Paragraphe 1. Les exigences d'une bonne justice
Dans un véritable Etat de droit et dans une
société démocratique, le citoyen bénéficie,
outre des libertés proclamées, des droits de sauvegarde des
garanties fonctionnelles et effectives de ses libertés.
L?un de ces droits est la garantie promise à chaque
citoyen, pour la défense de sa personne, de bénéficier
d?un procès équitable (A), ce qui assure la sauvegarde d?une
bonne justice. La célérité du procès est aussi un
aspect de l?équité. Toutefois, du fait de l?importance des
problèmes posés par la lenteur de la procédure en
contentieux mauricien, nous traiterons séparément la question de
la célérité (B).
A. Le droit à un procès juste et
équitable
A la manière de la Convention Européenne des
Droits de l?Homme, la garantie du procès juste et équitable est
consubstantielle à l?esprit même des catalogues des droits
fondamentaux qui existent dans les pays ayant des Constitutions du type
Westminster.
Dans les affaires portées au Comité Judiciaire,
les exigences de l?équité se sont focalisées sur l?organe
même du tribunal et le procès: sur le tribunal le grief
invoqué par les requérants était tiré des
manquements à son caractère
adéquat (a) et sur le procès, il a souvent
été question de la garantie de l?innocence de l?accusé ou
du prévenu pendant le déroulement du procès (b).
a. Le caractère adéquat du tribunal
Vu la spécificité de l?organisation judiciaire
et de la profession d?avocat à l?île Maurice, la loi et la
jurisprudence locales ont autorisé le changement de composition d?une
formation de jugement survenu même au cours d?un procès. L?article
124 de la Loi de 1945 sur les juridictions (section 124 of the Courts Act
1945) dispose en effet qu?en cas d?empêchement d?un magistrat
à la Cour de District ou à la Cour Intermédiaire
(District or Intermediate Court), le Chef- Juge peut désigner
un magistrat pour le remplacer. Le magistrat remplaçant poursuit
l?audience, éventuellement jusqu?à son terme et prononce la
décision.
Une illustration de cette pratique se trouve dans l?affaire
Wong Ng, évoquée plus haut dans d?autres contextes. Le
procès de Sieur Wong Ng avait débuté en décembre
1981 devant la Cour Intermédiaire composée de deux magistrats
mais avait été ajourné plusieurs fois. Il ne prit fin
qu?en octobre 1984. Entre-temps un changement était intervenu dans la
composition du tribunal. Le magistrat remplaçant, qui avait
participé au délibéré, n?avait pas assisté
à toutes les audiences de la cause alors que son appréciation des
faits avait été déterminante dans la mesure où la
Loi de 1945 exige une décision unanime quand le tribunal est
composé de deux magistrats932.
Les juges du Comité Judiciaire933
n?endossent pas une telle pratique934 à l?inverse de la Cour
locale. Ils considèrent que le droit à un procès juste et
équitable contenu dans l?article 10 de la Constitution mauricienne
constitue un des fondements essentiels du système juridique. Dans un
procès pénal, les magistrats ou les jurés qui se
prononcent sur la culpabilité du prévenu ou de l?accusé
doivent avoir entendu et examiné personnellement tous les
témoignages produits à l?audience935. En effet, la
procédure devant les juges répressifs doit privilégier le
caractère oral du fait de la règle de l?intime conviction des
magistrats. Ils doivent se décider qu?au vu des preuves soumises au
débat. L?appréciation de la véracité des
témoignages oraux dépend en large partie de la
932 Article 85 de la Loi de 1945 sur les juridictions.
933 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng
Wong Ng c/ The Queen, cité note 851.
934 La jurisprudence du Comité Judiciaire est sensiblement
proche de celle de la CEDH: 6 décembre 1988, Barberà c/ Espagne,
PCEDH, 1989, série A, vol. 146, 51 p.
935 «Those charged with returning a verdict in a criminal
case have the duty cast upon them to assess and determine the reliability and
veracity of the witnesses who give oral evidence and it is upon this assessment
that their verdict will ultimately depend», CJCP: 20 juillet 1987, Pierre
Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note 851, v. p.
1359.
prestation même des témoins. Certains
éléments conditionnent la véracité du
témoignage, tels le ton de la voix et les gestes. Ces
éléments n?apparaissent pas à la lecture par le magistrat
remplaçant du rapport et des notes établis par le magistrat
remplacé. Le Comité Judiciaire considère que les juges qui
n?ont pas assisté à l?intégralité des
opérations de justice à propos desquelles ils statuent doivent se
récuser936. En cas de défaillance et remplacement de
l?un des magistrats au cours de la procédure du jugement, la cour doit
recommencer les audiences tout au début. Les Lords ont dans cette
affaire invoqué à l?appui de leur raisonnement plusieurs
précédents anglais937 et un du Conseil
Privé938.
La Cour Suprême a été constamment hostile
à reconnaître au principe d?équité une portée
aussi large. Dans l?arrêt Wong Ng939, elle n?exprime qu?un
regret à propos de la méconnaissance d?une telle
institution940. Elle accorde à la Loi coloniale sur les
juridictions de 1945 un brevet de constitutionnalité et la
considère comme faisant écran à l?exigence de
l?équité.
