Eléments pour une clinique différentielle de l'anorexie à travers le stade du miroir( Télécharger le fichier original )par Serafino Malaguarnera Université Libre de Bruxelles - DEA en Sciences Psychologiques et de l'Education 2006 |
3. Développement des hypothèses : introductionAu premier chapitre, nous nous sommes employés à mettre en évidence l'importance de la place que les phénomènes concernant les relations avec l'image du corps occupent auprès des anorexiques. Il s'agira maintenant de préciser les rapports entre le symptôme anorexique et l'image du corps, et plus précisément l'image spéculaire, et la fonction du symptôme anorexique dans un contexte psychopathologique psychotique et névrotique. Dans le cadre de ce travail de DEA, nous nous limiterons à prendre en compte seulement les cas d'anorexie qui se manifestent pendant la période pubertaire en remettant pour un travail de doctorat un élargissement de cas concernant d'autres périodes de la vie. Il est généralement proposé que l'anorexie soit un désordre qui se rencontre plus fréquemment à l'adolescence et qui soit, en plus, lié au processus même de cette période de la vie. En raison de cette spécificité, S. Palazzoli77(*) distingue l'anorexie mentale de l'anorexie chronique et de l'anorexie « neurotique ». L'anorexie chronique se manifesterait dès la première enfance en présentant de graves troubles de l'intestin. L'anorexie « neurotique » peut apparaître à n'importe quel âge et se manifesterait en réaction à une situation insoutenable ou à un traumatisme psychique. En revanche, l'anorexie mentale se manifesterait pendant la période pubertaire ou post-pubertaire. Ce qui explique la dénomination de « Pubertats-magersucht » adoptée par les germanophones qu'on peut traduire avec « manie de l'adolescence pour la maigreur ». La notion même d'adolescence78(*) renvoie à l'émergence de changements corporels aussi profonds que déterminants et toute tentative de s'adresser à une pathologie de cet âge se doit de prendre en compte le corps. Il nous semble donc raisonnable, pour ce travail de DEA, de nous limiter à prendre en compte seulement les cas d'anorexie qui se manifestent pendant la période pubertaire. Pour les deux contextes psychopathologiques, nous situons donc le déclenchement et la formation du symptôme anorexique pendant la période pubertaire. Selon Freud79(*), la puberté représente la période finale des transformations corporelles e psychiques. En raison de ces transformations impliquant le corps sous différents aspects, le sujet est confronté à nouveau aux assises princeps composant le stade du miroir80(*), notamment : le fonctionnement réel du corps comprenant, entre d'autres, les pulsions ; les identifications imaginaires ; les identifications symboliques. Ce processus complexe est marqué par la réactualisation d'une problématique infantile liée essentiellement à la sexualité. L'issu de ce processus, teint de conflit, sera déterminé par l'organisation oedipienne et les défenses que le sujet mobilise pour contrer l'appel à la jouissance81(*). Au sujet de l'anorexie, nous voudrions soutenir l'hypothèse que, lorsque les premiers signes sensibles et visibles de la puberté apparaissent, l'anorexique manifesterait un refus à se sentir femme - ou à se sentir homme - et de voir son corps de femme - ou son corps d'homme. La vue de son corps deviendrait insupportable et l'anorexique voudrait bannir de sa vie psychique cette représentation. Plus précisément, ce que l'anorexique voudrait bannir concerne les caractères qui signifient l'être femme ou l'être homme et maigrir serait une tentative à gommer ces caractères signifiants liés à la sexualité. A partir de ce moment, nous supposons deux destins différents de cette représentation et un vécu spécifique concernant la propre image spéculaire selon le cadre nosographique où ils se situent. Ce sont nos premières hypothèses plus détaillées concernant les premiers éléments de ce que nous avons appelé « une clinique différentielle de l'anorexie à travers le stade du miroir » et que nous voudrions mettre à l'épreuve à travers le développement que nous proposons à partir d'ici. 3.1. Cas d'anorexie se situant dans un contexte psychopathologique psychotiqueComme nous