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Le corps mis en scène dans une médiation théâtrale

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par Farida Amiou
Université Paris Denis Diderot, Paris VII - Master 1 de psychologie 2007
  

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Farida Amiour

Mail : amiour.farida@wanadoo.fr

UNIVERSITE PARIS DENIS DIDEROT

UFR DE PSYCHOLOGIE

MEMOIRE DE MASTER 1ère ANNEE

Le corps mis en scène dans une médiation théâtrale

« Dans l'Arène : Scène de vie et de mort »

(Tableau de Francis Bacon : Henrietta )

DIRECTEUR DE MEMOIRE : Madame Céline Masson (MC)

CO-JURY: Monsieur Patrick Guyomard

ANNEE UNIVERSITAIRE 2007/2008

SOMMAIRE

Remerciements ...............................................................p.3

Introduction...................................................................p.4

Problématique.................................................................p.6

I) Présentation.................................................................p.8

1.1) Cas Clinique : Martine : le jour et la nuit........................p.8

1.2) L'Atelier théâtre : Martine en scène...............................p.12

-1.2.1 Déroulement d'une séance et description du cadre................p.12

-1.2.2 Atelier théâtre : médiation et groupalité...............................p.15

-1.2.3 Processus de création dans ce temps d'expression.................p.17 

-1.2.4 Le soin dans l'avant et l'après coup.....................................p.20

-1.2.5 La question du transfert de la place du thérapeute..................p.24

II) Réflexions théoriques sur Martine...............................p.26

2.1) « Voyage dans la crypte maternelle »..................................p.26

-2.1.1 Adolescence et puberté..........................................................p.26

-2.1.2 Le corps : Mue, fonction et place.............................................p.28

-2.1.3 Anorexie et automutilations: mise à l'épreuve du féminin chez Martine.......p.32

2.2) Eros et Thanatos : « Attraper quelque chose du vivant chez Martine »............................................................................................p.37

-2.2.1) Pulsion de vie et de mort : « Que se passe t-il dans la salle des machines » ?.......................................................................................................................p.37

-2.2.2) La dimension masochique chez Martine..............................................p.42

III) Discussion et analyse autour de la problématique : Mise en scène..................................................................................p.47

3.1) De quelle scène de la vie psychique s'agit-il ?...............................................p.47

3.1.1) Scène de jouissance masochique?...................................................................p.47

3.1.2) Scène de désir ?...............................................................................................p.51

Conclusion.............................................................................p.53

Bibliographie...........................................................................p.54

Remerciements : (Par ordre alphabétique)

A Annick Bernabéo (Infirmière au CHRS de la Poterne des peupliers) pour sa relecture attentive et son soutien.

A Maurice Corcos (psychiatre et chef de service à l'Institut Mutualiste Montsouris département de psychiatrie de l'adolescent et de l'adulte jeune. Service du Pr Maurice Corcos) pour ses encouragements et son soutien dans mon projet professionnel.

A Corinne Dugré Lebigre (psychologue à l'Institut Mutualiste Montsouris département de psychiatrie de l'adolescent et de l'adulte jeune. Service du Pr Maurice Corcos) pour son amical soutien et ses encouragements.

A Eric Flaig (Psychologue et psychanalyste à l'Institut Mutualiste Montsouris département de psychiatrie de l'adolescent et de l'adulte jeune. Service du Pr Maurice Corcos) pour cette magnifique expérience partagée ensemble lors des ateliers théâtre.

A Patrick Guyomard (Psychologue, Psychanalyste et Professeur en psychologie Paris7) d'avoir accepté d'être co-jury

A Madame Céline Masson (Psychologue, psychanalyste et Maître de conférences Paris 7) pour ses conseils et son enthousiasme contagieux et sa générosité.

A Bernard Richard (chef de service à l'unité d'urgences à l'Institut Mutualiste Montsouris département de psychiatrie de l'adolescent et de l'adulte jeune. Service du Pr Maurice Corcos) pour ces conseils bibliographiques et l'expérience professionnelle dans son unité.

Aux patients qui ont forgé mon expérience et accompagnent mes réflexions.

A mes amis : Donata M, Annick B et Pierre Samuel B, Audrey N et Jean D, Evelyne C, Josiane C-S, Céline T, Nathalie D, Christophe S, Vanessa B, Sandrine L.

A Simone ma tendre grand-mère, pour sa présence et son affection...

Introduction

Avant la naissance de la psychanalyse, l'adolescent était et devenait ce que la société attendait de lui (vie de famille, travail). Il s'affranchissait de son enfance en remplissant ces critères sociaux bien précis.

L'adolescence est une période charnière dans l'existence d'un individu. Cette période impose des bouleversements physiques et psychiques importants et brusques. La notion de puberté : « phase génitale » viendra au milieu de 20ème siècle avec les travaux de S.Freud. Celui-ci ne s'est pas attardé sur l'aspect temporel de l'adolescence mais sur l'éveil de la sexualité génitalisée.

C'est dans cette métamorphose incontrôlable que l'adolescent tente de reprendre une certaine maîtrise en s'affichant dans une filiation, dans un groupe, en se mettant en scène avec le désir paradoxale d'une reconnaissance de sa singularité.

Le corps devient le siège de ses affects et de ses revendications et le place en coeur de sensations nouvelles, il est ce que l'adolescent donne à voir mais aussi ce qu'il tente de cacher, d'enfouir.

Ce « cacher-montrer » est sans doute une façon de lutter activement contre ce sentiment d'étrangeté imposé par la puberté, mais peut-être aussi dans une tentative de créer du lien avec ce qui l'entoure, l'autre.

Martine est une jeune femme à la lisière de la vie adulte sortant de la période de l'adolescence. Période si charnière charriant avec elle un cortège de bouleversements psychiques et physiques où les représentations corporelles sont sérieusement remaniées.

Ce travail comportera trois parties. C'est à partir de la situation clinique de Martine (jeune patiente hospitalisée pour anorexie mentale), que je tenterai de dégager des éléments pouvant m'aider à répondre aux hypothèses posées qui suivent :

-Dans quelle mesure, un espace de médiation théâtrale, faisant intervenir le jeu, peut-il relancer une dynamique de subjectivation ?

-Dans le cadre d'une médiation thérapeutique chez une adolescente anorexique impliquant le jeu, quels sont les mécanismes psychiques sollicités ?

-La médiation thérapeutique théâtrale, que vient-elle mettre à jour du côté du corps, c'est-à-dire de la pulsion à l'état de l'irreprésentable ?

Pour ce faire, ce travail invite le lecteur à découvrir Martine avant de se glisser au coeur d'une séance d'atelier théâtre en abordant les phénomènes de groupe. Le groupe, n'aurait-il pas une fonction narcissique, par le regard, pour Martine. La façon dont Martine investit le groupe est particulière dans ce qu'elle va convoquer chez l'autre ; le lien qu'elle établit est tiraillé par des moments de fusion, de proximité avec l'autre et des moments d'éloignement, de distance voire de « disparition ».

Il s'agit de voir ce que permet cet atelier au niveau du processus de création. Cette médiation thérapeutique est abordée en ce qu'elle contient du côté du soin, dans l'avant et l'après coup et par là même ce qui se passe au niveau du transfert.

La seconde partie reprendra les points forts de la clinique sous l'axe théorique de l'adolescence et du corps. Martine force à réfléchir sur le corps en tant que langage et vecteur de ses affects et en tant corps désirant, animé par la pulsion, le désir et/ou la jouissance en situation de représentation théâtrale.

Les troubles psychopathologiques de Martine (anorexie et automutilation), seront revus sous le spectre de l'adolescence, ceci afin de mieux se situer par rapport à cette jeune patiente. Toujours dans cette partie, ce travail propose de se pencher sur le pulsionnel chez elle, dans la mesure où cet atelier le sollicite autrement.

La troisième partie est la discussion, qui au regard des éléments traités, pourrait apporter des éléments de réponses aux hypothèses posées. Par la manière dont Martine se met en scène, une discussion sera proposée autour de ce qui vient se rejouer sur la scène théâtrale. Il s'agit de réfléchir sur quel type de scène psychique viendrait se réactualiser en essayant de percevoir ce qui émerge : soit quelque chose du côté de la jouissance masochique ou quelque chose du côté du désir ?

Problématique :

« Qu'est ce qui émerge du patient en situation de création (Quels contenus émergent en terme de fantasmes, d'expression d'une scène psychique inconsciente et au niveau d'un transfert) plus particulièrement de mise en scène théâtrale » ?

-Thématique  « Le corps adolescent mis en scène dans un groupe thérapeutique, un atelier théâtre ».

Motivation de la recherche : Avant d'entreprendre des études de psychologie, j'ai travaillé en tant qu'infirmière dans des structures prenant en charge des adolescents souffrant de pathologies psychiatriques.

Mon expérience de quelques années de théâtre à titre personnel et la manière dont les adolescents se mettaient en scène dans le groupe, m'ont conduite à m'impliquer dans une médiation par le théâtre.

Le cadre de ce travail est un lieu d'hospitalisation pour adolescents souffrant de trouble du comportement (pathologie de l'agir, trouble du comportement alimentaire et problématique psychotiques). Ce service de soin s'incorpore dans un dispositif comprenant une activité de consultation, d'un hôpital de jour avec son CATTP1(*) et d'une activité de recherche.

Le travail des équipes est axé sur la réflexion institutionnelle (par les synthèses hebdomadaires) et les activités dites : médiations thérapeutiques.

La population: Les adolescents hospitalisés dans les unités ont à faire avec une donnée supplémentaire venant compliquer le franchissement de la puberté : la pathologie psychiatrique.

En effet, cette donnée supplémentaire crée un biais dans les perceptions corporelles. Pour les uns, le corps s'inscrit dans un vécu délirant (difracté, morcelé), pour les autres il est pris dans une perception mélancolique. Ce corps devient ce que la pathologie psychiatrique veut bien qu'il soit !

Dans ce conglomérat de perceptions dictées par la pathologie, comment le corps peut-il être pensé et investi par le sujet lui-même ?

Comment organiser et faire émerger une pensée prenant le corps comme vecteur des émois les plus profonds ?

La médiation théâtrale: Dans cette structure la place de la médiation est importante par son intérêt à proposer une rencontre avec un tiers. Ce temps de médiation ouvre aussi un espace temporel dans un temps habituellement en crise. La médiation par le théâtre est une proposition thérapeutique innovante, dans un lieu de crise, qui utilise le principe du jeu et de la représentation à des fins d'entretenir, de ranimer un fonctionnement d'une dynamique propre à l'appareil psychique. Cette médiation fait intervenir l'autre, offrant l'occasion d'une rencontre d'un tier (rencontre entre le sujet patient et l'institution médicale) et utilise un mode d'expression qui passe principalement par le spectre du verbe.

C'est un atelier qui traite aussi et surtout la dimension du pulsionnel, de la représentation et du corps en tant qu'image.

Au niveau du fonctionnement, les improvisations sont des saynètes imaginaires, puisqu'il n'est pas question de faire allusion à l'hospitalisation, avec l'idée que cette règle énoncée est de jouer sur des scènes imaginaires imposent de s'extraire du discours médical. Le cadre cet atelier sera dévoilé plus loin dans ce travail, mais pour savoir d'où je réfléchis, il est intéressant de préciser que l'atelier s'adresse à des adolescents hospitalisés, et a lieu une fois par semaine. Son animation se fait par le psychologue qui dirige la séance et par la présence d'infirmiers faisant office d'auxiliaires, d'étaye pour les patients.

L'immersion dans ce groupe, offre la possibilité de voir ce qui se véhicule comme émotions, comme affects au travers du corps (corps en tant que projection). Il offre un spectacle de corps animés se mettant au service de l'éprouvé, des « corps absents » reprenant vie, ainsi, s'animer et se colorer tel un feu d'artifice.

En effet, les visages colorés de joie, de tristesse, parfois des deux, peut révéler soit une ambivalence, un sentiment paradoxale ou encore un défilé où joie et tristesse se succèdent. Dans ce bain d'éprouvé, certains adolescents peuvent laisser entrevoir une émotion plus floue, plus difficile à cerner, phénomène d'indistinction dont on peut supposer qu'elle génère une angoisse diffuse pouvant être destructurante, désorganisante, car elle ne s'inscrit pas encore dans l'expression.

Leur visage est transformé en un vrai miroir de leur ressenti, tandis que le regard tient de lieu d'échanges, impliquant le visage de l'autre.

I) Présentation

1.1) Situation clinique : « Martine, le jour et la nuit »

Elbabaz.André :  « De Bleu et de Rouge, 1987 » in Schmattes, pp.252

Martine est une jeune femme de 20 ans suivie depuis quelques années pour anorexie mentale et conduites d'automutilations (scarifications). Ce contexte l'oblige à subir plusieurs hospitalisations durant lesquelles elle bénéficie d'une prise en charge institutionnelle, notamment par des médiations qu'elle investit tout particulièrement avec un étayage soignant important.

Elle est la benjamine de trois enfants et vit seule avec sa mère, le père est décédé il y a quelques années d'une maladie grave.

Le père était artiste peintre et s'absentait souvent du giron familial pour retourner dans son pays natal. La mère après avoir fait des études de Lettres travaille comme traductrice.

Martine entretenait avec son père une relation très particulière en ce sens qu'il n'y avait aucune limite de posée par celui-ci. Martine était la fille préférée du père, ce qui lui conférait une place difficile à tenir au sein de la fratrie, notamment auprès de sa soeur ainée avec laquelle une grande rivalité demeure.

Pour Martine le père reste une figure idéalisée avec une amnésie de la haine de ses longues absences. Le père avait un investissement peu fiable envers sa famille.

En réponse au manque de limites de côté du père la mère se sentant en permanence disqualifiée, en posait d'une manière inadaptée, créant ainsi des conflits importants.

Les troubles de Martine se sont aggravés au moment du décès du père.

Au décours de cette hospitalisation, Martine donne à voir une maigreur quasi cachectique mise en valeur par des tenues peu étoffées. Sur ses bras se trouvent des traces de scarifications. Elle est dans une perception délirante de sa silhouette et du fonctionnement corporel avec des éléments dysmorphophobiques, lui permettant, sans doute, de lutter contre un vide interne. En plus de sa présentation physique qui interpelle le regard, Martine semble prise dans un tourbillon de souffrance à l'étourdir l'entrainant dans une marche effrénée dans les couloirs du service. Ceci lui donnait une allure de « possédée », telle une ombre incapable de se poser.

La séparation imposée par son faible poids, est très mal supportée par Martine, la poussant à de nombreuses transgressions dont des fugues. Cette séparation la déprime, invitant le psychiatre à instaurer un traitement antidépresseur en plus d'un entretien familial avec celle-ci. La mère vit ces entretiens familiaux dans un vécu persécutif et exprime, par son agressivité envers l'équipe, un grand désarroi et son impuissance face à la situation de sa fille.