En réaction au précédent et au principe
protecteur de la défense posé par le Comité Judiciaire
dans l?affaire Wong Ng941, la Cour Suprême locale marque sa
désapprobation de deux manières bien qu?elle s?estime liée
par l?arrêt des juges londoniens. Dans un cas, la Cour reconnaît la
force obligatoire et impérative de l?arrêt de la juridiction
supérieure, mais analyse et présente longuement, parfois
même en outrepassant la mesure, des difficultés pratiques
posées à l?administration de la justice dans l?hypothèse
où la jurisprudence du Conseil Privé serait
appliquée942. Le principe du Conseil provoquerait un
accroissement excessif de la durée du procès, voire un
désordre et chaos
936 «If they have not had the opportunity to carry out
this vital part of their function as judges of the facts, they are disqualified
from returning a verdict and any verdict they purport to return must be
quashed», ibid.
937 V. par exemple HC: 3 novembre 1936, Fulker c/ Fulker, All
ER, 1936, vol. 3, pp. 636 à 640, Sir Boyd Merriman rédacteur de
l'arrêt.
938 CJCP: 28 juin 1867, The Attorney-General of our Lady the
Queen for the Colony of the New South Wales c/ Henry Louis Bertrand,
cité note 404.
939 CSM: 24 juin 1985, Pierre S. André Sip Heng Wong Ng
c/ The Queen, Le Chef-Juge Moollan et le juge Forget rédacteurs de
l'arrêt. Ils y appliquent la jurisprudence de principe posée par
la Cour. V. CSM: 22 janiver 1980, Audibert c/ Raghoonundun, MR, 1980, pp. 7
à 11, le juge Moollan rédacteur de l'arrêt.
940 «Although it is a matter of regret that the two
magistrates who heard most of the evidence could not deliver the final
judgment, yet, at least one was present throughout», in CSM: 24 juin 1985,
Pierre S. André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note, 939.
941 Les Sages du Whitehall ont appliqué la même
exigence dans une affaire de la Jamaïque. V. CJCP: 20 juillet 1987,
Beswick c/ Regina, LRC, vol. criminal, pp. 6 à 10, Lord Griffiths
rédacteur de l'arrêt. Le Lord-Chancelier Mackay of Clashfern
faisait partie de la formation du jugement ayant prononcé cet
arrêt.
942 Les juges mauriciens invoquent l?éloignement
géographique des Lords et leur manque de connaissance des situations
locales. «Now, the delays inherent to our judicial process, for a number
of reasons which those who do not operate in Mauritian Courts are certainly not
aware of...», CSM: 23 novembre 1987, Samputh c/ Regina, LRC, 1988, vol.
criminal, pp. 11 à 17, le juge Glover rédacteur de l'arrêt,
v. p. 16.
administratif943. Aussi, les juges mauriciens
suggèrent que la Loi de 1945 ne devrait être
interprétée dans le sens indiqué par le Comité
Judiciaire944. Dans un autre cas945, les juges
opèrent une distinction entre le principe posé par les Lords dans
l?affaire Wong Ng et le problème du cas de l?espèce. Les juges
locaux distinguent les témoins qui à la fois déposent
à l?audience et sont contre- interrogés de ceux qui ne produisent
principalement qu?une affirmation écrite946 et qui ne sont
pas contre-interrogés ou pas contre-interrogés substantiellement
(not seriously cross-examined). S?agissant de ce dernier type de
témoins (formal witnesses), la Cour soutient que le magistrat
remplaçant (substitute magistrate) n?a pas l?obligation de les
entendre de nouveau et peut simplement prendre connaissance de leurs
déclarations écrites. Les juges locaux considèrent
irrégulièrement que dans le cas de l?affaire
Curpen947, les témoins entendus et contre-interrogés
par l?avocat du prévenu avant le changement de composition du tribunal
correctionnel tombaient dans la catégorie des témoins qui ne
déposent principalement que par écrit (formal
witnesses).
Le Comité Judiciaire948 rejette et la
classification manifestement erronée de la Cour
Suprême949, car les témoins en question ont bien
été contre-interrogés et ainsi ont déposé
oralement, et la distinction opérée par elle entre l?affaire
Curpen et Wong Ng. Le Comité Judiciaire consacre une conception
rigoureuse de l?unicité de la composition du tribunal. Le juge
britannique, conformément à la tradition de la Common Law,
attache aussi un facteur d?apparence à la justice exprimé dans
l?adage «il ne suffit pas que la justice soit rendue, mais encore faut-il
qu?elle soit apparente, que chacun puisse voir qu?elle soit
rendue»950. L?image de la justice, voire de la fiction qu?elle
englobe, doit être préservée. Si un magistrat statue sans
avoir entendu les témoins ayant déposé à la barre,
le
943 «... to start every single case partly heard by a
differently constituted Court, whatever the circumstances would be illogical,
would cause chaotic administrative problems and cause injustice in the sense
that the accused would not, at the end of the day, have had a fair trial within
a reasonable time», ibid., p. 13-14.
944 «With great respect, we venture to suggest that if a
certain interpretation of what the law is produces chaotic results, it may be
opportune to consider whether that interpretation is the correct one»,
ibid., p. 14.
945 CSM: 28 novembre 1987, Curpen c/ Regina, les juges Pillay et
Proag rédacteurs de l'arrêt.
946 Par exemple un agent de police judiciaire qui a mené
un interrogatoire et recueilli les déclarations de la personne
poursuivie et a donc dressé le procès-verbal de
l?interrogation.
