Farida Amiour
Mail : amiour.farida@wanadoo.fr
UNIVERSITE PARIS DENIS DIDEROT
UFR DE PSYCHOLOGIE
MEMOIRE DE MASTER 1ère ANNEE
Le corps mis en scène dans une médiation
théâtrale
« Dans l'Arène : Scène de vie
et de mort »
(Tableau de Francis Bacon : Henrietta )
DIRECTEUR DE MEMOIRE : Madame Céline Masson (MC)
CO-JURY: Monsieur Patrick Guyomard
ANNEE UNIVERSITAIRE 2007/2008
SOMMAIRE
Remerciements
...............................................................p.3
Introduction...................................................................p.4
Problématique.................................................................p.6
I)
Présentation.................................................................p.8
1.1) Cas Clinique : Martine : le jour et la
nuit........................p.8
1.2) L'Atelier théâtre : Martine en
scène...............................p.12
-1.2.1 Déroulement d'une
séance et description du cadre................p.12
-1.2.2 Atelier théâtre :
médiation et
groupalité...............................p.15
-1.2.3 Processus de création dans ce temps
d'expression.................p.17
-1.2.4 Le soin dans l'avant et l'après
coup.....................................p.20
-1.2.5 La question du transfert de la place du
thérapeute..................p.24
II) Réflexions théoriques sur
Martine...............................p.26
2.1) « Voyage dans la crypte
maternelle »..................................p.26
-2.1.1 Adolescence et
puberté..........................................................p.26
-2.1.2 Le corps : Mue, fonction et
place.............................................p.28
-2.1.3 Anorexie et automutilations: mise à
l'épreuve du féminin chez Martine.......p.32
2.2) Eros et Thanatos :
« Attraper quelque chose du vivant chez
Martine »............................................................................................p.37
-2.2.1) Pulsion de vie et de mort : « Que
se passe t-il dans la salle des
machines » ?.......................................................................................................................p.37
-2.2.2) La dimension masochique
chez Martine..............................................p.42
III) Discussion et analyse autour de la
problématique : Mise en
scène..................................................................................p.47
3.1) De quelle scène de la vie psychique
s'agit-il ?...............................................p.47
3.1.1) Scène de jouissance
masochique?...................................................................p.47
3.1.2) Scène de
désir ?...............................................................................................p.51
Conclusion.............................................................................p.53
Bibliographie...........................................................................p.54
Remerciements : (Par ordre alphabétique)
A Annick Bernabéo
(Infirmière au CHRS de la Poterne des peupliers) pour sa relecture
attentive et son soutien.
A Maurice Corcos (psychiatre et chef
de service à l'Institut Mutualiste Montsouris département de
psychiatrie de l'adolescent et de l'adulte jeune. Service du Pr Maurice Corcos)
pour ses encouragements et son soutien dans mon projet professionnel.
A Corinne Dugré Lebigre
(psychologue à l'Institut Mutualiste Montsouris département de
psychiatrie de l'adolescent et de l'adulte jeune. Service du Pr Maurice Corcos)
pour son amical soutien et ses encouragements.
A Eric Flaig (Psychologue et
psychanalyste à l'Institut Mutualiste Montsouris département de
psychiatrie de l'adolescent et de l'adulte jeune. Service du Pr Maurice Corcos)
pour cette magnifique expérience partagée ensemble lors des
ateliers théâtre.
A Patrick Guyomard (Psychologue,
Psychanalyste et Professeur en psychologie Paris7) d'avoir accepté
d'être co-jury
A Madame Céline Masson
(Psychologue, psychanalyste et Maître de conférences Paris 7) pour
ses conseils et son enthousiasme contagieux et sa
générosité.
A Bernard Richard (chef de service
à l'unité d'urgences à l'Institut Mutualiste Montsouris
département de psychiatrie de l'adolescent et de l'adulte jeune. Service
du Pr Maurice Corcos) pour ces conseils bibliographiques et l'expérience
professionnelle dans son unité.
Aux patients qui ont forgé
mon expérience et accompagnent mes réflexions.
A mes amis : Donata M, Annick B
et Pierre Samuel B, Audrey N et Jean D, Evelyne C, Josiane C-S, Céline
T, Nathalie D, Christophe S, Vanessa B, Sandrine L.
A Simone ma tendre
grand-mère, pour sa présence et son affection...
Introduction
Avant la naissance de la psychanalyse, l'adolescent
était et devenait ce que la société attendait de lui (vie
de famille, travail). Il s'affranchissait de son enfance en remplissant ces
critères sociaux bien précis.
L'adolescence est une période charnière dans
l'existence d'un individu. Cette période impose des bouleversements
physiques et psychiques importants et brusques. La notion de
puberté : « phase génitale »
viendra au milieu de 20ème siècle avec les travaux de
S.Freud. Celui-ci ne s'est pas attardé sur l'aspect temporel de
l'adolescence mais sur l'éveil de la sexualité
génitalisée.
C'est dans cette métamorphose incontrôlable que
l'adolescent tente de reprendre une certaine maîtrise en s'affichant dans
une filiation, dans un groupe, en se mettant en scène avec le
désir paradoxale d'une reconnaissance de sa singularité.
Le corps devient le siège de ses affects et de ses
revendications et le place en coeur de sensations nouvelles, il est ce que
l'adolescent donne à voir mais aussi ce qu'il tente de cacher,
d'enfouir.
Ce « cacher-montrer » est sans doute une
façon de lutter activement contre ce sentiment d'étrangeté
imposé par la puberté, mais peut-être aussi dans une
tentative de créer du lien avec ce qui l'entoure, l'autre.
Martine est une jeune femme à la lisière de la
vie adulte sortant de la période de l'adolescence. Période si
charnière charriant avec elle un cortège de bouleversements
psychiques et physiques où les représentations corporelles sont
sérieusement remaniées.
Ce travail comportera trois parties. C'est à partir de
la situation clinique de Martine (jeune patiente hospitalisée pour
anorexie mentale), que je tenterai de dégager des éléments
pouvant m'aider à répondre aux hypothèses posées
qui suivent :
-Dans quelle mesure, un espace de médiation
théâtrale, faisant intervenir le jeu, peut-il relancer une
dynamique de subjectivation ?
-Dans le cadre d'une médiation thérapeutique
chez une adolescente anorexique impliquant le jeu, quels sont les
mécanismes psychiques sollicités ?
-La médiation thérapeutique
théâtrale, que vient-elle mettre à jour du
côté du corps, c'est-à-dire de la pulsion à
l'état de l'irreprésentable ?
Pour ce faire, ce travail invite le lecteur à
découvrir Martine avant de se glisser au coeur d'une séance
d'atelier théâtre en abordant les phénomènes de
groupe. Le groupe, n'aurait-il pas une fonction narcissique, par le regard,
pour Martine. La façon dont Martine investit le groupe est
particulière dans ce qu'elle va convoquer chez l'autre ; le lien
qu'elle établit est tiraillé par des moments de fusion, de
proximité avec l'autre et des moments d'éloignement, de distance
voire de « disparition ».
Il s'agit de voir ce que permet cet atelier au niveau du
processus de création. Cette médiation thérapeutique est
abordée en ce qu'elle contient du côté du soin, dans
l'avant et l'après coup et par là même ce qui se passe au
niveau du transfert.
La seconde partie reprendra les points forts de la clinique
sous l'axe théorique de l'adolescence et du corps. Martine force
à réfléchir sur le corps en tant que langage et vecteur de
ses affects et en tant corps désirant, animé par la pulsion, le
désir et/ou la jouissance en situation de représentation
théâtrale.
Les troubles psychopathologiques de Martine (anorexie et
automutilation), seront revus sous le spectre de l'adolescence, ceci afin de
mieux se situer par rapport à cette jeune patiente. Toujours dans cette
partie, ce travail propose de se pencher sur le pulsionnel chez elle, dans la
mesure où cet atelier le sollicite autrement.
La troisième partie est la discussion, qui au regard
des éléments traités, pourrait apporter des
éléments de réponses aux hypothèses posées.
Par la manière dont Martine se met en scène, une discussion sera
proposée autour de ce qui vient se rejouer sur la scène
théâtrale. Il s'agit de réfléchir sur quel type de
scène psychique viendrait se réactualiser en essayant de
percevoir ce qui émerge : soit quelque chose du côté
de la jouissance masochique ou quelque chose du côté du
désir ?
Problématique :
« Qu'est ce qui émerge du patient en
situation de création (Quels contenus émergent en terme de
fantasmes, d'expression d'une scène psychique inconsciente et au niveau
d'un transfert) plus particulièrement de mise en scène
théâtrale » ?
-Thématique
« Le corps adolescent mis en scène dans un groupe
thérapeutique, un atelier théâtre ».
Motivation de la recherche : Avant
d'entreprendre des études de psychologie, j'ai travaillé en tant
qu'infirmière dans des structures prenant en charge des adolescents
souffrant de pathologies psychiatriques.
Mon expérience de quelques années de
théâtre à titre personnel et la manière dont les
adolescents se mettaient en scène dans le groupe, m'ont conduite
à m'impliquer dans une médiation par le théâtre.
Le cadre de ce travail est un lieu
d'hospitalisation pour adolescents souffrant de trouble du comportement
(pathologie de l'agir, trouble du comportement alimentaire et
problématique psychotiques). Ce service de soin s'incorpore dans un
dispositif comprenant une activité de consultation, d'un hôpital
de jour avec son CATTP1(*)
et d'une activité de recherche.
Le travail des équipes est axé sur la
réflexion institutionnelle (par les synthèses hebdomadaires) et
les activités dites : médiations thérapeutiques.
La population: Les adolescents
hospitalisés dans les unités ont à faire avec une
donnée supplémentaire venant compliquer le franchissement de la
puberté : la pathologie psychiatrique.
En effet, cette donnée supplémentaire
crée un biais dans les perceptions corporelles. Pour les uns, le corps
s'inscrit dans un vécu délirant (difracté,
morcelé), pour les autres il est pris dans une perception
mélancolique. Ce corps devient ce que la pathologie psychiatrique veut
bien qu'il soit !
Dans ce conglomérat de perceptions dictées par
la pathologie, comment le corps peut-il être pensé et investi par
le sujet lui-même ?
Comment organiser et faire émerger une pensée
prenant le corps comme vecteur des émois les plus profonds ?
La médiation théâtrale:
Dans cette structure la place de la médiation est importante par son
intérêt à proposer une rencontre avec un tiers. Ce temps de
médiation ouvre aussi un espace temporel dans un temps habituellement en
crise. La médiation par le théâtre est une proposition
thérapeutique innovante, dans un lieu de crise, qui utilise le principe
du jeu et de la représentation à des fins d'entretenir, de
ranimer un fonctionnement d'une dynamique propre à l'appareil psychique.
Cette médiation fait intervenir l'autre, offrant l'occasion d'une
rencontre d'un tier (rencontre entre le sujet patient et l'institution
médicale) et utilise un mode d'expression qui passe principalement par
le spectre du verbe.
C'est un atelier qui traite aussi et surtout la dimension du
pulsionnel, de la représentation et du corps en tant qu'image.
Au niveau du fonctionnement, les improvisations sont des
saynètes imaginaires, puisqu'il n'est pas question de faire allusion
à l'hospitalisation, avec l'idée que cette règle
énoncée est de jouer sur des scènes imaginaires imposent
de s'extraire du discours médical. Le cadre cet atelier sera
dévoilé plus loin dans ce travail, mais pour savoir d'où
je réfléchis, il est intéressant de préciser que
l'atelier s'adresse à des adolescents hospitalisés, et a lieu une
fois par semaine. Son animation se fait par le psychologue qui dirige la
séance et par la présence d'infirmiers faisant office
d'auxiliaires, d'étaye pour les patients.
L'immersion dans ce groupe, offre la possibilité de
voir ce qui se véhicule comme émotions, comme affects au travers
du corps (corps en tant que projection). Il offre un spectacle de corps
animés se mettant au service de l'éprouvé, des
« corps absents » reprenant vie, ainsi, s'animer et se
colorer tel un feu d'artifice.
En effet, les visages colorés de joie, de tristesse,
parfois des deux, peut révéler soit une ambivalence, un
sentiment paradoxale ou encore un défilé où joie et
tristesse se succèdent. Dans ce bain d'éprouvé, certains
adolescents peuvent laisser entrevoir une émotion plus floue, plus
difficile à cerner, phénomène d'indistinction dont on peut
supposer qu'elle génère une angoisse diffuse pouvant être
destructurante, désorganisante, car elle ne s'inscrit pas encore dans
l'expression.
Leur visage est transformé en un vrai miroir de leur
ressenti, tandis que le regard tient de lieu d'échanges, impliquant le
visage de l'autre.
I) Présentation
1.1) Situation clinique : « Martine, le
jour et la nuit »
Elbabaz.André : « De Bleu et de Rouge,
1987 » in Schmattes, pp.252
Martine
est une jeune femme de 20 ans suivie depuis quelques années pour
anorexie mentale et conduites d'automutilations (scarifications). Ce contexte
l'oblige à subir plusieurs hospitalisations durant lesquelles elle
bénéficie d'une prise en charge institutionnelle, notamment par
des médiations qu'elle investit tout particulièrement avec un
étayage soignant important.
Elle est la benjamine de trois enfants et vit seule avec sa mère, le
père est décédé il y a quelques années d'une
maladie grave.
Le
père était artiste peintre et s'absentait souvent du giron
familial pour retourner dans son pays natal. La mère après avoir
fait des études de Lettres travaille comme traductrice.
Martine
entretenait avec son père une relation très particulière
en ce sens qu'il n'y avait aucune limite de posée par celui-ci. Martine
était la fille préférée du père, ce qui lui
conférait une place difficile à tenir au sein de la fratrie,
notamment auprès de sa soeur ainée avec laquelle une grande
rivalité demeure.
Pour
Martine le père reste une figure idéalisée avec une
amnésie de la haine de ses longues absences. Le père avait un
investissement peu fiable envers sa famille.
En
réponse au manque de limites de côté du père la
mère se sentant en permanence disqualifiée, en posait d'une
manière inadaptée, créant ainsi des conflits
importants.
Les
troubles de Martine se sont aggravés au moment du décès du
père.
Au
décours de cette hospitalisation, Martine donne à voir une
maigreur quasi cachectique mise en valeur par des tenues peu
étoffées. Sur ses bras se trouvent des traces de scarifications.
Elle est dans une perception délirante de sa silhouette et du
fonctionnement corporel avec des éléments dysmorphophobiques, lui
permettant, sans doute, de lutter contre un vide interne. En plus de sa
présentation physique qui interpelle le regard, Martine semble prise
dans un tourbillon de souffrance à l'étourdir l'entrainant dans
une marche effrénée dans les couloirs du service. Ceci lui
donnait une allure de « possédée », telle une
ombre incapable de se poser.
La
séparation imposée par son faible poids, est très mal
supportée par Martine, la poussant à de nombreuses transgressions
dont des fugues. Cette séparation la déprime, invitant le
psychiatre à instaurer un traitement antidépresseur en plus d'un
entretien familial avec celle-ci. La mère vit ces entretiens
familiaux dans un vécu persécutif et exprime, par son
agressivité envers l'équipe, un grand désarroi et son
impuissance face à la situation de sa fille.
Martine
semble être dans une quête affective vis-à-vis de
l'équipe avec des moments d'opposition, une agressivité sous
tendue par une demande d'attention.
