Les anciennes puissances coloniales et la résolution des conflits en Afrique( Télécharger le fichier original )par Netton Prince TAWA Université de Cocody - DEA Droit Public 2006 |
CHAPITRE I : LE PATERNALISME COLONIALPar paternalisme colonial, nous entendons les relations d'amitié ou les liens18(*) qui unissent l'Afrique aux anciennes puissances coloniales et un certain droit de préemption qu'ont ces derniers sur le premier en matière de coopération ou de pratique des relations internationales. On notera par exemple la priorité accordée par la France à ses anciennes colonies de l'ex- AOF ou de l'ex- AEF, la place centrale qu'occupe la Grande-Bretagne dans la coopération bilatérale de ses anciennes colonies19(*). Malgré la mondialisation, cette pratique reste fortement de mise, en vigueur ; de sorte qu'il y a lieu de se demander si la décolonisation n'est pas un processus inachevé (SECTION I). Une telle interrogation se justifie d'ailleurs quand on sait la disposition des Africains à consentir à l'ingérence des anciennes puissances coloniales, dans le cadre du règlement de leurs conflits (SECTION II). SECTION I : LA DECOLONISATION, UN PROCESSUS INACHEVE ?Si la colonisation a été perçue comme la « domination étrangère sur les sociétés africaines », son autopsie permet de s'apercevoir du caractère massif mais surtout global du phénomène qui embrasa tous les secteurs de la vie en Afrique. La colonisation est certes sociale et économique, mais elle est d'abord et surtout militaire et politique. L'aspect militaire a permis au terme du congrès organisé par BISMARCK- dont l'objectif était de mieux organiser le "partage de l'Afrique"20(*) - de vaincre la résistance africaine. L'aspect politique quant à lui se présente « comme un processus de désintégration et d'intégration de l'espace africain21(*) ». Après quatre vingt ans de présence de l'occupant, l'Afrique acquiert son indépendance dans les années 196022(*). Mais le constat à terme est regrettable : l'Afrique est toujours l'objet de domination au point que certains auteurs se demandent si elle ne subit pas une autre colonisation23(*).D'autres sont plus catégoriques et parlent de recolonisation24(*). Mais en réalité, ce qui mérite d'être souligné, c'est que malgré les indépendances, le problème africain reste entier depuis un demi- siècle : « la colonisation est et demeure un processus inachevé » comme l'atteste si bien le Professeur Simon Pierre EKANZA25(*). La décolonisation est un processus inachevé en cela que la domination militaire des anciennes puissances coloniales est maintenue (Paragraphe 1) et que l'exploitation du continent est toujours en vigueur (Paragraphe 2). PARAGRAPHE 1 : Le maintien de la domination militaire sur l'Afrique Dans un contexte post 1945 et post-colonial où l'égalité souveraine des Etats et la non ingérence dans les affaires intérieures sont élevées au rang des principes fondamentaux pour une cohabitation pacifique dans l'ordre international, les anciennes puissances coloniales, soucieuses de (ré) occuper leurs "territoires" vont opter pour une tactique beaucoup plus subtile, moins brutale. La voie conventionnelle sera donc préférée pour consacrer cette domination (A). A côté de cette domination consacrée, coexiste une autre. Cette là est de fait (B). A- Une domination militaire consacrée Les velléités d'union constatée en Afrique après les indépendances n'ont pu consacrer une politique commune de défense. Cette lacune sera donc exploiter par chacune des anciennes puissances coloniale qui vont signer des accords bilatéraux de coopération ou de défense pour élargir ou réaffirmer leur présence constante en Afrique. Ils sont nombreux, ces accords. Les plus importants sont ceux signés par la France et l'Afrique indépendante (1). Mais la pratique sera aussi adoptée par les autres (2). 