Université de Liège
Faculté de Philosophie et Lettres
LE BOUDDHISME THERAVADA, L'ÉTAT ET LA
VIOLENCE. PRINCIPES ET RÉALITÉS
Adapté d'un mémoire présenté en 2007
par
Jacques Huynen
Pour l'obtention du DEA en Histoire des religions
INTRODUCTION
Le bouddhisme jouit de la réputation d'une religion
pacifique, voire la plus pacifique des religions. Dans les textes du Canon
pâli, les passages soulignant l'inutilité et la nocivité de
la violence, défensive ou rétributive, abondent. Contentons nous
d'en rappeler certains parmi les plus connus :
Celui qui, cherchant le bonheur, menace des êtres
cherchant [aussi] le bonheur, dans l'au-delà n'atteindra pas son bonheur
(Dhammapada 131).La colère doit être conquise par la
non-colère, le mal par le bien, c'est par la
générosité qu'est vaincue l'avarice et par la
sincérité le trompeur (Dhammapada 223)
Mais c'est le vers 5 du Dhammapada qui formule de la
manière la plus lapidaire cette idée de la vanité et de
l'inefficacité de la force ou de la violence :
Les haines ne sont jamais vaincues par la haine, elles le
sont par la non-haine ; c'est une loi éternelle
Même l'usage motivé, rétributif, de la
force et atteignant son objectif dans la victoire, est
déconseillé par le Bouddha. Ainsi dans le Sangama Sutta I
(SN III, 14)1(*)
après avoir relaté l'épisode où Ajâtasattu,
roi du Magadha, se dirigeant vers Kasi (Bénarès) alors
située sur le territoire de Pasenadi, roi du Kosala, voit ce dernier
venir à sa rencontre pour le repousser. Pasenadi est battu par
l'armée d'Ajâtasattu et se retire à Sâvatthi.
À cette nouvelle, le Bouddha fait l'éloge de Pasenadi
« ami de tout ce qui est bon » et la critique
d'Ajâtasattu « ami de tout ce qui est mal ». Mais
ajoute-t-il Pasenadi a été humilié et passera une nuit
pénible.
On ne peut cependant s'empêcher de remarquer que la
qualité royale de Pasenadi et le fait qu'il vient de s'engager dans une
guerre n'empêche pas le Bouddha de traiter Pasenadi comme un ami et de
faire son éloge. D'où on pourrait être tenté de se
demander si la guerre défensive est considérée par le
Bouddha comme moins illégitime qu'une guerre d'agression.
Il n'en reste pas moins ferme sur les principes et conclut par
les vers suivant, que l'on retrouve aussi dans le Dhammapada
(201):
La victoire engendre la haine, car le vaincu en souffre;
celui qui est pacifié, ayant rejeté victoire et défaite,
connaît le bonheur.
Dans l'Issattasutta (SN, III) le Bouddha s'adressant
à Pasenadi introduit une métaphore comparant la guerre des rois
et celle, morale, que les moines livrent à l'attachement et au
désir par la phrase « Supposons que tu te prépares
à une grande bataille... » semblant considérer que
pour un roi, qui ne cherche pas la libération et le nirvâna mais
seulement une bonne réincarnation, la guerre est une activité
normale. La violence ne constituerait-elle une faute que par rapport au but que
chacun se fixe et non dans l'absolu? Le serait-elle d'avantage pour le moine
qui, par définition vise le nirvâna et dans une moindre mesure
pour le laïc ne visant qu'à une meilleure réincarnation,
dans une moindre mesure encore pour le roi, dont le sadhamma (devoir
d'état) implique précisément la protection de ses sujets
et si nécessaire, à cet effet, le recours à la violence ?
Par la suite, les deux rois précités se
retrouvent de nouveau face à face sur le champs de bataille et cette
fois Ajâtasattu est vaincu et emmené en captivité (SN,
III,15). Cependant Pasenadi lui laisse la vie sauve et se contente de
confisquer son armée, ses armes, chars et éléphants.
À ce propos, le Bouddha prononce les vers suivant qui semblent mettre en
doute l'opportunité même de toute riposte à l'agression.
:
Un homme en ayant spolié un autre dans la mesure
où cela lui est avantageux, lorsqu'il est à son tour
spolié par d'autres, cherchera sa revanche. Car le sot, tant que ses
actes mauvais n'ont pas porté leur fruit, s'imagine « Voici le
moment, l'occasion ! » Mais lorsque le fruit de l'acte a mûri,
alors il en supporte les pénibles conséquences. Le tueur
rencontre son meurtrier, le vainqueur est vaincu, l'insulteur insulté,
le harceleur harcelé. C'est ainsi que par l'enchaînement des
conséquences de l'acte, le spoliateur finit par être
lui-même spolié.
En ce qui regarde le mahayana l'image
parfaitement irénique du bouddhisme a depuis longtemps
déjà été corrigée, entre autre par l'article
fameux de Paul DEMIÉVILLE « Le bouddhisme et la guerre:
post-scriptum à l'Histoire des moines-guerriers du Japon, de
G.RENONDEAU»2(*). Plus
récemment Lambert SCHMITHAUSEN3(*)A mis en évidence dans les littératures
mahayaniques certains passages justifiant, dans certaines circonstances, le
recours à la violence, voire au meurtre, à l'encontre entre
autres des icchantika4(*). BRIAN DAIZEN VICTORIA5(*)note que les écoles
mahayaniques s'impliquèrent souvent dans les guerres menées par
leur seigneur séculier et que dès le VIe siècle
EC des empereurs chinois utilisèrent le bouddhisme à des fins
politiques. Qu'en est-il dans celles du theravada canonique et post-canonique
?
Nous essayerons dans ce mémoire de répondre aux
deux questions suivantes :
1. L'affirmation de Walpola RAHULA (L'enseignement du
Bouddha, 1978, p. 22) suivant laquelle pas une seule goûte de sang
n'avait été versée au nom de la propagation du bouddhisme
peut elle être soutenue ?
2. Pourquoi, de nos jours, la plupart des pays de tradition
theravada semblent-ils chroniquement en proie à la violence, surtout
civile, mais aussi aux conflits inter-étatiques, impliquant des
variables religieuses, alors que depuis la fin de la guerre du Vietnam,
exception faite du Tibet, de tels conflits et violences sont absents de l'aire
mahayanique6(*) ?
I. en traduisant et interrogeant les textes principaux
relativement à l'origine de l'état et à ses
caractéristiques les plus désirables dans la perspective
du bouddhisme theravada, II. en comparant leur contenu à la
réalité historique, sociale et politique, des pays de tradition
theravada.
*
Le premier des préceptes s'imposant à tous, mais
surtout aux moines, interdit de tuer aucun être vivant. Dans la
société indienne de l'époque, relativement violente, comme
elle l'est d'ailleurs encore, le voeu d'abstention de violence était en
quelque sorte ce qui constituait le renonçant et le renonçant
bouddhiste. Être un moine ou un laïque bouddhiste, c'était
d'abord renoncer à la colère et à la violence (MN,
Sâleyyaka Sutta, I 287) :Et quelles sont, maîtres de
maison, les trois modes de conduite conformes au dhamma et à la vie
paisible ? Ils sont le fait, maîtres de maison, de celui qui ayant
renoncé à tuer quelque être vivant que ce soit,
évite toute action de tuer, qui ayant déposé le
bâton et le glaive, reste calme, charitable, et soucieux du
bien-être de tous les êtres vivants.
et MN, Ghatikâro Sutta, II, 51 :
Le potier Ghatikara a pris refuge dans le Bouddha, le Dhamma
et le Sangha. Il s'abstient de tuer tout être vivant, de prendre ce qui
n'est pas donné, de tout acte sexuel illégal, de toute parole
trompeuse, de tout intoxicant ou boisson alcoolisée susceptible
d'affecter la concentration.
*
Sukumar Dutt7(*) (Early Buddhist Monachism, pp.72-73)
suggère par ailleurs que quatre vers du Mahâpadâna Sutta
(Dîgha Nikâya III.25-28), introduits comme
« pâtimokkha », pourraient
représenter l'origine des deux cent vingt-sept sikkhapada ou
règles du pâtimokkha actuel autour desquelles s'est
développé le droit monastique ou Vinaya. Ces vers
mettent l'accent sur la patience et la non-violence comme ce qui distingue les
moines bouddhistes des autres renonçants de l'époque, et
constitue en quelque sorte, sur le plan de l'éthique, l'essence du
bouddhisme.
La patience est l'ascèse suprême
Le Nibbâna est le bien le plus haut, disent les
Bouddhas
Car celui qui blesse autrui n'est pas un renonçant
Celui qui insulte autrui n'est pas un moine.
Ces vers apparaissent aussi dans le Dhammapada
(183-185) ainsi que dans les Prâtimoksha d'autres écoles
utilisant le sanscrit. PREBISH8(*) suppose que leur inclusion dans les
Prâtimoksha Sûtra des différentes écoles y
représente la reconnaissance d'une forme ancienne du
Patimokkha, afin de renforcer le prestige et l'autorité des
versions plus tardives. Mais ce « noyau primitif » a le
caractère d'une « confession de foi » plutôt
que d'une « confession des fautes». Elle se concentre sur les
traits distinctifs du sangha bouddhiste par rapport aux autres groupes
de parivrâjaka et sramana contemporains du Bouddha. En
effet la communauté du Bouddha n'était au départ qu'une
des multiples écoles de renonçants de l'époque s'inspirant
plus ou moins des doctrines des Upanishads, du Yoga et du
Samkhya, dont elle partageait certains des présupposés
doctrinaux, des coutumes et des caractères sociologiques. C'est
cependant le rejet de la colère et de la violence qui la
caractériserait.
*
Nous tenterons dans ce mémoire d'examiner, en premier
lieu, la doctrine du bouddhisme theravada, relativement à l'exercice de
la violence répressive ou punitive par la société et
l'état, telle qu'elle apparaît dans la littérature
pâli canonique et para-canonique, et en second, de comparer cette
doctrine avec la réalité ou la pratique des
sociétés et états theravada au cours de leur histoire et
jusqu'à nos jours.
Dans la Partie I, nous présentons les principaux textes
nous introduisant à la conception bouddhiste de l'origine de la violence
mais aussi aux thèmes qui y sont liés liés :
l'état, l'idéologie et l'utopie comme moyens de contrôle et
de légitimation. Ci-dessous un bref survol panoramique du contenu de ces
textes.
Dans l'Aggañña Sutta (DN III, 80-98)
sont décrites les origines mythiques de l'état, sous forme d'une
monarchie élective, comme moyen d'apporter justice et stabilité
à une société où crimes et vendetta sont
endémique. L'Aggañña Sutta illustre une
conception «contractuelle » du pouvoir (cf ZIMMERMANN, 2006, p.
235, note 63).
Le Mahâparinibbâna Sutta (DN II 16; PTS
II 71) fait l'éloge du régime républicain des Vajji.
Dans le Cakkavattî Sihanâda Sutta (DN
III, 58-77) est décrit l'idéal bouddhiste du souverain ou
empereur universel.
La leçon du Sumangala Jâtaka (Ja 420,
3:441-2) est que le dhammarâja (roi vertueux) ne doit pas
prononcer de sentence sous l'effet de la colère9(*).
Mais l'exercice du pouvoir est-il compatible avec la vertu ?
Le Mûgapakkha Jâtaka (Ja, 538, 15-25) relate l'histoire du
prince Temiya qui, persuadé qu'il est impossible d'être roi sans
encourir des conséquences karmiques très graves, refuse la charge
suprême.
L'idéologie prend ensuite des caractères
clairement utopiques : Dans le Bhikkhâparampara Jâtaka
(Ja, 496, 4:370) la cour du roi vertueux est vide de criminels et de
plaignants. Dans l'Anguttara Nikâya (II 74-6) sont décrit
les effets positifs d'une bonne gouvernance sur le cours des astres et autres
phénomènes naturels10(*).
Le Mahâvamsa, chronique singhalaise
post-canonique (V-VIe siècle EC), postérieure d'au
moins cinq siècles aux Sutta et Jâtaka,
présente avec ces derniers un contraste surprenant. Il appartient au
genre épique et constitue un des rares textes pâli où l'on
peut trouver des justifications de la violence, dans le cadre,
déjà, d'une guerre défensive contre les Tamouls du
Nord.
De ces textes nous traduisons les passages les plus
pertinents, et la presque totalité du Cakkavatti Sutta, dans
l'édition de la Pali Text Society (PTS). Cependant pour des
raisons indépendantes de notre volonté pour les passages du
Dhammapada ci-dessus de même que pour l'Éloge des Vajji
(DN, Mahâparinibbâna), et l'Adhammika Sutta (AN).
nous avons dû utiliser l'édition électronique du VIe
Concile par le Vipassana Research Institute (
www.vri.dhamma.org), qui donne
aussi accès aux commentaires.
Dans la Partie II, nous tenterons de comparer ces principes et
ces idéaux à la réalité des pays de tradition
theravada, tant du point de vue des rapports entre états que de celui
des rapports entre états et individus ou entre catégories
sociales, ethniques et religieuses dans le cadre de ces états.
Quelques repères chronologiques
Dates du Bouddha
Les érudits modernes ont proposé 483 AEC, voire
474/475 AEC pour la date de la mort du Bouddha (parinibbâna) et
les études récentes tendent à raccourcir encore
jusqu'à 400/380, moins d'un siècle donc avant l'apparition
d'Alexandre dans la vallée de l'Indus, l'expansion du royaume de Magadha
puis la constitution de l'Empire Maurya sous Chandragupta à la fin du
IVe AEC, et son apogée sous Asoka (260-227)11(*). Le Bouddha aurait vécu
quatre-vingt ans. Ce qui nous mène à +/- 486 AEC pour la date de
sa mort. Mais l'orthodoxie singhalaise maintient en même temps la date de
544/543. En 2006 EC nous sommes donc pour elle en 2549/50 EB. Entre 543, 486 et
380, nous avons donc une fourchette de 163 ans. La question n'est pas
résolue et ne le sera peut-être jamais conclut Peter
SKILLING12(*).
Pour R.F.GOMBRICH13(*) la chronologie courte s'accorde mieux avec les
découvertes archéologiques témoignant de
l'accélération de l'urbanisation de la plaine gangétique
au IVe siècle, dont témoignent les passages narratifs
du Canon14(*). L'article
de K.R.NORMAN « Observation on the dates of the Buddha and the
Jina »15(*)
faisant de manière très complète l'état de la
question, tel qu'en 1996, conclut « We shall probably not be far
out if we assume that [...] Gotama the Buddha died within the period of ten
years either side of 400 BC.»
La langue
Le Pâli est une forme de moyen indo-aryen (MIA)
probablement fondé sur un ou plusieurs dialectes du Nord-Ouest de l'Inde
mais gardant des traces de magadhismes (Nord-Est, Bihar contemporain) ainsi que
de tentatives tardives de sanscritisation et de
« corrections » portant la marque de ce que des
grammairiens du Moyen-Age considérèrent comme le « bon
usage ». O. von HINüBER le considère comme une langue
artificielle16(*) K.R.
NORMAN comme une « koiné monastique »
(Collected Papers, 84). Le pâli serait donc une sorte
d'espéranto pour moines parlant des dialectes « moyen
indo-aryens » apparentés mais suffisamment différents
pour en rendre la compréhension mutuelle difficile pour leurs locuteurs
respectifs.
L'écriture
Les caractères dans lesquels nous sont parvenus les
différentes versions qui ont servi à l'établissement de
l'édition en caractères romains de la Pali Text Society
(PTS) sont les caractères singhalais et birmans, tous deux issus de la
brâhmî. La version de Kashyap en devanagari est
une production récente.
K.R. NORMAN admet avec G.FUSSMAN17(*), se basant sur les historiens
grecs, que la kharosthî était utilisée dans le
Nord-Ouest de l'Inde à l'époque d'Alexandre (323 AEC) et que,
d'après Mégasthène, aucune écriture n'était
utilisée au Magadha lorsque ce dernier y résida. Mais c'est
probablement la brâhmî d'Asoka qui sera utilisé
à Ceylan à partir du Ier siècle AEC pour
translitérer le Canon.
Les Écritures
Bien que les Chroniques singhalaises, Dîpa et
Mahâvamsa, situent la mise par écrit du Canon au cours
des cinquante dernières années avant l'ère
commune18(*), le theravada
a tendance à considérer la totalité du Tipitaka, y compris
l'Abhidhamma, comme Buddhavacana (parole du Bouddha). Mais il
est plus probable que l'enseignement originel du Maître fut transmis dans
le cadre d'une tradition orale qui s'accompagna certainement de multiples
ajouts, modifications, voire altérations, en bref comme le dit
Mme Rhys Davids « of an indefinite amoun of
editing »19(*). avant de prendre entre Asoka et les débuts de
l'ère chrétienne une forme proche de celle que devait être
mise par écrit à Ceylan au Ier siècle AEC.
Entre la mort du Bouddha et la mise par écrit de la tradition orale en
l'état qui était le sien à cette époque tardive, se
sont écoulés au moins trois siècles, au plus quelque 463
ans.
Les Jâtaka
Bien que censés relater les vies antérieures du
Sage des Sakya, une grande partie de leur substance est sans doute très
ancienne, tirée du folklore--légendes et proverbes, pour certains
antérieure même au Bouddha historique--qui prend sans doute sa
forme bouddhique entre Asoka et le tournant de l'ère commune. Leurs
thèmes figurent déjà sculptés sur les portails et
balustrades des stupas de Bharhut et Sanchi (Ier
siècle AEC) ainsi qu'à Ajanta (IIe AEC). Mais
ils ne seront pas mis par écrit avant le premier siècle, à
Ceylan--en pâli pour les parties versifiées, les plus anciennes,
et en singhalais pour les commentaires ou Jâtakatthakhatâ.
Peter SKILLING20(*) semble
même douter que ces derniers aient été composés
et/ou rédigés avant le Ve ou le VIe ; l'auteur en
serait le commentateur BOUDDHAGHOSA. L'auteur des
Jâtakatthvannanâ, qui qu'il soit, se serait
contenté de compiler différentes versions orales ou
écrites des atthakhatâ singhalaises ou aurait
composé un nouveau commentaires, quitte à recourir ponctuellement
à des traditions orales pré-existantes.
Les Chroniques.
Le Mahâvamsa, version améliorée
du Dipavamsa ( IVe EC)est certainement postérieur
à Buddhaghosa car celui-ci ne mentionne que le premier ouvrage(cf. W.
GEIGER dans l'introduction à sa traduction du Mahâvamsa,
p. XI).
Économie et société à
l'époque du Bouddha.
Pour cette section, nous avons principalement suivi Nripendra
K. DUTT (The Aryanisation of India, 1925-1970), Sir Mortimer WHEELER
(traduction de l'anglais:L'Inde avant l'Histoire, 1966-67), Damodar D.
KOSAMBI (Culture et civilisation de l'Inde ancienne, traduit de
l'anglais par Charles MALAMOUD, 1970) et St. COLLINS dans Nirvâna and
Other Buddhist Felicities21(*), se situant dans la lignée de Max Weber
et D. GELLNER22(*), afin
d'ajouter aux données de la philologie celles de l'archéologie,
de l'anthropologie et de l'histoire économique23(*).
Dans le Nord-Ouest les Aryens avaient au cours du IIe
millénaire AEC détruit les cultures indusiennes,
déjà décadentes, de Mohenjo Daro et Harappa, entre autres
en rompant les barrages servant à l'irrigation qui entravaient
l'accès de leurs troupeaux aux rivières du Pendjab. Ils avaient
imposé sur cette aire ainsi
« libérée » leur culture pastorale, puis
à nouveau une agriculture rudimentaire qui ne donna cependant naissance
à aucune agglomération urbaine importante avant le VIe
AEC24(*). Dans cette
partie de l'Inde, les Aryens n'avaient pas encore développé le
système des castes, une distinction raciale aryens/dasyu
(non-aryens) suffisant à structurer leur société.
Au fur et à mesure où, à partir du
début du I er millénaire AEC, ils pénètrent la
région entre l'Indus et la Yamuna, puis celle du Gange, ils rencontrent
des conditions nouvelles. Eux-mêmes, pour commencer, s'étant mis
à l'agriculture, se sont « civilisés » et
adoucis. Dans le milieu de la plaine fluviale gangétique, encore
largement couverte de forêts, la poussée aryenne rencontre des
petites sociétés sans doute déjà agraires
(cueillette et brûlis), mais encore peu complexes, et restées
égalitaires, en tous cas où l'inégalité ne
dépassait pas le niveau de celle que l'on peut constater entre
différents clans d'une même tribu, ou différentes familles
d'un même clan25(*).
Les Aryens de culture déjà mixte, nomade et agricole, sont
tentés, et vont en fait commencer, de s'associer aux
indigènes26(*).
Peut-être la migration a-t-elle d'ailleurs eu lieu en deux
vagues27(*) dont la
première se composaient d'éclaireurs célibataires28(*) qui prenaient femme parmi les
natifs tandis que la deuxième migrant avec femme et enfants, et
directement par le Gange, ne fut pas obligée de s'intégrer. De
cette rencontre entre cultures nomade/pastorale, agricole et
cueilleurs/chasseurs serait née, à partir du VIIIe
AEC, une première urbanisation le long des contreforts de
l'Himalaya, où la forêt est moins dense, créant ainsi
l'uttarapatha29(*), puis ultérieurement de la vallée
du Gange. Parmi ces premières villes mentionnons Indraprastha (Delhi),
Hastinapura, Kausambi et Bénarès. Elles seront suivies un peu
plus tard par Râjagriha, Vesali, OEravasti puis Pataliputra.
C'est dans ce contexte que le système des castes
naîtrait alors de l'opposition des couches aryennes les plus
conservatrices pour empêcher ou ralentir l'assimilation complète
des Aryens aux cultures pré-existantes et/ou leur y assurer un statut
dominant. Cependant les prétentions des brahmines à une
supériorité rituelle se heurte à l'opposition non
seulement des sociétés tribales locales dont
l'égalitarisme est traditionnel, mais aussi de certains Aryens, soit
qu'ils aient commencé de se métisser soit que les
khattiya/kshatriya (noblesse d'épée) contestent
aux brahmines leur prétention au premier rang. À ces facteurs on
peut ajouter l'individualisme inhérent de la culture des villes
émergentes, et des marchands, pour leur faire front autant qu'ils le
pourront. L'opposition du Bouddha aux prétentions des brahmines, de
même que le soutien accordé au bouddhisme par les marchands et la
noblesse d'épée (khattiya/kshatriya) ainsi que les
succès de recrutement du sangha dans toutes les castes et
classes, y compris celle des brahmines, sont peut-être à replacer
dans ce contexte30(*).
Au même moment (558-518) à l'Ouest d'autres
Aryens, les « Perses », font leur apparition et fondant
Taxila et Chârsada, ré-amorçent de ce côté la
pompe économique et réactivant l'ancienne voie commerciale du
Nord (uttarapatha). Cela a dû avoir lieu soit un peu avant soit
pendant la vie du Bouddha. Le Bouddha a donc vécu à une
époque de bouleversements économiques et culturels marquée
par l'implantation du brahmanisme, et sa contestation, dans la vallée du
Gange et le Nord de l'Inde, le développement économique, le
passage de petites républiques tribales à de grands états
agraires31(*) la poursuite
du défrichement vers l'Est et le Sud, l'apparition de nouvelles
catégories sociales, et l'émergence de philosophies et religions
qui dépassent le cadre de la tribu et de la caste. Notons avec KOSAMBI
(p. 175) qu'au Magadha, la caste n'avait guère d'importance et que la
dynastie qui devait faire de cet état le premier empire pan-indien, les
Maurya, était d'origine sudra, la plus basse des castes.
Pour traiter de ces question, COLLINS (p. 5-11), plutôt
que des périodes nées de l'histoire politique
événementielle--Antiquité, Moyen-Âge, Temps
modernes--se sert d'une périodisation inspirée par la
littérature anthropologique et l'histoire économique se
déployant donc sur le « temps long »:
périodes pré-agraire (cueillette, chasse, pêche), agraire
(agriculture et débuts de l'urbanisation)32(*) et industrielle (agriculture
intensive mécanisée et industrie). D'après lui, les textes
pâli témoignent de cette période où succédant
au mode de vie en général paisible, mais ponctué
d'épisodes très violents, qui caractérise la phase
pré-agraire, s'installe la violence « de basse
intensité » inhérente à tout ordre social
stable, prix à payer pour la sécurité qu'offre
l'état; c'est la naissance du « stress » :
Violence, exploitation and inequality entered into the
very constitution of the agrarian state in which Buddhist felicities were
produced as objects of human aspiration, including the utopian discourses that
wishes such things away. [...] Oscillations between strong /centralized
and weak/diffused power but with along term linear trend towards centralization
- was charactéristic of the sociopolitical circumstances of Theravada
Buddhist ideology throughout its premodern history.
Citant G.ERDOSY33(*), il note par ailleurs que dès les VI-IVe
siècles AEC la base technologique de l'économie de ces
régions avait déjà atteint le niveau qu'elle ne devait
guère dépasser jusqu'au XXe siècle,
c'est-à-dire jusqu'au début de l'industrialisation.
La violence purement contingente, subite, parfois mortelle,
mais passagère, chez les chasseurs-cueilleurs devient moins intense mais
permanente sous forme d'une pression constante exercée par les premiers
embryons d'état des débuts de la période agraire; ces
états s'ils s'accompagnent d'un développement de
l'économie et des voies de communication qui rendent la survie moins
aléatoire et stimulent la prise de risques, produit aussi un stress
spécifique, ancêtre sans doute de celui dont se plaignent nos
société hyper-civilisées. Dans ces sociétés
de transition, des maffias accèdent au statut d'aristocratie et
cherchent du côté des prêtres la légitimité
que le force ne suffit pas à leur assurer, visant ainsi à rendre
l'inégalité sinon plaisante au moins supportable.
L'espérance de vie ayant sans doute été beaucoup plus
courte que de nos jours pour la majorité, la transmigration y jouera le
rôle que la « mobilité sociale » ou
« l'égalité des chances » jouent dans les
nôtres.
Ce sont ces conditions nouvelles offrant certes de nouvelles
perspectives mais créant aussi des inquiétudes nouvelles qui
jetèrent les pabbajika34(*), issus de toutes les catégories sociales,
sur les chemins et les routes du monde gangétique, profitant ainsi de
l'occasion, historiquement rare, d'échapper au milieux confinés
du clan ou de la tribu, du village ou de la bourgade, et à leur
structures rigides. Parmi ces mouvements de pabbajika, à en
juger par son succès, le sangha bouddhiste répondit sans
doute mieux pour un temps aux besoins qu'avaient fait naître les
conditions nouvelles : nostalgie de l'Arcadie que l'on vient de quitter et
résistance aux tentatives de mystification hypnotique de la caste
endogame des brahmines, dont le sangha devait un temps ralentir les
progrès.
Il est bien sûr impossible de se représenter de
manière complète et précise la société
indienne et le bouddhisme avant Asoka. Le rôle normatif
qu'assumèrent les textes par la suite, même si les noyaux de
certains d'entre eux peuvent remonter à l'époque du Bouddha
lui-même, rend l'entreprise encore plus aléatoire mais il est
très probable que le passage de petites républiques oligarchiques
sub-himalayennes, relativement égalitaires, à des unités
territoriales plus vastes, des ganasangha aux janapada, y
était déjà en cours. Après la mort du Bouddha, les
seize janapada qu'il avait connus se réduisirent rapidement
à quatre grands rivaux dont finalement le Magadha
émergea. Ce dernier devait donner naissance à la première
unité territoriale de grande échelle en Inde avec l'empire des
Maurya. Ces unités territoriales et politiques expansionnistes eurent
toutes comme horizon la « domination universelle » issue du
rituel védique (COLLINS, p. 66) concept qui sera finalement
bouddhisée par Asoka.
Philosophie et mythologie politique du bouddhisme
theravada
La philosophie politique du bouddhisme theravada est
principalement énoncée dans trois textes dont nous traduirons de
larges passages dans la première partie de ce travail. Il s'agit de
l'Agañña Sutta où est décrite par la
bouche du Bouddha, la genèse de l'état et de la monarchiedu
début du Mahâparinibbâna où beaucoup ont
voulu voir le Bouddha exprimer ses préférences pour un
système républicain, et du Cakkavattî
Sutta35(*) où
est dessiné le profil du souverain universel idéal.
Certains aspects, corollaires ou conséquences de cette
philosophie sont illustrés dans plusieurs Jâtaka. Nous
traduirons les passages les plus pertinents de trois d'entre elles :
Bhikkhâparampara, Sumangala, et Mûgapakkha.
On s'est étonné qu'en dépit de ses
préférences « républicaines »
suggérées dans le Mahâparinibbâna
Sutta, le Bouddha ait non seulement
« accepté » les états monarchiques où
il a passé un grande partie de sa vie, mais qu'ils ait
fréquenté ces rois, leur ait prêché et ait
refusé, à la demande de Bimbisâra, roi du Magadha
d'admettre les déserteurs ou autres personnes liées à
l'état par contrat36(*). On a aussi noté qu'en dépit de
l'idéal démocratique, incarné d'ailleurs dans
l'organisation du sangha, c'est finalement le modèle du
cakkavatti, despote éclairé bouddhiste, paternaliste et
bienveillant qui a fini par dominer l'histoire des royaumes de tradition
theravada à Ceylan et en Asie du Sud-Est.
Ce qui précède appelle un certain nombre de
précisions et de remarques. En premier lieu dans
l'Agañña Sutta le premier roi est élu--même
s'il peut aussi être le premier d'un lignage dynastique, ce qu'il est en
fait dans les mythes dynastiques des chroniques nationales des
différents pays de tradition theravada. Il est donc choisi par les
hommes pour mettre fin à une situation de violence endémique.
Cette monarchie partage avec le modèle républicain des
Vajji/Vriji (et d'autres tribus sub-himalayennes dont le propre clan du
Bouddha, les Sakya) la caractéristique d'être fondée sur un
« contrat social » et non sur la force. Les chefs de ces
tribus républicaines (ganasangha) étaient par ailleurs
décorés du titre de râja que l'on traduit
habituellement par « roi » mais cette « monarchie
élective » même si elle pouvait rester dans le même
clan pendant plusieurs génération n'était pas à
proprement parler héréditaire ; dans ces oligarchies
républicaines la succession était probablement le résultat
d'une négociation, d'un concensus entre les clans nobles de la tribu,
d'un processus de cooptation, et le râja n'y était que le
primus inter pares. Il y s'agissait donc d'un
« roi élu » représentant autre chose que
sa force de frappe ou une légitimité sacrée de droit
divin.
L'adoption par le bouddhisme theravada de l'idéal du
cakkavatti37(*)
est sans doute postérieure à l'adoption du bouddhisme par le
despote éclairé que devint Asoka après sa conversion au
Dhamma38(*). Mais cet
événement, ajoutant une dimension sacrée à
l'idée de contrat social devait affecter profondément le
bouddhisme theravada indien, puis singhalais et
« indo-chinois » comme on verra dans la deuxième
partie de ce mémoire39(*). C'est cette combinaison de conceptions, relativement
antagonistes, les unes--celles de l'Aggañña et du
Mahâparinibbâna Sutta --pouvant être
qualifiées de réalistes, positivistes, ou
pré-scientifiques, les autres--celles qui apparaissent dans le
Cakkavatti Sutta--plus idéalistes voire utopiques,
évoquant l'image platonicienne du philosophe-roi, que Collins englobe
dans le concept de « imaginaire pâli ».
Abréviations
Références aux
éditions du Tipitaka
Dans les références à l'édition du
texte pâli du Tipitaka et/ou de sa traduction par la Pali Text
Society, les nombres en chiffres romains renvoient au volume, et ceux en
chiffres arabes à la page. Ainsi « Vin,
II.253 » renvoient au deuxième volume du Vinaya
Pitaka, p. 253, ou à sa traduction. Ce format peut aussi être
utilisé pour d'autres éditions du Tipitaka ; pour
éviter toute confusion, on l'accompagnera alors de la mention
abrégée de l'édition en question. Par exemple :
PTS: Pali Text Society
BJT: Buddha Jayanti Tipitaka (Sri Lanka, en
commémoration de Vesak 2500)
SLTP: édition du Sri Lanka Tipitaka Project
(digitalisation de BJT)
VRI: édition du VIe Concile par le
Vipassana Research Institute (Igatpuri, India, tradition birmane de
Goenka); cette édition est disponible sur CD-ROM
(CSCD: Chattha Sangayana CD-ROM; versions 2.0 et 3.0)
BUDSIR: Buddhist Scriptures Information Retrieval
(édition thaï : CD-ROM + version en ligne produits par
l'université Mahidol, Bangkok)
La liste ci-dessus ne comprend que les éditions offrant
une version translitérée en caractères romains. Il n'y a
pas encore de version en caractère romain pour les éditions
cambodgienne et laotienne. À part la version PTS, qui n'existe qu'en
caractères romains, toutes les autres existent en plusieurs scripts. Les
éditions digitalisées ne mentionnent pas de numéro de
volume et de page.
Translittération et appareil diacritique
Nous affectons les caractères des mots pâli, ou
sanscrits, translittérés de leurs signes diacritiques dans les
notes d'explication grammaticale ou sémantique seulement. Dans le texte
français, nous nous tenons aux caractères romains habituels. Cela
est d'autant plus pratique qu'il n'y a en pâli qu'une sifflante. Mais
nous y affecterons les voyelles longues de l'accent circonflexe ( â,
î, û) et respecterons la convention de ne pas ajouter de
« s » aux substantifs pâli au pluriel.
Nous ne mettons pas les noms propres, même
étrangers, en italique sauf sous leur forme adjective ; ex.: un Lao/un
rebelle lao. De même pour les noms de tribu ou de clans qui
tiennent autant à la nationalité qu'au patronyme, nous
n'utilisons pas la marque du pluriel ; ex. « les Chan de
Birmanie ».
Pour les deux ou trois mentions des moines chinois voyageurs
nous avons adopté la translittération piyin ainsi
Xuan Zang (pour Wade-Giles Hsüan Tsang),
et Yi Jing (pour Wade-Giles I Ching).
Bien que ce mémoire porte sur les textes pâli et
la tradition theravada il pourra nous arriver d'utiliser, dans l'introduction,
les explications, la conclusion et autres passages intermédiaires la
forme sanscrite de certains termes, telle que devenue courante en
français, et sans italiques : nirvâna/nibbâna ;
dharma/dhamma ; karma/kamma etc.
Autres abréviations et conventions
= : égal, identique à
< : provient de
> : donne, produit...
BDict Buddhist Dictionary: A manual of Buddhist terms and
doctrines. [1952; 2nd ed 1956; 3rd rev & enl ed
1972]. Nyanatiloka. Kandy: Buddhist Publication Society,
4th ed 1980. PDF ed available. Online ed:
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BEFEO Bulletin de l'Ecole Française
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by Bhikkhu Ñanamoli. Ed Bhikkhu Bodhi. Kandy: Buddhist Publication
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PTS Pali Text Society
RhD RHYS DAVIDS
SBB Sacred Books of the Buddhists, Translation series
started by TW Rhys Davids, London: Pali Text Society, 1875.
SBE Sacred Books of the East, Ed. Max Muller, Oxford: Oxford
University Press, 1875-1900.
Sk Sanscrit
T Taishô Shinshè Daizokyô,
édition japonaise de toute la littérature bouddhiste chinoise.
VRI Vipassana Research Institute (Igatpuri, Nashik, India 422
403) Tipitaka Edition
Remerciements
Je voudrais remercier Monsieur Jean-Marie Verpoorten pour sa
disponibilité et son soutien constant au cours de l'élaboration
de ce mémoire, ainsi que Monsieur Russel Webb, éditeur de la
Buddhist Studies Review, le Vénérable Ñanatusita,
éditeur de la BPS (Buddhist Publication Society, Kandy, Sri Lanka), et
Monsieur William Pruitt de la PTS, qui m'ont aidé à retrouver mes
repères dans un domaine dont une parenthèse forcée m'avait
tenu éloigné pendant une quinzaine d'années.
Merci également au Docteur Christoph Cueppers, pour son
hospitalité et son aide logistique dans le cadre d'un séjour de
sept mois au LIRI (Lumbini International Research Institute), à Monsieur
Hubert Durt pour les encouragements qu'il a bien voulu me prodiguer ainsi
qu'à Michael Walter et son épouse Junko, bibliothécaires
du LIRI pour leur appui sans faille dans la recherche, éventuellement
l'achat, des ouvrages qui pouvaient m'être utiles.
Merci enfin à ma soeur, Marie-Claude Huynen,
également familière de cette région du monde--dont, me
laissant les « sages », en tant que primatologue, elle
étudie les singes (while I study monks, she studies monkeys)--
et qui m'a aidé à trouver et monter l'illustration de couverture
dont l'original se trouve au Wat Phra Keo 40(*)à Bangkok.
Jacques Huynen
29 mai 2007
I. LES
TEXTES
L'Aggañña Sutta
En accord avec les conceptions psychologiques et éthiques
du Bouddhisme, à la source de la violence on trouve la jalousie ou
l'envie, elles-mêmes s'enracinant dans le désir et
l'avidité. Au commencement, dit ce sutta (DN III, 80-98))les
êtres humains étaient asexués, « faits d'une
substance immatérielle, se nourrissant de joie, lumineux,
évoluant dans l'éther, demeurant dans la gloire ».
C'est le goût d'une nourriture nouvelle, subitement apparue à la
surface des eaux primordiales, qui précipita toute l'évolution
négative ultérieure, donnant naissance aux différences
d'apparence physique des êtres humains. L'appétit sexuel
s'ensuivit, puis afin d'y cacher leur honte, le besoin de résidences et
de propriété privées, donnant lieu à tous les
conflits dont l'enjeu est le contrôle de la terre par les particuliers.
Ces conflits menaçant de s'étendre, certains eurent l'idée
de choisir le plus beau et charismatique d'entre eux comme chef, de lui confier
la tâche d'exhorter ses congénères au respect des
règles, de juger les coupables d'infractions, de les punir et en
général de maintenir ordre et respect de la loi ou dhamma.
En échange, les humains lui laisseraient une part de leur
récolte, les premières taxes.
11. Il n'y avait41(*) en effet en ce temps-là que l'
élément aquatique Vâsettha, aveuglant d'une
obscurité confondante42(*). Ni la lune et le soleil, ni les constellations, ni
les formes des étoiles, ni les jours et les nuits, ni les quinzaines et
les mois, ni l'année et ses saisons; ni hommes ni femmes ne se
manifestaient. Les êtres étaient simplement comptés comme
« êtres. »
Et alors, Vasettha, à un certain moment après
une assez longue période de la vie de ces êtres43(*) dans l'eau partout
répandue une terre savoureuse apparut ; c'est-à-dire qu'elle
avança continûment à sa surface, la couvrant
complètement.
