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Les pistes de réforme du système monétaire et financier international depuis la crise

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par Maxime Gasser
Université Pierre Mendès-France Grenoble - Master 1 2010
  

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Les pistes de réforme du système monétaire et

financier international depuis la crise

Juin 2010
Maxime GASSER
Mémoire de Master 1 Economie internationale et globalisation (EIG)
Séminaire Intégrations Internationale et Régionale
Année universitaire 2009-2010
Sous la direction de J.-F. Ponsot et du second rapporteur A. Chanel

UFR Economie, Stratégies, Entreprises
1241, rue des résidences BP 47 38040 Grenoble Cedex 9

Avant-Propos

L'UFR Economie, Stratégies, Entreprise, de l'Université Pierre Mendès-France n'entend donner aucune approbation aux opinions émises dans les mémoires des candidats au Master ; ces opinions doivent être considérées propres à leur auteur.

Le mémoire est un essai d'application des méthodes et outils acquis au cours de la formation. Il ne saurait donc être considéré comme un travail acheté auquel de qualité qui l'engagerait.

Ce travail est considéré à priori comme un document confidentiel qui ne saurait être considéré qu'avec le double accord de son auteur et de l'organisme de stage.

Remerciements

Je tiens à remercier en premier lieu mon directeur de mémoire Jean-François Ponsot pour ses conseils avisés, ainsi que le second rapporteur Armand Chanel pour sa contribution précipitée et pour l'ensemble de cette année de préparation au Capes. Je remercie également mon fidèle camarade Sylvain, et j'ai une pensée particulière envers ma moitié parisienne pour son soutien permanent et ses relectures attentives.

Sommaire

INTRODUCTION GENERALE 6

I.REFORMER LE SYSTEME FINANCIER INTERNATIONAL 10

1.Réformer le secteur bancaire 11

2.Construire la stabilité du système financier international 22

3.L'impulsion par le changement institutionnel 36

II.LA REFONTE DU SYSTEME MONETAIRE INTERNATIONAL 41

1.Remplacer le dollar : la création d'une monnaie supranationale 43

2.Une alternative à la devise-clé internationale : le polycentrisme monétaire 57

3.La réforme du SMI par les initiatives régionales 60

CONCLUSION GENERALE 69

1.Les travaux du G20 pour stabiliser la finance 69

2.Les actions politiques des principaux pays responsables de la crise 73

Conclusion 78

Bibliographie 80

Table des matières 88

Annexes 91

« Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise » Jean Monnet (1888-1979), Mémoires, Fayard (1976).

INTRODUCTION GENERALE

L

es conséquences de la crise financière et économique actuelle amènent à reconsidérer les principales structures économiques, au premier rang desquelles le Système Monétaire et

Financier International. Structure et conjoncture aboutissent à la même conclusion : de profondes réformes sont indispensables. La récession que connaît la plupart des pays impose de lourds ajustements, dont les aboutissements sont encore peu prévisibles. La débâcle sur les marchés financiers de l'automne 2008 a laissé place à une déflation mondiale, se traduisant par une hausse généralisée du chômage et une diminution du commerce international. Enfin, après une timide reprise en 2009, la perturbation s'est prolongée par une crise de l'Etat. Les niveaux d'endettements publics ont parfois atteint un seuil critique de solvabilité, entrainant des plans de restriction budgétaire et pour certains une crise de la dette souveraine.

Ces résultats ont plusieurs implications. D'une part la crise est née de la finance internationale et trouve une partie de ses fondements dans les dérèglements des marchés financiers, dénoncés par certains bien avant la crise. Ainsi Aglietta & Berrebi (2007), Minsky (1986) mais également Keynes (1936) ont établis respectivement la montée des déséquilibres mondiaux, l'instabilité financière et la nécessaire régulation des marchés. Envisager une réforme des marchés financiers est donc cruciale et remise à l'ordre du jour par la crise.

D'autre part, ces impératifs ne concernent pas uniquement la finance internationale. Sa stabilisation est rendue nécessaire pour réactiver la croissance mondiale et permettre aux pays en développement de poursuivre leur rattrapage ; l'objectif doit être de supprimer les instabilités, quelles qu'elles soient. En effet, la « seconde globalisation » à l'oeuvre depuis le milieu des années 1970 s'est traduite par un régime de croissance dont la principale caractéristique est l'instabilité (Aglietta & Le Cacheux, 2007). Les désordres financiers n'en sont qu'une composante. Ils

s'accompagnent de déséquilibres monétaires et économiques. L'enjeu est donc de supprimer les causes de la crise actuelle, et de tendre vers un régime de croissance « viable ». Cela nous permet d'envisager qu'une réforme de la finance, bien que cruciale, doit être accompagnée par une réforme des relations monétaires.

En outre, il convient de préciser que le régime de croissance actuel, bien qu'ayant permis cette mondialisation des échanges, s'est accompagné d'une montée de l'instabilité financière. La globalisation financière est le processus d'intégration à l'échelle internationale des marchés financiers, et c'est à ce titre un des piliers de la mondialisation. Ce marché mondial des capitaux est à l'oeuvre principalement depuis le début des 1980 et l'avènement des « 3D »1 (voir Tableau n°1, p. 12). La libéralisation financière revêt plusieurs aspects : marché unique des capitaux, suppression des barrières géographiques, transactions continuelles. Les « 3D » ont été grandement favorisés par l'apparition des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC). Les marchés financiers ont dès lors connus une forte expansion.

Selon Mathieu & Sterdyniak (2009, pp. 13-74), la globalisation financière a multiplié les possibilités, permettant une fluidité des investissements, et une allocation des capitaux efficace. Cela a fortement impulsé la croissance économique mondiale, de l'ordre de 3,90 % par an entre 1990 et 2007. Cette expansion a notamment permis aux BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) de passer de pays en développement à pays émergents, et aux pays développés de maintenir leur avance. L'ensemble de l'économie globale a donc connue une dynamique sans précèdent. Mais le revers de la médaille est que cette dynamique est ponctuée de crises financières, dont celle des subprimes en est un exemple majeur. Les marchés sont « myopes, instables, moutonniers et cyclothymiques », et la spéculation, bien que nécessaire, peut se révéler contre-productive. La globalisation financière pose donc des problèmes de stabilité et de prévisibilité, ce qui nuit fortement aux informations et donc à l'Hypothèse d'Efficience du Marché (HEM), soutenue par E. Fama (1965). Les marchés sont loin d'être parfaits, et la finance comportementale a amplement contribué à montrer l'instabilité des choix et leur caractère hautement psychologique2.

Mais les flux financiers sont indivisibles des flux monétaires : chaque titre, option, produit dérivé... est libellé dans une devise, entrainant des mouvements de capitaux considérables. Les marchés financiers « déterminent les taux de change, les taux d'intérêt, les cours boursiers et les conditions de financement des entreprises et des ménages » (Mathieu & Sterdyniak, 2009, p. 14).

1 Désintermediation, décloisonnement, dérèglementation. Les « 3D » sont les piliers de la globalisation financière. Le terme provient de H. Bourguinat (1992).

2 Pour en savoir plus, voir Kahneman & Tversky (1979).

Les phases successives de bulles puis krachs boursiers ont donc de lourdes conséquences sur la sphère monétaire, et participe au renforcement des déséquilibres globaux (en matière d'épargne, de réserves en devises, de balance des paiements). Cela est amplifié par les distorsions macroéconomiques, comme par exemple la relation ambivalente Etats-Unis / Chine, que nous étudierons. La crise actuelle apparaît dès lors comme le reflet de profondes instabilités. Il est nécessaire de réaffirmer le contrôle des marchés, et de prémunir l'économie mondiale des crises récurrentes. Mais cette ambition doit être approfondie par un cadre monétaire stable. Comme nous le verrons, le Système Monétaire Actuel (SMI) se caractérise pas une forte hétérogénéité des positions et par une forte instabilité. En outre il demeure une « hégémonie du dollar » (Aglietta, 2006), dont l'hypothétique sortie se révèle délicate et comporte un biais déflationniste pour l'économie mondiale. Ainsi, les flux monétaires nécessite une régulation, et l'interconnexion des monnaies doit être optimisée, afin d'avoir un cadre monétaire qui assure une croissance économique sans crises. La conclusion est univoque : les aspects monétaires sont complémentaires de la réforme du capitalisme financier et dès lors seule une action sur les deux variables pourrait être efficace.

Après avoir vu pourquoi, il est nécessaire se demander comment. C'est l'objet de ce mémoire. Il s'agit de présenter les pistes de réforme du SMFI envisageables, principalement les points de vue d'économistes. Comme cadrage temporel, nous prendrons les pistes de réforme émises depuis le déclenchement de la crise (2007). Ces réformes sont d'une part les propositions concrètes et directement applicables, nous le verrons notamment dans le secteur bancaire, avec les règlementations et les lois financières. D'autre part, ce sont les réformes à visée globale, comme la promotion des investisseurs de long terme ou les évolutions souhaitables des monnaies dans le SMI. Nous tenterons de faire une dichotomie entre la sphère monétaire et la sphère financière, cependant les variables sont interconnectées et interdépendantes. Enfin, bien que la littérature sur la question soit prolifique depuis que la crise a éclaté, il convient de différencier les réformes envisageables et envisagées. Nous verrons donc où en sont les ambitions des principaux acteurs de la crise, et notamment les négociations du G20.

Notre problématique sera donc la suivante : quelles peuvent être les évolutions souhaitables du Système Monétaire et Financier International ? Quelles réformes ou rénovations doivent être appliquées ? Quelles sont les conditions préalables à la mise en place de ces solutions ? Et quand est-il aujourd'hui de l'application concrète des réformes : les domaines monétaires et financiers bénéficient-ils de la même attention ?

Pour cela, les principales réformes du secteur financier seront abordées dans la Partie I, en

montrant les transformations nécessaires du secteur bancaire, et notamment le renforcement du cadre prudentiel (macro et micro). Puis nous avancerons la possible transition vers les investisseurs de long-terme et enfin le changement institutionnel. Dans la Partie II, nous établirons les réformes du Système Monétaire International, en montrant les problèmes du SMI actuel, puis l'idée de la monnaie supranationale. Il conviendra ensuite d'argumenter la probabilité d'aller vers un polycentrisme monétaire, et enfin nous verrons les initiatives. Pour finir, nous verrons en conclusion quelles sont les résolutions du G20, et les politiques de réforme mises en place jusqu'à présent.

I. REFORMER LE SYSTEME FINANCIER INTERNATIONAL

La crise financière de 2007-2008 a profondément modifié les conditions économiques globales, en induisant une crise économique dont l'ampleur est comparable à celle de la crise de 1929. Le segment des crédits immobiliers dits « subprimes » aux États-Unis est la source de cette défaillance de la finance internationale, jusqu'au point de non-retour atteint en septembre 2008 avec la faillite de la banque Lehman Brothers, fleuron du système bancaire américain depuis 1850. Mais la crise a révélé des problèmes dans la structure de la finance internationale, qui a connue de nombreuses phases de crise depuis plus d'un siècle: crise de 1929, crise du dollar en 1971, crise du Système Monétaire Européen en 1992-93, crise asiatique en 1997-98, crise Internet en 2000, crise argentine en 2001-2003, crise des subprimes en 2007-..., etc, pour ne citer que les plus importantes.

Ainsi les périodes de déflation soudaine des actifs financiers (définition d'une crise financière) semblent être endogènes au Système Financier International, et la finance apparaît comme risquée et sensible aux anticipations. Cela a lieu en dépit des travaux des économistes ayant dénoncé ces dérives : théorie de l'instabilité financière (Minsky, 1986), la théorie du risk management de Greenspan ou encore le risque systémique mis en avant par M. Aglietta.

La succession de crises financières au sein du capitalisme moderne conduit à remettre en cause le fonctionnement de la finance internationale, comme cela a déjà été le cas auparavant. En effet des plans tels que le Glass-Steagall Act aux Etats-Unis en 1933 ou bien les accords successifs du comité de Bâle ont tenté de rationaliser et de réguler le système financier international, afin d'éviter les déséquilibres et les crises financières qui ont de lourdes conséquences sur l'économie réelle : déflation, production en berne, chômage de masse, dans des proportions différentes selon le type et l'intensité de la crise. Or cela n'a pas fait disparaître les crises financières, loin s'en faut. Ainsi depuis 2008 semble se dégager une forme de consensus sur la nécessaire réforme du Système Financier International.

Plusieurs économistes et spécialistes de la finance internationale tentent de répondre à ce besoin de régulation, en formulant des propositions de réforme qui pourraient, le cas échéant, se concrétiser en termes de politique publique ou de réglementation bancaire. Les modalités et la pertinence des réformes proposées varient selon la nature de l'auteur (économiste, banquier, politicien...) et le degré de régulation qu'il envisage (règles microprudentielles ou réformes du

système dans sa globalité.

Il s'agit dans cette partie de présenter les diverses pistes de réforme envisageables dans le cadre d'une refonte du Système Financier International. Nous verrons en premier lieu les réformes concernant les banques et la réglementation du secteur bancaire (1), puis les propositions portant sur l'architecture financière internationale (2), et enfin les pistes de réflexion visant à modifier l'organisation institutionnelle (3).

1. Réformer le secteur bancaire

L'ensemble du secteur bancaire a été décrié pendant la crise. En effet les subprimes sont des crédits hypothécaires dont les vertus sont floues : il apparaît bien souvent que cela a permis à des ménages structurellement non solvables de s'endetter afin d'accéder à la propriété. Le fort risque de défaut était donc pris en compte par les offreurs de crédits, les prix de l'immobilier aux Etats-Unis ayant connus une croissance continue au cours des dernières années. Or le marché de l'immobilier a connu un point de retournement, avec une très forte baisse des prix entamée en 20063. Cette évolution, couplée aux déséquilibres induits par la titrisation (voir Partie I, II, 1. ), a conduit à une cristallisation des reproches vers le secteur bancaire. La vision selon laquelle réformer les banques et leur métier suffirait à assainir le Système Financier International est discutable. Mais les décisions politiques ont pour l'instant tendance à se concentrer sur ce terrain là, ne serait-ce que par soucis électoral : les gouvernements occidentaux se doivent de montrer que les banques sont ellesaussi soumises à la rigueur. Nous verrons dans un premier temps la nécessité d'une réglementation macroprudentielle (1), en complément d'une réglementation microprudentielle (2), et enfin un contrôle de la finance par la finance, autrement dit en utilisant et approfondissant les instrument déjà disponibles (3).

1. Renforcer la règlementation macroprudentielle...

La réglementation macroprudentielle s'est imposée au fil du temps comme une variable indispensable à toute tentative de réforme du Système Financier International. La survenue de la crise actuelle a montrée l'insuffisance d'une régulation microprudentielle, c'est-à-dire une prise en

3 Le prix médian a diminué de 129% en moins d'un an ( Artus, Betbèze, De Boissieu, 2008).

compte individualisée de chacun des acteurs du système financier (principalement les banques), afin d'assurer la protection des déposants. La réglementation macroprudentielle n'a pas les mêmes finalités, puisque cela regroupe des mesures globales visant l'ensemble du système financier (cf. Annexe 1, p. 91). Il s'agit précisément de protéger ce système contre les instabilités endogènes qu'il présente. Ces instabilités sont d'une part la tendance à la procyclicité, c'est-à-dire l'amplification des phases de bulles et des phases de crises de liquidités ; d'autre part le risque systémique4, qui est un risque affectant le système financier dans son ensemble et dont les causes sont endogènes au système.

La réforme de la finance passe donc par la gestion de ces deux failles. Cela est intimement lié à l'activité de crédit pratiquée par les banques, puisque la réglementation macroprudentielle est un prolongement de la doctrine du « risk management » de Greenspan (Aglietta & Rigot , 2009, p. 132). Celle-ci voit dans les cycles d'expansion et de réduction du crédit la cause des cycles financiers et donc la succession de crises dans le système financier. Par ailleurs le marché du crédit est devenu de plus en plus indépendant des variables monétaires et les crises financières n'apparaissent donc plus forcément dans des contextes inflationnistes. Mais les politiques mises en oeuvre par la Fed et l'utilisation du taux directeur se sont révélées insuffisantes à enrayer les phases d'euphorie sur le marché du crédit et nécessite donc une réglementation complémentaire du système, à un niveau global ou macroprudentiel.

Tableau 1: Les « 3 D »

Désintermédiation : permet aux entreprises d'accéder directement aux marchés financiers (finance di-

recte), et de se financer par émissions de titres (actions, obligations) plutôt que d'emprunter auprès d'institutions financières. C'est la suppression des intermédiaires. Cela a favorisé l'avènement de la financiarisation, c'est-à-dire le recours croissant aux marchés financiers dans l'économie, pour les institutions financières comme pour les entreprises.

Dérèglementation : processus d'assouplissement ou de suppression des réglementations nationales

régissant, et restreignant, la circulation des capitaux (contrôle des changes, encadrement du crédit, etc).

Décloisonnement : processus de suppression pour les banques de la segmentation entre les activités

de dépôt et activités d'affaire. Plus largement, interconnexion entre les différents marchés financiers : marché obligataire, marché des changes, marché à terme. Désormais, il n'y a qu'un seul marché global.

4 Expression courante en finance internationale, mais régulièrement employé par M. Aglietta dans son oeuvre ; notamment : interview de M.Aglietta, (2010).

Le cadre macroprudentiel est instauré avec la création du Comité de Bâle en 1974, et les recommandations formulées en 1988, communément regroupées sous le titre Bâle I. Les propositions, en accord avec la Banque des Règlements Internationaux (BRI), visent à atténuer la procyclicité du système financier et à instaurer la stabilité. Cela s'est traduit par le ratio Cooke, qui impose aux banques de détenir au moins 8% de fonds propres par rapport à l'ensemble des encours de crédits accordés. Cela a été prolongé par les accords dits Bâle II, qui sont axés autour de trois piliers (BRI, 2003) : l'exigence minimale de fonds propres (prolongement du ratio Cooke), la surveillance prudentielle et enfin la discipline de marché. La réglementation en terme de fonds propres minimaux est le coeur du système.

Notre propos n'est pas d'expliciter techniquement les différentes modalités de Bâle I et II mais plutôt de livrer la perception qu'en ont les auteurs, principalement comme outil de réforme du Système Financier International5.

Une des caractéristiques du système bancaire est la grande diversité de ses acteurs : depuis le décloisonnement des années 1980, composante des « 3D », le secteur bancaire voit apparaître des investisseurs qui ne sont pas des banques mais qui pratiquent l'activité de crédit et la titrisation inhérente à ce marché. Ce sont des banques d'investissement, les hedge funds (fonds spéculatifs), ou plus généralement des Investisseurs Institutionnels. Leur fonctionnement et notamment le fort effet de levier qui caractérise leurs financements en font selon M. Aglietta des entités vecteurs de déséquilibres dans le système financier (Aglietta & Rigot, 2009). De plus, leurs activités sont reliées entre elles et imbriquées l'une dans l'autre, ce qui explique en partie la vitesse et l'ampleur de propagation de la crise financière de 2007. Repenser le cloisonnement et redéfinir le « métier » des banques est donc envisageable.

Pour Aglietta & Rigot (2009, p. 135), « aucune politique macroprudentielle contracyclique n'est possible si elle n'englobe pas la supervision par la banque centrale de la nébuleuse bancaire ». Cela peut se concrétiser par une régulation des banques d'investissement au même titre que les banques commerciales, ou encore par des mécanismes d'incitation à ne pas abuser de la fonction de prêteur en dernier ressort de la banque centrale. Cette fonction possède un effet pervers, celui de toujours présenter un garde-fou en situation de crise de liquidités, ce qui profite aux banques « sérieuses » mais également à celles ayant pris des positions risquées.

Un accord concernant une réglementation macroprudentielle devra être envisagé au niveau

5 Pour en savoir plus sur Bâle I et II, voir le site internet de la BRI.

international et nécessitera un approfondissement de Bâle II, afin qu'une coopération entre les économies concernées puissent s'établir ; cela concerne également les places financières offshore, qui font par ailleurs l'objet de réformes (cf. Partie I, II, 5. ). La réglementation prudentielle proprement dite vise à contrôler et réguler l'activité de crédit. Il s'agit de limiter l'effet procyclique du crédit, qui se traduit par un credit crunch en situation de crise de liquidité. Cet effet aggrave d'autant la récession : les entreprises éprouvent des difficultés à emprunter et à investir. Les banques doivent être incitées à ne pas restreindre les crédits de manière disproportionnée en situation de retournement de l'activité, et à ne pas s'engager dans une phase d'euphorie de crédit en cas de reprise. Cela pourrait s'impulser par une redéfinition des modèles d'évaluation des risques, leur portée, leur champ de considération, etc (Klein, 2009, p.298)6.

En revanche, contrairement à leurs ambitions, les normes prudentielles de Bâle II sont procycliques. Elles prévoient une provision en fonds propres proportionnelle aux engagements de crédits, qui sont ensuite pondérés en fonction du risque (donc au dénominateur de l'équation) : or le risque augmente en situation de crise et diminue d'autant la provision pour risque (Klein, 2009, p.297). L'approfondissement de Bâle II évoqué doit être réorienté vers un provisionnement des banques en fonds propres résolument dynamique, qui fluctuerait selon la phase financière dans laquelle elles se trouvent. Ceci pourrait s'apparenter à une « provision pour risque systémique » (Aglietta & Rigot, 2009, p. 137), et serait contrôlé par la banque centrale. La mise en pratique d'une telle mesure s'appuie sur les travaux de la BRI sur les écarts de spreads mais également sur l'hypothèse d'instabilité financière évoquée plus haut.

La règlementation macroprudentielle vise donc à rendre les décisions des acteurs financiers contra-cycliques vis-à-vis de l'économie réelle. Parallèlement à cette approche par la règle, il est envisagé une approche discrétionnaire de la « macrosurveillance », dirigée « du haut vers le bas » (top-down), dans laquelle l'intervention et son ampleur serait décidée par les autorités, par exemple la banque centrale (Landau J-P in Banque de France, 2010). La délicate et incertaine prévention des cycles financiers fait de cette approche une variable complémentaire qui est même, selon Landau, « indispensable ».

Ceci étant, en complément de la macrosurveillance évoquée jusqu'ici, la règlementation microprudentielle apparaît comme une réforme importante du Système Financier International.

6 O. Klein est professeur d'économie et de finance, HEC.

2. ... en prolongement d'une règlementation microprudentielle

La question de la règlementation microprudentielle doit être traitée avec la même attention que la règlementation macroprudentielle (ou microsurveillance). Ces deux entités forment un tout cohérent. La microsurveillance peut se définir comme l'application concrète des normes de régulation issues de Bâle II : les Trois Piliers. Puisque la règlementation macroprudentielle n'est à ce jour que peu développée, c'est par la microprudentielle que peut commencer la nécessaire stabilisation de la sphère financière.

La règlementation microprudentielle se décompose en une exigence de capital (solvabilité) et une exigence de liquidité, qui toutes deux découlent des propositions formulées par le comité de Bâle.