1-L'exemple des accords franco-africains de défense militaire La domination française sur l'Afrique est vielle et s'est construite avec patience. Elle commença à une période où la domination de l'Europe sur l'Afrique fut perçue comme normale, voire légitime ; au point que le milieu intellectuel et la classe politique françaises26(*) évoquaient l'idée que la France avait une mission civilisatrice à accomplir à l'égard du peuple africain qui « n'avait pas de civilisation ». D'ailleurs dans cette vaine, Jules FERRY justifiera la colonisation dans le célèbre discours prononcé devant le Parlement le 28 Juillet 1885 en ces termes : « La France, patrie de lumière se doit de faire connaître ce message (de la civilisation) universaliste aux peuples qui l'ignorent encore.» Le terrain étant balisé, la France- à l'instar de ses pairs colonisateurs européens-, pouvait asseoir des structures pour mieux exercer la domination sur l'Afrique. Mais advint une autre époque : la fin de la deuxième guerre mondiale qui imposa un nouvel ordre mondial. Les peuples africains comprirent la nécessité de se libérer du joug colonial, soutenus en cela par les deux grandes puissances émergentes de l'époque : les Etats-Unis d'Amérique et L'URRS. Vers 1950 et au cours des années suivantes, les plus avisés des colonisateurs s'aperçurent qu'ils devaient préparer la voie d'un éventuel retrait. Mais pour la France, l'existence de ses colonies était étroitement liée aux ambitions de demeurer une puissance occidentale. François MITTERAND, la voix la plus autorisée de l'époque sonna l'alarme en ces termes : « Sans l'Afrique, il n'y aura pas d'histoire de France au XXIè siècle27(*) ». Un an plus tard, son appel est entendu ; car à l'issue du référendum organisé le 29 Septembre 1958, de GAULLE put obtenir des peuples africains la Communauté franco-africaine aux lieux et place de l'indépendance immédiate. Cependant, la Communauté ainsi obtenue était loin d'apporter les satisfactions escomptées aux nationalistes des pays qui avaient voté "OUI". Et deux ans plus tard, quatorze pays de la Communauté devinrent indépendants. Finalement, aussi bien les colonies françaises que les autres obtinrent leur autonomie et toute l'Afrique devint indépendante. Mais le désir de domination sur l'Afrique apparut comme une symphonie inachevée chez les anciens colonisateurs ; des tentatives de récidive s'amorcèrent avec des mercenaires portugais sur les côtes de la Guinée Conakry. La tentative échoua en 1974. Quant à la France, les choses semblent avoir été plus faciles pour elle d'autant que pour les jeunes Etats nouvellement indépendants, le maintien du "cordon ombilical" avec la France apparaissait non seulement comme une nécessité, mais bien plus comme une opportunité pour amorcer la structure des Etats modernes. Ses nouveaux ( ?) rapports avec ses anciennes colonies ont donc été établis de façon formelle par une série d'accords de défense et d'assistance militaire technique. Pour Basil DAVIDSON, il s'agit " d'autres formes de pénétration, d'infiltration, d'agression (qui) se manifestent par des voies plus détournées". A l'origine de ces accords, " des impératifs liés à la sécurité sont souvent mis en avant, mais il serait plus juste d'invoquer le "maintien de la souveraineté française sur ses anciennes colonies" comme le suggère si bien Sandrine SANTO. Ces accords de défense regroupent aide et assistance en cas de troubles intérieurs ainsi que le stationnent de militaires français sur cinq bases africaines28(*). Au total, le bilan fourni par Robin LUCKHAM en 1982 du militarisme français en Afrique est révélateur de l'intention de la métropole. Sur seize Etats d'Afrique noire francophone, quinze sont liés à la France soit par un accord de défense, soit par un accord d'assistance militaire, soit les deux à la fois29(*). Trois Etats de passé colonial belge30(*) ont fait leur entrée dans le "cercle des protégés", complétant ainsi la liste à dix-huit. Pourtant