Les pistes de réforme du système
monétaire et
financier international depuis la crise
Juin 2010 Maxime GASSER Mémoire
de Master 1 Economie internationale et globalisation (EIG) Séminaire
Intégrations Internationale et Régionale Année
universitaire 2009-2010 Sous la direction de J.-F. Ponsot et du second
rapporteur A. Chanel
UFR Economie, Stratégies, Entreprises 1241, rue des
résidences BP 47 38040 Grenoble Cedex 9
Avant-Propos
L'UFR Economie, Stratégies, Entreprise, de
l'Université Pierre Mendès-France n'entend donner aucune
approbation aux opinions émises dans les mémoires des candidats
au Master ; ces opinions doivent être considérées propres
à leur auteur.
Le mémoire est un essai d'application des méthodes
et outils acquis au cours de la formation. Il ne saurait donc être
considéré comme un travail acheté auquel de qualité
qui l'engagerait.
Ce travail est considéré à priori comme un
document confidentiel qui ne saurait être considéré qu'avec
le double accord de son auteur et de l'organisme de stage.
Remerciements
Je tiens à remercier en premier lieu mon directeur de
mémoire Jean-François Ponsot pour ses conseils avisés,
ainsi que le second rapporteur Armand Chanel pour sa contribution
précipitée et pour l'ensemble de cette année de
préparation au Capes. Je remercie également mon fidèle
camarade Sylvain, et j'ai une pensée particulière envers ma
moitié parisienne pour son soutien permanent et ses relectures
attentives.
Sommaire
INTRODUCTION GENERALE 6
I.REFORMER LE SYSTEME FINANCIER INTERNATIONAL
10
1.Réformer le secteur bancaire 11
2.Construire la stabilité du système financier
international 22
3.L'impulsion par le changement institutionnel 36
II.LA REFONTE DU
SYSTEME MONETAIRE INTERNATIONAL 41
1.Remplacer le dollar : la création d'une monnaie
supranationale 43
2.Une alternative à la devise-clé internationale :
le polycentrisme monétaire 57
3.La réforme du SMI par les initiatives régionales
60
CONCLUSION GENERALE 69
1.Les travaux du G20 pour stabiliser la finance 69
2.Les actions politiques des principaux pays responsables de la
crise 73
Conclusion 78
Bibliographie 80
Table des matières 88
Annexes 91
« Les hommes n'acceptent le changement que dans la
nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la
crise » Jean Monnet (1888-1979), Mémoires, Fayard
(1976).
INTRODUCTION GENERALE
L
es conséquences de la crise financière et
économique actuelle amènent à reconsidérer les
principales structures économiques, au premier rang desquelles le
Système Monétaire et
Financier International. Structure et conjoncture aboutissent
à la même conclusion : de profondes réformes sont
indispensables. La récession que connaît la plupart des pays
impose de lourds ajustements, dont les aboutissements sont encore peu
prévisibles. La débâcle sur les marchés financiers
de l'automne 2008 a laissé place à une déflation mondiale,
se traduisant par une hausse généralisée du chômage
et une diminution du commerce international. Enfin, après une timide
reprise en 2009, la perturbation s'est prolongée par une crise de
l'Etat. Les niveaux d'endettements publics ont parfois atteint un seuil
critique de solvabilité, entrainant des plans de restriction
budgétaire et pour certains une crise de la dette souveraine.
Ces résultats ont plusieurs implications. D'une part la
crise est née de la finance internationale et trouve une partie de ses
fondements dans les dérèglements des marchés financiers,
dénoncés par certains bien avant la crise. Ainsi Aglietta &
Berrebi (2007), Minsky (1986) mais également Keynes (1936) ont
établis respectivement la montée des déséquilibres
mondiaux, l'instabilité financière et la nécessaire
régulation des marchés. Envisager une réforme des
marchés financiers est donc cruciale et remise à l'ordre du jour
par la crise.
D'autre part, ces impératifs ne concernent pas
uniquement la finance internationale. Sa stabilisation est rendue
nécessaire pour réactiver la croissance mondiale et permettre aux
pays en développement de poursuivre leur rattrapage ; l'objectif doit
être de supprimer les instabilités, quelles qu'elles soient. En
effet, la « seconde globalisation » à l'oeuvre depuis le
milieu des années 1970 s'est traduite par un régime de croissance
dont la principale caractéristique est l'instabilité (Aglietta
& Le Cacheux, 2007). Les désordres financiers n'en sont qu'une
composante. Ils
s'accompagnent de déséquilibres
monétaires et économiques. L'enjeu est donc de supprimer les
causes de la crise actuelle, et de tendre vers un régime de croissance
« viable ». Cela nous permet d'envisager qu'une réforme de la
finance, bien que cruciale, doit être accompagnée par une
réforme des relations monétaires.
En outre, il convient de préciser que le régime
de croissance actuel, bien qu'ayant permis cette mondialisation des
échanges, s'est accompagné d'une montée de
l'instabilité financière. La globalisation financière est
le processus d'intégration à l'échelle internationale des
marchés financiers, et c'est à ce titre un des piliers de la
mondialisation. Ce marché mondial des capitaux est à l'oeuvre
principalement depuis le début des 1980 et l'avènement des «
3D »1 (voir Tableau n°1, p. 12). La libéralisation
financière revêt plusieurs aspects : marché unique des
capitaux, suppression des barrières géographiques, transactions
continuelles. Les « 3D » ont été grandement
favorisés par l'apparition des Nouvelles Technologies de l'Information
et de la Communication (NTIC). Les marchés financiers ont dès
lors connus une forte expansion.
Selon Mathieu & Sterdyniak (2009, pp. 13-74), la
globalisation financière a multiplié les possibilités,
permettant une fluidité des investissements, et une allocation des
capitaux efficace. Cela a fortement impulsé la croissance
économique mondiale, de l'ordre de 3,90 % par an entre 1990 et 2007.
Cette expansion a notamment permis aux BRIC (Brésil, Russie, Inde,
Chine) de passer de pays en développement à pays
émergents, et aux pays développés de maintenir leur
avance. L'ensemble de l'économie globale a donc connue une dynamique
sans précèdent. Mais le revers de la médaille est que
cette dynamique est ponctuée de crises financières, dont celle
des subprimes en est un exemple majeur. Les marchés sont «
myopes, instables, moutonniers et cyclothymiques », et la
spéculation, bien que nécessaire, peut se révéler
contre-productive. La globalisation financière pose donc des
problèmes de stabilité et de prévisibilité, ce qui
nuit fortement aux informations et donc à l'Hypothèse
d'Efficience du Marché (HEM), soutenue par E. Fama (1965). Les
marchés sont loin d'être parfaits, et la finance comportementale a
amplement contribué à montrer l'instabilité des choix et
leur caractère hautement psychologique2.
Mais les flux financiers sont indivisibles des flux
monétaires : chaque titre, option, produit dérivé... est
libellé dans une devise, entrainant des mouvements de capitaux
considérables. Les marchés financiers « déterminent
les taux de change, les taux d'intérêt, les cours boursiers et les
conditions de financement des entreprises et des ménages » (Mathieu
& Sterdyniak, 2009, p. 14).
1 Désintermediation, décloisonnement,
dérèglementation. Les « 3D » sont les piliers de la
globalisation financière. Le terme provient de H. Bourguinat (1992).
2 Pour en savoir plus, voir Kahneman & Tversky (1979).
Les phases successives de bulles puis krachs boursiers ont
donc de lourdes conséquences sur la sphère monétaire, et
participe au renforcement des déséquilibres globaux (en
matière d'épargne, de réserves en devises, de balance des
paiements). Cela est amplifié par les distorsions
macroéconomiques, comme par exemple la relation ambivalente Etats-Unis /
Chine, que nous étudierons. La crise actuelle apparaît dès
lors comme le reflet de profondes instabilités. Il est nécessaire
de réaffirmer le contrôle des marchés, et de
prémunir l'économie mondiale des crises récurrentes. Mais
cette ambition doit être approfondie par un cadre monétaire
stable. Comme nous le verrons, le Système Monétaire Actuel (SMI)
se caractérise pas une forte
hétérogénéité des positions et par une forte
instabilité. En outre il demeure une « hégémonie du
dollar » (Aglietta, 2006), dont l'hypothétique sortie se
révèle délicate et comporte un biais déflationniste
pour l'économie mondiale. Ainsi, les flux monétaires
nécessite une régulation, et l'interconnexion des monnaies doit
être optimisée, afin d'avoir un cadre monétaire qui assure
une croissance économique sans crises. La conclusion est univoque : les
aspects monétaires sont complémentaires de la réforme du
capitalisme financier et dès lors seule une action sur les deux
variables pourrait être efficace.
Après avoir vu pourquoi, il est nécessaire se
demander comment. C'est l'objet de ce mémoire. Il s'agit de
présenter les pistes de réforme du SMFI envisageables,
principalement les points de vue d'économistes. Comme cadrage temporel,
nous prendrons les pistes de réforme émises depuis le
déclenchement de la crise (2007). Ces réformes sont d'une part
les propositions concrètes et directement applicables, nous le verrons
notamment dans le secteur bancaire, avec les règlementations et les lois
financières. D'autre part, ce sont les réformes à
visée globale, comme la promotion des investisseurs de long terme ou les
évolutions souhaitables des monnaies dans le SMI. Nous tenterons de
faire une dichotomie entre la sphère monétaire et la
sphère financière, cependant les variables sont
interconnectées et interdépendantes. Enfin, bien que la
littérature sur la question soit prolifique depuis que la crise a
éclaté, il convient de différencier les réformes
envisageables et envisagées. Nous verrons donc où en sont les
ambitions des principaux acteurs de la crise, et notamment les
négociations du G20.
Notre problématique sera donc la suivante : quelles
peuvent être les évolutions souhaitables du Système
Monétaire et Financier International ? Quelles réformes ou
rénovations doivent être appliquées ? Quelles sont les
conditions préalables à la mise en place de ces solutions ? Et
quand est-il aujourd'hui de l'application concrète des réformes :
les domaines monétaires et financiers bénéficient-ils de
la même attention ?
Pour cela, les principales réformes du secteur financier
seront abordées dans la Partie I, en
montrant les transformations nécessaires du secteur
bancaire, et notamment le renforcement du cadre prudentiel (macro et micro).
Puis nous avancerons la possible transition vers les investisseurs de
long-terme et enfin le changement institutionnel. Dans la Partie II, nous
établirons les réformes du Système Monétaire
International, en montrant les problèmes du SMI actuel, puis
l'idée de la monnaie supranationale. Il conviendra ensuite d'argumenter
la probabilité d'aller vers un polycentrisme monétaire, et enfin
nous verrons les initiatives. Pour finir, nous verrons en conclusion quelles
sont les résolutions du G20, et les politiques de réforme mises
en place jusqu'à présent.
I. REFORMER LE SYSTEME FINANCIER INTERNATIONAL
La crise financière de 2007-2008 a profondément
modifié les conditions économiques globales, en induisant une
crise économique dont l'ampleur est comparable à celle de la
crise de 1929. Le segment des crédits immobiliers dits «
subprimes » aux États-Unis est la source de cette
défaillance de la finance internationale, jusqu'au point de non-retour
atteint en septembre 2008 avec la faillite de la banque Lehman Brothers,
fleuron du système bancaire américain depuis 1850. Mais la crise
a révélé des problèmes dans la structure de la
finance internationale, qui a connue de nombreuses phases de crise depuis plus
d'un siècle: crise de 1929, crise du dollar en 1971, crise du
Système Monétaire Européen en 1992-93, crise asiatique en
1997-98, crise Internet en 2000, crise argentine en 2001-2003, crise des
subprimes en 2007-..., etc, pour ne citer que les plus importantes.
Ainsi les périodes de déflation soudaine des
actifs financiers (définition d'une crise financière) semblent
être endogènes au Système Financier International, et la
finance apparaît comme risquée et sensible aux anticipations. Cela
a lieu en dépit des travaux des économistes ayant
dénoncé ces dérives : théorie de
l'instabilité financière (Minsky, 1986), la théorie du
risk management de Greenspan ou encore le risque systémique mis
en avant par M. Aglietta.
La succession de crises financières au sein du
capitalisme moderne conduit à remettre en cause le fonctionnement de la
finance internationale, comme cela a déjà été le
cas auparavant. En effet des plans tels que le Glass-Steagall Act aux
Etats-Unis en 1933 ou bien les accords successifs du comité de
Bâle ont tenté de rationaliser et de réguler le
système financier international, afin d'éviter les
déséquilibres et les crises financières qui ont de lourdes
conséquences sur l'économie réelle : déflation,
production en berne, chômage de masse, dans des proportions
différentes selon le type et l'intensité de la crise. Or cela n'a
pas fait disparaître les crises financières, loin s'en faut. Ainsi
depuis 2008 semble se dégager une forme de consensus sur la
nécessaire réforme du Système Financier International.
Plusieurs économistes et spécialistes de la
finance internationale tentent de répondre à ce besoin de
régulation, en formulant des propositions de réforme qui
pourraient, le cas échéant, se concrétiser en termes de
politique publique ou de réglementation bancaire. Les modalités
et la pertinence des réformes proposées varient selon la nature
de l'auteur (économiste, banquier, politicien...) et le degré de
régulation qu'il envisage (règles microprudentielles ou
réformes du
système dans sa globalité.
Il s'agit dans cette partie de présenter les diverses
pistes de réforme envisageables dans le cadre d'une refonte du
Système Financier International. Nous verrons en premier lieu les
réformes concernant les banques et la réglementation du secteur
bancaire (1), puis les propositions portant sur l'architecture
financière internationale (2), et enfin les pistes de réflexion
visant à modifier l'organisation institutionnelle (3).
1. Réformer le secteur bancaire
L'ensemble du secteur bancaire a été
décrié pendant la crise. En effet les subprimes sont des
crédits hypothécaires dont les vertus sont floues : il
apparaît bien souvent que cela a permis à des ménages
structurellement non solvables de s'endetter afin d'accéder à la
propriété. Le fort risque de défaut était donc pris
en compte par les offreurs de crédits, les prix de l'immobilier aux
Etats-Unis ayant connus une croissance continue au cours des dernières
années. Or le marché de l'immobilier a connu un point de
retournement, avec une très forte baisse des prix entamée en
20063. Cette évolution, couplée aux
déséquilibres induits par la titrisation (voir Partie I, II, 1.
), a conduit à une cristallisation des reproches vers le secteur
bancaire. La vision selon laquelle réformer les banques et leur
métier suffirait à assainir le Système Financier
International est discutable. Mais les décisions politiques ont pour
l'instant tendance à se concentrer sur ce terrain là, ne
serait-ce que par soucis électoral : les gouvernements occidentaux se
doivent de montrer que les banques sont ellesaussi soumises à la
rigueur. Nous verrons dans un premier temps la nécessité d'une
réglementation macroprudentielle (1), en complément d'une
réglementation microprudentielle (2), et enfin un contrôle de la
finance par la finance, autrement dit en utilisant et approfondissant les
instrument déjà disponibles (3).
1. Renforcer la règlementation macroprudentielle...
La réglementation macroprudentielle s'est
imposée au fil du temps comme une variable indispensable à toute
tentative de réforme du Système Financier International. La
survenue de la crise actuelle a montrée l'insuffisance d'une
régulation microprudentielle, c'est-à-dire une prise en
3 Le prix médian a diminué de 129% en moins d'un an
( Artus, Betbèze, De Boissieu, 2008).
compte individualisée de chacun des acteurs du
système financier (principalement les banques), afin d'assurer la
protection des déposants. La réglementation macroprudentielle n'a
pas les mêmes finalités, puisque cela regroupe des mesures
globales visant l'ensemble du système financier (cf. Annexe 1, p. 91).
Il s'agit précisément de protéger ce système contre
les instabilités endogènes qu'il présente. Ces
instabilités sont d'une part la tendance à la
procyclicité, c'est-à-dire l'amplification des phases de bulles
et des phases de crises de liquidités ; d'autre part le risque
systémique4, qui est un risque affectant le système
financier dans son ensemble et dont les causes sont endogènes au
système.
La réforme de la finance passe donc par la gestion de
ces deux failles. Cela est intimement lié à l'activité de
crédit pratiquée par les banques, puisque la
réglementation macroprudentielle est un prolongement de la doctrine du
« risk management » de Greenspan (Aglietta & Rigot ,
2009, p. 132). Celle-ci voit dans les cycles d'expansion et de réduction
du crédit la cause des cycles financiers et donc la succession de crises
dans le système financier. Par ailleurs le marché du
crédit est devenu de plus en plus indépendant des variables
monétaires et les crises financières n'apparaissent donc plus
forcément dans des contextes inflationnistes. Mais les politiques mises
en oeuvre par la Fed et l'utilisation du taux directeur se sont
révélées insuffisantes à enrayer les phases
d'euphorie sur le marché du crédit et nécessite donc une
réglementation complémentaire du système, à un
niveau global ou macroprudentiel.
Tableau 1: Les « 3 D »
Désintermédiation : permet aux entreprises
d'accéder directement aux marchés financiers (finance di-
recte), et de se financer par émissions de titres
(actions, obligations) plutôt que d'emprunter auprès
d'institutions financières. C'est la suppression des
intermédiaires. Cela a favorisé l'avènement de la
financiarisation, c'est-à-dire le recours croissant aux marchés
financiers dans l'économie, pour les institutions financières
comme pour les entreprises.
Dérèglementation : processus d'assouplissement ou
de suppression des réglementations nationales
régissant, et restreignant, la circulation des capitaux
(contrôle des changes, encadrement du crédit, etc).
Décloisonnement : processus de suppression pour les
banques de la segmentation entre les activités
de dépôt et activités d'affaire. Plus
largement, interconnexion entre les différents marchés financiers
: marché obligataire, marché des changes, marché à
terme. Désormais, il n'y a qu'un seul marché global.
|
4 Expression courante en finance internationale, mais
régulièrement employé par M. Aglietta dans son oeuvre ;
notamment : interview de M.Aglietta, (2010).
Le cadre macroprudentiel est instauré avec la
création du Comité de Bâle en 1974, et les recommandations
formulées en 1988, communément regroupées sous le titre
Bâle I. Les propositions, en accord avec la Banque des Règlements
Internationaux (BRI), visent à atténuer la procyclicité du
système financier et à instaurer la stabilité. Cela s'est
traduit par le ratio Cooke, qui impose aux banques de détenir au moins
8% de fonds propres par rapport à l'ensemble des encours de
crédits accordés. Cela a été prolongé par
les accords dits Bâle II, qui sont axés autour de trois piliers
(BRI, 2003) : l'exigence minimale de fonds propres (prolongement du ratio
Cooke), la surveillance prudentielle et enfin la discipline de marché.
La réglementation en terme de fonds propres minimaux est le coeur du
système.
Notre propos n'est pas d'expliciter techniquement les
différentes modalités de Bâle I et II mais plutôt de
livrer la perception qu'en ont les auteurs, principalement comme outil de
réforme du Système Financier International5.
Une des caractéristiques du système bancaire est
la grande diversité de ses acteurs : depuis le décloisonnement
des années 1980, composante des « 3D », le secteur bancaire
voit apparaître des investisseurs qui ne sont pas des banques mais qui
pratiquent l'activité de crédit et la titrisation
inhérente à ce marché. Ce sont des banques
d'investissement, les hedge funds (fonds spéculatifs), ou plus
généralement des Investisseurs Institutionnels. Leur
fonctionnement et notamment le fort effet de levier qui caractérise
leurs financements en font selon M. Aglietta des entités vecteurs de
déséquilibres dans le système financier (Aglietta &
Rigot, 2009). De plus, leurs activités sont reliées entre elles
et imbriquées l'une dans l'autre, ce qui explique en partie la vitesse
et l'ampleur de propagation de la crise financière de 2007. Repenser le
cloisonnement et redéfinir le « métier » des banques
est donc envisageable.
Pour Aglietta & Rigot (2009, p. 135), « aucune
politique macroprudentielle contracyclique n'est possible si elle n'englobe pas
la supervision par la banque centrale de la nébuleuse bancaire ».
Cela peut se concrétiser par une régulation des banques
d'investissement au même titre que les banques commerciales, ou encore
par des mécanismes d'incitation à ne pas abuser de la fonction de
prêteur en dernier ressort de la banque centrale. Cette fonction
possède un effet pervers, celui de toujours présenter un
garde-fou en situation de crise de liquidités, ce qui profite aux
banques « sérieuses » mais également à celles
ayant pris des positions risquées.
Un accord concernant une réglementation macroprudentielle
devra être envisagé au niveau
5 Pour en savoir plus sur Bâle I et II, voir le site
internet de la BRI.
international et nécessitera un approfondissement de
Bâle II, afin qu'une coopération entre les économies
concernées puissent s'établir ; cela concerne également
les places financières offshore, qui font par ailleurs l'objet
de réformes (cf. Partie I, II, 5. ). La réglementation
prudentielle proprement dite vise à contrôler et réguler
l'activité de crédit. Il s'agit de limiter l'effet procyclique du
crédit, qui se traduit par un credit crunch en situation de
crise de liquidité. Cet effet aggrave d'autant la récession : les
entreprises éprouvent des difficultés à emprunter et
à investir. Les banques doivent être incitées à ne
pas restreindre les crédits de manière disproportionnée en
situation de retournement de l'activité, et à ne pas s'engager
dans une phase d'euphorie de crédit en cas de reprise. Cela pourrait
s'impulser par une redéfinition des modèles d'évaluation
des risques, leur portée, leur champ de considération, etc
(Klein, 2009, p.298)6.
En revanche, contrairement à leurs ambitions, les
normes prudentielles de Bâle II sont procycliques. Elles prévoient
une provision en fonds propres proportionnelle aux engagements de
crédits, qui sont ensuite pondérés en fonction du risque
(donc au dénominateur de l'équation) : or le risque augmente en
situation de crise et diminue d'autant la provision pour risque (Klein, 2009,
p.297). L'approfondissement de Bâle II évoqué doit
être réorienté vers un provisionnement des banques en fonds
propres résolument dynamique, qui fluctuerait selon la phase
financière dans laquelle elles se trouvent. Ceci pourrait s'apparenter
à une « provision pour risque systémique » (Aglietta
& Rigot, 2009, p. 137), et serait contrôlé par la banque
centrale. La mise en pratique d'une telle mesure s'appuie sur les travaux de la
BRI sur les écarts de spreads mais également sur
l'hypothèse d'instabilité financière évoquée
plus haut.
La règlementation macroprudentielle vise donc à
rendre les décisions des acteurs financiers contra-cycliques
vis-à-vis de l'économie réelle. Parallèlement
à cette approche par la règle, il est envisagé une
approche discrétionnaire de la « macrosurveillance »,
dirigée « du haut vers le bas » (top-down), dans
laquelle l'intervention et son ampleur serait décidée par les
autorités, par exemple la banque centrale (Landau J-P in Banque de
France, 2010). La délicate et incertaine prévention des cycles
financiers fait de cette approche une variable complémentaire qui est
même, selon Landau, « indispensable ».
Ceci étant, en complément de la macrosurveillance
évoquée jusqu'ici, la règlementation microprudentielle
apparaît comme une réforme importante du Système Financier
International.
6 O. Klein est professeur d'économie et de finance,
HEC.
2. ... en prolongement d'une règlementation
microprudentielle
La question de la règlementation microprudentielle doit
être traitée avec la même attention que la
règlementation macroprudentielle (ou microsurveillance). Ces deux
entités forment un tout cohérent. La microsurveillance peut se
définir comme l'application concrète des normes de
régulation issues de Bâle II : les Trois Piliers. Puisque la
règlementation macroprudentielle n'est à ce jour que peu
développée, c'est par la microprudentielle que peut commencer la
nécessaire stabilisation de la sphère financière.
La règlementation microprudentielle se décompose
en une exigence de capital (solvabilité) et une exigence de
liquidité, qui toutes deux découlent des propositions
formulées par le comité de Bâle.