L'exigence de capital se concrétise par l'objectif de fond propres qui consiste à veiller à ce qu'aucune banque ne se retrouve dans une situation d'insolvabilité (incapacité totale d'honorer ses dettes auprès des créanciers), d'où le ratio Cooke puis ratio de solvabilité McDonough7. Cette règlementation des fonds propres vise à améliorer « la qualité, la transparence et l'harmonisation internationale ainsi que leur niveau global disponible dans les établissements financiers ». Il y a donc bien un souci de qualité, afin de ne pas reproduire les erreurs des produits « toxiques » redoutés lors de la dernière crise ; mais aussi un souci de quantité, afin de prévenir toute situation d'insolvabilité où la seule solution est alors un refinancement par la banque centrale ou un sauvetage étatique. Un autre aspect de l'exigence de capital est la couverture des risques de marché. Cela passe par une plus forte réserve de capital exigée pour les opérations de titrisation et de retitrisation, par l'introduction d'une « value-at-risk » (VaR). Cette valeur-en-risque a pour objectif de pondérer les exigences en fonction du risque. Il existe d'autres mesures dont la technicité n'est pas notre propos. Un dernier volet de réforme est la création d'un « ratio de levier » : il prendrait en compte l'ampleur du levier actifs/capital au sein de la banque dans les exigences qui pourraient lui être appliquées en terme de fonds propres ( Banque de France, 2010).

L'exigence de liquidité recouvre par définition le risque pour les institutions financières d'être en position d'illiquidité, c'est-à-dire en situation de manque de capitaux de manière temporaire (par opposition au caractère définitif de l'insolvabilité). Cette disposition est également prévue par Bâle II, mais la crise a démontré que son application se révèle incomplète. La Banque de

7 Fonds propres de la banque > 8% des (risques de crédits (85%),de marché (5%), opérationnels (10%)). Source : BRI, 2003.

France précise dans son rapport (BdF, 2010), que le volet concernant la position de liquidité des banques reste grandement perfectible, notamment par la complexité de la prévision et donc de la supervision dans ce domaine. L'objectif est de tendre vers une réglementation commune sur les actifs liquides dont dispose les banques, et ce malgré leur forte dépendance au business model de chacune des banques. Il semble se dégager l'idée d'un « ratio d'actifs liquides minimum » plutôt conjoncturel (horizon d'un mois), et un ratio « structurel ».

L'idée d'une microsurveillance dans le but d'accroitre la régulation macroprudentielle est établie par d'autres auteurs. La plupart rejoignent les concepts précédemment cités. Cependant un autre volet est celui des amortisseurs. Plutôt que des fonds propres, il peut être envisagé des « amortisseurs non-discrétionnaires » (Cartapanis, 2009), qui permettraient de réguler les provisions des acteurs financiers de manière explicite, visant ici la règle. Cela s'établirait en complément de mesures dont l'ampleur serait régulée selon la situation du système financier, visant ici la discrétion.

Les deux aspects de la réglementation établis jusqu'ici (macro et micro) ne trouvent un sens que dans leur application, dans la perspective d'une rénovation du Système Financier International. Ils recouvrent en fait plusieurs mesures concrètes, affectant les différents acteurs de la finance. La réforme est rendue nécessaire par l'ampleur de la crise, et par le constat d'une faille de la discipline de marché qui n'apporte plus l'efficacité escomptée par la théorie orthodoxe (marché autorégulateur).

3. Rétablir le contrôle de la finance par la finance

La problématique est de comprendre comment rendre aux marchés financiers une partie de leurs attributs en utilisant les instrument déjà disponible, dont l'autodiscipline. En effet, le discours exagéré sur la « fin du capitalisme » (par exemple le sociologue I. Wallerstein, 2008) ou la fin de la finance ne doit pas induire une remise en cause totale du secteur financier : ce sont les moyens plus que la fin qui nécessite une rénovation. Ainsi il faut promouvoir le rétablissement d'une discipline de marché efficace comme « composante essentielle » de la réglementation prudentielle (Aglietta & Rigot, 2009, p.139). Cette discipline de marché n'est à l'évidence pas ou peu présente, il convient donc de détailler les réformes qui pourraient tendre dans ce sens. La stabilité financière passe donc par une revalorisation et une refonte de ses propres outils et principes, dont l'impulsion devra être règlementaire. Nous verrons dans cette sous-partie le rôle du contrôle interne (a), la nécessité de revenir sur les normes comptables (b), la réforme des agences de notation (c), et enfin la question

des rémunérations dans le secteur bancaire (d).

a) Le contrôle interne ou l'autorégulation des acteurs

Le contrôle interne est un des trois piliers de la régulation du système financier, avec la règlementation et la discipline de marché. Il apparaît dans les années 1990, en lien avec la croissante sophistication des marchés financiers. L'ambition est alors de proposer une alternative à la réglementation, en transférant une partie du contrôle vers les acteurs financiers eux-mêmes. La crise impose de se demander si cette stratégie des trois piliers est encore d'actualité, ou bien s'il faut se rediriger vers la réglementation, à l'instar du début des années 1980. L'autorégulation apparaît pour J. Couppey-Soubeyran8 comme une variable-clé de la pérennité du Système Financier International, dont la contribution à la réglementation bancaire serait cruciale et « éprouvée par la crise ». Trois raisons permettent donc de valoriser le contrôle interne :

l'action plus englobante et donc plus efficace d'une réglementation par trois biais plutôt qu'un seul,

la moindre tentation de contournement de la réglementation si elle est interne (par opposition au ratio Cooke, en partie éludé par la titrisation),

une proximité avec acteurs de la finance, avec une réduction des temps de réaction et d'adaptation.

Le contrôle interne constitue donc une idée de réforme intéressante, ayant l'avantage de responsabiliser les acteurs directement concernés, les banques et leur autodiscipline. Néanmoins, force est de constater que le secteur bancaire ne peut s'appuyer sur cette unique régulation. Il est nécessaire de cadrer l'activité des banques, selon leur métier et leurs objectifs : c'est le rôle des normes comptables.

b) Revoir les normes comptables

Le système bancaire est régi par des normes comptables internationales, les IFRS (International Financial Reporting Standards). La question est ici le mode d'évaluation des actifs

8 J. Couppey-Soubeyran est maître de conférences en économie, Université Paris I.

qui, selon ces normes, se base sur le prix de marché : c'est la fair value. Or cette approche est critiquable, puisque les phénomènes de bulle puis de crash dans la finance ont montré que les prix de marché peuvent connaître des variations irrationnelles, et déconnectées de tout fondement économique « réel »9. La réforme pourrait s'établir par l'introduction d'un mode d'évaluation complémentaire, qui serait employé en cas de « défaillance de marché » avérée. Cela pourrait prendre la forme d'une évaluation de type mark-to-model (par opposition au mark-to-market, voir au mark-to-myth (Aglietta & Rigot, 2009, p.145), lorsque la notation repose sur l'intérêt des vendeurs), qui analyse la valeur d'un actif en fonction d'un modèle financier théorique basé sur des hypothèses et pas seulement sur le marché liquide (Klein, 2009, p.297).

L'opposition théorique est celle de la prise en compte du passé ou non, selon une valorisation des actifs avec toute l'information en t ou bien avec l'information en t et celle qui adviendra en t+1. La comptabilisation à la fair value est néanmoins une forte amélioration par rapport à la méthode du coût historique. Mais elle ne tient pas compte de l'évolution de long terme, des changements en terme de facteur de production... Outre la nécessité d'une évaluation de type mark-to-model, la gestion des fonds propres dynamique évoquée plus haut permettrait selon Aglietta d'approfondir et d'améliorer la fair value, car c'est une forme « d'ajustement à la valeur comptable des prêts » octroyés par les banques. Ainsi le provisionnement dynamique serait une alternative à la tendance procyclique des règles comptables. Rochet (2008) établit en revanche qu'une telle réforme atténuerait la motivation des banques à détenir des fonds propres. Il précise ainsi qu'elles en détiennent en général bien plus que le ratio minimal, du fait de la discipline de marché. Allen et Carletti (2008) privilégient l'approche selon laquelle la valorisation des actifs doit se faire par les trois méthodes, en complémentarité : les agences se doivent de prendre en considération la méthode fair value, ainsi que mark-to-model tout en les mettant en perspective avec les coûts historiques. Pour atténuer les possibilités d'erreurs et de failles dans l'évaluation, il est nécessaire de veiller à la concordance de l'une des trois méthodes avec les autres. Les auteurs imaginent un seuil (5%) au delà duquel l'écart d'un indicateur par rapport aux deux autres implique un transfert d'information, afin d'éventuellement corriger la valeur : l'information et donc les erreurs sont gérées en flux-tendu.

9 Voir analyse de Rochet J-C (2008), p.108.

c) Réformer le rôle et la méthode des agences de notation

Les agences de notation ont un rôle crucial dans le Système Financier International, celui de définir la note (rating) d'un actif financier, d'une dette, de titres d'État, etc. Dans le cadre de Bâle II, une banque peut également avoir recours à une agence de notation en vu de déterminer le niveau de fonds propres adéquat. Les agences de rating ont été critiqué lors de la crise, mais déjà lors de l'affaire Enron, où des preuves d'intéressements et de délits d'initié avaient émergé.

Leur réforme consisterait d'une part à modifier leurs procédés. Les notations ont un caractère procyclique, puisque la portée temporelle de leurs analyses est trop courte et l'évaluation n'est pas assez différenciée selon le type d'actif : soit réputé peu prévisible, comme les CDS ou à l'inverse plutôt stable, comme les Bons du Trésor. Klein (2009, p.298) propose alors d'inciter à la « due diligence des sous-jacents de la titrisation » , c'est-à-dire oeuvrer à se prémunir contre tout élément négatif dû à une opération qu'on sait évitable. Il s'agit d'éviter des fraudes sur la prétendue non-connaissance des subprimes au sein de certains actifs d'apparence saine, notés par les agences lors de la crise. Cela revient à favoriser l'audit préalable ou encore l'obligation de vigilance, deux principes régissant en théorie le système financier.

D'autre part, le statut des agences de notation est également pointé du doigt. En effet cellesci demeurent privées, et sont rémunérées par les émetteurs de titres qui ont besoin de la notation : les trois principales agences (Moody's, Standard & Poor's et Fitch Rating) sont donc à la fois « juge et parti », et sont en concurrence, avec les soucis de partialité que cela suppose. Une piste de réforme pourrait être de rendre les agences de rating publiques, notamment si leur production est considérée comme un bien collectif. Une autre serait l'application du principe « InvestisseurPayeur » (CESR, 2010), afin de supprimer les conflits d'intérêt ; ceci étant, sa faisabilité technique et l'exclusivité de l'information en font une réforme délicate.

Enfin il peut être envisagé une tierce solution qui consisterait à imposer un intermédiaire (du type Autorité des Marchés Financiers, AMF) entre l'investisseur et l'agence de notation, qui assurerait également une fonction de supervision. Le système ne serait plus centré sur l'émetteur mais sur l'investisseur, avec un plus grand rôle pour l'autorité de marché10 (Fabié, 2009 ; cf. Annexe 2, p. 92). Une dernière mesure envisageable pour les agences de rating est la séparation de leur activité de conseil et de leur activité de notation. Un tel cloisonnement permettrait de limiter une fois encore les possibles conflits d'intérêts, et introduire ainsi une autodiscipline au sein des

10 V. Fabié est chercheur à l'université Berkeley, Californie.

agences.

Au delà de la réforme des agences de notation, le secteur bancaire doit redorer son blason en solutionnant le problème des rémunérations, et notamment les bonus et autres privilèges qui sont socialement désapprouvés.

d) La question des rémunérations dans le système bancaire

La rémunération des dirigeants de banque et les bonus des traders ont été décriés depuis l'éclatement de la crise et le sauvetage des banques (notamment françaises) par l'État et par des fonds publics. S'est alors posé et se pose encore un problème de concordance : peut-on accorder de tels bonus et des rémunérations considérables aux dirigeants de banques quant ils apparaissent, aux yeux de la société, responsables de la crise financière ? La nécessité de réformer ce système de rémunération est donc apparue, notamment suite aux diverses annonces d'octroi de bonus très importants parmi les banques qui ont très vite renoué avec les profits11. En France, la situation d'illiquidité du marché qui s'est produite à l'automne 2008 a imposé un plan de sauvetage des banques, de l'ordre de 360 milliards. Ce plan était composé de recapitalisation et de prêts garantis avec collatéral. Dès novembre 2008, un rapport de Natixis (Artus P. & Caffet J-C., 2008) prévoyait ce plan comme un investissement globalement rentable, augmentant temporairement la dette mais pas le déficit public. Malgré le fait avéré d'un gain global pour l'État, les rancoeurs sociales demeurent, et l'ensemble des critiques semblent se cristalliser vers les banques et leurs acteurs. La rémunération en est la principale cause.

Au-delà du principe des bonus, qui est inhérent au métier de trader, leur montant et l'écart avec le salaire moyen au sein de la société pose un problème d'équité et de justice sociale. Mais cet argument est complété par un manque de logique économique : il y a distorsion entre le montant de ces bonus et les performances qu'ils sont sensé représenter. Selon Aglietta & Rigot (2009), les rémunérations au sein des banques d'investissement respectent une stratégie visant à favoriser les managers, au détriment des autres employés et des actionnaires. Les salaires de dirigeants sont une « rente prélevée sur l'économie », qui ne respectent « aucune explication de théorie économique », symbolisent la « mauvaise gouvernance » et sont donc « proprement ahurissants ».

Au-delà, c'est l'ensemble de la rémunération au sein des banques, basée sur les bonus, qui

11 Par exemple BNP Paribas : bénéfices 2009 en hausse de 93% (6 milliards d'euros), 1 milliard d'euros de bonus versés à 4000 traders. Source: bnpparibas.net

est critiquable. Les bonus sont établis en fonction des gains de court terme, et il n'y a pas de malus. Un gain énorme en t sur une prise de position financière induit un bonus, et une perte conséquente en t+1 n'implique pas d'ajustement de la prime. Il y a donc procyclicité des bonus, puisqu'ils incitent à la prise de risque.

Les pistes de réforme des bonus est un des volets où la réglementation effective progresse. Ceci étant, les propositions théoriques apparaissent dès 2009. Ainsi Klein (2009), suggère de pondérer sur le long terme les bonus, récompensant ainsi des prises de position révélatrices de la performance du trader. Les primes ne seraient versées qu'une fois toutes les positions sur actif soldées. De plus, les montants devraient être soumis à un plafond, qui ne dépasserait pas un certain multiple du salaire fixe du trader (l'auteur ne précise cependant pas quel multiple : 2, 10, ... ?). Enfin, il pourrait être judicieux d'imposer la supervision des bonus par un organisme, qui éluderait une trop forte concurrence entre les banques pour s'approprier les meilleurs traders (objectif invoqué par les banques).

Même si la question du bonus des traders est importante, elle est révélatrice d'un problème d'ampleur plus large. K. Schwab12 (2010) précise que c'est un « faux débat », qui cache la transformation du rôle des entreprises, et notamment les établissements financiers. Le créateur de la théorie du stakeholder établit en effet que l'entreprise est passée « d'une entité possédant un sens à une autre servant un objectif ». Les bonus des traders traduiraient en réalité le fait que les entreprises et les banques recherchent davantage de profits, servant en premier lieu leurs propres intérêts, laissant de côté leur responsabilité d'acteur social et de pourvoyeur d'emploi. Le secteur financier serait encore plus touché par ce symptôme. L'auteur préconise ainsi de se concentrer sur l'objectif majeur de lutte contre cette « perversion du système entrepreneurial », qui est susceptible de déterminer l'ensemble des conditions économiques et sociales futures. En conclusion, une possible législation sur la rémunération des acteurs financiers, notamment des traders, permettrait de rationaliser les salaires et de les rendre plus subordonnés aux résultats ; ceci étant, l'enjeu est d'ouvrir la voie à une profonde réflexion sur le rôle et le droit inhérents à la finance, et à l'entreprise en général.

Pour conclure, l'ensemble des réformes présentées jusqu'ici s'inscrivent dans une approche exogène, puisque ce sont des pistes évoquées dans le but de réduire ou supprimer certaines causes de l'instabilité qui sont extérieurs au système financier : ce sont les normes comptables, normes prudentielles, les règles de rémunération... Après avoir énoncé les différentes réformes portant sur le

12 . K. Schwab est un économiste suisse créateur du Forum Économique Mondial de Davos.

secteur bancaire et la règlementation bancaire, il convient maintenant de présenter les réformes concernant les facteurs d'instabilité endogènes : règlementer les services financier (produits dérivés), augmenter le champ de vision des investisseurs (réduire le court-termisme) et réfléchir sur la circulation des capitaux avec notamment le problème des paradis fiscaux. En résumé, jeter les bases d'un nouveau Système Financier International.

2. Construire la stabilité du système financier international

Au delà de la réforme du système bancaire, le fonctionnement du Système Financier International fait l'objet de critiques. De nombreux travaux d'économistes de la finance internationale ont tenté d'éclairer les concepts-clé et les enjeux des réformes possibles. Comme nous le verrons en conclusion, il demeure une distorsion entre les pistes évoquées et leurs traductions en politiques concrètes, puisque créer une Nouvelle Architecture Financière Internationale (NAFI) est un processus long et présentant de grandes difficultés théoriques, politiques...

Changer le fonctionnement de la finance internationale requiert d'en questionner la logique, les techniques, mais également la fonction au sein de l'économie globalisée. En effet, puisque de vives critiques du Système Financier International ont semblé venir de tous bords et n'épargner aucun acteur de la finance, pourquoi ne pas réduire à néant la finance et la spéculation, ou réduire fortement sa portée ? Après tout, le crash boursier de 2008 a atteint des records13, mais cela peut-il s'assimiler à une perte « réelle » de richesse? L'économie mondiale aurait dû s'effondrer dans les heures ou les jours qui ont suivi si de telles sommes perdues avaient toutes un ancrage concret dans une branche quelconque de l'économie14. Quel pays survivrait à une perte de 20% de ses richesses en un jour? Pourtant, la transmission à l'économie réelle de la crise financière, bien qu'ayant d'abord demeuré inaperçue, s'est effectivement déroulée, avec des conséquences que les pays occidentaux paient encore aujourd'hui et pour une durée indéterminée : chômage de masse, déficit et endettement publics difficilement soutenables... Ainsi, le Système Financier International comporterait en son sein plusieurs facettes, dont certaines seraient tournées vers des applications tangibles et d'autres feraient de la finance un but en soi, la spéculation.

13 Le lundi 06 octobre 2008, Paris perd 22%, Tokyo 24% et New-York 21%.

14 On peut ici citer le « jeudi noir » 19 octobre 1987, où la bourse de New-York perdait 22,6%, plus grosse perte de son histoire, suivit par les autres places boursières dans le monde. La crise crainte alors n'advint pas notamment grâce à l'injection de liquidité de la Fed, et l'année 1988 connue une croissance positive dans les PDEM. En conséquence cela peut être assimilé à « un krach pour rien ! » ( Farrokh, M., 2007).

La fonction originelle de la finance internationale est l'allocation des ressources là où elles sont économiquement nécessaires, c'est-à-dire assurer le financement du commerce mondial et des balances des paiements. Aujourd'hui, la finance internationale a un rapport indirect avec le financement des échanges et des investissements dans l'économie globalisée : les marché financiers suivent une logique spéculative, et connaissent des flux d'échanges considérables entre les différentes monnaies et les instruments financiers, à tout instant et en tout endroit de la planète. Le Système Financier International a donc connu un changement structurel profond et est devenu l'outil de la spéculation. Cette évolution comporte plusieurs effets, dont certains sont ambivalents. Les effets de levier, permis par la spéculation, agissent comme un catalyseur de croissance, mais l'ampleur et la portée ne sont pas la même pour tous les pays ni pour toutes les catégories d'acteurs économiques : entreprises, ménages, administrations publiques, etc. : ainsi les dernières décennies ont été marquée par des périodes de forte croissance entrecoupée par des crises financières coûteuses. De la même manière, la titrisation a permis de s'assurer contre les risques inhérents aux titres financiers, mais a entrainé une dérive spéculative dont la crise de 2008 n'a été que le révélateur.

Le Système Financier International est donc une entité complexe, dont les caractéristiques sont ambiguës. Ainsi il apparaît que la finance internationale ne peut et ne doit être mise en péril dans sa totalité, même si de profondes réformes apparaissent urgentes. L'enjeu de cette partie est de présenter les réformes ayant pour objectif la stabilité financière internationale. La méthode consiste à tenter de prévoir les cycles financiers et d'anticiper ainsi les phases de retournement, voire de les éluder. A cet effet, les instruments financiers devront être mieux encadrés et plus lisibles, en complément d'une règlementation efficace et coordonnée des acteurs du système financier.

Au cours de cette partie, nous étudierons comment les produits dérivés peuvent et doivent être règlementés (1), en parallèle à un encadrement et une législation des hedge funds (2). Au delà, cela incite à une vision à long-terme (3), et à reconsidérer le dogme de la libre-circulation des capitaux (4). Enfin, pour que les tentatives de réforme soient efficaces, il faut interdire ou fortement encadrer les paradis fiscaux (5).

1. Règlementer les produits dérivés

Bien qu'apparue dans les années 1960, la titrisation s'est amplement développé dans la fin

des années 1990-début 2000. Cette technique consiste à transformer des créances (par exemple des prêts immobiliers) en actifs financiers, côtés sur le marché des capitaux et donc directement échangeables. La mise en application se fait par l'intermédiaire de produits dérivés, servant à spéculer sur des risques (non-remboursement, chute des cours), et fonctionnant de la même manière qu'une police d'assurance. Les produits dérivés sont désignés comme principaux responsables de la crise financière car ils créent de l'instabilité au sein du Système Financier International. Nous verrons la nature instable des produits dérivés, puis la titrisation telle qu'elle pourrait être réformée, et en particulier le rôle des CDS et CDO.

Les produits dérivés sont des instruments financiers régis par l'IAS 39 et constituent une des principales innovations financières des dernières décennies. Les produits dérivés sont les outils de la titrisation, et forment une partie de l'activité de crédit des banques devenue indispensable. En effet, les besoins croissants en capitaux de l'économie mondiale nécessitent un apport de fonds considérables. Dans une économie d'endettement le rôle des banques est donc crucial, notamment dans la facilitation de l'investissement pour les entreprises et de la consommation pour les ménages. Or, sans la titrisation, les effets de leviers seraient fortement diminués et les possibilités de crédit d'autant plus restreintes. Autrement dit, la seule fourniture des fonds propres ne suffirait pas à financer la croissance mondiale. Ceci établit que la titrisation demeure nécessaire, ce qui ne minore en rien les besoins de réforme.

