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Retour sur des témoins oubliés : les sonderkommandos d'Auschwitz-Birkenau (1942-1944).

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par Morgane Loiselle
Université de Paris Ouest Nanterre - La Défense  - Master Recherche en Histoire Contemporaine 2010
  

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Université de Paris Ouest Nanterre - La Défense
Unité de Formation et de Recherche en Sciences Sociales et Administration
Département Histoire

Retour sur des témoins oubliés : les Sonderkommandos d'Auschwitz-
Birkenau (1942-1944).

Mémoire de master 1 présenté par Morgane LOISELLE,
Sous la direction de Madame le professeur Annette BECKER.

Sommaire

INTRODUCTION 5

PARTIE I Ecrire pour témoigner : saisir les faits relatifs aux Sonderkommandos....... 16

Chapitre I Situer le témoignage 17

1. Comprendre les auteurs, définir le texte 17

2. Admettre l?impensable : que sait-on d?Auschwitz ? 20

3. Les critères de sélection au SK : entre logique et paradoxe 23

Chapitre II Situer le lecteur 28

1. Définir les lieux, saisir son organisation 28

2. Retranscrire le travail des Sonderkommandos entre art et littérature 31

3. Survivre au Sonderkommando : analyse des conditions de vie des SK 37

PARTIE II Ecrire pour exister : saisir l?univers des Sonderkommandos..................... 41

Chapitre I Le témoin instrumentaire 42

1. L?adresse au lecteur 42

2. Toucher le lecteur 45

3. Convaincre le lecteur 49

Chapitre II Les limites du témoignage 52

1. Autocritique des Sonderkommandos 52

2. Ecrire pour se justifier ? 55

3. La question de l?indicible. 59

CONCLUSION 62

SOURCES 71

BIBLIOGRAPHIE 76

« Peut-être y aura-t-il des soupçons, des recherches faites par les historiens, mais il n?y aura pas de certitude parce que nous détruirons les preuves en vous détruisant. Et méme s?il devait subsister quelques preuves, et si quelques-uns d?entre vous devaient survivre, les gens diront que les faits que vous racontez sont trop monstrueux pour être crus [~] ».

Témoignage de Simon Wiesental rapporté par Primo Levi, Les naufragés et les rescapés, Paris, Gallimard, 1989, p. 11.

Introduction

Unique par son ampleur et les moyens mis en oeuvres dans un contexte de causalité idéologique, la Shoah1, « offre » aux historiens une étude et une interprétation historique sans cesse mouvante. D?une analyse précise des documents écrits à l?écoute minutieuse des témoignages oraux, l?enjeu historique a été et est encore de transmettre, dans un souci de compréhension et de lutte contre la négation du crime2, une mémoire « collective3 ». Cependant, il semblerait aujourd?hui, que le phénomène de commémoration et de transmission de la Shoah ait freiné la recherche historique : l?enseignement et le « devoir de mémoire4 » du génocide juif permettent certes une reconstruction mémorielle de la Shoah (autour des musées, des lieux de mémoires, des expositions) mais ne génèrent plus de nouvelles discussions qui nous permettraient de mieux comprendre le génocide. En réalité, l?histoire semble se heurter au moralisme contemporain, qui tend à mettre en avant le caractère purement émotionnel de l?évènement sans en expliquer réellement les causes :

« Abandonnant le strict terrain de l?Histoire, la Shoah se voit investie de «vérités éternelles», offrant l?occasion d?un enseignement civique tous azimuts. Instrumentalisée, cette mémoire collective dilue le génocide dans une leçon sur la tolérance [
·
·
·]5 ».

1 Nous choisirons dans cette analyse l?emploi du mot hébreu Shoah qui renvoie directement à l?anéantissement et à la catastrophe contrairement au mot d?origine grecque Holocauste qui désigne dans l?histoire religieuse juive un sacrifice par le feu. Le mot Shoah, choisi par David Ben Gourion pour sa dimension laïque afin de désigner le génocide et fixer le jour de commémoration au calendrier israélien (Yom Ha-Shoah), tend à remplacer celui d?Holocauste dans l?espace francophone depuis l?oeuvre cinématographique de Claude Lanzmann, Shoah réalisé en 1985.

2 Le néologisme « négationnisme » a été créé par l?historien Henry Rousso en 1987 afin de désigner correctement ceux qui nient la réalité du génocide par la négation des faits comme Henri Roques à l?inverse du « révisionnisme historique » qui réexamine de façon scientifique les sources pour en proposer une nouvelle interprétation.

3 Le terme « mémoire collective » a été inventé par Maurice Halbwachs par opposition à la notion de mémoire individuelle. La mémoire collective est partagée, transmise et aussi construite par le groupe ou la société moderne.

4 La notion ou l'expression de « devoir de mémoire » apparaît comme un concept élaboré non pas par les historiens mais par les hommes politiques et les médias, afin de reconnaître la responsabilité de l?Etat français dans les persécutions et la déportation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Cela passe ainsi par une série de commémorations désignées par Georges Bensoussan comme des « machines à oublier » de par leur caractère trop émotionnelle qui pousse alors à l?interprétation.

5 Cité par Georges Bensoussan, dans « Ailleurs, hier, autrement. Connaissance et reconnaissance du génocide arménien », Revue d'histoire de la Shoah, n°177-178, janvier-août 2003.

Dès lors, le problème que pose une telle « leçon sur la tolérance » est le détournement historique qui s?y inclut ipso facto : la Shoah apparaît alors comme l?unique représentatrice6 du mal absolu de notre histoire, où seul le souvenir de la souffrance juive doit prévaloir au sein de la mémoire collective. Voilà sans doute tout le problème que pose la dichotomie existante entre mémoire et histoire : la mémoire procède par tri et simplification mettant dès lors de côté une partie de l?histoire. L?image du martyr juif, de la souffrance juive représente, dans la mémoire collective, le génocide : il devient l?élément de comparaison qui permettrait de prévoir les nouvelles dérives. Pourtant, comme nous le rappelle le philosophe Emmanuel Kattan :

« Si l?on veut exposer les dangers que comportent le totalitarisme, les dérives du racisme et de la haine, il convient d?évoquer également d?autres évènements que la Shoah. Si nous voulons être en mesure de déceler l?injustice dans la multiplicité de ses dimensions, la prudence exige que nous développions un sens historique plus profond, que nous reconnaissions, dans chacune de leurs variations, les expressions du mal qui balisent notre histoire7 ».

Il est possible alors, que la Shoah, en monopolisant8 et en exploitant9 le concept de douleur collective à travers l?expérience du génocide des juifs, détourne notre regard sur l?histoire : le sentiment, l?affect, influent sur notre vision des choses et nous empêchent de comprendre au mieux le coeur de l?évènement. L?émotion rend en effet, inefficace l?analyse sur le plan politique et donc mémoriel10 où seule la finalité de l?évènement est décriée.

Pourtant, les premières recherches effectuées par Raul Hilberg11 et Léon Poliakov12 ont su ouvrir la voie à une infinité de travaux et d?analyses sur les fondements et les origines de la Shoah, mais celles-ci semblent aussi mettre en évidence ce retard existant autour de l?étude du génocide en soi13, plus précisément des mécanismes de mise à mort ayant concrétisé le

6 De ce fait, les génocides Arméniens, Ukrainien, Cambodgien, Rwandais, demeurent des évènements incomparables avec le génocide des Juifs d?Europe. Cette idée est développée par Enzo Traverso, « La singularité d?Auschwitz. Hypothèses, problèmes et dérives de la recherche historique », in Coquio, Parler des camps, penser les génocides, Paris, Albin Michel, 1999, p. 128-140.

7 Emmanuel Kattan, Penser le devoir de mémoire, Paris, PUF, 2002, p.78.

8 Voir l?ouvrage de Jean-Michel Chaumont, La Concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997.

9 Voir l?ouvrage controversé de l?historien américain Norman G. Finkelstein, L'Industrie de l'Holocauste : réflexions sur l'exploitation de la souffrance des juifs, Paris, La Fabrique, 2001.

10 Lorsque l?on étudie la Shoah, on se rend compte très vite, que les concepts très problématiques fixés autour de l?individu dans l?Etat ont été mis de côtés, alors qu?ils sont primordiaux pour comprendre l?histoire de la Shoah.

11 N?ayant de cesse d?être repris et approfondi, La destruction des Juifs d'Europe a été publié pour la première fois en 1961.

12 Bréviaire de la haine : Le IIIe Reich et les Juifs fût publié pour la première fois en 1951.

13 Ce sujet semble intéresser majoritairement les historiens soutenant des thèses révisionnistes, voire, négationnistes ; The Journal of Historical Review génère par exemple, un débat permanent sur la Shoah en remettant en cause les témoignages ou en minimisant le travail effectué dans les camps. Robert Faurisson se fait d?ailleurs connaître du grand public en affirmant par une lettre ouverte publiée dans Le Monde et intitulée « Le problème des chambres à gaz, ou la rumeur d'Auschwitz » que les chambres à gaz tout comme le génocide lui-

programme de la « Solution finale »14. Cette absence d?étude semble soulever une problématique majeure : peut-on historiciser15 la dernière étape de la Solution finale ?

Voilà, très certainement, l?enjeu de ce mémoire aujourd?hui : c?est en plongeant au centre de l?univers de mise à mort nazi, que nous allons tenter d?en comprendre son fonctionnement et ses rouages.

Comment dès lors, alors que nous rentrons au coeur du processus institutionnel et industriel du génocide lui-même, ne pas s?intéresser de plus près aux « témoins » de l?extermination, à savoir les Sonderkommandos16 eux-mêmes ? Et comment ne pas limiter cette étude à l?immense complexe qu?est Auschwitz-Birkenau17, devenu au fil du temps une véritable métonymie de la Shoah ?

La reconstruction de l?histoire du génocide, ne peut se faire sans une étude précise des Sonderkommandos.

Ce nom de code, que l?on traduit par « commando spécial18 » s?appliquait à divers programmes bien distincts19 et successifs qu?il convient de situer : dans le premier cas, les nazis avaient baptisé ainsi la police juive, responsable du maintien de l?ordre dans le ghetto de Lodz. Dans le second, cette appellation servait aussi à désigner une dizaine d?unités SS, alors affectées à des tâches précises liées à l?extermination et en partie intégrées aux unités mobiles de tuerie : les Einsatzgruppen20. Ces SS Sonderkommandos, composés alors d?Allemands et appartenant à la bureaucratie nazie, possédaient à eux seuls, le pouvoir de décider et d?exécuter. Aussi, l?utilisation du terme « Sonderkommando » ou encore « Einsatzgruppen », témoigne avant tout d?un euphémisme radical où réside la volonté de camoufler le meurtre commis.

Un corrélat important est ici à définir : la politique génocidaire nazie qui s?est construite dans le désordre le plus complet (à travers les massacres sanglants perpétrés en Europe de l?Est), a dû revoir son système de fonctionnement en reprenant un certain ordre basé sur les avancées technologiques et industrielles. Il semblerait alors que le Sonderkommando formé à

même ne seraient quun sombre mensonge « permettant une gigantesque escroquerie politico-financière dont l'État d'Israël est le principal bénéficiaire». Voir l?ouvrage publié et non diffusé de Robert Faurisson, Ecrits révisionnistes (1974-1998), ed. privée hors commerce, 1999.

14 La « Solution finale », est le nom de code nazi pour la destruction délibérée et programmée, des Juifs d'Europe. La Conférence de Wannsee du 20 janvier 1942, a permis de déterminer la façon dont la solution du « problème juif », par des assassinats de masse, serait transmise aux ministères et fonctionnaires concernés.

15 Autrement dit, peut-on faire l?étude du concept sans effectuer une simple représentation des chambres à gaz ?

16 Ce terme sera bien entendu, définit plus bas pour des raisons de commodité.

17 Auschwitz-Birkenau, situé au coeur de l?Europe, est principalement constitué de trois camps : Auschwitz I, camp de concentration, Auschwitz II (Auschwitz-Birkenau) camp de concentration et centre de mise à mort et Auschwitz III (Auschwitz-Monowitz) camp de travail pour différentes usines.

18 L?appellation Sonderkommando est composée de deux termes : le « Kommando » qui appartient au jargon militaire et l?adjectif « Sonder » signifiant en allemand « spécial ».

19 Israël Gutman, Encyclopedia of the Holocaust, Vol. 4, New York, Macmillan Publishing Company, 1990, p. 1378.

20 De juin à novembre 1941, ces opérations mobiles de tueries ont fusillé plus d?un million de personnes, puis 400 000 autres l?année suivante.

Auschwitz, soit apparu progressivement et parallèlement au développement technique des structures d?extermination, à travers un système qui s?est substitué aux SS Sonderkommandos et aux Einsatzgruppen.

Ce « perfectionnement », résulte aussi du choix d?écarter le plus possible les Allemands de la mise en oeuvre de la Solution finale, à la suite de l?expérience acquise à travers la première phase de la politique d?extermination réalisée par les Einsatzgruppen21 où « l?exécution des Juifs a parfois atteint de telles proportions que même les membres des Einsatzkommandos ont soufferts de dépression nerveuse22 ».

Aussi, la dernière notion du terme Sonderkommando23 qui fait l?objet de notre analyse aujourd?hui, arrive parfaitement à son paroxysme lorsqu?elle s?applique au camp d?Auschwitz : c?est par astreinte que des « équipes spéciales » constituées principalement de détenus juifs, ont été chargées par les SS, dès juillet 194224, de vider les chambres à gaz et de brûler les corps des victimes, avant d?être éliminées à leur tour au bout de quelques mois. Maintenus dans l?avilissement le plus total, les membres du Sonderkommando sont devenus, malgré eux, les « collaborateurs » forcés de l?extermination. C?est en étant chargés du fonctionnement de l?appareil d?extermination, en étant les premiers et les derniers témoins du mal absolu que très peu ont survécu : la quasi-totalité d?entre eux25 fut assassinée par les SS des camps afin d?éradiquer la moindre possibilité de témoignages.

Il apparaît alors invraisemblable, que certains d?entre eux aient pu laisser, alors même que l?extermination se produisait, une trace écrite du crime perpétré : l?écriture de ce mémoire a ainsi été motivée par la puissance inaliénable des écrits enfouis et retrouvés26 après la guerre sous le sol d?Auschwitz, de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental, tous trois

21 Voir l?ouvrage de Christian Ingrao, Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre SS, Paris, Fayard, 2010.

22 Citation extraite du journal Völkischer Beobachter le 30 avril 1942 et rapporté par Saul Friedländer, Les Années d'Extermination. L'Allemagne nazie et les Juifs, 1939-1945, Editions du Seuil, 2008, p. 427.

23 Le « Sonderkommando » est le nom donné, dans le cadre des camps d?Auschwitz et de Majdanek, aux équipes de travail affectées au quartier des chambres à gaz et des crématoires. Cette appellation est reprise sous le nom Todeskommando (le kommando de la mort) dans les camps de Treblinka, Sobibor et de Belzec. Il convient de se rapporter à la définition précise, donnée par Yad Vashem alors disponible en annexe.

24 Le premier Sonderkommando à Auschwitz fut créé le 4 juillet 1942, lors de la sélection d?un convoi de juifs slovaques pour la chambre à gaz.

25 Pendant la période de fonctionnement des installations d?anéantissements du printemps 1942 à novembre 1944, environ 2 000 hommes participèrent à ces « équipes spéciales » dont les effectifs fluctuaient selon les besoins, pouvant atteindre plusieurs centaines de prisonniers (près de 860 durant l?été 1944 lors de l?arrivage massif des juifs hongrois). Sur une estimation de 1000 membres qui composaient le Sonderkommando en septembre 1944, seul 90 auraient survécus. Voir l?étude de Georges Bensoussan (dir.), Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d'Auschwitz-Birkenau, Paris, Calmann-Lévy, 2005, p. 9.

26 Les Meguilots (rouleaux) d?Auschwitz (appelés ainsi en référence aux Meguilots de la Bible hébraïque, rappelant notamment les rouleaux des « Lamentations de Jérémie ») ont été retrouvés sous la terre de Birkenau dès février 1945 en ce qui concerne Zalmen Gradowski et Lejb Langfus. Une lettre a été retrouvée la même année, celle-ci étant attribuée à Haïm Herman. C?est en 1961, que le texte de Zalmen Lewental est retrouvé. Il faudra attendre l?année 1980 pour découvrir une seconde lettre attribuée alors à Marcel Nadsari. A l?exception de la lettre d?Herman écrite en français et de celle de Nadsari en grec, tous les autres manuscrits sont rédigés dans la langue yiddish.

rassemblés dans l?ouvrage Des Voix sous la cendre27. Les témoignages de ces hommes placés « comme gardiens aux portes de l?enfer28 », livrent au-delà des informations factuelles brutes, une incroyable vision interne du camp d?extermination d?Auschwitz. Là oü l?on pensait y voir des descriptions écrites dans l?urgence extreme, se trouvent des récits diverses dans leur forme et dans leur style, avant tout encrés dans le désir d?aller prouver à la postérité la réalité de l?extermination. L?historien doit donc y voir un document de premier ordre puisque ces témoignages fournissent des détails précis et détaillés, sur le fonctionnement des centres de mise à mort, en particulier sur celui de Birkenau. Ces documents permettent aussi à l?historien de mieux saisir l?univers de ces hommes, contraints malgré eux, de servir leurs bourreaux. Ainsi, ces écrits avec les quatre photos29 prises clandestinement à Auschwitz, constituent la seule et unique trace de ce que fût l?action génocidaire nazie au moment méme oü les atrocités se produisaient. Ils n?étaient donc soumis à aucun impératif : là est la fine barrière existante entre celui qui témoigne au moment des faits, et celui qui prend parole une fois les évènements passés. Le fait de choisir le mot « témoin » dans le titre de ce mémoire, prend ici tout son sens : les Sonderkommandos, sont devenus les « spectateurs » de l?horreur, les « Geheimnisträger30 » de l?abjection, les qualifier de témoins, c?est admettre que leurs témoignages ont une valeur pleinement historique.

Il était donc normal, que cette analyse commence à l?année 1942 : date à laquelle a non seulement commencé le travail de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Gradowski au camp d?Auschwitz-Birkenau, mais aussi, le moment où ils ont intronisé le travail d?écriture. Le choix de clôturer cette analyse à la fin de l?année 1944 est naturellement lié à la mort des auteurs qui ont su jusqu?au dernier moment décrire, raconter, transmettre, l?horreur de leur quotidien. Il n?y a eu de fait, aucune « distance mémorielle » entre la réalité vécue par ces hommes et la formulation qu?ils en ont donnée.

Aussi, le fait d?analyser précisément dans ce mémoire, les récits de ces Sonderkommandos, résulte avant tout d?un désir idéaliste et surtout personnel : ces témoignages encore méconnus non pas, évidemment, des historiens mais des jeunes générations, doivent être absolument étudiés et diffusés bien plus largement aux sphères externes de la recherche historique, au sens où ils diffusent incommensurablement des valeurs universelles de paix, de tolérance et de justice.

27 Georges Bensoussan (dir.), Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d'Auschwitz-Birkenau, Paris, Calmann-Lévy, 2005. Cet ouvrage est une réédition revue, corrigée et augmentée du n° spécial sur les écrits des Sonderkommandos : « Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d?AuschwitzBirkenau », Revue d'histoire de la Shoah - Le Monde juif, Paris, CDJC, numéro 171, Janvier-Avril 2001.

28 Citation emprunté à Zalmen Gradowski, Des voix sous la cendre, op.cit., p. 119.

29 En août 1944, les membres du Sonderkommando d?Auschwitz-Birkenau réussissent à photographier le processus d?extermination aux abords du crématoire V de Birkenau. Georges Didi-Huberman dans Images malgré tout offre une réflexion extraordinaire sur la portée de tels documents dans la recherche historique. Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Ed. de Minuit, 2003.

30 Littéralement « Les porteurs de secrets ».

Pourtant, l?histoire de ces hommes et plus largement des Sonderkommandos d?Auschwitz, demeure un paradoxe certain de la mémoire du génocide : la « collaboration " forcée des Juifs à leur propre extermination empêche, en raison du caractère complexe qui pèse sur eux, leur pleine intégration au sein de la mémoire collective.

Il apparaît en effet encore bien difficile de concevoir, lorsque le souvenir du génocide constitue bien souvent le coeur de l?identité juive, que des juifs, méme malgré eux, ait pu participer au processus d?extermination mis en place par l?Allemagne nazie. Il y a eu de fait une « rétention31 ", en raison des difficultés rencontrées encore aujourd?hui, autour de la question de cette « participation " forcée. Cette « collaboration " forcée a été soumise à toute une série d?aprioris et d?amalgames, qui pour la plupart, ont été véhiculés par les propres déportés eux-mêmes. On a ainsi laissé la place à toute une série de rumeurs alimentées par la terreur de ce qu?ils ont fait, empêchant alors, une réelle compréhension de ce que fût le processus génocidaire. Dès lors, certains philosophes et écrivains se sont refusés à prendre en compte les écrits et les témoignages des Sonderkommandos.

Primo Lévi explique de fait :

« D?hommes qui ont connu cette extrême destitution de la dignité humaine, on ne peut attendre une déposition au sens judiciaire du terme, mais quelque chose qui tient de la lamentation, du blasphème, de l?expiation et du besoin de se justifier, de se récupérer eux-mêmes. [...] Il nous faut attendre d?eux l?épanchement libérateur plutôt qu?une vérité à face de Méduse32. "

En réalité, ce qu?affirme Lévi et qui se retrouve chez une grande partie des penseurs de cette période, témoigne avant tout du manque total d?information33 circulant sur les Sonderkommandos. L?on voit alors en ces hommes des êtres dépourvus de toute humanité, pleinement liés, et de façon volontaire, aux bourreaux. La méconnaissance des faits est avant tout liée au cloisonnement des témoignages où les membres survivants du Sonderkommando, alors peu nombreux à leur retour des camps, ne sont entendus que dans une sphère totalement privée34 : Miklos Nyisli en tant que médecin affecté au Sonderkommando a été le premier à témoigner en 1951, s?en suit, les témoignages de Szlama Dragon, Alter Feinsilber et Henryk

31 Terme employé par Philippe Mesnard, « Écritures d'après Auschwitz ", in L'extrême dans la littérature, Letras Libres, 2007, n° 53.

32 Primo Levi, Les naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz, Paris, Gallimard, 1989, p.53.

33 Seul le témoignage de Miklos Nyisli, médecin juif hongrois affecté au Sonderkommando d?Auschwitz, avait été publié : la revue Les Temps modernes publie, en deux fois, le récit de son expérience (n° 65 et 66, mars et avril 1951).

34 Il en a été de même pour les déportés de l?univers concentrationnaire. Le procès d?Adolphe Eichmann en 1961 marquera alors un tournant décisif pour les déportés au sens où il inaugure une nouvelle dimension du témoignage : celle du « témoin-moral ". Cette idée a été définie par Avishai Margalit, dans L'éthique du souvenir, Paris, Climat, 2006, p. 159-190.

Tauber au procès de Cracovie35 de 1945, puis Filip Muller et Milton Buki au procès de Francfort36 en 1964. Sans compter que la méfiance37 des sociétés de l?après Shoah à l?égard des survivants du génocide ayant été accusés de « collaboration » avec l?ennemi nazi, a suscité le silence des Sonderkommandos. Il aura alors fallu une force de courage exceptionnelle à Filip Müller38, pour sortir de cette sphère privée, et pour écrire en 1979, ce qu?il a vu et été obligé de faire à Auschwitz alors que personne ne parlait ouvertement des Sonderkommandos.

Seul Claude Lanzmann, six ans plus tard, dans son film documentaire Shoah39, lève le voile sur l?histoire de ces hommes. Mais les écrits retrouvés sous le sol d?Auschwitz, ne sont que furtivement évoqués alors qu?il s?agit, certes, d?un témoignage sur ce que fût la dernière étape de la Solution finale, mais aussi, et surtout, une incroyable source d?information sur le monde qui était le leur. Les manuscrits nous permettent de mieux saisir les pensées, les souffrances et les tourments de ces hommes qui tendent à contredire cette image négative portée à leur encontre.

Pourtant, force est de constater, que l?historiographie se détourne totalement de ce sujet. Cette catégorie de prisonniers affectés aux commandos des crématoires, n'ont, en effet, pas suscité le même intérêt historique que les autres prisonniers. Dès lors, excepté leur publication40 et leur traduction, les écrits de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental, n?ont soulevé que très peu d?intérêt. Ber Mark41 a ainsi été le premier à s?attacher à la portée de ces textes, en consacrant un ouvrage à la Résistance juive à Auschwitz. Il a ainsi été soucieux des diverses informations contenues dans ces témoignages, autour de la révolte42 des

35 Ces dépositions confirment, entre autres, l'intensité du massacre des Juifs de Hongrie au printemps 1944. Tout cela est malheureusement à resituer dans un contexte précis : ces témoignages n?ont su trouver écho qu?auprès des personnes comprenant la langue du procès : le Polonais. Il faudra attendre 2005 pour qu?une traduction française voit le jour.

36 L?une des particularités essentielle de ce procès, outre sa durée et donc la quantité d?informations qu?il contient, était que des Allemands y jugeaient des Allemands. Les dépositions des Sonderkommandos sont donc relatives.

37 Voir l?ouvrage d?Annette Wieviorka, L'ère du témoin, Paris, Plon, 1998, (réédition Hachettes littératures, 2009).

38 Juif Slovaque déporté à Auschwitz au printemps 1942, Filip Müller témoigne en tant que déporté membre d?un Sonderkommando dans son livre paru en 1979, Trois ans dans une chambre à gaz d'Auschwitz, traduit de l?allemand, Paris, Pygmalion, 1980.

39 Au cours de l?été 1973, l'idée d'un documentaire unique prend forme. Ce projet, commandé par le ministre des affaires étrangères israélien, allait mettre douze années à se réaliser avant de s'afficher sur les écrans du monde entier en 1985 : c?est Shoah de Claude Lanzmann.

40 Une première édition est parue en Israël en 1965, puis en 1977 mais uniquement en écriture yiddish. Il faudra attendre l?année 1970 pour que la direction du musée d?Auschwitz-Birkenau publie dans un même ouvrage les manuscrits des Sonderkommandos en Polonais, puis en allemand (1972) et en anglais (1973).

