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L'identité en débat - Représentations et idéologies dans les discours sur l'immigration au sein de l'espace public

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par Jean-Marie GIRIER
Université Lyon II - Université Lyon III - ENS-Lsh Lyon - Master 2 recherche en Sciences de l'information et de la communication 2007
  

Disponible en mode multipage

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Master 2 recherche

en Sciences de l'Information et de la Communication

L'IDENTITÉ EN DÉBAT

Représentations et idéologies dans les discours sur l'immigration au sein de l'espace public.

Jean-Marie GIRIER

Sous la direction de Bernard LAMIZET

Professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Juin 2007

UNIVERSITE LYON II UNIVERSITE LYON III ENS-LSH

« L'IDENTITÉ EN DÉBAT »

REPRESENTATIONS ET IDEOLOGIES DANS LES DISCOURS

SUR L'IMMIGRATION AU SEIN DE L'ESPACE PUBLIC.

Jean-Marie GIRIER

sous la direction de Bernard LAMIZET

Résumé :

Ce mémoire traite d'un débat sur l'immigration dans l'espace public à travers un large corpus composé de discours d'acteurs politiques, associatifs et médiatiques. L'objectif est de comprendre comment s'est instauré le débat, quelles sont les représentations de l'immigré échangées et quelle idéologie apparaît.

Tout d'abord, il est démontré que l'organisation du débat a subit l'influence d'évènements conjoints (CPE, élections présidentielles). Le second chapitre définit les représentations actuelles de l'immigré en montrant l'importance du refoulement de la période coloniale. De plus, il décrit l'existence d'un imaginaire négatif de l'étranger. Enfin, il est affirmé que le débat sur l'immigration est avant tout l'occasion de parler de l'identité nationale et de la nation.

Mots-clefs :

Altérité, débat parlementaire, espace public, évènement, identité nationale, idéologie, imaginaire, immigration, intégration, inter-évènementialité, nationalisme, représentation, stéréotype.

Abstract :

This dissertation deals with a public debate on immigration through a large corpus made of political, associative and media actor's speeches. The aim is to understand how has been established the debate, what perceptions of immigrant are exchanged, and what sort of ideology appears.

Firstly, it is proved that the debate organization comes from conjoined events influence (The CPE, the presidential election). The second chapter defines current perceptions of immigrant and it shows the colonial period unconscious repression extents. Furthermore, it depicts a negative imaginary of stranger. Finally, it is affirmed that the immigration debate allows to talk about national identity and nation.

Keywords :

Debate, events, ideology, imaginary, immigration, integration, nationalism, national identity, parliamentary, perception, public common, stereotype.

Sommaire

Introduction

1

Immigré ou étranger ?

2

Un fait social inscrit dans le temps de l'histoire

4

Problématique

7

Le choix du corpus

10

 
 
Chapitre 1

Le projet de loi sur l'immigration dans le temps des évènements.

12

I. La construction médiatique de l'espace du débat

12

Médias, acteurs et débat

12

Les médias : une communication engagée au coeur de l'information

13

Acteurs institués et acteurs réels

15

Quand l'opinion fait l'argument

17

II. Un débat qui doit s'appréhender à travers son inter-évènementialité

20

La crise du CPE

23

La reconduction du type d'acteur institué lors du CPE

24

De « Jeunes et jetables » aux travailleurs immigrés jetables

26

Un combat parlementaire analogue à la mobilisation contre le CPE

28

Les élections présidentielles de 2007 et de 2007 : deux évènements déplaçant

l'enjeu du débat

31

Un projet de loi électoraliste

32

Le malaise du PS sur le terrain de l'immigration

34

La pression pré-électorale des mouvements associatifs

37

L'individualisation dans le combat politique électoral

39

 
 

Chapitre 2

Les représentations de l'immigré, symboles d'une xénophobie inconsciente.

42

I. Imaginaire et fantasme

43

Représentations de l'immigration et imaginaire

43

Imaginaire et vérité

46

L'irruption de l'imaginaire dans le débat politique

48

Les interruptions en séance : des fragments signifiants de vérités

singulières

49

 
 

II. Une vision coloniale de l'immigré

53

Les refoulés de la colonisation

53

Représentations, stéréotypes et langage

56

Représentations iconiques : le retour des races

61

Le mythe « du bon sauvage »

61

L'immigré noir

62

La couleur de peau comme identifiant politique

63

III. Les représentations de l'immigré au XXIe siècle : entre fraude et

terrorisme

65

L'immigré fraudeur et clandestin

65

De l'immigré au terroriste

71

 
 

Chapitre 3

Immigration, intégration, identité nationale : vers une nouvelle idéologie nationaliste.

75

I. L'idéologie intégrationniste

75

Un rôle inconscient assigné à l'immigration

76

Différences culturelles et nouveau racisme sans race

80

II. Vers un nouveau dispositif idéologique nationaliste

83

Quand les différences culturelles balayent les différences de classe

83

Repli identitaire, peur et identité nationale

85

Un nouveau nationalisme ?

86

 
 

Conclusion

89

Bibliographie

94

Annexes

99

Remerciements

Je tiens à exprimer ma gratitude envers l'équipe enseignante et administrative du master recherche en Sciences de l'Information et de la Communication et tout particulièrement Bernard Lamizet pour sa grande disponibilité, son accompagnement et ses conseils avisés.

Toute ma reconnaissance va également à Evelyne et Robert Girier. Je remercie tout particulièrement Marie Durand pour son soutien de tous les jours et ses précieuses relectures.

Je tiens enfin à remercier toutes les personnes, élus, assistants parlementaires et militants associatifs qui ont accepté de me faire partager leur expérience du débat de 2006.

Jean-Marie Girier

Introduction

Ce n'est pas une image juste, c'est juste une image

Jean-Luc Godard

Vendredi 18 mai 2007, le secrétaire général de l'Elysée annonce la nomination de Mr Brice Hortefeux au poste de Ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement. Les mots sont là. La portée symbolique de cette volonté présidentielle est forte. La question de l'identité nationale, longtemps objet de controverse durant la campagne des élections présidentielles, s'incarne désormais dans le réel d'un ministère qui se verra attribuer une administration.

Immigration, identité nationale, intégration, codéveloppement. Ces quatre termes recouvrant un immense champ sémantique sont désormais réunis, reliés par un raccourci qui ne se dit pas. Ils renvoient pour certains aux heures sombres de l'histoire de France et pour d'autres à l'espoir d'un nouveau pragmatisme politique. Relents vichystes ou néo-nationalisme ? Le débat fait rage, et n'est pas sans rappeler le débat sur la loi immigration et intégration votée en juillet 2006. En effet, c'est lors d'une discussion autour d'un projet de loi de Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l'Intérieur, que ces quatre notions furent présentées conjointement pour la première fois.

La discussion parlementaire tenue du 2 au 17 mai 2006 à l'Assemblée nationale a provoquée une onde discursive à travers l'espace public. Elle représente un évènement qui nous permet de comprendre la construction d'une nouvelle représentation de l'identité française. De plus, il s'agit d'un évènement précurseur dont nous pourrions, avec quelque peu de recul, souligner la similitude entre son déroulement et celui de la campagne présidentielle qui le suivit. Mais pourquoi passer par la question de l'immigration pour parler d'identité ? Quelles conceptions de l'immigration sous-tendent les diverses prises de position ?

Immigré ou étranger ?

Avant tout développement, il convient de définir le terme central de ces débats. Qu'est ce que l'immigration ? Qu'est ce qu'un immigré ? Ces questions d'apparence simpliste masquent une immense confusion. Le recours à la littérature nous a ainsi permis de constater que la signification du terme « immigration » n'est pas fixée, preuve des luttes discursives autour de ce thème.

Voici les définitions que nous pouvons trouver dans des dictionnaires classiques :

« Immigration : Entrée, établissement temporaire ou définitif dans un pays, de personnes non autochtones1(*). »

« Immigration : Entrée dans un pays de personnes non autochtones qui viennent s'y établir, généralement pour y trouver un emploi2(*). »

Ces définitions, à un intervalle de dix années, présentent un noyau commun, mais ajoutent des éléments lourds de sens. Le recours au terme « non autochtone » renvoie à une distinction vis-à-vis de l'autre par soi-même (autos) et à une notion de terre, de territoire (khthôn). Notons par ailleurs les compléments apportés à cette définition centrale. La première définition précise les deux modalités d'établissement (temporaire ou définitif), alors que la seconde évoque au moyen d'une incise la recherche d'un emploi.

Selon Gérard Noiriel3(*), l'emploi du terme « immigré » s'est développé par son usage dans la presse et dans le discours politique. Face à la confusion récurrente avec le terme « étranger », les instituts statistiques ont établi une définition plus précise. Dans le langage administratif, un « immigré » est tout individu habitant en France mais qui n'y est pas né. La définition repose donc davantage sur le déplacement géographique que sur la nationalité. Ainsi, un immigré n'est pas forcément un étranger et réciproquement. Mais par souci de sortir les Français des DOM-TOM du statut d'immigré4(*), l'INSEE a créé la catégorie des « originaires » des DOM en 1999, en posant désormais comme immigré « toute personne née étrangère à l'étranger ». L'apparition du terme « étranger » dans la nouvelle définition semble être passée inaperçue tant les théoriciens de l'immigration négligent le traitement de ce moment clé dans le passage de la reconnaissance d'une altérité à l'exclusion d'une communauté. Comme le soulignent Groulx et Porcher, « étranger » renvoie à l'extérieur (étrange, extraneus) ; l'étranger est « celui qui n'appartient pas ou n'est pas considéré comme appartenant à la communauté d'une localité, d'un groupe, d'une famille5(*) ».

Nous retrouvons ce terme d'« étranger » dans la définition construite par Simone Bonnafous. Un immigré, dans son discours, correspond à « toute personne de naissance étrangère ou née d'un étranger, installée d'elle-même ou à la suite de ses parents dans le pays, pour y vivre, y assurer sa subsistance et éventuellement celle de sa famille6(*) ». Il s'agit ici d'un contre-pied à toutes les définitions officielles de l'époque qui prend en compte l'immigration dans le temps à travers la filiation. Sa définition, réalisée à la fin des années 1980, aborde la question des enfants d'immigrés et le contexte social des migrations. Les vocables sont symptomatiques de cette période durant laquelle l'immigration n'était plus seulement liée au travail et qui s'accompagnait des premières grandes arrivées en France au titre du regroupement familial7(*).

Au terme de la présentation de ces définitions, force est de constater une multiplicité d'énoncés. De la définition officielle évolutive à des propositions plus engagées, révélatrices de certaines représentations, les termes d' « immigration » et d' « immigré » ne sont pas fixés. La définition reflète ainsi l'histoire d'un fait social au statut mouvant.