La sophistication et la multitude d'instruments financiers (Credit Default Swap (CDS) Collateralised Debt Obligation (CDO), et autres produits structurés) ont quelque peu brouillé les

Tableau 2: CDS et CDO

Un CDO est un produit dérivé structuré, regroupant au sein d'un même titre plusieurs types d'actifs

sous-jacents (créances, obligations...). Les CDO sont émis par les banques par l'intermédiaire d'un Special Purpose Vehicle (SPV) et sont composés de trois tranches, selon le dégré de risque:

· la tranche equity, la plus risquée

· la tranche mezzanine, intermédiaire

· la tranche senior ou super-senior, la moins risquée

Un CDS est un produit dérivé permettant au détenteur d'un titre de créance de s'assurer contre le

risque de défaillance de l'emprunteur. Le risque est ainsi tranféré du créancier vers un tiers, dérsireux de

l'assumer. Les CDS peuvent ensuite s'échanger de nombreuses fois sur les marchés financiers et sont donc un instrument de spéculation privilégié.

 

repères, et notamment la capacité de compréhension, d'analyse et donc de contrôle de l'activité de titrisation. La plupart des banques d'investissement ont leurs propres systèmes de fonctionnement, leurs propres codes ce qui amplifie d'autant la complexité d'analyse pour un quelconque superviseur. Si bien que la supervision en question est souvent trop peu présente, et les banques d'investissement ont développé leur propre logique, dont la gestion est critiquable.

Selon Aglietta & Rigot (2009, pp.141-144), il est possible de dresser une typologie de la titrisation efficace d'une part et d'autre part celle qui comporte des anomalies et est créatrice de risques inutiles. Les auteurs établissent ainsi que les banques d'investissement ont imposé un modèle générateur de risque, où l'information est diluée, tout en favorisant le volume de crédits au détriment de la qualité. Ce modèle présente des « anomalies grossières » dans la gestion du risque, puisque tant la notation que l'information sur les titres sont floues et parfois contradictoires15.

A l'opposé, la titrisation « correctement gérée »16 assurerait une dissolution du risque plus efficace tout en proposant des coûts de financement réduits et un choix de portefeuille plus large. Elle se concrétise par une sécurisation de la liquidité sur des marchés parallèles à la titrisation mais aussi une déconnexion entre la qualité du crédit et celle du titre sous-jacent. La titrisation doit être simplifiée, avec la suppression des titres multi-étages comme les CDO pour avoir des titres dont le risque est divisé donc facilement identifiable.

L'organisation des marchés d'actifs serait ainsi segmentée et mieux organisée, ce qui permet une meilleure supervision, que ce soit par les investisseurs eux-mêmes ou par un organisme chargé de cette mission de surveillance. Une telle tutelle de marché serait affectée à la surveillance des marchés dérivés et pourrait être doublée d'une chambre de compensation, qui préviendrait les déséquilibres et notamment le risque d'illiquidité (Klein, 2009, p. 303). Enfin, cela suppose une évaluation performante des actifs (c'est-à-dire consciente des « vrais » risques) par les différents acteurs. En outre les investisseurs doivent réellement porter le risque lors d'une spéculation, et pas uniquement le transférer à un tiers.

La question de la standardisation des produits de la titrisation est primordiale. Les marchés de certains produits dérivés sont ainsi très peu régulés et présentent une forte hétérogénéité. Ainsi la titrisation devrait suivre une logique économique plus que spéculative, et éviter les dérives des produits dérivés, fauteurs de troubles dans le système financier ; la spéculation à la baisse en 2008

15 Par « information sur les titres » les auteurs visent l'ensemble de données pertinentes sur un produit dérivé, à savoir le montant réel du crédit, son échéancier, sa nature risquée ou non... Ce sont ces informations qui ont manqué lors de la crise des subprimes.

16 Cette titrisation devrait être la norme, et consitue ainsi une voie de réforme possible pour les deux auteurs.

ou encore la crise de la dette grecque au printemps 2010 le prouve. La standardisation doit permettre une complète perception des risques et des rendements lorsqu'un investisseur acquiert un produit dérivé.

Les CDO ont par exemple vocation à regrouper des crédits « toxiques » et des crédits « sains », afin de diluer le risque. Or selon Aglietta & Rigot, c'est ce mélange qui est justement pervers car dissimulateur du risque réel attenant à un crédit ; c'est un des points de départ de la crise des subprimes. Il est nécessaire de créer plusieurs marchés d'obligations, dans lesquels chacune des tranches d'un CDO (voir Tableau n°1) serait négociée : le risque est ainsi connu et donc mieux appréhendé. Les différents Asset-Backed Security (ABS)17 liés aux CDO seraient standardisés et leur gestion différenciée selon la qualité. Les plus risqués seraient centralisés et normalisés, en plus d'être régulés par une chambre de compensation. L'objectif principal est d'éviter le risque systémique et de « limiter automatiquement les leviers financiers excessifs et la concentration des positions dans le même sens ».

Le marché des CDS ou « couverture de défaillance » (Adda, 2010), doit également être réformé. La confiance est une des carences du Système Financier International, et il est nécessaire de la rétablir par l'encadrement des CDS. Ceux-ci permettent en théorie aux banques de se couvrir contre le risque de défaut d'une contrepartie (voir Tableau n°1). Mais ce qui ressemble à une prime d'assurance pour non-remboursement d'un crédit se révèle être un instrument de spéculation, qui a amplifié la crise lors de sa phase de retournement et de crise de confiance. En effet, les CDS permettent de spéculer sur un risque de défaut, dans une ampleur telle que le CDS peut couvrir un montant plus grand que le crédit sous-jacent ; un investisseur peut même se couvrir contre un risque qui ne le concerne pas. Autrement dit la spéculation sur les CDS est vecteur d'instabilité, et amplifie les cycles18.

Pour la question de la régulation du marché des CDS, là encore la standardisation est nécessaire. Ils doivent être régis par des normes internationales précises, et échangés sur des marchés spécifiques, différenciés selon le type de CDS. Il serait bon d'envisager la création de chambres de compensation, qui garantiraient la liquidité des contrats, par l'exigence de dépôts préalables aux prises de position et compensés en fin de journée (Klein, 2009, p. 303). Par ailleurs,

17 Valeur mobilière adossée à des titres, dont les flux peuvent être basés sur un portefeuille d'emprunts immobiliers, de crédits à la consommation... Les ABS sont des titres privilégiés dans les opérations de titrisation.

18 La crise de la dette grecque illustre cette situation: la spéculation sur les CDS venant de hedge funds augmentent leur prix, ce qui amplifie la perception d'un risque et augmente in fine les taux d'intérêts, dégradant ainsi les conditions de financement de la Grèce (et donc ses possibilités de défaut: la situation est proche des prophéties autoréalisatrices).

il serait nécessaire selon Chesney (2009) de « conditionner l'achat d'un CDS à la détention de l'obligation sous-jacente ». En effet, le fait de détenir une assurance sur un bien que l'on ne possède pas pose un problème d'aléa moral, voire d'intéressement à la réalisation du risque. En outre, il serait opportun d'interdire les transactions Over the Counter (OTC), c'est-à-dire de gré à gré, pour les institutionnaliser et supprimer leur opacité.

Au delà, les CDS et les CDO posent la nécessité de lutter contre l'aléa moral lié à la titrisation. Les banques devraient supporter le risque des crédits qu'elles accordent, et ne pas uniquement transférer le risque à un tiers via le marché des dérivés. Klein (2009, p.303) avance l'idée d'une obligation de détenir au moins 10% de la responsabilité sur un crédit accordé. Plus encore, il est primordial de revenir sur le court-termisme des banques, et leur imposer une réglementation des leviers de crédits : les fonds investis doivent subir des « examens rigoureux » (Aglietta & Rigot, 2009, p. 144), ne pas céder aux tentations des innovations financières...

En résumé, nous avons vu la nécessaire réforme de la titrisation par l'encadrement des produits dérivés. Ceux-ci doivent être standardisés, ancrés dans une logique économique plus que spéculative et ne plus dissimuler le risque sous-jacent. Par ailleurs les CDO nécessitent d'être refondus voir interdit, et les CDS mieux encadrés et régulés afin de supprimer l'aléa moral et la spéculation potentiellement dangereuse. Mais au-delà, une des pistes de réforme est de règlementer les fonds spéculatifs (hedge funds) qui se servent massivement des CDS et CDO et qui sont des acteurs générateurs d'instabilité.

2. La règlementation des hedge funds

Les hedge funds ou fonds spéculatifs sont des acteurs financiers dont l'activité est le placement de capitaux pour le compte d'investisseurs privés et surtout d'investisseurs institutionnels (fonds de pension, compagnies d'assurance...). Le nombre de hedge funds a été multiplié par trois entre 2000 et 2007, et ceux-ci ont géré pour plus de 1860 milliards de dollars en 2008 (Aglietta, Khanniche & Rigot, 2010). La plupart d'entre eux sont domiciliés aux Etats-Unis et n'obéissent à aucune loi fédérale régissant la finance. Selon Aglietta et alii, les hedge funds sont créateurs de risque systémique en réagissant de manière mimétique et disproportionnée aux situations de stress sur les marchés financiers, qui ont contribué à la dernière crise financière. Par l'utilisation de la titrisation (notamment en spéculant sur des CDO et en se couvrant du risque par des CDS) et de forts effets de leviers, les hedge funds sont vulnérables aux cycles financiers et subissent

d'importantes pertes en cas de retournement du marché (pour illustrer la propagation du risque, voir le schéma de l'Annexe 3, p. 93). Et, lorsque les fonds proviennent de banques ou de fonds de pension, un hedge fund en faillite peut entrainer une banque dans sa chute : cela s'est produit avec la banque new-yorkaise Bear Stearns.

De ce constat accablant, il apparaît nécessaire une profonde remise en cause du rôle des hedge funds, en instaurant une règlementation efficace. Les banques d'investissement subissent le risque de leurs placements auprès des hedge funds, dont l'opacité est une des principales caractéristiques : il n'y a aucune incitation règlementaire à révéler les stratégies de placement, de même que les risques inhérents. Comme la supervision des hedge funds est quasi-inexistante, ils ne subissent pas de restriction en matière de transparence des actifs, ni dans l'ampleur des leviers autorisés.

Tableau 3: Les « hedge funds » (fonds d'investissement, fonds de couverture)

Les hedge funds sont des organismes financiers spécialisés dans le portage de risques dont certains

opérateurs souhaitent se défaire. Ces fonds sont spécialisés dans des opérations spéculatives dans lesquelles le risque pris va de pair avec des rendements élevés, partagés entre financeurs et opérateurs.

Les hedge funds privilégient la gestion alternative, plus rémunératrice mais plus risquée (par

opposition à la gestion indicielle, calquée sur le CAC 40 par exemple). Ils agissent sur les marchés à terme, mais aussi lors d'opérations d'arbitrage sur taux de change, sur des ventes à dévouvert (short sell), c'est-à-dire sur des titres que l'opérateur ne possède pas.

Les hedge funds ont subi de lourdes pertes lors de la crise des subprimes, certains d'entre eux faisant

faillite, entrainant la suppression de millions de dollars d'épargne.

D'après Alternatives Economiques (H-S, 2009)

 

Selon Aglietta et alii, la règlementation existante a montré ses failles lors de la dernière crise financière. Il importe donc d'approfondir la réglementation des hedge funds, notamment en limitant les possibilités de leviers : en effet, les hedge funds (et les banques qui leur prêtent les fonds) s'exposent à des risques considérables lors d'opérations impliquant des gains ou des pertes qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de fois les montants engagés. Au delà, c'est l'ensemble du système permissif instauré par la titrisation et les produits dérivés qui doit être repensé et règlementé (comme nous l'avons vu précédemment). Il convient en outre de forcer les dirigeants de hedge funds à s'enregistrer et déclarer leurs activités auprès d'une autorité de régulation ; mais aussi d'inciter à la transparence des actifs, des leviers de placements (limites précises et chiffrées des

leviers), des risques qui sont liés, tout en veillant à ne pas violer le secret bancaire. Les auteurs précisent que cela ne sera efficace qu'en parallèle à une règlementation des paradis fiscaux (ce que nous verrons dans la sous-partie 5.) Enfin, même si les coûts de mise en place d'une telle régulation des hedge funds peuvent paraître considérables, une analyse coût avantage intégrant le gain de transparence pour les marchés (condition indispensable à leur efficience), révèle l'intérêt de la réglementation.

Nous avons donc montré la nécessaire régulation des hedge funds, par une règlementation efficace. Cela permettrait d'éviter les faillites à cause de prises de risque démesurées, et de favoriser la stabilité financière internationale en limitant le risque systémique. Mais au delà de la régulation et la règlementation des acteurs, qui est nécessaire, il faut encourager l'émergence de nouveaux acteurs de la finance internationale, qui provoquent moins de déséquilibres. Cela amène à repenser le Système Financier International, et en particulier favoriser les investisseurs de long terme.

3. Réduire le court-termisme: le rôle crucial des investisseurs de long terme

La crise financière actuelle remet sérieusement en question la finance telle qu'elle s'est développée depuis les années 1980 et la libéralisation du secteur. Au delà, c'est l'ensemble du Système Financier International qui nécessite d'être rénové. Mais les réformes visant à réguler la finance ne doivent pas restreindre les besoins de financement considérables de l'économie globalisée , en particulier les ambitions de croissance des pays en développement (PED) et des pays émergents. En outre il faut tenir compte du fort potentiel de croissance de ces pays dynamiques, sans doute les leaders de demain. Dès lors, comment éluder les failles du système (spéculation excessive, dérives bancaires...) tout en permettant à la finance d'apporter les ressources, et notamment l'épargne, là où elle est économiquement nécessaire ? La solution peut être apportée par les investisseurs de long terme. C'est cette idée de Aglietta & Rigot (2009, pp.177-238) que nous allons développer dans cette sous-partie ; ces auteurs consacrent une large part de leur ouvrage sur ces investisseurs de long terme, ce qui est une piste de réforme systémique sérieuse. Nous verrons qui sont les investisseurs de long terme et quel pourrait être leur rôle dans la construction de la stabilité du Système Financier International, qui est toujours l'objet de notre partie.

Une des principales ambitions est de réduire le court-termisme, c'est-à-dire orienter les investisseurs vers des placements de long terme. En effet, une des caractéristiques des investisseurs

institutionnels19 est de placer des capitaux en vue d'en retirer un rendement maximal sur une période la plus courte possible. Et cela pose des problèmes, notamment dans les grandes entreprises qui sont aujourd'hui sous la coupe d'un capitalisme actionnarial. Les ambitions des actionnaires et donc des investisseurs peuvent être contradictoires avec celles de l'entreprise : cette dernière privilégie les investissements de long terme (par exemple en capital), dont le rendement peut être long à intervenir. Il se pose donc souvent un dilemme entre les intérêts des investisseurs d'une part et ceux des entrepreneurs et des salariés d'autre part : ce dilemme est clairement tranché en faveur de l'actionnaire, puisque les grandes entreprises sont dépendantes de leur cours de bourse et des signaux de rentabilité qu'elles envoient aux investisseurs. Cependant, certains investisseurs institutionnels semblent se rapprocher de la vision à long terme.

La caractéristique principal des investisseurs de long terme est que leur passif est constitué de ressources collectives, ils n'ont donc pas de responsabilité vis-à-vis d'épargnants individuels, comme les fonds de pension en ont vis-à-vis de leurs retraités. Les stratégies des investisseurs de long terme sont définies précisément par des organismes de tutelle. Ce peut être « un Etat, une université, une collectivité territoriale ou un organisme financier public, par exemple le fonds de réserve des retraites français ». Contrairement aux fonds de pension de type américain, les investisseurs de long terme ne font pas porter le risque aux seuls ménages et participent à une socialisation des risques, assumant eux-mêmes une partie des éventuelles pertes. Aglietta & Rigot opposent ainsi les fonds de pension à cotisations définies (de type Fonds Commun de Placement (FCP)) aux fonds de pension à prestations définies : ce sont les investisseurs de long terme, qui assurent des flux de revenus sur longue période, quel que soit la tendance des marchés financiers.

Même s'il la frontière entre un investisseur de long terme et un investisseur institutionnel est parfois floue, il est possible d'établir une classification des investisseurs de long terme. Cela dans le but de pouvoir identifier les acteurs qui peuvent contribuer à créer une certaine stabilité financière. Il s'agit d'une part des fonds perpétuels et notamment:

les fonds souverains : représentent la majeure partie des fonds perpétuels, suivent une logique purement financière, et ont néanmoins comme objectif une prise en compte des risques macroéconomiques mais également le développement à long terme du pays d'origine (élaborent des stratégies de développement, notamment afin d'éviter le « syndrome hollandais »20).

19 Les fameux «zinzins» : ce sont les fonds de pension, les compagnies d'assurance, les fonds de retraites.

20 Désigne une situation économique dans laquelle un pays qui exporte principalement des ressources naturelles se voit confronté à une surévaluation de son taux de change liée à de fortes entrées de devises, débouchant par la suite à une

les fonds publics de lissage des systèmes de retraites : permettent de compenser les déséquilibres financiers des systèmes de retraite temporaires dus à l'arrivée à la retraite des naissances issues du baby-boom. Ambitionnent d'« optimiser le rendement des placements en limitant le risque » ; exemple du Fonds de réserve des retraites (FRR) français.

les fonds de dotations universitaires : ont comme objectif le placement à long terme de capitaux universitaires en évitant au maximum le risque : l'échéance des placements étant généralement à horizon indéfini, il y a une réelle vision à long terme, et la spéculation risquée est donc proscrite.

D'autre part, on trouve les investisseurs institutionnels, mais seulement en partie :

les fonds de pensions : « collectent l'épargne à long terme des employeurs et des salariés pour fournir des revenus de retraites » ; comme vu précédemment, il faut distinguer les fonds de pension à prestations définies de ceux à cotisations définies :

· fonds de pension à cotisations définies : ce ne sont pas des investisseurs de long terme, ils n'ont pas d'engagement à verser des revenus de retraites (il n'y contrat que sur les cotisations). Ils font porter le risque des placements sur les salariés. D'après les auteurs, ces fonds doivent être réformés (parce que créateurs d'instabilité financière et de spéculation excessive) afin de les orienter vers des stratégies de long terme. Ces fonds de pension devraient ainsi suivre les nouvelles normes comptables ( notamment la fair value, voir Partie I. I). 3. Revoir les normes comptables ), afin d'améliorer leur solvabilité, par exemple en incitant à une gestion des risques qui aurait un « sens économique ».

· fonds de pension à prestations définies : ils pratiquent une « mutualisation intergénérationnelle du risque » ; le contrat porte sur un certain nombre de prestations, notamment en terme de revenu de retraite minimum.

dégradation de la compétitivité-prix. Dans le cas des fonds souverains issus de pays producteur de pétrole, il s'agit d'investir pour assurer la transition vers l'après pétrole (Norvège, Arabie Saoudite, Koweit...).

Au sein des investisseurs institutionnels, les compagnies d'assurance suivent également des stratégies de long terme : elles subissent des contraintes règlementaires (notamment l'obligation de « tenir une compatibilité étroite dans la duration21 des actifs et du passif »), ce qui incite à privilégier les actifs de long terme peu risqués.

En somme, nous avons décrit les différents investisseurs de long terme qui pourraient impulser la refonte de la finance. Ce sont des investisseurs « patients », qui formulent des stratégies portant sur des périodes longues, c'est-à-dire supérieures à 5 ans. Ils privilégient des investissements réguliers et fiables plutôt que la spéculation hautement rémunératrice mais très hasardeuse. Les investisseurs de long terme pourraient donc incarner l'avenir du Système Financier International, à condition de maintenir une gestion des actifs diversifiée et « saine ». Cela passe par une prise en compte des « valeurs fondamentales dans les tendances de long terme des marchés », et en particulier en étudiant les cycles longs qui s'opèrent sur les marchés financiers.

Idéalement, Aglietta & Rigot ciblent le renforcement des investisseurs de long terme au détriment des banques d'investissement et surtout des hedge funds, ces derniers étant les principaux vecteurs de risque systémique. Leur vision de l'économie mondiale est alors la suivante : « l'évolution principale à venir est la transformation du financement de l'économie mondiale du modèle de crédit dominé par les banques d'investissements en modèle des investisseurs à long terme capables de maîtriser le risque : faire jouer les forces de retour à la moyenne, investir en capital, prendre les obligations d'Etat comme base des portefeuilles d'actifs, exercer la discipline de marché sur le crédit titrisé » (p.236).

Pour conclure, il ressort de l'analyse de Aglietta & Rigot que la réforme du Système Financier International ne pourra se passer des investisseurs de long terme, qui existent déjà mais dont le rôle doit être valorisé tout en veillant à réguler leur bon fonctionnement dans le temps. Il faut veiller à ce que les investisseurs puissent encore maintenir leurs stratégies d'investissement à long terme ; il convient également de proscrire toute délégation des affaires aux arbitragistes (traders et spéculateurs) qui, eux, ne privilégient que la rentabilité à court terme.

Ayant montré l'importance des investisseurs de long terme, nous allons poursuivre l'idée de cette partie I (la stabilité financière internationale) en présentant question de la circulation internationale des capitaux.

21 Sensibilité du cours d'une obligation à un changement de taux d'intérêt de 1%.

4. Revenir sur la libre circulation des capitaux

La libre circulation des capitaux est une des composantes de la libéralisation financière qui a vu le jour dans les années 1980 (1988 pour l'Union Européenne (UE)). Les flux financiers sont donc exonérés de frais et autre taxes lorsqu'ils transitent au sein d'une économie, de même que les flux internationaux. La libre circulation des capitaux est une des quatre libertés fondamentales du marché intérieur commun de l'UE, avec la libre circulation des marchandises, personnes et services. Ainsi, par l'essor que cela a permis à la finance internationale, la libre circulation des capitaux est peu questionnée et parait une des conditions irrévocables du Système Financier International. Pourtant, R. Mundell (1960) voyait dans celle-ci une problématique possible de la mondialisation, puisque c'est une composante de son célèbre « triangle d'incompatibilité »22 . La conciliation des trois objectifs peut conduire à une crise monétaire et financière, à l'instar de la crise asiatique de 1997.

L'idée de taxer la circulation des capitaux n'est pas neuve. J. Tobin (1978) conceptualise une taxe sur les opérations de change, et s'inspire de travaux plus anciens de J. M. Keynes dans la Théorie Générale (1936) qui proposait de taxer les investisseurs sur leurs mouvements de capitaux afin de créer un lien durable entre investisseurs et actifs. Mais cette taxe dite «Tobin» redevient d'actualité suite aux ambitions de réformes du Système Financier International depuis la crise.

Instaurer une taxe sur les mouvements spéculatifs permettraient de dissuader la spéculation à très court terme. Selon J. Adda (2009), cela passerait par un taux d'imposition faible, afin de ne pas pénaliser le commerce international et les Investissement Directs à l'Etranger (IDE). Une pression fiscale trop élevée risquerait de limiter les flux de capitaux économiquement nécessaires, alors que la taxe a pour objectif la suppression de la spéculation «inutile» (celle qui vise une rentabilité très élevée en très peu de temps). Une telle taxe pourrait donc être un vecteur de stabilité dans le Système Financier International. Par ailleurs, l'auteur précise en citant J. Stiglitz que les revenus issus de la taxe Tobin pourraient servir à financer le développement et la fourniture de certains biens publics globaux : santé, environnement et finalement la stabilité financière internationale (qui peut être considérée comme un bien public).