947 CSM: 28 novembre 1987, Curpen c/ Regina, cité note
945.
948 CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1992, vol.
criminal, pp. 120 à 125, affaire de Maurice, Lord Goff of Chieveley
rédacteur de l'arrêt.
949 «Before their Lordships, Mr Ollivry submitted that
the reasoning of the Supreme Court was open to serious criticism... he directed
particular criticism to the treatment by the Supreme Court of the evidence
given on the 28 November 1985, which they dismissed as evidence of formal
witness who were not cross-examined at all or who were not seriously
cross-examined... Their Lordships are of opinion that Mr Ollivry?s criticism
are well-founded», ibid., p. 124-5.
950 «Justice must not only be done but also seen to be
done».
justiciable peut ne pas être convaincu que la justice
ait été réellement rendue951 même s?il a
été amplement démontré que le prévenu est
coupable d?avoir commis les faits incriminés.
Le Comité Judiciaire privilégie les
considérations de caractère organique au détriment du
critère fonctionnel, autrement dit, le procès juste sur la
politique répressive. Les deux juridictions ne favorisent les
mêmes valeurs.
La divergence de vue entre le juge du fond et le juge de
cassation est-elle patente en matière de présomption d?innocence
?
b. La présomption d'innocence
Un procès juste et équitable implique
également que les pouvoirs de l?autorité de poursuite soient
cantonnés et l?office du juge répressif soit
réglementé. L?individu traduit devant le tribunal doit
bénéficier d?une protection particulière: le droit au
respect de la présomption de son innocence952 jusqu?à
ce que sa culpabilité ait été établie par une
décision de justice953. Il doit exister un statut protecteur
de l?inculpé.
Le principe de la présomption d?innocence,
défendu par les philosophes des Lumières954, est
affirmé à peu près partout dans le monde955
même s?il n?est ni toujours exprimé dans les mêmes sources
du droit, ni de la même manière. A Maurice, l?article 10-2-a
dispose que «toute personne accusée d?une infraction pénale
est présumée innocente jusqu?à ce que sa
culpabilité ait été établie ou qu?elle ait
plaidé coupable». Cette disposition est sensiblement similaire
à l?article 6-2 de la Convention Européenne des Droits de l?Homme
qui se lit ainsi: «Toute personne accusée d?une infraction est
présumée innocente jusqu?à ce que sa culpabilité
ait été légalement établie». En
réalité, la version mauricienne est la transcription dans l?ordre
constitutionnel d?un principe de la Common Law exprimé dans le
célèbre arrêt Woolmington956 de 1935 dans lequel
Vicomte Sankey a magistralement indiqué que «dans la toile du droit
pénal anglais, un
951 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng
Wong Ng c/ The Queen, cité note 851. Lord Griffiths déduit dans
cette affaire que: «Whether or not justice was done in the present case,
it was certainly not seen to be done», p. 1360.
952 LOMBOIS Claude: «La présomption
d?innocence», Pouvoirs, 1990, n° 55, pp. 81 à 94.
953 Certains auteurs considèrent qu?en la Common Law,
la présomption d?innocence cesse avec la condamnation par le premier
juge alors qu?en droit français elle joue jusqu?à la condamnation
définitive. V. RASSAT Michèle Laure: «Procédure
pénale», PUF, Droit Fondamental, 1995, 2e édition, 861 p.,
v. p. 303.
954 V. article 9 de la Declaration Française des Droits
de l?Homme et du Citoyen du 26 août 1789.
955 PRADEL Jean: «Le droit pénal
comparé», Paris, Précis-Dalloz, 1995, 733 p., v. p. 379.
956 CL: 22 mai 1935, Woolmington c/ The Director of Public
Prosecutions, AC, 1935, pp. 462 à 483, Vicomte Sankey rédacteur
de l'arrêt principal.
fil d?or se voit toujours, c?est un devoir du poursuivant de
prouver la culpabilité de l?accusé»957. Ce
principe souffre d?un aménagement. Le juge prévoit que le moyen
de défense fondé sur l?aliénation mentale ou toute autre
exception prévue par la loi est à la charge de
l?accusé958.
D?un point de vue global, le principe de la présomption
d?innocence implique que la personne poursuivie n?a pas à faire la
preuve de son innocence. La preuve incombe au demandeur (actori incumbit
probatio) et la charge de la preuve (onus probandi) pèse
sur lui tout au long du procès. La personne poursuivie n?a pas à
répondre aux charges qui pèsent sur elle. En principe,
l?accusation doit établir l?élément matériel
(actus reus) et moral ou psychologique (mens rea) de
l?infraction. Le principe comporte une conséquence sur la prise de
décision. Il impose de faire bénéficier à la
personne poursuivie du doute sur la balance des preuves
pénales959. Cette règle du bénéfice du
doute qui profite à l?accusé ou le prévenu (in dubio
pro reo) impose, selon le cas, l?acquittement ou la relaxe de l?individu.
La condamnation ne peut survenir que lorsque la poursuite ait été
si persuasive qu?il ne reste plus aucun doute raisonnable (beyond
reasonable doubt).