Un fait social inscrit dans le temps de l'histoire

Si ces définitions évoluent, si l'on ne cesse de légiférer sur cette thématique, c'est aussi parce que le réel de l'immigration a changé. Selon les statistiques officielles liées à l'actualisation du recensement national de 1999, il y avait en 2004 près de 5 millions d'immigrés en France, dont 3,5 millions d'étrangers8(*) venus principalement d'Algérie, du Maroc, du Portugal et d'Italie. La nature de cette immigration a relativement peu changé, mis à part une plus forte présence des femmes, ce qui n'était pas le cas auparavant. A partir d'un imaginaire attribuant à l'étranger la mauvaise conjoncture économique et l'inflation du chômage, les autorités se sont employées depuis quelques années à engager une politique de réduction et de contrôle strict de l'immigration. Désormais, suite à la mise en place de multiples réglementations, c'est à la situation des sans-papiers, de l'immigration non-légale, et de l'augmentation des prétendants au droit d'asile politique que s'attelle le législateur. Mais le débat est dès lors vif, car le traitement de la question migratoire est profondément lié à l'Histoire.

Les migrations ont toujours existé et ont contribué à construire les civilisations et les nations à travers les époques. Pierre Vidal-Naquet9(*) rappelle que l'on oppose dans la cité grecque le xenos (étranger) au politès (citoyen) sans oublier le statut du metoikos (métèque), littéralement « celui qui habite avec » (oïkos ; maison), qui pouvait alors être naturalisé.

L'immigration est fondamentalement liée à l'existence de frontières réelles, et la révolution politique de 1789 apparaît ainsi comme un évènement charnière. Comme le souligne l'historien Gérard Noiriel, spécialiste de l'immigration en France, la Révolution française « a entraîné la naissance de territoires strictement délimités par des frontières rigides, à l'intérieur desquels vivent des communautés de citoyens disposant de droits que l'État garantit et protège contre les menaces extérieures. La révolution industrielle, qui débute à la même époque, a provoqué une formidable accélération de la mobilité des hommes10(*)». Jusqu'au début du Second Empire, la France fut autant un pays d'émigration que d'immigration. C'est d'ailleurs durant cette période qu'apparaissent les termes « immigration » (1768) et « immigrant » (1787). Alors que quelques commerçants installaient des comptoirs en Afrique et en Asie, un mouvement de masse a conduit de nombreux natifs du territoire français à prendre la direction de l'Amérique, du Québec à la Louisiane. Parallèlement, la faible immigration de l'époque relevait du voisinage.

Les vagues d'immigration correspondent à l'essor économique de la France. Gérard Noiriel indique que cet attrait est lié aux « déséquilibres que la révolution industrielle a provoqués entre les différentes parties du globe ». L'historien évoque un phénomène cyclique en constatant que les trois grandes périodes d'afflux (1850, 1930, 1960), qui correspondent à un fort dynamisme économique, sont suivies d'une période de stabilisation ou de recul (1880, 1930, 1980).

Tout au long de la seconde moitié du XXème siècle, c'est l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui a servi de cadre de référence. Au lendemain de la guerre, la France s'affiche comme un pays d'immigration durable, sans distinction d'origine, où les travailleurs et leurs familles ont toute leur place. L'immigration, souhaitable, est désormais maîtrisée, d'autant plus que l'État crée un Office national de l'immigration auquel il confie le monopole de l'organisation des entrées. Cependant, comme le souligne Patrick Weil11(*), dans les années 1960, l'État français « favorise une immigration européenne plutôt qu'une immigration coloniale », premier biais de cette ouverture universelle.

Dès les années 1970, dans un contexte de crise économique, l'ordonnance de 1945 se révèle inadaptée à une politique restrictive12(*). Réformé tout au long des années 1980, ce texte de référence est devenu un cadre à géométrie variable, objet d'une politisation sans précédent. A partir de 1990, c'est l'ensemble de l'immigration qui est remise en question par les gouvernements de droite. En 1993, Charles Pasqua annonça comme objectif « l'immigration zéro ». Cela introduisit une remise en question des protocoles internationaux concernant le droit d'asile. L'article 120 de la Constitution de 1793 soulignait déjà que le gouvernement « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté » ; cette intention sera renouvelée dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme (1948), la Convention de Genève (1949), et le protocole de New York (1967). Dans notre récente histoire politique, il apparaît une double acception de la question migratoire, soit liée à l'absence d'emplois en France, soit liée à des conditions humanitaires. Après la loi instaurant l'asile territorial du socialiste Jean-Pierre Chevènement, Nicolas Sarkozy soumit au Parlement le projet de loi « Immigration, séjour des étrangers, nationalité ». Avec ce texte de 2003, le gouvernement Raffarin a rendu l'obtention des visas difficile afin de lutter contre le faux tourisme. Il a alourdi les peines contre les employeurs de clandestins, réformé la double peine, augmenté les délais de rétention administrative et a multiplié les motifs de retrait de plein droit de la carte de séjour temporaire. Enfin, on ne peut pas ne pas évoquer l'Union européenne qui a contribué à une nouvelle image d'un « immigré extra-communautaire» avec l'instauration d'une citoyenneté européenne lors du traité de Maastricht.

En France, le débat sur l'immigration cristallise un nombre certain de passions. De Gambetta à Curie, d'Appolinaire à Zola, les immigrés ont contribué à l'Histoire et à la construction de ce qui fait la France d'aujourd'hui. Il s'agit bien de l'Histoire, car l'étude des mouvements migratoires a commencé dans cette perspective avant que les évolutions du XXème siècle ne viennent sortir l'immigration des sciences pour la poser comme un « problème ».

Dans son ouvrage fondateur sur le sujet écrit au début des années 199013(*), Simone Bonnafous apporte des résultats édifiants quant à l'homogénéisation du comportement de la presse et l'élaboration d'un consensus au profit des thèses de l'extrême droite. Elle a montré à travers l'étude minutieuse de dix quotidiens de 1974 à 1984 que la médiatisation de l'immigration est allée de pair avec une modification de l'approche journalistique. Alors que l'immigration apparaissait problématique au regard du public, Bonnafous a constaté de nombreux chevauchements référentiels entre des médias dont les approches sont habituellement antinomiques. Cela nous conduit directement à évoquer les représentations qui se jouent dans les discours des médias, mais aussi dans d'autres institutions discursives. Le thème de l'immigration, mettant en jeu les concepts d'altérité et d'identité interroge à la fois le rapport au monde et le rapport à soi, il implique de prendre en compte une double réalité politique et sémiotique. Ce sera l'enjeu de ce mémoire.

Problématique

Notre travail portera sur le débat autour de la loi relative à l'immigration et à l'intégration touchant au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) lors du printemps 2006. Il consistera à étudier l'organisation et la composition des discours dans l'espace public. Au-delà, c'est à travers l'étude des représentations de l'immigré présentes dans diverses argumentations que nous souhaitons voir comment le lexique élabore ces représentations.

Après une première loi en 2003, Nicolas Sarkozy a présenté un projet de loi dès mars 2007, en pleine crise du CPE. Pourquoi légiférer deux fois au cours d'un même mandat sur la question de l'immigration ? Le ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire présente ce projet comme un complément à la loi de 2003. Il décrit son objectif en une formule : « Nous ne voulons plus d'une immigration subie, nous voulons une immigration choisie, voilà le principe fondateur de la nouvelle politique de l'immigration que je préconise14(*) ». Dès lors un débat va s'instaurer dans l'espace public autour de cette question sur lequel viendront influer un certain nombre d'évènements périphériques. C'est à partir de cette période de discussion démocratique que nous allons analyser les prises de position. Comment s'est organisé le débat autour du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration dans l'espace public ? En quoi le débat parlementaire a entraîné une onde discursive dans l'espace public ? En quoi l'échéance présidentielle a-t-elle intensifié le débat d'idée ? Comment des éléments périphériques à la loi CESEDA ont instauré ou influencé ce débat ?

Notre analyse s'appuiera principalement sur la discussion parlementaire à l'Assemblée nationale et sur les nombreux discours qui l'ont entouré. Il conviendra d'examiner le lexique employé en tant qu'il construit les représentations. L'analyse de notre corpus sera l'occasion de mettre en exergue les représentations de l'immigré en France à cette période. Quels éléments lexicaux ont conduit à construire une représentation négative de l'immigré ? L'absence d'une opposition franche par les partis de gauche sur les représentations de l'immigré participe-t-elle de la lepénisation des esprits ?

Enfin, nous nous interrogerons sur le thème de l'identité, et sur son lien avec l'immigration. Cela nous permettra, à l'éclairage du débat de 2006, de comprendre l'apparition d'un nouveau ministère en 2007. Comment la question de l'identité nationale s'est-elle retrouvée au coeur des discussions ? Et au-delà, à l'égard de l'imaginaire mobilisé dans ces discours, peut-on entrevoir dans ce projet de loi les premiers fondements d'une construction idéologique néo-nationaliste ?

Nous faisons l'hypothèse que l'échéance présidentielle a joué un rôle majeur sur le traitement du thème de l'immigration pour la droite comme pour la gauche. De plus, les discours des associations seraient davantage adressés aux partis de gauche plutôt qu'au gouvernement de Villepin. En outre, la conjoncture politique et les revendications sociales (CPE, Non à l'Europe) ont conduit à ce que le thème de l'immigration du travail prenne le devant sur d'autres éléments clés de cette loi. Cela a eu pour effet d'évacuer le pathos qui caractérise habituellement les discours autour des questions du mariage et du droit d'asile.

Nous postulons par ailleurs qu'au sein de ce débat public, de l'existence du projet de loi au débat en assemblée en passant par la formulation de la loi, les représentations de l'immigré reposent sur un ensemble d'éléments non positifs. Nous supposons que les représentations de l'immigré, procédant d'un stéréotype, relèvent d'un imaginaire historiquement construit et sont inconsciemment partagées par la majorité des acteurs de l'espace public.

Enfin, nous pensons que le débat à partir des représentations de l'immigré, avec la question attenante de l'intégration, procède d'un effet de miroir sur les représentations de l'identité nationale. De plus, ces discours participent d'une construction idéologique reformulant une identité collective en crise par le renforcement d'un nouveau nationalisme.