la pratique ne reculera pas. Même la Guinée dont le refus à la Communauté fut remarquable et fit écho, est elle aussi "venue faire allégeance"31(*). Aujourd'hui, la France maintient des accords bilatéraux avec vingt-trois pays africains francophones32(*) ainsi qu'avec trois pays anglophones33(*). On peut ajouter à cela des accords de défense avec huit pays34(*). La raison officielle évoquée pour justifier la présence militaire française dans une Afrique indépendante est que la coopération franco-africaine est le gage de l'épanouissement de l'indépendance africaine. Mais en toile de fonds, ce comportement paternaliste avait un seul objectif : maintenir et renforcer son influence sur l'Afrique afin d'accentuer sa dépendance vis-à vis de la métropole. C'est cette idée que Bertrand BADIE dénoncera d'ailleurs avec véhémence en ces termes : « Il y a une stratégie de collaboration entre princes du sud et princes du nord. Le processus de dépendance est une composition de stratégie de pouvoirs à objet politique35(*) », écrit-il. La France, on le voit, a signé des accords de coopération militaire avec l'Afrique indépendante. Elle est certes la première à se lancer dans cette entreprise, mais elle fut suivie par les autres puissances coloniales. C'est ce point qu'il convient d'analyser. 2- Des accords militaires avec d'autres puissances interventionnistes Si en matière de coopération militaire la France apparaît comme l'ancienne puissance coloniale la plus engagée, force est de reconnaître qu'elle ne fut seule ; elle fut suivie plus tard par ses paires qui craignaient de la laisser seule sur un continent dont l'importance à la fois stratégique et géopolitique n'est plus à démontrer. Ainsi, prenant alibi de la guerre froide, les Etats- Unis d'Amérique vont signer un certain nombre d'accords avec les pays africains dans le domaine militaire. Le Libéria sera ainsi le premier Etat de l'Afrique - de l'Ouest - à établir les liens privilégiés avec les Etats- Unis d'Amérique36(*). Mais c'est surtout pendant les années précédent la décolonisation que les Etats- Unis d'Amérique s'intéressent davantage à l'Afrique. En 1967, le Secrétaire d'Etat à la défense justifiait l'assistance militaire américaine à l'Afrique en ces termes :" En préservant l'indépendance des Etats africains, elle aide à contrecarrer la pénétration du communisme sur le continent noir ; elle contribue à la stabilité de régimes en place et favorise le développement socio-économique de ces pays ; elle permet aux Etats- Unis de disposer en Afrique de facilités militaires qui répondent à leurs besoins stratégiques : droit de survol ; droit d'escale, droit de transit."37(*) Bien que se montrant discrets sur le continent-peut-être eu égard à son opposition affichée face à la colonisation-, les Etats-Unis d'Amérique ne sont pourtant pas à dédommager quant aux manoeuvres militaires en l'Afrique. C'est d'ailleurs en vertu des accords de coopération militaire avec la Guinée que les Etats- Unis d'Amérique ont formé, depuis 2001, un bataillon de rangers spécialisés dans la surveillance des frontières, comme le souligne Paul CHAMBERS38(*). En outre, de nombreux Guinéens considèrent que le soutient militaire des Etats- Unis d'Amérique a permis à la Guinée de faire face aux attaques de septembre 2000, même si, officiellement, les responsables militaires américains présents en " Guinée se défendent d'une quelconque implication d'envergure et évoquent plus tôt un simple « concours psychologique » apporté à l'armée guinéenne.39(*)" Quant à la Grande-Bretagne, sa volonté de s'affirmer ou de demeurer un acteur principal dans le développement politique de l'Afrique ne fait l'ombre d'aucun doute. Son engagement- personnel-dans la reforme du secteur de sécurité en Sierra Léone40(*) après l'effondrement de l'Etat suite au conflit armé qu'a connu ce pays atteste si bien de nos propos. D'ailleurs, le