Les
échanges avec Martine sont souvent réduits à des
négociations, comme si elle tentait de grappiller, de décrocher
le Graal de la tranquillité intérieure. Toutes ses entreprises
visent sans doute à faire sens dans ce chaos interne dans lequel elle
semble perdue. Ces négociations ont-elles la fonction d'un ancrage dans
le réel pour Martine ? Dans celles-ci, elle attaquait, remettait en
cause le cadre de soin, le groupe de patients hospitalisés et les
rapports avec les soignants.
Sa
voix est à certains moments « d'outre tombe » comme
si ce qu'elle garde au fond de son être est indicible, et à
d'autres moments elle est hurlée.
Ces
oscillations de voix vont de pair avec des moments d'effondrement, d'apathie et
des moments d'explosion, de crise ; trahissant l'incapacité chez
Martine à trouver une juste mesure. Les moments d'explosion, obligeant
l'équipe à une contention physique, répondant à une
nécessité d'un « corps à corps », de
se confronter à du « dur ». Ces moments se
caractérisaient par des crises clastiques avec des
velléités de violences auto et hétéro
agressives.
Sa
toute puissance infantile trahie par une grande immaturité chez Martine,
semble jouer un rôle dans cette recherche de limite avec l'autre.
Martine
est dans une représentation très clivée passant d'une
capacité de création à un vécu délirant
corporel où elle se vit comme obèse, embolisant toute
possibilité d'élaboration et d'échange.
Cette
patiente, dans ce qu'elle a de douloureux et de complexe, a suscité,
chez moi, un mouvement de contretransfert massif fonctionnant tel un balancier
allant de l'empathie à un sentiment de rejet.
Effectivement,
le mortifère semblant avoir envahi tout son être, il
m'était difficile de l'approcher, de peur d'être happée
à mon tour.
Ce
tableau assez sombre, contraste avec ce qu'elle donne à voir dans les
temps de médiation.
En
effet, tant qu'au niveau plastique, qu'au niveau scénique, elle
déploie une créativité sortie telle un geyser de couleurs.
Martine
ne peut être dans la création qu'avec un soutien soignant, sans
lequel elle se perd de nouveau dans les méandres de sa souffrance.
Dès qu'elle est seule elle redevient
« addictée » à l'hyper activité
physique en se détachant des autres, ce qui la fait souffrir.
Pour
Martine, la création semble être un organisateur du lien, qu'elle
met à mal en permanence.
Cette
créativité semble s'inscrire comme un pulvérisateur du
mortifère chez Martine.
Quelle
est cette « chose » qui parvient à transcender le
mortifère ?
La
création vient-elle comme une mise en forme, une expérience
d'exister, qui tente une figuration nouvelle et viable du traumatisme2(*) ?
Dans ces temps de création Martine semble faire tomber le sombre masque
de « la folie » pour laisser s'exprimer cette
« chose » lui donnant une allure totalement
bouleversée et bouleversante.
Sa
motricité, sa voix viennent se mettre au service de sa création
et par la même se métamorphosent à leur tour. Comme si, par
cette création, Martine parvenait à se figurer ce trou, ce chaos
interne. Comme l'indique Céline Masson dans son ouvrage :
« ... Passe de l'informe chose en soi, matière inerte et
chaos traumatique, vers un objet représentable donnant vie par l'esprit,
devenant enfin dicible »3(*). Martine passe d'un corps robotisé,
mécanisé par l'échine de ses troubles, à un corps
animé, coloré avec une voix retrouvant ses nuances comme si elle
pouvait à nouveau se mouler sans risque aux émotions dont elle se
fait le vecteur. Il en ressort un tableau de couleurs vives et douces se
côtoyant sans jamais se mélanger, permettant ainsi la
rêverie du spectateur.
Le
chaos chez Martine qui génère en moi la fuite, laisse place
à des émotions nommables et représentables.
En
effet, sa maigreur et la robotisation de son être, font empreinte dans
mes pensées et celle des différents intervenants. Ce qui trouble,
sans doute, est ce qu'elle a d'abyssal en elle. Ces pensées troubles,
sont difficiles à réunir dans un discours clinique forcé
par le travail institutionnel. Mais c'est ce travail là, qui comme la
création chez Martine, me permet de faire un travail de
représentation et de figuration sur ce qu'elle vit. C'est ainsi que ma
position de soignant peut exister et être élaborée.
Martine
est un contraste et en l'évoquant en séminaire, j'ai
utilisé l'expression suivante « Martine, c'est le jour et la
nuit ». Cette expression attire l'attention de l'enseignant et la
mienne en ce sens que cette patiente contraste nettement et sans transition
passant d'un état de « gisant » à un
état « vivant ».
Ce
jour-nuit résume Martine tant elle se transforme au moment de ses
créations, notamment théâtrales. La nuit retombe, sans
préavis, dès la fin de ses représentations suscitant en
moi la stupeur et la curiosité.
Martine
est un condensé de tous les patients que j'ai pu observer en situation
de représentation théâtrale. Ces patients comme elle, qui
devenaient jour entre deux nuits de leur souffrance psychique.
Cette
stupeur et curiosité se sont peu à peu transformées en
interrogation clinique : « Qu'est ce qui émerge du
patient en situation de création, plus particulièrement de mise
en scène théâtrale » ? « Comment
la situation de représentation théâtrale peut-elle
réanimer un patient éteint par son
symptôme » ?
En
faisant part de mes interrogations, l'enseignant du séminaire me propose
le mot « désir ». Comme soufflé depuis des
trappes d'un théâtre, le mot « désir »
vient nommer mes observations.
Martine,
d'un corps filaire quasi inerte, passe d'un corps habité,
incarné. Son corps semble, alors, changer de langage, racontant une
autre version endormie par le poids du mortifère. En effet, comme le
précise Thierry Delcourt4(*) le corps n'est pas qu'une enveloppe mais provoque
à l'insu du sujet une dynamique interne et un espace d'échange
avec les autres. Le corps prend valeur de langage. Cette autre version que le
corps raconte ne serait-elle pas celle du désir, de la pulsion de
vie ?
Le
corps ne se résume pas qu'à son aspect organique. Il est pris
entre besoin et désir et instinct et pulsion (Freud).
Martine
est un oxymore à elle seule, suscitant des sentiments sombres et
colorés à la fois chez les intervenants. Elle peut être
redoutée tout en étant touchante.
A
partir de la présentation de Martine, je vais déplier les
différentes phases de l'atelier en sollicitant des notions
théoriques appelée par ce type de médiation.
1.2) L'atelier Théâtre : Martine en
scène
« La
scène est un lieu physique qui demande qu'on le remplisse, qu'on en
fasse parler son langage concret »5(*)
-1.2.1) Déroulement d'une séance:
La
participation des soignants offre un support identificatoire intéressant
pour ces jeunes. De plus, le soignants sert de « starter »
à la participation du groupe aux improvisations en ce sens qu'il se
confronte aux même butées qu'eux : l'inquiétude du
regard de l'autre, la peur du « trou » de mémoire.
Cette
part active des soignants aux exercices proposés, au même titre
que les patients, vient interroger le remaniement entre la place de soignant et
celle du patient, et qui montre à quel point cette proximité de
jeu est très difficile à tenir, parce qu'elle nous dévoile
devant les autres et devant nous-mêmes, comme elle dévoile le
patient. Il y a une frontière qui s'abolit entre le patient et les
soi-disant thérapeutes.
La
séance est menée par un directeur de jeu qui doit veiller
à ce que le jeu soit quelque chose qui permette de faire
émerger le transfert, la dynamique de groupe, et en même temps
mettre en évidence les résistances, essayer de donner une place
à la résistance. Sa tâche n'est pas facile tant il doit
veiller à cette dynamique en tenant compte de la cohabitation de
différentes problématiques au sein de ce même
groupe.
La
séance se déroule en deux temps. Le premier étant celui
d'un retour, d'un centrage sur soi. Cette partie est axée sur l'individu
lui-même. Elle permet à l'adolescent de rester centré sur
lui-même, avant d'aller à la rencontre de l'autre de
manière progressive (par le jeu du regard, par exemple).
La
relaxation permet de se poser et de rompre avec l'extérieur offrant
ainsi la possibilité d'entrer dans l'activité. La relaxation est
un moment mal vécu par Martine. Elle s'effondre souvent entre pleurs et
stupeur. Malgré tout, elle tient à faire l'exercice jusqu'au
bout.
En plus de la relaxation, il y a un travail de repérage dans l'espace
par des jeux obligeant à traverser, de différentes
manières, la pièce de par en par avec une attention portée
aux bruits, à la luminosité de celle-ci. Le travail de
repérage, nous fait circuler dans la pièce, et à ce moment
là, j'ai souvent l'impression d'être suivie par l'ombre aspirante
et fantomatique de Martine. Elle semble errer tel un automate guidé par
les ficelles du vide.
Un
temps particulier, dans cette première partie est le jeu du regard, qui
invite à s'arrêter et à tenir le regard un court instant.
Le meneur de jeu propose au groupe de se laisser colorer par le regard, sans
parler, en laissant et acceptant les rires et les silences.
C'est
l'occasion de rencontrer l'autre, sans la parole qui viendra par la
suite.
L'occasion,
de faire le jeu du regard m'est donnée à plusieurs reprises. Cet
instant, je le redoute et même force le hasard pour ne pas me trouver en
face de Martine. Parfois, malgré mes stratégies, je me retrouve
face à elle, face un regard vide lointain et écumée par
une note peut être mélancolique. Ce regard me laisse une sensation
de glaciation, me sentant enfermée sous une calotte glacière.
Toujours
dans la première partie, il y a les « mini
improvisations » qui font trait avec la seconde partie. Ce sont des
saynètes qui introduisent la parole (mise en sourdine pendant le
début de la première partie). Elles se font en groupe entier ou
en petit groupe. Martine, apprécie ce moment et commence à sortir
de « sa période glacière ». Elle se propose
à l'exercice, avec spontanéité, et sollicite facilement le
groupe pour construire une histoire.
Avant
d'entamer la seconde partie, un temps de verbalisation :
Le
groupe s'assit en cercle. Dans un premier temps, chacun se présente par
son prénom et sa fonction.
Ensuite,
les participants, expriment leurs ressentis sur se qui s'est
déroulé dans la première partie. Souvent, le jeu du
regard, suscite la parole.
Ce
temps permet d'introduire la seconde partie en expliquant rapidement le
déroulement de celle-ci.
La
seconde partie, très attendue par Martine, consiste en des
improvisations plus construites Qui ne sont pas obligatoires. Elles se font en
petit groupe dont le nombre de participants est défini par eux
mêmes et les besoins de l'improvisation. Les improvisations sont des
créations semi-élaborées, ne durant que le temps de la
représentation théâtrale. Ceci suppose une dialectique
entre le dire et le faire, même si le dire et le faire, au
théâtre, sont par la parole.
La
consigne importante de cette partie est de ne pas jouer « la
réalité » : se donner un autre prénom que
le sien, pendant l'improvisation. Ne pas faire état de la prise en
charge dans les scènes.
Cette
consigne est généralement bien suivie et acceptée, car
elle garantie l'intimité de chacun dans un atelier qui expose.
Les
actions (inscrites sur une feuille), sont binaires, car elle repose sur la mise
en tension de conflits internes. Ces actions permettent de voir comment,
collectivement un problème peut être résolu, finaliser.
Voici quelques exemples : Accuser/ Se défendre, Faire
partir/Vouloir rester. Il y a (sur ces feuilles) des actions unitaires, par
exemple : Se préparer pour une fête, se préparer pour
annoncer une mauvaise nouvelle... celle-ci aussi se joue à plusieurs.
Martine trouve un certain plaisir à jouer les mises en tension
imposées par les saynètes. Elle prend souvent des rôles
d'autorité, surmoïque, ou alors des rôles plus
régressifs, voir crus. L'exagération des traits de ses
personnages appelle au comique, aux rires.
Des
déguisements sont à disposition, ainsi que certains accessoires
(téléphone, livre, lunettes...).
-1.2.2) Atelier théâtre : médiation et
groupalité :
L'adolescence
est une période qui pose le problème de la séparation,
obligeant le sujet à se détacher de ses premiers repères
pour investir de nouveaux objets, hors de la famille.
S'aventurer
hors de la famille est souvent, pour l'adolescent l'opportunité de
rencontrer des amis, un groupe. Entre les membres du groupe circulent des
processus collectifs inconscients, une inter-fantasmatisation, qui produit une
sorte de tension commune. Le groupe constitue aussi pour chacun une matrice
psychique, cadre de référence de toutes les interactions qui s'y
déroulent, terreau qui permet le développement de
l'individualité et non pas sa négation. Le jeune patient se voit
lui-même ou plutôt il voit la partie refoulée de
lui-même reflétée dans les interactions avec d'autres
membres du groupe (aussi projetée sur tous les autres membres du
groupe). Il apprend à se reconnaître lui-même par les
actions qu'il exerce sur les autres et par l'image qu'ils se font de lui
(identification en miroir).
Donc
le groupe est une totalité productive de formations psychiques
spécifiques, où d'une certaine manière le sujet
disparaît dans ce qui le singularise. Ce groupe devient le support sur
lequel l'adolescent expérimente les prémices de sa future
identité d'adulte en s'identifiant aux individus de ce groupe. C'est
aussi dans ce groupe que les protagonistes vont pouvoir soutenir leur propre
créativité tant ils se sentent soutenus, contenu par celui-ci. Ce
groupe permet le passage d'une créativité individuelle à
une créativité groupale, notamment dans les improvisations qui
invitent à mettre en commun des bribes d'idées pour construire
une histoire, un tout.
Comme
toute médiation, le « faire-oeuvre »6(*) est présent et fait
office d'un processus sinthomatique permettant à la structure de ne pas
s'effondrer. Le sinthome fait nouage des trois dimensions de la
réalité psychique, c'est-à-dire le Réel,
l'Imaginaire et le Symbolique. La question que je me pose, concerne le
rôle de thérapeute qui serait soit de travailler à partir
du symptôme ou de travailler sur un autre axe qui s'éloigne du
symptôme afin de viser quelque chose du côté des
capacités de production du patient.
Avant
tout, cet atelier tient à préserver le narcissisme des
adolescents (et des soignants participants !), fragilisés par le
contexte et le motif de l'hospitalisation et par cet atelier qui expose au
regard de l'autre. Cette vigilance passe par des consignes telles que
l'interdiction de remarques sur l'aspect physique de l'autre.
Dans
cet atelier, l'objet médiateur est l'improvisation, objet qui correspond
au processus de création. La créativité est
mobilisée tant du côté des soignants que du
côté des patients participants. Dans une médiation
thérapeutique les modalités créatives et fantasmes de
groupe sont d'autant plus fortes que la place des thérapeutes est
reconnue. Les thérapeutes sont les dépositaires de ce qui se
passe dans le groupe.
Chaque
membre de ce groupe peut soutenir sa création du fait du soutien par le
groupe et les interactions qui s'y tissent.
L'utilisation
de l'objet médiateur participe pleinement au processus de
création. En effet, c'est la créativité qui bâtit la
trame psychique de l'investissement de cet atelier. Cette
créativité, se poursuit grâce à l'aspect ludique
qu'elle revêt dans la relation entre chaque membre du groupe. Le travail
de médiation tient par cette capacité créative et par sa
tonalité affective qui la colore. L'objet médiateur est un
vecteur de transmission spécifique. Le groupe est capable de faciliter,
de développer et d'amplifier la créativité, dans la mesure
où lui-même condense en son sein une expression
représentative, représentante de l'expérience groupale du
sujet. C'est ce double mouvement qui caractérise la fonction de
contenant propre au travail de la médiation.
