UNIVERSITE DE OUAGADOUGOU
Unité de Formation et
de Recherche en Lettres, Art
et Communication
Département de
Lettres Modernes (DEA)
Mémoire de Sémiotique
CA TIRE SOUS LE SAHEL :
Exploration du passé et de la culture
moaga
Dirigé par
Présenté par
Louis MILLOGO K. Landry Guy Gabriel
Professeur YAMEOGO
Etudiant
Année académique 2006-2007
THEME :
Ca TIRE SOUS LE SAHEL :
Exploration du passé et de la culture
moaga.
DEDICACE
Nous dédions ce travail à celui qui nous a
donné la vie et s'est montré pleinement responsable de notre
éducation.
REMERCIEMENTS
Au Professeur Louis MILLOGO qui a accepté nous
assister,
à maître PACERE T. Frédéric, homme de
culture, de lettres et de droit qui a bien voulu nous donner son temps
précieux pour éclairer nos lanternes,
aux parents, amis, collègues et connaissances qui nous ont
galvanisé,
nous exprimons à tout un chacun notre gratitude.
EPIGRAPHE
« Si la termitière vit
Qu'elle ajoute
De la terre à la terre »
Devise de Me PACERE
SOMMAIRE
Pages
INTRODUCTION
.............................................................. ;....................07
PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DE LA THEORIE DE LA
DECONSTRUCTION, DE L'AUTEUR ET DE SON
OEUVRE...... .......................12
Chapitre I : De la
déconstruction........................................................ ..........13
Chapitre II : Présentation de l'auteur et de
l'oeuvre........................ ...................17
DEUXIEME PARTIE : EXPLORATION D'UN PASSE ET D'UNE
CULTURE.....26
Chapitre I : Sociétés traditionnelles
dénaturées..................................................27
Chapitre II : Ancrage culturel
africain............................................................63
CONCLUSION
........................................................................................74
BIBLIOGRAPHIE..................... .................................................................77
INTRODUCTION
Le continent africain traverse des difficultés
multiples sur les plans économique, social et politique qui le
maintiennent dans un sous-développement chronique. Plus de la
moitié des pays africains appartiennent au groupe des pays les moins
avancés. Certaines réalités tristes aggravent davantage la
crise ou la progression du sous-développement.
Au plan social, le continent se heurte à de graves
problèmes d'identité, de fracture sociale, de justice et de
dégradation des valeurs traditionnelles qui sont à la source de
la plupart des problèmes de sous-développement.
Mais ce qui a meurtri l'Afrique au plus profond
d'elle-même, c'est, sans conteste, l'impact brutal de la colonisation
qui, dès le XIX siècle, a mis en présence sans aucun
ménagement deux civilisations fort différentes. La civilisation
européenne constituait le modèle auquel il fallait se conformer
de gré ou de force, tandis que la civilisation africaine était
jour après jour dévalorisée.
De nombreuses oeuvres littéraires africaines ont pour
thème les mutations de la société africaine. Certains
écrivains vont même jusqu'à opposer un premier état
de cette société où elle vit en conformité avec ses
propres règles et ses traditions en jouissant d'un équilibre et
d'une harmonie remarquable, à un second état où elle est
ébranlée par l'immixtion étrangère,
perturbée par l'imposition d'idées et d'institutions
nouvelles.
C'est dans ce sillage que s'inscrit le recueil de
poèmes Ça tire sous le sahel (1976) de Me
Frédéric Titinga PACERE qui pose des questions terribles sur la
métamorphose des sociétés africaines. Cette
métamorphose doit faire réfléchir plus d'un car elle
concerne la déchéance de nos sociétés qui sont sans
repères, sans valeurs.
L'oeuvre invite au sursaut car s'ouvrir au monde ne veut pas
dire tourner le dos au lieu d'où on part. La nécessité
d'une renaissance sociale, culturelle, politique et économique se
présente à certaines sociétés africaines comme une
condition sine qua non à leur épanouissement.
C'est dans cette optique que l'étude du recueil de
PACERE permettra de parler d'une littérature africaine engagée
qui s'efforce de dessiner la physionomie socio - culturelle des
sociétés africaines et de préconiser le retour aux
sources. L'intérêt de l'étude réside dans le fait
qu'elle interpelle à une prise de conscience de la décadence des
sociétés africaines et qu'il est temps de partir des paradigmes
essentiels de nos cultures pour nous développer.
La société, nous la définissons comme
étant un ensemble d'individus vivant au sein d'une unité et dont
la satisfaction des besoins passe par des activités diverses et la
cohésion par le respect de certaines règles qui lui sont propres.
Lorsqu'il y a intégration d'éléments exogènes
à son système de fonctionnement au détriment
d'éléments indigènes, elle s'étiole et meurt.
Les sociétés africaines retiendront
exclusivement notre attention, car il s'agit d'elles dont il est question dans
notre corpus. Elles ont connu, à travers des siècles, des avatars
et il est indispensable d'en parler. Une déchéance morale,
psychologique et même physique l'emporte sur la grandeur morale et
psychologique qui permettait de les reconnaître si nous reculons dans le
temps.
C'est cette opposition binaire déroutante que nous
mettrons en relief grâce à une étude déconstructive.
Nous nous inspirons du philosophe français DERRIDA pour montrer que si
l'on parle de déchéance des sociétés africaines,
cela présuppose une grandeur d'antan. Autant nous devrions avoir
conscience de l'ébranlement des sociétés traditionnelles,
autant nous devrions garder en mémoire les moments radieux de ces
sociétés, alors authentiques.
L'ambition de l'étude est de rechercher les
présuppositions qui doivent être reconnues par le récepteur
de l'énoncé. C'est la condition qui rend le message accessible et
acceptable.
On appelle présupposition ce qui est inclus dans un
énoncé sans être exprimé explicitement. Les
présuppositions semblent non seulement rendre compte du passé
d'un peuple mais aussi de l'attachement inconditionnel à ce passé
qui fait la fierté du poète.
Quant au concept de
« déchéance », il désigne
l'incapacité des sociétés africaines à
reconquérir leur liberté, leurs valeurs et leur identité
après leur contact avec la culture de la civilisation occidentale. Elles
ont été incapables de faire la synthèse des deux cultures
et civilisations de sorte à donner naissance à de nouvelles
sociétés africaines multiculturelles. Cette
déchéance se traduit aussi par leur incapacité à
retrouver en elles-mêmes des ressources propres pour se
développer.
A l'opposé, la « grandeur » des
sociétés africaines représente tout ce qui fait leur
fierté au niveau individuel, collectif et universel. Ce sont les
différentes valeurs morales, culturelles et sociales qu'on leur
reconnaît et qui leur sont propres. Toutes ces valeurs orientent l'action
des individus en société en leur fixant des buts, des
idéaux et donc des moyens de juger leurs actes. Le poète est
beaucoup marqué par la dégradation des sociétés
africaines de sorte qu'il oublie de parler de leur grandeur.
Notre but étant de montrer que l'auteur laisse au
lecteur le soin de deviner le passé radieux des sociétés
africaines, il serait intéressant après un aperçu
général de l'oeuvre et de la théorie de la
déconstruction, de mettre un accent particulier sur les
présuppositions de la grandeur qui apparaissent implicitement à
partir de la déchéance dépeinte. Et pour y arriver, nous
aurons recours à une étude alternée des deux concepts pour
rendre la compréhension plus aisée. Ainsi, c'est en nous
référant aux indicateurs de la déchéance des
sociétés que nous évoquerons les éléments de
grandeur des sociétés africaines traditionnelles. Nous
terminerons par une étude succincte de la littérarité des
poèmes. Le poète dispose d'un héritage culturel qui lui
permet de s'exprimer de façon originale.
PREMIERE PARTIE
PRESENTATION DE LA THEORIE, DE L'AUTEUR ET DE
L'OEUVRE
CHAPITRE I
DE LA DECONSTRUCTION
Vers la fin des années 1960, une école de
philosophie a inspiré de multiples recherches tant en philosophie, en
littérature, en art, en politique qu'en théologie. Cette
école, dont le français Jacques DERRIDA est l'un des fondateurs,
propose une théorie de lecture qui vise une herméneutique de la
logique de l'opposition dans les textes. Le nom de la théorie est la
« déconstruction » qui n'est pas synonyme de
« destruction ».
C'est lors d'un colloque à la John Hopkins University
de Baltimore en octobre 1966, qu'apparut aux Etats-Unis une mode de
pensée propre à des penseurs français porteurs d'une
philosophie du doute. Le colloque, était organisé par René
GIRARD sur le thème « Languages of criticism and the sciences
of Man » et réunissait BARTHES, DERRIDA,GOLDMAN, LANCAN,
POULET, TODOROV et VERNANT. C'est alors qu'aurait commencé à se
répandre le concept de « déconstruction »
pour l'interprétation des textes. Diffusée d'abord dans le monde
anglo-saxon, cette notion connaîtra un retentissement international.
La déconstruction est une méthode
particulière d'analyse textuelle qui vise à indiquer des
incompatibilités logiques ou rhétoriques entre les plans
explicites et implicites du discours. Elle ne connaît aucune fixation
conceptuelle et exclut même la distinction traditionnelle entre le
« sens original » et le « sens
métaphorique ».
La déconstruction comme forme de lecture critique est
liée à l'arrivée du poststructuralisme. En plus des
influences de Friedrich NIETZCHE et Martin HEIDEGGER auteurs des concepts
fondateurs de l'ontologie en métaphysique, plusieurs des concepts
principaux de DERRIDA sont dérivés de la linguistique structurale
de SAUSSURE qui se caractérise par le fait qu'elle se contente de
classer les énoncés, de décrire leur fonctionnement
structural sans se préoccuper de leur rapport avec d'autres
éléments extra - textuels.
Le structuralisme dont l'esprit a prévalu entre 1960 et
1970 postule, au sujet de la langue, que la nature arbitraire du signe
linguistique comporte un signifiant et un signifié. En fondant sa
théorie dans la nature arbitraire du signe, SAUSSURE a affirmé
que la signification d'un mot est arbitraire mais convenue par convention
sociale.
Par conséquent les mots acquièrent la valeur de
l'identité non pas par n'importe quelle correspondance normale entre
signifiant et signifié mais par l'opposition de chaque mot dans un
système d'inter - dépendance où les signifiants et les
signifiés sont définis en terme de présence et d'absence
que SAUSSURE appelle « différence ». Le concept de
la différence est crucial chez DERRIDA, qui l'emploie pour fonder sa
théorie de la déconstruction qui indique toujours la
différence dans l'unité.
Un des exemples les plus clairs de DERRIDA d'une lecture
déconstructive concerne la relation entre le discours et la lecture. Il
approche ce problème, en confirmant historiquement la priorité de
la voix au dessus de la lettre : la parole est immédiate, actuelle
et authentique parce qu'elle est poussée par un orateur qui entend et se
comprend simultanément. En revanche, l'inscription est la copie de la
parole et est donc dérivée, retardée. En décrivant
une hiérarchie de Parole/Ecriture de cette façon, DERRIDA montre
comment SAUSSURE inverse la hiérarchie, accordant la priorité
à l'écriture. La parole et l'écriture sont
englobées dans un plus grand champ linguistique dans lequel toute la
langue, parlée et écrite, est constituée par la
différence plutôt que la hiérarchie.