gouvernement de BLAIR a souligné très tôt la nécessité d'être «well connceted » et les questions africaines ont donné lieu à quelques unes des tentatives les plus déterminées d'une approche coordonnée de la politique étrangère. L'exemple le plus sûr et le plus convaincant de cette approche concertée en matière de politique africaine est la création du groupe de prévention des conflits en Afrique41(*) (Africa conflict prevention pool). Doté d'un fonds important, ce groupe fut mis en place au printemps 2001 et devait être opérationnel en 2004. Malgré les problèmes qui ont précédé sa naissance, ce "groupe a amélioré les capacités britanniques de prévention des conflits" selon Paul WILLIAMS. En effet, en 2003, quatre conseillers régionaux en matière de prévention et de gestion des conflits, payés par le pool ont été nommés et repartis sur le continent. La répartition faite de ces conseillers témoigne de la volonté britannique de se tenir informée sur la conflictualité en cours en Afrique, d'autant que " la conflictualité africaine démontre (...) l'existence d'un continuum entre troubles à la sécurité interne et insécurité régionale42(*)", comme le note Niagalé BAGAYOKO-PENONE. Basés actuellement à Pretoria (Afrique australe), Addis-Abeba (Afrique orientale), Nairobi (Afrique centrale) et Abuja (Afrique occidentale), ces conseillers doivent surveiller leur région, fournir à Londres des analyses à jour sur ce qui se passe dans les Etats où la présence britannique n'est pas officielle, et aider les groupes régionaux dans leurs actions de prévention des conflits43(*). La domination des anciennes puissances coloniales sur l'Afrique prend ainsi, on vient de le voir, la forme d'un accord. Cependant, il est des situations où cette domination ne se consacre pas. Elle est de fait, nous le verrons. B- Une domination militaire de fait. A l'instar de tous les Etats du monde, l'indépendance de l'Afrique exigeait d'elle la constitution d'armées nationales. Pour satisfaire une telle exigence, elle va rater l'ultime occasion d'opérer la rupture nécessaire pour une indépendance totale. Elle recourut aux différentes métropoles et pour la constitution de son armée et pour la fourniture d'équipements militaires. Abstraction faite du Portugal -dont le retrait total ( ?) de ses colonies a été précipité par les évènements intervenus à Lisbonne-, la France, l'Angleterre et dans une certaine mesure la Belgique, ont été invitées à mettre sur pied les nouvelles armées de leurs anciennes colonies. Par exemple, c'est aux forces armées britanniques que le Ghana et le Nigéria ont confié en 1967 la création de leurs académies militaires et ce sont des officiers britanniques qui y ont été employés pour former leurs commandants, et leurs officiers de carrière. Après l'indépendance du Zimbabwe, deux forces militaires se disputaient le pays, une révolutionnaire, l'autre anti révolutionnaire. Pour transformer ces deux mouvements en une force militaire intégrée, le Zimbabwe a dû se tourner vers la Grande-Bretagne44(*). La situation a été identique dans les anciennes colonies françaises ; de sorte que les deux anciennes puissances coloniales ont finalement formé et reproduit des structures et des comportements militaires à leur image. L'autre face de la coopération militaire qui accentua davantage la dépendance de l'Afrique vis-à-vis des anciennes métropoles est la fourniture d'équipement militaire. En effet, les armées ainsi créées ayant besoin d'armement ou d'équipement, les Etats africains n'auront d'autres sources d'approvisionnement que les mêmes anciennes puissances coloniales. Ainsi, pendant les deux premières décennies post-coloniales, « La France était le premier fournisseur d'armes en Afrique noire 45(*)», comme le souligne I. William ZARTMAN. Elle a été suive par Grande-Bretagne et la Belgique. En tout état de cause, ces achats d'armes sont évidemment des aubaines