L'exigence de capital se concrétise par l'objectif de
fond propres qui consiste à veiller à ce qu'aucune banque ne se
retrouve dans une situation d'insolvabilité (incapacité totale
d'honorer ses dettes auprès des créanciers), d'où le ratio
Cooke puis ratio de solvabilité McDonough7. Cette
règlementation des fonds propres vise à améliorer «
la qualité, la transparence et l'harmonisation internationale ainsi que
leur niveau global disponible dans les établissements financiers ».
Il y a donc bien un souci de qualité, afin de ne pas reproduire les
erreurs des produits « toxiques » redoutés lors de la
dernière crise ; mais aussi un souci de quantité, afin de
prévenir toute situation d'insolvabilité où la seule
solution est alors un refinancement par la banque centrale ou un sauvetage
étatique. Un autre aspect de l'exigence de capital est la couverture des
risques de marché. Cela passe par une plus forte réserve de
capital exigée pour les opérations de titrisation et de
retitrisation, par l'introduction d'une « value-at-risk »
(VaR). Cette valeur-en-risque a pour objectif de pondérer les exigences
en fonction du risque. Il existe d'autres mesures dont la technicité
n'est pas notre propos. Un dernier volet de réforme est la
création d'un « ratio de levier » : il prendrait en compte
l'ampleur du levier actifs/capital au sein de la banque dans les exigences qui
pourraient lui être appliquées en terme de fonds propres ( Banque
de France, 2010).
L'exigence de liquidité recouvre par définition
le risque pour les institutions financières d'être en position
d'illiquidité, c'est-à-dire en situation de manque de capitaux de
manière temporaire (par opposition au caractère définitif
de l'insolvabilité). Cette disposition est également
prévue par Bâle II, mais la crise a démontré que son
application se révèle incomplète. La Banque de
7 Fonds propres de la banque > 8% des (risques de
crédits (85%),de marché (5%), opérationnels (10%)). Source
: BRI, 2003.
France précise dans son rapport (BdF, 2010), que le
volet concernant la position de liquidité des banques reste grandement
perfectible, notamment par la complexité de la prévision et donc
de la supervision dans ce domaine. L'objectif est de tendre vers une
réglementation commune sur les actifs liquides dont dispose les banques,
et ce malgré leur forte dépendance au business model de
chacune des banques. Il semble se dégager l'idée d'un «
ratio d'actifs liquides minimum » plutôt conjoncturel (horizon d'un
mois), et un ratio « structurel ».
L'idée d'une microsurveillance dans le but d'accroitre
la régulation macroprudentielle est établie par d'autres auteurs.
La plupart rejoignent les concepts précédemment cités.
Cependant un autre volet est celui des amortisseurs. Plutôt que des fonds
propres, il peut être envisagé des « amortisseurs
non-discrétionnaires » (Cartapanis, 2009), qui permettraient de
réguler les provisions des acteurs financiers de manière
explicite, visant ici la règle. Cela s'établirait en
complément de mesures dont l'ampleur serait régulée selon
la situation du système financier, visant ici la discrétion.
Les deux aspects de la réglementation établis
jusqu'ici (macro et micro) ne trouvent un sens que dans leur application, dans
la perspective d'une rénovation du Système Financier
International. Ils recouvrent en fait plusieurs mesures concrètes,
affectant les différents acteurs de la finance. La réforme est
rendue nécessaire par l'ampleur de la crise, et par le constat d'une
faille de la discipline de marché qui n'apporte plus l'efficacité
escomptée par la théorie orthodoxe (marché
autorégulateur).
3. Rétablir le contrôle de la finance par la
finance
La problématique est de comprendre comment rendre aux
marchés financiers une partie de leurs attributs en utilisant les
instrument déjà disponible, dont l'autodiscipline. En effet, le
discours exagéré sur la « fin du capitalisme » (par
exemple le sociologue I. Wallerstein, 2008) ou la fin de la finance ne doit pas
induire une remise en cause totale du secteur financier : ce sont les moyens
plus que la fin qui nécessite une rénovation. Ainsi il faut
promouvoir le rétablissement d'une discipline de marché efficace
comme « composante essentielle » de la réglementation
prudentielle (Aglietta & Rigot, 2009, p.139). Cette discipline de
marché n'est à l'évidence pas ou peu présente, il
convient donc de détailler les réformes qui pourraient tendre
dans ce sens. La stabilité financière passe donc par une
revalorisation et une refonte de ses propres outils et principes, dont
l'impulsion devra être règlementaire. Nous verrons dans cette
sous-partie le rôle du contrôle interne (a), la
nécessité de revenir sur les normes comptables (b), la
réforme des agences de notation (c), et enfin la question
des rémunérations dans le secteur bancaire (d).
a) Le contrôle interne ou l'autorégulation des
acteurs
Le contrôle interne est un des trois piliers de la
régulation du système financier, avec la règlementation et
la discipline de marché. Il apparaît dans les années 1990,
en lien avec la croissante sophistication des marchés financiers.
L'ambition est alors de proposer une alternative à la
réglementation, en transférant une partie du contrôle vers
les acteurs financiers eux-mêmes. La crise impose de se demander si cette
stratégie des trois piliers est encore d'actualité, ou bien s'il
faut se rediriger vers la réglementation, à l'instar du
début des années 1980. L'autorégulation apparaît
pour J. Couppey-Soubeyran8 comme une variable-clé de la
pérennité du Système Financier International, dont la
contribution à la réglementation bancaire serait cruciale et
« éprouvée par la crise ». Trois raisons permettent
donc de valoriser le contrôle interne :
l'action plus englobante et donc plus efficace d'une
réglementation par trois biais plutôt qu'un seul,
la moindre tentation de contournement de la
réglementation si elle est interne (par opposition au ratio Cooke, en
partie éludé par la titrisation),
une proximité avec acteurs de la finance, avec une
réduction des temps de réaction et d'adaptation.
Le contrôle interne constitue donc une idée de
réforme intéressante, ayant l'avantage de responsabiliser les
acteurs directement concernés, les banques et leur autodiscipline.
Néanmoins, force est de constater que le secteur bancaire ne peut
s'appuyer sur cette unique régulation. Il est nécessaire de
cadrer l'activité des banques, selon leur métier et leurs
objectifs : c'est le rôle des normes comptables.
b) Revoir les normes comptables
Le système bancaire est régi par des normes
comptables internationales, les IFRS (International Financial Reporting
Standards). La question est ici le mode d'évaluation des actifs
8 J. Couppey-Soubeyran est maître de conférences en
économie, Université Paris I.
qui, selon ces normes, se base sur le prix de marché :
c'est la fair value. Or cette approche est critiquable, puisque les
phénomènes de bulle puis de crash dans la finance ont
montré que les prix de marché peuvent connaître des
variations irrationnelles, et déconnectées de tout fondement
économique « réel »9. La réforme
pourrait s'établir par l'introduction d'un mode d'évaluation
complémentaire, qui serait employé en cas de «
défaillance de marché » avérée. Cela pourrait
prendre la forme d'une évaluation de type mark-to-model (par
opposition au mark-to-market, voir au mark-to-myth (Aglietta
& Rigot, 2009, p.145), lorsque la notation repose sur
l'intérêt des vendeurs), qui analyse la valeur d'un actif en
fonction d'un modèle financier théorique basé sur des
hypothèses et pas seulement sur le marché liquide (Klein, 2009,
p.297).
L'opposition théorique est celle de la prise en compte
du passé ou non, selon une valorisation des actifs avec toute
l'information en t ou bien avec l'information en t et celle qui adviendra en
t+1. La comptabilisation à la fair value est néanmoins
une forte amélioration par rapport à la méthode du
coût historique. Mais elle ne tient pas compte de l'évolution de
long terme, des changements en terme de facteur de production... Outre la
nécessité d'une évaluation de type mark-to-model,
la gestion des fonds propres dynamique évoquée plus haut
permettrait selon Aglietta d'approfondir et d'améliorer la fair
value, car c'est une forme « d'ajustement à la valeur
comptable des prêts » octroyés par les banques. Ainsi le
provisionnement dynamique serait une alternative à la tendance
procyclique des règles comptables. Rochet (2008) établit en
revanche qu'une telle réforme atténuerait la motivation des
banques à détenir des fonds propres. Il précise ainsi
qu'elles en détiennent en général bien plus que le ratio
minimal, du fait de la discipline de marché. Allen et Carletti (2008)
privilégient l'approche selon laquelle la valorisation des actifs doit
se faire par les trois méthodes, en complémentarité : les
agences se doivent de prendre en considération la méthode
fair value, ainsi que mark-to-model tout en les mettant en
perspective avec les coûts historiques. Pour atténuer les
possibilités d'erreurs et de failles dans l'évaluation, il est
nécessaire de veiller à la concordance de l'une des trois
méthodes avec les autres. Les auteurs imaginent un seuil (5%) au
delà duquel l'écart d'un indicateur par rapport aux deux autres
implique un transfert d'information, afin d'éventuellement corriger la
valeur : l'information et donc les erreurs sont gérées en
flux-tendu.
9 Voir analyse de Rochet J-C (2008), p.108.
c) Réformer le rôle et la méthode des
agences de notation
Les agences de notation ont un rôle crucial dans le
Système Financier International, celui de définir la note
(rating) d'un actif financier, d'une dette, de titres d'État,
etc. Dans le cadre de Bâle II, une banque peut également avoir
recours à une agence de notation en vu de déterminer le niveau de
fonds propres adéquat. Les agences de rating ont
été critiqué lors de la crise, mais déjà
lors de l'affaire Enron, où des preuves d'intéressements et de
délits d'initié avaient émergé.
Leur réforme consisterait d'une part à modifier
leurs procédés. Les notations ont un caractère
procyclique, puisque la portée temporelle de leurs analyses est trop
courte et l'évaluation n'est pas assez différenciée selon
le type d'actif : soit réputé peu prévisible, comme les
CDS ou à l'inverse plutôt stable, comme les Bons du Trésor.
Klein (2009, p.298) propose alors d'inciter à la « due
diligence des sous-jacents de la titrisation » ,
c'est-à-dire oeuvrer à se prémunir contre tout
élément négatif dû à une opération
qu'on sait évitable. Il s'agit d'éviter des fraudes sur la
prétendue non-connaissance des subprimes au sein de certains
actifs d'apparence saine, notés par les agences lors de la crise. Cela
revient à favoriser l'audit préalable ou encore l'obligation de
vigilance, deux principes régissant en théorie le système
financier.
D'autre part, le statut des agences de notation est
également pointé du doigt. En effet cellesci demeurent
privées, et sont rémunérées par les
émetteurs de titres qui ont besoin de la notation : les trois
principales agences (Moody's, Standard & Poor's et Fitch Rating) sont donc
à la fois « juge et parti », et sont en concurrence, avec les
soucis de partialité que cela suppose. Une piste de réforme
pourrait être de rendre les agences de rating publiques,
notamment si leur production est considérée comme un bien
collectif. Une autre serait l'application du principe « InvestisseurPayeur
» (CESR, 2010), afin de supprimer les conflits d'intérêt ;
ceci étant, sa faisabilité technique et l'exclusivité de
l'information en font une réforme délicate.
Enfin il peut être envisagé une tierce solution
qui consisterait à imposer un intermédiaire (du type
Autorité des Marchés Financiers, AMF) entre l'investisseur et
l'agence de notation, qui assurerait également une fonction de
supervision. Le système ne serait plus centré sur
l'émetteur mais sur l'investisseur, avec un plus grand rôle pour
l'autorité de marché10 (Fabié, 2009 ; cf.
Annexe 2, p. 92). Une dernière mesure envisageable pour les agences de
rating est la séparation de leur activité de conseil et
de leur activité de notation. Un tel cloisonnement permettrait de
limiter une fois encore les possibles conflits d'intérêts, et
introduire ainsi une autodiscipline au sein des
10 V. Fabié est chercheur à l'université
Berkeley, Californie.
agences.
Au delà de la réforme des agences de notation,
le secteur bancaire doit redorer son blason en solutionnant le problème
des rémunérations, et notamment les bonus et autres
privilèges qui sont socialement désapprouvés.
d) La question des rémunérations dans le
système bancaire
La rémunération des dirigeants de banque et les
bonus des traders ont été décriés depuis
l'éclatement de la crise et le sauvetage des banques (notamment
françaises) par l'État et par des fonds publics. S'est alors
posé et se pose encore un problème de concordance : peut-on
accorder de tels bonus et des rémunérations considérables
aux dirigeants de banques quant ils apparaissent, aux yeux de la
société, responsables de la crise financière ? La
nécessité de réformer ce système de
rémunération est donc apparue, notamment suite aux diverses
annonces d'octroi de bonus très importants parmi les banques qui ont
très vite renoué avec les profits11. En France, la
situation d'illiquidité du marché qui s'est produite à
l'automne 2008 a imposé un plan de sauvetage des banques, de l'ordre de
360 milliards. Ce plan était composé de recapitalisation et de
prêts garantis avec collatéral. Dès novembre 2008, un
rapport de Natixis (Artus P. & Caffet J-C., 2008) prévoyait ce plan
comme un investissement globalement rentable, augmentant temporairement la
dette mais pas le déficit public. Malgré le fait
avéré d'un gain global pour l'État, les rancoeurs sociales
demeurent, et l'ensemble des critiques semblent se cristalliser vers les
banques et leurs acteurs. La rémunération en est la principale
cause.
Au-delà du principe des bonus, qui est inhérent
au métier de trader, leur montant et l'écart avec le salaire
moyen au sein de la société pose un problème
d'équité et de justice sociale. Mais cet argument est
complété par un manque de logique économique : il y a
distorsion entre le montant de ces bonus et les performances qu'ils sont
sensé représenter. Selon Aglietta & Rigot (2009), les
rémunérations au sein des banques d'investissement respectent une
stratégie visant à favoriser les managers, au détriment
des autres employés et des actionnaires. Les salaires de dirigeants sont
une « rente prélevée sur l'économie », qui ne
respectent « aucune explication de théorie économique
», symbolisent la « mauvaise gouvernance » et sont donc «
proprement ahurissants ».
Au-delà, c'est l'ensemble de la
rémunération au sein des banques, basée sur les bonus,
qui
11 Par exemple BNP Paribas : bénéfices 2009 en
hausse de 93% (6 milliards d'euros), 1 milliard d'euros de bonus versés
à 4000 traders. Source:
bnpparibas.net
est critiquable. Les bonus sont établis en fonction des
gains de court terme, et il n'y a pas de malus. Un gain énorme en t sur
une prise de position financière induit un bonus, et une perte
conséquente en t+1 n'implique pas d'ajustement de la prime. Il y a donc
procyclicité des bonus, puisqu'ils incitent à la prise de
risque.
Les pistes de réforme des bonus est un des volets
où la réglementation effective progresse. Ceci étant, les
propositions théoriques apparaissent dès 2009. Ainsi Klein
(2009), suggère de pondérer sur le long terme les bonus,
récompensant ainsi des prises de position révélatrices de
la performance du trader. Les primes ne seraient versées qu'une fois
toutes les positions sur actif soldées. De plus, les montants devraient
être soumis à un plafond, qui ne dépasserait pas un certain
multiple du salaire fixe du trader (l'auteur ne précise cependant pas
quel multiple : 2, 10, ... ?). Enfin, il pourrait être judicieux
d'imposer la supervision des bonus par un organisme, qui éluderait une
trop forte concurrence entre les banques pour s'approprier les meilleurs
traders (objectif invoqué par les banques).
Même si la question du bonus des traders est importante,
elle est révélatrice d'un problème d'ampleur plus large.
K. Schwab12 (2010) précise que c'est un « faux
débat », qui cache la transformation du rôle des entreprises,
et notamment les établissements financiers. Le créateur de la
théorie du stakeholder établit en effet que l'entreprise
est passée « d'une entité possédant un sens à
une autre servant un objectif ». Les bonus des traders traduiraient en
réalité le fait que les entreprises et les banques recherchent
davantage de profits, servant en premier lieu leurs propres
intérêts, laissant de côté leur responsabilité
d'acteur social et de pourvoyeur d'emploi. Le secteur financier serait encore
plus touché par ce symptôme. L'auteur préconise ainsi de se
concentrer sur l'objectif majeur de lutte contre cette « perversion du
système entrepreneurial », qui est susceptible de déterminer
l'ensemble des conditions économiques et sociales futures. En
conclusion, une possible législation sur la rémunération
des acteurs financiers, notamment des traders, permettrait de rationaliser les
salaires et de les rendre plus subordonnés aux résultats ; ceci
étant, l'enjeu est d'ouvrir la voie à une profonde
réflexion sur le rôle et le droit inhérents à la
finance, et à l'entreprise en général.
Pour conclure, l'ensemble des réformes
présentées jusqu'ici s'inscrivent dans une approche
exogène, puisque ce sont des pistes évoquées dans le but
de réduire ou supprimer certaines causes de l'instabilité qui
sont extérieurs au système financier : ce sont les normes
comptables, normes prudentielles, les règles de
rémunération... Après avoir énoncé les
différentes réformes portant sur le
12 . K. Schwab est un économiste suisse créateur du
Forum Économique Mondial de Davos.
secteur bancaire et la règlementation bancaire, il
convient maintenant de présenter les réformes concernant les
facteurs d'instabilité endogènes : règlementer les
services financier (produits dérivés), augmenter le champ de
vision des investisseurs (réduire le court-termisme) et
réfléchir sur la circulation des capitaux avec notamment le
problème des paradis fiscaux. En résumé, jeter les bases
d'un nouveau Système Financier International.
2. Construire la stabilité du système
financier international
Au delà de la réforme du système
bancaire, le fonctionnement du Système Financier International fait
l'objet de critiques. De nombreux travaux d'économistes de la finance
internationale ont tenté d'éclairer les concepts-clé et
les enjeux des réformes possibles. Comme nous le verrons en conclusion,
il demeure une distorsion entre les pistes évoquées et leurs
traductions en politiques concrètes, puisque créer une Nouvelle
Architecture Financière Internationale (NAFI) est un processus long et
présentant de grandes difficultés théoriques,
politiques...
Changer le fonctionnement de la finance internationale
requiert d'en questionner la logique, les techniques, mais également la
fonction au sein de l'économie globalisée. En effet, puisque de
vives critiques du Système Financier International ont semblé
venir de tous bords et n'épargner aucun acteur de la finance, pourquoi
ne pas réduire à néant la finance et la
spéculation, ou réduire fortement sa portée ? Après
tout, le crash boursier de 2008 a atteint des records13, mais cela
peut-il s'assimiler à une perte « réelle » de richesse?
L'économie mondiale aurait dû s'effondrer dans les heures ou les
jours qui ont suivi si de telles sommes perdues avaient toutes un ancrage
concret dans une branche quelconque de l'économie14. Quel
pays survivrait à une perte de 20% de ses richesses en un jour?
Pourtant, la transmission à l'économie réelle de la crise
financière, bien qu'ayant d'abord demeuré inaperçue, s'est
effectivement déroulée, avec des conséquences que les pays
occidentaux paient encore aujourd'hui et pour une durée
indéterminée : chômage de masse, déficit et
endettement publics difficilement soutenables... Ainsi, le Système
Financier International comporterait en son sein plusieurs facettes, dont
certaines seraient tournées vers des applications tangibles et d'autres
feraient de la finance un but en soi, la spéculation.
13 Le lundi 06 octobre 2008, Paris perd 22%, Tokyo 24% et
New-York 21%.
14 On peut ici citer le « jeudi noir » 19 octobre
1987, où la bourse de New-York perdait 22,6%, plus grosse perte de son
histoire, suivit par les autres places boursières dans le monde. La
crise crainte alors n'advint pas notamment grâce à l'injection de
liquidité de la Fed, et l'année 1988 connue une croissance
positive dans les PDEM. En conséquence cela peut être
assimilé à « un krach pour rien ! » ( Farrokh, M.,
2007).
La fonction originelle de la finance internationale est
l'allocation des ressources là où elles sont
économiquement nécessaires, c'est-à-dire assurer le
financement du commerce mondial et des balances des paiements. Aujourd'hui, la
finance internationale a un rapport indirect avec le financement des
échanges et des investissements dans l'économie globalisée
: les marché financiers suivent une logique spéculative, et
connaissent des flux d'échanges considérables entre les
différentes monnaies et les instruments financiers, à tout
instant et en tout endroit de la planète. Le Système Financier
International a donc connu un changement structurel profond et est devenu
l'outil de la spéculation. Cette évolution comporte plusieurs
effets, dont certains sont ambivalents. Les effets de levier, permis par la
spéculation, agissent comme un catalyseur de croissance, mais l'ampleur
et la portée ne sont pas la même pour tous les pays ni pour toutes
les catégories d'acteurs économiques : entreprises,
ménages, administrations publiques, etc. : ainsi les dernières
décennies ont été marquée par des périodes
de forte croissance entrecoupée par des crises financières
coûteuses. De la même manière, la titrisation a permis de
s'assurer contre les risques inhérents aux titres financiers, mais a
entrainé une dérive spéculative dont la crise de 2008 n'a
été que le révélateur.
Le Système Financier International est donc une
entité complexe, dont les caractéristiques sont ambiguës.
Ainsi il apparaît que la finance internationale ne peut et ne doit
être mise en péril dans sa totalité, même si de
profondes réformes apparaissent urgentes. L'enjeu de cette partie est de
présenter les réformes ayant pour objectif la stabilité
financière internationale. La méthode consiste à tenter de
prévoir les cycles financiers et d'anticiper ainsi les phases de
retournement, voire de les éluder. A cet effet, les instruments
financiers devront être mieux encadrés et plus lisibles, en
complément d'une règlementation efficace et coordonnée des
acteurs du système financier.
Au cours de cette partie, nous étudierons comment les
produits dérivés peuvent et doivent être
règlementés (1), en parallèle à un encadrement et
une législation des hedge funds (2). Au delà, cela
incite à une vision à long-terme (3), et à
reconsidérer le dogme de la libre-circulation des capitaux (4). Enfin,
pour que les tentatives de réforme soient efficaces, il faut interdire
ou fortement encadrer les paradis fiscaux (5).
1. Règlementer les produits
dérivés
Bien qu'apparue dans les années 1960, la titrisation
s'est amplement développé dans la fin
des années 1990-début 2000. Cette technique
consiste à transformer des créances (par exemple des prêts
immobiliers) en actifs financiers, côtés sur le marché des
capitaux et donc directement échangeables. La mise en application se
fait par l'intermédiaire de produits dérivés, servant
à spéculer sur des risques (non-remboursement, chute des cours),
et fonctionnant de la même manière qu'une police d'assurance. Les
produits dérivés sont désignés comme principaux
responsables de la crise financière car ils créent de
l'instabilité au sein du Système Financier International. Nous
verrons la nature instable des produits dérivés, puis la
titrisation telle qu'elle pourrait être réformée, et en
particulier le rôle des CDS et CDO.
Les produits dérivés sont des instruments
financiers régis par l'IAS 39 et constituent une des principales
innovations financières des dernières décennies. Les
produits dérivés sont les outils de la titrisation, et forment
une partie de l'activité de crédit des banques devenue
indispensable. En effet, les besoins croissants en capitaux de
l'économie mondiale nécessitent un apport de fonds
considérables. Dans une économie d'endettement le rôle des
banques est donc crucial, notamment dans la facilitation de l'investissement
pour les entreprises et de la consommation pour les ménages. Or, sans la
titrisation, les effets de leviers seraient fortement diminués et les
possibilités de crédit d'autant plus restreintes. Autrement dit,
la seule fourniture des fonds propres ne suffirait pas à financer la
croissance mondiale. Ceci établit que la titrisation demeure
nécessaire, ce qui ne minore en rien les besoins de réforme.