Martine semble être dans une quête affective vis-à-vis de l'équipe avec des moments d'opposition, une agressivité sous tendue par une demande d'attention.

Les échanges avec Martine sont souvent réduits à des négociations, comme si elle tentait de grappiller, de décrocher le Graal de la tranquillité intérieure. Toutes ses entreprises visent sans doute à faire sens dans ce chaos interne dans lequel elle semble perdue. Ces négociations ont-elles la fonction d'un ancrage dans le réel pour Martine ? Dans celles-ci, elle attaquait, remettait en cause le cadre de soin, le groupe de patients hospitalisés et les rapports avec les soignants.

Sa voix est à certains moments « d'outre tombe » comme si ce qu'elle garde au fond de son être est indicible, et à d'autres moments elle est hurlée.

Ces oscillations de voix vont de pair avec des moments d'effondrement, d'apathie et des moments d'explosion, de crise ; trahissant l'incapacité chez Martine à trouver une juste mesure. Les moments d'explosion, obligeant l'équipe à une contention physique, répondant à une nécessité d'un « corps à corps », de se confronter à du « dur ». Ces moments se caractérisaient par des crises clastiques avec des velléités de violences auto et hétéro agressives.

Sa toute puissance infantile trahie par une grande immaturité chez Martine, semble jouer un rôle dans cette recherche de limite avec l'autre.

Martine est dans une représentation très clivée passant d'une capacité de création à un vécu délirant corporel où elle se vit comme obèse, embolisant toute possibilité d'élaboration et d'échange.

Cette patiente, dans ce qu'elle a de douloureux et de complexe, a suscité, chez moi, un mouvement de contretransfert massif fonctionnant tel un balancier allant de l'empathie à un sentiment de rejet.

Effectivement, le mortifère semblant avoir envahi tout son être, il m'était difficile de l'approcher, de peur d'être happée à mon tour.

Ce tableau assez sombre, contraste avec ce qu'elle donne à voir dans les temps de médiation.

En effet, tant qu'au niveau plastique, qu'au niveau scénique, elle déploie une créativité sortie telle un geyser de couleurs.

Martine ne peut être dans la création qu'avec un soutien soignant, sans lequel elle se perd de nouveau dans les méandres de sa souffrance. Dès qu'elle est seule elle redevient « addictée » à l'hyper activité physique en se détachant des autres, ce qui la fait souffrir.

Pour Martine, la création semble être un organisateur du lien, qu'elle met à mal en permanence.

Cette créativité semble s'inscrire comme un pulvérisateur du mortifère chez Martine.

Quelle est cette « chose » qui parvient à transcender le mortifère ?

La création vient-elle comme une mise en forme, une expérience d'exister, qui tente une figuration nouvelle et viable du traumatisme2(*) ?

Dans ces temps de création Martine semble faire tomber le sombre masque de « la folie » pour laisser s'exprimer cette « chose » lui donnant une allure totalement bouleversée et bouleversante.

Sa motricité, sa voix viennent se mettre au service de sa création et par la même se métamorphosent à leur tour. Comme si, par cette création, Martine parvenait à se figurer ce trou, ce chaos interne. Comme l'indique Céline Masson dans son ouvrage : « ... Passe de l'informe chose en soi, matière inerte et chaos traumatique, vers un objet représentable donnant vie par l'esprit, devenant enfin dicible »3(*). Martine passe d'un corps robotisé, mécanisé par l'échine de ses troubles, à un corps animé, coloré avec une voix retrouvant ses nuances comme si elle pouvait à nouveau se mouler sans risque aux émotions dont elle se fait le vecteur. Il en ressort un tableau de couleurs vives et douces se côtoyant sans jamais se mélanger, permettant ainsi la rêverie du spectateur.

Le chaos chez Martine qui génère en moi la fuite, laisse place à des émotions nommables et représentables.

En effet, sa maigreur et la robotisation de son être, font empreinte dans mes pensées et celle des différents intervenants. Ce qui trouble, sans doute, est ce qu'elle a d'abyssal en elle. Ces pensées troubles, sont difficiles à réunir dans un discours clinique forcé par le travail institutionnel. Mais c'est ce travail là, qui comme la création chez Martine, me permet de faire un travail de représentation et de figuration sur ce qu'elle vit. C'est ainsi que ma position de soignant peut exister et être élaborée.

Martine est un contraste et en l'évoquant en séminaire, j'ai utilisé l'expression suivante « Martine, c'est le jour et la nuit ». Cette expression attire l'attention de l'enseignant et la mienne en ce sens que cette patiente contraste nettement et sans transition passant d'un état de « gisant » à un état « vivant ».

Ce jour-nuit résume Martine tant elle se transforme au moment de ses créations, notamment théâtrales. La nuit retombe, sans préavis, dès la fin de ses représentations suscitant en moi la stupeur et la curiosité.

Martine est un condensé de tous les patients que j'ai pu observer en situation de représentation théâtrale. Ces patients comme elle, qui devenaient jour entre deux nuits de leur souffrance psychique.

Cette stupeur et curiosité se sont peu à peu transformées en interrogation clinique : « Qu'est ce qui émerge du patient en situation de création, plus particulièrement de mise en scène théâtrale » ? « Comment la situation de représentation théâtrale peut-elle réanimer un patient éteint par son symptôme » ?

En faisant part de mes interrogations, l'enseignant du séminaire me propose le mot « désir ». Comme soufflé depuis des trappes d'un théâtre, le mot « désir » vient nommer mes observations.

Martine, d'un corps filaire quasi inerte, passe d'un corps habité, incarné. Son corps semble, alors, changer de langage, racontant une autre version endormie par le poids du mortifère. En effet, comme le précise Thierry Delcourt4(*) le corps n'est pas qu'une enveloppe mais provoque à l'insu du sujet une dynamique interne et un espace d'échange avec les autres. Le corps prend valeur de langage. Cette autre version que le corps raconte ne serait-elle pas celle du désir, de la pulsion de vie ?

Le corps ne se résume pas qu'à son aspect organique. Il est pris entre besoin et désir et instinct et pulsion (Freud).

Martine est un oxymore à elle seule, suscitant des sentiments sombres et colorés à la fois chez les intervenants. Elle peut être redoutée tout en étant touchante.

A partir de la présentation de Martine, je vais déplier les différentes phases de l'atelier en sollicitant des notions théoriques appelée par ce type de médiation.

1.2) L'atelier Théâtre : Martine en scène

« La scène est un lieu physique qui demande qu'on le remplisse, qu'on en fasse parler son langage concret »5(*)

-1.2.1) Déroulement d'une séance:

La participation des soignants offre un support identificatoire intéressant pour ces jeunes. De plus, le soignants sert de « starter » à la participation du groupe aux improvisations en ce sens qu'il se confronte aux même butées qu'eux : l'inquiétude du regard de l'autre, la peur du « trou » de mémoire.

Cette part active des soignants aux exercices proposés, au même titre que les patients, vient interroger le remaniement entre la place de soignant et celle du patient, et qui montre à quel point cette proximité de jeu est très difficile à tenir, parce qu'elle nous dévoile devant les autres et devant nous-mêmes, comme elle dévoile le patient. Il y a une frontière qui s'abolit entre le patient et les soi-disant thérapeutes.

La séance est menée par un directeur de jeu qui doit veiller à ce que le jeu soit quelque chose qui permette de faire émerger le transfert, la dynamique de groupe, et en même temps mettre en évidence les résistances, essayer de donner une place à la résistance. Sa tâche n'est pas facile tant il doit veiller à cette dynamique en tenant compte de la cohabitation de différentes problématiques au sein de ce même groupe.

La séance se déroule en deux temps. Le premier étant celui d'un retour, d'un centrage sur soi. Cette partie est axée sur l'individu lui-même. Elle permet à l'adolescent de rester centré sur lui-même, avant d'aller à la rencontre de l'autre de manière progressive (par le jeu du regard, par exemple).

La relaxation permet de se poser et de rompre avec l'extérieur offrant ainsi la possibilité d'entrer dans l'activité. La relaxation est un moment mal vécu par Martine. Elle s'effondre souvent entre pleurs et stupeur. Malgré tout, elle tient à faire l'exercice jusqu'au bout.

En plus de la relaxation, il y a un travail de repérage dans l'espace par des jeux obligeant à traverser, de différentes manières, la pièce de par en par avec une attention portée aux bruits, à la luminosité de celle-ci. Le travail de repérage, nous fait circuler dans la pièce, et à ce moment là, j'ai souvent l'impression d'être suivie par l'ombre aspirante et fantomatique de Martine. Elle semble errer tel un automate guidé par les ficelles du vide.

Un temps particulier, dans cette première partie est le jeu du regard, qui invite à s'arrêter et à tenir le regard un court instant. Le meneur de jeu propose au groupe de se laisser colorer par le regard, sans parler, en laissant et acceptant les rires et les silences.

C'est l'occasion de rencontrer l'autre, sans la parole qui viendra par la suite.

L'occasion, de faire le jeu du regard m'est donnée à plusieurs reprises. Cet instant, je le redoute et même force le hasard pour ne pas me trouver en face de Martine. Parfois, malgré mes stratégies, je me retrouve face à elle, face un regard vide lointain et écumée par une note peut être mélancolique. Ce regard me laisse une sensation de glaciation, me sentant enfermée sous une calotte glacière.

Toujours dans la première partie, il y a les « mini improvisations » qui font trait avec la seconde partie. Ce sont des saynètes qui introduisent la parole (mise en sourdine pendant le début de la première partie). Elles se font en groupe entier ou en petit groupe. Martine, apprécie ce moment et commence à sortir de « sa période glacière ». Elle se propose à l'exercice, avec spontanéité, et sollicite facilement le groupe pour construire une histoire.

Avant d'entamer la seconde partie, un temps de verbalisation :

Le groupe s'assit en cercle. Dans un premier temps, chacun se présente par son prénom et sa fonction.

Ensuite, les participants, expriment leurs ressentis sur se qui s'est déroulé dans la première partie. Souvent, le jeu du regard, suscite la parole.

Ce temps permet d'introduire la seconde partie en expliquant rapidement le déroulement de celle-ci.

La seconde partie, très attendue par Martine, consiste en des improvisations plus construites Qui ne sont pas obligatoires. Elles se font en petit groupe dont le nombre de participants est défini par eux mêmes et les besoins de l'improvisation. Les improvisations sont des créations semi-élaborées, ne durant que le temps de la représentation théâtrale. Ceci suppose une dialectique entre le dire et le faire, même si le dire et le faire, au théâtre, sont par la parole.

La consigne importante de cette partie est de ne pas jouer « la réalité » : se donner un autre prénom que le sien, pendant l'improvisation. Ne pas faire état de la prise en charge dans les scènes.

Cette consigne est généralement bien suivie et acceptée, car elle garantie l'intimité de chacun dans un atelier qui expose.

Les actions (inscrites sur une feuille), sont binaires, car elle repose sur la mise en tension de conflits internes. Ces actions permettent de voir comment, collectivement un problème peut être résolu, finaliser. Voici quelques exemples : Accuser/ Se défendre, Faire partir/Vouloir rester. Il y a (sur ces feuilles) des actions unitaires, par exemple : Se préparer pour une fête, se préparer pour annoncer une mauvaise nouvelle... celle-ci aussi se joue à plusieurs. Martine trouve un certain plaisir à jouer les mises en tension imposées par les saynètes. Elle prend souvent des rôles d'autorité, surmoïque, ou alors des rôles plus régressifs, voir crus. L'exagération des traits de ses personnages appelle au comique, aux rires.

Des déguisements sont à disposition, ainsi que certains accessoires (téléphone, livre, lunettes...).

-1.2.2) Atelier théâtre : médiation et groupalité :

L'adolescence est une période qui pose le problème de la séparation, obligeant le sujet à se détacher de ses premiers repères pour investir de nouveaux objets, hors de la famille.

S'aventurer hors de la famille est souvent, pour l'adolescent l'opportunité de rencontrer des amis, un groupe. Entre les membres du groupe circulent des processus collectifs inconscients, une inter-fantasmatisation, qui produit une sorte de tension commune. Le groupe constitue aussi pour chacun une matrice psychique, cadre de référence de toutes les interactions qui s'y déroulent, terreau qui permet le développement de l'individualité et non pas sa négation. Le jeune patient se voit lui-même ou plutôt il voit la partie refoulée de lui-même reflétée dans les interactions avec d'autres membres du groupe (aussi projetée sur tous les autres membres du groupe). Il apprend à se reconnaître lui-même par les actions qu'il exerce sur les autres et par l'image qu'ils se font de lui (identification en miroir).

Donc le groupe est une totalité productive de formations psychiques spécifiques, où d'une certaine manière le sujet disparaît dans ce qui le singularise. Ce groupe devient le support sur lequel l'adolescent expérimente les prémices de sa future identité d'adulte en s'identifiant aux individus de ce groupe. C'est aussi dans ce groupe que les protagonistes vont pouvoir soutenir leur propre créativité tant ils se sentent soutenus, contenu par celui-ci. Ce groupe permet le passage d'une créativité individuelle à une créativité groupale, notamment dans les improvisations qui invitent à mettre en commun des bribes d'idées pour construire une histoire, un tout.

Comme toute médiation, le « faire-oeuvre »6(*) est présent et fait office d'un processus sinthomatique permettant à la structure de ne pas s'effondrer. Le sinthome fait nouage des trois dimensions de la réalité psychique, c'est-à-dire le Réel, l'Imaginaire et le Symbolique. La question que je me pose, concerne le rôle de thérapeute qui serait soit de travailler à partir du symptôme ou de travailler sur un autre axe qui s'éloigne du symptôme afin de viser quelque chose du côté des capacités de production du patient.

Avant tout, cet atelier tient à préserver le narcissisme des adolescents (et des soignants participants !), fragilisés par le contexte et le motif de l'hospitalisation et par cet atelier qui expose au regard de l'autre. Cette vigilance passe par des consignes telles que l'interdiction de remarques sur l'aspect physique de l'autre.

Dans cet atelier, l'objet médiateur est l'improvisation, objet qui correspond au processus de création. La créativité est mobilisée tant du côté des soignants que du côté des patients participants. Dans une médiation thérapeutique les modalités créatives et fantasmes de groupe sont d'autant plus fortes que la place des thérapeutes est reconnue. Les thérapeutes sont les dépositaires de ce qui se passe dans le groupe.

Chaque membre de ce groupe peut soutenir sa création du fait du soutien par le groupe et les interactions qui s'y tissent.

L'utilisation de l'objet médiateur participe pleinement au processus de création. En effet, c'est la créativité qui bâtit la trame psychique de l'investissement de cet atelier. Cette créativité, se poursuit grâce à l'aspect ludique qu'elle revêt dans la relation entre chaque membre du groupe. Le travail de médiation tient par cette capacité créative et par sa tonalité affective qui la colore. L'objet médiateur est un vecteur de transmission spécifique. Le groupe est capable de faciliter, de développer et d'amplifier la créativité, dans la mesure où lui-même condense en son sein une expression représentative, représentante de l'expérience groupale du sujet. C'est ce double mouvement qui caractérise la fonction de contenant propre au travail de la médiation.

