5. Conclusion
Dans ce premier chapitre, nous nous étions fixé
l'objectif de présenter, préciser et motiver nos premières
hypothèses. En premier lieu, nous avons montré l'importance de la
problématique de l'image du corps chez les anorexiques. A travers un
premier parcours historique, bien que succinct, nous avons eu l'occasion de
souligner que, dès les premières découvertes, quelques
auteurs ont tenu compte de cette problématique pour spécifier
davantage le fonctionnement psychique de l'anorexie. En 1965, les conclusions
du Symposium de Göttingen ont présenté un déplacement
de l'intérêt de la recherche, jusqu'à ce moment
centré sur la nourriture, vers les phénomènes concernant
les relations avec le corps. Ensuite, nous avons poursuivi une enquête
concernant les apports théoriques de H. Bruch et de ceux faisant
référence à une perspective cognitivo-comportementale. De
cette enquête, nous avons retenu que la plupart des auteurs que nous
avons mentionnés accordait, à des degrés divers, une place
importante à la problématique de l'image du corps. Certains de
ces auteurs, comme Bruch et Garner, lui ont davantage attribué une place
importante en la mettant au centre de leur modèle explicatif. Nous avons
également eu l'occasion de montrer l'intérêt qu'elle occupe
dans le DSM-IV, CIM-10 et parmi les facteurs jugés à risque. Dans
ce résumé de littérature que nous avons proposé, il
apparaît que les perturbations concernant les relations que l'anorexique
entretient avec son image du corps semblerait en effet une
caractéristique importante de ces patients. Elles se manifesterait par
un ensemble d'attitudes concernant le poids et les formes du corps,
dominées par un désir effréné de minceur et une
hantise de grossir. Cependant, ces perturbations se manifesteraient sous
différentes modalités. Certaines se verraient grosses en
dépit de la réalité, la plupart se reconnaîtraient
minces ou même maigres mais elles peuvent surestimer certaines parties de
leur corps, et d'autres seraient très fières de leur apparence
corporelle. Celles-ci, tout en étant conscientes de leurs maigreurs,
attribueraient à cet aspect une valeur esthétique et morale
exceptionnelle.
Ensuite, nous avons abordé la littérature
psychanalytique concernant l'anorexie. Dans ce domaine de recherche, peu
d'auteurs ont mis la problématique de l'image du corps au centre de
leurs théorisations. Parmi ces auteurs, nous avons mentionné les
travaux de S. Palazzoli qui a mis au centre de l'anorexie la
nécessité de contrôler le corps vécu comme
dangereux. Cependant, la plupart des auteurs, et plus particulièrement
ceux de ces vingt dernières années, ont mis au coeur de cette
pathologie la problématique de l'identité et du narcissisme.
Comme nous le verrons au chapitre suivant, le stade du miroir introduit par J.
Lacan met étroitement en lien l'identité et le narcissisme avec
l'image du corps, et plus précisément avec l'image
spéculaire. Il nous semblerait finalement possible soutenir
l'idée que la problématique de l'image du corps, tel qu'elle est
articulée par le stade du miroir de J. Lacan, occupe une place
prééminente dans l'anorexie. Ainsi, nous croyons avoir
montré une pertinence « à priori » du choix
de nous appuyer sur le stade du miroir pour procéder à la
recherche d'éléments pour une clinique différentielle de
l'anorexie. Il nous reste à éclaircir ce deuxième aspect
de notre recherche, à savoir l'intérêt à nous
engager sur la voie d'une clinique différentielle de l'anorexie.
A travers un parcours des différents apports
psychanalytiques, nous avons vu que l'anorexie mentale a été
considérée soit comme un symptôme qui se manifesterait
à partir de différents contextes psychopathologiques soit comme
une structure spécifique. Ces différentes lectures ont
été au centre des débats sur la place de l'anorexie
mentale dans la psychopathologie et dans la nosographie psychiatrique. Du point
de vue historique, nous avons vu que l'anorexie a été d'abord
assimilée à l'hystérie et à la dépression
mélancolique. Ensuite, elle a été considérée
comme la manifestation d'une structure psychotique. Après le tournant
des années soixante, lorsque de nouvelles catégories
nosographiques deviennent de plus en plus d'actualité, elle est
assimilée tantôt à une structure borderline tantôt
à une structure narcissique. Dans cette même période, un
courant progressivement dominant fait de l'anorexie une structure autonome bien
individualisée dans le champ psychopathologique et psychiatrique. Plus
récemment, plusieurs auteurs ont mis en évidence la dimension
addictive de l'anorexie conduisant certains auteurs à l'intégrer
dans le vaste champ des toxicomanies. En concevant le symptôme de
l'anorexie comme une fonction défensive contre des affects
dépressifs non structurés pouvant se manifester à partir
de structures psychiques différentes, ces auteurs n'ont pas
abandonnée l'idée que l'anorexie puisse être
envisagée comme un symptôme à partir de différents
contextes psychopathologiques. Ils reprennent l'axe névrotique ainsi
que psychotique mais sous des termes un peu différents de ceux de la
littérature classique. A titre d'exemple, selon Corcos le symptôme
se manifesterait dans un registre névrotique précaire,
plutôt que dans le cadre d'une névrose structurée, ou dans
un registre narcissique ou limite - psychoses passionnelles froides,
toxicomanie - , plutôt que dans le monde narcissiquement clos de
certaines psychoses. D'autres auteurs - comme Lacan, T. Vincent, Bidaud, Nasio
et d'autres auteurs qui se réfèrent à Lacan - reprennent
certains regroupements classiques et assimilent l'anorexie à une
structure hystérique ou psychotique. Sur la base de ces
considérations, il nous paraît donc encore d'actualité de
nous pencher sur une recherche visant à établir une clinique
différentielle de l'anorexie. En effet, même quand
l'hypothèse d'une structure psychopathologique autonome est
évoquée, les auteurs sont amenés à la rapporter
à des mécanismes non spécifiques qui peuvent se retrouver
dans différentes structures. Il nous semble raisonnable de poser
l'hypothèse que la distinction entre symptôme et structure
permettrait de rendre compte des différents axes névrotiques et
psychotiques évoqués dans la littérature sur l'existence
de différents types d'anorexies selon la structure du sujet.
En suivant cette orientation selon laquelle l'anorexie
s'inscrirait dans des structures psychiques sous-jacentes différentes,
nous voudrions soutenir l'hypothèse que le vécu et la
problématique de l'image du corps chez les anorexiques se
manifesteraient différemment en fonction des différentes
structures psychiques. Dans le cadre de ce travail de DEA, cette
hypothèse nous permettra de poser les bases cliniques et
théoriques de ce que nous appelons « une clinique
différentielle ». Au prochain chapitre, notre souci sera,
entre autres, de présenter et développer cette démarche.
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