Elle apparut dotée de couleur, d'odeur et de goût
; elle avait la qualité du ghee ou du beurre frais pour la couleur, du
miel clair des petites abeilles pour le goût.
12. Et alors, Vasettha, un [de ces ]
« êtres », de nature avide, [s'exclama]
« Hé ! Qu'est ce que c'est que cela ? » Et du doigt
il goûta la terre savoureuse. Comme il la goûtait, le goût
[de cette terre savoureuse] le pénétra et le remplit. Mais les
autres êtres aussi Vasettha, suivant son exemple goûtèrent
du doigt à la terre savoureuse, et comme ils la goûtaient le
goût [de cette terre savoureuse] les pénétra et les
remplit.
Alors, Vasettha, ces êtres en ayant fait de leurs mains
des boulettes44(*) se
mirent à dévorer cette terre savoureuse. À partir de ce
moment ces êtres se mirent à faire des boulettes de cette terre
savoureuse pour la dévorer. En conséquence de quoi la
luminosité, qui émanait naturellement d'eux, disparut. Cette
luminosité émanant naturellement ayant disparu, le soleil et la
lune apparurent, le soleil et la lune étant apparus, les formes des
étoiles et des constellations apparurent. Les formes des étoiles
et des constellations étant apparues, les jours et les nuits apparurent.
Les jours et les nuits étant apparus, les quinzaines et les mois
apparurent. Les quinzaines et les mois étant apparus, les saisons et les
années apparurent. Et c'est ainsi, Vasettha, que ce monde est de nouveau
entré dans un cycle45(*).
13. Et alors, Vasettha, ces êtres continuèrent
tout au long d'une longue période à manger cette terre
savoureuse, en faisant leur nourriture, et s'en délectant. Mais,
Vasettha, les corps de ces êtres dans la mesure où ils
continuèrent tout au long d'une longue période à manger
cette terre savoureuse en faisant leur nourriture et s'en délectant,
devinrent grossiers et une différence dans leurs apparences se fit jour.
Parfois, ils prirent une belle couleur, parfois ils en prirent une vilaine.
Alors ceux qui avaient une belle couleur méprisèrent ceux qui en
avaient une vilaine. « C'est nous qui avons la plus belle couleur,
eux sont plus vilains que nous » dirent-ils. Pour les descendants de
ceux qui étaient devenus orgueilleux en raison de leur couleur la terre
savoureuse disparut. La terre savoureuse ayant disparu, ils se
rassemblèrent et s'étant rassemblés se lamentèrent
: « Hélas ! Ce goût ! Hélas Ce goût
! » De nos jour encore quand des humains ayant perçu un
goût agréable disent aussi « Quel goût ! Quel
goût ! », ils revivent ainsi un récit, ancien,
archétypal, mais n'en comprennent pas le sens.
[Les sections 14 et 15 répètent des
séquences semblables avec chaque fois la découverte d'une
nouvelle nourriture--successivement : champignon,
badâlatâ, riz --l'usage abusif ou exclusif qu'en font les
« créatures », les différenciations dans
leurs apparences et la vanité des plus beaux qui s'ensuivent, et enfin
la disparition de la miraculeuse ressource alimentaire.]
14. Et alors, Vasettha, la terre savoureuse ayant pour eux
disparu, une plante, un champignon plus précisément, apparut. Il
apparut doté de couleur, d'une odeur, et d'une saveur. Il avait la
qualité du ghee ou du beurre frais pour la couleur et celle du miel
clair des petites abeilles pour le goût.
Et alors, Vasettha, ces êtres se mirent à manger
ces champignons. Ils continuèrent tout au long d'une longue
période à manger ces champignons, en faisant leur nourriture, et
s'en délectant. Mais, Vasettha, les corps de ces êtres dans la
mesure où ils continuèrent tout au long d'une longue
période à manger ces champignons, en faisant leur nourriture et
s'en délectant, devinrent extrêmement grossiers et une
différence dans leurs apparences se fit jour.
Certains acquirent une belle couleur certains une vilaine
[...]
[L'histoire se répète, usant des
mêmes termes, jusqu'à la disparition du champignon suite à
la vanité des gens de « belle couleur », puis
apparaît une plante rampante (badâlatâ) d'une saveur
sucrée, également semblable au ghee ou au beurre frais pour la
couleur, au miel clair pour le goût. L'histoire se répète
encore jusqu'à ce qu'après la disparition de la
badâlatâ, les « êtres » se
lamentent :]
« Hélas, pauvres de nous ! Hélas, la
badâlatâ nous a abandonnés ! » C'est ce
que répétaient ces humains, touchés par ce pénible
événement : « Hélas, pauvres de nous !
Hélas, pauvres de nous, hélas elle nous a quittés
! »
[Puis apparaît le riz sali dont
l'excès de consommation rend leur corps « encore plus
grossiers » puisque elle les dote d'organes sexuels.]
16. Et alors, Vasettha, la badâlatâ
étant disparue, le riz apparut, déjà mûr, dans les
friches déboisées, sans écorce ni son, parfumé,
prêt à la cuisson. Ils le consommaient au dîner, tard le
soir, et tôt le matin il avait déjà repoussé et
mûri. Ils le consommaient tôt le matin au petit déjeuner et
le soir il avait déjà repoussé et mûri sans laisser
trace de la tige [coupée]46(*). Et alors Vasettha, ces êtres
continuèrent à manger tout au long d'une longue période
faisant leur nourriture de ce riz apparu mûr dans les friches
déboisées, et s'en délectant. Mais Vasettha, les corps de
ces êtres dans la mesure où ils continuèrent tout au long
d'une longue période à manger ce riz apparu mûr, en faisant
leur nourriture et s'en délectant, devinrent encore plus grossiers et
une différence dans leurs apparences se fit jour. Chez la femme
apparurent les caractères féminins, chez l'homme, les
caractères masculins. Longtemps la femme considéra l'homme et
l'homme, la femme. Après s'être longtemps considérés
l'un l'autre, la passion apparut et une fièvre pénétra
leur corps. À cause de cette fièvre ils pratiquèrent
l'acte sexuel. Mais Vasettha, leurs contemporains les virent pratiquer l'acte
sexuel, et leur lancèrent, qui de la terre, qui des cendres, qui de la
bouse de vache [disant] « Disparaissez malpropres ! Disparaissez !
Comment un être peut-il faire de telles choses à un autre
être ? » De nos jours encore les humains dans certaines
régions lancent à la promise lorsqu'elle est emmenée, qui
de la terre, qui des cendres, qui de la bouse de vache. Ce faisant ils revivent
un récit ancien, archétypal, mais n'en comprennent pas le
sens.
17. Ce qui à cette époque était
considéré comme immoral Vasettha, est maintenant
considéré comme moral. À cette époque les
êtres qui s'adonnaient à l'activité sexuelle
n'étaient pas autorisés à entrer dans les villages et les
bourgades pendant un mois ou même deux.
De là [vient], Vasettha qu'à cette époque
les êtres qui cédaient à la méconduite pendant de
longues périodes, commencèrent à construire des
habitations afin de l'y cacher.
Alors, Vasettha, l'idée [suivante] vint à
l'esprit d'un de ces êtres, de la variété des oisifs :
« Dis ! Pourquoi est-ce que je me complique la vie ainsi, en coupant
le riz, le soir pour le repas du soir, le matin pour le repas du matin ? Et si
je ramenais en une fois seulement le riz pour le repas du soir et du matin
? » Et cet être, Vasettha, coupa le riz en une fois pour le
repas du soir et du matin. Alors, Vasettha, un autre être l'approcha et
lui dit :
-Viens-donc l'Ami ! Si nous allions à la cueillette du
riz.
-J'ai coupé en une fois assez de riz pour le repas du
soir et du matin l'Ami, répondit-il.
Alors, Vasettha, cet être se mettant à imiter le
premier, coupa en une fois seulement le riz pour deux jours, se disant, dit-on
« Cela devrait suffire ainsi ! » Et alors, Vasettha, un
être s'approcha de ce [deuxième] être et lui dit
-Viens donc l'Ami et allons à la cueillette du riz.
-J'ai coupé assez de riz en une fois pour deux jours,
répondit-il.
Alors, Vasettha, cet être se mettant à imiter le
second coupa en une fois seulement le riz pour quatre jours, se disant, dit-on
« Cela devrait suffire ainsi ! »
[La même histoire se répète avec
l'être suivant qui récoltera en une fois suffisamment de riz pour
huit jours.]
A partir de là Vasettha, les êtres
commencèrent à stocker le riz pour leur consommation,
l'écorce enveloppa le riz, le son enveloppa le riz ; après avoir
été fauché il ne repoussa plus [immédiatement] et
l'endroit où il avait été coupé se remarquait ;
[partout] il y avait les faisceaux [du regain]des souches de riz.
18. Et alors, Vasettha, ces êtres se réunirent et
se lamentèrent : « Hélas, des coutumes
répréhensibles sont apparues parmi les êtres ; auparavant
nous étions de purs esprits, nous nourrissant de joie, lumineux,
évoluant dans l'éther, demeurant dans la gloire ; longtemps nous
sommes restés ainsi. À un certain moment, après une assez
longue période de nos vies [il y eut] dans l'eau partout répandue
une terre savoureuse. Elle était dotée de couleur
[...] »
[Suit une récapitulation complète des
conséquences de cette première « faiblesse »
reprenant à la 1er personne du pluriel dans quasiment partout les
mêmes termes et phrases que leur premier récit : disparition de la
luminosité spontanée de leurs corps, apparition du soleil et de
la lune, des constellations, du jour et de la nuit, des mois et des saisons
puis suite à leur immoralité disparition de la terre savoureuse,
apparition et disparition successive des champignons, des plantes rampantes au
goût sucré, avant celle du riz d'abord prêt à la
consommation puis entouré de son et d'une écorce, ce qui les
mène à partager le riz.]
[... ] « Et si nous partagions le riz en fixant
des limites [aux champs] ? » Alors Vasettha, ces êtres
partagèrent le riz et fixèrent des limites [aux champs].
19. Alors, Vasettha, un de ces êtres, du type avide, en
clôturant son propre lot, s'étant approprié un autre qui
ne lui avait pas été donné, en fit usage. S'étant
emparé de lui on lui dit :
-Par malheur, l'Ami tu as commis un délit ; à
savoir en clôturant ton lot tu t'en es approprié un autre qui ne
t'avait pas été donné et tu en as fait usage. N'agis plus
de la sorte !.
-Bien, Amis, leur répondit cet
être. »
Une deuxième et une troisième fois, Vasettha,
cet être, en clôturant son lot s'appropria un autre et en fit
usage. [Il est à nouveau réprimandé dans les
mêmes termes que ci-dessus.] Certains le frappèrent de la
main, d'autres lui lancèrent des mottes de terre, et d'autres encore
usèrent du bâton. Ainsi à partir de là, Vasettha, le
vol, les reproches, la tromperie et [le châtiment par] le bâton
apparurent.
20. Et alors, Vasettha, ces êtres se
rassemblèrent et se lamentèrent : « Hélas!
l'immoralité est apparue parmi les êtres suite à laquelle
se manifesteront, à savoir, vol, reproche, tromperie et châtiment
par le bâton. Et si nous élisions un être qui lorsqu'il faut
en toute justice47(*) nous
dénoncer, nous dénonce, lorsqu'il faut nous semoncer, nous
semonce, et lorsqu'il faut nous bannir, nous bannisse. Et nous lui laisserions
une part du riz. »
Et alors, Vasettha, ces êtres ayant approché
celui d'entre eux qui était le plus fort, le plus beau, le plus aimable
et le plus charismatique dirent à cet être: « Viens,
l'Ami, lorsque qu'en toute justice il faut dénoncer, dénonce,
lorsqu'il faut semoncer, semonce, lorsqu'il faut bannir, bannis ! Et nous
te laisserons une part du riz. » À ces êtres, Vasettha,
ayant répondu « Bien, mes Amis » cet
être [le plus fort, le plus beau, etc.]dénonça ce qu'il
fallait justement dénoncer, semonça lorsqu'il fallait semoncer et
bannit lorsque pour être juste, il fallait bannir. Et ils lui
laissèrent une part du riz.
21. Que le roi est choisi par le peuple, Vasettha, c'est ce
que signifie « Grand Élu ». Mais
« Grand-Élu » n'est que la première
expression employée48(*). Khattiya, Vasettha, signifie
« maître des champs » mais khattiya n'est que la
deuxième expression employée. Et le roi réjouit49(*) les autres par la loi. Mais
« roi » n'est que la troisième expression
employée.
Ainsi donc Vasettha, d'après le récit ancien,
archétypal, il[le roi] provient de ce milieu des khattiya et [son
comportement est régi] par leur loi égalitaire et aucune autre,
non par une loi supérieure, ou par l'absence de loi. Car la Loi,
Vasettha, est ce qu'il y a de mieux pour le peuple en ce monde et dans celui
qui vient.
[...] 32. Les strophes suivantes, Vasettha, ont
été prononcées par Brahmâ, l'éternel
jouvenceau :
« Le khattiya est ce qu'il y a de mieux [en terme de
caste50(*)] pour les gens
qui se fient au clan et à la caste. Mais celui qui est doté de
sagesse et de moralité, il est ce qu'il y a de mieux parmi les hommes et
les dieux. »
Ces strophes, Vasettha, par Brahmâ, l'éternel
jouvenceau, bien chantées, bien prononcées, bien composées
et non mal chantées, mal prononcées et mal composées, je
les reprends à mon compte :
« Le khattiya est ce qu'il y a de mieux pour les
gens qui se fient au clan et à la caste. Mais celui qui est
doté de sagesse et de moralité, il est ce qu'il y a de mieux
parmi les hommes et les dieux. »
Ainsi parla le Bienheureux. Par Vasettha et
Bhâradvâjâ, enthousiasmés, son discours fut
apprécié. Fin du Sutta sur les Origines.
Mis à part le caractère spécifiquement
bouddhiste de l'étiologie psychologique de la violence,
l'Aggañña Sutta, relativement à l'origine de
l'état et/ou de la monarchie, reflète des conceptions qui ne
diffèrent pas beaucoup de celles du brahmanisme. Leur fonction et leur
justification y sont aussi de mettre fin à la guerre de tous contre
tous, au cycle sans fin des vendetta, et au règne de la force
pure (mâtsyanyâya) permettant que les plus faibles soient
dévorés par les plus forts ( Cf. Manusmrti 7.20-1
The Law Code of Manu, Patrick Olivelle, trans., Oxford World Classics,
Oxford, New York, Oxford University Press, 2004) : en l'absence d'état
« the stronger would grill the weak like fish on a spit;
crows would devour the sacrificial cakes; dogs would lap the sacrificial
offerings; no one would have any right of ownership; and everything would turn
topsy-turvy ». On retrouve aussi ce type de justification de
l'état dans le Sântiparvan du
Mahâbhârata (M. ZIMMERMANN, op. Cit, p. 215).
Pour Gombrich (How Buddhism Began, chap. III
Metaphor, Allegory, Satire, p. 81-82), l' Aggañña Sutta
« is a parody of brahmanical texts, especially the Rig Vedic
`Hymn of Creation' (RV X, 129) ... a parodistic re-working of brahmanical
speculation, and at the same time an allegory of the malign workings of desire.
[...] Strictly speaking, the Aggañña Sutta is not a cosmogony,
since for Buddhists an absolute beginning is inconceivable (SN II, 178ff.); but
it explains how the world came into being this time round ». [Still]
« Buddhists have since the earliest times taken it seriously as an
account of the origins of society and kingship, and even traced the Buddha's
own royal origins back to Mahâ-sammata, the person chosen to be the first
king [...] ».
L'Éloge du régime républicain des
Vajji
Nous avons vu dans l'Introduction que le Bouddha semble avoir
eu une préférence pour le régime républicain,
traditionnel dans les petites républiques aristocratiques
sub-himalayennes où le Sakyamuni avait grandi. C'est ce
modèle qu'il recommande également pour le gouvernement du
sangha monastique. Dans le passage ci-dessous51(*), sur lequel se fondent les
savants bouddhologues voulant voir dans le Bouddha un démocrate avant
l'heure, il nous est raconté comment le roi du Magadha, Ajâtasattu
ayant l'intention d'attaquer les Vajji52(*), une de ces petites républiques, envoie au
Bouddha pour le consulter son ministre le brahmine Vassakâra. Ayant
entendu la requête du ministre, le Bouddha s'adresse à son
disciple Ananda qui assiste à l'entretien.
134. -Est-ce que tu as entendu dire, Ananda que les Vajji se
réunissent souvent et régulièrement en assemblée ?
-Oui, Vénérable, je l'ai entendu dire.
-Aussi longtemps, Ananda que les Vajji se réuniront
souvent et régulièrement en assemblée on peut s'attendre
à ce qu'ils prospèrent et ne déclinent pas.
-Est-ce que tu as entendu dire, Ananda que les Vajji se
réunissent, traitent les affaires qui les intéressent , et
lèvent la séance de manière calme et ordonnée ?
-Oui, Vénérable, je l'ai entendu dire.
-Aussi longtemps, Ananda que les Vajji se réuniront,
traiteront de leurs affaires et lèveront la séance de
manière calme et ordonnée on peut s'attendre à ce qu'ils
prospèrent et ne déclinent pas.
-Est-ce que tu as entendu dire, Ananda, que les Vajji
n'innovent pas [arbitrairement ?] en matière de lois, n'abrogent pas
[arbitrairement ?] les lois existantes et appliquent les anciennes lois des
Vajji telles qu'elles ont été formulées au moment de leur
adoption ?
-Oui, Vénérable, je l'ai entendu dire.
-Aussi longtemps, Ananda que les Vajji n'innoveront pas en
matière de loi, n'abrogeront pas les lois existantes et appliqueront les
anciennes lois des Vajji telles qu'elles ont été formulées
au moment de leur adoption, on peut s'attendre à ce qu'ils
prospèrent et ne déclinent pas.
-Est-ce que tu as entendu dire, Ananda, que les Vajji traitent
bien leurs anciens, leur accordent de la considération, les respectent,
les honorent et tiennent compte de leurs avis méritant d'être
écoutés ?
-Oui, Vénérable, je l'ai entendu dire.
-Aussi longtemps, Ananda, que les Vajji traiteront bien leurs
anciens, leur accorderont de la considération, les respecteront, les
honoreront et tiendront compte de leurs avis méritant d'être
écoutés, on peut s'attendre à ce qu'ils prospèrent
et ne déclinent pas.
-Est-ce que, Ananda, tu as entendu dire que les Vajji
n'enlèvent pas de force les femmes et jeunes filles de bonne famille
pour les faire vivre avec eux ?
-Oui, Vénérable, je l'ai entendu dire.
-Aussi longtemps que les Vajji n'enlèveront pas par la
force les femmes et jeunes filles de bonne famille pour les faire vivre avec
eux, on peut s'attendre à ce qu'ils prospèrent et ne
déclinent pas.
-Est-ce que tu as entendu dire, Ananda, que les Vajji prennent
soin de leurs sanctuaires, leur accordent de la considération, les
respectent, les honorent, tant sur leur territoire qu'en dehors, et qu'ils
n'annulent pas les pieuses subventions qu'ils leur ont
précédemment consenties ?
-Oui, Vénérable, je l'ai entendu dire.
-Aussi longtemps, Ananda, que les Vajji traiteront bien leurs
sanctuaires, leur accorderont de la considération, les respecteront, les
honoreront, tant sur leur territoire qu'en dehors, et n'annuleront pas les
pieuses subventions qu'ils leur ont précédemment consenties on
peut s'attendre à ce qu'ils prospèrent et ne déclinent
pas.
135. Alors le Bienheureux s'adressa [en ces termes] au
brahmine Vassakâra, ministre du Magadha :
« Jadis, Ô brahmine, j'ai résidé
à Vésali au sanctuaire Sarandade et j'y ai enseigné aux
Vajji ces sept principes permettant d'éviter le déclin. Aussi
longtemps, brahmine, que ces sept principes permettant d'éviter le
déclin se maintiendront parmi les Vajji, que les Vajji s'y conformeront,
on peut s'attendre à ce qu'ils prospèrent et ne déclinent
pas. »
Ainsi prévenu, le brahmine Vassakâra, ministre du
Magadha, dit au Bienheureux : « Si respectant un seul des ces sept
principes permettant d'éviter le déclin, on peut attendre des
Vajji qu'ils méritent de prospérer et ne pas décliner, que
dire s'ils en respectent sept ? Puisqu'il est impossible,
Vénérable Gautama, que les Vajji soient vaincus par
Ajâtasattu le Videha, roi du Magadha, [ils ne pourront l'être]
autrement que par l'intrigue et la calomnie.[...] »
Principes qui préviendront le déclin du
sangha
136. [...] Aussi longtemps, Ô Moines, que les moines se
réuniront souvent et régulièrement en assemblée,
on peut s'attendre à ce qu'ils prospèrent et ne déclinent
pas. Aussi longtemps qu'ils se réuniront, s'acquitteront des actes
propres aux affaires du sangha et lèveront la séance de
manière calme et ordonnée on peut s'attendre à ce qu'ils
prospèrent et ne déclinent pas. Aussi longtemps qu'ils
n'innoveront pas en matière de loi, n'abrogeront pas les lois existantes
et s'en tiendront aux règles anciennes telles qu'elles ont
été formulées au moment de leur adoption, on peut
s'attendre à ce qu'ils prospèrent et ne déclinent pas.
Aussi longtemps, Ô Moines, que les moines traiteront bien les anciens,
moines expérimentés, depuis longtemps ordonnés,
ancêtres et guides du sangha, leur accorderont de la
considération, les respecteront, les honoreront et tiendront compte de
leurs avis méritant d'être écoutés, on peut
s'attendre à ce qu'ils prospèrent et ne déclinent pas.
*
La république des Vajji telle que décrite par le
Bouddha, et l'idéal de la démocratie dont il se fait l'avocat, ne
correspondent évidemment pas exactement à nos conceptions en la
matière. Rappelons d'abord que, comme la démocratie
athénienne ou la première démocratie anglaise, comme celle
des Sakya, la tribu du Bouddha lui-même, la démocratie des Vajji
ne concernait que les hommes libres et que probablement seuls les chefs des
clans nobles participaient aux débats. Par ailleurs les
considérations qu'y ajoutent le Bouddha, ou ses successeurs, ont un
caractère nettement conservateur : il est conseillé de ne pas
changer les lois anciennes, voire de ne pas y ajouter de nouvelles. Mais
peut-être leur intention était-elle seulement d'éviter
l'arbitraire de changements opérés par un petit nombre sans
consultation suffisante, c'est-à-dire d'une « gouvernance par
décret ».
Cette attitude conservatrice en matière de droit commun
ne laisse pas d'étonner lorsqu'on la compare à celle, plus
libérale, qui lui fait affirmer dans le même Sutta53(*)qu'après sa mort,
le sangha pourra abroger les règles mineures du Vinaya
ou droit monastique.
Sans nier que de telles conceptions soient plus proche des
nôtres que celles reposant sur l'arbitraire de la « loi du plus
fort » ou du « droit divin » remarquons cependant
qu'elles n'impliquent la reconnaissance ni de « partis »,
ni d'une « opposition ». D'ailleurs si on peut juger de ce
que fut la pratique du premier sangha à partir de la
procédure qui régit aujourd'hui encore les
délibération d'un sangha, la règle est le
consensus; signifié par le silence, ce silence n'étant rompu
qu'en cas d'opposition. Autrement dit, aucune décision n'est prise avant
qu'un consensus n'ait été atteint, le vote éventuel
n'ayant comme but que de vérifier que ce consensus est bien réel
et complet.
Ces caractéristiques rappellent les conceptions
politiques, fondées sur l'harmonie et le consensus, qui ont cours en
Asie de l'Est et du Sud-Est, qui ont été fortement
influencées par le bouddhisme. Elles évoquent aussi le
système indien du panchayat, assemblées où ne
délibèrent que les notables en dehors de tout cadre partisan, tel
qu'il fut encore défendu il n'y a pas longtemps par le roi du
Népal.
Ce passage du Mahâparinibbâna Sutta sera
pourtant exploité par les défenseurs, occidentaux ou orientaux,
du caractère essentiellement « démocratique »
du bouddhisme. Ce fut, et est encore le cas, au Sri Lanka et en Birmanie
particulièrement mais aussi en Thaïlande, au Laos et au Cambodge.
Notons pour terminer que parmi ces cinq pays seuls le Sri Lanka et la
Thaïlande ont récemment joui d'un système pluraliste, en
tous cas pour ce second pays jusqu'au coup d'état de septembre 2006.
Si nous nous limitons à l'institution monastique,
d'après MISRA54(*),
en comparaison avec les autres communautés de renonçants
contemporaines du Bouddha, le sangha bouddhiste incarne clairement une
conception «démocratique». En effet dans ces
communautés le maître fonctionnait comme le chef suprême,
contrôlant et réglant la vie de tout le groupe, et
désignait son successeurs ; ce modèle évoque clairement la
«monarchie de droit divin». Le refus du Bouddha, peu avant sa mort,
de désigner un successeur comme cela se faisait dans les autres
« ordres », son conseil donné aux moines de ne
prendre refuge qu'en eux-mêmes et dans le Dhamma (la Loi)
indique clairement, d'après MISRA, que « in [the]Buddhist
monastic system the authority of teacher was vested in a
constitution. » Pas de voeu d'obéissance dans l'ordre
bouddhiste. La seule autorité y est, en théorie,
représentée par le groupe et se limite d'ailleurs aux questions
de discipline plutôt que de doctrine.
Le Cakkavatti Sutta
Ce sutta (DN, PTS III, 58-77) décrit le
modèle du Cakkavatti (sk. cakravartin), que l'on
trouve déjà dans le védisme mais qui fut bouddhisé
sans doute par ou après Asoka. Le cakkavatti est plus qu'un
simple roi juste ou vertueux, même bouddhiste
(dhammarâja); ce qui le caractérise le mieux est sans
doute, en plus de sa vertu, le fait qu'il ne soit le vassal d'aucun autre roi
et sa capacité à imposer universellement la Loi dont il met en
branle la roue (dhammacakka) après avoir conquis
« les quatre quartiers », installé la
stabilité sans recours à la violence ou à la punition et
encouragé le peuple à suivre les cinq préceptes55(*). Ce modèle peut
évoquer pour nous celui du despote éclairé mais le
sutta spécifie que le cakkavatti pour remplir sa
fonction doit consulter les experts et c'est un manquement à cette
prescription, donnant lieu à un excès de laxisme suivi d'un trop
grande rigueur qui va précipiter une suite de phénomènes
sociaux négatifs auxquels il faudra trouver le remède, ce qui
prendra des dizaines de milliers d'années. La leçon qu'ont
dû en tirer les auditeurs est clairement que si mieux vaut convaincre que
punir, le crime ne doit pas non plus être récompensé. On
retrouve également le thème du cakkavatti dans le
Mahâsudassana Sutta (DN II 169-198).
Conception indienne du temps
Afin d'achever de situer les textes dans leur contexte
culturel nous devons brièvement rappeler les traits essentiels de la
conception indienne du temps cosmique à l'époque du Bouddha et
par la suite.
Le temps indien est fait d'une succession de
kappa/kalpa ou mahâkappa/kalpa (éons) dont
chacun comprend quatre asankheya56(*) kappa, lesquels comprennent chacun sept
yuga. J.-M. VERPOORTEN57(*) cite, d'après diverses sources les chiffres de
4 320 millions d'années comme « mesure
standard » du kappa et « dix milliards de
milliards de milliards d'années » pour celle du
mahâkappa. Le cadre de l'apparition de chacun des Bouddhas
successifs semble donc être le yuga, le nôtre étant
le kali yuga. Différents kappa ne produisent pas le
même nombre de Bouddhas. Il y aurait-il donc des yuga sans
Bouddha ? Notre kappa en tous cas en aurait produit quatre, dont
Gautama est le dernier, et attend le cinquième Metteyya/sk: Maitreya.
A défaut de pouvoir entrer dans les mécanismes
fins de cette arithmétique « fantastique » ainsi que
la qualifie J.-M. VERPOORTEN, retenons que si l'on se fie au Cakkavatti
Sutta (DN III, 58-77), chacun des cycles qu'il décrit connaît
un début s'amorçant au point le plus bas d'une évolutions
descendante de 80 000 ans, entamant une évolution ascendante de
80 000 ans également pour atteindre son sommet avec l'apparition
d'un Bouddha propre à ce cycle, Gautama pour le nôtre, Metteyya
pour le prochain, dont l'apparition marque le début d'une nouvelle
évolution décadente.
Il ne semble pas que ce schéma doive jamais
connaîtra une fin. C'est l'éternel retour. Même si chaque
cycle n'est pas complètement identique au précédent il
semble en répéter les mêmes phases essentielles, au
même rythme, les mêmes acteurs et facteurs principaux y
intervenant.
Dans le mahayana seulement peut-on percevoir comme
l'indication d'une possible « fin de l'histoire » avec
l'idée de libération universelle impliquant que tous et chacun
finalement, même les plus grands malfaiteurs, seront
nirvânés, et le samsara définitivement
révolu.
Pour le theravada par contre seuls les moines
arhats58(*)
atteignent au nirvâna, le bouddhisme lui-même passe par des phases
de décadence mais les réformes et ressourcements successifs
(purification du sangha) ne font jamais que retarder une disparition
du Dhamma et du sangha qui est considérée comme
fatale, comme est fatale sa résurgence dans une ère
postérieure. Satyam jayati. Saccam jayati : la
vérité ne peut être vaincue, pas plus que l'erreur ou le
mal :
[...]the truth of impermanence applies to everything, even
to Buddhism as a historical fact but just as one can be sure that knowledge of
the truth will fade so one can [...] be reassured that some day even if
theoretically very far distant - there will be Buddhas to rediscover it.
(COLLINS, p. 394).
Le cycle complet décrit dans le Cakkavatti est
donc de 160 000 ans (80 000 ans de décadence et le même nombre
d'année de résilience). Cependant le concept d'un cycle plus
court de 5 000 ans existe également. D'après COLLINS (p. 400,
note 10) beaucoup de chercheurs reflètent cette idée que la
doctrine du Bouddha devrait durer 5 000 ans avant sa disparition
précédant l'avènement de Metteyya. COLLINS et d'autres ne
disposent d'aucune indice permettant d'identifier l'origine de cette croyance
en un cycle de 5 000 ans traditionnellement attribuée à
BOUDDHAGHOSA. Sukumar DUTT59(*) rattache la croyance en un cycle de 5 000 ans
à celle trouvée dans Cullavagga (X, I, 6) suivant
laquelle suite à la création d'un sangha de nonnes, le
Dhamma ne prospérerait que 500 ans. Le Milinda fait
aussi allusion à la disparition du Dhamma après 500 ans
mais ne mentionne pas l'acceptation des femmes dans le sangha. Quand
ces 500 ans furent écoulés, le mahayana aurait reporté
l'échéance à 5 000 ans60(*). COLLINS renvoie également (p. 359) à
une famille de textes post-canoniques qu'il baptise de « histoires du
futur » (anâgatavamsâ) décrivant ce
déclin graduel du bouddhisme.
Cette perspective que certains pourraient trouver pessimiste
n'a cependant pas empêché différentes cultures bouddhistes
de tenter d'entraver et retarder autant que possible la décadence du
Dhamma sasana. C'est dans ce but qu'eurent lieu les multiples
« purifications du sangha » opérées
par les rois singhalais, birmans et siamois.
Le cycle court de 5000 ans--se surimposant au cycle de 160.000
ans du Cakkavatti Sutta, et dessinant une courbe ascendante pendant
2 500 ans à compter du Nirvâna (jusqu'en 1956) avant
d'entamer une courbe descendante qui se terminera par le retour de
Metteyya--devait aussi fournir des repères plus proches et des
perspectives moins déprimantes à ceux qu'inquiétaient la
perspective d'une aussi longue décadence suivie de disparition.
D'après certaines croyances populaires millénaristes,
l'année 1956, que marqua également l'ouverture du VIe
Concile theravada en Birmanie, devait voir l'avènement d'un roi
bouddhiste qui restaurerait la gloire du bouddhisme (voir COLLINS, p. 396,
citant MALALGODA61(*)). Au
Sri Lanka certains voulurent voir ce roi sauveur en la personne du premier
Premier ministre du Sri Lanka indépendant, SWRD Bandaranaïke,
jusqu'à ce qu'il soit assassiné par un moine extrémiste
dont il avait déçu les espérances.
Sommes nous encore dans la phase décadente qui,
d'après le Cakkavatti Sutta s'entame après le
Bouddha62(*), ou avons
nous déjà entamé la phase ascendante qui mène
à l'avènement de Metteyya ? Nous n'essayerons pas de
répondre à cette question. Mais il semble que, dans les
années cinquante, certains furent tentés de le faire ainsi que
nous le verrons dans la deuxième partie.
CAKAVATTISUTTAM
Sutta du Souverain universel
2. Jadis, Ô Moines, il y avait un roi nommé
Dalhanemi, Empereur Universel, vertueux, gouvernant dans le respect de la Loi,
victorieux63(*) aux quatre
confins ; étant parvenu à stabiliser le pays, il était
doté des sept trésors.
Parmi ces sept trésors, notamment, se trouvaient,
à la suite64(*) du
joyau en forme de gouvernail, les éléphants, les chevaux, les
pierres précieuses, les femmes, les domestiques, et le septième,
les conseillers.
Il avait plus de mille fils hommes forts, de stature
héroïque, vainqueurs des armées ennemies.
Les ayant conquises, il occupa65(*) ainsi tout ce qu'il y a de terre entre les mers, sans
recours à la force ni aux armes mais à la Loi66(*) [seulement].
3. Alors, Ô Moines, de nombreuses années, de
nombreuses centaines d'années, de nombreux milliers d'années
s'étant écoulés, le roi Dalhanemi s'adressa à un
certain homme [et lui dit] : « Si tu voyais, l'Ami67(*), l'étoile [à
l'apparence d'un] joyau en forme de gouvernail s'effacer et disparaître
de sa place, tu devrais alors me prévenir. »
« Bien Sire » répondit cet homme au
roi Dalhanemi. Ainsi, de nombreuses années, de nombreuses centaines
d'années, de nombreux milliers d'années s'étant
écoulées, cet homme vit l'étoile [à l'apparence
d'un] joyau en forme de gouvernail s'effacer et disparaître de sa place.
Ce qu'ayant vu, il se rendit auprès du roi Dalhanemi et l'ayant
approché lui dit : « Sachez68(*) Sire que l'étoile
[à l'apparence d'un] joyau] en forme de gouvernail s'est effacée
et a disparu de sa place. »
Alors Ô Moines, le roi Dalhanemi s'adressant au prince
son fils aîné lui dit ceci : « Prince, Mon Fils,
j'ai appris que l'étoile [à l'apparence d'un] joyau en forme de
gouvernail s'est effacée et a disparu de sa place.
Or j'ai entendu dire ceci : lorsque l'étoile d'un
Empereur universel, [à l'apparence d'un] joyau en forme de gouvernail,
s'efface et disparaît de sa place, il ne reste à ce souverain pas
longtemps à vivre. »
J'ai épuisé les plaisirs humains. Il est temps
de poursuivre les plaisirs célestes. Viens, Prince, Mon Fils, et
poursuis69(*) [mon oeuvre]
sur cette terre qui n'a que les mers comme limite.
Quant à moi, m'étant rasé les cheveux et
la barbe, ayant revêtu les vêtements jaunes, je vais partir de la
maison pour une vie errante.»
Alors, Ô Moines, le roi Dalhanemi, ayant dûment
informé70(*) le
prince, son fils aîné, de [tout ce qui concerne l'exercice de]la
royauté, s'étant rasé les cheveux et la barbe, ayant
revêtu les vêtements jaunes, partit de la maison pour une vie
errante. Mais une semaine après son départ, l'étoile
[à l'apparence d'un] joyau en forme de gouvernail disparut aux yeux du
royal devin.
4. Alors, Ô Moines, un certain homme se rendit
auprès du noble khattiya [qui venait d'être] consacré roi
et [l']ayant approché [...]71(*), lui dit : « Sachez Ô Sire que
l'étoile [à l'apparence d'un] joyau en forme de gouvernail a
disparu.»
Alors, Ô Moines le noble roi khattiya, à la
nouvelle de la disparition du joyau en forme de gouvernail, fut perturbé
et ressentit du trouble.
Il se rendit auprès du royal devin et s'étant
approché lui dit « Sache Ô Seigneur, que l'étoile
[à l'apparence d'un] joyau en forme de gouvernail a
disparu. »
Entendant cela, Ô Moines, le royal devin dit ceci au
noble roi khattiya : « Ne sois pas perturbé par la
disparition de l'étoile [à l'apparence d'un] joyau en forme de
gouvernail, et ne ressens aucun trouble, car l'étoile [à
l'apparence d'un] joyau en forme de gouvernail ne fait pas [automatiquement]
partie de ton patrimoine.
Persiste maintenant, Mon Fils, dans la noble conduite d'un
Empereur universel. Car il se trouve 72(*) que le jour du rite de la pleine lune73(*), pour un Empereur universel
persistant dans cette noble conduite, ayant reçu la consécration,
et participé au rite, s'il choisit d'aller sur la plus haute terrasse,
l'étoile [à l'apparence d'un] joyau en forme de gouvernail lui
apparaîtra, doté de mille rayons, d'une jante et d'un
moyeu74(*), parfait
à tous points de vue. »
Cakkavatti-ariyavattam
La noble conduite d'un Empereur universel
5. « Et quelle est donc, Seigneur, cette noble
conduite d'un Empereur universel ? »
« [Elle consiste en] ceci : Toi, Mon Fils,
t'appuyant sur la doctrine75(*), la respectant, l'honorant, la
vénérant, lui rendant un culte, étant sa bannière
et son drapeau, gouvernant en son nom, assure juste protection abri et soin
à ton peuple, à l'armée, aux khattiya qui dépendent
de toi, aux brahmines maîtres de maison, aux gens des villes et des
campagnes, aux moines et aux brahmines [errants]76(*), à la faune des
forêts et aux oiseaux.
Que sur ton territoire, Mon Fils, le malfaiteur ne
prospère pas. Et que, si sur ton territoire, Mon Fils, il se trouvait
des démunis, tu leur fournisses des ressources.
Et que sur ton territoire, Mon Fils, ces moines et brahmines
qui se gardent de la désinvolture77(*), fermement installés dans la patience et la
clémence, qui se sont, par eux-mêmes seuls,
maîtrisés, apaisés, amenés au parfait nibbâna,
les ayant approchés, tu devrais de temps en temps leur poser des
questions et les interroger ainsi : « Qu'est-ce qui,
Vénérable, est sain et malsain ? Qu'est-ce qui est
blâmable et ne l'est pas ? Qu'est-ce qu'il faut pratiquer ?