Nous répondrons à ces questions par une double méthodologie. Comme nous venons de l'indiquer, les objectifs de notre problématique sont différents, les méthodes le seront aussi. Les sciences de l'information et de la communication nous offrent une multiplicité d'approches, et nous profiterons de cette hétérogénéité pour utiliser les outils les mieux adaptés à nos préoccupations. Ainsi, notre travail se situera au carrefour de la sémiotique, de l'analyse politique, de l'histoire et de la statistique. Pour répondre à des questions ciblées concernant les débats à l'Assemblée nationale, pour repérer rapidement des éléments de langage essentiels, notre méthode consistera en une analyse lexicométrique des discours effectuée à l'aide du logiciel Lexico 3.45 développé par André Salem de l'Université la Sorbonne Nouvelle - Paris III. Nous n'appliquerons pas cette méthode à l'ensemble notre analyse dans la mesure où elle présente des limites quant à son efficacité, c'est pourquoi nous la mobiliserons à titre complémentaire. Cette méthode quantitative, loin de faire l'unanimité est entièrement basée sur la notion de fréquence. Le discours est segmenté dans sa plus petite unité, la forme graphique. Afin de pouvoir effectuer des comparaisons, il est nécessaire de traiter tous les textes avec une méthode de dépouillement strictement identique. Nous avons opté pour les normes mises en place par Dominique Labbé en 199015(*). En outre, le logiciel Lexico 3.45 nous permettra de disposer des fonctions de calcul des spécificités du vocabulaire16(*) et des segments répétés17(*).

Mais si de nombreuses études ont démontré que les termes lourds de sens étaient aussi les plus répétés18(*), nous considérons que notre problématique nécessite une ouverture vers des outils issus de l'analyse du discours pour renforcer les mises en relation dans le traitement de la question de l'immigration. Par ailleurs, nous procéderons à moindre échelle à une analyse iconographique pour envisager l'ensemble des représentations de l'immigré, y compris dans leur dimension esthétique.

Enfin, il convient de souligner que nous ne cèderons pas à l'isomorphisme entre lexique et parti politique. Cela apparaîtrait réducteur et nous préférerons utiliser des notions de relation. Nous nous plaçons dans la ligne de Jean-Baptiste Marcellesi selon lequel cet isomorphisme conduirait à prêter au locuteur une naïveté linguistique et politique dans la mesure où il serait incapable de tenir des discours différents19(*). Le vocabulaire ne peut pas être considéré comme une étiquette fixée à un groupe politique car cela imposerait une rigidité qui ne correspond pas à une réalité de chassés-croisés lexicaux. Nous pourrons nous placer au-delà de cet isomorphisme en procédant à l'étude de l'univers lexical. Les mots ne seront pas séparés de leur environnement lexical adjacent.

Le choix du corpus20(*)

La majeure partie de notre corpus est composée des discussions à l'Assemblée nationale autour du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration. Ce débat est particulièrement dense. Comme l'exprimait Thierry Mariani, député UMP élu dans la quatrième circonscription du Vaucluse et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

« Au cours de ces trois mois, le débat parlementaire a été particulièrement riche et intense. On pourrait bien sûr le mesurer quantitativement : deux semaines de débat dans chaque assemblée, plus de 54 heures de discussion à l'Assemblée nationale et plus de 50 heures au Sénat, 189 amendements adoptés dans notre assemblée et 117 dans la seconde chambre ».

Nous avons pris en compte l'intégralité du débat à l'Assemblée nationale. A ce propos, nous tenons à souligner que les prises de paroles lors de cette discussion parlementaire se sont distribuées entre de rares orateurs. Seulement treize députés et ministres sont intervenus plus d'une dizaine de fois pour soutenir des amendements ou pour des rappels au règlement21(*).

Afin de compléter les discours d'assemblée, nous avons aussi sélectionné le texte du projet de loi, les interventions sur les plateaux de télévision de Nicolas Sarkozy ainsi que le rapport du sénateur François-Noël Buffet : « Immigration clandestine, une réalité inacceptable, une réponse ferme, juste et humaine ».

Dans un deuxième temps, notre corpus se compose d'un ensemble de discours, de communiqués et de lettres émanant d'entités instituées dans l'espace public comme le champ de l'économie sociale. De nombreux acteurs se sont engagés dans le débat autour du projet de loi relatif à l'immigration. Dans un souci d'exhaustivité, nous avons pris en considération des discours des Eglises, des discours associatifs (Ligue des droits de l'Homme, CIMADE, collectif Uni(e)s contre une immigration jetable...), des discours syndicaux, et des discours de partis politiques (FN, PS, PC...)

Enfin, il nous semblait essentiel prêter attention au discours médiatique, sans lequel notre propos sur ce débat aurait été amputé de ce corps central dans la construction de l'espace public. Notre choix s'est porté sur un quarantaine d'articles émanant de trois quotidiens nationaux parus entre février et juillet 2006. Tout d'abord le journal Le Monde, qui a largement couvert cet évènement et qui présente la spécificité de disposer d'une journaliste spécialisée dans la question migratoire. Ensuite, le journal L'Humanité qui, de part sa proximité avec le PCF, présente un point de vue très engagé. Enfin, le quotidien Libération dont la politique a consisté à donner la parole aux acteurs du débat à travers des tribunes.

Dans un premier chapitre, nous présenterons l'instauration du débat dans l'espace public et nous développerons l'importance du concept d'inter-évènementialité en l'appliquant d'une manière détaillée. Le chapitre suivant sera consacré à une analyse des représentations de l'immigré. Enfin, nous discuterons dans un troisième chapitre des liens entre l'identité nationale et le débat public sur l'immigration. Nous ouvrirons une discussion sur les éléments de construction idéologique et nous observerons à travers le prisme de l'immigration quels sont les éléments qui définissent la nation et l'identité française à l'heure de la mondialisation.

Chapitre 1

Le projet de loi sur l'immigration

dans le temps des évènements.

I. La construction médiatique de l'espace du débat

Il convient d'examiner pour commencer l'articulation principale de notre corpus. Le discours politique que nous étudions combine un thème et un espace de communication. Le thème, nous l'avons dit, est celui de l'immigration, et comme nous le montrerons dans le dernier chapitre celui de l'identité nationale. L'espace de communication est celui du débat public, de l'échange et de la confrontation de représentations politiques, d'imaginaires politiques autour du thème. Dans cette modalité de l'espace public, le temps est un mécanisme essentiel car il impose le réel d'un calendrier dans le débat symbolique. Or cette temporalité du débat est indéniablement liée au temps des médias qui, en imposant leur agenda, instaurent les acteurs, orientent le débat et fondent l'espace public.

Médias, acteurs, et débat.

Tout d'abord, il faut revenir sur le rôle des médias dans la construction de l'espace public. A partir des travaux d'Habermas22(*), il faut souligner que l'existence même de l'espace public est liée à la présence des médias. En effet, Habermas définit l'espace public comme un espace de communication, d'échange symbolique de représentations et de construction d'une opinion politique. La publicité devient alors une condition de visibilité et d'existence dans cet espace de l'indistinction où le sujet porte davantage un projet politique qu'une identité.

Les médias sont des acteurs importants du champ du débat public auquel ils donnent une forme, un langage, pour donner une consistance symbolique au fait politique. Ils font sens en donnant une signification aux évènements qui n'auraient pas d'existence sans le discours journalistique. En effet, leur première fonction consiste à produire une information sur le réel du monde à travers laquelle ils construisent l'espace public. Ici, les médias produisent un discours sur d'autres acteurs de l'espace public, ceux qui se trouvent dans une logique de pouvoir. Parce qu'ils mettent en parallèle et qu'ils relient les évènements les uns aux autres, les médias permettent la construction d'un maillage de sens pour offrir aux acteurs qui recherchent l'information des outils afin d'appréhender d'une manière globale le fait politique. Ici, ils sont l'espace de la médiation entre les acteurs politiques et les citoyens, les lecteurs.

Les médias : une communication engagée au coeur de l'information.

Derrière la notion d'espace public, il y a la notion de lieu symbolique. L'espace public n'est pas le réel mais les médias proposent une construction symbolique du réel. De surcroît, ils projettent leur imaginaire de l'espace public sur les représentations qu'ils en donnent, c'est pourquoi certains acteurs politiques, liés au réel du pouvoir sont littéralement exclus de ces espaces publics médiatés.

Dans le cadre du débat sur le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, nous proposons d'appréhender l'espace public du débat comme le fruit d'une division engagée du réel, division non remise en question par une idéologie du journalisme associant à une construction symbolique les valeurs de vérité, d'information, de critique ou même de subversion.

Derrière notre corpus d'articles de presse (Le Monde, Libération, l'Humanité) existe implicitement une orientation commune dans l'instauration de l'espace du débat malgré certaines oppositions idéologiques fortes. Si elle ne prend pas explicitement position, l'énonciation journalistique s'apparente à une forme de communication politique lorsqu'elle tend à susciter l'adhésion des lecteurs. Lors de l'élaboration de l'information, les médias mettent en place des stratégies afin de donner une place au lecteur. Mieux, comme pour les acteurs du débat, ils instituent leurs lecteurs en acteurs dans l'espace public. C'est ainsi que lors du référendum sur le projet de traité constitutionnel en 2005, les médias prirent position pour le « Oui », ils se sont engagés en 2006 contre le projet d' « immigration choisie ». Par conséquent, l'énonciation élaborée fait en sorte que les lecteurs s'inscrivent « naturellement » dans l'opinion portée par les journalistes. Les journaux de notre corpus adoptent tout trois une position similaire de rejet de la loi en discussion.

La posture de l'Humanité est radicale, le quotidien du Parti communiste place le déroulement du débat parlementaire au second plan pour ouvrir une discussion sur le thème de l'immigration. Ainsi, le 10 janvier 2006 paraît un dossier spécial intitulé : « Un projet dangereux sous le sceau de l'utilitarisme ». L'interview de Fernanda Marrucchelli, membre du Conseil national du PCF est révélatrice de l'ensemble du traitement du débat par le quotidien :

« On aurait tort de considérer cette politique comme une dérive ou une restructuration de plus. Elle porte tous les caractères structurels d'un projet de société libérale. Ce qui se construit contre les migrants se construit contre la société tout entière, par la pénalisation de tous les mouvements sociaux, sur un racisme bien habillé, si banalisé qu'il déclenche de moins en moins de prise de positions nettes. »

Libération institue également son lecteur en acteur de la lutte contre le projet de loi, mais individualise une opposition au futur candidat à la présidentielle Nicolas Sarkozy. On trouvera alors des articles traitant des « bons immigrés vantés par Sarkozy », du « parfait petit manuel pour expulser les clandestins » ou encore de la « croisade contre la loi Sarkozy sur l'immigration ».

Pour sa part, Le Monde a offert une couverture très importante à l'évènement, alternant informations juridiques, entretiens avec des intellectuels et des universitaires opposés à la position de Nicolas Sarkozy et des articles soutenant la dangerosité du projet de loi. Il faut bien préciser que le journal Le Monde est le seul quotidien à disposer d'une journaliste spécialisée dans les questions migratoires, Laeticia Van Eeckhout. Cette spécialisation transparaît dans un traitement très rigoureux et la mise en avant des incohérences gouvernementales. Le Monde dénonce ouvertement un projet dangereux « au dépens de l'intégration ». D'où cet article intitulé « Les limites de l'immigration choisies », dans lequel la journaliste offre à son lecteur des clefs d'opposition :

« Sous couvert de promouvoir une « immigration choisie », le projet de loi de M. Sarkozy se justifie en fait avant tout par son volet visant à « resserrer les boulons », selon les termes utilisés au ministère de l'Intérieur, contre « l'immigration subie ». 