La problématique de notre lecture déconstructive
se situe par rapport à l'opposition binaire
déchéance/grandeur. Considérant que la grandeur
des sociétés africaines traditionnelles est authentique parce
qu'elle n'a pas été altérée et que la
déchéance émane d'une métamorphose, voire d'une
aliénation de ces sociétés, nous voulons montrer comment
le recueil de poèmes ça tire sous le Sahel inverse la
hiérarchie en accordant la priorité à la
déchéance.
L'opposition binaire déchéance/grandeur
qui apparaît dans le texte grâce aux présuppositions est mal
structurée hiérarchiquement. La représentation normale
veut que la déchéance soit une dérivée, un effet de
la grandeur bafouée. Dès lors que le jeu sur la chronologie n'a
pas été respecté, nous pouvons dire que le poète
met surtout en valeur la décadence des sociétés
africaines.
En définitive, l'objectif visé par cette
étude est de déstabiliser l'opposition binaire
présentée implicitement dans le texte. La théorie
derridienne permet une investigation dialectique dont le résultat serait
la synthèse de la grandeur et de la déchéance. Dans notre
approche d'identification de l'opposition binaire, nous ne visons pas la
destruction de l'être textuel. En effet, l'un des risques de cette
théorie est le fait qu'elle peut nous plonger dans l'absurde. S'il faut
détruire les structures traditionnelles ou déjà
existantes, rien à priori ne serait accepté comme valable, comme
solide, comme structurellement bien élaboré.
A l'instar de toute théorie, la déconstruction a
des forces et des faiblesses. Sa tâche consiste à rechercher
à travers tout texte, les présupposés dont l'absence
déforme toujours l'objectivité dans la quête de la
vérité. En permettant de prendre conscience de ce qui est
insoupçonné dans un discours, la déconstruction restitue
en entier passé et présent dans un ordre hiérarchique.
Au regard de son ambition, ne serait-il pas logique d'admettre
une de ses limites à cause de l'aspect dynamique de
l'objectivité ? L'objectivité, si elle n'est pas
contextualisée, peut-elle s'étendre sur le temps ? La
déconstruction, à défaut de présenter toutes les
présuppositions se contente de livrer quelques unes et l'on ne peut
qu'obtenir une objectivité relative. Elle ne peut prendre en compte
qu'une partie des présuppositions de peur de se retrouver dans
l'impasse.
CHAPITRE II
PRESENTATION DE L'AUTEUR ET DE L'OEUVRE
II.1 Présentation de l'auteur
Maître Frédéric Titenga PACERE est
né vers 1943 dans le village de Manéga à cinquante
kilomètres de Ouagadougou. Il est le fils d'un chef traditionnel de la
région qui s'appelait Naba Guegmdé (roi lion). Sa mère
Wango (masque) est une fille de chef des masques de la région de
Toèghin situé à vingt cinq kilomètres à
l'Ouest de Manéga.
Les études primaires, secondaires et supérieures
de PACERE l'ont conduit à Koudougou, Dabou, Abidjan,
Ouagadougou, Dakar et Rennes. Il est titulaire des licences de lettres et de
droit et d'un C.A.P.A. ( Certificat d'Aptitude à la Profession
d'Avocat).
Le 09 novembre 1973, il prête serment d'avocat et exerce
la profession depuis 1975. Il est le premier avocat à la cour et le
premier bâtonnier de l'ordre de son pays.
Il a été président de certains colloques
et de plusieurs associations et jurys littéraires internationaux. Il a
écrit des ouvrages sur la culture, le droit, l'économie, la
sociologie et la littérature. En 1982, il obtint le Grand Prix
Littéraire de l'Afrique Noire pour ses ouvrages de poésie :
La poésie des griots et
Poèmes pour l'Angola. Il est aussi titulaire de plusieurs
médailles d'honneur dont celle de l'Association des Ecrivains de Langue
Française, la première décernée par cette
institution à un auteur africain. Il est présentation avocat du
Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).
En janvier 1989, il réalise un de ses rêves par
l'inauguration de son musée construit à Manéga. PACERE se
donne corps et âme pour la défense de la culture africaine,
particulièrement de celle de son village. Et son souhait est que chaque
intellectuel africain puisse entrer en rapport avec les vieux de son village
car ajoute-t-il, ce qui peut tuer l'Afrique, c'est le fait pour certaines
individualités de méconnaître.
Par ses investigations, PACERE apprend
à connaître sa culture et à la faire connaître
à travers ses écrits . La poésie sera la voie de
prédilection pour lui pour transmettre la connaissance des acquis
culturels de son milieu. Pourquoi la poésie ? PACERE
s'est lui-même posé la question et en a donné la
réponse : « Je l'ignore à ce jour, il semble que
ce fut un penchant naturel surtout à partir de 1959 et
1960... » (1).
La poésie burkinabé a une forte audience
auprès du public francophone grâce à PACERE Titinga qui lui
a donné ses lettres de noblesse.
En 1982, avec la publication de Poème pour
l'Angola et La poésie des
griots, il obtint le grand prix de l'Afrique noire attirant ainsi
l'attention des
lecteurs sur la littérature burkinabé. Le
poète a à son actif plusieurs recueils poétiques.
(1) Annales de l'université, « exposé
de la théorie », numéro spécial A,
décembre 1988.
PACERE a également écrit sur le langage du
tambour « Bendré » qu'il théorise par le
concept « Bendrologie » qui se définit comme
« la science, les études méthodiques, les
méthodes de pensée, de parler, des figures de rhétorique
relative au tam-tam bendré ». (2)
Pour servir le langage culturel de sa langue, PACERE
écrit aussi en mooré. Il pratique alors le bilinguisme
comme si c'est pour confirmer ce que Lilyan KESTELOOT dit dans Anthologie
négro-africaine : « Tout un domaine de
sensibilité de l'homme ne peut s'extérioriser que dans sa langue
maternelle ».
Toutefois notre étude portera sur un poème
écrit en langue française.
(2) Conférence donnée lors du 1er
colloque international sur la littérature burkinabé,
décembre 1988.
I.2 Aperçu général de l'oeuvre
Ça tire sous le sahel, sous-titré
«Satires nègres », puis
« Satires », est un recueil de poèmes. Il
comporte en tout six poèmes n'ayant pas la même consistance. Le
poème le plus long est « L'appel du
tambour ». L'ensemble des techniques qui régissent
l'organisation d'un poème en vers réguliers n'a pas
été pris en compte par le poète. Ainsi les vers des
poèmes dont les mesures sont mêlées selon le caprice du
poète sont libres et spasmodiques.
Le livre est une oeuvre de jeunesse au même titre que
Refrains sous le sahel. Il est un recueil de satire et on y retrouve
évidemment l'esprit de révolte. Une superposition de styles
à savoir celui de la parenté à plaisanterie
(Rakiré) \u9334(c)é, celui de la circonlocution et enfin celui
où l'on fait parler les animaux qui est un style particulier du milieu
traditionnel et qui invite à voir les choses sous l'angle imagé.
Le poète use aussi de beaucoup de comparaisons qui renforcent la
dénonciation.
Signalons que le rakiré ou dakiré est une
institution réglant par des lois spéciales, certains domaines des
rapports entre conjoints et leur belle - famille, entre familles alliées
ou entre ethnies entières. A partir de cette définition nous
pouvons distinguer plusieurs types de parentés à plaisanterie.
Prosper KOMPAORE en distingue trois :
« 1 - La parenté à plaisanterie
basée sur une légende ou un mythe.
Ce type de parenté affecte
généralement des ethnies ou des castes
différentes.
(3) Le Rakiré est une forme satirique courante dans la
culture des sociétés africaines que le poète utilise
beaucoup dans ses écrits sous qu'elle ne ôte le style de son
caractère acéré.
2 - La parenté à plaisanterie basée
sur l'histoire ou des récits à caractère historique ;
elle affecte généralement des ethnies ou des castes
différentes situées dans des villages différents.
3 - La parenté à plaisanterie basée
sur des relations d'alliance ; ce type de parenté le plus courant,
affecte des villages ou des familles liés par des relations
d'alliance. » (4)
Tous ces types de parenté à plaisanterie visent
à prévenir les conflits et à promouvoir une coexistence
pacifique.
Des injures peuvent être proférées par les
individus sans qu'une tension quelconque ne naisse car cela relève
toujours des plaisanteries qui alimenteront de simples causeries ou
atténueront une douleur (décès par exemple). Ainsi donc
ça tire sous le sahel apparaît être une critique
plaisante
mais qui se veut conscientisante. André NYAMBA, du
département de sociologie, à l'université de Ouagadougou
nous dresse un tableau des alliances et des parentés à
plaisanterie qui existent entre ethnies (5).
(4) Prosper KOMPAORE, « La parenté à
plaisanterie : une catharsis sociale au profit de la paix et de la
cohesion au Burkina Faso in les Grandes Conférences du Ministère
de la Communication et de la Culture, Ouagadougou, 1999, PP 109 - 110
(5) André NYAMBA, « La problématique
des alliances et des parentés à plaisanterie au BF :
Histoire, pratique et devenir » in Les Grandes Conférences du
Ministère de la Communication et de la Culture, Ouagadougou, 1999, P7
Ethnies concernées
|
Ethnies Alliées
|
Bissa
|
Gourounsi, Yarcé, Samo
|
Birifor
|
Lobi, Goin, Dafing
|
Bwaba
|
Peulh, Sembla, Dafing
|
Bobo
|
Peulh, Sembla, Dafing
|
Bozo
|
Dogon
|
Dafing ou Marka
|
Peulh, Bobo-Dioula, Bwaba
|
Dagara
|
Siamu, Sénoufo, Goin
|
Djan
|
Goin
|
Dogon
|
Bozo
|
Fulsé
|
Gourounsi, Gourmantché, Bissa
|
Gourounsi
|
Bissa, Yarcé, Djerma
|
Gourmantché
|
Yarcé
|
Goin
|
Lobi, Djan, Dagara
|
Jula
|
Lobi
|
Lobi
|
Jula, Goin, Birifor
|
Mossi
|
Samo
|
Peulh
|
Bobo, Yarcé, Bambara, Marancé, Dioussambé
|
Pougouli
|
Dagara, Peulh, Goin, Bwaba, Turka, Sénoufo
|
Samo
|
Mossi, Bissa
|
Sénoufo
|
Dagara, Lobi, Djan
|
Sembla
|
Toussian, Bobo - Dioula, Bwaba
|
Siami
|
Djan, Lobi, Dagara, Pougouli
|
Toussian
|
Sembla, Lobi, Dagara
|
Turka
|
Peulh, Bwaba
|
Vigué
|
Peulh, Bwaba
|
Winy
|
Peulh, Bossa, Goin, Logana, Djerma
|
Yana
|
Zaoussè, (Diabo)
|
Par ailleurs, tous les poèmes sont irrigués par
des refrains qui véhiculent les messages clés des
différents poèmes. Léon YEPRI relèvera leur
« retour cyclique » (6) dans son ouvrage.