41 Intitulé Meggillah d'Auschwitz (Le Rouleau d?Auschwitz), l?ouvrage de Ber Mark publié en 1977, retrace toutes les formes de résistance qui ont pu exister à Auschwitz et dans ses camps annexes. Son étude a ainsi été traduite en français sous le titre : Des voix dans la nuit : la résistance juive à Auschwitz, Paris, Plon, 1982.

42 Les membres du Sonderkommando furent les seuls détenus du camp d?Auschwitz à s?être soulevés en octobre 1944. Il est presque invraisemblable d?imaginer qu?une telle action puisse avoir eu lieu. Malgré l?échec, la révolte du Sonderkommando est un symbole puissant de l?opposition Juive à l'extermination.

Sonderkommandos. C?est à travers ce travail de recherche, suivies de nombreux témoignages et documents d?archives, que le lecteur français a pu découvrir pour la première fois, les manuscrits de ces Sonderkommandos. Mais il faut reconnaître que cet ouvrage se fixe avant tout autour des passages relatant les moments de révolte, de résistance au sein du camp. Il n y a pas une réelle réflexion portée sur les manuscrits. Krystina Oleksy43 en 1994, de la direction du Musée d?Etat d?Auschwitz et Birkenau, a travaillé précisément sur le témoignage de Zalmen Gradowski mais elle n?a publié ses recherches44 que dans des articles privés et édités uniquement en Pologne. Son travail relate avant tout, les diverses fonctions astreintes aux Sonderkommandos, mais uniquement au regard du manuscrit de Zalmen Gradowski.

Les recherches effectuées par Gideon Greif45 en 1995, proposent une nouvelle réflexion sur les Sonderkommandos d?Auschwitz, mais ceux uniquement au travers des différents témoignages de survivants. Les manuscrits ne sont dès lors que furtivement analysés46.

En réalité, les ouvrages et les articles liés au Sonderkommando en général, témoignent avant tout d?un désir spécifique de vouloir rendre compte de ce que fût la Résistance juive à Auschwitz. Mais la barrière de la langue, et la difficulté d?accès à ces travaux, sont un frein majeur à leurs diffusions. Aucun ouvrage n?a entrepris une étude d?ensemble approfondie de ces écrits. Il semble que la majeure partie des chercheurs se soient contentés de les citer à titre de preuves et en notes dans la plupart des cas. Il apparait aussi, que ces études soient avant tout centrées autour de Zalmen Gradowski face à la qualité littéraire qu?offre son témoignage. Quant à l?exceptionnel ouvrage des Voix sous la cendre47, rassemblant pour la première fois en français, les dépositions faites au procès de Cracovie, et offrant une nouvelle traduction des écrits de Zalmen Gradowski48, Lejb Langfus, et de Zalmen Lewental, témoigne avant tout d?un désir réel de vouloir fournir au chercheur, une classification des différentes analyses portées sur le Sonderkommando. Il permet alors de mieux cerner, ce que fût l?immense complexe qu?est le camp d?Auschwitz puisqu?il y fournit des détails précis sur les étapes de sa construction et de son fonctionnement. Il y regroupe alors les différents articles49 écrits sur les manuscrits. Mais cette analyse n?est en aucun cas une synthèse des différentes données

43 Directrice adjointe de l?éducation, Kristina Oleksy a été à l?origine du Centre international de Formation sur Auschwitz et l'Holocauste mis en place en 1993 et ouvert au public depuis 2006.

44 Kristina Oleksy, « Salman Gradowski. Ein Zeuge aus dem Sonderkommando » in Miroslav Kàny, Raimund Kimper (dir.), Theresienstädter Studien und Dokumente, Prag, Theresienstäder Initiative Academia, 1994.

45 Gideon Greif a rassemblé dans son ouvrage Wir weinten tränenlos...Augenzeugenberichte der jüdischen « Sonderkommandos » in Auschwitz, toute une série d?interviews réalisée auprès de membres rescapés du Sonderkommando d?Auschwitz. Cet ouvrage sera réédité, augmenté et traduit en anglais uniquement en 2005. Gideon Greif, We wept without tears : testimonies of the jewish Sonderkommando from Auschwitz , London, Yale University Press, 2005.

46 Cette analyse a d?ailleurs été retranscrite dans l?ouvrage collectif Des Voix sous la cendre..., op.cit., pp. 431 - 447.

47 Georges Bensoussan (dir.), Des Voix sous la cendre..., op. cit.

48 Les deux textes écrits par Zalmen Gradowski ont fait l?objet d?une publication antérieure à l?ouvrage des Voix sous la cendre. Zalmen Gradowski, Au coeur de l'enfer, Document écrit d'un Sonderkommando d'Auschwitz, Philippe Mesnard et Carlo Saletti, Paris, Editions Kimé, 2001.

49 Notament l?article de Nathan Cohen, « Diarries of the Sonderkommandos in Auschwitz : Coping with Fate and Reality », in Jérusalem, Yad Vashem Studies, numéro XX, 1990. Mais aussi les analyses de Carlo Saletti et de Philippe Mesnard déjà publié en français dans Zalmen Gradowski, Au Coeur de l'enfer, op.cit.

traduites, ni d?une analyse laconique de ces écrits. L?intérêt de ce mémoire sera alors de s?inclure parmi ces différentes études afin d?y apporter une interprétation pleinement personnelle et détaillée des textes présentés dans Des Voix sous la cendre. Ce mémoire tentera alors de mettre en avant la sagacité stricto sensu des auteurs qui n?est pas tant la difficulté à retranscrire l?horreur du crime, que la spécificité de la représentation qui en est faite par chacun d?entre eux. Dès lors, revenir sur les écrits de ces « témoins oubliés50 » pose des interrogations spécifiques :

Comment Zalmen Gradowski, Lejb Langfus, et Zalmen Lewental retranscrivent ils des informations précieuses sur la matérialité et le fonctionnement du génocide ?

Comment leurs témoignages, au-delà de la portée onirique et symbolique, renseignent-ils l?historien sur l?univers dans lequel les membres du Sonderkommando étaient plongés ? Comment s?articule l?impératif de prouver au monde libéré l?existence des camps de concentrations et des chambres à gaz, et le besoin de mettre en garde les générations futures ? Toutes ces interrogations viseront à répondre à une question centrale : en quoi le Sonderkommando d?Auschwitz, que l?on pourrait adapter dans le cadre de recherche future, aux autres camps de l?Action Reinhardt, constitue-t-il un instrument de la politique génocidaire nazie ?

Dès lors, différentes sources ont été nécessaires pour répondre au mieux à ces interrogations : aussi la reconstruction de l?action génocidaire s?effectuera selon l?orientation des témoignages de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus, et Zalmen Lewental. C?est à partir d?eux que l?on saura oü aller dans les archives. Ils apparaissent de fait comme source principale et seront toujours cités selon la pagination donnée dans l?ouvrage Des Voix sous la cendre. Ils seront nécessairement appuyés de recherches externes : vingt témoignages de survivants51 du Sonderkommando du camp d?Auschwitz ont ainsi été réunis grâce aux recherches effectuées au Centre de documentation juive contemporaine à Paris et à la Bibliothèque nationale de France, afin d?appuyer les faits retranscrits dans ces manuscrits. De ces sources orales et écrites, une seconde attention sera portée aux oeuvres de David Olère52, qui en tant que Sonderkommando du camp d?Auschwitz a souhaité représenter l?horreur qu?il a vécue à travers l?art. Cela permettra alors de situer le récit à travers l?imaginaire pictural. Cette analyse s?appuiera aussi, de façon plus relative, sur les écrits d?anciens déportés faisant référence aux membres du Sonderkommando alors qu?il ait évident qu?une majeure partie d?entre eux n?a jamais été en contact avec ces hommes, ni vu ce qu?il se passait. Aussi, cette différence tend à mettre en évidence les méfiances et les préjugés qui demeuraient autour des Sonderkommandos. A cela s?ajoutent les témoignages de SS, qui en décrivant l?action

50 En référence au titre de l?article publié par l?express : Les témoins oubliés, 17 janvier 2005, L?Express.

51 Tous ces témoignages seront réunis et détaillés dans la catégorie « sources » de cette étude.

52 Peintre et affichiste de l?Ecole de Paris, David Olère est arrêté à l?âge de 41 ans et déporté de Drancy au camp de Birkenau en 1943. Durant toute sa période de détention il fit partie des Sonderkommandos.

génocidaire, ont cité le Sonderkommando en y détaillant son fonctionnement. Ces sources pourront et devront, bien entendu, être complétées dans le cadre de recherches ultérieures.

Ce mémoire s?articulera autour de trois grands axes afin que chacun d?entre eux, en partant de l?analyse des différents manuscrits, puisse apporter une réponse précise aux diverses problématiques soulevées. Il conviendra alors dans un premier temps, de mettre en évidence les faits relatifs aux Sonderkommandos, qui ont été volontairement mis en avant par Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental, afin de rendre compte du fonctionnement et des divers mécanismes de destruction auxquels ils ont été témoins et contraints de participer. Cela permettra de compléter nos connaissances sur cette entité distincte dont il semble possible de tracer une continuité évolutive avec le camp d?Auschwitz. Dans un second temps, il sera intéressant d?analyser le pouvoir du langage en tant que témoignage historique : il faudra avant tout essayer de comprendre l?intellect des Sonderkommandos à travers « l?expérience du langage53 », qui revient non seulement à saisir toute la portée du fait historique raconté, mais aussi et surtout, à observer les stratégies narratives que les témoins ont choisies pour toucher leurs lecteurs. Il conviendra alors de distinguer la fine barrière existante entre le « témoin oculaire » qui retranscrit l?évènement au moment des faits (ou peu après) et le « témoin instrumentaire » qui a conscience de ce qu?il écrit, de ce qu?il veut faire passer en tant que témoin historique54. De cette distinction, l?on tentera de poser la question de l?indicible et de l?insondable dans le témoignage historique. Si les Sonderkommandos étaient au plus près de l?extermination, sont-ils plus à même de transmettre l?horreur des camps ?

C?est donc sous l?égide des témoignages de ces témoins oubliés, que l?on tentera de découvrir la fonction réelle des Sonderkommandos.

53 Cette expression empruntée à Philippe de Lara, est réutilisée et développée au contexte de l?univers concentrationnaire par Yannick Malgouzou, « Comment s'approprier l'indicible concentrationnaire ? Maurice Blanchot et Georges Perec face à L'Espèce humaine de Robert Antelme », dans Interférences Littéraires, nouvelle série, n°4, Indicible et littérarité, s.dir Laurianne Sable, Mai 2010, p. 47.

54 Les notions de « témoin oculaire », de « témoin instrumentaire » et de « témoin historique » ont été développées par Renaud Dulong, Le Témoin oculaire. Les conditions sociales de l'attestation personnelle, Paris, Editions de l'EHESS, 1998.

PARTIE I

Ecrire pour témoigner : saisir les faits

relatifs aux Sonderkommandos.

« Comme vous le voyez ici, une [certaine] personne s?intéressant à l?Histoire s?est efforcée de rassembler de petits tableaux, des faits, des rapports et de simples informations qui, à coup sûr, intéresseront le futur historien et lui seront utiles55 ».

Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental ont tous trois souhaité à travers le travail d?écriture, rendre compte de l?enfer de leur quotidien et ce, dès leur arrivée à Auschwitz. Par conséquent, c?est uniquement en plongeant au coeur de ces écrits que l?on pourra connaître ce qu?était véritablement le Sonderkommando56.

55 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 124.

56 A présent, pour ne pas alourdir le texte, l?emploi du terme « Sonderkommando » sera alterné avec l?abréviation de celui-ci à savoir « SK ». Elle servira, toujours dans un souci de clarté, à désigner l?équipe spéciale mais aussi ses membres.

Les écrits retrouvés sous le sol d?Auschwitz témoignent avant tout d?un réel désir de transmettre à qui les découvrira ce qui s?est passé, ce qu?ils ont vécu. Les faits alors retranscrits dans les manuscrits de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental, doivent être analysés non seulement en fonction du contexte d?écriture mais aussi et surtout, en fonction des auteurs eux-mêmes qui ont souhaité tout au long du témoignage, informer le lecteur.

1. Comprendre les auteurs, définir le texte

Qui sont les auteurs ? Voilà une question centrale, car est-il possible de saisir toute la portée du témoignage si l?on ignore tout de celui qui l?écrit ? Ce premier point volontairement descriptif, va ainsi permettre de situer les auteurs et leurs écrits.

Zalmen Gradowski57, nous apprend dès l?ouverture de son manuscrit, qu?il a été déporté avec le reste de sa famille le 8 décembre 194258. Si l?on s?attache à l?étude de cette date, il apparaît que Gradowski faisait partie du convoi venant du camp de transit de Kielbasin59 transportant alors plus de 1000 personnes. Selon les recherches effectuées par Danuta Czech60, sur un millier de Juifs déportés ce jour-là au camp d?Auschwitz, 796 personnes - en majorité des enfants, des femmes et des vieillards - furent directement menées vers la chambre à gaz.

Seuls 231 hommes furent immatriculés au camp d?Auschwitz. Autrement dit, Gradowski fût le seul membre de sa famille à avoir pénétré dans le camp. L?auteur s?efforce alors de décrire son arrivée au camp mais tente dans un premier temps de retranscrire sa vie avant la déportation. Aussi, dans les premières pages de son manuscrit, sur lesquelles nous ne nous attarderons pas étant de fait anachroniques, l?auteur témoigne de ce que fût l?horreur des persécutions61 en novembre 1942 dans la région de Grodno62. Zalmen Gradowski a ainsi

57 Zalmen Gradowski est né en 1910 dans une petite ville de Pologne nommée Suwalki.

58 Comme il l?indique lui-même en préambule de son manuscrit, Zalmen Gradowski, op.cit., p. 37.

59 Construit en premier lieu pour les prisonniers de guerre soviétiques, le camp de transit Kielbasin - situé en Biélorussie à une vingtaine de kilomètres de la frontière polonaise - est converti dès l?automne 1942, en camp de concentration pour les Juifs de Grodno et les villes environnantes. Au moins 35 000 personnes ont ainsi été transférées vers ce camp. Il est important de rappeler que la Biélorussie, envahie par l?Allemagne nazie le 22 juin 1941, a vu disparaître près de 25 % de sa population dont plus de 800 000 juifs.

60 Danuta Czech, Kalendarium der Ereignisse im Konzentrationslager Auschwitz-Birkenau 1939 - 1945, Hamburg, Rowohlt, 1989, p. 354.

61 L?auteur fait ainsi référence aux milliers de Juifs persécutés et amenés au ghetto de Grodno puis au camp de Kielbasin. Il donne ainsi des informations importantes sur l?Aktion Judenrein mise en place dans cette région.

62 L?on y apprend ainsi que Zalmen Gradowski, pris dans le ghetto de Grodno, dirigeait le département santé. Cette fonction lui sera de nouveau attribuée au camp de Kielbasin jusqu?à son départ pour Auschwitz.

pleinement conscience des étapes qui l?on mené jusqu?au camp d?Auschwitz. Il se pose ainsi en tant qu?historien en tentant d?en retracer une continuité logique. C?est donc tout naturellement qu?il reprend son travail d?écriture à travers un compte rendu précis détaillant les étapes de sa déportation, de sa vie au camp de concentration puis de sa sélection au sein du Sonderkommando.

L?on peut en réalité apercevoir une rupture dans ce travail d?écriture entre la description faite de la déportation, du camp etc. avant l?affectation au SK (ce qui fait l?objet d?un premier manuscrit) et la retranscription des faits une fois arrivé au SK63 (second manuscrit).

De fait, le premier manuscrit écrit de façon plus journalistique qu?historique s?opposerait presque dans sa forme stylistique au second manuscrit sur lequel l?on s?attardera précisément dans cette étude et qui témoigne avant tout d?un réel travail de transmission historique. Gradowski souhaite ainsi retranscrire l?horreur de son quotidien à travers les divers éléments qui l?ont marqué et ce jusqu?à sa mort fixée autour de la révolte du 7 octobre 1944.

De façon plus modeste, le manuscrit de Lejb Langfus témoigne avant tout d?un désir de rapporter des faits le plus simplement possible. Aussi très peu d?indications ne sont données sur sa vie personnelle : seul le souci de retranscrire ce qu?il a vu l?importe.

En fonction des dates citées dans le texte et de la description faite des convois l?on comprend malgré tout que Langfus a été déporté d?Auschwitz en décembre 1942. Si l?on effectue le même travail que pour Gradowski, l?on se rend compte qu?à cette date, les Juifs arrivant à Auschwitz avaient été déportés du camp de transit de Mlawa64.

Dès lors, Langfus tente de décrire ce qu?il a vu et vécu dans ce camp de transit : l?écriture de son manuscrit commence alors dès le 31 octobre 1942 où moment même où les persécutions s?accentuent dans le camp de Mlawa. Autrement dit, l?auteur prend conscience très tôt qu?il lui faut retranscrire ce qu?il voit : les premières pages servent alors à décrire la situation de terreur existant dans le camp de transit. Un attachement particulier semble être porté à la communauté de Maków Mazowiecki65, dont il semble originaire66 : il y décrit ainsi avec stupéfaction et horreur les faits relatifs à cette déportation forcée.

Mais la partie sur laquelle l?on se penchera pleinement est celle qui met un point donneur à
retranscrire les faits relatifs au camp d?Auschwitz. Il semble en réalité que Langfus ait avant

63 Il est impossible de connaître exactement la date à laquelle fut affecté Gradowski au SK. L?on sait simplement qu?il a été immatriculé au camp de concentration d?Auschwitz en décembre 1942 et qu?au moment oü il écrit en automne 1943, il fait déjà parti du SK.

64 Situé dans le nord de la Pologne, le camp de transit de Mawa devait dès 1940 recueillir les 2450 juifs officiellement recensés dans cette ville par les Allemands. Peu à peu, les autres juifs des villes environnantes vont venir grossir les rangs de ce camp si bien que les conditions de vies deviennent rapidement chaotiques. Les premières déportations de Mlawa ont lieu en novembre pour Treblinka, puis pour Auschwitz (Langfus fait ainsi parti des 6000 juifs déportés vers Auschwitz).

65 Situé en Pologne, Maków Mazowiecki était constitué en 1939 de 7000 personnes dont 3000 juifs et 4000 polonais.

66 Comme nous l?indique Szlama Dragon, un des rares survivants du Sonderkommando, Lejb Langfus était surnommé le Maggid de Maków ou encore le Dayan de Maków en référence aux fonctions qu?il exerçait en tant que juge rabbinique. Il prit cette fonction à la mort du père de son épouse Devota Rosenthal.

souhaité témoigner au nom des victimes qu?il a vu exterminée. A partir de ce moment, une multitude de discours sont rapportés par l?auteur, autour de dates et de faits précis, afin de rendre compte de l?horreur dans laquelle il était plongé. Il témoigne alors de ce qu?il a vu de l?extermination en tant que membre du Sonderkommando jusqu'à sa mort en 194467.

Il se pose de fait comme un journaliste retransmettant des faits : au-delà de la souffrance vécue et du désir de vouloir laisser une trace de son existence, il tente de devenir un véritable chroniqueur qui se fait le dépositaire de la mémoire68 de ceux qui ont croisé son chemin. Aussi l?auteur devient à la fois témoin et journaliste : le choix de diviser le témoignage en paragraphes titrés marque le désir de l?auteur de retranscrire les faits tels qu?il les a vécus et tels qu?il les a vus. Chaque mot employé par Lejb Langfus mêle à la fois le regard de la victime - du condamné - et le regard du témoin.

Contrairement à Zalmen Gradowski et Lejb Langfus, Zalmen Lewental69 qui a tenté de retranscrire ce qu?il a vécu depuis sa déportation au camp d?Auschwitz jusqu?au soulèvement du Sonderkommando du 7 octobre 1944, utilise une expression relativement complexe, entrecoupée de répétitions et de passages incompréhensibles, qui tend à rendre très difficile l?analyse de son témoignage70.

Mais au-delà de ces difficultés, l?on comprend que Zalmen Lewental souhaitait avant tout rendre compte des persécutions incessantes qu?il subissait depuis le début de la guerre.

L?on apprend ainsi qu?il était originaire de Ciechanów71 dont il fût déporté en novembre 1942 vers le camp de transit de Malkinia72 avant d?être transféré à son tour au camp de Mlawa, le 7 décembre 1942. C?est trois jours plus tard, le 10 décembre 42 qu?il sera immatriculé au camp d?Auschwitz. Ce même jour, les membres de sa famille qui avaient été transférés avec lui au camp d?Auschwitz, furent directement gazés.

La particularité du manuscrit de Lewental est qu?il a pu connaître, certes durant un court laps de temps, la vie concentrationnaire avant d?être sélectionné pour le SK en janvier 1943. Cela permet ainsi de mieux saisir les étapes de sélections opérées entre le nouvel arrivant, et le futur SK.

67 Il est impossible de situer avec précision la date exacte de la mort de Lejb Langfus : comme nous l?indiquent les dates inscrites dans son témoignage, Langfus aurait réussi à échapper à la liquidation des membres du Sonderkommando du 26 novembre 1944. Il a donc été tué très certainement à la fin de cette même année.

68 Bien qu?il ne soit jamais allé au camp de Belzec, Lejb Langfus a souhaité retranscrire le témoignage précieux qu?il avait recueilli auprès d?un homme qui y avait été déporté.

69 Zalmen Lewental est né le 5 janvier 1918.

70 Le manuscrit de Zalmen Lewental a été attaqué par la moisissure. Ainsi, seulement 10 % était lisible, le reste a alors été soumis à une analyse rigoureuse et parfois, malheureusement, interprétative.

71 Située à plus de 100 km environ au nord de Varsovie, Ciechanów a été occupée par les Allemands dès 1939. Elle a été ainsi rebaptisée Zichenau avant d?être placée sous la responsabilité de la province Prusse-Orientale.

72 Malkinia est une petite ville de Pologne qui se trouve le long de la voie ferrée principale Varsovie-Bialystok, à 80 kilomètres environ au nord de Varsovie. En réalité, le camp de transit de Malkinia servait de point d?arrêt avant la déportation vers les camps de la mort. Entre juillet et septembre 1942, les nazis ont déporté plus de

300 000 Juifs du ghetto de Varsovie vers le camp de transit de Malkinia avant d?être conduits directement au camp de Treblinka. Ces informations sont pleinement détaillées dans l?ouvrage de Peter Longerich, The Holocaust. The Nazi Persecution and Murder of the Jews, Oxford University Press, 2010, p. 332 - 364.

A partir de ce moment et ce jusqu?au 10 octobre 194473, l?auteur fournit une analyse personnelle sur le Sonderkommando, autour d?évènements précis et chronologiques qui ont ainsi marqué sa vie. Il permet alors à l?historien de mieux saisir l?univers de ces hommes pris entre volonté de vivre et désespoir. Les conditions de travail, les conditions de vie mais aussi les différents changements matériels opérés au sein d?Auschwitz y sont partiellement évoqués.

Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental ont alors souhaité retranscrire des informations précises sur leur vie avant et pendant Auschwitz en structurant leurs témoignages de façon chronologique. Dès lors, il convient d?analyser pleinement les diverses étapes de leur vie au camp afin de comprendre les différents facteurs qui ont conduit ces hommes à devenir Sonderkommando.

2. Admettre l?impensable : que sait-on d?Auschwitz ?

La description donnée par Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental sur leur arrivée au camp nous pousse à nous interroger sur ce qu?ils pouvaient savoir sur Auschwitz.

Il apparaît quelques indices nous permettant d?affirmer qu?aucun d?entre eux ne connaissait véritablement l?existence de ce camp : aussi Lewental explique que lui et sa famille ignorait totalement où ils étaient emmenés « [...] nous, en fait, [--] ne savions rien d?Auschwitz74 » pour affirmer paradoxalement : « nous étions déjà pleinement conscients que nous allions à la mort. » En réalité, bien qu?il admette qu?il ne connaissait rien sur Auschwitz, l?auteur anticipe déjà la finalité du camp face aux atrocités75 qu?il connut dans le ghetto de Ciechanów entre 1940 et 1941, puis dans le camp de Mlawa en 1942. Cela explique le fait qu?aucune révolte n?eut lieu au moment même du départ : rien ne laissait envisager que la situation puisse être pire que celle déjà vécue.

Si la plupart des éléments de l?extermination des juifs étaient connus des alliés dès 194276, la majorité des hommes enfermés dans les ghettos de l?Est, ne pouvaient imaginer, ni croire, qu?il existait des camps destinés à l?extermination. Les rares personnes qui purent s?échapper de convois ou même des camps ne furent pas écoutées. Sans compter que les communautés

73 Zalmen Lewental a lui aussi survécu à la répression qui suivit la révolte du Sonderkommando du 7 octobre 1944. Aussi, la dernière date qui apparaît dans son manuscrit est le 10 octobre 1944. Il a très certainement été tué quelques jours après.

74 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 130.

75 Les viols, les tortures, les meurtres perpétrés à cette période ont été décrits par Lewental, ibidem, p.127.

76 Le premier rapport qui parlait clairement d?un plan méthodique de meurtre de masse des Juifs fut sorti clandestinement de Pologne par des militants du Bund (Parti socialiste des travailleurs juifs) et fut transporté en Angleterre au printemps 1942. Voir l?ouvrage de Richard Breitman, Secrets officiels. Ce que les nazis planifiaient, ce que les Britanniques et les Américains savaient, Paris, Calmann-Lévy, 2005, p. 32.

juives d?Europe, très isolées les unes par rapport aux autres, ne pouvaient véritablement faire circuler les informations entre elles.

Aussi, ce qui revient lorsque l?on se penche sur les manuscrits de Lewental et de Gradowski, ainsi que sur les nombreux témoignages de déportés, est que tout était fait pour tromper les victimes afin de prévenir et réduire au mieux les risques de résistance. Chacun d?entre eux explique ainsi que selon les SS, il était uniquement question de « déplacement de population ", de « transfert " vers des camps de travail77 où les conditions de vies seraient meilleures que dans les ghettos. Le vocabulaire volontairement elliptique employé par les nazis qui cherchaient à dissimuler la « Solution finale ", laissait pleinement imaginer aux juifs qu?ils étaient transportés dans le seul et unique but de travailler. On demande ainsi aux familles de préparer les bagages, de s?assurer du nécessaire.

