III.2. Le reflet de la vie dans l'art.
Lors de la représentation de la Pantomime, Le
Palais des Mirages ou L'Amoureux de la Lune, le chef d'orchestre, qui
apparaît en bas de l'écran avec une partie de ses musiciens, casse
un peu l'illusion du spectacle, et nous ramène à la
réalité de la technique. Il agite sa baguette au gré des
émotions du mime. A la représentation de l'Auberge des
Adrets, le chef d'orchestre n'hésite pas à jouer en boucle
le passage musical pathétique de la scène finale, s'adaptant aux
improvisations de Frédérick Lemaître. Contre
l'avant-scène, attentif au jeu des acteurs, il nous rappelle à
quel point le théâtre est lié à la vie et qu'il a
besoin de s'en nourrir
constamment pour exister. Les spectacles illustrent ce que les
comédiens vivent dans leur vie.
a) Les acteurs jouent sur scène ce qu'ils vivent.
Garance s'isole dans son reflet.
Garance apparaît dès le quatrième plan,
dans une baraque de Foire. Son numéro, La Vérité nue,
la montre comme un objet de convoitise, inaccessible.
Le miroir qu'elle tient dans sa main, lui renvoie le reflet de
son image. Il traduit son indifférence aux regards que les hommes
portent sur elle et son désir de s'en éloigner. Nue, dans un
tonneau rempli d'eau qui tourne sur lui-même, son image fait écran
à celle des hommes et de leurs désirs. Selon Geneviève
Sellier : Le miroir associé à Garance reparaîtra chaque
fois que Garance est avec un homme qui l'importune. Dans sa loge, aux
Funambules, elle fait face à son miroir quand Frédérick
essaie de lui parler. Lasse, elle explique à son amant qu'il n'y a pas
d'amour entre eux. Nous ne nous aimons pas. Ce n'est pas de notre
faute...
Dans l'hôtel particulier du comte, Garance, face
à sa coiffeuse, n'a aucun regard vers Edouard de Montray qui vient
pourtant d'entrer avec sa permission. Elle reste rivée sur
l'énorme miroir de sa coiffeuse.
Une déesse, un Pierrot enfantin, un arlequin
séducteur.
Le Palais des Mirages met en scène la
situation que les comédiens vivent dans la réalité de la
fiction. Garance, statue de déesse chasseresse, drapée de blanc,
se tient debout sur un socle au beau milieu d'un jardin public. La froideur
évoquée par la statue nous rappelle que la beauté de
Garance fait d'elle un objet de convoitise que le comte de Montray veut
posséder. Nous le voyons dans la salle. Il la regarde, mais elle ne le
voit pas. Elle ne le verra pas plus quand celui-ci deviendra son protecteur.
Baptiste en Pierrot, entre côté cour avec un filet à
papillons, précédé par une ribambelle d'enfants. Un plan
nous montre sur Fil de Soie dans le public. Il hurle son prénom et nous
informe que pour tout le monde Baptiste et Pierrot ne font qu'un. C'est un
enfant qui s'adonne à un jeu d'enfant. En découvrant la statue
représentée par Garance, cet homme aux comportements enfantins,
découvre l'amour. Il veut lui offrir des fleurs, mais la statue ne les
prend pas. A-t'il su trouver les bons mots, ceux qui plaisent à une
femme ? On le voit qui entre dans des grandes déclarations, en
écartant les bras, agenouillé aux pieds de la statue, alors que
pour Garance : C'est si simple l'amour. Dans le fond, cet homme/enfant
at'il vraiment envie d'une relation homme/femme ? N'a-t'il pas plus envie
d'idéaliser l'image de l'amour ? Cela expliquerait
que la statue reste statue devant un enfant qui doit faire sa
sieste de l'après-midi et qui s'endort à ses pieds, comme un
bienheureux. Fatigué, il s'endort sur le banc avec ses fleurs. Lors de
leur première rencontre, Baptiste ne comprend pas que Garance
enveloppée d'une grande couverture telle sur une peinture d'Ingres,
l'invite à passer la nuit avec elle. Il la laisse seule. C'est avec
Frédérick qu'elle continuera la nuit représentée
par le sommeil parce que lui saura comprendre l'invitation de la jeune femme et
la devancer. La musique lente et douce d'une berceuse, qui accompagne le jeu de
Pierrot, change radicalement à l'entrée en scène
d'Arlequin/Frédérick. Elle est plus rythmée et festive.
Arlequin, tenant sa mandoline à la main, joue sa propre musique. Il est
ancré dans la réalité. Il sait exister auprès de la
statue et la faire fondre alors que, comme dira plus tard Lacenaire, Baptiste
donne l'impression d'un courant d'air, aussi léger que le vent.
Frédérick /Arlequin, s'empare des fleurs de Pierrot pendant son
sommeil et part avec l'être aimé, qui accepte enfin de descendre
de son socle. Quand Pierrot se réveille, encore tout
imprégné de ses rêves, la belle a mis les voiles. Baptiste
trop accroché à ses rêves, a du mal à avoir de
l'emprise sur la réalité qui lui échappe. Pierrot la lune,
face lumineuse, face sombre comme le costume que l'artiste porte quand il ne
joue pas. Il laisse s'échapper Garance parce qu'il ne sait pas la
cueillir.
Il débute le second acte dans la tristesse et la
mélancolie. Sa joie revient quand il voit passer l'objet de ses
rêves, au loin dans une barque conduite par Arlequin. Elle ne voit
personne, même pas Arlequin. Garance, lasse de sa relation avec
Frédérick, se plante devant le miroir de sa loge. C'est Nathalie
qui aura raison de Pierrot/Baptiste. En colombine, elle le surprend dans sa
tristesse lugubre, le déride un peu, l'empêche de se pendre avec
sa corde. Elle en fait une corde à linge dont Pierrot tient
l'extrémité. Pierrot attaché à son rêve
d'amour échu dont il ne pouvait se défaire, est accroché
à la vie conjugale avec Nathalie. Mais Pierrot n'est pas amoureux
d'elle. Il a toujours la déesse en tête. Nathalie, possessive, aux
sentiments exacerbés s'en aperçoit. Pierrot regarde en coulisses
et voit Garance et Frédérick Lemaitre avoir un comportement
d'amoureux, une profonde expression de désespoir se lit sur son visage.
Nathalie pousse un cri pendant la pantomime et raccroche Pierrot à sa
corde à linge, comme elle viendra le rechercher, à la fin du
film, au Grand- Relais, malgré la présence de Garance.
Arlequin représente bien le caractère toujours
jovial de Frédérick, aimant s'amuser et faire la fête.
C'est la jalousie qu'il ressent quelques années plus tard, en retrouvant
par hasard Garance aux Funambules, venue pour secrètement applaudir
Baptiste qu'elle aime, qui lui donnera
la profondeur nécessaire pour interpréter le
personnage d' Othello.
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