue et l'intérêt que Thibault y
porterait comme étant sa propre histoire. En faisant valoir cet
intérêt, elle fait valoir l'importance que Thibault lui
accorderait, et qu'il accorderait à la relation. Elle se compare aux
parents capables de raconter la naissance quand les parents adoptifs ne le
peuvent pas, ces mêmes parents appelés parfois « vrais
parents », qui font partie de « l'origine »139 dont
il ne faut pas priver l'enfant.
Des échanges
privilégiés
Lisa et Thibault discuteraient de choses qu'elle juge
importantes qu'il n'aborderait peutêtre pas aussi aisément avec
ses autres parents. Les rapports sociaux à l'école, au
collège maintenant, ou encore à la sexualité. Par
ailleurs, comme elle ne l'a que de rares weekends (un tous les deux mois), ce
serait vraiment festif et quand Thibault, Lisa et sa compagne le peuvent,
tou-te-s trois choisiraient de prendre le ferry pour l'Angleterre et
visiteraient une merveille.
Comme pour le mythe des « origines », Lisa
présente ses échanges avec Thibault comme la différenciant
des autres parents. Elle se décrit alors un rôle singulier, une
place « complémentaire ». Thibault serait plus à l'aise
avec elle sur certains sujets, et la reconnaîtrait comme quelqu'un de
confiance pour les aborder.
Dire et faire
Pour Lisa, se faire reconnaître comme parent s'est
traduit principalement de deux façons, l'une concrète : un rythme
exigé de rencontres ou visites hebdomadaires et l'autre plus symbolique
: en s'autodésignant comme parent. Auprès de Thibault, elle
explique que ça a été d'ailleurs plutôt comme «
mère », pour ne pas ajouter à l'anormalité.
Il était selon elle plus aisé de lui faire intégrer qu'il
était né de deux couples homosexuels, et donc de deux
mères et deux pères. Mais elle ne l'aurait pas fait
immédiatement car la culpabilité l'en empêchait au
139 Loetitia Belmonte rappelle que « la question des
origines recouvre le fait, pour un enfant adopté, de savoir qui sont ses
géniteurs » BELMONTE Loetitia(2000), « La question des
origines », Droit et société, n°29,
p.137-146.
tout début et dans un divorce, la «
mère » a toujours la garde, ne serait-ce que partielle. Il
lui aurait été insupportable d'être « mère
abandonnante », voire « mère sans enfant ».
Cela rejoindrait d'ailleurs peut-être une des raisons de se dire «
parent » plutôt que « mère ».
Pour moins souffrir du poids de la représentation de la «
mauvaise mère ».
Comme elle n'était pas forcément très
bien au début de la séparation, elle se serait elle-même
tenue à ces deux exigences (rythme et autodésignation). Et elle
pense qu'elle a eu raison car quand son désespoir s'en est allé,
elle n'avait pas cessé de construire la relation.
On sent alors dans le récit de Lisa l'importance que
prend l'enfant dans la reconnaissance de la relation. S'il ne la désigne
pas comme parent alors même qu'il est en âge de l'exprimer, elle ne
peut plus se faire reconnaître comme tel. L'enjeu est donc important.
Mais on voit également qu'elle doit négocier avec ce qui est
socialement recevable. Entre « mère » pour respecter
la construction sexuée de la parentalité (elle est femme et elle
est parent donc elle est mère) et « parent » (parce
qu'elle n'avait pas la garde de Thibault et qu'une mère n'est pas
reconnue comme une « bonne » mère si elle ne vit pas
quotidiennement avec ses enfants). C'est ce que rappelle John Langshaw Austin
« Il doit exister une procédure, reconnue par la convention,
dotée par convention d'un certain effet, et comprenant
l'énoncé de certains mots par certaines personnes dans certaines
circonstances. »140 C'est-à-dire que les mots qui
conviennent dans un certain contexte face à un certain type
d'interlocuteur/trice, ne conviendront pas dans un autre contexte avec d'autres
personnes.
2.4 Milieu social et regard sociétal
La question homosexuelle et homoparentale dans un
milieu intellectuel
Lisa explique qu'il est remarquable qu'à la
crèche comme à l'école, cela n'a pas posé le
moindre problème qu'elle soit une coparente. Lisa croit qu'ils/elles
sont habitué-e-s à des anomalies plus graves, comme des parents
maltraitants, des parents dépendants de substances, des parents qui
oublient d'aller rechercher les enfants. Au moins là, ils/elles
pouvaient compter sur un petit lot d'adultes tout à fait
identifiés.
De la même manière, Martine explique qu'elle et
Eva n'ont jamais eu de problème avec le regard des autres parce qu'elles
vivent à Paris, qu'Esteban va à la crèche dans le
quartier
140 AUSTIN John Langshaw (1970), Quand dire, c'est
faire, Paris, Editions du Seuil, p.49 (1ère
édition 1962, How to do things with words)
« homosexuel », qu'il est à l'école
dans ce même quartier. A l'école et à la crèche,
c'est la seule famille homoparentale selon Martine et il y a assez peu
d'enfants dans ce quartier. Mais elle considère tout de même ce
lieu comme un lieu privilégié pour l'ouverture d'esprit.
Cependant, même ailleurs, elles auraient toujours été la
première famille homoparentale à entrer dans les institutions.
Pour Esteban, ce serait « génial » d'avoir deux
mamans, deux papas, ce serait facile. Ses amis lui demanderaient pourquoi eux,
ils n'ont qu'une seule maman, pourquoi ils n'ont qu'un seul papa et pas deux
comme Esteban. Pour Esteban, tout ça serait évident. Il aurait la
conscience d'un nombre de configurations familiales très diverses. Il y
a ceux qui n'ont pas de papa, ceux qui n'ont pas de maman, ceux qui ont deux
mamans, deux papas et puis tous les autres. Martine pense que tout est parfait
à partir du moment où on est heureux. Pour elle, c'est ce qui
compte.
Dans le même temps, Esteban aurait conscience de la
marginalité de la configuration. Elles lui auraient toujours dit, avant
même la naissance qu'il allait naître dans une famille
particulière. Elle préfère d'ailleurs les mots de
particulière et d'atypique à marginale car elle ne se sent pas
marginalisée pour le moment même quand les gens n'ont jamais
rencontré ce type de configuration. Souvent, les personnes auraient un
petit moment de surprise puis tous et toutes trouveraient cela «
génial ». Pour Martine, n'importe qui ayant eu
l'expérience d'être parent peut savoir qu'une « maman de
rechange, ce n'est pas plus mal, parce que quand l'une est fatiguée, il
y en a une autre ».
Eva pense qu'elle n'a jamais été
confrontée à des résistances du point de vue de la
société, excepté de la part de sa famille à elle.
Elles n'auraient jamais eu, dans la vie de tous les jours, dans leur immeuble,
à l'école, à la crèche, à la mairie de
résistance. Même dans leur vie de couple, elles n'ont jamais
été confrontées à l'homophobie. Elles vivraient
donc les choses très facilement de ce point de vue là. Ce qui
n'empêcherait pas les gens d'avoir leurs propres opinions, leurs propres
questionnements. Mais elles n'auraient jamais vécu
d'hostilité.
Le milieu social n'est pas sans impact sur le sentiment
qu'elles ont de ne pas être marginalisées. Tout comme il est plus
facile de se dire homosexuel dans un milieu artistique que dans un milieu
militaire, il est plus facile de parler de sa famille atypique quand on est
d'un milieu aisé, intellectuel, artistique qu'on possède les
mots, les discours socialement reconnus, les références pour en
parler (la littérature psychologique et/ou sociologique par exemple).
Martine fait beaucoup référence aux psychologues notamment
à Winnicott, reconnu pour sa psychologie de l'enfant. Elle prouve par
là qu'elle est renseignée tout comme Vanessa expliquait qu'elle
avait rencontré et lu des psychologues. Elles ont des arguments
d'autorité que ne possèderait peut-être pas quelqu'un d'un
milieu moins intellectuel (sauf
autodidactie). Il est aussi plus facile d'en parler quand les
moyens économiques permettent d'assurer la vie matérielle de la
famille. Martine emploie la majorité du temps de l'entretien à
démontrer que tout va bien, qu'ils et elles sont heureuses. En effet,
parler avant tout des problèmes et des doutes reviendrait à faire
peser les soupçons sur soi, sur ses choix. En cas de séparation,
si la mère statutaire peut assurer la vie économique de l'enfant,
sa configuration sera moins remise en cause que si elle rencontre des
problèmes financiers du fait d'être passée à un seul
salaire et de ne pouvoir réclamer de pension alimentaire à une
femme sans aucun statut reconnu pour l'enfant. Rencontrer des problèmes
ordinaires devient un argument à la stigmatisation quand on a choisi une
manière de faire ou de vivre atypique voire à la marge.
Etre lesbienne, parent non statutaire et
féministe : tension entre miitantisme et famile
Lisa emploie le mot « parent » à dessein. Il
lui arrive d'employer aussi le mot de « mère » en
société, pour ne pas aller systématiquement contre les
représentations sexuées de la parentalité et surtout de la
parenté. Mais « parent » raisonne plus justement pour Lisa.
D'abord, elle se sent lesbienne plus que femme et donc elle
préfère ce mot plus neutre de « parent ». Elle ne lui
associe pas le contenu particulier et injonctif de la «
mère », accomplissement ultime de la «
féminité ». Lisa peut donc être mère à
sa façon, indiscutablement parent. Ensuite, elle n'a pas accouché
de Thibault et elle pense qu'il est plus difficile d'imaginer une seconde
mère que deux pères. Les expériences de maternité,
sont selon elle, radicalement différentes entre l'accouchante et «
l'autre mère » et auraient été d'ailleurs
perçues comme radicalement différentes par l'entourage qui aurait
plus qu'investit le lien dit « biologique » entre la
mère et l'enfant. Enfin, en ne différenciant pas les hommes et
les femmes à travers les mots de père et de mère, on
rétablit selon elle, le lien parent-enfant indépendamment de la
représentation du couple hétérosexuel. Elle pense que ce
serait un progrès si on désinstitutionnalisait les couples
(abolition du mariage, « privatisation » de la conjugalité, au
sens d'un lien privé). Inversement, elle pense que le lien parent/enfant
regarde l'Etat, il mériterait selon elle d'être ouvert à
l'institutionnalisation. Ce qui permettrait la reconnaissance de la
coparentalité et de toutes les autres formes de parentalité et de
parenté. Ce qui permettrait aussi de sortir de tous les interdits et de
toutes les prescriptions qui pèseraient sur la vie des transexuel-le-s
par exemple. Car ils et elles devraient parfois choisir entre changer de sexe
et être parent. Il deviendrait de droit, inutile de réassigner les
intersexué-e-s à un sexe et un seul. La réflexion
intellectuelle que mène Lisa se transforme en action politique par des
propositions de changement. Elle peut alors associer militantisme et
parentalité, quand bien même ces deux domaines
semblaient entrer en tension quand le premier relevait de l'ordre du
féminisme. Elle est alors non seulement parent dans l'espace
privé mais aussi dans l'espace publique et politique. Se faire
reconnaître comme parent devient de fait, un enjeu politique.
Cependant, pour elle, faire des enfants est bien
délirant si on y réfléchit. D'un point de vue
psychologique, ce serait se lancer de façon inconditionnelle dans un
lien qui au départ n'est pas tout à fait une relation. Avant et
avec l'infant, celui qui ne parle pas, la relation serait d'abord surtout
projetée et donc imaginaire. Ce qui nous amène à repenser
au fait qu'il y a en fait deux relations : la parentalité et la
filiation. Dans la première, on peut investir le rôle de parent et
se construire comme tel, quel que soit le point de vue de l'enfant (même
s'il/elle n'est pas né-e). Dans le second, on investit le rôle
« d'enfant de », (ou plus largement d'affilié-e-s), quel que
soit le point de vue du parent (ou plus largement du/de la
référent-e).
Ensuite, de son point de vue philosophique, ce serait donner
vie à un être destiné à mourir, et le savoir, ou le
dénier. Pour elle, on ressentirait parfois soi-même
l'absurdité de l'existence, alors y entraîner d'autres, dans cette
condition de finitude, elle trouve que ce n'est pas très raisonnable. A
moins que ce soit l'ultime ruse de la raison : l'illusion de ne pas mourir et
de survivre dans l'enfant.
Elle pense aussi aux conditions de vie, démographiques,
économiques et sociales, écologiques aussi. Offrir ou garantir
quelle vie aux enfants qu'on met au monde ? Quel avenir ? Quel bonheur ?
Et puis, pour Lisa, quand on est lesbienne, et qu'on a un peu
lu les auteures plus radicales, on peut aussi se dire qu'on échappe
à la relation hétérosexuelle qui nous « prend
pour femme » et qu'on menace peut-être notre propre
émancipation en assumant la relation qui nous « prend pour
mère ». D'où peut-être la nécessité
de se désigner et de se revendiquer plutôt comme «
parent ». Mais l'argument pourrait s'universaliser. Chacun
pourrait se demander : Pourquoi perdre sa liberté en se liant ? Pour
elle, ce sont des questions qui se posent dans nos sociétés
d'individu-e-s.
Tout le long de son récit, Lisa vacille entre deux
injonctions : l'injonction féministe d'émancipation (elle me
suppose comme telle également) et les injonctions liées à
la parentalité, permettant - puisqu'elle n'est pas reconnue comme telle
- de se faire valoir comme parent. Se faire reconnaître comme parent tout
en se faisant reconnaître comme féministe pose une
difficulté d'intérêts contraires. Comme Martine qui faisait
valoir le confort de la résidence alternée tout en disant la
difficulté que représentait d'être séparée de
son enfant. Elle se trouve entre d'une part des idées féministes
à revendiquer dans l'espace
publique et politique et d'autre part, une sphère
privée dans laquelle elle ne tient à être ni femme, ni
mère. Se dire lesbienne et parent permet alors de se placer dans
l'espace militant, publique, politique et permet de faire revendiquer des
droits gérés par l'Etat en dehors de la sphère
privée.
Faire reconnaître une parentalité sans
statut
Dans le cas de recompositions familiales
1 Présentation des personnes
rencontrées
1.1 Anne
Quand j'ai déposé mon annonce sur EFiGiES, une
personne inscrite a transmis ma recherche à Elizabeth. Elizabeth
reconnaissait dans mon annonce, le profil de sa belle-mère, Anne,
ex-conjointe de son père. Elle la connaît depuis l'âge de 9
ans. Stéphane, son frère, la connaît depuis l'âge de
12 ans. Stéphane a vécu chez son père avec elle pendant
plusieurs années et Elizabeth s'y rendait un week-end sur deux.
Elizabeth m'explique qu'Anne a trois enfants d'un premier mariage mais les
considèrerait aussi, elle et Stéphane, comme ses enfants.
Elizabeth fait donc le lien entre Anne et moi et me
transfère la réponse que lui a écrite Anne par mail. Anne
serait très touchée par cette reconnaissance d'Elizabeth
vis-à-vis d'elle car la démarche de sa belle-fille signifie
qu'elle reconnaît elle-même cette parentalité. Anne trouve
que c'est un beau sujet d'étude, qu'elle a des choses à en dire
de ces enfants non prévue-s qu'elle « aime sans
débat ». Elle conclut sa réponse en remerciant
Elizabeth pour « cette belle confiance ».
Par la suite, pour des raisons de distances
géographiques, je ne pouvais pas la rencontrer en face à face. Et
au bout de deux mois de tentatives de mails avortées (Anne ne recevait
rien de ma part), nous avons décidé de nous contacter par
téléphone. L'entretien a donc été mené au
bout du fil, ce qui n'est pas une méthode que j'apprécie. Je
trouve que la prise de note limite la capacité d'écoute, tronque
inévitablement les propos et éventuellement, les déforme.
Néanmoins, si je n'en ferai pas ma méthode de
prédilection, j'ai pallié à ces inconvénients en
précisant à mon interlocutrice que j'avais besoin de noter le
plus précisément possible ses propos pour ne pas les
déformer. Nous avons donc pris notre temps. Il y a eu des silences mais
qui ne m'ont pas semblé gênés, qu'elle s'appropriait pour
réfléchir à ce qu'elle souhaitait dire et que j'utilisais
pour finir d'écrire. J'ai donc tenté de rester la plus
fidèle possible à ses propos et, effectivement, au moment de
retranscrire l'entretien au propre, je me suis rendue compte que j'avais
écrit des phrases entières et non des idées. En revanche,
quand elle répétait plusieurs fois la même chose, j'ai eu
tendance à ne pas le noter, ce qui est dommage, car cela montrait une
importance donnée à l'élément en question.
Anne a 55 ans, vit dans une grande ville et vient d'une
famille de province qu'elle décrit comme bourgeoise, cultivée,
catholique (elle rit sur le catholique). Sa mère, comme elle,
était à la fois artiste et travaillait auprès de jeunes
enfants. Elle était, selon sa fille, très attentive à
l'éducation des enfants. Anne m'explique qu'elle-même en a une
tribu de cinq. Elle a deux filles, Aurélie et Virginie d'une trentaine
d'années, et un fils de 25 ans, Mickaël, tou-te-s trois issu-e-s
d'une première union. Patrick, son second mari, a un fils de 30 ans,
Stéphane, et une fille de 27 ans, Elizabeth, d'un premier mariage
également. Il et elle n'ont pas eu d'enfants ensemble. Hugues, le
père d'Aurélie, Virginie et Mickaël, a eu trois autres
enfants approximativement du même âge que ses petits enfants.
Aurélie et Virginie sont mariées et ont
respectivement une fille de trois ans pour la première, et deux fils de
deux et quatre ans pour la seconde. Anne n'a plus de lien avec Hugues, il
était cadre supérieur à l'époque. Patrick est
sociologue.