Voilà très certainement pourquoi Zalmen Gradowski, semble persuadé qu?on l?envoyait, lui et sa famille travailler dans un des camps d?Allemagne.

Pourtant celui-ci s?interroge sur sa destination « [...] qui sait oü l?on nous conduit, qui sait ce que le lendemain nous réserve [...] peut-être là-bas, en liberté, ce sera mieux et plus sûr. Il subsiste un rayon d?espoir78 ". Gradowski se met ainsi à la place de ces confrères de déportation, qui tentent de voir dans ce dernier voyage le spectre d?un avenir meilleur. Tout homme voyageant avec sa famille n?a pas d?autre choix que d?obéir et d?envisager un lieu plus serein pour lui et les siens. Lejb Langfus plus soucieux de retranscrire les faits vécus de façon impassible, n?informe pas le lecteur sur ce qu?il pouvait penser de cet ultime voyage.

Seul le sentiment de tristesse apparaît lorsqu?il comprend qu?il doit se préparer au départ.

Cette possibilité d?un avenir meilleur ou du moins d?une situation égale à celle connue dans les ghettos, entre pleinement en paradoxe avec la vision des déportés une fois arrivés à destination. En réalité, avant même de comprendre où ils sont, Zalmen Gradowski et Zalmen Lewental apparaissent heurter par l?ambiance pesante qui règne autour des convois.

Il semble que l?attention soit directement portée vers les aboiements des chiens, les hurlements des allemands, et les pleurs des enfants : « Des militaires avec casque sur la tête et grand gourdin à la main, accompagnés de gros chiens méchants. [...] Dans quel but ? [ .] Nous sommes simplement venus travailler en tant qu?hommes paisibles et calmes. Alors, à quoi riment de telles mesures de précaution ?79 " Aussi, avant même de distinguer le lieu, l?auteur s?interroge sur la nécessité d?une telle violence et d?un tel vacarme. Si l?objectif, non démenti par les Allemands était bien de venir ici pour travailler, pourquoi épuise-t-on physiquement et mentalement les déportés ?

Rien ne laissait présager qu?à Auschwitz l?on pouvait exterminer les hommes. Un paradoxe
reste à souligner : si l?affolement entourait les déportés à leur arrivée, un certain réconfort

77 Il est vrai qu?en 1942 les juifs de l?Est, et du reste de l?Europe d?ailleurs, n?étaient pas sans ignorer les camps de travail existants en Allemagne et dans les territoires occupés alors dénoncés dans la presse.

78 Zalmen Gradowski, op.cit., p. 46.

79 Ibid., p. 77.

semblait être apporté à travers l?attitude de certains SS : Lewental se surprend ainsi de voir des nazis conduire les membres de sa famille vers « cet endroit » dont il ignore la destination « [...] des SS aident très courtoisement les faibles, femmes et enfants à monter dans le camion80 ». Gradowski suppose quant à lui : « Peut-être les autorités ne veulent-elles par leur imposer une marche à pied après un si épuisant voyage81 ». L?un comme l?autre ignorent les mécanismes qui font d?Auschwitz une industrie si bien rodée.

En effet, dès leur arrivée, les hommes devaient se séparer des femmes et des enfants, ce qui comme en témoigne Gradowski, revenait à « découper l?indécoupable, [...] déchirer l?indéchirable82 ». En réalité, les hommes paraissant en bonne santé et les femmes n?ayant pas d?enfant étaient sélectionnés pour entrer dans le camp d?Auschwitz-Birkenau, en quantité proportionnelle aux besoins en main d?oeuvre. Pour les autres, autrement dit chacun des membres de la famille des auteurs, c?était la chambre à gaz.

Après avoir pénétré l?enceinte de Birkenau, Lewental et Gradowski semblent directement frappés par l?extrême maigreur des internés du camp « Nous sommes saisis de frissons à la vue de ces êtres [~]83 ».

Il transparait en effet que « le nouvel environnement du déporté l?agresse d?abord par ses sens84 » avant méme qu?il ne comprenne oü il se trouve. Aussi, la vue des êtres informes choque les nouveaux détenus qui ignorent encore qu?ils sont victimes de sous-alimentation, de maltraitance physique et morale. Chacun s?interroge sur ce camp : Gradowski qui aperçoit des hommes portant des pierres suppose que seul un travail épuisant, rendait ses hommes méconnaissables. Il ignorait encore les affres du camp entre maladie et violences répétées. Mais à cette vision s?ajoute la parole de certains détenus qui affirment que les femmes et les enfants sont destinés à une extermination certaine : Gradowski admet alors ne pas les avoir cru et force le lecteur à s?interroger sur la portée de telles paroles. Il était inconcevable pour lui, comme pour quiconque, de croire en l?existence des chambres à gaz. Un fait marquant avait d?ailleurs heurté l?esprit de l?auteur et contredisait pour lui, ce qu?il avait pu entendre sur le devenir de sa famille : un orchestre jouait85. Il semblait alors, que dans ce nouveau lieu, un semblant de culture demeurait. La logique du sadisme, qui pousse les musiciens déportés86 au camp d?Auschwitz à jouer, trompe l?arrivant qui perçoit au milieu des cris et des ordres, un mirage de sa vie passée, d?un apaisement possible. L?orchestre entre alors en contradiction totale avec le climat régnant et les informations qui pouvaient circuler dans le camp.

80 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p.131.

81 Zalmen Gradowski, ibid., p. 80.

82 Ibid., p. 76.

83 Ibid., p. 83.

84 Citation empruntée à Annette Becker, in « Le corps en camps nazis et soviétiques », dans Histoire du corps, (dir. Jean-Jacques Courtine), Paris, Le Seuil, T.III, 2006, p. 324.

85 Zalmen Gradowski, op.cit., p. 94.

86 Le Kommando Lagerkapelle (l?orchestre du camp) faisait pleinement partie du système d?organisation du camp et ce dès juin 1941 : il était chargé de transmettre la bonne cadence de marche aux équipes de travail partant ou revenant du camp. Certains d?entre eux étaient d?ailleurs contraints de jouer uniquement pour les SS.

Contrairement à Gradowski, Lewental affirme que les détenus du camp l?avaient volontairement induit en erreur : on affirmait ainsi que chaque dimanche, il serait possible aux détenus de revoir leur famille dont ils avaient été séparés la veille. Aussi, comment était-il possible d?imaginer la mort de ses proches ? De concevoir l?extermination ?

La première nuit, décrite comme l?une des plus horribles par les auteurs, témoigne de cette incompréhension totale dans laquelle ils étaient plongés : les pleurs, la séparation, les bruits sourds des balles qui retentissent, n?ont encore aucune signification. Si l?on comprend très vite les conditions de vie au camp87, qui s?articulent entre violence et obéissance, rien ne laissait présager aux auteurs l?existence du meurtre de masse. C?est bien au contraire, face au climat de peur et de brutalité régnant, que les paroles de certains déportés certifiant la réalité des chambres à gaz, ont été rejetées : « Peut-être les gens, à cause de l?atmosphère du camp, deviennent si cruels et si sauvages qu?ils éprouvent un plaisir particulier à la vue des terribles tourments d?autrui88 ».

Ce que comprennent très vite les auteurs, et ce dès les premiers jours, c?est que les abjections vécues au camp fragilisent totalement l?esprit du détenu. Ainsi, l?horreur éprouvée aurait forcé l?imaginaire à concevoir les pires abominations. Autrement dit, c?est uniquement une fois affectés au Sonderkommando, que Lewental et Gradowski admettent avoir compris la finalité du lieu.

3. Les critères de sélection au SK : entre logique et paradoxe

Si nous sommes en mesure de comprendre avec facilité comment était effectuée la sélection89 avant l?entrée au camp, bien qu?elle soit, il faut le reconnaître, totalement arbitraire90, il apparaît plus complexe de déterminer comment des hommes une fois administrés à divers commandos puissent être sélectionnés pour entrer au SK. Gradowski affirme dans un premier temps, avoir été affecté le temps d?une journée à un commando spécial, chargé de creuser des fosses à l?extérieur du camp « Il y avait du travail, on s?est tous mis à creuser des fosses91 ».

87 Dès les premiers jours, il était possible pour n?importe quel déporté de comprendre l?horreur du camp face à l?image que renvoyait les premiers détenus : épuisés par le travail et la violence accrue, exposés au manque d?hygiène et soumis à la sous-alimentation, les hommes s?apparentaient à de véritables cadavres.

88 Zalmen Gradowski, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 88. L?auteur ne comprend pas pourquoi, certains affirment que sa famille a été directement tuée alors qu?il vient lui-même de découvrir la vie au camp. Ces paroles n?ont alors aucun sens dans l?esprit de celui qui n?a qu?une hate : retrouver ceux dont il a été séparé.

89 La sélection est avant tout un rituel terrifiant accompli par les médecins ou officiers SS : il ne s?agit pas ici de la sélection effectuée à l?arrivée des convois, mais de ces tris effectués à l?intérieur du camp des différents « immatriculés », destinés à sélectionner les plus faibles, les moins résistants, les malades, les handicapés ou comme il sera le cas ici, les Sonderkommandos.

90 Soit la distinction entre les aptes au travail (hommes robustes, femmes sans enfants) et les inaptes (personnes âgées, malades, enfants, mères de famille etc.) jugés uniquement sur l?apparence physique voire au hasard.

91 Zalmen Gradowski, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 95.

En réalité, selon les différents témoignages analysés, un corrélat est à établir entre ce commando et celui du SK. Il s?agit en effet, d?une ultime sélection : les membres choisis au hasard parmi les nouveaux arrivants pour le commando de creuseurs de fosses, étaient de facto adjoints au Sonderkommando. A l?origine, les personnes employées aux opérations de mises à mort dès juillet 1942, étaient divisées en deux groupes distincts : une partie était alors chargée du traitement des cadavres (le Sonderkommando) tandis qu?une autre était astreinte au creusement des fosses (le Begrabungskommando). Une fusion a ainsi été opérée entre ces deux fonctions en septembre 1942 et définie sous le nom unique de Sonderkommando92. Ce travail en tant que Begrabungskommando a été effectué le temps d?une seule journée, l?auteur n?était donc pas en mesure de saisir la finalité d?un tel travail. Il ignorait en effet, l?existence des chambres à gaz, et ne pouvait savoir qu?il serait lui-même astreint à en sortir les corps. Gradowski a donc été sélectionné dès son arrivée en décembre 1942 pour rejoindre le SK et ce, sans en avoir conscience.

Il apparaît en effet, qu?au regard des différents témoignages analysés dans ce mémoire, que certains déportés tous justes arrivés en gare d?Auschwitz, pouvaient être directement sélectionnés pour le Sonderkommando. De là, si le détenu était considéré en bonne santé, il était directement affecté au SK. Selon Szlama Dragon93, déporté à Auschwitz et affecté au SK le 6 décembre 1942, des dizaines de prisonniers arrivant de Malkinia94, ont été directement affectées à cette fonction. Lewental affirme ainsi « Si chacun allant au travail avait reconnu les membres de sa famille, c?est parce que le commando était nouvellement formé [...] d?hommes qui venaient tout juste d?arriver et avaient aussitôt été affectés à ce travail95 ». Shlomo Venezia affirme ainsi avoir reconnu son oncle dans la salle de déshabillage, avant que celui-ci n?entre dans la chambre à gaz96. Yakov Gabbay affirme à son tour avoir reconnu ses deux cousins en octobre 1944 et avoir attendu le dernier moment avant de les incinérer97.

Cela n?a pas été le cas pour Lewental. L?on apprend ainsi que durant au moins un mois98 il fut administré à plusieurs travaux, notamment au sein de ce qu?il appelle « Buna99 ». Il s?agit en réalité du camp d?Auschwitz III100 où les détenus y étaient employés pour diverses

92 Selon Shmuel Spector, Aktion 1005 À Effacing the Murder of Millions, in Holocaust and Genocide Studies, vol. 5, n° 2, 1990, pp. 52- 64.

93 Dans une interview accordée à Gideon Greif et publiée dans son ouvrage We wept without tears : testimonies of the jewish Sonderkommando from Auschwitz , London, Yale University Press, 2005 pp. 49 - 124.

94 Lors du convoi du 11 décembre 1942.

95 Zalmen Gradowski, op.cit., p. 134.

96 Shlomo Venezia, Sonderkommando. Dans l'enfer des chambres à gaz, Paris, Albin Michel, 2007, p. 150.

97 Selon l?interview accordée à Gideon Greif, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 386 - 387.

98 Il est impossible de situer exactement la date à laquelle se sont terminées ces différentes fonctions. Lewental affirme lui-même de façon très approximative y avoir travaillé durant « quelques semaines ». Zalmen Lewental, op.cit., p.135.

99 Il s?agit d?une usine de produits chimiques de la firme I.G Farbenindustrie, oü l?on y fabriquait de l?essence synthétique et du caoutchouc artificiel.

100 Mis en place en octobre 1942, Auschwitz III connu aussi sous le nom d?Auschwitz-Monowitz ou MonowitzBuna, était situé à environ 14 km de Birkenau. Pour une représentation cartographiée de ces trois camps, il convient de se référer à l?annexe II présente en fin de cette étude.

entreprises. Les fonctions ainsi effectuées par l?auteur et les autres prisonniers n?étaient pas anodines : la force de travail étant inépuisable101 et bien entendu bon marché102, beaucoup d'entrepreneurs se sont montré intéressés par le potentiel103 de ces nouveaux ouvriers. Autrement dit, rien ne laissait présager à Lewental la possibilité d?exercer un jour une fonction plus difficile que celle qui lui était déjà impartie.

Le travail éreintant effectué par Lewental, ainsi que les conditions de vie épuisantes marquée par la sous-alimentation, le manque de sommeil etc., ont forcé implicitement l?auteur, et très certainement aussi Lejb Langfus, à cautionner104 un nouveau travail alors même qu?ils en ignoraient totalement la fonction. Bien entendu, jamais un membre du SK n?était volontaire. Il était sélectionné selon des critères physiques « ceux qui plaisent sont envoyés aux douches. Ceux qui n?ont pas trouvé grâce sont renvoyés105 ». Ainsi, Lewental se réjouit de cette nouvelle tâche : on lui avait laissé entendre106 qu?il serait mieux nourri et mieux logé. Dès lors, exceptée la condition de devoir effectuer un travail plus dur, l?auteur ignorait tout de ce qu?il devait accomplir : « [~] on leur a seulement [dit ?] que le travail serait difficile. [...] Aucun d?eux n?en savait rien [
·
·
·]107 ». Ainsi au-delà du devoir d?obéir aux ordres, certains des détenus sélectionnés pouvaient entrevoir un allégement de leur souffrance. Il en a été de même pour Gradowski alors qu?il se trouvait pourtant, déjà astreint à l?une des tâches du Sonderkommando. Il explique ainsi que différents SS l?ont interrogé sur son âge et sur son métier à son retour au camp. Cela tend avant tout à mettre en avant un fait majeur : lorsque l?auteur a été affecté au Begrabungskommando, les membres de la SS étaient déjà en train d?effectuer une seconde sélection. Dès lors la force physique, l?âge, la date d?arrivée au camp d?Auschwitz, étaient des critères d?affectation au SK n?ont plus en tant que fossoyeurs, mais en tant que convoyeurs de cadavres. L?auteur affirme alors à son tour avoir été sélectionné afin d?exécuter un travail moins pénible : « La rumeur se répand qu?on sélectionne des ouvriers pour une usine. Tous nous envient d?avoir la possibilité de partir d?ici et de pouvoir travailler dans de meilleures conditions108 ». Aussi, cette citation permet de mettre en avant un aspect important sur l?organisation du camp : aucun détenu, du moins en 1943, ne semblait se douter qu?il existait des équipes spéciales chargées de vider les chambres à gaz. A cela s?ajoutent les différents euphémismes utilisés par les SS, qui empêchent alors à

101 Il suffisait malheureusement de sélectionner à leur arrivée le nombre de déportés nécessaires pour le travail demandé. Aussi, la « main d?oeuvre » n?avait de cesse d?être renouvelée.

102 Les entrepreneurs ne payaient que quelques marks par prisonnier à la SS. La somme variait beaucoup dans le temps et selon les entreprises. En mai 1943, selon Léon Poliakov, les tarifs se sont élevés jusqu?à 6 marks par jour pour un ouvrier qualifié, 4 marks pour un ouvrier non qualifié, soit 50% environ de moins que les salaires des ouvriers libres. Léon Poliakov, Auschwitz, Gallimard-Julliard, 1964, p. 71.

103 Pourtant la rentabilité économique en était pratiquement nulle si on en juge le bilan de l'usine Buna qui ne put produire le moindre mètre cube de caoutchouc synthétique avant d'être bombardée en août 1944.

104 Bien entendu, tout leur était imposé. Il s?agit avant tout d?un choix psychologique.

105 Zalmen Gradowski, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 97.

106 Sous-entendu les SS.

107 Zalmen Lewental, op.cit., p. 136.

108 Zalmen Gradowski, Des Voix sous la cendre.., op.cit., p. 97.

chacun de comprendre le véritable rôle de ce nouveau Kommando. Cet aspect-ci se retrouve constamment dans la politique nazie, où le mensonge fait partie intégrante de ce système109. Par ailleurs, grâce à Gradowski et aux différents témoignages analysés dans ce mémoire, il est possible d?affirmer qu?Otto Moll110 était généralement lui-même responsable du choix des prisonniers sélectionnés pour le SK. Il effectuait ainsi son choix au hasard, en trompant pleinement le déporté sur la fonction qu?il devait exercer. En réalité, selon les sources analysées, bien que l?attribution au Sonderkommando soit faite au hasard au coeur des déportés récemment immatriculés, le sadisme nazi tendait à faire croire qu?une possible sélection spécifique était effectuée, comme le fait de rechercher des coiffeurs ou des dentistes. Certains prisonniers111 se revendiquaient alors comme tels, pensant obtenir de meilleures conditions de vie. Il s?agit bien évidement d?un stratagème : soit l?on proposait aux détenus d?effectuer un travail physique qui avait besoin de spécialiste, soit l?on inventait un travail spécifique extérieur au camp. Ces différents processus ne pouvaient fonctionner que sur les nouveaux arrivants qui ignoraient encore la finalité du camp. Voilà tout le paradoxe de cette pseudo préparation : alors que toute l?organisation du camp était régie par la menace de mort et la violence extrême, l?on usait malgré tout, de méthodes diverses pour réconforter le futur détenu dans sa nouvelle tâche.

Au travers, du témoignage d?Alter Feinsilber112, ainsi qu?aux diverses archives relatives aux évolutions du camp, il a été possible de distinguer et dater les différentes équipes formées au SK. Aussi, si un nouveau Kommando s?est formé à l?arrivée de Lejb Langfus, c?est avant tout du fait que le précédent venait d?être liquidé. En effet, selon Feinsilber alors affecté au crématoire du camp principal, le Kommando administré au Bunker 1, fût totalement éliminé113. Il dû lui-même en sortir les corps, le 3 décembre 1942.

Langfus est entré au camp d?Auschwitz trois jours plus tard. Si l?on suit cette trame chronologique, il apparaît qu?une tentative d?évasion avait été organisée par certains membres du SK, dont faisait partie Feinsilber. En réalité, cette tentative s?est soldée par un échec et a abouti à la mort de six d?entre eux, fusillés le 15 décembre 1942. Bien entendu, l?élimination de ces SK n?avait rien d?exceptionnelle étant donné le fait, que dans la politique génocidaire

109 Le terme « Schutzstaffel » qui signifie protection et qui s?abrège SS en est la preuve. Il en est de même pour le terme Sonderkommando. Tout ce système de langage codé permettait ainsi de protéger la politique génocidaire nazie.

110 Membre de la SS depuis mai 1935, et connu pour son sadisme et sa cruauté, Otto Moll est affecté au camp d?Auschwitz en tant que Hauptscharführer du 02 mai 1941 à janvier 1945. Il sera nommé chef des crématoires de Birkenau en 1943. Arrêté en mai 1945 par les Américains, puis jugé par le tribunal Américain à Dachau, il sera pendu le 28 mai 1946 à Landsberg.

111 Comme se fût le cas pour Shlomo Venezia, déporté au camp d?Auschwitz le 11 avril 1944 et affecté au SK trois semaines plus tard : « [...] on nous a demandé quels métiers nous exercions. Dans l?espoir de travailler à l?intérieur, j?ai répondu «coiffeur» [...] ». Shlomo Venezia, Sonderkommando..., op.cit., p. 81.

112 Déporté à Auschwitz en mars 1942, et affecté au SK en avril, Alter Feinsilber a témoigné au procès de Cracovie de 1945. Cette déposition a été traduite et publiée dans l?ouvrage Des Voix sous la cendre..., op.cit., pp. 304 - 330.

113 Chacun d?entre eux a été tué dans la chambre à gaz du crématoire du camp principal.

nazi, aucune trace de l?extermination ne devait subsister. Aussi, était-il logique d?éliminer chacun des témoins. Mais est-il alors plausible de supposer un lien entre ces meurtres et la sélection de Gradowski ou de Langfus au SK ? Il est difficile de répondre véritablement à cette question, cela dit, il était évident que les SS n?avaient pas d?autres choix que de remplacer la « main d?oeuvre » éliminée la veille. Dès lors, le fait que Gradowski et Langfus soient arrivés peu après cette exécution, a certainement accéléré leur sélection pour le SK.

Lewental fût quant à lui affecté au Kommando de la mort fin janvier 1943, au moment même où les convois en provenance du ghetto et des prisons de Cracovie arrivaient. La masse des nouvelles victimes arrivantes, a certainement forcé l?administration SS à accélérer les « rendements » de l?extermination, aussi fallait-il agrandir les rangs du SK.

Les faits retranscrits des trois auteurs permettent bel et bien de compléter nos connaissances sur les différentes étapes de la sélection au SK qui s?articulent entre logique et total paradoxe. Il a été alors nécessaire à Gradowski, Langfus et Lewental de situer les faits, d?abord en tant que déportés à part entière du camp, puis en tant que membres astreints au Sonderkommando. Il convient dès lors, d?analyser et de situer, les diverses fonctions exercées et retracées par les SK.

Il est indéniable que pour l?historien qui travaille sur l?ultime phase de la Solution finale, les témoignages des Sonderkommandos deviennent indispensables à toute analyse, au sens où chacun des différents auteurs a souhaité décrire et informer le lecteur sur les divers mécanismes et lieux de destruction.

1. Définir les lieux, saisir son organisation

Dans les témoignages de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental l?on retrouve toujours la description d?un même lieu « à l?écart des hommes114», et qui rassemble en majorité des « détenus juifs » comme l?indique Lewental. Il s?agit là d?une description du baraquement spécialement réservé aux membres du Sonderkommando. Le manque d?information fait qu?il demeure difficile d?en situer exactement la position. Selon l?étude des différentes sources115, les lieux spécialement affectés aux SK changeaient chronologiquement. Aussi, il apparaît que dans un premier temps, les membres du SK administrés au Krematorium116 d?Auschwitz I117 avaient été regroupés au Block 11118. De là, ils étaient directement conduits dans les cellules du sous-sol. Filip Müller décrit d?ailleurs l?une d?elle en ces termes : « Il y régnait une puanteur étouffante. [...] Elle mesurait environ 3 mètres sur trois et n?avait ni fenêtre, ni système d?aération119. » Dans un second temps, les membres du SK furent logés aux Blocks 22 et 23 du camp BIb120 de Birkenau, du moins jusqu?en juillet

114 Selon Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 141.

115 Notamment grace aux informations précieuses apportées par les dépositions de Filip Müller et d?Alter Feinsilber au procès de Cracovie.

116 Selon Jean-Claude Pressac, le Krema I achevée à l?été 1940, avait pour rôle de faire disparaître les corps des prisonniers assassinés. Les premiers « gazages de masse » commencèrent en janvier 1942, après l?expérimentation du Zyklon B dans le sous-sol du Block 11 en fin 1941. Jean-Claude Pressac, Les crématoires d'Auschwitz. La machinerie du meurtre de masse, Paris, CNRS Editions, 1993, p. 16 - 24.

117 Situé sur une ancienne caserne polonaise, Auschwitz I apparaît depuis sa construction (nouveaux bâtiments et remise en état des bâtiments existants) en mai 1940, comme le « camp souche » sois le Stammlager (le camp d?origine). Il se constitue alors de 28 blocks et d?un seul crématoire : le KI.

118 Communément appelé par les déportés « Block de la mort », le Block 11, relié au Block 10 par le fameux « mur noir », était aménagé en plusieurs secteurs. Il s?agit en réalité du Block des arr~ts soit la prison du camp.

C?est dans les cellules du sous-sol que sont enfermés les prisonniers condamnés pour diverses raisons. C?est aussi dans ces sous-sol qu?étaient enfermés les membres du SK afin qu?ils soient isolés des autres prisonniers. Selon Jean-Claude Pressac, op.cit., p. 18 - 21.

119 Filip Müller, Trois ans dans une chambre à gaz d'Auschwitz, op.cit., p. 52.

120 Le camp de Birkenau se divise en trois parties : BI, BII, BIII, elles-mêmes divisées en sous-camps. La partie BI est constituée de batiments cimentés et d?écuries préfabriquées en bois tandis que les parties BII et BIII sont uniquement construites de baraques en bois. Le BIb est uniquement réservé aux hommes du camp de Birkenau. Ce n?est qu?en 1943 qu?il deviendra celui des femmes.

1943. C?est suite au déplacement des prisonniers du secteur BIb, que le SK sera logé au Block 13121. Un ultime transfert eut lieu au début de l?été 1944, quand le SK fut installé à l?intérieur même des crématoires. Selon ce classement, il est possible d?affirmer que Lewental, Langfus et Gradowski, tous trois affectés au SK en décembre 1942-janvier 1943, étaient tous logés au BIb de Birkenau, bien qu?il ne soit jamais clairement cité par les auteurs. Puisque la période d?écriture s?étend jusqu?en octobre 1944, chacun des trois auteurs connaitra aussi l?existence du Block 13, et des différents Crématoires.