l'avons indiqué au début de ce chapitre, nous ferons ici état des recherches de S. Thibierge au sujet des troubles de la reconnaissance et de la nomination en psychopathologie. Selon cet auteur, il y aurait des pathologies étroitement liées à l'image spéculaire considérée comme le moment où se constituent et se lient les repères subjectifs primordiaux de la reconnaissance et de l'identification. Ces pathologies montreraient une problématique concernant la perte d'une signification ayant une incidence sur l'image spéculaire. Cet auteur relève une corrélation entre cette perte et une atteinte de la consistance de l'image spéculaire dans les agnosies et dans les psychoses. Dans le domaine de la neurologie, Thibierge considère que la perte d'une signification, expliquée à partir d'une lésion cérébral, obligerait le sujet à réaménager les coordonnées concernant le sens de son expérience avec son propre corps. Dans ce domaine, il est possible d'observer plusieurs phénomènes qui vont d'un sentiment d'étrangeté à des formes proches de l'hallucination ou de l'idée délirante. Pour exemple concernant le domaine des agnosies, nous allons reprendre la prosopagnosie. Le mot « prosopagnosie82(*) » a été proposé par Bodamer83(*), en 1947, pour désigner l'incapacité à reconnaître les visages de personnes connues, dont la reconnaissance reste possible à l'aide de stimulus auditifs - tel que la voix - ou de stimulus visuels non physionomiques - tels que les caractéristiques des vêtements, signes caractéristiques, etc. Dans les cas plus graves, le patient ne reconnaît pas le visage des familiers et son propre visage. Cependant, excepté certains cas84(*), il sait qu'un visage c'est un visage, et la plupart des fois il distingue également le sexe et la race, mais il ne sait plus reconnaître un visage comme le visage d'untel. Selon Thibierge, ce type d'agnosie serait consécutif à une atteinte aux liaisons des différents éléments impliqués dans la reconnaissance et identification des visages. Le rapport entre le visage et la physionomie forme un type particulier d'unité qui se donne comme image dans ce qu'on appelle la reconnaissance des personnes et comme nom dans le nom propre. Dans la prosopagnosie, ces trois éléments - l'unité, le nom qui la symbolise et l'image qui le représente - sont atteints dans leurs corrélations85(*). Selon cet auteur, cette pathologie laisserait apparaître essentiellement deux séries de phénomènes. La première série concernerait une disjonction du nom et de l'image, celle-ci étant décomposée en éléments chacun identifiables sans que l'individualité puisse être reconnue et le visage nommé. En ce qui concerne la deuxième série de phénomènes, Thibierge souligne l'importance d'en tenir compte malgré sa rareté. Pour éclaircir ces phénomènes, ainsi que d'autres faisant l'objet de son ouvrage, Thibierge propose une distinction entre « reconnaissance » et « identification ». Il est possible de retrouver, bien que d'une manière implicite, cette distinction dans la pensée de Freud. Dès le début, cet auteur avait mis en évidence que le reconnaissable pour la conscience n'épuise pas le champ de la représentation, et constitue une fonction dérivée et discontinue. A tout moment, une représentation non présente au niveau de la perception peut envahir le champ scopique et s'imposer pendant quelques instants. Certains cas fournis dans « Psychopathologie de la vie quotidienne86(*) » nous offrent de bons exemples à ce sujet. Par exemple, lorsque nous disons ou nous lisons un mot à la place d'un autre, nous réalisons que nous avons de fait identifié autre chose que ce que nous pensions reconnaître. La deuxième série de phénomène concernant la prosopagnosie se présente comme une déformation de l'image qui se porte électivement sur le visage tout en laissant intacte la reconnaissance de celui-ci87(*). En d'autres termes, il y aurait un phénomène d'identification, selon le sens que Thibierge lui donne, c'est-à-dire l'émergence d'une représentation psychique modifiant le percept. Pour les rapprochements d'ordre phénoménologique à la clinique de certains cas d'anorexie, il nous semble intéressant de proposer l'observation suivante, rapporté par les auteurs, chez une malade : « Les visages