Pour
que la médiation prenne corps, il y a une nécessité
à réaliser et produire un objet. Il ne s'agit pas de tomber dans
le piège de la performance ou de l'esthétique, mais c'est
l'idée de produire quelque chose partagé par le groupe. Cet objet
appartient au groupe mais ce qui est de particulier c'est que l'objet est
éphémère, il disparaît après l'atelier.
Alors, comment la dimension de soin peut-elle demeurer dans cet
éphémère là ?
Cet
atelier fait intervenir le groupe et sa dynamique où chaque membre de ce
groupe peut soutenir sa création du fait du soutien par le groupe et les
interactions qui s'y tissent.
Dernier
mot sur le rôle du groupe qui est celui de la temporalité.
Effectivement, le groupe devient le relai de cette temporalité de par
son cadre rassurant et son dispositif. L'intégration de la durée
permet au groupe de s'inscrire dans la continuité et d'envisager l'objet
médiateur comme fiable et non pas comme quelque chose de furtif pouvant
disparaître à tout moment. La durée, est aussi
incarnée par les thérapeutes qui animent la séance en en
garantissant le cadre8(*).
Cet
atelier est une médiation à part entière, en ce qu'elle
permet d'expérimenter les affects vécus souvent comme
menaçants au moment de l'adolescence et c'est une façon
« déguisée » de parler de soi, de rencontrer
l'autre. C'est aussi une possibilité de réintroduire un tiers,
c'est-à-dire de ne pas laisser le jeune naviguer dans son imaginaire
persécutif qui parfois le pousse à des passages à l'actes
visant l'objet interne.
-1.2.3) Processus de création dans ce temps
d'expression :
Parler
de soi et de ses émotions revient à montrer sa fragilité,
sa vulnérabilité et à se mettre en danger : chose
insupportable. Parler est aussi un moyen de se séparer, d'introduire un
tiers, entrée dans le langage comme prémisses de la
subjectivation, en ce qu'il permet de se séparer de l'autre
maternel.
En
même temps, le théâtre est une façon
intéressante et distanciée de travailler sur soi en ce que le
personnage offre comme proximité avec la personne qui joue. Cette
situation d'improvisation permet de livrer quelque chose de soi sans prendre
trop de risque. Cette activité n'est pas menaçante tant elle
invite de parler d'un autre subjectif, celui du personnage. Cette convocation
de soi-même, via le personnage suscite une vive mobilisation psychique,
permettant ainsi un décentrage de soi pour se tourner vers l'autre, vers
l'extérieur. En effet, les participants sont assujettis à de
nombreux symptômes ayant un effet d'attraction vers leur être, se
coupant ainsi des autres. L'atelier théâtre peut devenir une sorte
de liguant entre le soi et l'autre, ce qui est habituellement coupé par
les ciseaux du symptôme. Il y a là un processus de très
subjectivant, faisant défaut chez ces adolescents hospitalisés.
Processus subjectivant et une dialectique où peuvent se
réaménager quelque chose de la relation à l'autre.
Martine
a beaucoup de difficultés à investir une médiation, mais
dès lors qu'elle bénéficie d'un étayage suffisant,
elle peut poser son « manteau symptôme » pour prendre
celui d'un autre, celui d'un personnage de scène. Ceci serait un
« double » permettant l'expression fantasmatique en
prémisse d'une véritable subjectivation.
L'atelier
théâtre peut être un sas, un relais d'une pensée
amorcée dans le service venant se rejouer. Il offre une mise en forme
par le créer s'opérant comme une surface de liaison de l'angoisse
et du détournement des pulsions auto et hétéro
agressives.9(*)
Son
implication serait-elle permise par la fonction de tampon que peut joue ce
moment de création ? Tampon qui permet d'emmagasiner de
l'énergie pulsionnelle en dehors du dedans et de parer d'un retournement
de pulsions agressives contre elle-même10(*) (retournement que Martine connait trop bien).
La
situation de représentation permet aux participants d'éprouver du
plaisir à être autre, souvent différent de celui qu'il
revendique être.
Martine,
lors des improvisations arrive à représenter cet autre là
si lointain de ce qu'elle est : cet être envahi par une marée
de symptômes. Comprend elle qu'investir un autre n'est pas une source de
perte de soi ? La situation de représentation relance
inéluctablement le processus identitaire.
Dans
l'atelier théâtre pratiqué dans cet établissement
où est prise en charge Martine, l'improvisation est de rigueur, ainsi
elle permet de ne pas tomber dans du « prêt à
penser ». Elle autorise une certaine évasion, une
rêverie poétique formant une promenade dans l'espace
imaginaire.
Ce
va et vient rendu possible par le théâtre permet d'aller et venir
entre le soi et le personnage, offrant la possibilité d'intégrer,
pour les participants, leur propres limites. Limites qui font défaut
chez Martine et dont elle recherche les contours à travers l'autre,
allant parfois jusqu'au corps à corps.
Le
jeu théâtral confronte les participants à la règle
du jeu (énoncée en début de séance et
déroulé tout au long de celle-ci) leur permettant ainsi de
renégocier leur rapport à la loi symbolique en partant de soi
pour aller vers les autres, vers l'autre. Le « faire
semblant » est une règle dictée pour protéger et
respecter le joueur et son partenaire de scène. En même temps,
dans ce « faire-semblant » il y a une authenticité
du jeu des participants qui est permise par le cadre énoncé, par
la règle qui unit et protège. Le Moi se trouve du
côté de l'imaginaire (très sollicité dans le jeu
théâtral) alors que le Je se range du côté du
symbolique, de l'éthique. Le Moi serait la clef de voute entre ce qui
existe du participant et du personnage.
Il
n'y a pas de scène sans acteur et pas de théâtre sans
publique. Le publique implique la notion de regard. Comme l'explique
Céline Masson11(*)
le regard permet de se sentir exister. Ce regard, peut donner une consistance,
un plein nourricier en ce sens qu'être regardé signifie :
exister.
Le
regard peut faire tiers dans le processus de création en se sens que le
spectateur tient une place dans le processus de création qu'il regarde.
Ce même regard peut être générateur d'un vécu
persécutif ou dépressif : être jugé par le
spectateur12(*). Chez
Martine, ce regard « jugeur » elle y est très
attentive au moment de la fin de l'improvisation qui est un moment où le
public fait un retour sur ce qui vient d'être jouer. Martine semble
très friande ce moment qui semble lui restituer un bout
d'elle-même qu'elle vient d'exposer. Le regard de l'autre comme un miroir
de ce qu'elle vient de montrer. Quand elle écoute, elle semble
écouter avec ses yeux se mettant en chasse de tout ce qui pourrait
être dit autrement que par les mots : ne pas en rater une
« miette », elle semble dévorer ce retour, s'en
remplir.
Le
jeu et l'humour issus de la confrontation entre soi et le personnage offrent un
espace libre de penser et une appropriation des processus psychiques. Le jeu
crée une sphère potentielle d'expérience en
continuité avec le jeu chez l'enfant13(*). Les participants étant dans l'univers du
jeu, du « faire sans risque », du côté de
l'intersubjectivité d'appartenance à un groupe peuvent se lancer
dans ce jeu.
L'art
n'est pas une thérapie mais un moyen d'expression14(*), moyen que Martine manie avec
talent et plaisir. Ceci invite à réfléchir sur la notion
de soin dans l'avant et l'après coup, pour ensuite s'interroger sur la
place du transfert dans un tel dispositif.
-1.2.4) Le soin dans l'avant et l'après
coup :
-L'avant
coup
La
notion de soin est à envisager, selon moi, dans l'avant et
l'après coup quant à ses effets.
En
effet, le soin peut avoir un effet immédiat, instantané tel un
pansement, une injection d'antalgique, par exemple, mais l'effet du soin peut
surgir et ou se prolonger dans le temps.
Il
est intéressant d'aborder la notion de soin en deux temps : avant
et après l'atelier ; le pendant étant un espace de
création, d'expression qui vient se nicher entre deux temps
« thérapeutiques ».
Le
premier temps, celui de l'avant l'atelier est une démarche
d'évaluation sur l'aptitude psychique du patient à participer ou
pas à l'atelier. Peut-il supporter cette situation de groupe et
d'improvisation ? D'une manière générale, la phase
maniaque, les états délirants ou une condition physique
précaire (tel un amaigrissement trop important) représentent les
principales contre indication sur lesquelles les équipes s'accordent. Ce
temps là se déroule sans le patient, et la décision lui
est restituée ensuite.
Martine
s'est vue refuser l'accès à l'atelier quand elle traversait des
phases d'excitation psychique désorganisantes et/ou quand son poids
était trop faible s'accompagnant de signes physiques tels qu'une
bradycardie.
La
discussion autour de la contre-indication se reprenait ensuite avec elle,
même si cette dernière le vivait extrêmement mal.
Ce
temps de discussion était une occasion de se replacer par rapport aux
symptômes de Martine avec l'idée de lui en faire saisir leur
existence et leur gravité. Effectivement, comme mise en orbite, elle
était dans un déni massif des risques de pareils signes,
notamment son amaigrissement.
La
difficulté était de saisir cette contre-indication pour tenter de
raccrocher Martine à sa réalité, certes douloureuse, sans
que cette démarche ne soit vécue comme punitive.
Par
soucis d'honnêteté il faut bien admettre que Martine pouvait
susciter de telles contre attitudes qu'il était tentant d'agir sous le
versant d'une sanction ! Le travail et la réflexion institutionnels
permettaient de ne pas tomber dans cet écueil...(pas trop
souvent) !
Bien
sûr, la discussion ne se faisait pas qu'à partir des
contre-indications. Elle suscitait débat sur les indications.
Effectivement, quand nous évoquions Martine pour cet atelier, nous
pensions à ce qu'elle pouvait y trouver, y créer, prendre et
construire.
Cet
avant est vraiment un temps qui amorce le « pendant » de
l'atelier. Il l'amorce d'autant que la venue ou non d'un adolescent est surtout
prise dans l'investissement et le transfert qui existe entre l'adolescent et le
soignant référent de l'atelier : ici c'était
moi.
En
effet, selon ce qui se passait dans le service et par conséquent les
sentiments projetés sur l'équipe soignante qui allaient de pair,
les adolescents adhéraient ou pas à l'atelier. La dynamique
groupale du moment influait beaucoup sur la fréquentation et le
déroulement de l'atelier. Par exemple, un événement
difficile à vivre pour le groupe qui survient dans l'unité de
soins, peut générer un mouvement d'hostilité envers
l'équipe. Ce mouvement d'hostilité peut se traduire par un
« boycott » de l'atelier ou tout simplement y aller avec
l'intention d'y décharger, à titre de règlement de compte,
de l'agressivité.
Pour
illustrer ce que je viens de décrire, j'évoquerai
brièvement une anecdote d'une patiente, que j'appellerai Lucie. Lucie
est une patiente dite « Etat limite » avec de multiples
conduites à risque. En permanence, elle mettait à mal le cadre de
soin. Motivée ou inconsciente, il m'a pris l'envie d'insister
auprès de Lucie pour qu'elle participe à l'atelier. Sa
réponse, sonne comme le glas : Non ! Sidérée par
la fermeté de sa réponse, il me faut un court instant pour me
reprendre et relancer mon invitation, avec l'appui solidaire de mes
collègues.
Lucie,
se sentant prise au piège finit par abdiquer en signifiant qu'elle ne
participera à rien et que si je la sollicitais, elle
« pourrirait » (je cite) l'atelier. Acceptant ce compromis
je l'emmène à l'atelier où elle m'aidera à porter
le sac de déguisements !
Dans
l'atelier, Lucie s'est très vite prise au jeu en participant aux
différents exercices. Au moment de l'improvisation, je la sollicite
(à mes risques et périls) pour en faire une, ce qu'elle accepte
tout en indiquant n'avoir aucune idée. N'étant pas plus
inspirée qu'elle, je lui propose de jouer ce manque d'idée, d'en
faire une improvisation. En prenant d'autres prénoms, nous avons pris un
certain plaisir à déplier notre petit scénario. Ni elle,
ni moi ne manquions de décharger une certaine agressivité tout en
étant complices. Les tensions qui ont précédé la
séance ont pu, dans ce cas précis, être
désamorcées pendant l'atelier.
Cette
petite vignette clinique pose, évidemment, la question du désir
du soignant, de la demande et comment l'adolescent négocie sa part. En
effet, Lucie est-elle venue pour répondre à mon désir, se
mouler à mon attente, ou parce qu'elle a cédé à son
désir prise au piège de l'ambivalence ?
Cette
anecdote, montre que le soin d'avant impacte dans le présent de
l'atelier.
Cet
avant là, permet de mettre en partage, entre le patient et le soignant,
un moment d'échange teinté d'une demande, celle du soignant, et
de la place du jeune face à celle-ci. Ce partage se colore de
sentiments et d'affects circulant au gré des échanges.
Parfois,
c'est le seul échange possible. En effet, pour certains adolescents
parler de soi est impossible, impensable pour plusieurs raisons (l'adolescence,
les troubles psychiatriques qui les conduisent à être
hospitalisés), parler de l'envie ou pas d'aller à l'atelier n'est
pas vécu comme dangereux, menaçant, même si ce
positionnement requiert l'expression d'un sentiment : envie, ou pas
envie ? C'est probablement à cet instant là que l'atelier
prend tout son sens en tant que médiation thérapeutique, à
mon avis. La question de participer ou pas à l'atelier place
l'adolescent du côté de son propre désir, de ses envies,
dont l'expression lui donne la possibilité d'une amorce d'un
« parler de soi ».
Ce
n'est pas tant la réponse qui importe mais l'expression de quelque chose
qui vient de soi qui importe à ce moment précis.
En
rédigeant cette partie, je me dis que cet « avant »
atelier pourrait à lui seul remplir un travail de mémoire en ce
qu'il renseigne sur la question de la demande, du désir formulé
du soignant et comment l'adolescent va pouvoir y articuler son propre
désir.
L'atelier
peut être un prétexte (pré texte, d'un pré à
dire, d'une narration en devenir) d'une rencontre entre l'adolescent et le
soignant. Ce peut être le premier temps d'expression d'un soi autre que
ce que l'adolescent montre. Il expérimente que l'expression de
sentiment, d'envie n'est pas aussi dangereuse et terrible que ça. La
pudeur qui caractérise cette période de l'adolescence est
respectée ; il n'y a pas effraction, intrusion de l'adulte dans
l'espace intime psychique du jeune.
Cet
avant peut constituer le préambule d'une scène où va se
jouer un autre soi. Une image me vient, celle de trois espaces : le
côté cour (coulisse) - la scène - et le côté
jardin (coulisse), c'est-à-dire que de part et d'autre de la
scène se jouerait d'un côté l'avant et de l'autre
l'après scène.
-L'Après coup:
L'attention
se porte sur ce qui fait retour dans les propos tenus par les adolescents
participants une fois l'atelier terminé.
En
effet, il est intéressant d'observer le peu de parole qui succède
à l'atelier ; atelier qui la suscite tant.