Qu'est-ce qu'il ne faut pas pratiquer ? Qu'est-ce qui, si je le mets
longtemps en pratique, serait à mon désavantage et pour mon
malheur ou à mon avantage et pour mon bonheur ? »
Ayant appris ce qui est malsain, il faudrait que tu
l'évites, et ce qui est sain, l'ayant accepté, tu t'y engages.
Voilà en effet, Mon Fils, ce qui est la noble conduite d'un noble
Souverain universel. »
L'apparition du joyau en forme de
gouvernail
« Bien, Seigneur », dit au royal devin, le
noble roi khattiya après l'avoir écouté [et] il
persévéra dans la noble conduite d'un Souverain universel.
Alors qu'il persévérait dans la noble conduite
d'un Souverain universel, le jour du rite de la pleine lune, à lui qui
avait reçu la consécration, comme il participait au rite et avait
choisi d'aller sur la plus haute terrasse, l'étoile [à
l'apparence] d'un joyau en forme de gouvernail apparut, doté de mille
rayons, d'une jante et d'un moyeu, parfait à tous points de vue.
Après qu'il l'eût vue, cette pensée vint
au noble roi khattiya : « On m'a dit qu'un khattiya
consacré roi, à qui le jour du rite de la pleine lune, ayant
reçu l'onction, participé au rite et choisi d'aller sur la plus
haute terrasse, l'étoile [à l'apparence] d'un joyau en forme de
gouvernail apparaît, doté de mille rayons, d'une jante et d'un
moyeu, parfait à tous points de vue, [ce khattiya] est bien le Souverain
universel. Puissé-je être cet Empereur
universel ! »
6. Alors, Ô Moines, le noble roi khattiya se levant de
son siège, ayant ramené sa toge sur son épaule de la main
gauche, saisi une aiguière de la main droite, aspergea le joyau en forme
de gouvernail [disant] « mets-toi en branle, noble joyau, et sois
vainqueur ! »
Alors, Ô Moines, le joyau en forme de gouvernail se mit
en branle en direction de l'est, suivi du roi Souverain universel et des quatre
corps de son armée.
Dans n'importe quel pays, Ô Moines, où le joyau
en forme de gouvernail s'arrêta, le roi installa 78(*) un camp avec les quatre corps
de son armée.
Quant aux rois ennemis de la région orientale,
s'étant approché du roi Souverain universel, ils
s'exprimèrent ainsi : « Viens donc, Grand Roi !
Bienvenue à toi Grand Roi ! Tout ceci est à toi, Grand
Roi ! Donne tes instructions, Grand Roi ! »
Le roi Souverain universel parla ainsi : « Il
ne faut pas tuer ce qui est vivant, prendre ce qui n'est pas donné,
abuser des plaisirs des sens, parler mensongèrement, boire de l'alcool.
Et ne mangez qu'autant qu'il est convenable79(*).»
Ces rois ennemis, de la région orientale, Ô
Moines, devinrent les vassaux du roi Souverain universel.
7. Alors, Ô Moines, le joyau en forme de gouvernail
ayant plongé dans la mer orientale, après avoir réapparu,
se dirigea vers la région du sud [...] ayant plongé dans la mer
du sud, après avoir réapparu, se dirigea vers l'ouest, suivi du
roi Souverain universel avec les quatre corps de son armée.
Dans n'importe quel pays où le joyau en forme de
gouvernail s'arrêta, le roi Souverain universel installa un camp avec les
quatre corps de son armée.
Quant aux rois des régions nordiques, s'étant
approchés du roi Souverain universel, ils s'exprimèrent ainsi: :
« Viens donc, Grand Roi ! Bienvenue à toi Grand
Roi ! Tout ceci est à toi, Grand Roi ! Donne tes instructions,
Grand Roi ! »
Le roi Souverain universel parla ainsi : « Il
ne faut pas tuer ce qui est vivant, prendre ce qui n'est pas donné,
abuser des plaisirs des sens, parler mensongèrement, boire de l'alcool.
Et ne mangez qu'autant qu'il est convenable.»
Ces rois ennemis, de la région nordique, Ô
Moines, devinrent les vassaux du roi Souverain universel.
[La même histoire s'étant
répétée aux quatre points cardinaux le Souverain universel
rentre dans sa capitale.]
Et alors, Ô Moines, le joyau en forme de gouvernail
ayant conquis toute la terre contenue entre les mers revint à la
capitale et s'arrêta resplendissant à la porte du palais du roi
Souverain universel, sur le fronton de la salle des jugements, comme s'il y
était fixé sur un pivot.
[Dans la section 8 (VRI 88 à 89) la même
séquence d'événements est relatée dans les
mêmes termes pour chacune de cinq générations de souverains
universels succédant au fils de Dalhanemi : le joyau disparaît, le
roi convoque son fils aîné, l'informe de l'importance et de la
signification du joyau, le joyau disparaît à nouveau sept jours
après le départ du roi précédent, le roi
nouvellement consacré fait part de son trouble au devin royal qui le
rassure et le met au courant des conditions auxquelles il pourra continuer
à bénéficier des faveurs du joyau. Le jeune roi s'efforce
de remplir ces conditions, le joyau ré-apparaît et ainsi de suite
jusqu'à la septième génération, la huitième
après Dalhanemi, où les événements prennent un
autre cours : le septième Souverain universel dans son trouble suite
à la disparition du joyau néglige de consulter le devin royal et
se met à gouverner à sa guise.]
9.[...] Mais il [le nouveau roi] ne se rendit pas
auprès du royal devin et ne l'interrogea pas sur la noble conduite d'un
Souverain universel. À sa manière80(*) il gouverna le pays. Le gouvernant de cette
manière les provinces ne prospérèrent pas comme
auparavant, comme à l'époque où les rois anciens se
conduisaient comme se conduit un Souverain universel. Alors Ô Moines, les
Pairs, membres du Conseil, les trésoriers, les ministres importants, les
membres de la garde personnelle, les gardiens des portes et ceux qui vivent [de
la récitation] des formules sacrées, s'étant
rassemblés, ayant approché le roi khattiya consacré
déclarèrent ceci : « Tant que vous gouvernez ce pays
à votre manière81(*) Sire, les provinces ne prospéreront pas comme
auparavant, comme à l'époque où les rois anciens se
conduisaient comme se conduit un Souverain universel. Il y a, Sire, dans votre
empire, des Pairs membres du Conseil, des trésoriers, des ministres
importants, des membres de la garde personnelle, des gardiens des portes, ceux
qui vivent [de la récitation] des formules sacrées,
nous-mêmes et d'autres encore. Nous sommes les détenteurs de [la
science] de la noble conduite d'un Souverain universel. Ainsi donc, Sire,
consultez-nous sur la noble conduite d'un Souverain universel. Ces questions
étant posées par vous, nous les
éclaircirons. »
10. Alors Ô Moines, le roi khattiya consacré
ayant rassemblé Pairs membres du Conseil, grands ministres, membres de
la garde personnelle, gardiens des portes et ceux qui vivent [de la
récitation] des formules sacrées, les interrogea. Ils
répondirent à ses questions sur la noble conduite d'un Souverain
universel. Les ayant entendu, il donna des ordres relatifs à la
défense et à la protection [du territoire] mais ne paya pas les
subventions aux démunis. Ces subventions n'étant pas
payées, la misère se répandit.
La misère se répandant, un homme s'empara de ce
qui ne lui avait pas été donné, ce qui constitue un vol.
On s'empara de lui et, l'ayant maîtrisé,82(*) le fit comparaître
devant le khattiya :
« Cet homme, Sire, s'est emparé de ce qui ne
lui avait pas été donné, ce qui constitue un
vol. » Entendant cela le khattiya consacré roi dit à
cet homme :
« Est-il vrai, l'ami, ainsi qu'on me rapporte que
tu t'es emparé de ce qui ne t'avait pas été donné,
ce qui constitue un vol ? »
-C'est vrai Sire !
-Et pour quelle raison ?
-Parce ce que je n'ai pas de moyen de subsistance, Sire.
Alors, Ô Moines, le khattiya consacré roi fit don
d'un capital à cet homme : Avec ce capital, l'Ami, lui dit-il, subviens
par toi-même à tes besoins, nourris ton père et ta
mère, tes enfants et ton épouse et investis dans un commerce.
Quant aux brahmines et moines errants fais leur une donation, qu'ils aient
où se poser, en vue du bien et de l'intérêt
supérieur, qui produisent le bonheur et mènent au
ciel. »
« Bien Sire », répondit cet homme
au khattiya consacré roi.
11. Mais un homme, Ô Moines, prit encore ce qui ne lui
avait pas été donné, ce qui constitue un vol. On s'empara
de lui et l'ayant maîtrisé le fit comparaître devant le
khattiya consacré roi [disant]: « Cet homme, Sire, s'est
emparé de ce qui ne lui avait pas été donné, ce qui
constitue un vol ».
Entendant cela, Ô Moines, le khattiya consacré
roi dit à cet homme: « Est-il vrai l'ami, ainsi qu'on me
rapporte, que tu t'es emparé de ce qui ne t'avait pas été
donné, ce qui constitue un vol ? »
-C'est vrai Sire!
-Et pour quelle raison ?
-Parce que je n'ai pas de moyen de subsistance.
[Comme dans le cas précédent, le roi
accorde un capital au voleur et lui conseille d'en faire bon usage; c'est
seulement lorsqu'on lui amène un troisième voleur invoquant le
défaut de moyen de subsistance comme excuse à son vol que le roi
comprend son erreur et fait exécuter le voleur malchanceux. Mais il est
trop tard et la sanction est extrême au regard de la clémence dont
les deux voleurs précédents ont
bénéficié.]
12. Les gens, Ô Moines, entendirent rapporter :
« On dit Amis, qu'à ceux qui prennent ce qui ne leur est pas
donné, ce qui constitue un vol, le roi accorde un capital. »
Entendant cela l'idée leur vint : « Et si nous aussi nous nous
emparions de ce qui ne nous a pas été donné, ce qui
constitue un vol ? »
Alors, Ô Moines, un homme s'empara de ce qui ne lui
avait pas été donné... [la même scène
où l'on se saisit du voleur et le fait comparaître devant le roi
est décrite dans les mêmes termes que ci-dessus ; l'issue seule
diffère : après que le voleur a confessé qu'il a
volé par manque de moyen de subsistance, le roi alarmé de la
multiplication des vols réfléchit :]
Alors, Ô Moines, ceci vint à l'esprit du khattiya
consacré roi : « Si à quiconque s'empare de ce qui
ne lui a pas été donné j'accorde un capital, les vols vont
aller croissant. Et si je dissuadais vraiment cet homme, frappant de
manière radicale, et lui coupais la tête ? »
Alors Ô Moines, le khattiya consacré roi manda
ses gens d'armes : « Dites donc, liez-moi cet homme les bras
derrière le dos avec une corde solide et après l'avoir bien
ficelé, lui avoir rasé la tête, l'avoir conduit de rue en
rue et de carrefour en carrefour au son sinistre du tambour, être sorti
par la Porte du Sud, au sud de la ville dissuadez-le pour de bon, faites de
manière radicale et coupez-lui la tête ! »
D'un « Bien, Sire! » ayant
obtempéré au khattiya consacré roi, ces gens d'armes,
Ô Moines, lièrent l'homme les bras derrière le dos avec une
corde solide, et l'ayant bien ficelé, lui avoir rasé la
tête, l'avoir conduit de rue en rue, de carrefour en carrefour au son
sinistre du tambour, être sorti par la Porte du Sud, au sud de la ville
il le dissuadèrent pour de bon, firent de manière radicale et lui
coupèrent la tête.
13. Mais, Ô Moines, les gens apprirent que, disait-on,
ceux qui s'emparaient de ce qui ne leur avait pas été
donné, ce qui constitue un vol, le roi les dissuadait pour de bon,
faisait de manière radicale et leur coupait la tête.
Ayant appris cela, ils se dirent: « Et si nous aussi
nous aiguisions nos glaives et, les ayant aiguisés, nous emparions de ce
qui ne nous a pas été donné, ce qui constitue un vol, et
les dissuadions83(*) pour
de bon, faisant de manière radicale, et leur coupions la tête
? » Ils aiguisèrent leurs glaives et, les ayant
aiguisés, ils attaquèrent des hameaux, des villages et des
villages, des bourgs et des villes pour y commettre des meurtres ; et se
livrèrent à des agressions sur les grands chemins pour y voler.
Ceux dont ils prenaient sans qu'on leur eût donné, ils les
dissuadaient pour de bon [de se plaindre], faisant de manière radicale,
et leur coupaient la tête.
14. Ainsi, Ô Moines, les subventions aux démunis
n'étant pas payées, la misère se répandit, la
misère s'étant répandue, le vol se répandit, le vol
s'étant répandu, le [recours au] glaive se répandit,
le[recours au] glaive s'étant répandu, le meurtre se
répandit, le meurtre s'étant répandu, le mensonge se
répandit, le mensonge s'étant répandu, la durée de
vie des êtres vivant déclina, leur beauté aussi
déclina, et il arriva qu'aux descendants de ceux qui déclinaient
ainsi en longueur de vie et en beauté, de quatre-vingt mille ans de vie
ne leur restèrent que quarante mille ans. Parmi les humains qui ne
vivaient que quarante mille ans, Ô Moines, un homme s'empara de ce qui ne
lui avait pas été donné, ce qui constitue un vol.
On s'empara de lui et l'ayant maîtrisé le fit
comparaître devant le khattiya consacré roi [disant]:
« Cet homme, Sire, s'est emparé de ce qui ne lui avait pas
été donné, ce qui constitue un vol.» Entendant cela,
Ô Moines, le khattiya consacré roi dit à cet homme :
-Est-il vrai l'ami, ainsi qu'on me rapporte, que tu t'es
emparé de ce qui ne t'avait pas été donné, ce qui
constitue un vol ?
-Non ! Sire, déclara-t-il, par un mensonge
délibéré.
15. Ainsi, Ô Moines, les subventions aux démunis
n'étant pas payées, la misère se répandit, la
misère s'étant répandue, le vol se répandit, le vol
s'étant répandu, le [recours au] glaive se répandit,
le[recours au] glaive s'étant répandu, le meurtre se
répandit, le meurtre s'étant répandu, le mensonge se
répandit, le mensonge s'étant répandu, la durée de
vie des êtres vivant déclina, leur beauté aussi
déclina, et aux descendants de ceux qui déclinaient ainsi en
longueur de vie et en beauté, de quarante mille ans de vie il ne leur en
resta que vingt mille. Parmi les humains qui ne vivaient que vingt mille ans,
Ô Moines, un homme s'empara de ce qui ne lui était pas
donné. Un autre homme, s'adonnant à la délation, le
renseigna84(*) au katthiya
consacré roi : « Un homme, ainsi nommé, Sire, s'est
emparé de ce qui ne lui avait pas été donné, ce qui
constitue un vol.»
16. Ainsi, Ô Moines, les subventions aux démunis
n'étant pas payées, la misère se répandit, la
misère s'étant répandue, le vol se répandit [...]
la délation s'étant répandue, la durée de vie des
êtres vivants déclina, leur beauté aussi déclina, et
aux descendants de ceux qui déclinaient ainsi en longueur de vie et en
beauté, de vingt mille ans de vie, il ne leur en resta que dix
mille.
Parmi les humains qui ne vivaient que dix mille ans, Ô
Moines, certains85(*)
étaient de belle couleur, certains avaient mauvaise mine. Suite à
cela les êtres à la vilaine mine, enviant les êtres à
la belle couleur, s'engagèrent dans des relations avec leurs
épouses.
17. Ainsi, Ô Moines, les subventions aux démunis
n'étant pas payées, la misère se répandit, la
misère s'étant répandue [...] la méconduite
sexuelle se répandit, la méconduite sexuelle s'étant
répandue, la durée de vie des êtres vivants déclina,
leur beauté aussi déclina, et les descendants de ceux qui
déclinaient ainsi en longueur de vie et en beauté [au lieu] de
dix mille ans de vie n'en vécurent plus que cinq mille. Parmi les
humains qui ne vivaient que cinq mille ans, deux
phénomènes86(*) survinrent : les parlers ordurier et frivole. Ces
deux phénomènes s'étant répandus, la durée
de vie des êtres vivant déclina, leur beauté aussi
déclina, et parmi les descendants de ceux qui déclinaient ainsi
en longueur de vie et en beauté [au lieu] de cinq mille ans de vie
certains ne vécurent plus que quelque deux millénaires et demi,
d'autres deux millénaires.
Parmi les humains qui vivaient deux millénaires et
demi, Ô Moines, la convoitise et l'aversion87(*) se répandirent, la
convoitise et l'aversion s'étant répandues la durée de vie
des êtres vivants déclina, leur beauté aussi déclina
et les descendants de ceux qui déclinaient ainsi en longueur de vie et
en beauté, de deux-millénaires et demi n'en vécurent plus
qu'un. Parmi les humains qui vivaient un millénaire, Ô Moines, les
théories sans fondement se répandirent et, ces théories
s'étant répandues, la durée de vie des êtres vivants
déclina, leur beauté aussi déclina et les descendants de
ceux qui déclinaient ainsi en longueur de vie et en beauté, d'un
millénaire n'en vécurent plus que cinq siècles. Parmi les
humains qui ne vivaient que cinq siècles, Ô Moines, trois
phénomènes se répandirent : les attachements nuisibles,
les convoitises sans borne et les fausses doctrines ; ces trois
phénomènes s'étant répandus, la durée de vie
des êtres vivants déclina, leur beauté aussi déclina
et parmi les descendants de ceux qui déclinaient ainsi en longueur de
vie et en beauté, de cinq siècles, certains ne vécurent
plus que deux siècles et demi, certain deux siècles. Parmi les
humains vivant deux siècles et demi, ces phénomènes se
répandirent : le manque de respect vis-à-vis des mères,
des pères, des moines, des brahmines et des anciens de la famille.
[Suit une récapitulation mettant en
évidence le lien causal (nidâna) entre l'événement
de départ--le non-paiement des subventions--et son aboutissement des
millénaires plus tard.]
18. Ainsi, Ô Moines, les subventions aux démunis
n'étant pas payées, la misère se répandit, la
misère s'étant répandue, le vol se répandit, le vol
s'étant répandu, le [recours au] glaive se répandit,
le[recours au] glaive s'étant répandu, le meurtre se
répandit, le meurtre s'étant répandu, le mensonge se
répandit, le mensonge s'étant répandu la délation
se répandit, la délation s'étant répandue, la
méconduite sexuelle se répandit, la méconduite sexuelle
s'étant répandue deux phénomènes88(*) survinrent : les parlers
ordurier et frivole. Ces deux phénomènes s'étant
répandus, la convoitise et l'aversion se répandirent, la
convoitise et l'aversion s'étant répandues les théories
sans fondement se répandirent et, ces théories s'étant
répandues trois phénomènes se répandirent : les
attachements nuisibles, les convoitises sans borne et les fausses doctrines ;
ces trois phénomènes s'étant répandus les
phénomènes [suivant] se répandirent : le manque de
respect, vis-à-vis des mères et pères, des moines, des
brahmines et des anciens de la famille ; ces phénomènes
s'étant répandus, la durée de vie des êtres vivants
déclina, leur beauté aussi déclina et les descendants de
ceux qui déclinaient ainsi en longueur de vie et en beauté, de
deux siècles et demi ne vécurent plus qu'un siècle.
19. Un temps viendra, Ô Moines, où des humains
naîtront des fils [destinés à ne pas vivre plus] de dix
ans. Pour ces humains ne vivant que dix ans, Ô Moines, les fillettes de
cinq ans deviendront bonnes à marier. Pour ces hommes ne vivant que dix
ans les saveurs disparaîtront, c'est à dire :
celles du beurre clarifié, du beurre frais, de l'huile, de la molasse de
miel et du sel. Pour ces humains ne vivant que dix ans, Ô Moines, un
grain de mauvaise qualité89(*) deviendra leur nourriture principale.
C'est-à-dire, Ô Moines, que comme de nos jours le riz
sali90(*)[représente] la nourriture de base, ainsi pour
ces humains ne vivant que dix ans un grain de mauvaise qualité deviendra
leur nourriture principale. Chez ces humains ne vivant que dix ans, Ô
Moines, les dix voies de l'action éthique91(*) disparaîtront
complètement et les dix voies de l'action contraire à
l'éthique se feront beaucoup remarquer ; pour ces hommes ne vivant
que dix ans, il n'y aura plus en fait aucune éthique. Car d'où
[pourrait dans de telles conditions venir] un faiseur de bien ? Parmi ces
humains ne vivant que dix ans, Ô Moines, ceux qui ne respecteront ni
leurs mères, ni leurs pères ni les renonçants, ni les
chefs de clan seront estimés dignes d'admiration et de respect. Juste,
Ô Moines, comme ceux qui de nos jours respectent leurs mères et
pères, les renonçants et les chefs de clan, sont estimés
dignes d'admiration et de respect, de la même manière, Ô
Moines, chez ces humains ne vivant que dix ans [ce sont] ceux qui ne
respecteront ni mère, ni père, ni renonçants, ni chefs de
clan [qui] devront être admirés et respectés.
20. Parmi les humains ne vivant que dix ans, Ô Moines,
il n'y aura ni mère, ni tante, soeur de la mère ou épouse
de l'oncle maternel, ni épouse du maître, ni épouses des
frères du père92(*), le monde s'enfoncera dans la confusion, [se
comportant] comme boucs, coqs, porcs, chiens et chacals. Parmi ces humains ne
vivant que dix ans, Ô Moines, prévaudront 93(*) une agressivité
féroce, une aversion mutuelle, la malveillance, ainsi que des pulsions
meurtrières. De la mère pour son fils, du fils pour sa
mère, du père pour son fils, du fils pour son père, du
frère pour son frère ou sa soeur, de la soeur pour son
frère prévaudront agressivité féroce, aversion
mutuelle, malveillance ainsi que pulsions meurtrières.
Juste comme entre le chasseur et sa proie, après qu'il
l'ait vue, prévalent agressivité féroce, aversion
mutuelle, malveillance et pulsions meurtrières, Ô Moines, ainsi
chez ces humains ne vivant que dix ans, entre les êtres se manifesteront
agressivité féroce, aversion mutuelle, malveillance, et pulsions
meurtrières. Entre la mère et son fils, le fils et sa
mère, entre le père et son fils, le fils et son père,
entre le frère et son frère, ou sa soeur, la soeur et son
frère une agressivité féroce, une aversion mutuelle, la
malveillance et des pulsions meurtrières se manifesteront.
21. Pour ces humains ne vivant que dix ans, Ô Moines,
viendra la période intercalaire dite « du glaive »
[où] durant une semaine ils se percevront mutuellement comme des
bêtes sauvages94(*); des glaives acérés
apparaîtront dans leurs mains et ils s'extermineront95(*) l'un l'autre
[pensant] « Ce n'est qu'une bête sauvage, ce n'est qu'une
bête sauvage ».
Alors, Ô Moines, à certains de ces êtres
viendra l'idée : « Ne faisons rien [à autrui], et que
l'on ne nous fasse rien ! Et si nous nous cachions dans l'herbe, les bois, les
arbres et après avoir pénétré dans la montagne
rugueuse par un gué difficile d'accès nous y prenions les
racines et des fruits de la forêt comme nourriture ? Une semaine
s'étant écoulée, après être sortis des
herbes, des bois, des arbres par le gué difficile d'accès et
s'être embrassés, ils se rassemblèrent96(*) et se
réconfortèrent97(*) [répétant]: « [C'est bien toi
que] Je vois, Frère ! Tu es en vie! Tu es en vie ! »
Alors, Ô Moines, l'idée [suivante] leur viendra :
« C'est parce que nous avons longtemps adopté des coutumes
malsaines que notre espèce a décliné. Et si maintenant
nous agissions sainement ? Qu'est-ce que nous pourrions bien faire de sain ? Et
si nous nous abstenions de tuer les êtres vivants ? Ayant adopté
cette coutume, appliquons-la ! » Ils s'abstiendront de tuer les
êtres vivants, et ayant adopté cette coutume, ils l'appliqueront.
Parce qu'ils adopteront de saines coutumes, ils se développeront en
âge et en beauté. Et de ces humains ne vivant que dix ans, suite
à leur développement en âge et en beauté,
naîtront des descendants vivant vingt ans.
22. Alors Ô Moines, l'idée [suivante] viendra
à ces êtres : « À cause de cette adoption par
nous de saines coutumes, nous prospérons en âge et en
beauté. Et si nous agissions extrêmement sainement ? Et si nous
nous abstenions de prendre ce qui n'est pas donné, de la
méconduite sexuelle, du mensonge, de la délation, du parler
ordurier et frivole et renoncions à la convoitise, à l'aversion,
aux fausses doctrines, si nous renoncions aussi à ces trois
phénomènes [que sont] : les attachements nuisibles, la convoitise
sans borne et les fausses doctrines, si nous étions respectueux de nos
mères, de nos pères, des renonçants et des chefs de clan ?
Ayant adopté cette saine coutume, appliquons-la ! »
Ils deviendront respectueux de leurs mères et
pères, des renonçants et des chefs de clan et ayant adopté
cette saine coutume, l'appliqueront.
À cause de l'adoption de ces saines coutumes, ils se
développeront en âge et en beauté, et de ces humains ne
vivant que vingt ans, suite à leur développement en âge et
en beauté, naîtront des descendants vivant quarante ans. De ces
humains vivant quarante ans naîtront des descendants vivant quatre-vingts
ans. Des humains vivant quatre-vingts ans naîtront des descendants vivant
cent soixante ans. Des humains vivant cent soixante ans naîtront des
descendants en vivant trois cent vingt. Des humains vivant trois cent vingt ans
naîtront des descendants en vivant six cent quarante. Des humains vivant
six cent quarante ans naîtront des descendants en vivant deux mille. Des
humains vivant deux mille ans naîtront des descendants en vivant quatre
mille. Des humains vivant quatre mille ans naîtront des descendants en
vivant huit mille. Des humains vivant huit mille ans naîtront des
descendants en vivant vingt mille. Des humains vivant vingt mille ans
naîtront des descendants en vivant quarante mille. Des humains vivant
quarante mille ans naîtront des descendants en vivant quatre-vingt
mille.
23. Pour ces humains vivant quatre-vingt mille ans, Ô
Moines, les jeunes filles âgées de cinq cents ans seront
considérées comme bonnes à marier. Pour ces humains vivant
quatre-vingt mille ans, Ô Moines, les trois maladies seront le
désir, la faim et le grand âge. Pour ces humains vivant
quatre-vingt mille ans, Ô Moines, ce pays sera prospère et
opulent, les villages, bourgades et chef-lieux royaux [ne seront] pas plus
distants [l'un de l'autre] qu'un vol de coq98(*).
A l'époque des humains de quatre-vingt mille ans,
Ô Moines, ce pays grouillera de gens, sans [aucun] espace vide 99(*), comme l'Avîci je pense,
ou comme un fourré de joncs ou de roseaux. Pour ces hommes de
quatre-vingt mille ans, Ô Moines, Bénarès nommée
Ketumati sera prospère, opulente, populeuse, remplie de gens et bien
pourvue en aliments. Pour ces humains vivant quatre-vingt mille ans, Ô
Moines, dans ce pays il y aura quatre-vingt quatre mille villes dont Ketumati,
la plus importante.
24. À ces humains vivant quatre-vingt mille ans,
Ô Moines, dans la capitale Ketumati, adviendra100(*) un roi nommé Samkho,
Souverain Universel, vertueux, gouvernant dans le respect de la Loi, victorieux
aux quatre confins, étant parvenu à stabiliser le pays, il sera
doté des sept trésors. Parmi ces sept trésors, notamment,
se trouveront, à la suite du joyau en forme de gouvernail, les
éléphants, les chevaux, les pierres précieuses, les
femmes, les domestiques, et le septième, les conseillers. Il aura plus
de mille fils hommes forts, de stature héroïque, vainqueurs des
armées ennemies. Les ayant conquises, il occupera ainsi tout ce qu'il y
a de terre entre les mers, sans recours à la force ni aux armes mais
à la Loi [seulement].
25. Alors que les humains vivront quatre-vingt mille ans,
Ô Moines, le Bienheureux nommé Metteyya101(*) viendra au monde, ayant
atteint au but, parfaitement éclairé, doté de science et
de vertu, heureux, connaissant la Nature, conducteur sans égal des
hommes cherchant guidance102(*), [ainsi que] de la caravane des dieux et des hommes,
un Bouddha, Bienheureux, exactement comme moi je suis venu en ce monde, ayant
atteint au but, complètement éclairé, doté de
science et de vertu, heureux, connaissant la Nature, conducteur sans
égal des hommes cherchant guidance [ainsi que] de la caravane des dieux
et des hommes, un Bouddha, un Bienheureux. Connaissant par lui-même,
d'expérience, ce monde et ses dieux, y compris Mâra et
Brahmâ, ses moines errants et la progéniture des brahmines des
dieux et des hommes, il l'expliquera, exactement comme à présent
connaissant par moi-même, d'expérience, ce monde, ses dieux, y
compris Mâra et Brahmâ, ses moines errants et la progéniture
des brahmines des dieux et des hommes, je l'explique. Il enseignera et
diffusera cette doctrine belle dans ses prémisses, belle dans son
développement, belle dans sa conclusion, bénéfique,
savoureuse, définitive, pure et menant au détachement, exactement
comme maintenant j'enseigne et diffuse cette doctrine belle dans ses
prémisses, belle dans son développement, belle dans sa
conclusion, bénéfique, savoureuse, définitive, pure et
menant au détachement. Il dirigera une communauté de plusieurs
milliers de moines, exactement comme maintenant je dirige une communauté
de plusieurs centaines de moines.
26. Alors, Ô Moines, le roi Samkho ayant fait
émerger à nouveau ce palais qu'avait fait construire le roi
Mahâ Panadena, après y avoir résidé, le laissa pour
le donner aux moines errants, brahmanes, mendiants, voyageurs et marchands
ambulants. Ayant fait son offrande, après s'être rasé
cheveux et barbe sous l'égide du Bienheureux arahant103(*) Metteyya, ayant revêtu
les vêtements jaunes il quittera la maison pour une vie errante.
Peu de temps après être ainsi parti vivre dans la
solitude, vigilant, concentré, énergique, connaissant par
lui-même, pour en avoir fait l'expérience, les théories et
des faits, ayant atteint ce but pour lequel les fils de bonne famille quittent
la maison pour une vie d'errance, l'ultime détachement, il s'y
installera.
[Si l'on s'en tient à l'interprétation
traditionnelle, l'avènement de Metteyya et du Cakkavatti Samkha sont
à nouveau suivi d'un demi-cycle (de 2 500 ou 80 000 ans ? ) de
décadence.]
Introduction aux Jâtaka
Les Jâtaka racontent les vies
antérieures du Bouddha. La traduction vers le pâli
(Jâtakatthavannanâ) des Jâtaka singhalais
(Jâttakatthakathâ) telle que publiée par la PTS,
est le résultat de multiples avatars et accrétions. Le texte
singhalais traduit par BOUDDHAGHOSA au Ve siècle EC
s'était sans doute lui-même développé autour d'un
noyau primitif en pâli ou dans un dialecte moyen-indien apparenté.
Ce noyau primitif fait de vers (gâthâ) et peut-être
déjà de passages en prose, comprenait déjà,
d'après FAUSBØLL104(*), des éléments adventices,
antérieurs ou contemporains au Bouddha historique, tirés du
folklore et du fonds de proverbes et légendes circulant en Inde avant et
jusqu'au VIe AEC105(*). Le Bouddha lui-même et/ou les premiers
prédicateurs qui lui ont succédé en auraient fait usage
pour illustrer leur prédication106(*).
Les Jâtaka comprennent des
références au Tipitaka. Ils seraient donc
postérieures à la genèse du Canon et déjà le
fruit de la tradition monastique. A défaut de pouvoir les dater,
HAZRA107(*) situe le
Nidâna-Kathâ, introduction générale aux
Jâtaka relatant la « biographie
légendaire » du Bouddha historique, « at a time
before the Mahâyâna literature was developed in
India », se basant sur le fait qu'elle est souvent en
accord avec cette même biographie telle que relatée par les
sources sanscrites, par exemple le Lalita-Vistara. Il en déduit
que le Nidâna-Kathâ se fonde sur la même tradition
que le Lalita et remonte donc aux commentaires qui furent
amenés au Sri Lanka.
La réimpression par la PTS (1962 et 1990) de l
`édition des Jâtaka par Fausbøll (1877-1896) sous
le titre The Jâtaka together with its Commentary, visant
à traduire
« Jâtakatthavannanâ », peut en effet
prêter à malentendu, car si par
« commentaire » on entend les explications grammaticales et
lexicales, la part qu'elles y occupent est minime. Il s'agit plutôt de
sermons sous forme de paraboles.
De ces « commentaires » Childers a
émis l'idée que BOUDDHAGHOSA lui-même pourrait être
l'auteur. Mais M.WINTERNITZ, B.C. LAW et T.W. RHYS DAVIDS la contestent sur la
base que leur style et leur langue diffèrent trop de ceux des autres
ouvrages et commentaires dont nous sommes certains que BOUDDHAGHOSA est
l'auteur108(*).
Bien qu'il ressorte des Jâtaka que la société
indienne a dans les faits couramment eu recours à des punitions
violentes et même cruelles, mutilations et exécution109(*), l' idéal d'une
justice consciencieuse, impartiale, mesurée, y est aussi formulé,
symbolisé d'ailleurs comme en Occident par la balance (tulâ) :
« Car en effet un roi dans la recherche des peines en vient à
être aussi équitable qu'une balance110(*) » Cet idéal
louable pourra être poussé jusqu'à un refus
utopique111(*) de toute
sanction ayant recours à la force, particulièrement
développé dans trois d'entre eux que nous traduisons
ci-après :les Sumangala ( Ja 420, 3:441-2),
Mûgapakkha ( Ja, 538, 15-25) et Bhikkhâparampara
Jâtaka (496,13).
Sumangala Jâtaka
Ce Jâtaka illustre la nécessité pour un roi
de ne pas prendre de décision définitive, ou de condamner un
coupable ou un suspect, sous l'empire de la colère. Une
thématique proche est traitée dans le Somanassa Jâtaka (PTS
: Ja 505, 4 : 451) où il apparaît que si la punition des criminels
est bien dans les compétences royales, le roi doit
réfléchir longuement avant de prononcer des peines
mesurées.
Envahi par la colère.
4. Le Maître raconta cette histoire sur ce que doit
être le comportement d'un roi alors qu'il résidait dans le Parc
Jetavana [à Sravasti]. Invité par le roi, le Maître
évoqua le passé.
Jadis, lorsque Brahmadatta gouvernait le royaume de
Bénarès, le Bodhisatta né de son épouse principale,
l'heure de son père étant venue, gouverna [à son tour] le
royaume et promut d'importante donations. Il avait [à son service] un
gardien pour le parc, nommé Sumangala. Un bouddha solitaire112(*), ayant quitté la
grotte Nandamûla dans la montagne, et au terme de son errance atteint
Bénarès [où il] élut domicile dans le parc, se
rendit au lever du soleil en ville pour y mendier. Le roi, de bonne
disposition, l'ayant vu, l'invita au palais, l'assit sur le trône et
l'ayant servi de mets choisis tant liquides que solides, heureux113(*) de ses remerciements, lui
offrit de résider dans son parc ; l'y ayant fait entrer, après
être allé lui-même prendre son petit déjeuner, il
donna des instructions pour ses repas du soir et du jour, lui appointa
Sumangala, le gardien du jardin, comme serviteur, et sortit en ville. À
partir de là ce bouddha solitaire pendant longtemps résida
régulièrement chez le roi, y prenant ses repas. Et Sumangala le
servait fidèlement. Mais un jour, le bouddha solitaire s'adressa en ces
termes à Sumangala : « Je vais m'en aller quelques jours
résider dans un village proche, veuillez en avertir le roi. »
Cela dit, il s'en fut et Sumangala en avertit le roi. Le bouddha solitaire
après être resté absent quelques jours arriva au parc un
soir après le coucher du soleil. Sumangala ignorant son retour regagna
son propre domicile. Le bouddha solitaire ayant rangé son bol et sa
tunique, après s'être un peu promené, s'assit sur une
pierre plate. Mais ce jour-là des hôtes se
présentèrent chez le gardien du parc. Celui-ci pour leur
préparer un curry, pensant « je vais chasser un cerf
apprivoisé et le tuer », ayant pris son arc et s'étant
rendu dans le parc, cherchant un cerf, il vit le bouddha solitaire et se dit
« cela doit être un cerf. » Joignant la pensée
à l'acte il lâcha la flèche. Le bouddha solitaire en se
découvrant dit « Sumangala ».
Tout tremblant, ce dernier répondit :
-Vénérable, ne sachant pas que vous étiez
rentré, à l'idée que vous étiez un cerf, j'ai
tiré ! Pardonnez-moi !
-Je te pardonne, répondit [le buddha solitaire, mais]
maintenant que vas tu faire ? Viens, prends la flèche et retire-la !
Après cet échange de paroles, [Sumangala] retira
la flèche. Une grande douleur envahit le bouddha solitaire et il entra
dans le parinibbâna. Le gardien [se dit] « Quand le roi
l'apprendra, il ne le supportera pas » et rassemblant femme et
enfants, il s'enfuit. Soudainement dans toute la ville, par l'intervention des
dieux, la nouvelle fut partout connue : « le bouddha solitaire a
atteint le parinbbâna ». Le jour suivant les gens
s'étant rendu au parc et l'ayant vu rapportèrent au roi que le
gardien du parc après avoir tué le bouddha solitaire
s'était enfui. Le roi s'y étant rendu avec une suite importante,
ayant fait rendre hommage à sa dépouille pendant une semaine,
recueillir ses cendres en grande pompe et construire un cetiya114(*) lui rendant homage,
gouverna le royaume suivant la Loi. Sumangala de son côté, une
année s'étant écoulée [pensa] « je vais
m'informer de ce que pense le roi »; s'étant rendu
auprès d'un ministre et l'ayant rencontré, il lui dit:
« informez-vous sur les dispositions du roi à mon égard
». Le ministre fit son éloge à proximité du roi. Mais
le roi resta comme s'il n'avait rien entendu. Le conseiller n'ajouta rien et
rapporta à Sumangala que le roi était encore fâché.