« L'appel du tambour » est le
premier poème du recueil. Il évoque un rituel car chez les
moosé avant de commencer quelque chose d'important, il
(6) Léon YEPPRI, Titinga Frédéric
PACERE, le Tambour de l'Afrique poétique, l'Harmattan 1999.
faut rassembler les gens et le tambour est utilisé
à cet effet.
Le tambour, avec de nombreux autres instruments à corde
ou à vent, est un instrument profane de musique. Au rassemblement qui
aura lieu, il y aura des archers et leur présence présage une
attaque car il y a un problème. A la rencontre toutes les couches
socioprofessionnelles, certaines incarnant des vices, seront
présentes : ministres, économistes, avocats, magistrats,
journalistes, politiciens, dirigeants politiques, militaires, chefs coutumiers,
griots, chefs déchus, philosophes, femmes de présidents
d'institutions, musulmans, forgerons, tisserands, exilés politiques.
Dans le même poème, la fraternité
parentale est constamment exaltée à travers
l'élément du refrain :
« Fils de mes Pères »
« Le vouloir - vivre » est un
poème où le problème de la différence, de la
grandeur mais aussi de la faiblesse est évoqué. Une situation
conflictuelle existe non seulement entre deux Peulhs (père et fils) mais
aussi entre sédentaires - cultivateurs et nomades - éleveurs. Un
Peulh doit être puni parce que :
« Le mil de sa grandeur
Ne saurait avoir pour destin
La langue d'une vache »
Le père ne voulant pas mourir veut livrer son fils
à la colère du Naaba :
« Naaba
Naaba
Sambo et moi
Nous sommes tous des Peulhs !
Nous ne sommes pas des frères !:
C'est moi qui ai mis Sambo au monde
Mais,
Naaba,
Naaba,
Avouons,
Que Sambo aussi
N'est pas de ce siècle ! »
Signalons que le texte poétique réécrit
un texte oral populaire. Des rapports textuels identifiables existent entre
l'ordre de l'oral et celui du scriptural. Une étude
d'intertextualité peut être faite et témoigner de
l'attachement du poète à son milieu culturel qui l'inspire.
« Le concours de danse »
s'assimile à une compétition, à une rivalité
entre les hommes. Tout le monde est convié à ce concours et
chacun danse avec ses moyens. Mais on sombre dans l'arbitraire car il n' y a
pas eu de critères objectifs à partir desquels un verdict
impartial devait être rendu. Le poète exprime alors sa
révolte face à cette injustice sociale. Des personnages acteurs
animaux jouent leurs rôles devant un public.
Dans le poème « Devant le
juge », le thème abordé est la séparation.
Un divorce est demandé au juge parce que chacun des protagonistes s'est
rendu coupable d'adultère. Le poème est bâti sur la
contrariété car les accusations sont réciproques et se
succèdent.
« Voltacidé », le titre du
cinquième poème est un mot composé de
« volta » (qui vient de la Haute Volta) et de
« cidé » (qui signifie tué). Ce mot
« Voltacidé » traduit un désastre, lequel
désastre compromet l'avenir des futures
générations :
« Dans un trou,
Mamadou et Bineta pleurent !
C'est le carnaval des Maudits. »
Dans « Le serpent inaugure son
marché », il est question d'une prise de décision
qui consiste à créer un autre monde et un autre style plus
acéré afin de rendre la dénonciation plus acerbe. La
société africaine, dépourvue de ce qui lui était
vital, est détruite. Le silence ne peut donc prévaloir
après un tel ethnocide. Des souvenirs lourds de tortures subies par le
poète et par des semblables seront évoqués dans presque
tous ces poèmes, notamment dans Quant s'envolent les grues
couronnées et dans Poèmes pour l'Angola.
En définitive tous les poèmes du recueil
renferment la même thématique à savoir la décadence
des sociétés africaines. Les facteurs et les manifestations de
cette décadence apparaissent clairement dans les poèmes qui se
complètent merveilleusement. La deuxième partie de notre
mémoire sera consacrée à leur identification.
DEUXIEME PARTIE
EXPLORATION D'UN PASSE ET D'UNE CULTURE
CHAPITRE I
SOCIETES TRADITIONNELLES DENATUREES
Les sociétés traditionnelles africaines se sont
toujours distinguées des sociétés d'ailleurs par leur mode
de vie singulier et spécifique. Même à l'intérieur
des sociétés africaines, la vie des hommes varie d'une
société à une autre. Les civilisations diffèrent
également les unes des autres. Les loisirs - qui viennent rompre la
monotonie des jours - varient à l'infini et se diversifient selon
l'âge et le sexe.
Le statut des hommes varie à l'intérieur d'une
même société. On y trouve des rois et des chefs coutumiers,
des conseillers du roi, des pages, des nobles, des guerriers, des cultivateurs,
des éleveurs, des captifs de guerre ou esclaves, des griots, des
sorciers, féticheurs ou guérisseurs qui servent
d'intermédiaires entre le monde visible et le monde des esprits.
De nos jours avec la métamorphose de nos
sociétés traditionnelles, toutes les différences tendent
à s'estomper ou à être reléguées au second
plan à cause de la réorganisation des grands empires. Les
indépendances ont accéléré
« l'occidentalisation » de nos sociétés
fortement ébranlées dans leurs principes par la colonisation.
La nouvelle organisation des sociétés s'observe
dans des domaines bien déterminés : politique, culturel,
professionnel et religieux. On essaie de tout substituer en Afrique.
En effet, le pouvoir politique qui était entre les
mains des chefs traditionnels sera confisqué par de nombreux
maîtres issus du système colonial. Les Nanamse vont
perdre leurs attributs et leur pouvoir de diriger les affaires
intérieures et extérieures des sociétés :
« On rencontrera
Les rois Rivières
Rivières taries
Sur lesquelles
Poussent les arbustes du Sahel
Plus blancs que le crâne d'un blanc à
l'agonie
Tous les Foudres,
Soleils,
Eperviers portant l'enclume
Plus blancs que le crâne d'un blanc à
l'agonie
Tous,
Tous,
Tous,
Tous seront là.
EAUX A TERRES,
Bec en l'air,
PAGES
DERRIERE ! »
Les chefs coutumiers ont été non seulement
déchus mais aussi corrompus. Au lieu d'enseigner la morale, d'inviter
à la vertu, de forcer à la justice, de donner de bons exemples,
de réprimer les abus et les vices, ces souverains se laisseront
détourner de leurs devoirs par les nouveaux maîtres du
système colonial.
« Le petit Pierrot (7)
Plus gros que son cheval »
En outre sur le plan culturel, un bouleversement scandaleux du
mode
de vie entraîne la naissance de nouveaux
loisirs :
« Le marché
Est le Carrefour
De tous les amis,
Leurs ministres,
Leurs ministricules,
De tous ceux qui peuvent si bien
Compter les cauris,
Danser au Lou PARADOU ».
Le Lou PARADOU est une boîte
de nuit. Et qui parle de boîte de nuit parle de lieu où la
modernisation a fait son entrée avec pour inconvénient la
dépravation des moeurs.
Les femmes qui ne pouvaient se faire valoir rien qu'au foyer
voient leur statut changé.
Elles peuvent désormais fréquenter les
mêmes lieux que les hommes et montrer leurs charmes, leurs
artifices :
(7) Naba Kougri, intronisé en 1957 et
décédé en 1982 soit vingt cinq ans de règne.
« Il y aura
les grâces,
Les trois Grâces de l'Empire,
Qui sont les plus belles de la terre,
Elles ont les fesses d'un tueur de serpent,
Elles brillent et exhibent,
Poitrine au vent,
Leurs grandeurs sous les
étoiles ! »
Les « Grâces » sont les
épouses des représentants des trois premières institutions
républicaines (exécutif, législatif, et judiciaire) du
pays. Elles se démarquent carrément des femmes dont il est
question dans cet extrait de l'ouvrage de Joseph Ki-ZERBO intitulé
Histoire de l'Afrique noire :
« Les femmes, a-t-on dit, constituaient une
catégorie
particulièrement opprimée. Certes, la femme
africaine était
parfois une travailleuse et une source de
travailleurs
supplémentaires dans le champ d'un polygame. Elle
constituait parfois un bien d'échange, servant par la dévolution
en mariage, à consolider les relations sociales.
Mais la femme noire, malgré les mutilations
corporelles qu'on lui infligeait parfois, avait aussi des prérogatives
qui sont aux antipodes de l'oppression et qui lui donnaient un statut
enviable par rapport aux femmes de certains pays à
la même
époque (...).
A vrai dire, malgré les désavantages qu'elle
subissait
parfois, malgré la Diminutio Capitis qui en faisait
parfois
une sorte de mineure perpétuelle, la femme
africaine était
une source toujours vive et intarissable d'espoir. Rien
de plus gai qu'un groupe de femmes rassemblées
pour
porter le bois ou la récolte, pour piler, vanner le
mil et
cuisiner. Productrice de biens, productrice
d'enfants,
prêtresse, amante versant passionnément
l'ivresse
du vin du noir, la femme africaine a toujours
été
berceuse des peuples dans leurs labeurs
quotidiens,
leurs tribulations, leurs rêves et leurs angoisses,
leurs
voluptés et leurs joies » (8)
Aucune similitude ne semble exister entre l'image de ces trois
Grâces qui sont purement les produits de la modernité et celle des
femmes que nos sociétés traditionnelles ont connu et connaissent
- cela pour combien de temps encore - sous certains cieux. Au nom de
l'égalité entre les deux sexes, les tâches et les
rôles ne sont plus spécifiques à l'homme ou à la
femme. La femme ne sera plus l'élément conservateur de la
tradition mais une progressiste. Elle s'implique corps et âme à la
réorganisation des sociétés africaines. Une prise de
conscience de certaines violences se traduira par l'émergence d'une
nouvelle race de femmes. La transmission des valeurs sociales et morales au
sein de la cellule de base n'est plus assurée dans l'unicité du
couple mère - enfant.
(8) Joseph KI - ZERBO, Histoire de l'Afrique noire, Editions
Hatier, Paris, 1978, P176
De plus si dans les sociétés traditionnelles
africaines l'on concevait difficilement qu'une femme ne s'investisse pas dans
tous les domaines où s'exerçait l'activité domestique, il
est, de nos jours, de plus en plus fréquent qu'elle n'exécute
plus des travaux ménagers à cause des activités
professionnelles. Loin de nous l'idée selon laquelle la femme dans la
société traditionnelle jouait un rôle de second plan. Le
nouveau statut de la femme trouble plus d'un et révèle parfois
une profonde misère morale des femmes dites modernes. Le bouleversement
des structures sociales entraîne une
dégradation des conditions de vie.