Plusieurs critiques sont régulièrement avancées contre la taxe Tobin. La première établit qu'une telle taxe requiert l'accord et la coordination des principaux pays acteurs de la finance, sous

22 Ce trilemme montre qu'en présence d'une libre circulation des capitaux (intégration financière développée), une économie ne peut disposer à la fois d'un régime de change fixe et d'une politique monétaire autonome.

peine de voir les flux de capitaux se détourner vers les paradis fiscaux. Or la coordination internationale n'est pas encore suffisamment approfondie pour imposer des mesures coercitives au milieu très influent de la finance (et ce, malgré les travaux du G20). Mais, il serait envisageable d'appliquer la Taxe Tobin à l'ensemble des flux financiers (et pas uniquement aux opérations de change) par l'intermédiaire de la Continuous Linked Settlement Bank (CLS Bank). Cette chambre de compensation met en relation de nombreuses institutions financières dans 17 monnaies et pourrait donc permettre de centraliser le paiement de la taxe, si le rôle de la CLS Bank était renforcé.

La deuxième critique est que la taxe ne serait pas une solution efficace et durable, et qu'elle aurait peu de poids. Or, Adda précise que ce n'est pas son ambition mais qu'elle pourrait former un des éléments cruciaux vers une refonte globale du Système Financier International. Cela peut s'effectuer étape par étape. Ainsi une fiscalité de l'ordre de 0,005% de chaque transaction réduirait de 14 % le volume des transactions de change et dégagerait entre 35 et 50 milliards de dollars par an (Adda, d'après Rodney Schmidt).

Une taxe sur les transactions financières de type Tobin serait donc un projet de réforme visant à réduire l'instabilité du Système Financier International, et les revenus dégagés pourraient permettre de financer le développement des pays du Sud. Mais au delà, Adda précise que la taxe Tobin peut amener d'autres ambitions : «ce n'est rien de moins que le premier jalon d'une gouvernance mondiale permanente» ; l'idée serait d'impulser une gouvernance globale par une fiscalité commune et coordonnée de la finance internationale. Or, afin de repenser le Système Financier International, une telle gouvernance est nécessaire, afin de pérenniser les changements et d'assurer la coopération de l'ensemble des acteurs. Le contexte actuel semble favorable à une telle fiscalité financière, puisque la Financial Services Authority (FSA) se prononce désormais en sa faveur. Par ailleurs, en mai 2009 a été mis en place un groupe de travail sur cette question, à l'initiative de la France et regroupant 58 pays.

En résumé, il apparait que la taxe Tobin est une possibilité de réforme, et qu'elle peut diminuer les comportements spéculatifs porteurs de déséquilibres. Une telle fiscalité requiert cependant une coordination internationale, et c'est en cela qu'elle peut augurer d'une future gouvernance mondiale. Mais la taxe risque de conduire à des détournements de capitaux, en particulier vers les paradis fiscaux. C'est pourquoi des voix s'élèvent afin d'interdire ou de régulariser ces places financières.

5. Limiter l'attrait et le rôle des paradis fiscaux

En sein du Système Financier International existe des paradis fiscaux (tax haven) et des paradis financiers ou bancaires (places financières offshore). Les premiers regroupent les territoires où la fiscalité est très basse voire inexistante comparativement aux pays développés. Les seconds sont les pays où il y a un fort secret bancaire et une forte libéralisation du secteur financier ; en fait, les territoires en question présentent souvent les deux caractéristiques et sont donc regroupés sous le terme de paradis fiscaux.

M. Aglietta (2009) précise qu'il y a trois problématiques liées aux paradis fiscaux. La première est l'évasion fiscale, puisque certaines institutions financières, certaines banques et des grandes entreprises déclarent une partie de leurs profits dans ces territoires. Cela représente donc un manque à gagner pour les gouvernements d'origines (pays développés), et indirectement une charge supplémentaire pour le contribuable. La seconde est la question de la criminalité, du blanchiment d'argent... Enfin, la troisième problématique est celle de la régulation du Système Financier International : comment inciter à la régulation et adopter des mesures coercitives et coordonnées si il demeure des zones de non-droits financières ? Ainsi, de nombreux hedge funds sont basés dans des paradis fiscaux, et constituent donc, par leurs capacités de spéculation et notamment de leviers considérables, une menace pour la stabilité financière internationale.

La régulation des banques et des investisseurs institutionnels, qui désormais agissent instantanément et sans frontière monétaire (du fait de la libre circulation des capitaux), passe par deux idées : d'une part la réglementation des transactions des banques et la surveillance des joint-ventures et autres montages financiers dans les paradis fiscaux ; d'autre part l'institution d'un rapport de force entre les pays développés et les paradis fiscaux, afin de supprimer ou limiter fortement leur attrait23. Autrement dit, il faut axer la surveillance sur les paradis fiscaux mais aussi sur leurs clients.

Ainsi, nous avons vu l'importance de réguler l'activité des paradis fiscaux, qui constituent un « système bancaire parallèle » (shadow banking system) dont l'ampleur représente plus de la moitié des flux financiers internationaux. Il importe alors d'interdire aux investisseurs institutionnels et aux banques de transiter par ces places financières. Sinon, il risque de perdurer une zone de non-droit parallèle au Système Financier International, ce qui rendrait caduque toute

23 Les paradis fiscaux ont, selon Aglietta, tout intérêt à coopérer sous peine de disparaître, puisque les services financiers sont généralement leurs seules ressources économiques.

tentative de régulation.

L'ambition de cette partie I a été de montrer quelles sont les conditions nécessaires à la stabilité du Système Financier International. Cela impose une redéfinition de la finance internationale, et notamment la réaffirmation de son rôle premier, l'allocation des ressources. Nous avons vu que les produits dérivés peuvent être porteurs de risques, et que la titrisation doit être encadrée. Les principaux acteurs du risque systémique doivent être règlementés, et en particulier les hedge funds, dans le but de laisser la place aux investisseurs de long terme, dont nous avons vu le caractère stable et long-termiste. Enfin, une réforme complète ne pourra se passer d'un questionnement sur la libre-circulation des capitaux ; par ailleurs, les paradis fiscaux représentent, pour nombre d'auteurs, des failles dans le circuit financier qu'il faut combler sous peine de rendre inutile toute tentative de réforme.

Il convient maintenant de montrer que la réforme du Système Financier International ne peut aboutir que si les principales économies se dotent d'un cadre institutionnel efficace. Cela passe par un approfondissement de la construction d'une Nouvelle Architecture Financière Internationale (NAFI) et par une refonte du fonctionnement des principales institutions financières.

3. L'impulsion par le changement institutionnel

L'ambition de cette partie est d'établir le besoin de gouvernance du Système Financier International, qui doit être approfondie et couplée à une transformation du rôle et du statut des institutions financières.

La récurrence des crises financières, en des temps et des espaces variés, oblige à dresser un double constat : d'une part l'inefficacité partielle des instances chargées de la stabilité financière, et d'autre part la difficulté à comprendre et donc prévoir les crises financières. La multitude d'acteurs et de pays impliqués dans le Système Financier International établit, selon Aglietta & Berrebi (2007, p.386), une « coresponsabilité » dans les failles de la finance internationale, mais également du Système Monétaire International (comme nous le verrons dans la Partie II). Il n'en reste pas moins que les grandes institutions financières ont leur part de responsabilité ; nous avons déjà observé comment réformer les acteurs non-institutionnels, voyons maintenant comment impulser un changement institutionnel. Nous verrons en premier lieu pourquoi et comment réformer le FMI (1), puis la nécessité de revoir le rôle des banques centrales (2).

1. Réformer le fonds monétaire international (FMI)

L'efficacité du FMI (institution provenant de Bretton-Woods) a été mise en doute avec les crises financières à répétition des années 1980 et 1990. Le G7 (relayé depuis par le G20), s'est donc donné l'objectif de construire une NAFI. Or selon Aglietta & Berrebi (2007), ce projet s'est révélé être un échec, sur les quatre points d'action collective du départ : « renforcer la robustesse de l'endettement, munir les marchés des capitaux d'un prêteur en dernier ressort international (PDRI), promouvoir des dispositifs de résolution des crises de solvabilité, rendre plus efficaces les actions spécifiques en faveur des pays les moins avancés ».

Au delà de la remise en cause de l'action du FMI (dont le bilan peut être positivé), c'est la gouvernance globale face au Système Financier International qui est en jeu. En effet, la crise relance le débat de la coopération internationale en vue de trouver des solutions coordonnées. La question du leadership est également cruciale : la fin du « semi étalon-dollar » (le SMI actuel) suppose l'émergence d'une puissance monétaire, ou d'un ensemble cohérent de puissances (polycentrisme monétaire) : nous développerons cela dans la Partie II. L'échec de l'adaptation du FMI aux changements de l'économie mondiale indique un échec de facto de la construction d'une NAFI, et plus largement une faille dans la gouvernance globale24. Dès lors, quelles sont les pistes de réforme possibles pour le FMI ?

Le rôle principal du FMI est la prévention des déséquilibres macroéconomiques. Pour cela, le FMI doit entamer des transformations dans sa gouvernance. Selon Aglietta (2010, p. 79), malgré le poids économique de la zone euro, celle-ci n'a pas de représentant unique au FMI : chaque État membre de la zone parle en son nom, de manière désordonnée. Ainsi, les États européens disposent de droit de votes obsolètes et l'Euro, lui, n'a pas de porte-parole. Il est impératif qu'un leadership politique émerge de la zone euro, c'est même une « condition sine qua non » de la nouvelle gouvernance du FMI, notamment pour la collaboration avec la Banque Centrale Européenne (BCE), afin d'assurer la stabilité financière internationale. Une fusion des droits de vote européens en augmenterait la poids politique et permettrait de dégager des quotas disponibles pour les pays émergents. Il convient également d'abroger le droit de veto de chaque membre. Selon l'auteur, « le Comité exécutif devrait être transformé en un Conseil politique, comptant des représentants mandatés par leur gouvernement ». Plus anecdotique, le directeur du FMI devrait être choisi de manière démocratique, et pas uniquement par les Etats-Unis et l'UE à tour de rôle.

24 Pour approfondir le concept de NAFI, et plus généralement l'Economie Politique Internationale (EPI), voir Kébabdjian (2002) et Berthaud & Kébabdjian (2006).

Au delà des questions de représentation, les actions du FMI doivent innover. Ainsi le rôle des Droits de Tirages Spéciaux (DTS) doit être renforcé afin de remplir la fonction de PDRI, et d'assurer la stabilité financière et monétaire internationale. L' action du FMI est remise en cause, notamment par les gouvernements : celle-ci serait l'« expression brutale des intérêts financiers du monde occidental » (Mistral J., 2009). Pour l'auteur, la cause serait le manque de mesure discrétionnaire, car la majorité des actions sont décidées unilatéralement : « one size fits all ». Le FMI doit donc réformer ses analyses et adapter son action et ses recommandations aux situations et aux pays en question. Par ailleurs, une étude de l'organisation « Bretton Woods Project »25 démontre également la nécessaire réforme du FMI et préconise, dans une lettre ouverte, de « mettre un terme aux inégalités dans le processus décisionnel,[...] d'ouvrir le processus de sélection des dirigeants, [...][et de] rendre les instances de sélection transparentes ». (BWP, 2006).

Le FMI, nous l'avons vu, doit subir des changements afin de mener à bien ses missions principales (stabilité financière, stabilité macroéconomique internationale), mais également en vue de s'adapter aux changements structurels qui pourront advenir dans le Système Monétaire et Financier International. En dehors du FMI, il est envisageable de réformer le cadre institutionnel, notamment par une révision du rôle des banques centrales.

2. Rôle des banques centrales : comment le réformer ?

Les banques centrales ont joué un rôle important lors de la crise financière, en particulier la BCE et la Fed (Federal Reserve System). Celles-ci ont permis d'éviter la pénurie en injectant des liquidités et en achetant des actifs toxiques afin d'épurer le marché. Cette fonction de prêteur en dernier ressort (PDR) est essentielle mais insuffisante. Plus largement, les banques centrales ont intérêt à revoir leur mode de fonctionnement, et notamment la hiérarchie de leurs objectifs et le risque d'amplification des phases de bulle spéculative.

Selon Castel & Plihon (2009, p. 236), les banques centrales ne doivent pas se contenter de la surveillance de l'inflation, mais également surveiller le prix des actifs financiers, afin de détecter les phases d'euphorie. Les autorités monétaires négligent trop souvent cet aspect, arguant qu'elles ne maitrisent pas aussi bien l'information que le marché, supposé efficient. Or la crise a montré que le refus des banquiers centraux ne tient pas face aux pertes considérables induites par la crise

25 Le Bretton Woods Project regroupe 7000 ONG, journalistes, écrivains, économistes et parlementaires du monde entier.

financière. Ainsi, les auteurs démontrent qu'il ne faut plus cloisonner politique monétaire et politique prudentielle. Les banques centrales doivent coordonner leurs pratiques avec les autorités de régulation. Ainsi, un ancien gouverneur de la Banque de France (BdF) préconisait récemment un système prudentiel coordonné au niveau européen, mais également des mécanismes de surveillance et d'alerte gérés conjointement par la BdF et la BCE (Castel & Plihon, 2009, p. 237). Les institutions financières sont tenus de s'adapter aux contextes sans cesse changeant ; les banquiers centraux « conservateurs » doivent se transformer en banquiers centraux dont la priorité serait la stabilité financière.

Par ailleurs, le rôle du PDR est discutable. L'interventionnisme des banques centrales lors des situations d'illiquidité est justifiée, mais elle comporte trois principaux biais :

Un premier biais est celui de l'aléa moral, puisque l'injection in fine de liquidités par les banques centrales incite à la prise de risque. Cela peut amener des spéculateurs à être moins vigilants sur leurs prises de positions financières. Par ailleurs, la fonction d'acheteur d'actifs en dernier ressort, lors de la dernière crise, peut introduire un certain laxisme (puisque les toxiques sont rachetés par la banque centrale, en dernier recourt). Deux réformes sont possibles : d'une part « un refinancement individualisé par groupe bancaire », afin de rendre moins anonyme le refinancement des banques auprès de la BCE, et d'autre part une obligation de réserves obligatoires plus exigeante, notamment par une diversification des contreparties.

Le taux d'intérêt directeur des banques centrales a une double fonction, ce qui peut être ambivalent. Selon Adda (2010), le taux d'intérêt régule à la fois le niveau d'activité et le coût du refinancement et donc des actifs financiers. Or les objectifs sont contraires : s'il est nécessaire de maintenir des taux d'intérêts faibles afin de relancer l'activité, cela provoque une inflation des prix des actifs sans rapport avec les fondamentaux de l'économie. La réduction des taux directeurs en vue de soutenir l'activité a donc un « biais expansionniste ». Une solution serait d'intégrer la maitrise de l'inflation financière dans les objectifs des banques centrales. Une autre consisterait en un dédoublement de la politique monétaire, en ajoutant à la gestion du taux directeur l'utilisation de la « détente quantitative »26, qui assurent la liquidité par un rachat des titres : le taux directeur à la politique monétaire, et la détente quantitative à la politique

26 La détente quantitative se décline en une version active, qui consiste en un rachat par la BCE des titres sur le marché obligataire, et une version passive, qui propose des prêts aux banques à taux fixe sur longue période (1 ans).

prudentielle.

Enfin, la fonction de PDR peut favoriser l'apparition de bulles spéculatives, par la fourniture trop facile et trop importante de liquidités. Adda précise qu'il peut y avoir un lien entre la rapide reprise des bourses occidentales (et en particulier l'inflation des principaux cours, et les indices boursiers qui ont retrouvé leur niveau d'avant-crise) et les apports de liquidités de la BCE. La réforme consiste à réguler les apports de liquidités, à et inciter les banques centrales à évaluer le risque en permanence, afin de ne pas se laisser prendre de court.

De ces analyses, il ressort que les banques centrales ont un rôle primordial dans la stabilité du Système Financier International. Cela étant, elles doivent apprendre à mieux comprendre et gérer le risque, réguler et évaluer les apports de liquidités dans leur fonction de PDR, et veiller à coordonner politique monétaire et politique prudentielle.

Ces changements institutionnels complètent les autres pistes de réforme établies au cours de cette Partie I. Nous avons vu les réformes nécessaires dans le secteur bancaire (et notamment la réglementation prudentielle), qui sont un premier pas vers la stabilisation du Système Financier International (1). A cela s'ajoute les règles nouvelles qu'ils convient d'instaurer, comme les bonus des traders, les agences de notation... Ensuite, la sous-partie 2 a montré comment construire la stabilité du Système Financier International. Cela passe par un encadrement de la titrisation, par une incitation au long-termisme, par une réglementation des hedge funds, et enfin par une remise en question de la libre-circulation des capitaux (Taxe Tobin) tout en régulant les paradis fiscaux. Au cours de ce 3, nous avons vu qu'elles étaient les évolutions nécessaires afin d'impulser un changement institutionnel. La stabilité du Système Financier International nécessite un cadre strict et évolutif, afin de rendre les réformes possibles et pérennes. En effet, aucune tentative de régulation ne pourra se faire sans l'aide et la coordination des grandes institutions de la finance internationale (FMI, banques centrales).

Il convient désormais d'établir, dans la partie II de ce mémoire, quelles sont les pistes de réforme du Système Monétaire International (même si la dichotomie entre Monétaire et Financier est parfois floue puisque les réformes sont complémentaires). Les réformes portent sur les monnaies et leurs interrelations, et notamment les déséquilibres macroéconomiques liés aux statuts des monnaies, ainsi que l'ensemble des problématiques liées au dollar.

II. LA REFONTE DU SYSTEME MONETAIRE INTERNATIONAL

Le Système Monétaire International (SMI) actuel se caractérise par des déséquilibres, et présente une forte hétérogénéité des positions des différents Etats et des différentes monnaies. Les grandes institutions internationales comme le FMI ont en partie failli a leur objectif de résorption des déséquilibres macroéconomiques. Et l'échec du compromis de Bretton-Woods, officiellement en 1976 avec les accords de la Jamaïque, a instauré un SMI avec des changes flottants ; une des implications de cela est une distorsion entre les variables macroéconomiques (balance des paiements) et les variables monétaires. Or la crise a rappelé le besoin pressant d'avoir un SMI stable, condition nécessaire à une réforme du Système Financier International. En effet, les déséquilibres financiers qui ont conduit à la dernière crise ne sont bien souvent que le reflet de déséquilibres macroéconomiques et monétaires. Afin de saisir les contours du SMI et ses problèmes, il convient de faire un bref rappel.

Qu'est-ce que le SMI ?

Le SMI est l'organisation, diffuse ou institutionnalisée, des flux monétaires et des taux de change, permettant l'échange de biens et de services entre des pays à devises différentes. Il a évolué au fil du temps, changeant de méthode de compensation : étalon-or, étalon-dollar-or, changes flottants... Ainsi, le SMI permet le financement des échanges internationaux mais également l'ajustement des balances des paiements nationales. Sans revenir sur l'histoire du SMI, les principales périodes à connaitre sont :

Le Système de Bretton-Woods (1944-1976), durant lequel les changes sont fixes, chaque monnaie étant convertible en dollar à un certain taux fixe mais ajustable, le dollar étant luimême convertible en or (une once d'or = 35 dollars). Bien qu'ayant garanti une relative stabilité monétaire internationale, la confiance dans le dollar est capitale or celle-ci fait défaut à partir des années 1960 lorsque la balance commerciale américaine devient déficitaire et que le monde est « inondé » de dollars.

Le Système actuel ou Nouveau Bretton-Woods (1976-...), qui peut être qualifié de «semiétalon dollar» (Aglietta, 2010, p. 6) est en fait un non-système, car il n'est pas

institutionnalisé en tant que tel : « quelques monnaies, appartenant aux grand pays développés, sont libres de fluctuer vis-à-vis du dollar. Toutefois, beaucoup plus de monnaies, appartenant à des pays émergents, sont liées à la devise américaine par des régimes de change administré qui vont des changes fixes au flottement géré ». La convertibilité n'est pas assuré pour toutes les monnaies.

Quels sont les problèmes du SMI actuel ?

Le SMI est caractérisé par des déséquilibres macroéconomiques, et est parfois considéré comme un «Bretton-Woods II» (Dooley, Folkerts-Landau & Garber, 2003) . Il désigne la façon dont s'articulent les échanges économiques et la monnaie dans un contexte de globalisation, y compris financière. Les Etats-Unis et le dollar sont au coeur de ce système. Il y a des déséquilibres dans l'allocation des capitaux, et les transferts d'épargne ne suivent pas forcément une logique économique. Ainsi le dollar est la principale monnaie internationale. Et cette faculté permet aux Etats-Unis de financer un fort endettement, notamment en émettant des dollars sans limite (ils financent ainsi de la dette par de la dette). Par ailleurs les Etat-Unis entretiennent une relation d'interdépendance forte avec la Chine, puisque celle-ci, par l'accumulation de réserves en dollar, finance le déficit extérieur américain. Par ailleurs, la périphérie des Etats-Unis (l'Europe et le Japon auparavant, les pays asiatiques aujourd'hui) maintient des taux de change sous-évalués, ce qui favorise les exportations au détriment de la demande domestique.

Selon Aglietta (2010), il y a deux principaux déséquilibres : d'une part le déséquilibre épargne / investissement (excédent d'épargne dans les pays émergents, qui finance les déficits courants dans les PDEM, surtout les Etats-Unis) et «l'explosion de la liquidité [...] des années 2000», notamment car les marchés financiers ne régulent pas les excès d'épargne. En conséquence, le SMI est instable : selon Bénassy-Quéré & Pisani-Ferry (2009), la volatilité des changes est trop élevée, il y a une incohérence entre l'économie réelle et l'économie monétaire, ce qui livre de « mauvaises incitations ». Les Etats-Unis sont ainsi incités à l'endettement et à une faible discipline budgétaire, et le reste du monde est incité à maintenir l'ancrage sur le dollar et à accumuler des réserves en dollar : la Chine en est la principale détentrice, au détriment d'investissements domestiques.

L'ensemble de ces déséquilibres illustrent la pertinence d'une réforme du SMI. Le moment est opportun, puisque la dernière crise peut inciter à une réforme de la finance internationale. Il est donc crucial que le législateur prenne conscience que l'économie globalisée ne sera pérenne que si

les déséquilibres monétaires, et mêmes macroéconomiques, sont atténués au maximum. Non pas par simple phobie de l'inégalité, mais parce que les sphères financières et monétaires sont intimement liées, et que les failles de l'une affecte l'autre, augmentant le risque systémique. Mais le SMI semble avoir une telle inertie et de telles implications sur les divers attributs des économies nationales que la réforme est un chantier complexe. Voyons maintenant quelles peuvent-être les réformes envisageables afin d'entamer une refonte du SMI.