Pour que la médiation prenne corps, il y a une nécessité à réaliser et produire un objet. Il ne s'agit pas de tomber dans le piège de la performance ou de l'esthétique, mais c'est l'idée de produire quelque chose partagé par le groupe. Cet objet appartient au groupe mais ce qui est de particulier c'est que l'objet est éphémère, il disparaît après l'atelier. Alors, comment la dimension de soin peut-elle demeurer dans cet éphémère là ?

Cet atelier fait intervenir le groupe et sa dynamique où chaque membre de ce groupe peut soutenir sa création du fait du soutien par le groupe et les interactions qui s'y tissent.

Dernier mot sur le rôle du groupe qui est celui de la temporalité. Effectivement, le groupe devient le relai de cette temporalité de par son cadre rassurant et son dispositif. L'intégration de la durée permet au groupe de s'inscrire dans la continuité et d'envisager l'objet médiateur comme fiable et non pas comme quelque chose de furtif pouvant disparaître à tout moment. La durée, est aussi incarnée par les thérapeutes qui animent la séance en en garantissant le cadre8(*).

Cet atelier est une médiation à part entière, en ce qu'elle permet d'expérimenter les affects vécus souvent comme menaçants au moment de l'adolescence et c'est une façon « déguisée » de parler de soi, de rencontrer l'autre. C'est aussi une possibilité de réintroduire un tiers, c'est-à-dire de ne pas laisser le jeune naviguer dans son imaginaire persécutif qui parfois le pousse à des passages à l'actes visant l'objet interne.

-1.2.3) Processus de création dans ce temps d'expression :

Parler de soi et de ses émotions revient à montrer sa fragilité, sa vulnérabilité et à se mettre en danger : chose insupportable. Parler est aussi un moyen de se séparer, d'introduire un tiers, entrée dans le langage comme prémisses de la subjectivation, en ce qu'il permet de se séparer de l'autre maternel.

En même temps, le théâtre est une façon intéressante et distanciée de travailler sur soi en ce que le personnage offre comme proximité avec la personne qui joue. Cette situation d'improvisation permet de livrer quelque chose de soi sans prendre trop de risque. Cette activité n'est pas menaçante tant elle invite de parler d'un autre subjectif, celui du personnage. Cette convocation de soi-même, via le personnage suscite une vive mobilisation psychique, permettant ainsi un décentrage de soi pour se tourner vers l'autre, vers l'extérieur. En effet, les participants sont assujettis à de nombreux symptômes ayant un effet d'attraction vers leur être, se coupant ainsi des autres. L'atelier théâtre peut devenir une sorte de liguant entre le soi et l'autre, ce qui est habituellement coupé par les ciseaux du symptôme. Il y a là un processus de très subjectivant, faisant défaut chez ces adolescents hospitalisés. Processus subjectivant et une dialectique où peuvent se réaménager quelque chose de la relation à l'autre.

Martine a beaucoup de difficultés à investir une médiation, mais dès lors qu'elle bénéficie d'un étayage suffisant, elle peut poser son « manteau symptôme » pour prendre celui d'un autre, celui d'un personnage de scène. Ceci serait un « double » permettant l'expression fantasmatique en prémisse d'une véritable subjectivation.

L'atelier théâtre peut être un sas, un relais d'une pensée amorcée dans le service venant se rejouer. Il offre une mise en forme par le créer s'opérant comme une surface de liaison de l'angoisse et du détournement des pulsions auto et hétéro agressives.9(*)

Son implication serait-elle permise par la fonction de tampon que peut joue ce moment de création ? Tampon qui permet d'emmagasiner de l'énergie pulsionnelle en dehors du dedans et de parer d'un retournement de pulsions agressives contre elle-même10(*) (retournement que Martine connait trop bien).

La situation de représentation permet aux participants d'éprouver du plaisir à être autre, souvent différent de celui qu'il revendique être.

Martine, lors des improvisations arrive à représenter cet autre là si lointain de ce qu'elle est : cet être envahi par une marée de symptômes. Comprend elle qu'investir un autre n'est pas une source de perte de soi ? La situation de représentation relance inéluctablement le processus identitaire.

Dans l'atelier théâtre pratiqué dans cet établissement où est prise en charge Martine, l'improvisation est de rigueur, ainsi elle permet de ne pas tomber dans du « prêt à penser ». Elle autorise une certaine évasion, une rêverie poétique formant une promenade dans l'espace imaginaire.

Ce va et vient rendu possible par le théâtre permet d'aller et venir entre le soi et le personnage, offrant la possibilité d'intégrer, pour les participants, leur propres limites. Limites qui font défaut chez Martine et dont elle recherche les contours à travers l'autre, allant parfois jusqu'au corps à corps.

Le jeu théâtral confronte les participants à la règle du jeu (énoncée en début de séance et déroulé tout au long de celle-ci) leur permettant ainsi de renégocier leur rapport à la loi symbolique en partant de soi pour aller vers les autres, vers l'autre. Le « faire semblant » est une règle dictée pour protéger et respecter le joueur et son partenaire de scène. En même temps, dans ce « faire-semblant » il y a une authenticité du jeu des participants qui est permise par le cadre énoncé, par la règle qui unit et protège. Le Moi se trouve du côté de l'imaginaire (très sollicité dans le jeu théâtral) alors que le Je se range du côté du symbolique, de l'éthique. Le Moi serait la clef de voute entre ce qui existe du participant et du personnage.

Il n'y a pas de scène sans acteur et pas de théâtre sans publique. Le publique implique la notion de regard. Comme l'explique Céline Masson11(*) le regard permet de se sentir exister. Ce regard, peut donner une consistance, un plein nourricier en ce sens qu'être regardé signifie : exister.

Le regard peut faire tiers dans le processus de création en se sens que le spectateur tient une place dans le processus de création qu'il regarde. Ce même regard peut être générateur d'un vécu persécutif ou dépressif : être jugé par le spectateur12(*). Chez Martine, ce regard « jugeur » elle y est très attentive au moment de la fin de l'improvisation qui est un moment où le public fait un retour sur ce qui vient d'être jouer. Martine semble très friande ce moment qui semble lui restituer un bout d'elle-même qu'elle vient d'exposer. Le regard de l'autre comme un miroir de ce qu'elle vient de montrer. Quand elle écoute, elle semble écouter avec ses yeux se mettant en chasse de tout ce qui pourrait être dit autrement que par les mots : ne pas en rater une « miette », elle semble dévorer ce retour, s'en remplir.

Le jeu et l'humour issus de la confrontation entre soi et le personnage offrent un espace libre de penser et une appropriation des processus psychiques. Le jeu crée une sphère potentielle d'expérience en continuité avec le jeu chez l'enfant13(*). Les participants étant dans l'univers du jeu, du « faire sans risque », du côté de l'intersubjectivité d'appartenance à un groupe peuvent se lancer dans ce jeu.

L'art n'est pas une thérapie mais un moyen d'expression14(*), moyen que Martine manie avec talent et plaisir. Ceci invite à réfléchir sur la notion de soin dans l'avant et l'après coup, pour ensuite s'interroger sur la place du transfert dans un tel dispositif.

-1.2.4) Le soin dans l'avant et l'après coup :

-L'avant coup

La notion de soin est à envisager, selon moi, dans l'avant et l'après coup quant à ses effets.

En effet, le soin peut avoir un effet immédiat, instantané tel un pansement, une injection d'antalgique, par exemple, mais l'effet du soin peut surgir et ou se prolonger dans le temps.

Il est intéressant d'aborder la notion de soin en deux temps : avant et après l'atelier ; le pendant étant un espace de création, d'expression qui vient se nicher entre deux temps « thérapeutiques ».

Le premier temps, celui de l'avant l'atelier est une démarche d'évaluation sur l'aptitude psychique du patient à participer ou pas à l'atelier. Peut-il supporter cette situation de groupe et d'improvisation ? D'une manière générale, la phase maniaque, les états délirants ou une condition physique précaire (tel un amaigrissement trop important) représentent les principales contre indication sur lesquelles les équipes s'accordent. Ce temps là se déroule sans le patient, et la décision lui est restituée ensuite.

Martine s'est vue refuser l'accès à l'atelier quand elle traversait des phases d'excitation psychique désorganisantes et/ou quand son poids était trop faible s'accompagnant de signes physiques tels qu'une bradycardie.

La discussion autour de la contre-indication se reprenait ensuite avec elle, même si cette dernière le vivait extrêmement mal.

Ce temps de discussion était une occasion de se replacer par rapport aux symptômes de Martine avec l'idée de lui en faire saisir leur existence et leur gravité. Effectivement, comme mise en orbite, elle était dans un déni massif des risques de pareils signes, notamment son amaigrissement.

La difficulté était de saisir cette contre-indication pour tenter de raccrocher Martine à sa réalité, certes douloureuse, sans que cette démarche ne soit vécue comme punitive.

Par soucis d'honnêteté il faut bien admettre que Martine pouvait susciter de telles contre attitudes qu'il était tentant d'agir sous le versant d'une sanction ! Le travail et la réflexion institutionnels permettaient de ne pas tomber dans cet écueil...(pas trop souvent) !

Bien sûr, la discussion ne se faisait pas qu'à partir des contre-indications. Elle suscitait débat sur les indications. Effectivement, quand nous évoquions Martine pour cet atelier, nous pensions à ce qu'elle pouvait y trouver, y créer, prendre et construire.

Cet avant est vraiment un temps qui amorce le « pendant » de l'atelier. Il l'amorce d'autant que la venue ou non d'un adolescent est surtout prise dans l'investissement et le transfert qui existe entre l'adolescent et le soignant référent de l'atelier : ici c'était moi.

En effet, selon ce qui se passait dans le service et par conséquent les sentiments projetés sur l'équipe soignante qui allaient de pair, les adolescents adhéraient ou pas à l'atelier. La dynamique groupale du moment influait beaucoup sur la fréquentation et le déroulement de l'atelier. Par exemple, un événement difficile à vivre pour le groupe qui survient dans l'unité de soins, peut générer un mouvement d'hostilité envers l'équipe. Ce mouvement d'hostilité peut se traduire par un « boycott » de l'atelier ou tout simplement y aller avec l'intention d'y décharger, à titre de règlement de compte, de l'agressivité.

Pour illustrer ce que je viens de décrire, j'évoquerai brièvement une anecdote d'une patiente, que j'appellerai Lucie. Lucie est une patiente dite « Etat limite » avec de multiples conduites à risque. En permanence, elle mettait à mal le cadre de soin. Motivée ou inconsciente, il m'a pris l'envie d'insister auprès de Lucie pour qu'elle participe à l'atelier. Sa réponse, sonne comme le glas : Non ! Sidérée par la fermeté de sa réponse, il me faut un court instant pour me reprendre et relancer mon invitation, avec l'appui solidaire de mes collègues.

Lucie, se sentant prise au piège finit par abdiquer en signifiant qu'elle ne participera à rien et que si je la sollicitais, elle « pourrirait » (je cite) l'atelier. Acceptant ce compromis je l'emmène à l'atelier où elle m'aidera à porter le sac de déguisements !

Dans l'atelier, Lucie s'est très vite prise au jeu en participant aux différents exercices. Au moment de l'improvisation, je la sollicite (à mes risques et périls) pour en faire une, ce qu'elle accepte tout en indiquant n'avoir aucune idée. N'étant pas plus inspirée qu'elle, je lui propose de jouer ce manque d'idée, d'en faire une improvisation. En prenant d'autres prénoms, nous avons pris un certain plaisir à déplier notre petit scénario. Ni elle, ni moi ne manquions de décharger une certaine agressivité tout en étant complices. Les tensions qui ont précédé la séance ont pu, dans ce cas précis, être désamorcées pendant l'atelier.

Cette petite vignette clinique pose, évidemment, la question du désir du soignant, de la demande et comment l'adolescent négocie sa part. En effet, Lucie est-elle venue pour répondre à mon désir, se mouler à mon attente, ou parce qu'elle a cédé à son désir prise au piège de l'ambivalence ?

Cette anecdote, montre que le soin d'avant impacte dans le présent de l'atelier.

Cet avant là, permet de mettre en partage, entre le patient et le soignant, un moment d'échange teinté d'une demande, celle du soignant, et de la place du jeune face à  celle-ci. Ce partage se colore de sentiments et d'affects circulant au gré des échanges.

Parfois, c'est le seul échange possible. En effet, pour certains adolescents parler de soi est impossible, impensable pour plusieurs raisons (l'adolescence, les troubles psychiatriques qui les conduisent à être hospitalisés), parler de l'envie ou pas d'aller à l'atelier n'est pas vécu comme dangereux, menaçant, même si ce positionnement requiert l'expression d'un sentiment : envie, ou pas envie ? C'est probablement à cet instant là que l'atelier prend tout son sens en tant que médiation thérapeutique, à mon avis. La question de participer ou pas à l'atelier place l'adolescent du côté de son propre désir, de ses envies, dont l'expression lui donne la possibilité d'une amorce d'un « parler de soi ».

Ce n'est pas tant la réponse qui importe mais l'expression de quelque chose qui vient de soi qui importe à ce moment précis.

En rédigeant cette partie, je me dis que cet « avant » atelier pourrait à lui seul remplir un travail de mémoire en ce qu'il renseigne sur la question de la demande, du désir formulé du soignant et comment l'adolescent va pouvoir y articuler son propre désir.

L'atelier peut être un prétexte (pré texte, d'un pré à dire, d'une narration en devenir) d'une rencontre entre l'adolescent et le soignant. Ce peut être le premier temps d'expression d'un soi autre que ce que l'adolescent montre. Il expérimente que l'expression de sentiment, d'envie n'est pas aussi dangereuse et terrible que ça. La pudeur qui caractérise cette période de l'adolescence est respectée ; il n'y a pas effraction, intrusion de l'adulte dans l'espace intime psychique du jeune.

Cet avant peut constituer le préambule d'une scène où va se jouer un autre soi. Une image me vient, celle de trois espaces : le côté cour (coulisse) - la scène - et le côté jardin (coulisse), c'est-à-dire que de part et d'autre de la scène se jouerait d'un côté l'avant et de l'autre l'après scène.

-L'Après coup:

L'attention se porte sur ce qui fait retour dans les propos tenus par les adolescents participants une fois l'atelier terminé.

En effet, il est intéressant d'observer le peu de parole qui succède à l'atelier ; atelier qui la suscite tant.

Ce peu de parole m'a longtemps interpellée en ce sens qu'elle contrastait avec l'atelier où elle était au service d'une narration d'une scène subjective des joueurs.