Après être encore venu [seul] la deuxième
année, la troisième, il vint accompagné de sa femme et ses
enfants. Le ministre sachant que le roi s'était radouci, installa
Sumangala à la porte de la ville et informa le roi de son retour. Le roi
l'ayant convoqué et lui ayant fait un accueil amical, lui demanda :
- Sumangala, pourquoi as tu tué ce bouddha
solitaire qui représentait pour moi une source de mérite ?
-Je n'avais pas l'intention de le tuer, Sire, c'est pour cette
raison [suivante] que je l'ai fait... et il lui raconta l'accident.
Alors le roi [lui dit] « N'aie pas peur »
et l'ayant ainsi rassuré, il le désigna à nouveau comme
gardien du parc. Alors le ministre lui demanda
- Sire, pourquoi par deux fois n'avez-vous rien
répondu après avoir entendu l'éloge [que je vous faisais]
de Sumangala, et pourquoi après l'avoir entendu pour la
troisième fois avez-vous eu pitié de lui et l'avez-vous fait
mander ?
-Mon Fils, répondit le roi, il ne convient pas que les
rois fassent quoi que ce soit de manière impulsive sous l'effet de la
colère, c'est pourquoi après être resté silencieux,
la troisième fois [seulement] quand j'ai été certain de
l'équanimité de mon esprit au sujet de Sumangala, je l'ai fait
convoquer. Tel est le devoir d'un roi [ajouta-t-il], déclarant :
27. « Lorsqu'envahi par la colère il se voit
Qu'un roi ne brandisse pas trop vite le bâton
Ou ne prononce trop vite les peines
Risquant l'erreur ou l'excès, à lui-même
nuisible et à autrui
28. Lorsqu'il sera parvenu à retrouver son
sang-froid
Qu'il considère le cas du du coupable
Qu'il lui applique alors une peine équitable
29. Si restant sobre, il ne s'énerve ni sur
lui-même ni sur autrui, celui qui se conduit d'après cette
règle devient le Seigneur qui exécute la justice, invincible,
protégé par sa gloire
30. Ces khattiya qui inconsidérément brandissent
le bâton et [se] prononcent précipitamment sans être
regrettés quittent cette vieà la mort ils prennent le mauvais
chemin
31. Quant à ceux qui se plaisent à promulguer la
bonne Loi, en esprit, en parole et en acte, ils sont sans égal,
constants dans la paix, la bienveillance et l'attention et, en tant que tels,
gagnants dans les deux mondes.
32. Je suis le Roi, Seigneur des hommes et des femmes,Si je me
mets en colère, me dresse pour prévenir la populace, et brandis
le bâton, c'est par pure compassion. »
Ainsi s'exprima-t-il en ces strophes.
? L'utopie : l'Adhammika Sutta, le
Bhikkhâparampara Jâtaka et le Mûgapakkha Jâtaka
Pour les trois textes suivants non seulement l'exercice du
pouvoir est compatible avec un comportement vertueux mais un tel comportement
exerce une influence positive sur la Nature, le cours des astres et la
société entière. Si le roi gouverne d'après les dix
règles (dasa dhamme) convenant à un roi, les astres
suivent leur cours normal, et la société fonctionne au mieux.
C'est ce qui ressort de l'Adhammika Sutta115(*). Par ailleurs un court passage du
Bhikkhâparampara116(*)nous apprend que si les mêmes conditions
sont remplies, les délits disparaissent de la société, les
cours de justice se vident et perdent leur raison d'être.
L'Adhammika Sutta
Sutta du non-respect de la Loi.
70. Quand les rois ne respectent pas la loi, Ô moines,
leurs ministres ne la respectent pas [non plus]. Les ministres ne respectant
pas la loi, les brahmines et les maîtres de maison ne la respectent pas
[non plus]. Les brahmines et les maîtres de maison ne respectant pas la
loi, les gens des villes et villages ne la respectent pas [non plus]. Les gens
des villes et des villages ne respectant pas la loi, la lune et le soleil
gravitent de travers. La lune et le soleil gravitant de travers, les
étoiles et constellations altèrent [aussi] leurs cycles. Les
étoiles et constellations altérant leurs cycles, les rythmes
nycthéméraux sont perturbés. Les rythmes
nycthéméraux étant perturbés, les mois et les
quinzaines se succèdent différemment. Les mois et les quinzaines
se succédant différemment, le cycle des saisons et années
en est altéré. Le cycle des saisons et années étant
altéré, les vents soufflent dans tous les sens. Les vents
soufflant dans tous les sens les divinités en sont
dérangées. Les divinités étant
dérangées, le ciel ne déverse pas les averses comme
d'habitude. Le ciel ne déversant pas les averses habituelles , les
récoltent ne mûrissent pas dans les temps. Les récoltes ne
mûrissant pas dans les temps, Ô Moines, les humains qui les
consomment prennent mauvaise mine, tombent malades et meurent
prématurément. [...]
[La séquence ci-dessus se répète
à l'affirmatif, le seul changement dans le vocabulaire étant que
« visamam » (faux, de travers) est remplacé par
« sammam » ( bien, régulier)
Quand les rois respectent la loi, Ô Moines, leurs
ministres la respectent aussi [...]
[pour se conclure :]
[...] Les récoltes mûrissant dans les temps,
Ô Moines, les humains qui les consomment ont bonne mine; forts et en
bonne santé, ils vivent longtemps.
[Suit une dizaine de vers traitant du même sujet
:]
Quand des troupeaux se pressent, si le mâle dominant va
de travers, les vaches , suivant la conduite erronée du guide, vont
toutes de travers,.
De même parmi les humains, si celui qui est
considéré comme le meilleur se comporte de manière
incorrecte, à plus forte raison les autres humains.
Tout le royaume en subit les inconvénient, si le roi ne
respecte pas la loi.
Quand les troupeaux se pressent, si le mâle dominant
prend le droit chemin, toutes les vaches vont droit, suivant la droite
conduite du guide.
De même parmi les humains, si celui qui est
considéré le meilleur se comporte de manière correcte,
à plus forte raison les autres humains.
Tout le royaume vit dans le bonheur, si le roi respecte la
loi.
Le Bhikkhâparampara Jâtaka
Ce Jâtaka (496) traitant en fait surtout de
questions de préséances entre rois et sages, pour confirmer celle
des seconds sur les premiers, nous n'en traduisons qu'un court passage
pertinent pour notre propos117(*).
Jadis à Bénarès, Brahmadatta ayant
renoncé à toute méconduite, en toute
sérénité gouvernait le royaume d'après les dix
règles de conduite118(*) convenant à un roi. Aussi en cet état
paisible, sa cour de justice était quasiment vide. Le roi après
s'être mis lui-même en mal de rechercher une infraction à
commencer par ses propres quartiers, son palais, les rues de la ville et les
banlieues à la recherche d'une infraction, n'ayant rien trouvé,
se dit: « je vais enquêter dans le pays .» Ayant
confié le royaume à son ministre, accompagné de son
chapelain, parcourant le royaume de Kasi, n'ayant ni vu ni entendu parler d'un
délit, ayant atteint un village, il s'assit aux abords du kiosque public
bâti hors les murs près de la porte [du village].
Le Mûgapakkha Jâtaka
Le Mûgapakkha Jâtaka (Ja, 538,
15-25) relate l'histoire du Prince Temiya qui un mois après sa
naissance, alors qu'il venait d'être amené à son
père, fut témoin de la scène où ce dernier infligea
à quatre voleurs des peines très cruelles. Le Prince se rappela
alors avoir, lui aussi, régné sur ce royaume une vingtaine
d'années au cours d'une de ses vies antérieures et d'avoir
payé de 80 000 ans de purgatoire la cruauté inhérente
à la fonction royale. Décidé à échapper
à une nouvelle période d'expiation, il décide sur les
conseils d'une déesse qui avait été sa mère dans
une autre des ses vies antérieures, de simuler bêtise,
surdité et infirmité ce qui le rendrait inapte à
régner.
En contraste avec l' Aggañña, le
Cakkavatti et l'Adhammika Sutta, ainsi qu'avec les
Jâtaka Sumangala et Bhikkhâparampara,
c'est donc ici un pessimisme radical par rapport à l'exercice du pouvoir
et de la fonction royale qui s'exprime. Peut-être peut on y chercher
l'origine du fait que de nombreux souverains de pays theravada se firent moine
pendant ou à la fin d'une vie marquée par l'intrigue et la
violence comme nous le verrons dans la deuxième partie de ce
mémoire.
Pour comprendre le mécanisme psychologique à la
base de cette démarche il faut se rappeler que dans le theravada
l'opinion est courante suivant laquelle seuls les moines peuvent atteindre au
nibbâna. Quel meilleur moyen que se faire moine existe-t-il par
conséquent de se laver d'un karma négatif, pour qui a beaucoup
à se reprocher ?
Ci-après la traduction de l'épisode du jugement des
voleurs (15?-25).
Mieux vaut paraître stupide et
invalide
Quand il eut atteint l'âge d'un mois, comme
c'était la coutume, on le conduisit auprès du roi qui l'ayant
considéré, puis pris dans ses bras, l'installa sur sa hanche et
s'assit pour jouer [avec lui]. À ce moment on amena quatre voleurs ; il
ordonna que l'un d'entre eux soit frappé de mille coups d'un fouet garni
d'épines, un autre soit envoyé, chargé de chaînes,
dans la prison de la ville, que le corps d'un autre soit lacéré
de coups de javelot et pour le dernier [il ordonna] l'empalement.
Le bodhisattva entendant ces ordres de son père en fut
effrayé et pensa : « Hélas ! le roi, mon père,
me crée par sa faute une destinée infernale. »
Mais le jour suivant, après l'avoir bien
apprêté, on le coucha sur le lit royal sous une ombrelle blanche.
S'étant un peu assoupi il s'éveilla et entrouvrant les yeux,
considérant l'ombrelle blanche il vit toute cette grande pompe. Alors la
peur qu'il avait d'abord ressentie revint en force. Réfléchissant
[il s'interrogea] « d'où et comment suis-je arrivé en
cette maison royale » [et] par l'intuition de celui qui est
doté du pouvoir de se rappeler ses vies antérieures, après
s'être rappelé être venu du monde des dieux, cherchant au
delà il vit une période d'expiation dans un purgatoire, et plus
loin [encore ] il reconnut avoir été roi dans cette même
ville précisément. Il se dit alors : « Après
avoir régné vingt ans j'ai dû ensuite rester quatre-vingt
mille ans dans le purgatoire Ussada, et me voici maintenant à nouveau
revenu dans ce repaire de bandits119(*) où mon père quand lui furent
amenés hier ces quatre voleurs prononça de dures sentences
conduisant à l'enfer [celui qui les prononce]. Si je règne
à nouveau, après être rené en enfer, j'endurerai
encore de grandes souffrances. » Méditant de la sorte, une
grande frayeur l'envahit. et son corps doré prit la couleur de la
poussière [semblable à celle produite] par un lotus fané
écrasé dans la main. Il se coucha en pensant « Et si je
m'enfuyais de ce repère de voleurs ? » Alors une
divinité qui avait été sa mère [dans une vie
antérieure] du parasol où elle résidait, le
réconfortant, lui dit :
« N'aie pas peur mon petit Temiya ! Si tu veux te
libérer, bien que tu sois vaillant120(*), fais semblant d'être infirme, bien que tu
entendes parfaitement, fais semblant d'être sourd, bien que tu sois
intelligent, fais semblant d'être stupide. Te concentrant sur ces trois
points121(*) ne
manifeste aucune intelligence ». Elle entonna alors la
première strophe [suivante]:
« Ne manifeste aucune disposition pour les
études
De tous êtres vivants sois le plus idiot
Et que tous s'en prennent à toi
Ainsi se réalisera ton objectif. »
Ayant trouvé du réconfort en ses paroles, [il
enchaîna]:
« Je mettrai en pratique les paroles que tu m'as
dites, Ô Déesse, dans ta bienveillance, Mère, ma
bienfaitrice, Ô Déesse ».
Après avoir prononcé cette strophe, il
s'appliqua aux trois points.
[La stratégie conseillée par la
déesse au terme de multiples péripéties réussit si
bien que le roi après avoir essayé de le convaincre, puis de
l'obliger à lui succéder, puis de chercher à le tuer, est
finalement obligé de reconnaître l'intelligence supérieure
de son fils et de ses choix existentiels. Lui-même, la famille royale et
les rois ennemis du voisinage se convertissent au Dhamma et adoptent la vie
érémitique.]
Le Mahâvamsa
Contrastant avec l'irénisme des sutras et du Canon en
général, cette chronique (Ve EC) au ton épique
ne manque pas d'épisodes martiaux. On ne peut s'en étonner si
l'on comprend que sa motivation principale fut sans doute la consolidation
sinon la création d'une identité singhalaise, un peu plus d'un
millénaire après l'arrivée sur l'île des premier
Indo-Aryens--même si de son propre aveu, dès la première
génération ils épousèrent des Dravidiennes du Sud
de l'Inde--et un peu moins d'un millénaire après la conversion de
ses princes au bouddhisme, à un moment où une pression nouvelle
commence à se manifester depuis cette même Inde du Sud
agitée de mouvements sivaïtes hostiles au bouddhisme et au
jaïnisme (cf. TAMBIAH,1992, p. 135).
Outre le fait que la majorité des quarante-six rois dont
le Mahâvamsa122(*)
rapporte les exploits n'accèdent au pouvoir qu'au prix du meurtre de
leur prédécesseur, la violence et sa justification dans la
défense, sinon la propagation, du bouddhisme apparaît
remarquablement tôt au Sri Lanka. Ainsi le roi Dutthagamani (IIe
AEC) paraissant tourmenté par la culpabilité d'avoir
massacré un grand nombre de Tamouls au cours de son entreprise de
ré-unification de l'île, se voit répondre par huit
arhats (moines parfaitement illuminés) qu'en fait il n'a
tué qu'un homme et demi : un moine, et un laïc respectant les cinq
préceptes, le statut des autres, en tant que mécréants et
malfaiteurs, n'étant pas supérieur à celui d'animaux, ces
arhats oubliant sans doute que pour le bouddhisme le meurtre d'animaux
est aussi interdit. Non seulement Dutthagamani n'a tué qu'un homme et
demi mais, à sa mort, en récompense des mérites qu'il
s'est acquis par la défense du Dhamma, l'entretien et la
protection du sangha il accédera au Tusita, un des ciels
bouddhistes, où réside le futur Bouddha, Metteyya.
101. Le roi s'étant assis sur la magnifique terrasse du
palais, ornée de lampes parfumées de divers
parfums,rehaussée de nymphes dansant102. alors qu'il reposait sur une
couche moelleuse tendue d'étoffes sans prix,
103. considérant son splendide exploit, se souvenant
qu'il avait coûté d'innombrables vies, malgré sa grandeur,
il n'en ressentit aucune joie.
104. Des arhats du Piyangudipa, ayant eu connaissance de ses
pensées, envoyèrent huit d'entre eux pour réconforter le
roi. 105. Étant arrivés au cours de la deuxième veille de
la nuit, ils parvinrent à la porte du roi et lui ayant fait savoir
qu'ils arrivaient d'en haut [par les airs] ils atterrirent sur la terrasse.
106. Le grand roi les ayant salués, fait asseoir et
honorés de diverses manières, leur demanda la raison de leur
venue.
107. -Nous sommes envoyés par le sangha de Piyangudipa
pour te réconforter, Seigneur des hommes !
108. -Mais, comment pourrait-il y avoir aucun réconfort
pour moi qui ai fait périr une armée innombrable ?
répliqua le roi.
109. -De cet acte ne découle aucun obstacle sur ta
route vers le ciel car tu n'as tué qu'un homme et demi, en quelque
sorte,
110. un qui avait pris refuge123(*) et l'autre qui suivait cinq
préceptes124(*),
le restant, hérétiques et dépravés, pouvant
être considéré comme bétail.
111. Toi, par contre, tu feras briller de plusieurs
manières la doctrine du Bouddha. Chasse donc ce souci de ton esprit,
Seigneur des hommes !
Plusieurs siècles plus tard
(IVe-Ve EC, donc peu de temps avant la rédaction
du Mahâvamsa) le conflit entre l'ordre du Mahâvihâra et celui
de L'Abhayagiri où se manifestaient des tendances mahayaniques comprend
aussi des épisodes violents et au moins un meurtre. Ainsi la favorite du
roi Mahâsena fit exécuter le bhikkhu Sanghamitta responsable de la
désaffection du roi vis-à-vis du Mahâvihâra125(*) :
26. Une épouse favorite du roi, fille de scribe, qui
s'affligeait de la destruction du Mahâvihâra,
27. ayant dans sa colère donné instruction
à un ouvrier de supprimer le théra qui l'avait détruit,
28. fit périr Sanghamitta, auteur de cette
cruauté alors que dans sa méchanceté il venait au
Thûpârâma dans l'intention de le détruire [aussi]. Ils
tuèrent aussi le ministre Sona, agressif, cruel et sans retenue.
29.Ayant fait amener des outils et des matériaux
Meghavannabhaya construisit dans le Mahâvihâra des cellules pour
les moines.
30. Leurs craintes apaisées par ce dernier les moines,
venant de ci et de là, habitèrent [de nouveau] le
Mahâvihâra.
[Le roi Mahâsena étant revenu à de
meilleures dispositions termina sa carrière en faisant creuser seize
réservoirs et un canal s'acquérant ainsi «beaucoup de
culpabilité» (car creuser signifie tuer des insectes vivant sous
terre) mais aussi «beaucoup de mérite» (car ces
réservoirs devaient rendre la terre plus fertile)126(*).
C'est sur cette note optimiste que se conclut
l'épopée.]
L'imaginaire pâli
Les textes que nous venons de présenter, ainsi que
quelques autres127(*)
dessinent les contours principaux de ce que Collins appelle, utilisant un mot
français, the pâli imaginaire ( l'imaginaire
pâli ). Essayons avant de poursuivre d'en résumer et
préciser brièvement les traits. La fonction originelle de
l'état y est définie, dans l'Aggañña
Sutta, comme celle du « maintien de l'ordre » et
de la défense des plus faibles contre les plus forts, soit dans le cadre
d'une république (Éloge des Vajji dans le
Mahâparinibbâna Sutta) soit dans celui de la
monarchie éclairée du Cakkavatti. Notons qu'à ces
devoirs le Cakkavatti ajoute celui de respect et protection des
brahmines, renonçants et, dans la perspective bouddhiste, de leurs
héritiers, les bhikkhu ou moines bouddhistes. Dans des
conditions optimales, par la modération des besoins, des désirs
et de la consommation l'abondance est réalisée (Cakkavatti
Sutta) et la justice assurée (Sumangala Jâtaka).
L'idéologie démocratique telle qu'elle domine en
Occident depuis la dernière guerre, peut nous disposer à
être séduits par la théorie du contrat social qu'esquisse
l'Aggañña Sutta, ou par l'apologie de la
démocratie tribale à laquelle se livre le Bouddha dans le
Mahâparinibbâna Sutta mais avec l'Adhammika
Sutta et le Bhikkhâparampara Jâtaka,
s'ouvrent des perspectives que l'on peut à la suite de Collins,
qualifier d'utopiques : une bonne gouvernance exerce une influence positive sur
le cours régulier des astres et des phénomènes naturels ;
elle élimine aussi toute violence au point que les cours de justice se
vident. L'utopie ira d'ailleurs jusqu'à réduire le
caractère transcendant, inconditionné, du nirvâna en
introduisant le concept de « nirvâna-sur-terre » dans
le sens quasiment augustinien de « société
parfaite ». Dans les textes narratifs il est déjà
considérablement concrétisé (COLLINS, p 292) même
s'il n'y est pas encore assimilé à un lieu, une ville royale
(IDEM, p. 291), ou un État idéal comme il le sera parfois
ultérieurement128(*).
Cependant, parallèlement à cet optimisme se fait
jour un pessimisme radical relativement à toute possibilité
d'exercer le pouvoir sans avoir recours à la violence (le
Mûgapakkha Jâtaka et le personnage du prince
Temiya). Ce pessimisme justifie la sécession et le retrait du monde des
renonçants. Mais cette solution n'est plausible qu'au risque pour le
Dhamma sasana, le bouddhisme institutionnel, de se rendre
lui-même non-pertinent dans le cadre de communautés et
sociétés productrices et reproductives (Collins, p. 565). Il doit
donc intégrer la violence-- tâche pas facile, étant
donnés les postulats de base de sa sotériologie. C'est pourtant
ce que fait tant bien que mal le Mahâvamsa en affirmant la
légitimité de la violence lorsqu'est en jeu la défense du
Dhamma.
Pour COLLINS, si l'imaginaire pâli pré-moderne
fut d'abord l'idéologie d'une élite, que rien ne menaçait
immédiatement, en se répandant spatialement et
sociologiquementvers l'extérieur et vers le bas, dit COLLINSet devenant
une religion pour les masses de la pointe sud de Ceylan au Cambodge, elle
s'exposait aussi à de nouveaux dangers auxquels ne l'avait pas
préparé sa matrice originelle.
Est-ce à ces défis, absents du milieu où
se développa la première idéologie, que répond un
texte comme le Mahâvamsa ? Ou ce dernier a-t-il subi l'influence
d'un mahâyanad'après ses Écritures, moins
opposé à la violence contre les ennemis du Dharmaqui fut
brièvement présent au Sri Lanka précisément peu de
temps avant la composition de l'épopée ainsi que le
suggère SCHMITHAUSEN129(*) ?
La tension entre la non-violence radicale des principes et
leur aboutissement dans le Mahâvamsa peut nous sembler
insurmontable mais, afin de nous garder de toute réaction
ethnocentrique, rappelons-nous que la non-violence également radicale
des Évangiles n'a pas empêché Thomas d'Aquin, un peu plus
d'un millénaire plus tard, de formuler sa théorie de la
« juste guerre », qu'évoquent d'ailleurs les milieux
nationalistes singhalais à l'appui de la répression armée
de l'insurrection tamoule.
Comme chacun sait les utopies peuvent rester actives
même après un échec et celles qu'expriment nos
textes ont influencé et influencent encore les discours de
justification et de légitimation des idéologies de tous les
états de tradition de tradition theravada, qu'il s'agisse de
républiques pluralistes (Sri Lanka), d'états marxistes (Laos,
Cambodge), de dictatures (Myanmar) ou de monarchies (Thaïlande).
Quoi qu'il en soit, si nous savons que dans l'empire d'Asoka
malgré la préférence manifeste de ce dernier pour le
bouddhisme, celui-ci n'y fut jamais religion officielle--les autres
« religions » étaient aussi protégées
par l'état--et qu'il en fut sans doute de même dans les autres
états indiens qui par la suite favorisèrent le bouddhisme, avec
le Mahâvamsa et l'idéologie qui le sous-tend, pour la
première fois dans l'histoire du bouddhisme indien, autour du royaume
singhalais d'Anurâdhapura, un peuple, une nation et un état de
culture indienne s'y identifient étroitement sinon exclusivement. Cette
caractéristique devait par la suite devenir un des traits distinctifs de
l'imaginaire pâli sur toute l'aire où il finirait par s'imposer.
Dès lors c'est le modèle du Cakkavatti bouddhiste,
protecteur du Dhamma et du sangha qui jusqu'à la
colonisation, sera privilégié et assurera la fortune du theravada
en Indochine. Au point qu'on peut se demander si sa survie est possible en
dehors de cette association étroite avec un état, seul capable de
fédérer, éventuellement de manière autoritaire,
l'extrême indépendance des lignées (nikâya)
monastiques.
II. LA RÉALITÉ
Le monde theravada : les grandes lignes de son
histoire
Le theravada en Inde
Sans nous attarder sur la controverse relative aux
débuts respectifs du theravada et du mahayana, rappelons que le schisme
d'avec les mahâsanghika dans lequel certains voient la source la
plus lointaine du mahayana remonte au II e Concile
(Vésali)130(*).
A l'intérieur du hinayana, la
spécificité théravadine s'affirmera au IIIe
Concile (de Pataliputra) sous Asoka lorsque théravadins
et sarvastivadins s'affronteront sur la question du pan-réalisme. Il est
probable que le mahayana émergea aux alentours de l'ère
chrétienne d'une coalescence des mahasanghika et des
hinayanistes sarvastivadin.
Dans le Nord de l'Inde, le bouddhisme entre en
décadence après les Kouchanes (IIIe EC). Cette
décadence se poursuit sous les Gupta (IV e). Mais au Bengale et
au Magadha, sous les Pâla, un mahayana tantrique reste assez
prospère pour continuer son expansion vers l'Indochine et
l'Indonésie, par le Nord-Ouest de la Birmanie et par voie maritime,
comme en témoignent les vestiges khmères pré-angkoriens et
de l' empire de Sri Vijaya à Sumatra.
Dans le Sud, du VIe au XI e, sous les Pallava
et les Chola (HAZRA, 1981, p. 45), des centres theravada
importants--Amaravati et Kâñci-- continuent
d'exister. Il en reste aussi des poches au Kalinga et en Orissa
C'est de là que le theravada se diffusera vers l'Indochine (centre
et sud du Myanmar, et dans une moindre mesure Cambodge et Champa)
principalement par voie maritime. Cependant on peut dire que dès le
VIIe siècle Ceylan, où les textes pâli de
l'école conservatrice ont été mis par écrit au
Ier AEC, est devenu le principal refuge du theravada même s'il
faudra attendre le XIe siècle pour voir son rayonnement
s'affirmer.
Au VIe EC, en Inde, Harsa réunifie le Nord
et protège à nouveau le bouddhisme qui connaît une
brève renaissance dont Xuan Zang (630-644 EC) témoignera au
siècle suivant : lors de son voyage le bouddhisme fleurit de Taxila
à Samatata à l'Est, et du Cachemire au terres Chola dans le Sud.
Par contre le témoignage de Yi Jing, un siècle plus tard,
reflète plutôt un sentiment de déclin.
Dans l'Est de l'Inde les Sena marquent un retour en force du
brahmanisme et le déclin définitif du bouddhisme en Inde. Les
invasions musulmanes lui donneront le coup de grâce; ce qui en reste se
réfugie dans l'Himalaya (Cachemire, Ladakh, Tibet, Népal). Une
dernière étincelle se produit cependant encore lorsqu'au XVe
EC un prince bengali restaure la terrasse entourant l'arbre de la
bodhi à Bodgaya (HAZRA, p. 48). Au Kalinga et en Orissa il
survivra jusqu'au XVIe EC quand les musulmans bengalis envahirent la
région.
Retenons de cette période que, malgré les
préférences républicaines du Bouddha, elle lia
l'institution du sangha à la conception « despotique
éclairée » de l'état et du cakkavatti,
conception d'origine védique, qui devait de là se répandre
dans tout le monde indianisé et à l'Indochine en particulier.
Le theravada à Ceylan
Le theravada fut introduit dans l'île au IIIe
AEC par Mahinda, fils d'Asoka. Il devait d'autant mieux s'y imposer qu'il
n'y rencontra pas ou peu de concurrence, la société singhalaise
étant sans doute moins profondément brahmanisée que le
Nord-Est du sous-continent. Ceylan devait devenir le conservatoire de
l'orthodoxie conservatrice surtout lorsque le Canon y fut mis par écrit
au I er siècle AEC. De cette orhodoxie, après sa quasi
élimination du sous-continent au VIIe EC, l'île devait
devenir le principal refuge. Mais c'est aussi de là qu'après
avoir éliminé vers le VIe une bouture mahayanique
locale (vetulyavâda)qui avait failli s'implanter à
l'Asgiriya vihara, il va à partir du XIe
EC rebondir pour se répandre dans l'Asie du Sud-Est, y supplantant
le mahayana qui y avait jusqu'alors dominé, sauf dans le centre de
l'actuelle Birmanie où le theravada s'était toujours maintenu
depuis le VIe EC. Il peut être intéressant de noter que
le conservatisme theravada et son vinaya n'ont réussi à
se développer et se maintenir que dans des climats tropicaux semblables
à celui de l'Inde, et déjà préalablement
indianisé, fût-ce superficiellement. Cette expansion va
connaître son maximum à partir du XIVe pour finir par
conquérir toute l'Indochine, sauf le Vietnam.
L'Indochine : milieu physique, peuplement,
brahmanisation, bouddhisation
Physiquement la péninsule consiste en une série
de chaînes montagneuses orientées globalement nord-sud,
séparées par cinq grands fleuves ; d'ouest en est : l'Irrawady,
le Sittaung, la Salween, le Ménam (Chaophraya) et le Mékong.
Cette structure, assez semblable à celle de l'Inde131(*), avec ses larges plaines
alluviales et un régime de moussons favorable à la culture humide
du riz132(*),
exerça une influence déterminante sur le peuplement. Elle entrava
aussi les rapports commerciaux entre les différentes nations qui s'y
aménagèrent une niche mais ne suffit pas à prévenir
les tentatives d'invasion, de conquête ou de vassalisation qui
ponctuèrent l'histoire de la région133(*).
Dès avant les débuts de l'ère
chrétienne, la péninsule subit l'influence de la culture indienne
à partir des côtes où les commerçants indiens--dont
certains étaient sans doute bouddhistes134(*)--établirent
très tôt des comptoirs non seulement à l'ouest sur les
côtes du Golfe du Bengale et de la Mer Adamantine mais aussi à
l'est, sur la Mer de Chine. Ces développements aboutissent au IIe
siècle à l'émergence, à l'est de la
péninsule, de deux états hindous qui à travers leurs
avatars devaient durer plus d'un millénaire : le Funan--auquel
on peut faire remonter les états khmère ou kamboja
(VIe), angkorien (IXe-XVe) puis cambodgien
moderne--et le Champa--actuel Vietnam central et du sud--qui devait
résister à la pression vietnamienne jusqu'à son
anéantissement par cette dernière au XVIIe
EC135(*). Elle
pénétra aussi par le Nord-Ouest (Bengal, Assam, Birmanie). De
toutes parts donc, sauf à partir du Vietnam au nord-est, l'influence
indienne s'exerce sur la péninsule.
Alors que, entre le VIe et le XIe, le
bouddhisme déclinait en Inde ou était ré-absorbé
par la structure sociale de l'hindouïsme, mahayana et theravada devaient
connaître une deuxième expansion en Indochine et en Insulinde
(Indonésie). Le Sud de ce qui est maintenant la Birmanie et le
centre-Ouest de la Thaïlande était occupé par les
Môns convertis au theravada dès le VIe
siècle, par des Indiens du Sud. L'Est de la Thaïlande
contemporaine et le Cambodge étaient dominés par des états
où dominait le brahmanisme : le Funan --dont l'influence
s'étendit jusqu'à la péninsule malaisienne, puis
les Khmères. Le centre-Nord de la Birmanie était
déjà occupés par des peuples proto-birmans, dont les
Pyus qui, venant du Tibet oriental, rencontrent les
Môns au VIIe EC dans la vallée de l'Irrawaddy, leur
empruntent le theravada et fondent Sirikhetta/Sri Ksetra (Prome) à
l'embouchure du fleuve avant de disparaître en tant qu'entité
séparée au IXe sous les coups des Thaïs. Dans
l'Est de la Birmanie et le Nord de la Thaïlande différentes
branches du groupe ethno-linguistique thaï, provenant du Nanchao
au Yunnan, avaient en effet entamé leur descente vers le sud en suivant
les vallées mentionnées ci-dessus, empruntant le bouddhisme
theravada et son terreau brahmanique aux Môns, les occupants
précédents.
Si on trouve témoignage de la présence d'un
hinayana de langue sanscrite (non-theravada) au Funan entre le
IIIe et le VIe 136(*) et dans le royaume pyu de Sri Kshetra au
VIII e137(*), ce dernier
siècle voit surtout l'expansion du mahayana vers le Nord-Ouest (Pagan)
de la Birmanie actuelle, à partir du Bengale des Pâla, et par voie
maritime vers le Cambodge138(*) et Java où la dynastie des Sailendra s'en
réclame explicitement.
Comme en Inde, l'économie des collines et plateaux est
sensiblement différente de celle des vallées où les
ressources alimentaires--riz et poisson--abondent, permettant une
économie de subsistance avec un surplus. Dans les collines ce surplus
est maigre ou inexistant. C'est dans les vallées que les premiers
états--souvent une ville et un arrière-pays plus ou moins
étendu--apparurent. Le sangha , dépendant pour sa survie
alimentaire du soutien de sociétés rurales ou urbaines jouissant
d'un minimum d'organisation et produisant un surplus, leur fut très
rapidement associé. En échange il apporte au pouvoir la
légitimité religieuse et morale que la force ne suffit pas
à lui assurer. Même dans les collines, lorsque le bouddhisme y est
présent, c'est souvent dans les étroites vallées qui les
irriguent et où un peu de culture humide est encore possible.
Sur les pentes et les crêtes couvertes de jungles,
l'animisme originel reste dominant, souvent jusqu'à nos jours. Les
ethnies et groupes linguistiques de ces collines, apparentés à
ceux du Sud-Ouest de la Chine, lui aussi encore fortement tribal,
conservèrent avec ces derniers leurs rapports commerciaux anciens. Ils
étaient considérés comme des barbares par la population
indianisée et bouddhisée des vallées139(*).
L'Indochine représente, parmi les pays d'Asie où
le bouddhisme s'est répandu, la seule région où il a
d'emblée joué un rôle dominant dans la formation de
l'état, malgré l'influence que le brahmanisme joua au Cambodge et
au Funan (Sud du Vietnam) jusqu'au XIIe siècle. Au moment
où le theravada singhalais commence à l'emporter, à partir
du XIe EC, seules les régions côtières ont
été touchées par l'influence civilisatrice de l'Inde et
connu une brahmanisation qui devait rester superficielle.
L'intérieur de la péninsule par contre, ce qui
devait devenir la plus grande partie du territoire de la Birmanie, de la
Thaïlande et du Laos contemporains, restait le domaine de tribus vivant
encore à l'ère néolithique. Le ou les modèles
theravada n'en auront que plus de facilité à s'imposer sur cette
tabula rasa.
En Birmanie.
À partir du XIe EC c'est par le Sud et le
centre de la Birmanie, déjà theravada, que l'influence
singhalaise pénétrera la péninsule pour atteindre le Siam,
le Cambodge et le Laos.
D'après les chroniques singhalaises le bouddhisme y
serait déjà parvenu sous Asoka mais cela est douteux car Asoka
lui-même ne mentionne pas la Birmanie sur ses édits rupestres V et
XIII et surtout parce qu'il n'y a pas de témoignage avant le Ve EC, en
Birmanie centrale alors occupée par les Môns. Des inscriptions en
pâli y ont été découvertes à Sirikhetta, la
moderne Hmawza. Ce theravada provenait probablement du Sud de l'Inde de
Kâñci et Negapatam (HAZRA, 1981, p. 64, et G.
COEDÈS, p. 122 et 165). De Birmanie, vers la même époque,
il se répandra au Siam central et inférieur occupé par les
Môns. D'après les chroniques birmanes Bouddhagosha y serait
passé (HAZRA, 1981, p. 65) ce qui est confirmé par Yi Jing. Mais
le theravada y sera supplanté au VIIIe par un hinayana
sanscrit (mûlasarvâstivâdin ?)140(*) tandis qu'en Basse-Birmanie
on ne trouve pas de vestiges du theravada avant le XI e, et c'est un theravada
venant de Ceylan.
Au Siam
La tradition y attribue également à Asoka
l'introduction du bouddhisme mais là non plus aucune preuve n'existe.
Les premiers vestiges bouddhiques dans la vallée du Ménam
(Chaophraya) inférieur soit la Thaïlande basse et centrale,
également occupées par des Môns, remontent au VI e-VIIe
siècles EC. Il s'agit d'inscriptions utilisant certains
caractères des Pallava du Sud de l'Inde, où l'influence du
theravada était encore active. Comme nous l'avons dit à
l'alinéa précédent, cette tradition était transmise
par l'intermédiaire de la Birmanie. Elle devait survivre à la
domination des Khmères brahmanistes et mahayanistes au XIe et
XIIe EC. Sur le cours supérieur du Ménam par contre,
on n'a pas trouvé de vestiges avant le XIe EC ; il s'agit
d'inscriptions en caractères birmans. Le Nord thaï est en effet
à la même latitude que le centre birman mentionné ci-dessus
(HAZRA, 1981, p.72).
Au Cambodge
On trouve des inscriptions en sanscrit hybride
(mûlasarvastivâdin, donc hinayana non-theravada141(*)) et pâli ainsi que des
vestiges dans le royaume de Funan sur le bas-Mékong du IIIe
au VIe EC. Mais la région est ensuite envahie par les
Sailendra mahayanistes de Java. Leurs vassaux cambodgiens pré-angkoriens
ainsi que la dynastie suivante qui va bâtir Angkor Vat (Suryâvarman
II) et Angkor Thom (Jayavarman VII) respectivement au XIe et
XIIe siècle sont également mahayanistes. Une
inscription (791) trouvée à Siam Reap et datant de 791 constitue
« le plus ancien témoignage épigraphique de l'existence
au Cambodge du bouddhisme du Grand Véhicule.142(*) » Elle mentionne
l'érection d'une statue du bodhisattva Lokeshvara. Cependant on
trouve aussi à cette époque des traces d'une présence
théravadine qui va s'affirmer au XIIe après Jayavarman
VII dont un des fils ira se faire ordonner à Ceylan143(*). La première
inscription en pâli n'apparaît cependant qu'en 1309144(*).
Nous pouvons résumer en disant que du Ve au
XIe siècles EC la présence du theravada en Indochine
est plutôt ténue. À l'Ouest elle se limite aux
régions côtières, ou à l'hinterland proche,
de la Birmanie centrale et du Bas Siam. Ce theravada vient en
général du Sud de l'Inde soit directement soit par
l'intermédiaire des Môns de Birmanie. Mais dans l'Est, au Cambodge
et au Champa ainsi que dans la péninsule malaisienne et en
Indonésie, c'est un mahayana mêlé d'hindouïsme qui
domine, accompagné d'une présence marginale du theravada.