La sophistication et la multitude d'instruments financiers
(Credit Default Swap (CDS) Collateralised Debt Obligation
(CDO), et autres produits structurés) ont quelque peu brouillé
les
Tableau 2: CDS et CDO
Un CDO est un produit dérivé structuré,
regroupant au sein d'un même titre plusieurs types d'actifs
sous-jacents (créances, obligations...). Les CDO sont
émis par les banques par l'intermédiaire d'un Special Purpose
Vehicle (SPV) et sont composés de trois tranches, selon le
dégré de risque:
· la tranche equity, la plus risquée
· la tranche mezzanine, intermédiaire
|
· la tranche senior ou super-senior, la moins
risquée
|
Un CDS est un produit dérivé permettant au
détenteur d'un titre de créance de s'assurer contre le
risque de défaillance de l'emprunteur. Le risque est
ainsi tranféré du créancier vers un tiers,
dérsireux de
l'assumer. Les CDS peuvent ensuite s'échanger de
nombreuses fois sur les marchés financiers et sont donc un instrument de
spéculation privilégié.
|
|
repères, et notamment la capacité de
compréhension, d'analyse et donc de contrôle de l'activité
de titrisation. La plupart des banques d'investissement ont leurs propres
systèmes de fonctionnement, leurs propres codes ce qui amplifie d'autant
la complexité d'analyse pour un quelconque superviseur. Si bien que la
supervision en question est souvent trop peu présente, et les banques
d'investissement ont développé leur propre logique, dont la
gestion est critiquable.
Selon Aglietta & Rigot (2009, pp.141-144), il est
possible de dresser une typologie de la titrisation efficace d'une part et
d'autre part celle qui comporte des anomalies et est créatrice de
risques inutiles. Les auteurs établissent ainsi que les banques
d'investissement ont imposé un modèle générateur de
risque, où l'information est diluée, tout en favorisant le volume
de crédits au détriment de la qualité. Ce modèle
présente des « anomalies grossières » dans la gestion
du risque, puisque tant la notation que l'information sur les titres sont
floues et parfois contradictoires15.
A l'opposé, la titrisation « correctement
gérée »16 assurerait une dissolution du risque
plus efficace tout en proposant des coûts de financement réduits
et un choix de portefeuille plus large. Elle se concrétise par une
sécurisation de la liquidité sur des marchés
parallèles à la titrisation mais aussi une déconnexion
entre la qualité du crédit et celle du titre sous-jacent. La
titrisation doit être simplifiée, avec la suppression des titres
multi-étages comme les CDO pour avoir des titres dont le risque est
divisé donc facilement identifiable.
L'organisation des marchés d'actifs serait ainsi
segmentée et mieux organisée, ce qui permet une meilleure
supervision, que ce soit par les investisseurs eux-mêmes ou par un
organisme chargé de cette mission de surveillance. Une telle tutelle de
marché serait affectée à la surveillance des
marchés dérivés et pourrait être doublée
d'une chambre de compensation, qui préviendrait les
déséquilibres et notamment le risque d'illiquidité (Klein,
2009, p. 303). Enfin, cela suppose une évaluation performante des actifs
(c'est-à-dire consciente des « vrais » risques) par les
différents acteurs. En outre les investisseurs doivent réellement
porter le risque lors d'une spéculation, et pas uniquement le
transférer à un tiers.
La question de la standardisation des produits de la
titrisation est primordiale. Les marchés de certains produits
dérivés sont ainsi très peu régulés et
présentent une forte hétérogénéité.
Ainsi la titrisation devrait suivre une logique économique plus que
spéculative, et éviter les dérives des produits
dérivés, fauteurs de troubles dans le système financier ;
la spéculation à la baisse en 2008
15 Par « information sur les titres » les auteurs
visent l'ensemble de données pertinentes sur un produit
dérivé, à savoir le montant réel du crédit,
son échéancier, sa nature risquée ou non... Ce sont ces
informations qui ont manqué lors de la crise des subprimes.
16 Cette titrisation devrait être la norme, et consitue
ainsi une voie de réforme possible pour les deux auteurs.
ou encore la crise de la dette grecque au printemps 2010 le
prouve. La standardisation doit permettre une complète perception des
risques et des rendements lorsqu'un investisseur acquiert un produit
dérivé.
Les CDO ont par exemple vocation à regrouper des
crédits « toxiques » et des crédits « sains
», afin de diluer le risque. Or selon Aglietta & Rigot, c'est ce
mélange qui est justement pervers car dissimulateur du risque
réel attenant à un crédit ; c'est un des points de
départ de la crise des subprimes. Il est nécessaire de
créer plusieurs marchés d'obligations, dans lesquels chacune des
tranches d'un CDO (voir Tableau n°1) serait négociée : le
risque est ainsi connu et donc mieux appréhendé. Les
différents Asset-Backed Security (ABS)17 liés
aux CDO seraient standardisés et leur gestion différenciée
selon la qualité. Les plus risqués seraient centralisés et
normalisés, en plus d'être régulés par une chambre
de compensation. L'objectif principal est d'éviter le risque
systémique et de « limiter automatiquement les leviers financiers
excessifs et la concentration des positions dans le même sens ».
Le marché des CDS ou « couverture de
défaillance » (Adda, 2010), doit également être
réformé. La confiance est une des carences du Système
Financier International, et il est nécessaire de la rétablir par
l'encadrement des CDS. Ceux-ci permettent en théorie aux banques de se
couvrir contre le risque de défaut d'une contrepartie (voir Tableau
n°1). Mais ce qui ressemble à une prime d'assurance pour
non-remboursement d'un crédit se révèle être un
instrument de spéculation, qui a amplifié la crise lors de sa
phase de retournement et de crise de confiance. En effet, les CDS permettent de
spéculer sur un risque de défaut, dans une ampleur telle que le
CDS peut couvrir un montant plus grand que le crédit sous-jacent ; un
investisseur peut même se couvrir contre un risque qui ne le concerne
pas. Autrement dit la spéculation sur les CDS est vecteur
d'instabilité, et amplifie les cycles18.
Pour la question de la régulation du marché des
CDS, là encore la standardisation est nécessaire. Ils doivent
être régis par des normes internationales précises, et
échangés sur des marchés spécifiques,
différenciés selon le type de CDS. Il serait bon d'envisager la
création de chambres de compensation, qui garantiraient la
liquidité des contrats, par l'exigence de dépôts
préalables aux prises de position et compensés en fin de
journée (Klein, 2009, p. 303). Par ailleurs,
17 Valeur mobilière adossée à des
titres, dont les flux peuvent être basés sur un portefeuille
d'emprunts immobiliers, de crédits à la consommation... Les ABS
sont des titres privilégiés dans les opérations de
titrisation.
18 La crise de la dette grecque illustre cette situation: la
spéculation sur les CDS venant de hedge funds augmentent leur
prix, ce qui amplifie la perception d'un risque et augmente in fine
les taux d'intérêts, dégradant ainsi les conditions de
financement de la Grèce (et donc ses possibilités de
défaut: la situation est proche des prophéties
autoréalisatrices).
il serait nécessaire selon Chesney (2009) de «
conditionner l'achat d'un CDS à la détention de l'obligation
sous-jacente ». En effet, le fait de détenir une assurance sur un
bien que l'on ne possède pas pose un problème d'aléa
moral, voire d'intéressement à la réalisation du risque.
En outre, il serait opportun d'interdire les transactions Over the Counter
(OTC), c'est-à-dire de gré à gré, pour les
institutionnaliser et supprimer leur opacité.
Au delà, les CDS et les CDO posent la
nécessité de lutter contre l'aléa moral lié
à la titrisation. Les banques devraient supporter le risque des
crédits qu'elles accordent, et ne pas uniquement transférer le
risque à un tiers via le marché des dérivés. Klein
(2009, p.303) avance l'idée d'une obligation de détenir au moins
10% de la responsabilité sur un crédit accordé. Plus
encore, il est primordial de revenir sur le court-termisme des banques, et leur
imposer une réglementation des leviers de crédits : les fonds
investis doivent subir des « examens rigoureux » (Aglietta &
Rigot, 2009, p. 144), ne pas céder aux tentations des innovations
financières...
En résumé, nous avons vu la nécessaire
réforme de la titrisation par l'encadrement des produits
dérivés. Ceux-ci doivent être standardisés,
ancrés dans une logique économique plus que spéculative et
ne plus dissimuler le risque sous-jacent. Par ailleurs les CDO
nécessitent d'être refondus voir interdit, et les CDS mieux
encadrés et régulés afin de supprimer l'aléa moral
et la spéculation potentiellement dangereuse. Mais au-delà, une
des pistes de réforme est de règlementer les fonds
spéculatifs (hedge funds) qui se servent massivement des CDS et
CDO et qui sont des acteurs générateurs d'instabilité.
2. La règlementation des hedge funds
Les hedge funds ou fonds spéculatifs sont des
acteurs financiers dont l'activité est le placement de capitaux pour le
compte d'investisseurs privés et surtout d'investisseurs institutionnels
(fonds de pension, compagnies d'assurance...). Le nombre de hedge
funds a été multiplié par trois entre 2000 et 2007,
et ceux-ci ont géré pour plus de 1860 milliards de dollars en
2008 (Aglietta, Khanniche & Rigot, 2010). La plupart d'entre eux sont
domiciliés aux Etats-Unis et n'obéissent à aucune loi
fédérale régissant la finance. Selon Aglietta et alii, les
hedge funds sont créateurs de risque systémique en
réagissant de manière mimétique et disproportionnée
aux situations de stress sur les marchés financiers, qui ont
contribué à la dernière crise financière. Par
l'utilisation de la titrisation (notamment en spéculant sur des CDO et
en se couvrant du risque par des CDS) et de forts effets de leviers, les hedge
funds sont vulnérables aux cycles financiers et subissent
d'importantes pertes en cas de retournement du marché
(pour illustrer la propagation du risque, voir le schéma de l'Annexe 3,
p. 93). Et, lorsque les fonds proviennent de banques ou de fonds de pension, un
hedge fund en faillite peut entrainer une banque dans sa chute : cela s'est
produit avec la banque new-yorkaise Bear Stearns.
De ce constat accablant, il apparaît nécessaire
une profonde remise en cause du rôle des hedge funds, en
instaurant une règlementation efficace. Les banques d'investissement
subissent le risque de leurs placements auprès des hedge funds,
dont l'opacité est une des principales caractéristiques : il n'y
a aucune incitation règlementaire à révéler les
stratégies de placement, de même que les risques inhérents.
Comme la supervision des hedge funds est quasi-inexistante, ils ne
subissent pas de restriction en matière de transparence des actifs, ni
dans l'ampleur des leviers autorisés.
Tableau 3: Les « hedge funds » (fonds
d'investissement, fonds de couverture)
Les hedge funds sont des organismes financiers
spécialisés dans le portage de risques dont certains
opérateurs souhaitent se défaire. Ces fonds sont
spécialisés dans des opérations spéculatives dans
lesquelles le risque pris va de pair avec des rendements élevés,
partagés entre financeurs et opérateurs.
Les hedge funds privilégient la gestion
alternative, plus rémunératrice mais plus risquée (par
opposition à la gestion indicielle, calquée sur
le CAC 40 par exemple). Ils agissent sur les marchés à terme,
mais aussi lors d'opérations d'arbitrage sur taux de change, sur des
ventes à dévouvert (short sell), c'est-à-dire sur
des titres que l'opérateur ne possède pas.
Les hedge funds ont subi de lourdes pertes lors de la
crise des subprimes, certains d'entre eux faisant
faillite, entrainant la suppression de millions de dollars
d'épargne.
D'après Alternatives Economiques (H-S, 2009)
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Selon Aglietta et alii, la règlementation
existante a montré ses failles lors de la dernière crise
financière. Il importe donc d'approfondir la réglementation des
hedge funds, notamment en limitant les possibilités de leviers
: en effet, les hedge funds (et les banques qui leur prêtent les
fonds) s'exposent à des risques considérables lors
d'opérations impliquant des gains ou des pertes qui peuvent atteindre
plusieurs dizaines de fois les montants engagés. Au delà, c'est
l'ensemble du système permissif instauré par la titrisation et
les produits dérivés qui doit être repensé et
règlementé (comme nous l'avons vu précédemment). Il
convient en outre de forcer les dirigeants de hedge funds à
s'enregistrer et déclarer leurs activités auprès d'une
autorité de régulation ; mais aussi d'inciter à la
transparence des actifs, des leviers de placements (limites précises et
chiffrées des
leviers), des risques qui sont liés, tout en veillant
à ne pas violer le secret bancaire. Les auteurs précisent que
cela ne sera efficace qu'en parallèle à une règlementation
des paradis fiscaux (ce que nous verrons dans la sous-partie 5.) Enfin,
même si les coûts de mise en place d'une telle régulation
des hedge funds peuvent paraître considérables, une
analyse coût avantage intégrant le gain de transparence pour les
marchés (condition indispensable à leur efficience),
révèle l'intérêt de la réglementation.
Nous avons donc montré la nécessaire
régulation des hedge funds, par une règlementation
efficace. Cela permettrait d'éviter les faillites à cause de
prises de risque démesurées, et de favoriser la stabilité
financière internationale en limitant le risque systémique. Mais
au delà de la régulation et la règlementation des acteurs,
qui est nécessaire, il faut encourager l'émergence de nouveaux
acteurs de la finance internationale, qui provoquent moins de
déséquilibres. Cela amène à repenser le
Système Financier International, et en particulier favoriser les
investisseurs de long terme.
3. Réduire le court-termisme: le rôle crucial
des investisseurs de long terme
La crise financière actuelle remet sérieusement
en question la finance telle qu'elle s'est développée depuis les
années 1980 et la libéralisation du secteur. Au delà,
c'est l'ensemble du Système Financier International qui nécessite
d'être rénové. Mais les réformes visant à
réguler la finance ne doivent pas restreindre les besoins de financement
considérables de l'économie globalisée , en particulier
les ambitions de croissance des pays en développement (PED) et des pays
émergents. En outre il faut tenir compte du fort potentiel de croissance
de ces pays dynamiques, sans doute les leaders de demain. Dès lors,
comment éluder les failles du système (spéculation
excessive, dérives bancaires...) tout en permettant à la finance
d'apporter les ressources, et notamment l'épargne, là où
elle est économiquement nécessaire ? La solution peut être
apportée par les investisseurs de long terme. C'est cette idée de
Aglietta & Rigot (2009, pp.177-238) que nous allons développer dans
cette sous-partie ; ces auteurs consacrent une large part de leur ouvrage sur
ces investisseurs de long terme, ce qui est une piste de réforme
systémique sérieuse. Nous verrons qui sont les investisseurs de
long terme et quel pourrait être leur rôle dans la construction de
la stabilité du Système Financier International, qui est toujours
l'objet de notre partie.
Une des principales ambitions est de réduire le
court-termisme, c'est-à-dire orienter les investisseurs vers des
placements de long terme. En effet, une des caractéristiques des
investisseurs
institutionnels19 est de placer des capitaux en
vue d'en retirer un rendement maximal sur une période la plus courte
possible. Et cela pose des problèmes, notamment dans les grandes
entreprises qui sont aujourd'hui sous la coupe d'un capitalisme actionnarial.
Les ambitions des actionnaires et donc des investisseurs peuvent être
contradictoires avec celles de l'entreprise : cette dernière
privilégie les investissements de long terme (par exemple en capital),
dont le rendement peut être long à intervenir. Il se pose donc
souvent un dilemme entre les intérêts des investisseurs d'une part
et ceux des entrepreneurs et des salariés d'autre part : ce dilemme est
clairement tranché en faveur de l'actionnaire, puisque les grandes
entreprises sont dépendantes de leur cours de bourse et des signaux de
rentabilité qu'elles envoient aux investisseurs. Cependant, certains
investisseurs institutionnels semblent se rapprocher de la vision à long
terme.
La caractéristique principal des investisseurs de long
terme est que leur passif est constitué de ressources collectives, ils
n'ont donc pas de responsabilité vis-à-vis d'épargnants
individuels, comme les fonds de pension en ont vis-à-vis de leurs
retraités. Les stratégies des investisseurs de long terme sont
définies précisément par des organismes de tutelle. Ce
peut être « un Etat, une université, une collectivité
territoriale ou un organisme financier public, par exemple le fonds de
réserve des retraites français ». Contrairement aux fonds de
pension de type américain, les investisseurs de long terme ne font pas
porter le risque aux seuls ménages et participent à une
socialisation des risques, assumant eux-mêmes une partie des
éventuelles pertes. Aglietta & Rigot opposent ainsi les fonds de
pension à cotisations définies (de type Fonds Commun de Placement
(FCP)) aux fonds de pension à prestations définies : ce sont les
investisseurs de long terme, qui assurent des flux de revenus sur longue
période, quel que soit la tendance des marchés financiers.
Même s'il la frontière entre un investisseur de
long terme et un investisseur institutionnel est parfois floue, il est possible
d'établir une classification des investisseurs de long terme. Cela dans
le but de pouvoir identifier les acteurs qui peuvent contribuer à
créer une certaine stabilité financière. Il s'agit d'une
part des fonds perpétuels et notamment:
les fonds souverains : représentent
la majeure partie des fonds perpétuels, suivent une logique purement
financière, et ont néanmoins comme objectif une prise en compte
des risques macroéconomiques mais également le
développement à long terme du pays d'origine (élaborent
des stratégies de développement, notamment afin d'éviter
le « syndrome hollandais »20).
19 Les fameux «zinzins» : ce sont les fonds de
pension, les compagnies d'assurance, les fonds de retraites.
20 Désigne une situation économique dans laquelle
un pays qui exporte principalement des ressources naturelles se voit
confronté à une surévaluation de son taux de change
liée à de fortes entrées de devises, débouchant par
la suite à une
les fonds publics de lissage des systèmes de
retraites : permettent de compenser les déséquilibres
financiers des systèmes de retraite temporaires dus à
l'arrivée à la retraite des naissances issues du baby-boom.
Ambitionnent d'« optimiser le rendement des placements en limitant le
risque » ; exemple du Fonds de réserve des retraites (FRR)
français.
les fonds de dotations universitaires : ont
comme objectif le placement à long terme de capitaux universitaires en
évitant au maximum le risque : l'échéance des placements
étant généralement à horizon indéfini, il y
a une réelle vision à long terme, et la spéculation
risquée est donc proscrite.
D'autre part, on trouve les investisseurs institutionnels, mais
seulement en partie :
les fonds de pensions : « collectent
l'épargne à long terme des employeurs et des salariés pour
fournir des revenus de retraites » ; comme vu précédemment,
il faut distinguer les fonds de pension à prestations définies de
ceux à cotisations définies :
· fonds de pension à cotisations
définies : ce ne sont pas des investisseurs de long terme, ils n'ont pas
d'engagement à verser des revenus de retraites (il n'y contrat que sur
les cotisations). Ils font porter le risque des placements sur les
salariés. D'après les auteurs, ces fonds doivent être
réformés (parce que créateurs d'instabilité
financière et de spéculation excessive) afin de les orienter vers
des stratégies de long terme. Ces fonds de pension devraient ainsi
suivre les nouvelles normes comptables ( notamment la fair value, voir
Partie I. I). 3. Revoir les normes comptables ), afin
d'améliorer leur solvabilité, par exemple en incitant à
une gestion des risques qui aurait un « sens économique ».
· fonds de pension à prestations
définies : ils pratiquent une « mutualisation
intergénérationnelle du risque » ; le contrat porte sur un
certain nombre de prestations, notamment en terme de revenu de retraite
minimum.
dégradation de la compétitivité-prix. Dans
le cas des fonds souverains issus de pays producteur de pétrole, il
s'agit d'investir pour assurer la transition vers l'après pétrole
(Norvège, Arabie Saoudite, Koweit...).
Au sein des investisseurs institutionnels, les
compagnies d'assurance suivent également des
stratégies de long terme : elles subissent des contraintes
règlementaires (notamment l'obligation de « tenir une
compatibilité étroite dans la duration21 des actifs et
du passif »), ce qui incite à privilégier les actifs de long
terme peu risqués.
En somme, nous avons décrit les différents
investisseurs de long terme qui pourraient impulser la refonte de la finance.
Ce sont des investisseurs « patients », qui formulent des
stratégies portant sur des périodes longues, c'est-à-dire
supérieures à 5 ans. Ils privilégient des investissements
réguliers et fiables plutôt que la spéculation hautement
rémunératrice mais très hasardeuse. Les investisseurs de
long terme pourraient donc incarner l'avenir du Système Financier
International, à condition de maintenir une gestion des actifs
diversifiée et « saine ». Cela passe par une prise en compte
des « valeurs fondamentales dans les tendances de long terme des
marchés », et en particulier en étudiant les cycles longs
qui s'opèrent sur les marchés financiers.
Idéalement, Aglietta & Rigot ciblent le
renforcement des investisseurs de long terme au détriment des banques
d'investissement et surtout des hedge funds, ces derniers étant
les principaux vecteurs de risque systémique. Leur vision de
l'économie mondiale est alors la suivante : « l'évolution
principale à venir est la transformation du financement de
l'économie mondiale du modèle de crédit dominé par
les banques d'investissements en modèle des investisseurs à long
terme capables de maîtriser le risque : faire jouer les forces de retour
à la moyenne, investir en capital, prendre les obligations d'Etat comme
base des portefeuilles d'actifs, exercer la discipline de marché sur le
crédit titrisé » (p.236).
Pour conclure, il ressort de l'analyse de Aglietta & Rigot
que la réforme du Système Financier International ne pourra se
passer des investisseurs de long terme, qui existent déjà mais
dont le rôle doit être valorisé tout en veillant à
réguler leur bon fonctionnement dans le temps. Il faut veiller à
ce que les investisseurs puissent encore maintenir leurs stratégies
d'investissement à long terme ; il convient également de
proscrire toute délégation des affaires aux arbitragistes
(traders et spéculateurs) qui, eux, ne privilégient que
la rentabilité à court terme.
Ayant montré l'importance des investisseurs de long
terme, nous allons poursuivre l'idée de cette partie I (la
stabilité financière internationale) en présentant
question de la circulation internationale des capitaux.
21 Sensibilité du cours d'une obligation à un
changement de taux d'intérêt de 1%.
4. Revenir sur la libre circulation des capitaux
La libre circulation des capitaux est une des composantes de
la libéralisation financière qui a vu le jour dans les
années 1980 (1988 pour l'Union Européenne (UE)). Les flux
financiers sont donc exonérés de frais et autre taxes lorsqu'ils
transitent au sein d'une économie, de même que les flux
internationaux. La libre circulation des capitaux est une des quatre
libertés fondamentales du marché intérieur commun de l'UE,
avec la libre circulation des marchandises, personnes et services. Ainsi, par
l'essor que cela a permis à la finance internationale, la libre
circulation des capitaux est peu questionnée et parait une des
conditions irrévocables du Système Financier International.
Pourtant, R. Mundell (1960) voyait dans celle-ci une problématique
possible de la mondialisation, puisque c'est une composante de son
célèbre « triangle d'incompatibilité
»22 . La conciliation des trois objectifs peut conduire
à une crise monétaire et financière, à l'instar de
la crise asiatique de 1997.
L'idée de taxer la circulation des capitaux n'est pas
neuve. J. Tobin (1978) conceptualise une taxe sur les opérations de
change, et s'inspire de travaux plus anciens de J. M. Keynes dans la
Théorie Générale (1936) qui proposait de taxer les
investisseurs sur leurs mouvements de capitaux afin de créer un lien
durable entre investisseurs et actifs. Mais cette taxe dite «Tobin»
redevient d'actualité suite aux ambitions de réformes du
Système Financier International depuis la crise.
Instaurer une taxe sur les mouvements spéculatifs
permettraient de dissuader la spéculation à très court
terme. Selon J. Adda (2009), cela passerait par un taux d'imposition faible,
afin de ne pas pénaliser le commerce international et les Investissement
Directs à l'Etranger (IDE). Une pression fiscale trop
élevée risquerait de limiter les flux de capitaux
économiquement nécessaires, alors que la taxe a pour objectif la
suppression de la spéculation «inutile» (celle qui vise une
rentabilité très élevée en très peu de
temps). Une telle taxe pourrait donc être un vecteur de stabilité
dans le Système Financier International. Par ailleurs, l'auteur
précise en citant J. Stiglitz que les revenus issus de la taxe Tobin
pourraient servir à financer le développement et la fourniture de
certains biens publics globaux : santé, environnement et finalement la
stabilité financière internationale (qui peut être
considérée comme un bien public).