Bien qu?il s?agit de lieux différents, il apparait tout de même possible de distinguer plusieurs similitudes entres chacune des affectations : comme nous l?avons vu par le témoignage de Filip Muller, le Block 11 était totalement isolé du reste du camp, tandis que le BIb était, comme le répète encore une fois Lewental dans son témoignage « à l?écart des hommes122 " tout comme le Block 13, « totalement fermé » comme l?atteste Alter Feinsilber. Cela témoigne avant tout qu?il était primordial qu?aucun contact ne puisse être établi entre les membres du Sonderkommando et les autres prisonniers du camp. Personne ne devait connaître l?existence de ces unités « Au camp ce personnel avait des boxes spéciaux et tout contact leur était interdit123. " Ce qui se passait dans les chambres à gaz ainsi qu?au sortir de celles-ci, ne pouvaient être connu que par les SK. Aussi, s?agissait-il de « préserver le secret et dissimuler le meurtre124 " afin que l?extermination des Juifs ne soit jamais répandue. Autrement dit rien ne devait sortir des camps d?extermination. Voilà pourquoi peu de personnes devaient être au courant, méme au sein de l?administration du camp. Dès lors, s?il y avait des détenus malades, aucun d?entre eux ne pouvaient être admis à l?hôpital du camp : « Il était interdit d'en sortir, il avait sa propre infirmerie125 ". Même une équipe de gardes SS était spécifiquement affectée au SK126. Aussi l?utilisation des différentes notions telles que « Sonderbehandlung " (traitement spécial) ou encore Sonderkommando, souligne d?une part la volonté de camoufler le meurtre commis, d?autre part, l?intention de créer une véritable distance entre victimes et bourreaux. L?on devait127 de fait, face à la difficulté qu?engendrait un tel travail, préserver le « moral " des différents SS. Il fallait en effet, une force mentale immense ou une dégénérescence de l?esprit, pour vivre avec la vision de ces corps vivants jetés dans les flammes, ces visages d?enfants tout juste exécutés, autrement dit pour vivre avec toutes ces

121 Afin de faciliter la représentation de chacun des blocks de Birkenau, il convient de se rapporter à l?annexe III présente en fin de cette étude.

122 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 138.

123 Citation d?Olga Lengyel, Souvenirs de l'au-delà, Paris, Edition du Bateau Yvre, 1946, p. 132.

124 Selon la formule employée par Yves Ternon in « Le spectre du négationnisme. Analyse du processus de négation des génocides au XXe siècle. " in Catherine Coquio (dir.), L'histoire trouée : négaion et témoignage, Nantes, L?Atalante, 2003, p. 210.

125 Alter Feinsilber, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 318. Miklos Nyisli a ainsi été affecté au SK en tant que médecin, en mai 1944.

126 Comme l?indique Georges Didi-Huberman : « les SS non-initiés, [...] ignorants du fonctionnement des chambres à gaz et des crématoires " ne devaient en aucun approcher des SK. Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Ed. de Minuit, 2003, p. 12.

127 Sous-entendu la bureaucratie Allemande, auteur du programme de la « Solution finale ".

scènes d?horreur qu?engendrait l?exécution de la Solution finale. Même les nouveaux membres du Sonderkommando tout juste affectés à leur Block ignoraient encore l?existence de ces immondismes.

Chacun des trois auteurs s?est attardé à la description d?un lieu que Lewental situe précisément « [...] dans le petit bois [...] à l?écart, à cent cinquante mètres, il y avait une chaumière villageoise innocente128. » Il s?agit en réalité de la description d?un des Bunker de Birkenau. S?il est difficile de distinguer de quel Bunker il s?agit, c?est du fait que chacun d?entre eux étaient situé l?un à côté de lautre. Le Bunker I129 était une ancienne chaumière appartenant à un paysan polonais et reconvertie dès mars 1942, en chambre à gaz.

Situé juste en dehors de la limite nord, à l'extrémité ouest du camp de Birkenau130 et caché derrière un bosquet de bouleaux, ce petit bâtiment131 permettait d?exterminer les nouveaux arrivants tous justes sélectionnés. Encore une fois, il s?agissait là de « cacher » le lieu du crime. Aucun déporté excepté les membres du SK, n?était alors en mesure de connaître l?existence de telles infrastructures. Ainsi, comme le décrivent en majorité les survivants du SK, mais aussi Gradowski, Langfus et Lewental, l?intérieur du Bunker I était réduit à deux pièces ayant chacune une porte, celles-ci étant étanchéifiée et munie de deux solides barres de fermeture. Les fenêtres « obstruées» comme l?indique Lewental132, sont murées et remplacées par de petites trappes faites de plaques de bois, étanches elles-aussi, destinées au versement du « poison mortel au gaz » : le Zyklon B.

Le Bunker II133 opérationnel dès juin 1942, fonctionnait de la même manière. Il était d?ailleurs situé à seulement cent mètres du premier Bunker. Selon différentes sources134, quatre chambres à gaz étaient directement placées en parallèle et chacune d?entre elles, possédait « une petite lucarne135 » permettant aux SS d?introduire le Zyklon B.

Ces détails apportés par les différents membres du Sonderkommando, sont d?une importance
capitale, car il ne reste absolument plus rien du Bunker I. Les SS en 1943, l?on volontairement
détruit suite à la mise en fonctionnement des crématoires de Birkenau136, et dans l?habituelle

128 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 133.

129 Entrées en service en mars 1942, c?est en septembre que deux grandes baraques construites en briques rouges, ont été ajoutées à proximité de celui-ci, afin que les victimes puissent se déshabiller. Voilà pourquoi le Bunker I, est aussi surnommé la « Maison rouge ».

130 Selon, l?ouvrage de Robert Jan van Pelt et Debórah Dwork, Auschwitz, 1270 to the Present, Londres, Yale University Press, 1996, p. 123.

131 Dans les souvenirs de Filip Müller et de David Olère, il s?agissait d?un petit bâtiment d?à peine plus de 15 mètres sur 6, soit 90 m2.

132 Zalmen Lewental, op.cit., p. 133.

133 Le Bunker II était aussi une ancienne chaumière de paysan Polonais. Il demeure tout de même plus grand que le Bunker I, puisqu?il mesure un peu plus de 17 mètres sur 8, soit 120 m2.

134 Notamment, à travers les plans dessinés par David Olère et les descriptions très précises, données par Filip Müller.

135 Zalmen Lewental, op.cit., p. 133.

136 A la suite des demandes expressément ordonnées par Himmler en 1942 lors de la convocation de Rudolf Höss
à Berlin, de faire d?Auschwitz le lieu principal d?extermination de la population Juive d?Europe, la construction

décision déjà évoquée, de laisser le minimum de traces. Le Bunker II, fût quant à lui sporadiquement utilisé quand les victimes se trouvaient alors en surnombre137. Aussi, Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental affectés au SK de décembre 1942 à octobre 1944, ont été administrés aux différents crématoires de Birkenau puisque les autres n?étaient plus véritablement en fonctionnement.

Cela dit, aucune description véritable n?est donnée sur ces différents lieux : il semble que seul Lewental ait désiré en fournir une typographie « les crématoires 1-2 à l?angle sud-ouest, les crématoires 3-4 à l?angle nord-ouest138 ». C?est uniquement autour de la description des tâches à effectuer qu?il est alors possible d?en distinguer son organisation et sa composition139. Qu?il en ait conscience ou non, chacun des auteurs en décrivant et situant les lieux affectés à l?extermination, a ainsi donné une valeur pleinement historique aux écrits. Ils fournissent alors, un témoignage précieux et inestimable sur l?organisation du camp d?Auschwitz.

2. Retranscrire le travail des Sonderkommandos entre art et littérature

Comme nous l?avons vu, les textes de Gradowski, Langfus et Lewental ont été écrits de façon pleinement chronologique, aussi en rapportant les faits à des dates différentes, chacun des témoignages permet de distinguer les différentes étapes et les évolutions du travail affecté au SK. Il semble alors parfaitement justifié d?y ajouter certaines oeuvres de David Olère qui permettent une visualisation picturale des différentes fonctions astreintes au SK.

Si l?on s?attache à suivre la chronologie donnée par les auteurs des différentes tâches qui composent le Sonderkommando, il apparaît qu?un certain lien logique demeurait entre son évolution et celle du camp. La majorité des corps gazés entre décembre 1941 et juillet 1942 à Auschwitz I, n?était pas encore brûlée systématiquement dans les fosses ou même incinérée dans les fours crématoires. Les fours d?incinérations140 qui étaient déjà existants à Auschwitz

des crématoires II, III, IV et V est ordonnée et fixée à la date du 1er juillet 1942. Ils seront achevés en mars - avril 1943.

137 Selon les informations réunies dans le l?ouvrage de Georges Wellers, Les Chambres à gaz ont existé. Des documents, des témoignages, des chiffres, Paris, Gallimard, 1981 p. 32 et celui de Yisrael Gutman (dir.), Anatomy of the Auschwitz Death Camp, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Presse, 1998, pp. 157 - 245.

138 Zalmen Lewental, op.cit., p. 153.

139 Il est en effet possible d?employer le singulier lorsque cela s?applique à la description des crématoires car ils demeurent tous effroyablement semblables. Les crématoires I et II comprennent quinze fours chacun, les crématoires III et IV, six fours, avec les salles de déshabillage et les chambres à gaz. Un « four » ne correspond pas à un foyer de crémation : les fours utilisés à Auschwitz comportaient selon les cas deux ou trois foyers. Selon Jean-Claude Pressac, Les crématoires d'Auschwitz..., op.cit., pp. 38 - 40. Une représentation du crématoire III est disponible en annexe IV de cette étude.

140 Le tout premier corps incinéré date du 15 aout 1940. Yisrael Gutman, op.cit., p. 52. Le choix de la crémation
des corps a été une décision prise relativement tôt, et ce, dès la création des premiers camps. La maltraitance et
la sous-nutrition ayant été d?emblée inhérentes au quotidien des camps, la mortalité était de fait, importante. Les

I fonctionnaient relativement mal, il s?agissait alors d?une procédure très longue. C?est uniquement face à l?arrivée croissante de nouveaux déportés, que les corps devaient être directement « enterrés ». Dès lors, le terme « Sonderkommando » n?était pas encore utilisé. Les détenus affectés aux travaux concernant les corps étaient les Leichenträgerkommandos, soit les porteurs de cadavres. Ils devaient prendre en charge, les morts de la journée pour les amener aux fosses. C?est après la visite de Himmler à Auschwitz les 17 et 18 juillet 1942, que le Sonderkommando reçut l'ordre de déterrer les corps et de les brûler sur des bûchers selon les méthodes données par Christian Wirth141 aux Juifs de Chelmno142. Ces équipes spéciales ont donc été créées parallèlement aux évolutions liées à l?extermination.

Zalmen Lewental a ainsi été contraint de découvrir son nouveau Kommando : lorsqu?on lui a ordonné de brûler dans des fosses communes, les corps de victimes gazées. Il fallait alors attendre une journée143, pour pouvoir sortir les corps des chambres à gaz et les transférer aux fosses. De là, comme ce fût le cas pour Gradowski avant qu?il ne soit affecté au SK, l?on ordonnait à différents prisonniers du camp de creuser des fosses autour des différents Bunkers et du premier Krema. Ces hommes ne faisant pas partie du Kommando affecté aux chambres à gaz, n?étaient pas en mesure d?en connaitre leur existence. Aussi, c?est dans un second temps, que l?on chargeait les SK de jeter les corps des victimes et de les brûler. Cet aspect-là est très important, car au-delà du fait de découvrir l?horreur de ces êtres assassinés, aucun des membres du Sonderkommando n?avait encore de contact avec les futurs gazés « [...] dans les premiers temps, on n?utilisait pas de détenus pour convoyer des gens encore vivants144 ».

La modification des nouvelles infrastructures, ainsi que la mise en fonctionnement des crématoires de Birkenau en mars et avril 1943, ont particulièrement modifié les affectations des SK. Le nombre des détenus du Sonderkommando a ainsi varié en fonction de l'activité meurtrière du camp145. Toujours sujet à bénéficier d?une amélioration, les fonctions attribuées

inhumations trop fréquentes dans les cimetières des villes les plus proches attiraient l?attention. Construire un crématoire annexé à la lisière du camp permettait de n?avoir pas à rendre de comptes sur le nombre de morts.

141 Selon Gerald Reitlinger, Christian Wirth, inspecteur des camps de l'Aktion Reinhard, aurait donné l?ordre aux Juifs prisonniers dans le camp de Chelmno de s?occuper des cadavres des victimes asphyxiées par le gaz. Pour plus d?information, se référer à Gerald Reitlinger, The Final Solution : The Attempt to Exterminate the Jews of Europe, 1939-1945, New York, Perpetua Edition, 1961, p. 264.

142 Situé dans le village polonais de Chemno nad Nerem à soixante kilomètres au nord-ouest de Lodz, le camp d?extermination de Chemno a été créé dès octobre 1941. Il apparaît de fait, comme le premier camp d'extermination nazi.

143 Au départ, et ce avant qu?elles ne bénéficient de progrès techniques, les chambres à gaz ne possédaient pas de système d?aération. Voilà pourquoi Lewental affirme être revenu le lendemain pour sortir les corps. C?est une fois affectés aux différents crématoires du camp de Birkenau, que les membres du SK expliquent avoir attendu une demi-heure seulement avant de pouvoir extraire les corps. Ce temps étant destiné à l?aération afin que le gaz résiduel puisse être totalement évacué.

144 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p.141.

145 300 à 400 hommes en juillet 42 jusqu'à plus de 900 hommes au cours de l'été 44. Avec l?arrivée des Juifs
hongrois (plus de quatre cent trente mille) du 15 mai au 8 juillet 1944, le nombre de sélectionnés pour le

au SK ont été totalement remaniées comme en atteste le dessin ci-dessous, et qui représente l?une des salles du Crématoire III146 :

« Dans la salle de déshabillage », David Olère, 1946
Lavis et encore de Chine sur papier
Musée des Combattants des Ghettos, Galilée, Israël

Comme l?explique Lewental « Quand les crématoires III et IV ont été construits, cela a été le début d?une nouvelle période dans notre vie147 ». Ainsi, les membres du Sonderkommando qui entraient en action qu?après l?achèvement du processus d?extermination, ont été contraints, face à l?arrivée d?une multitude de nouveaux déportés, d?intervenir immédiatement après l?arrivée des convois. La barrière de la langue étant un frein dans la procédure d?exécution, les différents SK ont alors permis d?accélérer le processus en traduisant aux déportés ce qu?ils devaient faire. De là, ils ont été contraints de les conduire vers les salles de déshabillage148 puis d?y entrer, afin que tout se fasse dans un maximum de calme. Bien qu?il n?apparaisse pas de SK sur l?oeuvre d?Olère, le fait qu?il ait pu représenter ce qu?il se passait à l?intérieur de cet espace, montre qu?il était obligatoirement présent. Les membres du SK devaient les aider à se dévêtir, à garder le calme entre chacune de ces étapes, sans jamais dévoiler aux familles ce

Sonderkommando dépassait les 600 membres. Ils ont tous été affectés aux crématoires II, III et V de Birkenau. Selon Annette Wieviorka, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l'oubli, Paris, Plon, 1995, p. 255 -- 259 (sur la déportation des Juifs hongrois). Et Jean Claude Pressac, Les Crématoires d'Auschwitz..., op.cit., p. 90 (affectation au crématoire).

146 Là où avait été affecté David Olère à la fin juin 1943. C?est l?affectation principale du peintre durant ses vingt mois de présence au Sonderkommando.

147 Zalmen Lewental, op.cit., p. 147.

148 Lejb Langfus, ibid., p. 101. C?est dans une pièce spécialement conçue que les victimes devaient se déshabiller. Cela n?était pas le cas avant septembre 1942, oil les victimes, comme l?indique Rudolf Hss dans ses Mémoires, devaient se déshabiller en plein air « [...] à un endroit où on avait dressé des murs de paille et de branches d?arbres qui les cachaient aux spectateurs. »

« Mémoires de Rudolf Höss » in Auschwitz vu par les SS, Oswiecim, Le Musée d?Etat d?Auschwitz-Birkenau, 1994, p. 102.

qui les attendait. Pourtant comme l?atteste Langfus dans son manuscrit, certains d?entre eux demandaient ce qui allait se produire. L?auteur admet alors : « Ils s?étaient demandés oü on les conduisait et on les avait informés qu?on les conduisait à la mort149. » Il était bien évidemment trop tard, quoi qui puisse être dit ou tu. Quant aux SS, comme le rapporte Filip Müller, ils tenaient un discours expliquant qu?un bain désinfectant préalable était indispensable pour pouvoir entrer dans le camp. Mais cela ne supprime en aucun cas la peur et le doute que pouvaient ressentir les déportés. L?on voit d?ailleurs sur la représentation de David Olère des enfants s?agrippant à leur mère ne comprenant pas la situation dans laquelle ils se trouvent. On leur demande alors de bien veiller à regrouper leurs affaires, attacher les chaussures par les lacets et se souvenir de leur emplacement.

Cela était dans le seul et unique but de faciliter leur récupération afin que les Sonderkommandos puissent les conduire plus rapidement au Kanada150. Zalmen Lewental situe d?ailleurs ce lieu entre le Crématoires III et IV151. Chaque chose a ainsi sa place, chaque espace à un intérêt spécifique. Tout a était minutieusement organisé en fonction des diverses expériences vécues dans les Bunkers. Ainsi, découvrir le Sonderkommando c?est aussi découvrir l?ampleur du travail où « [...] l?initiation de l?équipe suivante consistait à sortir et à brûler les cadavres des prédécesseurs152 ». Ces deux étapes ont été parfaitement représentées par David Olère comme l?atteste les deux dessins suivants.

« Après le gazage », David Olère, 1946 « Dans la salle des fours », David Olère, 1945

Lavis et encre de Chine sur papier

Musée des Combattants des Ghettos, Galilée, Israël

149 Lejb Langfus, op.cit., p. 104.

150 Il s?agit du lieu oü étaient situés les magasins des affaires prises aux déportés. A la fin de l?année 1943, plus de trente baraquements servaient au dépôt de ces affaires. De là, on les triait afin de préparer leur expédition en Allemagne.

151 Zalmen Lewental, op.cit., p. 154.

152 Filip Müller, Trois ans dans une chambre à gaz d'Auschwitz, op.cit., p. 61.

Dans le premier « Après le gazage ", il est alors possible de visualiser ce que fût l?une des tâches majeures du SK : sortir les dernières victimes de la chambre à gaz. David Olère nous présente alors ici deux membres du Sonderkommando : le premier sort dans un premier temps les corps de la chambre à gaz, tandis que le second les « traine " vers les fours crématoires. Il s?agit en réalité du « Schlepper " (le porteur) : l'une des affectations des membres des SK. Selon les différents témoignages, il est apparu qu?au départ, les cadavres étaient uniquement tirés avec les mains, autrement dit dans un certain respect. Mais celles-ci devenaient totalement glissantes153 : Zalmen Gradowski affirme alors que les corps étaient sortis par n?importe quel moyen « on arrache de force les cadavres [...] celui-ci par un pied, celui-là par une main154. » C?est ensuite, que certain ont utilisé divers accessoires, d?ailleurs apportés par les propres victimes comme des cannes, voire des ceintures, afin d?éviter un contact trop direct avec le corps. Olère s?est aussi attaché à représenter le visage des victimes. Celui de la femme est assez représentatif : la bouche ouverte, symbole de l?agonie extrême, témoigne que la mort par asphyxie est tout sauf une mort douce. L?enfant a quant à lui la tête baissée, comme si Olère souhaitait représenter l?incompréhension et la peine sur son visage.

En réalité, il demeurait des étapes intermédiaires, contrairement à ce que montre David Olère. Les corps, avant d?être conduits aux différents fours crématoires, étaient sujets à toute une série de vérifications : les membres du Sonderkommando dits « coiffeurs " et « dentistes " entrent alors pleinement en action afin de récupérer la moindre parcelle de valeur qu?aurait pu laisser les victimes. Zalmen Gradowski décrit dans son manuscrit l?une de ces tâches : « [...] il enfonce dans la belle bouche à la recherche d?un trésor, d?une dent en or [...]. Le deuxième avec des ciseaux, il coupe les cheveux bouclés155. " Parfois, comme le rapporte à son tour Shlomo Venezia, les cadavres avaient le temps de durcir, il fallait alors forcer pour ouvrir les mâchoires156. Chaque objet de valeur est ainsi récupéré157 : cela met en avant qu?Auschwitz s?apparentait bel et bien à une véritable plateforme industrielle oü tout y était pleinement organisé. Dès lors, chacun des SK avaient une tâche spécifique à réaliser.

Le second dessin est donc une représentation d?une des salles des fours où les membres du Sonderkommando devaient y insérer les dernières victimes. A cet effet, l?on y voit le monte-charge qui permettait de transporter une dizaine de corps depuis le sous-sol où était la chambre à gaz aux fours crématoires. Zalmen Gradowski a d?ailleurs détaillé l?une de ces scènes : « Là-haut, près du monte-charge, se tiennent quatre hommes. Deux d?un côté, qui tirent les corps, deux autres qui les trainent directement vers les fours158. " Autrement dit, ce lieu était parfaitement aménagé afin que le travail effectué par les SK se fasse dans un

153 Les corps qui avaient suffoqué durant l?extermination, étaient recouverts de déjections.

154 Zalmen Gradowski, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 210.

155 Ibid., p. 210.

156 Shlomo Venezia, Sonderkommando..., op.cit., p. 108.

157 Les dents en or sont alors refondues tandis que les cheveux sont utilisés afin de créer du tissu.

158 Zalmen Gradowski, op.cit., p. 211.

minimum de temps. Gradowski ajoute ainsi : « Sur le monte-charge, vers l?enfer, là-haut, envoyés au feu et en quelques minutes ces corps bien en chair seront réduits en cendre159. » Cet aspect macabre du travail donné aux SK, démontre avant tout une chose : aucun SS ne voulait avoir de contact avec les morts, aussi était-il possible de tuer mais non de regarder l?acte commis. Les SS ont ainsi rendu le meurtre collectif impersonnel à travers le recours aux principes industriels tels la division du travail et la spécialisation des tâches. C?est cela qui fait disparaitre le concept de responsabilité individuelle160. C?est aussi de ce fait, qu?aucune trace du crime ne devait subsister.

Il s?agit en effet, de l?une des dernières tâches du Sonderkommando où dans le cadre de « l'Aktion 1005161 », chacun des corps exterminés devait totalement disparaître. Ainsi, les os qui n?étaient pas parvenus à brûler dans les fours devaient être pulvérisés avec des pilons de bois. Seul Saul Chazan162 explique qu?au départ, ces os résiduels étaient regroupés tous les deux ou trois jours et mis dans un entrepôt où il fallait les briser jusqu?à ce qu?ils soient réduits en cendre. De là, ils ont été stockés pour être enterrés comme l?atteste Gradowski : « De nombreuses cendres de [corps brûlés] de milliers de Juifs, Russes, Polonais, ont été disséminées et labourées sur le terrain des crématoires163. » Mais en automne 1944, face aux avancées de la guerre, une seconde opération d?effacement des crimes a été mise en place « l?ordre était d?effacer toute trace au plus vite164 ». Les membres du Sonderkommando ont dû sortir les cendres qui étaient enterrées dans les fosses afin de les regrouper. Elles ont ensuite été emportées par camion par les SS, pour y être déversées dans le fleuve avoisinant : la Vistule165. Il semble important d?y soulever un point majeur : le fait que l?on ait ordonné aux SK de supprimer les traces de l?extermination, montre à quel point les membres de la SS passaient leurs actes au crible de leur raisonnement. Il ne s?agissait donc en aucun cas d?une folie meurtrière passagère. Tout a été pleinement organisé et réfléchi.

C?est face à l?ampleur du crime, à cette volonté de vouloir le cacher, que chacun des auteurs a voulu transcrire ce qu?il avait dû faire. Il apparait ainsi, que les évolutions des différents travaux affectés aux SK, se soient faites en fonction des nécessités du camp. Les tâches affectées aux Sonderkommandos se sont donc multipliées en parallèle du développement technique des structures d?extermination.

159 Zalmen Gradowski, op.cit., p. 200.

160 Idée développée dans l?ouvrage de Milgram Stanley, Obedience to Authority : An Experimental View, Londres, Harper Collins, 2004.

161 Menée dans le plus grand secret de 1942 à 1944, l'Aktion 1005 était destinée à supprimer toute trace de l?extermination nazie. Cette opération concernait dès lors les actions des Einsatzgruppen ainsi que les camps d?extermination. Pour plus d?information, se référer à l?article de Shmuel Spector, « Aktion 1005 - Effacing the Murder of Millions », Holocaust and Genocide Studies, Oxford University press, Vol. V., 1990, pp. 157-190.

162 Saul Chazan est déporté à Auschwitz et incorporé dans le SK autour de mai 1944. Son témoignage a été recueilli par Gideon Greif et publié dans son ouvrage, We wept without tears..., op.cit., pp. 220 - 255.

163 Zalmen Gradowski, Des Voix sous la cendre...., op.cit., p. 99.

164 Ibid., p. 99.

165 Léon Poliakov, Auschwitz, Paris, Julliard, 1964, p. 49 - 52.

3. Survivre au Sonderkommando : analyse des conditions de vie des SK

Il semble en effet important d?essayer de comprendre comment pouvait s?articuler le travail des Sonderkommandos et la vie au camp : autrement dit ce qui régissait le quotidien des SK.

A travers l?étude des différents témoignages, plusieurs constantes se retrouvent entre les divers groupes ayant composé les Sonderkommandos.