Ce
peu de parole m'a longtemps interpellée en ce sens qu'elle contrastait
avec l'atelier où elle était au service d'une narration d'une
scène subjective des joueurs.
Deux
raisons, semblent expliquer ce « phénomène ».
La première est l'intimité de l'atelier qui doit être
préservée et respectée. La consigne, tant pour les
soignants chargés de faire un retour à l'équipe, que pour
les patients est de ne pas raconter dans le détail le contenu des
improvisations.
Puis
la seconde raison, est que c'est un atelier qui expose, sollicite beaucoup. Le
retour dans le service est sans doute un moment de retour vers soi, une mise en
veilleuse de ce qui s'est allumé durant la séance.
Une
troisième raison m'apparaît : c'est l'absence de quelque
chose à montrer. L'atelier théâtre est à dire,
contrairement aux ateliers plastiques où il y a la possibilité de
montrer sa création après l'atelier.
Ceci
questionne sur la capacité de faire persister un moment vécu
au-delà de la séance, ce qui est une opération difficile
chez certain adolescents pris dans des mécanismes archaïques, les
rendant incapables d'élaborer l'après coup de l'atelier.
Dans
l'après atelier, il ne reste que du « dire », que de
la narration pour faire exister et restituer ce qui a existé.
Cet
atelier a quelque chose d'éphémère, pouvant être
atténué par le sac de costume qui fait trace de l'existence de
celui-ci. Ce sac, prend une importance dans ce qui peut offrir comme
figurabilité de cet atelier : il a un rôle, son propre
rôle qui joue à chaque fois qu'il est vu par les soignants et les
adolescents. Ce sac interroge, non pas pour ce qu'il contient, mais par ce
qu'il représente.
Un
atelier visible seulement par ce sac qui le représente et tout le reste
de cet atelier est détenu par la narration.
Ces
trois temps, ces trois espaces différents évoquent la question
des limites entre le dedans et le dehors. Limites difficiles à cerner
pour certains adolescents qui distinguent mal ce qui se passe en eux et ce qui
se passe en dehors d'eux.
Ceci
permet d'observer pour les soignants comment l'adolescent négocie ces
différents espaces temps ?
-1.2.5) La question du transfert et de la place du
thérapeute :
Le
cadre de cet atelier offre au transfert un espace où il peut se
déployer en donnant corps au lien, rendant possible pour le patient de
l'éprouver.
Le
rire et l'humour permettent d'explorer de façon protégée,
une situation psychique jusqu'ici impensable.
Le
déplacement, les mouvements ici et là s'organisent autour du
transfert qui va et vient entre la scène de la vie réelle et
celle des scènes imaginaires15(*).
C'est
un espace de jeu qui se développe sur la scène extérieure
en lieu et place de l'espace psychique interne inaccessible du jeune.
La
situation groupale permet au transfert d'être diffracté (par la
pluralité des intervenants), évitant ainsi les effets
péjoratifs du transfert duel qui est beaucoup plus excitant, voir
persécutant, aliénant. Il y a une présence constante d'un
tiers réduisant les effets d'un transfert duel et offrant un soutien des
limites entre le soi et l'autre.16(*)
La
notion de transfert et de contre transfert est introduite par Freud.
Tout
d'abord, le transfert permet de désigner un processus qui constitue la
cure analytique par lequel les désirs inconscients du patient concernant
des objets extérieurs viennent se répéter dans le cadre de
la relation analytique, sur l'analyste mis en position des ces
différents objets.
C'est
dans le cas de Dora que Freud expérimente pour la première fois
le transfert négatif où il refuse d'être l'objet de
transport amoureux de sa patiente.
En
1912, dans la dynamique du transfert, il différencie le contre transfert
négatif et le contre transfert positif, ainsi que le contre transfert
mixte (traduisant une ambivalence).
Le
transfert renvoie à une origine érotique. Il entraine une
résistance quand il est composé d'éléments
érotiques refoulés ou quand il est négatif. Dans le
transfert, pendant la cure, chaque sujet à sa propre façon
d'aimer, sa propre empreinte pulsionnelle qui vient se répéter
à chaque émoi17(*).
En
ce qui concerne le contre transfert, il est l'ensemble des manifestations de
l'inconscient de l'analyste en relation avec celles du transfert de son
patient.
Ferenczi,
dans une lettre à Freud (du 22/11/1908) lui mentionne une
réaction de l'analyste aux dire de son patient.
En
reprenant la partie clinique, je me rends bien compte de la massivité de
ce contre transfert induit par Martine. Il peut être négatif,
créant en moi un sentiment de rejet, canalisé par le cadre et le
travail d'équipe et parfois, il peut être positif où le
désir de la rencontrer et de créer un lien avec elle est
présent.
Pour
reprendre mon expression « ce contre transfert agit tel un
balancier ». En y réfléchissant, je constate que ce
contre transfert varie selon le contexte de la rencontre avec Martine.
Effectivement, le transfert négatif est davantage présent dans le
service où les situations duelles sont plus nombreuse (entretiens, temps
de soin...). Cette rencontre duelle est plus directe, plus frontale, ce qui
probablement est plus difficile à supporter pour Martine tant ce
contexte de rapproché peut être persécutant et/ou excitant.
En plus cette rencontre duelle me confronte directement au chaos interne de
Martine, sans qu'il y ait un intermédiaire, un tiers pour faire tampon.
Puis dans le service, mon rôle de soignant est davantage
« actif » où il s'agit de mettre au travail la
problématique de Martine, tandis qu'à l'atelier
Théâtre, j'ai un rôle d'observation, une position plus
passive où je deviens le dépositaire de ce qu'exprime
Martine. Je n'interviens pas directement. La situation de groupe permet de
diffracter le transfert et donc l'investissement que peut avoir Martine pour un
soignant dans un temps donné.
Le
contre transfert semble varier selon les espaces temps dans lesquels la
rencontre se fait.
Pour
finir sur ce point, il me semble que dans le service, le soignant propose,
impose un cadre, donne des directives, fait des actes, alors que dans
l'atelier : au moment de l'improvisation, c'est Martine qui va
définir le scénario de la rencontre, elle prend une position
active.
II) Réflexion théorique sur
Martine :
2.1) « Voyage d'une adolescente dans la crypte
maternelle » :
-2.1.1)
Adolescence et puberté :
L'adolescence,
jusqu'au milieu de 20ème siècle était plus une
donnée sociologique que psychologique. En effet, celle-ci
représentait le passage de l'enfance à l'âge adulte par des
rites de passage, mais surtout par l'acquisition d'attributs sexuels rendant la
procréation possible ; même si dès 1885, le
psychanalyste S.Freud commence à aborder cette question. Cette
année là, S.Freud décrit la puberté comme un temps
d'après coup, idée qu'il va affiner en 1905 dans « Les
Trois Essaies sur la Théorie Sexuelle » en situant le
début de la sexualité dans la prime enfance.
L'avènement
de la puberté inaugure les transformations menant à la vie
sexuelle infantile à la vie sexuelle adulte, sous sa forme
définitive. A l'adolescence se construit le psychisme adulte
définitif à partir d'une réécriture du vécu
infantile. Cette période oblige le sujet à surmonter les
résurgences du complexe OEdipien infantile18(*).
L'adolescence,
vient après le complexe d'OEdipe : second temps d'organisation et
de transformation faisant évoluer la sexualité infantile vers une
sexualité adulte « définitive et normale »,
ceci avec l'arrivée de la puberté (Freud 1905).
La
puberté, appelée aussi : phase génitale, de par la
maturation des organes génitaux, impacte d'une façon certaine sur
l'organisation psychique de l'adolescent, tant dans son mode relationnel aux
autres que dans l'établissement de sa future personnalité.
Ce
qui se manifeste psychiquement en premier lieu est le passage de la pulsion
sexuelle infantile auto-érotique à la pulsion sexuelle adulte
tournée vers l'objet. Les pulsions partielles infantiles se regroupent
sous le spectre de la génitalité pour satisfaire le choix d'un
objet dans un but de procréation. Selon Freud, ce choix est
préparé dès l'enfance et ceci en trois temps : celui
de la petite enfance, de l'enfance et de la période de latence puis, de
la puberté.
S.Freud,
par ses écrits, ouvre la voie à la théorisation sur
l'adolescence et c'est Peter Blos, psychanalyste, qui fut le premier à
publier une théorie dès 1962, en s'inspirant des ses
écrits. Pour lui, la période de l'adolescence représente
le deuxième processus d'individuation durant lequel le jeune
intègre sa sexualité d'adulte.
P.Blos,
parle d'un second processus de séparation individuation, où se
répète le premier, mais d'une façon un peu
différente puisque cette fois-ci : il ne s'agit pas de remplacer la
mère réelle, par un objet symbolique, maitrisable par la
pensée, mais de par de nouvelles représentations non parentales,
des objets totalement nouveaux. Généralement l'adolescent y
parvient par une série d'expérimentations avec de nouveaux objets
non pas intérieur, mais extérieur, c'est en recourant à un
groupe de copains ou aux aventures amoureuses que petit à petit, il va
investir des objets qualitativement différents des parents dans la
réalité, pour créer dans un temps second une
centralité d'investissement psychique sur les objets non
parentaux.
L'investissement
des ces nouveaux objets, autres que parentaux, permet à l'adolescent de
se dégager de la problématique incestueuse et infantile, d'un
mode trop puérile de relation à l'objet.
Pour
Anna Freud, il n'y a pas d'adolescence sans qu'il y soit à un moment
donné, l'expression de quelque chose de pathologique, et
d'anormal.
L'adolescence
serait un moment où il y aurait une sorte d'appétence, pour
mettre en scène un mélange de symptômes appartenant
souvent à des registres et à des domaines nosographiques et
nosologiques différents, comme si on essayait différents
costumes, différentes identités. Souvent cela passe par une sorte
d'auto caricature du côté pathologique, comme si l'adolescent
mettait en scène un personnage qui renvoyait au miroir, aux membres de
sa famille.
Au
moment de l'adolescence, ce n'est pas tellement la question pulsionnelle qui
est centrale mais la question d'un deuil à faire à la fois d'un
soi-même infantile, d'un soi même enfant, ludique, avec une
virtualité à la fois masculine et féminine, une
créativité liée aux pulsions partielles donc un deuil
narcissique à faire. En même temps il y a un deuil des premiers
objets essentiellement parentaux, plus exactement de la façon dont ils
ont été investis. L'adolescent s'ouvre d'une façon
nouvelle au monde pour accéder à ces identifications oedipiennes
adultes requises par la culture, par la civilisation, par son propre surmoi,
ses propres idéaux.
L'intérêt
de cette notion de cassure chez Laufer, c'est qu'elle applique le schéma
freudien classique du développement de l'enfant en utilisant les phases
orales, anale, sadique, génitale et le complexe d'Oedipe infantile, la
phase de latence, en faisant fonctionner cela pour des pathologies graves de
l'adolescence, dont on dirait a priori qu'il s'agit plutôt
d'éclosion et des débuts de psychoses.
La
notion de cassure, révèle un refus chez l'adolescent
d'intégrer psychiquement ce passage à l'âge adulte. Cette
cassure peut être le résultat d'un non intégration d'une
représentation de soi comme homme ou femme (identité
génitale).
-2.1.2)
Le Corps adolescent : mue, fonction et place :
A
l'adolescence, le corps est remanié malgré lui et c'est à
ce moment là que les troubles sont apparus chez Martine.
Martine,
de par ses symptômes vient interroger ce que le corps détient
comme vérité sur les premiers liens à l'objet : la
mère. Mauses et Eglée Laufer19(*) expliquent que le retour aux origines est
indispensable pour comprendre la relation affective qu'a eue la mère
avec le corps de son enfant. A voir comment Martine à du mal à se
départir de sa mère, et comment son corps en raconte l'histoire,
il questionne sur comment ont pu se dérouler les premières
expériences psychosensorielle censé offrir une
représentation psychique du corps du bébé, dont un
schéma des limites de celui-ci. Ces limites permettent au
bébé d'avoir une identité propres et
différenciée de celle de la mère et du reste du
monde20(*) .
X.Gasmann20(*) interpelle la position
sociétale centrée sur le corps visible où nous pouvons
lire les variations induites par la puberté. Ce centrage
suffit-il à considérer les transformations internes, psychiques
chez le sujet adolescent ?
La
société façonne et investit le corps, par la mode, les
tendances et l'adolescent se prête volontiers à ce
conditionnement. Sans doute parce que celui-ci lui accorde une certaine
sécurité identitaire familière et reconnue, alors
même qu'il baigne dans un nid de transformations, de changements
imposés par la puberté. Cette situation créant un
sentiment d'étrangeté, l'adolescent a besoin de repères
sociétaux pour se réapproprier ce corps : mais est ce
suffisant ? Cette question, car la société est vaste et
anonyme, plutôt, ne s'agirait-il pas de l'affaire du groupe auquel
s'identifier, avec qui faire corps ?
Le
corps, versus société, devient un objet de médiation, de
rencontre, c'est ce qu'on voit en premier avant d'entendre !
Cette
considération, repose sur le
« corps-matière » car il remet le sujet dans sa
chaire où se trouvent les éléments constitutifs de son
identité, comme l'indique X.Gasmann, ceci évoque le
« corps-mater » (Lacan), avec la dépendance à
la mère du sujet rejeton biologique de celle-ci.
La
question de la dépendance à la mère soulève la
problématique centrale de l'adolescence qui est la
séparation-individuation (P.Blos)21(*). Comment se départir de cette
dépendance pour se constituer comme sujet singulier
sexué ?
Mais
le corps avant d'être une affaire de société, est avant
tout le siège de ce qui se joue dans la prime enfance ente la
mère et le bébé. Le regard maternel est la clef de
voûte entre le bébé et le monde extérieur. En effet,
le regard suffisamment bon de la mère autorise le bébé
à se différencier d'elle, à saisir ses propres sensations
corporelles pour explorer le monde qui l'entoure. Le stade du miroir qui
intervient au 6ème mois de la vie offre au bébé
qui reconnaît son visage l'appropriation, avec les sensations corporelles
de jubilation, du corps (Freud). Le corps est alors engagé, dès
le plus jeune âge, dans cette quête de soi, dans cette
reconnaissance.
Jean
Bergès22(*) parle
d'une prise d'image, qui fait accéder au bébé à la
position dépressive puisqu'il perd l'omnipotence de la mère qui
ne lui obéit plus. Mais c'est par ce passage, que le bébé
devient sujet distingué de l'autre maternel.
Dans
la philosophie l'attention portée au corps, remonte au début du
20ème siècle. Les philosophes abordaient le corps
pour mieux en définir ses limites et les nouvelles façons de le
vivre.
Comme
le précise R.Schustermann23(*), le corps est ce qui constitue l'identité de
l'humain, mais aussi l'instrument de base de toute réalisation
indispensable aux perceptions et à toute pensée.
La
question du corps renvoie l'adolescent au paradoxe du choix : on ne
choisit pas son corps, on ne décide pas de sa puberté. Le moyen
pour l'adolescent de se différencier de ce corps imposé, de
reprendre une certaine maîtrise est d'adopter un style vestimentaire bien
à lui, même s'il se moule à la mode pour se forger une
identité singulière. Ce mouvement est nécessaire pour
qu'il se réapproprie ce corps nouveau ou changeant, car finalement ce
corps n'est pas si nouveau que ça !