Avant de conclure :

« On peut en tout cas douter que ces mesures améliorent l'image de la France, dans un contexte d'économie mondialisée. Si les étrangers sont identifiés à des fraudeurs potentiels, les migrants les plus qualifiés pourraient continuer de préférer le Canada, les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, à une France, frileuse et repliée sur elle-même, voire perçue comme xénophobe. »

En trois mois de médiatisation du débat, l'Humanité et Libération ne laisseront pas une seule fois la parole aux défenseurs du projet de loi. Seul Le Monde offrira à son audience un entretien avec Nicolas Sarkozy intitulé « L'immigration choisie est un rempart contre le racisme » et un dialogue sur sa plateforme internet avec Thierry Mariani, rapporteur du projet de loi autour de la question « La France doit-elle choisir ses immigrés ? ». Ces deux interventions ont eu lieu le 27 avril 2006, jour choisi par le ministre de l'Intérieur pour défendre son projet dans tous les grands médias. Notons également que Le Monde a publié une tribune à Jacques Toubon, missionné par le Président de la République pour créer la Cité nationale de l'Histoire de l'immigration, dans laquelle il s'oppose à Nicolas Sarkozy et enjoints les parlementaires à ne pas rejeter le modèle d'intégration républicain.

Acteurs institués et acteurs réels

Dans cet espace public médiaté du débat sur l'immigration, il est important d'analyser quels acteurs ont été institué en tant que moteurs de la lutte contre ce projet. Dans l'espace « légitimé » par les médias, les actions des collectifs issus du champ de l'économie sociale ont été très largement amplifiées. Ainsi, le collectif « Uni(e)s contre une immigration jetable », grâce à une stratégie d'actions politiques à haute portée symbolique, a été institué par les médias comme l'acteur incontournable d'opposition, avant même l'opposition des partis politiques. Dès les prémisses du débat public, Le Monde met en avant le « tollé des associations contre le projet Sarkozy » en insistant sur la multiplicité des acteurs qui s'accordent autour d'une lutte commune :

« Selon Act Up, la Cimade (service oecuménique d'entraide), la Fasti (la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés), le Gisti (Groupe d'intervention et de soutien aux travailleurs immigrés), la LDH (Ligue des droits de l'Homme), le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples) et le 9ème Collectif des sans-papiers, ce projet "annonce une nouvelle étape dans la guerre aux étrangers menée par le gouvernement". »

Les journaux quotidiens comme les médias audiovisuels se feront l'écho des grandes manifestations populaires « contre l'immigration jetable », si bien que notre corpus contient seulement deux entretiens avec des membres du gouvernement ou de la majorité, contre treize pour les leaders associatifs et trois pour les responsables socialistes.

Au contraire, le discours des Églises chrétiennes et de leurs branches associatives n'est que très peu repris. Le Monde relayera leurs actions seulement à travers deux brefs articles, l'un avant le débat pour faire part de leur « l'inquiétude », l'autre après le vote pour retranscrire le synode de l'Eglise réformée durant lequel elle s'est « alarmée » de la situation des sans-papiers. Libération évoquera rapidement la nouvelle « croisade contre la loi Sarkozy » de cinquante associations chrétiennes.

Selon les acteurs associatifs et politiques que nous avons pu rencontrer, cette construction de l'espace public ne serait pas représentative du réel de la mobilisation de terrain. En effet, les parlementaires de droite, et ceux de gauche dans une moindre mesure, ont été très fortement sollicités par les représentants des Églises qui ont entrepris un important travail de lobbying. D'ailleurs, on peut constater qu'au cours du débat parlementaire, il a davantage été question de la position de l'Eglise catholique que des associations, ce qui ne transparaît pas du tout dans le traitement journalistique des débats. Sur la question des sans-papiers, beaucoup regrettent que le travail de fond entrepris depuis des dizaines d'années par certaines organisations ait été occulté. On voit clairement, dans cette circonstance, la capacité des médias à faire naître des acteurs nouveaux. Le travail de réinterprétation journalistique a institué des acteurs collectifs comme références de la réalité au détriment de militants réels auxquels on a barré l'accès au statut d'acteur dans l'espace public.

Quand l'opinion fait l'argument

Comme le souligne Patrick Champagne23(*), le jeux politique se réorganise aujourd'hui et se structure autour de l'opinion publique. Nous avons effectivement constaté, à travers l'étude de notre corpus, un emploi important des sondages. Il nous semble ainsi intéressant de développer ce point. Lors de la publication des résultats d'enquêtes diverses, nous assistons à un renversement des identités au cours duquel les médias dépassent le cadre de l'information traditionnelle pour produire et mettre en débat une opinion.

Dans son récent ouvrage24(*), François Héran fait part de son questionnement quant à l'emploi des « révélateurs » d'opinion publique dans le débat politique. En effet, au cours du débat houleux autour de la loi CESEDA, la majorité s'était appuyée sur un sondage de la SOFRES publié en 2005 par Le Monde selon lequel 63% des Français approuvent l'idée qu'« il y a trop d'immigrés en France ». Ce sondage dont l'objectif consistait à évaluer la percée des idées du Front national était formulé à travers un questionnaire fermé et ne proposait pas toujours de contrepartie symétrique aux réponses proposées. A partir de là, nous souhaitons investir la problématique du poids de l'opinion publique dans l'argumentation de la confrontation. Quelle est l'influence des sondages dans l'évolution des représentations ? En quoi ce recours à des valeurs numériques permet de conforter des éléments préétablis par une construction engagée ? Héran soulève une remarque juste, et un rapide panorama de notre corpus nous confirme la forte présence des batailles statistiques, occultant en partie la confrontation brute des représentations de la société. Alors que ce démographe se penche sur la composition des sondages, nous proposons pour notre part de nous interroger sur leurs emplois.

Le rôle de diffusion des idées politiques par les médias en fait un réel acteur à part entière du débat politique puisqu'il s'engage en publiant tel ou tel sondage. De surcroît, son objet d'information tend à dériver. Alors que la publicité traditionnelle consistait à informer des identités exprimées par les partis politiques, puis plus tard par des individualités politiques qu'incarnent les nouveaux leaders, nous voyons aujourd'hui la formulation de l'identité de « citoyens imaginaires », le réel du citoyen que sanctionne le vote étant occulté.

C'est à partir de là que l'opinion publique entre dans les débats et que les médias font entrer leurs voix en instaurant certains éléments de discussion dans l'Assemblée nationale. Pour ces raisons, le débat sur des éléments quantitatifs tend parfois à supplanter le débat d'idée. Les identités politiques constituées à partir d'une idéologie tendent à laisser leurs représentations politiques imaginaires de côté.

Nous avons retrouvé l'utilisation du sondage publié par Le Monde en 2005. Lors de sa première intervention au sein de l'hémicycle, le ministre de l'Intérieur, afin de justifier l'existence même de ce projet de loi et pour répondre aux attaques de l'opposition le qualifiant de xénophobe, s'appuie sur celui-ci :

« Les Français nous demandent de regarder cette réalité en face. Jamais le fossé n'a été aussi grand entre le discours de certaines élites et la réalité, telle qu'elle est perçue par nos compatriotes.

Selon un sondage de la SOFRES publié par Le Monde en décembre 2005, 63 % des Français estiment qu'il y a trop d'immigrés en France. Parmi ces 63 % de Français, 50 % sont des électeurs de gauche. Plutôt que de leur reprocher de penser ce qu'ils pensent, il me semble plus utile d'essayer de comprendre pourquoi ils pensent ainsi et de leur apporter des réponses.

Je suis convaincu que l'immense majorité de nos compatriotes n'est ni raciste ni xénophobe, qu'ils exècrent le racisme et la xénophobie. Mais reconnaissons les choses telles qu'elles sont : pour beaucoup de Français, l'immigration est une source d'inquiétude qu'il nous faut prendre en compte.»

Cet emploi est particulièrement révélateur de la véritable contamination du débat politique par les sondages. L'effet de vérité est puissant, et on peut constater que ce genre d'outil s'invite sous le sceau d'une évidence déconcertante dans les interviews télévisées. Le chiffre transporte dès lors une doxa, il impose aux masses un argument comme la voix de la raison collective.

La thématique des sondages nous permet également de souligner le lien direct entre médias et institution parlementaire, véritable médiation. Seuls ces deux espaces politiques fondent une communication à partir de ces données, alors que les autres acteurs institués dans l'espace public (monde associatif, syndicats, cultes...) se refusent traditionnellement à entrer dans l'arbitraire.

Or nous constatons qu'une argumentation statistique n'est attaquée par l'opposition parlementaire que par un recours à d'autres éléments chiffrés. Bien que certains critiquent l'utilisation abusive des études d'instituts dont il faut rappeler que la première préoccupation est marchande, la réaction de Patrick Braouezec (PCF) sur le sondage de 2005 fut la suivante :

« Vous estimez et basez votre politique sur le rendement, sur des chiffres - au point même d'utiliser des sondages de décembre 2005 comme arguments d'autorité. Permettez-moi de citer d'autres sondages, comme celui qu'a réalisé l'institut Louis Harris les 28 et 29 avril et selon lequel 54 % des Français pensent que la France doit être un pays d'accueil pour l'immigration, 46 %, soit près d'un Français sur deux, qu'elle est un atout général pour la France et 76 %, dont je fais partie, sont favorables à la régularisation des sans-papiers présents depuis cinq ans sur notre territoire. Vous utilisez, quant à vous, le sondage de décembre pour justifier la réduction du nombre de migrants. »

Nous assistons dès lors à une confrontation sondage contre sondage, représentations contre représentations. Signalons ici que l'enjeu repose sur la représentation de l'électorat proposée dans la construction des sondages. Ceux-ci formulent des représentations d'identités politiques, et on construit quantitativement à partir d'une addition de points de vue singuliers la représentation d'une identité collective, qui est d'ailleurs une identité indistincte. De là, les ministres et députés construisent la justification de leurs arguments à partir d'un imaginaire construit par les médias.

Puisque nous venons de montrer comment se construit l'espace public et de quelle manière s'instaurent les acteurs, il nous faut désormais prendre en compte le débat dans sa valeur d'évènement et le replacer dans un cadre contextuel et temporel.