Deux raisons, semblent expliquer ce « phénomène ». La première est l'intimité de l'atelier qui doit être préservée et respectée. La consigne, tant pour les soignants chargés de faire un retour à l'équipe, que pour les patients est de ne pas raconter dans le détail le contenu des improvisations.

Puis la seconde raison, est que c'est un atelier qui expose, sollicite beaucoup. Le retour dans le service est sans doute un moment de retour vers soi, une mise en veilleuse de ce qui s'est allumé durant la séance.

Une troisième raison m'apparaît : c'est l'absence de quelque chose à montrer. L'atelier théâtre est à dire, contrairement aux ateliers plastiques où il y a la possibilité de montrer sa création après l'atelier.

Ceci questionne sur la capacité de faire persister un moment vécu au-delà de la séance, ce qui est une opération difficile chez certain adolescents pris dans des mécanismes archaïques, les rendant incapables d'élaborer l'après coup de l'atelier.

Dans l'après atelier, il ne reste que du « dire », que de la narration pour faire exister et restituer ce qui a existé.

Cet atelier a quelque chose d'éphémère, pouvant être atténué par le sac de costume qui fait trace de l'existence de celui-ci. Ce sac, prend une importance dans ce qui peut offrir comme figurabilité de cet atelier : il a un rôle, son propre rôle qui joue à chaque fois qu'il est vu par les soignants et les adolescents. Ce sac interroge, non pas pour ce qu'il contient, mais par ce qu'il représente.

Un atelier visible seulement par ce sac qui le représente et tout le reste de cet atelier est détenu par la narration.

Ces trois temps, ces trois espaces différents évoquent la question des limites entre le dedans et le dehors. Limites difficiles à cerner pour certains adolescents qui distinguent mal ce qui se passe en eux et ce qui se passe en dehors d'eux.

Ceci permet d'observer pour les soignants comment l'adolescent négocie ces différents espaces temps ?

-1.2.5) La question du transfert et de la place du thérapeute :

Le cadre de cet atelier offre au transfert un espace où il peut se déployer en donnant corps au lien, rendant possible pour le patient de l'éprouver.

Le rire et l'humour permettent d'explorer de façon protégée, une situation psychique jusqu'ici impensable.

Le déplacement, les mouvements ici et là s'organisent autour du transfert qui va et vient entre la scène de la vie réelle et celle des scènes imaginaires15(*).

C'est un espace de jeu qui se développe sur la scène extérieure en lieu et place de l'espace psychique interne inaccessible du jeune.

La situation groupale permet au transfert d'être diffracté (par la pluralité des intervenants), évitant ainsi les effets péjoratifs du transfert duel qui est beaucoup plus excitant, voir persécutant, aliénant. Il y a une présence constante d'un tiers réduisant les effets d'un transfert duel et offrant un soutien des limites entre le soi et l'autre.16(*)

La notion de transfert et de contre transfert est introduite par Freud.

Tout d'abord, le transfert permet de désigner un processus qui constitue la cure analytique par lequel les désirs inconscients du patient concernant des objets extérieurs viennent se répéter dans le cadre de la relation analytique, sur l'analyste mis en position des ces différents objets.

C'est dans le cas de Dora que Freud expérimente pour la première fois le transfert négatif où il refuse d'être l'objet de transport amoureux de sa patiente.

En 1912, dans la dynamique du transfert, il différencie le contre transfert négatif et le contre transfert positif, ainsi que le contre transfert mixte (traduisant une ambivalence).

Le transfert renvoie à une origine érotique. Il entraine une résistance quand il est composé d'éléments érotiques refoulés ou quand il est négatif. Dans le transfert, pendant la cure, chaque sujet à sa propre façon d'aimer, sa propre empreinte pulsionnelle qui vient se répéter à chaque émoi17(*).

En ce qui concerne le contre transfert, il est l'ensemble des manifestations de l'inconscient de l'analyste en relation avec celles du transfert de son patient.

Ferenczi, dans une lettre à Freud (du 22/11/1908) lui mentionne une réaction de l'analyste aux dire de son patient.

En reprenant la partie clinique, je me rends bien compte de la massivité de ce contre transfert induit par Martine. Il peut être négatif, créant en moi un sentiment de rejet, canalisé par le cadre et le travail d'équipe et parfois, il peut être positif où le désir de la rencontrer et de créer un lien avec elle est présent.

Pour reprendre mon expression « ce contre transfert agit tel un balancier ». En y réfléchissant, je constate que ce contre transfert varie selon le contexte de la rencontre avec Martine. Effectivement, le transfert négatif est davantage présent dans le service où les situations duelles sont plus nombreuse (entretiens, temps de soin...). Cette rencontre duelle est plus directe, plus frontale, ce qui probablement est plus difficile à supporter pour Martine tant ce contexte de rapproché peut être persécutant et/ou excitant. En plus cette rencontre duelle me confronte directement au chaos interne de Martine, sans qu'il y ait un intermédiaire, un tiers pour faire tampon. Puis dans le service, mon rôle de soignant est davantage « actif » où il s'agit de mettre au travail la problématique de Martine, tandis qu'à l'atelier Théâtre, j'ai un rôle d'observation, une position plus passive où je deviens le dépositaire de ce qu'exprime Martine. Je n'interviens pas directement. La situation de groupe permet de diffracter le transfert et donc l'investissement que peut avoir Martine pour un soignant dans un temps donné.

Le contre transfert semble varier selon les espaces temps dans lesquels la rencontre se fait.

Pour finir sur ce point, il me semble que dans le service, le soignant propose, impose un cadre, donne des directives, fait des actes, alors que dans l'atelier : au moment de l'improvisation, c'est Martine qui va définir le scénario de la rencontre, elle prend une position active.

II) Réflexion théorique sur Martine :

2.1) « Voyage d'une adolescente dans la crypte maternelle » :

-2.1.1) Adolescence et puberté :

L'adolescence, jusqu'au milieu de 20ème siècle était plus une donnée sociologique que psychologique. En effet, celle-ci représentait le passage de l'enfance à l'âge adulte par des rites de passage, mais surtout par l'acquisition d'attributs sexuels rendant la procréation possible ; même si dès 1885, le psychanalyste S.Freud commence à aborder cette question. Cette année là, S.Freud décrit la puberté comme un temps d'après coup, idée qu'il va affiner en 1905 dans « Les Trois Essaies sur la Théorie Sexuelle » en situant le début de la sexualité dans la prime enfance.

L'avènement de la puberté inaugure les transformations menant à la vie sexuelle infantile à la vie sexuelle adulte, sous sa forme définitive. A l'adolescence se construit le psychisme adulte définitif à partir d'une réécriture du vécu infantile. Cette période oblige le sujet à surmonter les résurgences du complexe OEdipien infantile18(*).

L'adolescence, vient après le complexe d'OEdipe : second temps d'organisation et de transformation faisant évoluer la sexualité infantile vers une sexualité adulte « définitive et normale », ceci avec l'arrivée de la puberté (Freud 1905).

La puberté, appelée aussi : phase génitale, de par la maturation des organes génitaux, impacte d'une façon certaine sur l'organisation psychique de l'adolescent, tant dans son mode relationnel aux autres que dans l'établissement de sa future personnalité.

Ce qui se manifeste psychiquement en premier lieu est le passage de la pulsion sexuelle infantile auto-érotique à la pulsion sexuelle adulte tournée vers l'objet. Les pulsions partielles infantiles se regroupent sous le spectre de la génitalité pour satisfaire le choix d'un objet dans un but de procréation. Selon Freud, ce choix est préparé dès l'enfance et ceci en trois temps : celui de la petite enfance, de l'enfance et de la période de latence puis, de la puberté.

S.Freud, par ses écrits, ouvre la voie à la théorisation sur l'adolescence et c'est Peter Blos, psychanalyste, qui fut le premier à publier une théorie dès 1962, en s'inspirant des ses écrits. Pour lui, la période de l'adolescence représente le deuxième processus d'individuation durant lequel le jeune intègre sa sexualité d'adulte.

P.Blos, parle d'un second processus de séparation individuation, où se répète le premier, mais d'une façon un peu différente puisque cette fois-ci : il ne s'agit pas de remplacer la mère réelle, par un objet symbolique, maitrisable par la pensée, mais de par de nouvelles représentations non parentales, des objets totalement nouveaux. Généralement l'adolescent y parvient par une série d'expérimentations avec de nouveaux objets non pas intérieur, mais extérieur, c'est en recourant à un groupe de copains ou aux aventures amoureuses que petit à petit, il va investir des objets qualitativement différents des parents dans la réalité, pour créer dans un temps second une centralité d'investissement psychique sur les objets non parentaux.

L'investissement des ces nouveaux objets, autres que parentaux, permet à l'adolescent de se dégager de la problématique incestueuse et infantile, d'un mode trop puérile de relation à l'objet.

Pour Anna Freud, il n'y a pas d'adolescence sans qu'il y soit à un moment donné, l'expression de quelque chose de pathologique, et d'anormal.

L'adolescence serait un moment où il y aurait une sorte d'appétence, pour mettre en scène un mélange de symptômes appartenant souvent à des registres et à des domaines nosographiques et nosologiques différents, comme si on essayait différents costumes, différentes identités. Souvent cela passe par une sorte d'auto caricature du côté pathologique, comme si l'adolescent mettait en scène un personnage qui renvoyait au miroir, aux membres de sa famille.

Au moment de l'adolescence, ce n'est pas tellement la question pulsionnelle qui est centrale mais la question d'un deuil à faire à la fois d'un soi-même infantile, d'un soi même enfant, ludique, avec une virtualité à la fois masculine et féminine, une créativité liée aux pulsions partielles donc un deuil narcissique à faire. En même temps il y a un deuil des premiers objets essentiellement parentaux, plus exactement de la façon dont ils ont été investis. L'adolescent s'ouvre d'une façon nouvelle au monde pour accéder à ces identifications oedipiennes adultes requises par la culture, par la civilisation, par son propre surmoi, ses propres idéaux.

L'intérêt de cette notion de cassure chez Laufer, c'est qu'elle applique le schéma freudien classique du développement de l'enfant en utilisant les phases orales, anale, sadique, génitale et le complexe d'Oedipe infantile, la phase de latence, en faisant fonctionner cela pour des pathologies graves de l'adolescence, dont on dirait a priori qu'il s'agit plutôt d'éclosion et des débuts de psychoses.

La notion de cassure, révèle un refus chez l'adolescent d'intégrer psychiquement ce passage à l'âge adulte. Cette cassure peut être le résultat d'un non intégration d'une représentation de soi comme homme ou femme (identité génitale).

-2.1.2) Le Corps adolescent : mue, fonction et place :

A l'adolescence, le corps est remanié malgré lui et c'est à ce moment là que les troubles sont apparus chez Martine.

Martine, de par ses symptômes vient interroger ce que le corps détient comme vérité sur les premiers liens à l'objet : la mère. Mauses et Eglée Laufer19(*) expliquent que le retour aux origines est indispensable pour comprendre la relation affective qu'a eue la mère avec le corps de son enfant. A voir comment Martine à du mal à se départir de sa mère, et comment son corps en raconte l'histoire, il questionne sur comment ont pu se dérouler les premières expériences psychosensorielle censé offrir une représentation psychique du corps du bébé, dont un schéma des limites de celui-ci. Ces limites permettent au bébé d'avoir une identité propres et différenciée de celle de la mère et du reste du monde20(*) .

X.Gasmann20(*) interpelle la position sociétale centrée sur le corps visible où nous pouvons lire les variations induites par la puberté. Ce centrage  suffit-il à considérer les transformations internes, psychiques chez le sujet adolescent ?

La société façonne et investit le corps, par la mode, les tendances et l'adolescent se prête volontiers à ce conditionnement. Sans doute parce que celui-ci lui accorde une certaine sécurité identitaire familière et reconnue, alors même qu'il baigne dans un nid de transformations, de changements imposés par la puberté. Cette situation créant un sentiment d'étrangeté, l'adolescent a besoin de repères sociétaux pour se réapproprier ce corps : mais est ce suffisant ? Cette question, car la société est vaste et anonyme, plutôt, ne s'agirait-il pas de l'affaire du groupe auquel s'identifier, avec qui faire corps ?

Le corps, versus société, devient un objet de médiation, de rencontre, c'est ce qu'on voit en premier avant d'entendre !

Cette considération, repose sur le « corps-matière » car il remet le sujet dans sa chaire où se trouvent les éléments constitutifs de son identité, comme l'indique X.Gasmann, ceci évoque le « corps-mater » (Lacan), avec la dépendance à la mère du sujet rejeton biologique de celle-ci.

La question de la dépendance à la mère soulève la problématique centrale de l'adolescence qui est la séparation-individuation (P.Blos)21(*). Comment se départir de cette dépendance pour se constituer comme sujet singulier sexué ?

Mais le corps avant d'être une affaire de société, est avant tout le siège de ce qui se joue dans la prime enfance ente la mère et le bébé. Le regard maternel est la clef de voûte entre le bébé et le monde extérieur. En effet, le regard suffisamment bon de la mère autorise le bébé à se différencier d'elle, à saisir ses propres sensations corporelles pour explorer le monde qui l'entoure. Le stade du miroir qui intervient au 6ème mois de la vie offre au bébé qui reconnaît son visage l'appropriation, avec les sensations corporelles de jubilation, du corps (Freud). Le corps est alors engagé, dès le plus jeune âge, dans cette quête de soi, dans cette reconnaissance.

Jean Bergès22(*) parle d'une prise d'image, qui fait accéder au bébé à la position dépressive puisqu'il perd l'omnipotence de la mère qui ne lui obéit plus. Mais c'est par ce passage, que le bébé devient sujet distingué de l'autre maternel.

Dans la philosophie l'attention portée au corps, remonte au début du 20ème siècle. Les philosophes abordaient le corps pour mieux en définir ses limites et les nouvelles façons de le vivre.

Comme le précise R.Schustermann23(*), le corps est ce qui constitue l'identité de l'humain, mais aussi l'instrument de base de toute réalisation indispensable aux perceptions et à toute pensée.

La question du corps renvoie l'adolescent au paradoxe du choix : on ne choisit pas son corps, on ne décide pas de sa puberté. Le moyen pour l'adolescent de se différencier de ce corps imposé, de reprendre une certaine maîtrise est d'adopter un style vestimentaire bien à lui, même s'il se moule à la mode pour se forger une identité singulière. Ce mouvement est nécessaire pour qu'il se réapproprie ce corps nouveau ou changeant, car finalement ce corps n'est pas si nouveau que ça !

Le style vestimentaire, parfois très spécial, servirait-il de contre poids à la blessure narcissique qu'impose la puberté qui fait voler en éclat les repères de l'enfance ?

En plus de devoir faire avec ce sentiment d'étrangeté, comme l'indique F.Marty24(*), l'adolescent doit gérer la menace du rapproché parental avec son nouveau corps sexué. Pour mettre ce rapproché à distance, sa fronde contre l'incestueux est souvent l'attaque en se rendant « ingrat », repoussant.