Le
style vestimentaire, parfois très spécial, servirait-il de contre
poids à la blessure narcissique qu'impose la puberté qui fait
voler en éclat les repères de l'enfance ?
En
plus de devoir faire avec ce sentiment d'étrangeté, comme
l'indique F.Marty24(*),
l'adolescent doit gérer la menace du rapproché parental avec son
nouveau corps sexué. Pour mettre ce rapproché à distance,
sa fronde contre l'incestueux est souvent l'attaque en se rendant
« ingrat », repoussant.
D'un
point de vue psychanalytique, voici quelques notions éclairantes pour
tenter de comprendre ce qui se passe au niveau du corps chez Martine.
Pour
commencer, il y a Evelyne Kestemberg qui en 1962 propose de considérer
les remaniements de l'adolescence sous le versant corporel. Ces transformations
pubertaires sont actrices des modifications physiologiques faisant d'un enfant
un adulte.
Elle
insiste sur l'importance du corporel dans la recherche d'identité. Il
est aisé de penser ces manifestations pubertaires comme un facteur de
désorganisation des identifications de l'adolescent à son corps
infantile. Il ne se reconnaît plus dans ce nouveau corps sexué
avec de nouvelles fonctions qu'il ne peut pas encore assumer. Il y a, ici, le
problème de la maturité sexuelle qui devance la maturité
psychique. E.Kestemberg, nomme ce décalage :
« Dysharmonie infantile » fait que l'adolescent rejette son
corps vécu comme étranger. Dans le même temps l'adolescent
doit faire avec le retour du conflit oedipien et archaïque qui
l'éloigne de ses parents et remette en question ses identifications aux
premiers objets, à sa part infantile et à la
société.
Ce
« pré quelqu'un »25(*)est perdu entre l'enfant qu'il était et
l'adulte qu'il n'est pas encore.
La
relation entre le Moi et le corps se trouve chamboulée au moment de
l'adolescence et un auteur, Didier Anzieu26(*), s'est attelé à unir le Moi au Corps
dans Le Moi Peau. La peau tient un rôle fondamental dans
l'édification du Moi de l'individu et de ses limites. Ceci permet un
élargissement de la pensée d'un Moi psychique vers un Moi
corporel. Dans la poursuite des travaux de Didier Anzieu, E.Laufer introduit
une donnée supplémentaire. Elle précise, que la naissance
du Moi-corps n'est pas uniquement lié à des
éprouvés sensoriels, contrairement à Didier Anzieu. En
effet, chaque rapproché du corps de l'enfant au corps de la mère
ajoute à la sensorialité, décrite par Didier Anzieu, des
traces mnésiques affectives. Il y a, ainsi, une combinaison de l'image
du corps avec la représentation de la relation affective corporelle, ce
qui permet au Moi-corps de se développer.
Pour
E & M. Laufer l'adolescent subit, de par la puberté, des
transformations corporelles remettant en cause sa neutralité sexuelle.
Peu à peu ses organes génitaux deviennent fonctionnels et son
corps s'affiche au regard des autres, ce qui lui confère une
identité sexuelle irréversible.
La
passivité occasionnée par la puberté et son cortège
de modifications, est insupportable. Cet insupportable là pousse
l'adolescent à alterner des mouvements intégratifs du corps
(phases actives) avec des mouvements régressifs (phases passives). Le
corps pubère se transforme, ce qui échappe à la maitrise
du Moi.
La
ressemblance grandissante au corps parental, augmente le rapproché
incestueux et met l'adolescent en situation de rejeter ce corps, d'attaquer les
figures parentales.
Quand
tout ce passe bien, l'adolescent finit par accepter ce nouvel habitat :
son corps ! Il sort, enfin, du tumulte de l'adolescence.
Après
avoir vu le corps flottant au gré des transformations pubertaires, telle
une anémone de mer se laissant balancer par les courants marins, il faut
bien se poser la question des fonctions de celui-ci.
Annie
Birreaux précise que le corps participe à l'évolution du
sujet tout au long de son existence. Le corps possède trois fonctions
qui se développent au cours de l'évolution du sujet. Le corps est
au coeur de l'adolescence.
La
première est de se représenter ses besoins primaires et son
image. La seconde est du côté du ressenti, c'est à dire
l'addition de ses désirs, de ses fantasmes, de ses expériences
plaisir-déplaisir. Puis la troisième elle crée et
maintient l'image symbolique et sociale du sujet, ce qui permet
l'échange par le corps avec le monde extérieur.
Le
problème est que l'adolescence vient perturber ces
représentations mise en place depuis la tendre enfance !
Le
rôle principal de l'adolescence est d'unifier le corps symbolique
asexué de l'enfance à celui sexué du futur adulte. Ce
mouvement suscite parfois des angoisses massives, et le jeune s'en
défend en traitant son corps comme un objet externe à sa vie
psychique. Pour A. Birraux, le corps, « traité comme objet
qui ne fait pas partie de soi-même (...) peut être,
économiquement, le dépositaire de la haine, de
l'agressivité, de l'envie, c'est-à-dire de tous les affects
menaçants pour son propre psychisme. » (Birraux, 1994).
La question de la pathologie se pose quand la fantasmatisation de l'agression
du corps fait place à l'agir réel.
Après
ces quelques généralités sur l'adolescence et le corps, il
paraît utile de réfléchir sur la spécificité
de la problématique chez Martine.
-2.1.3) Anorexie et automutilation : Une mise à
l'épreuve du féminin chez Martine:
« On
apprend ses limites en faisant l'expérience de la douleur et du
plaisir » (Freud, 1929)
Cette
jeune fille tant par son anorexie que par ses scarifications met son corps au
service d'une communication de l'indicible.
Par
son comportement alimentaire anorexique, Martine parvient à gommer les
caractères sexuels pubertaires (aménorrhée). Maurice
Corcos27(*) explique que
la problématique centrale dans les troubles du comportement alimentaire
est la lutte contre la séparation. Ne pas avoir ses règles permet
de rester le petit enfant de sa mère : « ...Corps
pour une large part indifférenciée d'avec le corps maternel quand
il n'est pas vécu purement et simplement comme une extension ou un
morceau détaché de corps maternel »28(*).
Martine
est collée psychiquement à sa mère, malgré les
demandes paradoxales et les mouvements mortifères de celle-ci. En
exemple de demande paradoxale il y a celle où la mère enjoint sa
fille d'avoir ses règles avant de sortir de l'hôpital. Les
professionnels des troubles des conduites alimentaires ont observé que
le retour de celles-ci n'était pas systématiquement au rendez
vous dès que le poids attendu était atteint. Maurice Corcos
explique dans son article que les menstruations sont tributaires d'un
lâcher prise des symptômes anorexiques, elles reviennent,
notamment, à des moments dépressifs où les défenses
deviennent moins rigides.
Ce
qui est intéressant chez Martine, c'est l'apparition de
préoccupation autour d'une maternité. En effet, elle
évoque à plusieurs reprises son désir d'avoir des enfants
et interroge l'équipe sur un délai de retour de ses
règles.
L'aménorrhée
chez Martine peut traduire à la fois un désir de rester
fusionnée à sa mère et un désir de grossesse
(qu'elle évoque lors des entretiens médicaux). En effet, chez la
femme, la grossesse est caractérisée par une
aménorrhée. Mais le désir de rester collée à
sa mère, chez Martine, est très prégnant, car quand
l'idée d'une maternité est abordée, elle exprime le
souhait d'avoir 3 enfants : un garçon et 2 soeurs...comme sa
mère.
En
tout cas, comme me l'a précisé son psychiatre traitant, c'est par
cette préoccupation autour du désir de grossesse que Martine fut
mobilisable quant à une reprise de poids auquel le retour des
règles est subordonné, en partie.
En
plus de son anorexie, Martine se livre à des scarifications qui
pourraient correspondre, chez elle, à une angoisse désorganisante
et térébrante.
« La
peau, elle n'est pas médiatrice de langage, elle est langage. La peau
appartient à la voix qui en parle, elle est corps de cette voix qui
s'adresse à autrui, dans son impossible déliaison aux mots qui
tragiquement s'en séparent. »29(*) (DR Eliane Corrin, Dermatologue à
Paris)
Ce
corps, qui au commencement est celui de l'enfance porté par la
mère, au moment de l'adolescence (temps des orages pulsionnels et
émotionnels) fait revivre sous la forme pubertaire l'empreinte informe
de la sexualité infantile.
Les
symptômes de Martine impliquent le corps, entre anorexie et
scarification, quelque chose semble s'inscrire de l'indicible qu'elle tente de
montrer. Comme si son corps devenait une « table »
où elle inscrirait des éléments de son être.
Par
cet acte d'automutilation, n'aurait-il pas chez elle une tentative de conjurer
le sort jeté sur elle par le pubertaire. Pubertaire qu'elle tente de
gommer avec ses conduites alimentaires restrictives.
Il
est intéressant de faire le lien avec son anorexie en ce sens que ses
automutilations peuvent avoir une fonction de purge, tout comme les
vomissements. Les jeunes filles ayant recours à ces automutilations
décrivent bien la fonction de décharge de cette dernière,
induite par la douleur et par surtout l'écoulement du sang.
Martine
semble vouloir évacuer (par ses vomissements et ses scarifications) tout
ce qui rentre (la nourriture) et ce qui demeure en elle (le sang).
En
écrivant, une image d'un « corps- passoire » me
vient à l'esprit. Ce corps passoire d'où jaillit la substance
vivante. Image d'un corps sans contenant, se vidant de son contenu, faute de
limite pour le retenir.
Martine
semble dans une vidange permanente de l'objet interne maternel, faute de
pouvoir s'en séparer.
Lors
des remaniements de la puberté, l'adolescent subit et ce, en plus de la
désorganisation identitaire, le retour des pulsions agressives, enfouies
jusqu'ici dans les profondeurs de son Ça. Ainsi, sa violence
fondamentale (Bergeret, 1984) vient alimenter une nouvelle violence, qui
rejoint le courant pulsionnel, et réactive les fantasmes oedipiens de
l'enfance. L'adolescent se retrouve envahi par des fantasmes incestueux qui
ravivent chez lui l'angoisse de castration. Pour se défendre contre ces
menaces, le jeune sort de sa position infantile passive et se met à agir
les objets qu'il perçoit comme persécutant. Il attaque alors
fantasmatiquement et parfois réellement l'image de son corps
sexué ainsi que les objets incestueux, responsables selon lui du
mal-être qu'il ressent. Si le Moi de l'adolescent est suffisamment solide
et que son environnement, non seulement résiste à ses attaques,
mais aussi le soutient dans cette étape, l'agressivité ressentie
peut être progressivement intégrée à sa vie
psychique. L'élaboration des différents conflits peut alors
s'engager et aboutir, à terme, à l'établissement de sa
nouvelle identité adulte.
Dans
le cas contraire, le jeune qui n'a pu établir, dans la prime enfance, de
lien suffisamment sécurisant avec ses objets, se retrouve à
l'adolescence, dangereusement débordé par les remaniements de la
puberté. La sexualisation de son corps d'une part et les mouvements
régressifs que lui impose le Ça d'autre part, ravivent chez lui
une problématique de dépendance insupportable. Il éprouve
un besoin de rapproché et de réassurance presque vitale de la
part de ses objets, au moment où la menace de transgression oedipienne
est la plus virulente. Ce paradoxe dépendance-autonomie crée un
écart narcissico-objectal au sein du Moi adolescent qui ressent la
menace imminente de son effondrement. Sans la fonction de contenance de
l'environnement et de soutien à l'intégration de sa violence
interne, le jeune se retrouve écrasé sous le poids de la
persécution, et cherche dans le recours à la violence,
hétéro ou auto-agressive, le moyen d'y survivre. Plus la
dépendance à l'objet est forte et plus les mouvements de
régression et de désindividuation que le jeune subit sont
puissants. Le passage à l'acte, hétéro et/ou
auto-agressif, devient alors un moyen de réguler la distance à
son environnement qu'il n'arrive plus à assurer au niveau
intrapsychique, d'éprouver ses limites et de substituer à la
quête des émotions celles des sensations, davantage
maîtrisables.
L'une
des problématiques centrales de l'adolescence, qu'est la
séparation traverse l'histoire Martine. Ce processus, qui s'opère
principalement en deux temps, ébranle plus ou moins fortement,
dès la maturation sexuelle, le Moi de l'adolescent et le pousse à
faire appel à l'ensemble de ses défenses pour assurer le maintien
de sa cohésion interne. L'agir et le vécu dépressif sont
ainsi employés, dans le développement normal,
simultanément comme décharge et élaboration des tensions
intrapsychiques. Cependant, quand la menace de l'effondrement est imminente, le
Moi peut faire appel à d'autres défenses, plus extrêmes,
comme la scarification.
La
scarification est une « altération intentionnelle,
consciente et directe des tissus de l'organisme, sans volonté de
mourir » (Richard, 2005)30(*). Ces altérations sont principalement des
coupures, faites avec des objets extérieurs (compas, ciseaux, bout de
verre, cigarette ...) ou avec son corps propre (ongle, dent). Les
brûlures, les morsures, les érosions cutanées, peuvent
également être intégrées dans ce mode
spécifique d'automutilation. Martine qui s'inflige ces blessures choisit
généralement une ou deux zones corporelles, comme cibles
privilégiées à savoir les bras et les avant-bras, sur
lesquelles elle inscrit son mal-être, de façon plus ou moins
profonde, mais sans réel intention suicidaire.
Pour
D. Anzieu, « la peau est une enveloppe du corps, tout comme le
Moi tend à envelopper l'appareil psychique » (Anzieu,
1985). Elle est plus qu'un simple organe, car elle « fournit
à l'appareil psychique les représentations constitutives du Moi
et de ses principales fonctions » (Anzieu, 1985). La peau
revêt de multiples fonctions.
La
première fonction de la peau est une fonction de soutien et de
maintenance, qui donne au corps et au psychisme, solidité et
unité. Elle se développe par l'intériorisation du
« holding » maternel (Winnicott, 1962).
Deuxièmement, la peau est contenante. Les répétitions des
« handling » (Winnicott, 1962) de l'environnement
permettent au bébé de ressentir son enveloppe comme un sac qui
concentre ses sensations, ses représentations... Pour D. Anzieu, deux
angoisses naissent de la carence de cette fonction : l'angoisse d'une
excitation pulsionnelle diffuse (non identifiable et non localisable) et
l'angoisse d'un Moi-peau passoire. Ensuite, la peau possède une fonction
de pare-excitation. Initialement, la mère remplit ce rôle
jusqu'à ce que « le Moi en croissance (...) trouve sur sa
propre peau un étayage suffisant pour assumer cette
fonction » (Anzieu, 1985). Un excès d'excitation ou, au
contraire, un déficit lors de l'établissement de cette
qualité peut entraver le développement de l'auto-érotisme
infantile et donc, à terme, sa future sexualité adulte. La peau
assure également la fonction d'individuation du Soi, donnant ainsi
à chaque personne le sentiment d'être un individu unique. Si cette
faculté n'a pu s'établir correctement ou qu'elle est
remaniée à travers les âges, elle donne naissance à
un « sentiment d'étrangeté » (Freud,
1933), lié à un effacement, plus ou moins important, des limites
de soi. En outre, l'enveloppe dispose d'une intersensorialité, attestant
d'un « sens commun » (Anzieu, 1985). Par
défaut, elle donne naissance à des angoisses de morcellement et
de démantèlement. La peau est également une surface de
soutien de l'excitation sexuelle. Elle permet, par les éprouvés
sensoriels, la découverte progressive des zones érogènes,
de la différence des sexes et de leurs complémentarités.