Par ailleurs, une administration coloniale nouvellement
instaurée fait voir le jour à des professions existantes sous une
autre forme dans nos sociétés traditionnelles. KI - ZERBO
l'atteste en ces termes :
« Le royaume mossi de Ouagadougou
était
une monarchie centralisée, à laquelle il
n'a
manqué q'une bureaucratie de
scribes,
et la rapidité des
communications pour
être comparable aux royaumes
européens
de son temps » (9)
De ces professions qui émanent de l'administration
coloniale, nous pouvons citer entre autres les fonctions de ministre,
d'ambassadeur et de journaliste.
En effet, de par le passé, les provinces du royaume
mossi étaient confiés à des ministres comme : le Widi
- Naba (chef des chevaux) sorte de premier
(9) Joseph KI - ZERBO, Histoire de l'Afrique noire, Editions
Hatier, Paris, 1978, P256
ministre, conseiller et porte - parole politique dont l'une
des attributions spécifiques est la succession des rois, le Gounga Naba
(Ministre à compétence militaire), le Larlé - Naba qui en
plus de ses attributions militaires (général en chef) est
considéré comme expert ès - coutumes, le Baloum - Naba,
majordome et surintendant du palais chargé aussi des rites religieux
comme l'entretien du feu royal et transport des vases sacrées (tibo), le
Kamsaogho - Naba, eunuque chargé du harem et de l'exécution des
hautes oeuvres puis le Samandé Naba (chef de la cour
extérieure).
Quant aux fonctions d'ambassadeur, de magistrat et d'avocat,
elles étaient exercées par le roi lui-même, juge absolu,
les chefs de villages et de cantons. Ils étaient tous soumis aux
mêmes lois que le commun des mortels du royaume. Leur
intégrité et leur impartialité vis-à-vis du peuple
étaient un devoir moral auquel il ne fallait pas faillir. De nos jours,
les extraits suivants montrent la disparition de certaines précieuses
valeurs telles que l'honnêteté et la justice.
« Le marché
est le carrefour
De tous ceux
Qui vomissent à l'extérieur
Ce qu'ils n'ont pas mangé à
l'intérieur
Qui montre à longueur des temps
Des fleurs
Sur des champs de fumier
Et des carcasses de chantiers,
Qui tiennent haut le crachoir
Et qui finiront
Tous les bavoirs de la république
Qui sont corbeaux
Et séparent si bien ce que Dieu a
uni ! ».
Ces extraits révèlent les pratiques avilisantes
des ambassadeurs « ceux qui vomissent à l'extérieur
ce qu'ils n'ont pas mangé à l'intérieur »
et des avocats « qui tiennent haut le crachoir et qui finiront
tous les bavoirs de la république » et des magistrats
« qui sont corbeaux et séparent... » En
refusant de dire la vérité, de défendre des causes nobles
et de rendre la justice, diplomates, avocats et magistrats agissent de
manière sordide et ne se présentent pas comme des modèles
sur les plans éthique et professionnel. Les uns embellissent ce qui est
laid et les autres ne méritent aucune confiance des justiciables. Aucune
crédibilité ne peut leur être accordée et leur
dignité est échangée contre des richesses
matérielles et éphémères. Sont devenues
désuètes les valeurs morales enseignées par la sagesse
africaine, la morale des contes et des fables.
La fonction du journaliste est évoquée à
travers les vers ci-dessous :
« Le carrefour
De tous les ubiquitaires
Qui
A mille lieux à la ronde
Se font voir,
Sans jamais être vus »
La fonction de griot, qui a été remplacée
partiellement par celle du journaliste, connut une fin tragique :
« Tous les archers mythes
séculaires,
Plus asséchés que leurs
arcs »
Pourtant combien était noble ce métier :
« Ils étaient chargés de rattacher
les vivants
D'aujourd'hui aux vivants d'hier, par une
Récitation rituelle et sans
faille »
A l'instar des domaines politique, culturel et professionnel,
le domaine religieux n'a pas été à l'abri du changement
dans les pratiques rituelles. C'est ainsi que l'animisme dans les
sociétés traditionnelles fit place aux religions
révélées que sont l'islam et le christianisme :
« Il y aura aussi,
Tous ceux
Tous ceux,
Tous ceux qui fredonnent des
CREDO tous les matins
Sous les coupoles »
Ces religions révélées vont
empêcher l'existence de l'harmonie intérieure et extérieure
de l'homme noir et portera ainsi atteinte à la noblesse d'antan de son
âme. Joseph KI - ZERBO nous éclaire sur le rôle
déterminant que jouait la religion dans la vie des Africains :
«...écrasé par les forces naturelles
ambiantes, l'homme
noir a élaboré une vision du monde
conçu comme un
gigantesque match de forces à conjurer ou
exploiter.
Dans cet océan de flux dynamiques en conflit, il
s'est
fait poisson pour nager. Plutôt que de
dompter,
il a préféré participer. Il a
gagné à cette attitude
une prodigieuse richesse émotionnelle et
existentielle,
spirituelle aussi. (...) L'homme pouvait régner sur
le
monde par le rite et par le verbe... (10)
Religion, philosophie, mentalité et organisation
sociale qui régissaient les sociétés traditionnelles
africaines seront en déclin. De profondes réformes structurelles
et institutionnelles sont à l'origine de la déperdition des
sociétés africaines qui ne cessent d'être des immenses
chantiers de transformation. Elles engendrent des conflits entre les ethnies
qui se sont cristallisées et créent le mimétisme culturel.
Il est donc légitime de s'opposer à ces réformes qui
aliènent, qui détruisent l'identité plurielle des peuples
africains. La diversité culturelle doit être un tremplin de
développement. Mais une uniformisation des cultures serait un obstacle
aux différentes expressions culturelles.
Pour se développer, les sociétés
africaines doivent extraire en elles mêmes le maximum de génie. Le
développement doit être endogène et si jusque là
elles en ont été incapables, des facteurs le justifient.
(10) Joseph KI-ZERBO, Histoire de l'Afrique noire, Edition
Hatier, Paris, 1978, P. 17
I -1 FACTEURS
Les facteurs de la métamorphose des
sociétés traditionnelles africaines sont multiples et
variées . Ils sont tous inhérents aux dérives d'une
vie dépourvue de sagesse africaine, de repères socio - culturels.
La perversion, la fausseté, l'injustice, la corruption,
le cartésianisme, l'avènement des nouvelles religions, la
substitution des structures traditionnelles par celles modernes, font perdre
aux sociétés traditionnelles leur identité culturelle.
Dans le marché qui représente un
véritable « Carrefour », les
différentes facettes de la société dénaturée
se donnent à voir. Le marché qui autrefois offrait un cadre de
rencontres chaleureuses entre parents et amis devient un lieu où les
travers de la société sont visibles et rivalisent pour
assiéger les mentalités. Le mensonge est dénoncé
à travers les ambassadeurs qui vont à l'étranger dire rien
que du bien du pays alors que rien ne va. Chargés de représenter
leurs pays à l'étranger, les ambassadeurs dépeignent une
situation agréable des sociétés africaines qui sont
pourtant en proie à l'injustice sociale et à la transgression des
droits humains les plus élémentaires :
« Le marché
est le carrefour
De tous ceux
Qui vomissent à l'extérieur
Ce qu'ils n'ont pas mangé à
l'intérieur
Qui montre à longueur des temps
Des fleurs
Sur des champs de fumier »
« Les champs de fumier »
représentent toutes les exactions que multiplient chaque jour certains
pouvoirs politiques. Toutes les actions qui rebutent et qui sont viles sont
désignées par le terme
« fumier ».
L'injustice commise par les hommes censés être
les garants de la justice est évoquée :
« Qui tiennent haut le crachoir
Et qui finiront
Tous les bâvoirs de la République
Qui sont corbeaux
Et séparent si bien ce que Dieu a
uni ! »
Les détenteurs d'une parcelle de pouvoir sont
indexés à cause de l'abus de leur autorité. Ils se
prennent pour des Tout - puissants et ne font que ce qu'ils veulent :
« Le marché
Est le carrefour
De tous ceux
Qui représentent
Que,
Seul,
Un Seigneur sectaire,
Dans sa magnanimité,
Ouvrira
Les portes d'un paradis »
L'identité et les pratiques ignobles des dirigeants et
des partis politiques se découvrent :
« On y verra
Tous les éléphants
Qui se feront digérer
Par des larrons,
Tous les lions
Et toutes les hypothétiques problématiques
Coincées avant la Genèse,
Tous ceux
Qui partagent leur mil
Avant de le croquer,
Tous ceux
Qui croquent leur mil
Sans le partager,
Tous ceux
Qui partagent le mil des autres,
Avant de tout croquer
Et tous ceux qui ne savent pas
Où ils se sont mouchés la
veille »
« Mais il y aura
Tous ceux qui honorent la honte
Qui n'ont pas peur
En pissant froid. »
Les assassinats politiques (« coincés
avant la Genèse », renvoie à la mort accidentelle,
à Sakoinsé, de Nazi BONI), la gabegie, l'égoïsme, les
intérêts personnels et les promesses non tenues sont autant de
bavures commises par les dirigeants politiques et ceux qui aspirent à la
conquête du pouvoir.
Par ailleurs, les sociétés traditionnelles
africaines ont plus d'inclination aux superstitions. Tout acte, tout
événement, tout rêve, toute maladie, tout incident, etc.,
n'est fortuit. Tout s'interprète et s'explique grâce aux sciences
occultes (divination, magie, spiritisme, etc.).
Convaincues de l'influence de forces invisibles qui habitent
la nature, forces avec lesquelles des rapports harmonieux doivent exister, les
pratiques et les croyances ont toujours eu une signification surnaturelle.
Le mysticisme occupe une place importante dans le vécu
quotidien des Africains qui ont une grande dévotion pour les
divinités dont il faut craindre les représailles.
Cependant toutes les institutions religieuses nouvellement
implantées en Afrique et la prise en compte des méthodes
rationnelles dans les réflexions ont fortement ébranlé les
convictions des peuples et ont été à l'origine de leur
aberration.
« Il y aura aussi
Tous ceux,
Tous ceux,
Tous ceux qui fredonnent des CREDO
Tous les matins sous les coupoles
Et qui
Le soir venu,
Disparaissent dans les gouffres
Insondables de KIENPALGO »
« Il y aura aussi
Tous ceux qui pensent
Dur comme fer,
Que l'égalité
Est une chimère,
Que la terre
Est moins prospère,
Que la vie
Se détériore,
Que Satan
Est le plus fort,
Qu'il faut enterrer les Eglises
Et chanter autour du feu ! »
« Il y aura aussi
Tous ceux qui pensent
Dur comme fer,
Que c'est l'homme
Qui danse en rond,
Que c'est Dieu
Qui est Satan,
Que Satan
Notre Dieu,
Qu'il faut construire les temples
Et y adorer le feu ! »
L'homme noir va élaborer une autre vision du monde. Les
richesses émotionnelles, existentielles et spirituelles vont être
sérieusement compromises, voire détruites. Les liens sociaux,
spirituels et humains sont dénaturés. Le développement
sera envisagé désormais à partir de la culture
étrangère. Tout un héritage culturel, au lieu d'être
entretenu,est banalisé, voire abandonné. Cette
déculturation engendre des conséquences désastreuses qui
ne seront pas occultées.