XIe siècle : émergence de Ceylan comme
acteur majeur et retour en force du theravada
Ceylan avait déjà entretenu des rapports
commerciaux avec le Sud-Est asiatique, sans doute dès les débuts
de l'ère commune, avant que son influence sur le plan religieux s'y
développe. C'est au XIe -XIIe siècles que
celle-ci prendra l'ampleur qu'elle conserve d'ailleurs encore. Cette nouvelle
influence se manifesta d'abord en Birmanie. D'après les chroniques
singhalaises et birmanes (HAZRA, 1981, p.83), elle remonte aux relations
qu'établirent le souverain singhalais Vijayabâhu (1065-1120) et
Anuruddha (Anawrahta/Anôratha) roi de
Râmañña en Birmanie inférieure. Cet Anuruddha,
pourtant resté fameux dans la tradition pâli, fut loin
d'être un modèle de pacifisme puisque suite à la
prédiction d'un magicien annonçant la naissance d'un enfant
destiné à régner, il ordonna un « massacre des
innocents » dont son deuxième successeur Kyanzittha faillit
être victime145(*). Anuruddha mourut d'un accident de chasse146(*). Quant à
Kyanzittha, fidèle en cela à la tradition birmane des
sacrifices humains, il fit enterrer vivant l'architecte du Temple
d'Ananda à Pagan147(*). On pourra leur chercher comme excuse qu'ils
n'étaient pas bouddhistes depuis longtemps et qu'ils avaient sans doute
adopté cette religion pour des raisons politiques mais les descendants
de son troisième successeurs Alaungsithu, si l'on en croit la
relation peut-être romancée de la Glass Palace Chronicle,
ne semblent pas s'être amendés et accédèrent au
trône par le meurtre de leur père ou leur frère148(*). Ce mode de succession
semble d'ailleurs s'être perpétué puisque c'est encore par
le meurtre qu'au XIXe EC le dernier roi de Birmanie, Thibaw,
élimina ses concurrents.
Dans les relations entre pays theravada, paradoxalement,
Ceylan fut d'abord demandeur. En effet le theravada existait déjà
en Birmanie centrale, nous l'avons vu plus haut (HARZA, 1981, pp.79-85).
Anuruddha dont la base se trouvait d'abord dans le Nord, région de
Pagan, où règnait un mahayana tantrique décadent, trouva
le theravada môn des régions centrales à son
goût et demanda des textes sacrés et des reliques à Manuha
roi, également birman, de Thaton en Basse Birmanie. Celui ci refusa
donnant ainsi l'occasion à Anuruddha de l'envahir, unifier la Birmanie,
et importer de Thaton vers Pagan cette variété de bouddhisme. Il
s'attaqua également au Pyus de Prome.
Anuruddha (1044-1077) inaugure ainsi dans les relations entre
les pays theravada un pattern que l'on pourrait appeler le
syndrome d'Anuruddha : la compétition entre ces pays
pour la possession ou le contrôle des symboles de la foi, pour la
pureté de l'orthodoxie ou plutôt de l'orthopraxie (observance du
Vinaya ou « Loi des moines ») des
différents nikâya constituant leurs
sangha--c'est à qui sera non pas le plus orthodoxe, mais le
plus pur, c'est-à-dire le plus « observant »--et
pour le leadership du monde theravada, pouvant éventuellement prendre
une forme violente.
Cette émulation semble une constante dans le monde
theravada. Au XVIe siècle encore d'après VAN
WUSTHOF149(*) les
bouddhistes laotiens
disent que Dieu [le Bouddha] les a bénis au
delà de ceux du Siam et du Cambodge, en leur donnant des temples d'une
beauté incomparable et tant d'hommes saints (selon leur expression) et
savants. Aussi, ajoutent-ils, les prêtres de Siam et du Cambodge viennent
toujours passer dix ou douze ans dans le pays de Louwen [Laos] pour y faire
leurs études et recevoir leurs grades. Ce n'est pas là sans doute
la véritable raison de cette dernière coutume ; elle tient
plutôt à ce que les prêtres sont regardés comme des
dieux dans le pays de Louwen, qu'ils ont comme nourriture tout ce qu'ils
désirent, et plus de vêtements qu'il ne leur en faut ; enfin que,
malgré l'hypocrisie apparente de leur conduite, ils mènent une
vie licencieuse et violent le célibat qui leur est ordonné. Cela
n'est point permis aux prêtres du Cambodge, qui, en pareil cas, sont
livrés à [la] justice. Aussi les prêtres des deux pays se
détestent-ils cordialement : ceux du Louwen de courir après les
femmes, ce qui n'est pas digne ; et ceux-ci reprochent aux premiers de mendier
leur nourriture auprès des passants, ce qui fait une tache à leur
saint état en le rendant méprisable150(*) .
Revenons aux rapports entre Anuruddha, le Birman, et Ceylan
où le sangha était tombé en déliquescence
pendant la guerre que les rois singhalais et les Chola du Sud de l'Inde se
livrèrent au Xe et XIe siècles. Vijayabahu
voulut pour lui rendre sa vigueur faire venir des moines birmans. Anuruddha
accepta, créant ainsi un courant de relations qui--après une
guerre commerciale entre deux de leurs successeurs, le Singhalais
Parâkramabâhu (1153-1186) et le Birman Alaungsithu--devait
reprendre par la suite de manière quasiment ininterrompue malgré
des incidents, relatifs en général à l'échange de
reliques. Dans ce courant d'échanges, bien que l'offre et la demande
vint régulièrement de part et d'autre, Ceylan garda toujours un
prestige particulier en tant que plus ancien pays theravada, patrie du
« texte » (pâli), à laquelle son
insularité assurait une identité territoriale et politique plus
stable qu'aucun des autres pays theravada que ce soit la Birmanie, le Siam, le
Cambodge ou le Laos. Ceylan offrait aussi un modèle plus parfait de
l'idéal de l'État bouddhiste et du dhammarâja (roi
juste) ou cakkavatti tel qu'Asoka en avait fixé les traits.
L'expansion du theravada sur l'aire où il domine
actuellement s'est donc développée en trois temps.
Premièrement les missions d'Asoka au IIIe AEC atteignent
plusieurs régions de l'Inde et des pays limitrophes, dont Ceylan. Au
Ve EC, alors que le theravada entre en crise en Inde même, un
deuxième vague atteint les côtes de l'Indochine et certaine
parties de l'Indonésie. Le theravada s'installe durablement en pays
môn dans le Sud-Ouest de la péninsule mais il y sera
contrarié par les Khmères brahmano-mahayanistes. Enfin
une troisième vague devait résulter de la résilience du
theravada à Ceylan et en pays môn rencontrant la
« demande » de peuples nouvellement arrivés de Chine
et du Tibet sur le sous-continent indochinois : Birmans, Siamois et
Lao151(*).
Rapports entre Ceylan et l'Indochine après le
XIe siècle EC.
De tous les états de tradition theravada contemporains,
le plus ancien est donc Ceylan. Le bouddhisme theravada s'y implante dès
le IIIe avant EC quelque 300 ans après l'arrivée sur
l'île des premiers Indo-Aryens venus du Nord de l'Inde. Ainsi que
précisé ci-dessus cela ne signifie pas que les autres
états ont nécessairement tous reçu le theravada de Ceylan
car d'autres régions de l'Inde préservèrent cette
tradition jusqu'au.VII e-IXe siècles. La Birmanie, le Nord de
la Thaïlande (Lang Na), et dans une moindre mesure le Cambodge,
l'ont reçue en deux vagues, la première venant du Sud de l'Inde,
le deuxième de Ceylan. Le Siam par contre n'a connu la première
vague qu'indirectement, et tardivement (XIe EC), par
l'intermédiaire des Môns du Nord.
Nous avons suffisamment décrit le début des
rapports entre Ceylan et la Birmanie. Ils devaient se poursuivre au cours des
siècles suivant. Les relations entre ordres monastiques
(nikâya) particulièrement devaient être intenses
surtout après le XVe siècle. Nous aurons l'occasion
d'y revenir plus loin. Intéressons-nous à présent aux
modalités de l'influence singhalaise au Siam.
Ceylan et le Siam
Au XIe siècle l'influence khmère se
répand dans la Thaïlande centrale ainsi qu'on le voit à
Sukhodaya mais non dans le royaume môn de
Haripuñjaya au Nord, déjà theravada152(*). Les Thaïs arrivent du
Nanchao dans le Yunnan en deux vagues ; au XIe EC d'abord et
ensuite, fuyant les Mongols, au XIII e. Ils fondent deux petits états
Muan Bang Yang et Muan Rat, vassaux des Khmères contre lesquels ils
finissent par se révolter fondant le royaume de Sukhodaya
(Sukhothai, où l'on peut encore voir de nos jours les vestiges du
bouddhisme mahayana mêlé de brahmanisme que pratiquaient les
Khmers).
Les premiers acteurs d'un développement du theravada
dans ce qui est maintenant la Thaïlande sont donc les Môns du Nord
(autour de ce que seront plus tard Chiang Mai et Chiang Rai). C'est au
XIIIe EC, à Sukhodaya, que les premiers rapports avec Ceylan
ont lieu, par l'intermédiaire de la Birmanie basse et centrale, à
l'occasion de l'introduction d'un lignage de moines forestiers
(araññavasi) qui devait se propager jusqu'au Laos
à Luang Prabang (HAZRA, 1981, p. 142). À partir du
XIVe EC un sangha singhalais urbain se développe
à Sukhodaya. Après la destruction de cette ville par les Birmans
et la fondation du royaume thaï de Ayutthaya au XIV e, les rapports entre
ce nouveau royaume thaï et Ceylan continuent.
A la même époque dans le Sud profond de
l'actuelle Thaïlande des contacts avaient peut-être lieu avec le
mahayana par l'intermédiaire du royaume malais de Vijayanagara
(1336-1565) dont le centre était Siridhammanagara, l'actuelle
Chaya.
Rapports entre Ceylan, le Cambodge et le Laos
Au XIe EC, au Cambodge, sous Suryavarman le
mahayana et le brahmanisme dominent mais le theravada est présent
(HAZRA, 1981, p.175). Sous son successeur Udayâdityavarman le
sivaïsme domine du Champa à Pagan dans le Nord-Ouest de la
péninsule. Suryavarman II, constructeur de Angkor, est visnouïte.
Au XIIe EC, avec Jayavarman VII, on assiste à un retour du
bouddhisme et particulièrement du bouddhisme theravada puisqu'un des
fils du roi, comme nous l'avons dit ci-dessus (p. 82), sera ordonné
à Ceylan ; à partir de cette époque les rapports entre le
Cambodge et Ceylan s'intensifient, d'abord à travers la Birmanie.
Le XIIIe EC voit la fin de l'influence
khmère au centre du Siam et en Birmanie. Par contre l'influence siamoise
s'exerce au Cambodge, accompagnée d'un renforcement du theravada,
à moins que comme le pense L.P. BRIGGS (Ancient Khmer Empire,
Philadelphia, 1951) cette montée du theravada y soit due à des
moines môns fuyant les Siamois. Comme nous l'avons
déjà dit, la première inscrition en pâli au Cambodge
date de 1309153(*).
Quels qu'en soient les acteurs, le theravada au Cambodge comme partout ailleurs
en Indochine, sauf au Vietnam, finira par évincer complètement
mahayana et brahmanisme. Dès le XVIe EC, Angkor est
complètement « théravadisé », avant le
déclin de la puissance khmère au XVIIIe EC. Au
XIVe EC, accompagnant la fondation du premier royaume laotien, le
theravada se répand au Laos amené par des moines singhalais
venant du Cambodge (HAZRA, 1981, p. 183-185). Bientôt toute l'Indochine,
à l'exception du Vietnam, sera theravada, au moment même où
l'Indonésie s'islamise.
La principale explication de cette victoire du theravada sur
le syncrétisme brahmaniste-bouddhiste est que la brahmanisation de
l'Indochine resta un phénomène superficiel lié aux classes
dirigeantes où l'élément indien était
important--une « importation de luxe » écrit G.
COEDÈS154(*)--qui
ne structure pas vraiment une société restée animiste,
tribale, pratiquant le culte des ancêtres, et fondamentalement
égalitaire sous un couvert brahmaniste155(*). Par contre l'égalitarisme theravada, la
doctrine de la rétribution des actes, et de la transmigration,
déjà présente dans l'animisme, n'eurent pas de mal
à les imprégner profondément. En d'autres termes, comme le
dit Paul MUS156(*) le
système des castes n'y a pas entamé la société, il
n'a « guère joué que dans le `monde royal', avec ses
artisans et serviteurs concentrés dans la `cité' ». Un
peu plus loin (p. 124-125) il ajoute:
La grande révolution du
douzième-treizième siècle, au Cambodge comme au Japon,
c'est en effet un certain recours au peuple, une plus grande part prise par
celui-ci à une religion qui devient nationale, au lieu d'être
comme avant « manière de cour ». [...] Le fait
majeur [...] à Angkor, c'est l'invasion des monuments de la religion
royale par le petit peuple : il est partout au long des bas-reliefs des
galeries historiques, au Bâyon ; le contraste est total avec l'art
hindouïsant initial qui représentait des mythes et des dieux [...]
Maintenant, des portraits succèdent à ces représentations
conventionnelles. Là où on voyait précédemment que
des types, apparaissent des gens.
Par ailleurs Jayavarman VII dans une inscription sanscrite
écrit que « c'est la douleur du peuple et non la sienne propre
qui fait la souffrance d'un roi. » Jayavarman VII organisa aussi un
service d'assistance médicale qui comprenait cent et deux
hôpitaux, « langage qu'évidemment le peuple n'avait nul
besoin de lettres sanscrites pour comprendre » commente P. MUS (p.
125).
A propos de la structure sociale de l'Indochine, citons encore
L. FRÉDÉRIC (op.cit.) pour qui il n'existe pas de
noblesse dans les cours indochinoises de l'époque d'Angkor
(IXe-XIVe) car aucune charge n'y est
héréditaire, sauf celle de souverain; les castes existent bien
théoriquement mais elles sont beaucoup plus poreuses qu'en Inde (p.
99-100) et il existe beaucoup de « mariages mixtes »,
particulièrement entre la famille régnante et certaines
lignées de brahmines (p. 339). La vraie distinction était entre
esclaves et hommes libresdéfinis comme propriétaires de jure
ou de facto de la terre dont ils vivaientainsi qu'entre classes
d'âge, comme dans les sociétés animistes, mais le passage
d'une catégorie à l'autre était possible (p.194)157(*). De même les femmes
jouissaient de l'égalité légale (p. 195). À ce
sujet R.LINGAT158(*)
montre qu'en Asie du Sud-Est le mariage est une association de
propriété plus qu'une union de personnes. Dans cette association
la femme est l'égale de l'homme, ce qui est incompatible avec les
conceptions indiennes ou chinoises (han).
Il montre ainsi qu'en général159(*) l'Asie du Sud-Est n'adopte
des dharmashâstra que la forme procédurale et non la
substance160(*).
Après l'éviction du brahmanisme du Cambodge au
XIVe EC « la cour royale conserva toujours, au Cambodge
comme en Thaïlande, des chapelains brahmanes (appelés Bâkus
au Cambodge) chargés des rites d'Etat ». Ces brahmines
« présidaient au sacre du roi, étaient les gardiens de
l'épée sacrée, symbole du pouvoir royal »
(L.FRÉDÉRIC, p. 340) mais ne fondèrent jamais des
« dynasties de brahmanes » (Ibid., pp. 99-100).
Si, pratiquant l'endogamie, ils constituaient bien, techniquement, une caste,
ils ne jouissaient pas comme en Inde d'une supériorité rituelle
sur le roi dont ils n'étaient que les
« employés ».
Angkor, trop vulnérable devant les entreprises
siamoises, sera abandonné pour Pnom Penh en 1431. Vijaya, capitale
traditionnelle du Champa est prise par les Vietnamiens en 1471 mais il faudra
attendre le XVIIe pour qu'ils atteignent le delta du Mékong
et anéantissent le peu qui reste alors du Champa en tant qu'état.
En 1499 a lieu la dernière ambassade javanaise en Chine. Dès 1520
l'islam triomphe à Java, peu après que les Portugais se soient
emparés de Malacca (1511).
Pour consolider nos repères avant de poursuivre,
concluons que si les premiers agents de l'influence indienne en Indochine
furent peut-être des navigateurs bouddhistes161(*), ce fut le brahmanisme qui
en profita d'abord au Champa, au Funan, et dans le Nord-Ouest birman. Ce n'est
qu'à partir du VIIIe siècle que le mahayana s'y
affirme en même temps qu'en Indonésie avant que le theravada
finisse à partir du XIe à conquérir tout le
terrain, sauf au Vietnam, au même moment où l'islam se
répand en Indonésie.
Conflits entre états bouddhistes theravada
Jusqu'au XIe EC l'histoire de la péninsule
indochinoise est celle de la résistance des peuples môns
contre l'expansionnisme khmère venant de l'Est. À partir du
XIe EC les défis viennent du nord-ouest (poussée des
peuples birmans) et du nord-est (poussée des peuples thaïs). Une
fois les Khmères définitivement éliminés du centre
de la péninsule et refoulés vers le Sud-Est, dès le
XIIIe EC, le champs est libre pour les affrontements internes entre
Birmans et entre Thaïs, puis entre Thaïs et Birmans qui fera
l'essentiel de l'histoire du sous-continent pendant la période moderne
jusqu'à la colonisation de la Birmanie.
Sur fond de ce mouvement long, les nombreux conflits entre
états theravada ont souvent eu des raisons variées, commerciales,
politiques ou territoriales ; un des premiers de ces conflits, fut celui entre
Parâkramabâhu (1153-1186) roi de Ceylan et Alaungsithu roi de
Birmanie qui voulut interdire le passage d'éléphants à
destination du Cambodge (HAZRA, 1981, p. 80). Mais ils eurent aussi des raisons
religieuses, ou en revêtirent le prétexte (HAZRA, 1981, p.
164-165). Une des premières tentatives d'invasion du royaume d'Ayutthaya
au XVIe EC avait pour objectif de s'emparer
d'éléphants blancs dont la possession était un des signes
distinctifs d'un dhammarâja ou souverain bouddhiste (HAZRA,
p.120 et 165). Après qu'Ayutthaya au XVIe eut
été prise par les Birmans, le Sâsanavamsa nous
apprend que Anekasetibhinda (Bayin Naung) envoya le Théra
Saddhammacakkasâmi au Siam en compagnie du prince Anuruddha pour y
« purifier la religion » (HAZRA, 1981, p. 138-139). Le
Cûlavamsa mentionne deux invasions de Ceylan par un
Chandrabhânu, roi javaka de la péninsule malaisienne
(région de la moderne Chaya en Thaïlande du Sud) désireux de
s'emparer d'une statue du Bouddha réputée miraculeuse mais il est
vrai que ce roi était sans doute mahayaniste car c'est en sanscrit qu'il
est nommé dans une inscription trouvée à Chaya.
Conflits entre Laos et Thaïlande
La tension et les conflits récurrents entre ces deux
pays s'expliquent en partie par le fait que Thaïs et Laos sont
ethniquement et linguistiquement très proches, d'où la tentation
permanente pour la Thaïlande d'attirer ou maintenir son petit cousin dans
son orbite. En 1777 Vientiane est prise par Phaja Tak, restaurateur de
l'indépendance siamoise. Il s'empare du Phra Keo,
précieuse statue du Bouddha taillée dans une seule
émeraude, ou en tous cas dans une seule pierre précieuse, et
l'emmène à Bangkok où elle peut être
vénérée depuis lors au Wat Phra Keo. En 1828 les
Siamois envahissent à nouveau le Laos détruisent Vientiane, en
déportent une partie de la population vers le Nord-Est thaï, peu
peuplé, et occupent Champassak. À la veille de la colonisation,
le Nord et l'Est étant occupés par le Vietnam, il ne reste du
Laos que la principauté de Luang Prabang162(*)
Inter-fécondation des lignages orthodoxes par
delà les frontières
HAZRA suggère (1981, p. 121) qu'en
général Ceylan fut l'élément donneur ou
réformateur dominant avant que les rôles s'inversent à
partie du XVIIIe lorsque le Royaume de Kandy passa sous le joug
colonial des Britanniques. Mais ce fut pourtant la Birmanie qui assuma ce
rôle la première.
XI-XIIe
Sous Vijayabâhu I (1065-1120), suite à
une série de conflits avec la dynastie tamoule des Chola, le
sangha singhalais ayant été décimé; on
n'aurait pu trouver le quorum minimum de cinq moines valablement
ordonnés pour le rétablir. Les Singhalais firent appel au Birman
Anuruddha, roi de Pagan au nord, récemment converti au
theravada pour reconstituer un sangha singhalais163(*).
Après cela, jusqu'au XVIe les
échanges s'effectueront plutôt dans le sens inverse, ne
fût-ce sans doute que parce que la situation politique fut globalement
moins agitée sur l'île qu'en Indochine.
XVe
Sous Parâkramabâhu VI (1412-1468), roi de Kotte,
des moines birmans môns du Râmañña (Nord)
vinrent étudier à Kalyânî, près de Colombo, en
compagnie de moines siamois et retournèrent en compagnie de moines
singhalais, après avoir reçu l'ordination dans le sangha
singhalais.
D'après le Jinkâlamâli, le
XVe siècle est la grande période de l'influence
singhalaise sur le Siam, la Birmanie centrale et le Cambodge. Les moines
circulent dans les deux sens soit que des moines indochinois aillent se former
et recevoir l'ordination à Ceylan, soit que des moines singhalais
viennent implanter des lignages en Indochine. Ainsi des moines de Chiang Mai
(Nabbisipura) et du Cambodge vont recevoir l'upasampada à
Ceylan en compagnie de moines môns du
Râmañña et des moines singhalais viennent implanter leurs
lignages à Sukhodaya.
XVIe
On peut par contre qualifier le XVIe EC de
siècle birman (HAZRA, 1981, p.120-121). Suite à la crise du
sangha consécutive au règne du sivaïte
Râjasimha à Ceylan, la Birmanie y envoie des copies du
Tipitaka et des Commentaires. Au Siam, après la prise
d'Ayutthaya par Bayin Naung, ce dernier réforme le sangha
siamois local sur le modèle birman.
XVIIIe
Ceylan est à nouveau demandeur et va se ressourcer en
Thaïlande et en Birmanie (HAZRA, 1981, p. 128 et 167). Le sangha
étant à nouveau presqu'éteint, le roi Kirti de Kandy
envoie des candidats à la vie monastique au Siam pour s'y faire
ordonner, fondant ainsi le Siam nikâya, réservé
à la caste des goyigama ou propriétaires terriens. Pour
redresser cette injustice, par ailleurs complètement contraire à
l'esprit du bouddhisme, des candidats membres d'autres castes vont se faire
ordonner en Birmanie fondant ainsi le deuxième grand ordre singhalais,
l'Amarapura nikâya.
Le theravada et la formation des nations de
l'Indochine
La plus grande partie du territoire de l'Indochine est
occupée par des nations, Birmanie, Thaïlande, Laos qui apparaissent
relativement tard sur la scène de l'histoire, entre le XIe et
le XIIIe EC, comparativement au Cambodge et au Vietnam dont on peut
faire remonter les origines aux alentours des débuts de l'ère
chrétienne. Ces nations « jeunes » sont aussi celles
qui furent d'emblée theravada164(*). Faut-il y voir une des raisons de
l'étroitesse du lien religion-nationalité que l'on y observe ?
Le theravada fut sans doute présent sur la
péninsule dès les débuts du Funan, ancêtre du
Cambodge, et du Champa occupant le territoire de l'actuel Sud-Vietnam165(*). Mais il y resta minoritaire
pendant près de mille ans. Birmans, Siamois et Lao, peuples neufs,
originaires d'une zone encore tribale de la Chine du Sud-Ouest et du Tibet
préférèrent-ils aux cultes relativement
élaborés du syncrétisme brahmano-mahayaniste khmère
qui avait dominé la région jusque là, cette
religion/philosophie minoritaire, relativement simple et
« raisonnable », facilement conciliable avec les croyances,
la morale sociale et l'égalitarisme propres à leur animisme
originel, et qui de plus leur permettaient d'établir des contacts, entre
autres commerciaux, avec Ceylan où cette tradition ancienne était
respectée et connaissait justement une renaissance ? La question reste
ouverte mais une chose est certaine ces nouvelles nations indochinoises
seraient dès lors moulées par l'idéologie politique du
theravada, l'imaginaire pâli, qu'elles finiront par intégrer comme
élément constitutif de leurs identités nationales en
même temps qu'elles convertiront à ce modèle le Cambodge,
foyer le plus ancien du brahmanisme en Indochine.
Moines en politique
Moines-rois et Rois-moines
Trevor LING (1979, p. 51) parle de la facilité avec
laquelle les moines entraient et sortaient de la vie monastique.
En Birmanie le roi Dhammaceti (XVe) fut
moine à Ava dans le Nord avant de devenir roi de Pegu en Basse Birmanie
en épousant la fille de la reine, Shin Sawbu, sa « fille
spirituelle » qu'il avait aidée à s'enfuir d'Ava
où elle avait été mariée contre son gré au
roi local (HAZRA, 1981, p. 108, en note).
Plus près de nous (Trevor LING, Idem, p. 68)
Thibaw, après avoir été moine, fit massacrer tous les
candidats au trône pour devenir le dernier roi de Birmanie. Il fut
forcé d'abdiquer par les Britanniques en 1885. La manière dont il
s'était emparé du pouvoir n'empêcha pas les milieux
nationaliste et certains bouddhistes birmans d'en faire un de leurs martyrs.
En Thaïlande, Mahâsami petit-fils de Pha
Müöng, qui avait aidé le père de
Râma K'amhèng à fonder le royaume de Sukhodaya,
quitta la robe royale pour adopter celle du moine de forêt vivant de
racines et de fruits « comme un moine singhalais » (HAZRA,
Idem, p. 151 et G. COEDÈS, pp. 398-399). Lü T'ai, fils du
roi Lö T'ai de Sukhodaya se fit moine en 1361 après avoir perdu son
indépendance sous les coups du premier roi de Ayutthaya,
Râmâdhipati166(*). Le phénomène y devient
particulièrement remarquable au XVIII e siècle.
Après la chute de Ayutthaya devant les Birmans, des centres
locaux de pouvoir émergèrent un peu partout dans le pays. Ainsi
à Sawangbury, dans le Nord de la plaine centrale, près de
Sukhodaya, un moine bouddhiste nommé Ruan prit le pouvoir et nomma
certains de ses collègues généraux et officiers. Il
considérait comme son devoir de veiller à la qualité du
sangha tant du point de vue moral que de l'entraînement physique.
Cependant, vers 1777 il commença à manifester des signes
d'excentricité. Finalement son général Phraya Chakri
s'empara du pouvoir et en 1782 déplaça la capitale vers l'autre
rive du Ménam, à Bangkok, fondant ainsi la dynastie actuelle des
Chakri (Trevor LING, Idem, p. 51) dont deux des souverains au
moins, Mongkut et Chulalongkorn, furent assez longuement moines avant de monter
sur le trône, et dont plusieurs princes exercèrent la fonction de
Patriarche suprême de Thaïlande.
Thaïlande : le Sangha et les communistes
En octobre 1973 des étudiants thaïs
initièrent un mouvement de protestation qui devait, après
plusieurs dizaines de victimes, décider le roi et le chef
d'état-major, le général Kris Sivara, à pousser
vers la sortie le Premier Ministre Maréchal des logis Thanom
Kittikachorn, l'encourageant à quitter le pays. La junte fut
remplacée par un gouvernement civil provisoire chargé de
rédiger une constitution qui fut proclamée en 1974. Des
élections eurent lieu en 1975 et portèrent au pouvoir une
coalition de centre droit. L'extrême droite n'acceptant pas sa
défaite trouva un allié de poids dans le moine farouchement
anticommuniste Kittivuddho167(*). Ce moine déclara en juin 1976 que «tuer
des communistes n'était pas déméritoire
[n'entraînait pas de mauvais karma] au contraire...car ce qui
était visé était une idéologie et non des
gens.» S'inspirant sans doute du mythe singhalais de Dutthagamani dans le
Mahâvamsa, il ajouta que « ces ennemis de la nation et
de la religion n'étaient d'ailleurs pas vraiment des gens mais des
bêtes sauvages » et illustra ces propos de la parabole suivante
: « lorsque l'on grille un poisson en faire une bouillabaise à
offrir aux moines, le mérite acquis par ce dernier acte surpasse le
démérite qu'entraîne le premier.» Cette pirouette
casuistique évoque le dernier vers du Mahâvamsa,
cité ailleurs, où il est dit du roi Mahasena que par la
construction de réservoirs et d'un canal, entraînant la
destruction de petits animaux, il s'était attiré beaucoup de
démérite, mais aussi beaucoup de mérite car il avait ainsi
contribué à fertiliser la terre. Bien que le Patriarche de
Thaïlande eût peu de temps auparavant rappelé que le
bouddhisme interdit tout meurtre quelle qu'en soit la raison, le Conseil des
Ancients (sorte de sénat monastique) refusa néanmoins de se
saisir du cas de Kittivuddho ainsi que le lui demandait le National Student
Center et le Yuvan Song (moines de gauche).
À la nouvelle du retour possible du Maréchal
Thanom Kittikachorn, réfugié à Singapour, où il
avait été entretemps admis comme novice, afin de recevoir au Wat
Bovornives à Bangkok, la grande ordination (upasampada) qui
ferait de lui un moine à part entière, des troubles
éclatèrent mais ne suffirent pas à empêcher les
projets du maréchal qui rentra finalement et fut ordonné le 19
septembre. Les troubles reprirent qui firent des centaines de victimes et
aboutirent au coup d'état d'octobre 1976 rendant le pouvoir à
l'armée avec un programme en partie inspiré du Nawaphon,
le mouvement de Kittivuddho. Aucun membre de ce mouvement ne figurait cependant
dans le gouvernement car, fait remarquer Charles KEYES (op.cit, p.
160), il semble que le bouddhisme militant mette les Thai, même les plus
nationalistes, un peu mal à l'aise. Sans doute le passage de
l'idée de la violence comme un moindre mal--mais un mal quand
même--à celle de son caractère obligatoire et
méritoire n'était-il pas accepté. KEYES cite Heinz
BECHERT168(*) pour qui
«The Buddhist public [accepts] political activity of the Sangha as
legitimate only in periods of crisis when the survival of Buddhism itself [is]
considered to be at stake.»
Le Sangha et les minorités : Sri Lanka et
Birmanie
On se rappelle que dans le Mahâvamsa,
(Ve EC) le roi Dutthagamani, tourmenté par la
culpabililité d'avoir massacré un grand nombre de Tamouls se voit
répondre par huit arhats, moines « parfaitement
illuminés », qu'en fait il n'a tué qu'un homme et demi
: un moine, et un laïc respectant les cinq préceptes, le statut des
autres, en tant que mécréants et malfaiteurs, n'étant pas
supérieur à celui d'animaux.
Ainsi que l'a prétendu Walpola Rahula169(*), les moines au Sri Lanka ont
toujours été des acteurs politiques. Ces acteurs ont parfois
été violents ou ont incité à la violence. Au
XVIIIe, le mahanayake et le sangharaja du chapitre
Malwatte de l'ordre de haute caste Siyam Nikaya
conspirèrent contre le deuxième roi de la lignée indienne
et hindoue des Nayakkar, Kirti Sri Rajasinghe, l'accusant d'être un
hérétique tamoul pour s'être enduit le front de cendres,
symbole d'allégeance à Siva (TAMBIAH, 1992, p. 162 et 164). Le
complot fut déjoué et le roi se montra indulgent. Des moines
participèrent aux mouvements de protestation contre les Hollandais en
1760 ; de tels mouvements devaient également avoir lieu en 1816 à
Kandy, contre les Britanniques, un an seulement après la signature de
l'accord entre ces derniers et les notables locaux, et se répéter
jusqu'en 1848 (TAMBIAH, 1992, p. 100).
Au XIXe EC dans les campagnes se développa
le mythe et le culte de Diyasêna, bouddhiste singhalais qui tuerait tous
les chrétiens et autres mleccha (barbares, non-bouddhistes)
pour restaurer la gloire du bouddhisme170(*).
Nous ne pouvons pas dans le cadre de ce mémoire
retracer toute l'histoire du Sri Lanka. Mais afin de comprendre les
éruptions de violence qui font sa triste spécificité parmi
les autres pays theravada, depuis une quarantaine d'années, un certains
nombres de points de repères, dates et faits doivent être
fournis.
Rappelons d'abord qu'à l'encontre du Laos, du Cambodge
et du Myanmar où la colonisation, avec ce que cela implique de
déculturation, n'a duré qu' un ou deux siècles au maximum,
la période coloniale au Sri Lanka s'ouvre en 1505 pour se terminer en
1948, couvrant ainsi quatre siècles et demi. A la fin de cette
période qui vit se succéder les Portugais, les Hollandais et
finalement les Britanniques, les bouddhistes singhalais constituaient encore
une grosse majorité (entre 70 et 80%) de la population mais une
majorité au statut menacé et développant un «
complexe de minorité »171(*)qui a fait comparer leurs réactions à
celles des bhumiputra indonésiens et malaisiens. Dans leur cas,
il sera cependant plus exact de parler de buddhaputra172(*).
Leur base économique repose alors, comme avant la
colonisation, sur la propriété terrienne, grande, moyenne ou
petite cependant que l'utilisation de la langue singhalaise est menacée
par l'extension de celle de l'anglais, que l'Université, l'enseignement,
la politique et l'Administration est contrôlées par les
chrétiens, singhalais ou tamouls, ainsi que par une frange de
bouddhistes occidentalisés et anglophones, que les hautes castes
tamoules monopolisent les professions libérales, et que 7% de musulmans
contrôlent une large partie du commerce et des échanges
internationaux.
Dhammapala, ce fervent anagarika, respectant huit
préceptes, portant la tunique blanche des upasaka, et fondateur
de cette interprétation puritaine du bouddhisme que l'on qualifia de
« bouddhisme protestant » contribua sans doute à
l'animosité de la nouvelle bourgeoisie singhalaise à l'encontre
de la concurrence musulmane, à l'origine des émeutes de 1915.
Suite à ces émeutes il devait envoyer de Calcutta au
Secrétaire d'État pour les Colonies une lettre demandant
l'établissement d'une commission royale pour enquêter sur les
causes de ces émeutes dont il attribuait la responsabilité aux
musulmans :
The Muhammadans, an alien people who in the early part of
the nineteenth century were common traders, by Shylockian methods became
prosperous like the Jews. The Sinhalese, sons of the soil, whose ancestors for
2, 358 years had shed rivers of blood to keep the country from alien
invaders,...today...are in the eyes of the British only vagabonds... The alien
South Indian Muhammadan comes to Ceylan, sees the neglected, illiterate
villagers, without any experience in trade, without any knowledge of any kind
of technical industry, and isolated from the whole of Asia on account of his
language, religion and race, and the result is that the Muhammadan thrives and
the sons of the soil go to the wall.173(*)
Mais certains moines avant même l'indépendance
furent aussi actifs sur des thèmes « de gauche ».
Boose Dhammarakhita et Udanadawela Siri Saranankara furent actifs dans la
politique syndicale et les grèves des années 20, sous la
direction de A.E.Goonesinha. Saranankara devait même devenir
vice-président du Parti Communiste et recevoir le Prix Lénine
(TAMBIAH, 1992, p.100).
Après l'indépendance, en 1948, les
premières questions cruciales auxquelles seront confrontés les
bouddhistes singhalais, et leurs porte-voix traditionnels, les
bhikkhus, seront la «question linguistique»174(*) et celle de la
singhalisation (nationalisation) des écoles libres chrétiennes
(catholiques et protestantes) jusqu'alors subventionnées par
l'État.
De 1950 à 1956 l'action des milieux
monastiques, dont le Vénérable Walpola Rahula, auteur de
L'Enseignement du Bouddha, bien connu du public francophone, se
concentrera sur la revendication de la légitimité pour les moines
de faire de la politique, droit que l'interprétation traditionnelle du
Vinaya leur déniait. Ce droit étant dès 1956
considéré comme acquis, tant par les milieux monastiques que
laïcs, de 1956 à 1960 les moines prennent massivement parti pour le
SLFP (Sri Lanka Freedom Party) de S.W.R.D.Bandaranaïke, leader
d'une coalition de gauche, le MEP(Mahajana Eksath Peramuna: People's United
Front) dont le programme comprend la nationalisation des écoles
confessionnelles subventionnées, en majorité chrétiennes
et la singhalisation de l'administration et de l'enseignement.
La vie politique a donc depuis l'indépendance pris une
tournure de plus en plus « communautariste »
c'est-à-dire fondée sur les appartenances ethnique et religieuse
et cela malgré l'importance des partis marxistes, souvent alliés
aux partis singhalais d'inspiration bouddhiste. Cette dernière constante
en elle-même, à savoir l'alliance récurrente de partis
bouddhistes, voire de partis dirigés par des moines, avec des partis
reconnaissant explicitement la légitimité de la violence dans la
lutte pour arracher le contrôle de l'état aux ennemis de classe
présente un paradoxe difficile à éluder175(*)même si l'on tient
compte du fait que cette alliance est plutôt soutenue par les deux ordres
monastiques, Amarapura et Ramanya, qui recrutent aussi dans
les castes moyennes et inférieures. L'ordre Siam Nikaya,
où ne sont acceptés que des membres de la haute caste des
Goyigama (propriétaires terriens) ainsi d'ailleurs que
l'Église catholique, également richement dotée en biens
immobiliers, soutiennent en général l'UNP, parti que nous
appellerions libéral de centre droit.
Au cours de la campagne électorale de 1956, opposant ce
dernier parti au MEP (Mahajana Eksath Peramuna : People's United
Front) coalition de gauche comprenant le parti marxiste VLSSP, le
Basha Peramuna (Language Front) et des indépendants de
gauche, S.W.R.D. Bandaranaïke, leader du SLFP (Sri Lanka Freedom
Party) force principale de cette coalition avait promis qu'en cas de
victoire, il appliquerait les recommandations176(*) exprimées en 1954 par le Buddhist
Committee of Inquiry (Commission d'enquête bouddhiste). Ces
recommandations visaient à restaurer pour le bouddhisme des conditions
équitables de compétition avec les réseaux d'écoles
chrétiennes hérités de la période coloniale et
fournissant leurs élites à l'état et au secteur
privé. Elles préconisaient entre autres l'instauration d'un
système d'enseignement officiel. Pour cela Bandaranaïke fut
identifié dans certaines couches populaires à Diyasêna, le
pourfendeur de mleccha mentionné plus haut. Mais après
la victoire du MEP, en 1958, devant l'opposition des Églises
chrétiennes et les difficultés d'application rapide de la
recommandation, il déclara devant le All-Ceylon United Bhikkhu
Congress (Congrès général des moines ceylanais) :
While I try to safeguard the rights of Buddhism I cannot
aim a death-blow at others. It is not only the Catholics but also some
Buddhists who are opposed. If schools like Ananda College177(*) or St. Joseph College were
taken over [...] vast sums would have to be paid in compensation for their
lands and buildings.178(*)
S.W.R.D Bandaranaïke fut assassiné par un moine le
25 septembre 1959 sur les ordres d'un autre moine, politicien, Buddharakkhita
dont le Eksath Bhikkhu Peramuna (United Monks Front) avait grandement
contribué à la victoire de Bandaranaïke en 1956.