Il apparaît en effet que la nature de leur travail, faisait que les membres du Sonderkommandos étaient particulièrement mieux nourris et mieux logés que les autres détenus du camp « [...] nous ne manquons ni de nourriture, ni de boisson, ni de quoi fumer [
·
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·]166 ». C?est cela qui d?après Zalmen Lewental, permettait aux hommes de pouvoir tenir physiquement. Sans compter que les SK, mémes s?ils ne pouvaient pas s'approprier les objets de valeur, étaient autorisés à profiter de la nourriture qui pouvait se trouver dans les effets des victimes. Autrement dit, chacun des SK n?avait pas à attendre la nourriture du camp, puisqu?il avait la possibilité d?emporter avec lui les différentes provisions apportées par les déportés167. Shlomo Venezia affirme ainsi « Nous, on avait assez à manger [...]. Tout le monde dans le Sonderkommando avait du pain et des conserves en quantité suffisante168. » Cet aspect est très important, car seuls les membres du Sonderkommandos étaient alors en mesure de pouvoir se révolter, de même penser à mettre en place une révolte. C?est aussi à travers ces divers avantages, que les chroniqueurs de Birkenau ont pu transmettre l?horreur de leur quotidien. Il apparaît en effet, que la plupart d?entre eux avait à leur disposition du papier et des crayons : selon Szlama Dragon169, Gradowski aurait obtenu ses accessoires à l?aide d?un prisonnier qui était directement affecté au Kanada. De là, face à la multitude d?objets laissés, les membres du Sonderkommando avaient la possibilité d?y prendre différents vétements laissés par les victimes, qui dans le froid glacial que constituait l?hiver, avait une importance capital. Shlomo Dragon, Josef Sackar et Eliezer Eisenshmidt, affirment à plusieurs reprises dans leur témoignage, que les nouveaux vêtements que portaient alors les SK, étaient marqués à la peinture d?une bande rouge sur le pantalon et d?une croix dans le dos.

Il semble aussi que la majorité d?entre eux détenait de l?alcool comme nous l?indique Dow Paisikovic « Nous buvions surtout beaucoup d'alcool. A cette condition-là, nous pouvions effectuer notre travail170. »

166 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 167.

167 Ibid., p. 147.

168 Shlomo Venezia, Sonderkommando..., op.cit., p. 144.

169 Dans une interview accordée à Gideon Greif et publiée dans son ouvrage, We wept without tears..., op.cit., p. 105.

170 Citation de Dow Paisikovic extraite de sa déposition dans le cadre du procès d'Auschwitz le 17 octobre 1963, disponible sur le site de Véronique Chevillon, Les Sonderkommandos, http://www.sonderkommando.com, consulté le 21 juin 2011.

Cette citation tend à mettre en avant deux faits majeurs : tout d?abord, s?il demeurait possible aux SK de détenir autant d?alcool au point que certains d?entre eux, comme en témoigne Lewental171, pouvaient devenir saouls, c?est que les SS savaient qu?il était nécessaire pour ces hommes d?obtenir une certaine échappatoire. Ils n?avaient en réalité pas d?autres choix, car il fallait que le mental de ces détenus soit maintenu, sans quoi l?opération consistant à incinérer plusieurs milliers de cadavres par jour n?aurait pu être réalisée dans les délais donnés. A cela s?ajoute un autre fait, c?est aussi par l?alcool que les SS réussissaient à faire des membres du SK des instruments dociles : on les maintenait ainsi dans l?abrutissement le plus total. Il s?agit là d?une réelle fracture entre les membres du SK et les autres déportés du camp qui étaient quant à eux sujets à la sous-alimentation. Il en était de même pour les « dortoirs », qui n?étaient que des couchettes de bois pour les détenus tandis que pour les SK « une grande salle allongée dans laquelle sont disposés des lits individuels et confortables172 » était aménagée. Il apparaît en effet, lorsque la rationalité nazie a voulu qu?en mai 1944, le baraquement des membres du Sonderkommando soient directement transféré sur le terrain des crématoires, que les différents SK aient disposé de toute une série de conforts inimaginables. Au milieu du complexe qui voyait s?exécuter la « Solution finale » se trouvait des couchettes recouvertes de draps en soie, de couvertures en plumes d?oie, de toute une série d?objets que les déportés avaient amené avec eux. Les hommes du SK pouvaient même se laver173. Ces détails sont pleinement substantiels bien qu?ils ne soient pas relayés par les auteurs des manuscrits. Ils témoignent en effet, du confort dont bénéficiaient les SK ce qui dans l?enfer qu?était leur quotidien, avait une immense importance.

Selon les témoignages, il est apparu que certains SK laissaient, lorsqu?ils le pouvaient, de la nourriture aux autres détenus du camp. De fait, il semble que ces différents « privilèges » aient suscité chez les autres déportés une certaine hostilité « J?ai su plus tard, que certains étaient jaloux de ce que nous pouvions avoir de plus174 ». En réalité, du fait de leur autarcie, aucun des prisonniers n?étaient en mesure de connaître les conséquences de tels avantages : seuls ceux qui étaient présents au camp depuis longtemps en devinaient les fonctions. Jacques Stroumsa affirme ainsi : « Le mot Sonderkommando provoquait en nous une sorte de terreur. Nous savions que ce commando existait, à quelles taches il était astreint, mais nous avions peine à le croire175. »

Les conditions physiques des Sonderkommandos étaient ainsi pleinement préservées afin que chacun d?entre eux puissent exécuter les tâches qui lui étaient imparties. Le quotidien centré autour du travail aux crématoires, était épuisant aussi bien physiquement que

171 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre...op.cit.., p. 163.

172 Citation empruntée à Miklos Nyiszli, Médecin à Auschwitz. Souvenirs d'un médecin déporté, Paris, Julliard, 1961, p. 32.

173 Selon le témoignage de Milton Buki accordé à Nathan Cohen, Diarries of the Sonderkommandos in Auschwitz : Coping with Fate and Reality » in Yad Vashem Studies, XX, Jerusalem, 1990, p. 123.

174 Shlomo Venezia, Sonderkommando..., op.cit., p. 145.

175 Jacques Stroumsa, Tu choisiras la Vie, Paris, Cerf, 1998, p. 141. Il s?agit du récit de sa déportation au camp d?Auschwitz en 1943.

mentalement. Il s?effectuait en effet selon un rythme de douze heures « on travaillait en deux tours, un de jour et un de nuit [...]176 ». Gradowski, Lewental et Langfus ont ainsi travaillé plus de huit milles heures au Sonderkommando. Il n?y avait bien entendu, aucun jour de repos. Il semble aussi, face à la politique d?effacement des traces, que les équipes affectées au SK étaient le plus souvent éliminés au bout de quelques mois. Ils étaient alors bien plus menacés que les autres déportés. Leur quotidien était donc rythmé par la peur obsédante d?une élimination.

Cependant, si l?on retrouve souvent l?affirmation d?une élimination systématique de l?ensemble des SK tous les trois mois - comme nous l?indique Shlomo Venezia « J?étais persuadé qu?après le troisième mois, il y aurait une sélection et que les hommes du Sonderkommando serait éliminés177 » -- il semble malgré tout que la réalité des faits fût bien plus complexe. Le principe était bien entendu la liquidation de chacun des témoins de l?extermination, mais elle n?a pas été effectuée de façon aussi systématique comme l?atteste Gradowski, Lewental et Langfus par leurs écrits. Chacun d?entre eux est ainsi resté près de deux ans au SK avant d?être éliminé178. En réalité, il fallait avant tout, une conjonction de hasards pour passer au travers des diverses sélections. Les prisonniers étaient donc pris dans un double paradoxe oil le quotidien s?articulait autour de l?espoir de vivre, et celui de savoir que l?on serait de toute façon exécuté « les Allemands voudraient à tout prix effacer les traces [...] ils ne pouvaient le faire qu?en anéantissant tous les hommes de notre commando179. » Mais ces différentes éliminations se sont faites en parallèle des évolutions du camp : dans la période qui s?étend de 1942 à début 1943, les hommes du Sonderkommando étaient systématiquement éliminés180 et étaient aussitôt remplacés. Ce n?est qu?avec l?arrivée massive de nouveaux déportés qu?il s?est avéré que le nombre de sélections pour la mort ait été réduit. Cet aspect est très important, car en réalité, si chacun des auteurs a pu survivre durant deux ans, c?est au dépend de l?extermination : tant qu?il y avait des déportés, tant que l?on devait éliminer les juifs, les Sonderkommandos étaient d?une nécessité primordiale. Ils étaient à partir de ce moment engagés pour tout type de travaux, tels « le colmatage des fissures dans les parois des fours avec de la terre réfractaire, au revêtement des portes en fonte d?acier avec de l?enduit. On repeignait les murs des quatre vestiaires et des huit chambres à gaz181 ». Il s?agissait en réalité de bien veiller au parfait état des installations de mise à mort.

A travers l?analyse des différents faits relatifs aux SK soulevés dans cette première partie, il est à présent possible d?affirmer que le Sonderkommando faisait pleinement partie de la politique génocidaire nazie. Installé et développé au gré des circonstances, le SK doit bel et

176 Shlomo Venezia, op.cit., p. 110.

177 Ibid., p. 121.

178 Comme se fût d?ailleurs le cas pour Filip Müller où encore Abraham Dragon, qui sont tous deux passés aux travers de cinq sélections.

179 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op. cit., p. 151.

180 Les SK ont d?abord été éliminés par l?injection de phénol implantée directement dans le coeur. A partir de 1943, ils seront directement exterminés soit dans les chambres à gaz, soit sous le poids des balles.

181 Filip Müller, Trois ans dans une chambre à gaz d'Auschwitz, op.cit., p. 169.

bien son apparition aux nécessités du camp. Ce lien organique existant entre la naissance du Sonderkommando et le programme d?extermination réalisé à Auschwitz a ainsi été parfaitement mis en avant par les chroniqueurs de Birkenau. Chacun des trois auteurs a parfaitement su fournir aux historiens les diverses preuves qui ont permis la réalisation de la Solution finale. Il convient dès lors de se pencher sur les divers procédés narratifs employés par Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental, afin de saisir, toute la portée du témoignage.

PARTIE II

Ecrire pour exister : saisir l?univers des

Sonderkommandos

« [...] Les psychologues désireux d?étudier et d?appréhender l?état d?esprit des gens qui ont prêté leur concours à un travail aussi sale, honteux, cruel. Ce serait intéressant ! Mais qui sait si ces chercheurs appréhenderont la vérité ? Si quelqu?un sera en mesure de comprendre ?182 ».

Ainsi, au-delà de la réalité des lieux, des dates, des noms, Zalmen Gradowski invite le lecteur à découvrir toute une série de pensées clairement énoncées, mais aussi un récit construit, souvent marqué par le peu d?attention accordé à tel ou tel détail matériel mais soucieux de fournir des éléments qui permettraient de se plonger dans la réalité de l?extermination. C?est au coeur du génocide, au moment même où les atrocités se produisaient qu?est né l?impératif de devoir témoigner. Les Meguilots de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et de Zalmen Lewental témoignent alors d?une réalité historique incomparable avec les autres récits des Sonderkommandos car méme s?ils ont vécu, travaillé et souffert ensemble, les conditions radicalement différentes dans lesquelles ils ont été amenés à écrire, les ont conduits à leur donner des formes et des contenus totalement divers. Par conséquent, il convient d?entrer pleinement dans l?esprit des auteurs en mêlant l?analyse littéraire à la recherche historique afin de saisir toute la portée de tels témoignages.

182 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 121.

Chapitre I

Le témoin instrumentaire

Chacun des auteurs, en choisissant de se positionner en tant que témoin porteur de fait historique, a été amené à se placer à moindre mesure en tant que témoin instrumentaire183. Cette expression tend en effet à désigner celui qui, conscient des faits qu?il rapporte selon des procédés stylistiques divers, témoigne au nom de la postérité mais aussi au nom de ceux qui ne seront plus à même de témoigner. Les auteurs se sont ainsi investis d?un devoir de transmission, ce qui, à travers le travail d?écriture, est amené à toucher le lecteur. C?est à partir de ce moment que les auteurs sont en proie à la subjectivité : « il est impossible au témoin de relater ce qu?il a fait et vu en restant strictement objectif. Il est homme et il est artiste, plus au moins ; la fidélité mécanique du cinématographe lui est donc interdite184 ». Cette notion définie par Jean Norton Cru tend à redéfinir le travail de l?historien lorsqu?elle s?applique à l?étude de ces témoignages. L?analyse de la subjectivité permet en réalité de renseigner l?analyste sur ce que pensaient les témoins, sur ce qu?ils ressentaient et sur ce qu?ils voulaient faire passer au moment oü ils le transcrivaient. Elle permet aussi de discerner les différentes motivations des auteurs face à la tâche de l?écriture. En réalité, l?analyse littéraire de ces trois manuscrits, permet de mieux cerner « l?univers » dans lequel étaient plongés les Sonderkommandos d?Auschwitz-Birkenau.

1. L?adresse au lecteur

Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental se sont tous trois adressés à un lectorat inconnu qui témoigne qu?au-delà de la description des faits, subsistait l?espoir d?être lus. Il est important de rappeler, que si l?écriture d?un texte s?inscrit toujours dans un horizon d?attente, les membres du Sonderkommando ont quant à eux témoigné selon une exigence propre, personnelle. Cette singularité a une réelle importance, puisqu?ils ignoraient totalement qui serait leur lecteur, quel serait cet horizon d?attente tant nécessaire à celui qui « raconte », qui « transmet ».

En effet, lorsque l?on se plonge dans les récits des membres survivants du Sonderkommando, l?on s?aperçoit très vite qu?ils s?inscrivent toujours dans un impératif précis telles les dépositions. Miklos Nyisli en tant que médecin affecté au SK, Szlama Dragon, Alter Feinsilber et Henryk Tauber en 1946, ont chacun rapporté ce qu?ils avaient dû subir au camp,

183 Actuellement, comme l?affirme Renaud Dulong, l?expression de « témoin instrumentaire » n?est utilisée qu?en droit civil pour désigner une personne qui peut garantir l?authenticité d?un testament olographe rédigé en l?absence d?un notaire.

184 Jean Norton Cru, Du témoignage, Paris, Gallimard, 1930, p. 101.

mais uniquement dans le cadre du procès de Cracovie, soit selon l?orientation des questions posées par les juges. Il en a été de même pour Dov Paisikovic, Filip Müller et Milton Buki au procès de Francfort en 1963185. De fait, seules les indications pouvant condamner les accusés étaient mises en avant.

S?en suivent les diverses interviews de Gideon Greif, Claude Lanzmann ou de Rebecca Fromer186, qui ont poussé celui qui raconte à transmettre ce qu?il a vécu selon des interrogations spécifiques. Il semble en réalité, que seul l?ouvrage de Filip Müller témoigne d?un désir réel de raconter par soi-même, selon ses propres orientations. Il en est de même, et plus encore, pour les témoignages de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental où seul « le monde ", cet inconnu, serait le destinataire.

Gradowski a ainsi choisi un lecteur hypothétique qui serait « libre et heureux citoyen du monde ". Les différents adjectifs employés sont pleinement significatifs. L?auteur se pose avant tout en tant que témoin instrumentaire, il a conscience des faits qu?il veut faire passer mais sans savoir qui les découvrira. Aussi, suit-il sa propre orientation, selon ses propres choix, en sélectionnant ses propres souvenirs.

Gradowski s?adresse ainsi à une postérité inconnue afin qu?au moins une part infime de la réalité du génocide parvienne au monde libéré. L?emploi du terme « heureux ", puis « libre " montre que Gradowski n?avait de cesse de se rattacher à l?image d?un monde délivré de la barbarie.

Il adresse ainsi en préambule de son manuscrit « Que celui qui trouvera ce document sache qu?il est en possession d?un important matériel historique ». Ecrit en yiddish, polonais, russe, français et allemand, cet avertissement s?adresse à l?inconnu, au « libre citoyen du monde " afin qu?il soit conscient de ce qu?il détient entre ses mains.

Lewental, quant à lui, force le lecteur à « Cherchez encore ! Vous trouverez encore ", tel l?impératif à respecter pour comprendre le génocide. Il apparaît en effet, que de nombreuses lettres, documents, écrits, aient été laissés sur les grabats des blocks ou enterrés autour des crématoires par les diverses membres qui composaient le Sonderkommando. Ainsi Langfus ajoute : « Encore beaucoup de matériel caché, qui vous rendra, à vous vaste monde bien des services187 ". Malheureusement la majorité d?entre eux n?a jamais été retrouvée. Cette notion redonne une valeur d?autant plus estimable aux manuscrits.

Il semble aussi, que les auteurs aient souhaité répondre aux questions du lecteur qui en découvrant ces écrits aurait été amené à s?interroger. L?abondance des interrogations comme en atteste le témoignage de Lewental « pourquoi fais-tu un travail aussi peu convenable,

185 Ces dépositions ont d?ailleurs été retranscrites par Véronique Chevillon sur son site, Les Sonderkommandos, http://www.sonderkommando.com, consulté le 27 juin 2011.

186 Publiées dans l?ouvrage de Rebecca Fromer, The Holocaust Odyssey of Daniel Bennahmias, Sonderkommando, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 1993.

187 Lejb Langfus, op.cit., p. 122.

comment vis-tu, pourquoi vis-tu ?188 » montre qu?il était nécessaire aux auteurs d?expliquer ce qu?était véritablement le Sonderkommando. En effet, le témoignage se divise dans un premier temps autour d?une question, puis à partir de celle-ci le texte se construit, et l?auteur tente d?y répondre. Il a ainsi été amené à interpréter, à se mettre à la place du lecteur. Ces hommes étaient donc pleinement amenés à réfléchir sur leurs conditions de vie, sur ce qu?ils étaient. Cela contredit par conséquent les rumeurs portées sur les SK, vus comme des êtres totalement déshumanisés, incapables de penser. Si la tâche de l?écriture a conduit les hommes du Sonderkommando à s?interroger sur leur propre sort, c?est qu?une part d?humanité à bel et bien subsisté.

Quant à Langfus, son objectif est uniquement d?informer le lecteur sur les évènements qui ont heurté sa mémoire. Il ne s?adresse pas à lui directement, mais tend à lui apporter des indications spatiales et temporelles qui font de son témoignage « un rapport dont la plus grande partie est écrite dans un style proche de celui du journalisme189. » De la description du convoi au nombre exact de victimes, Langfus s?adresse à un lectorat soucieux de l?exactitude factuel. Aussi savait-il que son témoignage, par sa précision des faits, apporterait beaucoup à l?historien.

Il apparaît aussi, que les auteurs aient souhaité positionner le lecteur en tant qu?exécuteur testamentaire : « Je demande qu?on rassemble toutes mes différentes descriptions [...] qu?on les mette en ordre et les imprime toutes ensembles190. » Aussi l?impératif de Langfus semble s?arrêter à une simple demande d?inventaire. D?un point de vue différent, Gradowski charge le lecteur de donner un sens à sa vie et à son témoignage « A présent je t?adresse, cher découvreur et éditeur de ces écrits, un voeu personnel : je te prie de te renseigner à l?adresse indiquée pour savoir qui je suis ! Tu demanderas à mes proches la photo de ma famille, ainsi que ma photo avec ma femme191. »

Il s?agit de fait, de donner un nom à celui qui fût dans l?horreur des atrocités afin que celui-ci ne soit pas rayé de l?Histoire. Il s?agit là d?un dernier acte de résistance : Gradowski veut s?inscrire dans l?humanité, laisser une trace parmi les vivants.

L?analyse du témoignage de Lewental tend à mettre en avant les doutes existants entre l?auteur et le transmetteur. Il semble en effet, qu?aucune confiance ne soit accordée au lecteur, qui face à l?ampleur de la catastrophe, ne sera pas en mesure de saisir ce qu?il s?est réellement passé : « Mais qui sait si ces chercheurs appréhenderont la vérité, si quelqu?un sera en mesure de [comprendre ?]192. » Face à son quotidien, il semble qu?il ait perdu foi en l?humanité : « [...] des faits qui pourraient un jour intéresser le monde193 ». L?utilisation du conditionnel tend à montrer que l?auteur doutait de la portée de son témoignage. Dans un futur

188 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 140.

189 Nathan Cohen, ibid., pp. 465 - 517

190 Lejb Langfus, ibid., p. 113.

191 Zalmen Gradowski, ibid., p. 180.

192 Zalmen Lewental, ibid., p. 121.

193 Ibid., p. 171.

hypothétique, l?on utiliserait peut être ce document. Lewental ne si est pas trompé, aussi étaitil mort avant de connaître l?inaudibilité du monde à l?égard des déportés.

En réalité, la prise en compte du rôle du lecteur est très importante pour celui qui transmet un témoignage historique oü la priorité est avant tout d?attirer celui qui découvre les faits, de telle sorte que le témoin et son lecteur soient tous les deux en phase égalitaire. Autrement dit, le lecteur devient lui-même témoin, de là sa charge est de transmettre ce qu?il a lui-même découvert soit « accomplir un devoir de transmission au-delà de la grande catastrophe194 ».

2. Toucher le lecteur

Divers procédés ont été utilisés par les membres du Sonderkommando autour du travail d?écriture afin de toucher leurs lecteurs. La recherche du sens des mots, les significations de l?expression, doivent ainsi être prises en compte par l?historien afin qu?il puisse y saisir toute la portée du témoignage. Aussi, lorsque l?on se penche sur le manuscrit de Zalmen Gradowski, l?on peut s?apercevoir qu?il n?a de cesse de reprendre, et ce tout au long du texte, des figures empruntées à la Divine comédie de Dante Alighieri. Dans ce poème il apparait que Dante, est contraint de descendre en Enfer qui est alors décrit comme totalement sans vie, gelé par le froid. De ce premier point, il est facile de faire un rapprochement avec le camp d?Auschwitz, et plus précisément avec les chambres à gaz et les crématoires, où les membres du Sonderkommandos ont été condamnés à travailler. L?auteur tente ainsi de projeter le lecteur dans un Enfer qu?il sera lui-même capable de représenter.

Dans la suite du poème, Dante est rejoint par Virgile vu comme un guide, un chroniqueur des faits : il lui décrit ainsi le terrible spectacle auquel il est confronté tout en le rassurant195. Cet aspect-là est pleinement repris par Gradowski, qui tout au long de son témoignage, n?a de cesse de guider le lecteur : « Viens mon ami, parcourons ces cages roulantes [
·
·
·]196 » ; «Viens plus loin, vois-tu deux jeunes gens debout [
·
·
·]197 ». L?auteur force celui qui le lit, à voir ce qu?il ne sera jamais amené à voir : il décrit les faits un à un en plaçant le lecteur en tant que spectateur de l?horreur. Seuls les membres du Sonderkommando étaient pleinement amenés à guider le lecteur. Les autres prisonniers n?étaient pas en mesure de connaître le fonctionnement des lieux de l?extermination et par conséquent, ne pouvaient témoigner de leurs propres yeux, ce qui s?y passait198.

Demeurent aussi de multiples références à la Bible, notamment au Livre d?Esther199 : « Qui
voudrait croire qu?on prenait des millions d?hommes, sans motif ni raison pour les mener à un

194 Citation de Christian Ingrao dans une interview accordée à Philippe Petit, Pas la peine de crier, France Culture, 24 septembre 2010.

195 Pour plus d?information, voir l?ouvrage d?André Pézard, Dante, OEuvres completes, Paris, Gallimard, 1965.

196 Zalmen Gradowski, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 60

197 Ibid, p. 60.

198 Selon Nathan Cohen, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 480.

199 Le Livre ou Rouleau d?Esther est le vingt-et-unième Livre de la Bible hébraïque. C?est à partir de celui-ci que
c?est mis en place la fête juive du Pourim qui commémore la délivrance miraculeuse d?un massacre de grande

massacre sortant de l?ordinaire ? [...] Qui voudrait croire qu?on menait un peuple à sa perte à cause de la volonté diabolique d?ignobles criminels ? [...] Qui voudrait croire qu?on offrait un peuple en sacrifice de remerciement dans la lutte pour le pouvoir et les honneurs ?200 ». Gradowski se place ainsi en tant que prophète, qui comme Esther, prend la défense de tout son peuple. Ici, en l?occurrence, il s?agissait de transmettre l?horreur d?Auschwitz au nom de tout son peuple assassiné. L?auteur n?a ainsi de cesse d?avoir recours à l?invention fictive pour mieux mettre en avant le sens des événements, de sorte que la fiction corrobore, paradoxalement, la vérité authentique du témoignage.

Toutes ces formes stylistiques entrent en opposition totale avec les conditions de vie du Sonderkommando. Il apparait en effet, un paradoxe face aux conditions dans lesquelles était plongé Gradowski. En effet, l?on aurait dû s?attendre à une simple retransmission des faits, comme se fût d?ailleurs le cas, à moindre mesure, pour Lejb Langfus. Mais au regard de son manuscrit, il était évident que l?auteur était empreint d?un style littéraire bien précis : la poésie. C?est de ce fait que Gradowski offre finalement peu d?informations factuelles. Les expressions, le choix des mots, les références ont donc été pleinement réfléchis afin de toucher le lecteur.

Cet aspect ne se retrouve pas dans le manuscrit de Zalmen Lewental. Les mots employés sont avant tout très simples, il y a très peu de métaphores utilisées contrairement au texte de Gradowski. Il utilise cela dit quelques formes diverses pour traduire l?horreur dans laquelle il était plongé : l?on retrouve plusieurs fois la notion de « tragédie » qui tente de traduire la perte de tous ces juifs qu?il a vu exterminés, mais aussi l?horreur du lieu dans lequel il était amené à vivre. Lewental était avant tout soucieux de retranscrire ce qu?il avait jugé important à l?historien. De fait, le texte devait apparaitre clair et précis. Il en a été de même pour le manuscrit de Lejb Langfus, qui n?utilise en aucun cas des métaphores ou des expressions allusives. Il semble en réalité que ce témoignage soit dépourvu de charge émotionnelle. Seul un titre utilisé pour l?un des évènements nous laisse apercevoir une parcelle de ses pensées : « Dans l?horreur des atrocités ». Le choix du terme « horreur » est équivoque, l?horreur du lieu, l?horreur de ce qu?il voit, l?horreur de ce qu?il fait. Le terme « atrocités » renvoie quant à lui, aux immondismes vécus, de ces femmes agonisantes où de ses enfants tués à coup de « gourdins ». En réalité, il semble que le processus d?extermination, n?est pas été décomposé en phases minutieusement décrites, avec des termes spécialisés où des mots adéquats comme ce sera le cas pour les survivants qui témoigneront devant les différentes commissions.