Par ailleurs, nos sociétés africaines avaient
des institutions propres à elles qui sont pour la plupart sapées.
Notons que les institutions en Afrique varient à l'infini selon les
sociétés. Nous n'avons pas la prétention de les
énumérer toutes. Quelques unes qui leur sont propres nous
intéresseront.
Les différentes institutions ont soit un
caractère politique, soit un caractère social, soit un
caractère économique, soit un caractère religieux. Au
niveau des institutions politiques, nous pouvons citer la
« chefferie » représentée actuellement par le
pouvoir exécutif ; le « conseil de sage »
constitué d'hommes dont l'autorité morale est sans
conteste ; les « cantons » qui sont des subdivisions
territoriales dirigées par des chefs désignés par
l'empereur ; l'« armée » constituée de
guerriers qui protègent les intérêts du royaume et
travaillent à son extension.
Les faits sociaux tels que le mariage, les loisirs (danse,
chasse, soirée de conte...) constituent des institutions sociales. A
travers ces institutions, les hommes se responsabilisent et se donnent des
moments de divertissement qui ont aussi une portée
pédagogique.
L'existence des castes au sein des sociétés
traditionnelles constitue une de leur particularité. La caste est un
groupe social composé d'individus partageant un même statut
hiérarchique et exerçant généralement une
activité professionnelle commune. Ainsi au sein de nos
sociétés traditionnelles il existe la caste des griots, la caste
des forgerons, la caste des pages, etc.
Par ailleurs, il existait au sein des sociétés
africaines traditionnelles l'achat, la vente, l'échange de marchandises,
de denrée. Une telle activité est appelée commerce. Elle
permet la distribution de ce qui est nécessaire aux besoins des hommes.
Le commerce constitue une institution économique qui n'était pas
négligeable car elle rapprochait les cultures et les hommes.
L'intégration des peuples était effective grâce à
cette institution économique.
Aux institutions socio - politiques et économiques
s'ajoutent celles qui ont un caractère religieux ou sacré. Les
rites coutumiers, les initiations, les funérailles et la sortie des
masques sont entre autres des pratiques qui relèvent de la croyance des
Africains. Les initiations permettent le passage de l'état
d'immaturité à l'état mature par des exercices physiques
et moraux très éprouvant. Ils permettent également
l'intégration de certaines personnes novices dans des
sociétés sécrètes.
S'agissant des funérailles, elles constituent
l'ensemble des cérémonies solennelles qui accompagnent le repos
éternel d'un mort. Au cours des funérailles d'une personne
âgée, la sortie des masques qui incarnent les
éléments du monde invisible permet l'accession de l'âme au
monde des ancêtres qui intercèdent pour les vivants.
Les rites, de façon générale,
confèrent un caractère sacré aux différentes
pratiques qui ont lieu dans la société. Il existe les rites
nuptiaux, les rites funéraires, les rites de purification, les rites de
demande de pardon, les rites de demande d'aide, les rites de fête,
etc.
Toutes les institutions traditionnelles de l'Afrique n'ont
plus la même envergure qu'avant. Elles sont délaissées au
profit d'autres qui sont propres à d'autres peuples jugés
civilisés et plus évolués.
Ces derniers sont pris pour des modèles sur tous les
plans et tout le mécanisme de mimétisme mis en place vise
à faire des Africains des clones parfaits de ces sociétés
occidentales. Mais engagés toujours dans la lutte pour le
développement, les pays africains rencontrent les mêmes
difficultés. Il est temps de se convaincre que le développement
économique et la renaissance sociale et culturelle de l'Afrique ne passe
certainement pas par l'imitation.
Par ailleurs, les institutions légitiment certaines
pratiques qui portent sérieusement atteinte à
l'intégrité physique et morale des Africains. Celles - ci
reposent sur des fondements difficilement ébranlables et se
révèlent pérennes. Ces pratiques traditionnelles qui
reposent sur des valeurs socio - culturelles, religieuses, hygiéniques
et esthétiques sont entre autre le lévirat, le sororat, le
mariage forcé, les mutilations génitales féminines, les
scarifications, etc. Toutes ces pratiques bien acceptées dans les
sociétés africaines traditionnelles visaient à sauvegarder
les liens familiaux et la dot
(lévirat, sororat), à témoigner ses
amitiés (mariage forcé ou précoce) à assurer la
virginité et la fidélité des filles et des épouses
(mutilation génitale féminine), à soigner ou à
embellir (les scarifications). Les raisons des pratiques sont nobles mais leurs
conséquences sont redoutables.
En définitive des institutions sont propres aux
sociétés traditionnelles africaines. Elles permettent une vie
paisible et prospère au sein d'elles bien qu'elles autorisent certaines
pratiques néfastes à l'homme. Les pratiques traditionnelles,
même si elles se sont cristallisées peuvent s'estomper par la
clarification des valeurs qui permet une analyse de celles - ci sur les plans
moral, social, religieux, économique et sanitaire en vue de les
renforcer ou de les affaiblir. La clarification des valeurs peut se faire
à travers une étude de cas, un jeu de rôle, une discussion
de groupe, une simulation, un jeu, un questionnaire anonyme, etc. Avec un recul
de ceux qui détiennent les rennes des institutions traditionnelles et
une ouverture de leur part, les pratiques peuvent être plus commodes et
plus profitables. Ainsi nos sociétés gagneraient en rayonnement
grâce à la correction de certains comportements nuisibles. Le
rayonnement que l'on pense obtenir par le mimétisme paraît
impossible. Nos sociétés africaines ne peuvent rayonner que
grâce à leur culture.
Pour conclure cette partie, nous énumérons, sous
forme de tableau récapitulatif, des pratiques traditionnelles sous -
tendues par des « valeurs ». Elles paraissent
néfastes et rétrogrades.
LISTES DES PRATIQUES TRADITIONNELLES :
Pratiques traditionnelles
|
Raisons qui soutiennent les pratiques
|
L'excision
|
- pureté, hygiène, changement de statut :
passage de l'enfance à l'adolescence pour être accepter
socialement
- garantir la fidélité, le respect des coutumes et
de la religion
|
Mariages forcés et précoces, maternités
précoces
|
Fondement religieux (rapports sexuels interdits hors mariage),
préservation de la virginité de la fille, respect des liens
familiaux, de l'amitié, peur de l'inceste et de grossesse hors
mariage
|
Les scarifications
|
Moyen d'identification du groupe ethnique - esthétique -
soins de santé
|
Le tatouage des gencives, des lèvres, des joues
|
Esthétique - acte de bravoure
|
Le percement du lobe de l'oreille, du nez, des lèvres
|
Esthétique
Limite de la parole
|
L'extraction des dents de lait
|
Pendant la dentition, en cas de diarrhée extraction des
canines considérées comme mauvaises dents qui peuvent
empêcher l'enfant de grandir.
|
Les tabous nutritionnels
Exemples
a) OEufs
b) Citron
c) Lait caillé
d) Piment et autre épices
|
Respect des coutumes et traditions pour prévenir certains
vices et comportements déviant les enfants et les femmes :
- l'enfant qui mange des oeufs devient voleur - respect de la
vie
- l'enfant devient méchant
- peut provoquer des grossesses rapprochées
- pour la femme en grossesse : enfant pleurnichard et
nerveux
|
Le gavage
|
- Donner force et santé à l'enfant
- Pour la femme : pour rentrer dans les grâces du
mari, rang prestigieux, charme, prestige
- Pour le mari signe d'aisance « mari
capable », embonpoint
|
Ceinture de grossesse
|
Aux environs du 5ème et 6ème
mois de la grossesse, ceinture autour de l'abdomen pour fixer le foetus et
l'empêcher de remonter ou qu'il ne soit pas trop gros.
|
Sevrage précoce
|
En cas de grossesse précoce
|
Massage ou écrasement des seins après
l'accouchement
|
Faciliter la montée laiteuse, éliminer le colostrum
considéré mauvais pour l'enfant.
|
Abstinence de rapports sexuels pendant la grossesse
|
Respect des coutumes, risques d'avortement
|
Abstinence de rapports sexuels pendant la période de
l'allaitement
|
Détériorer le lait maternel, affecter la
santé de l'enfant.
|
Taille des dents
|
Esthétique, acte de bravoure.
|
Lévirat et sororat
|
Sauvegarder la dot et les liens familiaux.
|
Interdiction du premier lait colostrum à l'enfant
|
- Respect des coutumes et traditions
- Premier lait considéré mauvais
|
Interdiction de rendre visite aux parents avant l'accouchement
|
Risque d'avortement ou de malformation du foetus.
|
Dot très élevée
|
Valoriser la femme, recherche d'un enrichissement
|
Confession obligatoire de la mère en cas de
difficulté d'accouchement
|
Lutter contre l'adultère
|
Sevrage brusque en cas de suspicion de grossesse
|
Sauvegarder l'enfant et préserver la grossesse
|
Lavement évacuateur à base de décoction de
plantes
|
Purge et soins de l'enfant
|
Exclusion sociale des femmes et des filles
|
Sorcellerie, non respect des coutumes et traditions, refus de
mariage forcé par la fille
|
Exclusion sociale de certaines catégories d'enfants :
jumeaux, albinos
|
Enfant porte malheur
|
Ségrégation en matière d'éducation et
de traitement entre filles et garçons, sous - scolarisation des
filles
|
Respect de la tradition en matière de code
éducationnel, respect du rôle traditionnel de la femme au foyer
|
Inégale répartition des tâches entre l'homme
et la femme
|
Respect de l'ordre social traditionnel
|
Déshéritage de la femme par ses beaux parents
|
Respect de la tradition reléguant la femme au second
plan
|
Problème de caste dans les mariages et autres rapports
dans la société
|
Respect des coutumes et traditions
|
Exclusion familiale des filles en grossesse
|
Respect des coutumes et traditions sauvegarder l'honneur de la
famille
|
Le non accès de la femme à la terre
|
La terre est sacrée, possibilité pour la femme de
changer de famille
|
Déshéritage des jeunes enfants par leur oncle ou
grands - parents
|
Non maturité des enfants, respect des traditions sur la
gestion de la communauté familiale
|
Rejet des femmes n'ayant pas de poils sur le pubis
|
Femme porte malheur
|
Rejet de la femme stérile
|
Impossibilité de perpétuer la famille
|
Cicatrisations spécifiques des femmes mariées et
non mariées
|
Identification des femmes de part leur statut,
préservation des femmes mariées des tentations masculines.
|
En dépit de ces pratiques, l'Afrique ancestrale
était forte de sa sagesse traditionnelle et de sa maîtrise du
verbe. Le malaise social émane surtout de cette absence de
circonspection et d'inspiration de nos valeurs
I - 2 Manifestations
Le dérèglement des moeurs se constate en
général par le bouleversement de l'ordre établi des
choses. La fin de certaines strophes, dont les écritures sont en gras et
en majuscule comme si c'est pour attirer l'attention, apportent des
précisions :
« TOUS SERONT LA,
FESSES SOUS PRESSES,
PANSE A TERRE,
TETE EN L'AIR ! »
« Tous seront là,
EAUX A TERRES
Bec en l'air,
PAGES
DERRIERE »
« Tous
Tous seront là
FEUX DEVANT,
VENTRE EN L'AIR,
CROIX
DERRIERE ! »
« Tous seront là
PIEDS EN L'AIR
VENTRE EN L'AIR
TETE EN
L'AIR ! »
Toutes les attitudes et dispositions normales sont devenues
l'inverse. Toute normalisation doit être envisagée afin que
l'équilibre biologique et social soit établi. Une
décadence semble évidente.
