La reconduction du type d'acteur institué lors du
CPE
En premier lieu, il convient d'analyser l'instauration par les
médias du monde associatif comme moteur du mouvement d'opposition. Alors
que les mobilisations émergent habituellement d'acteurs singuliers ayant
accès à l'espace public, les prémisses de la mobilisation
se construirent sur les restes encore tenaces des opposants au CPE. C'est par
conséquent un collectif politique, à la fois trop
hétérogène dans sa forme et trop complet du point de vue
du nombre d'acteurs qui a été désigné pour mener la
lutte. En effet, plus d'une centaine d'associations se sont regroupées
au sein du collectif « Uni(e)s contre une immigration
jetable ».
Dès décembre 2005, Le Monde a
interrogé des personnalités associatives sur le projet de
loi : Olivier Brachet pour Forum Réfugié, Pierre
Tévanian du collectif LMSI (Les mots sont importants), Claire Rodier du
GISTI (Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés).
Le mois suivant, les trois quotidiens retenus dans notre corpus ont
évoqué différentes associations : Cimade (Service
oecuménique d'entraide, LDH (Ligue des Droits de l'Homme), MRAP
(Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples),
9ème collectif des sans-papiers... Le traitement
médiatique se concentrera sur les déclarations du ministre de
l'Intérieur jusqu'au mois de mars, mois au cours duquel on peut
constater un basculement. En effet, les articles se font plus nombreux à
l'approche du débat parlementaire, mais la poursuite du mouvement contre
le CPE est aussi en train de prendre une échelle inédite. C'est
pourquoi le collectif « Uni(e)s contre une immigration
jetable » va être institué comme un interlocuteur unique
et comme l'acteur collectif le plus représentatif de cette nouvelle
mobilisation de citoyens encore préoccupés par la question du
travail. Dans les faits, ce collectif émane du GISTI, et Claire Rodier,
juriste du GISTI, en devient naturellement le porte-parole. Il s'est
constitué en fédérant la plupart des acteurs de la lutte
contre le CPE et à reçu le soutien des principales associations
de défense des étrangers, des immigrés ou des droits de
l'Homme, ce qui a permis une légitimation immédiate au regard des
médias.
Il est intéressant de voir que l'émergence de ce
collectif a conduit à un effacement des identités politiques de
chaque syndicat, groupe ou association pour se fondre en une entité
unique, sans un porte-parole particulier. Les médias ont veillé
à instituer un collectif et n'en ont pas fait ressortir une quelconque
personnalité, reprenant une énonciation identique à celle
élaborée lors du récit sur le CPE. Nous constatons
finalement la création d'un espace public de l'opposition au sein duquel
règne l'indistinction, dans la mesure où l'on ne peut pas en
dissocier les acteurs, et parce que l'ensemble des participants partagent un
fragment d'idéologie en commun, une représentation d'une
immigration juste et l'imaginaire d'une immigration équitable et
réussie. Ce fait est nouveau car la communication des associations
existait jusqu'à présent dans l'espace public à travers la
voix d'une personnalité militante ou politique. Certes des
individualités reconnues composent ce collectif, elles prennent la
parole en tant qu'experts, mais la voix des associations est pour la
première fois une et collective. Si bien que cela vient troubler les
acteurs traditionnels de l'espace public. Nous émettons deux
hypothèses à ce propos. La première, la moins probable,
serait qu'avec un message simple et un relais médiatique puissant, le
mouvement associatif se soit mû en un élan citoyen. La seconde
serait que l'hétérogénéité des
identités et la puissance de certaines associations participant au
collectif Uni(e)s contre une immigration jetable ait eu pour conséquence
de neutraliser un quelconque leadership dans le mouvement pour
seulement relayer des idées précises et partagées. Cette
dernière option reviendrait à relativiser fortement les
capacités de proposition et de réflexion de ces structures sur le
long terme.
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