sont étirés dans le sens de la largeur, et elle met l'accent sur la laideur des physionomies qu'elle voit ; ainsi à l'observateur elle déclare : `vous avez les lèvres étirées, le nez élargi, vous êtes grimaçant, vous êtes étiré plutôt dans le sens de la largeur, c'est quelque chose de pas beau, vos yeux sont étirés avec un énorme rond dessous.' La déformation s'étend à son propre visage vu dans le miroir : ` Je vois une vieille femme toute déformée, je ne m'imagine pas que je suis comme ça : par exemple, je sais que j'ai la bouche très arquée, quand je me regarde dans la glace je ne m'en aperçois même pas, j'ai le front plissé, ridé.' 88(*)». Pour le domaine des psychoses, S. Thibierge soutient et démontre que la perte d'une signification atteint les coordonnées même de l'image spéculaire et a une incidence sur la signification et sur les deux versants de la reconnaissance et de l'identification. Cette clinique est illustrée par les syndromes de Capgras89(*) et de Frégoli. Pour exemple, nous allons prendre en compte le syndrome de Frégoli qui a été décrit par Courbon et Fail90(*) en 1927. Classé parmi les délires d'identification des personnes, ce syndrome doit son nom à un fameux transformiste italien qui incarnait lors de ses représentations de nombreux personnages. La personne atteinte de ce syndrome est convaincue qu'une même personne, généralement persécutrice, s'incarne dans divers proches en modifiant constamment son aspect. Le persécuteur est souvent un inconnu, mais il peut parfois être désigné comme un proche, un voisin, un soignant ou un membre de la famille. Il change de visage et apparaît comme une même personnalité qui prend différentes apparences. Jacques Vié91(*) et Pierre Janet92(*) ont donné des contributions importantes qui précisent certains aspects cliniques des syndromes de Capgras et de Frégoli. Le premier cas cité par Vié concerne une femme dont le mari est parti en guerre de 1914-1918. Internée en 1923, elle soutient que son mari n'est en réalité jamais parti parce qu'elle a eu de fréquents rapports sexuels avec lui, mais il dissimulait son identité sous différentes apparences. Du point de vue de la reconnaissance, du percept, elle se rend bien compte qu'il y avait des différences physiques, mais son mari pouvait changer de figure facilement en étant un véritable illusionniste. Elle a eu donc des relations avec plusieurs hommes qui semblent différents mais qui sont en réalité toujours le même, à savoir son mari. Cette femme spécifie ce « même » en évoquant le fait que lors des rapports sexuels c'était toujours la même façon de faire. A propos de ce cas, S. Thibierge nous propose les considérations suivantes : « Ce qui vient polariser chez elle l'identification du même trait récurrent, auquel peut indifféremment s'accrocher n'importe quelle apparence d'homme, c'est quelque chose à quoi son propos attache une valeur caractéristique d'énigme ou de bizarrerie, à savoir la fonction sexuelle ici détachée comme telle, dans une répétition indifférenciée. Ce trait, c'est son mari, un, unique et le même quelle que soit l'image93(*) ». Bien que cette patiente puisse reconnaître au niveau du percept une différence entre l'homme qu'elle voit et son mari, elle identifie un trait qui s'impose au niveau du percept en lui donnant la certitude que l'homme qui est en face d'elle est son mari. Nous allons maintenant proposer un rapprochement entre la perte d'une signification ayant une incidence sur l'image spéculaire, comme ça a été développé par Thibierge, et certains cas d'anorexie qui semblent se situer du côté de la psychose où la perte de signification concernerait des caractères liés à la sexualité. Nous reprendrons, en partie, le développement de ce processus pathologique avec J.D. Nasio94(*) qui le situe, comme nous l'avons nous même proposé, pendant la puberté. Comme indiqué à l'introduction de ce paragraphe, c'est à partir des changements corporels profonds que la vue du corps propre devient insupportable et que l'anorexique veut bannir de sa vie psychique cette représentation. Nous allons maintenant suivre le destin de cette représentation qui est bannie dans une organisation psychotique et, ensuite, spécifier sa nature. S. Freud a toujours soutenu