Celles-ci sont en proie aux conflits nés des rapports
de force où l'injustice, l'arbitraire et la violence s'imposent et
à l'infidélité des peuples africains aux moeurs anciennes.
La nature de ces conflits engendrés par la dénaturation des
sociétés africaines diffère de celle qu'elles connaissent
(dans « vouloir vivre », le conflit entre
agriculture et éleveur). Il est des conflits dus à de simples
relations conflictuelles interpersonnelles et d'autres dus à
l'aberration, à la perte de dignité et de certaines valeurs
morales.
Dans les sociétés traditionnelles africaines, le
divorce, évoqué dans le poème « Devant le
juge » et qui est dû à l'infidélité
des époux qui ne tiennent plus à coeur au respect du conjoint et
au-delà de lui de sa famille, était quasi inexistante. Les
mauvais rapports conjugaux et leurs conséquences sont ainsi
fustigés. Un tableau de la bêtise humaine est aussi
présenté :
« Il faut séparer !
Il faut séparer !
Séparer l'homme !
Séparer la femme
Séparer les enfants !
Séparer la poule,
Le coq,
Les poussins,
Le taureau,
La vache
Il faut partager,
Il faut partager,
le mil en deux,
Le chien en deux
L'eau du puits en deux,
Les amis en deux
Les ennemis en deux,
Le village en deux
La ville voisine en deux,
La terre en deux,
Le soleil et la lune en deux,
Dieu en deux,
Son paradis en deux
Son enfer en deux ! »
Tout doit être séparé, tout doit
être partagé pour que l'individualisme règne. Tout les
biens acquis ensemble, allant même jusqu'à la progéniture
doivent être répartis. On veut se les approprier individuellement
alors que les sociétés traditionnelles africaines prônaient
la collectivité, la dépendance mutuelle d'intérêt.
Par la séparation des biens matériels, nous assistons à
l'avènement du capitalisme basé sur le profit personnel et
à l'avènement d'une autre mentalité, d'une autre
façon de penser, d'envisager les choses. Ce changement est non seulement
individuel mais aussi général au sein des sociétés
africaines.
Les moments de joie « Son paradis en
deux » et les moments de douleurs « Son enfer en
deux » ne doivent plus être partagés. Par
conséquent la nature des rapports humains change à cause des
sentiments d'indifférence, de mépris et d'égoïsme qui
l'emportent sur la sympathie, le respect et la
générosité.
Un autre tableau de la bêtise humaine est
présenté dans le poème « concours de
danse » et concerne les rapports de force qui déterminent
le droit, la victoire, l'hégémonie. Une confrontation semble
exister pour une question de leadership politique et économique dans le
monde. Les rivalités, les conflits et les convoitises naissent
également de la jalousie et de l'envie de ressembler à l'autre au
lieu de se contenter de sa propre situation. Lisons :
« Quand le coup de gang
Retentit dans la
vallée,
Et que TOURBILLON
Changea de cap
Pour amortir la
mêlée,
On vit
Sur le sol,
Crispée,
Dénudée,
Gardant le diable au corps,
Pour ramener la couronne à la
lignée,
La plus Ephémère de la
création,
Que Seules
Les circonstances ont fait
démériter,
Tremblant nue,
Dansant nue,
Devant chacun qui se voile le visage !
La disqualification
Fut à l'unanimité !
Tout Warba se danse
Avec le SAGUI
Avec le ZAYBRE
La disqualification
Fut à l'unanimité
Et TOURBILLON
Qu'entraînèrent
Les cousins BOURRASQUE et CYCLONE
Fit voler cent toits de joie ! »
« Toute l'année
Le pique-boeuf
Pour ressembler au corbeau
La plus belle création du créateur,
Passa
Toute l'année,
Dans le puits d'indigot de TAMBOGO !
Toute l'année,
Le corbeau,
Pour ressembler au Pique - Boeufs,
La plus belle création du créateur
Passa
Toute l'année,
Dans le puits de kaolin de TAMBOGO !
La raison
Est dans le coeur,
Elle n'est pas
Dans le ventre !
Toute l'année,
Frère charognard et fils,
Dont les pantalons vinrent tout droit
De l'empire Sud du Ghana,
Toute l'année,
Monopolisèrent les fabriques
De graisse, beurre et parentés,
Pour être aux premiers rangs
Des tresses et lisses chevelures »
Le poète terminera par une morale qui
désapprouve l'argument de la force et l'avènement d'un monde
impitoyable. Il y a des manquements au respect des droits humains. Le plus fort
exerce sur le plus faible sa loi avec souvent une couverture juridique. La loi
d'exception, même si elle prend du temps pour infliger la peine à
ses victimes, elle ne pourrait triompher de la loi morale.
Par conséquent, le poète est convaincu que le
despotisme ou la tyrannie ne peut faire sa loi de manière sempiternelle.
Parmi les ruines sociales et culturelles un trésor peut toujours
être découvert et permettre une réhabilitation des
structures socio - culturelles traditionnelles qui faisaient la fierté
et l'authenticité des sociétés africaines. Une destruction
complète des artifices pourrait permettre une
régénérescence socio - culturelle. Mais avant
l'avènement de celle - ci, la loi du plus fort est toujours la meilleure
et nous pouvons le constater à travers la décadence des
sociétés africaines. Il y a une situation léthargique qui
s'installe et inquiète.
« Le monde d'aujourd'hui
Est de puissance !
La force
Détermine la victoire !
Toute faiblesse
Est EPHEMERE !
C'est le refrain quotidien
Des tam - tams ! »
Par le règne de la violence et des tyrannies,
l'équilibre social est brisé. Et si le bonheur réside dans
l'état de l'être, nous pouvons affirmer que cette situation des
sociétés traditionnelles déstabilisées plonge les
peuples noirs dans l'adversité, dans le malheur.
I - 3 Décadence
La dégradation des moeurs provoquée par la
réorganisation politique, socio - culturelle, religieuse, etc. a
précipité les sociétés africaines dans le gouffre
insondable. Une société constituée d'institutions politico
- économiques, religieuses et socio - scolaires modernes est en passe
d'être un souvenir car le spectre de la mort plane sur elle.
Les institutions politico - économiques modernes sont
représentées par :
« Un président Gouverneur
Général
Une assemblée au grand complet
Tout un gouvernement
Un Ministre noir
Un drapeau éternel
Un Ministre Garangosé
Un cabot venant de Monoprix
Un chiffon exécré de
Voltex »
« Monoprix » était un grand centre
commercial et « Voltex » fait allusion à l'industrie
du textile. Le poète à travers « Ministre
Garangosé » parle de Marc Tiémoko Garango,
général de l'armée burkinabé à la retraite
et ancien médiateur du Faso.
La présence des institutions religieuses est
révélée par :
« Un cardinal
Un cardinal rouge
Une religieuse
Une Eglise
Un Temple
Une mosquée
Un Paradis
Pour un repos éternel ».
Aux institutions politico - économiques modernes et
religieuses, s'ajoutent les institutions socio - scolaires :
« Une chèvre de Monsieur
Séguin
Mamadou et Bineta pleurent
C'est le carnaval des maudits !
Où toute matière est
Bijou
Caillou
Genou
Hibou
Pou ! »
« Mamadou et Bineta » est un manuel
scolaire et à travers les termes « Bijou, Caillou, Genou,
Hibou et Pou » la grammaire française est
évoquée par rapport au pluriel de ces mots.
La présence d'un « cardinal aux quatre points
cardinaux » au sein de cette société en
décadence s'apparente à une cérémonie d'absoute et
d'onction de malade destinée à offrir, à un peuple victime
d'homicide, le viatique. La "nuit" symbolise l'obscurité, la
léthargie, l'assombrissement :
« Nuit !
C'est toujours la nuit
Plus rien à l'intérieur !
Tout un Gouvernement
Au grand complet !
Un Ministre noir
C'est mon ami Zanna,
Un Conseiller Blanc,
C'est lui qui bénit,
Un drapeau éternel,
Eternel,
Eternel ! »
« Un gourdin qui casse toutes les
têtes
Une massue,
La poudre d'un mini - fusil,
Une religieuse,
Un impénitent,
Un condamné,
Un pouillard
Une église
Un temple
Une mosquée
Un paradis
Pour un repos éternel
Eternel,
Eternel ! »
« Le soleil du matin
S'est couché trop tôt
Sur la morne savane !
Les crapauds ne Croassent plus !
Les buissons touffus
Ne renferment désormais
Que les oeufs des perdreaux !
Triste,
Tout est triste ce soir »
Tout pâlit, tout sombre, tout éclat
disparaît dans un Etat dont le drapeau était arboré "Noir -
Blanc - Rouge".
La complicité entre le "Ministre Noir" et le
"conseiller Blanc" a généré la violence et un bain de sang
d'où la couleur rouge du cardinal. Les bons et les méchants
périront tous :
« Tous ceux qui,
Leur vie durant,
Ont pleuré seuls
En construisant
Les imposantes termitières,
Les vampires,
Les petits vampires,
Les lions,
Les petits lions,
Les oiseaux,
Les petits oiseaux,
Ils SERONT ABSENTS !
Tout est triste ce soir ! »
Dans cette société dénaturée et
plongée dans la léthargie, le poète exprime un besoin de
changer le style et d'oeuvrer à l'avènement d'un monde plus
humain qui repose sur le socle de la culture :
« Le tam - tam retourne à ses
ancêtres
Qui connurent le Mouta - Mouta
Pour que
ça tire sous le soleil ! »
L'uniformisation linguistique et le laminage culturel
engendrés par la mondialisation qui pèse sur le village
planétaire menacent la diversité et les identités
culturelles. Il est évident qu'il faut lever les barrières
idéologiques et culturelles pour permettre le dialogue entre les
cultures. Il est aussi inadmissible d'accepter une mondialisation qui
aliène. Si de nouvelles structures modernes doivent exister au grand dam
des anciennes structures traditionnelles, une dénaturation est
évidente. Il n'y a pas de cultures pures (sans apports
extérieurs) mais il est possible de définir la physionomie et la
spécificité de chacune d'elles. L'ostracisme qui frappe nos
langues et littératures africaines à l'école trouve sa
justification dans la réorganisation des sociétés
africaines.