pour les industries d'armement. Mais bien plus, ils accentuent la dépendance des Etats africains vis-à-vis des anciennes puissances coloniales. Puis à travers le transfert d'une technologie et la diffusion d'une culture militaire, ces anciennes puissances coloniales exercent une influence qui se fera ressentir encore en Afrique. D'ailleurs, la hiérarchie militaire en eu une telle conscience que lors du colloque de Bordeaux du 29 au 30 Octobre 1979 sur " la politique militaire de la France en Afrique noire sous le général de Gaule", Pierre DABEZIES a pu affirmer que « si le concept de défense, par nature politique se révèle évolutif et mouvant, il n'en va pas de même pour celui d'assistance militaire technique. Cette dernière en effet, est non seulement source de liens étroits et permanents, mais perdant sa connotation administrative, se traduit tout naturellement dans l'armée en termes concrets d'appartenance et de complicité, de hiérarchie ou de camaraderie, de promotion ou d'ancienneté. La personne du général de Gaulle, l'attachement culturel des élites et la spécificité militaire, voilà, peut-être, depuis l'indépendance, les trois fondements de notre sécurité et de notre pérennité en Afrique46(*).» Comme à l'époque précoloniale où la domination militaire sur l'Afrique a permis ou " autorisé" son exploitation, la domination militaire actuelle aboutit à l'exploitation continuelle de l'Afrique. PARAGRAPHE 2 : l'exploitation continuelle de l'Afrique. Cette exploitation est double. Elle est à la fois géopolitique(A) et économique(B). A- L'exploitation géopolitique de l'Afrique Parler d'exploitation géopolitique de l'Afrique par les anciennes puissances coloniales, c'est évoquer l'idée d'une influence politique qu'exercent celles-ci sur l'Afrique. En effet, si à l'époque précoloniale, l'Afrique a été déclarée "res nillius" pour justifier ou légitimer sa conquête, à l'occasion des indépendances, elle a été abandonnée par ses "propriétaires", de sorte qu'elle était sensée se prendre en charge, s'autodéterminer elle-même. Mais en réalité le continent est resté une zone sous influence des anciennes puissances coloniales, avec la bénédiction des Etats-Unis d'Amérique et ce, eu égard à la guerre froide. Des structures de dépendance politique sont donc mises en place et entretenues pour maintenir cette influence. Ainsi, dans les Etats d'Afrique francophone, la notion de francophonie47(*) fut instituée et agglutinera non seulement les anciennes colonies françaises mais aussi belges. Et dans le contexte de la guerre froide, la France jouera un rôle important dans cette soumission stratégique du continent. La notion de « Gendarme de l'Afrique » s'identifiera à elle. Celle du « pré-carré » aussi sera d'origine française et lui bénéficiera. D'ailleurs, au nom de la défense du « pré-carré », la France entrera quelques fois en conflit avec le Nigéria48(*). Le soutien par elle apportée à la région est du Nigéria dans sa rébellion49(*) contre le pouvoir fédéral n'avait d'autre justificatif que de briser l'influence ascendante d'un Etat qui pourrait fragiliser son influence sur cette partie occidentale de l'Afrique. Cette volonté française de domination sur l'Afrique-occidentale- s'est ensuite manifestée lors des différents conflits qui ont surgi sur le continent. Ainsi, lors du conflit libérien, " en ravitaillant en armes Charles TAYLOR via le Burkina Faso, et la Côte d'Ivoire50(*)" la France était habitée par le souci d'empêcher le Nigéria-qui du reste contrôlait à la fois la CEDEAO et l'ECOMOG-de prendre le leadership dans son pré carré. L'institution des sommets franco-africains constitue à n'en point douter la matérialisation de cette volonté dominatrice. Quant à la Grande-Bretagne, la notion Commonwealth sera instrumentalisée à des fins de domination géopolitique. A côté de l'exploitation géopolitique, existe une autre forme de domination, elle