D'un point de vue psychanalytique, voici quelques notions éclairantes pour tenter de comprendre ce qui se passe au niveau du corps chez Martine.

Pour commencer, il y a Evelyne Kestemberg qui en 1962 propose de considérer les remaniements de l'adolescence sous le versant corporel. Ces transformations pubertaires sont actrices des modifications physiologiques faisant d'un enfant un adulte.

Elle insiste sur l'importance du corporel dans la recherche d'identité. Il est aisé de penser ces manifestations pubertaires comme un facteur de désorganisation des identifications de l'adolescent à son corps infantile. Il ne se reconnaît plus dans ce nouveau corps sexué avec de nouvelles fonctions qu'il ne peut pas encore assumer. Il y a, ici, le problème de la maturité sexuelle qui devance la maturité psychique. E.Kestemberg, nomme ce décalage : « Dysharmonie infantile » fait que l'adolescent rejette son corps vécu comme étranger. Dans le même temps l'adolescent doit faire avec le retour du conflit oedipien et archaïque qui l'éloigne de ses parents et remette en question ses identifications aux premiers objets, à sa part infantile et à la société.

Ce « pré quelqu'un »25(*)est perdu entre l'enfant qu'il était et l'adulte qu'il n'est pas encore.

La relation entre le Moi et le corps se trouve chamboulée au moment de l'adolescence et un auteur, Didier Anzieu26(*), s'est attelé à unir le Moi au Corps dans Le Moi Peau. La peau tient un rôle fondamental dans l'édification du Moi de l'individu et de ses limites. Ceci permet un élargissement de la pensée d'un Moi psychique vers un Moi corporel. Dans la poursuite des travaux de Didier Anzieu, E.Laufer introduit une donnée supplémentaire. Elle précise, que la naissance du Moi-corps n'est pas uniquement lié à des éprouvés sensoriels, contrairement à Didier Anzieu. En effet, chaque rapproché du corps de l'enfant au corps de la mère ajoute à la sensorialité, décrite par Didier Anzieu, des traces mnésiques affectives. Il y a, ainsi, une combinaison de l'image du corps avec la représentation de la relation affective corporelle, ce qui permet au Moi-corps de se développer.

Pour E & M. Laufer l'adolescent subit, de par la puberté, des transformations corporelles remettant en cause sa neutralité sexuelle. Peu à peu ses organes génitaux deviennent fonctionnels et son corps s'affiche au regard des autres, ce qui lui confère une identité sexuelle irréversible.

La passivité occasionnée par la puberté et son cortège de modifications, est insupportable. Cet insupportable là pousse l'adolescent à alterner des mouvements intégratifs du corps (phases actives) avec des mouvements régressifs (phases passives). Le corps pubère se transforme, ce qui échappe à la maitrise du Moi.

La ressemblance grandissante au corps parental, augmente le rapproché incestueux et met l'adolescent en situation de rejeter ce corps, d'attaquer les figures parentales.

Quand tout ce passe bien, l'adolescent finit par accepter ce nouvel habitat : son corps ! Il sort, enfin, du tumulte de l'adolescence.

Après avoir vu le corps flottant au gré des transformations pubertaires, telle une anémone de mer se laissant balancer par les courants marins, il faut bien se poser la question des fonctions de celui-ci.

Annie Birreaux précise que le corps participe à l'évolution du sujet tout au long de son existence. Le corps possède trois fonctions qui se développent au cours de l'évolution du sujet. Le corps est au coeur de l'adolescence.

La première est de se représenter ses besoins primaires et son image. La seconde est du côté du ressenti, c'est à dire l'addition de ses désirs, de ses fantasmes, de ses expériences plaisir-déplaisir. Puis la troisième elle crée et maintient l'image symbolique et sociale du sujet, ce qui permet l'échange par le corps avec le monde extérieur.

Le problème est que l'adolescence vient perturber ces représentations mise en place depuis la tendre enfance !

Le rôle principal de l'adolescence est d'unifier le corps symbolique asexué de l'enfance à celui sexué du futur adulte. Ce mouvement suscite parfois des angoisses massives, et le jeune s'en défend en traitant son corps comme un objet externe à sa vie psychique. Pour A. Birraux, le corps, « traité comme objet qui ne fait pas partie de soi-même (...) peut être, économiquement, le dépositaire de la haine, de l'agressivité, de l'envie, c'est-à-dire de tous les affects menaçants pour son propre psychisme. » (Birraux, 1994). La question de la pathologie se pose quand la fantasmatisation de l'agression du corps fait place à l'agir réel.

Après ces quelques généralités sur l'adolescence et le corps, il paraît utile de réfléchir sur la spécificité de la problématique chez Martine.

-2.1.3) Anorexie et automutilation : Une mise à l'épreuve du féminin chez Martine:

« On apprend ses limites en faisant l'expérience de la douleur et du plaisir » (Freud, 1929)

Cette jeune fille tant par son anorexie que par ses scarifications met son corps au service d'une communication de l'indicible.

Par son comportement alimentaire anorexique, Martine parvient à gommer les caractères sexuels pubertaires (aménorrhée). Maurice Corcos27(*) explique que la problématique centrale dans les troubles du comportement alimentaire est la lutte contre la séparation. Ne pas avoir ses règles permet de rester le petit enfant de sa mère : « ...Corps pour une large part indifférenciée d'avec le corps maternel quand il n'est pas vécu purement et simplement comme une extension ou un morceau détaché de corps maternel »28(*).

Martine est collée psychiquement à sa mère, malgré les demandes paradoxales et les mouvements mortifères de celle-ci. En exemple de demande paradoxale il y a celle où la mère enjoint sa fille d'avoir ses règles avant de sortir de l'hôpital. Les professionnels des troubles des conduites alimentaires ont observé que le retour de celles-ci n'était pas systématiquement au rendez vous dès que le poids attendu était atteint. Maurice Corcos explique dans son article que les menstruations sont tributaires d'un lâcher prise des symptômes anorexiques, elles reviennent, notamment, à des moments dépressifs où les défenses deviennent moins rigides.

Ce qui est intéressant chez Martine, c'est l'apparition de préoccupation autour d'une maternité. En effet, elle évoque à plusieurs reprises son désir d'avoir des enfants et interroge l'équipe sur un délai de retour de ses règles.

L'aménorrhée chez Martine peut traduire à la fois un désir de rester fusionnée à sa mère et un désir de grossesse (qu'elle évoque lors des entretiens médicaux). En effet, chez la femme, la grossesse est caractérisée par une aménorrhée. Mais le désir de rester collée à sa mère, chez Martine, est très prégnant, car quand l'idée d'une maternité est abordée, elle exprime le souhait d'avoir 3 enfants : un garçon et 2 soeurs...comme sa mère.

En tout cas, comme me l'a précisé son psychiatre traitant, c'est par cette préoccupation autour du désir de grossesse que Martine fut mobilisable quant à une reprise de poids auquel le retour des règles est subordonné, en partie.

En plus de son anorexie, Martine se livre à des scarifications qui pourraient correspondre, chez elle, à une angoisse désorganisante et térébrante.

« La peau, elle n'est pas médiatrice de langage, elle est langage. La peau appartient à la voix qui en parle, elle est corps de cette voix qui s'adresse à autrui, dans son impossible déliaison aux mots qui tragiquement s'en séparent. »29(*) (DR Eliane Corrin, Dermatologue à Paris)

Ce corps, qui au commencement est celui de l'enfance porté par la mère, au moment de l'adolescence (temps des orages pulsionnels et émotionnels) fait revivre sous la forme pubertaire l'empreinte informe de la sexualité infantile.

Les symptômes de Martine impliquent le corps, entre anorexie et scarification, quelque chose semble s'inscrire de l'indicible qu'elle tente de montrer. Comme si son corps devenait une « table » où elle inscrirait des éléments de son être.

Par cet acte d'automutilation, n'aurait-il pas chez elle une tentative de conjurer le sort jeté sur elle par le pubertaire. Pubertaire qu'elle tente de gommer avec ses conduites alimentaires restrictives.

Il est intéressant de faire le lien avec son anorexie en ce sens que ses automutilations peuvent avoir une fonction de purge, tout comme les vomissements. Les jeunes filles ayant recours à ces automutilations décrivent bien la fonction de décharge de cette dernière, induite par la douleur et par surtout l'écoulement du sang.

Martine semble vouloir évacuer (par ses vomissements et ses scarifications) tout ce qui rentre (la nourriture) et ce qui demeure en elle (le sang).

En écrivant, une image d'un « corps- passoire » me vient à l'esprit. Ce corps passoire d'où jaillit la substance vivante. Image d'un corps sans contenant, se vidant de son contenu, faute de limite pour le retenir.

Martine semble dans une vidange permanente de l'objet interne maternel, faute de pouvoir s'en séparer.

Lors des remaniements de la puberté, l'adolescent subit et ce, en plus de la désorganisation identitaire, le retour des pulsions agressives, enfouies jusqu'ici dans les profondeurs de son Ça. Ainsi, sa violence fondamentale (Bergeret, 1984) vient alimenter une nouvelle violence, qui rejoint le courant pulsionnel, et réactive les fantasmes oedipiens de l'enfance. L'adolescent se retrouve envahi par des fantasmes incestueux qui ravivent chez lui l'angoisse de castration. Pour se défendre contre ces menaces, le jeune sort de sa position infantile passive et se met à agir les objets qu'il perçoit comme persécutant. Il attaque alors fantasmatiquement et parfois réellement l'image de son corps sexué ainsi que les objets incestueux, responsables selon lui du mal-être qu'il ressent. Si le Moi de l'adolescent est suffisamment solide et que son environnement, non seulement résiste à ses attaques, mais aussi le soutient dans cette étape, l'agressivité ressentie peut être progressivement intégrée à sa vie psychique. L'élaboration des différents conflits peut alors s'engager et aboutir, à terme, à l'établissement de sa nouvelle identité adulte.

Dans le cas contraire, le jeune qui n'a pu établir, dans la prime enfance, de lien suffisamment sécurisant avec ses objets, se retrouve à l'adolescence, dangereusement débordé par les remaniements de la puberté. La sexualisation de son corps d'une part et les mouvements régressifs que lui impose le Ça d'autre part, ravivent chez lui une problématique de dépendance insupportable. Il éprouve un besoin de rapproché et de réassurance presque vitale de la part de ses objets, au moment où la menace de transgression oedipienne est la plus virulente. Ce paradoxe dépendance-autonomie crée un écart narcissico-objectal au sein du Moi adolescent qui ressent la menace imminente de son effondrement. Sans la fonction de contenance de l'environnement et de soutien à l'intégration de sa violence interne, le jeune se retrouve écrasé sous le poids de la persécution, et cherche dans le recours à la violence, hétéro ou auto-agressive, le moyen d'y survivre. Plus la dépendance à l'objet est forte et plus les mouvements de régression et de désindividuation que le jeune subit sont puissants. Le passage à l'acte, hétéro et/ou auto-agressif, devient alors un moyen de réguler la distance à son environnement qu'il n'arrive plus à assurer au niveau intrapsychique, d'éprouver ses limites et de substituer à la quête des émotions celles des sensations, davantage maîtrisables.

L'une des problématiques centrales de l'adolescence, qu'est la séparation traverse l'histoire Martine. Ce processus, qui s'opère principalement en deux temps, ébranle plus ou moins fortement, dès la maturation sexuelle, le Moi de l'adolescent et le pousse à faire appel à l'ensemble de ses défenses pour assurer le maintien de sa cohésion interne. L'agir et le vécu dépressif sont ainsi employés, dans le développement normal, simultanément comme décharge et élaboration des tensions intrapsychiques. Cependant, quand la menace de l'effondrement est imminente, le Moi peut faire appel à d'autres défenses, plus extrêmes, comme la scarification.

La scarification est une « altération intentionnelle, consciente et directe des tissus de l'organisme, sans volonté de mourir » (Richard, 2005)30(*). Ces altérations sont principalement des coupures, faites avec des objets extérieurs (compas, ciseaux, bout de verre, cigarette ...) ou avec son corps propre (ongle, dent). Les brûlures, les morsures, les érosions cutanées, peuvent également être intégrées dans ce mode spécifique d'automutilation. Martine qui s'inflige ces blessures choisit généralement une ou deux zones corporelles, comme cibles privilégiées à savoir les bras et les avant-bras, sur lesquelles elle inscrit son mal-être, de façon plus ou moins profonde, mais sans réel intention suicidaire.

Pour D. Anzieu, « la peau est une enveloppe du corps, tout comme le Moi tend à envelopper l'appareil psychique » (Anzieu, 1985). Elle est plus qu'un simple organe, car elle « fournit à l'appareil psychique les représentations constitutives du Moi et de ses principales fonctions » (Anzieu, 1985). La peau revêt de multiples fonctions.

La première fonction de la peau est une fonction de soutien et de maintenance, qui donne au corps et au psychisme, solidité et unité. Elle se développe par l'intériorisation du « holding » maternel (Winnicott, 1962). Deuxièmement, la peau est contenante. Les répétitions des « handling » (Winnicott, 1962) de l'environnement permettent au bébé de ressentir son enveloppe comme un sac qui concentre ses sensations, ses représentations... Pour D. Anzieu, deux angoisses naissent de la carence de cette fonction : l'angoisse d'une excitation pulsionnelle diffuse (non identifiable et non localisable) et l'angoisse d'un Moi-peau passoire. Ensuite, la peau possède une fonction de pare-excitation. Initialement, la mère remplit ce rôle jusqu'à ce que « le Moi en croissance (...) trouve sur sa propre peau un étayage suffisant pour assumer cette fonction » (Anzieu, 1985). Un excès d'excitation ou, au contraire, un déficit lors de l'établissement de cette qualité peut entraver le développement de l'auto-érotisme infantile et donc, à terme, sa future sexualité adulte. La peau assure également la fonction d'individuation du Soi, donnant ainsi à chaque personne le sentiment d'être un individu unique. Si cette faculté n'a pu s'établir correctement ou qu'elle est remaniée à travers les âges, elle donne naissance à un « sentiment d'étrangeté » (Freud, 1933), lié à un effacement, plus ou moins important, des limites de soi. En outre, l'enveloppe dispose d'une intersensorialité, attestant d'un « sens commun » (Anzieu, 1985). Par défaut, elle donne naissance à des angoisses de morcellement et de démantèlement. La peau est également une surface de soutien de l'excitation sexuelle. Elle permet, par les éprouvés sensoriels, la découverte progressive des zones érogènes, de la différence des sexes et de leurs complémentarités. Son manque d'étayage, dans la prime enfance peut entraîner des conséquences similaires à la carence de la pare-excitation. Ensuite, la peau est une surface de stimulation permanente qui permet « la recharge libidinale du fonctionnement psychique, le maintien de la tension énergétique et sa répartition inégale entre les sous-systèmes psychiques » (Anzieu, 1985). Les angoisses qu'elle peut faire émerger sont des angoisses d'explosion de l'appareil psychique ou des angoisses de Nirvâna. Enfin, la peau a une fonction d'inscription des traces sensorielles tactiles. « Le Moi-peau est le parchemin originaire, qui conserve, à la manière d'un palimpseste, les brouillons raturés, grattés, surchargés, d'une écriture « originaire » préverbale faite de traces cutanées » (Anzieu, 1985).