A la fin de l'entretien, Anne me remercie. Elle me dit que
ça l'intéresse, qu'elle connaît la sociologie par Patrick,
qu'elle trouve bien qu'on parle de ces familles particulières plus
qu'avant. Elle me précise que quand sa belle-fille l'a
désignée, elle a été émue, touchée
même si elle savait qu'elle était considérée comme
parent. Elle me dit que grâce à moi, elles ont reparlé de
cette famille et de cette parentalité. L'entretien lui-même a
donc, pour elle, été une preuve de reconnaissance par l'annonce,
par son sujet et par sa belle-fille qui a fait le relai entre elle et moi. Anne
m'a perçue comme étant une jeune femme étudiante admettant
la possibilité d'autres formes de familles, de parentalités.
1.2 François
J'ai rencontré François via une connaissance
commune, une femme, auditeure libre à l'Université. Nous prenons
rendez-vous dans un salon de thé brestois, dans la galerie d'un centre
commercial. Ce lieu rend visible des attentes sociales très fortes. Les
femmes y travaillent en jupe. Sur les murs, des tableaux de vieilles familles.
Mais la clientèle est diverse. Elle se compose des clients du centre
commercial et de ses employé-e-s.
Le lieu de notre rendez-vous a été choisi par
moi-même. François vit dans une petite ville et comme je n'ai pas
le permis, c'était difficile pour moi d'y accéder. Chez moi, trop
de citations sur les murs, éloquentes quant à mes positions
personnelles. Mon décor biaiserait à lui seul l'entretien de
manière trop prononcée. Ce salon de thé me semblait
être un endroit calme même si pas complètement neutre
à cause des tenues professionnelles, des tableaux,
des objets décoratifs... Le lieu du centre commercial a
été choisi par François, pour nulle autre raison
visiblement que celle pratique de se garer.
François a 50 ans. Il a une fille de 14 ans, Sarah,
issue de l'ancienne union de son épouse, Michelle, avec qui il est
marié depuis deux ans. Elle a 42 ans et elle est divorcée de
Jean-Claude, le père de Sarah. François et Michelle appartiennent
à la catégorie des professions intermédiaires. Jean-Claude
est décédé un an avant l'entretien, ce qui crée un
contexte biographique de l'entretien très particulier. Il était
agent de maîtrise. Il avait été marié une
première fois avant Michelle, et avait eu deux filles, dont l'une d'elle
est décédée à l'âge de 25 ans.
François est le cinquième enfant d'une fratrie
de sept frères et soeurs. Deux de ses frères sont
décédés, l'un il y a treize ans et l'autre, il y a cinq
ans. Pour lui, l'entente entre tous et toutes est bonne, même si des
affinités se tissent plus avec certain-e-s que d'autres.
François accepte l'entretien pour rendre service, par
solidarité. Il a été étudiant et a
düfaire quelques travaux de ce genre. Il ne se dit pas
particulièrement intéressé mais cela ne le
dérange pas. Une fois l'entretien terminé, il me
demande comment j'ai connu notre connaissance commune, me demande mes projets
professionnels, me parle de ses propres études. Il me dit de ne pas
hésiter si je veux reparler de certaines questions avec lui. J'ai senti
que la situation le rendait au départ nerveux et qu'il s'est
détendu peu à peu. Par ailleurs, en toute fin d'entretien, il me
dit qu'il trouvait cela intéressant parce que ça l'avait
obligé à réfléchir à sa manière de se
situer. Il a trouvé que l'exercice n'était pas
désagréable.
Il sait que je suis une femme d'une petite vingtaine
d'années, étudiante en espagnol et en master de sociologie, que
je travaille sur la parentalité mais que je n'ai probablement pas de
famille que j'aurais fondée. Dans ses représentations, il me
rapprocherait certainement de Sarah en un peu plus vieille (nous imaginons les
gens à partir de ce que nous connaissons). Il pourrait me voir comme
détachée de certaines attentes vis-à-vis des femmes
(pantalon, veste à capuche un peu « collégienne »,
sourcils pas épilés, cheveux rapidement attachés). Ma
tenue avec le fait qu'il me sait piétonne implique qu'il pourrait me
voir davantage comme « sportive » plutôt que «
féminine » en termes de stéréotypes. Je travaille sur
des parentalités atypiques, ce qui est un sujet vu comme étant
très « féminin », tout en étant dans la distance
par rapport à la famille normée.
Le rapport à la connaissance ne me semblait pas le
même qu'avec les femmes que j'ai rencontrées qui multipliaient les
références intellectuelles. Lui non. Il parle de lui, de son
expérience. Il ne se réfère pas à la
théorie.
1.3 Philippe
J'ai rencontré Philippe par l'intermédiaire
d'Alain141. Etant donnée la distance géographique,
nous avons convenu - comme je l'avais fait avec Vanessa et Lisa - de
procéder par mail.
Philippe (60 ans au moment de l'entretien) est marié
à Odile (55 ans). Il a trois enfants, Julien, Maéva et Yoann,
(35, 33 et 23 ans) d'un premier mariage avec Ruth (65 ans). Odile a deux
enfants, Emilie et Romain (31 et 30 ans) d'un premier mariage avec Pascal (57
ans).
Philippe a créé plusieurs
sociétés. Ruth est à la retraite, elle était
employée. Elle est remariée depuis six ans et voyage beaucoup.
Odile est directrice des ressources humaines. Pascal s'est remarié et a
divorcé deux fois depuis Odile. Il vit de nouveau avec quelqu'une depuis
quelques mois et travaille dans des postes à responsabilité.
Julien passe de cadre supérieur à chef d'entreprise. Emilie veut
également créer sa boîte. Maéva appartient aux
professions intermédiaires. Romain sort de longues études et
Yoann est en Master 2. Tous et toutes sont donc globalement d'un milieu
aisé.
Durant cet entretien, Philippe - contrairement à
François - a vis-à-vis de moi, un rapport très particulier
au savoir. Non pas un savoir universitaire, mais celui de l'expérience.
Philippe définit sa position générationnelle comme devant
transmettre quelque chose à celle d'en dessous. Je pense qu'étant
la filleule d'Alain et ayant 23 ans, il a réellement souhaité
m'apprendre des choses sur la parentalité et me «
transmettre » - puisque c'est son terme - son
expérience.
2 Pour Anne, une question de territoire
2.1 Être mère, une identité
Anne a trois enfants. Aurélie, sa première fille
est née quand Anne avait 19 ans. Elle est d'une famille nombreuse, sa
mère a eu six enfants et selon Anne, c'est sa mère qui lui a
« transmis l'amour des enfants ».
141 Le même qui m'a fait rencontrer Eva et Martine deux ans
auparavant.
Comme Lisa, Anne commence par faire le lien entre son enfance,
sa mère et son rapport aux enfants et à la parentalité.
Différemment car Lisa disait que sa mère était misogyne et
« avait banni les poupées ». Mais dans un cas comme
dans l'autre, elles réinventent un lien entre passé et
présent, entre des projections qu'il y aurait eues durant l'enfance et
leur situation aujourd'hui. Il s'agit d'un discours que l'on retrouve presque
exclusivement chez les femmes : dire qu'on envisageait d'être parent
dès l'enfance. Être mère est socialement perçu comme
étant le but de la vie d'une femme et les rêves supposés,
attendus d'une petite-fille sont liés aux enfants et à la
maternité142. En réalité, ici, il s'agit bien
de projections actuelles sur l'enfance afin de donner du sens à son
parcours dans la parentalité. Comme quand Gilda Charrier parle de ces
infirmières qui affirment l'être devenues par vocation afin de
légitimer leurs définitions professionnelles actuelles. Il
s'agirait alors d'accepter son destin social143. De plus, pour Anne
comme Lisa, c'est toujours de leurs mères qu'elles parlent, et pas de
leurs pères. Anne parle de transmission, comme d'un passage de flambeau
dans un milieu exclusivement féminin.
Pour elle, ça n'a été que du bonheur
même si ce n'est pas toujours facile. Elle travaille en crèche et
elle est donc entourée de beaucoup d'enfants. Comme Vanessa le disait
pour ellemême et pour Karine, elle peut donc faire valoir une profession
- et donc des aptitudes officielles - dans le domaine de l'enfance. Pour Anne,
déjà mère statutaire de trois enfants, dans une forme de
famille plutôt socialement admise, l'enjeu est sans-doute moindre.
Néanmoins, elle précise tout-de-même que sa vision du
rôle de mère s'est construite en partie théoriquement, via
une formation en psychopédagogie. Cette valorisation du travail dans
l'enfance permet également de faire le lien entre sa sphère
publique et sa sphère privée. Elle permet de valoriser sa
profession comme étant en cohérence et ne mettant pas à
mal l'identité de mère.
Anne explique que c'est « vital » pour elle
d'avoir des enfants autour d'elle. Traduire cela comme un besoin «
vital » permet de renforcer l'identité de mère,
comme une identité irréductible. Elle exprime par ailleurs
qu'elle se sent plus mère que femme. Par exemple, elle
142 Par ailleurs, une campagne de recrutement dans
l'éducation nationale montre bien cette différenciation
homme/femme dans les projets de vie. « Laura a trouvé le poste de
ses rêves. C'est l'avenir qu'elle a toujours envisagé. »
« Julien a trouvé un poste à la hauteur de ses ambitions.
C'est la concrétisation de son projet professionnel. » Quand pour
l'une, il s'agit de réaliser ses rêves d'enfant (devenir
maîtresse d'école), pour l'autre il s'agit d'un projet construit
dans la vie adulte, afin d'avoir une place appréciable dans la vie
publique. Ce sont les femmes qui sont le plus renvoyées à des
rêves qu'elles sont supposées avoir toujours eus, afin de
participer à un épanouissement personnel. Socialement, il ne leur
est pas d'emblée attribué un projet professionnel comme il est
attribué aux hommes. Campagne de recrutement [en ligne], URL :
http://www.education.gouv.fr/cid56433/leducation-nationale-recrute-17-000-personnes-en-2011.html,
Consulté le 4 juin 2011.
143 CHARRIER Gilda (1993), op cit, p.97
raconte qu'elle a dû faire le choix entre la compagnie
de ses petits enfants ou bien celle de son mari. Elle aurait choisi les petits
enfants. Il s'agit alors d'un choix d'identité à faire valoir
devant moi, dans le cadre de cette étude sur la parentalité,
parmi plusieurs à disposition (artiste, ex-épouse, femme etc.).
Toutes ne le font pas. Lisa - par exemple - refuse de se définir comme
mère, et utilise le mot de parent pour sortir consciemment de certaines
attentes sociales.
2.2 Souvenirs des années soixante-dix et
construction de la parentalité
Anne a eu ses enfants dans les années soixante-dix. Elle
aurait, selon elle, été très marquée par le
mouvement 68. Ces mots m'ont évoqué un passage d'Annie
Ernaux144 :
« Et la télévision, en diffusant une
iconographie immuable avec un corpus réduit d'acteurs, instituerait une
version ne varietur des évènements, imposant
l'impression que, cette année-là, on avait tous entre dix-huit et
vingt ans et on lançait des pavés aux CRS un mouchoir sur la
bouche. Sous la répétition des images prises par les
caméras, on refoulerait celles de sa propre histoire de mai, ni notoires
[...] ni glorieuse »
Annie Ernaux, Les années
Cela relève de la volonté d'appartenance
à une identité collective construite dans l'opposition au
pouvoir. Une identité collective marquante socialement : « Mai 68
» relève autant de faits socio-historiques que de mythes construits
a posteriori. Cela ne signifie pas pour autant qu'Anne a
été marquée dès mai 1968 par « Mai 68 ».
Simplement que ce mouvement social significatif donne sens aujourd'hui, dans le
présent, à son parcours. Elle s'inscrit dans des changements
sociaux issus de cette période que tout le monde - impliqué ou
non, et quel que soit l'avis politique - a connu.
Anne venait d'une famille qu'elle décrit comme
carrée, catholique, très conformiste. Elle aurait fait sa
révolution : la liberté d'expression de l'enfant dans son
développement, le laisser parler, l'écouter parce que pour elle,
dans son enfance, ce n'était pas comme ça. Elle a appris et
apprend toujours sur l'enfant parce que c'est son sujet
préféré : l'avenir de l'enfant. Est-ce qu'il/elle sera un
adulte tel qu'il/elle souhaite le devenir ou selon l'idée qu'on s'en
fait ? Anne fait référence à Winnicott, l'enfant est un
sujet145. Elle ne fait donc pas
144 ERNAUX Annie (2008), Les années, Paris,
Gallimard, p.106
145 RODMAN F. Robert (2008), Winnicott, sa vie, son
oeuvre, Paris, Erès.
directement référence à la
redéfinition de la place des femmes au sein de la famille dans les
années soixante-dix, avec la contraception, le droit à
l'avortement, la fin de la puissance paternelle, l'accès plus libre
à la profession et le partage de l'autorité parentale dans le
mariage. Elle fait davantage référence à la nouvelle place
de l'enfant comme individu-e que les parents doivent accompagner comme tel-le.
Néanmoins, les deux sont liés, le contrôle des naissances
ayant mené à une redéfinition du rapport à
l'enfant, à un moindre nombre d'enfants, qui deviennent alors le centre
d'une éducation, d'une attention - si elle n'est exclusive (ils/elles
peuvent avoir tout de même des frères et soeurs) - reste
cependant, moins partagée. De plus, avec la loi de 1970 sur la fin de la
puissance paternelle, l'enfant cesse d'être la propriété de
ses parents et les parents ont des responsabilités éducatives
redéfinies146.
2.3 Recompositions familiales et territoires de la
parentalité
Anne a eu un premier divorce il y a vingt ans, puis elle a eu
un deuxième compagnon, Patrick, qui avait des enfants du même
âge que les siens. Stéphane, le fils de Patrick vivait chez son
père. Elizabeth, sa fille, venait en vacances. Anne et Patrick ont donc
eu une tribu de cinq enfants. Elle trouve que c'était parfois
très dur mais que des liens très forts se sont tissés. Et
cela même s'il y a eu des disputes que ce soit avec les enfants de l'un-e
ou de l'autre, quand ils/elles étaient adolescent-e-s. Selon elle,
c'étaient des adolescent-e-s très difficiles. Mais elle pouvait
se fâcher contre eux/elles, qu'ils/elles soient ses propres enfants ou
non, parce qu'ils/elles vivaient chez elle. Pour elle, c'est une question de
territoire. Il y a un territoire au sein duquel elle pense qu'elle n'a rien
à dire parce que ce ne sont pas ses enfants et un territoire où
elle aurait à dire parce qu'ils/elles vivent chez elle. Anne serait
porteuse de la loi chez elle.
Cela signifie qu'elle considère l'existence de
territoires parentaux au sein desquels elle n'a pas eu d'emblée
l'accès en toute légitimité pour les enfants de Patrick.
Et de la même manière, Patrick n'en a pas eu d'emblée
l'accès en toute légitimité pour ses enfants à
elle. Par exemple, il y a eu une réunion de parents au collège
pour un-e de ses enfants à laquelle elle ne pouvait pas se rendre. Il y
a une interrogation et Anne aurait demandé à l'enfant : «
Je ne peux pas y aller, est-ce que c'est légitime que Patrick y
aille ? ». Et son fils aurait répondu «
évidemment, bien-sûr ». Et pour Patrick,
c'était pareil. Le commissariat a appelé Anne parce
146POTIN Emilie (2009), Enfants en danger.
Enfants protégés. Enfants sécurisés ? : Parcours de
(dé)placement(s) des enfants confiés à l'Aide sociale
à l'enfance, Thèse de doctorat dirigée par Arlette
Gautier, Université de Bretagne Occidentale.
que Stéphane, le fils de Patrick avait
été arrêté parce qu'il consommait de l'herbe dans le
parc. Les policiers lui auraient dit « Il a demandé
expressément que ce ne soit pas son père qu'on appelle mais vous.
». Anne aurait compris à ce moment-là qu'elle
était une figure parentale. Et dans le même temps, elle se disait
que Stéphane se dédouanait de la colère de son
père. Alors elle est allée le chercher et tou-te-s les deux sont
allé-e-s boire un coca dans un café pour discuter et elle lui
aurait dit « Tu comprends que je ne peux pas cacher ça à
ton père, ce n'est pas possible ». Pour Anne, elle ne pouvait
pas le dédouaner de la colère de son père mais la
discussion aurait permis de le préparer. Elle considère que cet
épisode précisément lui a fait prendre conscience qu'elle
était une figure parentale pour les enfants de Patrick. C'est donc au
moment où l'enfant elle/lui-même lui donne une
légitimité en autorisant l'accès à ce territoire
qu'elle considère comme parental, qu'il/elle la confirme à ses
yeux comme référente.
Quand les cinq enfants sont là, le couple parental,
à l'heure de se lever pour aller en primaire, au collège ou au
lycée, passe dans les chambres pour vérifier qu'ils et elles se
sont bien réveillé-e-s. En cas de problème, c'est le
parent avec statut qui dirait « Allez, on se lève maintenant
! » Par contre, à table, si la table n'est pas
débarrassée, les deux seraient légitimes « Bon,
ça suffit ! ». Et les enfants débarrassent leurs
couverts. Le territoire individuel des enfants, c'est la chambre. A part
repeindre la chambre en noir car il y en aurait eu un qui aurait voulu
repeindre sa chambre en noir et Anne aurait refusé parce que
c'était sa maison. Mais même si la chambre est en désordre,
elle ne dit rien, même pas pour ses propres filles. Quand les
grands-parents sont venu-e-s, Patrick aurait eu honte et Anne aurait dit «
T'inquiète, ils vont ranger » et ils/elles auraient
rangé.
Anne considère trois types de territoires : les
territoires parentaux (réservés aux parents comme l'école
et le commissariat), les territoires collectifs au sein du foyer (où
elle considère que les deux adultes ont d'emblée leurs mots
à dire parce que c'est chez eux/elles), les territoires individuels des
enfants où aucun des deux parents n'a accès.