Il convient de présenter quelles sont les alternatives possibles au dollar dans son statut de monnaie internationale, et de montrer ainsi quelles peuvent être les réformes possibles pour construire un SMI davantage stable. Nous verrons d'abord les problèmes liés au dollar et la possibilité d'une monnaie supranationale, notamment l'instrument monétaire des DTS (I). Ensuite, nous présenterons l'alternative du polycentrisme monétaire (II) ; enfin, nous mettrons en avant la réforme du SMI par les initiatives régionales (Chiang Mai, Plan SUCRE) et par une approche institutionnelle des déséquilibres (III).

1. Remplacer le dollar : la création d'une monnaie supranationale

«Dollar : fin de règne ?», c'est ainsi que titrait la Revue d'Economie Financière en 2009 (REF, 2009). Le système de semi-étalon dollar arriverait-il à bout de souffle ? Il semble qu'en réalité la monnaie américaine soit loin de vivre son crépuscule. Le non-système qui prévaut actuellement est centré sur le dollar, qui est la principale monnaie de réserve et d'échange. Selon Cartapanis (2009) une monnaie, pour prétendre au statut de monnaie internationale, doit satisfaire certaines conditions, et notamment avoir une place importante (en volume et en valeur) comme unité de compte, moyen d'échange et réserve de valeur27. Le dollar satisfait l'ensemble des conditions, puisqu'il représente «près de 65 % des réserves en devises, contre 25 % pour l'euro, et plus de 60 % au titre de monnaie d'ancrage ; il intervient dans 86 % des transactions sur le marché des changes ; il est utilisé au-delà de 50 % pour la facturation du commerce international. S'agissant de la détention d'espèces monétaires par les non-résidents, 60 % des billets verts en circulation se trouvent hors des Etats-Unis, contre seulement 10 à 20 % pour l'euro» (Cartapanis, 2009). Ainsi, malgré les instabilités que cela implique, le SMI perdure dans un statu quo économique et politique centré sur le dollar. Et l'introduction d'une monnaie supranationale comme réforme du SMI doit obéir à certains impératifs. Nous verrons dans un premier temps le statut du dollar et les ajustement

27 Pour en savoir plus sur le statut de monnaie internationale, voir Krugman (1984).

que cela implique (1), puis nous avancerons l'idée de la monnaie supranationale (2). Ensuite, nous argumenterons l'intérêt des DTS et les ambitions possibles (3), et enfin les conditions de la transition vers un nouveau système (4).

1. Les ajustements et déséquilibres liés au statut du dollar

Le problème fondamental du SMI actuel est qu'une monnaie nationale (dollar) est utilisée comme monnaie internationale, dans les échanges et comme devise de réserve. Selon les points de vue, le semi-étalon dollar peut refléter soit le sacrifice des Etats-Unis afin de fournir la devise-clé ou bien l'extension au domaine monétaire de la suprématie économique et politique des Etats-Unis. De fait, les relations sont complexes et ambivalentes : le déficit américain est certes financé par le «privilège exorbitant» du dollar, mais les Etats-Unis remplissent une fonction de « pays déficitaire en dernier ressort », car la consommation des ménages américains représente une forte part de la consommation mondiale (Rapport Stiglitz (2009), p.93). Le déficit courant des Etats-Unis « sert » donc l'économie mondiale. Mais le problème est moins le fait que le dollar reflète les intérêts américains, que le statut de devise-clé qu'il revêt et qui implique des déséquilibres et donc des ajustements, que les Etats-Unis n'ont pas à porter : « The dollar is our currency but your problem » (le dollar, c'est notre monnaie, mais votre problème)28. Comparativement à Bretton-Woods, le semiétalon dollar actuel n'impose pas de convertibilité-or au dollar, il n'y a donc pas de mécanisme contraignant qui puisse limiter l'émission. Ainsi, certaines décisions sont prises de manière à favoriser « l'unilatéralisme américain » (Aglietta & Berrebi, 2007, p. 365).

Le statut de devise-clé du dollar impose donc une réforme du SMI, mais qui doit être prudente. Les Etats-Unis, par leur fonction de pays déficitaire, ont un rôle crucial dans la croissance mondiale. Si le dollar perd son statut, et que les Etats-Unis tentent de dégager un surplus commercial, l'ajustement se fera par une baisse du revenu mondial (handicapé par le manque de consommation américaine)29. Et si les Etats-Unis décident de politiques expansionnistes, cela induira des ajustements des balances courantes d'autres pays, et se traduira par une hausse de l'inflation. Dans tous les cas, un abandon du dollar comme devise-clé ou un ajustement des politiques macroéconomiques américaines se traduiront par un accroissement des déséquilibres globaux (Rapport Stiglitz (2009), p. 94). Ce qui ne joue pas dans le sens d'une stabilisation du SMI.

28 J. Connally, secrétaire au Trésor de R. Nixon, 1971-72.

29 Par définition, pour l'économie mondiale, le commerce international est nécessairement équilibré (équilibre comptable) : la somme des balances des paiements des pays déficitaires est égale à la somme des balances des paiements des pays excédentaires.

La question des réserves en devises est également cruciale. Les pays asiatiques ont répondu à la récurrence de crises financières, et notamment la crise asiatique de 1997-98, par des politiques de constitutions de réserves monétaires. Or ces réserves sont principalement en dollar, le Japon et la Chine en étant les principaux détenteurs, pour plusieurs centaines de milliers de dollar. Selon Mateos y Lago, Duttagupta & Goyal (2009, p. 6), cette tendance à l'« auto-assurance », qui prévaut chez la plupart des pays reflète en théorie le dilemme de Triffin, mais revisité : ainsi la recherche de la sécurité (maintient d'un taux de change favorable et d'une capacité de financement adéquate) incite les différentes économies à demander toujours plus de dollar, et les Etats-Unis, afin de satisfaire ce besoin, sont contraint à un endettement élevé. Par enchainement, cela induit une défiance vis-à-vis du dollar et de la capacité des Etats-Unis à honorer leurs endettements. Le paradoxe est que le besoin pour l'économie mondiale d'avoir une devise « fiable » conduit finalement à une perte de confiance dans cette monnaie. En résumé, la constitution de réserves en devise peut obéir à deux logiques :

Une logique de réserves de change : maintenir un taux de change stable en augmentant la base monétaire (lorsque la Chine achète des dollars elle vend des yuan et augmente donc la masse monétaire chinoise, ce qui entretient la confiance envers le yuan et envers l'économie chinoise) ; par la suite, l'achat massif de dollar est une manière de s'assurer de la valeur des réserves en dollar.

Une logique commerciale : des réserves en dollar garantissent une monnaie nationale structurellement sous-évalué, ce qui favorise les économies asiatiques fortement exportatrices.

Ainsi, la constitution de réserves en devises par les pays émergents asiatiques est une sorte de prêt aux pays développés, à des taux d'intérêts faibles (Rapport Stiglitz (2009), p. 96).

L'analyse du semi-étalon dollar peut être schématisée, selon P. Berthaud, qui établit que les déséquilibres ne sont pas uniquement dus au dollar, mais à une coresponsabilité et au système luimême. Le SMI n'est donc jamais parvenu à se défaire d'un triangle d'incompatibilité :

Liquidité internationale

Devise-clé 19è siècle : déflation Equilibre

courant

D'après : Berthaud, 2008

Ce trilemme, qui rappel le triangle d'incompatibilité de Mundell, montre qu'il n'est pas possible de satisfaire les trois besoins de l'économie mondiale en même temps : « le monde doit en sacrifier totalement ou partiellement une ».

Pour conclure, il apparaît que le dollar a un statut contestable mais donne le ton au SMI et influe l'ensemble des conditions économiques mondiales. Les réserves en devises, les échanges commerciaux ou encore la position commerciale des Etats-Unis dépendent des fluctuations du dollar. Ainsi la monnaie internationale ne peut être régulée et réformée sans une extrême prudence. Et quand bien même elle subirait des évolutions, celles-ci seraient le reflet de rapports de force économiques mais surtout politiques. La logique d'une monnaie supranationale consiste donc en une action sur l'offre monétaire (substituer au dollar une monnaie supranationale), mais également sur la demande (diminuer les réserves en devises). Nous verrons ces deux aspects successivement.

2. L'offre monétaire : instaurer une monnaie supranationale

L'idée de cette sous-partie est de montrer que la monnaie supranationale est souvent évoquée, elle semble donc mener à un consensus ; elle représente un idéal, représenté sur le triangle évoqué plus haut. La monnaie supranationale permet de substituer au dollar une nouvelle monnaie internationale, ce qui modifie l'offre monétaire. En revanche, nous verrons dans une partie suivante

que pour les tenants du polycentrisme monétaire (Aglietta, Cohen), la monnaie supranationale est trop délicate à introduire, et que le SMI devrait tendre vers la cohabitation de plusieurs monnaies.

La monnaie supranationale n'est pas un concept nouveau, puisque J. M. Keynes en établit les principes dès 1930 dans A Treatise on Money. Selon A. Suárez (2001), Keynes préconise un système d'étalon change-or plutôt qu'étalon-or, ce qui permettrait d'économiser des quantités d'or mais surtout d'introduire une monnaie supranationale. Il préconise un système gagé sur l'or, basé sur des traités entre les banques centrales, et au dessus desquelles une autorité monétaire supranationale émettrait une monnaie de crédit, équivalente à l'or. Sa vision d'un SMI stable, en vue d'atteindre des performances macroéconomiques élevées, se concrétiserait par la création de l'Union Internationale de Compensation (UIC). A la Conférence de Bretton-Woods en 1944, Keynes présente son plan éponyme, dans lequel ses principales idées de réforme du SMI sont établies (le plan est néanmoins refusé au profit du plan White). Apparaît alors le bancor, monnaie supranationale qui fonctionne comme « véhicule » des relations monétaires, et non pas comme une «monnaie pleine». Afin de s'assurer de la stabilité du bancor comme étalon de valeur et d'avoir des conditions d'émissions souples, cette monnaie supranationale doit être immatérielle. Keynes pose ainsi les bases d'un mécanisme monétaire international, dans lequel une monnaie supranationale côtoierait les autres devises et servirait de monnaie de compensation.

L'idée d'introduire une monnaie supranationale dans la réforme du SMI est reprise par le Rapport Stiglitz (2009), qui s'appuie de manière explicite sur les idées de Keynes. Ce rapport, qui synthétise le travail de la Commission des Nations-Unies sur la Réforme du SMI, explique que la crise impose des ajustements monétaires pour stabiliser les réformes entreprises par ailleurs au sein du Système Financier International. Le but de la monnaie supranationale est de résoudre les problèmes liées au dollar évoqués dans la sous-partie précédente. Une monnaie internationale qui ne serait pas directement liée à la position d'une économie nationale (à l'inverse du dollar) permettrait de mettre fin au biais déflationniste30 en cas de crise et limiterait les instabilités monétaires. De plus, maintenir le statut du dollar a un coût pour les Etats-Unis : le maintient de la parité du dollar exige un déficit courant augmentant sans cesse pour faire face à la croissance des échanges en dollar. Introduire une monnaie supranationale permettrait aux Etats-Unis de maintenir leurs politiques économiques autonomes, sans compter les bénéfices induit par un SMI plus stable. La réforme du SMI pourrait donc, dans certains cas, satisfaire les intérêts américains.

30 Le biais déflationniste est le fait que si les Etats-Unis n'assument plus leur fonction de pays déficitaire en dernier ressort, le manque à gagner pour l'économie mondiale (baisse de la consommation américaine) se traduirait par une déflation globale.

Une monnaie supranationale permettrait de limiter la volatilité des monnaies, qui subiraient dès lors moins de fluctuations sur le marché des changes. Et le besoin de constituer des réserves en devises (par exemple en réponse aux instabilités des marchés) pourrait être libellé en monnaie supranationale, ce qui limiterait les tensions et les déséquilibres. Ainsi les Etats-Unis se verraient obliger de contenir leur dette, et la valeur de la monnaie supranationale serait indépendante des variables macroéconomiques d'un pays. Le point important est donc la déconnexion entre la deviseclé internationale (qui serait désormais supranationale) et la position économique d'un pays.

Selon Z. Xiaochuan (2009), la monnaie supranationale évite effectivement le risque inhérent à une monnaie dont la valeur est liée à la solvabilité d'un seul pays ; mais elle permet également une gestion globale de la liquidité. De plus, si la monnaie supranationale est gérée par une institution de rang mondial (de type FMI), les liquidités comme les changes pourront être « crées » et régulés de manière coordonnée. Le statut du dollar serait modifié : ce ne serait plus un étalon de mesure du commerce international, ni même une valeur de référence pour les autres monnaies (or le dollar est aujourd'hui la monnaie pivot). Ces évolutions imposeraient aux Etats-Unis une politique de taux de change plus efficace en vue d'ajuster leurs déséquilibres macroéconomiques. Pour l'auteur, cela induirait plus de stabilité à long terme pour le SMI, qui deviendrait géré par et pour l'intérêt global des nations. La monnaie supranationale pourrait effectuer une sorte de lissage des rapports de force31.

En résumé, la monnaie supranationale met fin au triangle d'incompatibilité évoqué précédemment : en renonçant à la devise-clé, elle permet de fournir la liquidité internationale simultanément à l'équilibre courant. L'introduction d'une devise-clé internationale pourrait oeuvrer en faveur de la stabilisation du SMI. Ainsi la monnaie internationale, c'est-à-dire permettant de satisfaire les échanges mais également servant d'étalon de valeur, présente l'avantage de ne pas être la devise d'un pays en particulier. Elle représente les intérêts globaux, et sa position de change sur les marchés ne dépend pas de la situation macroéconomique d'un seul pays. La monnaie internationale ne supprime pas les devises nationales, elle les déplace. Elle agit en guise de monnaie de compensation, afin de solder les positions commerciales et monétaires des différents pays. Les devises nationales demeurent pour les échanges domestiques. Par son caractère institutionnel et désengagé de toute nation, la monnaie supranationale devrait « rationaliser » le SMI : les taux de change seraient le reflet des variables macroéconomiques, et la gestion de l'épargne (y compris les

31 Il convient de noter que Z. Xiaochuan est le gouverneur de la People's Bank of China, et que son discours est assez critique vis-à-vis du dollar bien que n'étant jamais cité explicitement. C'est une des raisons qui explique son appel pour une monnaie internationale à la place du dollar.

réserves monétaire) serait optimisée. Enfin la monnaie supranationale mettrait fin au dilemme de Triffin, puisque la confiance dans celle-ci ne dépend plus du déficit courant d'un pays : la valeur sur le long terme serait davantage stable, ce qui permet des prévisions et construit in fine un SMI équilibré.

Ceci étant, les rigidités du SMI actuel et les difficultés liées à l'introduction d'une monnaie supranationale sont nombreuses. Empiriquement est apparue l'inertie dans l'utilisation d'une monnaie internationale (phénomènes d'hystérésis) : en effet, près d'un demi-siècle après que le Royaume-Uni ait perdu son statut de puissance économique mondial (depuis la fin de la Première Guerre Mondiale), la livre sterling demeurait la principale monnaie internationale (Cohen, 1971). La monnaie reflète des intérêts politico-économiques complexes. Les Etats-Unis semblent bénéficier des avantages que leur procure le dollar en tant que devise-clé internationale. Aussi, toute réforme du SMI visant à introduire une monnaie supranationale requiert une mise en avant de l'intérêt général (la stabilité du SMI comme bien public) et un dépassement de la préférence nationale. C'est pour cela qu'est avancée l'idée des Droits de Tirage Spéciaux (DTS), qui pourraient jouer le rôle de monnaie supranationale.

3. Les DTS : une étape nécessaire vers la réforme du SMI

Nous avons vu précédemment que la monnaie supranationale doit répondre à un doubleobjectif : agir sur l'offre monétaire et sur la demande. L'action sur l'offre suggère l'introduction d'une monnaie supranationale. Or les difficultés évoquées amènent à revoir les ambitions, et la réforme du SMI pourrait se faire par étapes, en se servant des DTS. Ceux-ci présentent l'avantage d'une action sur l'offre et sur la demande monétaire. En effet, si les banques centrales peuvent acquérir des DTS, cela diminue mécaniquement le besoin de constituer des réserves en devises, et notamment en dollar. Par la suite, les DTS pourraient progressivement ouvrir la voie à une monnaie supranationale (DTS ou autre), et ainsi offrir à l'économie mondiale une nouvelle monnaie. La réforme du SMI serait alors institutionnalisée, en donnant un rôle prépondérant au FMI. Mais les DTS ne sont pas une monnaie au sens strict ( cf. Tableau 2) : c'est plutôt un instrument de réserve, une sorte de prêt en dernier ressort. Le principal avantage est que les DTS existe déjà, et sont acceptés par les principales économies en tant qu'instrument monétaire. Cela semble donc plus facile de se servir de cette « quasi-monnaie internationale » (S. Moatti, 2010), afin de donner un ancrage concret aux théories de la monnaie supranationale.

Tableau 4: Les Droits de Tirage Spéciaux

Le DTS est un «instrument de réserve international crée en 1969 pour compléter les réserves

officielles existantes des pays membres» du FMI. Les DTS sont échangeables contre des devises librement utilisables. Ils ont été introduit afin de soutenir le système de parités fixes de Bretton-Woods.

Dans ce système, la valeur des monnaies était gagée sur les avoirs en or des différentes banques

centrales. Et, devant les besoins croissants en liquidité du fait de l'expansion du commerce international, les principales économies n'ont plus été en mesure de maintenir la parité de leurs monnaies. Des allocations de DTS ont été introduit pour pouvoir constituer des réserves et rétablir une confiance dans les monnaies.

Les DTS sont aloués en fonction de la quote-part au FMI de chacun des pays membres. Ils donnent

droit à des avoirs sans frais. Si un pays détient plus de DTS que son allocation de base, cela donne droit à des intérêts. A l'inverse, un déficit de DTS implique le paiement d'intérêts.

La valeur des DTS est déterminée par un panier de quatre monnaies : le dollar, l'euro, le yen et la livre

sterling. Leur part respective est pondérée par le poids des différentes devises dans les échanges internationaux et les transactions financières. En mai 2010, le cours du DTS est : 1 DTS = 1,18 EUR.

 

Le Rapport Stiglitz évoque la possibilité de transférer la responsabilité de la gestion de la monnaie supranationale au FMI (2009, pp. 92-102). Mais il pointe également une alternative : créer une nouvelle institution, la « Banque de Réserve Mondiale » (Global Reserve Bank), qui aurait pour mission la régulation du système de réserves des différentes économies mondiales, mais également la gestion de la monnaie supranationale. Toutefois, nous l'avons vu, les DTS forment l'alternative la plus probable. Et le FMI continue de refléter les intérêts des principales économies occidentales (en premier lieu les Etats-Unis), ce qui semble pencher vers son maintien en tant qu'institution en charge de la stabilité monétaire et financière internationale. En ce qui concerne la mise en oeuvre de la monnaie supranationale, deux propositions sont établies :

Renoncer aux monnaies nationales. Il s'agit d'introduire une nouvelle monnaie, les Certificats Monétaires Internationaux (« International Currency Certificates »), incarnés éventuellement par les DTS. Cela se ferait sur le même modèle que les quotas du FMI, qui sont déjà en vigueur ; cette proposition équivaut à un système de « swaps » mondiaux entre les différentes banques centrales et les différentes devises. La valeur de cette monnaie serait similaire aux DTS, c'est-à-dire basée sur un panier de monnaies,

pondéré par leur poids dans l'économie mondiale.

Etablir les DTS en parallèle des monnaies nationales. Ils auraient le statut de « monnaie globale » (global currency), et seraient alloués par le FMI. Il n'y aurait aucune garantie spécifique, hormis l'assurance que les banques centrales acceptent les DTS comme une monnaie internationale, et les échangent contre leurs devises respectives. Mais il est envisageable que l'émission de DTS soit gagée par des dépôts auprès du FMI (ou de la Banque de Réserve Mondiale), et que cette institution monétaire internationale soit autorisée à acheter des bons du Trésor des pays membres. Dans ce cas, les DTS en tant que nouvelle devise internationale auraient la même garantie et confiance qu'ont les devises nationales grâce aux avoirs détenus pas les banques centrales.

Quel que soit le schéma choisit, l'introduction des DTS comme « monnaie globale » permettrait d'assurer une certaine stabilité dans les échanges commerciaux mais également dans les stratégies de réserve des différentes économies. Toujours d'après le Rapport Stiglitz, l'objectif est que les pays concernés par la constitution de fortes réserves (principalement les pays asiatiques, cf. I.1.) substituent des DTS à une partie de leur réserves en devises traditionnelles, au premier rang desquelles le dollar. Cette détention de « monnaie globale » donnerait droit à un paiement d'intérêt par l'institution en charge de l'émission (le FMI si ce sont les DTS). Par ailleurs, il est envisageable de pouvoir administrer les taux de change de manière à réguler le SMI et éviter que les ajustements d'un pays affecte la position de change d'un autre ; c'est en outre un des objectifs du FMI actuel. Les fluctuations des principales monnaies se verraient harmonisées entre elles et avec la « monnaie globale » : ceci toujours dans la perspective de rendre le SMI davantage stable. La principale utilité d'une telle monnaie incarnée par les DTS est que la « diversification des monnaies pourrait générer plus de stabilité dans la valeur des réserves » et, par là, plus de stabilité parmi les principales variables monétaires (changes, épargnes, politiques monétaires...).

Le renforcement du rôle des DTS est également prôné par d'autres auteurs. Selon M. Aglietta (2010), les DTS sont susceptibles de réformer le SMI en imposant une gestion des réserves de change. En effet, nous avons vu que ce sont les principaux vecteurs d'instabilité. Le DTS pourrait se substituer au dollar dans les réserves de changes des pays asiatiques, limitant de facto les déséquilibres dus au semi-étalon dollar actuel. Ensuite, l'allocation de DTS par le FMI réduirait le besoin de réserves, puisque cette forme de prêt en dernier ressort pourrait rassurer les pays dont le taux de change est instable : en ces temps de crise, cela limiterait l'instabilité monétaire internationale. Enfin, les DTS devraient être couplés à la création d'un « compte de substitution ».

L'idée d'un tel compte est de proposer des obligations en DTS aux pays émergents et en développement, en contrepartie de dépôts en dollar. Cela permet de « faciliter la diversification des réserves en dehors des marchés des changes ». Le risque de change est ainsi transféré au détenteur du compte de substitution, et peut être éliminé en changeant les dollars contre des avoirs dans les quatre principales monnaies du DTS, dans leurs parts respectives.