La description de l?anéantissement est avant tout revisitée à travers le lien existant entre le condamné et le témoin de l?exécution. A défaut d?un nom, le numéro de matricule retrouve son individualité à travers le regard, les gestes, les paroles que le Sonderkommando a retenu de lui. De fait, il semble que transmettre l?expérience du quotidien, consistait pour les

ampleur, planifié à leur encontre par le roi de l?empire Perse Haman. Ces informations ont été pleinement détaillées dans le livre de Guy Rachet, La Bible, mythe et réalités : La Bible et l'histoire d'Israël, Paris, éd. du Rocher, 2003, pp. 425 - 469.

200 Zalmen Gradowski, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 76.

membres du Sonderkommando, à élaborer un témoignage précis, pris entre la description du lieu, de cette abjection du quotidien, mais aussi, la description des sentiments, du ressenti par rapport à ce qu?il voit, à ce qu?il vit.

Il était donc important, pour chacun des auteurs, de donner au lecteur un aperçu du vécu intime des victimes au-delà même de leur apparence physique, afin de lui transmettre, l?émotion ressentie au regard de telles épreuves. Dès lors, l?expérience du langage, permet la transmission des émotions éprouvées par le témoin. Il choisit ipso facto, de devenir ce témoin instrumentaire qui utilise diverses formes narratives pour susciter chez le lecteur, un certain traumatisme201. Ainsi, il demeure important de s?attarder sur les termes employés pour décrire les victimes. Gradowski utilise à plusieurs reprises le groupe de mot « frères et soeurs ", « cette pauvre petite fille ", « mes frères ". Un certain attachement est relié à la victime : peuton y voir un second lien avec le Livre d?Esther, éprise d?une folle compassion pour son peuple condamné à mort ? Certainement, aussi rendre compte de ce que fût leurs sentiments, leurs craintes, leurs peurs, c?est supposer un rattachement presque fraternel à la victime.

Cet attachement se retrouve dans le manuscrit de Langfus lorsqu?il évoque les « six cents jeunes garçons202 ". Il apparaît qu?inévitablement, l?auteur, et plus largement les hommes du Sonderkommando ressentaient des sentiments de pitié à l?égard des victimes. Cette subjectivité, se retrouve naturellement dans les manuscrits. L?incompréhension est alors traduite par Langfus, lorsqu?il force le lecteur à s?interroger sur la nature humaine des bourreaux. De ces hommes capables d?exterminer des enfants, symboles même de l?innocence, une question résonne sans fin : « N?ont-ils jamais eu d?enfants ?203 ". Leur incapacité à pouvoir changer le cours de chose, forçait les SK, à encourager et soutenir les condamnés jusqu?au dernier moment, et ce au-delà des « hurlements désespérés " et des « pleurs amers ". Au travers des adjectifs employés, Langfus tente de montrer l?incompréhension qui se lisait sur le visage des victimes : « ces femmes remplis de douleur et de souffrance ". La tâche alors première des Sonderkommandos, étaient de conduire ces hommes, ces femmes, ces enfants à accepter la mort, aussi les aidaient-ils à se déshabiller, à se calmer. De là, il a été nécessaire pour Gradowski, mais aussi et surtout pour Langfus, de témoigner au nom de ceux qui se sont révoltés, ou qui ont accepté la mort avec fierté. Langfus rapporte ainsi une multitude de discours de déportés qui juste avant d?entrer dans le Bunker, ont tenu des messages de révolte204. A l?inverse, un certain détachement est perceptible au regard du manuscrit de Lewental, qui ne s?attarde jamais à décrire les victimes ou leurs sentiments : « cette masse ", « les gens ", « les femmes ". Ce recul semble avoir été d?une grande nécessité pour l?auteur, certainement pour préserver son équilibre mental. Aussi, ne

201 Notion développée par Renaud Dulong, Le Témoin oculaire..., op.cit. p. 79.

202 Lejb Langfus, Des Voix sous la cendre..., op.cit., pp. 113 - 115.

203 Ibid., p. 115.

204 Se référer en premier lieu au dialogue rapporté de Moshé Fridman qui semble avoir beaucoup heurté la mémoire de l?auteur. Lejb Langfus, ibid., p. 105.

pas s?attarder sur les détails, sur ceux qui les caractérisaient personnellement, faciliterait l?exécution des tâches qui lui étaient imparties.

Les termes utilisés doivent aussi saisir l?historien, lorsqu?ils s?appliquent à la représentation des bourreaux. Il semble en effet, que les membres du Sonderkommando, aient voulu au travers des diverses expressions employées, définir la nature du persécuteur. Dans le témoignage de Gradowski, il n?est jamais fait mention d?Allemands ou de nazis, il n y a aucune référence directe faite à Hitler ou même aux SS. En réalité, il semble que Gradowski ait avant tout souhaité de façon métaphorique, définir l?intellect de ceux qui l?avaient conduit à devenir Sonderkommando. L?on retrouve ainsi l?emploi des termes « diables " ; « bandits " ; « sadiques ", « cruels meurtriers ", « modernes barbares " etc., à maintes reprises. Ces expressions sont bien entendue équivoques et nous permettent d?apercevoir comment les bourreaux étaient perçus. Le lecteur est donc amené à se projeter dans le quotidien des Sonderkommandos. L?oxymore « moderne barbare " tend ainsi à mettre en évidence un fait majeur : il y a là une réelle opposition entre le bourreau ordinaire, que l?on pourrait qualifier de traditionnel, sujet à la banalité ou à la sauvagerie, et le bourreau « moderne », soit l?homme instruit qui met tout en oeuvre pour réaliser au mieux la tâche qui lui ait impartie205. De là, le mot moderne prend tout son sens : les nouvelles infrastructures, les avancées technologiques ont ainsi rendu possible le génocide. Le « peuple hautement civilisé " comme le nomme Gradowski, s?est ainsi vendu au Diable, et c?est en offrande à Satan, que les Juifs ont été livrés.

Dans le manuscrit de Lewental, le bourreau ne s?apparente qu?à un animal féroce, totalement déshumanisé. Les nazis qui avaient tant oeuvré à réduire « le juif » à l?état animal, se sont laissé prendre à leur propre « jeu », si l?on peut le traduire ainsi. Ils deviennent eux-mêmes des êtres dépourvus de sentiment, de compassion : « Tout était exécuté par eux-mêmes, les chiens bipèdes aidés des chiens quadrupèdes206 ". Cette image du « chien bipède », s?allie avec ces « hurlements sauvages " que décrit Lewental. Langfus aussi les décrit ainsi, il utilise l?expression « hint of tzei fis " qui signifie « chien sur deux pattes ". Leur cruauté extrême ne pouvait s?apparenter à l?être humain, seul les qualificatifs se rapportant à l?état animal pouvaient, dès lors, être utilisés. Pourtant ces hommes, comme le rappelle Christian Ingrao, étaient des êtres civilisés, des intellectuels, nullement touchés par une folie passagère. « L?intelligence n?est pas un frein à la barbarie ", elle permet au contraire d?en développer ses critères « c?est moins la mécanisation de la violence que le haut degré d?organisation de la mise à mort qui a fait des usines de mort une machinerie d?extermination sans précédent207 ". Pour Langfus, le coupable est désigné : « l?Allemagne Hitlérienne ", « le peuple allemand ", « les assassins SS ". Le bourreau est avant tout celui qui a mis en place le génocide, mais

205 Cette distinction est pleinement définie et développée dans l?ouvrage de Christian Ingrao, Croire et détruire..., op.cit.

206 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 141.

207 Cette citation a été empruntée à Wolfgang Sofsky, L'ère de l'épouvante. Folie meurtrière, terreur, guerre, Paris, Gallimard, 2002, p. 39.

aussi celui qui a laissé faire « le peuple allemand ". Il semble que Langfus ait aussi souhaité faciliter la tâche de l?historien, il donne ainsi toutes les informations qu?il possède sur ses bourreaux : « l?Oberscharführer Forst ", « le Hauptscharfürhrer Moll ", « l'Oberscharführer Mussfeld ". Mettre un nom sur le coupable, c?est aussi rendre justice aux victimes. L?on retrouve toujours cette trilogie définit par Hilberg, entre victime, bourreau et témoin. Le témoin se définit ainsi entre celui qui fait et celui qui subit. Cette fine barrière tend à disparaître lorsqu?elle s?applique aux Sonderkommandos, où la limite entre le bourreau et le SK devient si abstraite qu?il est alors primordial de caractériser au maximum, le vrai coupable. En désignant ses bourreaux et en s?assurant de l?exactitude des faits retranscrits, Langfus a très certainement espéré contribuer à la poursuite de la justice légale qui jugerait ainsi les criminels après la guerre.

3. Convaincre le lecteur

Les auteurs ont ainsi souhaité transmettre ce qu?ils avaient pu voir en tant que témoin des faits. C?est donc en étant plongé au coeur des mécanismes de destruction qu?est né l?impératif de devoir transmettre l?horreur vécue. Mais ce qui se retrouve dans les témoignages de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental, c?est cette peur omniprésente de ne pas être cru « tu ne croiras pas que des hommes aient pu en arriver à une barbare extermination méme s?ils avaient été changés en bétes féroces208 ". Aussi, ce que Gradowski a vu et été obligé de faire, a été d?une barbarie si extreme qu?il doute qu?il soit cru un jour. Sa prière se porte alors à l?humanité « Puisse l?avenir prononcer son jugement sur la base de mes notes, puisse le monde y apercevoir un pâle reflet du monde tragique dans lequel nous vivons209 ». L?on retrouve ainsi cette notion de témoin instrumentaire. Zalmen Gradowski atteste ainsi de l?authenticité de son manuscrit, de son testament si l?on reprend la définition exacte du terme lorsqu?elle s?applique au droit. Si l?on suit encore sa définition, l?absence de « notaire " pourrait s?apparenter à l?absence de preuve, à cette suppression des traces.

Cet aspect est très important, car c?est ce deuxième impératif qui a poussé les auteurs à retranscrire leur quotidien, à témoigner. Il faut donc voir dans les descriptions de l'horreur cette volonté de prouver le génocide, quand les crématoires eux-mêmes, ont disparu : « Aujourd?hui 25 novembre, on a commencé à démonter le crématoire 1. Ensuite se sera le tour des crématoires 2210 ». Comme nous l?indique Langfus, il était d?une nécessité extreme de transmettre à l?historien assez de preuves pour rendre compte de l?extermination avant même que tout ne soit détruit. Il apparaît en effet, que dans le cadre de la politique d?effacement des traces, les SS aient ordonné aux membres du Sonderkommando de démonter

208 Zalmen Gradowski, op.cit., p. 38.

209 Ibid., p. 100.

210 Lejb Langfus, ibid., p. 112.

en octobre 1944, les derniers restes du crématoire IV211. Dans cette même optique, en novembre de la même année, les crématoires I et II commencèrent à être détruits. Seul le crématoire V212 a été dynamité à la mort des auteurs. A titre informatif, si le Krema I du camp souche, ne fut pas détruit en 1945, c?est avant tout lié au fait qu?au moment où les SS prirent la fuite, il n?était déjà plus utilisé depuis longtemps213.

Il s?agit là, en réalité, d?un étrange paradoxe : alors que les autres crématoires qui étaient certes encore utilisés en automne 1944, devaient être détruits, le Krema I, du fait de son utilisation partielle, n?était pas considéré par les SS comme une preuve suffisante de l?extermination. Aussi quelles preuves resteraient-ils à l?historien ? Seuls les témoignages semblent apporter une réponse à cette question.

Paul Ricoeur a distingué autour du travail d?écriture que le fait de témoigner que ce soit d?ailleurs oralement ou par écrit, force l?auteur à « raconter " mais avant tout à « promettre "214. Ainsi l?auteur, est amené à retranscrire ce qu?il a vu ou vécu en promettant que chacun des faits est fiable, qu?il ne ment pas ou du moins n?en a eu nullement l?intention. Ce pacte entre l?auteur et le lecteur est d?une grande nécessité dans l?esprit de Lewental, qui force ainsi celui qui le découvre, à croire en la réalité historique évoquée dans son manuscrit : « si tu ne veux pas croire à la vérité, plus tard vous ne croirez plus au fait véritable, plus tard vous [chercherez] [probablement] divers prétextes [--] la vérité, la [comprendra-t]-on, le malheur causé par une telle souffrance215 ". Si le mécanisme se coupe entre l?auteur, le lecteur puis le transmetteur, les faits rapportés ne sont alors d?aucune utilité. Cette peur semble avoir longuement heurté l?esprit de Lewental qui comme nous l?avons vu n?accordait de fait, aucune confiance à l?humanité. Il a très certainement fallu une force de courage immense à Lewental pour pouvoir témoigner, alors qu?il semblait persuadé qu?on ne le comprendrait pas. L?auteur met tout de même en avant tous les efforts qui ont été faits par les membres du SK, afin que la réalité « parvienne au monde " : « Et si [quelqu?un] sait quelque chose, [c?est entièrement grâce] à notre effort, à notre esprit de sacrifice, au risque de notre vie et peut-être encore [--] fait simplement parce que nous sentions [que c?était] notre devoir216 ". L?impératif de « devoir " fournir des faits, des documents tout au long de leur survie au camp s?est articulé autour du travail d?écriture. Il fallait dès lors laisser au monde, et plus précisément à l?historien, des preuves sur l?existence du génocide, mais aussi le convaincre que ce qu?il affirme est vrai. Des preuves d?autant plus nécessaires lorsqu?elles sont rapportées par les

211 Lors de la révolte du Sonderkommando le 7 octobre 1944, le crématoire IV a été partiellement détruit à l?aide de poudre à canon obtenue par les prisonnières du camp travaillant à l?usine de fabrication de munitions « Union ». Pour plus d?informations concernant la Révolte du Sonderkommando, se référer à l?ouvrage de Ber Mar, Des voix dans la nuit. La résistance juive à Auschwitz-Birkenau, Paris, Plon, 1982.

212 Fonctionnant d?avril 1943 à janvier 1945, le crématoire V a été dynamité par les SS à la veille de la libération du camp par l?Armée rouge.

213 Franciszek Piper, « Gas Chambers and Crematoria ", in Ysrael Gutman, Anatomy of the Auschwitz death camp..., op.cit., pp. 158 - 160.

214 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 203.

215 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 124.

216 Ibid., p. 171.

membres du Sonderkommando. En effet, en tant que témoins directs de l?extermination, les SK étaient bien plus à méme d?apporter à l?historien des précisions sur les mécanismes mis en place à Birkenau pour permettre la réalisation de la Solution finale.

Ces témoignages ont aussi été écrits dans un contexte où les membres du SK savaient pertinemment qu?ils allaient mourir : « Quant à nous, nous avons perdu tout espoir de vivre la Libération217 » ; « Nous, les cent soixante-dix hommes restants, allons partir pour le Sauna218 ». L?impératif a donc trouvé un second sens. Pour Gradowski, il s?agissait de laisser une trace de son existence, de sa vie, de son être, soit de s?opposer à la doctrine nazie qui voulait absolument réduire « le juif » à néant. Peut-on y voir aussi la volonté de s?imposer en tant qu?écrivain ? Selon les diverses analyses données sur le manuscrit de Gradowski, il semble que l?un des désirs majeurs de l?auteur était de donner une forme spécialement littéraire à son manuscrit219. A partir de là, au lieu de laisser des rapports circonstanciés de l?horreur qu?ils vivaient comme le faisaient ses compagnons d?infortunes, l?auteur voulait que l?on retienne son écrit, qu?on le distingue des autres témoignages. Je ne pense pas qu?il soit possible d?en venir à une telle aporie. Gradowski souhaitait avant tout transcrire l?horreur de son quotidien mais emprunt de connaissances littéraires conséquentes, l?auteur ne pouvait que s?en inspirer. Il n?y avait pas là une démarche « éditrice » qui de toute façon était anachronique220. Il s?agit avant tout de prouver au lecteur, que l?individu existe autrement que par les faits : « Il se peut que ceci, ces lignes que j?écris soient les seuls témoins de ma vie d?autrefois221 ». Cette quête identitaire se retrouve toujours dans la majorité des témoignages de rescapés. La distinction est complexe à déterminer car la majorité des analyses se fixe uniquement autour de ce qu?ils étaient en tant que Sonderkommando et non en tant qu?êtres humains ayant vécu l?extermination. Sans doute est-il plus aisé de comprendre ce qu?était leur condition, que de saisir leur quotidien, autrement dit leur vie en dehors du travail au crématoire. Il fallait de fait rendre compte de l?état d?esprit dans lequel les auteurs étaient contraints d?obéir, afin que soit distinguée la barrière existante entre eux et les bourreaux. Cette distinction s?est faite implicitement à travers le travail d?écriture. En réalité leur position en tant que témoin oculaire, soit en tant que témoin retranscrivant directement les faits, et leur position en tant que témoin instrumentaire, les ont conduits à transcrire implicitement leur état d?esprit. Ils permettent de fait à l?historien de mieux saisir l?univers concentrationnaire qui s?articule entre instinct de survie et désespoir

217 Zalmen Gradowski, op.cit., p. 100.

218 Lejb Langfus, ibid., p. 113.

219 Cette idée a été développée par Kristina Oleksy dans son article « Salman Gradowski. Ein Zeuge aus dem Sonderkommando » in Miroslav Kàrny, Raimund Kimper (dir.), Theresienstädter Studien und Dokumente, Prag, Theresienstäder Initiative Academia, 1994.

220 Les politiques d?édition, le marché du livre etc. sont des conditions qui se sont imposées aux auteurs qu?après la guerre. Trois phases ont d?ailleurs été distinguées par Annette Wieviorka dans l?histoire du témoignage. Annette Wieviorka, L'Ère du témoin, Paris, Hachette, 2002.

221 Zalmen Gradowski, op.cit., p. 50.

Chapitre II

Les limites du témoignage

L?historien doit inévitablement porter un jugement sur le document qu?il analyse, il n?a pas d?autre choix afin de distinguer ce qui est pertinent de ce qui ne l?est pas, autrement dit, il n?a de cesse de devoir faire preuve de discernement. De fait, « nous n?avons au mieux que le témoignage et la critique du témoignage pour accréditer la représentation historique du passé222 ". Il s?agit avant tout de déterminer la véracité du document étudié. Dans un premier temps cette vérification se fait autour de la confirmation des évènements racontés, chose qui a été vérifiée dans cette étude en comparaison des diverses autres sources, mais cette vérification se fait aussi à travers l?étude du témoin. C?est à partir de ce moment que l?on se trouve dans une situation délicate, car l?on doit aussi caractériser celui qui écrit afin de comprendre s?il était en réel capacité de pouvoir retranscrire les faits. Autrement dit, ce dernier axe d?analyse va tenter de rendre compte de l?état émotionnel dans lequel Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental étaient plongés.

1. Autocritique des Sonderkommandos

Si nous avons pu discerner les différentes motivations qui ont poussé les auteurs à envisager le travail d?écriture, l?on peut être amené à s?interroger s?ils avaient eux-mêmes le recul nécessaire sur leur fonction, sur ce qu?ils pouvaient être. Primo Lévi223 qui voyait dans leur témoignage une certaine « expiation " rédemptrice, tend à oublier combien Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental ont souhaité lever le voile sur ce qu?ils avaient été amenés à faire et surtout comment ils avaient réussi à le faire. En réalité si l?on se penche sur le manuscrit de Lewental, l?on s?aperçoit qu?il tient des propos assez durs sur ces hommes qui se sont accoutumés à leur travail : « plus d?un s?est à tel point, avec le temps, laissé aller, que c?en était une honte pour soi-même. Ils avaient simplement oublié ce qu?ils faisaient et ce à quoi ils s?appliquaient [
·
·
·]224 ". C?est à partir de ce moment qu?il affirme en aucun cas vouloir excuser ou défende ces hommes, mais qu?il tente uniquement de les comprendre. Ces êtres « tout à faits normaux, moyens, [--] ordinaires [~]225 " ont été amenés à ne plus penser, à ne plus ressentir, afin de survivre dans de telles conditions : « ce coeur, ce coeur qui ressent il faut le tuer, il faut émousser tout sentiment qui fait souffrir, il faut devenir un automate226 ". L?accoutumance s?est ainsi imposée à eux. A l?analyse des témoignages, l?on retrouve

222 Citation empruntée à Paul Ricoeur, La mémoire..., op.cit., p. 364.

223 Primo Levi, Les naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz, Paris, Gallimard, 1989, p. 53.

224 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 141.

225 Ibid., p. 141.

226 Zalmen Gradowski, op.cit., p. 93.

continuellement cette notion d?automatisation, de ces hommes plus capables de penser, de saisir la réalité des faits : « On se sentait complètement perdus, vraiment comme des morts, comme des automates [
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·]227 ". Ces hommes ont été contraints pour survivre de perdre une part de leur humanité en oubliant la signification de ce qu?ils faisaient jusqu'à, pour certains, devenir indifférents « On était plus des êtres humains. Nous avions atteint le stade où nous pouvions manger et boire parmi les cadavres, totalement détachés de nos émotions228 ". En réalité, il s?agit là d?une des caractéristiques des camps de concentrations nazis qui se traduit par l?obstination des SS à vouloir régir les lois du camp dans une inexorable brutalité, une insensibilité sans faille, et un parfait automatisme. L?individu, le « stück " est alors réduit à sa seule existence biologique. A partir de ce moment, l?esprit ne doit plus être apte à penser, à réfléchir ni à comprendre, il doit obéir : « Il deviendra le maître de ton moi, le possesseur de ton âme229 ". Gradowski avait ainsi très bien cerné les mécanismes de l?univers concentrationnaire : pour les SK comme pour les autres déportés, il s?agissait alors de devenir cet automate par obédience, mais il a fallu aussi le faire pour soi-même, pour survivre dans des conditions où le raisonnement, la logique, la pensée n?avaient pas leurs places. Les limites du témoignage se fond ainsi ressentir pour celui qui transcrit et pour celui qui découvre ces manuscrits du fait qu?il demeure impossible de saisir véritablement ce que pouvait ressentir ces hommes lors d?un tel moment, en effectuant un tel travail.

Une dissension existait ainsi entre les membres du Sonderkommando. Si chacun était obligé de mettre de côté une part de son humanité durant l?exécution des différentes tâches astreintes, certains d?entre eux ont été amenés à ne jamais la retrouver : « Ce commando spécial n?étaient réellement plus des hommes à part entière, en eux, tout sentiment humain avait disparu, brûlé en même temps que celui ou celle qui leur était le plus cher. Ils étaient totalement endurcis, insensibles aux souffrances et à la mort d?autrui230 ". Wieslaw Kielar, pourtant étranger au Sonderkommando, tient un regard proche de la réalité sans pour autant distinguer ceux qui parmi ces hommes, n?étaient jamais parvenus à s?accoutumer. Filip Müller explique ainsi que la vision des corps « c?était le plus dur de tout. A cela on ne se faisait jamais. C?était impossible231 ". Il en est de même pour Gradowski, Lewental et Langfus, qui ont prouvé de par leurs manuscrits qu?une part d?humanité a subsisté. Le travail d?écriture a alors permis aux auteurs de sortir de cet état de robotisation. C?est ainsi qu?ils ont été amenés à penser, à imaginer méme pour Gradowski, afin de dépasser l?horreur du quotidien, à transcender la tragédie. C?est cette notion que l?on pourrait rappeler à ceux qui ont parfois voulu lier aux Sonderkommandos une déshumanisation totale et omniprésente. Les manuscrits retrouvés sous le sol d?Auschwitz vont alors à l?encontre même de cet aspect

227 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 136.

228 Saul Chazan, We wept without tears..., op.cit., p. 235.

229 Zalmen Gradowski, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 96.

230 Wieslaw Kielar, Anus mundi. Cinq ans à Auschwitz, Paris, Laffont, 1980, p. 192. Wieslaw Kielar, déporté politique polonais, fut l'un des premiers prisonniers du camp d?Auschwitz, puisqu?il y fut envoyé en mai 1940.

231 Filip Müller, Trois ans dans une chambre à gaz d'Auschwitz, op.cit., p. 85.

puisqu?il ressort de ces témoignages toute l?humanité de ces hommes, de cette souffrance qui n?avaient de cesse de les habiter.

C?est de ce fait que ces manuscrits ont souvent été rejetés car il apparaît difficile de concevoir que des juifs, aient pu participer à l?extermination. Hannah Arendt232 selon Gideon Greif était persuadée que les membres du Sonderkommando, avaient participé activement, soit volontairement à la tuerie des juifs. Ainsi, ils adhéraient à la machination nazie avec complaisance et donc sans aucune autre contrainte que celle de mettre à exécution leur instinct naturel. On déforme ainsi totalement la réalité des faits pour se rassurer soi-même : aucun juif ne peut avoir les points liés, méme malgré lui, à l?extermination nazie. On rejette l?idée qu?une telle chose puisse avoir eu lieu en expliquant, que seule la nature défaillante de ces hommes, puisse être responsable de tels agissements. Or cet amalgame est lourd de conséquence. Si certains d?entre eux pouvaient s?apparenter à une telle description c?est avant tout parce qu?ils ont été brisés par Auschwitz, par ce « travail » inimaginable qu?ils n?ont pas eu le choix d?exercer. Ils n?avaient aucunement la possibilité de refuser ou de se révolter sans prendre le risque de se faire tuer. Autrement dit, les accusés ne sont que ceux qui les ont contraints à exécuter un tel travail. La double difficulté est alors de rappeler que parmi les Sonderkommandos, certains sont parvenus à garder un degré d?humanité.