Anne ne considère pas qu'il soit nécessaire
d'être père ou mère statutaires pour accéder aux
territoires parentaux. Mais elle définit tout de même ces
territoires comme des territoires à accès restreint. Il faut
être parent, avec ou sans statut. Le passeport, c'est ce statut ou
l'autorisation de l'enfant. Si l'adulte a un statut légal de parent
vis-à-vis de l'enfant, celui/celle-ci n'a pas à confirmer la
légitimité de l'accès. Si l'adulte n'a pas ce statut, il
faut d'abord qu'il/elle soit considéré-e comme parent,
confirmé-e par l'enfant, pour avoir accès à ces
territoires. Cela signifie qu'en définissant ces territoires de cette
manière, raconter qu'on y
a accès sans avoir de statut de parent, c'est raconter
qu'on est reconnu-e par l'enfant comme parent.
2.4 Définir son rôle : pas la mère, pas
la copine
Anne et Patrick aurait vu un psychothérapeute. «
Qu'est-ce qu'on peut dire à l'enfant de l'autre ? ». Les
disputes, c'étaient surtout au sujet des enfants de l'autre : «
Ouais, ton fils » « Ouais, ta fille ». Et
tou-te-s deux diraient à l'enfant « Ecoute, devant moi, on ne
parle pas comme ça » que ce soit les enfants d'Anne ou les
enfants de Patrick. Même s'il s'agissait d'autres enfants, de quelqu'un-e
d'autre, ce serait pareil parce que c'est chez Anne. Mais ce ne serait pas
toujours facile. C'est aussi comme cela qu'Anne aurait compris qu'elle
était une figure parentale. Ils et elles ne sont pas obligé-e-s
de l'aimer, elle n'est pas une copine. Pour elle, elle ne doit pas faire de la
démagogie. Au début, les enfants leur auraient mené la vie
dure. Elle leur aurait dit « Ecoutez, vous n'êtes pas
obligé-e-s de m'aimer, je sais que vous n'avez pas choisi, que c'est un
choix de votre père, mais vous devez me respecter car vous êtes
chez moi. » Et d'avoir pu le dire aurait, selon elle, changé
beaucoup de choses.
Pour elle, son rôle s'est défini en parlant, en
étant obligé de parler souvent à la suite de conflits et
en jouant à la géométrie variable, en renonçant
à une famille comme les autres. Accepter de prendre du temps avec
chacun-e, avec un enfant seul, avec sa belle-fille. Elles feraient toutes les
deux des choses que les autres n'aimeraient pas : couture, patchwork, danse.
Avec son beau-fils, ce serait de la musique. Et ce ne serait plus le territoire
du père et de la mère, ce serait un nouveau territoire. Elizabeth
est danseuse, pour l'anniversaire d'Anne, elle lui aurait offert un stage de
danse qu'elles auraient fait ensemble. Une fois dans l'année, ils/elles
iraient à un spectacle tou-te-s ensemble et ce ne serait pas facile
parce qu'ils/elles n'aiment pas tous et toutes la même chose. Puis elle
irait voir un ballet avec sa belle-fille. Avec son beau-fils, elle irait
à un concert de rock sans forcément l'autre parent, celui qui a
un statut qu'elle nomme le « vrai parent ».
Pour Anne, le parent sans statut est une autre figure. Un peu
comme neveu et nièce parce qu'elle se dit aussi très proche de
ses neveux et nièces. Mais elle n'est pas la mère. Elle est d'une
génération qui fait qu'ils et elles pourraient être ses
enfants, ce serait un rapport parent/enfant. Cependant, elle travaille avec un
musicien qui est de l'âge de son fils, qui pourrait être un de ses
enfants mais tou-te-s deux n'auraient pas du tout une relation parent/enfant.
Ce n'est finalement pas seulement l'âge qui compterait mais la position
au sein
de la famille, le contexte familial. Anne est d'une
génération et les enfants, celle d'en dessous - dans la famille.
Il y aurait une relation pédagogique. C'est Anne qui « pose la
loi ». Enfin, elle se reprend car elle trouve que « poser la
loi » fait un peu directive mais ce serait elle « la
conductrice, le chef » même s'il y a une éducation dans
laquelle on discute, on débat. En dernier recours, c'est l'adulte qui
« fait la loi ». Ils/elles ne sont pas des copains, copines.
Irène Théry et Marie-Josèphe Dhavernas parle d'une
relation entre beau-parent et enfant qui se situerait aux frontières de
l'amitié, dans une logique de parenté
élective147. Effectivement, Anne explique que si à la
base, les enfants ne l'ont pas choisie au sein de leur foyer, et qu'ils/elles
n'étaient donc pas obligé-e-s de l'aimer, c'est par des moments
ensemble, des centres d'intérêt partagés que le lien se
créerait. L'affect est revendiqué pour faire valoir une
configuration, des relations que les individu-e-s jugent comme positives parce
qu'elle servent leurs constructions individuelles.
3 Pour François, pas vraiment parent mais «
je la considère comme ma fille » : se définir après
le décès du père statutaire
François commence en me présentant sa
configuration. Il est marié. Son épouse a été
mariée une première fois et elle a eu une fille qui a
actuellement 14 ans et que François connait depuis sept ans. Il
m'explique que le père de Sarah est décédé depuis
un an. Pour lui, la relation entre lui et Sarah est bonne, un peu pudique. Il y
aurait un respect mutuel et en même temps, Sarah serait assez
réservée. Elle ne se confierait pas facilement. Il l'aime
beaucoup. Elle avait six ou sept ans quand tou-te-s deux se sont
rencontré-e-s. Les choses auraient été très
difficiles au début, très compliquées à cause du
contexte du divorce et de la séparation. Puis il y a eu la
résidence alternée : une semaine chez son père, une
semaine chez lui et Michelle. Depuis le décès de Jean-Claude,
elle vit chez eux en permanence.
3.1 Faire plutôt que dire
Pour lui, les choses ont été très claires
dès le départ, puisqu'il lui a bien expliqué dès la
première rencontre qu'il n'était pas son papa et qu'il
n'usurperait pas le rôle de son père. Cela
147 THERY Irène, DHAVERNAS Marie-Josèphe (1993),
« La parentalité aux frontières de l'amitié : statut
et rôle du beau-parent dans les familles recomposées », in
Meulders-Klein Marie-Thérèse, Théry Irène (dir),
Les recompositions familiales aujourd'hui, Paris, Nathan,
p.159-187.
aurait été clair dans la tête de Sarah, et
dans la sienne aussi. Même s'il est là pour l'aider et pour
veiller sur elle, il n'est pas son père. C'est un peu particulier,
explique-t-il. Il pense qu'il la considère plus comme sa fille mais
l'inverse... il ne parvient pas à l'exprimer et ne termine pas ses
phrases. Il reste prudent, mesure ses mots quand ils concernent la relation. Il
m'explique qu'elle est toujours dans son processus de deuil, qu'il ne l'oublie
pas. Une manière de dire qu'il respecte ce moment de la vie de Sarah et
qu'il ne souhaite pas s'imposer comme parent.
Pour lui, sa famille au niveau des enfants est limitée
à Sarah. Il n'a pas d'enfants de son côté et ne pense pas
que lui et Michelle en auront. Il souhaite être là pour que Sarah
se sente bien, en sécurité, pour lui apporter de la tendresse, de
l'aide par exemple sur le plan scolaire. Mais elle est, selon lui, assez
douée donc il n'y aurait pas vraiment besoin de l'assister. Il aime
Sarah et selon lui, elle sait qu'elle peut compter sur lui si besoin est. La
semaine, ce serait plutôt sa mère qui veillerait. Le week-end, ce
serait un peu compliqué depuis quelques temps mais ce serait temporaire.
Michelle et François travaillent un week-end sur deux et donc,
après le décès de Jean-Claude, François a
accepté de prendre de manière temporaire un poste de nuit. Cela
leur faciliterait la tâche au niveau de l'organisation. Cela leur
permettrait d'avoir un « « parent » entre guillemets
» précise-t-il, à tout moment à la maison. Michelle
travaille le dimanche dans la journée par exemple, François
travaille la nuit. Sarah n'aurait juste qu'à le réveiller s'il
arrivait quelque chose. Il pense qu'elle est encore un peu jeune pour
être seule. Dans un an ou deux peut-être. Il souhaite
également être plus proche d'elle car c'est une année
charnière. Sarah est en troisième.
Mais ce serait temporaire et il retravaillerait par la suite
de jour. Alors le week-end, quand sa mère n'est pas là, il
vérifie qu'elle a bien fait ses devoirs, qu'elle n'est pas en
difficulté. Mais de toute manière, Sarah est, selon lui, assez
indépendante. Il arrive qu'il y ait un problème qu'elle n'ait pas
bien compris mais en général, ce serait vraiment une bonne
élève et elle n'aurait pas besoin d'aide. Il ajoute en riant
qu'il l'aide pour dire qu'il l'a aidée.
Et puis, comme elle est dans un club de basket, elle a des
entraînements et des matches alors il l'accompagne
régulièrement et va régulièrement la chercher.
François assure alors sa présence à sa
manière, c'est-à-dire en investissant des manières de
faire reconnues comme plutôt « masculines » auprès de
l'enfant : l'accompagnement dans l'espace public aux activités
sportives, une présence plus appuyée le week-end en
suppléance à la mère quand celle-ci s'occupe des
tâches de la semaine (école, devoirs etc.). Il s'agit d'une
présence « au cas où » sans tâche précise
à effectuer (il peut dormir). Cela rappelle l'étude
d'André Rauch qui précise que les pères s'investissent
davantage dans la socialisation de l'enfant en laissant aux
mères les tâches quotidiennes. Les hommes consacreraient 6% de
leur temps aux devoirs des enfants contre 10% pour les femmes148.
L'investissement « en suppléance » de François ne
correspondrait donc pas seulement à son absence de statut mais à
un investissement plutôt codé comme « masculin » en
général.
3.2 S'autoriser un point de vue
Pour lui, le décès de Jean-Claude n'a pas
changé grand-chose dans sa relation à Sarah. Il n'y aurait
vraiment eu que le début de la séparation qui était
compliqué. Sarah avait sept ans, il pense qu'elle le voyait comme un
étranger qui venait bousculer l'équilibre familial. Elle pleurait
beaucoup. Puis, il y a eu beaucoup d'évènements douloureux pour
elle. Peu de temps après la séparation de ses parents, l'une de
ses demi-soeurs (née du premier mariage de son père) est
décédée à 25 ans d'une crise cardiaque. Elle a
perdu ensuite deux grands-mères.
François trouve que Sarah est très
résistante. Au début, lui et Michelle avait pensé que ce
serait bien qu'elle soit vue par un pédopsychiatre pour voir s'il n'y
avait rien de particulier. Pour être sûre qu'elle puisse parler
à un tiers de ce qui est difficile. L'initiative est venue de sa
mère mais François était d'accord, il trouvait que
c'était judicieux. Il trouvait qu'elle n'exprimait pas grand-chose,
qu'elle était réticente à se montrer. Lui et Michelle
avait peur qu'elle garde son ressenti pour elle. Puis, au bout de deux
séances, elle n'y est plus retournée. Selon François, elle
n'était pas contre mais elle allait bien, elle n'était pas en
colère et il était inutile de psychiatriser. La mère prend
les initiatives mais François parvient à se sentir
légitime pour donner son point de vue, son approbation, ce qui
correspond à un investissement éducatif, même s'il se fait
toujours en retrait par rapport à la mère.
François explique que la relation avec Jean-Claude
était compliquée du fait de sa relation avec Michelle.
Jean-Claude refusait de le voir et de lui parler. François pense que
ça aurait été dans l'intérêt de Sarah qu'il y
ait un dialogue, une relation non pas amicale mais respectueuse. Pour la
résidence alternée, Jean-Claude ne serait jamais venu chercher sa
fille, et ne l'aurait jamais ramenée. François serait
resté dans la voiture. Il aurait essayé de ne pas trop le montrer
à Sarah mais il pense qu'elle a entendu des choses, que Jean-Claude
parlait de lui en mal.
148 RAUCH André (2007), Pères d'hier,
pères d'aujourd'hui : du paterfamilias au père ADN, Paris,
Nathan, p.100-101.
François exprime - du moins en entretien - son opinion
dans des choix concernant Sarah : la laisser seule ou pas, voir un
pédopsychiatre, l'intérêt de Sarah dans la relation qu'il
entretient avec son père tout en restant prudent parce qu'il s'agit du
père (il essayait de ne pas trop le montrer à Sarah). Il ressent
donc, par la cohabitation, par la vie quotidienne, une légitimité
à penser l'intérêt de Sarah. Mais tout se joue dans la
prudence. Par ailleurs, François ne m'a parlé de sa relation
difficile avec Jean-Claude qu'au moment où je lui ai demandé de
me le présenter.
3.3 Mettre ou ne pas mettre de mots
Pour François, leur famille est unie et soudée.
À la fin de l'entretien, il peine à mettre un mot sur sa relation
à Sarah. Communément, le terme qu'on attend de lui est «
belle fille » mais ce terme le dérange. Il serait bien
embarrassé d'en trouver un autre mais il trouve que cela prête
à quiproquo. On parle de « belle-fille » dans les
recompositions familiales mais aussi en cas de mariage, avec le père du
conjoint. Il trouve également que le terme est un peu froid. Pour lui,
maintenant, il considère Sarah comme sa fille. Il ne lui a pas encore
dit mais il lui dira peut-être un peu plus tard. Il trouve que c'est un
peu tôt par rapport au décès de son père. Et
à l'époque où son père était vivant,
François avait peur que Jean-Claude ait l'impression d'une mise en
concurrence. Par conséquent, il dit simplement à Sarah qu'il
l'aime beaucoup et qu'elle peut compter sur lui. Pour lui, cela se traduit plus
par des marques d'affect. Il trouve que Sarah l'améliore, lui apporte
beaucoup de chose par sa tendresse, son humour, son intelligence. Il peine
à trouver les mots et conclut qu'il l'aime.
François fonctionne plus par le faire que par le dire
d'où la difficulté pour lui à mettre des mots sur sa
relation en entretien et d'où le fait qu'il n'ait pas forcément
envie d'en mettre. Il met en oeuvre des pratiques, il fait reconnaître la
relation telle qu'elle est sans chercher à la définir de
manière théorique. Il la définit plutôt par
l'expérience et un ensemble de manière de faire et d'être
avec Sarah. Parmi les personnes que j'ai rencontrées, c'est le seul
à être à ce point comme cela. Cela ne signifie pas qu'il a
moins de références théoriques que les autres puisqu'il a
lui-même été étudiant à l'Université
et qu'il s'est formé dans plusieurs domaines qui impliquent un peu de
sociologie et de psychologie. Mais c'est aussi le seul qui ne prend pas ou ne
peut pas prendre appui sur l'enfant pour être reconnu comme parent.
Pour François, la question de la place du père,
qu'il ne faut pas prendre, est très présente. Sylvie Cadolle
explique que c'est une question qui revient souvent lors de
recompositions familiales149. Mais sans aucun doute
celle-ci est exacerbée lorsque la relation amoureuse et/ou sexuelle
entre la mère et son nouveau conjoint a commencé avant la
séparation avec le père - comme c'est le cas de François
et Michelle. D'autre part, cette prudence quant à la place du
père qu'il ne faut pas prendre est d'autant plus intense que le
père est décédé. Si plusieurs de mes
interlocutrices ont fait valoir l'enfant comme confirmant la relation de
parentalité, on voit bien ici aussi l'enjeu de la définition de
la relation par l'enfant. C'est l'enfant qui confirme la relation avec le
parent150. François ne s'autorise pas à se dire parent
de Sarah. Lisa explique que tant que la relation entre elle et Thibault
n'était pas perçue comme « réciproque
», elle semblait être un « délire ».
Martine explique qu'Eva et Esteban sont très lié-e-s. Anne
valorise l'accès à des territoires parentaux conditionné
par les enfants eux-mêmes. Il est difficile de se faire valoir comme
parent sans confirmation de la part de l'enfant. Parler d'une relation sans
l'accord de l'autre, c'est quelque part définir l'identité de
l'autre à son insu. C'est définir l'espace relationnel de
l'autre. Parce que socialement, une relation est vue comme
nécessairement « réciproque ». Pour autant, on peut
être seul-e à définir une relation (on est toujours seul-e
d'ailleurs, il nous arrive simplement de conjuguer notre point de vue avec
celui de l'autre personne) et que cette relation participe à notre
définition de nous-mêmes, à la construction de notre
identité sans pour autant altérer ou toucher à celle de
l'autre.
En revanche, François fait valoir une autre relation en
exprimant qu'il considère Sarah comme sa fille. Il ne lui dit pas encore
(car dire revient à demander confirmation) mais il peut l'exprimer de
cette manière à une tierce personne comme moi. Il l'exprime en
parlant de l'affect, de sa présence - non imposée (il serait
là si elle a besoin, il lui tend des perches qu'elle n'attrape
pas), il l'accompagne à ses activités, l'« aide » pour
ses devoirs mais elle n'a que rarement besoin de lui. Ce sont des choses qui
relèvent d'une relation unilatérale qui n'appartient qu'à
lui-même, à ce qu'il ressent.
Le « faire » dans ce cas-là, permet de vivre
et de définir la relation sans la dire. Le contexte d'entretien est en
cela très particulier qu'il « pousse » à la parole mais
les actes de la vie quotidienne peuvent tout autant être des
éléments de reconnaissance de la relation - sans passer par les
mots.
149 CADOLLE Sylvie (2007), op.cit.
150 SINGLY François de (1996), op.cit.
4 Pour Philippe, être parent de tous les enfants
: une question de génération
Philippe s'est marié à Ruth à l'âge
de 24 ans. Tou-te-s deux ont eu trois enfants : Julien, Maéva et Yoann.