Certains adolescents qui se coupent disent ne pas ressentir la douleur de l'acte. D'autres, au contraire, recherche dans cet éprouvé, un moyen de soulager la tension psychique, d'expérimenter leurs limites et leurs enveloppes corporelles. Selon B. Richard, « la douleur physique n'est (...) qu'un moyen au service d'une autre fin » (2005). Les adolescents qui se scarifient ne recherchent pas le plaisir masochique de la douleur, mais plutôt une façon d'apaiser leur mal-être. Au contraire, pour d'autres auteurs, la scarification est un « acte masochiste par excellence ». A l'adolescence, le jeune subit des mouvements régressifs importants qui peuvent l'amener à se replier dans l'auto-érotisme. Pour Ph. Jeammet, ce n'est pas le plaisir de se couper qui est recherché par l'adolescent mais plutôt le plaisir d'échapper, pendant l'acte, au contrôle que l'objet a sur lui : « la relation masochique et la souffrance maintiennent les frontières et contrôlent l'objet » (1983). En se coupant, l'adolescent lutte contre l'effacement de ses limites et contre une dépersonnalisation.

2.2) Eros et Thanatos : « Attraper quelque chose du vivant Chez Martine »:

-2.2.1) Pulsion de vie et de mort : « Que se passe t-il dans la salle des machines » ?

En Comparant la situation clinique de Martine (dans le service et à l'atelier théâtre) il apparait très nettement deux scènes, deux « montrer ».

Aussi il y a une différence entre ces deux espaces dans ce que Martine donne à voir.

Ce qui est troublant, c'est le nombre de relectures (pour la correction de fautes de frappe ou de syntaxe), qu'il m'a fallu pour déceler des éléments du côté du vivant.

Il s'agit là, d'un vrai travail d'anamorphose où la mise en perspective donne un autre visage de la situation. Francis Bacon regarde par le haut ses peintures, aussi, ce recul donne à voir un corps en son ensemble (Cf. la couverture). En me décalant de ma fonction d'infirmière pour aller vers celle de la psychologue clinicienne en devenir, mon regard s'est porté sur cette autre scène. Autre scène qui se joue, probablement, de manière plus visible en situation d'improvisation théâtrale ?

Effectivement, bien qu'encore en formation, le travail de clinicienne, selon moi, consisterait en un travail de fouille où l'idée serait de trouver ces fragments de diamants tapis sous un charbon noir et salissant.

Est-ce que ces petits diamants seraient des ruines de quelque chose qui a existé et fut détruit ? Ce quelque chose à l'intérieur de Martine qui brille derrière une chape charbonneuse de symptômes, peut-il être exhumé à des fins thérapeutiques, à des fins de survie, tout simplement ? Le symptôme peut aussi relever de la pulsion de vie et les moyens thérapeutiques ne visent pas à démonter le symptôme, mais davantage à en passer par le sujet (via un processus de subjectivation), en l'amenant à dire ou éventuellement faire dans le dire, comme sur une scène de jeu de l'improvisation par exemple.

Martine, semble conserver ces petits diamants comme des traces mnésiques de moments structurants dans ses premières relations à l'objet, moments qui n'auraient pas pu jouer leur fonction subjectivante car trop irréguliers, trop rares.

Ce quelque chose est bien présent puisqu'il fait saillie dans l'improvisation, il voit le jour. Alors, pourquoi ne tient-il pas au-delà du jeu, pourquoi cette liaison ne tient-elle pas après l'atelier ?

Cette mise en perspective me permet de recueillir ces éléments « vivants » qui m'aide à apporter quelques éléments de réponse à ma problématique.

Ces tout petits diamants trouvés dans la noirceur du symptôme de Martine sont, me semble t-il, sa capacité à susciter la rêverie chez le spectateur, l'identification à son père en tant qu'artiste donc du côté de la création, puis son désir de grossesse.

Le père en tant qu'artiste transforme quelque chose du vivant, en tant qu'identification qui vient faire séparation d'avec la mère.

Chez Martine, ce rideau de « faire »31(*) rend invisible le vivant pourtant présent. La situation théâtrale révèle cette autre scène telle une levée de rideau sur une scène habitée, animée, lumineuse.

Dans la scène mortifère, Martine, semble vouée à une destinée tragique comme les héroïnes de la Tragédie Antique, tant elle court après la mort en permanence (par ses multiples conduites à risques). L'atelier théâtre viendrait, ici, arracher temporairement Martine prise dans une loi folle, à cette destinée tragique.

En rédigeant ces quelques lignes la question de la pulsion de vie et de la pulsion de mort m'apparait en tant que mise en tension de celles-ci.

Il m'est difficile d'imaginer un règne absolu de la pulsion de mort chez Martine. Pulsion de mort à laquelle Martine serait condamnée à obéir, jusqu'à en mourir (destinée tragique). D'autant plus difficile à concevoir qu'il existe chez elle des éléments du vivant.

Pour tenter de comprendre ce qui peut s'animer comme conflit entre Eros et Thanatos, il faut se référer à Freud (1920) : Au delà du principe de plaisir où il déplie sa théorie sur pulsion de vie et pulsion de mort. Freud, dans cet ouvrage, explique que l'individu est régi par un conflit fondamental entre pulsion de vie et pulsion de mort.

Il évoque la pulsion de mort comme une dérive du besoin biologique de tout organisme vivant, d'un retour à son état initial (par exemple l'apoptose cellulaire). A la pulsion de mort, s'oppose la pulsion de vie dont la libido fait partie.

Pour que la pulsion de vie garde sa valeur, encore faut-il qu'elle dépasse et maitrise la pulsion de mort, en partie.

Quelques années plus tard, Freud affine sa théorie en montrant que lorsque la pulsion de mort domine le conflit, la destructivité de la vie psychique est en marche. C'est-à-dire que la fonction du symbolique qui fondamentalement est ce travail de liaison entre deux représentations, mais qui à défaut de celle ci engendre un gel du processus psychique. Quand la pulsion de vie a le dessus, la composante destructrice est en partie neutralisée et l'agressivité vient se mettre au service de la vie et du Moi.

Chez Martine, il y a cette incapacité à se lier, de façon permanente, à la pulsion de vie. Cette liaison se déroule au moment des improvisations, mais ne semble pas pouvoir tenir au-delà de celle-ci.

Ces petits bouts de vivants que Martine possède pourraient appartenir à la pulsion de vie, mais insuffisamment opérant pour se lier à elle afin de faire barrage à la pulsion de mort.

Dans l'atelier, Martine tente d'attraper quelque chose du vivant avec un filet à papillon qui arrive à capturer ce quelque chose du vivant mais qui le laisse s'envoler tout de suite après l'improvisation.

Avant de parler de pulsion de vie et pulsions de mort, il convient de s'entendre sur la signification du mot pulsion.

Dans Métapsychologie, Freud définit la pulsion comme une poussée dynamique ayant une source, un but, et un objet. Elle agit comme une force constance et est comparable à un besoin qui ne peut être supprimé que par la satisfaction. Il existe deux sortes de pulsions : la pulsion du Moi ou d'autoconservation et le groupe des pulsions sexuelles. Ces pulsions s'étayent sur les pulsions d'autoconservation qui leur fournissent une source organique, une direction et un objet. Il s'agit d'un travail de réflexion hypothétique à partir du dire de patients. Les notions de besoin, d'autoconservations restent insatisfaisantes pour penser le processus thérapeutique.

Freud remplace, par la suite, l'opposition de pulsion sexuelle et pulsion du Moi, par l'opposition de pulsion de vie et de mort.

La pulsion donne à l'humain la force de vivre.

Il précise que l'excitation pulsionnelle ne vient pas de l'extérieure mais de l'intérieure, c'est-à-dire de l'organisme lui-même. Ceci implique que l'appareil psychique est soumis au principe de plaisir et est régulé par des sensations de la série plaisir/déplaisir, c'est ce qu'on peut appeler la notion de représentation.

La décharge pulsionnelle créée un abaissement au plus bas du niveau de tension. Cet abaissement est temporaire.

La pulsion sexuelle est jusqu'ici principalement auto-érotique, elle trouve à présent l'objet sexuel : maintenant un nouveau but est donné à la réalisation duquel toutes les pulsions partielles collaborent, tandis que les zones érogènes se soumettent au primat de la zone génitale.

Le plaisir final est le plus élevé en intensité et diffère dans son mécanisme de ceux qui l'ont précédé. (Freud).

L'anorexie de Martine la place dans un registre d'un renversement dans le contraire de la pulsion (c'est l'un des destins de la pulsion). En effet, ses multiples attaques du corps et ses troubles du comportement alimentaire interrogent du côté du masochisme qui selon Freud tend à un renversement névrotique originaire comme un mélange dans la douleur, de l'intensité sensorielle et de l'excitation sexuelle, se rapprochant aussi d'une pulsion de mort silencieuse. Ceci renvoie au rôle de l'hallucinatoire comme première représentation du sein manquant (objet maternel - pulsion orale) où le masochisme primordiale vient comme première forme d'acceptation de jouer avec la représentation qui résulte de cet hallucinatoire, pour exemple, le jeu du For Da, où le bébé expérimente le manque et va de manière hallucinatoire la combler, par le jeu d'avec la bobine)

Les adolescents, comme Martine, qui prennent le risque de mourir dans leurs conduites semblent espérer trouver une limite à leur angoisse.32(*) Ils vont chercher cet objet primordial du côté de l'oralité d'où le manger « rien » qui est déjà quelque chose.

Ceci interroge sur la fonction de l'improvisation en ce sens qu'elle offre une possibilité de mise en jeu, levant ainsi des défenses destructrices qui emprisonnent Martine. La transformation d'une pulsion en son contraire ne s'observe que dans un cas, celui du passage de l'amour à la haine. L'amour/haine peut être dirigé sur le même objet. En effet, Cet amour/haine vise le même objet parce qu'il y a un travail psychique défensif visant ultérieurement à protéger l'objet maternel en dirigeant la haine vers un autre objet support : c'est le clivage qui précède l'ambivalence et la possibilité du conflit autour du même objet ce qui suppose le passage par la position dépressive, créant ainsi de l'ambivalence (Mélanie Klein)

Freud explique que la pulsion autoérotique implique l'autre dans sa position ; ce qui introduit la dimension d'objet. L'autoérotisme est un mouvement de jouissance qui signe la recherche en soi de cet objet au mieux introjecté.

Il y a ici la création de deux espaces en deux dimensions où va s'inscrire la dimension pulsionnelle et le sujet lui-même.

La trajectoire pulsionnelle dont Martine est la résultante, l'oriente dans la réalité notamment spatiale. Dans cette réalité spatiale, ne serait-on du côté du voir, donc de la maitrise ?En effet, l'image du corps, plus précisément l'image inconsciente du corps il faut des mots, des signifiants qui permettent le passage de l'imaginaire du corps et du spatial à celui du symbolique et d'une possible subjectivation de ce corps qui ne devient plus seulement ce support de jouissance mais peut devenir un lieu de plaisir. En se décalant du corps en tant que tel, les objets de la pulsion invitent à une extension spatiale du corps pulsionnel.

Il n'y a pas la pulsion de mort d'un côté et la pulsion de vie de l'autre. En effet, il y a intrication des deux, où la pulsion de mort se lie à la libido. C'est le principe de la rythmicité sur lequel repose le plaisir qui nécessite l'effet de castration, c'est-à-dire d'arrêt comme dans la jouissance phallique. Le corps de l'anorexique se subjective comme un grand phallus, comme objet venant combler la demande maternel dans le sens où le corps jouit de mourir de faim (ou de fin). Cette intrication se fait par l'intermédiaire de l'objet.

-2.2.2) La dimension masochique chez Martine

Pour évoquer la question du masochisme, je m'aiderai des travaux de Benno Rosenberg et de Philippe Jeammet.

Le masochisme appartient au spectre de la sexologie mais est repris par Freud dans sa théorie sur les perversions sexuelles étendue à d'autres actes, autres que les perversions sexuelles33(*).

Freud couple le masochisme au sadisme, donnant ainsi naissance au « sadomasochisme », terme qui s'impose dans la terminologie psychanalytique.

Le masochisme est toujours suivi par le sadisme. Freud fait la relation entre le principe de plaisir et le masochisme, où demeure le plaisir de la douleur, de la souffrance : il y a plaisir du déplaisir.

Dans le masochisme, Freud explique que l'augmentation de la tension, de l'excitation devient jouissance, ce qui est l'inverse habituellement où l'augmentation des tensions et de l'excitation sont sources de déplaisir.

La notion de plaisir/déplaisir ne se réduit pas seulement à l'accroissement ou à l'abaissement d'une quantité de tension, car le plaisir sexuel consiste en une augmentation de la tension qui devient une source de plaisir (et non pas de déplaisir)34(*).

Le Principe de plaisir chez le patient masochique consiste en la transformation de la pulsion de mort en principe de plaisir, ce que Freud appelle « le principe de Nirvana ».

Le masochisme se découpe en masochisme érogène et masochisme moral. Le masochisme érogène est la forme à partir de laquelle les autres formes se déploient.

Le masochisme érogène est fondé sur la prise en compte de la pulsion de mort où le but est plutôt de trouver le moyen de ne pas la satisfaire, moyen, selon Freud, d'empêcher la satisfaction de la pulsion de mort et donc de la destruction.

Dans l'anorexie mentale, le masochisme vient se substituer à la satisfaction des besoins vitaux, mettant ainsi en jeu la vie de la patiente. C'est à ce moment précis que le masochisme devient mortifère. Dans cette pathologie, c'est le masochisme érogène du vécu de la faim qui est en cause35(*).

E.Kestemberg évoque « l'orgasme de la faim » qui consiste en l'investissement masochique de l'excitation de la faim par l'anorexie. Cette mise en jeu de la vie chez l'anorexique tient au blocage de la pulsion de vie dont la fonction est de permettre la satisfaction objectale.

Il y a sidération du fonctionnement normal de la libido et de l'autoconservation (pulsion de vie).

Il n'est pas permis de parler du masochisme sans aborder le masochisme moral qui caractérise l'organisation névrotique.

D'emblée, Benno Rosenberg propose de différencier le masochisme moral et la culpabilité. Il décrit la culpabilité comme une notion fondamentale et centrale dans l'organisation névrotique.