A partir de ce carré sémiotique, cette
dénaturation est mise en relief :
Sociétés S
Sociétés traditionnelles Traditionnelles S1
S2
dénaturées
Deixis 1 Deixis 2
Passé :
Présent :
Eléments glorieux
Eléments décadents
Anciennes Nouvelles structures
Structures
Non Sociétés Non - S2
Non - S1 Non Sociétés
Traditionnelles Non - S
traditionnelles
dénaturées
S1et S2, non - S1 et non - S2 sont des unités minimales
de signification appelées sèmes. Les deux axes S et non - S sont
constitués par la relation entre les contraires.
Les sociétés traditionnelles authentiques
s'opposent aux sociétés traditionnelles dénaturées.
Cette relation d'opposition correspond à une opération de
négation prenant en charge le passage S1 à non - S1. Une relation
de présupposition prend en charge le passage de non - S1 à S2.
L'axe du complexe est représenté par S2. L'axe du complexe est
représenté par S qui subsume S1 et S2 et l'axe du neutre par non
- S qui subsume non - S1 et non - S2.
S1 non - S1 et S2 non - S2
traduisibles :
Sociétés traditionnelles non
sociétés traditionnelles et non sociétés
dénaturées Sociétés traditionnelles
dénaturées
Non - S1 S1 et non - S2 S2
traduisible :
Non - Sociétés traditionnelles
Sociétés traditionnelles et sociétés
traditionnelles dénaturées Non sociétés
traditionnelles dénaturées.
CHAPITRE II
Ancrage culturel africain.
La négritude est un mouvement littéraire et un
concept philosophique qui s'est inspiré de courants socio - culturels,
politiques, artistiques et littéraires. Sa finalité est d'oeuvrer
à la réhabilitation des cultures africaines.
C'est d'abord les Américains noirs comme Langston
Hugues, Countee Cullen, Claude Mac Kay, Jean Toomer, etc. qui ont
exprimé des sentiments de révolte contre les blancs qui les
opprimaient avant que les étudiants africains comme Léon Gontran
Damas, Césaire, Senghor, etc. ne s'affirment à leur tour à
travers leurs oeuvres.
Le mouvement de la négritude était un projet
collectif qui exprimait un instinct de conservation et de développement
historique. Il faut garder non seulement son authenticité mais aussi se
dépasser et s'accomplir. Il faut être et non paraître, tel
était le but affiché par la négritude définie par
Senghor comme étant une manière spécifique
d'« assumer les valeurs de civilisation du monde noir, (de) les
actualiser et féconder, au besoin avec les apports
étrangers » (1997) (11)
La poésie pacérienne s'inscrit dans ce sillage
car elle ne cesse de développer le thème de la fierté
d'appartenir à une civilisation africaine. Cette appartenance doit
entraîner une révolution qui conduit au dépassement,
à l'accomplissement de soi. Pour cela, le poète s'ouvre à
d'autres cultures
(11) L. S. SENGHOR, Liberté 3,
« Négritude et civilisation de l'universel », le
Seuil, Paris, 1997, P270
qui enrichissent la sienne. Toutefois, il veille à la
sauvegarde de sa culture de manière efficace. Il n'hésite pas
à dénoncer tout
ce qui vient la compromettre. Affirmation de soi et
révolte semblent donc caractériser cette poésie qui se
veut universelle.
La célébration d'un passé ancestral, le
recours à un héritage culturel africain sont des indicateurs
assez satisfaisants pour que PACERE soit traité non seulement d'adepte
mais aussi de continuateur de la négritude. Ardent défenseur de
sa culture, le poète ne se lasse pas de fustiger certaines pratiques qui
la tuent. Redonner aux sociétés africaines leur lustre d'antan
est le combat noble qu'il mène et qu'il veut gagner non pas seul mais
avec tous ses frères de race et de culture.
Les oeuvres négro- africaines d'expression
française, depuis la période post - coloniale, présentent
une originalité formelle. Par leur enracinement géographique et
culturel, elles se distinguent des oeuvres de la littérature
française. Les écrivains africains, grâce à leur
culture, confèrent une certaine littérarité à leurs
productions littéraires. Le recours à la tradition orale ou
à des « fragments non traduits du
vernaculaire » (12) permet de rendre spécifique leurs
oeuvres, de leur donner un caractère hybride. Le sceau de la culture
orale traditionnelle marque de façon indélébile les
oeuvres littéraires.
Les écrivains Africains bien qu'ils aient eu un contact
avec la culture occidentale refusent d'être
dépossédés de leur culture, d'être mutilés
par une culture étrangère. Ils n'acceptent pas la
néantisation de leur patrimoine culturel. Ils ont une conscience
culturelle et elle est manifeste dans les
(12) Nora - Alexandre KAZI - TANI, Roman africain de langue
française au carrefour de l'écrit et de l'oral (Afrique noire et
Maghreb), l'Harmattan, 1995.
écrits. Beaucoup d'oeuvres africaines témoignent
de l'influence de la littérature traditionnelle africaine. Et ce qui est
important à signaler c'est leur enracinement culturel. Elles
perpétuent ainsi un héritage culturel.
Compte tenu du constat fait ci-dessus nous pouvons partager la
réflexion de M-a M. Ngal qui dit ceci dans son ouvrage intitulé
L'Errance (13) :
« La science moderne par son rouleau
Compresseur croit avoir anéanti
Ces étages qui avaient tissé les
fibres de notre moi par le
travail des contes, des chants,
des fables, des énigmes, des
forces facéties (...)
C'est que le prétendu rouleau
Compresseur n'atteint pas le
Niveau de créativité de l'Africain.
C'est que le prétendu rouleau
Compresseur n'atteint pas le
Niveau de créativité de l'Africain
Cette sphère qui en elle même
Révèle notre foyer créateur,
Reste hors d'atteinte »
(13) M.a.M. Ngal, l'Errance, Editions Clé,
Yaoudé, 1979, PP11 - 12
Dorénavant l'interprétation des oeuvres
africaines ne se fera plus selon les canons classiques de l'esthétique
occidentale. L'adaptation de l'écriture romanesque et poétique au
discours traditionnel, aux réalités culturelles africaines permet
non seulement de mieux se réaliser, de mieux s'exprimer mais aussi de
s'adresser à un public africain avec lequel on partage un destin commun,
un passé commun et des valeurs communes. Un public étranger se
verra obligé, afin d'accéder au message, d'étudier la
culture qui a inspiré l'écrivain.
Une innovation stylistique remplie de symbolisme constitue
aussi une autre dimension de la spécificité de l'oeuvre. La
métaphore - identification est beaucoup utilisée par les
poètes africains en général et Me PACERE n'en fait pas
l'exception. Leur style est chargé d'images et pour nos prochains
travaux, tous les éléments culturels qui créent un espace
littéraire pour nos littératures nationales feront l'objet de
notre attention. Ils seront recensés et analysés selon leurs
emplois.
Les écrivains Africains font tout pour concilier deux
cultures car un retour en arrière n'est plus possible. Aussi le
poète s'impose - t-il des règles édictées surtout
par son milieu culturel. Il jette le pont entre les cultures et refuse
l'aliénation. Une intégration des valeurs d'ailleurs aux
nôtres doit être prônée. La destruction des valeurs
africaines pour les remplacer par d'autres serait un parricide. Le poète
nous montre l'exemple car il intègre sa culture dans des écrits
d'expression française.
Par le recensement de certaines expressions traduites
littéralement, de « fragments non traduits du
vernaculaire », de symboles et d'images nous rendrons palpable
ce qui vient d'être dit. L'interpénétration culturelle n'a
pas été source de perte d'identité.
II. 1. Traduction littérale
Certaines expressions ou certains termes issus de la langue
natale sont employés par le poète et font la
spécificité du texte littéraire. Ces expressions ou termes
représentent des topoi africains qui renferment des structures de style
et des pensées propres à la littérature traditionnelle
africaine.
Ainsi certaines expressions sont la traduction
littérale de patronymes des Moosé.
« Ceux qui sont étalons »
est une périphrase qui désigne ceux qui portent le nom
OUEDRAOGO.
« Ceux qui espèrent en des lendemains
meilleurs », il s'agit de ceux qui portent le nom
TIENDREBEOGO ;
« Ceux qui occupent la brousse »
sont ceux qui portent le nom YAMEOGO.
« S'ajoutent aux grandeurs », il
s'agit du patronyme du poète PACERE.
Ceux qui ont « le cache - sexe en
fer » désigne les habitants de Piligtenga, village voisin
de Manéga.
Pour une bonne interprétation de ces périphrases
il faut tout un contexte situationnel et culturel.
II. 2. L'ancrage linguistique
Les « fragments non traduits du
vernaculaire » sont des termes issus de la langue natale du
poète et qui n'ont pas été traduits en français. La
plupart de ces « fragments non traduits » sont des noms de
localités (village ou quartier) : « LAGLIN »,
« NABDGO », « TAMPELGA »,
« DIDOURE », « TAMBOGO »,
« MONDEMBA », « ROPALLIN ».
En ce qui concerne « LAGLIN », c'est un
quartier de la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou, commandé par Lagem
Naba Tiigré, interlocuteur auprès du Moog Naaba.
« NABDGO » est un village de la province
du Boulkiemdé, situé à une trentaine de kilomètres
de Koudougou, chef lieu de province.
« MONDEMBA » est le village de
l'hospitalité. Sa situation géographique tout comme celle de
« DIDOURE », de « TAMPELGA », de
« TAMBOGO » et de « ROPALLIN » nous est
inconnue.
Le poète utilise également les termes
« SANGUI » et « ZAYBRE » qui
désignent des parures qui font du bruit et qui sont autour de la
ceinture quand on danse le « Warba ».
Le terme « Warba » utilisé dans le
poème « Concours de danse » est une danse
traditionnelle au cours de laquelle on fait tourner rien que le bassin.
Les « fragments non traduits du
vernaculaire » ne sont pas les seules marques culturelles dans les
poèmes. D'autres marques comme les images et les symboles peuvent
être relevée
II. 3 Images et Symboles
Les images et les symboles sont en nombre important dans les
poèmes de PACERE et il n'est pas donné à n'importe qui,
à un non - initié de les décoder. S'exprimer à base
d'images et de symboles relève de la compétence des griots, des
vieillards et de ceux qui ont subi les épreuves initiatiques avant
l'âge adulte. Notre entretien avec le poète a constitué une
phase initiatique pour nous et nous pouvons donner quelques significations
relatives à certains détours langagiers.
Les expressions et vers suivants révèlent la
complexité d'un langage fait de circonlocution :
« De tous ceux qui peuvent si
bien compter les cauris »
Le poète désigne ainsi les économistes.
Rappelons que les Yarsé étaient les économistes du Mogho
et faisaient du commerce en se déplaçant sur leurs ânes.