Ce crime choqua l'opinion publique et suscita l'opposition
d'une partie d'entre elle à l'engagement de moines en politique. Mais
cette opposition ne put arrêter la politisation du milieu monastique
même si l'on y vit les éléments conservateurs en son sein
se manifester d'avantage. Dès lors en effet, dans une troisième
phase, de 1960 à 1980, les moines se partagèrent entre les deux
grands partis le SLFP (gauche) et l'UNP (United National Party) de
centre droit et libéral. Ce qui n'empêcha pas le passage des lois
linguistiques et relatives à l'enseignement. Mais de droite ou de gauche
les moines sont presque tous d'accord sur un point : leur mission de sauvegarde
du Sri Lanka comme conservatoire de l'orthodoxie theravada (TAMBIAH, 1992, p.
103).
La désapprobation du public ne devait pas non plus
mettre un terme à la perpétration par des moines d'actes
violents, parfois même contre des moines de différentes
convictions politiques. Avant 1959 déjà on avait relevé
leur participation occasionnelle à des incidents violents. En 1956 un
groupe de bhikkhu protesta contre un clause permettant aux individus
qui avaient effectué leur scolarité en tamoul ou anglais de
passer dans ces langues les examens ouvrant à la carrière
administrative et ce jusqu'en 1967. Des troubles éclatèrent
à Colombo puis se répandirent à l'Est, à Batticoloa
et dans la vallée de la Gal Oya de population mixte, Singhalais
et Tamouls. Ces troubles firent une centaine de blessés à
Colombo, et dans l'Est entre 20 et 200 morts, suivant les sources. Ainsi en
mars 1958 une flotte de bus flambant neufs fut envoyée dans le Nord,
munis de plaques en caractères singhalais. Les
Fédéralistes tamouls les repeignirent pour y substituer des
caractères tamouls. En réponse, dans le Sud, des bandes de
Singhalais forcèrent les commerçants tamouls à repeindre
leurs enseignes en caractères singhalais. A Colombo les choses
empirèrent rapidement et deux foules de
« peintres-lettreurs », dont l'une conduite par des moines,
parcoururent systématiquement la ville oblitérant tout ce qu'ils
pouvaient trouver comme caractères tamouls (TAMBIAH, 1992, p. 49). En
avril-mai de la même année dans la région de Polonaruwa, en
territoire mixte et pas très loin de la « frontière
linguistique » avec le Nord-Est, des travailleurs agricoles
singhalais qui avaient été déplacés du Sud-Ouest
dans le cadre de la politique de revalorisation et re-singhalisation de cette
zone aride s'affrontèrent avec des travailleurs tamouls également
déplacés par le gouvernement. Il y eut des douzaines de victimes
et parmi les éléments incitateurs furent arrêtés des
criminels connus qui pour s'acquitter de leur sinistre tâche,
s'étaient tondu le crâne et avait revêtu la tunique jaune du
Bouddha (TAMBIAH, 1992, p. 54). A Kutunegala, également dans le Sud, des
moines organisèrent une manifestation pour protester contre
l'arrestation d'un Singhalais qui avait lapidé des devantures tamoules
(TAMBIAH, Ibidem, p.55). A Jaffna et Batticaloa, dans le Nord, les
Tamouls répondirent en espèce, incendiant et tuant. Il y eut onze
victimes (Ibidem, p. 56). Précisons cependant que les moines ne
jouèrent dans certains de ces incidents qu'un rôle d'incitateurs ;
la majorité des participants actifs furent, dans la zone aride, les
colons paysans ou travailleurs saisonniers singhalais et ailleurs des
propriétaires du bus, qui venaient d'être nationalisés, des
petits commerçants et des notables qui se sentaient menacés par
un projet de coopératives polyvalentes subventionnées par
l'état (Ibidem, p. 56). Dans la partie tamoule de l'île
les fauteurs de troubles se recrutèrent parmi diverses catégories
de fraudeurs (propriétaires de bateaux), dont l'intérêt
était de se solidariser avec la cause tamoule, et de jeunes
diplômés sans perspectives(Ibidem, p. 57).
Le meurtre de S.W.R.D Bandaranaïke qui constitua le point
d'orgue de cette période troublée, devait ouvrir une
troisième période, de calme relatif (1960-77) et
de désinvestissement temporaire des milieux monastiques. Leurs
principales revendications avaient été satisfaites et leurs
allégeances politiques connut une première diversification, se
partageant entre le SLFP et l'UNP. Ce calme fut cependant perturbé en
1971, par des troubles de caractère social et antigouvernemental,
orchestrés par le JVP (Janatha Vimukhti Peramuna).
Reprise des troubles en 1981179(*)
Si les revendications singhalaises avaient été
satisfaites, dans la nouvelle configuration issue de la
« révolution » de 1956-60, de la reconnaissance du
bouddhisme non comme religion d'étatce à quoi s'opposèrent
toujours les composantes laïques des différentes coalitionsmais
comme « religion de la majorité », en 1972, les
Tamouls étaient nettement perdants. Cependant la population tamoule
elle-même avait rarement initié des pogromes anti-singhalais. Le
chômage des jeunes diplômés, les quotas d'admission dans les
universités, qui favorisaient les buddhaputra singhalais,
l'installation de colons singhalais dans la zone aride du Nord-centre,
confinant au territoire à majorité tamoule, et la
déclaration du TUFL (Tamil United Liberation Front) en faveur
d'un état tamoul séparé conduisirent une partie de la
jeunesse tamoule à l'insurrection armée dans le Nord. Ses
premières victimes furent souvent, comme elles le sont encore parfois,
des politiciens et policiers tamouls considérés comme
collaborateurs. L'armée, quasiment monopole singhalais, fut
envoyée pour réprimer l'insurrection dans le Nord et occuper le
terrain. R.Jayawardene (de l'UNP revenu au pouvoir en 1977) fit passer le
Prevention of Terrorism Act, visant essentiellement le TULF et le JVP
singhalais. Dès lors l'enchaînement de réactions qui devait
mener à la reprise de la guerre était en marche. La
Bibliothèque de Jaffna fut incendiée en 1981 et les
élections de district perturbées, de fréquentes
escarmouches entre l'armée et les insurgés, et des actions
punitives de civils singhalais à l'encontre de civils tamouls
s'ensuivirent. Les événements les plus graves, dont les
conséquence devaient provoquer l'intervention de l'armée indienne
dans le Nord, furent déclenchés par la mort de treize jeunes
soldats singhalais pris dans une ambuscade du LTTE (Liberation Tigers of
Tamil Eelam). Les pogromes anti-tamouls qui suivirent à Colombo,
dans le Sud et dans le centre, firent entre 350 (sources gouvernementales) et
2 000 victimes (sources tamoules). Les milieux monastiques n'y furent
impliqués que marginalement (TAMBIAH, 1992, p. 75). En effet les enjeux
n'étaient plus strictement religieux et culturels mais politiques et
territoriaux. Mais, à peu d'exceptions près, les moines que ce
soit en privé ou en public soutinrent l'effort de guerre de
l'armée dans le Nord et ne protestèrent pas contre les agressions
de civils tamouls.
A partir de là de plus en plus fréquemment, des
militants tamouls s'en prirent à des temples ou monastères
bouddhistes, à des moines et à des civils. En 1986, tous les
moines passagers d'un bus revenant d'un pèlerinage dans le centre furent
massacrés à Arantawala. En 1987 des civils singhalais en
pèlerinage furent attaqués dans le voisinage de l'Arbre
Bo de Anuradhapura, centre de la zone de repeuplement de l'ancien
royaume du même nom, célébré dans le
Mahâvamsa.
L'activisme des moines fut donc réactivé se
nourrissant à présent de nouveaux thèmes :
l'opposition à toute négociation avec le LTTE et
les fédéralistes tamouls en général, l'opposition
à toute autonomie administrative pour les provinces du Nord et de l'Est,
et enfin l'opposition à la présence de l'armée indienne
dans ces provinces où elles avaient été appelées en
1987.
Sur ces thèmes c'est avec le JVP--au programme
égalitariste, populiste, nationaliste, et bouddhiste--que dès
1971180(*)les moines
militants s'opposèrent non plus tant aux Tamouls qu'au gouvernement
(TAMBIAH, Ibidem, p. 95 et sq). Cette solidarité s'explique en
partie par les origines rurales communes des adhérents du JVP et des
jeunes moines des Amarapura et Ramañña nikayas.
Deux autres thèmes les mobilisent : la lutte contre le
consumérisme et contre la zone de libre-échange promue par
l'UNP.
Leurs cibles sont dès lors surtout singhalaises, et
liées à l'UNP. Dans le sangha lui-même des fissures
apparaissent. Certains moines plus âgés, par exemple le
Mahanayake (supérieur général) du chapitre
Asgiriya du Siyam Nikaya, cherchèrent à
assouplir leur position sur l'intervention indienne dans le Nord et à se
désolidariser de leurs jeunes collègues JVP (TAMBIAH,
Ibidem, p. 97-98). Cela fut considérés par certains de
ces jeunes moines comme une trahison et entraîna leur complicité
et même leur collaboration dans des actes de violence et des meurtres
dont furent victimes des moines « modérés ».
La répression contre le JVP n'épargna pas ces jeunes moines dont
certains furent traités sans cérémonie, chassés,
dégradés, arrêtés, torturés et parfois
tués. Le JVP répondit par l'escalade en envoyant des menaces de
mort aux membres de l'establishment monastique dont plusieurs durent
fuir l'île.
A la fin des année 80 et au début des
années 90, le vent tourna contre le JVP (TAMBIAH, Ibidem, p.
99) et le gouvernement Premadasa en élimina physiquement le Politburo.
Quant aux moines membres du JVP beaucoup ont été
exécutés, d'autres ont défroqué, certains sont
devenus informateurs, d'autres se sont enfuis dans les jungles en compagnie de
leurs camarades laïcs où ils n'ont sans doute pas pu survivre
longtemps.
Au cours des années 90 la guerre s'intensifie; ces
années sont entre autres marquées par le retrait de
l'armée indienne enlisée dans le Nord, l'assassinat de Rajiv
Gandhi et du Président Premadasa par le LTTE, l'accession au pouvoir de
Chandrika Kumaratunga (SLFP) en 1994 et l'ouverture de pourparlers qui
échouent en 1995. Les attentats du LTTE reprennent et les troupes
gouvernementales prennent Jaffna. L'état d'urgence est
déclaré dans tout le pays. En 1998, le LTTE attaque le Temple de
la Dent, sanctuaire bouddhiste le plus sacré du pays. En 2000 le LTTE
contrôle Elephant Pass, un col stratégique entre le Nord
et le Centre. En 2001 un attentat frappe l'aéroport international de
Negombo. La Norvège s'entremet et un accord de cessez-le-feu est conclu
en 2002. Les négociations commencent en décembre et le principe
d'une autonomie des provinces du Nord et de l'Est est accepté. En 2003
le LTTE craignant d'être marginalisé par d'autres groupements
politiques tamouls, se retire des négociations et reprend sa campagne
terroriste. Cependant le LTTE perd de plus en plus ses soutiens
internationaux181(*). En
août 2005, le Ministre des Affaires étrangères, Lakshman
Kardigamar, un Tamil, est assassiné par les Tigres. Malgré une
déclaration de 2006 suivant laquelle ils s'estiment encore
engagés par le cessez-le-feu, les attentats du LTTE se multiplient.
L'Union Européenne le classe sur la liste des organisations terroristes.
Retour des moines en politique
Dès la fin du règne de Chandrika Kumaratunga,
jugée trop conciliante vis-à-vis du LTTE et des
intermédiaires norvégiens, émerge une nouvelle formation
politique animée par des moines : le JHU (Jathika Hela Urumaya)
dont le programme défend le patrimoine national et religieux du Sri
Lanka. Concrètement, à l'opposition à toute autonomie des
provinces du Nord-Est qui faisait déjà partie du programme du
JVP, il ajoute deux thèmes accentuant son caractère droitier: 1.
il milite pour que soit votée une loi interdisant les
« conversions immorales » (unethical conversions),
en général du bouddhisme au christianisme, prétextant que
ces conversions sont achetées 2. il s'oppose à ce que les fonds
versés par la communauté internationale suite au tsunami de
décembre 2004 parviennent aux victimes tamoules par
l'intermédiaire du LTTE.
En prévision des élections de 2005 Mahinda
Rajapakse, candidat du SLFP, afin de s'assurer les bonnes grâces du JHU,
s'engage à adopter une position plus ferme vis-à-vis du LTTE. Les
deux parties signent un accord en douze points où figurent le rejet du
fédéralisme comme base d'un accord de paix avec le LTTE, ainsi
que la dénonciation des accords de cessez-le-feu et de gestion conjointe
des fonds versés suite au tsunami (d'après World Socialist
Website, 21 septembre 2005, signé Wije Dias).
Mahinda Rajapakse, ancien Premier de Chandrika Kumaratunga,
élu président en novembre 2005, reprend l'offensive dans le Nord
et s'empare de Vakarai et de l'embouchure de la Mahawali, soit la plus grande
partie des installations portuaires de Trincomalee. Parmi les Tamouls pris
entre les deux feux beaucoup choisissent de fuir vers les territoires
contrôlés par l'armée singhalaise. À l'heure qu'il
est, en mai 2007, l'armée du Sri Lanka contrôle la plus grande
partie de l'Est et poursuit sa pression sur le Nord. Cependant la
Grande-Bretagne et les USA menacent de couper leur aide au gouvernement du Sri
Lanka accusé de bombarder sans discrimination installations et zones
d'habitation civiles, de n'avoir aucune politique pour l'après-victoire,
et en général de sacrifier la diplomatie à une
stratégie uniquement militaire.
Birmanie
A propos de la Birmanie TAMBIAH écrit (1992, p. 100)
The participation of monks in rebellion and millenial
movements in precolonial times against the British raj, and subsequently in
postindependance times, is not new. Burma has perhaps the most impressive
evidence of this. Examples are the Saya San rebellion in the 1930s and
the most recent uprisings in 1988 (continuing to this day) by the students and
young monks of Rangoon and Mandalay against an oppressive military
regime.
La Birmanie partage avec Ceylan d'avoir été
colonisée, bien que plus brièvement. Faut-il y chercher --par
contraste avec la Thaïlande--l'explication du caractère
révolutionnaire, combinant nationalisme, marxisme et religion, de
l'activisme des moines dans ces deux pays alors qu'en Thaïlande cet
activisme s'avère souvent conservateur et anti-communiste. Notons aussi
en passant qu'au Laos les communistes se sont emparés du pouvoir sans
que les moines y contribuent et qu'au Cambodge les Khmères rouges se
distinguèrent par leur anticléricalisme féroce.
Par rapport aux minorités c'est surtout la
présence d'une minorité musulmane relativement importante qui
provoqua des troubles avant même la fin de la période coloniale.
En 1938, les musulmans furent accusés de « voler »
des femmes birmanes (bouddhistes). Le 26 juillet, une réunion sur ce
thème fut organisée par des « moines
politiques » à la pagode du Shwe Dagon, suivie d'une
manifestation qui se dirigea vers le quartier indien où elle se
transforma en émeute visant les musulmans indiens. En quelques jours
toute la région de Rangoon était en proie à une
hystérie anti-musulmane et anti-indienne. Il fallut quelque temps avant
que l'ordre soit rétabli182(*).
En 1948, les dirigeants birmans avaient choisi de tenter de
faire de leur pays nouvellement indépendant non pas un royaume
bouddhiste mais une république laïque moderne. Cependant en 1950
cette option fut contestée par le très pieux Premier Ministre U
Nu qui déclara son ambition de faire de la Birmanie un pays
constitutionnellement bouddhiste183(*). Mais U Nu ne fut pas toujours cohérent. Sans
doute fut il victime d'une logique suivant laquelle une proposition peut
être à la fois vraie et fausse, dépendant du point de vue
auquel on se place, ou du moment où elle est formulée, logique
qui en politique fonctionne moins qu'en d'autres domaines. En effet en
dépit de cette intention déclarée (Trevor LING, 1979, p.
129) U Nu refusa en 1954 d'exclure l'enseignement de l'islam et du
christianisme des écoles de l'État ainsi que le lui demandait une
faction de moines intégristes, se fondant sur le fait que
chrétiens et musulmans payaient aussi des taxes. Ce refus provoqua un
tollé à l'échelle nationale et c'est sur la prière
des leaders musulmans, craignant que se répètent les
émeutes et pogromes de 1938 que U Nu céda aux pressions de ces
moines intégristes. Cette attitude tolérante au sujet de
l'enseignement des religions minoritaires lui valut l'opposition des moines
mais ne l'empêcha pas de faire du bouddhisme la religion de l'État
en 1961. Le caractère erratique et indécis de sa politique ainsi
que sa gestion de l'insurrection des minorités ethniques,
particulièrement Karènes et Chan, sont à l'origine du coup
de 1962 qui devaient porter les généraux bouddho-marxistes du
général Ne Win au pouvoir.
De nos jours encore, sous une dictature militaire qui ne se
réclame plus du marxisme, certains milieux monastiques continuent de
s'inquiéter de la croissance démographique des musulmans et de
leur hypergamie. En 1975, suite à la laïcisation des écoles
de l'État, le Vénérable U Panditâbhivamsa, né
en 1921 et sans doute témoin sinon acteur des événements
de 1938, inaugura des « camps culturels » consacrés
à la formation au bouddhisme et à la culture birmane mais aussi
à la mise en garde des jeunes contre la « stratégie
musulmane d'expansion par le mariage ». Ces camps d'été
se poursuivent sous le gouvernement militaire, d'abord avec son soutien actif
puis, après que le Vénérable y eût laissé la
parole à Aung Sang Su Kii, simplement tolérés. Ces camps,
d'après le Vénérable Vivekananda, moine d'origine
allemande, touchent chaque année entre 120 000 et 200 000
jeunes. Nous avions nous-même remarqué la tension entre jeunes
moines et musulmans en 1998 ; Vivekananda nous confirme qu'il y a encore eu des
affrontements au cours des cinq dernières années soit depuis
2002.
Après la deuxième guerre mondiale
Après le retrait des Japonais et l'échec des
tentatives de recolonisation, dans plusieurs des pays d'Asie du Sud et du
Sud-Est on se demanda qui pourrait gouverner. Devant l'influence montante des
USA au Japon et en Thaïlande, et l'extension du communisme, certains
milieux nationalistes bouddhistes, enflammés par l'approche du
2 500e anniversaire du parinibbâna, où
d'après la tradition le Dhamma sasana atteint le point
le plus bas de son déclin avant d'entamer une remontée qui
amènera 2 500 ans plus tard l'avènement de
Metteyya184(*), y virent
l'occasion d'une renaissance bouddhiste. U Nu, premier Premier ministre du
nouvel état birman après l'indépendance, ainsi que sans
doute U Thant qui fut son secrétaire avant d'être
désigné comme Secrétaire générale des
Nations Unies (1961-1971) comptent sans doute parmi les plus fameux promoteurs
de cette idéologie.
[T]he approach of the 2500th anniversary [of
the Buddha's parinirvâna] was accompanied by a sense of expectancy,
almost of a messianistic kind, in the countries of South-East Asia. It was
believed popularly that `a great renovation of Religion and a great expansion
of its Law shall come 2.500 years after the Parinirvâna of the Buddha',
and that `there shall, when Buddhism will have completed 2.500 years, be
established a Buddhist State in Ceylon (Trevor LING, 1979, p.
105).
L'année 1956 fut une année intense ; la
célébration du Buddha Jayanti et du 2 500e
anniversaire de la mort du Bouddha, coïncidant avec le
débarquement au Sri Lanka du premier Singhalais, le Prince Vijaya,
s'accompagna de la ré-affirmation des Singhalais comme
élément majoritaire dans la structure étatique unitaire
héritée de la colonisation britannique--que l'on peut comparer
à la ré-affirmation de l'élément hindou dans le
cadre de l'Inde unitaire héritée du Raj--de la victoire
de Bandaranaïke et de son programme de restauration du singhalais comme
langue de l'administration, de nationalisation des écoles
chrétiennes subventionnées, de restauration des monuments
bouddhistes anciens de Kandy, Anuraddha et Polonaruwa, le tout baignant dans
une idéologie millénariste social-bouddhiste (TAMBIAH, 1992,
p.118) baptisant les projets de société que l'on peut extraire du
Canon bouddhiste de welfare state (état providence) avant la
lettre.
Un souffle semblable inspirait différents projets en
Birmanie au même moment (TAMBIAH, 1992, p. 64) alors que le VIe
concile theravada s'y terminait. Une croyance régnait dans ce pays
suivant laquelle le 2 500e anniversaire du
parinibbâna marquait l'année la plus auspicieuse depuis
l'apparition du Dhamma. Beaucoup de Birmans croyaient que le Bouddha
avait chargé Sakya/ Sakka le roi des dieux d'assumer alors le pouvoir
sur les affaires du monde pour récompenser les vertueux et punir les
méchants.
Rappelons les moments importants de l'histoire birmane
après 1956. Le 29 août 1961, sous l'impulsion de U Nu le
bouddhisme est déclaré religion officielle. Devant les troubles
provoqués par cette innovation mais aussi par la manière peu
cohérente dont elle est appliquée, en 1962, le
général Ne Win prend le pouvoir au nom d'une idéologie
bouddho-marxiste qui rallie en fait les opposants à tout progrès
du projet de fédéralisme entre les nombreuses ethnies qui se
partagent le territoires, les Birmans n'y représentant que l'ethnie
dominante185(*).
Dès 1972, l'économie se privatise subrepticement186(*).En 1981 Ne Win
démissionne de la présidence mais garde ses fonctions dans le
parti (BSPP : Burmese Socialist Programme Party). En 1988 Ne Win
manifeste des velléités d'ouverture politique en vue d'un plus
grand pluralisme. Il est obligé de démissionner de toutes ses
fonctions. En 1989187(*)
la référence au socialisme est officiellement abandonnée
et le BSPP devient le NUP (National Unity Party), le pouvoir restant
aux mains d'une junte (SLORC : State Law and Order Restoration
Council) dirigée par le général Than Shwe. La
référence au bouddhisme est également quasiment abolie, ce
qui entraîne la désaffection du sangha même si ce
dernier se signale souvent par un nationalisme bouddho-birman dont les cibles
sont les minorités tant ethniques que religieuses. Des moines sont
également visés par la répression188(*). Le régime projette
désormais l'image d'un « régime hybride proche des
idées du national-socialisme »189(*).
L'Indochine après la décolonisation et
la guerre américaine
À la veille de la colonisation le Laos et le Cambodge
étaient en voie de disparition sous la double pression s'exerçant
à partir du Siam et du Vietnam. Ils doivent peut-être à la
France d'exister encore.
Le contexte international après les guerres d'Indochine
ne permettait plus le retour d'un expansionisme aussi brutal de la part du
Vietnam et de la Thaïlande. Mais ces deux pays demeuraient les acteurs
principaux sur la péninsule et la pression resurgit, donnant lieu
à l'inféodation des partis communistes lao et cambodgiens au
parti vietnamien, à l'invasion du Cambodge des Khmères rouges par
le Vietnam en 1979 et, du côté thaï, à
différents incidents.
En Thaïlande, dès 1940, suite
à la capitulation de la France devant le Reich, le Premier ministre
thaï Phibun Songkhram réaffirme au gouvernement de Vichy la
suzeraineté de la Thaïlande sur le Cambodge et le Laos190(*). Cette prétention
devait mener à un bref conflit entre la Thaïlande et la France
(bataille de Sisophon) au terme duquel le Cambodge perdit un quart de son
territoire, essentiellement la province de Battambang, et 12 % de sa population
(Traité de Tokyo, 9 mai 1941) qui lui seront rendus en 1946. La
querelle fut ranimée en 1988 par l'affaire de Preah Vihear, temple
khmère angkorien du IXe EC, édifié sur la
frontière nord du Cambodge, que se disputaient les deux pays.
En général « contestations et conflits
sont récurrents relativement à la frontière terrestre et
fluviale entre le Laos et la Thaïlande [...] en 1987, des
combats éclatèrent dans la partie méridionale de Luang
Prabang » à propos d'un tracé de frontière tel
que défini par le Traité du 25 mars 1907 entre la France
et le Siam191(*).
Mais ce sont les troubles dans les trois provinces du
Sud192(*), à
majorité musulmane, qui depuis 1990 occupent en Thaïlande le devant
de la scène. Ils ont fait depuis 2004 quelque 2 100 victimes et la
violence augmente depuis le coup d'état de 2006 dont une des
justifications était pourtant d'y mettre un terme. Retraçons les
origines et différentes phases du conflit.
Les sultanats malais de Kedah, Kelantan, Pattani, Perlis et
Terengganu jouissaient depuis le XVIe siècle d'une
quasi-souveraineté lorsqu'en 1909 les Britanniques qui occupaient la
Malaisie exigèrent leur retour, à l'exception de Pattani que la
Thaïlande annexa et subdivisa en trois provinces : Pattani, Yala et
Narathiwat. Les Malais des trois provinces de l'ancien Pattani ayant peu en
commun avec ceux de la Malaisie moderne, ils s'intègrent d'abord
relativement bien à l'Etat siamois qui mena dès lors une
politique assimilatrice. Dans les années trente des mouvements
séparatistes émergent et sont réprimés.
Après la IIe Guerre mondiale, le fils du dernier râja
de Pattani, Tengu Mahmud Mahyuddin--qui avait pris le parti
des Britanniques alors que le régime thaï de Phibunsongkram
s'était d'abord rangé du côté des
Japonais--échoue à faire reconnaître ses droits. Une
politique de « thaïsation » est alors mise en oeuvre.
En 1952, Hajj Sulong Takmina qui prône une autonomie culturelle est
tué par la police. Les années quatre-vingt inaugurent cependant
une politique de libéralisation qui permet le développement du
Barisan Revolusi Nasional (BRN : Front de Révolution
Nationale). La dernière décennie du XXe siècle
voit un renouveau de l'agitation sous l'influence de mouvements islamistes du
Moyen-Orient. Le BRN éclate en factions dont l'émulation alimente
l'insurrection. Actuellement le PULO (Pattani United Liberation
Organisation) tente de coordonner l'action de ces factions dont certaines
ont des liens avec des organisations étrangères telles que le
Moro Islamic Liberation Front, le Free Aceh Movement
indonésien, le Jemaah Islamiya et Al Quaeda. Le PULO
vise la création d'un Etat islamiste indépendant de langue
malaisienne, le Pattani Darul Makrik, et non l'intégration
à la Malaisie.
Suite à l'augmentation en 2004 du nombre des attentats
visant l'armée, la police, les fonctionnaires mais aussi la population
civile tant bouddhiste que musulmane, le précédent Premier
ministre, Thaksin Shinawatra, les considérant comme de simples
phénomènes de banditisme organisé à grande
échelle, déclare l'état d'urgence en 2005. La
répression, brutale autant qu'inefficace ne fait qu'alimenter la
violence. Le coup d'état de septembre 2006--le premier depuis 15
ans--mené avec l'accord du roi par un officier musulman, le
général Sonthi Boonyaratkalin, avec comme programme entre autres
l'aménagement dans les trois provinces d'un droit personnel pour les
musulmans (prescriptions de la sharia en matière de mariage et
d'héritage) n'arrive pas à réduire les attentats qui se
poursuivent au moment où nous écrivons ces lignes.
En Birmanie après la
non-reconnaissance par le SLORC du résultat des élections de 1990
gagnées par Aung San Suu Kyi, suivie de la déroute de
l'opposition193(*),
champs libre est laissé à la junte pour la poursuite d'une
politique de répression des minorités et d'affairisme. Le
commerce frontalier entre Chine et Birmanie étant passé de 7
millions de dollars US en 1984 à 192 millions en 1990, la junte est
soutenue en ce sens par les autorités chinoises désireuses de
« conforter l'influence croissante de leurs commerçants sur
tout le plateau chan et jusqu'à la ville de Mandalay et
poursuivre leurs objectifs stratégiques qui pourraient faire de Rangoon
un débouché portuaire sur l'Océan
indien »194(*). L'heure est désormais aux gigantesques
investissements chinois dans le Triangle d'Or.
De cette complicité les premières victimes sont
les minorités : 60 000 réfugiés
karène, karenni et môns en territoire
thaï, 40 000 réfugiés musulmans au Bangladesh195(*)vers 1993. Les musulmans,
communauté prospère et active dans le commerce semblent faire
l'objet d'une méfiance particulière de la part des
autorités. Un juriste birman, chef de la magistrature sous U Nu et Ne
Win, interviewé par Richard Sola196(*) bien qu'admettant que U Nu
« mélangeait trop la religion à la
politique », déclare que « pour lui, la doctrine du
Bouddha était totalement pure et ne nécessitait aucune
actualisation » et ajoute :
Malgré sa faiblesse numérique, en Birmanie,
la communauté musulmane n'en possède pas moins une importance
majeure dans les circuits économiques. D'autre part cette philosophie
(musulmane) s'oppose absolument aux croyances bouddhistes dans un pays
où plus de 80% de la population est de religion bouddhiste. Et nous
voulons mettre un terme aux sacrifices rituels de vaches, nous voudrions aussi
arrêter la propagation de l'idéologie musulmane.
Etat des lieux et perspectives
Nous avons vu qu'au XIXe, au début de la
colonisation française, Siam et Vietnam avaient quasiment achevé
de se partager le Cambodge et le Laos. Si le processus n'avait
été gelé par la colonisation, le Siam serait parvenu
à fédérer ou assimiler la plus grande partie des
populations de tradition theravada sur la péninsule, la Birmanie mise
à part. À l'issue des guerres coloniales, grâce à la
France, le Cambodge et le Laos sont entièrement passés dans la
zone d'influence politique du Vietnam. Cela est encore vrai du Laos et dans une
moindre mesure du Cambodge, depuis que ce pays a adopté une constitution
pluraliste en 1991.
Dans le contexte actuel, il reste un certains nombre de
facteurs qui pourraient mener à un ré-aménager cette
configuration :
· L'hostilité atavique des
Cambodgiens, peuple à l'identité ancienne et forte,
vis-à-vis des Vietnamiens nouveaux venus, de culture
très différente, dominateurs, et qui restent présents sur
le territoire par leurs immigrés dont le nombre atteignit dans les
années soixante, puis dans les années quatre-vingt jusqu'à
10% de la population, suscitant des fantasmes de « cinquième
colonne » ou donnant lieu à des suspicions de colonisation
rampante. Cette minorité a été victime de pogromes sous
Lon Nol, puis sous Pol Pot, et reste encore un « thème majeur
de la politique intérieure cambodgienne »197(*). Elle est souvent victimes
d'attentats « notamment pendant les périodes
électorales » et « a souvent été prise
pour cible par l'opposition à Hun Sen198(*) [...] le Prince Ranariddh n'a pas hésité
à exploiter le sentiment anti-vietnamien de la population, et Sam
Rainsy, le nouveau leader de l'opposition [...] a fait de cette question son
cheval de bataille lors des élections législatives de 1998. Au
cours des manifestations qu'il a organisées au lendemain de ces
élections pour en contester les résultats, plusieurs meurtres de
Vietnamiens ont été ainsi commis »199(*).
· Les affinités linguistiques et
culturelles entre les Laos et les Thaïs. À la fin de la
première guerre d'Indochine, les régions dans l'Ouest et le Sud
du Laos restaient liées au camp occidental, et donc à la
Thaïlande. Dès le début des années 90, après
la chute de l'Union soviétique et la fin des « rapports
spéciaux avec le Vietnam » la Thaïlande devint,
malgré les méfiances d'ordre politique, le premier partenaire
économique du Laos. En 1997, cette dépendance économique
s'est confirmée : 45% des importations et 42 % des investissements
étrangers au Laos proviennent de Thaïlande et 37 % de ses
exportations sont destinés ou transitent par la Thaïlande. Sur le
plan culturel, et idéologique, la télévision thaï,
comprise de la majorité des Laos, y est omniprésente.
D'après Martin Stuart-Fox200(*) « le maintien de l'identité lao est
presqu'un accident de l'histoire et ce pays a vocation à regagner le
giron thaïlandais auquel il appartient sur le plan
culturel. »
· Sur le plan religieux, alors qu'au Vietnam le
bouddhisme, comme les autres religions, reste étroitement
surveillé par le pouvoir, au Laos et au Cambodge, qui
avaient pourtant tenté d'appliquer à cet égard une
politique inspirée de celle des camarades vietnamiens, on a
assisté dès le milieu des années quatre-vingt à une
renaissance du sangha theravada. Au Laos, il a
« retrouvé une position de religion quasi-officielle et les
communautés de bonzes, toute leur place dans la vie sociale.201(*) »
· Depuis leur accession à l'ASEAN202(*) entre 1997 et 1999, le Laos, le
Cambodge et la Birmanie ont dans ce cadre resserré leurs liens. Ils y
forment avec la Thaïlande, membre fondateur, un « bloc
des pays de tradition theravada » dont seul le Sri
Lanka203(*) est absent. Dès
la fin des années quatre-vingt la Thaïlande avait d'ailleurs
« changé d'attitude [...] en abandonnant sa position
d'hostilité irréductible à l'égard du Vietnam
[pour] transformer la péninsule de zone de conflit en une zone
d'échanges et de co-développement et remplacer le champs de
bataille par le marché.204(*) » Cependant la Thaïlande reste le seul pays
avec lequel le Laos garde des différends frontaliers. En
conséquence « les incidents se succèdent » et
en 1998 encore « une vedette de contrôle thaïlandaise a
ouvert le feu sur un bateau de pêche lao au milieu du Mékong
où les droits de pêche n'ont pas fait l'objet d'accord
clairs »205(*).
L'identité singhalaise
Au cours de l'histoire du Sri Lanka206(*) les Indiens du Sud et les
Tamouls ont sans doute toujours été présents. Les
Singhalais originaires de l'Inde du Nord--d'où ils arrivèrent
sans doute par voie maritime--et parlant une langue indo-aryenne,
intégrèrent très tôt des Dravidiens, Tamouls et
Indiens du Sud, puisque Vijaya, le légendaire homme-lion, et ses hommes,
les premiers Aryens à s'installer sur l'île,
épousèrent des femme sud-indiennes (cf Mahâvamsa
et TAMBIAH, 1992, p. 129-133). Au IIIe AEC Mahinda, fils d'Asoka y
introduit le bouddhisme theravada et y convertit la famille royale207(*). Par la suite plusieurs
vagues de migration venant du sous-continent se succédèrent mais
en général s'intégrèrent aux Singhalais et furent
bouddhisés. Ce qui fut d'autant plus facile que le bouddhisme fait une
place aux dieux hindous, bien que subordonnée. La première guerre
entre les Singhalais et des Tamouls du Nord, ayant conservé leur
identité, guerre dont le Mahâvamsa rend compte, est celle
qui oppose Dutthagamini au roi tamoul Elara--homme juste mais
« hérétique » dit la chronique. Cette guerre,
victorieuse et aboutissant à la reprise de Anurâdhapura,
est présentée comme la réponse non pas à une vague
de migration mais à une invasion militaire. À partir du
VIe-VIIe siècle EC, suite aux progrès d'un
sivaïsme hostile au bouddhisme dans le Sud de l'Inde, une première
affirmation de l'identité singhalaise fondée sur la
spécificité confessionnelle des Singhalais s'exprime dans le
Mahâvamsa. Cette identité construite en opposition aux
Tamouls n'arrêtera dès lors plus de se consolider. Au XIIe
EC la deuxième entreprise guerrière qui sera menée
au nom de la défense de l'identité singhalaise et du
dhammasasana208(*) sera celle de Parakramabâhu, héro
de la période de Polonaruwa, en réponse à une nouvelle
intrusion des Tamouls, la dynastie des Chola (qui occupe l'île au Xe
et XIe siècle). Les siècles suivant verront,
quasiment jusqu'à l'arrivée des Portugais, des tentatives
d'incursions de princes du Tamil Nadu et du Kalinga et « leurs
bandes » écrit TAMBIAH (1992, p. 140) qui finirent par
précipiter la chute du royaume de Polonaruwa dans le Centre-Nord.
L'abandon, et le dessèchement, de cette zone de nos jours encore divise
l'île entre un domaine singhalais dans le centre et le Sud et un domaine
tamoul dans le Nord.
La dialectique Singhalais/Tamouls, bouddhistes/hindous
s'illustre encore en plein XIXe siècle par le fait que c'est
l'élite kandyenne qui appelle les Britanniques à la rescousse
pour la débarrasser d'une dynastie tamoule, les Nayakkar, qu'elle
soupçonne de n'être bouddhiste que nominalement.
Dans une démarche anthropologique et
phénoménologique, GOMBRICH209(*) suggère qu'au niveau du bouddhisme populaire,
en réponse à un nationalisme tamoul croissant à la fin de
la période coloniale, le nationalisme singhalais lui emprunta certaines
de ses caractéristiques violentes en intégrant dans sa propre
mythologie la divinité guerrière hindoue Skanda/Kataragama, fils
de Siva, tout en le bouddhisant par subordination au Bouddha. Ce processus
serait né de la non-intégration des Tamouls des hauts plateaux,
récemment importés (XIXe-XXe EC) par les
Britanniques dans la région de Kandy (Centre-Sud) pour travailler dans
les plantations de thé, alors que les castes tamoules
karâva et salâgama qui les y avaient
précédés s'étaient intégrées,
singhalisées et bouddhisées.
L'imaginaire pâli : ses incarnations
historiques
Les modèles républicain, monarchique contractuel et
absolutiste éclairé que l'on peut trouver dans les textes ont
tous été invoqués par les régimes qui se sont
succédés dans les états theravada et ils le sont encore
:
En Thaïlande c'est évidemment le
modèle du cakkavatti protecteur de son peuple et du
sangha , incarné depuis le XIIIe EC par des
personnages tels que Râma K'amhèngdont l'inscription de Sukhotai
(1292) décrit le programme de gouvernement, digne de celui de Jayavarman
VII (1181-1218 ) à Angkoret Lü T'ai, également roi de
Sukhotai210(*), qui sert
encore de référence aux monarques de l'actuelle dynastie Chakri
au pouvoir depuis le XVIIIe EC. Mais le modèle contractuel a
aussi été illustré au XXe siècle par le
célèbre abbé de Wat Suan Mokh, Bouddhadasa et son
« socialisme bouddhiste ». Bouddhadasa allait d'ailleurs
dans son réformisme jusqu'à proposer une interprétation
résolument scientiste de la réincarnation et exprimer des
réticences vis-à-vis du culte des images.
En Birmanie, le roi Alaungpaya, fondateur de
la dynastie des Konbaung s'était identifié à la fois au
Cakkavatti et au futur Bouddha Metteyya avant de faire le
siège de Ayutthaya (COLLINS, p. 398) afin d'y réformer la foi.