Plusieurs critiques sont régulièrement
avancées contre la taxe Tobin. La première établit qu'une
telle taxe requiert l'accord et la coordination des principaux pays acteurs de
la finance, sous
22 Ce trilemme montre qu'en présence d'une libre
circulation des capitaux (intégration financière
développée), une économie ne peut disposer à la
fois d'un régime de change fixe et d'une politique monétaire
autonome.
peine de voir les flux de capitaux se détourner vers
les paradis fiscaux. Or la coordination internationale n'est pas encore
suffisamment approfondie pour imposer des mesures coercitives au milieu
très influent de la finance (et ce, malgré les travaux du G20).
Mais, il serait envisageable d'appliquer la Taxe Tobin à l'ensemble des
flux financiers (et pas uniquement aux opérations de change) par
l'intermédiaire de la Continuous Linked Settlement Bank
(CLS Bank). Cette chambre de compensation met en relation de
nombreuses institutions financières dans 17 monnaies et pourrait donc
permettre de centraliser le paiement de la taxe, si le rôle de la CLS
Bank était renforcé.
La deuxième critique est que la taxe ne serait pas une
solution efficace et durable, et qu'elle aurait peu de poids. Or, Adda
précise que ce n'est pas son ambition mais qu'elle pourrait former un
des éléments cruciaux vers une refonte globale du Système
Financier International. Cela peut s'effectuer étape par étape.
Ainsi une fiscalité de l'ordre de 0,005% de chaque transaction
réduirait de 14 % le volume des transactions de change et
dégagerait entre 35 et 50 milliards de dollars par an (Adda,
d'après Rodney Schmidt).
Une taxe sur les transactions financières de type Tobin
serait donc un projet de réforme visant à réduire
l'instabilité du Système Financier International, et les revenus
dégagés pourraient permettre de financer le développement
des pays du Sud. Mais au delà, Adda précise que la taxe Tobin
peut amener d'autres ambitions : «ce n'est rien de moins que le premier
jalon d'une gouvernance mondiale permanente» ; l'idée serait
d'impulser une gouvernance globale par une fiscalité commune et
coordonnée de la finance internationale. Or, afin de repenser le
Système Financier International, une telle gouvernance est
nécessaire, afin de pérenniser les changements et d'assurer la
coopération de l'ensemble des acteurs. Le contexte actuel semble
favorable à une telle fiscalité financière, puisque la
Financial Services Authority (FSA) se prononce désormais en sa
faveur. Par ailleurs, en mai 2009 a été mis en place un groupe de
travail sur cette question, à l'initiative de la France et regroupant 58
pays.
En résumé, il apparait que la taxe Tobin est une
possibilité de réforme, et qu'elle peut diminuer les
comportements spéculatifs porteurs de déséquilibres. Une
telle fiscalité requiert cependant une coordination internationale, et
c'est en cela qu'elle peut augurer d'une future gouvernance mondiale. Mais la
taxe risque de conduire à des détournements de capitaux, en
particulier vers les paradis fiscaux. C'est pourquoi des voix
s'élèvent afin d'interdire ou de régulariser ces places
financières.
5. Limiter l'attrait et le rôle des paradis
fiscaux
En sein du Système Financier International existe des
paradis fiscaux (tax haven) et des paradis financiers ou bancaires
(places financières offshore). Les premiers regroupent les
territoires où la fiscalité est très basse voire
inexistante comparativement aux pays développés. Les seconds sont
les pays où il y a un fort secret bancaire et une forte
libéralisation du secteur financier ; en fait, les territoires en
question présentent souvent les deux caractéristiques et sont
donc regroupés sous le terme de paradis fiscaux.
M. Aglietta (2009) précise qu'il y a trois
problématiques liées aux paradis fiscaux. La première est
l'évasion fiscale, puisque certaines institutions financières,
certaines banques et des grandes entreprises déclarent une partie de
leurs profits dans ces territoires. Cela représente donc un manque
à gagner pour les gouvernements d'origines (pays
développés), et indirectement une charge supplémentaire
pour le contribuable. La seconde est la question de la criminalité, du
blanchiment d'argent... Enfin, la troisième problématique est
celle de la régulation du Système Financier International :
comment inciter à la régulation et adopter des mesures
coercitives et coordonnées si il demeure des zones de non-droits
financières ? Ainsi, de nombreux hedge funds sont basés
dans des paradis fiscaux, et constituent donc, par leurs capacités de
spéculation et notamment de leviers considérables, une menace
pour la stabilité financière internationale.
La régulation des banques et des investisseurs
institutionnels, qui désormais agissent instantanément et sans
frontière monétaire (du fait de la libre circulation des
capitaux), passe par deux idées : d'une part la réglementation
des transactions des banques et la surveillance des joint-ventures et
autres montages financiers dans les paradis fiscaux ; d'autre part
l'institution d'un rapport de force entre les pays développés et
les paradis fiscaux, afin de supprimer ou limiter fortement leur
attrait23. Autrement dit, il faut axer la surveillance sur les
paradis fiscaux mais aussi sur leurs clients.
Ainsi, nous avons vu l'importance de réguler
l'activité des paradis fiscaux, qui constituent un « système
bancaire parallèle » (shadow banking system) dont
l'ampleur représente plus de la moitié des flux financiers
internationaux. Il importe alors d'interdire aux investisseurs institutionnels
et aux banques de transiter par ces places financières. Sinon, il risque
de perdurer une zone de non-droit parallèle au Système Financier
International, ce qui rendrait caduque toute
23 Les paradis fiscaux ont, selon Aglietta, tout
intérêt à coopérer sous peine de disparaître,
puisque les services financiers sont généralement leurs seules
ressources économiques.
tentative de régulation.
L'ambition de cette partie I a été de montrer
quelles sont les conditions nécessaires à la stabilité du
Système Financier International. Cela impose une redéfinition de
la finance internationale, et notamment la réaffirmation de son
rôle premier, l'allocation des ressources. Nous avons vu que les produits
dérivés peuvent être porteurs de risques, et que la
titrisation doit être encadrée. Les principaux acteurs du risque
systémique doivent être règlementés, et en
particulier les hedge funds, dans le but de laisser la place aux
investisseurs de long terme, dont nous avons vu le caractère stable et
long-termiste. Enfin, une réforme complète ne pourra se passer
d'un questionnement sur la libre-circulation des capitaux ; par ailleurs, les
paradis fiscaux représentent, pour nombre d'auteurs, des failles dans le
circuit financier qu'il faut combler sous peine de rendre inutile toute
tentative de réforme.
Il convient maintenant de montrer que la réforme du
Système Financier International ne peut aboutir que si les principales
économies se dotent d'un cadre institutionnel efficace. Cela passe par
un approfondissement de la construction d'une Nouvelle Architecture
Financière Internationale (NAFI) et par une refonte du fonctionnement
des principales institutions financières.
3. L'impulsion par le changement institutionnel
L'ambition de cette partie est d'établir le besoin de
gouvernance du Système Financier International, qui doit être
approfondie et couplée à une transformation du rôle et du
statut des institutions financières.
La récurrence des crises financières, en des
temps et des espaces variés, oblige à dresser un double constat :
d'une part l'inefficacité partielle des instances chargées de la
stabilité financière, et d'autre part la difficulté
à comprendre et donc prévoir les crises financières. La
multitude d'acteurs et de pays impliqués dans le Système
Financier International établit, selon Aglietta & Berrebi (2007,
p.386), une « coresponsabilité » dans les failles de la
finance internationale, mais également du Système
Monétaire International (comme nous le verrons dans la Partie II). Il
n'en reste pas moins que les grandes institutions financières ont leur
part de responsabilité ; nous avons déjà observé
comment réformer les acteurs non-institutionnels, voyons maintenant
comment impulser un changement institutionnel. Nous verrons en premier lieu
pourquoi et comment réformer le FMI (1), puis la nécessité
de revoir le rôle des banques centrales (2).
1. Réformer le fonds monétaire international
(FMI)
L'efficacité du FMI (institution provenant de
Bretton-Woods) a été mise en doute avec les crises
financières à répétition des années 1980 et
1990. Le G7 (relayé depuis par le G20), s'est donc donné
l'objectif de construire une NAFI. Or selon Aglietta & Berrebi (2007), ce
projet s'est révélé être un échec, sur les
quatre points d'action collective du départ : « renforcer la
robustesse de l'endettement, munir les marchés des capitaux d'un
prêteur en dernier ressort international (PDRI), promouvoir des
dispositifs de résolution des crises de solvabilité, rendre plus
efficaces les actions spécifiques en faveur des pays les moins
avancés ».
Au delà de la remise en cause de l'action du FMI (dont
le bilan peut être positivé), c'est la gouvernance globale face au
Système Financier International qui est en jeu. En effet, la crise
relance le débat de la coopération internationale en vue de
trouver des solutions coordonnées. La question du leadership est
également cruciale : la fin du « semi étalon-dollar »
(le SMI actuel) suppose l'émergence d'une puissance monétaire, ou
d'un ensemble cohérent de puissances (polycentrisme monétaire) :
nous développerons cela dans la Partie II. L'échec de
l'adaptation du FMI aux changements de l'économie mondiale indique un
échec de facto de la construction d'une NAFI, et plus largement
une faille dans la gouvernance globale24. Dès lors, quelles
sont les pistes de réforme possibles pour le FMI ?
Le rôle principal du FMI est la prévention des
déséquilibres macroéconomiques. Pour cela, le FMI doit
entamer des transformations dans sa gouvernance. Selon Aglietta (2010, p. 79),
malgré le poids économique de la zone euro, celle-ci n'a pas de
représentant unique au FMI : chaque État membre de la zone parle
en son nom, de manière désordonnée. Ainsi, les
États européens disposent de droit de votes obsolètes et
l'Euro, lui, n'a pas de porte-parole. Il est impératif qu'un leadership
politique émerge de la zone euro, c'est même une « condition
sine qua non » de la nouvelle gouvernance du FMI, notamment pour
la collaboration avec la Banque Centrale Européenne (BCE), afin
d'assurer la stabilité financière internationale. Une fusion des
droits de vote européens en augmenterait la poids politique et
permettrait de dégager des quotas disponibles pour les pays
émergents. Il convient également d'abroger le droit de veto de
chaque membre. Selon l'auteur, « le Comité exécutif devrait
être transformé en un Conseil politique, comptant des
représentants mandatés par leur gouvernement ». Plus
anecdotique, le directeur du FMI devrait être choisi de manière
démocratique, et pas uniquement par les Etats-Unis et l'UE à tour
de rôle.
24 Pour approfondir le concept de NAFI, et plus
généralement l'Economie Politique Internationale (EPI), voir
Kébabdjian (2002) et Berthaud & Kébabdjian (2006).
Au delà des questions de représentation, les
actions du FMI doivent innover. Ainsi le rôle des Droits de Tirages
Spéciaux (DTS) doit être renforcé afin de remplir la
fonction de PDRI, et d'assurer la stabilité financière et
monétaire internationale. L' action du FMI est remise en cause,
notamment par les gouvernements : celle-ci serait l'« expression brutale
des intérêts financiers du monde occidental » (Mistral J.,
2009). Pour l'auteur, la cause serait le manque de mesure
discrétionnaire, car la majorité des actions sont
décidées unilatéralement : « one size fits
all ». Le FMI doit donc réformer ses analyses et adapter son
action et ses recommandations aux situations et aux pays en question. Par
ailleurs, une étude de l'organisation « Bretton Woods Project
»25 démontre également la nécessaire
réforme du FMI et préconise, dans une lettre ouverte, de «
mettre un terme aux inégalités dans le processus
décisionnel,[...] d'ouvrir le processus de sélection des
dirigeants, [...][et de] rendre les instances de sélection transparentes
». (BWP, 2006).
Le FMI, nous l'avons vu, doit subir des changements afin de
mener à bien ses missions principales (stabilité
financière, stabilité macroéconomique internationale),
mais également en vue de s'adapter aux changements structurels qui
pourront advenir dans le Système Monétaire et Financier
International. En dehors du FMI, il est envisageable de réformer le
cadre institutionnel, notamment par une révision du rôle des
banques centrales.
2. Rôle des banques centrales : comment le
réformer ?
Les banques centrales ont joué un rôle important
lors de la crise financière, en particulier la BCE et la Fed
(Federal Reserve System). Celles-ci ont permis d'éviter la
pénurie en injectant des liquidités et en achetant des actifs
toxiques afin d'épurer le marché. Cette fonction de prêteur
en dernier ressort (PDR) est essentielle mais insuffisante. Plus largement, les
banques centrales ont intérêt à revoir leur mode de
fonctionnement, et notamment la hiérarchie de leurs objectifs et le
risque d'amplification des phases de bulle spéculative.
Selon Castel & Plihon (2009, p. 236), les banques
centrales ne doivent pas se contenter de la surveillance de l'inflation, mais
également surveiller le prix des actifs financiers, afin de
détecter les phases d'euphorie. Les autorités monétaires
négligent trop souvent cet aspect, arguant qu'elles ne maitrisent pas
aussi bien l'information que le marché, supposé efficient. Or la
crise a montré que le refus des banquiers centraux ne tient pas face aux
pertes considérables induites par la crise
25 Le Bretton Woods Project regroupe 7000 ONG, journalistes,
écrivains, économistes et parlementaires du monde entier.
financière. Ainsi, les auteurs démontrent qu'il
ne faut plus cloisonner politique monétaire et politique prudentielle.
Les banques centrales doivent coordonner leurs pratiques avec les
autorités de régulation. Ainsi, un ancien gouverneur de la Banque
de France (BdF) préconisait récemment un système
prudentiel coordonné au niveau européen, mais également
des mécanismes de surveillance et d'alerte gérés
conjointement par la BdF et la BCE (Castel & Plihon, 2009, p. 237). Les
institutions financières sont tenus de s'adapter aux contextes sans
cesse changeant ; les banquiers centraux « conservateurs » doivent se
transformer en banquiers centraux dont la priorité serait la
stabilité financière.
Par ailleurs, le rôle du PDR est discutable.
L'interventionnisme des banques centrales lors des situations
d'illiquidité est justifiée, mais elle comporte trois principaux
biais :
Un premier biais est celui de l'aléa moral, puisque
l'injection in fine de liquidités par les banques centrales
incite à la prise de risque. Cela peut amener des spéculateurs
à être moins vigilants sur leurs prises de positions
financières. Par ailleurs, la fonction d'acheteur d'actifs en dernier
ressort, lors de la dernière crise, peut introduire un certain laxisme
(puisque les toxiques sont rachetés par la banque centrale, en dernier
recourt). Deux réformes sont possibles : d'une part « un
refinancement individualisé par groupe bancaire », afin de rendre
moins anonyme le refinancement des banques auprès de la BCE, et d'autre
part une obligation de réserves obligatoires plus exigeante, notamment
par une diversification des contreparties.
Le taux d'intérêt directeur des banques
centrales a une double fonction, ce qui peut être ambivalent. Selon Adda
(2010), le taux d'intérêt régule à la fois le niveau
d'activité et le coût du refinancement et donc des actifs
financiers. Or les objectifs sont contraires : s'il est nécessaire de
maintenir des taux d'intérêts faibles afin de relancer
l'activité, cela provoque une inflation des prix des actifs sans rapport
avec les fondamentaux de l'économie. La réduction des taux
directeurs en vue de soutenir l'activité a donc un « biais
expansionniste ». Une solution serait d'intégrer la maitrise de
l'inflation financière dans les objectifs des banques centrales. Une
autre consisterait en un dédoublement de la politique monétaire,
en ajoutant à la gestion du taux directeur l'utilisation de la «
détente quantitative »26, qui assurent la
liquidité par un rachat des titres : le taux directeur à la
politique monétaire, et la détente quantitative à la
politique
26 La détente quantitative se décline en une
version active, qui consiste en un rachat par la BCE des titres sur le
marché obligataire, et une version passive, qui propose des prêts
aux banques à taux fixe sur longue période (1 ans).
prudentielle.
Enfin, la fonction de PDR peut favoriser l'apparition de
bulles spéculatives, par la fourniture trop facile et trop importante de
liquidités. Adda précise qu'il peut y avoir un lien entre la
rapide reprise des bourses occidentales (et en particulier l'inflation des
principaux cours, et les indices boursiers qui ont retrouvé leur niveau
d'avant-crise) et les apports de liquidités de la BCE. La réforme
consiste à réguler les apports de liquidités, à et
inciter les banques centrales à évaluer le risque en permanence,
afin de ne pas se laisser prendre de court.
De ces analyses, il ressort que les banques centrales ont un
rôle primordial dans la stabilité du Système Financier
International. Cela étant, elles doivent apprendre à mieux
comprendre et gérer le risque, réguler et évaluer les
apports de liquidités dans leur fonction de PDR, et veiller à
coordonner politique monétaire et politique prudentielle.
Ces changements institutionnels complètent les autres
pistes de réforme établies au cours de cette Partie
I. Nous avons vu les réformes nécessaires dans le
secteur bancaire (et notamment la réglementation prudentielle), qui sont
un premier pas vers la stabilisation du Système Financier International
(1). A cela s'ajoute les règles nouvelles qu'ils
convient d'instaurer, comme les bonus des traders, les agences de notation...
Ensuite, la sous-partie 2 a montré comment construire
la stabilité du Système Financier International. Cela passe par
un encadrement de la titrisation, par une incitation au long-termisme, par une
réglementation des hedge funds, et enfin par une remise en
question de la libre-circulation des capitaux (Taxe Tobin) tout en
régulant les paradis fiscaux. Au cours de ce 3, nous
avons vu qu'elles étaient les évolutions nécessaires afin
d'impulser un changement institutionnel. La stabilité du Système
Financier International nécessite un cadre strict et évolutif,
afin de rendre les réformes possibles et pérennes. En effet,
aucune tentative de régulation ne pourra se faire sans l'aide et la
coordination des grandes institutions de la finance internationale (FMI,
banques centrales).
Il convient désormais d'établir, dans la partie
II de ce mémoire, quelles sont les pistes de réforme du
Système Monétaire International (même si la dichotomie
entre Monétaire et Financier est parfois floue puisque les
réformes sont complémentaires). Les réformes portent sur
les monnaies et leurs interrelations, et notamment les
déséquilibres macroéconomiques liés aux statuts des
monnaies, ainsi que l'ensemble des problématiques liées au
dollar.
II. LA REFONTE DU SYSTEME MONETAIRE INTERNATIONAL
Le Système Monétaire International (SMI) actuel
se caractérise par des déséquilibres, et présente
une forte hétérogénéité des positions des
différents Etats et des différentes monnaies. Les grandes
institutions internationales comme le FMI ont en partie failli a leur objectif
de résorption des déséquilibres macroéconomiques.
Et l'échec du compromis de Bretton-Woods, officiellement en 1976 avec
les accords de la Jamaïque, a instauré un SMI avec des changes
flottants ; une des implications de cela est une distorsion entre les variables
macroéconomiques (balance des paiements) et les variables
monétaires. Or la crise a rappelé le besoin pressant d'avoir un
SMI stable, condition nécessaire à une réforme du
Système Financier International. En effet, les
déséquilibres financiers qui ont conduit à la
dernière crise ne sont bien souvent que le reflet de
déséquilibres macroéconomiques et monétaires. Afin
de saisir les contours du SMI et ses problèmes, il convient de faire un
bref rappel.
Qu'est-ce que le SMI ?
Le SMI est l'organisation, diffuse ou
institutionnalisée, des flux monétaires et des taux de change,
permettant l'échange de biens et de services entre des pays à
devises différentes. Il a évolué au fil du temps,
changeant de méthode de compensation : étalon-or,
étalon-dollar-or, changes flottants... Ainsi, le SMI permet le
financement des échanges internationaux mais également
l'ajustement des balances des paiements nationales. Sans revenir sur l'histoire
du SMI, les principales périodes à connaitre sont :
Le Système de Bretton-Woods (1944-1976), durant
lequel les changes sont fixes, chaque monnaie étant convertible en
dollar à un certain taux fixe mais ajustable, le dollar étant
luimême convertible en or (une once d'or = 35 dollars). Bien qu'ayant
garanti une relative stabilité monétaire internationale, la
confiance dans le dollar est capitale or celle-ci fait défaut à
partir des années 1960 lorsque la balance commerciale américaine
devient déficitaire et que le monde est « inondé » de
dollars.
Le Système actuel ou Nouveau Bretton-Woods
(1976-...), qui peut être qualifié de «semiétalon
dollar» (Aglietta, 2010, p. 6) est en fait un non-système, car il
n'est pas
institutionnalisé en tant que tel : « quelques
monnaies, appartenant aux grand pays développés, sont libres de
fluctuer vis-à-vis du dollar. Toutefois, beaucoup plus de monnaies,
appartenant à des pays émergents, sont liées à la
devise américaine par des régimes de change administré qui
vont des changes fixes au flottement géré ». La
convertibilité n'est pas assuré pour toutes les monnaies.
Quels sont les problèmes du SMI actuel ?
Le SMI est caractérisé par des
déséquilibres macroéconomiques, et est parfois
considéré comme un «Bretton-Woods II» (Dooley,
Folkerts-Landau & Garber, 2003) . Il désigne la façon dont
s'articulent les échanges économiques et la monnaie dans un
contexte de globalisation, y compris financière. Les Etats-Unis et le
dollar sont au coeur de ce système. Il y a des
déséquilibres dans l'allocation des capitaux, et les transferts
d'épargne ne suivent pas forcément une logique économique.
Ainsi le dollar est la principale monnaie internationale. Et cette
faculté permet aux Etats-Unis de financer un fort endettement, notamment
en émettant des dollars sans limite (ils financent ainsi de la dette par
de la dette). Par ailleurs les Etat-Unis entretiennent une relation
d'interdépendance forte avec la Chine, puisque celle-ci, par
l'accumulation de réserves en dollar, finance le déficit
extérieur américain. Par ailleurs, la périphérie
des Etats-Unis (l'Europe et le Japon auparavant, les pays asiatiques
aujourd'hui) maintient des taux de change sous-évalués, ce qui
favorise les exportations au détriment de la demande domestique.
Selon Aglietta (2010), il y a deux principaux
déséquilibres : d'une part le déséquilibre
épargne / investissement (excédent d'épargne dans les pays
émergents, qui finance les déficits courants dans les PDEM,
surtout les Etats-Unis) et «l'explosion de la liquidité [...] des
années 2000», notamment car les marchés financiers ne
régulent pas les excès d'épargne. En conséquence,
le SMI est instable : selon Bénassy-Quéré &
Pisani-Ferry (2009), la volatilité des changes est trop
élevée, il y a une incohérence entre l'économie
réelle et l'économie monétaire, ce qui livre de «
mauvaises incitations ». Les Etats-Unis sont ainsi incités à
l'endettement et à une faible discipline budgétaire, et le reste
du monde est incité à maintenir l'ancrage sur le dollar et
à accumuler des réserves en dollar : la Chine en est la
principale détentrice, au détriment d'investissements
domestiques.
L'ensemble de ces déséquilibres illustrent la
pertinence d'une réforme du SMI. Le moment est opportun, puisque la
dernière crise peut inciter à une réforme de la finance
internationale. Il est donc crucial que le législateur prenne conscience
que l'économie globalisée ne sera pérenne que si
les déséquilibres monétaires, et
mêmes macroéconomiques, sont atténués au maximum.
Non pas par simple phobie de l'inégalité, mais parce que les
sphères financières et monétaires sont intimement
liées, et que les failles de l'une affecte l'autre, augmentant le risque
systémique. Mais le SMI semble avoir une telle inertie et de telles
implications sur les divers attributs des économies nationales que la
réforme est un chantier complexe. Voyons maintenant quelles
peuvent-être les réformes envisageables afin d'entamer une refonte
du SMI.