Zalmen Gradowski et Zalmen Lewental ont alors tenté d?expliquer à quel point la réalité de ce travail avait été difficile. Ils rendent compte ainsi de ce sentiment de détresse, de honte qu?ils ressentaient à l?égard de ce qu?ils avaient dû faire, de ce qu?ils étaient contraints de faire « Malheur, tel était le sentiment de chacun de nous. Telle était la pensée de chacun de nous. Nous avions mutuellement honte de nous regarder droit dans les yeux233 ". Pourtant un paradoxe est souligné dans chacun des témoignages analysés dans ce mémoire où malgré la souffrance ressentie, la peine éprouvée, aucun d?entre eux n?étaient en mesure de pleurer : « Moi, leur infortuné enfant, l?époux maudit, je suis dans l?incapacité de gémir et de verser ne serait-ce qu?une larme pour eux234 ". Josef Sackar235 et Jaacov Gabai236 ont eux aussi expliqué cette incapacité qu?ils avaient à pouvoir pleurer, d?oü le titre choisit par Gideon Greif « We wept without tears ", autrement dit « nous pleurions sans larmes ". Ces hommes en réalité n?étaient plus en mesure de faire le deuil, de se recueillir afin de penser à soi, à ce qu?ils avaient perdu alors que tous les jours, ils étaient contraint d?assister à l?anéantissement de leur peuple. La métaphore des larmes montre à quel point ces hommes ne pouvaient se détacher de la réalité pour revenir à un acte tout simplement humain. La tâche de l?écriture a très certainement permis à Gradowski, Langfus et Lewental de sortir de cet univers, de surmonter

232 Hannah Arendt accuse très clairement les membres du Sonderkommando d?avoir participé volontairement à la tuerie des Juifs dans le seul et unique but de « [...] de sauver leur peau ".

233 Zalmen Lewental, op.cit., p. 139.

234 Zalmen Gradowski, ibid., p. 110.

235 Déporté le 14 avril 1944 au camp d?Auschwitz, il est affecté au Sonderkommando le 12 mai avec Saul Chazan et deux cents autres détenus. Gideon Greif, We wept without tears..., op.cit., pp. 1 - 48.

236 Il est déporté le 11 avril 1944 et astreint au SK en mai 1944. Gideon Greif, op.cit., pp. 125 - 166. Cette interview a été traduite et publiée dans Des Voix sous la cendre..., op.cit., pp. 367 - 431.

les épreuves qu?ils enduraient au quotidien : « le voeu de raconter le Lager mobilisait l?attention sur les épisodes vécus. Et nombreux sont ceux que cette perspective a soutenu contre le découragement et le dépérissement237 ". Comme l?indique Renaud Dulong, transcender la tragédie à travers l?écriture, a ainsi permis aux auteurs de survivre alors que plus rien ne les raccrochait à la vie. Les témoignages tentent alors d?honorer l?individu qui, au sein du camp d?Auschwitz était condamné à ne pas exister. Les auteurs n?ont alors de cesse de rapporter les actes tout simplement humains de certains détenus avant leur entrée dans la chambre à gaz. Est-ce un hommage où une façon de faire son deuil ? S?il est impossible de répondre véritablement à cette question, l?on peut affirmer cependant que cela a ainsi permis à Gradowski, Lewental et Langfus de s?extraire du quotidien et de préserver un certain équilibre mental.

2. Ecrire pour se justifier ?

L?état de détresse extrême dans laquelle les membres du Sonderkommandos étaient plongés, force l?historien à s?interroger sur les « motivations " de ces hommes à vouloir rester en vie alors méme qu?ils se savaient condamnés. Ce questionnement volontairement provocateur va tenter de mettre en avant les différents aspects qui ont maintenus les hommes du Sonderkommandos en vie. En réalité, saisir l?univers de ces hommes, c?est aussi rendre compte de ce qui les retenait à l?humanité.

Les membres du Sonderkommando devaient vivre avec la souffrance des victimes exterminées mais aussi avec les obsédants reproches qu?ils se faisaient à eux même se sachant complices de l?extermination. Certaines victimes ont alors admonesté ces hommes comme le transcrit Lejb Langfus : « Mais tu es un Juif ! Comment peux-tu préserver ta vie, comment peux-tu conduire des enfants juifs pour qu?ils soient gazés ? Est-ce que ta vie parmi des assassins vaut davantage que les vies de tant de victimes juives ?238 ". Une réponse semble avoir été apportée par Zalmen Lewental : « L?homme se persuade qu?il n?y va pas de sa propre vie, qu?il n?y va pas de sa propre personne, mais uniquement de son intérét général. Mais la vérité, c?est qu?on a envie de vivre à tout prix. On a envie de vivre parce qu?on vit, parce que le monde entier vit et tout ce qui est agréable, tout ce qui est lié à quelque chose est en premier lieu lié à la vie239 ". Ainsi, au-delà de la torture psychique, et de la souffrance ressentie, les hommes du Sonderkommando ont souhaité survivre parce que cette chance leur étaient encore donnée. Peut-on y voir alors une volonté de justifier ses actes, ses décisions ? Lewental tend à rappeler que si des hommes ont survécu à Auschwitz, c?est avant tout au dépend d?autres détenus « Lors de leurs séjour au camp quand pour une ration de pain, le moindre chef d?équipe tuait un homme [...]. Et au détriment des dizaines [--] ils tenaient le

237 Renaud Dulong, Le Témoin oculaire..., op.cit., p. 109.

238 Lejb Langfus, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 107.

239 Zalmen Lewental, ibid., p. 140.

coup au camp240 ». Il s?agit ici d?un rappel pour ceux qui seraient tentés de se laisser aller à un jugement et qui auraient oublié que les lois du camp ont voulu que certains survivent et que d?autres périssent. Lewental tient une vision très amère sur l?homme, mais son vécu au camp en tant que détenu puis en tant que Sonderkommando, lui a permis de saisir véritablement les rouages du camp d?Auschwitz. Il apparait pourtant une réelle différence entre les deux. Comme l?indique Imre Kertesz : la solidarité ne pouvait exister dans l?univers concentrationnaire « Dans la situation extrême où nous étions, et surtout en pensant à la dégradation totale du corps et de l?esprit et à la diminution quasi morbide de la capacité de jugement qui s?ensuit, en général, chaque individu est mû par sa propre survie241 », alors qu?elle demeurait dans l?univers de mise à mort. Les hommes du Sonderkommando n?étaient pas soumis au manque de nourriture, d?eau ou de confort, ils avaient dès lors assez d?éléments pour survivre. C?était bien évidemment l?inverse pour les autres déportés du camp.

Une certaine solidarité s?est ainsi mise en place au sein du Sonderkommando. Chacun d?entre eux savait que leur chance de survie était parfaitement limitée et qu?à partir de ce moment il fallait nourrir le moindre sentiment d?espoir. Celui-ci se retrouvait dans la volonté d?obtenir un jour justice. Ce désir de vengeance se retrouve continuellement dans les manuscrits de Gradowski, Langfus et Lewental. Il apparait en effet, que Gradowski vivait avec ce sentiment dès l?écriture de son témoignage. Il tente ainsi de convaincre le lecteur afin qu?il porte à son tour le flambeau de la vengeance : « Une étincelle de mon feu intérieur se propagera peut-être en toi, et tu accompliras dans la vie au moins une partie de notre volonté, tu tireras vengeance, vengeance des assassins !242 ».

Lejb Langfus, bien qu?il ne parle jamais lui-même de revanche, met un point d?honneur à retranscrire toutes les demandes de talion des différentes victimes : « Rappelez-vous que votre devoir sacré est de venger notre sang innocent !243 » ; « Le peuple allemand paiera beaucoup plus cher pour notre sang qu?il ne se l?imagine. A bas la barbarie, incarnée par l?Allemagne hitlérienne ! Vive la Pologne !244 ». Ces scènes vécues par Langfus, lui ont certainement donné l?espoir de vivre un jour la Libération, de survivre pour réaliser les voeux des victimes qu?il a vu exterminées.

Lewental a quant à lui souhaité dans un premier temps, s?enfuir afin de dénoncer ce qui se passait à Auschwitz. Mais la solidarité entre les hommes du Sonderkommando a empêché une telle action « [--] nos propres frères ne pouvaient admettre que qui que ce soit essaie éventuellement de se sauver alors qu?eux-mêmes resteraient ici245 ». Très peu de détenus se sont alors enfuis. Pourtant, contrairement aux autres prisonniers du camp, les Sonderkommandos avaient la possibilité de s?échapper. En effet, lorsqu?ils étaient conduits

240 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 144.

241 Imre Kertesz, Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, Paris, Actes Sud, 1995. p. 55.

242 Zalmen Gradowski, ibid., p. 179.

243 Lejb Langfus, ibid., p. 103.

244 Ibid., p. 103.

245 Zalmen Lewental, ibid., p. 148.

près des Bunkers, aucune barrière n?était alors installée et la fumée dégagée par les corps en combustion aurait ainsi caché leurs mouvements. Mais la majorité d?entre eux, alors plongés dans un état d?automatisme total n?était plus à méme de réfléchir et donc de s?évader.

Pourtant, comme l?affirme Lewental, certains de ces hommes ont préféré la voie du suicide : « les meilleurs, les plus nobles, ceux qui ne faisaient pas de bruit n?étaient plus là, n?ayant pu supporter [--]246 ». L?auteur tend à mettre en avant un fait majeur : pour lui, comme pour Gradowski247, ceux qui avaient mis fin à leur jour n?étaient pas condamnables bien au contraire, ils étaient tout simplement les plus humains, les plus courageux et non les plus faibles. Le suicide était aussi un acte symbolique en opposition au régime nazi, qui voyait dans celui-ci un choix personnel, autrement dit humain, alors que ces hommes étaient condamnés à ne jamais apparaître en tant qu?individu. Il apparaît en effet, que le nazisme comme l?ont démontré Bruno Bettelheim et Hannah Arendt, était un réel processus de destruction de l?individualité : « le camp de concentration était le laboratoire où la Gestapo apprenait à désintégrer la structure autonome des individus et à briser la résistance civile248 ». La question du suicide n?a pourtant de cesse de venir hanter l?esprit des Sonderkommandos. Certains d?entre eux comme le rappelle Gradowski étaient profondément croyants, or le suicide dans les religions monothéistes est pleinement interdit car il empêche la communion de l?âme avec Dieu. Sans compter que dans le judaïsme, le suicide est considéré comme un auto-homicide empêchant alors « au meurtrier » les rites de rédemption249. Il semble ainsi que la religion ait permis à certains d?entre eux de survivre. Gradowski qui était pourtant nanti d?une éducation religieuse, a perdu foi en Dieu face à Auschwitz, et ne comprend pas pourquoi certains d?entre eux s?obstinent encore à prier « Pourquoi ? Chanteront-ils Hallelujah sur les rivages d?une mer dont les flots sont leur propre sang ? Le supplier, Lui, qui refuse d?entendre les sanglots et les pleurs de petits enfants ? Non !250 ». Paradoxalement, l?auteur affirme alors s?être parfois rassemblé avec ces hommes afin de prier pour les défunts251 et échapper à la réalité quelques instants.

Les hommes du Sonderkommando se sont aussi attachés à mettre en place un projet de révolte en lien avec le réseau général de résistance du camp252, face à l?arrivée incessante de nouveaux convois253. Cette idée a ainsi permis aux différents SK de tenir un peu plus

246 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 144.

247 Zalmen Gradowski, ibid., p. 210 - 211.

248 Bruno Bettelheim, Survivre, Paris, Hachette, 1996, p. 70.

249 Voir l?ouvrage de Jacques Ouaknin, L'âme immortelle. Précis des lois et coutumes du deuil dans le judaïsme, Paris, Bibliophane-Daniel Radford, 2001, p. 96.

250 Zalmen Gradowski, op.cit., p. 206.

251 Le Kaddish yatom, ou Kaddish des endeuillés, est récité par les membres du Sonderkommando, afin d?accompagner le défunt vers l?au-delà, et les endeuillés vers le chemin de la vie.

252 Le groupe de combat commun Auschwitz créé en 1942. Selon Gideon Greif, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 439.

253 En juillet 1944, près de 440 000 Juifs hongrois ont été déportés à Auschwitz-Birkenau. Les SS ont alors envoyé la plupart d'entre eux dans les chambres à gaz, sans même sélectionner les adultes valides pour le travail.

longtemps malgré l?horreur dans laquelle ils étaient plongés. C?est à partir de ce moment qu?ils ont été amenés à « redevenir humain », soit à penser, à imaginer et à moindre mesure espérer. Mais les discordes existantes entre les deux entités distinctes ont forcé les membres du Sonderkommando à agir seul. Selon les différents témoignages analysés, en particulier celui de Lewental, il apparaît que le réseau de résistance ait dissuadé les SK d?agir face à l?arrivée de l?armée soviétique. Mais face à la réalité du camp, au travail à exécuter et aux sélections incessantes254, les hommes du Sonderkommando n?étaient plus en mesure d?attendre : « cela a amené tous les hommes du Kommando sans distinction [...] à tempéter pour qu?on mette fin à ce jeu, qu?on en finisse avec ce travail, ainsi qu?avec notre vie si nécessaire255 ». Peut-on dès lors voir dans cette révolte une sorte de suicide volontaire et collectif ?

Comme nous l?avons vu, les membres du Sonderkommando étaient persuadés qu?ils seraient liquidés et ce, avant l?arrivée de l?armée soviétique256. Cette révolte qui devait permettre la destruction des crématoires et dans une large perspective, la libération du camp, permettait alors à ces hommes de mourir dignement : « Notre espoir n?était pas tant de survivre que de faire quelque chose, de se soulever, pour ne pas continuer ainsi. Mais qu?on meurt ou pas, ce qu?il fallait, c?était se révolter257 ». Shlomo Venezia explique ainsi que dans cette révolte, aucun espoir n?était donné à leur survie, mais que seule cette volonté de changer le cours des choses était désirée. Autrement dit, les hommes du Sonderkommando ne souhaitaient plus attendre la mort sans se révolter. Plongés dans le désespoir le plus complet, ils voyaient dans cette révolte un dernier acte de résistance et une occasion de mourir librement « Nous les membres du Sonderkommando, voulions depuis longtemps mettre fin au terrible travail qu?on nous a forcé à faire sous peine de mort. Nous voulions faire quelque chose de grand258 ». Cette révolte s?est avant tout soldée par un échec en conduisant à la mort plus de 451 détenus du Sonderkommando. Mais il est indéniable, que cette opération suicide En réalité, au cours de cette révolte, 451 prisonniers juifs ont été tués par balles tandis que seuls 212 hommes sont restés en vie

Les hommes du Sonderkommando ont ainsi souhaité survire pour toute sorte de raison. Mais ils semblent que les limites du témoignage se posent de nouveau aux manuscrits, car malgré leur éclaircissement, voire leur compréhension, il semble relativement complexe de saisir pleinement ce que ces hommes ont été amenés à vivre, ni à faire pour rester en vie.

254 Le 23 septembre 1944, deux cents Sonderkommandos du crématoire III, ont été sélectionnés puis assassinés.

255 Zalmen Lewental, op.cit., p. 150

256 En réalité, en janvier 1945, trente membres du Sonderkommando étaient encore chargés de l'incinération des corps dans le dernier crématoire encore en activité à savoir le crématoire V. Les soixante-dix autres membres restants ont alors été affectés à divers commandos chargés du démantèlement et de la suppression des traces de l'extermination.

257 Shlomo Venezia, Sonderkommando..., op.cit., p. 162.

258 Zalmen Gradowski, op.cit., p. 100.

3. La question de l?indicible.

Les Sonderkommandos ont ainsi été au plus près de l?extermination nazie. Leurs témoignages permettent alors à l?historien de mieux saisir les dernières phases de la « Solution finale ". Mais au regard des différents manuscrits, il semble que la question de l?indicible se soit parfois posée aux auteurs. Alors qu?il était nécessaire pour Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental de rendre « imaginable » l?univers d?Auschwitz, les mots, les expressions autrement dit l?expérience du langage semblaient avoir ses limites : « L?entière vérité est bien plus tragique et épouvantable259 ". Cette citation de Lewental tend à mettre en avant les difficultés rencontrées par l?auteur face à la retranscription de l?horreur vécue. Cette difficulté est définissable à travers deux aspects.

Tout d?abord il apparaît très clairement que les auteurs n?étaient pas en mesure de comprendre ce qu?il se passait réellement, du moins à saisir la réalité de l?évènement « Pourquoi, pour qui, pourquoi la vie est-elle si [difficile], ont-ils mérité cela, étaient-ils fautifs ?260 ». Ces interrogations traduisent cet état d?incompréhension dans lequel était entré Lewental qui ne pouvait admettre que le génocide puisse se produire « c?est inadmissible, on extermine des êtres humains uniquement parce qu?ils sont juifs261 ». L?auteur est donc en premier lieu en état de choc face à un évènement qui n?avait encore jamais été vécu et donc imaginable. De là, la première difficulté était de transcrire cet état : cela passe ainsi par la négation du fait ou par diverses interrogations. L?emploi du terme « Enfer » repris à plusieurs reprises par les chroniqueurs, n?est pas anodin, car aucun d?entre eux ne l?a vu, pourtant il demeure possible de l?imaginer. Il s?agit en réalité de mettre des mots sur l?impensable. Pour Zalmen Gradowski, la rencontre traumatique est transcrite à travers la littérarisation poétisée de l?expérience, qui comme nous l?avons vu, se présente tel un texte sacré. Autrement dit, ce passage de la réalité à l?imaginaire témoigne du mal être existant de l?auteur, qui n?est alors pas en mesure de mettre des mots sur ce qu?il a lui-même vécu. Le choc de la réalité a ainsi créé un traumatisme chez l?auteur qui ne se sent plus en mesure de transmettre ce qu?il a subit.

C?est dans un second temps, qu?une lutte incessante va se mettre en place entre l?auteur et le travail d?écriture. En tant que témoin, Gradowski, Langfus et Lewental ont du faire un choix pour le moins difficile, celui de mettre des mots sur l?horreur vécue. C?est à partir de ce moment que l?indicible s?est imposé à eux car « Ce qui se passait exactement, aucun être humain ne peut se le représenter262 ". Un corrélat majeur est ici à définir, l?indicible ne s?applique pas à ce que voit l?auteur, à ce qu?il transmet, mais il s?applique au lecteur, en tant que transmetteur d?un fait qu?il n?a pas vécu. En d?autres termes, le choix des mots, de l?expression apparaît limité à celui qui retranscrit un fait, non par rapport à lui, mais

259 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre, op.cit., p. 130.

260 Ibid., p. 138.

261 Ibid, p. 134.

262 Zalmen Lewental, cité par Hermann Langbein, Hommes et femmes à Auschwitz, Paris, UGE, 1994, p. 3

par rapport au lecteur qui n?a dès lors aucun point de comparaison suffisant pour comprendre toute la signification des mots employés. Cette notion définie par Jorge Semprun prend sens à travers un exemple concret qu?il convient de citer :

« Ils [les soldats] ont saisi le sens des mots, probablement. Fumée : on sait ce que c?est, on croit savoir. Dans toutes les mémoires d?hommes, il y a des cheminées qui fument. Rurales à l?occasion, domestiques. Cette fumée-ci pourtant [celle du crématoire], ils ne savent pas. Et ils ne sauront vraiment jamais. Ni ceux-ci ce jour-là. Ni tous les autres depuis. Ils ne sauront jamais, ils ne peuvent pas imaginer263 ».

Les mots ne peuvent transcrire la réalité vécue, autrement dit, l?indicible est avant tout une conséquence de cette barrière existante entre le langage et la réalité264. Les limites du témoignage sont donc pleinement posées par les membres du Sonderkommandos, qui ont été au plus près de l?extermination. Les termes « crématoires », « fours d?incinération », « chambres à gaz », qui ont une signification immense pour ces hommes, tend à perdre de leur véracité quand ils s?appliquent au transmetteur, à celui qui ne sera jamais en mesure de saisir l?horreur des camps. Les auteurs en avaient de fait, pleinement conscience. Lorsque Langfus retranscrit les scènes de massacre des jeunes garçons265, où la joie des SS face à ces meurtres était « indescriptible », l?auteur comprend que l?évènement retranscrit est alors inimaginable pour celui qui le découvre. Autrement dit, le lecteur ne sera jamais pleinement en mesure de comprendre toute l?atrocité de cette scène vécue. Il demeure même un décalage entre les membres du Sonderkommando et les autres détenus du camp « qui ont sûrement souffert de la faim et du froid, mais n?étaient pas en contact avec les morts. Cette vision quotidienne de toutes ces victimes gazées266 ». La question de l?irreprésentable, de l?indicible n?a alors de cesse de se poser aux auteurs.

Claude Lanzmann dans son film Shoah, souhaitait avant tout transcrire l?indicible en se refusant à la diffusion d?images d?archives. Auschwitz en était alors réduit à l?irreprésentable, et demeurait uniquement à travers le regard des témoins. Mais pour Emil Weiss et son film Sonderkommando. Auschwitz-Birkenau267, le spectateur est pleinement amené à entrer dans l?univers de ces hommes, et à découvrir cet « impensable ». Le spectateur est d?abord confronté à la lecture des manuscrits puis à la vision des auteurs. Une vision certes décalée mais qui tente de mettre en avant ce que pouvaient vivre, ressentir et voir les Sonderkommandos.

263 Jorge Semprun, L'Écriture ou la vie, Paris, Gallimard, 1996, p. 22.

264 Selon Karla Grierson dans Discours d'Auschwitz, Littéralité, Représentation, Symbolisation, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 102.

265 Lejb Langfus, Des Voix sous la cendre..., op.cit., p. 115.

266 Shlomo Venezia, Sonderkommando..., op.cit., p. 211.

267 Le film documentaire Sonderkommando, Auschwitz-Birkenau réalisé par Emil Weiss en 2007, permet à travers la lecture des manuscrits de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental, et la diffusion d?images d?archives, la mise en évidence de ce que fût l?univers de mise à mort à Auschwitz-Birkenau.

Une interrogation se pose alors, peut-on réellement parler d?ineffabilité ? Au regard de cette étude, il semble que la réponse soit négative. Grâce à ces manuscrits, il est pleinement possible de comprendre ce qu?était Auschwitz-Birkenau, et ce malgré les peurs obsédantes des auteurs qui voyaient dans l?expérience du langage les limites du témoignage. Ces hommes ont donc rendu déficient l?indicible en luttant contre le silence.

L?analyse effectuée dans cette deuxième partie a ainsi permis à l?historien de mieux saisir ce qu?était l?univers des Sonderkommandos à travers l?analyse des différentes formes narratives utilisées par les auteurs. Cela a permis de mettre en avant la réalité historique dans laquelle les membres du Sonderkommando étaient plongés : c?est à travers leur regard, pris entre désespoir et instinct de survie que nous sommes amenés à entrevoir le génocide. La portée onirique et symbolique du texte, permet alors aux auteurs de retranscrire l?horreur de leur quotidien face à l?unicité d?un tel évènement oü les mots, les expressions ne peuvent avoir les mémes sens lorsqu?ils s?appliquent au camp d?Auschwitz. Ces hommes en tant que témoin de l?extermination, ont choisi de porter un jugement sur ce qu?ils étaient, sur qu?ils ont été amenés à faire, afin de mettre en avant, que les hommes du Sonderkommando n?étaient en réalité qu?un instrument de la politique génocidaire nazie. Au choix de vivre ou mourir certains ont choisi la vie, c?est à partir de ce moment que le devoir de témoigner c?est imposé.

Conclusion

Les témoignages de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental ont présenté un double caractère : ils ont en effet dans un premier temps, assuré la reconstruction de leur identité personnelle, mais aussi des victimes qu?ils ont été amenés à rencontrer, pour dans un second temps, permettre la restitution et la transmission d?une mémoire.

Dès lors ces manuscrits, appuyés des diverses sources dont on dispose sur la « Solution finale ", ont ainsi permis de définir véritablement, ce qu?était le Sonderkommando d?Auschwitz-Birkenau. De leur arrivée au camp à leur sélection, de la description des différentes tâches astreintes à la représentation de leurs conditions de vie, les informations apportées par les auteurs, permettent à l?historien de mieux saisir la réalité des divers mécanismes mis en place par l?Allemagne nazie. Il apparaît en effet possible, de reconstituer une continuité logique entre la création du Sonderkommando en septembre 1942 et l?exécution de la « Solution finale ". Chacune des évolutions du camp, telle que la mise en fonctionnement des chambres à gaz puis des crématoires de Birkenau, est comparable aux évolutions du Sonderkommando en fonction de la diversification des tâches qui lui étaient alors astreintes. Il s?agit donc d?un véritable instrument de la politique génocidaire nazie puisque le Sonderkommando s?est développé en parallèle des nécessités du camp aux prises entre la mise en place des nouvelles infrastructures d?extermination et la multiplicité du nombre de déportés.

Ainsi, comme nous l?avons expliqué dans ce mémoire, les membres du Sonderkommando étaient poussés à l?extrême limite de l?humanité tout en étant physiquement et mentalement coupés du reste du camp et soumis dans la majorité des cas, à une liquidation au bout de quelques mois. Mais face à la conjoncture qui voyait l?arrivée incessante de nouveaux convois, ces liquidations ont été volontairement espacées, afin que le travail consistant à faire disparaître les corps puisse s?effectuer dans les meilleurs délais possibles. Dès lors, si Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental ont été maintenus en vie durant près de deux ans, c?est avant tout face à l?activité meurtrière du camp. Ces hommes étaient donc condamnés à servir leurs bourreaux afin de rester en vie. Ils ont ainsi été contraints de choisir entre le fait de vivre en tant que témoin et collaborateur forcé de l?extermination ou de rejoindre ceux qui n?ont jamais eu l?opportunité d?un tel choix. C?est justement parce qu?ils ont fait le choix de vivre, que leurs témoignages ont été le plus souvent ignorés par les scientifiques :

« C?est le signe évident de la difficulté que pose à la compréhension et à l?analyse historique, un phénomène comme celui de la coopération des victimes à leurs propres bourreaux dans des situations où le mal est le plus fort268 ".

268 Georges Bensoussan (dir.), Dictionnaire de la Shoah, Paris, Larousse, 2009.

Ce que démontre ici Georges Bensoussan, c?est qu?il demeure encore difficile aujourd?hui de concevoir que l?homme lui-même dans des conditions les plus extrêmes, puisse se soumettre à toutes sortes de sacrifices. La seule possibilité qui s?est ainsi offerte à ce mémoire, a été la mise en exergue de cette nature humaine tout en essayant de la représenter, de la définir, de la comprendre. Cela ne pouvait se faire qu?à travers une étude complète des écrits de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental car ils demeurent les sources les plus fiables sur la retranscription des pensées, des souffrances, et des tourments qui touchaient les membres du Sonderkommando au moment même où les atrocités se produisaient. Il n?y a eu de fait, aucune distance mémorielle entre le travail d?écriture et les faits vécus.