Le masochisme moral porte sur le masochisme propre du Moi qui demande une punition du Surmoi ou de l'extérieur : le désir du Moi est de se soumettre au surmoi.

Pour ce qui est de la culpabilité, elle est la conséquence d'un sadisme accru du Surmoi auquel le Moi se soumet. (Ici, pourrait-on dire que la culpabilité tient du fait que le Surmoi enjoint le Moi à « jouir »)

La différence entre les deux, réside dans le lieu de la satisfaction. Dans la culpabilité la satisfaction libidinale qui a son objet propre et la culpabilité fait suite à cette satisfaction. Concernant le masochisme moral, la satisfaction réside dans la culpabilité même, c'est ce sentiment de culpabilité qui est érotisée (investissement masochique).

Pour Philippe Jeammet, le masochisme donne une possibilité de délivrance de l'emprise de l'objet et de reprendre une position active de maîtrise36(*). C'est la menace qui pèse sur le Moi, sur l'identité qui semble être le moteur du masochisme. Le masochisme est un moyen de maîtrise sur une menace identitaire et de dissolution du Moi et dans ce cas présent, devient « gardien de la vie » en tant qu'ultime défense d'un Moi débordé face à la reddition et l'abandon au pouvoir de l'objet qui lui permet un triomphe par l'autodestruction sur l'objet décevant.

Cette conduite masochique de « sauvegarde » rend l'adhésion aux soins bien difficiles. Avec Martine, l'équipe doit négocier avec cette part là, peut-être avec l'idée de trouver une autre béquille à lui proposer pour qu'elle puisse abandonner toutes ses conduites masochiques.

Martine de par son anorexie, invite à réfléchir sur la dimension masochique que revêt son symptôme. En effet, ce qu'elle s'inflige avec force et constance la place en tant qu'objet qui s'auto-maltraite. Elle semble prise dans une spirale jouissive, où la douleur viendrait combler son vide interne causé par l'absence, ou un trop plein de l'objet maternel. Il me semble important de préciser que ça pourrait être la symbolisation du manque qui fait cruellement défaut chez ces patientes.

Dans l'anorexie, mais aussi dans la boulimie, les patientes peuvent avoir de vraies crises de « gavage » afin de se vider (vomissement, purge anale ou diurétique...): il s'agit là, de se remplir pour se vider. Cette purge, au delà de la fonction de « vidange » peut confiner au-delà de la recherche de sensation, à la quête d'une douleur physique (se manger les joues, pressions abdominales, se mutiler,...) et s'organiser dans des conduites à risque et dans des automutilations répétées, répondant à un caractère impulsif-compulsif, Maurice Corcos range du côté de l'auto-sadisme, un « sadisme réfléchi », actif. Il y a ici défense narcissique par répression des affects engendrés par l'objet empiétant le territoire psychique du sujet lui même. Cet auto sadisme semble correspondre à un retour sur soi d'un sadisme dirigé vers le représentant de l'objet. Il ne s'agit pas uniquement d'automutilations à forme de scarifications, en effet les réactions du sujet face à l'insuffisance de l'objet, envahissant par son absence, biaisent le sentiment de continuité et provoquent une menace d'annihilation. Il y a aussi plus précisément une tentative d'exclusion du « membre malade » (représentant de l'objet), en soi, témoignant bien du trouble identitaire massif face au sentiment de possession par un objet.

Ceci place le sujet dans un paradoxe, c'est-à-dire qu'il est rempli d'une absence. L'angoisse contre laquelle lutte cet auto sadisme reste plus proche de l'ordre de l'abandon dans la défusion. Surtout elle s'apparente à une corporéïsation de la menace séparation-castration. D. Anzieu: « La souffrance masochiste avant d'être érotisée secondairement et de conduire au masochisme sexuel et moral, s'explique d'abord par une alternance brusque , répétée et quasi traumatique , (avant la marche, le stade du miroir, la parole), de sur-stimulation et de privation du contact physique, de satisfaction et de frustration du désir d'attachement par rapport au moi-peau, le narcissisme primaire correspond à l'expérience de la satisfaction ; le masochisme primaire, à l'épreuve de la souffrance »37(*)... Le fantasme originaire du masochisme consiste en une illusion d'une même peau appartenant à l'enfant et sa mère, peau comme représentant de leur fusion, de leur symbiose (est-ce que les coupures de Martine seraient une tentative de s'arracher à la peau maternelle où elle reste collée, telle un membre siamois ?),... le processus de défusion et d'accès de l'enfant à l'autonomie entraine une rupture et une déchirure de cette peau commune. L'auto-érotisme interviendrait telle une parade contre un risque de désorganisation somatique. Il témoigne de la permanence de la dépendance à l'objet et donc de ce qui fait sa vulnérabilité c'est-à-dire sa solitude fondamentale.

B. Rosenberg explique la sortie du masochisme érogène primaire par la voie de l'auto sadisme, ce qui permettrait la désexualisation et la culpabilité, par conséquent la constitution d'une névrose. Ce qui peut entrainer l'échec dans la constitution d'un masochisme « gardien de la vie », au sens d'un masochisme contenant dans la sphère psychique les envies autopunitives récupératrices de l'objet au lieu de les agir dans le corps. Dans les services d'adolescents souffrant de troubles du comportement alimentaires, ce qui est souvent remarqué c'est que la douleur physique qu'ils s'auto-infligent (mutilations), stoppe le processus en parvenant à lever pour un temps le déni de la réalité du risque vital.

Mais qu'en est-il du masochisme moral où le sujet aimé-haï disparaît pour laisser place à l'investissement de la souffrance (à l'inverse du masochisme érogène ou le masochisme primaire érotisé permet de conserver le commerce avec l'objet dans la haine). C. Chabert propose, à partir de son expérience dans les TCA la construction suivante : « le masochisme moral s'ancre, dans la re-sexualisation oedipienne, à une conviction incestueuse déterminant une angoisse majeure de perte d'amour et un retournement haineux, contre le moi, des attaques destructrices visant l'objet. C'est l'impossible mise en scène de la rivalité avec la mère, certes, mais surtout l'impossible confrontation à la passivité qui engage la version mélancolique des fantasmes de séduction... Au delà de l'expiation mortifiante à laquelle elle se soumet, c'est la mère qui est visée et atteinte du fait de la prévalence narcissique des indentifications »38(*). Elle envisage le gommage de la féminité en rapport avec un inceste insuffisamment refoulé qui fait retour dans des scènes masochistes. Elle évoque une attaque désobjectalisante et une attaque des investissements libidinaux en regard de cette problématique.

Attaques qui correspondraient à un refus de se voir constituer comme source de désir de l'autre.

Maurice Corcos émet l'hypothèse que pour les formes graves archaïques de TCA l'attaque désobjectalisante sur le corps propre indifférencié, vise en regard d'une possession par le corps maternel, à un refus d'un même corps.

« L'identification narcissique à la mère a généré une indifférenciation »39(*). Notamment au niveau de l'espace corporel. Ainsi le masochisme moral pourrait correspondre à l'investissement de la souffrance infligée au corps de la mère indifférencié d'avec le sien. Le fantasme de destruction haineuse de la mère (parce que la mère en termes de représentation se joue du côté du corps sinon on se place du côté de l'objet de désir du père) relié dans un premier temps à la psyché semble prendre une dimension agie sur un corps indifférencié d'avec l'objet. Après une phase de déconnexion psychique, l'investissement de la souffrance (masochisme moral) marquerait la fin de la lutte entre sujet et objet. La souffrance devient l'ultime représentante de la mère insuffisante. Le sujet investit la souffrance. La volupté de la douleur remplace l'absence, remplit ce trou creusé par une mère absente, frustrante.

Martine est comme aliénée au manque à être de l'objet, ou à son absence, toutes deux déniées, et surinvesties.

Ce qui vient révéler le symptôme anorexique, à son principal destinataire, la mère, est son inassimilation de nourritures inconsistantes de n'être pas affectives et son avidité pour l'obscur objet du désir maternel. Pourtant ce que l'anorexique offre à sa mère est un corps squelettique, quasi cadavérique l'obligeant à une attention soutenue et à l'expression d'un désir de vie pour son enfant (c'est le symptôme que l'adolescent adresse à sa mère, tel un message qui viendrait se compléter une fois encore de cette figuration imaginaire phallique du corps longiligne). Ici, la mère de Martine est davantage inscrite dans une démarche mortifère envers sa fille, tout en ébauchant un désir de vie pour elle en tenant à ce que cette dernière ait ses règles (règles en tant que signifiant de la vie, du désir, de la féminité), elle l'aliène à une place de malade moribonde ne pouvant quitter l'hôpital qu'une fois les règles revenues, elle l'assigne, ainsi, à une place de « malade incurable et incapable de donner la vie », puisque non réglée. Cette mère là, semble dans une double contrainte (ou bien, une demande d'être comblée imaginairement par son enfant une fois devenu adolescent re-sexualisé, tout devient comme une certaine représentation phallique allant aussi du côté d'une maîtrise de la faim tel un défi lancé à la mère) , elle enveloppe Martine dans une chrysalide solide et hermétique. « Ces transactions mère-enfant, font penser à une dimension psychique mélancoliforme chez la mère que la patiente aurait perçue et figurerait physiquement, l'éprouvé corporel étant la matière même de la représentation. »40(*)

III) Discussion et analyse autour de la problématique de Martine : Mise en scène :

La scène subjective se crée dans une temporalité et une mémoire propres, et le désir sert de guide pour une répétition d'une extension du vécu psychique, dans l'improvisation.

La pulsion telle un tempo, rythme l'espace psychique, lui permettant ainsi de s'articuler sur un corps érogène.

3.1) De quelle scène s'agit-il ?

-3.1.1) Scène de jouissance masochique ?

Après un passage du côté de la théorie, je propose, en reprenant des éléments cliniques, de prélever ce qui pourrait être du côté d'une jouissance masochique chez Martine.

Il paraît important de s'entendre sur ce que veut dire le moment jouissance au travers de la définition freudienne, avant d'inclure ce terme dans ma réflexion.

La jouissance est un terme peu utilisé par Freud. Le concept de jouissance est d'abord lié au plaisir sexuel, impliquant une dimension transgressive de la loi. La jouissance participe de la perversion, c'est ce que Freud décrit dans les Trois Essais sur la Théorie Sexuelle en l'utilisant pour parler des « invertis », c'est-à-dire des homosexuels pour évoquer leur aversion pour l'objet sexuel de l'autre sexe.

La jouissance n'est pas que plaisir mais elle est aussi sous tendue par une identification en s'articulant à l'idée de la répétition qui renvoie à la de la pulsion de mort. Bien sur, ce concept invite à retourner aux premiers stades de la vie du nourrisson, qui va jouir du moment de la « tété », où il va apaiser la tension de la faim, mais par un acte de répétition il va recourir au suçotement (dépourvu de sa fonction nutritive), ce qui le met du côté de l'auto érotisme.

Martine utilise son corps comme langage, peut-être aussi comme moyen de se couper de l'objet maternel. Elle effectue ces opérations « sans anesthésie », dans la douleur.

La force et la persistance de ses actes auto-agressifs, ses attaques contre elle-même forcent à envisager la jouissance qu'elle peut y trouver. Aussi, peut-on penser cette jouissance par rapport à l'investissement/désinvestissement de son corps par la mère.

En effet, dans le corps de Martine, qu'en est-il de l'inscription du regard suffisamment bon de la mère. Dans l'anorexie, le gommage des formes féminines pose la question de l'identification au féminin.

Comment Martine parviendrait-elle à investir une image féminine, alors même qu'elle ne semble pas avoir pu introjecter l'objet maternel, dans un« trop plein ou trop vide » de celui-ci. Pour y parvenir, elle devrait faire un travail de coupure, non pas sur son corps, mais de coupure symbolique (ceci suppose une possible construction d'une représentation maternelle « suffisamment bonne », de fait, emprunte d'ambivalence), Il s'agit d'une mère manquante, ce qui supposerait le recours à une représentation tierce autoriserait Martine à se délier de cette peau commune à la mère. L'autre travail, pour Martine, serait de s'affranchir du pubertaire pour laisser place au féminin afin d'accéder à une jouissance féminine liée à la séparation des corps mère-fille.

Les mères inscrivent dans le corps de ces jeunes filles un désinvestissement ou un contre investissement, créant ainsi une difficulté d'identification sexuelle chez l'enfant. Il est donc nécessaire d'évaluer l'impact entre le désinvestissement corporel, (voire la mutilation du corps), chez la mère et chez la fille. La séparation se caractériserait par le fait d'avoir un corps différent de celui de la mère et d'accéder à la jouissance féminine inhérente à cette possible séparation des corps.

Cet aspect « corporel » parait être fondamental dans la question du « choix » de l'addiction alimentaire en tant que processus économique figurant la problématique identitaire.

« La jouissance du sujet sera dépendante de la jouissance de l'Autre-maternel et de l'objet d'amour de celui-ci qui n'est pas forcément le père et se distribuera dans les aménagements pervers propres à l'anorexie mentale ».41(*)

Si on ne naît pas femme, on est inscrit très tôt dans une lignée maternelle où l'impossibilité du féminin chez la mère peut entraver considérablement la possibilité de ce devenir pour sa fille adolescente.

Le désinvestissement maternel du corps, de son enfant, esthétique et plastique et le surinvestissement de ses fonctions biologiques et physiologiques; va entraîner en réponse à cela et en miroir, un investissement et/ou un combat de l'idée d'une permanence fantasmatique d'une indifférenciation par l'enfant, au détriment de possibles représentations psychiques du corps. Le corps anorexique qui s'offre au regard de l'autre, tel un manifeste, est avant tout une entité corporelle informe et hyperexcitable avec l'acceptation d'un ressenti d'une jouissance dans la maladie (et non pas dans la sexualité). Ce corps tend à l'androgynie révélant ainsi un déni de la différenciation des sexes ne montrant rien de son rôle de procréation, de génération (notamment par l'aménorrhée). Cet ensemble de déclarations dans la geste anorexique n'est pas de l'ordre de la symbolisation.

Le maintien de l'investissement de l'absence dans la continuité de ce qui a prévalu dans l'enfance est rendu possible par une attaque des éprouvés secondaires à la puberté au moment de l'adolescence. « Ce n'est pas que le corps refuse de se sexualiser, c'est qu'il veut rester malade et jouir de façon infantile dans cette maladie même ».

Maurice Corcos explique la jouissance chez ces jeunes anorexiques comme un fantasme d'annulation du sujet et de l'objet ; ce qui vient réactiver un moment de désinvestissement. Le sujet répète à l'identique (l'afflux de sensation) le traumatisme, c'est à dire l'absence de contenant au débordement pulsionnel, avec un risque de frayage psychosomatique.