En résumé, les DTS sont une « solution de transition » (Bénassy-Quéré & Pisani-Ferry, 2009). Crées à l'origine par peur d'un manque de liquidités internationales (qui est une menace sur la convertibilité du dollar), ils sont aujourd'hui une solution à un surplus de liquidités. Nous avons vu que les DTS pourraient impulser une réforme du SMI en endossant le rôle de « monnaie globale ». Ce statut, qui se rapproche de celui de la monnaie supranationale et du bancor de Keynes, produirait une régulation des principaux facteurs d'instabilité à l'oeuvre actuellement. Les DTS peuvent ainsi agir sur la demande, en devenant la devise de réserve internationale, ce qui pourrait contenter les pays émergents et en développement, qui doivent se prémunir du risque par la constitution de réserves de change. Et cela peut être une transition vers une nouvelle offre monétaire, si le DTS acquiert le statut de monnaie internationale. Par ailleurs, nous avons vu que les DTS peuvent soit supplanter les devises nationales soit devenir une monnaie globale qui côtoie les autres devises, à la manière du bancor. Si le rôle de monnaie globale leur est conféré, les DTS permettraient la gestion et la régulation des changes, car ils sont diversifiés et institutionnalisés (par le FMI dans leur forme actuelle). Ceci étant, la mise en oeuvre concrète des DTS requiert des changements et des adaptations.

4. La transition vers un nouveau système

Nous avons vu qu'une monnaie supranationale est nécessaire à une réforme en profondeur du SMI. Celle-ci peut prendre la forme des DTS, qui seraient une transition vers un nouveau SMI. L'objectif est alors de jouer sur l'offre et la demande de monnaie internationale, et de substituer peu à peu les DTS au dollar dans la constitution de réserves de change. Mais la gestion des taux de change, et l'harmonisation des flux monétaires nécessitent des adaptations.

En premier lieu, il apparaît dans le Rapport Stiglitz que le SMI peut adopter une nouvelle monnaie de réserve de deux manière :

Approfondir le système des DTS tel qu'il existe aujourd'hui. Cela consiste à maintenir

les accords qui prévalent déjà, et de rendre l'allocation des DTS « automatique et régulière ». Les émissions effectueraient une sorte de lissage annuelle des réserves : chaque année, les dotations de DTS équivaudraient au surplus annuel de réserves de change demandé, dû à la croissance de l'économie mondiale.

Adopter les DTS, mais avec une visée contracyclique. Le rapport reprend ici l'idée de J. Polack selon laquelle il faut fournir les liquidités en période de crise, par l'intermédiaire de prêts en DTS. Le financement intervient que lorsqu'il est nécessaire, en phase de récession par exemple, et agit ainsi comme la fonction de prêteur en dernier ressort des banques centrales.

Il semble que la deuxième solution soit la plus ambitieuse, mais également la plus délicate à mettre en oeuvre. En effet, une allocation de DTS contracyclique est « le meilleur mécanisme de financement de la liquidité mondiale » : cela assurerait une régulation de la liquidité efficace et stable, évitant ainsi les déséquilibres. Par ailleurs, selon les auteurs du rapport, cela peut permettre de soutenir les pays en développement au cours des situations de crise financière32. Plus encore, cela pose la question de la répartition des DTS, autrement dit des quotas du FMI.

Le système des quotas du FMI doit être réformé, comme nous l'avons vu précédemment (Partie I, III, 1.). La réforme des quotas envisagée jusqu'à présent semble loin de l'équité. Le Rapport Stiglitz préconise que les DTS inutilisés par les pays industrialisés soient transformés en prêt aux pays en développement. Le FMI pourrait élargir ses attributs, et devenir ainsi un acteur important du développement des pays du Sud. Mais l'allocation des DTS ne règle en rien les problèmes liés aux déséquilibres macroéconomiques dans les pays en développement. Il serait judicieux d'augmenter les lignes de crédit du FMI envers les pays les plus nécessiteux, et les DTS pourraient être l'outil adéquat. Cela contribuerait à assoir les DTS en tant que monnaie de réserve internationale, et comme instrument privilégié du rééquilibrage du SMI.

Selon M. Aglietta (2010, pp. 20-21), le renforcement souhaitable des DTS doit prendre en compte les erreurs passées. Ainsi la « proposition de 1980 » en est un exemple. Dans les années 1970 et dans un contexte post-Bretton-Woods, les principales monnaies européennes subissaient la dépréciation du dollar. Afin de maintenir la parité de leurs monnaies, les pays européens accumulaient des réserves en dollar. Et l'instrument des DTS a été proposé en vue de diversifier

32 Les pays en développement subissent, lors d'une crise financière d'ampleur, de considérables mouvements de rapatriements de capitaux et cela malgé leur dynamisme économique. C'est une des raisons évoquées par le G20 lors de la dernière allocation de DTS (Rapport Stiglitz, p.100).

leur portefeuille de réserves, conformément à la théorie financière qui prône la diversification afin de réduire le risque de change. Or trois principales difficultés sont apparues, qui peuvent enseigner sur la démarche à suivre aujourd'hui. La première est que le DTS présentait « une alternative à un système dominé par le dollar tant qu'un système multidevise n'était pas disponible ». Ainsi l'équilibre était précaire. Ensuite, les DTS ont été alloué en trop faible quantité et à des taux peu intéressants. La faible liquidité du DTS ne permettait pas de prises de position rapides, or c'est l'un des attributs d'une monnaie internationale : si le DTS veut endosser ce rôle, la question de la liquidité des placements doit être optimisée. Enfin, le risque de change inhérent au DTS s'il n'est pas supporté par le FMI, le sera par les banques centrales, annihilant ainsi l'effet de stabilisation. L'ensemble des ces difficultés à conduit à l'abandon de l'idée d'une allocation de DTS en 1980. Ceci étant, l'auteur précise que ces difficultés sont facilement surmontables, et que les réformes nécessaires découlent naturellement du constat des difficultés.

En conclusion, nous avons établi dans cette sous-partie qu'elles étaient les conditions préalables à une réforme du SMI. Il s'agit de modifier les procédures d'allocation de DTS au sein du FMI, mais également de rectifier les quotes-parts, afin d'accorder plus de poids aux pays en développement, mais aussi et surtout aux pays émergents (les fameux BRIC : Brésil, Russie, Inde, Chine), qui tiennent une place croissante dans les échanges monétaires et commerciaux internationaux. Au delà, une réforme du SMI devra trancher entre d'une part la mise en place a minima politiquement acceptable (le renforcement des DTS tels quels) et l'utilisation des DTS en tant que monnaie de réserve internationale, avec des allocations contracycliques. Seule la deuxième hypothèse présage une réforme en profondeur du SMI. Néanmoins, si la finalité est de tendre vers l'introduction d'une monnaie supranationale (de réserve et d'échange), le renforcement des DTS peut être considéré comme une première étape qui peut augurer de plus grandes ambitions.

Au cours de cette partie, nous avons présenté les différentes pistes de réforme possibles pour mettre fin au statut hégémonique du dollar. Celui-ci reflète le statut de leadership économique et politique des Etats-Unis. Cependant, le système de semi-étalon dollar, dans lequel évolue l'économie mondialisée, présente de nombreux déséquilibres. Ainsi la constitution de réserves de change au sein des économies émergentes est facteur d'instabilité, et provoque un détournement d'épargne (avec de forts coûts sociaux). Les déséquilibres monétaires sont en outre reliés à des déséquilibres macroéconomiques, et notamment la relation ambivalente Etats-Unis / Chine. Le principal problème est donc que c'est une monnaie nationale qui sert de devise-clé internationale.

L'idée principale que nous avons développé est qu'une monnaie supranationale pourrait

résoudre certains des problèmes, et mettre fin au dilemme de Triffin, ainsi qu'au trilemme représenté plus haut (Berthaud). Celle-ci se base sur les travaux de Keynes et du bancor. La principale monnaie internationale serait ainsi déconnectée de l'unique position macroéconomique d'un pays. Mais la difficulté de mise en place conduit les auteurs du Rapport Stiglitz à promouvoir les DTS. Selon la déclinaison qu'ils revêtiraient, ceux-ci peuvent se substituer au dollar dans les réserves de change et ainsi ouvrir la voie à une monnaie supranationale. Les DTS se verraient chargés de ce statut, et leur allocation par le FMI permettrait de solder les positions monétaires des différents pays de manière équilibrée, tout en permettant une gestion des taux de change davantage harmonisée. Enfin, nous avons pointé le fait qu'une telle réforme du SMI exige des transitions qui peuvent s'avérer délicates. Le FMI doit revoir sa détermination des quotes-parts, en accordant plus de poids aux pays en développement. En outre, cela pose une ambiguïté, celle de la faisabilité politique d'une monnaie supranationale.

Mais la position consensuelle sur le DTS est en fait trompeuse. Certains auteurs présagent d'un SMI qui serait polarisé autour de plusieurs grandes monnaies, ou régions monétaires. C'est cette idée d'un polycentrisme monétaire que nous développerons dans la partie suivante.

Par ailleurs, le schéma page suivante résume ce que nous venons de voir sur la monnaie supranationale.

Problèmes liés à la
devise-clé :
le semi-étalon dollar

Instaurer une
Monnaie supranationale

La réforme du SMI : monnaie supranationale

et DTS

Action sur l'offre
monétaire

Créer une nouvelle
monnaie internationale

Action sur la demande
monétaire

OU

Promouvoir les
Droits de Tirages Spéciaux

Version forte :

Renoncer aux monnaies
nationales

Version faible :

DTS et monnaies
nationales

Approfondir les DTS
tels quels

Adopter des DTS
renouvelés :
visée contracyclique
et allocations
harmonisées

L'une des principales évolutions du SMI au cours du XXe siècle est l'avènement du dollar au rang de devise-clé internationale. En effet, la livre sterling était auparavant la principale monnaie de réserve et d'échange. Mais la Première Guerre Mondiale met fin au statut de première puissance économique du Royaume-Uni. Il faut cependant attendre 1944 et la conférence de Bretton-Woods pour voir le dollar dominer l'ensemble du SMI. Les déséquilibres découlant du semi-étalon dollar ont été présenté plus haut, et il apparaît nécessaire de les corriger puisque cela est générateur de coûts en terme de stabilité monétaire. La crise des subprimes a ainsi révélé les déséquilibres financiers, et l'hétérogénéité du SMI. Ceci étant, un consensus semble se dégager sur le fait que le dollar perd en confiance et pourrait être une monnaie en déclin. Pourtant, le dollar n'a pas été fragilisé par la crise, son succès a même été prégnant, puisque le dollar est une valeur refuge en phase d'incertitude. Au delà, c'est le statut hégémonique de la devise-clé internationale qui est remis en question. Si le dollar venait à décliner, par quoi serait-il remplacé ?

Nous allons montrer dans cette sous-partie que le déclin d'une monnaie ne garantie pas forcément l'ascension d'une autre. Au contraire, pour certains auteurs, le SMI semble tendre vers un polycentrisme monétaire, avec la cohabitation de trois ou quatre monnaies principales. Cette thèse du polycentrisme n'est pas une réforme du SMI proprement dite. C'est plutôt une évolution que certains jugent inéluctable, et qui pourrait se révéler bénéfique pour la stabilité monétaire internationale. Ce ne sont donc pas des pistes de réforme que nous verrons, mais plutôt une toponymie des évolutions possibles et souhaitables du SMI selon les auteurs tenant du polycentrisme.

Pour B. J. Cohen (2009), il est admis que le dollar devrait à long terme décliner. Le « règne sans partage du dollar » va prendre fin. Mais quel peuvent être ses concurrents ? Il se peut que ce soit une des grandes monnaies qui prévalent actuellement, à savoir l'euro, le yen ou encore le yuan. Mais l'idée des DTS prend peu à peu de l'ampleur, comme nous l'avons vu précédemment, et ceuxci pourraient ainsi prétendre devenir une monnaie de réserve internationale. Selon l'auteur, « aucune de ces solutions n'est idéale », mais la situation la plus probable serait une sorte de pis-aller, à l'instar de celui qui s'est établie pendant la période de l'entre-deux guerres. A l'époque, la livre sterling était en déclin et le dollar n'avait pas encore son statut de devise-clé. Dans un futur proche, il est donc probable que plusieurs monnaies cohabitent, et les changements qui en découlent peuvent être analysés à travers l'économie politique.

Si le SMI s'oriente vers plusieurs zones de puissance monétaire, ce seront des monnaies nationales utilisées en tant que monnaies internationales. Mais les problèmes évoqués plus haut sont reliés au fait qu'une seule monnaie est la devise-clé. Si ce pouvoir est partagé entre plusieurs monnaies, le biais déflationniste et le dilemme de Triffin devraient disparaître. Cependant, une problématique demeure : comment intégrer le fait que le commerce et l'investissement, qui sont résolument internationaux, s'appuient sur des monnaies nationales, émises par des gouvernements nationaux ? Il y a là un décalage entre la nature domestique de l'émetteur des grandes monnaies et l'aspect global de leur usage. L'auteur pointe là le déficit de gouvernance mondiale et plaide en faveur d'une « cogestion internationale » du SMI (Aglietta, 2010). Voyons maintenant pourquoi l'euro n'est pas en mesure de détrôner le dollar.

Bien que l'Union Européenne présente le même poids que les Etats-Unis en terme de production et de commerce, l'euro peine à trouver son chemin, plus de dix ans après sa création. Selon Cohen (2010), l'euro a pourtant les qualités qui pourraient lui permettre de devenir une monnaie internationale : « large assise économique, stabilité politique et taux d'inflation faible ». Mais il présenteraient de trop forts inconvénients. L'euro est relié à la politique monétaire de la BCE, réputée pour sa lutte contre l'inflation efficace mais trop restrictive, et donc faiblement porteuse de croissance. Ceci donne une « image » monétaire et budgétaire des membres de la zone euro peu dynamique, ce qui rend l'euro peu attractif. Par ailleurs, les failles de la gouvernance européenne sont clairement présentes. La crise de la dette grecque du printemps 2010 vient amplement étayer ce point de vue. En effet, comment faire confiance à l'euro si la zone euro ne soutient que timidement ses membres, et quand des menaces d'implosion de la zone planent sans cesse sur les marchés financiers ?

En résumé, l'euro reste avant tout une monnaie régionale. Dans l'échiquier monétaire il a atteint le statut de deuxième monnaie internationale, ce qui semble être le minimum étant donné que c'était déjà le palmarès du deutschemark, son prédécesseur. Aussi, selon une étude de Frankel cité par l'auteur, l'euro pourrait devenir la principale monnaie internationale en seulement dix ans, si la zone euro se dote d'un poids politique conséquent, ce qui est la voie à suivre d'après Cohen. L'euro pourrait devenir une alternative au dollar, sans jamais accéder au statut actuel du dollar. La devise européenne deviendrait une des grandes monnaies internationales, rejoignant ainsi la thèse du polycentrisme. Mais qu'en est-il des autres monnaies ?

Au cours des dernières années se sont développées des zone économiques régionales, qui prennent une ampleur croissante. Cela touche le domaine commercial avec la multiplication des

accords commerciaux régionaux et des processus d'intégration régionaux. Mais également le domaine monétaire, puisque Bénassy-Quéré & Pisani-Ferry (2009) précise que le yen a entamé un processus d'internationalisation, et le Japon abandonne ainsi sa fidélité au dollar. De même, la Chine ouvre peu à peu son compte financier, et cherche à promouvoir le yuan dans les paiements internationaux. Par ailleurs la Chine est le principal artisan du retour sur le devant de la scène des DTS. En outre, il convient de citer l'initiative Chiang Mai, que nous aborderons plus tard. Ceci étant, l'intégration financière est plutôt limitée en Asie, ce qui semble limiter les possibilités du yen et du yuan de devenir autre chose que des monnaies régionales, dans un monde multipolaire. En outre, comment la Chine peut-elle prôner une restructuration du SMI alors que sa croissance est basée sur la relation ambivalent qu'elle entretient avec les Etats-Unis ?

Il apparaît que l'euro, et a fortiori les autres devises, ne peuvent remplacer le dollar dans son statut de devise-clé internationale. Cela est dû à la forte préférence pour le dollar33, à l'effet d'hystérésis qui le caractérise mais surtout aux intérêts qu'il procure aux Etats-Unis. Ainsi, le polycentrisme monétaire semble être le scénario le plus probable, d'après les auteurs évoqués. Nous avons vu que le déclin du dollar, bien qu'étant fort probable à long terme, ne veut pas dire qu'une autre monnaie peut et doit le remplacer. De plus, le régime de croissance des Etats-Unis est basé largement sur le statut du dollar et les déficits commerciaux qu'il permet. Même si la puissance chinoise semble émerger depuis une vingtaine d'année, celle-ci demeure liée aux Etats-Unis par la relation déjà évoquée. Les Etats-Unis n'abandonneront pas leur rôle de première puissance économique pour la seule stabilité du SMI.

Ce qui amène à conclure que le polycentrisme monétaire n'est pas une réforme du SMI qu'il convient ou non de mettre en oeuvre, mais plutôt l'évolution probable des prochaines années, compte tenu des rapports de force au sein du SMI et de l'économie globalisée. Et l'Histoire semble donner raison à cette hypothèse. Selon Chavagneux (2010), depuis le début du XXe siècle, « la domination d'une monnaie, comme celle du dollar, relève d'une situation atypique ». Avant la Première Guerre Mondiale, le SMI était certes dominé par la livre sterling mais le franc jouait un rôle important. De même, nous avons vu que pendant l'entre-deux guerres, la livre sterling cohabitait avec le dollar. Ainsi, la présence de plusieurs monnaies qui gravitent l'une autour de l'autre, avec le dollar comme leader et l'euro comme suiveur, semble être un « retour à la norme historique ». Le polycentrisme monétaire serait une alternative sérieuse, puisque la domination d'une seule monnaie tend à affaiblir le leadership de son émetteur.

33 La prégnance du dollar se retrouve même au sein de la zone euro, puisque lorsque Airbus vend un avion à Air France, le contrat est libellé en dollar !

En résumé de cette partie, il apparaît que le polycentrisme est une évolution possible du SMI. Cela présente l'avantage d'une répartition des forces monétaires, en particulier l'euro qui peut représenter un contre-pouvoir si l' UE se dote d'un poids politique. En outre, aucune monnaie ne semble en mesure d'adopter le statut de devise-clé internationale, ce qui soutient l'idée que le SMI va tendre vers un monde multipolaire, dans lequel trois ou quatre grandes monnaies apporteront les liquidités nécessaires aux échanges et aux réserves de change mondiales. A cela il faut ajouter le « candidat de l'ombre » (Cohen, 2009), les DTS, qui peuvent être une des monnaies de réserves au sein du polycentrisme, si leur usage se développe.

Nous avons vu précédemment que la monnaie supranationale peut résoudre le trilemme du SMI, puisqu'elle permet, en sacrifiant la devise-clé, de fournir la liquidité internationale simultanément à l'équilibre courant. Mais, selon Berthaud (2008), l'échec de Keynes en 1944 montre la difficulté à introduire une telle solution. Et, la situation de la devise-clé n'explique pas toutes les failles du SMI actuel. Les Etats-Unis semblent bénéficier de certains intérêts du dollar mais, bien que celui-ci s'essouffle, aucune autre puissance monétaire ne peut prétendre à ce statut. Le SMI présente donc des problématiques relevant de l'Economie Politique Internationale (EPI). En effet, nous avons vu que les puissances monétaires reflètent des puissances politiques, et que la logique économique est loin d'être la seule à l'oeuvre.

Le polycentrisme comme alternative semble donc probable, compte tenu des rapports de force internationaux. Il reflète un « juste milieu entre le charme de l'utopie constituée (la monnaie supranationale) et le spectre de la poursuite d'un régime de devise-clé unique » (Berthaud, 2008). Le polycentrisme monétaire fait référence au « polycentrisme commercial » (trois pôles de flux d'échanges au sein de la Triade) et permet la dispersion de « la contrainte de l'équilibre et de l'ajustement ».

Nous allons voir dans une dernière partie que la réforme du SMI est envisageable par étapes successives et inductives, à la manière d'un jeu de domino. En effet des initiatives monétaires régionales apparaissent, et l'idée d'un rééquilibrage institutionnel est mise en avant.

3. La réforme du SMI par les initiatives régionales.

Les tentatives de construction d'un SMI semblent se heurter à un dilemme : privilégier une réforme globale, efficace mais peu probable, ou construire des initiatives régionales beaucoup plus

modestes mais directement concrétisables. Tel est l'état actuel des réformes de l'architecture monétaire internationale. Nous avons vu que l'idéal de la monnaie supranationale est justifié car il permet de résoudre les incompatibilités entre les monnaies et incite à un rééquilibrage macroéconomique. Cependant, la monnaie supranationale se heurte à de profondes rigidités. Le SMI pourrait probablement se diriger vers un polycentrisme monétaire, dans lequel plusieurs monnaies cohabitent, sans leadership. Mais, ce que nous avons vu précédemment est l'évolution vers un polycentrisme monétaire compte tenu des monnaies existantes, auxquelles peuvent être ajouter les DTS. Par contre, l'idée de cette partie est de rendre compte des initiatives régionales, qui se dressent en réponse au manque de solutions concertées. Elles impliquent la création de nouvelles institutions régionales, d'une nouvelle monnaie (Plan SUCRE) ou encore d'intégration régionales approfondies (Initiative Chiang Mai). L'émergence de ces alternatives est une autre face de la multipolarisation du monde, dans le domaine commercial mais également monétaire. Et le fait que ces réformes proviennent d'Amérique du Sud et d'Asie du Sud-Est est révélateur de nouveaux rapports de force.

Nous verrons en premier lieu l'initiative sud-américaine de construire une nouvelle architecture financière régionale, mais aussi l'Initiative Chiang Mai (1), puis l'idée d'un rééquilibrage institutionnel des relations monétaires (2).

1. Des alternatives régionales pour une refonte du SMI globale

Les déséquilibres et ajustements liés au dollar pèsent, comme nous l'avons vu, sur l'ensemble de l'économie mondialisée. Or, étant donné qu'aucune monnaie semble à même de prendre la place du dollar, les initiatives régionales pourraient être l'impulsion vers un SMI plus stable. Dans une certaine mesure, l'euro peut être considéré comme une alternative régionale. Mais l'idée que nous allons développer est la réponse de pays du Sud à l'instabilité monétaire, notamment en tentant de créer des forces régionales. Il s'agit donc de propositions de réformes monétaires et financières, issues et concrétisées dans des zones économiques régionales.

Dans cette perspective, l'Amérique du Sud se dirige vers la construction d'une Nouvelle Architecture Financière Régionale (NAFR), en réponse aux tentatives de construction d'une Nouvelle Architecture Financière Internationale (NAFI). La principale raison pour laquelle les pays sud-américains impulsent ce régionalisme monétaire est le besoin de protection face aux crises. Selon Ponsot & Rochon (2010), les pays en développement ont subi de sévères crises financières,

ce qui a affaibli leurs économies déjà fragiles. Et les apparentes faiblesses du semi-étalon dollar affectent les pays en développement. Les pays d'Amérique du Sud favorisent donc une approche régionale afin de dépasser les problèmes monétaires et financiers. Celle-ci se concrétise par deux constructions : la première, financière, se traduit par la création de la Banque du Sud (Banco del Sur) ; la seconde, monétaire, est le Plan SUCRE, une nouvelle monnaie commune dans une perspective d'intégration monétaire régionale (vers une NAFR).