Dès lors en plongeant dans l?univers de ces hommes, nous avons été amenés à saisir pleinement la réalité du génocide. Les Sonderkommandos n?ont eu d?autres choix que de s?accoutumer à leur fonction afin de survivre dans un monde oü le concept d?individualité était proscrit : plus à même de penser, les Sonderkommandos sont devenus des automates au service du nazisme. Il est évident que le principe de déshumanisation faisait partie intégrante du processus génocidaire : c?est de cette façon que les membres du Sonderkommando sont devenus les instruments de la « Solution finale ». Ils n?ont plus été amenés à penser, à saisir, à comprendre la réalité de ce qu?ils étaient en train de faire. De cette situation extrême formée entre la jonction du « privilège » du savoir que leur offraient les SS et la culpabilité des actes commis qui l?accompagnait, est né l?impératif de témoigner. La tâche de l?écriture, a alors permis à ces hommes de sortir de cet état d?automatisation. Ils ont donc été contraints de vivre dans une souffrance extrême car transcrire les faits, autrement dit, mettre des mots sur la tragédie vécue, c?est aussi penser la réalité de l?évènement. Une réalité qui a vu l?exécution de plus d?un million de personnes. Ces témoignages ont donc une valeur unique, car ils fournissent des détails précis sur les mécanismes de mise à mort qui ont non seulement été matériels mais aussi et avant tout psychologiques.

Il était donc important pour ces auteurs de rendre compte de cet état de cristallisation des émotions afin de dénoncer les vrais coupables. Le régime nazi est ainsi désigné responsable de la dénaturalisation de ces hommes, qui ont été contraints de garantir, au nom de leur survie, le processus d?extermination. Ces témoignages tentent ainsi de faire prendre conscience au lecteur, qu?aucun jugement ne peut être porté sur leur condition de survie qu?ils se soient « dégradés » avec le temps ayant été « broyés » par Auschwitz, ou qu?ils se soient tout simplement résignés à effectuer un tel travail. Primo Levi, admet lui-même qu?aucun jugement ne saurait être porté sur une telle fonction face à l?unicité d?un tel évènement :

« Chaque individu est un sujet tellement complexe qu?il est vain de prétendre en
prévoir le comportement, davantage encore dans des situations d?exception, il n?est
méme pas possible de prévoir son propre comportement. C?est pourquoi je demande

que l?histoire des «corbeaux du crématoire» soit méditée avec pitié et rigueur, mais que le jugement sur eux reste suspendu269 ».

Il n?y a avait bien entendu, aucune prédestination morale à l?abject de la part de ces «corbeaux du crématoire» qui enrôlés par ruse, ont été confrontés à la mécanique de l?anéantissement.

Il est alors évident que diverses stratégies narratives ont été choisies par les auteurs afin de convaincre le lecteur : il s?agissait là de certifier l?authenticité du fait retranscrit, mais aussi et surtout, d?en assurer sa transmission. Chacun des auteurs s?est ainsi placé en tant que témoin oculaire ayant vécu l?atrocité de l?évènement mais qui en tant que transmetteur des faits, devient le gardien de leur authenticité. C?est entre ces deux aspects que se discerne le témoin historique. Ces hommes se sont dès lors attachés à prouver l?existence du génocide en laissant une trace dans l?humanité de ce qu?ils ont été amenés à vivre étant persuadés qu?ils allaient eux-mémes disparaitre. L?obsession nazie, nous l?avons vu, était bel et bien de supprimer toute trace du crime, dès lors aucun Sonderkommando ne devait survivre270. L?impératif de devoir laisser aux historiens des preuves de l?extermination s?est ainsi articulé autour du désir de laisser une preuve de son existence afin que la fine barrière existante entre eux et les bourreaux soient pleinement définie.

L?analyse du témoignage d?un point de vue littéraire et historique, est de fait devenue indispensable car elle a permis la mise en évidence des procédés stylistiques utilisés pour décrire non seulement les bourreaux, les victimes, mais aussi et surtout la vision qu?avaient les Sonderkommando d?eux-mêmes. Ces hommes ont ainsi souhaité réhumaniser la masse des victimes qu?ils ont vu disparaître. Il apparaît en effet, que la vertu de ces témoignages résulte avant tout dans cette volonté de transmettre le sentiment individuel autour d?événements précis, alors que celui-ci était condamné à disparaître dans la politique génocidaire nazie. Voilà certainement pourquoi le témoignage a fini par attacher la notion d?indicible, oü seule la création d?un espace littéraire, voire poétique pour Zalmen Gradowski, permettait une élaboration verbale transmissible. Cette étude doit ainsi permettre à l?historien, de percevoir et de saisir le monde qui était le leur, au-delà de cette notion d?indicibilité. Ainsi si ce mémoire a pu être réalisé autour de ces différents témoignages délaissés par l?histoire, c?est que la question de l?impensable, de l?indicible, de l?insondable n?existe pas et ne doit, comme nous l?indique Giorgio Agamben, en aucun cas exister :

« Dire qu?Auschwitz est indicible ou incompréhensible, cela revient à euphèmein, à
l?adorer en silence comme on fait d?un dieu [...]. S?ils veulent dire qu?Auschwitz fut
un évènement unique, devant lequel le témoin doit en quelque sorte soumettre chacun

269 Primo Levi, Les naufragés et les rescapés..., op.cit., p. 60.

270 Sur les deux milles hommes ayant composé ce commando, seuls quatre-vingt-dix ont survécu. Selon Carlo Saletti, Des Voix sous la cendre..., op.cit., pp. 518 - 585.

de ses mots à l?épreuve d?une impossibilité de dire [comme se fût le cas pour Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental], alors ils ont raison. Mais si rabattant l?unique sur l?indicible, ils feront d?Auschwitz une réalité absolument séparée du langage [...], alors ils répètent à leur insu le geste des nazis, ils sont secrètement solidaires de l'arcanum imperrii271 ».

Les témoignages de ces témoins oubliés doivent en premier lieu apparaître comme une preuve unique de l?existence du génocide. Il ne s?agit pas d?y voir une « vérité universelle272 », mais de reconnaître dans la mémoire historienne, l?expérience irremplaçable des témoins. Cette expérience ne saurait être traduite autrement qu?à travers le témoignage : qu?il soit écrit, oral, artistique, il demeure une archive primordiale qui survit au témoin et qui devient dès lors, le garant de son existence et du génocide. Pourtant, il semble que les chroniqueurs de Birkenau, qui ont démontré avec minutie jusqu?à quelle profondeur l?homme peut tomber, n?aient toujours pas leur place au sein de cette mémoire historienne.

271 Giorgio Agamben, Ce qui reste d'Auschwitz. L'archive et le témoin. Homo Sacer, III, Paris, Editions Payot Rivages, 2003, pp. 38 - 40 et p. 206.

272 Selon Gérard Wajcman, L'Objet du siécle, Paris, Denoël, 2010, p. 25.

Annexes

- ANNEXE I : DEFINITION OFFICIEL DU TERME SONDERKOMMANDO DONNE PAR L?INSTITUT

YAD VASHEM... 67

- ANNEXE II : CARTE REPRESENTATIVE DU COMPLEXE

D?AUSCHWITZ-BIRKENAU...........................................68

- ANNEXE III : PLAN GENERAL DU CAMP D?AUSCHWITZBIRKENAU..................................................................69

- ANNEXE IV : PHOTO DU KREMATORIUM III PRISE EN JUIN

1943 70

ANNEXE I : DEFINITION OFFICIEL DU TERME SONDERKOMMANDO DONNE
PAR L'INSTITUT YAD VASHEM

ANNEXE II : CARTE REPRESENTATIVE DU COMPLEXE D'AUSCHWITZ-
BIRKENAU

Source : Encyclopédie multimédia de la Shoah.

ANNEXES III : PLAN GENERAL DU CAMP D'AUSCHWITZ-BIRKENAU

Source : Encyclopédie B&S Editions (c)2007-2010.

ANNEXE IV : PHOTO DU KREMATORIUM III PRISE EN JUIN 1943

Source : Jean-Claude Pressac, Les crématoires d'Auschwitz. La machinerie du meurtre de masse,

Paris, CNRS Editions, p. 93.

Sources

I. Sources manuscrites :

- LANGFUS Lejb : membre du Sonderkommando d?Auschwitz. Son premier manuscrit a été retrouvé dès avril 1945 par un habitant d?Oswiecim (Gustaw Borowczyk), autour des ruines du crématoire III. Un second manuscrit non signé, est attribué à Lejb Langfus. Il a été retrouvé en 1952. Ces manuscrits sont disponibles dans l?ouvrage collectif Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d'AuschwitzBirkenau, Paris, Calmann-Lévy, 2005, pp. 101 - 120.

- GRADOWSKI Zalmen : membre du Sonderkommando d?Auschwitz. Ses manuscrits ont été retrouvés par la commission d?enquête spéciale de l?armée soviétique en mars 1945 grâce aux indications données par Szlama Dragon. Ils sont disponibles dans l?ouvrages Des Voix sous la cendre..., op.cit., pp. 37 - 100 ; 176 - 213.

- HERMAN Haïm : membre du Sonderkommando d?Auschwitz. Sa lettre a été retrouvée en 1945 par le docteur Andrzej Zaorski et publiée dans l?ouvrage de Ber Mark, Des Voix dans la nuit. La résistance juive à Auschwitz, Paris, Plon, 1982, p. 330.

- LEWENTAL Zalmen : membre du Sonderkommando d?Auschwitz. Ses manuscrits ont été retrouvés lors des fouilles menées sur le terrain du crématoire III en 1962, par les représentants de la commission principale pour l?enquête des crimes nazis en Pologne. Ils sont disponibles dans l?ouvrage, Des Voix sous la cendre..., op.cit., pp. 121 - 176.

- NADSARI Marcel : survivant du Sonderkommando d?Auschwitz. Son manuscrit a été retrouvé en 1980 près des ruines du crématoire III, lors des travaux d?aménagements et de nettoyage. Publié dans l?ouvrage « Handschrift von Marcel Nadsari », in Inmitten des grauenvollen Verbrechens. Handschriften von Mitgliedern des Sonderkommandos, Oswiecim, Verlag des Staatlichen Museums Auschwitz-Birkenau, 1996.

II. Sources imprimées : A. Les dépositions des Sonderkommandos d'Auschwitz-Birkenau :

- BUKI Milton : a témoigné au procès d?Auschwitz le 14 janvier 1965. Sa déposition est

disponible sur le site internet de Véronique Chevillon, Les Sonderkommandos : http://www.sonderkommando.info/proces/francfort/temoins/buki/index.html

- DRAGON Shlomo : a témoigné au procès de Cracovie le 10 et 11 mai 1945. Sa déposition est disponible dans l?ouvrage Des Voix sous la cendre..., op.cit., pp. 255 - 272.

- FEINSILBER Alter : a témoigné au procès de Cracovie le 15 mai 1945. Sa déposition est disponible dans l?ouvrage Des Voix sous la cendre..., op.cit., pp. 304 - 330.

- MÜLLER Filip : a témoigné au procès d?Auschwitz le 5 et 8 octobre 1964. Sa déposition est disponible sur le site internet de Véronique Chevillon, Les Sonderkommandos :

http://www.sonderkommando.info/proces/francfort/temoins/muller/index.html

- PAISIKOVIC Dow : a témoigné au procès d?Auschwitz le 8 octobre 1964. Sa déposition est disponible sur le site internet de Véronique Chevillon, Les Sonderkommandos :

http://www.sonderkommando.info/proces/francfort/temoins/paisikovic/index.html

- TAUBER Henryk : a témoigné au procès de Cracovie le 24 mai 1945. Sa déposition est disponible dans l?ouvrage Des Voix sous la cendre..., op.cit., pp. 273 - 304

B. Témoignages des membres survivants du Sonderkommando d'Auschwitz :

- BENNAHMIAS Daniel : a témoigné pour l?ouvrage de Rebecca Fromer, The Holocaust Odyssey of Daniel Bennahmias, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 1993.

- CHAZAN Saul : a témoigné pour l'ouvrage de Gideon Greif, We wept without tears : testimonies of the jewish Sonderkommando from Auschwitz , London, Yale University Press, 2005, pp. 220 - 255.

- COHEN Léon : a témoigné pour l'ouvrage de Gideon Greif, We wept without tears..., op.cit., pp. 256 - 285. Il a aussi publié ses mémoires, Léon Cohen, From Greece to Birkenau : the Crématoria Workers Uprising, Tel Aviv, Salonika Jewry Research Center, 1996.

- DRAGON Abraham : a témoigné pour l?ouvrage de Gideon Greif, op.cit., pp. 49 - 124.

- DRAGON Shlomo, ibid., pp. 49 -124.

- EISENSCHMIDT Eliezer, ibid., p. 167 - 169.

- GABBAI Dario : a témoigné pour la fondation Spielberg « Survivors of the Shoah Visual History Foundation » qui a publié son témoignage dans Les derniers jours, en 1999, pp. 157 - 159.

- GABAI Jaacov : a témoigné pour l?ouvrage de Gideon Greif, op.cit., pp. 125 - 166.

- MANDELBAUM Henryk : a témoigné pour l?ouvrage Témoins d'Auschwitz, Oswiecim, Le Musée d?Etat d?Auschwitz-Birkenau, 1998, pp. 341 - 350.

- MÜLLER Filip, Trois ans dans une chambre à gaz d'Auschwitz, Paris, Pygmalion, 1980.

- OLERE David est le seul témoin ayant choisi de transmettre ce qu?il avait vécu aux crématoires à travers l?art. Ses dessins ainsi que ses peintures sont disponibles dans l?ouvrage de son fils OLERE Alexandre, Un génocide en héritage, Paris, Wern, 1999.

- SACKAR Josef, a témoigné pour l?ouvrage de Gideon Greif, op.cit., pp. 1 - 48.

- VENEZIA Shlomo, Sonderkommando. Dans l'Enfer des chambres à gaz, Albin Michel, 2007.

C. Témoignages des détenus du camp d'Auschwitz non affectés au Sonderkommando :

- GUTMAN Israel, « Der Aufstand des Sonderkommandos », in Hermann Langbein, Auschwitz-Zeugnisse und Berichte, Francfort, Europäische Verlagsanstalt, 1962, pp. 213 - 219.

- KIELAR Wieslaw, Anus mundi. Cinq ans à Auschwitz, Paris, Laffont, 1980

- LENGYEL Olga, Souvenirs de l'au-delà, Paris, Editions du Bateau ivre, 1946.

- LEVI Primo, Les Naufragés et les Rescapés. Quarante ans après Auschwitz, Paris, Gallimard, 1989.

- NYISLI Miklos, Médecin à Auschwitz. Souvenirs d'un médecin déporté, Paris, Julliard, 1961.

- STROUMSA Jacques, Tu choisiras la vie. Violoniste à Auschwitz, Paris, Editions du Cerf, 1998.

- SZMULEWSKI David, Souvenirs de la Résistance dans le camp d'AuschwitzBirkenau, mise en forme par Noe Gruss, Paris, 1984.

- VRBA Rudolf, Je me suis évadé d'Auschwitz, Paris, J?ai lu, 2010.

D. Témoignages des SS ayant été en contact avec les Sonderkommandos d'AuschwitzBirkenau :

- « Mémoires de Rudolf Höss » in Auschwitz vu par les SS, Oswiecim, Le Musée d?Etat d?Auschwitz-Birkenau, 1994, pp. 95 - 115.

- HÖSS Rudolf, Le Commandant d'Auschwitz parle, Paris, La Découverte, 1995.

- KREMER Johan Paul : cité par Saul Friedländer, Les années d'extermination, Seuil, 2007, pp. 625 - 632.

- MOLL Otto : a été analysé par Hans Schmid dans son article « Der Henker von
Auschwitz », in Zeitschrift für Geschichtswissenschaft, Berlin, II, 2006, pp.118 - 138.

De nombreuses archives, telles que les dépositions, les lettres de SS ayant été en lien avec le Sonderkommando d?Auschwitz, sont « disponibles » au Musée d?Etat d?Auschwitz-Birkenau.

III. Sources audio-visuelles :

- BALBIN Abraham : membre du Sonderkommando d?Auschwitz a témoigné pour le film d?Erich Friedler, Sklaven der Gaskammer. Das jüdische Sonderkommando in Auschwitz, Allemagne, 2001.

- CHASAN Saul : membre du Sonderkommando d?Auschwitz a témoigné pour le film d?Erich Friedler.

- KETSELMAN Morris : membre du Sonderkommando d?Auschwitz a témoigné pour le film d?Erich Friedler.

- MANDELBAUM Henryk : membre du Sonderkommando d?Auschwitz a témoigné pour le film d?Erich Friedler.

- MIKUSZ Josef : membre du Sonderkommando d?Auschwitz a témoigné pour le film d?Erich Friedler.

- MÜLLER Filip : membre du Sonderkommando d?Auschwitz a témoigné pour le film de Claude Lanzmann : Shoah, France, 1985. Ce témoignage été retranscrit dans son ouvrage Shoah, Paris, folio, 1985, 220 - 235.

- PLISKO Lemke : membre du Sonderkommando d?Auschwitz a témoigné pour le film d?Erich Friedler.

- ROSENBLUM Jehoshua : membre du Sonderkommando d?Auschwitz a témoigné pour le film d?Erich Friedler.

- VENEZIA Shlomo : membre du Sonderkommando d?Auschwitz a témoigné pour le film d?Erich Friedler.

- ZYLBERBERG Jakob : membre du Sonderkommando d?Auschwitz a témoigné pour le film d?Erich Friedler.

L?ensemble de ces différents témoignages pourra bien entendu être complété dans le cadre de
recherches ultérieures. Il serait ainsi judicieux d?y ajouter une autre catégorie de sources en ce
qui concerne les comptes rendus civils polonais ayant travaillé en tant que personnel

technique au camp d?Auschwitz-Birkenau. Il apparaît en effet, que ce personnel technique a été responsable des travaux de construction des crématoires, ainsi que des réparations de ces structures lorsque leurs usages dépassaient leurs capacités.

L?on pourrait aussi joindre à cette analyse, une étude précise des témoignages existant sur les divers commandos « spéciaux » existants à Majdanek, Treblinka, Sobibor et Belzec afin de comparer ce qui caractérise pleinement le Sonderkommando en fonction de la singularité des camps.

Bibliographie

I. Dictionnaires : BENSOUSSAN Georges (dir), Dictionnaire de la Shoah, Paris, Larousse, 2009.

CHARNY Israël W. (dir.), Le livre noir de l'humanité. Encyclopédie mondiale des génocides, Toulouse, Privat, 2001.

GUTMAN Israël, Encyclopedia of the Holocaust, Vol. 4, New York, Macmillan Publishing Company, 1990.

II. Ouvrages et articles d?intérêt général :

A. Penser les génocides :

BRUNETEAU Bernard, Le siècle des génocides, Paris, Armand Collin, 2004.

COQUIO Catherine (dir.), Parler des camps, penser les génocides, Paris, Albin Michel, 1999. KIERNAN Ben, « Sur la notion de génocide », Le Débat, Paris, mars-avril 1999, pp. 179-193. TERNON Yves, Guerres et génocides au XXème siècle, Paris, Odile Jacob, 2007.

SOFSKY Wolfgang, L'ère de l'épouvante. Folie meurtrière, terreur, guerre, Paris, Gallimard, 2002.

B. Penser la Shoah :

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BAUER Yehouda, Repenser l'holocauste, Paris, Autrement, 2002. BENSOUSSAN Georges, Histoire de la Shoah, PUF, 1997.

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MARRUS Michael, L'Holocauste dans l'histoire, Paris, Flammarion, 1994.

C. Analyser et comprendre les témoignages de la Shoah :

AGAMBEN Giorgio, Ce qui reste d'Auschwitz. L'archive et le témoin, Paris, Editions Payot Rivages Poche, 2003.

BETTELHEIM Bruno, Survivre, Paris, Hachette, 1996.

DAYAN-ROSENMAN Anny, Les Alphabets de la Shoah, Survivre. Témoigner. Ecrire, Paris, CNRS Editions, 2007.

DULONG Renaud, Le Témoin oculaire. Les conditions sociales de l'attestation personnelle, Paris, Editions de l'EHESS, 1998.

GRIERSON Karla, Discours d'Auschwitz, Littéralité, Représentation, Symbolisation, Paris, Honoré Champion, 2003.

HILBERG Raul, Holocauste : les sources de l'histoire, Paris, Gallimard, 2001.

JURGENSON Luba, L'expérience concentrationnaire est-elle indicible ?, Monaco, Editions du Rocher, 2003.

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SEMPRUN Jorge, L'Écriture ou la vie, Paris, Gallimard, 1996.

D. Réflexions sur la mémoire de la Shoah :

BENSOUSSAN Georges, Auschwitz en héritage ? D'un bon usage de la mémoire, Paris, Mille et une nuits, 2003.

HALBWACHS Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, 1994. KATTAN Emmanuel, Penser le devoir de mémoire, Paris, PUF, 2002.

RICOEUR Paul, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.

PRIMO Levi, Les naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz, Paris, Gallimard, 1989.

III. Ouvrages et articles spécifiques :

A. Etudes portant sur les Einsatzgruppen :

INGRAO Christian, Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre SS, Paris, Fayard, 2010.

MARACCHINI Michel, Les troupes spéciales d'Hitler, Paris, Editions Grancher, 2001.

FRIEDLANDER, Les Années d'Extermination. L'Allemagne nazie et les Juifs, 1939-1945, Seuil, 2008, pp. 402 - 456.

B. Etudes relatives au camp d'Auschwitz-Birkenau :

BECKER Annette, in « Le corps en camps nazis et soviétiques ", dans Histoire du corps, (dir. Jean-Jacques Courtine), Paris, Le Seuil, T.III, 2006.

CZECH Danuta, Kalendarium der Ereignisse im Konzentrationslager Auschwitz-Birkenau 1939 - 1945, Hamburg, Rowohlt, 1989.

LANGBEIN Hermann, Hommes et femmes à Auschwitz, Paris, UGE, 1994. POLIAKOV Léon, Auschwitz, Gallimard-Julliard, 1964.

VAN PELT Jan Robert, DWORK Debórah, Auschwitz, 1270 to the Present, Londres, Yale University Press, 1996.

C. Etudes sur l'appareil d'extermination d'Auschwitz-Birkenau :

GUTMAN Israel (dir.), Anatomy of the Auschwitz Death Camp, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1998.

PRESSAC Jean-Claude, Les crématoires d'Auschwitz. La machinerie du meurtre de masse, Paris, CNRS Éditions, 1993.

SPECTOR Shmuel, Aktion 1005 À Effacing the Murder of Millions, in Holocaust and Genocide Studies, vol. 5, n° 2, 1990.

WELLERS Georges, Les Chambres à gaz ont existé. Des documents, des témoignages, des chiffres, Paris, Gallimard, 1981.

D. Etudes faisant référence au Sonderkommando d'Auschwitz-Birkenau :

ANDREAS Killian, FRIEDLER Erich, SIEBERT Barbara, Zeugen aus der Todeszone : Das jüdische Sonderkommando in Auschwitz, Berlin, Klampen Verlag, 2005.

DIDI-HUBERMAN Georges, Images malgré tout, Paris, Ed. de Minuit, 2003.

FROMER Rebecca, The Holocaust Odyssey of Daniel Bennahmias-Sonderkommando, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 1993.

MARK Ber, Des voix dans la nuit : la résistance juive à Auschwitz, Paris, Plon, 1982.

MESNARD Philippe, « Écritures d'après Auschwitz ", in L'extrême dans la littérature, Letras Libres, 2007, n° 53.

PIPER Franciszek, « The Sonderkommando Revolt " in Pro Memoria, 3 - 4, 1996.

WELLERS Georges, « Sur la résistance collective et la « coopération " des victimes avec les bourreaux dans les camps d?extermination des Juifs " in Le Monde juif, numéro 10, octobredécembre 1966, pp. 1 - 10.

WORMSER Olga, « La révolte du Sonderkommando d?Auschwitz " in Horizons, numéro 102, novembre 1959, pp. 49 - 60.

E. Etudes sur les manuscrits des Sonderkommandos d'Auschwitz-Birkenau :

BENSOUSSAN Georges (dir.), Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d'Auschwitz-Birkenau, Paris, Calmann-Lévy, 2005.

CAPKOVA Katerina, « Das Zeugnis von Salmen Gradowski ", in Theresienstädter Studien und Dokumente, Prag, Theresiensdatër Initiative Academia, 1999, pp. 105-140.

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Ibidem, « Diarries of the Sonderkommandos " in Israel Gutman (dir.), Anatomy of the Auschwitz Death Camp, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1998.

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MESNARD Philippe, SALETTI Carlo, Zalmen Gradowski. Au coeur de l'enfer, Document écrit d'un Sonderkommando d'Auschwitz, Paris, Editions Kimé, 2009.

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Ibid., « Testimony From Beyond the Grave " in Pro Memoria, 5 - 6, juin 1997. IV. OEuvre cinématographiques :

FRIEDLER Erich, Sklaven der Gaskammer. Das jüdische Sonderkommando in Auschwitz, Allemagne, 2001.

FRUCHTMANN Karl, Un homme simple, Allemagne, 1986. LANZMANN Claude, Shoah, France, 1985.

MOLL James, Les Derniers Jours, Etats-Unis, 1999.

REIBENBACH Tzipi, Choix et destin, Israël, 1993.

WEISS Emil, Sonderkommando, Auschwitz-Birkenau, France, 2007. V. Sites internet :

CHEVILLON Véronique, janvier 2005, Les Sonderkommandos, http://www.sonderkommando.com, consulté le 15 juillet 2011.

KILIAN Andreas, décembre 2003, Sokos, http://www.sonderkommando-studien.de, consulté le 11 juillet 2011.






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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe