2. La transition démocratique (1992-1993)
La transition a commencé en janvier 1992 et a pris fin
en juillet 1993, soit dix-huit mois après. Nous allons voir comment
s'est déroulée cette transition et comment la France l'a
accompagnée selon la presse française.
Dans certains articles, comme celui de Jean-Pierre LANGELLIER,
publié le 7 janvier 1992, RENÉ donne des garanties, tels que
l'ouverture de la télévision et de la radio aux opposants ou
encore le remplacement de la radio d'État par une station
indépendante. L'économie se libéralise. Le
président autorise même la création d'un Institut pour la
démocratie333. Neuf partis d'opposition
apparaissent334. Le 16 avril, Le Monde annonce le
retour d'exil de MANCHAM depuis le 13, accueilli par 20 000 de ses partisans.
Néanmoins, on peut constater des limites dans ce début de
transition : on dénonce sa maîtrise par le SPPF, le contrôle
des médias et les « conditions injustes » qu'aurait subies
l'opposition335, ainsi que le refus de RENÉ de tout
compromis sur la composition du Seychelles Broadcasting Corporation.
D'après la LOI, RENÉ chercherait à semer la
zizanie dans l'opposition336.
328 « Appel à une conférence de
réconciliation », La Lettre de l'Océan Indien, 6
juillet 1991.
329 « Conditions au retour des exilés », La
Lettre de l'Océan Indien, 2 novembre 1991.
330 Op. cit. LANGELLIER Jean Pierre, « Vent de
démocratie aux Seychelles. Après quatorze années de
socialisme autoritaire, cet archipel de l'océan Indien se convertit au
multipartisme et libéralise son économie », 7 janvier
1992.
331 Op. cit. RAFFY Serge, « Marx va mourir aux
Seychelles », Le Nouvel Observateur, 26 mars-1er avril 1992.
332 Op. cit. LANGELLIER Jean Pierre, « Vent de
démocratie aux Seychelles. Après quatorze années de
socialisme autoritaire, cet archipel de l'océan Indien se convertit au
multipartisme et libéralise son économie », 7 janvier
1992.
333 « Un Institut pour la démocratie », La
Lettre de l'Océan Indien, 22 février 1992.
334 « Déjà neuf partis d'opposition, La
Lettre de l'Océan Indien, 25 janvier 1992.
335 « Les craintes de l'opposition », La Lettre de
l'Océan Indien, 15 février 1992.
336 « Les limites du changement », La Lettre de
l'Océan Indien, 16 mai 1992.
Cela n'empêche pas de constater une « effervescence
pré-électorale », selon la LOI du 11 juillet. Le
26, les « premières élections pluralistes depuis dix-sept
» - titre de l'article du Monde du 26 juillet - donnent 58,4 % et
11 sièges au SPPF, 8 au Democratic Party de MANCHAM et un seul
au Parti Seselwa (Parti seychellois). 90% des électeurs ont
voté337. Parmi les observateurs, on compte un
français, le député de l'Essonne André
WILTZER338. La cohabitation débute le 27 août
avec l'élection de Joseph BELMONT en tant que président de la
commission constitutionnelle339. Lors de son passage à
Paris en septembre, RENÉ a présenté l'évolution
politique de son pays au nouveau conseiller aux Affaires africaines de
MITTERRAND, Bruno DELAYE. Les Seychelles auraient reçu sa prime à
l'effort démocratique puisqu'on constate que Paris a accepté de
réduire sa dette340.
titre de la LOI du 17 octobre 1992. L'opposition se
prononce sur le non, déclenchant une polémique avec le
SPPF343. Le 15 novembre, 53% des électeurs ont
voté oui alors qu'il en fallait 60% : le projet constitutionnel est
rejeté344. Des tensions apparaissent : le SPPF fait
désormais cavalier seul et les opposants subissent des menaces et des
pressions. MANCHAM souhaite la venue d'observateurs du Commonwealth.
Le conseiller de MANCHAM, Daniel BELLE, s'est alors rendu à Paris. En
effet, d'après Paul CAMBON, « l'opposition souhaiterait [...] la
participation d'un constitutionnaliste français ». Pour elle, la
France doit jouer un rôle indispensable dans les régions
francophones. Selon l'opposition, toujours d'après CAMBON, la venue du
constitutionnaliste renforcerait le poids de Paris dans
l'archipel345. Jusqu'au dernier moment, avant la reprise des
travaux, RENÉ se refuse à consulter MANCHAM sur
l'élaboration de la Constitution346.
337 « Victoire du parti présidentielle à
l'élection de la Commission constitutionnelle », Le Monde,
28 juillet 1992.
338 « Des observateurs pour les élections »,
La Lettre de l'Océan Indien, 25 juillet 1992.
339 « Début de cohabitation », La Lettre de
l'Océan Indien, 29 août 1992 ; « L'impatience
d'André SAUZIER », La Lettre de l'Océan Indien, 5
septembre 1992.
340 « Le président René à Paris »,
La Lettre de l'Océan Indien, 12 septembre 1992.