II. Un débat qui doit s'appréhender à travers son inter-évènementialité

Il nous semble important d'analyser la conjoncture entourant ce débat. Un traitement de ce sujet omettant son entourage discursif nous aurait paru incomplet. Parce que les médias construisent une information à partir d'un certain nombre d'évènements structurant l'espace public, ils l'imposent ensuite au coeur du débat dans le champ politique et institutionnel. C'est ainsi qu'un ensemble d'évènements sont venus se superposer jusqu'à venir parfois percuter, court-circuiter le débat relatif à l'immigration et à l'intégration.

A partir des travaux d'Eliseo Véron25(*), nous considérons que les médias façonnent des éléments du réel pour construire un ou des évènements. Ils nous proposent leurs réalités et participent ainsi à la construction d'un espace public. A partir de l'ouvrage « Construire l'évènement », il nous semble important de prendre en compte trois éléments participant à la construction : la prise en considération d'évènements singuliers, leur désignation, et la mise en relation avec des objets extérieurs à leur réel.

La mise en place du débat sur l'immigration en tant qu'évènement s'effectue directement en lien avec la conjoncture politique, ce qui implique la prise en compte d'évènements extérieurs apportant une plus-value sémiotique par un ensemble de productions discursives qui permettent d'aller au-delà de la singularité de l'évènement.

Dès lors, nous souhaitons proposer une analyse en terme d'inter-évènementialité. Ce vocable issu du modèle aujourd'hui connu de l'inter-textualité nous permet de mettre en avant deux points essentiels. Tout d'abord, la construction de l'évènement ne peut s'effectuer que conjointement à d'autres objets présents dans un champ discursif plus large qui viendraient « naturellement » s'immiscer dans le traitement du nouvel évènement. Il s'agit de ne pas s'enfermer dans le « réel » de l'évènement car les clés de compréhension se situent également dans des objets extérieurs. Ensuite, ce concept permet de souligner l'importance du temps que nous formulerons à partir de la construction entreprise par Bernard Lamizet dans son dernier ouvrage26(*) :

« L'évènement s'articule aux autres évènements qui l'accompagnent dans le même moment de l'histoire - c'est ce que l'on appelle son articulation à la conjoncture - aux évènements qui lui sont conjoints. Par ailleurs, l'évènement s'articule à d'autres, comparables, survenus dans des conjonctures comparables ou ayant eu des conséquences comparables - c'est ce que l'on appelle l'articulation de l'évènement à la mémoire ».

Dans un cas comme celui de l'immigration, le recours à l'histoire et à la mémoire impose la présence d'évènements antérieurs qui interviennent comme des médiations dans le temps court du débat. La variante temporelle de l'inter-évènementialité fait sens parce qu'elle permet de situer le traitement de la discussion parlementaire dans un historique politique auxquelles réfèrent les identités en confrontation.

Avec l'inter-évènementialité, on sort de la matérialité du réel pour prendre davantage en compte le symbolique de l'évènement, qui s'intègre à présent dans des articulations avec d'autres types de discours. Dès lors, « l'évènement devient un signifiant, ce qui implique que les sujets de la sociabilité l'intègrent, comme n'importe quelle figure, dans leurs processus de communication et de représentation27(*) ». Dans le cas de notre corpus, nous nous plaçons dans le réseau discursif de la « question sociale ». Les stratégies élaborées par les médias ont fait émerger des liaisons symboliques, avec plus ou moins de fidélité, alors que d'autres aspects ont été négligés.

Dans la temporalité proche du débat sur le projet de loi CESEDA (février à juillet 2006), nous avons retenu un ensemble d'évènements antérieurs intervenant dans l'orientation même de la délibération politique ainsi que dans son traitement médiatique28(*). Ils sont nombreux et leurs liens avec l'immigration parfois complexes. Dans un premier temps, nous avons choisi de procéder à une énumération, bien que nous ne puissions garantir une quelconque exhaustivité tant les mécanismes temporels nous privent de saisir l'ensemble des références. Dans un second temps, nous détaillerons deux évènements ainsi que leur influence dans le traitement médiatique et dans les argumentations politiques.

Autour des problématiques de l'immigration et de l'intégration, il est possible de rapprocher de nombreux évènements, ce qui nous amène à faire appel à l'actualité antérieure à juin 2006. Cela nous permettra sans doute de mieux appréhender l'état d'esprit des acteurs du débat. La fin de mandat du Président Chirac ne se passe pas dans les meilleures conditions. Après une énième crise du voile et un « débat » sur la laïcité en 2004, le « rejet » du projet de traité constitutionnel européen par les électeurs isola la France sur le plan politique au sein de l'Union européenne. La question de l'immigration, réapparue lors du décès de dix-huit immigrés d'origine africaine dans l'incendie d'un immeuble insalubre à Paris, fut réinvestie lors de la « crise » des banlieues durant laquelle de nombreux acteurs gouvernementaux attribuèrent les nuits d'émeutes aux jeunes immigrés ou français issus de l'immigration ainsi qu'aux familles polygames. La peur de l'islamisme, aiguë depuis les attentats du World Trade Center, fut ravivée par l' « affaire » des caricatures de Mahomet. Concernant les mémoires, la présentation au Parlement d'un texte sur le rôle positif de la colonisation mis à jour les cicatrices d'une décolonisation douloureuse. Parallèlement, des jeunes acteurs issus de l'immigration devinrent les emblèmes de ce combat qui prit une forme esthétique dans le film Indigènes avant de se traduire dans une loi symbolique sur la revalorisation des pensions des combattants des colonies. Enfin, le débat sur l'immigration s'est déroulé conjointement à trois autres évènements : une crise sociale majeure portée par la jeunesse, celle du mouvement pour l'abrogation du « contrat première embauche » (CPE) ; l'affaire politico-financière Clearstream mettant en cause des membres du gouvernement ; et le début de la campagne présidentielle avec l'organisation de la désignation du candidat du Parti socialiste.

L'ensemble de ces évènements singuliers représente de multiples temps courts entourant notre débat qui doivent aussi s'intégrer dans un temps long de l'immigration et de l'intégration. Dès lors, il faudrait interroger notre histoire et nos mémoires, celle de la colonisation, des décolonisations, la construction d'un modèle républicain et l'avènement de valeurs portées aujourd'hui comme les devises d'un État démocratique moderne. Nous ferons appel à ce temps long au cours de notre second chapitre, dans la mesure où sa force se perçoit davantage lors des processus de construction des représentations.

La crise du C.P.E 

Les deux mois de mouvements sociaux de contestation du projet de contrat première embauche furent fortement médiatisés. Cet évènement nous apparaît comme un élément majeur dans l'orientation du débat sur la loi CESEDA par les médias mais surtout dans les positions adoptées par les acteurs. Nous faisons l'hypothèse que l'organisation du débat sur la loi relative à l'immigration et l'intégration en tant qu'évènement s'est produite comme le miroir du débat public autour du CPE.

La proximité entre la sortie de crise du CPE et le débat sur l'immigration a conduit à placer à nouveau la question du travail comme un élément central du débat alors que celui-ci aurait pu se tourner davantage vers des questions humanitaires ou sociales (mariage, regroupement, droit d'asile...). Après la victoire de la mobilisation contre le CPE, mais aussi contre le gouvernement, la construction de l'évènement autour du débat sur l'immigration de travail représente une transposition, une réminiscence de l'évènement CPE.

La question du travail est une préoccupation essentielle pour l'ensemble des Français. Face aux effets réels de la hausse du chômage, de l'augmentation des délocalisations, de l'échec des 35 heures et d'une croissance moyenne, la thématique du travail s'est imposée dans le débat public sur l'immigration dans la mesure où elle représente un dénominateur commun pour le plus grand nombre. On perçoit donc ici ce qui a permis l'effet de miroir entre le CPE et la loi CESEDA : le premier touche à l'appartenance professionnelle et le second à l'appartenance nationale. Par conséquent, ces deux débats ont abordé chacun à leur manière une des deux composantes majeures de l'identité politique des citoyens.

Le projet de contrat première embauche a déclenché une mobilisation sans précédant d'une jeunesse en quête d'un avenir meilleur. Cet évènement s'est structuré autour de collectifs puissants menés par l'ensemble des organisations syndicales et étudiantes. L'union des acteurs de cette mobilisation, à laquelle on peut ajouter un soutien et un relais fort des partis de gauche et d'extrême gauche, à permis de faire reculer le gouvernement, mais surtout d'installer le travail comme une thématique centrale et déclinable sur de nombreux schémas : ce fut le cas pour l'immigration.

La nouvelle politique d'immigration proposée par Nicolas Sarkozy aborde l'immigration de travail en acceptant des étrangers afin d'exercer les professions pour lesquelles il n'existe pas suffisamment de main d'oeuvre en France. Le texte précise que « L'étranger se verra alors délivrer une carte de séjour temporaire d'un an, renouvelable sur la durée de son contrat de travail. A moins qu'il y ait rupture du contrat, auquel cas elle lui sera retirée ». En outre, le projet amorce implicitement l'instauration de quotas, ainsi le gouvernement indiquera chaque année au Parlement « à titre prévisionnel le nombre, la nature et les différentes catégories de visas de long séjour et de titres de séjour » pour les trois années suivantes, « en distinguant en particulier l'admission au séjour aux fins d'emploi, aux fins d'études et pour motifs familiaux » et « en tenant compte de la situation démographique de la France, de ses perspectives de croissance, des besoins de son marché de l'emploi et de ses capacités d'accueil » en matière de logement, d'éducation, de services publics. La loi crée aussi une carte « compétence et talents » pour « faciliter les conditions d'admission au séjour des étrangers susceptibles de participer de façon significative au rayonnement de la France ».

Pour toutes ces raisons, la lutte s'est engagée contre une immigration qualifiée de « jetable ». Le combat associatif et syndical qui a saisi la thématique du travail a reçu une couverture massive et plutôt favorable dans les médias et, à terme, dans l'ensemble de l'espace public. Beaucoup de médias s'attendaient alors à vivre un « CPE-bis ». A partir de ce moment, le travail est devenu un sujet de discussion majeur tout au long du débat29(*). La médiatisation en ce sens a eu pour effet d'occulter les autres mesures du projet de loi : débat sur l'asile, sur l'outre-mer, sur l'intégration, sur le regroupement familial. Dans le texte, l'immigration de travail concerne pourtant moins d'une dizaine d'articles alors que le projet de loi en comporte 84.

La reconduction du type d'acteur institué lors du CPE

En premier lieu, il convient d'analyser l'instauration par les médias du monde associatif comme moteur du mouvement d'opposition. Alors que les mobilisations émergent habituellement d'acteurs singuliers ayant accès à l'espace public, les prémisses de la mobilisation se construirent sur les restes encore tenaces des opposants au CPE. C'est par conséquent un collectif politique, à la fois trop hétérogène dans sa forme et trop complet du point de vue du nombre d'acteurs qui a été désigné pour mener la lutte. En effet, plus d'une centaine d'associations se sont regroupées au sein du collectif « Uni(e)s contre une immigration jetable ».