Il convient de présenter quelles sont les alternatives
possibles au dollar dans son statut de monnaie internationale, et de montrer
ainsi quelles peuvent être les réformes possibles pour construire
un SMI davantage stable. Nous verrons d'abord les problèmes liés
au dollar et la possibilité d'une monnaie supranationale, notamment
l'instrument monétaire des DTS (I). Ensuite, nous présenterons
l'alternative du polycentrisme monétaire (II) ; enfin, nous mettrons en
avant la réforme du SMI par les initiatives régionales (Chiang
Mai, Plan SUCRE) et par une approche institutionnelle des
déséquilibres (III).
1. Remplacer le dollar : la création d'une
monnaie supranationale
«Dollar : fin de règne ?», c'est ainsi que
titrait la Revue d'Economie Financière en 2009 (REF, 2009). Le
système de semi-étalon dollar arriverait-il à bout de
souffle ? Il semble qu'en réalité la monnaie américaine
soit loin de vivre son crépuscule. Le non-système qui
prévaut actuellement est centré sur le dollar, qui est la
principale monnaie de réserve et d'échange. Selon Cartapanis
(2009) une monnaie, pour prétendre au statut de monnaie internationale,
doit satisfaire certaines conditions, et notamment avoir une place importante
(en volume et en valeur) comme unité de compte, moyen d'échange
et réserve de valeur27. Le dollar satisfait l'ensemble des
conditions, puisqu'il représente «près de 65 % des
réserves en devises, contre 25 % pour l'euro, et plus de 60 % au titre
de monnaie d'ancrage ; il intervient dans 86 % des transactions sur le
marché des changes ; il est utilisé au-delà de 50 % pour
la facturation du commerce international. S'agissant de la détention
d'espèces monétaires par les non-résidents, 60 % des
billets verts en circulation se trouvent hors des Etats-Unis, contre
seulement 10 à 20 % pour l'euro» (Cartapanis, 2009). Ainsi,
malgré les instabilités que cela implique, le SMI perdure dans un
statu quo économique et politique centré sur le dollar.
Et l'introduction d'une monnaie supranationale comme réforme du SMI doit
obéir à certains impératifs. Nous verrons dans un premier
temps le statut du dollar et les ajustement
27 Pour en savoir plus sur le statut de monnaie internationale,
voir Krugman (1984).
que cela implique (1), puis nous avancerons l'idée de
la monnaie supranationale (2). Ensuite, nous argumenterons
l'intérêt des DTS et les ambitions possibles (3), et enfin les
conditions de la transition vers un nouveau système (4).
1. Les ajustements et déséquilibres
liés au statut du dollar
Le problème fondamental du SMI actuel est qu'une
monnaie nationale (dollar) est utilisée comme monnaie internationale,
dans les échanges et comme devise de réserve. Selon les points de
vue, le semi-étalon dollar peut refléter soit le sacrifice des
Etats-Unis afin de fournir la devise-clé ou bien l'extension au domaine
monétaire de la suprématie économique et politique des
Etats-Unis. De fait, les relations sont complexes et ambivalentes : le
déficit américain est certes financé par le
«privilège exorbitant» du dollar, mais les Etats-Unis
remplissent une fonction de « pays déficitaire en dernier ressort
», car la consommation des ménages américains
représente une forte part de la consommation mondiale (Rapport Stiglitz
(2009), p.93). Le déficit courant des Etats-Unis « sert » donc
l'économie mondiale. Mais le problème est moins le fait que le
dollar reflète les intérêts américains, que le
statut de devise-clé qu'il revêt et qui implique des
déséquilibres et donc des ajustements, que les Etats-Unis n'ont
pas à porter : « The dollar is our currency but your
problem » (le dollar, c'est notre monnaie, mais votre
problème)28. Comparativement à Bretton-Woods, le
semiétalon dollar actuel n'impose pas de convertibilité-or au
dollar, il n'y a donc pas de mécanisme contraignant qui puisse limiter
l'émission. Ainsi, certaines décisions sont prises de
manière à favoriser « l'unilatéralisme
américain » (Aglietta & Berrebi, 2007, p. 365).
Le statut de devise-clé du dollar impose donc une
réforme du SMI, mais qui doit être prudente. Les Etats-Unis, par
leur fonction de pays déficitaire, ont un rôle crucial dans la
croissance mondiale. Si le dollar perd son statut, et que les Etats-Unis
tentent de dégager un surplus commercial, l'ajustement se fera par une
baisse du revenu mondial (handicapé par le manque de consommation
américaine)29. Et si les Etats-Unis décident de
politiques expansionnistes, cela induira des ajustements des balances courantes
d'autres pays, et se traduira par une hausse de l'inflation. Dans tous les cas,
un abandon du dollar comme devise-clé ou un ajustement des politiques
macroéconomiques américaines se traduiront par un accroissement
des déséquilibres globaux (Rapport Stiglitz (2009), p. 94). Ce
qui ne joue pas dans le sens d'une stabilisation du SMI.
28 J. Connally, secrétaire au Trésor de R. Nixon,
1971-72.
29 Par définition, pour l'économie mondiale, le
commerce international est nécessairement équilibré
(équilibre comptable) : la somme des balances des paiements des pays
déficitaires est égale à la somme des balances des
paiements des pays excédentaires.
La question des réserves en devises est
également cruciale. Les pays asiatiques ont répondu à la
récurrence de crises financières, et notamment la crise asiatique
de 1997-98, par des politiques de constitutions de réserves
monétaires. Or ces réserves sont principalement en dollar, le
Japon et la Chine en étant les principaux détenteurs, pour
plusieurs centaines de milliers de dollar. Selon Mateos y Lago, Duttagupta
& Goyal (2009, p. 6), cette tendance à l'« auto-assurance
», qui prévaut chez la plupart des pays reflète en
théorie le dilemme de Triffin, mais revisité : ainsi la recherche
de la sécurité (maintient d'un taux de change favorable et d'une
capacité de financement adéquate) incite les différentes
économies à demander toujours plus de dollar, et les Etats-Unis,
afin de satisfaire ce besoin, sont contraint à un endettement
élevé. Par enchainement, cela induit une défiance
vis-à-vis du dollar et de la capacité des Etats-Unis à
honorer leurs endettements. Le paradoxe est que le besoin pour
l'économie mondiale d'avoir une devise « fiable » conduit
finalement à une perte de confiance dans cette monnaie. En
résumé, la constitution de réserves en devise peut
obéir à deux logiques :
Une logique de réserves de change : maintenir un taux
de change stable en augmentant la base monétaire (lorsque la Chine
achète des dollars elle vend des yuan et augmente donc la masse
monétaire chinoise, ce qui entretient la confiance envers le yuan et
envers l'économie chinoise) ; par la suite, l'achat massif de dollar est
une manière de s'assurer de la valeur des réserves en dollar.
Une logique commerciale : des réserves en dollar
garantissent une monnaie nationale structurellement sous-évalué,
ce qui favorise les économies asiatiques fortement exportatrices.
Ainsi, la constitution de réserves en devises par les
pays émergents asiatiques est une sorte de prêt aux pays
développés, à des taux d'intérêts faibles
(Rapport Stiglitz (2009), p. 96).
L'analyse du semi-étalon dollar peut être
schématisée, selon P. Berthaud, qui établit que les
déséquilibres ne sont pas uniquement dus au dollar, mais à
une coresponsabilité et au système luimême. Le SMI n'est
donc jamais parvenu à se défaire d'un triangle
d'incompatibilité :
Liquidité internationale
Devise-clé 19è
siècle : déflation Equilibre
courant
D'après : Berthaud, 2008
Ce trilemme, qui rappel le triangle d'incompatibilité
de Mundell, montre qu'il n'est pas possible de satisfaire les trois besoins de
l'économie mondiale en même temps : « le monde doit en
sacrifier totalement ou partiellement une ».
Pour conclure, il apparaît que le dollar a un statut
contestable mais donne le ton au SMI et influe l'ensemble des conditions
économiques mondiales. Les réserves en devises, les
échanges commerciaux ou encore la position commerciale des Etats-Unis
dépendent des fluctuations du dollar. Ainsi la monnaie internationale ne
peut être régulée et réformée sans une
extrême prudence. Et quand bien même elle subirait des
évolutions, celles-ci seraient le reflet de rapports de force
économiques mais surtout politiques. La logique d'une monnaie
supranationale consiste donc en une action sur l'offre monétaire
(substituer au dollar une monnaie supranationale), mais également sur la
demande (diminuer les réserves en devises). Nous verrons ces deux
aspects successivement.
2. L'offre monétaire : instaurer une monnaie
supranationale
L'idée de cette sous-partie est de montrer que la
monnaie supranationale est souvent évoquée, elle semble donc
mener à un consensus ; elle représente un idéal,
représenté sur le triangle évoqué plus haut. La
monnaie supranationale permet de substituer au dollar une nouvelle monnaie
internationale, ce qui modifie l'offre monétaire. En revanche, nous
verrons dans une partie suivante
que pour les tenants du polycentrisme monétaire
(Aglietta, Cohen), la monnaie supranationale est trop délicate à
introduire, et que le SMI devrait tendre vers la cohabitation de plusieurs
monnaies.
La monnaie supranationale n'est pas un concept nouveau,
puisque J. M. Keynes en établit les principes dès 1930 dans A
Treatise on Money. Selon A. Suárez (2001), Keynes préconise
un système d'étalon change-or plutôt qu'étalon-or,
ce qui permettrait d'économiser des quantités d'or mais surtout
d'introduire une monnaie supranationale. Il préconise un système
gagé sur l'or, basé sur des traités entre les banques
centrales, et au dessus desquelles une autorité monétaire
supranationale émettrait une monnaie de crédit,
équivalente à l'or. Sa vision d'un SMI stable, en vue d'atteindre
des performances macroéconomiques élevées, se
concrétiserait par la création de l'Union Internationale de
Compensation (UIC). A la Conférence de Bretton-Woods en 1944, Keynes
présente son plan éponyme, dans lequel ses principales
idées de réforme du SMI sont établies (le plan est
néanmoins refusé au profit du plan White). Apparaît alors
le bancor, monnaie supranationale qui fonctionne comme « véhicule
» des relations monétaires, et non pas comme une «monnaie
pleine». Afin de s'assurer de la stabilité du bancor comme
étalon de valeur et d'avoir des conditions d'émissions souples,
cette monnaie supranationale doit être immatérielle. Keynes pose
ainsi les bases d'un mécanisme monétaire international, dans
lequel une monnaie supranationale côtoierait les autres devises et
servirait de monnaie de compensation.
L'idée d'introduire une monnaie supranationale dans la
réforme du SMI est reprise par le Rapport Stiglitz (2009), qui s'appuie
de manière explicite sur les idées de Keynes. Ce rapport, qui
synthétise le travail de la Commission des Nations-Unies sur la
Réforme du SMI, explique que la crise impose des ajustements
monétaires pour stabiliser les réformes entreprises par ailleurs
au sein du Système Financier International. Le but de la monnaie
supranationale est de résoudre les problèmes liées au
dollar évoqués dans la sous-partie précédente. Une
monnaie internationale qui ne serait pas directement liée à la
position d'une économie nationale (à l'inverse du dollar)
permettrait de mettre fin au biais déflationniste30 en cas de
crise et limiterait les instabilités monétaires. De plus,
maintenir le statut du dollar a un coût pour les Etats-Unis : le
maintient de la parité du dollar exige un déficit courant
augmentant sans cesse pour faire face à la croissance des
échanges en dollar. Introduire une monnaie supranationale permettrait
aux Etats-Unis de maintenir leurs politiques économiques autonomes, sans
compter les bénéfices induit par un SMI plus stable. La
réforme du SMI pourrait donc, dans certains cas, satisfaire les
intérêts américains.
30 Le biais déflationniste est le fait que si les
Etats-Unis n'assument plus leur fonction de pays déficitaire en dernier
ressort, le manque à gagner pour l'économie mondiale (baisse de
la consommation américaine) se traduirait par une déflation
globale.
Une monnaie supranationale permettrait de limiter la
volatilité des monnaies, qui subiraient dès lors moins de
fluctuations sur le marché des changes. Et le besoin de constituer des
réserves en devises (par exemple en réponse aux
instabilités des marchés) pourrait être libellé en
monnaie supranationale, ce qui limiterait les tensions et les
déséquilibres. Ainsi les Etats-Unis se verraient obliger de
contenir leur dette, et la valeur de la monnaie supranationale serait
indépendante des variables macroéconomiques d'un pays. Le point
important est donc la déconnexion entre la deviseclé
internationale (qui serait désormais supranationale) et la position
économique d'un pays.
Selon Z. Xiaochuan (2009), la monnaie supranationale
évite effectivement le risque inhérent à une monnaie dont
la valeur est liée à la solvabilité d'un seul pays ; mais
elle permet également une gestion globale de la liquidité. De
plus, si la monnaie supranationale est gérée par une institution
de rang mondial (de type FMI), les liquidités comme les changes pourront
être « crées » et régulés de
manière coordonnée. Le statut du dollar serait modifié :
ce ne serait plus un étalon de mesure du commerce international, ni
même une valeur de référence pour les autres monnaies (or
le dollar est aujourd'hui la monnaie pivot). Ces évolutions imposeraient
aux Etats-Unis une politique de taux de change plus efficace en vue d'ajuster
leurs déséquilibres macroéconomiques. Pour l'auteur, cela
induirait plus de stabilité à long terme pour le SMI, qui
deviendrait géré par et pour l'intérêt global des
nations. La monnaie supranationale pourrait effectuer une sorte de lissage des
rapports de force31.
En résumé, la monnaie supranationale met fin au
triangle d'incompatibilité évoqué
précédemment : en renonçant à la devise-clé,
elle permet de fournir la liquidité internationale simultanément
à l'équilibre courant. L'introduction d'une devise-clé
internationale pourrait oeuvrer en faveur de la stabilisation du SMI. Ainsi la
monnaie internationale, c'est-à-dire permettant de satisfaire les
échanges mais également servant d'étalon de valeur,
présente l'avantage de ne pas être la devise d'un pays en
particulier. Elle représente les intérêts globaux, et sa
position de change sur les marchés ne dépend pas de la situation
macroéconomique d'un seul pays. La monnaie internationale ne supprime
pas les devises nationales, elle les déplace. Elle agit en guise de
monnaie de compensation, afin de solder les positions commerciales et
monétaires des différents pays. Les devises nationales demeurent
pour les échanges domestiques. Par son caractère institutionnel
et désengagé de toute nation, la monnaie supranationale devrait
« rationaliser » le SMI : les taux de change seraient le reflet des
variables macroéconomiques, et la gestion de l'épargne (y compris
les
31 Il convient de noter que Z. Xiaochuan est le gouverneur de
la People's Bank of China, et que son discours est assez critique
vis-à-vis du dollar bien que n'étant jamais cité
explicitement. C'est une des raisons qui explique son appel pour une monnaie
internationale à la place du dollar.
réserves monétaire) serait optimisée.
Enfin la monnaie supranationale mettrait fin au dilemme de Triffin, puisque la
confiance dans celle-ci ne dépend plus du déficit courant d'un
pays : la valeur sur le long terme serait davantage stable, ce qui permet des
prévisions et construit in fine un SMI
équilibré.
Ceci étant, les rigidités du SMI actuel et les
difficultés liées à l'introduction d'une monnaie
supranationale sont nombreuses. Empiriquement est apparue l'inertie dans
l'utilisation d'une monnaie internationale (phénomènes
d'hystérésis) : en effet, près d'un demi-siècle
après que le Royaume-Uni ait perdu son statut de puissance
économique mondial (depuis la fin de la Première Guerre
Mondiale), la livre sterling demeurait la principale monnaie internationale
(Cohen, 1971). La monnaie reflète des intérêts
politico-économiques complexes. Les Etats-Unis semblent
bénéficier des avantages que leur procure le dollar en tant que
devise-clé internationale. Aussi, toute réforme du SMI visant
à introduire une monnaie supranationale requiert une mise en avant de
l'intérêt général (la stabilité du SMI comme
bien public) et un dépassement de la préférence nationale.
C'est pour cela qu'est avancée l'idée des Droits de Tirage
Spéciaux (DTS), qui pourraient jouer le rôle de monnaie
supranationale.
3. Les DTS : une étape nécessaire vers la
réforme du SMI
Nous avons vu précédemment que la monnaie
supranationale doit répondre à un doubleobjectif : agir sur
l'offre monétaire et sur la demande. L'action sur l'offre suggère
l'introduction d'une monnaie supranationale. Or les difficultés
évoquées amènent à revoir les ambitions, et la
réforme du SMI pourrait se faire par étapes, en se servant des
DTS. Ceux-ci présentent l'avantage d'une action sur l'offre et sur la
demande monétaire. En effet, si les banques centrales peuvent
acquérir des DTS, cela diminue mécaniquement le besoin de
constituer des réserves en devises, et notamment en dollar. Par la
suite, les DTS pourraient progressivement ouvrir la voie à une monnaie
supranationale (DTS ou autre), et ainsi offrir à l'économie
mondiale une nouvelle monnaie. La réforme du SMI serait alors
institutionnalisée, en donnant un rôle prépondérant
au FMI. Mais les DTS ne sont pas une monnaie au sens strict ( cf. Tableau 2) :
c'est plutôt un instrument de réserve, une sorte de prêt en
dernier ressort. Le principal avantage est que les DTS existe
déjà, et sont acceptés par les principales
économies en tant qu'instrument monétaire. Cela semble donc plus
facile de se servir de cette « quasi-monnaie internationale » (S.
Moatti, 2010), afin de donner un ancrage concret aux théories de la
monnaie supranationale.
Tableau 4: Les Droits de Tirage Spéciaux
Le DTS est un «instrument de réserve international
crée en 1969 pour compléter les réserves
officielles existantes des pays membres» du FMI. Les DTS
sont échangeables contre des devises librement utilisables. Ils ont
été introduit afin de soutenir le système de
parités fixes de Bretton-Woods.
Dans ce système, la valeur des monnaies était
gagée sur les avoirs en or des différentes banques
centrales. Et, devant les besoins croissants en
liquidité du fait de l'expansion du commerce international, les
principales économies n'ont plus été en mesure de
maintenir la parité de leurs monnaies. Des allocations de DTS ont
été introduit pour pouvoir constituer des réserves et
rétablir une confiance dans les monnaies.
Les DTS sont aloués en fonction de la quote-part au FMI
de chacun des pays membres. Ils donnent
droit à des avoirs sans frais. Si un pays détient
plus de DTS que son allocation de base, cela donne droit à des
intérêts. A l'inverse, un déficit de DTS implique le
paiement d'intérêts.
La valeur des DTS est déterminée par un panier de
quatre monnaies : le dollar, l'euro, le yen et la livre
sterling. Leur part respective est pondérée par le
poids des différentes devises dans les échanges internationaux et
les transactions financières. En mai 2010, le cours du DTS est : 1 DTS =
1,18 EUR.
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Le Rapport Stiglitz évoque la possibilité de
transférer la responsabilité de la gestion de la monnaie
supranationale au FMI (2009, pp. 92-102). Mais il pointe également une
alternative : créer une nouvelle institution, la « Banque de
Réserve Mondiale » (Global Reserve Bank), qui aurait pour
mission la régulation du système de réserves des
différentes économies mondiales, mais également la gestion
de la monnaie supranationale. Toutefois, nous l'avons vu, les DTS forment
l'alternative la plus probable. Et le FMI continue de refléter les
intérêts des principales économies occidentales (en premier
lieu les Etats-Unis), ce qui semble pencher vers son maintien en tant
qu'institution en charge de la stabilité monétaire et
financière internationale. En ce qui concerne la mise en oeuvre de la
monnaie supranationale, deux propositions sont établies :
Renoncer aux monnaies nationales. Il s'agit d'introduire une
nouvelle monnaie, les Certificats Monétaires Internationaux («
International Currency Certificates »), incarnés
éventuellement par les DTS. Cela se ferait sur le même
modèle que les quotas du FMI, qui sont déjà en vigueur ;
cette proposition équivaut à un système de « swaps
» mondiaux entre les différentes banques centrales et les
différentes devises. La valeur de cette monnaie serait similaire aux
DTS, c'est-à-dire basée sur un panier de monnaies,
pondéré par leur poids dans l'économie
mondiale.
Etablir les DTS en parallèle des monnaies nationales.
Ils auraient le statut de « monnaie globale » (global
currency), et seraient alloués par le FMI. Il n'y aurait aucune
garantie spécifique, hormis l'assurance que les banques centrales
acceptent les DTS comme une monnaie internationale, et les échangent
contre leurs devises respectives. Mais il est envisageable que
l'émission de DTS soit gagée par des dépôts
auprès du FMI (ou de la Banque de Réserve Mondiale), et que cette
institution monétaire internationale soit autorisée à
acheter des bons du Trésor des pays membres. Dans ce cas, les DTS en
tant que nouvelle devise internationale auraient la même garantie et
confiance qu'ont les devises nationales grâce aux avoirs détenus
pas les banques centrales.
Quel que soit le schéma choisit, l'introduction des
DTS comme « monnaie globale » permettrait d'assurer une certaine
stabilité dans les échanges commerciaux mais également
dans les stratégies de réserve des différentes
économies. Toujours d'après le Rapport Stiglitz, l'objectif est
que les pays concernés par la constitution de fortes réserves
(principalement les pays asiatiques, cf. I.1.) substituent des DTS à une
partie de leur réserves en devises traditionnelles, au premier rang
desquelles le dollar. Cette détention de « monnaie globale »
donnerait droit à un paiement d'intérêt par l'institution
en charge de l'émission (le FMI si ce sont les DTS). Par ailleurs, il
est envisageable de pouvoir administrer les taux de change de manière
à réguler le SMI et éviter que les ajustements d'un pays
affecte la position de change d'un autre ; c'est en outre un des objectifs du
FMI actuel. Les fluctuations des principales monnaies se verraient
harmonisées entre elles et avec la « monnaie globale » : ceci
toujours dans la perspective de rendre le SMI davantage stable. La principale
utilité d'une telle monnaie incarnée par les DTS est que la
« diversification des monnaies pourrait générer plus de
stabilité dans la valeur des réserves » et, par là,
plus de stabilité parmi les principales variables monétaires
(changes, épargnes, politiques monétaires...).
Le renforcement du rôle des DTS est également
prôné par d'autres auteurs. Selon M. Aglietta (2010), les DTS sont
susceptibles de réformer le SMI en imposant une gestion des
réserves de change. En effet, nous avons vu que ce sont les principaux
vecteurs d'instabilité. Le DTS pourrait se substituer au dollar dans les
réserves de changes des pays asiatiques, limitant de facto les
déséquilibres dus au semi-étalon dollar actuel. Ensuite,
l'allocation de DTS par le FMI réduirait le besoin de réserves,
puisque cette forme de prêt en dernier ressort pourrait rassurer les pays
dont le taux de change est instable : en ces temps de crise, cela limiterait
l'instabilité monétaire internationale. Enfin, les DTS devraient
être couplés à la création d'un « compte de
substitution ».
L'idée d'un tel compte est de proposer des obligations
en DTS aux pays émergents et en développement, en contrepartie de
dépôts en dollar. Cela permet de « faciliter la
diversification des réserves en dehors des marchés des changes
». Le risque de change est ainsi transféré au
détenteur du compte de substitution, et peut être
éliminé en changeant les dollars contre des avoirs dans les
quatre principales monnaies du DTS, dans leurs parts respectives.