Néanmoins, autant le principe de la présomption
d?innocence est universel, autant sa portée est relativisée. Il
existe à l?égard de certaines infractions minimes une sorte de
présomption de culpabilité sur l?élément moral en
droit français et anglais, parfois même de manière
identique, et l?on peut parler de véritables
correspondances960. La Cour Européenne des Droits de l?Homme
considère, dans l?arrêt Salabiaku, qu?il est conforme à la
Convention d?ériger en infraction un fait matériel
considéré en soi, qu?il précède ou non
957 «Throughout the web of the English criminal law, one
golden thread is always to be seen, that it is the duty of the prosecution to
prove the prisoner?s guilt», ibid., p. 481.
958 La Constitution mauricienne prévoit dans son
article 10-11-a de telles exceptions. V. CSM: 1 juillet 1993, Simandree c/ The
State, MR, 1993, pp. 333 à 334, le juge Pillay rédacteur de
l'arrêt. V. aussi à propos des Constitutions de Westminster CJCP:
29 juin 1994, Dean Edwardo Vasquez c/ The Queen, WLR, 1994, vol. 1, pp. 1304
à 1306, affaire de Bélize, Lord Jauncey of Tullichettle
rédacteur de l'arrêt.
959 CSM: 29 juin 1993, Callychurn c/ The State, MR, 1993, pp.
330 à 333, le juge Ahnee rédacteur de l'arrêt.
960 Par exemple, le fait de vivre avec une prostituée
et de ne pouvoir justifier de ses propres ressources constitue un cas de
proxénétisme. En France, ce délit est prévu
à l?article 255-6,3° du Code Pénal: «Est
assimilé au proxénétisme... le fait... de ne pouvoir
justifier de ses ressources correspondant à son train de vie tout en
vivant avec une personne qui se livre habituellement à la
prostitution». En Angleterre, l?article 30 de la Loi sur les infractions
contre les moeurs sexuelles de 1956 (Sexual offences Act 1956) dispose
également que: «... a man who lives with or is habitually in the
company of a prostitute... shall be presumed to be knowingly living on her
earnings of prostitution unless he proves the contrary». V. sur le sujet
ANDREWS John A. et HIRST Micheal: «Criminal Evidence», Londres, Sweet
and Maxwell, 1992, 696 p., v. «Statutory presumptions against the
accused», p. 110 et s.
d?une intention délictueuse961. Les
difficultés de preuves que pourrait parfois rencontrer le
ministère public incitent les juges à donner au prévenu un
rôle plus important dans sa défense.
Dans ce secteur, un point de vue commun unit la Cour
Suprême locale au Conseil Privé. En effet, la Cour de Maurice
attribue au principe de la présomption d?innocence une portée
similaire à celle de la jurisprudence anglaise962. Le
principe était respecté bien avant l?entrée en vigueur de
la Constitution de 1968 en vertu de l?application à Maurice du droit
britannique de la preuve. La Loi Fondamentale n?a que constitutionnalisé
les normes jurisprudentielles963. L?exception prévue par
l?article 10-11-a de la Constitution et qui attribue à l?accusé
le devoir de rapporter exceptionnellement la preuve de certains faits ne
renverse en aucun cas la charge, le fardeau même de la preuve qui
pèse sur le ministère public964. Ce ne sont que des
faits justificatifs d?exonération (law ful authority or excuse)
qui peuvent être à la charge du prévenu. Il est le seul
à avoir connaissance de ces faits et c?est ainsi qu?il lui appartient de
les rapporter. Par ailleurs, bien que la Constitution n?en fait pas mention, le
juge considère que le législateur peut établir des
présomptions de faits. Par un lien particulièrement
étroit, certains faits sont liés à des
infractions965. L?infraction est alors fondée sur la
vraisemblance. Cependant, poursuit le juge, ces exceptions ne renversent pas la
charge de la preuve, mais déterminent des circonstances exceptionnelles
dans lesquelles le procureur peut prouver plus facilement certains
éléments des délits ou contraventions966. Il ne
peut s?agir en aucun cas d?une présomption de
culpabilité967. Ainsi, une
961 Le Code des Douanes français crée une
présomption légale de responsabilité du détenteur
des marchandises de fraude. V. CEDH: 7 octobre 1988, Salabiaku c/ la France,
PCEDH, 1989, série A, vol. 141, 45 p. et JUNOSZA-ZDROJEWSKI: «La
présomption d?innocence contre la présomption de
culpabilité», Gaz.Pal, 1989, Chronique, pp. 308 à 309 et
VIRIOT-BARRIAL Dominique: «La preuve en droit douanier et la Convention
Européenne des Droits de l?Homme», RSC, 1994, pp. 537 à
547.
962 RAMSEWAK Doorgesh, QC: «Mauritian law, the
Constitution, its legal aspect and political philosophy», Port-Louis,
Proag Printing Ltd, 1991, 177 p., v. p. 65 et s.
963 CSM: 28 janvier 1972, Police c/ Moorbanoo, MR, 1972, le
juge Garrioch rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «But it
is no less known that in this country, as also in all those countries where the
English law of evidence has been and is still applied... that principle, in the
very form in which it is stated in our Constitution has been a cardinal and
most carefully guarded commandment of the criminal law», ibid., p. 24.
964 «To say that an accused party is to be presumed
innocent is really to say that the burden is on the prosecution to prove every
ingredient of the charge against him», ibid., p. 25.
965 «... certain facts will be prima facie evidence of
some other facts which it is incumbent on the prosecution to prove under
charge... In other words, the basic fact is of the kind that could according to
common experience reasonably warrant the inference of the other fact...»,
ibid., p. 26.