l'idée qu'un événement, une représentation ou une sensation inconciliable avec le fonctionnement psychique habituel peut déclencher des symptômes névrotiques ou une psychose hallucinatoire. Il a mis essentiellement l'accent sur l'aspect inconciliable d'une expérience avec l'ensemble du fonctionnement psychique et sur le conflit qui s'ensuit. La manière de répondre à ce conflit, appelé « mécanisme de défense », déterminerait la spécificité de la pathologie, à savoir soit une névrose soit une psychose. En 1984, Freud propose une mécanisme de défense spécifique pour la psychose et choisit le verbe « rejeter » pour l'indiquer. Ainsi, dans le cas de la psychose, le sujet rejetterait la représentation insupportable ou son substitut à l'extérieur du psychisme. A ce sujet, Freud écrit : « Il existe une sorte de défense bien plus énergique et bien plus efficace qui consiste en ceci que le moi rejette (verwirft) la représentation insupportable en même temps que son affect et se conduit comme si la représentation n'était jamais parvenue au moi »95(*). A cette période, l'état psychotique serait donc, selon Freud, l'expression d'une tentative désespérée du moi de se préserver en se débarrassant d'une représentation inassimilable qui, comme un corps étranger, menacerait son intégrité. A partir de cette description du processus psychotique, nous pouvons décrire schématiquement deux temps : un premier temps où il y aurait un surinvestissement par le moi d'une représentation incompatible avec les autres représentations normalement investies, et un deuxième temps où le sujet rejetterait violemment cette représentation engendrant ainsi une abolition de la réalité dont la représentation était la copie psychique. Dans les « Etudes sur l'hystérie », lorsqu'il présente la première description du transfert négatif, Freud emploie le « rejet » comme un synonyme du refoulement, à propos d'une patiente hystérique qui aurait « rejeté » dans l'inconscient un désir ancien d'être embrassée par un homme avec qui elle avait conversé96(*). Beaucoup plus tard, dans « Totem et tabou », on rencontre une acception du « rejet » qui dérive de la précédente et qui est placée au fondement de la conscience morale97(*). Ce concept apparaît aussi dans le cas clinique « L'homme aux loups 98(*)» et l'écrit « La négation99(*) ». Malgré ces différentes apparitions de ce mot « rejet », le statut théorique reste incertain dans les travaux de Freud. Les significations liées à ce terme sont donc assez variées, néanmoins on peut essentiellement les ramener à trois100(*) : dans le sens d'un refus qui peut s'opérer sur le mode du refoulement, dans le sens d'un rejet sous la forme du jugement conscient de condamnation101(*) et dans le sens d'un mécanisme de défense bien plus énergique que le refoulement. Lacan mettra en avant ce dernier sens, en se référant surtout à deux textes de Freud : « L'homme aux loups » et l'écrit « La négation». Cet écrit sur « la négation » permettra à Lacan de préciser la « forclusion », mot qu'il préfère à celui de « rejet », dans son rapport à un procès primaire qui comporte deux opérations complémentaires : l'introduction dans le sujet et l'expulsion hors du sujet. La première opération consisterait à accepter une représentation, la deuxième à la refuser. La première de ces opérations est ce que Lacan nomme « symbolisation », ou « Bejahung » (position, affirmation) primaire. La seconde, appelée forclusion, consisterait à ne pas symboliser ce qui aurait dû l'être. Le refoulement et la forclusion échouent tous les deux dans leur tentative de contrer la représentation intolérable de la castration puisque celle-ci fait inévitablement retour, mais les modalités névrotiques et psychotiques de ce retour sont très différentes. Dans la névrose, ce qui est refoulé et son retour sont homogène étant tout les deux de nature symbolique. Tandis que dans la psychose, ce qui est rejeté et son retour sont profondément hétérogènes. Dans le cas du refoulement, le retour de la représentation est encore une représentation qui fait toujours partie du moi. Par exemple, un symptôme névrotique serait un retour de même nature symbolique et tout aussi intégré au moi que la représentation refoulée, tandis que le retour