En résumé, les DTS sont une « solution de
transition » (Bénassy-Quéré & Pisani-Ferry,
2009). Crées à l'origine par peur d'un manque de
liquidités internationales (qui est une menace sur la
convertibilité du dollar), ils sont aujourd'hui une solution à un
surplus de liquidités. Nous avons vu que les DTS pourraient impulser une
réforme du SMI en endossant le rôle de « monnaie globale
». Ce statut, qui se rapproche de celui de la monnaie supranationale et du
bancor de Keynes, produirait une régulation des principaux facteurs
d'instabilité à l'oeuvre actuellement. Les DTS peuvent ainsi agir
sur la demande, en devenant la devise de réserve internationale, ce qui
pourrait contenter les pays émergents et en développement, qui
doivent se prémunir du risque par la constitution de réserves de
change. Et cela peut être une transition vers une nouvelle offre
monétaire, si le DTS acquiert le statut de monnaie internationale. Par
ailleurs, nous avons vu que les DTS peuvent soit supplanter les devises
nationales soit devenir une monnaie globale qui côtoie les autres
devises, à la manière du bancor. Si le rôle de monnaie
globale leur est conféré, les DTS permettraient la gestion et la
régulation des changes, car ils sont diversifiés et
institutionnalisés (par le FMI dans leur forme actuelle). Ceci
étant, la mise en oeuvre concrète des DTS requiert des
changements et des adaptations.
4. La transition vers un nouveau système
Nous avons vu qu'une monnaie supranationale est
nécessaire à une réforme en profondeur du SMI. Celle-ci
peut prendre la forme des DTS, qui seraient une transition vers un nouveau SMI.
L'objectif est alors de jouer sur l'offre et la demande de monnaie
internationale, et de substituer peu à peu les DTS au dollar dans la
constitution de réserves de change. Mais la gestion des taux de change,
et l'harmonisation des flux monétaires nécessitent des
adaptations.
En premier lieu, il apparaît dans le Rapport Stiglitz que
le SMI peut adopter une nouvelle monnaie de réserve de deux
manière :
Approfondir le système des DTS tel qu'il existe
aujourd'hui. Cela consiste à maintenir
les accords qui prévalent déjà, et de
rendre l'allocation des DTS « automatique et régulière
». Les émissions effectueraient une sorte de lissage annuelle des
réserves : chaque année, les dotations de DTS
équivaudraient au surplus annuel de réserves de change
demandé, dû à la croissance de l'économie
mondiale.
Adopter les DTS, mais avec une visée contracyclique.
Le rapport reprend ici l'idée de J. Polack selon laquelle il faut
fournir les liquidités en période de crise, par
l'intermédiaire de prêts en DTS. Le financement intervient que
lorsqu'il est nécessaire, en phase de récession par exemple, et
agit ainsi comme la fonction de prêteur en dernier ressort des banques
centrales.
Il semble que la deuxième solution soit la plus
ambitieuse, mais également la plus délicate à mettre en
oeuvre. En effet, une allocation de DTS contracyclique est « le meilleur
mécanisme de financement de la liquidité mondiale » : cela
assurerait une régulation de la liquidité efficace et stable,
évitant ainsi les déséquilibres. Par ailleurs, selon les
auteurs du rapport, cela peut permettre de soutenir les pays en
développement au cours des situations de crise
financière32. Plus encore, cela pose la question de la
répartition des DTS, autrement dit des quotas du FMI.
Le système des quotas du FMI doit être
réformé, comme nous l'avons vu précédemment (Partie
I, III, 1.). La réforme des quotas envisagée jusqu'à
présent semble loin de l'équité. Le Rapport Stiglitz
préconise que les DTS inutilisés par les pays
industrialisés soient transformés en prêt aux pays en
développement. Le FMI pourrait élargir ses attributs, et devenir
ainsi un acteur important du développement des pays du Sud. Mais
l'allocation des DTS ne règle en rien les problèmes liés
aux déséquilibres macroéconomiques dans les pays en
développement. Il serait judicieux d'augmenter les lignes de
crédit du FMI envers les pays les plus nécessiteux, et les DTS
pourraient être l'outil adéquat. Cela contribuerait à
assoir les DTS en tant que monnaie de réserve internationale, et comme
instrument privilégié du rééquilibrage du SMI.
Selon M. Aglietta (2010, pp. 20-21), le renforcement
souhaitable des DTS doit prendre en compte les erreurs passées. Ainsi la
« proposition de 1980 » en est un exemple. Dans les années
1970 et dans un contexte post-Bretton-Woods, les principales monnaies
européennes subissaient la dépréciation du dollar. Afin de
maintenir la parité de leurs monnaies, les pays européens
accumulaient des réserves en dollar. Et l'instrument des DTS a
été proposé en vue de diversifier
32 Les pays en développement subissent, lors d'une
crise financière d'ampleur, de considérables mouvements de
rapatriements de capitaux et cela malgé leur dynamisme
économique. C'est une des raisons évoquées par le G20 lors
de la dernière allocation de DTS (Rapport Stiglitz, p.100).
leur portefeuille de réserves, conformément
à la théorie financière qui prône la diversification
afin de réduire le risque de change. Or trois principales
difficultés sont apparues, qui peuvent enseigner sur la démarche
à suivre aujourd'hui. La première est que le DTS
présentait « une alternative à un système
dominé par le dollar tant qu'un système multidevise
n'était pas disponible ». Ainsi l'équilibre était
précaire. Ensuite, les DTS ont été alloué en trop
faible quantité et à des taux peu intéressants. La faible
liquidité du DTS ne permettait pas de prises de position rapides, or
c'est l'un des attributs d'une monnaie internationale : si le DTS veut endosser
ce rôle, la question de la liquidité des placements doit
être optimisée. Enfin, le risque de change inhérent au DTS
s'il n'est pas supporté par le FMI, le sera par les banques centrales,
annihilant ainsi l'effet de stabilisation. L'ensemble des ces
difficultés à conduit à l'abandon de l'idée d'une
allocation de DTS en 1980. Ceci étant, l'auteur précise que ces
difficultés sont facilement surmontables, et que les réformes
nécessaires découlent naturellement du constat des
difficultés.
En conclusion, nous avons établi dans cette
sous-partie qu'elles étaient les conditions préalables à
une réforme du SMI. Il s'agit de modifier les procédures
d'allocation de DTS au sein du FMI, mais également de rectifier les
quotes-parts, afin d'accorder plus de poids aux pays en développement,
mais aussi et surtout aux pays émergents (les fameux BRIC :
Brésil, Russie, Inde, Chine), qui tiennent une place croissante dans les
échanges monétaires et commerciaux internationaux. Au
delà, une réforme du SMI devra trancher entre d'une part la mise
en place a minima politiquement acceptable (le renforcement des DTS
tels quels) et l'utilisation des DTS en tant que monnaie de réserve
internationale, avec des allocations contracycliques. Seule la deuxième
hypothèse présage une réforme en profondeur du SMI.
Néanmoins, si la finalité est de tendre vers l'introduction d'une
monnaie supranationale (de réserve et d'échange), le renforcement
des DTS peut être considéré comme une première
étape qui peut augurer de plus grandes ambitions.
Au cours de cette partie, nous avons présenté
les différentes pistes de réforme possibles pour mettre fin au
statut hégémonique du dollar. Celui-ci reflète le statut
de leadership économique et politique des Etats-Unis. Cependant, le
système de semi-étalon dollar, dans lequel évolue
l'économie mondialisée, présente de nombreux
déséquilibres. Ainsi la constitution de réserves de change
au sein des économies émergentes est facteur
d'instabilité, et provoque un détournement d'épargne (avec
de forts coûts sociaux). Les déséquilibres
monétaires sont en outre reliés à des
déséquilibres macroéconomiques, et notamment la relation
ambivalente Etats-Unis / Chine. Le principal problème est donc que c'est
une monnaie nationale qui sert de devise-clé internationale.
L'idée principale que nous avons développé
est qu'une monnaie supranationale pourrait
résoudre certains des problèmes, et mettre fin
au dilemme de Triffin, ainsi qu'au trilemme représenté plus haut
(Berthaud). Celle-ci se base sur les travaux de Keynes et du bancor. La
principale monnaie internationale serait ainsi déconnectée de
l'unique position macroéconomique d'un pays. Mais la difficulté
de mise en place conduit les auteurs du Rapport Stiglitz à promouvoir
les DTS. Selon la déclinaison qu'ils revêtiraient, ceux-ci peuvent
se substituer au dollar dans les réserves de change et ainsi ouvrir la
voie à une monnaie supranationale. Les DTS se verraient chargés
de ce statut, et leur allocation par le FMI permettrait de solder les positions
monétaires des différents pays de manière
équilibrée, tout en permettant une gestion des taux de change
davantage harmonisée. Enfin, nous avons pointé le fait qu'une
telle réforme du SMI exige des transitions qui peuvent s'avérer
délicates. Le FMI doit revoir sa détermination des quotes-parts,
en accordant plus de poids aux pays en développement. En outre, cela
pose une ambiguïté, celle de la faisabilité politique d'une
monnaie supranationale.
Mais la position consensuelle sur le DTS est en fait
trompeuse. Certains auteurs présagent d'un SMI qui serait
polarisé autour de plusieurs grandes monnaies, ou régions
monétaires. C'est cette idée d'un polycentrisme monétaire
que nous développerons dans la partie suivante.
Par ailleurs, le schéma page suivante résume ce
que nous venons de voir sur la monnaie supranationale.
Problèmes liés à la devise-clé
: le semi-étalon dollar
Instaurer une Monnaie supranationale
La réforme du SMI : monnaie
supranationale
et DTS
Action sur l'offre monétaire
Créer une nouvelle monnaie internationale
Action sur la demande monétaire
OU
Promouvoir les Droits de Tirages Spéciaux
Version forte :
Renoncer aux monnaies nationales
Version faible :
DTS et monnaies nationales
Approfondir les DTS tels quels
Adopter des DTS renouvelés : visée
contracyclique et allocations harmonisées
L'une des principales évolutions du SMI au cours du
XXe siècle est l'avènement du dollar au rang de
devise-clé internationale. En effet, la livre sterling était
auparavant la principale monnaie de réserve et d'échange. Mais la
Première Guerre Mondiale met fin au statut de première puissance
économique du Royaume-Uni. Il faut cependant attendre 1944 et la
conférence de Bretton-Woods pour voir le dollar dominer l'ensemble du
SMI. Les déséquilibres découlant du semi-étalon
dollar ont été présenté plus haut, et il
apparaît nécessaire de les corriger puisque cela est
générateur de coûts en terme de stabilité
monétaire. La crise des subprimes a ainsi
révélé les déséquilibres financiers, et
l'hétérogénéité du SMI. Ceci étant,
un consensus semble se dégager sur le fait que le dollar perd en
confiance et pourrait être une monnaie en déclin. Pourtant, le
dollar n'a pas été fragilisé par la crise, son
succès a même été prégnant, puisque le dollar
est une valeur refuge en phase d'incertitude. Au delà, c'est le statut
hégémonique de la devise-clé internationale qui est remis
en question. Si le dollar venait à décliner, par quoi serait-il
remplacé ?
Nous allons montrer dans cette sous-partie que le
déclin d'une monnaie ne garantie pas forcément l'ascension d'une
autre. Au contraire, pour certains auteurs, le SMI semble tendre vers un
polycentrisme monétaire, avec la cohabitation de trois ou quatre
monnaies principales. Cette thèse du polycentrisme n'est pas une
réforme du SMI proprement dite. C'est plutôt une évolution
que certains jugent inéluctable, et qui pourrait se
révéler bénéfique pour la stabilité
monétaire internationale. Ce ne sont donc pas des pistes de
réforme que nous verrons, mais plutôt une toponymie des
évolutions possibles et souhaitables du SMI selon les auteurs tenant du
polycentrisme.
Pour B. J. Cohen (2009), il est admis que le dollar devrait
à long terme décliner. Le « règne sans partage du
dollar » va prendre fin. Mais quel peuvent être ses concurrents ? Il
se peut que ce soit une des grandes monnaies qui prévalent actuellement,
à savoir l'euro, le yen ou encore le yuan. Mais l'idée des DTS
prend peu à peu de l'ampleur, comme nous l'avons vu
précédemment, et ceuxci pourraient ainsi prétendre devenir
une monnaie de réserve internationale. Selon l'auteur, « aucune de
ces solutions n'est idéale », mais la situation la plus probable
serait une sorte de pis-aller, à l'instar de celui qui s'est
établie pendant la période de l'entre-deux guerres. A
l'époque, la livre sterling était en déclin et le dollar
n'avait pas encore son statut de devise-clé. Dans un futur proche, il
est donc probable que plusieurs monnaies cohabitent, et les changements qui en
découlent peuvent être analysés à travers
l'économie politique.
Si le SMI s'oriente vers plusieurs zones de puissance
monétaire, ce seront des monnaies nationales utilisées en tant
que monnaies internationales. Mais les problèmes évoqués
plus haut sont reliés au fait qu'une seule monnaie est la
devise-clé. Si ce pouvoir est partagé entre plusieurs monnaies,
le biais déflationniste et le dilemme de Triffin devraient
disparaître. Cependant, une problématique demeure : comment
intégrer le fait que le commerce et l'investissement, qui sont
résolument internationaux, s'appuient sur des monnaies nationales,
émises par des gouvernements nationaux ? Il y a là un
décalage entre la nature domestique de l'émetteur des grandes
monnaies et l'aspect global de leur usage. L'auteur pointe là le
déficit de gouvernance mondiale et plaide en faveur d'une «
cogestion internationale » du SMI (Aglietta, 2010). Voyons maintenant
pourquoi l'euro n'est pas en mesure de détrôner le dollar.
Bien que l'Union Européenne présente le
même poids que les Etats-Unis en terme de production et de commerce,
l'euro peine à trouver son chemin, plus de dix ans après sa
création. Selon Cohen (2010), l'euro a pourtant les qualités qui
pourraient lui permettre de devenir une monnaie internationale : « large
assise économique, stabilité politique et taux d'inflation faible
». Mais il présenteraient de trop forts inconvénients.
L'euro est relié à la politique monétaire de la BCE,
réputée pour sa lutte contre l'inflation efficace mais trop
restrictive, et donc faiblement porteuse de croissance. Ceci donne une «
image » monétaire et budgétaire des membres de la zone euro
peu dynamique, ce qui rend l'euro peu attractif. Par ailleurs, les failles de
la gouvernance européenne sont clairement présentes. La crise de
la dette grecque du printemps 2010 vient amplement étayer ce point de
vue. En effet, comment faire confiance à l'euro si la zone euro ne
soutient que timidement ses membres, et quand des menaces d'implosion de la
zone planent sans cesse sur les marchés financiers ?
En résumé, l'euro reste avant tout une monnaie
régionale. Dans l'échiquier monétaire il a atteint le
statut de deuxième monnaie internationale, ce qui semble être le
minimum étant donné que c'était déjà le
palmarès du deutschemark, son prédécesseur. Aussi, selon
une étude de Frankel cité par l'auteur, l'euro pourrait devenir
la principale monnaie internationale en seulement dix ans, si la zone euro se
dote d'un poids politique conséquent, ce qui est la voie à suivre
d'après Cohen. L'euro pourrait devenir une alternative au dollar, sans
jamais accéder au statut actuel du dollar. La devise européenne
deviendrait une des grandes monnaies internationales, rejoignant ainsi la
thèse du polycentrisme. Mais qu'en est-il des autres monnaies ?
Au cours des dernières années se sont
développées des zone économiques régionales, qui
prennent une ampleur croissante. Cela touche le domaine commercial avec la
multiplication des
accords commerciaux régionaux et des processus
d'intégration régionaux. Mais également le domaine
monétaire, puisque Bénassy-Quéré & Pisani-Ferry
(2009) précise que le yen a entamé un processus
d'internationalisation, et le Japon abandonne ainsi sa fidélité
au dollar. De même, la Chine ouvre peu à peu son compte financier,
et cherche à promouvoir le yuan dans les paiements internationaux. Par
ailleurs la Chine est le principal artisan du retour sur le devant de la
scène des DTS. En outre, il convient de citer l'initiative Chiang Mai,
que nous aborderons plus tard. Ceci étant, l'intégration
financière est plutôt limitée en Asie, ce qui semble
limiter les possibilités du yen et du yuan de devenir autre chose que
des monnaies régionales, dans un monde multipolaire. En outre, comment
la Chine peut-elle prôner une restructuration du SMI alors que sa
croissance est basée sur la relation ambivalent qu'elle entretient avec
les Etats-Unis ?
Il apparaît que l'euro, et a fortiori les
autres devises, ne peuvent remplacer le dollar dans son statut de
devise-clé internationale. Cela est dû à la forte
préférence pour le dollar33, à l'effet
d'hystérésis qui le caractérise mais surtout aux
intérêts qu'il procure aux Etats-Unis. Ainsi, le polycentrisme
monétaire semble être le scénario le plus probable,
d'après les auteurs évoqués. Nous avons vu que le
déclin du dollar, bien qu'étant fort probable à long
terme, ne veut pas dire qu'une autre monnaie peut et doit le remplacer. De
plus, le régime de croissance des Etats-Unis est basé largement
sur le statut du dollar et les déficits commerciaux qu'il permet.
Même si la puissance chinoise semble émerger depuis une vingtaine
d'année, celle-ci demeure liée aux Etats-Unis par la relation
déjà évoquée. Les Etats-Unis n'abandonneront pas
leur rôle de première puissance économique pour la seule
stabilité du SMI.
Ce qui amène à conclure que le polycentrisme
monétaire n'est pas une réforme du SMI qu'il convient ou non de
mettre en oeuvre, mais plutôt l'évolution probable des prochaines
années, compte tenu des rapports de force au sein du SMI et de
l'économie globalisée. Et l'Histoire semble donner raison
à cette hypothèse. Selon Chavagneux (2010), depuis le
début du XXe siècle, « la domination d'une
monnaie, comme celle du dollar, relève d'une situation atypique ».
Avant la Première Guerre Mondiale, le SMI était certes
dominé par la livre sterling mais le franc jouait un rôle
important. De même, nous avons vu que pendant l'entre-deux guerres, la
livre sterling cohabitait avec le dollar. Ainsi, la présence de
plusieurs monnaies qui gravitent l'une autour de l'autre, avec le dollar comme
leader et l'euro comme suiveur, semble être un « retour à la
norme historique ». Le polycentrisme monétaire serait une
alternative sérieuse, puisque la domination d'une seule monnaie tend
à affaiblir le leadership de son émetteur.
33 La prégnance du dollar se retrouve même au sein
de la zone euro, puisque lorsque Airbus vend un avion à Air France, le
contrat est libellé en dollar !
En résumé de cette partie, il apparaît
que le polycentrisme est une évolution possible du SMI. Cela
présente l'avantage d'une répartition des forces
monétaires, en particulier l'euro qui peut représenter un
contre-pouvoir si l' UE se dote d'un poids politique. En outre, aucune monnaie
ne semble en mesure d'adopter le statut de devise-clé internationale, ce
qui soutient l'idée que le SMI va tendre vers un monde multipolaire,
dans lequel trois ou quatre grandes monnaies apporteront les liquidités
nécessaires aux échanges et aux réserves de change
mondiales. A cela il faut ajouter le « candidat de l'ombre » (Cohen,
2009), les DTS, qui peuvent être une des monnaies de réserves au
sein du polycentrisme, si leur usage se développe.
Nous avons vu précédemment que la monnaie
supranationale peut résoudre le trilemme du SMI, puisqu'elle permet, en
sacrifiant la devise-clé, de fournir la liquidité internationale
simultanément à l'équilibre courant. Mais, selon Berthaud
(2008), l'échec de Keynes en 1944 montre la difficulté à
introduire une telle solution. Et, la situation de la devise-clé
n'explique pas toutes les failles du SMI actuel. Les Etats-Unis semblent
bénéficier de certains intérêts du dollar mais, bien
que celui-ci s'essouffle, aucune autre puissance monétaire ne peut
prétendre à ce statut. Le SMI présente donc des
problématiques relevant de l'Economie Politique Internationale (EPI). En
effet, nous avons vu que les puissances monétaires reflètent des
puissances politiques, et que la logique économique est loin
d'être la seule à l'oeuvre.
Le polycentrisme comme alternative semble donc probable,
compte tenu des rapports de force internationaux. Il reflète un «
juste milieu entre le charme de l'utopie constituée (la monnaie
supranationale) et le spectre de la poursuite d'un régime de
devise-clé unique » (Berthaud, 2008). Le polycentrisme
monétaire fait référence au « polycentrisme
commercial » (trois pôles de flux d'échanges au sein de la
Triade) et permet la dispersion de « la contrainte de l'équilibre
et de l'ajustement ».
Nous allons voir dans une dernière partie que la
réforme du SMI est envisageable par étapes successives et
inductives, à la manière d'un jeu de domino. En effet des
initiatives monétaires régionales apparaissent, et l'idée
d'un rééquilibrage institutionnel est mise en avant.
3. La réforme du SMI par les initiatives
régionales.
Les tentatives de construction d'un SMI semblent se heurter
à un dilemme : privilégier une réforme globale, efficace
mais peu probable, ou construire des initiatives régionales beaucoup
plus
modestes mais directement concrétisables. Tel est
l'état actuel des réformes de l'architecture monétaire
internationale. Nous avons vu que l'idéal de la monnaie supranationale
est justifié car il permet de résoudre les
incompatibilités entre les monnaies et incite à un
rééquilibrage macroéconomique. Cependant, la monnaie
supranationale se heurte à de profondes rigidités. Le SMI
pourrait probablement se diriger vers un polycentrisme monétaire, dans
lequel plusieurs monnaies cohabitent, sans leadership. Mais, ce que nous avons
vu précédemment est l'évolution vers un polycentrisme
monétaire compte tenu des monnaies existantes, auxquelles peuvent
être ajouter les DTS. Par contre, l'idée de cette partie est de
rendre compte des initiatives régionales, qui se dressent en
réponse au manque de solutions concertées. Elles impliquent la
création de nouvelles institutions régionales, d'une nouvelle
monnaie (Plan SUCRE) ou encore d'intégration régionales
approfondies (Initiative Chiang Mai). L'émergence de ces alternatives
est une autre face de la multipolarisation du monde, dans le domaine commercial
mais également monétaire. Et le fait que ces réformes
proviennent d'Amérique du Sud et d'Asie du Sud-Est est
révélateur de nouveaux rapports de force.
Nous verrons en premier lieu l'initiative
sud-américaine de construire une nouvelle architecture financière
régionale, mais aussi l'Initiative Chiang Mai (1), puis l'idée
d'un rééquilibrage institutionnel des relations monétaires
(2).
1. Des alternatives régionales pour une refonte du
SMI globale
Les déséquilibres et ajustements liés au
dollar pèsent, comme nous l'avons vu, sur l'ensemble de
l'économie mondialisée. Or, étant donné qu'aucune
monnaie semble à même de prendre la place du dollar, les
initiatives régionales pourraient être l'impulsion vers un SMI
plus stable. Dans une certaine mesure, l'euro peut être
considéré comme une alternative régionale. Mais
l'idée que nous allons développer est la réponse de pays
du Sud à l'instabilité monétaire, notamment en tentant de
créer des forces régionales. Il s'agit donc de propositions de
réformes monétaires et financières, issues et
concrétisées dans des zones économiques
régionales.
Dans cette perspective, l'Amérique du Sud se dirige
vers la construction d'une Nouvelle Architecture Financière
Régionale (NAFR), en réponse aux tentatives de construction d'une
Nouvelle Architecture Financière Internationale (NAFI). La principale
raison pour laquelle les pays sud-américains impulsent ce
régionalisme monétaire est le besoin de protection face aux
crises. Selon Ponsot & Rochon (2010), les pays en développement ont
subi de sévères crises financières,
ce qui a affaibli leurs économies déjà
fragiles. Et les apparentes faiblesses du semi-étalon dollar affectent
les pays en développement. Les pays d'Amérique du Sud favorisent
donc une approche régionale afin de dépasser les problèmes
monétaires et financiers. Celle-ci se concrétise par deux
constructions : la première, financière, se traduit par la
création de la Banque du Sud (Banco del Sur) ; la seconde,
monétaire, est le Plan SUCRE, une nouvelle monnaie commune dans une
perspective d'intégration monétaire régionale (vers une
NAFR).