Les cauris étaient la monnaie d'échange.
« De tous ceux
Qui vomissent à l'extérieur
Ce qu'ils n'ont pas mangé à
l'intérieur
Qui montrent à longueur des temps
Des fleurs
Sur des champs de fumier
Et des carcasses de chantiers »
Il est question ici des ambassadeurs qui tiennent des propos
fallacieux.
« Qui tiennent haut la crachoir
Et qui finiront
Tous les bâvoirs de la
République ».
Le poète parle ici des avocats qui ne se lassent pas
d'afficher des positions partisanes.
« Qui sont corbeaux
Et séparent si bien ce que Dieu a
uni »
Ce sont les magistrats qui ont une justice autre que celle
venant de Dieu.
« De tous les ubiquitaires »
Ubiquitaire vient du latin "Ubique" et signifie
partout. Ce terme, selon le contexte d'emploi, désigne les journalistes
qui se font entendre partout.
« Tous les
éléphants »
Cette image renvoie au RDA qui est un parti politique dont le
père fondateur est Houphouet BOIGNY. Le Rassemblement
Démocratique Africain (R.D.A.) avait pour ambition de valoriser
l'Africain en lui restituant sa dignité. En Haute Volta, ce parti avait
des représentants parmi lesquels nous pouvons citer Daniel Ouézin
COULIBALY, Gérard KANGO, Maurice YAMEOGO.
« Tous les lions »
C'était le parti de feu Nazi BONI, le Mouvement
Populaire Africain (M.P.A.). Homme politique et de lettres, il s'est battu pour
la reconstitution de la Haute Volta.
« Et toutes les hypothétiques
problématiques
Il est question du parti P.R.A. (Parti du Regroupement
Africain). Ce parti est né à la faveur des alliances politiques
mais aussi des divisions. Entre 1958 et 1960 la cristallisation politique
débouche sur deux partis dont le R.D.A. et le P.R.A. Dès la fin
de l'année 1960 le président Maurice YAMEOGO imposera le parti
unique.
« Tous ceux
Qui partagent leur mil
Avant de le croquer »
Le parti socialiste du Professeur Joseph KI - ZERBO est ainsi
qualifié. C'était le M.L.N (Mouvement de Libération
Nationale). En fondant avec de nombreux patriotes Africains ce parti, KI
-ZERBO, décédé le 04 novembre 2006, allait faire campagne
pour le Non lors du référendum historique de 1958. Ce parti
luttait pour la souveraineté nationale du pays.
En parlant des « Gouffres insondables de
KIENDPALGO » le poète fait allusion au quartier des filles de
joie, des prostituées de la capitale de la Haute Volta.
« De tous les paralytiques
Accédés aux faites des
rôniers ! »
C'était la devise de Naba Gounga pour qui le
paralytique doit se montrer reconnaissant envers celui grâce à qui
il a accédé au sommet du rônier.
Il est question ici d'une invite à la reconnaissance,
à la gratitude envers celui qui nous rend service.
Le terme « Vampires » renvoie aux gens qui
sont incompris dans la société. Ils ont leur logique que personne
d'autre ne comprend.
Le poète lui-même s'identifie au
« Serpent » qui inaugure son marché avec l'ambition
de tout innové, de créer un nouveau monde. A travers
l'appellation « lionceaux » lui et ses frères se
reconnaissent. Ils sont les descendants d'une famille royale et sont
prédestinés au trône un jour.
Le « Mouta - Mouta » est un langage
voilé. Titinga PACERE bâtit une théorie à partir de
ce langage Tambouriné qui est la « Bendrologie ».
Le « Crapaud » fait penser à
l'homme « Moaga » qui vit sur une terre aride et
sèche (le sahel). Il est dans un milieu caractérisé par le
désespoir parce que les repères culturels se sont
effacés.
L'emploi de l'aphérèse
« Zanna » est important à signaler.
« C'est mon ami Zanna »
Le mot entier est Lamizanna (l'ami Zanna) est
déformé à cause de la parenté à plaisanterie
qui existe entre le poète et ce personnage. Sangoulé Lamizanna
était à la tête du premier régime militaire (de 1966
à décembre 1970). Il organise le retour à une vie
constitutionnelle aboutissant à la IIème république en
juin 1970. Lamizanna demeure président, et le RDA, vainqueur aux
législatives, dirige le gouvernement avec à sa tête
Gérard KANGO.
Les images et les symboles rendent compte de la mutation des
textes littéraires d'expression française dans le paysage
littéraire africain. Leur présence dans les textes permet de
sauver de l'oubli tout un héritage culturel négro- africain.
CONCLUSION
Toute rencontre avec l'être du texte poétique de
PACERE a toujours été pour nous une rencontre avec la culture des
Africains. La culture demeure une finalité explicite de toutes ses
actions si bien que l'on peut le considérer comme un vecteur
culturel.
En même temps que le poète oeuvre à sa
connaissance et à sa sauvegarde, il s'en sert pour s'exprimer dans un
monde en ruine sociale. Son expression poétique transcende les drames
qui ont assombri les sociétés traditionnelles africaines en
restituant fidèlement leur passé glorieux. Sa poésie,
dans ça tire sous le sahel, apporte un éclairage sur la
décadence des sociétés africaines complètement
envahies par de nouvelles structures exogènes. Nous nous sommes
référés à ce désastre social pour
réhabiliter partiellement un passé ancestral enchanteur dont
chacun de nous comme le poète doit être en manque. Il est
nécessaire de se convaincre d'une chose : le développement
intégral de l'homme passe par la culture et le but de tout
développement c'est la culture. Soyons solidaires avec tous ceux qui
revalorisent nos cultures nationales en se servant d'outils étrangers,
notamment la langue. Même si la langue française nous a
été imposée, nous ne devrions pas, en la pratiquant, nous
sentir assimilés. Comme le Jésuite Camerounais Engelbert Mveng,
disons ceci : « C'est moi qui les assimile, les langues, et je
suis homme autant de fois que j'en apprends ! » La langue ne
doit pas faire vaciller notre identité culturelle. Elle doit
plutôt être un outil pour nous pour la faire connaître. Nous
nous réalisons pleinement.
La théorie de la déconstruction de DERRIDA peut
être appliquée à d'autres oeuvres poétiques de
PACERE, notamment à Poèmes pour l'Angola (1982)
où nous identifions l'opposition binaire Amour / Aversion.
« Amour » pour sa culture et
« Aversion » pour la culture occidentale.
Au terme de notre étude du recueil poétique de
PACERE, signalons que l'originalité du texte nous a permis d'exhumer le
passé et la culture des sociétés africaines grâce au
contraste implicite grandeur/déchéance. Le concept de la
déconstruction nous a permis d'aller au -delà des
énoncés pour découvrir les présupposés qui
sont en rapport avec le passé des sociétés africaines. Un
examen du recueil nous a permis également de découvrir un
héritage esthétique négro- africaine à travers le
style, les symboles, les images et les « fragments non-
traduits du vernaculaire ».
Il est nécessaire, de nos jours, de préconiser
des approches qui transcendent l'immanence et qui permettent d'établir
des relations avec des éléments extra- textuels. La
déconstruction de DERRIDA s'inscrit dans cette perspective du
dépassement de l'immanence qui s'intéresse seulement aux
principes d'organisation intrinsèque du texte.
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Paris, Grand prix littéraire
d'Afrique noire
- Poèmes pour l'Angola, 1982. Ed. Silex
Paris, Grand prix littéraire d'Afrique noire
- Du lait pour une tombe, 1987. Ed. Silex,
Paris, Ed. - Silex, Paris
- Poème pour Koryo, 1987, Imprimerie
nouvelle du centre, Ouagadougou
- Des entrailles de la terre1988, Imprimerie
nouvelle du centre, Ouagadougou
- Poème pour le Sahel, 1988 imprimeries
nouvelles du centre, Ouagadougou
- Saglendo, la poésie du tam - tam, 1994,
fondation PACERE, Ouagadougou
III- Revues
1- Art nègre et civilisation de l'universel,
1975, Les nouvelles éditions africaines Dakar
2- Annales de l'université, numéro
spécial série A, décembre 1988
3- Notre Librairie : littérature du Burkina
Faso N°101 avril - juin 1990
4- Annales numéro spécial, premier colloque
international sur la littérature burkinabè, 1988,
Presses Universitaires, Ouagadougou
5- CAHIERS du CERLESHS, n°9, 1993, Université de
Ouagadougou
IV. Mémoires et Thèses
A. Mémoires
1. BAZIE J.P., 1981, Nazi-Boni :
L'homme et l'oeuvre (le politicien, le romancier et l'historien),
Mémoire de DEA en lettres Modernes, Centre international d'études
francophones, Sorbonne, Université Paris IV
2. TIAHO L., 2002-2003, Les grands traits de
l'esthétique négro-africaine dans la carte d'identité de
Jean-Marie Adiaffi, Mémoire de DEA, UFR/LAC,Université de
Ouagadougou
3. YAMEOGO J.M., Etude descriptive de la
narration du procès du muet de Patrick G. ILBOUDO, Mémoire de
maîtrise, Département de Lettres Modernes, Université de
Ouagadougou
B. Thèses
1. MILLOGO L., 2001, Ancrage culturel africain
d'un roman d'expression française. La langue bwamu dans
Crépuscule des temps anciens du burkinabè Nazi Boni. Doctorat
nouveau régime, Département de Linguistique, Université de
Ouagadougou
2. SANWIDI H., 1983, Le pouvoir politique
africain dans le roman africain d'expression française,
thèse d'Etat, Montpellier
3. SANOU R.S., 1982, La critique sociale
dans l'oeuvre de Mongo Beti, doctorat de 3è cycle,
Université de Lyon II
TABLE DES MATIERES
Pages
DEDICACE..................................................................................03
REMERCIEMENTS.......................................................................04
EPIGRAPHE.................................................................................05
SOMMAIRE..................................................................................06
INTRODUCTION
...........................................................................07
PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DE LA THEORIE DE LA
DECONSTRUCTION, DE L'AUTEUR ET
DE
L'OEUVRE ....................................................12
Chapitre I : De la
déconstruction..........................................13
Chapitre II : Présentation de l'auteur et de
l'oeuvre.................17
II.1 Présentation de
l'auteur.....................................17
II.2 Aperçu général de
l'oeuvre...................................20
DEUXIEME PARTIE : EXPLORATION DU PASSE ET DE LA CULTURE
MOAGA...
....................................................26
Chapitre I : Sociétés traditionnelles
dénaturées.......................27
I.1
Facteurs.............................................................37
I.2
Manifestations....................................................50
I.3
Décadence...........................................................57
Chapitre II : Ancrage culturel
africain.....................................63
II.1 Traduction
littérale.............................................67
II.2 L'ancrage
linguistique.........................................68
II.3 Images et
symboles.............................................69
CONCLUSION
...............................................................................74
BIBLIOGRAPHIE ...........................................................................77
TABLE DES
MATIERES..................................................................85