psychotique serait tout autre chose que la représentation rejetée. Selon Lacan, ce qui serait rejeté, et qui ne serait donc pas symbolisé, réapparaîtrait dans le réel. A titre d'exemple, la non-acceptation et non symbolisation de la castration dans le cas de l'Homme aux loups102(*) réapparaîtrait dans le réel sous la forme d'une hallucination. L'image hallucinée de son petit doigt coupé, n'ayant aucune des propriétés symboliques d'une représentation, est saisi par le moi sans aucun affect et perçue avec la netteté d'une réalité indéniable qui lui serait étrangère. Lorsque Lacan isole le concept de forclusion chez l'Homme aux loups, ce concept est mis en relation avec la fonction paternelle. La fonction paternelle mettrait en place la « barrière de l'inceste » pour réguler la position du sujet à l'égard de son désir et de sa jouissance. Il convient de souligner que selon Lacan103(*) la forclusion se porterait sur un signifiant particulier lié à la fonction paternelle, appelé par Lacan « Nom-du-Père », et non sur des signifiants quelconques, ni sur des expériences singulières. Cependant, plusieurs auteurs104(*) se référant aux travaux de J. Lacan supposent l'existence d'une forclusion qui porterait sur des éléments autres que le Nom-du-Père. Dans le cadre de ce travail de DEA et de ce développement sur la forclusion, nous retiendrons de Freud et de Lacan essentiellement les deux points suivants : - La représentation que le moi veut bannir de sa réalité psychique concerne la réalité sexuelle ; - L'hypothèse d'un mécanisme de défense bien plus énergique que le refoulement appelé « forclusion ». Ce mécanisme serait spécifique à une organisation psychotique. Sur la base des éléments que nous venons de développer, il nous semble possible de proposer une modalité spécifique du fonctionnement psychique de l'anorexique chez un sujet s'inscrivant dans une structure psychotique. Nous avons choisi de prendre en compte les cas d'anorexie qui se déclenchent pendant la puberté. A cette période, le sujet se trouve face à de complexes transformations corporelles et psychiques qui entraîne la réactualisation d'une problématique infantile liée à la sexualité. Concernant la psychose, il s'agirait d'interroger la manière dont s'actualise, lors de ce processus de la puberté, le rapport du sujet à la sexualité. Plus précisément, il s'agirait d'interroger la manière de répondre à l'appel de la jouissance dans une organisation psychique où la position du sujet n'a pas été régularisé à l'égard du désir et de la jouissance par la fonction paternelle. Comme nous l'avons déjà indiqué, face aux changements corporels, l'anorexique voudrait bannir de sa vie psychique les caractères qui représentent, au niveau de l'image spéculaire, l'être femme ou l'être homme. Une représentation insupportable et bannie de la vie psychique selon les modalités propre à la forclusion réapparaîtrait dans le monde des sens en tant que chose hallucinée, visuelle, auditive, olfactive ou tactile. L'hallucination serait donc un trouble grave de la perception provoquée par un trouble de la symbolisation, à savoir par l'expulsion d'une représentation ou signification que le sujet ne peut pas tolérer. Dans les cas d'anorexie chez un sujet psychotique, la fille refuserait d'intégrer dans le moi la représentation inacceptable du corps féminin. Ainsi, la représentation repoussante du corps féminin réapparaîtrait sous la forme d'une hallucination visuelle, c'est-à-dire celle de se voir grosse. A présent, il nous semble possible de proposer un rapprochement entre les manifestations pathologiques de la patiente atteinte du syndrome de Capgras citée par Vié et cette clinique de l'anorexie sur un versant psychotique. Comme nous l'avons expliqué, la patiente citée par Vié, bien qu'elle pouvait reconnaître des différences au niveau de la reconnaissance, identifiait toujours le même trait sur une personne qui n'était pas son mari lui donnant la certitude que celle-ci était son mari. Dans la clinique de l'anorexie dans une structure psychotique, l'anorexique, bien qu'elle puisse reconnaître et distinguer au niveau du percept une forme grosse d'une forme maigre, identifierait toujours le même trait de grosseur sur son image spéculaire en