Il poursuit en faisant l'hypothèse que ce type de jouissance endogène serait recherché de manière compulsionnelle, non seulement pour elle-même, mais surtout pour ce qu'elle représente pour le sujet, une expérience extrême « proche de l'angoisse » il y aurait une véritable constitution d'une épreuve de réalité, un accès au réel de l'être : « La jouissance d'un retour à la continuité par le manque s'associe par essence à une angoisse de néantisation. »

Martine, par ses conduites à risques où son corps devient le dépositaire de sa souffrance psychique, il est question de la scène. En effet, le corps est la scène où vient se déposer, s'inscrire ce qui agite Martine : sa vie psychique.

Martine donne à voir, tant dans le service, que dans l'atelier. Elle est une patiente « spectaculaire » tant sa souffrance se voit avant de se faire entendre.

Son investissement de l'atelier interroge sur ce qu'elle vient chercher, sur ce qu'elle veut dire par le montrer. En effet, sa ténacité à participer à l'atelier tient parfois de l'acharnement, de la lutte ; dans ces moments là il ne semble pas avoir de plaisir, de désir, mais plutôt un besoin vital d'y aller. La perspective des improvisations semble l'attirer en ce qu'elle peut « exhiber » de sa scène subjective, de ce mal être qu'elle peut raconter au travers du jeu, notamment quand elle choisit des rôles très crus (pour exemple d'uriner, pour de faux comme disent les enfants, sur scène !). Ses jeux prennent une tournure très burlesque suscitant les rires, des rires parfois embarrassés où le spectateur est coincé entre la stupeur, la gène et le comique qui se dégage de l'improvisation. Ce sentiment ambivalent, peut être le résultat de quelque chose que Martine exhibe sans détour de sa vie psychique.

En plus des moments d'improvisations, il y a la première partie où Martine prend des allures de « possédée », où elle suscite en moi une envie de la fuir, de me protéger de son ombre aspirante.

Son opiniâtreté à faire la relaxation...jusqu'au bout, moment où elle se sent mal (pleure très souvent) : que montre t-elle à ce moment là, en tire t-elle une jouissance ? Au moment du jeu du regard, lorsque je suis avec elle, elle me propose un regard vide écumé d'une empreinte mélancolique, glaciale, là encore elle semble souffrir mais tient à aller jusqu'au bout.

Sa pugnacité à tenir des exercices difficiles m'a souvent fait penser à une « auto flagellation » en publique, d'où elle tire une certaine jouissance masochique. Je suis tentée de faire un parallèle entre la maltraitance qu'elle s'inflige au corps et ce qu'elle vient reproduire à l'atelier où là, la maltraitance serait rejouée au travers des sensations psychiquement douloureuses. Il y aurait à l'atelier un remplacement de la douleur physique par la douleur psychique.

J'ai, au travers de ce travail, pu montrer que Martine remplissait son vide interne, remplissage nécessaire car ce vide est pour elle insupportable, au sens où il est une nécessité pour désirer. Ceci donne lieu aux possibles défilés de représentations et donc de productions fantasmatiques pour aller jusqu'à la sublimation par la douleur. Cette douleur (comme suppléance au manque) semble la tenir pleine de quelque chose qui la tient en vie par une sensation forte et désagréable. Dans ce cas de figure, l'atelier théâtre ne lui permet pas de lâcher ce besoin de douleur, mais permet juste de changer les modalités d'y accéder.

Ceci m'interroge sur la place du publique en tant que regard. Martine interpelle beaucoup le regard, en cela n'aurait-il pas un rôle maltraitant où il serait désapprobateur, persécutant. Comme si Martine utilisait le regard comme un outil pour se faire mal ; comme je le disais plus haut, au moment du débriefing, elle est très friande du retour que le publique va lui faire sur sa prestation. Elle cherche souvent à faire dire des choses négatives.

Martine est un jour nuit pris entre une jouissance masochique dont les exemples sont nombreux et un désir révélé par les moments lumineux qu'elle peut offrir au moment des improvisations.

Comme je l'ai fait pour la jouissance masochique, je vais faire un détour théorique, avant d'évoquer cliniquement sur ce qui pourrait du côté du désir chez Martine.

-3.1.2) Scène de désir ?

Pour accéder au désir, encore faudrait-il que Martine parvienne à faire le deuil de sa jouissance (c'est-à-dire, créer de l'objet qui fait séparation d'avec l'autre maternel)

D'un point de vu théorique, le désir est une forme de mouvement en direction de l'objet dont l'âme et le corps subissent une « attraction » spirituelle ou sexuelle.

Freud l'aborde dans sa théorie sur l'Inconscient pour désigner une tendance et une réalité de la tendance où le désir est l'accomplissement d'un souhait (Wunch), d'un voeu inconscient.

L'autre est l'objet du désir, que le conscient désire dans une relation en négatif et en miroir lui permettant ainsi de se reconnaître en lui.

Le désir est une activité (Feud) qui tend à éviter toute forme de déplaisir. Il n'identifie pas la désir aux besoins biologiques.

C'est dans les rêves que gît la définition freudienne du désir, le rêve en tant qu'accomplissement d'un désir refoulé et relève de la dimension imaginaire qui reste à travailler dans une possible dimension symbolique du dire.

Martine, comme je l'indiquais précédemment, détient en elle des « petits bouts de vivants » qui deviennent davantage visibles pendant les improvisations.

Même si pendant l'atelier, demeurent des moments où la « folie » reprend ses droits, Martine arrive à montrer cette autre scène, scène de vie.

En reprenant son histoire, ce qui semble la mettre du côté de la pulsion de vie, c'est tout d'abord son désir de grossesse. Désir qui indique son désir de séparation d'avec l'objet maternel (en se tournant peut-être vers cette figure du père qui s'adresse la demande de recevoir un enfant mais cela peut être aussi le désir de se substituer au père et de faire un enfant à la mère : au demeurant dans les deux cas, il y a inscription du manque de la mère dans la production fantasmatique inconsciente du sujet) et de s'inscrire dans la venir, dans une filiation.

Son investissement et la qualité de sa création viennent comme des tentatives d'une mise en place d'un désir. En effet, la médiation théâtrale ou plastique est très investie par Martine.

Il me semble que ces temps de médiation, dans leur rôle de tiers, l'aident à se séparer, à exister en tant qu'entité vivante et individuée de la mère. Son père, artiste, lui restitue par la création quelque chose du vivant. Par identification au père artiste, elle tente de trouver dans ces espaces de médiation un objet séparateur.

Par ailleurs, la qualité de son jeu scénique révèle une capacité à lier sa pensée, souvent morcelée. Sa capacité à susciter la rêverie démontre l'existence de la pulsion de vie.

Cependant, la fugacité de ce qui pourrait être du côté du désir, vient interroger sur la capacité de Martine d'y accéder, tant elle semble parfois rivée à sa jouissance ce qui n'autorise pas l'expression de désir qui passe par la production d'un dire en écho à son fantasme.

Même si la discussion, dans ce chapitre se compose de deux parties, il est bien évident que la question des pulsions de vie et de mort, n'est pas aussi scindée. L'intrication des deux pulsions oblige penser la situation de Martine dans un ensemble où ces deux pulsions se tamponneraient de manière incessante dans une lutte acharnée.

Son incapacité à faire persister les éléments du vivant. C'est justement son problème que de vouloir garder une certaine idée de constance pulsionnelle qui ne tolère que trop difficilement les interruptions, pourtant absolument nécessaire au maintien de la pulsion de vie, en dehors de la scène. Ceci montre à quel point que l'inscription de Martine se fait davantage du côté du mortifère.

Je me souviens d'une expression utilisée par Maurice Corcos, lors d'un échange sur cette patiente, qui renseigne bien sur sa situation : « Martine, on la tient à bout de bras, on s'arrange pour qu'elle reste en vie ». Cette remarque qui m'a beaucoup touchée, m'indique que le rôle des soignants et des médiations s'inscrire ici comme « des attaches-vie » pour Martine. Il s'agit de lutter contre les velléités de la pulsion de mort à régner en maitre, sur la pulsion de vie.

CONCLUSION :

L'adolescence est une période de grands remaniements et de confusion identitaire majeure, au cours de laquelle un enfant se transforme progressivement en un jeune adulte sexué et individualisé. Pour ce faire, l'adolescent doit accepter, dès l'avènement de la puberté, de se détacher de l'enfant qu'il était et de la sécurité que ce statut lui apportait pour découvrir ses nouvelles capacités. Il part alors en quête de sensations et d'éprouvés de sa nouvelle enveloppe, de ses limites, de sa sexualité, de son identité. Malgré la souffrance et la solitude que cela entraîne, il sait que le chemin à parcourir doit se faire seul. Il n'est plus l'enfant de ses parents mais un futur adulte, libre de ses choix et de ses envies. Il doit accepter de s'ouvrir au monde, et déplacer ses attachements premiers sur des personnes extérieures.

Martine, est pleinement occupée psychiquement par la problématique de la séparation et vient la mettre en scène, par le jeu, lors des ateliers thérapeutiques.

L'investissement massif de cette dernière envers ces médiations, semble agir comme un transformateur, de la médiation en objet séparateur. La médiation semble venir en lieu et place du père en sa fonction séparatrice d'avec la mère.

Aussi, le corps de Martine est un véritable parchemin où vient s'inscrire l'indicible et l'irreprésentable de cette séparation d'avec la mère. Ce corps est « trop plein ; il subit une vidange par les actes d'automutilation et les conduites restrictives de Martine.

J'ai bien pris la mesure que tout au long de ce travail, la représentation paternelle (cet autre désiré) et parfois chez certaine mère, la seule fonction professionnelle investie peut tenir lieu de tiers, désiré par la mère qui fait tiers, entre la mère et l'enfant. Cette représentation est peu apparue dans mes développements, ce qui ne veut pas dire qu'elle demeure inexistante dans mon esprit. Je pose aussi l'hypothèse qu'un des axes thérapeutiques possibles reviendrait à réhabiliter (ou tout du moins à l'intégrer dans ce que la patiente donne à penser aux thérapeutes) cette représentation du père, non en tant qu'image mais en tant que fonction.

On peut supposer que l'objet fabriqué dans l'enceinte du théâtre peut être une entrée possible, une ébauche de cette représentation paternelle en tant que fonction séparatrice au sens psychique du terme.

J'ai quand même pu démontrer que dans le cadre de cet atelier, l'accent est mis sur l'objet fabriqué le temps de cette médiation et que ça n'est pas un objet qui s'exhibe.

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ROUDINESCO. E et PLON. M. Dictionnaire de la psychanalyse. Fayard, 2000

SAMI ALI. (1977) Corps réel, corps imaginaire. Paris, Dunod, 1998

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SHUSTERMAN R.: « Débats Shusterman : conscience du corps » L'éclat.

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* 1 CATTP : Centre d'accueil thérapeutique à temps partiel...

* 2 T.Delcourt : Au risque de l'art. Editions l'âge de l'homme, 2007

* 3C.Masson : L'angoisse et la création, essai sur la matière. L'Harmattan, 2005 P 82

* 4 T.Delcourt : Au risque de l'art. Editions l'âge de l'homme, 2007

* 5 ARTAUD.A. Le théâtre et son double. Gallimard, 1964 P49-71

* 6 7 MASSON C. L'angoisse et la création. Paris, L'Harmattan, 2005

* 8 KAËS.R (1976) La parole et le lien Paris Dunod, 2000

* 9 .MASSON.C : L'angoisse et la création, essai sur la matière. L'Harmattan, 2005

* 10 Ibid

* 11C. MASSON. L'angoisse et la création. Paris, L'Harmattan, 2005 P83

* 12ibid

* 13 0. COUDER. La création artistique facteur d'épanouissement des personnes handicapées, in La revue Sésame N° 152, 2004)

* 14 C.MASSON : « séminaire de Master I » du 22/10/2007

* 15 P.Attigui. « De l'acte théâtrale au transfert : une interprétation passionnée » in Clinique méditerranéenne. N°69, 2004. pp 139-158

* 16 P.Jeammet : « L'énigme du masochisme » in L'Enigme du Masochisme. PUF, 2000 pp. 31-67

* 17 C.Masson : OEuvres complètes de Freud, résumé analytique. Tome 2 (1905-1913), Hermann psychanalyse, 2007, p.237

* 18 RICHARD.F. Le processus de subjectivation à l'adolescence. Paris, Dunod, 2001

* 19 LAUFER E. (2005) Le corps comme objet interne. Adolescence, 23, 2 : pp.363-379

* 20 X.Gasmann : « Les esquisses symboligènes »

* 21 P.Blos : « Les adolescents. Essai de psychanalyse ». Paris Stock

* 22 J.Bergès : « Le regard et l'imaginaire du corps » Journal français de psychiatrie N° 16

* 23 R.Schustermann : « Débats Shusterman : conscience du corps » L'éclat.

* 24 F..Marty : «  Adolescences : état des lieux à partir des innovations de F.Ladame » Colloque du 6/10/2007

* 25 Pré quelqu'un : terme d'E.Kestemberg pour désigner l'adolescent.

* 26 D.Anzieu : « Le Moi-peau. » Paris, Dunod (1985)

* 27M.CORCOS. « Approches psychosomatiques de conduites addictives alimentaires » in Dialogue, 2005 pp.97-109

* 28Ibid

* 29 MASSON.C, COEN .A, GHOZLAN.E, KAUFMANN.F, MAILLARD.C, WOLKOWICZ MG. (2004) : Shmattès : La Mémoire par le rebut, Lambert-Lucas, Limoges, 2007 P352

* 30 B.RICHARD. « Les comportements de scarifications chez l'adolescent » in Neuropsychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Vol 53, N°3, 2005. pp.134-141

* 31 Jeu de mot pour montrer la force active que déploie Martine pour faire vivre ses symptômes, les rendre tenaces, vivaces.

* 32 RICHARD.F Les troubles psychiques à l'adolescence. « Les Topos » Paris, Dunod, 1998

* 33 ROUDINESCO. E et PLON. M. Dictionnaire de la psychanalyse. Fayard, 2000

* 34 Freud.S ; « Le problème économique du masochisme » in Névrose, Psychose et perversion, Puf, trad J.pontalis. pp. 283-297

* 35 B.Rosenberg ;

* 36 P.Jeammet : « L'énigme du masochisme » in L'Enigme du Masochisme. PUF, 2000 pp. 31-67

* 37 ANZIEU Didier. (1985) Le Moi-peau. Paris, Dunod.

* 38 C.Chabert : Le fémini mélancolique, p.45

* 39 CORCOS Maurice. « Le féminin et le maternel dans l'anorexie mentale. Une passivité créatrice : ceci n'est pas une femme » conférence du 03/06/2004

* 40 CORCOS Maurice. « Le féminin et le maternel dans l'anorexie mentale. Une passivité créatrice : ceci n'est pas une femme » conférence du 03/06/2004

* 41 M.Corcos. « Le féminin et le maternel dans l'anorexie mentale. Une passivité créatrice : ceci n'est pas une femme » conférence du 03/06/2004






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