341 « Le calendrier électoral en question »,
La Lettre de l'Océan Indien, 26 septembre 1992.
342 « Le SPPF adopte sa Constitution », La Lettre
de l'Océan Indien, 10 octobre 1992.
343 « L'opposition dit non », La Lettre de
l'Océan Indien, 24 octobre 1992 ; « Référendum
constitutionnel », Le Monde, 15 novembre 1992.
344 « Rejet de la Constitution », La Lettre de
l'Océan Indien, 21 novembre 1992 ; CAMBON Paul, « Ce n'est pas
le paradis pour le président René », Quotidien de
Paris, 17 décembre 1992.
345 Op. cit. CAMBON Paul, « Ce n'est pas le paradis
pour le président René », Quotidien de Paris, 17
décembre 1992.
346 « L'indécision du Democratic Party
», La Lettre de l'Océan Indien, 9 janvier 1993.
Au moment où les travaux ont repris, fin janvier 1993,
MANCHAM est entré en contact avec un expert en consultation
électorale, membre du RPR de Jacques CHIRAC alors maire de Paris, afin
d'obtenir des conseils pour les futures élections
seychelloises347. En mars, les débats constitutionnels
ont été prolongés348. Les travaux prirent
fin début mai349. La Constitution a été
adoptée par référendum le 18 juin à 73,6
%350 avec un taux de participation de 74,66
%351. Trois candidats à la présidentielle sont
présentés : RENÉ, MANCHAM, et Philippe BOULLE de
l'United Opposition. On s'attendait sans surprise à la
réélection de RENÉ le 23 juillet352.
C'est chose faite. Il est réélu avec 59,5 % contre 36,7 % pour
MANCHAM : c'est « l'écrasante victoire d'Albert RENÉ
»353. Ces élections générales, qui
se seraient déroulées dans le calme, auraient donné 28
sièges sur 33 au SPPF. C'est donc la fin d'une transition qui aura
duré 18 mois354.
347 « Les aléas du débat constitutionnel
», La Lettre de l'Océan Indien, 27 février 1993.
348 « Débats constitutionnels prolongés
», La Lettre de l'Océan Indien, 27 mars 1993.
349 « Nouveau planning électoral », La
Lettre de l'Océan Indien, 8 mai 1993.
350 « La nouvelle Constitution a été
approuvée à une large majorité », Le Monde,
22 juin 1993.
351 « Élections générales fin juillet
», La Lettre de l'Océan Indien, 26 juin 1993.
352 « Triangulaires générales fin juillet
», La Lettre de l'Océan Indien, 10 juillet 1993.
353 « Écrasante victoire d'Albert René »,
La Lettre de l'Océan Indien, 31 juillet 1993.
354 « Le président France-Albert René a
été réélu », Le Monde, 27 juillet
1993.
C) La politique française de renforcement de la
démocratie et de défense des droits de l'Homme aux Seychelles
d'après la presse française (1993-2004)
Il est étonnant de voir un dictateur se convertir
à la démocratie. Certes, il existe des cas où d'anciens
dictateurs deviennent des présidents démocratiquement élus
comme le Bolivien Hugo BANZER ou récemment le Santoméen Manuel
PINTO DA COSTA dont le régime était proche de celui de
RENÉ. Est-il possible que RENÉ soit vraiment devenu du jour au
lendemain un vrai démocrate ? Sur ce point, nous pouvons compter
uniquement sur La Lettre de l'Océan Indien pour obtenir des
informations médiatiques sur la présentation de la politique
française de renforcement de la démocratie aux Seychelles, les
autres médias ne nous donnant aucun renseignement.
Parmi les principales libertés, il y a la
liberté d'aller et venir, la liberté d'expression (la
liberté de la presse en fait partie), le droit à
l'intégrité corporelle, le droit au respect de la vie
privée, le droit de manifester, le droit de réunion et
d'association355. D'après Freedom House, il
n'y avait aucune liberté entre 1980 et 1992. Puis, entre 1993 et 1996,
les Seychellois deviennent partiellement libres. Depuis, rien ne semble avoir
changé356. Si le multipartisme est autorisé,
l'exil exclu et qu'une certaine liberté d'expression existe, le
régime continu d'être pointé du doigt pour ses manquements
aux droits de l'Homme357. En étudiant les articles de
la LOI, nous pouvons constater que ces manquements commencent à
être régulièrement pointés du doigt par Paris
dès 2001. Au moment où les travaux ont repris, fin janvier 1993,
MANCHAM est entré en contact avec un expert en consultation
électorale, membre du RPR de Jacques CHIRAC alors maire de Paris, afin
d'obtenir des conseils pour les futures élections
seychelloises347. En mars, les Seychelles, RAFFARIN affiche de
façon sous-entendue son attachement au respect des droits de l'Homme aux
Seychelles.