Dès décembre 2005, Le Monde a interrogé des personnalités associatives sur le projet de loi : Olivier Brachet pour Forum Réfugié, Pierre Tévanian du collectif LMSI (Les mots sont importants), Claire Rodier du GISTI (Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés). Le mois suivant, les trois quotidiens retenus dans notre corpus ont évoqué différentes associations : Cimade (Service oecuménique d'entraide, LDH (Ligue des Droits de l'Homme), MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples), 9ème collectif des sans-papiers... Le traitement médiatique se concentrera sur les déclarations du ministre de l'Intérieur jusqu'au mois de mars, mois au cours duquel on peut constater un basculement. En effet, les articles se font plus nombreux à l'approche du débat parlementaire, mais la poursuite du mouvement contre le CPE est aussi en train de prendre une échelle inédite. C'est pourquoi le collectif « Uni(e)s contre une immigration jetable » va être institué comme un interlocuteur unique et comme l'acteur collectif le plus représentatif de cette nouvelle mobilisation de citoyens encore préoccupés par la question du travail. Dans les faits, ce collectif émane du GISTI, et Claire Rodier, juriste du GISTI, en devient naturellement le porte-parole. Il s'est constitué en fédérant la plupart des acteurs de la lutte contre le CPE et à reçu le soutien des principales associations de défense des étrangers, des immigrés ou des droits de l'Homme, ce qui a permis une légitimation immédiate au regard des médias.

Il est intéressant de voir que l'émergence de ce collectif a conduit à un effacement des identités politiques de chaque syndicat, groupe ou association pour se fondre en une entité unique, sans un porte-parole particulier. Les médias ont veillé à instituer un collectif et n'en ont pas fait ressortir une quelconque personnalité, reprenant une énonciation identique à celle élaborée lors du récit sur le CPE. Nous constatons finalement la création d'un espace public de l'opposition au sein duquel règne l'indistinction, dans la mesure où l'on ne peut pas en dissocier les acteurs, et parce que l'ensemble des participants partagent un fragment d'idéologie en commun, une représentation d'une immigration juste et l'imaginaire d'une immigration équitable et réussie. Ce fait est nouveau car la communication des associations existait jusqu'à présent dans l'espace public à travers la voix d'une personnalité militante ou politique. Certes des individualités reconnues composent ce collectif, elles prennent la parole en tant qu'experts, mais la voix des associations est pour la première fois une et collective. Si bien que cela vient troubler les acteurs traditionnels de l'espace public. Nous émettons deux hypothèses à ce propos. La première, la moins probable, serait qu'avec un message simple et un relais médiatique puissant, le mouvement associatif se soit mû en un élan citoyen. La seconde serait que l'hétérogénéité des identités et la puissance de certaines associations participant au collectif Uni(e)s contre une immigration jetable ait eu pour conséquence de neutraliser un quelconque leadership dans le mouvement pour seulement relayer des idées précises et partagées. Cette dernière option reviendrait à relativiser fortement les capacités de proposition et de réflexion de ces structures sur le long terme.

De « Jeunes et Jetables30(*) » aux travailleurs immigrés jetables

L'évènement CPE s'est trouvé reproduit dans celui du débat de l'immigration. La recette semble la même et les effets dans l'espace politique seront rapidement reformulés tant par les médias que dans les interventions des parlementaires. Le vocabulaire militant et les slogans sont largement réemployés par les quotidiens : ainsi le 10 février 2006, l'Humanité évoque les « bons et les mauvais immigrés » alors que Libération consacre une double page : « Etrangers bienvenus si souhaités ». En plein coeur du débat, Le Monde parlera de « la lente course d'obstacle des immigrés », Libération ironisera sur « l'étranger passé au tri sélectif » alors que l'Humanité attaquera durement « Cette loi qui crée des sous-citoyens ». Le vocabulaire volontairement imagé fonctionne comme le rappel des argumentations simples des associations pour lesquelles l'emploi d'un vocabulaire hautement symbolique et imagé permet de diffuser simplement un message clair et fédérateur.

Dans son premier communiqué31(*), le collectif « Uni(e)s contre une immigration jetable » dénonce rapidement une perspective utilitariste :

« Le document de travail du gouvernement daté du 18 décembre 2005 qui prépare une nouvelle réforme du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) peut être qualifié d'inhumain. Il conduit à une négation radicale des droits fondamentaux de la personne.

Le projet s'inscrit délibérément dans une perspective utilitariste. Ne sera acceptable en France que l'étranger perçu comme rentable pour son économie. Ni sa personne ni sa situation personnelle ne lui confèreront désormais de droits, au point que les régularisations deviendront quasi impossibles. Quant à l'acquis de plus de vingt ans de la carte de résident, le projet poursuit l'entreprise de son démantèlement. »

Ce message est très largement amplifié par les organisations syndicales. Celles-ci sortent revivifiées et légitimées après plusieurs âpres combats et se lancent entièrement sur la thématique du travail. Force ouvrière rappelle que  « les travailleurs ne sont pas une marchandise32(*) » :

« Ne considérer les travailleurs que du point de vue de leur utilité économique éventuelle, en faisant peser sur eux la crainte permanente de la perte de l'autorisation de séjour ou de résidence et en durcissant la possibilité de vivre en famille relève, pour FO, d'une logique de stigmatisation contraire à l'esprit républicain et rend plus difficile, pour les travailleurs migrants résidant régulièrement en France, la possibilité de s'intégrer. »

Pour l'Union nationale des étudiants de France il n'est pas « acceptable » que l'étranger soit perçu comme rentable pour l'économie française. La CGT dénonce pour sa part la main d'oeuvre corvéable que représentent les sans-papiers pour le patronat :

« Ne nous trompons pas : ces étrangers non régularisables resteront pour la plupart en France, parce que les expulser tous n'est la volonté ni du gouvernement, ni du patronat. En effet, ce dernier disposera d'une main-d'oeuvre exploitable sans aucun contrôle, sans aucune limite, sans aucune possibilité de se défendre.

Ceci permettra au patronat d'accroître la mise en concurrence de tous les salariés, favorisant les divisions, pour son plus grand profit. De fait, l'ensemble des salariés verront leurs conditions de travail et de rémunérations « tirées vers le bas » 33(*). »

Si le mouvement luttant contre la représentation de l'immigré comme une marchandise a été instauré comme un acteur important, il existe une nouvelle contamination sémiotique, un nouveau débordement qui se déroule cette fois dans le cadre parlementaire. A partir du modèle du CPE, les députés du Parti socialiste et du Parti communiste ont porté la voix de la rue dans l'hémicycle. Le traitement de ce débat par les élus s'est construit, dans le temps long d'une opposition, comme le second moment du CPE. Ainsi, le 25 avril 2006, Laurent Fabius (PS) écrit dans une tribune du Monde :

« En réalité, la proposition du CPE et celle de l'« immigration choisie » suivent un même fil rouge : la précarité. Ce que le gouvernement a voulu faire avec les jeunes, il cherche désormais à l'imposer aux étrangers : moins de droits et plus d'insécurité, avec, au total, le même risque de désordre. »

Pour renforcer leur soutien au mouvement, trois secrétaires nationaux du PS signent avec Kader Arif une tribune dans Libération reprenant pour titre le slogan associatif : « Non à l'immigration jetable ». Dès lors, c'est la voix des opposants qui entre à l'Assemblée nationale. La communication politique socialiste est à ce moment là très développée. Ce parti qui doit reconstituer sa base électorale procède à une re-présentation élective au sens strict.

Un combat parlementaire analogue à la mobilisation contre le CPE

L'ensemble de l'argumentation d'opposition se construit à partir des axiomes simples présentés par le ministre de l'Intérieur. Ainsi, sa politique de quotas se justifie par la nécessaire liberté de l'État dans ses choix d'accueil. L'extrait ci-dessous nous permet de voir comment son propos fut justifié lors de l'ouverture du débat à l'Assemblée nationale le 2 mai 2006 :

« Ma conviction est que, comme toutes les grandes démocraties du monde, la France doit pouvoir choisir non seulement le nombre des migrants qu'elle accueille, mais aussi les objectifs et les conditions dans lesquels elle le fait.

L'immigration choisie est le contraire de l'absence d'immigration. C'est aussi le contraire de l'immigration subie - subie par les Français et par des migrants qui ne trouvent en France que l'échec. Elle crée d'abord la possibilité pour l'État de fixer des objectifs quantifiés d'immigration afin de déterminer la composition des flux migratoires, dans l'intérêt de la France comme dans celui des pays d'origine. »

La reprise de l'argumentation autour du travail et de l'évènement CPE se produit en trois temps au sein de l'hémicycle. Dans un premier temps, le recours au CPE permet à l'opposition d'insister sur la situation délétère de la conjoncture politique, elle brandit le retrait du CPE comme un trophée qui rappellerait son récent succès. Ainsi Bernard Roman (PS) entame le débat sur ce mode :

« - M. Bernard Roman. Monsieur le ministre d'État, six mois presque jour pour jour après les graves événements qui ont secoué nos banlieues, et au lendemain des manifestations étudiantes qui vous ont conduit à retirer le CPE,...

- M. Claude Goasguen. Cela commence bien !

- M. Bernard Roman. ...voici que vous soumettez à la représentation nationale un nouveau texte qui, sous couvert d'intégration, tend à durcir encore les conditions de vie des immigrés dans notre pays. Il s'agit du second texte en trois ans sur le même sujet, d'un deuxième tour de vis, comme si vous souhaitiez rythmer ainsi votre parcours ministériel ».

Il est aussitôt suivi par la députée communiste Muguette Jacquaint (PCF) qui dresse alors un lien étroit entre les différentes lois :

« Cette mesure va d'ailleurs de pair avec une autre disposition selon laquelle la rupture du contrat de travail entraîne ipso facto le retrait du titre de séjour qui lui était lié. C'est à proprement parler l'invention de l'immigré « kleenex » !

Le gouvernement demeure donc dans la même logique qu'avec le CNE et le CPE, à savoir la précarité généralisée pour les salariés. L'esprit est en effet le même : au « jeune jetable » du projet de loi sur l'égalité des chances fait suite l'« immigré jetable », qui peut être un jeune, du projet de loi sur l'immigration.

