4. Conclusion
Au terme de cette étude, il nous semble possible de
proposer des hypothèses de recherche pour un travail de doctorat
concernant le thème « éléments pour une clinique
différentielle de l'anorexie à travers le stade du
miroir ».
En premier lieu, nous avons proposé d'aborder
l'anorexie comme une pathologie concernant essentiellement la vie sexuelle et
les relations objectales. Plus précisément, nous avons
proposé de mettre l'accent sur les conflits se situant au niveau du
corps, et non pas au niveau des fonctions alimentaires. Au terme du premier
chapitre, nous avons montré l'importance des perturbations concernant
les relations que l'anorexique entretient avec son corps et son image du corps
à partir d'une étude approfondie de la littérature sur
l'anorexie. En raison de cette importance du corps et de l'image du corps, nous
avons choisi de nous appuyer sur le stade du miroir pour procéder
à la recherche d'éléments visant à établir
ce que nous avons appelé « une clinique différentielle
de l'anorexie ».
En second lieu, nous avons proposé d'envisager
l'anorexie comme l'expression d'un trouble s'inscrivant dans des contextes
psychopathologiques divers. Dans le domaine psychanalytique, l'anorexie a
été considérée soit comme un symptôme se
manifestant à partir de différentes organisations psychiques soit
comme une structure spécifique. Cependant, même quand
l'hypothèse d'une structure psychopathologique autonome est
évoquée, les auteurs sont amenés à la rapporter
à des mécanismes non spécifiques qui peuvent se retrouver
dans différentes structures. A travers un parcours des différents
apports psychanalytiques, nous avons montré la pertinence de nous en
tenir, dans un premier temps, à deux contextes psychopathologiques,
notamment à une structure psychotique et névrotique. En posant
l'hypothèse d'une distinction entre symptôme et structure, nous
voudrions rendre compte des différents axes névrotiques et
psychotiques évoqués dans la littérature sur l'existence
de différents types d'anorexies selon la structure du sujet. A partir de
ce choix, nous motivons l'intérêt à nous engager sur la
voie d'une clinique différentielle de l'anorexie et à
repérer des éléments de partage entre ces
différents contextes psychopathologiques. Nous avons proposé le
stade du miroir comme terrain théorique où puiser et
dégager ces éléments.
En suivant cette orientation selon laquelle l'anorexie
s'inscrirait dans des structures psychiques sous-jacentes différentes,
nous avons consacré une partie de ce deuxième chapitre aux
développements des premiers éléments visant à
établir une clinique différentielle de l'anorexie. Pour un souci
de clarté et de simplicité, nous nous sommes limités
à prendre en compte une seule période de la vie pendant laquelle
se déclencherait et se formerait le symptôme anorexique.
Cependant, nous souhaiterions pouvoir remettre à un travail de doctorat
la prise en compte d'autres tranches d'âge. La période de la vie
que nous avons choisi est la puberté en raison de l'idée
partagée par la plupart des auteurs que l'anorexie serait un
désordre qui se rencontre plus fréquemment à l'adolescence
et qui serait, en plus, liée au processus même de cette
période. Pendant la puberté, le sujet est confronté
à de complexes transformations corporelles et psychiques qui
entraînent la réactualisation d'une problématique infantile
liée à la sexualité. Lors de ce processus, le rapport du
sujet à la sexualité est remis en cause. Pour les deux contextes
psychopathologiques, notamment la structure psychotique et névrotique,
nous avons soutenu l'hypothèse que, lorsque les premiers changements
corporels se présentent, l'anorexique voudrait se défaire des
caractères qui signifient l'être femme ou l'être homme, et
maigrir serait une tentative de gommer ces caractères signifiants
liés à la sexualité. Selon le contexte psychopathologique
de référence, nous avons supposé la mise en oeuvre de
mécanismes spécifiques pour contrer l'appel à la
jouissance et faire face à ce refus, et une position subjective
différente du vécu de l'image spéculaire. Au terme de ce
chapitre, il nous semble raisonnable d'avancer les hypothèses
suivantes :
- Concernant l'anorexie s'inscrivant dans une structure
psychotique, l'anorexique mettrait en oeuvre un mécanisme
spécifique appelé « forclusion ». Ce
mécanisme entraînerait des perturbations de la perception de
l'image spéculaire selon les modalités que nous avons
décrites. En résumant, la représentation repoussante du
corps féminin réapparaîtrait sous la forme d'une
hallucination visuelle, c'est-à-dire celle de se voir grosse. A partir
de ce trouble, l'anorexique s'engagerait à poursuivre un jeûne
pour se défaire de ces caractères hallucinés. Concernant
la position subjective du vécu de l'image spéculaire,
l'anorexique se verrait grosse en dépit de la réalité et
vivrait son corps comme persécuteur. Cependant, cette hypothèse
nous oblige à introduire et à proposer une hypothèse
supplémentaire concernant la forclusion. Tout en partageant
l'hypothèse d'une forclusion liée à la fonction paternelle
étant spécifique à une organisation psychotique, nous
supposons également l'existence d'une forclusion qui porterait sur des
éléments autres que le Nom-du-Père. Or, cette
hypothèse concernant la forclusion, étant donné qu'elle ne
porterait pas sur le Nom-du-Père, soulèverait plusieurs questions
telles que : « Quel statut devrions-nous donner
à cette forclusion ? Devrions-nous la supposer toujours
spécifique à une structure psychotique ? Quel serait son
rapport avec la forclusion qui porte sur le
Nom-du-Père ? » Dans le cadre de ce travail de DEA, nous
n'avons pu soulever ces questions car elle nécessiteraient une
développement à part et, surtout, une mise à
l'épreuve de la clinique. Cependant, nous souhaiterions y donner suite
dans le cadre d'un travail de doctorat.
- Concernant l'anorexie s'inscrivant dans une structure
hystérique, l'anorexique mettrait en oeuvre un mécanisme
spécifique appelé « refoulement ». Le sujet
tiendrait à l'écart de la conscience le contenu refoulé
à travers la mise en place d'un certain type d'idéal. En
résumant, cet idéal se rapprocherait à une
expérience subjective, certainement d'une manière
renouvelée, s'inscrivant dans le vaste mouvement du renoncement
à la chair qui fût à certaines époques de
l'humanité un idéal social et se nouerait, de plus, autour de
l'idéal social largement véhiculé par les médias
concernant les exigences féminines de minceur, de régime et de
performance. Cet idéal pousserait l'anorexique à s'engager dans
un combat contre les caractères signifiants qui apparaissent au niveau
de l'image spéculaire pouvant évoquer le contenus refoulé.
Cet idéal de minceur permettrait ainsi de reconquérir un corps
infantile où aucun signe visible évoquant la jouissance
n'apparaît encore. Concernant la position subjective du vécu de
l'image spéculaire, l'anorexique se situant dans cette structure
psychique se sentirait très fière de son apparence corporelle,
mais également insatisfaite de son but atteint. Tout en étant
consciente de sa maigreur, elle attribuerait à cet aspect une valeur
esthétique et morale particulière.
Nous pensons avoir ainsi justifié nos premières
hypothèses et notre cadre théorique de référence.
Nous avons en outre proposé de premiers éléments pour une
clinique différentielle de l'anorexie mentale qui attendent d'être
approfondis, élargis et mis à l'épreuve de la clinique.
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