La Banque du Sud est une institution financière
créée à l'initiative du président
vénézuelien H. Chavez et inaugurée officiellement en
novembre 2008. D'après Ponsot & Rochon (2010), cette banque a le
soutien de l'Argentine, Brésil, Bolivie, Equateur, Paraguay, Uruguay et
Vénézuela. Son objectif est de proposer un financement du
développement en Amérique du Sud différent des
institutions financières internationales, en particulier le FMI et la
Banque Mondiale. Il s'agit d'aider les investissements qui ont «
d'importantes implications publiques ou macroéconomiques ». La
Banque du Sud permet d'établir les bases de la NAFR, et de s'affranchir
des financements venant des pays industrialisés mais aussi et surtout
des marchés financiers. Cela peut permettre de construire un
environnement financier propice au développement économique et
social de l'Amérique du Sud. Mais ce projet peut également ouvrir
la voie à d'autres voie de financement du développement.
Selon Páez Pérez (2010), c'est l'«
expérience néolibérale » de l'Amérique du Sud,
s'étant avérée « désastreuse », qui a
motivé la construction d'une NAFR. En outre, cela constitue une sorte de
pied-de-nez aux projets de NAFI, qui laissent généralement peu de
place aux pays en développement. L'intégration monétaire
régionale apparaît comme un vecteur de développement pour
les pays sud-américains, mais également comme un piste de
réforme de la finance internationale : la Banque du Sud peut limiter les
mouvements spéculatifs sur le financement du développement, en y
introduisant une forme du concurrence sur les marchés financiers. La
NAFR repose sur trois piliers :
La Banque du Sud, qui forme une alternative aux mode de
financements classiques, plus proche des exigences sud-américaines ;
Créer une association des banques centrales
nationales, qui s'apparenterait à une banque centrale régionale ;
elle viserait à stabiliser les variables macroéconomiques et
à réduire les « asymétries structurelles » de
l'Amérique du Sud ;
Donner une cohérence globale en créant une
monnaie commune, qui synthétise les idées
keynésiennes précédemment
développées.
Ainsi, les ambitions de la NAFR est de rétablir un
rapport de force plus équilibré en faveur des pays
sud-américains. Mais au delà, cela peut ouvrir la voie à
des réflexions plus profondes sur la réforme du SMI. En effet, si
une monnaie commune est viable, elle pourrait impulser le SMI à tendre
vers un polycentrisme monétaire, en alternative au semi-étalon
dollar. Détaillons maintenant le troisième aspect de la NAFR, en
étudiant le Plan SUCRE et l'idée d'une monnaie commune.
Le Système Unifié de Compensation,
traité du SUCRE ou plan SUCRE (Sistema Único de
Compensación Regional de Pagos) a été mis en place en
octobre 2009, là encore à l'initiative du
Vénézuela. Cette une sorte de réponse aux
déséquilibres monétaires et financiers de la part de cinq
pays sud-américains. Selon Sapir (2009), le SUCRE est « la
première alternative réellement crédible au renforcement
du FMI, et de son organisme soeur, la Banque Mondiale » (p. 1). Pour
l'auteur, il est clair que le dollar est amené à décliner,
et que le SMI se dirige vers le polycentrisme monétaire. Dès
lors, le SUCRE apparaît comme une solution efficace, puisque
l'intégration monétaire régionale est vecteur de
stabilité, en évitant une « guerre des monnaies ». Il
prolonge le MERCOSUR en projetant un cadre monétaire à
l'intégration commerciale déjà à l'oeuvre en
Amérique du Sud ; en outre, il permet de protéger ces
économies fragiles des fluctuations et déséquilibres
liés au dollar.
Le SUCRE est une monnaie commune, mais pas unique, tandis que
l'euro est une monnaie commune et unique. Le SUCRE ne supprime pas les monnaies
nationales, il sert d'instrument de compensation. C'est une des initiatives
monétaires qui se rapproche le plus des idées de Keynes, puisque
le fonctionnement est semblable à l'Union de Compensation International
(UCI). D'après le Traité constitutif (cité par Sapir), il
s'agit d'« un mécanisme de coopération,
d'intégration, et de complémentarité économique et
financière destiné à promouvoir le développement
intégral de la région latino-américaine et caraïbe
». L'accord de compensation est multilatéral, au sein duquel les
banques centrales détiennent le SUCRE comme monnaie de crédit. Le
taux de change intra-zone est fixe mais ajustable de même que le taux de
change extra-zone.
La zone utilisant le SUCRE devra augmenter son potentiel en
s'élargissant au plus de pays possible. En revanche, l'auteur
précise que le cas de l'Equateur est problématique puisque c'est
un pays qui a « renoncé à sa souveraineté
monétaire », en effectuant un régime de dollarisation. Mais
le Plan SUCRE peut alors être « une opportunité [pour ce
pays] de se « dé-dollariser » et de recouvrer sa
souveraineté monétaire ». Il apparaît dès lors
que le plan SUCRE peut avoir des
conséquences monétaires
insoupçonnées, et devenir un exemple en matière
d'intégration monétaire, toujours dans la perspective d'une
stabilisation du SMI.
En résumé, le SUCRE recouvre trois principaux
objectifs :
la réduction du risque de change dans les transactions,
au niveau intra-zone mais également dans les échanges
extérieurs ;
la promotion des investissements au sein de la zone SUCRE
rendre les investissements régionaux et l'allocation de
l'épargne plus efficace, notamment dans la lutte contre les effets de la
dernière crise financière.
Le plan SUCRE est donc une innovation intéressante,
puisqu'il remet en question des composantes du SMI. Il se propose de favoriser
la stabilité financière et la régulation des
déséquilibres monétaires. Mais au delà, il pose les
bases d'une réforme possible du SMI, à savoir l'émergence
de zones d'intégration monétaire régionales, dans un
contexte de polycentrisme. C'est une alternative porteuse de changements. Pour
Sapir, c'est même « une des plus grandes avancées de ces
dernières années ». Il fait ici référence au
contre poids de l'Amérique du Sud face au géant dollar : alors,
nouveau rapport de force ou éphémère alternative ?
L'avenir du Plan SUCRE et de la Banque du Sud le dira.
Il convient de citer brièvement l'Initiative Chiang Mai,
car ce n'est pas une initiative récente et ne peut être
considérée comme une piste de réforme depuis la crise.
L'Initiative Chiang Mai (ICM) est un accord
multilatéral de swap de devises entre les pays de l'ASEAN, la Chine, le
Japon et la Corée du Sud. Formée à la base par des
arrangements bilatéraux, l'ICM vise à accroitre la
stabilité financière en Asie du Sud-Est, région
très dynamique. L'objectif est d'impulser une intégration
monétaire régionale, qui complète l'intégration
commerciale mis en place par l'ASEAN. L'ICM avait pour but la protection contre
les crises financières, notamment après la crise asiatique de
1997. Elle prend désormais une ampleur croissante à cause des
déséquilibres induits pas la crise. En 2009, l'ICM s'est
dotée d'un fond de réserve de plusieurs milliards de dollar et
s'étend à d'autres pays de la région, lorsque l'Accord sur
la multilatéralisation de l'ICM a pris effet au printemps 2010. L'ICM
constitue donc une zone d'intégration monétaire importante, mais
moins pour son degré d'approfondissement que par les pays qui la compose
: l'ASEAN est en effet la zone économique la plus dynamique
actuellement.
Pour conclure, nous avons vu dans cette partie que des zones
d'intégration monétaire apparaissent, et en particulier en
Amérique du Sud avec la Banque du Sud et le plan SUCRE. Ces deux
alternatives se sont constituées en réponse à la crise et
en vue de mieux servir les intérêt de ces pays en
développement. Par ailleurs, par l'ambition et l'intelligente
construction de ces initiatives, il est possible d'envisager une réforme
du SMI qui serait impulser par des zones d'intégration
monétaires. Si l'Amérique du Sud, l'Asie et l'Europe suivent ce
chemin, cela peut conduire à un monde multipolaire, dont les flux
monétaires seraient plus équilibrés. Cela s'effectuerait
à la manière de la théorie des dominos de Baldwin (1993),
selon laquelle l'intégration économique régionale peut
conduire, par étapes successives, au multilatéralisme. Ce qui est
vrai pour le commerce international peut l'être avec le SMI. Reste
à étudier les difficultés politiques de telles
réformes.
Afin d'étudier la réforme du SMI par
étapes successives, nous allons présenter les travaux de
Piffaretti & Rossi, qui prônent un rééquilibrage
institutionnel des déséquilibres monétaires, notamment
ceux de la Chine et des Etats-Unis.
2. Institutionnaliser les rééquilibrages
macroéconomiques et monétaires : l'exemple de la
relation Chine / Etats-Unis
La stabilité monétaire, nous l'avons vu, est
intimement liée à la hiérarchie des différentes
monnaies dans le SMI, mais également à la position
macroéconomique des Etats. Or la crise financière a soit
amplifié sinon prolongé les déséquilibres
monétaires internationaux. L'idée que nous allons
développer est celle d'un rééquilibrage institutionnel des
déséquilibres monétaires et macroéconomiques,
notamment ceux affectant les Etats-Unis et la Chine dans leur relation
ambivalente.
Le point de départ de l'analyse de Piffaretti &
Rossi34 est un constat déjà établi
précédemment, qui semble donc faire consensus : celui de la fin
de la longue domination du dollar dans le SMI, et l'entrée dans une
phase de transition. Cela implique une évolution vers un monde
multipolaire, et les auteurs établissent que cette période de
flottement entre les devises pourrait se traduire par une forte
instabilité (à l'inverse des tenants du polycentrisme comme
réforme du SMI, pour lesquels les monnaies s'équilibrent dans un
monde multipolaire). Le principal problème est
34 N. Piffaretti est économiste à la Banque
Mondiale ; S. Rossi est chercheur à l'université de Fribourg,
titulaire de la chaire de macroéconomie et d'économie
monétaire.
l'émergence de déséquilibres globaux,
notamment des balances des paiements. Au delà des analyses
traditionnelles qui visent un rééquilibrage par les « prix
relatifs » ou par « les comportements d'épargne ou de
consommation », les auteurs proposent une troisième voie,
institutionnelle.
L'idée est de favoriser un rééquilibrage
symétrique des balances, afin d'éviter un comportement de
passager clandestin : si un pays effectue le rééquilibrage de
manière asymétrique, cela peut profiter à d'autres, sans
qu'ils en aient à porter les éventuels coûts. L'exemple des
EtatsUnis et de la Chine est crucial, puisque leurs relations monétaires
définissent en grande partie la stabilité ou l'instabilité
du SMI. Le but est d'instituer un mécanisme de
rééquilibrage institutionnel des balances chinois et
américaines, chacune dans les mêmes proportions. Si cela
réussi, l'effet d'entrainement peut arriver à impulser d'autres
duo de pays, et par là une refonte du SMI, davantage stable. Le
schéma est similaire à la théorie des dominos
évoquée plus haut.
Concrètement, le mécanisme prendrait la forme
d'un système de règlement bilatéral (bilateral
settlement facility), dans lequel une partie des réserves seraient
converties en une monnaie supranationale (les travaux de Keynes ne sont
décidément jamais loin lorsqu'il s'agit de réformer le
SMI...). Cette fonction peut être assumée par les DTS, mais pas
nécessairement : l'essentiel est d'avoir une unité de compte
commune, convertible selon un processus stable et acceptée par les
acteurs en question. La détention d'une quantité trop ou pas
assez élevée de monnaie supranationale donnerait lieu à
des pénalités et incitations, ce qui introduirait un
mécanisme de rééquilibrage symétrique entre la
Chine et les Etats-Unis. Le conclusion importante est la suivante : cela
inciterait la Chine à dépenser ses excédents notamment en
important des produits américains, ce qui pourrait réduire le
déficit courant des Etats-Unis et pérenniser in fine le
rééquilibrage. Et ce mécanisme peut stimuler
l'investissement productif aux Etats-Unis, et freiner les
délocalisations à l'oeuvre depuis plusieurs décennies. Le
déficit américain pourrait se réduire, ce qui diminue les
déséquilibres liés à l'émission de la
devise-clé : biais déflationniste, dilemme de Triffin... De
l'autre côté, la Chine aurait la possibilité de
réinvestir ses excédents, plutôt que de les transformer en
réserves en dollars.
Le mécanisme de rééquilibrage
institutionnel nécessite une unité de compensation. Pour lui
donner une crédibilité, ce sont les principales institutions
financières qui doivent l'encadrer. Les auteurs proposent que ce soit la
Fed et la Popular Bank of China qui gèrent conjointement
l'émission et la position de change de la monnaie supranationale.
L'unité en question est l'« US-China settlement credits
(USCSCs) ». Cette unité de compensation pourrait servir pour les
transactions extérieures, c'est-à-dire réglant des
échanges sino-américains. Le taux de change doit
être décidé et géré de
manière coordonnée. En résumé, dans ce
mécanisme, le déficit américain est limité par
l'obligation de le financer par des exportations (et non plus par
l'émissions de dollars), ce qui réduit la tendance des
ménages à surconsommer. Symétriquement, la Chine verrait
son excédent limité par la réduction du déficit
américain mais aussi par l'incitation à consommer et investir les
excédents du commerce international (et non plus d'épargner par
des réserves en devises). Ainsi le biais déflationniste de la
réduction du déficit courant des Etats-Unis disparaît.
La multilatéralisation de mécanisme de
rééquilibrage institutionnel des balances peut être mise en
place à travers les institutions monétaires existantes.
L'extension de ce processus à l'ensemble du SMI est faisable si les
systèmes de paiements internationaux sont connectés
progressivement à l'union de compensation bilatérale, qui
pourrait devenir peu à peu multilatérale. La participation de
seulement deux pays peut induire plus de stabilité, qui plus est si ces
deux pays en question sont les principales puissances économiques.
En conclusion, les auteurs ont montré qu'un
mécanisme de rééquilibrage des variables monétaires
est possible, et l'institutionnalisation des balances des paiements
également. Cela rejoint l'idée d'une monnaie supranationale, en
en réduisant la difficulté de mise en oeuvre. Le mécanisme
de compensation est donc une synthèse de cette partie : il reprend
l'idée d'une compensation par une monnaie supranationale, mais serait
introduit, par des mécanismes bilatéraux, à l'instar des
initiatives d'intégration monétaires régionales. Cela peut
ensuite être généralisé à l'ensemble du SMI,
et réduire les déséquilibres globaux et les positions trop
hétérogènes qui caractérisent le semiétalon
dollar.
Tout au long de cette partie II, nous avons vu quels
étaient les difficultés du SMI actuel, et les difficultés
d'ajustement qu'il induit. Les réformes sont donc nécessaires, et
sont de plusieurs types. Le dollar peut être considéré
comme déclinant, mais pour autant aucun candidat n'est susceptible de le
remplacer. L'idée d'introduire une monnaie supranationale est donc
souvent citée, et reprend les idées de Keynes et du bancor. Nous
avons vu que les DTS peuvent s'approcher de ce statut, sans jamais l'atteindre.
La monnaie supranationale représente donc une sorte d'idéal-type
dans la réforme du SMI (1).
Ensuite, nous avons montré que le SMI peut sembler
s'approcher du polycentrisme monétaire, où les principales
monnaies fluctuent entre elles. Cela réduit certains
déséquilibres, mais ni l'euro ni les autres monnaies n'ont autant
de poids que le dollar. Le polycentrisme monétaire apparaît comme
une évolution probable, compte tenu des rapports de forces et des
tendances de la
mondialisation : cela ne serait que le reflet de la
multi-polarisation du monde, que se soit en terme commercial ou en terme
politique. Comme la monnaie supranationale présente de trop fortes
difficultés d'application, le SMI doit s'adapter au mieux à la
cohabitation de plusieurs monnaies, notamment en favorisant le rôle des
DTS (2).
Enfin, nous avons vu que des initiatives régionales
émergent : ce sont des alternatives sérieuses, notamment le
processus d'intégration monétaire régional
d'Amérique du Sud (Banque du Sud et Plan SUCRE). Il posent un premier
pas vers une refonte du SMI. Et, pour finir, nous avons montré
l'idée d'un rééquilibrage institutionnel des
déséquilibres monétaires, liés aux balances des
paiements. Il s'agit d'amorcer et d'institutionnaliser un mécanisme de
compensation bilatéral, en l'impulsant par la relation la plus
problématique, celle qui lie les Etats-Unis et la Chine
(3). Cette proposition de réforme semble régler
l'ensemble des problématiques, mais occulte la forte difficulté
politique. En effet comment inciter les principaux belligérants du SMI
à entreprendre des réformes en profondeur, qui dépassent
le seul effet d'annonce ?
Nous verrons en conclusion de ce mémoire que l'amorce
politique, bien que présente, est très modeste, et ne
règle a priori pas les déséquilibres fondamentaux du
Système Monétaire et Financier International (il convient de
regrouper dès à présent l'aspect financier et l'aspect
monétaire, puisque nous envisageons le système dans sa
globalité).
CONCLUSION GENERALE
L'ensemble de ce mémoire a pour but la
présentation des pistes de réformes du Système
Monétaire et Financier International (SMFI). Les causes qui
amènent à questionner son fonctionnement ainsi que les pistes de
réforme possibles ont été établies jusqu'ici.
Voyons pour finir qu'en est-il des applications politiques concrètes. La
plupart des réformes proposées et des tendances probables des
années à venir sont clairement établies et
étayées à partir de réflexions solides.
Néanmoins, même si leur portée concrète est
établie, ils se heurtent à la barrière politique. Or
comment ignorer cette variable ? L'économie n'est pas une science
hermétique, elle construit des raisonnements sur des déductions
et des hypothèses vérifiables. Pour former un tout, elle se doit
de collaborer avec la science politique afin de saisir les enjeux liés
aux relations internationales, aux rapports de forces nationaux et
internationaux... Elle peut même s'en saisir en l'intégrant
à ses propres logiques, notamment par l'Economie Politique
Internationale (EPI).
Ainsi, il nous faut saisir les applications concrètes
des réformes du SMFI. Qu'en est-il des résolutions
formulées après la crise ? Le capitalisme et la finance sont-ils
sur la voie de la moralisation ? Quelles sont les résolutions
adoptées par les instances décisionnelles, et notamment le G20
?
Nous verrons en premier lieu les déclarations
officielles des différents G20, puis les décisions politiques
entreprises, notamment aux Etats-Unis et en Europe.
1. Les travaux du G20 pour stabiliser la finance
Il s'agit ici de montrer quelles sont les solutions
avancées par le G20. Le G20 ou Groupe des 20 est un forum
économique regroupant vingt pays et agissant en faveur de la
stabilité financière. Ses membres représentent près
des deux tiers du commerce mondial et plus de 90 % du PIB : la
représentativité du G20 est donc élevée. Le G20 a
pris une forte ampleur depuis que les chefs d'Etat y participent,
c'est-à-dire depuis novembre 2008 et le sommet de Washington. Ce sommet
a été convoqué afin d'étudier la crise
financière qui venait de se dérouler. Les conclusions ont
été que la crise est due à un manque de coordination
économique, à de trop fort risques financiers mal
évalués
et à un manque de surveillance du système
financier (Déclaration finale, 2008). Ces remarques ont emporté
l'adhésion de la communauté scientifique, et il a
été prévu de prolonger les bonnes intentions par un sommet
au printemps 2009.
Le sommet du G20 à Londres en avril 2009 prend donc le
relais de la réflexion sur les déséquilibres financiers
internationaux. Il est prévu, d'après le Communiqué final
(2009), de renforcer la coordination dans l'épreuve qu'est la crise,
d'assainir le système bancaire, et d'apporter une meilleure
régulation et surveillance du secteur financier. Les pays se sont
engagés à :
« rétablir la confiance, la croissance et les
emplois
restaurer le système financier afin de rétablir
les activités de prêt ; resserrer la réglementation
financière afin de rétablir la confiance ;
financer et réformer nos institutions financières
internationales de façon à surmonter cette crise et à en
prévenir d'autres dans l'avenir ;
promouvoir le commerce et l'investissement mondiaux et
rejeter le protectionnisme, dans le but de soutenir la prospérité
;
instaurer une reprise globale, durable et respectueuse de
l'environnement. En agissant de concert pour remplir ces engagements, nous
pourrons sortir l'économie mondiale de la récession et
empêcher qu'une telle crise se reproduise dans l'avenir».
C'est à cette occasion qu'a été
décidé la nouvelle allocation de DTS, pour 250 milliards de
dollars. Ainsi le G20 a pris en compte la gravité de la crise, et
prône des actions visant à rétablir au plus vite la
confiance, les prêts, les investissements et donc la croissance. Mise
à part les DTS, aucune mention n'est faite de l'aspect monétaire,
et en particulier les problématiques liées au statut dollar que
nous avons vu précédemment.
En ce qui concerne les détails de la
réglementation financière, le G20 ambitionne de prendre «
des mesures afin d'établir un cadre de supervision et de
réglementation renforcé et plus cohérent à
l'échelle mondiale, à l'endroit du secteur financier dans
l'avenir, qui favorisera une croissance mondiale soutenue et répondra
aux besoins des entreprises et des citoyens ». Les idées sont
pleines de vertus, mais force est de constater qu'un an après la
réglementation demeure modeste : les hedge funds opèrent
toujours, les CDS et CDO demeurent, et la spéculation
effrénée perdure, la preuve par
la crise de la dette grecque des derniers mois. Par ailleurs,
les actifs financiers comme les devises continuent de présenter un
extrême volatilité au cours des mois d'avril et de mai 2010. De
plus, il est prévu une cohérence et une coopération «
systématique » entre les pays. Or la coopération
internationale est peu présente, puisque B. Obama entreprend des
réformes de manière unilatérale, et l'UE elle aussi
décide sans concertation (nous somme loin d'une coopération
systématique). L'Europe, qui est traditionnellement
régulationniste, semble dépassée par les Etats-Unis, qui
ambitionnent davantage de régulation que l'Europe : se produit-il une
inversion des rôles depuis la dernière crise ?
Enfin, un dernier point précisé par le
Communiqué est d'« atténuer plutôt qu'amplifier les
cycles financiers et économiques » : ici encore, la crise grecque
et la forte volatilité de l'euro (qui se traduit ici par de
l'instabilité) ne conduit pas à établir un SMFI
international. Ceci étant, il faut reconnaître quelques
avancées, mais qui semblent relever de l'effet d'annonce plutôt
que de réelles réformes : la question des
rémunérations est abordée, les normes comptables
également ainsi que les paradis fiscaux. Mais compte tenu de
l'intensité de la crise et de ses conséquences, cela
apparaît comme clairement insuffisant. Et, encore une fois, l'aspect
monétaire est très peu présent et ses
problématiques cruciales complètement absentes. Par ailleurs, le
directeur du FMI, D. Strauss-Kahn ( La Tribune, 2009), critique le sommet de
Londres en déclarant qu'il laisse de côté la
problématique la plus urgente : « nettoyer le système
bancaire des ses actifs toxiques, qui risquent d'aggraver et de prolonger la
récession mondiale».
Le prolongement a ensuite été le G20 de
Pittsburgh de septembre 2009. L'objectif est l'aboutissement des mesures
adoptées lors du G20 de Londres. Il s'agit des paradis fiscaux, des
bonus-malus liés aux rémunérations dans le secteur
bancaire, et de promouvoir la coordination internationale. A Pittsburgh, les
propositions venaient largement de la France et de l'Allemagne. Mêmes si
ces derniers ont emporté l'adhésion des Etats-Unis et du
Royaume-Uni, le G20 laisse à nouveau l'ensemble des problèmes
monétaires de côté. Et pourtant, il se profile à
l'horizon une probable « guerre de changes », comme le précise
P. Artus (2009). Ainsi, le risque est un affront entre les pays, par
l'intermédiaire des taux de change afin de favoriser les exportations,
précieuses en temps de crise. L'auteur pointe notamment une guerre des
changes entre les pays de l'OCDE mais également entre les Etats-Unis et
la Chine, dont la monnaie est structurellement sous-évaluée.