966 «It has for effect not to dispense the prosecution
with the onus of proving the elements of the offence charged but to determine
what evidence would in certain circumstances be sufficient to prove those
elements in the absence of proof to the contrary», ibid., p. 27.
967 «In my view a Statute is repugnant to the
Constitution not only when it casts on the accused the whole burden of proving
his innocence, but also when it provides that upon proof which is pima facie
innocent, and which is a common incident of daily life, it shall be for the
accused to prove that no crime was committed», CSM: 13 septembre 1973,
Velle Vidron c/ The Queen, MR,
Ordonnance mauricienne qui prévoit que la cassure des
scellés d?un compteur d?électricité fait présumer
que le client a frauduleusement soustrait et consommé de
l?énergie est contraire au principe car elle exige, au-delà de ce
qui est raisonnable, une participation du prévenu à l?effort
probatoire968.
La ligne jurisprudentielle adoptée par le Comité
Judiciaire en la matière est sensiblement similaire à celle de la
Cour de Maurice. Dans une affaire de Hongkong969, le juge londonien
a défini de manière générale le principe de la
présomption d?innocence et sa portée dans la famille juridique de
la Common Law.
Citant de prime abord les arrêts Woolmington de la
Chambre des Lords et Salabiaku de la Cour Européenne des Droits de
l?Homme précités, le Comité Judiciaire soutient que la
présomption d?innocence, comme tout principe constitutionnel, est
sujette à la flexibilité. Des aménagements peuvent y
être portés sans méconnaître l?essentiel du principe.
Des exceptions sont admissibles dès lors qu?il appartient toujours au
ministère public de prouver la culpabilité selon le niveau
(standard) requis, c'est-à-dire, au-delà des doutes, et
que l?exception est raisonnable970. L?exception sera d?autant plus
autorisée qu?elle est minime. Elle violerait, par contre, le principe si
elle fait présumer la commission de l?infraction pénale ou
attribue les diligences probatoires à la personne
poursuivie971. Le Comité Judiciaire soutient à juste
titre que s?il appartient à l?accusé de prouver son innocence, il
pourrait alors être condamné s?il subsiste un doute sur sa
culpabilité. Le bénéfice du doute profiterait alors
à la partie poursuivante au détriment de l?accusé.
L?adhésion de la Cour Suprême à la
jurisprudence britannique et londonienne sur la présomption d?innocence
n?a pas entraîné la sanction de ses
1973, pp. 245 à 255, les juges Garrioch et Rault
rédacteurs des arrêts concurrents, v. opinion du juge Rault
à la page 254. Il invoque à l?appui de son raisonnement la
jurisprudence CJCP: 26 mars 1936, Attygale c/ The King, AC, 1936, pp. 338
à 345, affaire de Ceylan, Lord-Chancelier Vicomte Hailsham
rédacteur de l'arrêt.
968 V. dans le même sens CSM: 9 mars 1965, Director of
Public Prosecutions c/ Labavarde, MR, 1965, pp. 72 à 76, le Chef-Juge
Sir Rampersad Neerunjun rédacteur de l'arrêt.
969 CJCP: 19 mai 1993, Attorney-General c/ Lee Kwong-Kut, WLR,
1993, vol. 3, pp. 329 à 346, affaire de Hongkong, Lord Woolf
rédacteur de l'arrêt.
970 «Some exceptions will be justifiable, others will
not. Whether they are justifiable will in the end depend upon whether it
remains primarily the responsibility of the prosecution to prove the guilt of
an accused to the required standard and whether the exception is reasonably
imposed...», ibid., p. 341.
971 «The less significant the departure from the normal
principle, the simpler it will be to justify an exception. If the prosecution
retains responsibility for proving the essentials ingredients of the offence,
the less likely it is that an exception will be regarded as unacceptable... If
the exception requires certain matters to be presumed until the contrary is
shown, then it will be difficult to justify that presumption...», ibid.
décisions par le Comité Judiciaire. La
présomption d?innocence n?est pas un droit nouveau. Elle fait partie
d?une longue tradition.
Par contre, la démarche de la Cour Suprême est
différente sur le droit d?être jugé dans un délai
raisonnable, droit plus récent.
B. Le droit d'être jugé dans un
délai raisonnable
La Constitution mauricienne pose le principe visant à
ce que la justice ne soit pas rendue avec un retard qui compromettrait son
efficacité, sa crédibilité et surtout les droits de la
défense. La notion de «procès équitable dans un
délai raisonnable» a été diversement
interprétée et appliquée par la Cour locale et le Conseil
Privé.
Deux séries de questions ont été
formulées, d?abord à propos de la computation du délai (a)
et ensuite du caractère raisonnable du délai (b).
a. La computation du délai au déclenchement des
poursuites
Est-ce que le délai raisonnable pour être
jugé commence à courir au jour de la commission de l?acte
délictueux ou criminel ou au jour de la mise en examen de
l?inculpé, du déclenchement des poursuites ?