aussi, non moins importante que la première : c'est l'exploitation économique. B- L'exploitation économique de l'Afrique.Cette exploitation apparaît comme la véritable raison de la présence encore actuelle des anciennes puissances coloniales en Afrique malgré les indépendances. En effet, si la recherche des nouveaux débouchés-pour y déverser les excédents à la production eu égard à la révolution industrielle-a justifié, du moins sur le plan économique, le recours à la colonisation, la présence actuelle des anciennes puissances coloniales en Afrique ne se justifie véritablement que pour des motifs économiques. Ainsi, quand pointaient à l'horizon les indépendances et qu'il était quasiment impossible d'y résister, les puissances coloniales commencèrent à créer ou à renforcer les structures qu'elles voulaient laisser derrière elles. Les Britanniques parlèrent de former une "classe moyenne africaine. " Quant aux Français, ils évoquèrent l'idée "d'interlocuteurs valables". Enfin de compte ils partirent avec "cette perspective plaisante que tout ce qu'ils perdaient sur le terrain politique, ils allaient sûrement le rattraper sur le terrain économique51(*)", comme l'atteste si bien Basil DAVIDSON. C'est dans cette vaine que relativement à la France, le général de Gaulle, en 1958, demanda à Jacques FOCCART de mettre en place une politique française parallèle dont les objectifs sont : « l'exploitation des matières premières africaines, dont le sous-sol regorge dans certaines régions et l'exploitation de la rente de l'aide publique au développement52(*). » Ce système surnommé « Françafrique » par feu Félix HOUPHOUËT-BOIGNY fonctionnera pendant toute la période postcoloniale et se consolidera sous la Vè République. Au nom de ce "système politico- clientéliste", les dirigeants français "sont prêts au pire53(*)". Et selon Jean François BAYART, la politique africaine de la France est l'instrument de sa politique de puissance. C'est par exemple au nom de cette diplomatie parallèle que Paris soutiendra la Maréchal MOBUTU jusqu'à sa chute en 199754(*). La découverte du rôle joué par Pierre FALCONE, Jean-Christophe MITTERAND et autres dans l'affaire "Pierre FALCONE" dénote de la volonté prédatrice de la France. La France, on le voit, maintient une politique prédatrice en Afrique. Cette politique chère à de Gaulle s'est bonifiée et fut instituée en une pratique immuable. Cependant, il convient de constater que cette exploitation économique n'est pas l'apanage de la seule France. En effet, les Etats-Unis ont manifesté un intérêt pour l'Afrique à divers moments de son histoire, vraisemblablement pour ses potentialités économiques. Ainsi en septembre 1944, en pleine exploitation coloniale un accord secret les lia au Congo- belge, accord en vertu duquel l'exploitation de l'uranium congolais était confiée à une structure militaire relevant du gouvernement américain, pour une période de dix ans, accord qui fut renégocié en 195155(*). Cette politique de mainmise sur les matières premières de l'Afrique est sans nul doute à la base de la création d'un bureau des affaires africaines au sein du département d'Etat en Juillet 195856(*). D'ailleurs, l'attitude du gouvernement américain face au conflit libérien est une preuve élogieuse. Jusqu'en 1989, date à laquelle éclate le conflit libérien, des compagnies américaines dont la Liberian American Company (LAMCO) exploitent d'importes ressources naturelles du Libéria ; donc une guerre civile dans un tel Etat- d'ailleurs présenté comme la "seule propriété américaine" en Afrique- était de nature à porter leur préjudice57(*). Le constat est donc sans conteste. La décolonisation de l'Afrique, si elle est partout proclamée comme une réalité, dans les faits, elle apparaît comme un processus inachevé. Cette assertion se confirma davantage par la grande disposition des acteurs africains à consentir à l'intervention