Les députés communistes et républicains espèrent de tout leur coeur que ce texte subira le même sort que le CPE. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.) »

Lors d'un second temps, la mobilisation contre le CPE, reconstituée au sein du collectif Uni(e)s contre une immigration jetable, permet à l'opposition de conforter ses positions en s'appuyant sur un mouvement populaire. Le nombre important des acteurs du collectif et leur hétérogénéité permettent aux socialistes de se positionner dans une stratégie de rassemblement. Bernard Roman (PS) use notamment de cette mobilisation pour renforcer son argumentation :

« Plus de 500 organisations se sont regroupées, au sein d'un « Collectif contre l'immigration jetable », pour défendre les droits fondamentaux menacés par votre texte, combattre votre volonté de réduire l'étranger à sa force de travail et insister sur la nécessité de sécuriser les populations fragilisées. La plupart des syndicats dénoncent votre approche utilitaire et sécuritaire de l'immigration. Le Conseil des Églises Chrétiennes, ému par l'inhumanité de ce texte, regrette « la perspective utilitariste de cette réforme ». »

On constate ici que dans une brève intervention, le député du Nord combine les réactions du collectif incontournable, celui qui fait l'évènement, mais aussi les paroles des syndicats, et des Églises chrétiennes. La formule « plus de 500 organisations se sont regroupées » donne au discours politique une puissance d'opposition réelle et les députés tendent alors à se construire une identité de porte-parole pour tous ceux qui, pour des raisons parfois diverses, s'opposent au projet en débat.

Dans un troisième temps, la communication parlementaire devient plus polémique par la production d'une dénonciation politique. On assiste à un procédé de reformulation des thématiques associatives conjoint à une dynamique traditionnelle d'opposition frontale qui conduit à des dénonciations fortes et la mise en avant des oppositions idéologiques classiques à l'aide de signifiants connotés dans le champ politique. C'est ainsi que le député de Saône-et-Loire Arnaud Montebourg (PS) reprend une argumentation qui se développe dans l'espace public pour la faire aboutir sur une confrontation de représentations politiques, en partie individualisée afin de ramener le fait politique sur le plan de personnalités dont la simple évocation du nom permet une forte identification symbolique.

« C'est une approche strictement économique de l'immigration, qui réduit l'être humain, « l'immigré choisi », comme vous dites, à sa seule force de travail. Elle accepte le tri entre les travailleurs et organise au profit des entreprises soucieuses d'économiser le prix du travail une compétition déloyale permettant à celles-ci d'éviter de mieux payer les métiers ingrats et précaires qu'elles proposent [...]

Vous êtes, à cet égard, dans un projet ultralibéral inspiré par les idées les plus dérégulatrices. Vous faites alliance avec Jean-Marie Le Pen en violant les principes régissant l'immigration familiale. Vous faites alliance avec Laurence Parisot, en ouvrant les vannes de l'immigration du travail et en ouvrant la compétition entre les travailleurs. »

On assistera dans la suite du débat à un élargissement du réemploi de l'évènement CPE dans le discours parlementaire par le biais d'une généralisation et d'une application à toutes les composantes de l'immigration. Ainsi le slogan « jetable » sera décliné sur l'ensemble des catégories de l'immigration : mariage, travail, séjour, enfants, asile... afin de dénoncer le haut degré de précarité des immigrés.

Nous avons montré dans cette partie l'importance d'une analyse en terme d'inter-évènementialité. Les deux évènements se sont mutuellement « contaminés » en permettant la poursuite dans le temps d'un cycle de discours. Le débat sur l'immigration s'est ainsi déplacé sur celui du travail qui, touchant chacun dans son quotidien, a finalement transféré le débat du thème du contrôle de l'immigration à celui de la place de l'immigration dans l'ensemble de la société.

Afin de poursuivre, il convient de rappeler que l'échec du CPE a également entraîné de fortes résonances dans le monde politique. En plus des suspicions soulevées par l'affaire Clearstream, la contestation sociale a mis en difficulté sur le plan stratégique le Premier ministre et le Président de la République. Nicolas Sarkozy s'impose dès lors comme l'unique « présidentiable » pour le parti qu'il préside. Cet évènement doit être directement relié au récit en cours d'élaboration de la « course » à la Présidence de la République.

Les élections présidentielles de 2002 et de 2007 : deux évènements déplaçant l'enjeu du débat.

L'élection présidentielle de 2002 et celle de 2007 apparaissent comme des évènements étroitement liés. En 2002, l'absence de la confrontation traditionnelle entre la droite et la gauche a donné au traitement médiatique de la vie politique la forme d'une campagne électorale continue. Les élections présidentielles de 2002 et 2007 ont donc marqué l'instauration de ce débat sur l'immigration et l'identité. La surprise déclenchée par la présence du leader du Front national au second tour a mis à jour un inconscient jusqu'alors refoulé. L'imaginaire porté par le leader populiste s'est transféré dans le réel de millions de bulletins de vote. Dès lors, un débat s'est organisé dans l'espace public, menant à la mise à l'agenda politique des axes développés par Jean-Marie Le Pen : refus de l'immigration et des institutions supranationales, recherche d'une identité nationale, protectionnisme sur le capital et le travail... Une conscience démocratique s'est réveillée pour interpréter la « vérité » qui recouvre le succès de tels arguments politiques.

Un projet de loi électoraliste

Ces évènements nous permettent de comprendre l'enjeu électoral que sous-tend le projet de loi CESEDA de 2006. Cette nouvelle loi sur le thème de l'immigration est apparue comme électoraliste. Dans le traitement de la vie politique comme une campagne électorale, le processus d'ouverture explicite à l'électorat du Front national de Nicolas Sarkozy n'est pas passé inaperçu. En effet, le président de l'UMP propose dans son texte des mesures de fermeté en s'engageant sur des thématiques jusqu'à présent défendues par l'extrême droite. L'enjeu est ici celui d'une crédibilisation de l'UMP sur le débat autour de la nationalité.

Quelques mois avant l'ouverture du débat parlementaire, le ministre de l'Intérieur entreprit une campagne de communication politique structurée autour de formules percutantes destinées à provoquer un débat d'opinion sur l'immigration. Ainsi, la phrase « si certains n'aiment pas la France, qu'ils ne se gênent pas pour la quitter » n'est pas sans rappeler le slogan du FN « La France, aimez-la ou quittez-la ». Le 29 mars 2006, le ministre annonce qu'il cherche « à séduire les électeurs du FN, j'irais même les chercher un par un, ça ne me gêne pas ». La construction du discours réside ici sur une opposition binaire, d'apparence simpliste, mais dont l'effet rhétorique est puissant. Il permet d'opérer une division tout en suscitant l'adhésion grâce à la logique de la formulation.

L'étude des discours du ministre offre un panel assez complet des méthodes offertes par la rhétorique34(*). L'ensemble de sa démarche est structuré sous l'égide du bon-sens et du pragmatisme, ce qui lui permet de marquer une rupture avec l'idéologie des échecs passés des politiques socialistes. Voici de quelle manière il introduisit son projet de loi lors de son discours d'ouverture à l'Assemblée nationale :

« Ma conviction est que, dans une démocratie moderne, l'immigration n'est pas un sujet tabou. Dans tous les pays d'Europe, l'immigration est considérée pour ce qu'elle est : un sujet de société, une question politique majeure, engageant l'avenir d'une nation. Dans toutes les démocraties, il est permis d'en débattre, sans avoir à s'excuser d'un débat extrêmement nécessaire.

Je rejette de la manière la plus nette le poncif habituel des mouvements d'extrême droite selon lesquels il existerait des cultures "impossibles à intégrer".

La meilleure preuve de l'équilibre du projet de loi, me semble-t-il, est qu'il fait l'objet d'attaques virulentes aussi bien de la part de l'extrême droite, qui m'accuse de laxisme, que de certaines franges de la gauche, qui m'accusent de xénophobie.

Sur un sujet aussi important, puisqu'il est celui de l'identité de la France dans trente ans, il était absolument anormal que cela soit le leader de l'extrême droite qui fixe le cap, même si nous le refusions, car le refuser, c'était se positionner par rapport à Le Pen. Or, qu'est-ce que Le Pen peut faire pour incarner l'avenir ? Rien ! Qu'est-ce que Le Pen peut faire pour incarner l'espérance ? Rien ! »

Nicolas Sarkozy se positionne ici dans un discours « centriste » face auquel il oppose à droite une idéologie de l'immigration zéro et à gauche une idéologie laxiste. En vidant la thématique de l'immigration de l'ensemble des composantes de sa récente histoire politique, il en vient à affirmer qu'il est le seul à présenter une alternative crédible au Front national.

De telles interventions ne seront pas sans répercussions dans l'espace public. On peut constater ici que la parole a valeur d'évènement. Les quotidiens que nous avons sélectionnés ont vivement réagi aux interventions du ministre. En effet, cela vient renforcer le thème de l'immigration jetable en démontrant que les fondements du projet de loi visent à capter un électorat ciblé. Les lecteurs vont à nouveau être institué comme acteurs d'un refus de l'extrémisme. A partir des quelques éléments dont nous disposons, nous pensons que la couverture médiatique de ce débat a fortement contribué à construire une image négative de Nicolas Sarkozy. En effet, le lien entre l'UMP et le FN a été présenté sous la forme d'un mimétisme, d'une pâle copie construite visant à toucher l'inconscient de la « majorité silencieuse ». Dès le mois de décembre, Le Monde évoque « Le Pen dans le texte... des autres » avant de titrer « Sarkozy drague les électeurs du Front national » après son intervention sur la nécessité d'aimer la France. Le premier quotidien français se constituera comme une véritable opposition politique jusqu'à la fin du débat où, en le plaçant « sur les traces de Pasqua », les journalistes estiment qu'il « renoue avec la conviction qui, dans les années 1984-1997, a nourri à la fois la frénésie législative, les venimeuses surenchères sur l'immigration et la renaissance de l'extrême droite ». Selon Libération, on ressent « À droite, le bruit et l'odeur de la xénophobie », le journaliste Antoine Guiral souligne que « Nicolas Sarkozy, comme Philippe de Villiers, braconne sans complexe sur les terres du Front national ».

Il nous faut également aborder l'existence même du projet de loi discuté en avril 2006 qui doit être relié à l'élection de 2007. La question des migrations peut faire l'objet d'un traitement par la voie réglementaire, comme ce fut le cas en 2000, ou comme c'est ici le cas par une loi35(*). Mais nous pouvons nous étonner que cette « nouvelle politique de l'immigration » annoncée par Nicolas Sarkozy ne se fonde pas sur une loi-cadre mais autour de quelques formules seulement. Cette loi est électoraliste, et elle offre au gouvernement un espace de communication et de structuration des identités très important.