Son manque d'étayage, dans la prime enfance peut entraîner des
conséquences similaires à la carence de la pare-excitation.
Ensuite, la peau est une surface de stimulation permanente qui permet
« la recharge libidinale du fonctionnement psychique, le maintien
de la tension énergétique et sa répartition inégale
entre les sous-systèmes psychiques » (Anzieu, 1985). Les
angoisses qu'elle peut faire émerger sont des angoisses d'explosion de
l'appareil psychique ou des angoisses de Nirvâna. Enfin, la peau a une
fonction d'inscription des traces sensorielles tactiles. « Le
Moi-peau est le parchemin originaire, qui conserve, à la manière
d'un palimpseste, les brouillons raturés, grattés,
surchargés, d'une écriture « originaire »
préverbale faite de traces cutanées » (Anzieu,
1985).
Certains
adolescents qui se coupent disent ne pas ressentir la douleur de l'acte.
D'autres, au contraire, recherche dans cet éprouvé, un moyen de
soulager la tension psychique, d'expérimenter leurs limites et leurs
enveloppes corporelles. Selon B. Richard, « la douleur physique
n'est (...) qu'un moyen au service d'une autre fin » (2005). Les
adolescents qui se scarifient ne recherchent pas le plaisir masochique de la
douleur, mais plutôt une façon d'apaiser leur mal-être. Au
contraire, pour d'autres auteurs, la scarification est un « acte
masochiste par excellence ». A l'adolescence, le jeune subit des
mouvements régressifs importants qui peuvent l'amener à se
replier dans l'auto-érotisme. Pour Ph. Jeammet, ce n'est pas le plaisir
de se couper qui est recherché par l'adolescent mais plutôt le
plaisir d'échapper, pendant l'acte, au contrôle que l'objet a sur
lui : « la relation masochique et la souffrance maintiennent
les frontières et contrôlent l'objet » (1983). En
se coupant, l'adolescent lutte contre l'effacement de ses limites et contre une
dépersonnalisation.
2.2) Eros et Thanatos : « Attraper quelque
chose du vivant Chez Martine »:
-2.2.1) Pulsion de vie et de mort : « Que se
passe t-il dans la salle des machines » ?
En
Comparant la situation clinique de Martine (dans le service et à
l'atelier théâtre) il apparait très nettement deux
scènes, deux « montrer ».
Aussi
il y a une différence entre ces deux espaces dans ce que Martine donne
à voir.
Ce
qui est troublant, c'est le nombre de relectures (pour la correction de fautes
de frappe ou de syntaxe), qu'il m'a fallu pour déceler des
éléments du côté du vivant.
Il
s'agit là, d'un vrai travail d'anamorphose où la mise
en perspective donne un autre visage de la situation. Francis Bacon regarde par
le haut ses peintures, aussi, ce recul donne à voir un corps en son
ensemble (Cf. la couverture). En me décalant de ma fonction
d'infirmière pour aller vers celle de la psychologue clinicienne en
devenir, mon regard s'est porté sur cette autre scène. Autre
scène qui se joue, probablement, de manière plus visible en
situation d'improvisation théâtrale ?
Effectivement,
bien qu'encore en formation, le travail de clinicienne, selon moi, consisterait
en un travail de fouille où l'idée serait de trouver ces
fragments de diamants tapis sous un charbon noir et salissant.
Est-ce
que ces petits diamants seraient des ruines de quelque chose qui a
existé et fut détruit ? Ce quelque chose à
l'intérieur de Martine qui brille derrière une chape
charbonneuse de symptômes, peut-il être exhumé à des
fins thérapeutiques, à des fins de survie, tout simplement ?
Le symptôme peut aussi relever de la pulsion de vie et les moyens
thérapeutiques ne visent pas à démonter le symptôme,
mais davantage à en passer par le sujet (via un processus de
subjectivation), en l'amenant à dire ou éventuellement faire dans
le dire, comme sur une scène de jeu de l'improvisation par exemple.
Martine,
semble conserver ces petits diamants comme des traces mnésiques de
moments structurants dans ses premières relations à l'objet,
moments qui n'auraient pas pu jouer leur fonction subjectivante car trop
irréguliers, trop rares.
Ce
quelque chose est bien présent puisqu'il fait saillie dans
l'improvisation, il voit le jour. Alors, pourquoi ne tient-il pas
au-delà du jeu, pourquoi cette liaison ne tient-elle pas après
l'atelier ?
Cette
mise en perspective me permet de recueillir ces éléments
« vivants » qui m'aide à apporter quelques
éléments de réponse à ma
problématique.
Ces
tout petits diamants trouvés dans la noirceur du symptôme de
Martine sont, me semble t-il, sa capacité à susciter la
rêverie chez le spectateur, l'identification à son père en
tant qu'artiste donc du côté de la création, puis son
désir de grossesse.
Le père en tant qu'artiste transforme quelque chose du vivant, en tant
qu'identification qui vient faire séparation d'avec la
mère.
Chez
Martine, ce rideau de « faire »31(*) rend invisible le vivant
pourtant présent. La situation théâtrale
révèle cette autre scène telle une levée de rideau
sur une scène habitée, animée, lumineuse.
Dans
la scène mortifère, Martine, semble vouée à une
destinée tragique comme les héroïnes de la Tragédie
Antique, tant elle court après la mort en permanence (par ses multiples
conduites à risques). L'atelier théâtre viendrait, ici,
arracher temporairement Martine prise dans une loi folle, à cette
destinée tragique.
En
rédigeant ces quelques lignes la question de la pulsion de vie et de la
pulsion de mort m'apparait en tant que mise en tension de celles-ci.
Il
m'est difficile d'imaginer un règne absolu de la pulsion de mort chez
Martine. Pulsion de mort à laquelle Martine serait condamnée
à obéir, jusqu'à en mourir (destinée tragique).
D'autant plus difficile à concevoir qu'il existe chez elle des
éléments du vivant.
Pour
tenter de comprendre ce qui peut s'animer comme conflit entre Eros et Thanatos,
il faut se référer à Freud (1920) : Au
delà du principe de plaisir où il déplie sa
théorie sur pulsion de vie et pulsion de mort. Freud, dans cet ouvrage,
explique que l'individu est régi par un conflit fondamental entre
pulsion de vie et pulsion de mort.
Il
évoque la pulsion de mort comme une dérive du besoin biologique
de tout organisme vivant, d'un retour à son état initial (par
exemple l'apoptose cellulaire). A la pulsion de mort, s'oppose la pulsion de
vie dont la libido fait partie.
Pour
que la pulsion de vie garde sa valeur, encore faut-il qu'elle dépasse et
maitrise la pulsion de mort, en partie.
Quelques
années plus tard, Freud affine sa théorie en montrant que lorsque
la pulsion de mort domine le conflit, la destructivité de la vie
psychique est en marche. C'est-à-dire que la fonction du symbolique qui
fondamentalement est ce travail de liaison entre deux représentations,
mais qui à défaut de celle ci engendre un gel du processus
psychique. Quand la pulsion de vie a le dessus, la composante destructrice est
en partie neutralisée et l'agressivité vient se mettre au service
de la vie et du Moi.
Chez
Martine, il y a cette incapacité à se lier, de façon
permanente, à la pulsion de vie. Cette liaison se déroule au
moment des improvisations, mais ne semble pas pouvoir tenir au-delà de
celle-ci.
Ces
petits bouts de vivants que Martine possède pourraient appartenir
à la pulsion de vie, mais insuffisamment opérant pour se lier
à elle afin de faire barrage à la pulsion de mort.
Dans
l'atelier, Martine tente d'attraper quelque chose du vivant avec un filet
à papillon qui arrive à capturer ce quelque chose du vivant mais
qui le laisse s'envoler tout de suite après l'improvisation.
Avant
de parler de pulsion de vie et pulsions de mort, il convient de s'entendre sur
la signification du mot pulsion.
Dans
Métapsychologie, Freud définit la pulsion comme une
poussée dynamique ayant une source, un but, et un objet. Elle agit comme
une force constance et est comparable à un besoin qui ne peut être
supprimé que par la satisfaction. Il existe deux sortes de
pulsions : la pulsion du Moi ou d'autoconservation et le groupe des
pulsions sexuelles. Ces pulsions s'étayent sur les pulsions
d'autoconservation qui leur fournissent une source organique, une direction et
un objet. Il s'agit d'un travail de réflexion hypothétique
à partir du dire de patients. Les notions de besoin, d'autoconservations
restent insatisfaisantes pour penser le processus thérapeutique.
Freud
remplace, par la suite, l'opposition de pulsion sexuelle et pulsion du Moi, par
l'opposition de pulsion de vie et de mort.
La
pulsion donne à l'humain la force de vivre.
Il
précise que l'excitation pulsionnelle ne vient pas de
l'extérieure mais de l'intérieure, c'est-à-dire de
l'organisme lui-même. Ceci implique que l'appareil psychique est soumis
au principe de plaisir et est régulé par des sensations de la
série plaisir/déplaisir, c'est ce qu'on peut appeler la notion de
représentation.
La
décharge pulsionnelle créée un abaissement au plus bas du
niveau de tension. Cet abaissement est temporaire.
La
pulsion sexuelle est jusqu'ici principalement auto-érotique, elle trouve
à présent l'objet sexuel : maintenant un nouveau but est
donné à la réalisation duquel toutes les pulsions
partielles collaborent, tandis que les zones érogènes se
soumettent au primat de la zone génitale.
Le
plaisir final est le plus élevé en intensité et
diffère dans son mécanisme de ceux qui l'ont
précédé. (Freud).
L'anorexie
de Martine la place dans un registre d'un renversement dans le contraire de la
pulsion (c'est l'un des destins de la pulsion). En effet, ses multiples
attaques du corps et ses troubles du comportement alimentaire interrogent du
côté du masochisme qui selon Freud tend à un renversement
névrotique originaire comme un mélange dans la douleur, de
l'intensité sensorielle et de l'excitation sexuelle, se rapprochant
aussi d'une pulsion de mort silencieuse. Ceci renvoie au rôle de
l'hallucinatoire comme première représentation du sein manquant
(objet maternel - pulsion orale) où le masochisme primordiale vient
comme première forme d'acceptation de jouer avec la
représentation qui résulte de cet hallucinatoire, pour exemple,
le jeu du For Da, où le bébé expérimente le manque
et va de manière hallucinatoire la combler, par le jeu d'avec la
bobine)
Les
adolescents, comme Martine, qui prennent le risque de mourir dans leurs
conduites semblent espérer trouver une limite à leur
angoisse.32(*) Ils vont
chercher cet objet primordial du côté de l'oralité
d'où le manger « rien » qui est déjà
quelque chose.
Ceci
interroge sur la fonction de l'improvisation en ce sens qu'elle offre une
possibilité de mise en jeu, levant ainsi des défenses
destructrices qui emprisonnent Martine. La transformation d'une pulsion en son
contraire ne s'observe que dans un cas, celui du passage de l'amour à la
haine. L'amour/haine peut être dirigé sur le même objet. En
effet, Cet amour/haine vise le même objet parce qu'il y a un travail
psychique défensif visant ultérieurement à protéger
l'objet maternel en dirigeant la haine vers un autre objet support : c'est
le clivage qui précède l'ambivalence et la possibilité du
conflit autour du même objet ce qui suppose le passage par la position
dépressive, créant ainsi de l'ambivalence (Mélanie
Klein)
Freud
explique que la pulsion autoérotique implique l'autre dans sa
position ; ce qui introduit la dimension d'objet. L'autoérotisme
est un mouvement de jouissance qui signe la recherche en soi de cet objet au
mieux introjecté.
Il
y a ici la création de deux espaces en deux dimensions où va
s'inscrire la dimension pulsionnelle et le sujet lui-même.
La
trajectoire pulsionnelle dont Martine est la résultante, l'oriente dans
la réalité notamment spatiale. Dans cette réalité
spatiale, ne serait-on du côté du voir, donc de la
maitrise ?En effet, l'image du corps, plus précisément
l'image inconsciente du corps il faut des mots, des signifiants qui permettent
le passage de l'imaginaire du corps et du spatial à celui du symbolique
et d'une possible subjectivation de ce corps qui ne devient plus seulement ce
support de jouissance mais peut devenir un lieu de plaisir. En se
décalant du corps en tant que tel, les objets de la pulsion invitent
à une extension spatiale du corps pulsionnel.
Il
n'y a pas la pulsion de mort d'un côté et la pulsion de vie de
l'autre. En effet, il y a intrication des deux, où la pulsion de mort se
lie à la libido. C'est le principe de la rythmicité sur lequel
repose le plaisir qui nécessite l'effet de castration,
c'est-à-dire d'arrêt comme dans la jouissance phallique. Le corps
de l'anorexique se subjective comme un grand phallus, comme objet venant
combler la demande maternel dans le sens où le corps jouit de mourir de
faim (ou de fin). Cette intrication se fait par l'intermédiaire de
l'objet.
-2.2.2) La dimension masochique chez Martine
Pour
évoquer la question du masochisme, je m'aiderai des travaux de Benno
Rosenberg et de Philippe Jeammet.
Le
masochisme appartient au spectre de la sexologie mais est repris par Freud dans
sa théorie sur les perversions sexuelles étendue à
d'autres actes, autres que les perversions sexuelles33(*).
Freud
couple le masochisme au sadisme, donnant ainsi naissance au
« sadomasochisme », terme qui s'impose dans la terminologie
psychanalytique.
Le
masochisme est toujours suivi par le sadisme. Freud fait la relation entre le
principe de plaisir et le masochisme, où demeure le plaisir de la
douleur, de la souffrance : il y a plaisir du déplaisir.
Dans
le masochisme, Freud explique que l'augmentation de la tension, de l'excitation
devient jouissance, ce qui est l'inverse habituellement où
l'augmentation des tensions et de l'excitation sont sources de
déplaisir.
La
notion de plaisir/déplaisir ne se réduit pas seulement à
l'accroissement ou à l'abaissement d'une quantité de tension, car
le plaisir sexuel consiste en une augmentation de la tension qui devient une
source de plaisir (et non pas de déplaisir)34(*).
Le
Principe de plaisir chez le patient masochique consiste en la transformation de
la pulsion de mort en principe de plaisir, ce que Freud appelle « le
principe de Nirvana ».
Le
masochisme se découpe en masochisme érogène et masochisme
moral. Le masochisme érogène est la forme à partir de
laquelle les autres formes se déploient.
Le
masochisme érogène est fondé sur la prise en compte de la
pulsion de mort où le but est plutôt de trouver le moyen de ne pas
la satisfaire, moyen, selon Freud, d'empêcher la satisfaction de la
pulsion de mort et donc de la destruction.
Dans
l'anorexie mentale, le masochisme vient se substituer à la satisfaction
des besoins vitaux, mettant ainsi en jeu la vie de la patiente. C'est à
ce moment précis que le masochisme devient mortifère. Dans cette
pathologie, c'est le masochisme érogène du vécu de la faim
qui est en cause35(*).
E.Kestemberg
évoque « l'orgasme de la faim » qui consiste en
l'investissement masochique de l'excitation de la faim par l'anorexie. Cette
mise en jeu de la vie chez l'anorexique tient au blocage de la pulsion de vie
dont la fonction est de permettre la satisfaction objectale.