des anciennes puissances coloniales dans la résolution de leurs conflits, des conflits internes. * 18 Dans son ouvrage consacré à l'Afrique, Jacques GODFRAIN fait l'apologie des ces liens en ces termes : « Nos liens avec l'Afrique sont profonds et anciens...Ces liens, les regretter serait une erreur ». Jacques GODFRAIN, L'Afrique, notre avenir, Paris, Michel Lafon, 1998, pp. 14-15. Jacques CHIRAC n'en dira d'ailleurs pas le contraire quand devant les difficultés rencontrées par Thabo MBEKI, médiateur du conflit ivoirien désigné par l'Union africaine, il n'a pas hésité à accuser ce dernier de ne pas « comprendre la psychologie et l'âme » de l'Afrique de l'Ouest. in « les propos de Jacques CHIRAC irritent les Sud-Africains », Le Monde, 5 Février 2005. * 19 Sur ce point, voir : Paul WILLIAMS, « La Grande-Bretagne de Tony BLAIR et l'Afrique », Politique africaine, n°94, Juin 2004, p. 107. * 20 L'expression est de H. BRUNSCHWIG. Pour lui, l'Afrique a été victime d'un partage opéré d'elle par les puissances de l'Europe colonisatrice. * 21 Simon Pierre EKANZA, « La colonisation, un défi pour l'Afrique d'aujourd'hui », conférence prononcée au Centre de Recherche et d'Action pour la Paix (CERAP) le Vendredi 04 Mars 2005. Texte inédit, p.2 * 22 Abstraction faite du GHANA et de la GUINEE, premiers Etats négro-africains et des colonies portugaises qui ne se libérèrent du joug colonial qu'en 1975, après le coup d'état intervenu dans la métropole en 1974. * 23 On peut citer parmi ceux-ci Basil DAVIDSON. Le titre de son article « L'Afrique recolonisée ? » paru dans les temps modernes en 1971 en dit long sur la méditation de l'auteur sur l'Afrique à l'époque post-coloniale. * 24 Il y a surtout Jean ZIEGLER ; vingt ans déjà après les indépendances de l'Afrique, il faisait le bilan et concluait que l'Afrique a fait le deuil de cette indépendance. Pour l'auteur, la protonation qui dirigeait les trois quart est une pure invention de l'impérialisme. « Elle n'exprime qu'une souveraineté fictive, la totale dépendance de l'économie du pays à l'égard du centre métropolitain. » Jean ZIEGLER, Main basse sur l'Afrique : la recolonisation ?, Paris, le Seuil, 1980, PP. 7-8. * 25 Simon Pierre EKANZA, loc. cit. p.8 * 26 Selon Bernard LUGAN, auteur du livre God bless Africa : « Pour une partie de la Gauche et pour le courant libéral, c'est par une politique coloniale que la France pourra recouvrer son influence et son rôle international écornés par la perte de l'Alsace et la Lorraine. », in "L'Afrique à la recherche des fondements d'un développement endogène", Fraternité Matin, Jeudi 2 Décembre 2004, p. III * 27 A l'époque, il était Ministre des territoires d'outre mer. Il était la personne idéale dont le rôle était de veiller sur les intérêts de la France dans les colonies. D'ailleurs cette position sera réaffirmée par l'avant-projet du R. P. R en 1993, qui déclarera que « faire le deuil de ce continent (l'Afrique), équivaudrait, pour la France, à se condamner au cloaque des puissances moyennes ». * 28 Côte d'Ivoire, Djibouti, Gabon, Tchad et Gabon. * 29 Robin LUCKHAM, « Le militarisme français en Afrique », Politique africaine, 1982, pp. 99-103. * 30 Il s'agit du Rwanda, du Burundi et du Zaïre. * 31 La Guinée signe son "retour à Canossa" par un accord d'assistance militaire technique avec la France le 17 avril 1985. * 32 Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée, Guinée équatoriale, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo (accord suspendu), Rwanda, Sénégal, Seychelles, Tchad et Togo. * 33 Afrique du Sud, Malawi et Zimbabwe. * 34 Cameroun, Comores, Côte d'Ivoire, Djibouti, Gabon, République centrafricaine, Sénégal et Togo. * 35 Bertrand BADIE, l'Etat importé. L'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1995, p.23. * 36 Le Libéria signa des accords les 8 Juin 1943, 11 Janvier 1951, 11-19 Novembre 1951 et le 8 Juillet 