La Banque du Sud est une institution financière créée à l'initiative du président vénézuelien H. Chavez et inaugurée officiellement en novembre 2008. D'après Ponsot & Rochon (2010), cette banque a le soutien de l'Argentine, Brésil, Bolivie, Equateur, Paraguay, Uruguay et Vénézuela. Son objectif est de proposer un financement du développement en Amérique du Sud différent des institutions financières internationales, en particulier le FMI et la Banque Mondiale. Il s'agit d'aider les investissements qui ont « d'importantes implications publiques ou macroéconomiques ». La Banque du Sud permet d'établir les bases de la NAFR, et de s'affranchir des financements venant des pays industrialisés mais aussi et surtout des marchés financiers. Cela peut permettre de construire un environnement financier propice au développement économique et social de l'Amérique du Sud. Mais ce projet peut également ouvrir la voie à d'autres voie de financement du développement.

Selon Páez Pérez (2010), c'est l'« expérience néolibérale » de l'Amérique du Sud, s'étant avérée « désastreuse », qui a motivé la construction d'une NAFR. En outre, cela constitue une sorte de pied-de-nez aux projets de NAFI, qui laissent généralement peu de place aux pays en développement. L'intégration monétaire régionale apparaît comme un vecteur de développement pour les pays sud-américains, mais également comme un piste de réforme de la finance internationale : la Banque du Sud peut limiter les mouvements spéculatifs sur le financement du développement, en y introduisant une forme du concurrence sur les marchés financiers. La NAFR repose sur trois piliers :

La Banque du Sud, qui forme une alternative aux mode de financements classiques, plus proche des exigences sud-américaines ;

Créer une association des banques centrales nationales, qui s'apparenterait à une banque centrale régionale ; elle viserait à stabiliser les variables macroéconomiques et à réduire les « asymétries structurelles » de l'Amérique du Sud ;

Donner une cohérence globale en créant une monnaie commune, qui synthétise les idées

keynésiennes précédemment développées.

Ainsi, les ambitions de la NAFR est de rétablir un rapport de force plus équilibré en faveur des pays sud-américains. Mais au delà, cela peut ouvrir la voie à des réflexions plus profondes sur la réforme du SMI. En effet, si une monnaie commune est viable, elle pourrait impulser le SMI à tendre vers un polycentrisme monétaire, en alternative au semi-étalon dollar. Détaillons maintenant le troisième aspect de la NAFR, en étudiant le Plan SUCRE et l'idée d'une monnaie commune.

Le Système Unifié de Compensation, traité du SUCRE ou plan SUCRE (Sistema Único de Compensación Regional de Pagos) a été mis en place en octobre 2009, là encore à l'initiative du Vénézuela. Cette une sorte de réponse aux déséquilibres monétaires et financiers de la part de cinq pays sud-américains. Selon Sapir (2009), le SUCRE est « la première alternative réellement crédible au renforcement du FMI, et de son organisme soeur, la Banque Mondiale » (p. 1). Pour l'auteur, il est clair que le dollar est amené à décliner, et que le SMI se dirige vers le polycentrisme monétaire. Dès lors, le SUCRE apparaît comme une solution efficace, puisque l'intégration monétaire régionale est vecteur de stabilité, en évitant une « guerre des monnaies ». Il prolonge le MERCOSUR en projetant un cadre monétaire à l'intégration commerciale déjà à l'oeuvre en Amérique du Sud ; en outre, il permet de protéger ces économies fragiles des fluctuations et déséquilibres liés au dollar.

Le SUCRE est une monnaie commune, mais pas unique, tandis que l'euro est une monnaie commune et unique. Le SUCRE ne supprime pas les monnaies nationales, il sert d'instrument de compensation. C'est une des initiatives monétaires qui se rapproche le plus des idées de Keynes, puisque le fonctionnement est semblable à l'Union de Compensation International (UCI). D'après le Traité constitutif (cité par Sapir), il s'agit d'« un mécanisme de coopération, d'intégration, et de complémentarité économique et financière destiné à promouvoir le développement intégral de la région latino-américaine et caraïbe ». L'accord de compensation est multilatéral, au sein duquel les banques centrales détiennent le SUCRE comme monnaie de crédit. Le taux de change intra-zone est fixe mais ajustable de même que le taux de change extra-zone.

La zone utilisant le SUCRE devra augmenter son potentiel en s'élargissant au plus de pays possible. En revanche, l'auteur précise que le cas de l'Equateur est problématique puisque c'est un pays qui a « renoncé à sa souveraineté monétaire », en effectuant un régime de dollarisation. Mais le Plan SUCRE peut alors être « une opportunité [pour ce pays] de se « dé-dollariser » et de recouvrer sa souveraineté monétaire ». Il apparaît dès lors que le plan SUCRE peut avoir des

conséquences monétaires insoupçonnées, et devenir un exemple en matière d'intégration monétaire, toujours dans la perspective d'une stabilisation du SMI.

En résumé, le SUCRE recouvre trois principaux objectifs :

la réduction du risque de change dans les transactions, au niveau intra-zone mais également dans les échanges extérieurs ;

la promotion des investissements au sein de la zone SUCRE

rendre les investissements régionaux et l'allocation de l'épargne plus efficace, notamment dans la lutte contre les effets de la dernière crise financière.

Le plan SUCRE est donc une innovation intéressante, puisqu'il remet en question des composantes du SMI. Il se propose de favoriser la stabilité financière et la régulation des déséquilibres monétaires. Mais au delà, il pose les bases d'une réforme possible du SMI, à savoir l'émergence de zones d'intégration monétaire régionales, dans un contexte de polycentrisme. C'est une alternative porteuse de changements. Pour Sapir, c'est même « une des plus grandes avancées de ces dernières années ». Il fait ici référence au contre poids de l'Amérique du Sud face au géant dollar : alors, nouveau rapport de force ou éphémère alternative ? L'avenir du Plan SUCRE et de la Banque du Sud le dira.

Il convient de citer brièvement l'Initiative Chiang Mai, car ce n'est pas une initiative récente et ne peut être considérée comme une piste de réforme depuis la crise.

L'Initiative Chiang Mai (ICM) est un accord multilatéral de swap de devises entre les pays de l'ASEAN, la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Formée à la base par des arrangements bilatéraux, l'ICM vise à accroitre la stabilité financière en Asie du Sud-Est, région très dynamique. L'objectif est d'impulser une intégration monétaire régionale, qui complète l'intégration commerciale mis en place par l'ASEAN. L'ICM avait pour but la protection contre les crises financières, notamment après la crise asiatique de 1997. Elle prend désormais une ampleur croissante à cause des déséquilibres induits pas la crise. En 2009, l'ICM s'est dotée d'un fond de réserve de plusieurs milliards de dollar et s'étend à d'autres pays de la région, lorsque l'Accord sur la multilatéralisation de l'ICM a pris effet au printemps 2010. L'ICM constitue donc une zone d'intégration monétaire importante, mais moins pour son degré d'approfondissement que par les pays qui la compose : l'ASEAN est en effet la zone économique la plus dynamique actuellement.

Pour conclure, nous avons vu dans cette partie que des zones d'intégration monétaire apparaissent, et en particulier en Amérique du Sud avec la Banque du Sud et le plan SUCRE. Ces deux alternatives se sont constituées en réponse à la crise et en vue de mieux servir les intérêt de ces pays en développement. Par ailleurs, par l'ambition et l'intelligente construction de ces initiatives, il est possible d'envisager une réforme du SMI qui serait impulser par des zones d'intégration monétaires. Si l'Amérique du Sud, l'Asie et l'Europe suivent ce chemin, cela peut conduire à un monde multipolaire, dont les flux monétaires seraient plus équilibrés. Cela s'effectuerait à la manière de la théorie des dominos de Baldwin (1993), selon laquelle l'intégration économique régionale peut conduire, par étapes successives, au multilatéralisme. Ce qui est vrai pour le commerce international peut l'être avec le SMI. Reste à étudier les difficultés politiques de telles réformes.

Afin d'étudier la réforme du SMI par étapes successives, nous allons présenter les travaux de Piffaretti & Rossi, qui prônent un rééquilibrage institutionnel des déséquilibres monétaires, notamment ceux de la Chine et des Etats-Unis.

2. Institutionnaliser les rééquilibrages macroéconomiques et monétaires : l'exemple de la

relation Chine / Etats-Unis

La stabilité monétaire, nous l'avons vu, est intimement liée à la hiérarchie des différentes monnaies dans le SMI, mais également à la position macroéconomique des Etats. Or la crise financière a soit amplifié sinon prolongé les déséquilibres monétaires internationaux. L'idée que nous allons développer est celle d'un rééquilibrage institutionnel des déséquilibres monétaires et macroéconomiques, notamment ceux affectant les Etats-Unis et la Chine dans leur relation ambivalente.

Le point de départ de l'analyse de Piffaretti & Rossi34 est un constat déjà établi précédemment, qui semble donc faire consensus : celui de la fin de la longue domination du dollar dans le SMI, et l'entrée dans une phase de transition. Cela implique une évolution vers un monde multipolaire, et les auteurs établissent que cette période de flottement entre les devises pourrait se traduire par une forte instabilité (à l'inverse des tenants du polycentrisme comme réforme du SMI, pour lesquels les monnaies s'équilibrent dans un monde multipolaire). Le principal problème est

34 N. Piffaretti est économiste à la Banque Mondiale ; S. Rossi est chercheur à l'université de Fribourg, titulaire de la chaire de macroéconomie et d'économie monétaire.

l'émergence de déséquilibres globaux, notamment des balances des paiements. Au delà des analyses traditionnelles qui visent un rééquilibrage par les « prix relatifs » ou par « les comportements d'épargne ou de consommation », les auteurs proposent une troisième voie, institutionnelle.

L'idée est de favoriser un rééquilibrage symétrique des balances, afin d'éviter un comportement de passager clandestin : si un pays effectue le rééquilibrage de manière asymétrique, cela peut profiter à d'autres, sans qu'ils en aient à porter les éventuels coûts. L'exemple des EtatsUnis et de la Chine est crucial, puisque leurs relations monétaires définissent en grande partie la stabilité ou l'instabilité du SMI. Le but est d'instituer un mécanisme de rééquilibrage institutionnel des balances chinois et américaines, chacune dans les mêmes proportions. Si cela réussi, l'effet d'entrainement peut arriver à impulser d'autres duo de pays, et par là une refonte du SMI, davantage stable. Le schéma est similaire à la théorie des dominos évoquée plus haut.

Concrètement, le mécanisme prendrait la forme d'un système de règlement bilatéral (bilateral settlement facility), dans lequel une partie des réserves seraient converties en une monnaie supranationale (les travaux de Keynes ne sont décidément jamais loin lorsqu'il s'agit de réformer le SMI...). Cette fonction peut être assumée par les DTS, mais pas nécessairement : l'essentiel est d'avoir une unité de compte commune, convertible selon un processus stable et acceptée par les acteurs en question. La détention d'une quantité trop ou pas assez élevée de monnaie supranationale donnerait lieu à des pénalités et incitations, ce qui introduirait un mécanisme de rééquilibrage symétrique entre la Chine et les Etats-Unis. Le conclusion importante est la suivante : cela inciterait la Chine à dépenser ses excédents notamment en important des produits américains, ce qui pourrait réduire le déficit courant des Etats-Unis et pérenniser in fine le rééquilibrage. Et ce mécanisme peut stimuler l'investissement productif aux Etats-Unis, et freiner les délocalisations à l'oeuvre depuis plusieurs décennies. Le déficit américain pourrait se réduire, ce qui diminue les déséquilibres liés à l'émission de la devise-clé : biais déflationniste, dilemme de Triffin... De l'autre côté, la Chine aurait la possibilité de réinvestir ses excédents, plutôt que de les transformer en réserves en dollars.

Le mécanisme de rééquilibrage institutionnel nécessite une unité de compensation. Pour lui donner une crédibilité, ce sont les principales institutions financières qui doivent l'encadrer. Les auteurs proposent que ce soit la Fed et la Popular Bank of China qui gèrent conjointement l'émission et la position de change de la monnaie supranationale. L'unité en question est l'« US-China settlement credits (USCSCs) ». Cette unité de compensation pourrait servir pour les transactions extérieures, c'est-à-dire réglant des échanges sino-américains. Le taux de change doit

être décidé et géré de manière coordonnée. En résumé, dans ce mécanisme, le déficit américain est limité par l'obligation de le financer par des exportations (et non plus par l'émissions de dollars), ce qui réduit la tendance des ménages à surconsommer. Symétriquement, la Chine verrait son excédent limité par la réduction du déficit américain mais aussi par l'incitation à consommer et investir les excédents du commerce international (et non plus d'épargner par des réserves en devises). Ainsi le biais déflationniste de la réduction du déficit courant des Etats-Unis disparaît.

La multilatéralisation de mécanisme de rééquilibrage institutionnel des balances peut être mise en place à travers les institutions monétaires existantes. L'extension de ce processus à l'ensemble du SMI est faisable si les systèmes de paiements internationaux sont connectés progressivement à l'union de compensation bilatérale, qui pourrait devenir peu à peu multilatérale. La participation de seulement deux pays peut induire plus de stabilité, qui plus est si ces deux pays en question sont les principales puissances économiques.

En conclusion, les auteurs ont montré qu'un mécanisme de rééquilibrage des variables monétaires est possible, et l'institutionnalisation des balances des paiements également. Cela rejoint l'idée d'une monnaie supranationale, en en réduisant la difficulté de mise en oeuvre. Le mécanisme de compensation est donc une synthèse de cette partie : il reprend l'idée d'une compensation par une monnaie supranationale, mais serait introduit, par des mécanismes bilatéraux, à l'instar des initiatives d'intégration monétaires régionales. Cela peut ensuite être généralisé à l'ensemble du SMI, et réduire les déséquilibres globaux et les positions trop hétérogènes qui caractérisent le semiétalon dollar.

Tout au long de cette partie II, nous avons vu quels étaient les difficultés du SMI actuel, et les difficultés d'ajustement qu'il induit. Les réformes sont donc nécessaires, et sont de plusieurs types. Le dollar peut être considéré comme déclinant, mais pour autant aucun candidat n'est susceptible de le remplacer. L'idée d'introduire une monnaie supranationale est donc souvent citée, et reprend les idées de Keynes et du bancor. Nous avons vu que les DTS peuvent s'approcher de ce statut, sans jamais l'atteindre. La monnaie supranationale représente donc une sorte d'idéal-type dans la réforme du SMI (1).

Ensuite, nous avons montré que le SMI peut sembler s'approcher du polycentrisme monétaire, où les principales monnaies fluctuent entre elles. Cela réduit certains déséquilibres, mais ni l'euro ni les autres monnaies n'ont autant de poids que le dollar. Le polycentrisme monétaire apparaît comme une évolution probable, compte tenu des rapports de forces et des tendances de la

mondialisation : cela ne serait que le reflet de la multi-polarisation du monde, que se soit en terme commercial ou en terme politique. Comme la monnaie supranationale présente de trop fortes difficultés d'application, le SMI doit s'adapter au mieux à la cohabitation de plusieurs monnaies, notamment en favorisant le rôle des DTS (2).

Enfin, nous avons vu que des initiatives régionales émergent : ce sont des alternatives sérieuses, notamment le processus d'intégration monétaire régional d'Amérique du Sud (Banque du Sud et Plan SUCRE). Il posent un premier pas vers une refonte du SMI. Et, pour finir, nous avons montré l'idée d'un rééquilibrage institutionnel des déséquilibres monétaires, liés aux balances des paiements. Il s'agit d'amorcer et d'institutionnaliser un mécanisme de compensation bilatéral, en l'impulsant par la relation la plus problématique, celle qui lie les Etats-Unis et la Chine (3). Cette proposition de réforme semble régler l'ensemble des problématiques, mais occulte la forte difficulté politique. En effet comment inciter les principaux belligérants du SMI à entreprendre des réformes en profondeur, qui dépassent le seul effet d'annonce ?

Nous verrons en conclusion de ce mémoire que l'amorce politique, bien que présente, est très modeste, et ne règle a priori pas les déséquilibres fondamentaux du Système Monétaire et Financier International (il convient de regrouper dès à présent l'aspect financier et l'aspect monétaire, puisque nous envisageons le système dans sa globalité).

CONCLUSION GENERALE

L'ensemble de ce mémoire a pour but la présentation des pistes de réformes du Système Monétaire et Financier International (SMFI). Les causes qui amènent à questionner son fonctionnement ainsi que les pistes de réforme possibles ont été établies jusqu'ici. Voyons pour finir qu'en est-il des applications politiques concrètes. La plupart des réformes proposées et des tendances probables des années à venir sont clairement établies et étayées à partir de réflexions solides. Néanmoins, même si leur portée concrète est établie, ils se heurtent à la barrière politique. Or comment ignorer cette variable ? L'économie n'est pas une science hermétique, elle construit des raisonnements sur des déductions et des hypothèses vérifiables. Pour former un tout, elle se doit de collaborer avec la science politique afin de saisir les enjeux liés aux relations internationales, aux rapports de forces nationaux et internationaux... Elle peut même s'en saisir en l'intégrant à ses propres logiques, notamment par l'Economie Politique Internationale (EPI).

Ainsi, il nous faut saisir les applications concrètes des réformes du SMFI. Qu'en est-il des résolutions formulées après la crise ? Le capitalisme et la finance sont-ils sur la voie de la moralisation ? Quelles sont les résolutions adoptées par les instances décisionnelles, et notamment le G20 ?

Nous verrons en premier lieu les déclarations officielles des différents G20, puis les décisions politiques entreprises, notamment aux Etats-Unis et en Europe.

1. Les travaux du G20 pour stabiliser la finance

Il s'agit ici de montrer quelles sont les solutions avancées par le G20. Le G20 ou Groupe des 20 est un forum économique regroupant vingt pays et agissant en faveur de la stabilité financière. Ses membres représentent près des deux tiers du commerce mondial et plus de 90 % du PIB : la représentativité du G20 est donc élevée. Le G20 a pris une forte ampleur depuis que les chefs d'Etat y participent, c'est-à-dire depuis novembre 2008 et le sommet de Washington. Ce sommet a été convoqué afin d'étudier la crise financière qui venait de se dérouler. Les conclusions ont été que la crise est due à un manque de coordination économique, à de trop fort risques financiers mal évalués

et à un manque de surveillance du système financier (Déclaration finale, 2008). Ces remarques ont emporté l'adhésion de la communauté scientifique, et il a été prévu de prolonger les bonnes intentions par un sommet au printemps 2009.

Le sommet du G20 à Londres en avril 2009 prend donc le relais de la réflexion sur les déséquilibres financiers internationaux. Il est prévu, d'après le Communiqué final (2009), de renforcer la coordination dans l'épreuve qu'est la crise, d'assainir le système bancaire, et d'apporter une meilleure régulation et surveillance du secteur financier. Les pays se sont engagés à :

« rétablir la confiance, la croissance et les emplois

restaurer le système financier afin de rétablir les activités de prêt ; resserrer la réglementation financière afin de rétablir la confiance ;

financer et réformer nos institutions financières internationales de façon à surmonter cette crise et à en prévenir d'autres dans l'avenir ;

promouvoir le commerce et l'investissement mondiaux et rejeter le protectionnisme, dans le but de soutenir la prospérité ;

instaurer une reprise globale, durable et respectueuse de l'environnement. En agissant de concert pour remplir ces engagements, nous pourrons sortir l'économie mondiale de la récession et empêcher qu'une telle crise se reproduise dans l'avenir».

C'est à cette occasion qu'a été décidé la nouvelle allocation de DTS, pour 250 milliards de dollars. Ainsi le G20 a pris en compte la gravité de la crise, et prône des actions visant à rétablir au plus vite la confiance, les prêts, les investissements et donc la croissance. Mise à part les DTS, aucune mention n'est faite de l'aspect monétaire, et en particulier les problématiques liées au statut dollar que nous avons vu précédemment.

En ce qui concerne les détails de la réglementation financière, le G20 ambitionne de prendre « des mesures afin d'établir un cadre de supervision et de réglementation renforcé et plus cohérent à l'échelle mondiale, à l'endroit du secteur financier dans l'avenir, qui favorisera une croissance mondiale soutenue et répondra aux besoins des entreprises et des citoyens ». Les idées sont pleines de vertus, mais force est de constater qu'un an après la réglementation demeure modeste : les hedge funds opèrent toujours, les CDS et CDO demeurent, et la spéculation effrénée perdure, la preuve par

la crise de la dette grecque des derniers mois. Par ailleurs, les actifs financiers comme les devises continuent de présenter un extrême volatilité au cours des mois d'avril et de mai 2010. De plus, il est prévu une cohérence et une coopération « systématique » entre les pays. Or la coopération internationale est peu présente, puisque B. Obama entreprend des réformes de manière unilatérale, et l'UE elle aussi décide sans concertation (nous somme loin d'une coopération systématique). L'Europe, qui est traditionnellement régulationniste, semble dépassée par les Etats-Unis, qui ambitionnent davantage de régulation que l'Europe : se produit-il une inversion des rôles depuis la dernière crise ?

Enfin, un dernier point précisé par le Communiqué est d'« atténuer plutôt qu'amplifier les cycles financiers et économiques » : ici encore, la crise grecque et la forte volatilité de l'euro (qui se traduit ici par de l'instabilité) ne conduit pas à établir un SMFI international. Ceci étant, il faut reconnaître quelques avancées, mais qui semblent relever de l'effet d'annonce plutôt que de réelles réformes : la question des rémunérations est abordée, les normes comptables également ainsi que les paradis fiscaux. Mais compte tenu de l'intensité de la crise et de ses conséquences, cela apparaît comme clairement insuffisant. Et, encore une fois, l'aspect monétaire est très peu présent et ses problématiques cruciales complètement absentes. Par ailleurs, le directeur du FMI, D. Strauss-Kahn ( La Tribune, 2009), critique le sommet de Londres en déclarant qu'il laisse de côté la problématique la plus urgente : « nettoyer le système bancaire des ses actifs toxiques, qui risquent d'aggraver et de prolonger la récession mondiale».

Le prolongement a ensuite été le G20 de Pittsburgh de septembre 2009. L'objectif est l'aboutissement des mesures adoptées lors du G20 de Londres. Il s'agit des paradis fiscaux, des bonus-malus liés aux rémunérations dans le secteur bancaire, et de promouvoir la coordination internationale. A Pittsburgh, les propositions venaient largement de la France et de l'Allemagne. Mêmes si ces derniers ont emporté l'adhésion des Etats-Unis et du Royaume-Uni, le G20 laisse à nouveau l'ensemble des problèmes monétaires de côté. Et pourtant, il se profile à l'horizon une probable « guerre de changes », comme le précise P. Artus (2009). Ainsi, le risque est un affront entre les pays, par l'intermédiaire des taux de change afin de favoriser les exportations, précieuses en temps de crise. L'auteur pointe notamment une guerre des changes entre les pays de l'OCDE mais également entre les Etats-Unis et la Chine, dont la monnaie est structurellement sous-évaluée.