A 42 ans, Philippe divorce et ses enfants restent vivre avec leur mère.
Il rencontre Odile, sa seconde épouse et s'installe avec elle. Odile vit
alors avec ses deux enfants, Emilie et Romain.
Julien et Maéva ont quitté le domicile de leur
mère, il y a une dizaine d'années. Préférant, selon
Philippe, « vivre avec des « frères et soeurs »
» (les guillemets sont de lui), Yoann est venu vivre avec son
père. Puis, quatre ans plus tard, Maéva reprend ses études
et emménage chez Philippe et Ruth pour repartir trois ans
après.
Entre temps, Emilie est partie vivre de son côté.
Au moment de l'entretien, seuls Yoann et Romain vivent encore avec mon
interlocuteur et sa compagne. Romain vient de trouver du travail et envisage,
selon Philippe, de quitter la maison d'ici peu.
Philippe se considère comme un « vrai
père » et un « faux père
»151. Selon lui, c'est la même chose pour Odile dans
l'autre sens.
4.1 La notion de « parent » : éduquer et
transmettre
Pour lui, un parent est à la base celui ou celle qui a,
génétiquement, engendré l'enfant. Ensuite, la loi ou
simplement l'ordre social, s'appuyant sur cette idée, donnerait au
parent des droits et des devoirs. En disant cela, Philippe oublie les cas
d'adoption et d'IAD dans lesquels une partie ou l'ensemble des parents n'a pas
engendré l'enfant. Ils/elles ont pourtant également des droits et
de devoirs vis-à-vis de celui/celle-ci. Et le parent d'origine, dans le
cas de l'adoption, perd l'autorité parentale. En cas d'adoption
plénière, c'est même toute la filiation qui est rompue et
l'enfant est dit « né-e de » ses parents
adoptifs152.
Philippe souhaite alors s'approcher de la notion de «
responsabilité » : laquelle ou lesquelles ? Il pense que dès
la gestation, un enfant est un être indépendant, destiné
à s'autodéterminer. Le parent n'aurait alors, selon lui, plus de
droits et seulement des devoirs. Faire de l'enfant un adulte responsable
capable d'exister par lui-même, de se gérer seul et de pouvoir,
à terme, faire la même chose avec ses propres enfants. On
reconnaît alors l'idéologie
151 Les guillemets autour de « vrai » et « faux
» ont été systématiquement écrites par
lui-même.
152 Article 354 du Code Civil
dominante, qui a grandit au cours de la seconde moitié du
XXème siècle : l'enfant devient le centre.
Cela impliquerait donc une permanence dans l'éducation,
le transfert de la morale, l'ouverture intellectuelle, l'apprentissage des
essentiels. Pour lui, il s'agit de transmettre. Mais il ne souhaite pas
transmettre tout ce que ses parents lui ont transmis. Ce sont ses propres
analyses, convictions, croyances et idées (adaptées à
l'époque à laquelle ses enfants vivent) qui construisent,
explique-t-il, son propre référentiel.
Il s'est donné quelques règles. Etre permanent
et pérenne dans le discours : il ne veut pas changer les règles
au fil de sa propre vie. Etre toujours juste : ne pas faire de
différence entre les enfants. Etre toujours honnête : ne pas
mentir. Etre simplement moral, ce qui pour lui relève d'un vaste
débat. Enfin, il trouve qu'une chose est primordiale pour que tout le
reste fonctionne, c'est d'aimer. Pour lui, il n'y a pas de parent sans
amour.
Il se pose alors la question de ce qu'est «
aimer » et ce qu'est « aimer ses enfants ». Il
pense qu'il ne devrait pas y avoir d'obligation puisque les enfants seraient,
dès leurs conceptions, des êtres indépendant-e-s. Hors, il
n'aime pas tout le monde. Probablement estce une question d'alchimie de la vie.
Il n'a donc pas de réponse précise.
Pour Philippe, être parent c'est donc éduquer,
transmettre et aimer. Il attribue ces fonctions au géniteur. Cela fait
penser à l'interrogation de Cécile Ensellem sur
L'accouchement sous X : Naître sans mère ? Elle se
demande si on peut ne pas être mère d'un enfant dont on a
été enceinte153. Socialement, un parent est parent
parce qu'il a engendré, reconnu ou adopté l'enfant. En
réalité, on peut engendrer un enfant et ne pas se
reconnaître comme étant le parent. Philippe se situe entre une
position spécifique à la seconde moitié du XXème
siècle qui enjoint aux parents d'aider l'enfant à se «
révéler » lui-même154 et celle qui veut que
les parents transmettent des normes et valeurs aux enfants, de manière
verticale - position qui de toute manière, ne s'est pas
complètement évaporée en 1970, elle s'est
complexifiée dans une logique de construction identitaire. Il ne faut
plus seulement éduquer et transmettre, il faut aimer.
4.2 Être parent de tous les enfants sous son toit
153 ENSELLEM Cécile (2004), Naître sans
mère ? Accouchement sous X et filiation, Presse Universitaire de
Rennes, Collection « Le Sens social ».
154 SINGLY François de (2007), op.cit.
Avec les enfants de son épouse, son système
fonctionnerait au même titre que ses propres enfants. Cependant, il
n'oublie pas qu'il et elle ont un père, un « vrai »
précise-t-il. Il ne souhaite pas prendre sa place et il souhaite
être capable de vivre certaines difficultés du type «
T'es pas mon père » : ce que lui avait dit Romain quand il
avait 15 ans. Il ne veut pas pour autant, accepter tout et n'importe quoi.
Même s'il n'est pas le « père », il est un
adulte que l'on doit, selon lui, respecter comme tou-te-s les autres. Cet
adulte, vivant au quotidien avec ses « vrais » ou «
faux » enfants, ne pourrait échapper à sa
responsabilité. Pour lui, l'adulte se doit de dispenser autant aux
un-e-s qu'aux autres, et de la même manière, les
éléments qu'il juge nécessaires de transmettre.
Donc pour Philippe, il est parent de tous les enfants vivant
sous son toit et son attitude vis-à-vis des un-e-s ou des autres doit
être égale, « « vrais » ou « faux »
enfants ». Mais il ne sait pas s'il est « papa »
car, selon lui, cela dépend du sens que l'on met derrière :
génétique, légal, à l'écoute, tendre etc.
Lui ne mettrait rien de particulier derrière ce terme. Il n'est pas
sûr qu'il y ait une réelle définition à ce stade.
Pour lui, il pense que « parent » serait un terme
général qui définirait celui ou celle qui assume une
responsabilité de transmetteur-e. Il se situe donc dans ce
cas-là. Alors qu'il pense que « papa » donne une
approche plus nuancée car il apporterait une dimension beaucoup plus
tendre dans la relation. Dans son cas, Emilie et Romain ayant vécu leur
prime jeunesse avec leur père, il et elle l'appellent de fait «
papa ». Philippe est conscient que rentre ici une notion d'habitude
sociale. Le père, c'est « papa » et la mère, c'est
« maman ». Il pense qu'il en est de même dans toutes les
langues et toutes les cultures du monde. Ce qui n'est pas tout à fait
exact puisque dans de nombreuses sociétés, père et
mère sont défini-e-s différemment. Le père peut ne
pas exister et le géniteur être appelé par son
prénom par les enfants, qui le considèrent comme un villageois
quelconque (chez les Na de Chine)155, il peut être une femme
stérile ou ménopausée (chez les Nuer)156, ou
correspondre à tous les frères de l'homme qui a engendré
l'enfant en plus de cet homme (chez les Iroquois)157 etc. Les
appellations sont donc difficilement comparables puisque la place
elle-même n'est pas définie de la même manière.
Philippe pense que s'il les avait eu-e-s beaucoup plus jeunes,
Emilie et Romain l'aurait probablement appelé « papa ». Mais
leur relation, même si elle est, selon lui, extrêmement tendre, ne
pouvait pas se traduire dans ce vocabulaire.
155 HUA Cai (1997) Une société sans père
ni mari, Paris, Presses Universitaires de France.
156 CADORET Anne (1999), « La filiation des
anthropologues face à l'homoparentalité », in Borrillo
Daniel, Fassin Eric, Marcela Iacub (dir), Au-delà du PaCS :
L'expertise familiale à l'épreuve de l'homosexualité,
Paris, Presses Universitaires de France, p.205-224.
157 SEGALEN Martine (2008), Sociologie de la famille
(6ème édition), Paris, Armand Colin.
Ceci révèle l'exclusivité donnée
au père et à la mère, y compris pour les appellations
« papa » et « maman », ce qui est une
spécialité de quelques sociétés occidentales dont
la nôtre. Notre système de parenté est fondé sur un
système bilatéral et sur l'idée d'une filiation construite
exclusivement dans un couple hétérosexuel158. Dans la
logique de notre société, n'entre donc pas la possibilité
d'une pluralité de pères et de mères, de « papas
» ou de « mamans ».
Pour Philippe, « père »
relève clairement de la définition du géniteur. Il pense
qu'il suffit de se référer aux papiers d'identité ou tout
autre document « officiel ». Sa vision du « père
» n'empêche pas, selon lui ses « faux »
enfants, dans certaines circonstances sociales et pour se faciliter la vie, de
l'appeler ou de le présenter comme leur père - mais plus
généralement, comme leur beau-père.
Il pense que tout cela est très compliqué et
relève surtout de la proximité existante entre les un-e-s et les
autres, et de l'histoire vécue entre eux/elles. L'âge des enfants
au début de la relation ainsi que la durée, la
pérennité, et la profondeur vont, selon lui, certainement donner
des utilisations de vocabulaire différentes. Cela dépendrait
aussi des relations entre « vrais » et « faux » parents.
Philippe hésite donc entre une définition
sociale et juridique qu'il perçoit et qui lierait selon lui la
parentalité à l'engendrement, et plusieurs constats au sein de
son parcours de relations existantes de parentalité sans engendrement ni
statut. Dans son récit, il est parti de la définition de «
parent », se posant lui-même les questions de ce que
c'était, son rôle, il approfondit et constate que - par une
démonstration presque mathématique - c'est ce qu'il est
auprès des enfants de sa conjointe. Si parent est un rôle d'un
adulte vers un enfant, alors il n'est plus sûr de la
nécessité d'un engendrement.
Pour lui, transmettre au quotidien passe par les «
règles » de politesse, de courtoisie, de respect, de
propreté, d'ordre, d'horaires, d'apprentissage scolaire etc. Pour
eux/elles, ça aurait été facile car avant les
recompositions familiales, les règles étaient globalement les
mêmes entre les différents parents. Pour lui, l'important est de
les expliquer, d'en faire comprendre l'intérêt et la
nécessité. Elles deviendraient alors incontournables sans
négociation possible.
Afin de se donner le temps de l'échange, et face aux
agendas différents de chacun-e (travail, école, fac, stage),
ils/elles ont convenu d'un temps quotidien durant lequel tout le monde est
rassemblé : le diner. Personne, le soir, ne mangerait dans son coin.
Toute la famille serait réunie et l'échange pourrait avoir lieu
de façon conviviale. Tout le monde entendrait
158 SEGALEN Martine (2008), Sociologie de la famille
(6ème édition révisée), Paris, Armand
Colin.
donc tout le monde pourrait débattre. Il n'y aurait pas
de sujet tabou, ils/elles parleraient de tout - avec des différences
liées à l'âge. Souvent, des questions posées le
matin entre deux portes, se solderaient pas un « on en parle tous
ensemble ce soir au dîner ». Cela laisserait si
nécessaire, le temps à l'enfant de réfléchir plus
loin à sa question. Et aux parents, également, de préparer
leurs réponses. Il arriverait que les parents aient un rapide
échange dans la journée afin de caler leurs idées. Cet
échange est le moyen de faire participer l'enfant pour qu'il ou elle
comprenne lui/elle-même l'intérêt de la chose. Cela
éviterait toute notion de punition ou de coercition. Cela faciliterait
aussi grandement la transmission aux « vrais » ou «
faux » enfants puisque tout le monde suivrait la même
partition.
Cela leur aurait en tout cas permis de ne jamais se mettre en
colère. Philippe ne croit pas avoir une seule fois dû crier ou
avoir entendu crier, ni d'avoir dû punir. Il pense d'ailleurs que cela ne
servirait à rien. Pour lui, si une règle est mal ou pas suivie,
c'est qu'elle n'est pas comprise, donc il souhaite la réexpliquer sans
colère ni heurts.
On voit qu'il y a une recherche d'égalité entre
tous les enfants et d'unicité familiale à travers cet espace, cet
échange et ce temps communs que représente le « repas de
famille ». Je mets des guillemets pour appuyer le fait qu'il s'agit de
toute une construction faite autour de ce temps partagé. Le « repas
de famille », qu'il soit festif ou ordinaire, exceptionnel ou quotidien
sert à rendre physique l'unicité de la famille par un moment et
un espace identifié. C'est un temps d'échange où chacun-e
prend connaissance de ce que devient l'autre, de ce qu'il vit, où l'on
construit des souvenirs communs, des représentations communes. C'est
également un temps où chacun-e réaffirme ou reconstruit sa
place au sein de l'organisation (se traduisant parfois physiquement par une
place à table). Pour Philippe, c'est le moment où tout le monde
peut échanger et débattre ensemble sur une question - et donc
cela participe à construire un point de vue commun, des règles
communes au sein du foyer, avec lesquelles tout le monde sera d'accord.
4.3 Etre parent de tous les enfants ?
Pour Philippe, il y aurait dans « parent », une
notion de responsabilité de l'adulte par rapport à l'enfant. Il
pourrait se considérer de ce fait, comme « parent » et
transmettre des éléments d'éducation même à
des enfants qu'il ne connaitrait pas. Par exemple, dire à un jeune dans
la rue qu'il faut mettre un casque quand on roule en scooter. La transmission
se ferait donc de l'adulte vers l'enfant avec un privilège pour les
siens qu'ils/elles soient « vrai-
e-s » ou « faux/sses ». Ce
privilège serait pour lui, lié à la présence
permanente, à la proximité et aux conventions sociales.
Dans l'ensemble, c'est la différence d'âge et la
cohabitation qui a défini son rôle auprès des enfants. Il
pense qu'une part d'amour complémentaire entrerait sûrement en jeu
pour les « vrais » enfants par le fait génétique selon
lui, et pour les « faux » par le lien privilégié
créé avec la maman. Cette part d'amour ne ferait peut-être
qu'augmenter la responsabilité de transmettre de l'adulte vers l'enfant,
ce qui pour lui est le rôle du parent.
On voit alors que Philippe connaît une ambivalence entre
sa vision qui croit en l'existence d'un lien génétique - ou du
moins reprend-il ce qu'il pense être le point de vue juridique et social
- et sa vision qui élargit la définition de parent - et
même de « papa » - à un rapport entre adulte et enfant
particulier, dépendant d'une différence
générationnelle, d'une histoire, d'une responsabilité.
Philippe se positionne dans un contexte social qui lui offre des
définitions qu'il interprète et ajuste en fonction de son
expérience. Il analyse ce qu'il perçoit de la
société et tend à s'en distancier - tout en restant dans
certaines croyances. Ces croyances sont nuancées car par exemple, les
guillemets autour de « vrais » et « faux » enfants,
parents, papa, ont été écrites par lui-même. Il
ressent la parentalité comme une histoire générationnelle
bien plus que statutaire ou génétique. Une autre histoire qu'il
me racontera en fin d'entretien et dont je ferai état dans la partie
suivante159, le prouvera.
Sa vision de la parentalité n'est pas sans
évoquer les sociétés océaniennes ou africaines
oül'adoption est une pratique courante et peut survenir
plusieurs fois dans une vie. Tout adulte
peut adopter un enfant et un enfant peut demander
lui-même à se faire adopter. Il n'y a pas de procédure
formelle et les géniteurs et génitrices ne peuvent pas ou peu
s'opposer160. Les parentalités s'ajoutent alors, quand dans
nos sociétés, elles se substituent les unes aux autres
(l'adoption plénière rompt la filiation avec la famille
d'origine). J'ai pu rencontrer une situation de parentalité additive,
par hasard, en discutant un jour avec un homme qui venait de Dakar et qui me
parlait de ses deux mères. Il ne les différenciait pas en termes
d'appellation si bien que depuis mon point de vue occidental, j'ai mis un temps
à comprendre « tu as deux mères en fait ? » Il
me répond que oui, l'une l'a élevé dès ses deux ans
car l'autre était encore au lycée.
159 « L'histoire d'une parentalité sans statut en
dehors de tout espace familial » p.111.
160 JEUDY BALLINI Monique, op cit.
5 Recompositions familiales et positionnement
genré161
Anne pense qu'elle est une figure matriarche, mais ce qui ne
signifierait pas mère ou belle-mère. Elle est une adulte et
même si les enfants sont aussi maintenant des adultes, de jeunes adultes,
il y a une génération de plus. Elle est une figure maternelle,
une figure (elle appuie sur le une) parce que les enfants ont une
mère aussi. Anne dirait que ses propres idées ont renforcé
les idées de la mère mais en les précisant parce qu'elles
ne sont pas les mêmes femmes même si leurs idées
n'étaient pas aux antipodes.
Cela aurait été plus compliqué pour
Patrick parce que son point de vue était opposé à celui de
Hugues. Donc, elle trouvait cela intéressant aussi parce qu'il aurait
montré qu'on pouvait être homme autrement.
Quand Philippe parle de « vrais » ou de
« faux » parent, papa, enfants, il sous-entend la
présence ou non d'un lien qu'il voit comme «
génétique ». Il se réfère à
l'engendrement. Il pense que cela correspond à ce que j'appelle «
sans statut » (quand je présente ma
recherche)162. Mais cette notion de « vrai » et
« faux » ouvre selon lui le débat. Dans son cas, il a
éduqué deux « faux » enfants comme il les
appelle, pendant toute leur période d'adolescence - ce qui
représente, selon lui, une partie non négligeable de leur «
maturation ». Alors est-il le parent ? Il pense que oui. Il pense
qu'il n'est pas le « papa » mais qu'il est le ou un parent.