Les Thaïs, ne manquant ni d'humour ni d'à propos,
répondirent que s'il était vraiment Metteyya il aurait
dû se trouver au paradis Tusita et non devant les murs
d'Ayutthaya. D'après E.SARKSYANZ211(*), dans le folklore relatif à Setkya-Min
Bouddha-Yaza (Seigneur des armes et Bouddha souverain) au XVIIIe
siècle, contemporain des débuts de la colonisation,
l'avènement du prochain cakkavatti s'accompagnera de la
conversion du monde entier au bouddhisme. Toutes les révoltes paysannes
des XIXe et XXe en Birmanie ont été
inspirées par ce mythe (IDEM, p. 90).
Au XIXe pour la secte birmane
(karène) des Telakhons quand Metteyya viendra, toutes les
religions fusionneront.
Plus près de nous (IDEM, p. 92-93) non seulement c'est
le modèle « républicain » tel que
recommandé dans le Mahâparinibbâna Sutta qui fut
utilisé par le régime socialo-bouddhiste du général
Ne Win, succédant à U Nu, mais les marxistes birmans ont
exposé en général le marxisme en utilisant des concepts
bouddhistes ; ainsi la fin de l'histoire ou « grand soir »
est traduit par lokanirvâna, « nirvâna
du monde » ou « nirvâna en ce
monde » défini comme « l'indépendance plus le
socialisme ». Cependant la junte qui a pris le pouvoir en 1989 a
aboli toute référence tant au marxisme qu'au bouddhisme.
En Inde, on retrouve le même
thème dans le néo-bouddhisme d'Ambedkar212(*) le « sentier
à huit branches » y étant interprété non
comme moyen d'accès au nibbâna mais comme moyen de
supprimer l'injustice et l'inhumanité.
Au Laos si la roi Fa-Ngum (XIVe
EC) fondateur du premier état laotien y incarna l'idéal du
Cakkavatti213(*), de nos jours comme, en dehors de l'aire
theravada, au Vietnam, c'est le modèle républicain qui est
exploité à des fin de légitimation par leurs
régimes communistes respectifs.
Au Cambodge c'est sur le modèle du
cakkavatti que repose la légitimité de la monarchie
toujours incontournable bien que le pouvoir de fait soit toujours dans les
mains du Parti communiste cambodgien lequel exploite évidemment le
paradigme contractuel.
C'est au Sri Lanka que le modèle
républicain et démocratique a sans doute été le
plus développé et articulé au niveau théorique tout
en donnant lieu soit à un engagement concret des milieux monastiques
avec les différents partis politiques, de gauche, centre gauche et
centre droit, tous plus ou moins nationalistes, soit à
l'émergence de partis dont l'appareil est constitué de moines, en
général ultra-nationalistes (cf S.J.TAMBIAH, 1992, p. 106-117)
cherchant en général à reconstituer le lien organique
entre état et sangha.
Ce paradigme a été explicitement
évoqué/ invoqué comme un précurseur de
l'état providence par : des « moines politiques »
(political monks) tels que Pannasiha et Gnanasiha. Dans leurs esprits,
les règnes des souverains singhalais du passé, Dutthagamani
et Parakramabâhu qui maintinrent l'unité de
l'île, réalisèrent l'idéal du cakkavatti,
modèle d'une utopie future faite d' égalitarisme
social et économique dans une société agricole et
villageoise non-compétitive.
Si cette lecture des Cakkavatti,
Agañña et Kûtadanta 214(*) Sutta,
combinant des thèmes socialistes et
« écologistes », évoque le
« communisme primitif » de Marx et Engels, ces conceptions
sont largement partagées par beaucoup de moines éduqués.
Ainsi le Vénérable KAMBURUPITIYE Ariyasena Maha Thera, professeur
à l'Université de Peradeniya, dans son Introduction to
Buddhist Philosophy of the State (1986) voit dans ces textes :
an explicit formulation of democracy, equality, rule by
popular consensus, a contractual theory of elective kingship (as opposed to a
divinely appointed institution as in Hindu traditions), non recognition of cast
distinctions, social welfare policy, the need to eliminate poverty and unequal
distribution of wealth (TAMBIAH, 1992, p. 108).
De cette société à venir les nouvelles
colonies agricoles du centre, aux confins de la zone à majorité
tamoule, au nord-est, sont supposées être le laboratoire, des
espèces de kibboutz bouddhistes singhalais en quelque sorte.
Mais dans cet idéal de démocratie bouddhiste il ne devait y avoir
qu'un parti unique bouddho-socialiste. Pour beaucoup de ces moines
intellectuels de gauche, la Russie et la Chine représentaient en effet
des modèles, bien que Gnanasiha reproche à ces régimes de
ne pas cultiver les « qualités intérieures de
l'homme » (TAMBIAH, 1992, pp.112-117).
*
Que l'imaginaire pâli se manifeste dans des
régimes formellement aussi différents peut sembler peu
cohérent à l'observateur candide mais afin de prévenir
encore une fois nos réactions ethnocentriques que le lecteur me permette
une comparaison avec son pendant occidental à l'horizon duquel,
héritant des images et concepts de « fin du monde »,
de parousie, d'apocalypse et de Cité de Dieu, se bousculent celles et
ceux de « paix universelle » d'État universel, de
« fin de l'histoire », de « grand
soir », de démocratie parfaite, etc., là où nous
trouvons à l'horizon de l'imaginaire pâli les images de
l'apparition de Metteyya et de l'avènement du Cakkavatti,
souverain universel, s'incarnant dans des modèles monarchiques,
républicains, démocrate populaire ou dictatoriaux.
Comme la philosophie politique occidentale accumule des
idéologies diverses, contradictoires, antagonistes, depuis le
modèle de la monarchie élective des Grecs anciens, en passant par
la monarchie, la dictature platonicienne des sages, la république, la
monarchie de droit divin de l'empire romain, puis du christianisme catholique,
avant de revenir à différentes formes de démocratie,
parlementaire, puis populaire, dans le cadre d'une république ou d'une
monarchie constitutionnelle, formes qui ponctuellement peuvent encore inspirer
et fournir outils et solutions à nos hommes politiques et à nos
constitutionalistes, ce que COLLINS appelle « imaginaire
pâli », informe encore toutes les sociétés
indochinoises et le Sri Lanka, bien que, ou parce que, combinant des
conceptions qui peuvent parfois sembler inconciliables.
La peine de mort dans les pays de tradition
theravada
Bien que certains souverains anciens se réclamant du
bouddhisme, par exemple Asoka au Magadha et Jayavarman VII à Angkor,
semblent avoir sincèrement cherché à modeler leur
gouvernance sur celle de l'idéal du cakkavatti , la peine de
mort resta présente jusqu'à nos jours dans nombre d'états
theravada. Même sous Asoka sous le règne duquel «les
`commissaires à l'équité' avaient l'ordre de veiller
spécialement à ce que les prisonniers fussent bien traités
[...] Les familles des prisonniers, si elles étaient sans ressource,
reçurent une aide [et] Les condamnés à mort
disposèrent de trois jours de sursis pour mettre leurs affaires en ordre
[...] il ne fut pas question d'abolir la peine capitale.215(*)» Au Cambodge, par
contre, avant Jayavarman VII en tous cas, si les peines étaient d'autant
plus forte que le rang social du coupable était élevé,
elle pouvaient aussi être particulièrement cruelles : ablation des
orteils du nez ou des oreilles, dépeçage, enterrement vivant.
Cependant note L.FRÉDÉRIC (op.cit., p. 111)
« l'exercice de la justice ne devait pas être partout aussi
sévère, notamment dans le royaume birman des Pyûs en
Birmanie où, nous disent les chroniques, chinoises `les
habitants professent l'amour de la vie et l'horreur de tuer.' [...]. Ceux qui
sont reconnus coupables reçoivent sur le dos des coups de bambou dont le
nombre est de cinq pour les fautes graves et de trois pour les fautes
légères. L'homicide seul est puni de mort216(*). » Notant
malgré tout les progrès dûs à l'influence du
bouddhisme succédant à l'animisme au Laos, L.
FRÉDÉRIC (Ibid.) cite le roi Fa-Ngum
désapprouvant la peine de mort «Il ne faut pas tuer les assassins,
car c'est assez d'un mort et qu'en faire un second est une
faute... ».
De nos jours, de tous les pays de tradition
theravada217(*), le
Cambodge est le seul où, depuis la nouvelle constitution de 1993 (art.
32) la peine de mort soit officiellement abolie. Cela n'y empêche
cependant pas les exécutions « extra-judiciaires ».
Au Sri Lanka, après une période (1976-1989) où les peines
étaient commuées, le nombre d'exécution augmente. En
Thaïlande, le roi Bhumipol commue presqu'automatiquement ; mais il y eut
depuis 2002, sous Takshin Shinawatra, plusieurs exécutions dans le cadre
de la lutte contre le trafic de drogue218(*). Au Laos, la peine de mort est depuis la
réforme du droit criminel de 1990 réservée aux crimes de
meurtre, de viol, et de trahison; à cette liste à
été ajouté en 2001, le trafic de drogue 219(*). Mais les peines ne sont en
général pas appliquées220(*). Au Myanmar, depuis 1993, la peine était
commuée mais en 2003 neuf personnes accusées de complot en furent
à nouveau menacées ; une campagne arriva à faire suspendre
l'exécution221(*).
Bilan
Malgré ce que ZIMMERMANN appelle (p. 236)
« l'éthique fondamentaliste de la
non-violence » qui caractérise les écrits canoniques
pâli, l'histoire des rapports entre états theravada est
marquée par de nombreux conflits dont certains sont encore en cours ou
latents.
A la différence du mahayana qui s'est surtout
implanté dans des pays--la Chine, le Japon, la Corée, le Vietnam,
le Tibet--où l'état s'appuyait déjà sur une des
traditions religieuses et politiques anciennes et structurées, le
bouddhisme theravada s'est à partir du XIe siècle
imposé dans des régions se trouvant dans la sphère
d'influence de l'Inde mais où la religiosité dominante restait en
fait un animisme ne dépassant guère le niveau de l'animisme de
village ou de clan. Le bouddhisme theravada y a donc tout naturellement fourni
au pouvoir politique son cadre et ses outils de légitimation. Cela
devait aboutir à cette confusion entre identités religieuse et
nationale que l'on observe dans tous les pays theravada222(*), confusion
complètement absente de pays tels que la Chine, le Japon, la
Corée et le Vietnam où domine le mahayana mais où
confucianisme, taoïsme et/ou shintoïsme constituent encore des
traditions distinctes vivantes. Ces pays par ailleurs restent relativement
ouverts aux religions occidentales.
Comme le christianisme en Europe223(*)--l'organisation
transnationale de l'Église catholique en moins--cet outil de
légitimation et d'intégration devait aussi être
utilisé comme arme défensive ou agressive contre les voisins et
Stevens COLLINS (p. 414) citant Mabbett et Chandler (The Khmers,
1995,158-60) nous rappelle que jusqu'à récemment, et certainement
jusqu'au début des diverses colonisations, dans ces régions la
guerre était l'état normal des choses :
Only a few generations of people living in modern western
countries have ever been able to regard peace as a natural condition [...[.
Throughout Cambodia recorded history, the Khmers have had to regard war as a
normal state of society [...] In South-East Asia, war was a fact of political
life [...] Ennemies were not only to be found beyond a country's borders. They
lurked within each kingdom, within the capital, even within the court [... ] He
who kills the king becomes king. This principle is grounded in the politics of
succession of so many kingdoms [...].
Le bouddhisme dans ce contexte, comme le christianisme en
Europe, n'a jamais fait que jouer un rôle relativement modérateur.
S'il n'a pas empêché les différentes nations de se livrer
des guerres sanglantes malgré des principes également
non-violents (présenter l'autre joue...) quand ce ne fut pas en son nom,
il a progressivement « encadré » la guerre pour la
rendre sinon plus humaine, en tous cas moins brutale et destructrice
(trêves, Droit de la guerre, traitement des prisonniers).
Jusqu'à récemment les frontières entre
les états de l'Indochine n'étaient pas stabilisées, et ne
le sont toujours pas vraiment. Les diverses colonisations n'ont fait que geler
un processus qui peut-être se poursuit encore de nos jours dans la
mesures entre autres où les marges de plusieurs de ces états, les
zones tribales, ne sont pas encore intégrées à l'ethnie
centrale dominante. Dans le contexte du bouddhisme theravada où
nationalité et appartenance religieuse ont tendance à
s'amalgamer, TAMBIAH pouvait encore en 1976 (World Renouncer[...], p.
445-446), parlant des moines « missionaires » thaï
(thammathud/thammacarik) envoyés dans les zones
tribales frontalières peu ou pas
bouddhisées/thaïsées, décrire leur absence totale de
considération pour les cultures et les valeurs de ces ethnies,
comparable à celle des missionaires chrétiens du XIXe
EC :
Buddhist nationalism in its political and cultural
dimension dictates the policies whereby minorities--especially those considered
politically and culturally inferior--are sought to be nationalized and
domesticated or, if they resist, simply eliminated.
*
Le véritable enjeu des conflits entre états
bouddhistes theravada en Indochine lorsqu'ils se sont disputé,
éventuellement par la guerre, les emblèmes du
cakkavatti--éléphants blancs ou « Bouddha
d'émeraude »--est sans doute le leadership du monde
theravada, le rôle de « défenseur de la foi »,
sur la base d'une prétention à plus de
« pureté » réelle ou supposée de leurs
nikâya, de leur plus grande énergie dans la
défense et la promotion du bouddhisme, un peu comme dans l'Europe
médiévale certains Etats n'ont pas hésité à
se parer des ornements de la religion pour se faire la guerre : Saint Empire
Romain-germanique, France, fille aînée de l'Église, Rois
Très Catholiques etc.
Ainsi que l'écrit Louis Gabaude224(*) « L'une des
caractéristiques du monarque universel, c'est que, par
définition, il ne peut être qu'unique. Il n'est pas
étonnant que le terme cakravartin ait produit des
dérivés thaïs qui signifient
« empereur », « impérialisme »
et « impérialiste ». Qu'advient-il lorsque le roi
d'un pays donné [...] se prend pour un cakravartin ? Il a
naturellement l'ambition de régner, sinon sur l'univers entier, sur son
univers immédiat [...]. L'idéologie bouddhique du monarque
universel a permis aux rois de rationaliser et de justifier les guerres
chroniques qui ont occupé et ravagé les deux « pays
frères » que sont la Birmanie et la Thaïlande pendant
près de trois siècle [...]. C'est également la même
idéologie qui fut mise en avant par le roi Tak Sin (1767-1782) pour
justifier et étendre ses conquêtes militaires.[...] les royaumes
bouddhistes de la péninsule, malgré - ou à cause de -
leurs rois bouddhistes ne se sont pas moins déchirés que les
autres au cours des siècles. »
La différence entre l'Europe et le monde theravada
contemporains réside dans le fait qu'en Europe cette période
semble définitivement révolue alors qu'en Indochine elle est
encore toute proche et se perçoit encore dans l'attitude
réciproque des différents sangha nationaux.
Les avatars récents et contemporains de
l'imaginaire pâli : millénarisme, bouddhisme moderniste et
bouddhisme engagé
Millénarisme
Si nous définissons le millénarisme comme la
prévision pour une date précise d'événements
liés à une utopie, les mouvements à proprement parler
millénaristes sont dans les pays theravada un phénomène
récent ayant plus à voir avec les conditions de la colonisation
et de la modernisation qu'avec les textes canoniques. Ils sont parfois
liés au cycle court de 5 000 ans dont nous avons
parlé225(*) qui
se surimposant au cycle de 160 000 ans du Cakkavatti Sutta,
dessine une courbe descendante pendant 2 500 ans à compter du
Nirvâna (1956 EC) avant d'entamer une courbe ascendante qui se terminera
par le retour de Metteyya.
Pour ces mouvement le nadir de la courbe (2500 EB)
devait être marqué soit par l'avénement d'un roi qui
restaurera la gloire du Dhamma soit par l'apparition de Metteyya
lui-même. Nous avons vu plus haut l'utilisation qui fut faite de ces
thèmes, sans fondement canonique, par certains hommes politiques au Sri
Lanka et en Birmanie particulièrement, vers 1956, période
coïncidant dans ces pays avec la fin de la colonisation.
Bouddhisme moderniste
Deux courants nés au XIXe siècle,
l'un que GOMBRICH et OBEYESEKERE ont appelé le
« bouddhisme protestant » né de
l'initiative de réformistes singhalais, l'autre de
l'intérêt soutenu d'Occidentaux, d'abord chercheurs, historiens,
philologues, puis d'un public plus large, aboutit à ce que COLLINS
appelle le bouddhisme moderniste. Ce dernier courant,
illustré entre autres par le Colonel britannique Olcott, qui jeta les
bases d'un réseau d'écoles bouddhistes, et des philologues tels
que Oldenberg et Rhys Davids défendant une interprétation
rationaliste du bouddhisme, évolue presque simultanément au
premier. Un troisième courant, plus près de nous, a
été baptisé bouddhisme engagé par
ses initiateurs.
Ces trois courants sont nés de la rencontre de l'Asie
bouddhiste et de l'Occident. Mais le premier, représente de la part de
bouddhistes « ethniques » colonisés, un effort
d'adaptation du bouddhisme traditionnel pour pouvoir mieux répondre aux
défis que lui posèrent non seulement l'Occident et le
christianisme mais aussi la science et le rationalisme. Ce premier courant
s'inscrit dans le cadre de la lutte anti-coloniale. Le bouddhisme moderniste
par contre représente le travail parallèle de
ré-interprétation de ces traditions par des Occidentaux convertis
au ou intéressés par le bouddhisme ou certaines de ses pratiques,
afin d'en dégager ce qui répond à leurs besoins
intellectuels ou spirituels. Ces deux courants distincts se rencontrent
souvent, « communiquent » et parfois convergent.
Rappelons brièvement les données relatives au
« bouddhisme protestant ». On peut le faire remonter
à l'Anagarika Dharmapâla, qui conscient des handicaps
dont souffrait le bouddhisme singhalais face à une nouvelle
réalité s'efforça d'en élaborer une version se
concentrant sur l'essentiel, dégagée des superstitions, du culte,
des rituels, et accordant à la moralité, à la
méditation et à l'action une place essentielle. Il encouragea les
laïcs à méditer--ce qui avait jusque-là
été réservé aux moines--et à jouer un
rôle plus actif. Il n'alla cependant pas jusqu'à prôner la
disparition de l'institution monastique. Lui-même avait d'ailleurs pris
huit préceptes et devint moine à la fin de sa vie.
Ce « bouddhisme protestant » eu beaucoup
de succès auprès des classes moyennes urbaines et rurales
singhalaises, et l'on peut dire que de nos jours la plus grande partie du
public singhalais éduqué s'en réclame.
Il donna naissance à deux sous-tendances que l'on peut
qualifier l'une de fondamentaliste, et nationaliste, se réclamant de
l'héritage du Mahâvamsa, l'autre de
« gauche » ou réformiste.
Nous avons déjà évoqué la
première à plusieurs reprises. C'est à la deuxième,
la seule qui ait opéré une véritable reformulation de
l'utopie que nous voulons nous intéresser brièvement
maintenant226(*) en
décrivant Sarvodaya, son produit le plus remarquable.
Sarvodaya fut fondé en 1958 afin de « ressusciter une
tradition, de l'adapter au contexte contemporain et d'activer les
laïques ». Pour Ariyaratne, son fondateur, un
laïc, il n'y a pas de libération individuelle sans
libération sociale. Il cite Dharmapâla (p. 123)
« Greater than the bliss of sweet nirvâna is the life of
moral activity ». Metta, la pensée
bienveillante--même envers ses ennemis--ne doit pas se limiter à
émettre des « vibrations positives » mais mener
à l'action compassionnée, et l'éveil individuel doit mener
à l'éveil social. C'est sur ces principes qu'Ariyaratne
lance shramadana (don de travail). Il s'agit de camps de travail afin
d'installer ou de restaurer les équipements collectifs de base dans les
villages (réservoirs d'eau potable, latrines etc...) à partir des
ressources locales, sans doute une des premières applications du concept
de développement auto-centré. L'initiative a un succès
énorme et l'organisation accède bientôt au statut d'ONG.
Plusieurs donateurs internationaux la soutiennent227(*). Elle rivalise
d'efficacité avec l'action du gouvernement dans ces domaines. Elle est
aussi active dans la région à majorité tamoule. Elle
essaie de dépasser les clivages ethniques et compte des Tamouls parmi
ses cadres. Ces derniers ne considèrent pas Sarvodaya comme une
organisation singhalaise mais srilankaise. Suite aux émeutes de 1983,
Sarvodaya ouvre des camps pour les réfugiés, et organise
marches et conférences. La marche de décembre 1983 est cependant
interdite par le Président Jayawardene, pourtant allié de
Sarvodaya, sous prétexte que certains milieux tamouls cherchent
à assassiner Ariyaratne. En 1994 il sert d'intermédiaire entre le
gouvernement et les Tigres tamouls, et organise des négociations.
Mais des problèmes apparaissent bientôt. Avec le
gouvernement d'abord, sans doute inquiet de l'ombre projetée sur ses
propres initiatives. Le Premier ministre Premadasa le fait interdire d'antenne
sous prétexte qu'il vendrait des enfants en vue d'adoptions. Avec les
donateurs ensuite qui veulent exercer un contrôle plus strict sur
l'utilisation des fonds, et des critères objectifs d'évaluation
permettant de juger du moment où un « projet » a
atteint ses objectifs, et donc d'en arrêter ou restreindre le
financement. Il s'agit en fait de lui imposer un système administratif
et financier inspiré de ceux qu'imposent la Banque Mondiale et le FMI.
Ariyaratne répond qu'au niveau d'un village le développement
n'est jamais terminé. L'aide des donateurs est fortement réduite
dans le courant des années suivantes et l'action de Sarvodaya
en est affectée. Mais après une crise dans les années
quatre-vingt-dix, s'étant entouré de techniciens financiers et
comptables, elle aurait ensuite connu un nouveau développement228(*).
En Thaïlande c'est l'état
lui-même qui, dès le XIXe siècle, a très
efficacement modernisé et engagé le bouddhisme thaï, en la
personne particulièrement de deux rois, Mongkut et Mahachulalongkorn,
qui furent aussi moines à différents moments de leur vie, et de
plusieurs princes qui occupèrent le poste de Patriarche du
Sangha, plus haute fonction monastique en Thaïlande. Les rituels
adventices sont, sinon interdits, du moins critiqués et
élagués. La croyance en la ré-incarnation est
ré-interprétée. Le rôle actif des moines dans le
système national d'enseignement non seulement est encouragé, mais
l'institution monastique elle-même comme outil de « promotion
sociale » est utilisé au maximum229(*)
Le roi Vajiravud (Rama VI) procède à la
centralisation du sangha et ajoute aux orientations décrites
ci-dessus un contenu nationaliste, qui n'est sans doute pas pour rien dans le
premier coup d'état militaire en 1932.
Nonobstant l'alternance de phases démocratiques et de
coups d'états suivis de régimes sous tutelle militaire qui
caractérisent « l'alternance à la thaï »
mais font aussi penser à la Turquie, remarquons que c'est dans le seul
pays theravada où a persisté, avec la monarchie et ses
références au Cakkavatti, le lien organique entre
État et Sangha que ce dernier évolue, s'adapte et
progresse sans crise majeure. Dans les régimes républicains de
Birmanie et du Sri Lanka par contre, ce lien s'est relâché,
enlevant à ces états les moyens de fédérer et
discipliner le sangha dont ils disposaient dans le passé,
tandis qu'on Cambodge le Sangha reste otage des rapports encore
instables entre le PC et l'opposition et qu'au Laos il est utilisé aux
fins politiques du Parti communiste.
En Thaïlande, le XXe siècle verra aussi
l'apparition du concept de development monks travaillant sur le
terrain au développement villageois des régions tribales
marginales. Les critiques prétendent cependant que ces moines y ont
souvent joué le rôle d'agents de la propagande centraliste de
l'état plutôt que celui de réels techniciens du
développement.
C'est sur ce fond qu'apparaît au XXe le moine
non-conformiste Bouddhadasa, de père chinois, familier du zen. Entre le
capitalisme qu'il considère comme immoral, et le marxisme, où le
désir de vengeance comme motivation à l'action occupe trop de
place, il prêche un socialisme dhammique , voire une dictature dhammique
(ce qui lui vaudra de perdre certains de ses amis) et, procède à
une laïcisation ou sécularisation du concept de nirvâna
« démocratie absolue, liberté,
égalité, fraternité absolues »230(*).
Bouddhisme engagé
Un de ses disciples, Sulak Sivaraksa, qui après avoir
été moine étudiera et enseignera longtemps en Angleterre
et aux USA, prend souvent des positions qui le ferait chez nous qualifier de
gauchiste. S'il est anti-américain, ou anti-japonais, ce n'est pas par
nationalisme thaï, veine que l'on pouvait encore trouver chez Bouddhadasa,
mais pour des raisons plus proches de nos alternatifs et écologistes
occidentaux. Sulak Sivaraksa, antimilitariste avoué, éditeur de
plusieurs revues, ira jusqu'à être accusé de crime de
lèse-majesté et et devra s'exiler plusieurs mois suite à
cette accusation. En 1976, il rencontre le moine vietnamien Thich Nhat Hanh
à l'Université Van Hanh de Ho Chi Minh Ville avec qui il fondera
en 1989 l'International Network of Engaged Buddhists.
Les paysans marginalisés par le capital intensive
développement, auquel comme Ariyaratne au Sri Lanka il
préfère un développement auto-centré, constituent
sa préoccupation essentielle.
Au bouddhisme des milieux conservateurs thaïs
« conventionnels, ritualistes, chauvins, militaristes,
agressifs » qu'il étiquette « religion
civique », il préfère un bouddhisme individualiste et
universaliste dont le noyau, commun à toutes les religions, consiste en
la « relativisation du moi »231(*):
Those who are in search of Buddhahood[...] will be unable
to find it in most monks and mainstream institutions. But if they are avid
readers [...] they may find it in the works of leading Buddhists. The works of
Bhikkhu Buddhadasa [...] the Dalai Lama, Thich Nhat Hanh [...].Although these
works will facilitate our study and understanding of Buddhism, we must not
neglect the task of meditation practice232(*).
On peut mentionner comme appartenant à ces deux
dernières mouvances, modernistes et engagés, un certain nombre
d'Occidentaux relativement connus tels que les anciens moines
Sangharakshita--Britannique proche du Dr Ambedkar et fondateur du FWBO :
Friends of the Western Buddhist Order-- et Jack Kornfield (USA) ainsi
que le laïc Joseph Goldstein (USA).
CONCLUSION
S'il est probable que le bouddhisme theravada ne s'est pas
propagé par la violence, qu'il ne fut jamais à l'origine de
violences massives comme celles qu'entraînèrent les idées
de croisade ou de jihad, les différents états dont il
fut, comme dit D.D.KOSAMBI233(*), « l'agent initiateur initial à
l'aube de leurs histoires respectives » ont à certains moments
de leur histoire connu, parfois entretenu des comportements violents, voire une
violence structurelle. L'histoire des rapports entre les états de
l'Indochine, du XIe EC aux débuts de la colonisation au
XVIIIe EC, n'est pas moins violente que celle des états de
l'Inde brahmanique puis hindoue, ou de l'Europe chrétienne. Plus
inquiétante est la résurgence, après la colonisation,
d'une violence latente entre états de la région, et plus ou moins
patente à l'encontre des minorités à l'intérieur de
ces états.
Le Sri Lanka est depuis les débuts de 2006,
après un cessez-le -feu qui aura à peine duré deux ans,
à nouveau engagé dans une guerre contre les Tigres Tamouls de
Prabhakaran, vieille de plus de trente ans déjà et dont
on ne voit pas l'issue.
En Thaïlande les troubles qui agitent les trois provinces
à majorité musulmane ont été réprimés
sans ménagement par le gouvernement précédent de Thaksin
Shinawatra. L'échec de cette politique répressive a sans doute
contribué, fin 2006, au dernier coup d'état militaire mené
avec l'accord du roi sous la direction du général musulman Sonthi
Boonyaratkalin. Les promesses de la junte aux insurgés du Sud
(reconnaissance d'un droit personnel pour les musulmans, intégrant les
stipulations de la sharia en matière de mariage et
d'héritage) n'ayant pas abouti à l'apaisement des troubles on
peut craindre que, dans le contexte global actuel, le conflit se prolonge. Le
Bangkok Post du 19 mars 2007 rapporte la réaction du
porte-parole du Constitution Drafting Committee à l'idée
émise par certains milieux proches de la junte de déclarer le
bouddhisme religion officielle ; le porte parole aurait déclaré
que « Since the first constitution in 1932, there has never been
a phrase declaring Buddhism the national religion [...] only Muslim countries
declare Islam the national religion [...] the Thai people play the major
rôle in protecting their religion ». Le même
quotidien (20 mars 2007) rappelle que le Roi avait déjà
lancé un programme d'entraînement des populations du Sud à
l'autodéfense et annonce l'intention du gouvernement d'en initier un
second. Le 22 mars, ce journal annonce que la Commission permanente de
l'Assemblée nationale pour les affaires religieuses, morales,
artistiques et culturelles recommande de déclarer le bouddhisme
religion officielle dans la nouvelle constitution en chantier et d'y inscrire
le principe suivant lequel le roi « protecteur de toutes les
religions » doit être de religion bouddhiste. Par ailleurs les
rapports entre la Thaïlande et ses voisins theravada, Myanmar, Laos et
Cambodge, ou avec le Vietnam de tradition mahayana, sont marqués par une
méfiance qui donne parfois lieu à des incidents violents.
Au Myanmar le Sangha, s'il est partagé
vis-à-vis du régime militaire, est beaucoup plus unanime dans son
opposition à l'islam et dans une réaction de type nationaliste
aux défis que représentent les minorités chan
(bouddhistes) et karène (chrétiens) dans l'Est et
l'Ouest du pays.
Dans l'aire de tradition mahayana par contre, bien que le
Mahâparinirvâna Sûtra (T 12.383b22-4) aille
jusqu'à faire dire au Bouddha que le meurtre d'un icchantika ou
ennemi du Dharma ne constitue pas une faute et n'entraîne pas de mauvaise
conséquence karmique, la variable religieuse semble n'avoir joué
aucun rôle dans les conflits entre états. Les conflits entre
bouddhisme, taoïsme et confucianisme en Chine, ou entre bouddhisme et
bön au Tibet, sont phénomènes du passé
depuis qu'y ont triomphé dès la première moitié du
deuxième millénaire EC des synthèses de type
syncrétiste tao-confuciano-bouddhiste en Chine, ou
bouddho-bön au Tibet. Révolus également sont les
conflits de type féodal entre sectes bouddhistes qui ont marqué
l'histoire du Tibet et du Japon médiéval, tandis que le
nationalisme religieux des différentes sectes bouddhistes japonaises ne
s'est plus manifesté depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale
et que la contribution des milieux bouddhistes vietnamien à la
défaite des États-Unis fut brève et guère
récompensée par le PCV.
Il semble donc que, paradoxalement, en dépit de la plus
grande intransigeance du Canon theravada sur le chapitre de la non-violence, la
permanence à ce jour de conflits à composante religieuse soit
l'inquiétante particularité des pays de tradition theravada.
Parmi les éléments d'explication nous avons
cités, le fait que dans les pays theravada le bouddhisme a
été adopté simultanément à leur
émergence comme nation, et est constitutif de leur identité.
Découlant de ce premier facteur le fait qu'il y est,
sinon religion officielle, largement majoritaire, et y bénéficie
d'un statut privilégié234(*). Des voix s'y sont souvent fait entendre (Birmanie
après l'indépendance, Thaïlande plus récemment)
prônant de faire du bouddhisme la religion officielle et de l'inscrire
dans la constitution. De nos jours à nouveau, au Sri Lanka et en
Thaïlande, les partisans d'une telle « solution » qui
romprait avec la traditionnelle tolérance de ces pays en la
matière, ne sont pas rares. Au Sri Lanka le JHU (Jathika Hela
Urumaya) et sa mouvance préféreraient cependant une loi
pénalisant des « unethical conversions »
obtenues, prétend-il, contre des avantages matériels.
Troisièmement, la colonisation occidentale, les
confrontant aux défis de traditions religieuses étrangères
à la sphère culturelle indienne, a probablement
entraîné par réaction un attachement plus étroit
à cette tradition fondatrice de leur identité qu'en Chine, au
Japon, en Corée, et même au Vietnam, comme en
général dans l'aire où domine un mahayana sinisé
explicitement pluraliste, depuis la révolution néo-confucianiste
de la fin du Moyen-Age, que n'a pas connue le Tibet, représentant de
ce fait une exception notable dans le paysage mahayana.
Enfin, si dans les pays de tradition theravada les dieux
hindous (au Sri Lanka), ou les entités animistes en Thaïlande, au
Myanmar et au Cambodge, restent l'objet d'un culte, leur statut est
explicitement considéré comme inférieur à celui du
Bouddha dont les moines constituent une catégorie sociale
protégée. Dans le mahayana sinisé par contre
l'égalité, voire l'identité, des « Trois
religions » (confucianisme, taoïsme et bouddhisme) est
affirmée, et les moines bouddhistes ne bénéficient d'aucun
statut privilégié par rapport aux clergés confucianistes
et taoïstes.
Parmi les pays theravada, seule la Thaïlande - qui n'a
jamais été colonisée - le Laos et le Cambodge, qui sont
encore dans la zone d'influence du communisme vietnamien, échappent
encore à cette tendance à la fermeture, la méfiance et
l'agressivité que l'on constate au Sri Lanka et au Myanmar. Il est
difficile de prévoir comment évolueraient la Thaïlande, en
cas de prolongement du conflit avec l'islamisme dans le Sud, ou le Laos et le
Cambodge dans un contexte vraiment pluraliste abandonnant toute
référence au communisme. En contraste, la majorité des
pays de tradition mahayana au moment où le bouddhisme s'y est
répandu, avaient déjà identités, conceptions de
l'état et traditions religieuses propres. Dans ces pays le bouddhisme
partage avec d'autres religions traditionnelles qui l'y ont
précédé, les allégeances de la population. En
Chine, et dans l'Asie sinisée, le confucianisme fonde autant
l'identité nationale que le bouddhisme et chaque individu peut se
définir comme confucianiste, taoïste et bouddhiste à la fois
ou à différents moments de sa vie235(*). Par ailleurs, aucun de ces
pays, en dehors du Vietnam, n'a connu la colonisation occidentale alors que
tous les pays theravada, sauf la Thaïlande, l'ont subie. Aux blessures de
la colonisation, succèdent à présent les défis que
permettent le contexte de la mondialisation : missions
évangélistes, jihad islamiste et re-mobilisation de
minorités financée par des flux financiers mondialisés.
L'imaginaire pâli a pris forme dans un
environnement indien, tant du point de vue climatique que culturel. Dans cet
environnement, les saints hommes, sannyasin et saddhu
hindous, ou leurs héritiers les bhikkhu bouddhistes
étaient respectés et protégés par
l'état236(*). Il
s'étendit à des régions encore vierges de toute structure
étatique237(*),
mais semblables à l'Inde par le climat. Il put donc y imposer sa
conception bouddhiste de l'état comme sur une tabula rasa.
D'après cette conception, la protection du sangha
compte au nombre des missions essentielles du cakkavatti ou de
l'état bouddhiste. Mais dans le monde theravada contemporain, seule la
Thaïlande continue encore à jouer pleinement ce rôle. Au Sri
Lanka, l'état avait traditionnellement servi d'arbitre entre les
très indépendants lignages monastiques (nikaya)
constituant le sangha. Mais après l'indépendance, le nouvel
état srilankais, en principe laïque et comprenant dans son appareil
tant politique qu'administratif, nombres de chrétiens, d'hindous et de
musulmans, bien que la population restât en majorité bouddhiste,
n'était pas prêt à assumer à nouveau ce rôle,
abandonnant le Sangha à ses divisions internes et à son
incapacité à obtenir un consensus minimal sur la
définition de ses intérêts communs. Au Myanmar le lien
organique entre état et sangha fut rompu en 1989 avec l'arrivée
au pouvoir de la junte du géneral Than Shwe. Quant au Laos et au
Cambodge on peut supposer que le sangha, s'il y est protégé, est
aussi muselé et surtout utilisé à ses propres fins par
l'état communiste.
Peut-être peut on comprendre, sinon admettre, que les
milieux nationalistes, monastiques ou laïcs, de ces sociétés
encore peu développées, traditionnellement ouvertes mais
relativement homogènes du point de vue religieux, où le
bouddhisme theravada est depuis un millénaire au moins la religion
dominante, constitutive de l'identité nationale--contrairement à
celles de l'aire mahayana où le bouddhisme, arrivé après
la formation de l'identité nationale et du concept d'état, n'est
qu'un élément parmi d'autres d'une religiosité composite,
multiforme et mouvante--se voyant défiés sur leur
« territoire » par ces nouveaux venus que sont
l'évangélisme protestant et l'islam soient tentées par le
repli sur soi et le recours à la violence.
L'institution du sangha, telle que définie par le
theravada et l'imaginaire pâli peut-elle survivre dans un
environnement politique où le lien organique entre elle-même et
l'état est altéré ou rompu ? L'attitude défensive
de certains de ses membres, telle qu'on l'observe au Sri Lanka et en Birmanie,
représente-t-elle une réponse à des défis
vécus comme des menaces à un statut privilégié ?
Voilà les questions que nous proposons au lecteur en guise de
conclusion. J'y ajouterais une question prospective corollaire : les sangha
theravada peuvent-ils s'adapter aux défis de ce monde de plus en plus
global, ainsi que se sont adaptés à leurs nouveaux contextes ceux
du Nord-Ouest de l'Inde, d'Asie centrale, et de Chine, il y quelque 2 000
ans déjà238(*), tout en se tenant à une lecture
littérale du Vinaya (code législatif monastique) en ce
qui concerne, par exemple, l'interdiction faite aux moines de s'occuper
d'agriculture, ce qui impliquerait leur responsabilité dans le
« meurtre » d'insectes et autres micro-organismes ?
Il se pourrait que la Thaïlande ait à cet
égard indiqué la voie. Sous la conduite éclairée
des rois de la dynastie Chakri, le sangha s'y est efforcé de s'engager
dans des activités d'utilité publique et sociale (écoles,
universités, hôpitaux, conseil et consultance y compris en
agronomie) renouvelant ainsi le lien organique non seulement entre
l'état et le sangha mais aussi et surtout entre ce dernier et la
société civile239(*).