Il apparaît que lors du G20 de Pittsburgh les problématiques déjà abordées ont été approfondies. Mais le problème réside dans les problématiques ignorées. Or nous avons vu qu'une réforme de la finance internationale ne serait que superficielle si elle ne s'accompagne pas de

réformes du SMI, et notamment la relation Chine -Etats-Unis, et le statut du dollar dans le semiétalon dollar. A l'inverse, le gouvernement français pointe lui «des avancées considérables » (Gouvernement Français, 2009), en précisant avec un détail minutieux la réforme des bonus. Or les bonus octroyés en 2009 ont été colossaux, loin de l'ambition de les réduire.

En outre, la satisfaction des membres du G20 semble exagérée. Ces derniers précisent que « nos pays avaient alors décidé de faire tout ce qui était nécessaire pour assurer la reprise, remettre en état nos systèmes financiers et préserver les flux mondiaux de capitaux. Cela a marché. ». Le G20 qualifie son action d'« énergique », vante les « progrès accomplis » : « les engagements que nous avons pris au niveau national pour rétablir la croissance ont constitué le soutien budgétaire et monétaire le plus vaste et le mieux coordonnée de tous les temps. Nous avons agi ensemble pour augmenter radicalement les ressources nécessaires afin de stopper la diffusion de la crise à l'ensemble du monde. Nous avons pris des mesures pour remettre en état le système de régulation et nous avons commencé à mettre en oeuvre des réformes radicales afin de réduire le risque que des excès financiers ne déstabilisent à nouveau l'économie mondiale ». Ainsi, il apparaît difficile de s'autosatisfaire lorsque la plupart des pays industrialisés présentent des niveaux de chômage record, une croissance en berne, et que la spéculation financière bât son plein.

Pour finir, les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales du G20 se sont réunis le 23 avril 2010 afin d'assurer la transition vers une croissance stable et pérenne, dans un contexte de sortie de crise. Tout en reconnaissant que les résultats n'étaient pas à hauteur des espérances, le communiqué final précise que les membres vont continuer à travailler de la sorte, et notamment sur la régulation financière. Or, en ce qui concerne la mise en oeuvre concrète de la régulation financière, les membres se sont révélés être en désaccord. Selon R. Hiault (2010), les gouvernements sont divisés sur les caractéristiques des nouvelles taxes sur les banques. L'idée du FMI d'instaurer deux taxes a provoqué des clivages, et la vision de la réglementation des banques diffère entre les partisans et les opposants de Bâle II. Ainsi, nous sommes loin du consensus et de la coopération systémique de 2009.

Pour conclure, il semble que le G20 entreprend des négociations et des travaux indispensables. L'ampleur de la récession aurait été plus grande sans ces actions concertées. Cela peut poser les premiers jalons d'une gouvernance globale, notamment sur les solutions pour recouvrer une croissance pérenne. Par contre, en ce qui concerne la régulation de la finance, il n'apparaît presque que des réformes nécessaires mais de second plan : bonus des traders, agences de notations, normes comptables, qui sont annoncées comme des révolutions. Notons tout de même le

travail sur les paradis fiscaux. Mais l'aspect le plus important est que l'ensemble des problématiques monétaires sont occultées des négociations. Le semi-étalon dollar n'est pas mis en doute, ou en tout cas rien ne le laisse penser. Ainsi, si le SMI venait à subir des transformations, ce sera sans doute sous l'effet de forces déjà à l'oeuvre (l'ensemble des réformes et évolutions déjà vus) et probablement pas grâce aux travaux du G20. Il convient maintenant de porter un regard sur les politiques entreprises aux Etats-Unis et en Europe.

2. Les actions politiques des principaux pays responsables de la crise

L'idée est ici de montrer quelles sont les actions et politiques mises en oeuvre par les différents pays de manière unilatérale ; nous nous concentrerons sur la cas de la France et des EtatsUnis. En effet, malgré l'union affichée par le G20, les économies industrialisées européennes et américaines, considérées comme responsables de la crise, tentent de réformer le SMFI par des politiques propres, peu concertées (et donc en dehors du G20).

Le président des Etats-Unis, B. Obama, affiche une volonté de fer face aux dérives des marchés financiers. Comme dit précédemment, l'Europe semble désormais être moins régulationniste que les Etats-Unis. Ce manque de vigueur à réformer la finance en Europe peut venir de la place cruciale qu'occupe la finance, notamment à la City de Londres. A l'opposé, les Etats-Unis sont le point d'origine de la crise des subprimes, et beaucoup de banques n'auraient pas survécu à la pénurie de liquidité sans une injection record de liquidité par l'administration américaine ; cela peut expliquer la soudaine vigueur de leurs politiques. De plus, la Fed a maintenu une politique de taux d'intérêt expansionniste, afin d'amortir le poids de la récession. L'ampleur de la récession et la responsabilité éprouvée des acteurs financiers a sans doute conduit B. Obama a entamer une tentative de réforme. Les mesures suivantes ont été annoncées : imposer une taxe de « responsabilité financière », réduire les activités spéculatives des banques commerciales, en leur interdisant toute prise de participation dans les hedge funds. Selon Chavagneux (2010, p. 34-35), cela est avant tout une stratégie politique préélectorale. Il n'empêche que le nouvel impôt sur les banques prévient que l'action de sauvetage de l'Etat n'est pas gratuite, ce qui pose un garde-fou aux banques d'investissement. Une seconde taxe sur les ressources des banques issues de l'endettement permet normalement de rendre les effets de leviers plus coûteux pour les banques. Le but affiché est de rendre les banques plus responsables de leurs risques, et de protéger le contribuable. Sur le principe, peu de choses à redire.

Par contre, l'aspect concret se révèle plus épineux. En effet, la réforme concernant la régulation de la finance n'est pas encore passé devant les parlementaires américains (or la récente réforme sur la santé a montré les difficultés possibles). De plus, le président Obama n'affiche aucun soutient aux projets de régulation de la Banque des Règlements Internationaux, ni aucune approbation franche aux travaux du G20. La coordination entre les Etats laisse elle aussi à désirer. Et les réformes proposées aux Etats-Unis en restent à une approche microprudentielle, autrement dit la dimension systémique n'est pas prise en compte : or nous avons vu que le risque systémique est le point central de toute tentative de réforme. Par ailleurs, il convient de citer l'initiative de la Securities and Exchange Commission (SEC), l'équivalent de l'AMF en France. La SEC a porté plainte contre Goldman Sachs, en avril 2010, pour une affaire de fraude liée à la crise des subprimes35. Au delà de l'aspect juridique classique, cette affaire montre la volonté de qualifier de frauduleux ce qui, avant la crise, faisait partie des activités de spéculation « classiques ». Les autorités financières américaines ont donc haussé le ton, ce qui laisse croire à un durcissement de la législation des activités financières (Le Monde, avril 2010).

Dans une des récentes informations, le président Obama affirme vouloir accélérer le processus de régulation de la finance. Les parlementaires démocrates soutiennent la réforme, et les républicains déclarent la réprouver en l'état. D'après La Tribune (2010), les républicains se concentreraient sur cette réforme, après n'avoir pu empêcher la réforme sur la santé. Ils dénoncent un plan qui soutien le renflouement des banques. Enfin, B. Obama s'est dit déterminé à résoudre le problème du « too big to fail » (trop gros pour la faillite), ce qu'il semble être le seul à vouloir dès aujourd'hui. Le problème est que l'aspect « too interconnected to fail » (trop interconnecté pour la faillite), autrement dit le risque de contagion, est ignoré or c'est une condition nécessaire36.

Ainsi, les Etats-Unis tentent de proposer des solutions afin que la crise financière et le sauvetage des banques ne se reproduisent plus. Des réformes sont en cours, mais elles concernent principalement des aspects pratiques microprudentiels. La réforme de la finance n'est pas encore passée devant le congrès, il est donc difficile de connaître la teneur exacte du future projet37. Selon Dugua (2010) il n'y a pas pour l'instant de réformes envisagées afin de réduire le risque systémique, mais surtout les déséquilibres monétaires ne sont pas abordés. Cela est compréhensible : les Etats-Unis n'ont aucun intérêt à favoriser un nouveau système monétaire,

35 Les traders avaient crée un produit dérivé composé de titres sur créances immobilières qui se sont avérées douteuses ; or ce fond a été liquidé dans l'illégalité, et il s'est avéré que Goldman Sachs pariait à la baisse, contre ses propres clients.

36 Pour en savoir plus sur le too interconnected to fail, voir Markose, Giansante, Gatkowski & Shaghaghi (2009).

37 La réforme devrait être soumise au congrès américain le 4 juillet 2010.

compte tenu du « privilège exorbitant » que leur octroi le dollar. Par ailleurs, le problème du too big to fail n'apparait pas dans le projet, et la réglementation des hedge funds est peu contraignante. L'idée initiale de réactualiser le cloisonnement, en interdisant aux banques d'investissement d'avoir une activité de dépôt, est elle aussi fortement « diluée » : pour Dugua, cela aurait pourtant pu fortement limiter les leviers sur fonds propres. Ainsi, la façon dont le texte est perçu par les parlementaires indiquera le degré de réforme final. Mais il apparaît dors et déjà que la finance est en travaux (mêmes superficiels), mais que le système monétaire reste intact.

En ce qui concerne la France, la position affichée est également en faveur d'une réforme de la finance. Lors d'une conférence « Nouveau monde, nouveau capitalisme » en janvier 2009, le président N. Sarkozy s'est déclaré en faveur d'une refonte du système financier. Il souhaite « moraliser le capitalisme », « rééquilibrer les rôles de l'Etat et du marché », et indique qu'il ne veut plus subir les seules décisions des Etats-Unis (La Tribune, 2009). A cette conférence, plusieurs intentions de réformer la finance internationale ont été établies, tandis que l'Allemagne et le Royaume-Uni se joignait aux déclarations françaises. Par la suite, N. Sarkozy a réaffirmé ses positions lors d'une conférence aux Etats-Unis en mars 2010. Là encore, il y a le souhait de « ne pas recommencer les mêmes erreurs » , et de renforcer « une économie de production et non de spéculation » (Les Echos, 2010). La France souhaite tirer les leçons de l'échec de Copenhague en matière de gouvernance globale.

Enfin et surtout, il est fait mention de l'aspect monétaire : « le dollar n'est pas la seule monnaie au monde », et ce sujet devrait être amené dans la négociation par la France lors de sa présidence en 2011. Cela reprend sa déclaration de janvier 2010, à Davos, où le président français déclarait vouloir « inscrire la réforme du SMI au G20 », et réclamait « un nouveau Bretton-Woods » (Le Monde, 2010). Par ailleurs, la question des déséquilibres globaux a été abordée : « les pays excédentaires doivent consommer davantage et les pays déficitaires consommer moins et rembourser leurs dettes ». Néanmoins, la France déplore elle-même le manque de concrétisation des ambitions affichées au G20. Selon Le Monde, le président, lors de ces discours, endosse « l'habit des présidents français qui se veulent humanistes et universalistes ».

Par ailleurs, les travaux de l'Assemblée Nationale française reflète les mêmes enjeux (Assemblée Nationale, 2009). La crise financière a fait comprendre l'urgence d'une réforme de la

finance. Et c'est justement le problème : les propositions de réforme ne concernent que le Système Financier International, et il n'est pas fait mention des déséquilibres monétaires. Or nous avons vu dans la partie précédente l'ampleur des déséquilibres globaux, des problèmes macroéconomiques, des distorsions liées au dollar. Les parlementaires français s'orientent donc vers les réformes de la finance, dont certaines recoupent celles que nous avons listé dans notre partie I sur la réforme du Système Financier International : agences de notation, paradis fiscaux, hedge funds, etc. Ce qui explique en partie que les réformes monétaires ne soient pas mentionnées par les législateurs et décideurs français.

La France affiche elle-aussi des ambitions quant à la réforme du système financier. Des avancées sont mises en oeuvre, mais les actes peinent à dépasser la parole. En effet, le secteur financier représente un employeur considérable en France, et le lobbying est puissant : les réformes sont donc difficiles à faire adopter. Ainsi la gestion politique est fragile, et les progrès sont lents. Des actions sont entamées, ce qui est positif. Seulement les problématiques monétaires ne sont pas ou très peu abordées, ce qui prive de facto l'économie d'un avenir stable.

Pour finir, des actions sont entreprises au niveau européen, mais il y a peu de concertations, ce qui risque de compromettre les travaux du G20. Nous pouvons prendre pour exemple la décision allemande d' interdire la vente à découvert à nu. Cette activité consiste à vendre un titre sur les marchés à terme, sans en être le propriétaire, en espérant pouvoir le racheter plus tard à un prix moindre38. Or la Grèce a montré la dangerosité de telles prises de positions et une telle législation dénote na volonté des pays européens de ne pas céder face aux marchés. Cependant, comme la règle n'est pas européenne, les investisseurs peuvent la contourner en agissant en dehors de l' Allemagne (Euractiv, 2010). Un exemple parmi d'autres qui montre qu'une réforme financière non concertée peut s'avérer inutile, voire contre-productive : cela brouille le message, il n'y a pas de voix unique.

En résumé, il apparaît que le G20 s'est attelé à la tâche de l'après crise. Des réformes sont envisagées, et correspondent en partie aux propositions que nous avons établi précédemment. Par ailleurs, certains pays entreprennent également des réformes, mais de manière unilatérale. Le réel problème est que l'aspect monétaire est totalement ignoré. Il est question de bonus, d'agences de notation, de paradis fiscaux, mais ni les ajustements liés au statut du dollar comme devise-clé, ni les problématiques liées aux déséquilibres globaux (épargnes, réserves monétaires, etc) ne sont envisagées. Les travaux accomplis sont donc loin d'avoir un sens global, et leur portée s'en trouve

38 Dans le cas d'un contrat CDS à nu, un fond d'investissement parie sur l'incapacité de l'émetteur de pouvoir rembourser sa dette. C'est la situation qu'a connue la Grèce pour le financement de sa dette souveraine au printemps 2010.

mécaniquement limitée.

Conclusion

En conclusion de ce mémoire, il apparaît que la crise offre une opportunité rare de réformer le Système Monétaire et Financier International. L'ampleur des pertes invite à redessiner les contours de la finance internationale, de façon à ce qu'elle puisse assurer ses fonctions sans porter préjudice à l'économie réelle. Car, au delà des marchés, la crise des subprimes s'est propagé à l'économie réelle, entrainant la récession dans laquelle nous sommes encore aujourd'hui. Les pertes se chiffrent dès lors en nombres d'emplois supprimés, en quantités d'investissements annulés ou en points de croissance perdus. En outre, les distorsions monétaires et les déséquilibres globaux sont, eux aussi, coûteux en matière de stabilité internationale. Or une stabilisation du SMFI est non seulement souhaitable, mais également nécessaire à un rétablissement de la croissance mondiale et au financement du développement des pays du Sud.

Pour mener à bien cette tâche, nous avons montré que des solutions existent. Des pistes de réforme du SMFI sont désormais avancées. Nous avons vu que le système bancaire présente des défauts, et qu'une redéfinition de l'encadrement est possible : revoir le cadre macroprudentiel, mais également règlementer les acteurs dont la gestion du risque est défaillante (réforme des produits dérivés, réglementation des hedge funds, etc). Au delà, il apparaît crucial de tourner les investisseurs vers des perspectives de long-terme, les seules qui sont à même se remplir les conditions de stabilité mais aussi d'assurer un financement dont la logique est économique plutôt que spéculative. L'ensemble de ces réformes ont été argumentées au cours de la partie I.

Au cours de la partie II, nous nous sommes attaché à montrer quelles pouvaient êtres les évolutions souhaitables du Système Monétaire International. En effet, le semi-étalon dollar nécessite de profondes remises en question. Nous avons présenté, sans prétendre à l'exhaustivité, les points de vues des différents auteurs. Pour certains, le SMI doit se doter d'une monnaie supranationale. Dans l'ensemble, ces idées revisitent les théories monétaires de Keynes. Face aux nombreuses difficultés de mise en oeuvre, les DTS pourraient assumer ce rôle, et devenir une « quasi-monnaie internationale », à condition d'être approfondis et réformés. Pour d'autres, le SMI se dirige vers une situation de polycentrisme monétaire, ce qui permettrait d'atténuer les forces, et

d'aboutir à un équilibre ; là encore, les DTS ont leur rôle à jouer. Enfin, nous avons montré que des initiatives d'intégration monétaire régionale apparaissent, en particulier en Amérique du Sud ; elles pourraient être complétées par une prise en charge institutionnelle des déséquilibres monétaires, ce qui présuppose une forte volonté politique.

De cet état des lieux, il ressort que l'ensemble des pistes de réformes peuvent faire écho aux ambitions affichées : la finance sera davantage régulée qu'avant la crise. Elle permettra, si les moyens adéquats lui sont conférés, de transférer les capitaux selon les besoins, et de présenter une réelle efficience à l'échelle globale. Cependant, elle demeura démunie de toute gouvernance monétaire mondiale. Les monnaies persisteront dans leurs fluctuations désordonnées, et la régulation des taux de change comme des réserves en devises continueront d'être des défis majeurs. Des conflits d'intérêts politiques risquent d'en découler, amplifiant au passage la fracture économique internationale. Et l'hypothèse de futures crises financières n'en sera alors que renforcée.

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Table des matières

Avant-Propos 3

Remerciements 4

Sommaire 5

INTRODUCTION GENERALE 6

I.REFORMER LE SYSTEME FINANCIER INTERNATIONAL 10

1.Réformer le secteur bancaire 11

1.Renforcer la règlementation macroprudentielle... 11

2. ... en prolongement d'une règlementation microprudentielle 15

3.Rétablir le contrôle de la finance par la finance 16

a) Le contrôle interne ou l'autorégulation des acteurs 17

b) Revoir les normes comptables 17

c) Réformer le rôle et la méthode des agences de notation 19

d) La question des rémunérations dans le système bancaire 20

2.Construire la stabilité du système financier international 22

1.Règlementer les produits dérivés 23

2.La règlementation des hedge funds 27

3.Réduire le court-termisme: le rôle crucial des investisseurs de long terme 29

4.Revenir sur la libre circulation des capitaux 33

5.Limiter l'attrait et le rôle des paradis fiscaux 35

3.L'impulsion par le changement institutionnel 36

1.Réformer le fonds monétaire international (FMI) 37

2.Rôle des banques centrales : comment le réformer ? 38

II.LA REFONTE DU SYSTEME MONETAIRE INTERNATIONAL 41

1.Remplacer le dollar : la création d'une monnaie supranationale 43

1.Les ajustements et déséquilibres liés au statut du dollar 44

2.L'offre monétaire : instaurer une monnaie supranationale 46

3.Les DTS : une étape nécessaire vers la réforme du SMI 49

4.La transition vers un nouveau système 52

2.Une alternative à la devise-clé internationale : le polycentrisme monétaire 57

3.La réforme du SMI par les initiatives régionales 60

1.Des alternatives régionales pour une refonte du SMI globale 61

2.Institutionnaliser les rééquilibrages macroéconomiques et monétaires : l'exemple de la

relation Chine / Etats-Unis 65

CONCLUSION GENERALE 69

1.Les travaux du G20 pour stabiliser la finance 69

2.Les actions politiques des principaux pays responsables de la crise 73

Conclusion 78

Bibliographie 80

Annexes 90

Annexes

Annexe 1 : Présentation comparée des perspectives macroprudentielle et microprudentielle

 

Perspective macroprudentielle

Perspective microprudentielle

Objectif immédiat

Limiter

la crise financière systémique

Limiter les difficultés individuelles

des institutions

Objectif final

Éviter les coûts en termes de PIB

Protéger

le consommateur (investisseur/ déposant)

Caractérisation du risque

Considéré comme étant dépendant du comportement collectif

(« endogène »

Considéré comme étant indépendant du comportement des individus

(« exogène »)

Corrélations

entre les institutions

et expositions communes

Importantes

Sans objet

Calibrage

des contrôles prudentiels

En termes de risque systémique :

du haut vers le bas (top-down)

En termes

de risques propres à chaque institution : du bas vers le haut (bottom-up)

D'après Borio, 2009.

Annexe 2 : Shéma récapitulatif de la réforme des agences de notation

Source: Fabié V. (2009).

Annexe 3 : Transmission du risque systémique sur les marchés

Hausse de la
probabilité
de défaut

Effondrement du
prix
des dérivés
de crédit

Vente des actions à
découvert

Hausse
des spreads
de crédit

Effondrement
des cours
boursiers

D'après Aglietta M., Khanniche S. & Rigot S. (2010)

Résumé

La crise financière et économique actuelle impose de profondes modifications. L'instabilité inhérente au capitalisme financier a des conséquences coûteuses, mais des solutions existent : elles exigent cependant une profonde réforme. C'est l'objet de ce mémoire, qui présente une vue d'ensemble des différents pistes de réforme du Système Monétaire et Financier International (SMFI). Il se construit comme un survey de littérature, qui relève les principales théories et propositions formulées afin de pouvoir construire un SMFI plus stable et moins vulnérable aux crises. Pour instaurer une nouvel ordre économique, plusieurs alternatives sont possibles. Ce mémoire ce divise en deux parties. La première rend compte de l'aspect financier. Ce sont les réformes du Système Financier International, plus précisemment la règlementation des acteurs (hedge funds, banques d'investissement, paradis fiscaux) et une meilleure régulation des marchés financiers (normalisation des produits dérivés, harmonisation des pratiques) . La seconde partie établit les évolutions souhaitables du Système Monétaire International. Cela comprend l'idée de la monnaie supranationale, mais également l'alternative des Droits de Tirage Spéciaux (DTS). L'hypothèse du polycentrisme est envisagée, avant de montrer la pertinence de certaines initiatives régionales (Plan SUCRE, Initiative Chiang Mai). Enfin, ce mémoire conclut en comparant les pistes de réforme aux résolutions effectives du G20, en les mettant en perpespectives avec les politiques prévues en Europe et aux Etats-Unis.

Summary

The current financial and economic crisis imposes deep modifications. The inherent instability of financial capitalism has expensive consequences, but solutions exist : they require however a profound reform. It is the object of this dissertation, that presents an overview of the various runways of reform of the International Monetary and Financial System (IMFS). It builds itself as a survey of literature, which raises the main theories and the propositions formulated to build a more stable and less vulnerable IMFS to the crises. To establish one new economic order, several alternatives are possible. This dissertation is divided into two parts. The first one reports the financial aspect. Namely they are the reforms of the International Financial System, more excatly rule of the actors (hedge funds, investment banks, tax havens) and a better regulation of financial markets (standardization of derivatives, practices harmonization). The second part establishes the desirable evolutions of the International Monetary System. It includes the idea of the supranational currency, but also the alternative of the Special Drawing Rights (DTS). The hypothesis of the polycentrism is considered, before showing the relevance of regional initiatives (SUCRE plan, Chiang Mai Initiative). Finally, this dissertation ends by comparing the tracks of reform with the effective resolutions of G20, by putting them into perpespectives with the policies planned in Europe and in the United States.

Mots clés

Système Monétaire International - Système Financier International - Réformes - Crise Financière - Régulation - Gouvernance mondiale

Keywords

International Monetary System International Financial System Reforms Financial Crisis - Regulation - Global Governance






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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984