1959, accordant aux Etats- Unis d'Amérique des facilités de communication. Sur ce point, voir, Mamadou Aliou BARRY, op. cit., p.94 * 37 R. YAKEMTCHOUK, « La coopération de l'Afrique noire avec les puissances : avec l'URSS et les Etats- Unis », Africaine contemporaine, n°128, 1983. * 38 Paul CHAMBERS, « Guinée : le prix d'une stabilité à cout terme », politique africaine, n°94, 2004, p. 134 * 39 Paul CHAMBERS, loc. cit., p.138 * 40 Alain LEBOEUF, « La reforme britannique du secteur de sécurité en Sierra Léone : vers un nouveau paradigme ? », Politique africaine, n°98, Juin 2005, PP.63-77 * 41Paul WILLIAMS Loc., cit. P. 108 * 42 Niagalé BAGAYOKO-PENONE, « La France et la gestion militaire des crises africaines », Géopolitique africaine, n°12, 2003, p. 231 * 43 La création de ce Groupe sonne ainsi comme une réponse anglaise à la pratique française en la matière. La répartition de ce groupe se présente comme la continuité-soit-elle inconsciente- du "combat" de Fachoda. Le conseiller basé par exemple à Addis-Abeba aurait somme toute pour mission officieuse de contrôler les manoeuvres militaires de la France dont une base militaire se trouve à Djibouti. En Afrique de l'Ouest, le conseiller de cette région quant à lui surveillerait les activités des bases militaires françaises au Sénégal et en Côte d'Ivoire. En Afrique centrale le conseiller serait chargé d'espionner les activités de la base militaire au Tchad. * 44 Robin LUCKHAM, loc., cit., P. 110 * 45 I. William ZARTMAN, « Les problèmes politiques de demain en Afrique noir », in : Jennifer Seynour WHITAKER (sous la dir. de), Les Etats-Unis et l'Afrique : les intérêts en jeu, Paris, Karthala, 1981, P.81 * 46 Sociologue militaire, Pierre DABEZIES est ancien colonel des parachutistes. En 1979, il prit part au colloque de Bordeaux dont l'objectif était de réfléchir sur la politique militaire menée par de Gaulle en Afrique. * 47 Même si on attribue à Senghor la paternité de la notion, elle est sans nul doute une institution de domination dont use la France. C'est d'ailleurs ce que reconnaîtra Pierre DABEZIES lors du colloque sur « La prévention des conflits en Afrique centrale. Prospective pour une culture de la paix », in Paul Ago ELA (édi.) La prévention des conflits en Afrique centrale. Prospective pour une culture de la paix, Paris, Karthala, 2001, P.89. * 48 A ce propos voir l'étude de Daniel BACH, « Dynamiques et contradictions dans la politique africaine de la France. Les rapports avec le Nigéria (1960-1981) », Politique africaine, n°II (5), Février 1982, PP.47-73. * 49 Il s'agit de la sécession du Biafra. * 50 Philippe LEYMARIE, « L'ouest africain rongé par ses abcès », Le Monde diplomatique, 26 Janvier, 1996, P. 26. * 51 Basil DAVIDSON, op. cit., p. 1813. * 52 Sandrine SANTO, op. cit., p.29. * 53 Idem., P28 * 54 Malgré ce soutien, la chute du Maréchal MOBUTU s'expliquerait par la rivalité grandissante entre les Etats-Unis- qui à l'époque soutenaient Laurent Désiré KABILA- et la France. Sur cet aspect de la coopération africaine avec les anciens alliés de la seconde guerre mondiale, lire Pierre DABEZIES, « Le couple franco- américain en Afrique », in Paul Ago ELA (éd.), La prévention des conflits en Afrique centrale. Prospective pour une culture de la paix , Paris, Karthala, 2001, P. 89 et MELEDJE Djedjro, « La coexistence entre la France et les Etats- unis en Afrique », in CAO- HUI Thuan et FENET Alain (sous la dir. de), La coexistence, enjeux européen, CRUCE, PUF, PP. 321- 334. * 55 André GUICHAOUA, « Les politiques internationales dans l'Afrique des Grands Lacs », politique africaine, n°68, Décembre 1997, P. 5 * 56 Ibidem * 57 MELEDJE Djedjro, « La guerre civile du Libéria et la question de l'ingérence dans les affaires internes des Etats », in Revue belge de droit international, Bruxelles, Bruylant, 2, 1993, pp. 407 et s. |
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