L?article 10-1 de la Constitution mauricienne dispose que
«toute personne accusée d?avoir commis une infraction (charged
with a criminal offence)... a droit à un procès juste et
équitable tenu dans un délai raisonnable». La Cour locale,
dans l?affaire Police c/ Labat972, interprète de
manière littérale et stricte les dispositions de l?article
précité. Elle considère que le point de départ du
délai (dies a quo) ne survient pas au moment de la commission
des faits, c'est-à-dire, avant la saisine du tribunal973 par
le ministère public lors de l?arrestation de l?auteur suspecté de
l?infraction. Toutefois, les juges Latour-Adrien et Garrioch estiment que le
délai écoulé avant la saisine de la juridiction du
jugement, pourrait, s?il est excessif, selon le cas de l?espèce,
affecter le caractère équitable du procès. Le juge du
premier degré, chargé de veiller à la loyauté du
procès, a éventuellement le devoir de déclarer
irrecevables les poursuites si elles
972 CSM: 19 novembre 1970, Police c/ Labat, MR, 1970, pp. 214
à 234, le Chef-Juge Latour-Adrien rédacteur de l'arrêt
majoritaire et le juge Ramphul rédacteur de l'arrêt d?une opinion
concurrente.
973 «The expression «reasonable time» has thus no
relation in the section to the time elapsed before the preferment of the
information», ibid., p. 221.
paraissent contraires à
l?équité974 dans des cas exceptionnels. Autrement dit,
les juges Latour-Adrien et Garrioch soutiennent l?existence d?un principe
éteignant l?action publique pour cause de prescription. Par contre le
juge Ramphul, rédacteur d?une opinion concurrente dans l?arrêt
précité, dénie l?existence de l?institution de la
prescription et l?exigence de toute
célérité975.
Dans un arrêt plus récent976, la Cour
Suprême, en approuvant le juge Ramphul, manifeste une virulente
opposition à l?extinction de l?action publique par la
prescription977. Les faits de l?affaire méritent d?être
soulignés afin que la position de la Cour Suprême soit mieux
analysée. Sir Gaétan Duval est arrêté sous le chef
d?accusation d?avoir été l?instigateur d?un assassinat commis
dix- huit ans auparavant. Dans un recours à la Cour Suprême pour
garantir ses droits constitutionnels (constitutional redress) il
invoque la nécessaire prescription du crime car s?il est traduit devant
la formation d?assises de la Cour, le procès ne serait pas juste et
équitable. Il subirait des préjudices dans la préparation
de sa défense. Certains de ses témoins sont
décédés et d?autres ne mémorisent plus les faits.
Le risque d?une erreur judiciaire est grande. La Cour Suprême marque son
désaccord à ces arguments978. La Constitution
mauricienne ne garantit, selon elle, que la célérité du
procès. Elle soutient, à tort, que le droit mauricien, comme
celui de l?Angleterre979 ne pose aucun délai à
l?exercice
974 «It seems, however, that undue delay in the
institution of proceedings against the accused party may be a factor, viewed in
the context of the particular circumstances of each case, which a court of
trial is entitled to take into account when considering whether the delay has
not had for effect to prevent the accused from having a fair trial, a result
which is incumbent on the court of trial to ensure. If, therefore, a court of
trial comes to the conclusion that delay in preferring a charge against a
person has made it impossible for him to be fairly tried, the court of trial,
it seems to us, would be entitled to dismiss the information», ibid.
975 «There is no duty cast on the Director of Public
Prosecutions or any other person or authority to prosecute within a reasonable
time a person arrested on a criminal charge and subsequently released on
bail», ibid., p. 232.
976 CSM: 20 octobre 1989, Duval c/ District Magistrate of
Flacq (N° 1), LRC, 1990, vol. constitutional, pp. 570 à 577, les
juges Glover et Yeung Sik Yuen rédacteurs de l'arrêt.
977 Dans un deuxième recours à la Cour
Suprême, constituée différemment, celle-ci approuve la
première décision. V. CSM: 5 juin 1990, Duval c/ District
Magistrate of Flacq (N° 2), LRC, 1990, vol. criminal, pp. 245 à
251, les juges Lallah et Pillay rédacteurs de l'arrêt.
978 V. également dans le sens des arrêts
précités, CSM: 24 novembre 1992, Lutchmeeparsad c/ The State, MR,
1992, pp. 271 à 281, le Chef-Juge Glover rédacteur de
l'arrêt majoritaire. Le juge Ahnee, auteur d?une opinion dissidente,
tranche le cas de l?espèce dans le sens indiqué par le Conseil
Privé. V. ibid., p. 279 à 281.
979 En Angleterre, les infractions légères
(summary offences) sont systématiquement prescrites au bout de
six mois. D?autres lois particulières prévoient un obstacle
à la poursuite, même parfois pour des infractions graves. V.
EMMINS Christopher J.: «A practical approach to criminal procedure»,
Londres, Blackstone Press Limited, 1990, 4e édition, 500 p., v. p. 20 et
s.
Aussi, la juridiction du fond (trial court) dispose
d?un pouvoir général aux fins de déclarer irrecevables les
poursuites lorsqu?elle estime que celles-ci seraient contraires à
l?équité ou seraient déloyales. V. DELMAS-MARTY Mireille
(dir): «Procédures pénales d?Europe», PUF,
Thémis, 1995, 638 p., v. p. 169 et CHOO Andrew L. T.: «Halting the
criminal prosecutions: the abuse of process doctrine revisited», CLR,
1995, pp. 864 à 874.
de l?action publique980. Elle fait valoir que la
préscription nuit au devoir de la société de faire
justice.