BIBLIOGRAPHIE
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WOODWARD F.L., Pali Tipitakam Concordance, Oxford, PTS,
1952-1973.Table des matières INTRODUCTION 2
Quelques repères chronologiques 7
Dates du Bouddha 7
La langue 7
L'écriture 7
Les Écritures 8
Les Jâtaka 8
Les Chroniques. 8
Économie et société à l'époque
du Bouddha. 9
Philosophie et mythologie politique du bouddhisme theravada
11
Abréviations 12
Références aux éditions du Tipitaka 12
Translittération et appareil diacritique 13
Autres abréviations et conventions 13
Remerciements 14
I. LES TEXTES 15
L'Aggañña Sutta 16
L'Éloge du régime républicain des Vajji
20
Le Cakkavatti Sutta 22
Conception indienne du temps 23
Introduction aux Jâtaka 34
Sumangala Jâtaka 35
? 36
L'utopie : l'Adhammika Sutta, le Bhikkhâparampara
Jâtaka et le Mûgapakkha Jâtaka 37
L'Adhammika Sutta 37
Le Bhikkhâparampara Jâtaka 38
Le Mûgapakkha Jâtaka 38
Le Mahâvamsa 40
L'imaginaire pâli 41
II. LA RÉALITÉ 43
Le monde theravada : les grandes lignes de son histoire 44
Le theravada en Inde 44
Le theravada à Ceylan 45
L'Indochine : milieu physique, peuplement, brahmanisation,
bouddhisation 45
En Birmanie. 47
Au Siam 47
Au Cambodge 47
XIe siècle : émergence de Ceylan comme acteur
majeur et retour en force du theravada 48
Rapports entre Ceylan et l'Indochine après le XIe
siècle EC. 49
Ceylan et le Siam 50
Rapports entre Ceylan, le Cambodge et le Laos 50
Conflits entre états bouddhistes theravada 52
Conflits entre Laos et Thaïlande 53
Inter-fécondation des lignages orthodoxes par delà
les frontières 53
Le theravada et la formation des nations de l'Indochine 54
Moines en politique 55
Moines-rois et Rois-moines 55
Thaïlande : le Sangha et les communistes 55
Le Sangha et les minorités : Sri Lanka et Birmanie 56
Après la deuxième guerre mondiale 63
L'Indochine après la décolonisation et la guerre
américaine 64
Etat des lieux et perspectives 66
L'identité singhalaise 68
L'imaginaire pâli : ses incarnations historiques 69
La peine de mort dans les pays de tradition theravada 71
Bilan 73
Les avatars récents et contemporains de l'imaginaire
pâli : millénarisme, bouddhisme moderniste et bouddhisme
engagé 74
Millénarisme 74
Bouddhisme moderniste 75
Bouddhisme engagé 77
CONCLUSION 79
BIBLIOGRAPHIE 84
Sources 84
Canoniques 84
Commentaires 84
Chronique 84
Sources secondaires 84
Ouvrages de référence 87
* 1 PTS I, 83.
* 2 Mélanges publiés
par l'Institut des Hautes Études Chinoises I, 1957.
* 3 SCHMITHAUSEN Lambert.
« Aspects of the Buddhist Attitude towards War » in
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History. Collectif sous la direction de Jan
E.M.Houben et Karel R. VanKooij (Leiden : Brill, 1999).
* 4 « ennemis du
Dharma »
* 5 Zen War Stories (London,
RoutledgeCurzon, 2003), pp. 150 et 161.
* 6 Ces dernières années ce
ne sont pas les moines vietnamiens, japonais, chinois, taiwanais ou
coréens qui ont fait la une des journaux mais bien les moines
singhalais, birmans et, dans un moindre mesure, thaï.
* 7 Sukumar DUTT. Early Buddhist
Monachism, Munshiram Manoharlal, New Delhi, 1996. Première
éd. : 1924, p. 72-73.
* 8 Charles S. PREBISH. Buddhist
Monastic Discipline : The Sanskrit Prâtimoksha Sûtras of the
Mahâsanghikas and Mûlasarvâstivâdins, The
Pennsylvania State University Press, 1975, p. 18-19.
* 9 Le Somanassa Jâtaka
(Jâ 505, 4:451), spécifie qu'un roi ne devrait pas punir avant
d'avoir bien pesé la gravité de la faute et la
propriété de la punition.
* 10 Dans le Râjovâda
Jâtaka (Ja, 334, 3:110-2) les fruits qui poussent sur les arbres
d'un tel pays sont mûrs et sucrés.
* 11 Colette CAILLAT,
« L'époque du Bouddha et la diffusion du
bouddhisme » dans Religion et Histoire, n° 8, mai-juin
2006.
* 12 « La vie du Bouddha,
Traditions et Histoire », traduit de l'anglais par Vincent Basset,
Religion et Histoire, n° 8, mai-juin 2006.
* 13 «The history of early Buddhism:
major advances since 1950», Indological Studies and South Asian
Bibliography A Conference, 1986, Nat. Lib., Calcutta 1988, pp. 12-30.
* 14 À moins qu'ils ne
témoignent d'avantage de l'état de la société au
moment où ces passages prirent forme ou furent composés
plutôt qu'au moment des faits qu'ils sont supposés rapporter
à l'époque du Bouddha.
* 15 in K.R. NORMAN, Collected
Papers, IV, PTS, Oxford, 1993.
* 16 (1982) « Pali as an
artificial language », Indologia Taurinensia X: 133-40;
(1983) et « Die älteste Literatursprache des
Buddhismus, » Saeculum, XXXIV, 1:1-9.
* 17 Annuaire du Collège de
France, 1988-89, p. 513.
* 18 K.R NORMAN, Collected
Papers, n° 56.
* 19 Citée par A.BERRIEDALE KEITH,
«Pre-Canonical Buddhism» in The Indian Historical Quarterly,
vol. XII, Delhi, 1936. Ré-impression : 1985.
* 20 « Les Jâtaka : Vies
antérieures et perfections du Bouddha » (traduit de
l'anglais par Camelia Ruis), in Religion et Histoire, n° 8,
mai-juin 2006.
* 21 Cambridge University Press, UK, 1998,
p. 2.
* 22 D.GELLNER, « Max Weber,
Capitalism and the Religion of India », in Sociology, 16,4,
(1982).
* 23 Voir aussi G.ERDOSY « City
States of North India and Pakistan at the Time of the Buddha, » in
F.R. Allchin, 1995, A..GHOSH (1988), R.S.SHARMA (1983), R.THAPAR
(1984), F.R.ALLCHIN (1995) ainsi que Sukumar DUTT, The Buddha and Five
after Centuries, London, Luzac & Comp. Ltd, 1957, p. 29.
* 24 Taxila sera fondée beaucoup
plus tard par les Perses de Cyrus puis Darius, au VIe AEC.
* 25 R.THAPAR. From Lineage to State:
Social Formations in the Mid-First Millenium BC in the Ganga Valley.
Oxford University Press, 1984.
* 26 N.K.DUTT, op.cit., p. 79-80.
La tribu du Bouddha était sans doute
« métisse », puisqu'alliée aux Koliya, des
indigènes. D'après D.D.KOSAMBI (pp. 143-144) elle était
reconnue comme ksatriya et ne se subdivisait pas en castes.
* 27 Ibidem, p. 23.
* 28 Précurseurs peut-être
des ermites du brahmanisme, puis des moines errants du premier bouddhisme ?
* 29 Ibidem, p. 120.
L'uttarapatha était à l'époque du Bouddha, en
plus de la voie fluviale du Gange, la principale voie commerciale du Nord.
* 30 Voir aussi E.J. THOMAS, The Life
of Buddha as Legend and History, London, Kegan Paul, N.Y, Albert Knopf,
1927.
* 31 Seize janapada au VIIe
AEC, quatre au début du Ve EC (D.D. KOSAMBI, p.
157).
* 32 Ce qui n'exclut pas les villes, au
contraire (COLLINS, p. 10); cf la métaphore « the city of
nirvâna ».
* 33 Ibidem, p. 64 : G.ERDOSY,
Urbanization in Early Historic India. Oxford : BAR International
Series 430, 1988, p. 112.
* 34 Renonçants,
sannyasin.
* 35 Que nous traduisons
presqu'intégralement.
* 36 Cf. Vin., Mahâvagga, I
; Il prit par contre moins de précautions vis-à-vis des
prétentions de la caste des brahmines qui cherchait à imposer
leur pouvoir rituel et religieux dans le Nord-Est gangétique. Cf. St.
COLLINS, op.cit., p. 65.
* 37 L'image du cakkavatti,
souverain universel idéal, existait dans le védisme.
Ibidem (citant GOMBRICH) p. 66.
* 38 Ibidem, p. 66
* 39 La préférence
démocratique des débuts comme l'idéal du
cakkavatti sont d'ailleurs exploités par les régimes
contemporains tant de Ceylan que d'Indochine qu'ils soient pluralistes,
libéraux, dictatoriaux ou marxistes, Ibidem, p. 436.
* 40 Temple abritant le Bouddha
d'émeraude ou l'on peut voir cette fresque représentant une
scène de bataille inspirée du Ramayana.
* 41 Les présents historiques sont
nombreux dans cette section et celles qui suivent. Cf WARDER, pp 12 et 235. Je
les traduis suivant les contextes par un présent, ou un temps du
passé. J'ai préférer traduire ici hoti par
l'imparfait.
* 42 andhakâra: darkness :
bewilderment (Dic. Buddhadatta)
* 43 samatâni/K:
samantâni, « all;entire, even ».
* 44 âlumpa (morceau,
bouchée) kârakam (invar., à sens absolutif au lieu
de karitvâ < KAR; cf. Dict. M.CONE).
* 45 viva??a : «devolution of
rebirth».
* 46 apâda: adj : sans pied
? apâdâna, nt., coupure? apadâna, nt,
légende.
* 47 sammâ: proprement,
correctement.
* 48 Littéral.
« produite »
* 49 Jeu de mots sur
râjâ et rañjeti (donner de la couleur, du
plaisir) tous deux < RAJ a ti, être clair, avoir des
couleurs, briller.
* 50 Faut-il voir dans cette
appréciation attribuée au Bouddha un indice permettant d'estimer
qu'à l'époque de sa formulation la concurrence entre khattiya
et brahmines n'avait pas encore, dans le milieu gangétique, connu
l'issue qu'elle connaîtrait par la suite ?
* 51 Mahâparinibbâna
Sutta (DN, II, 16 et sq); nous utilisons l'édition VRI
(134-136) = Ed. PTS II, 72.
* 52 Sk: Vrijji,
confédération de tribus comprenant entre autres les clans
Licchavi et Videha ; sa capitale était Vésali.
Ajâtasattu (sk: Ajâtasatru) leur était
apparenté par sa mère, c'est pourquoi il est qualifié de
« videhaputta ».
* 53 VRI 154 6.1.
* 54 MISRA, GSP, The Age of
Vinaya, Munshiram Manoharlal, New Delhi, 1972, p. 95 et 108.
* 55 Ne pas : tuer, prendre ce qui n'est
pas donné, mentir, avoir des relations sexuelles illicites et s'enivrer.
* 56
« incalculable ».
* 57 « Âges du monde,
âges de l'homme selon le bouddhisme ancien » in
Représentations du temps dans les religions, collectif sous la
direction de V.PIRENNE-DELFORGE et Ö. TUNCA, Genève, Librairie
Droz, 2003.
* 58 Complètement illuminés
et ne devant plus se ré-incarner.
* 59 The Buddha and Five After
Centuries, Luzac and Company, Ltd, London 1957, p. 246
* 60 Cf Buston, IV, The Time of
Existence of the Doctrine.
* 61 « Millenialism in Relation
to Buddhism » in Comparative Studies, 12,4, 1970.
* 62 Le texte du Cakkavatti, tel
qu'il est supposé avoir été prononcé par le
Bouddha, passe du passé au futur alors que les humains vivent cent ans.
La décadence n'a donc pas encore alors atteint son point le plus bas,
où les humains vivront dix ans dans la promiscuité la plus
abjecte.
* 63 vijitâvî :
nom ou adj. masc. « vainqueur, victorieux (BUDDHADATTA
Dictionary).
* 64 u < ud exprimant
l'origine, la provenance soit que le joyaux produise ou soit la condition des
trésors, soit qu'il jouisse d'une préséance quelconque.
Voir K.R. NORMAN, Collected Papers III, p. 19.
* 65 de adhi-â-VAS,
habiter, occuper, « coloniser », angl.
« settle ».
* 66 autre sens de dhamma.
* 67 ambho :
« Monsieur » mais plus familier ; équivalent de
hombre en espagnol ou man en américain ?
* 68 yagghe (partic.
exhortative)...jâneyâssi (optatif): « il faut
que votre Majesté sache... ».
* 69 Impér. de pa?ipad :
go along, follow, stay, succeed. Nous ne trouvons dans aucun dictionnaire
d'équivalence Pathavi = « royaume » ou
« empire » qui permettrait de traduire
« perpétue cet empire ». Par contre d'après
RhD ce terme est syn. de jagati, « monde », y
compris en tant qu'opposé à une
« transcendance » (jagatogadha :
plongé en ce monde)ce qui permet la traduction, cohérente par
rapport au contexte, et acceptable en français, de « poursuis
dans le monde ».
* 70 Dans la langue de nos hommes
politiques contemporains on dirait sans doute
« briefé ».
* 71 Après avoir ici traduit
littéralement l'expression raja khattiyo muddhabhisitto par
celle, très lourde en français, de « le roi
khattiya qui venait d'être consacré... » je la
traduirai par la suite par « le noble roi
khattiya » ou le « royal
khattiya ».
* 72 VRI : panetam de pa
NI, punir, sanctionner, décréter, « il se trouve,
il existe un décret ».
* 73 tadah uposathe pannarase,
cf. tadahe : ce jour-là, ce même jour.
* 74 sahassa + ara : doté
de mille rayons; sa+nemika : doté d'une jante;
sa+nâbhika : doté d'un moyeu.
* 75 dhamma
* 76 Les brahmines sont mentionnés
deux fois dans ce passage, la première associés avec, ou
identifiés aux maîtres de maison, la seconde aux samana
errants ; on sait en effet qu'il existait des brahmines de l'une et
l'autre sorte.
* 77 Ou « de la
négligence ». Cf. K.R. NORMAN, Collected Papers III,
p. 79.
* 78 upa GA peut avoir le sens
de « commencer ».
* 79
yathâbuttañca : « comme on mange
(d'après la coutume), normalement ou (COLLINS, p. 485)
« payez le tribut suivant vos moyens».
* 80 sa matena (où
sa équivaut au sk sva:) instrumental du part.
passé mata, de MAN « penser »,
substantivé : « comme il le pensait ». Bouddhagosa
commente attano matyâ « à sa
guise »(Sv, Ed PTS,Vol. III, p. 851).
* 81 Les rois dans l'Inde ancienne,
même en dehors du contexte bouddhiste, n'étaient pas au
départ des « monarques absolus » pouvant dire
« l'État c'est moi ! » Ils étaient tenus au
respect de la Loi ou Dharma et ses interprètes les brahmines, ainsi que
des coutumes.
* 82 Nous traduirons toujours la
séquence répétitive aggahesu?, gahetva
par « ils s'emparèrent de lui et l'ayant
maîtrisé ».
* 83 Il s'agit évidemment ici de
dissuader les victimes de vols de « porter plainte ».
* 84 Nous traduisons ainsi
ârocesi, aoriste de â RUC (rocati),
« s'adresser à, déclarer, informer ».
* 85 Bouddhagosa considère le
neutre sing. ek idam, comme équivalent à un nomin. masc.
plur.: « eke sattâ ti attho ».
* 86 Nous traduisons ici dhamma
par « phénomène » une des traductions
fournies par PED, section A de l'entrée.
* 87 Qui sont aussi les premiers
obstacles à surmonter dans la méditation.
* 88 Ici aussi dhamma =
« phénomène » comme ci-dessus.
* 89 kudrâsako
* 90 Rhys DAVIDS et Maurice WALSHE
traduisent « rice and curry », S. COLLINS
« rice, meat, and rice porridge ».
* 91 R.DAVIDS renvoie à ce sujet
à Vibhanga, p. 391.
* 92 R.DAVIDS, à la suite de
Bouddhaghosa, traduit garu par « father's
brothers »; Walshe : « father »; S.COLLINS:
« elders ».
* 93 De paccupauuhâti
<pati upa THÂ â « être
présent ».
* 94
aññamañãm miga+saññam
pa?ilabhissanti : « l'un de l'autre (comme étant des
bêtes) la perception recevront ».
* 95 jîvita, la vie, la
longueur de vie, en tant que nom est neutre et devrait donc dans ce sens donner
jîvitam, jîvitâni ou jîvite;
pour PED il faut considérer l'expression jîvitâ
voropeti comme un tout signifiant « tuer ».
* 96 RhD considère
gâyissanti comme une corruption de sabhâga
(common, of the same sort) bhavissanti.
* 97 samassâsissanti :
dénomin. de samassâsa soulager.
* 98 Kukkuua
sampâtikâ (ou K : sampâdikâ) : de
kukkuua sampâta « neighbouring, closely
adjoining » (PED), kukkuua signifiant
« coq ».
* 99 Avîci renvoie dans la
littérature postérieure à un des enfers, ou plutôt
« purgatoires » les plus bas. (RhD. et M.WALSHE); mais ce
terme signifie aussi waveless et leasure; PTC suggère
« uninterrupted »; pour avîcika
CONE donne « without a gap, continuous ».
BOUDDHAGOSHA,WALSHE et COLLINS font le premier choix; Le premier explique
ti Avîci mahâ-nirayo viya nirantara purito : «comme
le grand purgatoire Avîci rempli de manière continue» ;WALSHE
traduit «Jambudîpa, like Avîci, will be as thick
with people as the jungle is thick with reeds and rushes» et Collins:
«Jambudîpa will be as full of people as the Avîci
hell (or) like a ticket of reeds and grass».
* 100 de ud pajjati< ud
PAD «come into existence».
* 101 Première mention de
Metteyya dans toute la littérature pâli d'après
St. COLLINS, op. cit., p. 335.
* 102 damma adj.,
« devant être formés » de DAM
dompter, former, maîtriser, domestiquer, convertir (Dic. BUDDHADATTA).
* 103 Part. prés. de ARH
« atteindre son but, réussir », devenu dans la
terminologie bouddhiste un des titres des
« libérés ».
* 104 Jâtaka(The), Together
with its Commentary, 6 vols (London: Pali Text Society, 1877-1896). Viggo
FAUSBØLL editor., p. VIII
* 105 Ce serait l'extinction de cette
tradition orale des Auuhakathâ (explication du sens) en Inde qui
aurait poussé Bouddhaghosa à chercher à la retrouver dans
sa version écrite singhalaise.Cf Kanai Lal HAZRA, Studies on Pali
Commentaries, B.R. Publishing, New Delhi, 1932-1991, p. 25.
* 106 S'il est peu probable que les
Jâtaka tels qu'ils nous sont parvenus soient l'oeuvre du Bouddha
lui-même, comme le voudrait l'orthodoxie, il se pourrait que certains des
noyaux primitifs des Auuhakathâ remontent jusqu'à lui ou
son environnement immédiat. Cf. Kanai Lal HAZRA, Ibid., p.17 et
26.
* 107 op. cit. (1932-1991), p.
15.
* 108 Kanai Lal HAZRA, op.cit.
(1932-1991), p. 121-122.
* 109 Ratilal N. MEHTA, «Crime and
Punishment in the Jâtakas» in The Indian Historical
Quarterly, vol. XII, Caxton Publications, New Delhi, 1936, reprint: 1985,
p. 433.
* 110 Jâtaka 22, vol. I,
p. 176.
* 111 Ainsi que le qualifie Steven
COLLINS, op. cit.(1998).
* 112 paccekabuddha : bouddha
solitaire ou « bouddha pour soi », c'est-à-dire
« ayant atteint la bodhi (compréhension,
intelligence) mais n'enseignant pas ».
* 113 « heureux »
traduisant pasanno convient mieux au complément
« remerciements » que « bien
disposé ».
* 114 stoupa: monument
reliquaire.
* 115 . Anguttara Nikâya :
PTS : II, 74-76.
* 116 .
Bhikkhaparamparajatakava??ana, Ja, 496, 4:370.
* 117 PTS.: 496, 4 : 370.
* 118 dâna, aumône;
sîla, moralité; pariccâga,
générosité; ajjava, honnêteté;
maddava, amabilité; tapo, contrôle de soi;
akkodha, non-colère ; avihimsa, non-violence;
kanthi, patience; avirodhana, non-contradiction.
* 119 Les rois, note St. COLLINS
(op.cit, p. 25) sont souvent assimilés à des criminels
dans la sagesse aphoristique de l'Asie du Sud et dans les Jâtaka
(cf aussi COLLINS, Chap. VI) mais (p.28) ce n'est pas le cas pour un
Cakkavatti qui n'est pas qu'un « maffieu promu roi, parce
que doté d'un potager un peu plus grand, mais un empereur
régulant sereinement la nature humaine. »
* 120 yeva: even>
même vaillant fais semblant...
* 121 VRI : a?gani :
« membre, tache ».
* 122 Edition de W.GEIGER,
publiée par Luzac & Company pour la PTS 1908-1958, 25, 101-111.
* 123 . Sans doute un moine pleinement
ordonné.
* 124 . Un pieux laïc.
* 125 Mahâvamsa, 37,
26-31.
* 126 upâcini : aor. de
CI « accumuler ».
* 127 COLLINS (p. 357- 383) mentionne
d'autres textes--post-canoniques--qui entrent également dans le cadre de
l'utopie pâli : l'Anâgatavamsa (XII-XIII EC), dont il
traduit le titre par « Histoire du futur », le
Dasabodhisattuppattikathâ et le Dasabodhisattuddesa,
concernant dix bouddhas qui succéderont à Metteyya, et
le Mâleyyadevattheravatthu traduit en français par
E.Denis (1963), ainsi que le Jinakâlamâli (Thaïlande,
XVIe). Dans ces textes, dans l'Anâgata particulièrement,
apparaît une notion de progrès à travers les cycles car
Metteyya doit s'efforcer moins longtemps et plus facilement que Gautama l'a
fait pour arriver au but. La félicité qu'il connaît et
qu'il répand autour de lui surpasse en étendue et en
intensité celle qu'a connue « notre » Bouddha, comme
s'il était plus « évolué » que ce
dernier.
* 128 COLLINS (p. 585) classe ces
perspectives utopiques dans une ou plusieurs des catégories suivantes:
Âge d'Or, Arcadie, paradis, cité idéale, pays de Cocagne,
millénium.
* 129 op.cit. p 57-58.
* 130 La plupart des données de
cette section sont tirées de Kanai Lal HAZRA, History of
Theravâda Buddhism in South-East Asia, with special reference to India
and Ceylon, Munishiram Manoharlal Publishers Pvt Ltd, New Delhi, 1981. Ses
sources sont : Cûlavamsa, Pûjâvaliya, (XIII
e), Nikâyasangrahava (XIV e), Mânâvulu
Mahânâgakula Sandesaya pour les sources singhalaises;
The Glass Palace Chronicle, Sâsanava.msa( XIX e),
Hmannan Yazawin Dawgyi(XIX e) + les Inscriptions de
Kalyânî pour les sources birmanes. Pour les sources
siamoises : Jinakâlamâli (XVI e),
Câmadevîvamsa , non daté mais écrit à
Chiang Mai, donc peut-être à l'époque où cette ville
était particulièrement active au XVe sous
Tilakarâja et ses deux successeurs; le
Mûlasâsanâ également à Chiang Mai
(Nabbisipura) au XV e, donne des informations sur les royaumes voisins
de Sukhodaya--sous Luthai--et Luang Prabang . Le
Saddhammasangha (XIV e) et le Sangîtivamsa (1789) donnent
beaucoup d'informations sur l'histoire d'Ayutthaya.
* 131 .Le voyageur Gerard VAN WUSTHOF
dont le récit (1641-1644) fut traduit par le célèbre
explorateur du Mékong Francis GARNIER, parle du Laos et du Cambodge
comme de « l'Inde orientale ». Cf Francis GARNIER,
« Voyage de Wusthof au Laos » in Société
de Géographie, sept.-octobre 1871, 11-19. Ré-imprimé
séparément par The Royal Netherlands Ambassy, Bangkok
1997-2006.
* 132 .Trévor LING, Buddhist
Civilisation in India and Ceylon, Temple Smith, 1973.p. 44 et
sq.
* 133 .Xavier ROZE,
Géopolitique de l'Indochine, Paris, Economica, 2000, p. 63.
* 134 .G.COEDÈS, Les Etats
hindouisés d'Indochine et d'Indonésie, Paris, E. De Boccard,
1964 p. 52.
* 135 .Les Vietnamiens atteignent le
Delta du Mékong en 1620 mais ne prennent Saïgon qu'en 1699. Cf
P.BROCHEUX, Du conflit d'Indochine aux conflits indochinois, p.
165.
* 136 G.COEDÈS, op.
cit., p. 120.
* 137 Paul MUS, L'angle de
l'Asie, Paris, Coll. Savoir, 1977, p. 177.
* 138 Premier document
épigraphique attestant la présence du mahayana au Cambodge au
VIIIe EC. Ibidem, p. 178.
* 139 Trevor LING, 1973, p. 3.
* 140 G. COEDÈS,
op.cit., p. 165.
* 141 IDEM, op cit., p. 120.
* 142 IDEM, op. cit., p. 178
renvoyant à L.FINOT, Lokeçvara en Indochine, Etudes
.Asiatiques., EFEO, I, p. 235.
* 143 IDEM, op.cit., p. 323.
* 144 IDEM, op.cit., p. 411.
* 145 IDEM, op.cit., p. 285.
citant la Glass Palace Chronicle
* 146 IDEM, op.cit., p. 177.
* 147 IDEM, op.cit., p. 287 et
Louis FRÉDÉRIC, La vie quotidienne dans la péninsule
indochinoise, 1981, pp. 140 et 309.
* 148 IDEM, op.cit., p. 305 et
Louis FRÉDÉRIC, op. cit., pp. 310 et 317.
* 149 F.GARNIER, op.cit., p
24.
* 150 Dans sa note 64, GARNIER commente
que « les prêtres du Louwen [Laos] ne pouvaient adresser ce
dernier reproche à ceux du Cambodge « la mendication [sic]
étant l'un des préceptes les plus rigoureux du
bouddhisme ».
* 151 L.FRÉDÉRIC, op.
cit., pp. 337-340.
* 152 K.L.HAZRA, 1981, pp. 132-151.
* 153 G. COEDÈS, op.
cit., p. 411.
* 154 Ibidem, p. 225.
* 155 Ibidem, pp. 70, 225 et
396.
* 156 op.cit., p. 114.
* 157 La seule exception étant,
au Cambodge, les esclaves phnong, ostracisés sur une base
ethniques, car considérés comme « sauvages ».
Les enfants d'une femmes phnong restaient esclaves qui que soit leur
père (L. FRÉDÉRIC, op.cit., p. 216).
* 158 LINGAT R., Les régimes
matrimoniaux du Sud-Est de l'Asie ; T.I : Les régimes
traditionnels, Paris, E. de Brocard, 1952.
* 159 LINGAT R., « La
conception du droit dans l'Indochine hinayaniste », BEFEO
44, 1, 1951.
* 160 Voir résumé de ces
idées de LINGAT dans A.GLEDHILL, The International and Comparative
Law Quarterly, vol. 4, n° 1 , January 1955, pp. 78-80.
* 161 G. COEDÈS,
op.cit., p. 124.
* 162 Xavier ROZE,
Géopolitique de l'Indochine, Paris, Economica, 2000, pp. 2 et
carte p. 107; voir aussi Francis GARNIER Dans notes au Voyage de Van
Wusthof au Laos, p. 1 et 25.
* 163 K.L.HAZRA, op.cit., 1981,
p. 83.
* 164 Si l'on excepte la région
relativement marginale du Nord-Ouest birman.
* 165 L.FRÉDÉRIC, op.
cit., p. 48, 52 et 65.
* 166 G.COEDÈS, op. cit,
p. 398-402.
* 167 Les communistes venaient de
s'imposer définitivement au Laos, au Cambodge et au Vietnam. Cf. Charles
KEYES « Political Crisis and Militant Buddhism » in
B.L.SMITH, Religion and Legitimation of Power, p.150 et sq.
* 168 «Sangha, State, Society,
Nation : Persistence of Tradition in `Post-Traditional' Budhist
Societies», Daedalus, 102.1:90, 1973.
* 169 S.J.TAMBIAH, Buddhism Betrayed
: Religion, Politics and Violence in Sri Lanka. Univ. of Chicago Press,
1992., p. 102.
* 170 GOMBRICH, Buddhism
transformed, 1988, p. 203
* 171 S.J.TAMBIAH, op.cit., p.
33
* 172 Cf Sarath AMUNUGAMA.
«Buddhaputra and Bhumiputra? Dilemmas of Modern Sinhala Buddhist Monks in
Relation to Ethnic and Political Conflict» in Religion, 21
(1991): 115-39.
* 173 Ananda GURUGE, ed. Return to
Righteousness: A Collection of Speeches, Essays, and Letters of the
Anagarika Dharmapala. Colombo: Government Press, 1965, p. 540,
cité par S.J.TAMBIAH, 1992, p. 8.
* 174 Où ils jouent un rôle
que nous pouvons comparer à celui que joue le clergé catholique
flamand en Belgique au même moment.
* 175 Voir à ce sujet, Donald
Eugène SMITH, Ed., South Asian Politics and Religion, Princeton
University Press, 1966, p. 484, et tous les chapitres consacrés au Sri
Lanka dans cet excellent ouvrage qui bien que datant déjà, offre
un tableau très complet du terreau dans lequel s'enracinent les
événements postérieurs, particulièrement les
débuts du terrorisme tamoul, les pogromes anti-Tamouls de 1983 et la
récente reprise de la guerre en 2006.
* 176 Voir The Betrayal of
Buddhism, Dharmavijaya Press, Balagoda, 1956.
* 177 Une faculté bouddhiste
privée.
* 178 D.E.SMITH, p. 482.
* 179 TAMBIAH, op. cit. (1992),
pp. 66 et sq.
* 180 On aurait retrouvé des
stocks d'armes à destination des insurgés dans certains
monastères ,cf TAMBIAH, 1992, p. 96.
* 181 La Grande-Bretagne l'avait
déjà placé sur sa liste d'organisations terroristes en
2001.
* 182 Trevor LING, 1979, p. 88.
* 183 Ibidem, p. 106-107.
* 184 Voir le début de la section
consacrée au Cakkavatti Sutta, « Conception indienne
du temps ».
* 185 Parmi ces ethnies les
Karène et les Kachin comportent une forte proportion de
chrétiens; les Arakanais et Rohingya sont musulmans d'origine indienne.
Les Chan, Was, Môns, Chin, Pao et autres ethnies sont en
général bouddhistes ou animistes mais leur opposition à
l'hégémonisme birman n'en est pas moindre.
* 186 Richard SOLA, Birmanie, la
révolution kidnappée, l'Harmattan, Paris, 1996, p. 27 et
32.
* 187 Ibidem, p. 105.
* 188 Ibidem, p. 93, 129 et
187.
* 189 Ibidem, p. 34.
* 190 Charles MEYER, « Le
Cambodge et ses frontières » in Pierre BROCHEUX,
op.cit., p. 161.
* 191 Xavier ROZE, op.cit., p.
94
* 192 Pattani, Yala,
Narathiwat et la province de Songkhla, à
majorité bouddhiste mais confinant aux trois premières.
* 193 Richard SOLA, op. cit.,
p. 183.
* 194 Évitant ainsi le
détour par les détroits de Malacca ou de la Sonde.
Ibidem, p. 174.
* 195 Ibidem, pp 175 et 148.
* 196 Ibidem, p. 255.
* 197 X.ROZE, op. cit., p.
93
* 198 Protégé de
Hanoï.
* 199 X. ROZE, op. cit., p.
93-94.
* 200 M. STUART-FOX, History of
Laos, Cambridge University Press, 1997, cité par X. ROZE, op.
cit., p. 87.
* 201 X. ROZE, op.cit.,p. 82.
* 202 ANSEA: Association des Nations du
Sud-Est Asiatique.
* 203 On entend souvent les milieux
conservateurs singhalais se scandaliser du manque de solidarité entre
pays de tradition theravada et concrètement, par exemple que les Tigres
du LTTE tamoul reçoivent des armes transitant par les ports de certains
de ces pays. Voir les blogs singhalais récents, entre autre le
yahoogroup BNC(Buddhist-News@yahoogroups.com).
* 204 X.ROZE, op.cit., p.
69.
* 205 IDEM, p. 94.
* 206 On entend par Sri Lanka
l'État,en principe laïque, que les leaders politiques srilankais,
singhalais, tamouls et musulmans eurent l'intention de fonder lors de
l'Indépendance en 1948. Les termes singhalais et
tamouls renvoient à des groupes linguistiques. Les Singhalais,
sont en majorité bouddhistes avec des minorités catholique et
protestante. Les Tamouls sont originaires du Tamil Nadu ou de l'Inde du Sud et
sont en général hindous ou chrétiens. On trouve les
musulmans (Moors), qui ne représentent que 7%, dans le Nord-Est
où la majorité d'entre eux cohabitent--difficilement--avec les
Tamouls et parlent le tamoul, ainsi qu'à Colombo, dans le centre et
à Kandy où ils parlent singhalais. Les burghers sont des
métis d'origine hollandaise ou britannique en général
protestants mais parfois bouddhistes.
* 207 L'opinion de François
HOUTART (Sri Lanka 1968-72 : Religion and Ideology in Sri Lanka,
Colombo, Hansa, 1974) suivant laquelle les monarques pré-bouddhistes du
Sri Lanka soutinrent le bouddhisme afin d'opposer une
« contre-idéologie » à la tutelle brahmanique
a été critiquée, comme manquant de bases textuelles, par
E. MEYER, Annales. Histoire, Sciences sociales, 1983, vol. 38, n°
2, pp. 302-305.
* 208 Le bouddhisme, son enseignement
et les institutions qui le représentent.
* 209 Buddhism Transformed,
1988, p. 186
* 210 G.COEDÈS, op.
cit., pp. 376 et 400.
* 211 « Buddhist Backgrounds of
Burmese Socialism » in B.L. SMITH, Religion and Legitimation of
Power in Thailand, Laos, and Burma, Anima, 1978, pp. 90-93.
* 212 C.S.QUEEN and Sallie B. KING,
Engaged Buddhism: Buddhist Liberation Movements in Asia, N.Y., N.Y.
State University Press, 1996, p. 57.
* 213 Louis FRÉDÉRIC,
op. cit., p. 311.
* 214 où conseil est donné
au roi de lutter contre la criminalité en accordant de larges
subventions aux agriculteurs, entrepreneurs et commerçants plutôt
que par la répression.
* 215 D.D.KOSAMBI, op.cit., p.
200.
* 216 G. COEDÈS, op. cit.,
pp. 180 et 197.
* 217 Damien P. HORIGAN,
op.cit., pp. 271-288.
* 218
www.amnesty.be/doc/article7976.html
* 219
www.handsoffcain.info (4
mars 2007).
* 220
http://web.amnesty.org/report
2006/lao
* 221
www.amnesty.be/doc/article7976.html
* 222 On peut les comparer à cet
égard à la Grèce et autres pays orthodoxes d'Europe de
l'Est.
* 223 Rappelons que « rois
très chrétiens » en France, « saints
empereurs romano-germaniques », « très
catholiques » en Espagne, et « défenseurs de la
foi » en Angleterre se sont aussi longtemps disputé le terrain
sur notre sous-continent.
* 224 « Religion et politique
en Thaïlande : dépendance et responsabilité » dans
Revue d'études comparatives Est-Ouest, Vol. 32, n°1 (mars
2001), pp. 146 et 149.
* 225 Voir la section
« Conception indienne du temps » de cet ouvrage dans
l'introduction à la traduction du Cakkavatti Sutta.
* 226 Les données relatives au
Sarvodaya et à Ariyaratne proviennent de George D.BOND
« A.T.Ariyaratne and the Sarvodaya Movement in Sri Lanka »
dans C.S.QUEEN and Sallie B. KING, Engaged Buddhism: Buddhist Liberation
Movements in Asia, N.Y., N.Y. State University Press, 1996.
* 227 Par exemple, elle recevra en 1982
le King Baudoin Award for International Development.
* 228 Voir article de BOND, in C.S.QUEEN
and Sallie B. KING, op. cit.
* 229 Concrètement un pourcentage
élevé de moines retournent à la vie laïque
après avoir terminé une formation utilisable sur le marché
du travail ; cette approche, qui n'est pas nouvelle, loin d'être
découragée est considérée comme normale autant par
les autorités que par le public--ce qui n'est pas le cas au Sri Lanka.
Une grande partir de l'administration est composée d'ancien moines. Mais
on en trouve aussi dans la police, l'armée et le privé. Voir dans
S.J.TAMBIAH, World Conqueror and World Renouncer (1976), le chapitre
« Monkhood as an Avenue of Social Mobility ».
* 230 C.S.QUEEN, op.cit.., p.
164-168. Voir aussi L.GABAUDE, Une herméneutique bouddhique
contemporaine de Thaïlande : Buddhadasa Bhikkhu, EFEO, Paris,
1988.
* 231 Ibid. p. 215.
* 232 Ibid. p. 122.
* 233 op.cit., p. 130.
* 234 À défaut d'y
être religion officielle, pas que ces pays ont en général
été réticents à franchir. Il peut être
éclairant de comparer les pays de tradition orthodoxe de l'Est de
l'Europe, n'ayant connu ni la Réforme ni les Traités de
Westphalie aux pays theravada où le bouddhisme n'a pas dû
s'accommoder de religions et philosophies politiques pré-existantes,
comme il dut le faire en Chine. Autrement dit, la rencontre avec le pluralisme
philosophique et religieux de la Chine a en quelque sorte joué
vis-à-vis du bouddhisme le rôle qu'ont joué les
Traités de Westphalie, instituant le principe de la liberté
religieuse dans le christianisme d'Europe de l'Ouest.
* 235 Voir M.GRANET, La religion des
Chinois, Albin Michel, Paris, 1922-1998.
* 236 Quand le bouddhisme atteignit des
régions où ce respect et cette protection des moines mendiants
n'allait pas de soi, ces moines durent s'adapter, devenir propriétaires,
travailler la terre et même, comme au Tibet, se marier.
* 237 Le Cambodge représente une
exception à cet égard puisqu'il fut converti au theravada
après avoir connu une phase assez longue d'un syncrétisme
hindou-mâhayana.
* 238 Voir Jean NAUDOU, Les
bouddhistes kashmîriens au moyen-âge, Paris, PUF, 1968;
Jacques GERNET, Les aspects économiques du bouddhisme dans la
société chinoise du V e au X e siècle, Saïgon,
EFEO, 1956 ; Gregory SCHOPEN, Buddhist Monks and Business Matters,
Hawaii University Press, 2004.
* 239 Cf. note 229, p. 77.
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