Il aurait été le transmetteur de tous les éléments
qu'il a décrit plus tôt. Ce qui serait complexe, puisqu'il n'est
pas le « papa ». D'où le « T'es pas mon
père ». D'autant plus que quelque fois, le discours du
père en question pouvait être en contradiction plus ou moins
importante avec le sien.
Mais heureusement, selon Philippe, la relation avec Pascal
aurait toujours été détendue, la maison lui aurait
toujours été ouverte et les grands principes éducatifs
seraient très proches. Pour lui, la vraie différence se situe
dans le fait que Philippe aurait été le transmetteur permanent de
cette partie de leur vie. Il aurait mis beaucoup plus d'affect dans la relation
avec Emilie et Romain que Pascal, qui à son avis, n'a jamais
été très tendre, ni très à
l'écoute.
161 Défini socialement selon le sexe de la personne tel
qu'il est identifié par la société.
162 Il oublie par ailleurs une nouvelle fois les cas
d'adoption, d'IAD et de reconnaissance de l'enfant sans en être le
géniteur. De plus, selon mon point de vue sociologique, et dans ma
recherche, même quand un parent a engendré son enfant, le lien
n'en est pas moins social et construit et aucunement génétique.
Cependant, même s'il se trompe sur ma définition du « sans
statut », cela révèle ses propres représentations de
la parentalité. Il fera de nouveau la confusion entre géniteur et
parent statutaire lorsqu'il parlera des papiers d'identité et documents
officiels.
Il pense qu'il était l'exemple au quotidien en plus de
l'éducateur alors que Pascal n'était, selon lui, qu'une
référence plutôt théorique et décousue, voire
déconnectée de certaines réalités.
Se pose la question de l'éventuelle comparaison entre
parent statutaire et conjoint-e de l'autre parent statutaire. On sent alors
encore la rivalité dont parle Sylvie Cadolle entre le père et le
beau-père163. La cohabitation plus fréquente du
beau-père avec les enfants, le place plus souvent que le père,
dans un rôle parental. Mais le père a le statut, l'autorité
parentale, la légitimité sociale que le beau-père n'a pas.
Il s'agit donc de négocier les différents rôles, soit par
des principes éducatifs dits proches, soit en considérant chaque
foyer comme un espace avec ses propres règles différentes. Il
s'agit de construire un rôle sans donner l'impression de concurrencer
l'autre. Mais cette concurrence ne concerne pas une identité parentale
liée au sexe de la personne. Ce ne sont pas parce que deux parents sont
deux femmes (mère et conjointe du père) ou deux hommes
(père et conjoint de la mère) qu'ils/elles se trouvent en
concurrence pour un rôle construit de manière sexuée
(père ou mère). L'étude de Didier Le Gall, sur les
recompositions homoparentales féminines, montre que dans les situations
où la mère se met en couple avec une femme et que celle-ci prend
le rôle de belle-mère, c'est la question de la place du
père à ne pas usurper qui est posée et non celle de la
mère. La concurrence se joue donc entre un parent statutaire et le
conjoint ou la conjointe de l'autre, en tant que partenaire
privilégié-e, susceptible de partager une même filiation
(la parentalité n'était d'ailleurs supposée se construire
jusqu'en 1987 qu'au sein du mariage - 1987 ayant marqué le début
du partage de l'autorité parentale hors mariage).
6 Frères et soeurs dans le discours de leurs
parents
Aujourd'hui, Patrick et Anne ne vivent plus ensemble et sont
séparé-e-s depuis plusieurs années mais selon Anne, leurs
enfants se considèreraient comme frères et soeurs. Ils
et elles se verraient à noël alors que quand toutes
et tous étaient enfants, c'étaient « ouais,
j'aipas choisi... » . Le lien serait devenu suffisamment
important pour que plusieurs années plus
tard, cette forme de relation de crée. Ça ne ferait
pas débat pour eux/elles, ce serait normal, évident.
163 CADOLLE Sylvie (2007), op.cit.
Pour Philippe, c'est la même chose. L'ensemble de la
fratrie unissant les enfants d'Odile et les siens s'entendrait à
merveille. Eux/elles aussi se considèreraient comme frères et
soeurs. Julien, un peu moins que les autres, n'ayant jamais vécu avec
eux/elles. Puisque tout le monde vit dans la même zone
géographique, tous et toutes se rencontreraient
régulièrement que ce soit chez Philippe et Ruth ou que ce soit
entre eux/elles.
Anne et Philippe mettent en avant ce qu'il/elle voit comme de
bonnes relations entre les différents enfants. Ceux/celles-ci se
considèreraient comme frères et soeurs. Dire que tous et toutes
sont frères et soeurs, c'est pouvoir se dire « famille » sans
« s » à la fin. Ce ne sont pas deux familles joint-e-s au
moyen d'un couple mais une seule dite « unie ». Et c'est donc assurer
un tout, une cohérence au sein du groupe familial. Cette unicité
traduit socialement une égalité entre les enfants dans les
relations qu'ils/elles ont avec leurs parents - qu'il y ait lien statutaire ou
non. Ce sont pourtant deux relations différentes (frère-soeur et
parent-enfant) et l'une n'implique pas l'autre. Mais socialement, et
juridiquement, frères et soeurs sont des enfants ayant les mêmes
parents. Dans les représentations, la parentalité peut donc
être dite à travers les relations entre les
enfants164.
164 Pour une approche qui parte davantage des enfants
eux-mêmes sur les fratries dans les familles recomposées, voir
POITTEVIN Aude (2006), Enfants de familles recomposées : sociologie
des nouveaux liens fraternels, Rennes, Presse Universitaire de Rennes.
En guise d'ouverture...
L'histoire d'une parentalité sans statut en
dehors de tout espace familial
Au moment de rechercher les personnes qui m'ont raconté
leur parentalité sans statut, je ne pensais pas particulièrement
et je ne précisais pas qu'il devait nécessairement s'agir
d'homoparentalités ou de recompositions familiales. Sans doute, les
débats politiques actuels et les représentations communes ont
associé mon annonce à ces deux configurations. Il est de plus
sûrement difficile de s'autoriser à se dire « parent »
en dehors de toute définition reconnue ou du moins débattue dans
l'objectif d'un statut. Ce n'est qu'en fin d'entretien avec Philippe, que mon
intuition s'est confirmée. Il peut exister des formes de
parentalité en dehors de l'espace famille, Philippe se considère
comme parent d'une jeune femme rencontrée dans sa vie professionnelle.
Il ne m'en a pas parlée quand je lui ai demandé au départ
de me parler de lui en tant que parent, ni après. Ce n'est qu'en toute
fin d'entretien, c'est-à-dire au moment de clore - quand je lui ai
demandé s'il souhaitait ajouter quelque chose - qu'il m'a raconté
cette autre relation.
Pour Philippe, un adulte doit être « un «
parent » en soi » par rapport aux plus jeunes. Il vit
actuellement une expérience forte en « « servant » de
père » à Hélène, une fille de 33 ans, qui
aurait été fortement blessée dans toute sa jeunesse.
L'histoire d'un père incestueux décédé quand elle
avait 12 ans et d'une mère qui l'aurait mal aimée,
décédée il y a deux ans. Hélène serait
alcoolique, aurait suivi plusieurs stages de désintoxication, aurait eu
plusieurs boulots décousus. Elle se serait mariée à 19 ans
et aurait divorcé un an plus tard.
Philippe l'a connue il y a seize ans, dans le cadre d'une
plongée. Tou-te-s deux auraient beaucoup discuté, se seraient
attaché-e-s l'un-e à l'autre. Petit-à-petit,
Hélène aurait commencé à lui raconter son
passé, sans beaucoup de détails au début, mais
suffisamment pour que Philippe ressente qu'elle avait besoin de s'appuyer sur
quelqu'un-e. « Son besoin « d'enfant » » et le
« réflexe [de Philippe] de « parent »
» aurait suffi à faire le reste. Hélène le
considèrerait depuis comme son « papa de coeur ».
Philippe essaie de lui apporter des « transmissions » comme
avec ses enfants, essaie de l'aider à se sortir de son passé.
Selon lui, c'est un programme difficile mais qui reflète ce que doit
être un adulte parent.
Depuis, il et elle s'écrivent par SMS, mail et tchat.
Quand il va dans sa région, tou-te-s deux essaient de se rencontrer.
Pour lui, les rencontres sont tournées sur le plaisir de se voir «
comme entre « père et fille » ». Il n'y aurait
aucun sujet particulier abordé de façon particulière. En
tout cas au début. Il a rencontré Catherine, sa mère, un
an avant son décès et il serait à ce moment-là, un
peu plus rentré dans son intimité morale et psychologique.
Philippe et Catherine se seraient vu-e-s trois fois dont deux chez elles. Le
contact aurait été très rapidement amical. Tou-te-s deux
ont le même âge. Il pense que cela a aidé. Il suppose que
Catherine a perçu le lien qui se construisait entre lui et sa fille et
qu'elle en était heureuse
voire rassurée pour la suite. Elle se savait mourante
et elle était, imagine Philippe, inquiète de l'état
psychologique d'Hélène. Elle n'aurait jamais demandé
quoique ce soit à Philippe mais elle lui aurait fait comprendre qu'elle
était contente de cette relation pour le futur. « Comme un
passage de flambeau ».
Plus récemment, Hélène aurait «
craqué » et aurait d'elle-même souhaité le voir.
Philippe y serait allé et aurait longuement discuté avec elle et
son copain sur son état psychologique général. Il pense
qu'à ce moment-là, il y aurait eu un échange fort de
parentalité. Elle, cherchant un « « père »
« pour s'appuyer » » et lui tentant de « «
transmettre » à « sa » fille », ce qu'il
pouvait. Odile la connaîtrait bien et la suivrait en tant que «
mère » dans ce processus. Philippe peut alors ressentir clairement
le sens de « parentalité » « vraie », « fausse
» voire « totalement fausse », ce qui lui prouverait que la
« génétique » n'est pas le seul modèle de
transmission d'échange entre personnes de générations
différentes.
La conception qu'a Philippe de la parentalité
correspond à une relation intergénérationnelle de
transmission et il tend à la définir en dehors de toute notion
statutaire ou liée à l'engendrement. Cette relation qu'il
entretient avec Hélène montre la possibilité de se
choisir. Les expressions et plaisanteries « On choisit ses ami-e-s, pas sa
famille », « On ne choisit pas ses parents mais on peut choisir
l'arme du crime » ne vont donc plus de soi. Les relations entre
individu-e-s se détachent peu à peu d'un cadre
institutionnel165. On est passé du mariage au concubinage
pour arriver aux couples non cohabitants. Il en est de même pour la
parentalité qui tend à se définir en dehors des
institutions définies par l'Etat. Les acteurs et actrices
définissent eux/elles-mêmes, leurs univers, leurs réseaux,
leurs relations en jouant avec ce qui est reconnu, ce qui tend à
l'être, et ce qui ne l'est pas (encore).
Un numéro de Recherches
familiales166 récemment publié, tente
d'étudier différentes formes de transmissions et liens
intergénérationnels (familiaux, sociaux, historiques,
statutaires, professionnels). Mais, contrairement à Philippe, ce
numéro considère les relations de parentalité
exclusivement au sein de la famille, tandis que le reste des liens
correspondrait à d'autres formes de relations. L'ouvrage ne
considère pas les formes de liens privés construits entre deux
personnes d'âges différents, qui ne se considèrent pas de
la même famille mais qui se considèrent « fille/fils de
», « parent de ».
165 SINGLY François de (2007), Le lien familial en
crise, Paris, Editions rue d'ULM.
166 Recherches familiales, n°8, « Lien
intergénérationnel et transmissions », UNAF, 2011.
1 Une relation en dehors de la famille
La relation que décrit Philippe questionne les
définitions habituelles de la famille et de la parentalité. Par
ailleurs, il les sépare car il parle de la parentalité comme
d'une relation autonome c'est-à-dire indépendante de tout cadre
institutionnel comme la famille. Pour lui, elle pourrait exister avec n'importe
quelle personne appartenant à une génération plus jeune.
La parentalité n'est alors plus soumise à l'idéologie
d'une famille composée de deux parents en couple au moment de la
conception ou de l'adoption. Elle n'est plus soumise non plus à la
logique de l'hétéroparentalité qui dépend de celle
du couple. Elle devient donc plurielle. Elle devient aussi choisie de
manière bilatérale, c'est-à-dire par le parent mais aussi
par le plus jeune. La volonté du parent ne suffit plus à
créer la relation comme c'est le cas de l'adoption institutionnelle et
de la conception.
L'enquête d'Eva Lelièvre, Géraldine Vivier
et Christine Tichit sur la parenté choisie entre 1930 et 1965 montre que
les figures parentales étaient davantage portées par les femmes
que par les hommes167. Et que ces figures entretenaient le plus
souvent un lien familial avec l'enfant : grands-parents, oncles, tantes,
soeurs, frères, cousin-es... Mais pour 16% d'entre eux/elles, il
s'agissait de quelqu'un-e sans aucun lien de parenté
instituée.
Cela révèle une fois de plus l'importance de
l'enfant - ou du moins du plus jeune, pour ne pas construire de
catégorie d'âge - dans la construction de la relation.
L'enquête d'Eva Lelièvre, Géraldine Vivier et Christine
Tichit s'est construite à partir de leur point de vue en leur demandant
quelles étaient leurs figures parentales.
Si la filiation et/ou la parentalité au sein de la
famille sont est des filiations et/ou parentalités « à part
», elles ne le sont que par leurs constructions sociales. Autrement dit,
parce que nous faisons d'elles des relations « à part » et
privilégiées. Elles ne le sont ni d'emblée ni de
manière naturelle.
2 Des relations privilégiées
Pour autant, Philippe a bien choisi de me parler que quelques
relations autour de lui sans rester dans les généralités
de ses relations avec tous les enfants qu'il rencontre. Ce qui signifie qu'il
existe bien des relations construites comme prioritaires. S'il considère
donc qu'il a des responsabilités d'adulte, de parent, vis-à-vis
de tous les enfants, il ne se construit pas une
167 LELIEVRE Eva, TICHIT Christine, VIVIER Géraldine,
op.cit
identité de parent de manière égale pour
chacun-e d'entre eux/elles. Il le dit, il y a un privilège pour les
siens, c'est-à-dire pour celles et ceux avec qui il vit au quotidien
(sans pour autant que le lien soit statutaire). Sa relation avec
Hélène est aussi différente de ses relations avec d'autres
jeunes ou enfants qu'il rencontre car elle a été dite, construite
comme telle entre les deux protagonistes.
Pour reprendre le langage de Peter Berger et Thomas Luckmann,
ce sont les « autres significatifs » qui participent à
construire notre identité168. Cela signifie que le
privilège sera donné aux relations de parentalité qui
servent l'identité de parent de l'individu-e d'une part, et son
identité sociale en général d'autre part. Pour cela,
Philippe ne revendiquerait sans doute pas une relation avec un « plus
jeune » qui n'a pas besoin de lui comme parent, qui ne le reconnaît
pas comme tel - s'il ne vit pas sous son toit et s'il n'y a pas de lien
statutaire. Le lien statutaire crée la notion de droits et de devoirs
qui rend facultative la confirmation par l'enfant. La cohabitation implique la
solidarité conjugale et l'exercice quotidien de la parentalité
qui participe à légitimer l'identité de parent, même
si le point de vue de l'enfant prend d'ors et déjà davantage
d'importance (comme j'ai pu le voir avec Anne). En revanche, la relation entre
Philippe et Hélène n'est basée que sur une histoire
racontée, la construction de souvenirs partagés. Elle ne peut
prendre appui sur aucun statut ni aucune cohabitation. La seule relation qui
légitimerait la parentalité est la filiation que construirait,
selon Philippe, Hélène de son côté - en le
considérant comme son « papa de coeur ». Ni
l'histoire d'un couple ni l'histoire d'une configuration familiale ne rentre
dans le discours. C'est bien ce qu'il considère comme la demande
d'Hélène d'avoir un parent qui est racontée.
Dans tous les cas (statut, cohabitation, demande), Philippe
peut faire valoir ce qu'il revendique être des responsabilités
adultes. Les relations racontées servent donc bien son identité
sociale.
3 Une relation choisie, pas forcément
confirmée par l'autre
Philippe ne semble pas avoir d'emblée été
parent d'Hélène, tout comme il ne l'a pas été
d'emblée pour les enfants avec qui il vit. Il l'est devenu suite
à une rencontre, une élection mutuelle (pour
Hélène), suite à une cohabitation (pour les enfants
statutaires d'Odile) ou suite à une reconnaissance à l'Etat Civil
au moment de la naissance (pour ses enfants statutaires)
168 BERGER Peter, LUCKMANN Thomas (2006), La construction
sociale de la réalité, Paris, Armand Colin
(1ère édition 1966, The Social Construction of
Reality)
Le « T'es pas mon père »
démontre qu'il n'a pas non plus été reconnu comme parent
par tous les enfants en question, même s'il se considérait comme
parent. Lisa, de même, considérait que Thibault était au
départ trop petit pour exprimer qu'il la considérait comme
parent. François ne revendique aucune confirmation de la part de Sarah.
En revanche, pour Hélène et Philippe, la demande serait selon lui
- venue d'elle. La parentalité serait dans ce cas, une réponse
à une affiliation (dans le sens où Hélène le
considèrerait selon lui comme son « papa de coeur »).