L'inquiétude de l'Union européenne et celle de
la France sur l'état de la démocratie seychelloise,
d'après les articles de la LOI, se fait ressentir dès la
fin du « règne » du président RENÉ. On remarque
que la France, avec l'UE, fait pression sur le régime seychellois et que
pendant près de dix ans, après la fin de la transition «
démocratique », la diplomatie française a nié, tout
comme l'UE, les entorses à la démocratie par le régime de
RENÉ
358. Ces entorses sont
présentées dans La Lettre de l'Océan Indien comme
étant des « problèmes aux Seychelles ». L'ambassadeur
des Seychelles à Paris, Calixte d'OFFRAY, propose alors l'envoi d'une
commission d'enquête sur l'état de la démocratie avec les
droits de l'Homme. Aucun article français n'affirme si le
président RENÉ a donné ou non son accord à l'envoi
de cette commission.
La liberté de la presse, sans doute la plus importante,
semble être celle qui en pâtit le plus. Voici comment la presse
française nous présente la situation. Pour RAFFY, RENÉ est
devenu « en quelques semaines un adepte de la liberté d'expression
»359. Pourtant, il continue de la bafouer. La LOI
du 24 février 2001 évoque la question avec la visite du
ministre de la Coopération Charles JOSSELIN les 19 et 20 février.
Dans son entretien avec RENÉ, il lui aurait rappelé l'attachement
de la France à la liberté de la presse et d'expression. En effet,
les deux seuls médias véritablement indépendants,
Regar et Vizyon, sont menacés de fermeture à
cause de plusieurs procès en diffamation par le régime. En 2002,
Regar est au bord de l' « étranglement », d'où
le combat en Europe des sympathisants de l'hebdomadaire. À Paris, il est
mené par Pauline FERRARI, la fille de l'ex ministre et soeur de
l'éditeur de Regar, JeanFrançois. On sait qu'au bout de
plusieurs mois de combats médiatiques, elle a réussi à
obtenir l'envoi d'une lettre de Reporters sans frontières à
RENÉ et tenté d'entrer en contact avec la Fondation France
libertés présidée par Danielle
MITTERRAND360.
Les missions diplomatiques françaises et britanniques
à Victoria relèvent des violations des droits de l'Homme et
l'augmentation de la brutalité (brutalité policière et
possible existence de milices pro-RENÉ). Ces informations reçues
par la Commission européenne incitent l'UE, et donc la France, à
modifier leur position vis-à-vis-du régime, d'où la
proposition de l'ambassadeur seychellois à Paris de l'envoi d'une
commission d'enquête361. Ce même ambassadeur a
également envoyé au président RENÉ une
sévère lettre du président du Sénat
européen, Pat COX362 condamnant l'arrestation de
l'éditeur de Regar et le meurtre de Thérèse
BLANC-PAYET, Française étant liée - est-ce une
coïncidence ? - à cette personne. Le dernier article est sans doute
celui de la LOI publié le 17 janvier 2004. On apprend que
Watson GRAHAM a écrit au Premier ministre RAFFARIN à propos des
droits de l'Homme aux Seychelles. Donc, au moment où RENÉ se
prépare à abandonner le pouvoir, les droits de l'Homme posaient
toujours problèmes. Si RAFFARIN reconnaît l'augmentation des
homicides, d'après lui, le pays traverse de profonds bouleversements au
moment du départ du pouvoir de RENÉ. En revanche, en soutenant la
poursuite de la démocratisation des Seychelles, RAFFARIN affiche de
façon sous-entendue son attachement au respect des droits de l'Homme aux
Seychelles.
358 « La pression européenne monte », La
Lettre de l'Océan Indien, 4 octobre 2003.
359 Op. cit. RAFFY Serge, « Marx va mourir aux
Seychelles », Le Nouvel Observateur, 26 mars-1er avril 1992.
360 « Les lobbyistes de Regar en Europe »,
La Lettre de l'Océan Indien, 13 avril 2002.
361 Op. cit. « La pression européenne monte
», La Lettre de l'Océan Indien, 4 octobre 2003.
362 «Sévère lettre de Pat Cox », La
Lettre de l'Océan Indien, 27 septembre 2003.
qui y font allusion. Même si la France a fait pression
sur les Seychelles en se faisant donneuse de leçons, il n'en demeure pas
moins que la presse française n'a jamais évoqué une
quelconque dénonciation de Paris du gouvernement de Victoria, ni
expliqué les raisons. Mais on a pu constater que cela a changé
avec la fin de la guerre froide et le début de la vague de
démocratisation en Afrique. La France a, en outre, joué un
rôle non négligeable en ayant été l'un des pays les
plus visités par l'opposition durant la lutte pour la
démocratisation, mais surtout avec la visite de MITTERRAND aux
Seychelles et le discours de La Baule. Le rôle de la France dans le
processus démocratique s'avère en revanche plus absent dans la
presse. On a pu constater qu'il a fallu attendre le début des
années 2000 pour que la diplomatie française des droits de
l'Homme aux Seychelles revienne dans la presse, exclusivement dans la
LOI. En conclusion, la presse française peut nous donner une
idée de cette diplomatie française, mais certaines zones d'ombres
demeurent, tel que l'accompagnement de la France dans le processus
démocratique.
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