Il
y a sidération du fonctionnement normal de la libido et de
l'autoconservation (pulsion de vie).
Il
n'est pas permis de parler du masochisme sans aborder le masochisme moral qui
caractérise l'organisation névrotique.
D'emblée,
Benno Rosenberg propose de différencier le masochisme moral et la
culpabilité. Il décrit la culpabilité comme une notion
fondamentale et centrale dans l'organisation névrotique.
Le
masochisme moral porte sur le masochisme propre du Moi qui demande une punition
du Surmoi ou de l'extérieur : le désir du Moi est de se
soumettre au surmoi.
Pour
ce qui est de la culpabilité, elle est la conséquence d'un
sadisme accru du Surmoi auquel le Moi se soumet. (Ici, pourrait-on dire que la
culpabilité tient du fait que le Surmoi enjoint le Moi à
« jouir »)
La
différence entre les deux, réside dans le lieu de la
satisfaction. Dans la culpabilité la satisfaction libidinale qui a son
objet propre et la culpabilité fait suite à cette satisfaction.
Concernant le masochisme moral, la satisfaction réside dans la
culpabilité même, c'est ce sentiment de culpabilité qui est
érotisée (investissement masochique).
Pour
Philippe Jeammet, le masochisme donne une possibilité de
délivrance de l'emprise de l'objet et de reprendre une position active
de maîtrise36(*).
C'est la menace qui pèse sur le Moi, sur l'identité qui semble
être le moteur du masochisme. Le masochisme est un moyen de
maîtrise sur une menace identitaire et de dissolution du Moi et dans ce
cas présent, devient « gardien de la vie » en tant
qu'ultime défense d'un Moi débordé face à la
reddition et l'abandon au pouvoir de l'objet qui lui permet un triomphe par
l'autodestruction sur l'objet décevant.
Cette
conduite masochique de « sauvegarde » rend
l'adhésion aux soins bien difficiles. Avec Martine, l'équipe doit
négocier avec cette part là, peut-être avec l'idée
de trouver une autre béquille à lui proposer pour qu'elle puisse
abandonner toutes ses conduites masochiques.
Martine
de par son anorexie, invite à réfléchir sur la dimension
masochique que revêt son symptôme. En effet, ce qu'elle s'inflige
avec force et constance la place en tant qu'objet qui s'auto-maltraite. Elle
semble prise dans une spirale jouissive, où la douleur viendrait combler
son vide interne causé par l'absence, ou un trop plein de l'objet
maternel. Il me semble important de préciser que ça pourrait
être la symbolisation du manque qui fait cruellement défaut chez
ces patientes.
Dans
l'anorexie, mais aussi dans la boulimie, les patientes peuvent avoir de vraies
crises de « gavage » afin de se vider (vomissement, purge
anale ou diurétique...): il s'agit là, de se remplir pour se
vider. Cette purge, au delà de la fonction de
« vidange » peut confiner au-delà de la recherche de
sensation, à la quête d'une douleur physique (se manger les joues,
pressions abdominales, se mutiler,...) et s'organiser dans des conduites
à risque et dans des automutilations répétées,
répondant à un caractère impulsif-compulsif, Maurice
Corcos range du côté de l'auto-sadisme, un « sadisme
réfléchi », actif. Il y a ici défense
narcissique par répression des affects engendrés par l'objet
empiétant le territoire psychique du sujet lui même. Cet auto
sadisme semble correspondre à un retour sur soi d'un sadisme
dirigé vers le représentant de l'objet. Il ne s'agit pas
uniquement d'automutilations à forme de scarifications, en effet les
réactions du sujet face à l'insuffisance de l'objet, envahissant
par son absence, biaisent le sentiment de continuité et provoquent une
menace d'annihilation. Il y a aussi plus précisément une
tentative d'exclusion du « membre malade »
(représentant de l'objet), en soi, témoignant bien du trouble
identitaire massif face au sentiment de possession par un objet.
Ceci
place le sujet dans un paradoxe, c'est-à-dire qu'il est rempli d'une
absence. L'angoisse contre laquelle lutte cet auto sadisme reste plus proche de
l'ordre de l'abandon dans la défusion. Surtout elle s'apparente
à une corporéïsation de la menace
séparation-castration. D. Anzieu: « La souffrance
masochiste avant d'être érotisée secondairement et de
conduire au masochisme sexuel et moral, s'explique d'abord par une alternance
brusque , répétée et quasi traumatique , (avant la marche,
le stade du miroir, la parole), de sur-stimulation et de privation du contact
physique, de satisfaction et de frustration du désir d'attachement par
rapport au moi-peau, le narcissisme primaire correspond à
l'expérience de la satisfaction ; le masochisme primaire, à
l'épreuve de la souffrance »37(*)... Le fantasme originaire du masochisme consiste
en une illusion d'une même peau appartenant à l'enfant et sa
mère, peau comme représentant de leur fusion, de leur symbiose
(est-ce que les coupures de Martine seraient une tentative de s'arracher
à la peau maternelle où elle reste collée, telle un membre
siamois ?),... le processus de défusion et d'accès de
l'enfant à l'autonomie entraine une rupture et une déchirure de
cette peau commune. L'auto-érotisme interviendrait telle une parade
contre un risque de désorganisation somatique. Il témoigne de la
permanence de la dépendance à l'objet et donc de ce qui fait sa
vulnérabilité c'est-à-dire sa solitude
fondamentale.
B.
Rosenberg explique la sortie du masochisme érogène primaire par
la voie de l'auto sadisme, ce qui permettrait la désexualisation et la
culpabilité, par conséquent la constitution d'une névrose.
Ce qui peut entrainer l'échec dans la constitution d'un masochisme
« gardien de la vie », au sens d'un masochisme
contenant dans la sphère psychique les envies autopunitives
récupératrices de l'objet au lieu de les agir dans le corps. Dans
les services d'adolescents souffrant de troubles du comportement alimentaires,
ce qui est souvent remarqué c'est que la douleur physique qu'ils
s'auto-infligent (mutilations), stoppe le processus en parvenant à lever
pour un temps le déni de la réalité du risque vital.
Mais
qu'en est-il du masochisme moral où le sujet aimé-haï
disparaît pour laisser place à l'investissement de la souffrance
(à l'inverse du masochisme érogène ou le masochisme
primaire érotisé permet de conserver le commerce avec l'objet
dans la haine). C. Chabert propose, à partir de son expérience
dans les TCA la construction suivante : « le masochisme moral
s'ancre, dans la re-sexualisation oedipienne, à une conviction
incestueuse déterminant une angoisse majeure de perte d'amour et un
retournement haineux, contre le moi, des attaques destructrices visant l'objet.
C'est l'impossible mise en scène de la rivalité avec la
mère, certes, mais surtout l'impossible confrontation à la
passivité qui engage la version mélancolique des fantasmes de
séduction... Au delà de l'expiation mortifiante à laquelle
elle se soumet, c'est la mère qui est visée et atteinte du fait
de la prévalence narcissique des indentifications »38(*). Elle envisage le gommage
de la féminité en rapport avec un inceste insuffisamment
refoulé qui fait retour dans des scènes masochistes. Elle
évoque une attaque désobjectalisante et une attaque des
investissements libidinaux en regard de cette problématique.
Attaques
qui correspondraient à un refus de se voir constituer comme source de
désir de l'autre.
Maurice
Corcos émet l'hypothèse que pour les formes graves
archaïques de TCA l'attaque désobjectalisante sur le corps propre
indifférencié, vise en regard d'une possession par le corps
maternel, à un refus d'un même corps.
« L'identification
narcissique à la mère a généré une
indifférenciation »39(*). Notamment au niveau de l'espace corporel. Ainsi le
masochisme moral pourrait correspondre à l'investissement de la
souffrance infligée au corps de la mère
indifférencié d'avec le sien. Le fantasme de destruction haineuse
de la mère (parce que la mère en termes de représentation
se joue du côté du corps sinon on se place du côté de
l'objet de désir du père) relié dans un premier temps
à la psyché semble prendre une dimension agie sur un corps
indifférencié d'avec l'objet. Après une phase de
déconnexion psychique, l'investissement de la souffrance (masochisme
moral) marquerait la fin de la lutte entre sujet et objet. La souffrance
devient l'ultime représentante de la mère insuffisante. Le sujet
investit la souffrance. La volupté de la douleur remplace l'absence,
remplit ce trou creusé par une mère absente, frustrante.
Martine
est comme aliénée au manque à être de l'objet, ou
à son absence, toutes deux déniées, et surinvesties.
Ce
qui vient révéler le symptôme anorexique, à son
principal destinataire, la mère, est son inassimilation de nourritures
inconsistantes de n'être pas affectives et son avidité pour
l'obscur objet du désir maternel. Pourtant ce que l'anorexique offre
à sa mère est un corps squelettique, quasi cadavérique
l'obligeant à une attention soutenue et à l'expression d'un
désir de vie pour son enfant (c'est le symptôme que l'adolescent
adresse à sa mère, tel un message qui viendrait se
compléter une fois encore de cette figuration imaginaire phallique du
corps longiligne). Ici, la mère de Martine est davantage inscrite dans
une démarche mortifère envers sa fille, tout en ébauchant
un désir de vie pour elle en tenant à ce que cette
dernière ait ses règles (règles en tant que signifiant de
la vie, du désir, de la féminité), elle l'aliène
à une place de malade moribonde ne pouvant quitter l'hôpital
qu'une fois les règles revenues, elle l'assigne, ainsi, à une
place de « malade incurable et incapable de donner la
vie », puisque non réglée. Cette mère là,
semble dans une double contrainte (ou bien, une demande d'être
comblée imaginairement par son enfant une fois devenu adolescent
re-sexualisé, tout devient comme une certaine représentation
phallique allant aussi du côté d'une maîtrise de la faim tel
un défi lancé à la mère) , elle enveloppe Martine
dans une chrysalide solide et hermétique. « Ces
transactions mère-enfant, font penser à une dimension psychique
mélancoliforme chez la mère que la patiente aurait perçue
et figurerait physiquement, l'éprouvé corporel étant la
matière même de la
représentation. »40(*)
III) Discussion et analyse autour de la problématique
de Martine : Mise en scène :
La
scène subjective se crée dans une temporalité et une
mémoire propres, et le désir sert de guide pour une
répétition d'une extension du vécu psychique, dans
l'improvisation.
La
pulsion telle un tempo, rythme l'espace psychique, lui permettant ainsi de
s'articuler sur un corps érogène.
3.1) De quelle scène s'agit-il ?
-3.1.1) Scène de jouissance masochique ?
Après
un passage du côté de la théorie, je propose, en reprenant
des éléments cliniques, de prélever ce qui pourrait
être du côté d'une jouissance masochique chez Martine.
Il
paraît important de s'entendre sur ce que veut dire le moment jouissance
au travers de la définition freudienne, avant d'inclure ce terme dans ma
réflexion.
La
jouissance est un terme peu utilisé par Freud. Le concept de jouissance
est d'abord lié au plaisir sexuel, impliquant une dimension
transgressive de la loi. La jouissance participe de la perversion, c'est ce que
Freud décrit dans les Trois Essais sur la Théorie
Sexuelle en l'utilisant pour parler des « invertis »,
c'est-à-dire des homosexuels pour évoquer leur aversion pour
l'objet sexuel de l'autre sexe.
La
jouissance n'est pas que plaisir mais elle est aussi sous tendue par une
identification en s'articulant à l'idée de la
répétition qui renvoie à la de la pulsion de mort. Bien
sur, ce concept invite à retourner aux premiers stades de la vie du
nourrisson, qui va jouir du moment de la
« tété », où il va apaiser la tension
de la faim, mais par un acte de répétition il va recourir au
suçotement (dépourvu de sa fonction nutritive), ce qui le met du
côté de l'auto érotisme.
Martine
utilise son corps comme langage, peut-être aussi comme moyen de se couper
de l'objet maternel. Elle effectue ces opérations « sans
anesthésie », dans la douleur.
La
force et la persistance de ses actes auto-agressifs, ses attaques contre
elle-même forcent à envisager la jouissance qu'elle peut y
trouver. Aussi, peut-on penser cette jouissance par rapport à
l'investissement/désinvestissement de son corps par la mère.
En
effet, dans le corps de Martine, qu'en est-il de l'inscription du regard
suffisamment bon de la mère. Dans l'anorexie, le gommage des formes
féminines pose la question de l'identification au féminin.
Comment
Martine parviendrait-elle à investir une image féminine, alors
même qu'elle ne semble pas avoir pu introjecter l'objet maternel, dans
un« trop plein ou trop vide » de celui-ci. Pour y parvenir,
elle devrait faire un travail de coupure, non pas sur son corps, mais de
coupure symbolique (ceci suppose une possible construction d'une
représentation maternelle « suffisamment bonne », de
fait, emprunte d'ambivalence), Il s'agit d'une mère manquante, ce qui
supposerait le recours à une représentation tierce autoriserait
Martine à se délier de cette peau commune à la
mère. L'autre travail, pour Martine, serait de s'affranchir du
pubertaire pour laisser place au féminin afin d'accéder à
une jouissance féminine liée à la séparation des
corps mère-fille.
Les
mères inscrivent dans le corps de ces jeunes filles un
désinvestissement ou un contre investissement, créant ainsi une
difficulté d'identification sexuelle chez l'enfant. Il est donc
nécessaire d'évaluer l'impact entre le désinvestissement
corporel, (voire la mutilation du corps), chez la mère et chez la
fille. La séparation se caractériserait
par le fait d'avoir un corps différent de celui de la mère et
d'accéder à la jouissance féminine inhérente
à cette possible séparation des corps.
Cet
aspect « corporel » parait être fondamental dans la
question du « choix » de l'addiction alimentaire en tant
que processus économique figurant la problématique
identitaire.
« La
jouissance du sujet sera dépendante de la jouissance de l'Autre-maternel
et de l'objet d'amour de celui-ci qui n'est pas forcément le père
et se distribuera dans les aménagements pervers propres à
l'anorexie mentale ».41(*)
Si
on ne naît pas femme, on est inscrit très tôt dans une
lignée maternelle où l'impossibilité du féminin
chez la mère peut entraver considérablement la possibilité
de ce devenir pour sa fille adolescente.
Le
désinvestissement maternel du corps, de son enfant, esthétique et
plastique et le surinvestissement de ses fonctions biologiques et
physiologiques; va entraîner en réponse à cela et en
miroir, un investissement et/ou un combat de l'idée d'une permanence
fantasmatique d'une indifférenciation par l'enfant, au détriment
de possibles représentations psychiques du corps. Le corps anorexique
qui s'offre au regard de l'autre, tel un manifeste, est avant tout une
entité corporelle informe et hyperexcitable avec l'acceptation d'un
ressenti d'une jouissance dans la maladie (et non pas dans la
sexualité). Ce corps tend à l'androgynie révélant
ainsi un déni de la différenciation des sexes ne montrant rien de
son rôle de procréation, de génération (notamment
par l'aménorrhée). Cet ensemble de déclarations dans la
geste anorexique n'est pas de l'ordre de la symbolisation.
Le
maintien de l'investissement de l'absence dans la continuité de ce qui a
prévalu dans l'enfance est rendu possible par une attaque des
éprouvés secondaires à la puberté au moment de
l'adolescence. « Ce n'est pas que le corps refuse de se
sexualiser, c'est qu'il veut rester malade et jouir de façon infantile
dans cette maladie même ».