Dans le langage de François de Singly, la parentalité pourrait
alors devenir un lien électif au même titre que le couple, dans le
sens où il serait choisi et choisi de nouveau continuellement
jusqu'à rupture du lien, quand il ne sert plus l'identité des
membres de la relation. Il prend l'exemple de François d'Assise. Dans
cette situation, c'est la filiation qui est rompue. « A son procès
[que lui a intenté son père car il était un mauvais fils],
François d'Assise dit : « Je ne suis plus ton fils », ce qui
est très différent d'un père qui dirait « Je ne suis
plus ton père ». [...] Quand François d'Assise dit «
Non, je ne suis pas d'abord le fils de mon père », il choisit sa
propre définition, définition qui n'exclut pas le fait qu'il peut
choisir un autre père (il choisit Dieu). Mais pas n'importe quel Dieu,
pas le Dieu des missions de la fin du XIXème siècle qui fait
trembler. Il choisit un Dieu éminemment personnel. »169
Entre un parent et son affilié-e, il y a donc bien deux
relations qui ne s'impliquent pas l'une et l'autre. On peut se
considérer comme parent d'un-e individu-e qui ne nous considère
pas comme tel. Inversement, on peut être considéré comme
parent par une personne sans que nous-mêmes ne soyons au courant de cette
considération, ni que nous ne nous définissions de cette
manière.
169 SINGLY François de (2007), Le lien familial en
crise, Paris, Editions Rue d'ULM, p.8-9.
Pour terminer...
Quelques conclusions...
Finalement, comment étudier la parentalité
?
Etudier des parentalités atypiques a permis de mettre
en évidence les choix de relations des acteurs et actrices dans ce type
de relations très fortement codées socialement et juridiquement.
Une parentalité sans statut est choisie et construite par ses membres et
leur entourage et ne correspond pas à la définition politique
actuelle de la parenté. Quand père et mère statutaires
sont présent-e-s, cela implique de créer un nouveau rôle,
une nouvelle relation suffisamment ressemblante pour être reconnue comme
parentalité et suffisamment dissemblante pour ne pas se voir reprocher
d'usurpation des identités de père et de mère. Cela passe
à la fois par des stratégies discursives, des actions politiques
en investissant les institutions et des actions quotidiennes pour se faire
reconnaître auprès de l'entourage. Mais ces actions ne peuvent
être reconnues que si leur sens est traduit par des mots.
Parler de sa relation dans le récit passe par une
construction stratégique du discours mobilisant éléments
perçus comme appartenant à la parentalité, souvenirs
considérés comme traduisant la relation comme une relation
parentale, témoins représentés comme légitimes pour
confirmer la relation.
A la vue des différentes personnes rencontrées,
la parentalité serait une relation choisie par un-e individu-e
vis-à-vis d'un-e autre plus jeune, que ces deux individu-e-s se
considèrent de la même famille ou non. Cette «
définition » est sociale, et pourrait se discuter. La
parentalité, par exemple, n'est que relativement choisi-e dans le cas de
grossesses non prévues ou bien d'une réponse à
l'injonction sociale (surtout avec des délais d'avortement
dépassés ou bien une pénalisation de ce
dernier)170. La différence d'âge entre parents et
enfants est également une construction sociale basée sur
l'idée que l'adulte saura plus et/ou mieux que l'enfant. Elle est
basée également sur la construction de catégories
d'âges au sein desquelles la parole n'a pas la même
légitimité sociale171.
Les définitions sociales participent aux
représentations des individu-e-s. Elles sont également
construites par eux/elles. Chacun-e construit sa famille, sa
parentalité. On le voit, les personnes rencontrées ne
définissent pas leur relation de la même manière. Leurs
discours restent singuliers même s'ils ont des points communs. On ne peut
pas définir la parentalité de manière universelle. Elle
est parfois relative à l'exercice quotidien du statut de parent, mais
170 BOLTANSKI Luc (2004), La condition foetale : Une
sociologie de l'engendrement et de l'avortement, Paris, Gallimard.
171 SINGLY François de (2006), Les adonaissants,
Paris, Armand Colin.
certain-e-s se considèrent comme parent sans en avoir
le statut. Elle est parfois lié-e à la cohabitation avec les
enfants, mais pas toujours. Parfois même, l'individu-e ne se dira pas
parent, mais dira que l'enfant est sa fille.
Il n'existe donc plus de définition unique de la
parentalité et de la famille. Chacun-e est parent à sa
manière, se dit parent selon ses propres
critères172.
Peut-on alors considérer la parentalité en
dehors des configurations familiales ? Ce n'est dans tous les cas ni dans les
habitudes communes, ni dans les habitudes politiques, ni dans celles des
scientifiques. Les enjeux politiques ne sont pas les mêmes dans les
configurations homoparentales et dans le cas de recompositions familiales et ce
sont donc plutôt ces configurations qui sont le centre des débats
et de la recherche. Néanmoins, c'est bien de parentalité qu'il
est question dans chaque cas et faire des configurations, des
catégories, c'est prendre le risque en sociologie de définir de
manière abusive un certain type de parentalité en la
différenciant abusivement des autres.
Mais créer des catégories comme « famille
homoparentale » permet de reconnaître la configuration comme «
famille » et comme « parentale ». Il peut s'agir d'un
positionnement politique (inévitable) du chercheur ou de la chercheuse.
Ce n'est donc pas contre ces catégories que je me positionne et je ne
peux pas non plus nier la configuration, si elle existe - élément
essentiel du contexte de la relation - je tente simplement d'adopter un autre
regard afin de voir ces relations au-delà d'un groupe dans lequel, elle
devrait forcément s'insérer.
L'enjeu du récit n'était pas le même pour
les configurations homoparentales et celles issues de recompositions
familiales. La configuration n'a pas été choisie de la même
manière puisque l'enfant était déjà là,
qu'il ou elle est issu-e d'une histoire antérieure, qui a
commencé avant la formation du couple. Dans le cadre de
l'homoparentalité, le parent se projette comme parent avant la naissance
de l'enfant et se dit parent, dit qu'il/elle a accès d'emblée en
toute légitimité aux différents territoires perçus
comme parentaux puisqu'il/elle est parent. Il faut évidemment ajouter le
bémol du statut. L'accès à ces territoires, notamment
quand ils sont institutionnels, n'est pas forcément d'emblée
autorisé. Mais, dans la manière de raconter, de mobiliser les
institutions dans leurs récits, les femmes que j'ai rencontrées
dans des situations homoparentales font valoir cet accès comme un droit
puisqu'elles sont parents (être présente à
172 J'adhère par ailleurs à la critique d'Eric
Fassin sur la notion de définition dans les sciences sociales, qui dit
que la définition appartient à la politique et non à la
science. FASSIN Eric (2000), « Usage de la science et science des usages :
à propos des familles homoparentales », L'Homme,
n°154-155, p.391-408.
la maternité, à l'école par exemple).
Alors qu'Anne, dans une situation de recomposition familiale, dit qu'elle n'a
accès à ces territoires qu'à partir du moment où
elle est confirmée comme parent par l'enfant. Elle a par ailleurs
mené l'entretien avec moi parce qu'Elizabeth l'a reconnue comme parent
en créant le lien entre nous. Les représentations sont
différentes du fait qu'Anne est devenue parent, une fois l'enfant
déjà grand, puisqu'elle ne l'a pas connu-e dès la
naissance.
De plus, dans un même foyer, il y a un homme et une
femme alors que dans les situations homoparentales, il y a deux personnes de
même sexe sous le même toit. Les rôles se construisent et se
négocient de manière différente puisqu'au sein d'un
même espace, dans le premier cas, la dite «
complémentarité » homme/femme (qui s'avère être
des inégalités) peut être reconstruite. Alors que dans le
second cas, le rôle doit se construire à la fois en s'identifiant
à un rôle perçu comme féminin (dans le cas d'une
homoparentalité féminine) et à la fois, en se
différenciant de la mère. Dans le cas des recompositions
homoparentales féminines étudiées par Didier Le Gall,
c'est du père dont la nouvelle conjointe de la mère cherche
à se différencier173.
On ne peut donc pas détacher la parentalité du
contexte dans lequel elle se place et dans une forme d'histoire
particulière. Car la configuration implique non seulement cette
histoire, mais aussi une organisation des espaces de circulation de l'enfant
qui varie selon les personnes qui composent ces espaces. Si chaque
parentalité est singulière, on retrouve des questionnements
communs à l'homoparentalité d'une part et aux recompositions
familiales d'autres part.
Cependant il y a aussi des choses qui se rejoignent quelle que
soit la configuration : la difficulté de définir les parents sans
statut, l'importance d'être confirmé-e comme parent par l'enfant
pour être reconnu-e par exemple. Ensuite, Philippe et
Hélène montrent bien que la parentalité peut exister en
dehors de l'espace famille et même en dehors de toute cohabitation et en
dehors de toute relation au moment de la naissance d'Hélène. Si
la parentalité est dans l'espace famille, on doit l'étudier au
sein de l'espace famille, si c'est au sein d'une configuration
particulière, on l'étudie au sein de cette configuration
particulière. Mais la parentalité peut aussi exister en dehors de
tout cela et c'est en cela qu'on peut briser les catégories, faire de la
parentalité une catégorie indépendante de celle de la
famille qui peut la croiser, la rejoindre mais pas obligatoirement.
173 LE GALL Didier (2005), op.cit
Se raconter comme parent : accords en genre et en
nombre
« Père » et « mère » sont
deux identités de parents construites pour différencier hommes et
femmes dans la parentalité et justifier les inégalités
sous le terme de « complémentarité ». Quand Martine
parle d'Eva en tant que parent, elle la différencie d'une mère et
d'un père tout en trouvant des similitudes avec chacun des deux
rôles. Dans le même temps, à certains moments des
récits, Eva et Karine seront décrites comme « partenaire de
la mère » c'est-àdire comme celles qui «
complètent » le rôle de la mère. De son
côté, Anne compare ses idées avec celles de la mère
de ses beaux-enfants tandis qu'elle compare les idées de son conjoint
avec celles du père de ses enfants. Le couple cohabitant implique dans
les représentations sociales une sphère de « pensée
commune »174 et dans le cas de la parentalité
cohabitante, une logique de « complémentarité » donc de
différenciation. En cas d'hétérosexualité du
couple, il ne nécessite donc pas de comparaison dans le discours afin
d'assurer la cohérence de l'équipe parentale. Il est
supposé que les idées sont les mêmes et les pratiques
« complémentaires ». En revanche, Anne ne compare pas tant les
idées d'une femme à celles d'une autre ni les idées d'un
homme à celles d'un autre. Elle compare plutôt les idées du
parent sans statut à celles du parent statutaire de l'autre foyer afin
de légitimer la place du parent sans statut, qui entre en «
cohérence » avec les idées éducatives existantes, ou
qui les « complète » dans une idée d'enrichissement.
La place du parent sans statut est donc définie en
référence à des représentations qui
considèrent des pensées, rôles, idées comme plus ou
moins féminines - ou bien plus ou moins masculines. Ces rôles ne
dépendent pas nécessairement de l'identité d'homme ou de
femme du parent en question, mais plus de l'identité de mère ou
de père du parent statutaire avec le/laquel-le ils/elles vivent (dans
une logique d'identification et de différenciation).
Identifier le parent sans statut aux rôles de «
père » et « mère » permet de le faire
reconnaître à partir de ce qui est connu. Dire ses
différences, c'est pallier à la concurrence éventuelle et
se faire reconnaître aussi comme étant un parent « utile
» (et non pas un double du parent existant). Un des enjeux
spécifiques aux familles composées du père et de la
mère statutaires, c'est que les deux parents porteurs des rôles
reconnus sont présents. Le parent sans statut ne peut donc pas remplacer
un parent qui ferait défaut mais doit s'inventer un autre rôle
à partir de ce qui est reconnu comme parental - tout en restant un
parent « différent ».
174 SINGLY François de, CHARRIER Gilda, op cit.
Pourtant, chaque individu-e est singulier et ne porte pas le
rôle de mère ou de père de la même manière que
les autres, mais selon ses propres interprétations de ce que doit
être une mère ou un père. Un enfant qui aurait deux
mères aurait deux mères différentes car ce ne seraient pas
les mêmes femmes.
Puisque la parentalité est communément
perçue comme une composante de la famille, être confirmé
comme parent par les autres membres de la famille (parents statutaires, ses
propres parents, l'enfant...), c'est confirmer la parentalité au
quotidien mais aussi comme existant au sein d'un groupe dont elle est
censée être indissociable. Mais au-delà, plus que
témoins, les parents statutaires, et a fortiori la mère,
supposée savoir ce qui est dans l'intérêt de son enfant,
sont celles et ceux qui vont pouvoir décider du réseau de
l'enfant. En effet, sans droit ni devoir, le parent sans statut dépend
du privé décidé par les parents statutaires. Mais plus que
le parent sans statut, c'est tout l'entourage de l'enfant qui peut être
choisi par son père et sa mère statutaire. Il et elle choisissent
son école, son médecin, les membres de la famille qu'il/elle peut
voir, chez qui il/elle peut passer des vacances etc. Par conséquent, les
parents statutaires deviennent important-e-s quand il s'agit de confirmer la
relation entre l'enfant et le parent sans statut. Permettre le lien, c'est
déjà le confirmer.
Vient ensuite l'histoire, la manière de raconter, les
mots, les objets, les photos. Vient l'imaginaire d'une histoire familiale, les
grands-parents sans statut qui considèrent ou pas l'enfant comme leur
petit-fils ou leur petite fille.
Se raconter comme parent : reconstruire les espaces et
les temps
Les lieux ne sont pas qu'une succession de murs et de sols
tout comme les temps ne sont pas qu'une succession d'évènements
et de secondes. L'un comme l'autre (espace et moment) sont construits par les
individu-e-s, et ont un objectif particulier (habitat, formation, consommation,
éducation etc.). Au sein des lieux, des codes implicites
définissent des manières d'être et de faire. Pour les
temps, à chaque âge (enfance, jeunesse, vieillesse) et à
chaque moment (vacances, travail, soirée) ses codes et ses attentes. Les
lieux et les moments sont donc traduits, interprétés par les
acteurs et actrices qui y circulent, qui en parlent, qui les investissent. Les
espaces peuvent parfois être institutionnels. Dans ce cas, ils peuvent
être composés par plusieurs lieux physiques (on fait la
différence entre l'école et les écoles,
l'Université et les universités).
Peuvent alors être crées des territoires
(école, CAF, maison) et des temps (vacances, week-end) parentaux.
Ceux-ci sont dits comme tels selon des représentations communes et/ou
individuelles de ce qui est parental. Ils varient selon les
individu-e-s. Il importe peu que la vision des personnes rencontrées de
ce qui est ou non parental soit singulière ou universelle (je ne crois
pas que cela puisse être universel). Ce qui importe c'est que dire un
territoire ou temps comme « parental » et l'investir, c'est donc se
dire parent. C'est aussi mobiliser des témoins perçus comme
officiels et spécialisés dans la famille et la parentalité
(CAF, école, Etat Civil etc.).
Mais ces territoires ne permettent pas seulement de se dire
« parent », ils peuvent aussi exclure. Pour investir ces espaces, il
faut en connaître les codes et les accepter. Pour aller à une
réunion parent-prof à l'école, il faut être un
minimum à l'aise avec l'espace scolaire. Pour demander des aides
à la CAF sans avoir le statut de parent, il faut déjà
savoir que c'est possible. Pour rencontrer les institutions, il faut se sentir
servi - et non desservi - par elles. Cela permet sans doute de comprendre
pourquoi, malgré mon objectif de départ, je n'ai réussi
à rencontrer que des personnes de milieux intellectuels, artistiques,
aisés.
Se créer une identité en investissement un
territoire implique dans ce cas d'avoir accès à la prise de
parole, car il ne suffit pas de les investir pour être parents, il faut
dire. Dire qu'on les a investis, dire ce que cela signifie, traduire les actes.
Ceci est valable autant pour les parents de familles homoparentales, que pour
ceux issus de recompositions familiales ou tout autre parent.
Se raconter comme parent : quels outils pour quelle
parole ? Parentalité et milieu social
Edmond Marc Lipiansky rappelle que la parole comprend un enjeu
identitaire très fort175. C'est par l'interaction, la
communication que nous faisons reconnaître un aspect de notre
identité. L'interaction peut se traduire par des manières de
faire et d'être mais le dire est une composante essentielle. Prendre la
parole c'est prendre le risque de « perdre la face » au lieu
d'être reconnu. On confie son identité à
l'interprétation d'autrui. A partir de là, on comprend ce que
peut représenter un entretien avec une étudiante qui
rédige un mémoire de master. Et on peut comprendre que - sans
même que l'étudiante ne soit issue d'un milieu aisé - elle
n'ait accès qu'à ce milieu directement. Cela ne signifie pas que
les personnes de milieu populaire qui se considèrent comme parent sans
en avoir le statut n'existent pas mais simplement que je ne les ai pas
rencontrées. Et le pourquoi m'intéresse car je ne peux pas mettre
cela sur le
175 LIPIANSKY Edmond Marc (1990), « Identité
subjective et interaction », in Camilleri Carmel, Kastersztein Joseph,
Lipiansky Edmond Marc, Malewska-Peyre Hanna, Taboada-Leonetti Isabelle, Vasquez
Ana (dir), Stratégies identitaires, Paris, Presses
Universitaires de France, p.173-212.
compte de mon réseau qui n'est pas exclusivement
universitaire. J'ai contacté des personnes de milieux beaucoup plus
modestes que celles que j'ai rencontrées et je n'ai pas eu de
réponse. Pour accepter un entretien dans l'objectif de mon
mémoire, sans doute faut-il se sentir suffisamment «
légitime », « intéressant-e », ne pas avoir
l'impression de n'avoir rien à dire. D'autant plus que mon objet de
recherche n'est pas « Les classes populaires ».
