La République tchèque : analyse de son "retour à l'Europe"( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult Université Lyon 2 - Master 2 en Sciences de l'Information et de la Communication 2007 |
2. La République tchèque : une nation culturelleLa seconde partie de l'article est un entretien avec un cinéaste et metteur en scène tchèque. La première chose qui retient notre attention est le statut de l'énonciateur convoqué par Le Figaro. Le quotidien n'interviewe pas un spécialiste de l'Europe centrale mais un cinéaste, metteur en scène relativement réputé en République tchèque. Il rappelle ainsi le rôle que les intellectuels et les artistes ont joué et jouent encore dans ce pays. Le statut de l'énonciateur nous permet de comprendre pourquoi les composantes de l'identité nationale qu'il mentionne sont différentes de celles évoquées dans le reste du corpus. Par exemple, contrairement à Le Monde qui retrace l'histoire de la nation tchèque dans une perspective politique, J. Sverak énumère les différentes étapes qui ont jalonné la formation de la nation tchèque comme nation culturelle : la prise de conscience de former un peuple, la menace de la langue et de l'Etat, le rôle joué par la culture : « la création artistique qui caractérise notre pays » et la méfiance « atavique » des Tchèques que nous pouvons relier au complexe de la petite nation. L'étude des différents champs lexicaux présents dans cet article est assez révélatrice de la perspective choisie J. Sverak pour parler de la nation tchèque. Nous pouvons noter la présence de termes relevant du champ lexical de la nation culturelle : « peuple » (à deux reprises), « identité » (à deux reprises), « langue », « création artistique ». A ce premier champ lexical, s'ajoute celui de la domination : « menacés en permanence », « contraints », « nous avons toujours été broyés », « pays pris en tenaille », « plusieurs fois été trahis », « les drames » traversés par le pays, « opprimés ». Tous ces termes renvoient à la situation du peuple tchèque au XIXème siècle principalement. Nous trouvons également quelques phrases et expressions relatives à l'identité : « quête permanente de son identité », « recherchent cette identité » et « forgés à travers l'histoire ». Enfin le champ lexical de la littérature est aussi révélateur de la perspective de J. Sverak : « langue », « langue tchèque », « dérision », « humour » qui caractérisent la littérature tchèque, des « grands écrivains » comme « Karel Capek », « Jaroslav Hasek », « Bohumil Hrabal » et « Milan Kundera », « intellectuel ». L'association de ces trois champs lexicaux suffit à définir la nation tchèque : une nation opprimée et menacée jusqu'à la fin du XIXème siècle pour laquelle la littérature et plus généralement la langue ont joué le rôle d' « arme et [de] bouée de sauvetage », autrement dit ont contribué à la constitution de la nation tchèque. J. Sverak dépeint donc cette nation comme un nation culturelle dans laquelle la langue a joué un rôle fondamental. L'analyse de ses propos nous ont permis d'identifier deux autres composantes de l'identité nationale : le territoire et l'histoire. En effet, il évoque son attachement au territoire tchèque à travers la question de l'exil : contrairement à certains intellectuels qui ont fui le régime communiste, J. Sverak a refusé « de façon catégorique » de s'installer à l'étranger. Ses explications sont assez révélatrices de l'attachement que les Tchèques portent à leur territoire et à leur langue : « ma profession de cinéaste, mon savoir-faire, sont trop liés à la langue tchèque et j'aurais eu trop la nostalgie de mon pays ». Un attachement qui est mis en valeur par la structure de la phrase « à chaque séjour à l'étranger [...] je me suis demandé si je serais capable de rester. A chaque fois ma réponse a été catégorique : non. ». L'histoire, et plus précisément le divorce tchécoslovaque, est la dernière composante de l'identité nationale sur laquelle se focalise le journal. Le Figaro demande à J. Sverak si cette séparation a été vécue comme un « traumatisme ». Le terme « traumatisme » est intéressant car il désigne « un événement qui [...] a une forte portée émotionnelle et qui entraîne [...] des troubles psychiques et somatiques par suite de son incapacité à y répondre adéquatement sur-le-champ »166(*). La scission de la Tchécoslovaquie n'est donc pas interprétée comme une étape supplémentaire dans l'histoire d'une nation politique mais comme un événement susceptible d'avoir des répercussions psychologiques chez un peuple qui s'est en partie constitué contre la nation slovaque. Nous pouvons d'ailleurs souligner que les termes utilisés par J. Sverak pour répondre à cette question relèvent du champ lexical de l'émotion : « surpris », « touché », « vexé », une décision qui « fut une claque » mais qu'il juge « probablement nécessaire pour assainir [leurs] relations ». Le Figaro est donc le seul journal qui aborde réellement la question de la constitution de la nation tchèque et se focalise sur les deux composantes qui, à nos yeux, sont les plus importantes : la langue et le territoire. Il est intéressant de mettre cet entretien en perspective avec la première partie de l'article : les deux personnes à qui le quotidien donne la parole sont tchèques mais la teneur de leurs propos diffère. Ce décalage s'explique par la modalité du discours : alors que les propos de Marketa sont rapportés au discours indirect libre et permettent donc au quotidien de sélectionner ce qu'il entend dire, les propos de J. Sverak, rapportés au discours direct, se focalisent sur le rôle de la langue et de la culture comme facteurs constitutifs de l'identité nationale. Cette polyphonie discursive est intéressante et accentue le clivage entre le quotidien qui semble méconnaître la question identitaire tchèque et la représentation que les Tchèques ont de l'histoire de leur nation. * 166 Le Petit Larousse, Editions Larousse, 1993, p. 1026 |
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