Le Comité Judiciaire, conformément à sa
politique libérale et progressiste, récuse une telle
interprétation stricte de l?article 10-1 de la Constitution de Maurice
et rétablit le raisonnement qui convient. Que la formule de l?article
10-1 soit maladroite est évident puisque prise à la lettre elle
ne devrait avoir qu?une portée réduite à laquelle le juge
de la Downing Street ne s?est pas résigné981. Il
étend considérablement la portée de la norme. Il lui donne
un sens autonome. Dans l?affaire Mungroo982, Lord Templeman
déclare que l?article 10-1 de la Constitution protège en premier
lieu la partie poursuivie contre tout préjudice qu?elle pourrait subir
dans sa défense à cause des faits de retard983.
Poursuivant son analyse, le juge londonien rejette intégralement la
thèse de la Cour Suprême soutenue dans l?affaire Police c/ Labat
précitée. Ils considèrent que l?article 10-1 englobe tout
retard, donc aussi celui qui court à partir de la commission de
l?infraction. Poursuivre quelqu?un pour une infraction très ancienne
dont les preuves ont disparu ou sont devenues incertaines est contraire au
principe d?équité984. Pour éviter l?erreur
judiciaire et dans l?intérêt même de la justice
répressive, il convient de renoncer à l?action publique.
Ainsi, le juge londonien inclut dans la Constitution de
Maurice la théorie anglaise de l?abus de procès (abuse of
process) qui permet à l?accusé de se protéger contre
les atteintes à l?établissement de sa
défense985. En réalité, il traduit
juridiquement le vieil adage lapidaire «justice rétive, justice
fautive» (justice delayed, justice denied). Le juge britannique
s?est toujours attribué le pouvoir d?annuler tout procès dans
lequel la défense est défavorisée (is
980 «Our law like the law in England, does not set, as a
general rule, any limit for a criminal prosecution to be stated», CSM: 20
octobre 1989, Duval c/ District Magistrate of Flacq (N° 1), cité
note 976, v. p. 573.
981 En revanche, si la Loi prévoit un délai de
prescription court (de douze mois pour exportation illicite de devises), il
advient que le juge londonien renferme l?application de la prescription
strictement dans les termes de la Loi. V. CJCP: 17 décembre 1992,
Goinsamy Chinien c/ The State, cité note 869.
982 CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/ Regina, LRC, 1992, vol.
constitutional, pp. 591 à 595, affaire de Maurice, Lord Templeman
rédacteur de l'arrêt (également publié in JCL, 1992,
pp. 168 à 171).
983 «The right to a trial «within a reasonable time
secures, first, that the accused is not prejudiced in his defence by
delay...», ibid., p. 592.
984 Indeed, it may be that in some cases, in considering
whether a reasonable time has elapsed before the conclusion of a hearing of
criminal proceedings, it would be proper to take into account the period before
the accused was arrested. For present purposes it is sufficient to say that the
decision in Police c/ Labat... can no longer be relied upon in any
respect», p. 594.
985 HC: 31 juillet 1984, R c/ Derby Crown Court, ex parte Brooks,
CAR, 1985, vol. 80, pp. 164 à 169, Sir Roger Omrod rédacteur de
l'arrêt.
prejudiced), notamment à cause des faits de
retard986 au cours du déroulement du procès
pénal.
Depuis 1993, le juge mauricien s?est rallié à la
jurisprudence londonienne987 pour ne pas courir le risque d?une
sanction.
986 CA: 13 avril 1992, Attorney-General?s reference (N° 1
of 1990), QBD, 1992, vol. 1, pp. 630 à 644, le Lord-Chef-Juge Lane
rédacteur de l?avis. Il soutient que: «There is no statutory
limitation period for criminal proceedings such as those in the instant case.
The court is not however powerless to regulate its own proceedings in this
area... there must be a residual discretion to prevent anything which savours
of abuse of process», ibid., p. 640-1.
987 CSM: 2 novembre 1993, Dahal c/ The State, MR, 1993, pp. 220
à 225, le Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt.
b. La durée du procès pénal
La Constitution mauricienne garantit expressément la
célérité du procès pénal. Une fois que le
ministère public déclenche les poursuites à l?égard
d?une personne, celle-ci a droit d?être jugée dans un délai
raisonnable. La Haute Juridiction londonienne988 considère
que le principe est fondé, non seulement sur le besoin de ne pas
défavoriser la défense, mais également sur la
nécessité de protéger psychologiquement la personne
poursuivie. Considérée comme innocente jusqu?à preuve du
contraire par un tribunal, elle ne doit vivre dans l?inquiétude et
l?angoisse que pour une période la plus courte possible989.
Le juge londonien marque son souci de préserver la liberté
individuelle sur le plan psychologique et de limiter, dans la mesure du
possible, les contraintes abusives du procès. La Haute Juridiction opte
pour la conception la plus libérale en matière de protection
contre la durée excessive du procès.
Poursuivant cette logique, le Conseil Privé s?efforce
d?aligner sa jurisprudence en la matière sur des modèles
(standards) internationaux. Le Comité Judiciaire épouse
une conception universelle de la garantie procédurale. Il ne
réduit pas son analyse de l?article constitutionnel à son simple
énoncé mais le considère comme un principe universel
proclamé dans d?autres pays. Les Sages du Whitehall se démarquent
des juges mauriciens qui cherchent, dans bien des cas, à distinguer les
articles correspondants des autres pays du texte constitutionnel mauricien.