L'entretien a aussi quelque chose d'extrêmement violent
du fait que je n'exprime pas mon avis. Mes positions peuvent être
supposées, elles ne sont pas clairement dites. Les personnes
enquêtées parlent - de leur vie privée - s'exposent, je ne
valide ni n'invalide aucun de leurs propos. C'est donc un échange
inquiétant si nous ne sommes pas en confiance avec l'institution
universitaire. Car il s'agit bien de confier ses propos et sa vie privée
à une étudiante inconnue qui nous garantit simplement
l'anonymat.
L'une des stratégies est d'appuyer ses propos, à
travers la référence à des auteur-e-s reconnu-e-s en
psychologie ou en sociologie. Mais cela implique de les connaître, de
connaître au moins leur pensée. L'autre stratégie est de se
dire heureux/se, dire que « tout va bien » pour ne pas laisser place
au doute sur la bienveillance des parents à fonder leur famille telle
qu'ils et elles l'ont fondée. Cela implique d'avoir les moyens d'assurer
la vie économique de la famille.
Pour étudier le privé, est-on forcé-e de
se limiter alors aux classes aisées ? Je ne le pense pas. Simplement, la
parentalité ajoute une notion de responsabilité qui rend
difficile de se sentir légitime - si les institutions habituellement
rencontrées nous font croire sans cesse que nous n'arrivons pas à
assurer ces responsabilités.
Etudier le point de vue des parents : les
limites
Dans la société française d'aujourd'hui,
le point de vue de l'enfant est souvent revendiqué dans le choix des
politiques familiales quant aux nouvelles formes de famille (recomposition,
homoparentalité etc.). Les partisans d'un ordre social familial
hétéronormé et biparental parlent du droit d'avoir un
référent masculin et une référente féminine.
Le droit de voir ses deux parents. Mais le point de vue de l'enfant n'est que
supposé car il n'est jamais l'invité des débats
politiques. Tout comme il n'est que rarement l'enquêté des
sociologues. Le plus souvent, les débats - tout comme les recherches
sociologiques - tournent autour de la parenté et/ou de la
parentalité. Pourtant, nous l'avons vu, l'enfant a un rôle majeur
dans la reconnaissance de l'adulte comme parent. Eva peut se dire
considérée par Esteban comme « deuxième maman ».
Vanessa raconte que Karine était considérée comme telle
par Antoine
aussi. Lisa explique que pour Thibault, elle est un parent.
Sarah vient de perdre son père, il est donc délicat que son
beau-père se définisse comme parent. Dans la situation d'Anne,
les enfants sont celles et ceux qui autorisent l'accès des beaux-parents
sur les territoires dits parentaux comme l'école. Philippe explique
qu'Hélène le considère comme son « papa de coeur
».
Partir du point de vue de l'enfant sans parler
nécessairement de « parents » permet de sortir des relations
prédéfinies de parentalité voire de l'espace famille. Car
si Philippe et Hélène prouve que cela est possible, le mot «
parent » est lourdement porteur de représentations associées
à la famille.
Etudier les référent-e-s que l'enfant se choisit
permettrait d'aborder de manière plus large les relations non-paritaires
(c'est-à-dire qui ne comprends pas les ami-e-s, les frères et
soeurs du même âge etc.). Cela permettrait de considérer les
relations mises en évidence par Eva Lelièvre, Géraldine
Vivier et Christine Tichit176 entre frères et/ou soeurs
d'âges différents, dont l'aîné-e est
considéré-e comme figure parentale. Ce qui pourrait alors mettre
encore davantage en exergue les différences entre réalité
juridique (relative au statut des personnes) et réalité sociale
(telle qu'elle est vécue).
176 Op cit.
Annexes
Repères politico-historiques p.138
Grille d'entretien p.139
Bibliographie ..p.140
Repères politico-historique
Loi du 4 juin 1970
|
Fin de la puissance paternelle, autorité
parentale partagée dans le mariage
|
Loi du 11 juillet 1975
|
Divorce par consentement mutuel
|
Loi du 22 juillet 1987
|
Autorité parentale partagée en cas de divorce ou
concubinage. Notion de résidence habituelle chez l'un-e des parents.
|
1999
|
Adoption du Pacte Civil de Solidarité
|
Loi du 4 mars 2002
|
Résidence alternée possible après
divorce, suppression de l'injonction de résidence habituelle, lien
parent-enfant indissoluble.
|
Loi du 4 juillet 2005
|
Fin de la notion d'enfants « légitimes »
|
Grille d'entretiens
Consigne inaugurale :
Pouvez-vous me parlez de vous en tant que parent ?
Thèmes de relance (élaborés à
partir des entretiens réalisés en M1) :
La parentalité au quotidien
Comment se passe une journée avec l'enfant ?
Les pratiques évoquées par
l'interlocuteur/interlocutrice : comment ça se passe ? (le coucher, le
repas, l'accompagnement à l'école, aux sorties etc...)
Comment se passe le temps sans l'enfant ?
Les démarches administratives concernant la famille : caf,
reconnaissance d'état civil de l'enfant, maternité etc... comment
ça s'est passé ?
L'acteur ou l'actrice relativement aux autres parents
Comment vous positionnez-vous au sein de cette équipe de
parents ?
Comment vous positionnez-vous au sein de votre couple
vis-à-vis de l'enfant ?
Comment vous positionnez-vous vis-à-vis du père/de
la mère ? de son conjoint/de sa conjointe ?
Comment selon-vous s'est défini votre rôle
vis-à-vis de l'enfant ?
Cadrage :
Pouvez-vous vous présenter ?
Sexe, âge, profession. Idem pour mère, père
et autres Sexe et âge de l'enfant...
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Bibliographie
Ouvrages et articles scientifiques
ALGAVA Elisabeth (2002), « Les familles monoparentales en
France : progression et diversité », Population
n°4/5, p.733-758
ARBORIO Anne-Marie, FOURNIER Pierre (2005), L'enquête
et ses méthodes : l'observation directe, Paris, Armand Colin,
Collection « 128 ».
ARIES Philippe et DUBY Georges (dir) (1987), Histoire de la
vie privée : De la Révolution à la Grande Guerre,
tome 4, Paris, Editions du Seuil.
ARNAUD André-Jean (1993), « Le droit », Singly
François de (dir), La famille, l'état des savoirs,
Paris, La Découverte, collection « textes à l'appui »,
p.356-363.
ATTIAS-DONFUT Claudine, LAPIERRE Nicole, SEGALEN Martine (2002),
Le Nouvel esprit de famille, Paris, Editions Odile Jacob.
AUSTIN John Langshaw (1970), Quand dire c'est faire,
Paris, Editions du Seuil (1ère édition 1962, How
to do things with words)
BARRERE-MAURISSON Marie-Agnès (2003), Travail, famille
: le nouveau contrat, Paris, Gallimard
BASTARD Benoit (2001), « La séparation, mais le
lien », Terrain, n° 36 - Rester liés, [En
ligne], mis en ligne le 08 mars 2007. URL :
http://terrain.revues.org/index1147.html.
Consulté le 21 décembre 2008
BECKER Howard S.(2002), Les ficelles du métier :
Comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris, La
Découverte
BELMONTE Loetitia (2000), « La question des origines »,
Droits et société, n°29, p.137- 146.
BERGER Peter, LUCKMANN Thomas (2006), La Construction sociale
de la réalité, Paris, Armand Colin (1ère
édition : 1966, The Social Construction of Reality).
BLANCHET Alain, GOTMAN Anne (2005), L'enquête et ses
méthodes : l'entretien, Paris, Armand Colin, Collection « 128
».
BOLTANSKI Luc (2004), La Condition Foetale : Une sociologie
de l'engendrement et de l'avortement, Paris, Gallimard.
BOURDIEU Pierre, CHAMBOREDON Jean-Claude, PASSERON Jean-Claude
(1968), Le métier de sociologue, Paris, EHESS et Mouton
Editeur.
BORRILLO Daniel, FASSIN Eric, IACUB Marcela (dir) (1999),
Au-delà du PaCS :
L'expertise familiale à l'épreuve de
l'homosexualité, Paris, Presse Universitaire de France, collection
« Politique d'aujourd'hui ».
CADOLLE Sylvie (2000), Etre parent, être beau-parent :
la recomposition de la famille, Paris, Odile Jacob.
CADOLLE Sylvie (2007), « Allons-nous vers une
pluriparentalité ? L'exemple des configurations familiales
recomposées », Recherches familiales, n°4,
p.13-24.
CADORET Anne (2000), « L'homoparentalité,
construction d'une nouvelle figure familiale. », Anthropologie et
Sociétés, vol. 24, n°3, p.39-52.
CADORET Anne, GROSS Martine, MECARY Caroline, PERREAU Bruno (dir)
(2006), Homoparentalités : Approches scientifiques et
politiques, Paris, PUF, p.29-41.
CADORET Anne (2007), « L'homoparenté : un
révélateur de l'ordre familial ? », Recherches
familiales, n°4, p.47-57.
CASTEL Robert (2001), « L'individu «
problématique » », in Singly François de (dir),
Être soi parmi les autres : Famille et individualisation, tome
1, Paris, L'Harmattan, Collection « Logiques sociales », p.15-21.
CASTELAIN-MEUNIER Christine (2005), « Flexibilité
des identités et paternités plurielles », Enfances,
Familles, Générations, n° 3, URL :
http://id.erudit.org/iderudit/012532ar,
Consulté le 29 octobre 2008.
CHARRIER Gilda (1993), Mémoire et identité :
le souvenir de l'accès à la profession comme expression de
l'identité pour soi, Thèse de doctorat dirigée par
François de Singly, Université Paris V.
CHARRIER Gilda, LACOMBE Philippe (1997), La petite enfance :
familles, modes de garde et d'éducation, Brest, Editions
DESSport.
CHARRIER Gilda, DEROFF Marie-Laure (2006), « La
décohabitation partielle : un moyen de renégocier la relation
conjugale ? », Cahiers du Genre, n°41, p.99-115.
CHARRIER Gilda (2008), « La mobilité comme
aspiration à l'utopie conjugale », in Dervin Fred, Ljalikova
Aleksandra, Regards sur les mondes hypermobiles : mythes et
réalités, Paris, L'Harmattan.
COMMAILLE Jacques, MARTIN Claude (1998), Les enjeux
politiques de la famille, Paris, Bayard
COMMAILLE Jacques, STROBEL Pierre, VILLAC Michel (2002), La
politique de la famille, Paris, La Découverte.
DECHAUX Jean-Hugues (2007), Sociologie de la famille,
Paris, Editions La Découverte.
DEKEUWER-DEFOSSEZ Françoise (2004), « Droits de
l'enfant et responsabilités parentales », in de Singly
François (dir), Enfants adultes, Vers une égalité de
statuts ?,
Universalis p.33-47.
DEROFF Marie-Laure (2007), Homme/Femme : la part de la
sexualité : Une sociologie du genre et de
l'hétérosexualité, Rennes, Presses Universitaires de
Rennes.
DEROFF Marie-Laure (2007), « L'entretien sociologique et
l'intime : étude de cas », Les Cahiers de l'ARS, n°4,
« Genre et identités », p.81-98.
DESCOUTURES Virginie (2006), « Les « mères non
statutaires » dans les couples lesbiens qui élèvent des
enfants », Dialogue n°173, 3ème trimestre,
p.71-80.
DESCOUTURES Virginie, DIGOIX Marie, FASSIN Eric et RAULT
Wilfried (dir) (2008), Mariages et Homosexualités dans le monde :
L'arrangement des normes familiales, Paris, Autrement.
DESCOUTURES Virginie (2010), Les mères
lesbiennes, Paris, Presses Universitaires de France.
DESJEUX Cyril (2006), Homosexualité et
procréation : Les prémices d'un matriarcat ? : Analyse
stratégique du processus de décision d'avoir un enfant dans un
couple homosexuel, Paris, L'Harmattan, collection Logique Sociales.
DOLTO Françoise (1985), La Cause des enfants,
Paris, Editions Robert Laffont
DORTIER Jean-François (dir) (2002), Familles,
permanences et métamorphoses, Auxerre, Editions Sciences
Humaines.
DUBAR Claude (2000), La crise des identités :
L'interprétation d'une mutation, Paris, Presse Universitaire de
France, collection « Le lien social ».
DURKHEIM Emile (1909), « Débat sur le mariage et
le divorce », Extrait des Libres Entretiens, de l'Union pour la
Vérité, 1909, 5ème série, p.258-293.
Reproduit in Durkheim Emile (1975), Textes 2 : Religion, morale,
anomie, Paris, Editions de Minuit, Collection Le sens commun, p.206-215
DURKHEIM Emile (1921), « La famille conjugale »,
cours de 1892, Revue Philosophique, Reproduit in Durkheim Emile
(1975), Texte III : Fonctions sociales et institutions, Paris,
Editions du Minuit, Collection le sens commun, p.35-49
ENSELLEM Cécile (2001), « L'accouchement sous X.
Conflit autour de deux individualisations », in de Singly François
(dir), Etre soi d'un âge à l'autre : Famille et
individualisation, tome 2, Paris, L'Harmattan, collection Logiques
Sociales, p.61-74.
ENSELLEM Cécile (2004), Naître sans mère
? Accouchement sous X et filiation, Presse Universitaire de Rennes,
Collection le Sens Social.
EVANS-PRITCHARD Edward (1970), « Sexual Inversion among the
Azande », American Anthropologist, n°72, p.1428-1434.
EVANS-PRITCHARD Edward (1971), La femme dans les
sociétés primitives et autres essais d'anthropologie
sociale, Paris, Presse Universitaire de France (1ère
édition 1965, The position of women in primitive societies and other
essays in social anthropology).
FASSIN Eric (1999), « Pour l'égalité des
sexualités », Audition publique du 27 janvier 1999,
Vacarme, n°08, [en ligne], URL :
http://www.vacarme.org/article22.html,
Consulté le 19 mai 2009.
FASSIN Eric (2000), « Usages de la science et science des
usages : à propos des familles homoparentales », L'Homme,
n°154-155, p.391-408.
FASSIN Eric (2000), « Notre oncle d'Amérique :
Entretien avec Eric Fassin », entretien réalisé par Philippe
Mangeot et Victoire Patouillard, Vacarme, n°12, [en ligne], URL :
http://www.vacarme.org/article31.html,
Consulté le 20 avril 2009.
FASSIN Eric (2008), L'inversion de la question homosexuelle
(nouvelle édition augmentée), Paris, Editions Amsterdam.
FELD Scott L. (1981), « The Focused Organization of Social
Ties », American Journal of Sociology, Vol. 86, n°5, p.1015-1035.
FINE Agnès (dir) (1998), Adoptions : Ethnologies des
parentés choisies, Paris, Editions de la Maison des sciences de
l'homme.
FINE Agnès (2008), « Regard anthropologique et
historique sur l'adoption. Des sociétés lointaines aux formes
contemporaines », Informations sociales n°146, p.8-19.
FREUD Sigmund (1973), Névrose, psychose et
perversion, Paris, Presse Universitaire de France, collection «
bibliothèque de psychanalyse »
GARFINKEL Harold (2007), Recherche en
ethnométhodologie, Paris, Presses Universitaires de France
(1ère édition : 1967 : Studies in
Ethnomethodologie)
GAUTIER Arlette (2001), « Des grossesses sûres,
désirées et libres ? », 24ème
Congrès international sur la population, Session 63 : Social change,
gender and population, Salvador de Bahia, UIESP.
GIDDENS Anthony (2004), La transformation de
l'intimité : Sexualité, amour et érotisme dans les
sociétés modernes, Paris, Hachette Littératures,
collection « Pluriel » (1ère édition :
The Transformation of Intimacy : Sexuality, Love and Eroticism in Modern
Societies, 1992).
GOFFMAN Erving (1968), Asiles : études sur la
condition sociale des malades mentaux, Paris, Edition de Minuit
(1ère édition 1961, Asylums)
GOFFMAN Erving (1973), La mise en scène de la vie
quotidienne : 1- la présentation de soi, Paris, Editions de
minuit.
GOFFMAN Erving (1973), La mise en scène de la vie
quotidienne : 2- les relations en public, Paris, Editions de minuit.
GOFFMAN Erving (1975), Stigmate : Les usages sociaux des
handicaps, Paris, Editions de Minuit (1ère
édition 1963, Stigma).
GOODY Elizabeth (1982), Parenthood and social Reproduction,
Fostering and Occupational Roles in West Africa, Cambridge University
Press.
GROSS Martine (dir) (2005, Homoparentalité, Etats des
lieux, Paris, Erès.
HALBWACHS Maurice (1994), Les Cadres sociaux de la
mémoire, Paris, Albin Michel, (1ère
édition : Librairie Félix Alcan, 1925)
HALIFAX Juliette, VILLENEUVE-GOKALP Catherine (2005), «
L'adoption en France : qui sont les adoptés, qui sont les adoptants ?
», Population et Société n°417
HERBRAND Cathy (2007), « La parenté sociale : une
réponse à la diversité familiale » in Casman
Marie-Thérèse et al., Familles plurielles : Politique
familiale sur mesure ?, Bruxelles, Editions Luc Pire, p.183-189.
HERITIER Françoise (1996), Masculin, féminin,
la pensée de la différence, Paris, Odile Jacob.
HUA Cai (1997), Une société sans père ni
mari, Paris, Presses Universitaires de France.
HUGHES Everett C.(1996), Le Regard sociologique ; textes
rassemblés et présentés par Jean-Michel Chapoulie,
Paris, Edition de l'EHESS (édition originale : 1971, The
Sociological Eye)
INSEE (1995), Les femmes, Paris, INSEE, Collection
Contours et caractères
INSEE (2002), « L'évolution des temps sociaux au
travers des enquêtes Emploi du temps », Economie et
Statistique, n°352-353, [en ligne], URL :
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/es352-353z.pdf,
Consulté le 1er novembre 2010
JACQUES Béatrice (2007), Sociologie de
l'accouchement, Paris, Presses Universitaires de France.
JASPARD Maryse (2005), Sociologie des comportements
sexuels, Paris, La Découverte.