Maurice
Corcos explique la jouissance chez ces jeunes anorexiques comme un fantasme
d'annulation du sujet et de l'objet ; ce qui vient réactiver un
moment de désinvestissement. Le sujet répète à
l'identique (l'afflux de sensation) le traumatisme, c'est à dire
l'absence de contenant au débordement pulsionnel, avec un risque de
frayage psychosomatique.
Il
poursuit en faisant l'hypothèse que ce type de jouissance
endogène serait recherché de manière compulsionnelle, non
seulement pour elle-même, mais surtout pour ce qu'elle représente
pour le sujet, une expérience extrême « proche de
l'angoisse » il y aurait une véritable constitution d'une
épreuve de réalité, un accès au réel de
l'être : « La jouissance d'un retour à la
continuité par le manque s'associe par essence à une angoisse de
néantisation. »
Martine,
par ses conduites à risques où son corps devient le
dépositaire de sa souffrance psychique, il est question de la
scène. En effet, le corps est la scène où vient se
déposer, s'inscrire ce qui agite Martine : sa vie
psychique.
Martine
donne à voir, tant dans le service, que dans l'atelier. Elle est une
patiente « spectaculaire » tant sa souffrance se voit avant
de se faire entendre.
Son
investissement de l'atelier interroge sur ce qu'elle vient chercher, sur ce
qu'elle veut dire par le montrer. En effet, sa ténacité à
participer à l'atelier tient parfois de l'acharnement, de la
lutte ; dans ces moments là il ne semble pas avoir de plaisir, de
désir, mais plutôt un besoin vital d'y aller. La perspective des
improvisations semble l'attirer en ce qu'elle peut
« exhiber » de sa scène subjective, de ce mal
être qu'elle peut raconter au travers du jeu, notamment quand elle
choisit des rôles très crus (pour exemple d'uriner, pour de faux
comme disent les enfants, sur scène !). Ses jeux prennent une
tournure très burlesque suscitant les rires, des rires parfois
embarrassés où le spectateur est coincé entre la stupeur,
la gène et le comique qui se dégage de l'improvisation. Ce
sentiment ambivalent, peut être le résultat de quelque chose que
Martine exhibe sans détour de sa vie psychique.
En
plus des moments d'improvisations, il y a la première partie où
Martine prend des allures de « possédée »,
où elle suscite en moi une envie de la fuir, de me protéger de
son ombre aspirante.
Son
opiniâtreté à faire la relaxation...jusqu'au bout, moment
où elle se sent mal (pleure très souvent) : que montre
t-elle à ce moment là, en tire t-elle une jouissance ? Au
moment du jeu du regard, lorsque je suis avec elle, elle me propose un regard
vide écumé d'une empreinte mélancolique, glaciale,
là encore elle semble souffrir mais tient à aller jusqu'au bout.
Sa
pugnacité à tenir des exercices difficiles m'a souvent fait
penser à une « auto flagellation » en publique,
d'où elle tire une certaine jouissance masochique. Je suis
tentée de faire un parallèle entre la maltraitance qu'elle
s'inflige au corps et ce qu'elle vient reproduire à l'atelier où
là, la maltraitance serait rejouée au travers des sensations
psychiquement douloureuses. Il y aurait à l'atelier un remplacement de
la douleur physique par la douleur psychique.
J'ai,
au travers de ce travail, pu montrer que Martine remplissait son vide interne,
remplissage nécessaire car ce vide est pour elle insupportable, au sens
où il est une nécessité pour désirer. Ceci donne
lieu aux possibles défilés de représentations et donc de
productions fantasmatiques pour aller jusqu'à la sublimation par la
douleur. Cette douleur (comme suppléance au manque) semble la tenir
pleine de quelque chose qui la tient en vie par une sensation forte et
désagréable. Dans ce cas de figure, l'atelier
théâtre ne lui permet pas de lâcher ce besoin de douleur,
mais permet juste de changer les modalités d'y
accéder.
Ceci
m'interroge sur la place du publique en tant que regard. Martine interpelle
beaucoup le regard, en cela n'aurait-il pas un rôle maltraitant où
il serait désapprobateur, persécutant. Comme si Martine utilisait
le regard comme un outil pour se faire mal ; comme je le disais plus haut,
au moment du débriefing, elle est très friande du retour que le
publique va lui faire sur sa prestation. Elle cherche souvent à faire
dire des choses négatives.
Martine
est un jour nuit pris entre une jouissance masochique dont les exemples sont
nombreux et un désir révélé par les moments
lumineux qu'elle peut offrir au moment des improvisations.
Comme
je l'ai fait pour la jouissance masochique, je vais faire un détour
théorique, avant d'évoquer cliniquement sur ce qui pourrait du
côté du désir chez Martine.
-3.1.2) Scène de désir ?
Pour
accéder au désir, encore faudrait-il que Martine parvienne
à faire le deuil de sa jouissance (c'est-à-dire, créer de
l'objet qui fait séparation d'avec l'autre maternel)
D'un
point de vu théorique, le désir est une forme de mouvement en
direction de l'objet dont l'âme et le corps subissent une
« attraction » spirituelle ou sexuelle.
Freud
l'aborde dans sa théorie sur l'Inconscient pour désigner une
tendance et une réalité de la tendance où le désir
est l'accomplissement d'un souhait (Wunch), d'un voeu
inconscient.
L'autre
est l'objet du désir, que le conscient désire dans une relation
en négatif et en miroir lui permettant ainsi de se reconnaître en
lui.
Le
désir est une activité (Feud) qui tend à éviter
toute forme de déplaisir. Il n'identifie pas la désir aux besoins
biologiques.
C'est
dans les rêves que gît la définition freudienne du
désir, le rêve en tant qu'accomplissement d'un désir
refoulé et relève de la dimension imaginaire qui reste à
travailler dans une possible dimension symbolique du dire.
Martine,
comme je l'indiquais précédemment, détient en elle des
« petits bouts de vivants » qui deviennent davantage
visibles pendant les improvisations.
Même
si pendant l'atelier, demeurent des moments où la
« folie » reprend ses droits, Martine arrive à
montrer cette autre scène, scène de vie.
En
reprenant son histoire, ce qui semble la mettre du côté de la
pulsion de vie, c'est tout d'abord son désir de grossesse. Désir
qui indique son désir de séparation d'avec l'objet maternel (en
se tournant peut-être vers cette figure du père qui s'adresse la
demande de recevoir un enfant mais cela peut être aussi le désir
de se substituer au père et de faire un enfant à la
mère : au demeurant dans les deux cas, il y a inscription du manque
de la mère dans la production fantasmatique inconsciente du sujet) et de
s'inscrire dans la venir, dans une filiation.
Son
investissement et la qualité de sa création viennent comme des
tentatives d'une mise en place d'un désir. En effet, la
médiation théâtrale ou plastique est très investie
par Martine.
Il
me semble que ces temps de médiation, dans leur rôle de tiers,
l'aident à se séparer, à exister en tant qu'entité
vivante et individuée de la mère. Son père, artiste, lui
restitue par la création quelque chose du vivant. Par identification au
père artiste, elle tente de trouver dans ces espaces de médiation
un objet séparateur.
Par
ailleurs, la qualité de son jeu scénique révèle une
capacité à lier sa pensée, souvent morcelée. Sa
capacité à susciter la rêverie démontre l'existence
de la pulsion de vie.
Cependant,
la fugacité de ce qui pourrait être du côté du
désir, vient interroger sur la capacité de Martine d'y
accéder, tant elle semble parfois rivée à sa jouissance ce
qui n'autorise pas l'expression de désir qui passe par la production
d'un dire en écho à son fantasme.
Même
si la discussion, dans ce chapitre se compose de deux parties, il est bien
évident que la question des pulsions de vie et de mort, n'est pas aussi
scindée. L'intrication des deux pulsions oblige penser la situation de
Martine dans un ensemble où ces deux pulsions se tamponneraient de
manière incessante dans une lutte acharnée.
Son
incapacité à faire persister les éléments du
vivant. C'est justement son problème que de vouloir garder une certaine
idée de constance pulsionnelle qui ne tolère que trop
difficilement les interruptions, pourtant absolument nécessaire au
maintien de la pulsion de vie, en dehors de la scène. Ceci montre
à quel point que l'inscription de Martine se fait davantage du
côté du mortifère.
Je
me souviens d'une expression utilisée par Maurice Corcos, lors d'un
échange sur cette patiente, qui renseigne bien sur sa situation :
« Martine, on la tient à bout de bras, on s'arrange pour
qu'elle reste en vie ». Cette remarque qui m'a beaucoup
touchée, m'indique que le rôle des soignants et des
médiations s'inscrire ici comme « des attaches-vie »
pour Martine. Il s'agit de lutter contre les velléités de la
pulsion de mort à régner en maitre, sur la pulsion de vie.
CONCLUSION :
L'adolescence
est une période de grands remaniements et de confusion identitaire
majeure, au cours de laquelle un enfant se transforme progressivement en un
jeune adulte sexué et individualisé. Pour ce faire, l'adolescent
doit accepter, dès l'avènement de la puberté, de se
détacher de l'enfant qu'il était et de la sécurité
que ce statut lui apportait pour découvrir ses nouvelles
capacités. Il part alors en quête de sensations et
d'éprouvés de sa nouvelle enveloppe, de ses limites, de sa
sexualité, de son identité. Malgré la souffrance et la
solitude que cela entraîne, il sait que le chemin à parcourir doit
se faire seul. Il n'est plus l'enfant de ses parents mais un futur adulte,
libre de ses choix et de ses envies. Il doit accepter de s'ouvrir au monde, et
déplacer ses attachements premiers sur des personnes extérieures.
Martine,
est pleinement occupée psychiquement par la problématique de la
séparation et vient la mettre en scène, par le jeu, lors des
ateliers thérapeutiques.
L'investissement
massif de cette dernière envers ces médiations, semble agir comme
un transformateur, de la médiation en objet séparateur. La
médiation semble venir en lieu et place du père en sa fonction
séparatrice d'avec la mère.
Aussi,
le corps de Martine est un véritable parchemin où vient
s'inscrire l'indicible et l'irreprésentable de cette séparation
d'avec la mère. Ce corps est « trop plein ; il subit une
vidange par les actes d'automutilation et les conduites restrictives de
Martine.
J'ai
bien pris la mesure que tout au long de ce travail, la représentation
paternelle (cet autre désiré) et parfois chez certaine
mère, la seule fonction professionnelle investie peut tenir lieu de
tiers, désiré par la mère qui fait tiers, entre la
mère et l'enfant. Cette représentation est peu apparue dans mes
développements, ce qui ne veut pas dire qu'elle demeure inexistante dans
mon esprit. Je pose aussi l'hypothèse qu'un des axes
thérapeutiques possibles reviendrait à réhabiliter (ou
tout du moins à l'intégrer dans ce que la patiente donne à
penser aux thérapeutes) cette représentation du père, non
en tant qu'image mais en tant que fonction.
On
peut supposer que l'objet fabriqué dans l'enceinte du
théâtre peut être une entrée possible, une
ébauche de cette représentation paternelle en tant que fonction
séparatrice au sens psychique du terme.
J'ai
quand même pu démontrer que dans le cadre de cet atelier, l'accent
est mis sur l'objet fabriqué le temps de cette médiation et que
ça n'est pas un objet qui s'exhibe.
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* 1 CATTP : Centre
d'accueil thérapeutique à temps partiel...
* 2 T.Delcourt : Au
risque de l'art. Editions l'âge de l'homme, 2007
* 3C.Masson :
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L'Harmattan, 2005 P 82
* 4 T.Delcourt : Au
risque de l'art. Editions l'âge de l'homme, 2007
* 5 ARTAUD.A. Le
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* 6 7
MASSON C. L'angoisse et la création. Paris, L'Harmattan,
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* 8 KAËS.R
(1976) La parole et le lien Paris Dunod, 2000
* 9 .MASSON.C :
L'angoisse et la création, essai sur la
matière. L'Harmattan, 2005
* 10 Ibid
* 11C. MASSON. L'angoisse
et la création. Paris, L'Harmattan, 2005 P83
* 12ibid
* 13 0. COUDER. La
création artistique facteur d'épanouissement des personnes
handicapées, in La revue Sésame N° 152, 2004)
* 14 C.MASSON :
« séminaire de Master I » du 22/10/2007
* 15
P.Attigui. « De l'acte théâtrale au
transfert : une interprétation passionnée » in
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* 16 P.Jeammet :
« L'énigme du masochisme » in L'Enigme du
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* 17 C.Masson :
OEuvres complètes de Freud, résumé analytique.
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* 18 RICHARD.F. Le
processus de subjectivation à l'adolescence. Paris, Dunod, 2001
* 19 LAUFER E. (2005) Le corps
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* 20 X.Gasmann :
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* 21 P.Blos :
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* 22 J.Bergès :
« Le regard et l'imaginaire du corps » Journal
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* 23 R.Schustermann :
« Débats Shusterman : conscience du
corps » L'éclat.
* 24 F..Marty :
« Adolescences : état des lieux à partir des
innovations de F.Ladame » Colloque du 6/10/2007
* 25 Pré
quelqu'un : terme d'E.Kestemberg pour désigner
l'adolescent.
* 26 D.Anzieu :
« Le Moi-peau. » Paris, Dunod (1985)
* 27M.CORCOS.
« Approches psychosomatiques de conduites addictives
alimentaires » in Dialogue, 2005 pp.97-109
* 28Ibid
* 29 MASSON.C, COEN .A,
GHOZLAN.E, KAUFMANN.F, MAILLARD.C, WOLKOWICZ MG. (2004) :
Shmattès : La Mémoire par le rebut, Lambert-Lucas,
Limoges, 2007 P352
* 30
B.RICHARD. « Les comportements de scarifications chez
l'adolescent » in Neuropsychiatrie de l'enfant et de
l'adolescent. Vol 53, N°3, 2005. pp.134-141
* 31 Jeu de mot pour montrer la
force active que déploie Martine pour faire vivre ses symptômes,
les rendre tenaces, vivaces.
* 32 RICHARD.F Les troubles
psychiques à l'adolescence. « Les Topos »
Paris, Dunod, 1998
* 33 ROUDINESCO. E et PLON. M.
Dictionnaire de la psychanalyse. Fayard, 2000
* 34 Freud.S ;
« Le problème économique du masochisme »
in Névrose, Psychose et perversion, Puf, trad J.pontalis. pp.
283-297
* 35 B.Rosenberg ;
* 36 P.Jeammet :
« L'énigme du masochisme » in L'Enigme du
Masochisme. PUF, 2000 pp. 31-67
* 37 ANZIEU Didier. (1985)
Le Moi-peau. Paris, Dunod.
* 38 C.Chabert : Le
fémini mélancolique, p.45
* 39 CORCOS Maurice.
« Le féminin et le maternel dans l'anorexie mentale. Une
passivité créatrice : ceci n'est pas une femme »
conférence du 03/06/2004
* 40 CORCOS Maurice.
« Le féminin et le maternel dans l'anorexie mentale. Une
passivité créatrice : ceci n'est pas une femme »
conférence du 03/06/2004
* 41 M.Corcos. « Le
féminin et le maternel dans l'anorexie mentale. Une passivité
créatrice : ceci n'est pas une femme » conférence
du 03/06/2004
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