Leur démarche est de type privatiste et syntaxique. Le Comité
Judiciaire pratique la comparaison alors que la Cour mauricienne se livre dans
certains cas à la distinction. Ainsi, le Comité Judiciaire
soutient que l?article 10-1 de la Constitution mauricienne est identique
(indistinguishable) à l?article correspondant de la
Constitution de la Jamaïque qu?il a interprété et
appliqué dans l?arrêt Bell990. Dans cette affaire, Lord
Templeman transpose en totalité une jurisprudence de la Cour
Suprême des Etats-Unis d?Amérique991 sur le droit
constitutionnel à un procès rapide (right to a speedy
trial)992. Le juge
988 Le moyen tiré d?une durée excessive est
opérant sur un pourvoi au Comité Judiciaire. Il semble que le
même moyen n?est pas une cause de nullité de la décision
des juges du fond à la Cour de Cassation française. V. C.Cas: 3
février 1993, Kemmoche Michel c/ Cour d?Assises du Var, Bull, crim,
1993, pp. 132 à 137, n° 57.
989 «The right to a trial «within a reasonable
time» secures... that the period during which an innocent person is under
suspicion and any accused suffers from uncertainty and anxiety is kept to a
minimum», CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/ Regina, cité note 982,
v. p. 592.
990 CJCP: 30 avril 1985, Herbert Bell c/ Director of Public
Prosecutions, cité note 756.
991 CSEUA: 23 juin 1972, Baker c/ Wingo, Warden, US, 1972,
vol. 407, 3e partie, pp. 514 à 538, le juge Powell rédacteur de
l'arrêt.
992 «Their Lordships acknowledge the relevance and
importance of the four factors lucidly expanded and comprehensively discussed
in Baker v. Bingo. Their Lordships also acknowledge the desirability
of applying the same or similar criteria to any Constitution, written or
unwritten, which protects an accused from oppression by delay in criminal
proceedings», CJCP: 30 avril 1985, Herbert Bell c/ Director of Public
Prosecutions, cité note 756, v. p. 81.
américain a posé quatre critères
d?appréciation de la notion du délai, pratiquement similaires
à ceux retenus par la Cour Européenne des Droits de
l?Homme993. D?abord le délai doit s?apprécier suivant
la complexité de l?affaire en question994. La
complexité inclut plusieurs données, de fait ou de droit,
considérées globalement. Les comportements des autorités
compétentes doivent entrer en ligne de compte pour déterminer les
lenteurs imputables à l?Etat. Etant entendu, souligne le juge, que les
problèmes d?administration de la justice, de dysfonctionnement,
d?engouement des cours relèvent de la responsabilité de l?Etat et
non de la personne poursuivie995. Ensuite, le juge doit peser la
force de la revendication par la personne poursuivie de son droit à un
procès rapide car plus elle se sentira privée de ce droit, plus
elle l?invoquera. Enfin, le juge doit apprécier le préjudice subi
par l?intéressé en prenant en considération la
durée de la détention provisoire, les troubles psychologiques
subis et les atteintes aux droits de la défense.
Par ailleurs, le Comité Judiciaire a renforcé au
fil des arrêts, la garantie contre la lenteur juridictionnelle en
créant une sorte de présomption de préjudice subi par
l?accusé. Plus la lenteur est considérable, plus elle sera
imputée au ministère public et plus elle sera
considérée comme ayant désavantagé
l?accusé996. Il déduit que la présomption fait
peser sur l?autorité poursuivante la charge de démontrer que la
lenteur n?est pas imputable à l?Etat, à la justice et qu?elle
résulte par contre du caractère délicat et complexe de
l?affaire ou de l?attitude abusive ou dilatoire du
justiciable997.
La justice prend une nouvelle dimension avec la jurisprudence
du Conseil Privé. Elle n?est pas réduite au simple fait de
trancher des litiges mais obéit à une éthique.
993 CEDH: 31 mars 1992, X c/ France, PCEDH, 1992, série A,
vol. 234, pp. 77 à 104.
994 Sur l?appréciation de ce critère v. CJCP: 26
mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743.
995 Le juge du Whitehall précise toutefois, que pour
apprécier les faits de retard, il faudrait prendre en compte le
système de fonctionnement des organes de justice et la situation
économique propre à chaque pays du Commonwealth. V. CJCP: 11
novembre 1991, Mungroo c/ Regina, cité note 982, v. p. 594.
996 «Normally, the longer the delay the more likely it
will be that the prosecution is at fault, and that the delay has caused
prejudiced to the defendant, and the less that the prosecution has to offer by
explanation, the more easily can fault be inferred», CJCP: 29 juin 1992,
George Tan Soon Gin c/ Judge Cameron, AC, 1992, vol. 2, pp. 205 à 228,
affaire de Hongkong, Lord Mustill rédacteur de l'arrêt, v. p.
225.
997 «Their Lordships consider that, in any future case in
which excessive delay is alleged, the prosecution should place before the court
an affidavit which sets out the history of the case and the reasons (if any)
for the relevant periods of delay», CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/
Regina, cité note 982, v. p. 595. V. également CJCP: 29 mars
1993, Attorney-General c/ Charles Cheung Wai-bun, cité note 414.
Sous le bénéfice de cette conception de la justice,
les droits de la défense gagnent en importance.
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