JOURNET Nicolas (2005), « Trobriandais et Nas de Chine : du
père discret à sa disparition », Sciences Humaines,
n°156, p.35.
KAUFMANN Jean-Claude (2004), L'entretien
compréhensif, Paris, Armand Colin, Collection « 128 ».
KRÜGER Helga, LEVY René (2001), « Linking
Life Courses, Work, and the Family : Theorizing a not so Visible Nexus between
Women and Men », Canadian Journal of Sociology, volume 26,
n°2, p.145-166.
LALLEMAND Suzanne (1988), « Un bien qui circule beaucoup
», in Abandon et
adoption : liens du sang, liens d'amour,
Autrement n° 96, p.135-141
LALLEMAND Suzanne (1993), La Circulation des enfants en
société traditionnelle, prêt, don, échange,
Paris, L'Harmattan.
LE CAMUS Jean (2002), « Le lien
père-bébé », Devenir, n°22,
p.145-167
LEFEVRE Cécile, FILHON Alexandra (dir) (2005),
Histoires de Familles, Histoires familiales : Les résultats de
l'enquête Famille de 1999, Cahier de l'INED n° 156, Paris,
INED.
LE GALL Didier, BETTAHAR Yamina (dir) (2001), La
pluriparentalité, Paris, PUF.
LELIEVRE Eva, VIVIER Géraldine, TICHIT Christine
(2008), « Parenté instituée et parenté choisie. Une
vision rétrospective des figures parentales en France de 1930 à
1965 », Population, n°63, p.237-266.
LEMARCHANT Clotilde (1999), Belles-filles : Avec les
beaux-parents, trouver la bonne distance, Presse Universitaire de Rennes,
Collection Le Sens Social.
LIPIANSKY Edmond-Marc (1990), « Identité
subjective et interaction », in Camilleri Carmel, Kastersztein Joseph,
Lipiansky Edmond Marc, Malewa-Peyre Hanna, TaboadaLeonetti Isabelle, Vasquez
Ana (dir), Stratégies identitaires, Paris, Presses
Universitaires de France, p. 173-212.
MADEC Annick (1996), Chronique familiale en quartier
impopulaire, Thèse de doctorat dirigée par
Jean-François Laé, Paris VIII.
MAILFERT Martha (2002), « Homosexualité et
parentalité », Socio-Anthropologie, N°11, Attirances,
URL :
http://socioanthropologie.revues.org/document140.html.
Consulté le 26 octobre 2008.
MARTIN Claude (1997), L'après-divorce : Lien familial
et vulnérabilité, Rennes, PUR, Collection « Le Sens
Social ».
MARTIN Claude (2003), « La Parentalité en
questions : perspectives sociologiques », Rapport pour le Haut Conseil
de la Population et de la Famille, Paris, Consulté sur internet le
24/11/08, URL :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapportspublics/034000552/index.shtml
MATHIEU Nicole-Claude (1991), L'anatomie politique :
Catégorisations et idéologies du sexe, Paris,
Côté-Femmes.
MEULDERS-KLEIN Marie-Thérèse, THERY Irène
(dir) (1993), Les recompositions familiales aujourd'hui, Paris,
Nathan.
MUXEL Anne (1996), Individu et mémoire familiale,
Paris, Armand Colin.
NEYRAND Gérard (1994), L'enfant face à la
séparation des parents : Une solution, la résidence
alternée, Paris, Syros, Collection « Alternatives Sociales
».
NEYRAND Gérard (2000), L'enfant, la mère et la
question du père : Un bilan critique de l'évolution des savoirs
sur la petite enfance, Paris, PUF
NEYRAND Gérard (2003), « L'évolution du regard
sur la relation parentale : l'exemple de la France », Nouvelles
pratiques sociales, Volume 16, numéro 1, p. 27-44
PAILHE Ariane, SOLAZ Anne (2004), « Le temps parental
est-il transférable entre conjoints ? Le cas des couples
confrontés au chômage », Revue économique,
vol 55, n°3, p.601-610.
POITTEVIN Aude (2006), Enfants de familles recomposées
: sociologie des nouveaux liens fraternels, Rennes, Presses Universitaires
de Rennes.
POTIN Emilie (2009), Enfants en danger, Enfants
protégés, Enfants sécurisés ? : Parcours de
(dé)placement(s) des enfants confiés à l'Aide sociale
à l'enfance, Thèse de doctorat dirigée par Arlette
Gautier, Université de Bretagne Occidentale.
QUENIART Anne (2003), « Présence et affection.
L'expérience de la paternité chez les jeunes. »,
Nouvelles Pratiques sociales, vol 16, n°1, p.59-75.
RAUCH André (2007), Pères d'hier, pères
d'aujourd'hui : du paterfamilias au père ADN, Paris, Nathan.
RAULT Wilfried (2009), L'invention du PaCS, Paris,
Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques.
REVILLARD Anne, VERDALLE Laure de (2006), « « Faire
» le genre, la race et la classe : Introduction à la traduction de
« Doing difference » », Terrain et travaux,
n°10, p.91-102.
RITSCHARD Gilbert, SAUVAIN-DUGERDIL Claudine (2007), «
L'enfant ciment du couple ou le couple comme ciment de la relation du
père à l'enfant ? Quelques enseignements de l'enquête
rétrospective du Panel suisse de ménages », in
BurtonJeangros Claudine, Widmer Eric, Lalive d'Epinay Christian (eds.),
Interactions familiales et construction de l'intimité : Hommage
à Jean Kellerhals, Paris, L'Harmattan, p.57-73.
RODMAN F. Robert (2008), Winnicott, sa vie, son oeuvre,
Toulouse, Erès.
ROUYER Véronique, ZAOUCHE-GAUDRON Chantal (2006),
« La socialisation des filles et des garçons au sein de la famille
: enjeux pour le développement », in Dafflon Novelle Anne (dir),
Filles-Garçons : Socialisation différenciée ?,
Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
SEGALEN Martine (dir) (1991), Jeux de familles, Paris,
Presses du CNRS.
SEGALEN Martine (2008), Sociologie de la famille,
6ème édition, Paris, Armand Colin.
SILBEY Susan S., EWICK Patricia (1997), « Devant la loi : la
construction sociale du juridique », in Kourilsky-Ageven Chantal (dir),
Socialisation juridique et conscience du
droit, Paris, Maison des Sciences de l'Homme, p.33-56
SINGLY François de, CHARRIER Gilda (1988), « Vie
commune et pensée célibataire », Dialogue,
n°102, p.44-53.
SINGLY François de, MARTIN Claude, MUXEL Anne,
BERTAUX-WIANEE Isabelle, MARUANI Margaret, COMMAILLE Jacques (dir) (1996),
La famille en question : état de la recherche, Paris, Syros
SINGLY François de (1996), Le soi, le couple et la
famille, Paris, Nathan.
SINGLY François de (2000), Libres ensemble :
l'individualisme dans la vie commune, Paris, Nathan.
SINGLY François de (2001), « Charges et charmes de
la vie privée », in Laufer Jacqueline, Marry Catherine, Maruani
Margaret, Masculin-Féminin : Questions pour les sciences de
l'homme, Paris, Presse Universitaire de France, collection « sciences
sociales et société », p.149-167.
SINGLY François de (2003), Les uns avec les autres :
quand l'individualisme crée du lien, Paris, Armand Colin.
SINGLY François de (2005), «
L'égalité et l'émancipation », Travail, genre et
sociétés, n°13, p.176-178, [en ligne], URL :
http://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=TGS_013_0176,
Consulté le 20 avril 2009.
SINGLY François de (2005), L'enquête et ses
méthodes : le questionnaire, 2ème édition
refondue, Paris, Armand Colin, Collection « 128 »
SINGLY François de (2006), les adonaissants,
Paris, Armand Colin.
SINGLY François de (2007), Le lien familial en
crise, Paris, Editions Rue d'ULM.
SINGLY François de (2007), Sociologie de la famille
contemporaine (3ème édition refondue), Paris,
Armand Colin, 128.
SINGLY François de (dir) (2007), L'injustice
ménagère, Paris, Armand Colin.
SINGLY François de, GIRAUD Christophe, MARTIN Olivier
(dir) (2010), Nouveau manuel de sociologie, Paris, Armand Colin.
TÖNNIES Ferdinand (1977), Communauté et
société. Catégories fondamentales de la sociologie
pure, Paris, Retz (1ère édition : 1887)
TRELLU Hélène (2008), « L'Allocation
Parentale d'Education prise par les femmes ou les hommes : une mesure de
régulation des temps dans le couple ? », extrait du colloque du 23
et 24 novembre 2008, [en ligne], URL :
http://clerse.univlille1.fr/site_clerse/pages/ActualitesEtColloques/TravailEmploiFormation/fr/atelier/7.htm,
Consulté le 31 mai 2009.
UNAF (2011), Recherches familiales, n°8, «
Liens intergénérationnels et transmissions ».
VERON Bérangère (2007), « Héritage
symbolique et rapport aux lignées dans les familles recomposées
», Recherches familiales, n°4, p.25-33.
VILLENEUVE-GOKALP Catherine, LERIDON Henri (1988), « Les
nouveaux couples : nombre, caractéristiques et attitudes »,
Population, vol 43, n°2, p.331-374
WEBER Max (1965), Essai sur le théorie de la sciences,
Paris, PLON (1ère édition : 1922, Gesammelte
Aufsätze zur Wissenschaftslehre)
WEST Candace, FENSTERMAKER Sarah (2006), « Faire la
différence (Traduction de Laure de Verdalle et Anne Revillard) »,
Terrain et travaux, n°10, p.103-136.
WESTON Kath (1991), Families we choose, lesbians, gays,
kinship, Columbia University Press.
WIDMER Eric, LEVY René, KELLERHALS Jean (2005), «
Devenir parents, quel impact sur l'activité professionnelle et le
fonctionnement conjugal ? », in (collectif) Eloge de
l'altérité : 12 regards sur la santé, la famille et le
travail, Lausanne, L'Hèbe, P.135-154.
Presse
AUNIS Delphine (2009), « J'ai 20 ans, je suis gay »,
Têtu, n°143, avril 2009, p.101-109
BLAIZE Cécile, MARESCAUX Laure, « Ces hommes qui
adoptent en solo », Marie Claire, article en ligne. URL :
http://www.marieclaire.fr/,ces-hommes-qui-adoptent-ensolo,20161,186.asp,
Consulté le 10 avril 2009.
BROUCARET Fabienne (2008), « Les mères parfaites
n'existent pas ! », Elle, [en ligne], URL :
http://www.elle.fr/elle/societe/les-enquetes/les-meres-parfaites-n-existent-pas/lesmeres-parfaites-n-existent-pas/(gid)/781292,
Consulté le 10 avril 2009.
CHAMPENOIS CLAIRE (2002), « J'ai Aidé mon fils
à retrouver sa mère biologique », Côté
Femme, 24 avril 2002, [en ligne], URL :
http://www.dorigineinconnue.org/affiche.php?noenr=56,
Consulté le 02 juin 2009.
CHEMIN Anne (2009), « « Statut des beaux-parents »
: le projet de loi est ajourné », Le Monde, 28 mars
2009
JUZA Camille, « Témoignage : J'ai
décidé d'avoir un enfant toute seule », dossier des
Maternelles : Les femmes, les hommes et le désir d'enfants, [en
ligne], URL :
http://lesmaternelles.france5.fr/index-fr.php?page=dossiers&dossier=1198&article=4595,
Consulté le 28 mai 2009.
KREMER Pascale (1999), « De plus en plus d'homosexuels
élèvent des enfants », Le Monde, 14 mars 1999.
KREMER Pascale (1999), « Sociologues, psychiatres et
psychanalystes sont divisés », Le
Monde, 14 mars 1999.
KREMER Pascale (1999), « Ces couples homosexuels qui veulent
des enfants », Le Monde, 14 mars 1999.
KREMER Pascale (1999), « Trois couples de parents sans
complexe », Le Monde, 14 mars 1999.
KREMER Pascale (1999), « Cela fait dix ans que je me pose
des questions », Le Monde, 14 mars 1999.
KRUMB Christian (2007), « Je voulais rester père
», Psychologies magazine, Hors-série n°10,
octobre-novembre 2007, p.18.
LE BELLEGO Gaël (2009), « Ses enfants lui suffisent. A
moi, pas ! », Biba, n°351, mai 2009, p.98-99.
MAZELIN SALVI Flavia (2007), « S'épanouir... ensemble
», Psychologies magazine, Hors-série n°10,
octobre-novembre 2007, p.10-16
MAZELIN SALVI Flavia (2007), « Couple, famille : pas les
mêmes enjeux. Entretien avec Jean-Michel Hirt », Psychologies
magazine, Hors-série n°10, octobre-novembre 2007, p.20-22
PIQUET Pascale, « Avoir une relation avec une personne
beaucoup plus jeune ou beaucoup plus âgée : amour ou
névrose ? », in Amour, Coeur et sentiment, [en ligne], URL
:
http://www.machronique.com/avoir-une-relation-avec-une-personne-beaucoup-plusjeune-ou-beaucoup-plus-agee-amour-ou-nevrose/,
Consulté le 30 octobre 2010.
ROSEAU Nadine, « Femme : un travail à temps plein
», Marie Claire, article en ligne, URL :
http://www.marieclaire.fr/,femme-un-travail-a-plein-temps,20161,746.asp,
Consulté le 10 avril 2009.
SOING Isabelle, « Heureuses et sans enfants »,
Elle, article en ligne, URL :
http://www.elle.fr/elle/societe/les-enquetes/heureuses-et-sans-enfants/heureuses-et-sansenfants/(gid)/409832,
Consulté le 10 avril 2009.
TERVONEN Taina (2009), « Papas grâce à la GPA
», Têtu News, Cahier n°2, Têtu
n°143, Avril 2009, p.18-23
Rapports du Sénat, Comptes rendus des
débats de l'Assemblée nationale, Discours
prononcés
ANDRE Michèle, MILON Alain, RICHEMONT Henri de,
Rapport d'information du Sénat, session ordinaire de 2007-2008,
n°421, [en ligne], URL : , Consulté le 1er avril
2009.
BOUMEDIENE-THIERY Alima, « Proposition de loi du 12
novembre 2009 autorisant le partage de l'autorité parentale dans le cas
de l'adoption simple de l'enfant du concubin ou du partenaire de pacte civil de
solidarité » , [en ligne], URL :
http://www.senat.fr/leg/ppl09-096.html,
Consulté le 5 octobre 2010.
GAUTIER Gisèle, Familles monoparentales, familles
recomposées : un défi pour la société
française. Rapport d'information sur l'activité de la
délégation aux droits des femmes et à
l'égalité des chances entre les hommes et les femmes pour
l'année 2005-2006, n°388, [en ligne], URL :
http://www.senat.fr/rap/r05-388/r05-388.html,
Consulté le 03 avril 2009
HYEST Jean-Jacques, Rapport d'information du Sénat,
session ordinaire de 2005-2006, n°392, [en ligne], URL :
http://www.senat.fr/rap/r05-392/r05-3920.html,
Consulté le 03 avril 2009.
« Compte rendu intégral des séances du
vendredi 9 octobre 1998 », Assemblée Nationale : Débat
parlementaires, Journal Officiel de la République Française,
session ordinaire de 1998-1999, n°78, [en ligne], URL :
http://www.assembleenationale.fr/11/cri/pdf/index.asp?session=1999,
Consulté le 19 avril 2009.
Discours de Nicolas Sarkozy sur la politique familiale au
Palais de l'Elysée, Vendredi 13 février 2009, [en ligne], URL :
http://www.elysee.fr/documents/index.php?mode=cview&press_id=2332&cat_id=
7&lang=fr, Consulté le 3 avril 2009.
Vidéos documentaires
ALLONNEAU Sylvie (2007), « Paroles d'hommes, Paroles de
pères », février 2007, épisode 2 : « Le blues du
futur père » [vidéo en ligne], URL :
http://www.vodeo.tv/4-34-
4550-le-blues-du-futur-pere-2-8.html, Consultée le 03 octobre
2009.
LE MARCHAND Karine (2006), « Mères homosexuelles :
à quand une vraie reconnaissance ? », Les Maternelles,
émission du 10 mars 2006, [vidéo en ligne], URL :
http://les-maternelles.france5.fr/index-fr.php?page=dossiers&dossier=1331,
Consultée le 27 octobre 2008
LE MARCHAND Karine, « Les femmes, les hommes et le
désir d'enfants », Les Maternelles, [vidéo en
ligne], URL :
http://les-maternelles.france5.fr/indexfr.php?page=videos_extraits&video=9641,
Consultée le 28 mai 2009.
LE MARCHAND Karine, « Les femmes, les hommes et le
désir d'enfants », Les Maternelles, [vidéo en
ligne], URL :
http://les-maternelles.france5.fr/indexfr.php?page=videos_extraits&video=9644,
Consultée le 28 mai 2009
HATTU Jean-Pascal (2009), « Parents comme ci, enfants
comme ça », 17 février 2009, [vidéo en ligne], URL :
http://wiki.france5.fr/index.php/PARENTS_COMMECI,_ENFANTS_COMME_ÇA,
Consultée le 08 mars 2009
« Enfants ballotés », Journal d'Antenne
2, 29 avril 1980, [en ligne sur le site de l'INA], URL : httphttp://
www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=corpust#,
Consulté le 14 avril 2009.
« Tout images : le PACS », Soir 3, 03
septembre 1998, [en ligne sur le site de l'INA], URL :
http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=corpust#,
Consulté le 14 avril
2009.
Romans, nouvelles, littérature
ERNAUX Annie (2008), Les années, Paris,
Gallimard, Collection « Folio ».
FITZGERALD Francis Scott (2005), Une vie parfaite suivi
de L'accordeur, Paris, Gallimard (1ère
édition 1925, The Adjuster)
|
|