Il apparaît que lors du G20 de Pittsburgh les
problématiques déjà abordées ont été
approfondies. Mais le problème réside dans les
problématiques ignorées. Or nous avons vu qu'une réforme
de la finance internationale ne serait que superficielle si elle ne
s'accompagne pas de
réformes du SMI, et notamment la relation Chine
-Etats-Unis, et le statut du dollar dans le semiétalon dollar. A
l'inverse, le gouvernement français pointe lui «des avancées
considérables » (Gouvernement Français, 2009), en
précisant avec un détail minutieux la réforme des bonus.
Or les bonus octroyés en 2009 ont été colossaux, loin de
l'ambition de les réduire.
En outre, la satisfaction des membres du G20 semble
exagérée. Ces derniers précisent que « nos pays
avaient alors décidé de faire tout ce qui était
nécessaire pour assurer la reprise, remettre en état nos
systèmes financiers et préserver les flux mondiaux de capitaux.
Cela a marché. ». Le G20 qualifie son action d'«
énergique », vante les « progrès accomplis » :
« les engagements que nous avons pris au niveau national pour
rétablir la croissance ont constitué le soutien budgétaire
et monétaire le plus vaste et le mieux coordonnée de tous les
temps. Nous avons agi ensemble pour augmenter radicalement les ressources
nécessaires afin de stopper la diffusion de la crise à l'ensemble
du monde. Nous avons pris des mesures pour remettre en état le
système de régulation et nous avons commencé à
mettre en oeuvre des réformes radicales afin de réduire le risque
que des excès financiers ne déstabilisent à nouveau
l'économie mondiale ». Ainsi, il apparaît difficile de
s'autosatisfaire lorsque la plupart des pays industrialisés
présentent des niveaux de chômage record, une croissance en berne,
et que la spéculation financière bât son plein.
Pour finir, les ministres des finances et les gouverneurs des
banques centrales du G20 se sont réunis le 23 avril 2010 afin d'assurer
la transition vers une croissance stable et pérenne, dans un contexte de
sortie de crise. Tout en reconnaissant que les résultats
n'étaient pas à hauteur des espérances, le
communiqué final précise que les membres vont continuer à
travailler de la sorte, et notamment sur la régulation
financière. Or, en ce qui concerne la mise en oeuvre concrète de
la régulation financière, les membres se sont
révélés être en désaccord. Selon R. Hiault
(2010), les gouvernements sont divisés sur les caractéristiques
des nouvelles taxes sur les banques. L'idée du FMI d'instaurer deux
taxes a provoqué des clivages, et la vision de la réglementation
des banques diffère entre les partisans et les opposants de Bâle
II. Ainsi, nous sommes loin du consensus et de la coopération
systémique de 2009.
Pour conclure, il semble que le G20 entreprend des
négociations et des travaux indispensables. L'ampleur de la
récession aurait été plus grande sans ces actions
concertées. Cela peut poser les premiers jalons d'une gouvernance
globale, notamment sur les solutions pour recouvrer une croissance
pérenne. Par contre, en ce qui concerne la régulation de la
finance, il n'apparaît presque que des réformes nécessaires
mais de second plan : bonus des traders, agences de notations, normes
comptables, qui sont annoncées comme des révolutions. Notons tout
de même le
travail sur les paradis fiscaux. Mais l'aspect le plus
important est que l'ensemble des problématiques monétaires sont
occultées des négociations. Le semi-étalon dollar n'est
pas mis en doute, ou en tout cas rien ne le laisse penser. Ainsi, si le SMI
venait à subir des transformations, ce sera sans doute sous l'effet de
forces déjà à l'oeuvre (l'ensemble des réformes et
évolutions déjà vus) et probablement pas grâce aux
travaux du G20. Il convient maintenant de porter un regard sur les politiques
entreprises aux Etats-Unis et en Europe.
2. Les actions politiques des principaux pays responsables
de la crise
L'idée est ici de montrer quelles sont les actions et
politiques mises en oeuvre par les différents pays de manière
unilatérale ; nous nous concentrerons sur la cas de la France et des
EtatsUnis. En effet, malgré l'union affichée par le G20, les
économies industrialisées européennes et
américaines, considérées comme responsables de la crise,
tentent de réformer le SMFI par des politiques propres, peu
concertées (et donc en dehors du G20).
Le président des Etats-Unis, B. Obama, affiche une
volonté de fer face aux dérives des marchés financiers.
Comme dit précédemment, l'Europe semble désormais
être moins régulationniste que les Etats-Unis. Ce manque de
vigueur à réformer la finance en Europe peut venir de la place
cruciale qu'occupe la finance, notamment à la City de Londres. A
l'opposé, les Etats-Unis sont le point d'origine de la crise des
subprimes, et beaucoup de banques n'auraient pas survécu
à la pénurie de liquidité sans une injection record de
liquidité par l'administration américaine ; cela peut expliquer
la soudaine vigueur de leurs politiques. De plus, la Fed a maintenu une
politique de taux d'intérêt expansionniste, afin d'amortir le
poids de la récession. L'ampleur de la récession et la
responsabilité éprouvée des acteurs financiers a sans
doute conduit B. Obama a entamer une tentative de réforme. Les mesures
suivantes ont été annoncées : imposer une taxe de «
responsabilité financière », réduire les
activités spéculatives des banques commerciales, en leur
interdisant toute prise de participation dans les hedge funds. Selon
Chavagneux (2010, p. 34-35), cela est avant tout une stratégie politique
préélectorale. Il n'empêche que le nouvel impôt sur
les banques prévient que l'action de sauvetage de l'Etat n'est pas
gratuite, ce qui pose un garde-fou aux banques d'investissement. Une seconde
taxe sur les ressources des banques issues de l'endettement permet normalement
de rendre les effets de leviers plus coûteux pour les banques. Le but
affiché est de rendre les banques plus responsables de leurs risques, et
de protéger le contribuable. Sur le principe, peu de choses à
redire.
Par contre, l'aspect concret se révèle plus
épineux. En effet, la réforme concernant la régulation de
la finance n'est pas encore passé devant les parlementaires
américains (or la récente réforme sur la santé a
montré les difficultés possibles). De plus, le président
Obama n'affiche aucun soutient aux projets de régulation de la Banque
des Règlements Internationaux, ni aucune approbation franche aux travaux
du G20. La coordination entre les Etats laisse elle aussi à
désirer. Et les réformes proposées aux Etats-Unis en
restent à une approche microprudentielle, autrement dit la dimension
systémique n'est pas prise en compte : or nous avons vu que le risque
systémique est le point central de toute tentative de réforme.
Par ailleurs, il convient de citer l'initiative de la Securities and
Exchange Commission (SEC), l'équivalent de l'AMF en France. La SEC
a porté plainte contre Goldman Sachs, en avril 2010, pour une affaire de
fraude liée à la crise des subprimes35. Au
delà de l'aspect juridique classique, cette affaire montre la
volonté de qualifier de frauduleux ce qui, avant la crise, faisait
partie des activités de spéculation « classiques ». Les
autorités financières américaines ont donc haussé
le ton, ce qui laisse croire à un durcissement de la législation
des activités financières (Le Monde, avril 2010).
Dans une des récentes informations, le
président Obama affirme vouloir accélérer le processus de
régulation de la finance. Les parlementaires démocrates
soutiennent la réforme, et les républicains déclarent la
réprouver en l'état. D'après La Tribune (2010), les
républicains se concentreraient sur cette réforme, après
n'avoir pu empêcher la réforme sur la santé. Ils
dénoncent un plan qui soutien le renflouement des banques. Enfin, B.
Obama s'est dit déterminé à résoudre le
problème du « too big to fail » (trop gros pour la
faillite), ce qu'il semble être le seul à vouloir dès
aujourd'hui. Le problème est que l'aspect « too interconnected
to fail » (trop interconnecté pour la faillite), autrement dit
le risque de contagion, est ignoré or c'est une condition
nécessaire36.
Ainsi, les Etats-Unis tentent de proposer des solutions afin
que la crise financière et le sauvetage des banques ne se reproduisent
plus. Des réformes sont en cours, mais elles concernent principalement
des aspects pratiques microprudentiels. La réforme de la finance n'est
pas encore passée devant le congrès, il est donc difficile de
connaître la teneur exacte du future projet37. Selon Dugua
(2010) il n'y a pas pour l'instant de réformes envisagées afin de
réduire le risque systémique, mais surtout les
déséquilibres monétaires ne sont pas abordés. Cela
est compréhensible : les Etats-Unis n'ont aucun intérêt
à favoriser un nouveau système monétaire,
35 Les traders avaient crée un produit
dérivé composé de titres sur créances
immobilières qui se sont avérées douteuses ; or ce fond a
été liquidé dans l'illégalité, et il s'est
avéré que Goldman Sachs pariait à la baisse, contre ses
propres clients.
36 Pour en savoir plus sur le too interconnected to
fail, voir Markose, Giansante, Gatkowski & Shaghaghi (2009).
37 La réforme devrait être soumise au
congrès américain le 4 juillet 2010.
compte tenu du « privilège exorbitant » que
leur octroi le dollar. Par ailleurs, le problème du too big to
fail n'apparait pas dans le projet, et la réglementation des
hedge funds est peu contraignante. L'idée initiale de
réactualiser le cloisonnement, en interdisant aux banques
d'investissement d'avoir une activité de dépôt, est elle
aussi fortement « diluée » : pour Dugua, cela aurait pourtant
pu fortement limiter les leviers sur fonds propres. Ainsi, la façon dont
le texte est perçu par les parlementaires indiquera le degré de
réforme final. Mais il apparaît dors et déjà que la
finance est en travaux (mêmes superficiels), mais que le système
monétaire reste intact.
En ce qui concerne la France, la position affichée est
également en faveur d'une réforme de la finance. Lors d'une
conférence « Nouveau monde, nouveau capitalisme » en janvier
2009, le président N. Sarkozy s'est déclaré en faveur
d'une refonte du système financier. Il souhaite « moraliser le
capitalisme », « rééquilibrer les rôles de l'Etat
et du marché », et indique qu'il ne veut plus subir les seules
décisions des Etats-Unis (La Tribune, 2009). A cette conférence,
plusieurs intentions de réformer la finance internationale ont
été établies, tandis que l'Allemagne et le Royaume-Uni se
joignait aux déclarations françaises. Par la suite, N. Sarkozy a
réaffirmé ses positions lors d'une conférence aux
Etats-Unis en mars 2010. Là encore, il y a le souhait de « ne pas
recommencer les mêmes erreurs » , et de renforcer « une
économie de production et non de spéculation » (Les Echos,
2010). La France souhaite tirer les leçons de l'échec de
Copenhague en matière de gouvernance globale.
Enfin et surtout, il est fait mention de l'aspect
monétaire : « le dollar n'est pas la seule monnaie au monde »,
et ce sujet devrait être amené dans la négociation par la
France lors de sa présidence en 2011. Cela reprend sa déclaration
de janvier 2010, à Davos, où le président français
déclarait vouloir « inscrire la réforme du SMI au G20
», et réclamait « un nouveau Bretton-Woods » (Le Monde,
2010). Par ailleurs, la question des déséquilibres globaux a
été abordée : « les pays excédentaires doivent
consommer davantage et les pays déficitaires consommer moins et
rembourser leurs dettes ». Néanmoins, la France déplore
elle-même le manque de concrétisation des ambitions
affichées au G20. Selon Le Monde, le président, lors de ces
discours, endosse « l'habit des présidents français qui se
veulent humanistes et universalistes ».
Par ailleurs, les travaux de l'Assemblée Nationale
française reflète les mêmes enjeux (Assemblée
Nationale, 2009). La crise financière a fait comprendre l'urgence d'une
réforme de la
finance. Et c'est justement le problème : les
propositions de réforme ne concernent que le Système Financier
International, et il n'est pas fait mention des déséquilibres
monétaires. Or nous avons vu dans la partie précédente
l'ampleur des déséquilibres globaux, des problèmes
macroéconomiques, des distorsions liées au dollar. Les
parlementaires français s'orientent donc vers les réformes de la
finance, dont certaines recoupent celles que nous avons listé dans notre
partie I sur la réforme du Système Financier International :
agences de notation, paradis fiscaux, hedge funds, etc. Ce qui
explique en partie que les réformes monétaires ne soient pas
mentionnées par les législateurs et décideurs
français.
La France affiche elle-aussi des ambitions quant à la
réforme du système financier. Des avancées sont mises en
oeuvre, mais les actes peinent à dépasser la parole. En effet, le
secteur financier représente un employeur considérable en France,
et le lobbying est puissant : les réformes sont donc difficiles à
faire adopter. Ainsi la gestion politique est fragile, et les progrès
sont lents. Des actions sont entamées, ce qui est positif. Seulement les
problématiques monétaires ne sont pas ou très peu
abordées, ce qui prive de facto l'économie d'un avenir
stable.
Pour finir, des actions sont entreprises au niveau
européen, mais il y a peu de concertations, ce qui risque de
compromettre les travaux du G20. Nous pouvons prendre pour exemple la
décision allemande d' interdire la vente à découvert
à nu. Cette activité consiste à vendre un titre sur les
marchés à terme, sans en être le propriétaire, en
espérant pouvoir le racheter plus tard à un prix
moindre38. Or la Grèce a montré la dangerosité
de telles prises de positions et une telle législation dénote na
volonté des pays européens de ne pas céder face aux
marchés. Cependant, comme la règle n'est pas européenne,
les investisseurs peuvent la contourner en agissant en dehors de l' Allemagne
(Euractiv, 2010). Un exemple parmi d'autres qui montre qu'une réforme
financière non concertée peut s'avérer inutile, voire
contre-productive : cela brouille le message, il n'y a pas de voix unique.
En résumé, il apparaît que le G20 s'est
attelé à la tâche de l'après crise. Des
réformes sont envisagées, et correspondent en partie aux
propositions que nous avons établi précédemment. Par
ailleurs, certains pays entreprennent également des réformes,
mais de manière unilatérale. Le réel problème est
que l'aspect monétaire est totalement ignoré. Il est question de
bonus, d'agences de notation, de paradis fiscaux, mais ni les ajustements
liés au statut du dollar comme devise-clé, ni les
problématiques liées aux déséquilibres globaux
(épargnes, réserves monétaires, etc) ne sont
envisagées. Les travaux accomplis sont donc loin d'avoir un sens global,
et leur portée s'en trouve
38 Dans le cas d'un contrat CDS à nu, un fond
d'investissement parie sur l'incapacité de l'émetteur de pouvoir
rembourser sa dette. C'est la situation qu'a connue la Grèce pour le
financement de sa dette souveraine au printemps 2010.
mécaniquement limitée.
Conclusion
En conclusion de ce mémoire, il apparaît que la
crise offre une opportunité rare de réformer le Système
Monétaire et Financier International. L'ampleur des pertes invite
à redessiner les contours de la finance internationale, de façon
à ce qu'elle puisse assurer ses fonctions sans porter préjudice
à l'économie réelle. Car, au delà des
marchés, la crise des subprimes s'est propagé à
l'économie réelle, entrainant la récession dans laquelle
nous sommes encore aujourd'hui. Les pertes se chiffrent dès lors en
nombres d'emplois supprimés, en quantités d'investissements
annulés ou en points de croissance perdus. En outre, les distorsions
monétaires et les déséquilibres globaux sont, eux aussi,
coûteux en matière de stabilité internationale. Or une
stabilisation du SMFI est non seulement souhaitable, mais également
nécessaire à un rétablissement de la croissance mondiale
et au financement du développement des pays du Sud.
Pour mener à bien cette tâche, nous avons
montré que des solutions existent. Des pistes de réforme du SMFI
sont désormais avancées. Nous avons vu que le système
bancaire présente des défauts, et qu'une redéfinition de
l'encadrement est possible : revoir le cadre macroprudentiel, mais
également règlementer les acteurs dont la gestion du risque est
défaillante (réforme des produits dérivés,
réglementation des hedge funds, etc). Au delà, il
apparaît crucial de tourner les investisseurs vers des perspectives de
long-terme, les seules qui sont à même se remplir les conditions
de stabilité mais aussi d'assurer un financement dont la logique est
économique plutôt que spéculative. L'ensemble de ces
réformes ont été argumentées au cours de la partie
I.
Au cours de la partie II, nous nous sommes
attaché à montrer quelles pouvaient êtres les
évolutions souhaitables du Système Monétaire
International. En effet, le semi-étalon dollar nécessite de
profondes remises en question. Nous avons présenté, sans
prétendre à l'exhaustivité, les points de vues des
différents auteurs. Pour certains, le SMI doit se doter d'une monnaie
supranationale. Dans l'ensemble, ces idées revisitent les
théories monétaires de Keynes. Face aux nombreuses
difficultés de mise en oeuvre, les DTS pourraient assumer ce rôle,
et devenir une « quasi-monnaie internationale », à condition
d'être approfondis et réformés. Pour d'autres, le SMI se
dirige vers une situation de polycentrisme monétaire, ce qui permettrait
d'atténuer les forces, et
d'aboutir à un équilibre ; là encore,
les DTS ont leur rôle à jouer. Enfin, nous avons montré que
des initiatives d'intégration monétaire régionale
apparaissent, en particulier en Amérique du Sud ; elles pourraient
être complétées par une prise en charge institutionnelle
des déséquilibres monétaires, ce qui présuppose une
forte volonté politique.
De cet état des lieux, il ressort que l'ensemble des
pistes de réformes peuvent faire écho aux ambitions
affichées : la finance sera davantage régulée qu'avant la
crise. Elle permettra, si les moyens adéquats lui sont
conférés, de transférer les capitaux selon les besoins, et
de présenter une réelle efficience à l'échelle
globale. Cependant, elle demeura démunie de toute gouvernance
monétaire mondiale. Les monnaies persisteront dans leurs fluctuations
désordonnées, et la régulation des taux de change comme
des réserves en devises continueront d'être des défis
majeurs. Des conflits d'intérêts politiques risquent d'en
découler, amplifiant au passage la fracture économique
internationale. Et l'hypothèse de futures crises financières n'en
sera alors que renforcée.
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Table des matières
Avant-Propos 3
Remerciements 4
Sommaire 5
INTRODUCTION GENERALE 6
I.REFORMER LE SYSTEME FINANCIER INTERNATIONAL
10
1.Réformer le secteur bancaire 11
1.Renforcer la règlementation macroprudentielle... 11
2. ... en prolongement d'une règlementation
microprudentielle 15
3.Rétablir le contrôle de la finance par la finance
16
a) Le contrôle interne ou l'autorégulation des
acteurs 17
b) Revoir les normes comptables 17
c) Réformer le rôle et la méthode des
agences de notation 19
d) La question des rémunérations dans le
système bancaire 20
2.Construire la stabilité du système
financier international 22
1.Règlementer les produits dérivés 23
2.La règlementation des hedge funds 27
3.Réduire le court-termisme: le rôle crucial des
investisseurs de long terme 29
4.Revenir sur la libre circulation des capitaux 33
5.Limiter l'attrait et le rôle des paradis fiscaux 35
3.L'impulsion par le changement institutionnel
36
1.Réformer le fonds monétaire international (FMI)
37
2.Rôle des banques centrales : comment le réformer ?
38
II.LA REFONTE DU
SYSTEME MONETAIRE INTERNATIONAL 41
1.Remplacer le dollar : la création d'une monnaie
supranationale 43
1.Les ajustements et déséquilibres liés au
statut du dollar 44
2.L'offre monétaire : instaurer une monnaie supranationale
46
3.Les DTS : une étape nécessaire vers la
réforme du SMI 49
4.La transition vers un nouveau système 52
2.Une alternative à la devise-clé
internationale : le polycentrisme monétaire 57
3.La réforme du SMI par les initiatives
régionales 60
1.Des alternatives régionales pour une refonte du SMI
globale 61
2.Institutionnaliser les rééquilibrages
macroéconomiques et monétaires : l'exemple de la
relation Chine / Etats-Unis 65
CONCLUSION GENERALE 69
1.Les travaux du G20 pour stabiliser la finance 69
2.Les actions politiques des principaux pays responsables de la
crise 73
Conclusion 78
Bibliographie 80
Annexes 90
Annexes
Annexe 1 : Présentation comparée des
perspectives macroprudentielle et microprudentielle
|
Perspective macroprudentielle
|
Perspective microprudentielle
|
Objectif immédiat
|
Limiter
la crise financière systémique
|
Limiter les difficultés individuelles
des institutions
|
Objectif final
|
Éviter les coûts en termes de PIB
|
Protéger
le consommateur (investisseur/ déposant)
|
Caractérisation du risque
|
Considéré comme étant dépendant du
comportement collectif
(« endogène »
|
Considéré comme étant indépendant
du comportement des individus
(« exogène »)
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Corrélations
entre les institutions
et expositions communes
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Importantes
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Sans objet
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Calibrage
des contrôles prudentiels
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En termes de risque systémique :
du haut vers le bas (top-down)
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En termes
de risques propres à chaque institution : du bas vers le
haut (bottom-up)
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D'après Borio, 2009.
Annexe 2 : Shéma récapitulatif de la
réforme des agences de notation
Source: Fabié V. (2009).
Annexe 3 : Transmission du risque systémique sur
les marchés
Hausse de la probabilité de défaut
Effondrement du prix des dérivés de
crédit
Vente des actions à découvert
Hausse des spreads de crédit
Effondrement des cours boursiers
D'après Aglietta M., Khanniche S. & Rigot S.
(2010)
Résumé
La crise financière et économique actuelle
impose de profondes modifications. L'instabilité inhérente au
capitalisme financier a des conséquences coûteuses, mais des
solutions existent : elles exigent cependant une profonde réforme. C'est
l'objet de ce mémoire, qui présente une vue d'ensemble des
différents pistes de réforme du Système Monétaire
et Financier International (SMFI). Il se construit comme un survey de
littérature, qui relève les principales théories et
propositions formulées afin de pouvoir construire un SMFI plus stable et
moins vulnérable aux crises. Pour instaurer une nouvel ordre
économique, plusieurs alternatives sont possibles. Ce mémoire ce
divise en deux parties. La première rend compte de l'aspect financier.
Ce sont les réformes du Système Financier International, plus
précisemment la règlementation des acteurs (hedge funds,
banques d'investissement, paradis fiscaux) et une meilleure régulation
des marchés financiers (normalisation des produits
dérivés, harmonisation des pratiques) . La seconde partie
établit les évolutions souhaitables du Système
Monétaire International. Cela comprend l'idée de la monnaie
supranationale, mais également l'alternative des Droits de Tirage
Spéciaux (DTS). L'hypothèse du polycentrisme est
envisagée, avant de montrer la pertinence de certaines initiatives
régionales (Plan SUCRE, Initiative Chiang Mai). Enfin, ce mémoire
conclut en comparant les pistes de réforme aux résolutions
effectives du G20, en les mettant en perpespectives avec les politiques
prévues en Europe et aux Etats-Unis.
Summary
The current financial and economic crisis imposes deep
modifications. The inherent instability of financial capitalism has expensive
consequences, but solutions exist : they require however a profound reform. It
is the object of this dissertation, that presents an overview of the various
runways of reform of the International Monetary and Financial System (IMFS). It
builds itself as a survey of literature, which raises the main theories and the
propositions formulated to build a more stable and less vulnerable IMFS to the
crises. To establish one new economic order, several alternatives are possible.
This dissertation is divided into two parts. The first one reports the
financial aspect. Namely they are the reforms of the International Financial
System, more excatly rule of the actors (hedge funds, investment banks, tax
havens) and a better regulation of financial markets (standardization of
derivatives, practices harmonization). The second part establishes the
desirable evolutions of the International Monetary System. It includes the idea
of the supranational currency, but also the alternative of the Special Drawing
Rights (DTS). The hypothesis of the polycentrism is considered, before showing
the relevance of regional initiatives (SUCRE plan, Chiang Mai Initiative).
Finally, this dissertation ends by comparing the tracks of reform with the
effective resolutions of G20, by putting them into perpespectives with the
policies planned in Europe and in the United States.
Mots clés
Système Monétaire International - Système
Financier International - Réformes - Crise Financière -
Régulation - Gouvernance mondiale
Keywords
International Monetary System International Financial System
Reforms Financial Crisis - Regulation - Global Governance
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