lui donnant la certitude qu'elle est grosse. L'anorexique s'engagerait ainsi dans un combat sans fin contre ces traits persécuteurs de grosseur. Nous voyons ici le corps persécuteur décrit par Selvini105(*) qui considérait cette pathologie comme une forme de « psychose mono-symptomatique ». * 77 Selvini-Palazzoli M. L'Anoressia mentale. Dalla terapia individuale alla terapia familiare. Milano : Feltrinelli, 1981. * 78 Cf. Birreaux A. Le corps adolescent. Paris : Bayard, 2004. * 79 Freud S. (1905) Trois essais sur la théorie de la sexualité. Paris : Gallimard, 1987. * 80 Dor J. « Langage et communication dans la problématique lacanienne des psychoses » in : Ladame F., Gutton P., Kalogerakis M. Psychoses et adolescence. Paris : Masson, 1989, p.46-49. * 81 Maleval J.C. La forclusion du Nom-du-Père. Le concept et la clinique. Paris : Seuil, 2000, p.285. * 82 du grec prosopon = visage * 83 Denes G., Pizzamiglio et al. (1990) Normalità et patologia dei processi cognitivi, Bologna : Zanichelli, 2000, p. 520-521. * 84 Cf. Sacks O. (1985) L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Paris : Editions du Seuil, 1992. * 85 Thibierge S. Pathologies de l'image du corps. Etude des troubles de la reconnaissance et de la nomination en psychopathologie. Paris : PUF, 1999, p. 189. * 86 Freud S. (1901) Psychopathologie de la vie quotidienne. Paris : Payot, 1967. * 87 Thibierge S. Pathologies de l'image du corps. Etude des troubles de la reconnaissance et de la nomination en psychopathologie. Paris : PUF, 1999, p. 189. * 88 Thibierge S. Pathologies de l'image du corps. Etude des troubles de la reconnaissance et de la nomination en psychopathologie. Paris : PUF, 1999, p. 189-190. * 89 Capgras J., Lucchini P., Schiff P. « Du sentiment d'étrangeté à l'illusion des sosies ». Bull. sco. clin. méd. ment., décembre 1924, p. 210-217. * 90 Courbon P., Fail G. « Syndrome d'illusion de Frégoli et schizophrénie ». Bull. Soc. clin. méd. ment., 1927, 5-6-7, p. 121-125. * 91 Vié J. « Un trouble de l'identification des personnes : l'illusion des sosies », Ann. méd.-psych., 1930, t. I, p. 214-237. * 92 Janet P. « L'hallucination dans le délire de persécution », Revue philosophique, 1932, janvier à juin, p. 61-98 et 279-331 ; « Les sentiments dans le délire de persécution ». Journal de psychologie, 1932, mars-avril, p. 161-241 et mai-juin, p. 401-461. * 93 Thibierge S. Pathologies de l'image du corps. Etude des troubles de la reconnaissance et de la nomination en psychopathologie. Paris : PUF, 1999, p. 64-65. * 94 Nasio J.-D. Mon corps et ses images. Paris : Payot, 2007. * 95 Freud S. (1894) « Les psychonévroses de défense » in : Névrose, psychose et perversion, Paris : PUF, 1973, p. 1-14. * 96 Freud S. (1892-1895) Etudes sur l'hystérie. Paris : PUF, 1967, p. 245. * 97 La conscience morale est « la perception interne du rejet de certains désirs que nous éprouvons, étant bien entendu que ce rejet n'a pas besoin d'invoquer des raisons quelconques, qu'il est sûr de lui-même », Freud S. (1912-1913) Totem et tabou. Paris : Payot, 1986, p. 82. * 98 Freud S. Cinq psychanalyses. Paris : PUF, 1954. * 99 Freud S. (1925) « La négation » in OEuvre complètes. Vol. XVII, Paris : PUF, p. 165-171. * 100 Laplanche J., Pontalis J.-B. Vocabulaire de la psychanalyse. Paris : PUF, 1967, p.164. * 101 On trouve dans cette acception le mot composé « Urteilsverwerfung » dont Freud indique lui-même qu'il est synonyme de « Verurteilung » qui signifie « jugement de condamnation ». * 102 Freud S. (1918) « L'homme aux loups » in : Cinq psychanalyses, Paris : PUF, 1995. * 103 Lacan J. (1958-1959) Le séminaire III. Les psychoses. Paris : Seuil, 1981. * 104 Pour exemple, Melman propose « une tentative de forclusion propre à cet âge (adolescence) » : Melman Ch., « Une question particulière du père à l'adolescence ? », in Clinique psychanalytique. Articles et communications. 1973-1990, publication de l'Association freudienne, Paris : Grenoble, 1991, p. 193 ; J.-D.Nasio propose « une forclusion locale » in : Les yeux de Laure. Transfert, objet a et topologie dans la théorie de J. Lacan. Paris : Fammarion,1987. * 105 Voir le paragraphe 4.4 du premier chapitre de notre travail. |
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