Le discours parlementaire est le moment symbolique de la représentation au cours duquel une communication est mise en scène dans le cadre des discussions préalables au vote. Comme nous l'avons montré précédemment avec l'exemple du député Montebourg, cette communication repose souvent sur une rhétorique d'oppositions binaires pour marquer dans l'espace discursif les clivages symboliques. Comme le souligne Bernard Lamizet, l'élaboration de la loi est une activité de communication, c'est pourquoi la parole fonde la sémiotique du fait politique. C'est le temps de l'échange de signifiants permettant aux destinataires d'y adjoindre des « formes symboliques de l'actions politique ». La majorité a ainsi bénéficié à la veille d'une élection importante d'un espace de visibilité conséquent nécessaire à la diffusion de représentations destinées à une partie ciblée de l'électorat.

Le malaise du PS sur le terrain de l'immigration

Notons que cette situation place l'opposition dans une situation complexe dans la mesure où un débat imposé sur un texte déjà porteur d'une volonté de communication l'oblige à débattre à partir d'un objet non avoué. Par exemple, lorsque Bernard Roman (PS) déclare que  « ce texte est inutile car l'essentiel de ce que vous appelez l'immigration choisie pouvait être traité par voie règlementaire. Ce texte est dangereux car il remet en cause un certain nombre de valeurs qui fondent la République française», le ministre de l'Intérieur répond : « Je relève tout de même une faille dans son raisonnement. Il a soutenu l'idée que nous pourrions réformer par simple circulaire. Cela est très surprenant de la part d'un législateur. Qui pourrait nous en vouloir de porter le débat démocratique devant l'Assemblée nationale ? Convenons d'ailleurs qu'il est parfaitement anormal que l'immigration ne fasse pas plus souvent l'objet de débats au Parlement ».

Revenons un instant sur la situation de l'opposition. La fusion du débat sur l'immigration dans le cours du récit de la campagne électorale a placé le Parti socialiste dans une situation délicate. A peine sorti du débat sur le CPE et en plein processus de désignation de son candidat pour les élections présidentielles, le PS s'est trouvé dépourvu d'une argumentation d'opposition crédible sur le thème de l'immigration36(*). Tout d'abord, le dépôt en urgence d'un deuxième texte en un même mandat, quelques mois avant la fin de la session parlementaire, a pris de court le groupe socialiste. De plus, alors que le PS proposait jusque-là un traitement européen de la question migratoire, deux autres évènements, le Non au référendum en 2005 et la position de la France dans l'Union viennent discréditer la thèse de critères d'immigration élaborés en concertation avec les partenaires de l'espace Schengen.

Sans nous appesantir, notons que le traumatisme du 21 avril 2002 est venu déstabiliser ce parti sur le thème de l'immigration. Alors que le gouvernement Jospin n'a pas mené à bien la question du vote des étrangers ni celle de Sangatte, un imaginaire de laxisme et d'incompétence du Parti socialiste sur cette question a été construit par les médias et renforcé par la majorité de droite durant ce débat. Les socialistes ont d'ailleurs peiné à se légitimer par des actions symboliques, c'est pourquoi ils se sont tournés vers le collectif Uni(e)s contre une immigration jetable. Il est intéressant de prendre en compte le discours médiatique à ce propos. Celui-ci se compose comme un commentaire qui vient qualifier la stratégie symbolique établie par le Parti socialiste. C'est principalement le quotidien Libération qui évaluera sa position symbolique dans l'espace public du débat. Ainsi, dans un article intitulé « Le PS s'indigne, mais pas trop fort », l'énonciation journalistique offre un aperçu du positionnement socialiste en en soulignant les divisions sur le fond. En évoquant « Un PS bien discret sur le projet de loi Sarkozy », Libération rappelle que « posture d'opposants oblige, les socialistes se déclarent largement contre le projet de loi. Toutefois, aucun ne semble prêt à entonner le discours de l'extrême gauche lorsqu'elle demande la régularisation de tous les sans-papiers. Et, sur le fond, le projet socialiste est assez flou ».

Le malaise, le flottement sémantique que propose le PS dans l'espace public est expliqué par l'absence d'un consensus interne et l'échec de certaines mesures lorsque la gauche était au pouvoir. Dès lors, la majorité UMP s'emploie à relever les contradictions et autres indécisions dans les rangs de l'opposition. Nicolas Sarkozy procède tout d'abord à une mise en avant de l'absence de propositions, et n'hésite pas à rappeler que de nombreux leaders socialistes tels Dominique Strauss-Kahn, ou Malek Boutih sont favorables au principe des quotas qu'il défend :

« Mon seul regret est que sur un sujet aussi essentiel que la politique d'immigration, le Parti socialiste ait été dans l'incapacité de proposer des mesures positives, se bornant à présenter des amendements de suppression.

Certes, j'ai noté que quelques voix raisonnables avaient fait des propositions au sein du Parti socialiste. J'ai pris connaissance avec grand intérêt des travaux inventifs de M. Malek Boutih, membre de la direction du Parti socialiste et partisan d'une régulation quantitative de l'immigration. J'ai entendu également des propos très raisonnables de la part de M. Manuel Valls et de M. Bruno Le Roux, mais je regrette que leurs voix n'aient guère porté jusqu'à la rue de Solferino et qu'elles n'aient pu trouver de traduction sous la forme d'amendements. »

Le rappel de la pression électorale est constant, d'autant que ce type de remarque est largement relayé dans les médias, en particulier Libération. Le député Richard Mallié (UMP) se plait à caricaturer en expliquant que « la différence entre les deux côtés de l'hémicycle est très simple : en face, on est laxiste et angélique ». Pour sa part Jérôme Rivière (UMP) se permet de défier la gauche sur son absence de position claire :

«  En tant que membre de la majorité, je suis particulièrement déçu de voir que l'opposition ne fait pas de propositions. Nos concitoyens ne sont pas dupes. Ils écoutent, ils regardent et ils savent qu'il n'y a rien à attendre de la gauche, alors qu'il s'agit d'un sujet capital qui mériterait un peu plus de sérieux et un vrai débat parlementaire de fond ».

Au total, plus d'une trentaine d'interventions de membres du gouvernement ou de députés de la majorité viendront construire une di-vision de l'action politique sur l'immigration. Dans cette situation, l'argumentation des élus socialistes va les mener à se recentrer sur les valeurs de la République. Face à des éléments techniques, l'opposition de gauche formula ses interventions à partir de l'idéal républicain, du nécessaire respect des droits de l'humain, de la liberté individuelle ou de la devise nationale. Par ailleurs, ils individualiseront leurs interventions en prenant des exemples très précis de travailleurs étrangers, de sans-papiers expulsés afin de crédibiliser leur travail de terrain et de noyer un dialogue général dans des cas particuliers.

La pression pré-électorale des mouvements associatifs

Le temps de la campagne présidentielle influe également sur le rapport des acteurs politiques avec les acteurs et militants associatifs. En observant le fort mouvement d'associations plutôt proches de la gauche, nous avons constaté que leur discours s'est orienté principalement vers les parlementaires PS et PCF alors que les groupes politiques élaboraient leur programme présidentiel. Nous interprétons cela comme une transposition de l'enjeu électoral dans le débat qui permit l'instauration au sein de l'espace public d'une véritable opération de lobbying.

Comme le rapporte Libération, cet enjeu influe directement sur le cours du débat :

« A l'approche de la présentation de l'avant-projet de loi à l'Assemblée, le PS va pourtant devoir se positionner. Le collectif Uni(e)s l'y pousse, qui a besoin des députés socialistes pour mener la bataille contre ce texte. « Le Parti communiste est à nos côtés, c'est important, mais si le PS ne se mouille pas davantage qu'en 2003, on peut dire que c'est fichu...» prévient Catherine Teule, vice-présidente de la Ligue des droits de l'Homme37(*) ».

Les associations ont de fortes attentes envers le premier parti d'opposition, et lui font savoir par la médiation de la presse. Les quotidiens, en produisant une information sur les motivations des collectifs associatifs, deviennent un carrefour de médiation au sein de l'espace public. Ainsi, dès qu'une manifestation est organisée, Libération interpelle ostensiblement les dirigeants politiques :

« Verra-t-on les ténors du Parti socialiste, dimanche, place de la République à Paris, pour le premier grand rassemblement organisé par le collectif « Uni(e)s contre une immigration jetable » opposé au projet de loi Sarkozy relatif à l'immigration et à l'intégration ? Ce serait une première. Pour l'instant, la présence des dirigeants du PS lors des précédentes manifestations a été, en effet, plus que discrète ».

Par ailleurs, les grandes associations nationales ont effectué un important travail au niveau local afin de faire pression sur les parlementaires de gauche. A titre d'exemple, le Réseau éducation sans frontières (RESF) a interpellé par une lettre ouverte l'ensemble des élus PS, PCF, Verts de Clermont-Ferrand pour obtenir leur soutien. Le succès de l'ensemble de ces actions cumulées se retrouve dans les interventions au Parlement. Ainsi, Serge Blisko souligne la collégialité de sa démarche :

«  Nous avons procédé à des consultations auprès des syndicats et des associations, notamment le collectif « Non à l'immigration jetable ». Et il faut bien voir que derrière ces chiffres, il y a des situations humaines concrètes : des individus vont devoir remplir des objectifs quantitatifs pluriannuels déterminés par le gouvernement ».

Noël Mamère (Les Verts) renvoie pour sa part le seul recul du gouvernement sur un article du projet de loi à une nouvelle victoire de l'opinion publique :

« Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous ne pouvons que nous féliciter de voir le gouvernement reculer sous la pression non seulement des Églises, mais aussi des 461 associations et partis politiques réunis dans le collectif « Uni(e)s contre une immigration jetable ». Nous avons eu raison de nous mobiliser pour alerter l'opinion publique et attirer l'attention - comme nous l'avons fait hier soir et ce matin encore - sur ce qui n'est qu'un bricolage idéologique ».

Les associations ont apporté une valeur ajoutée à l'identité politique des partis parlementaires en mettant en avant des analyses de terrain et des propositions pour la société. Les appartenances politiques n'apparaissent plus basées sur une appartenance à une catégorie sociale, mais se concentrent autour d'un projet politique commun sur la thématique de l'immigration. Elles transcendent les partis politiques dans la mesure où elles regroupent un ensemble d'acteurs engagés de manière individuelle et ajoutent une communication influente dans le débat public.

En outre, la formation des identités politiques associatives a été rendue possible grâce à l'incarnation par Nicolas Sarkozy de l' « adversaire idéal ».

L'individualisation dans le combat politique électoral

Suite à la « mort politique » de Dominique de Villepin après l'échec du CPE, le ministre de l'Intérieur a été institué comme l'unique candidat potentiel de la droite pour les élections présidentielles. Comme nous l'avons montré plus haut, l'énonciation journalistique a entamé un cycle de dénigrement de la personnalité par un rapprochement avec Jean-Marie Le Pen. Dès lors, les attaques de l'opposition s'effectuant auparavant à l'encontre de l' « Etat-UMP » se sont concentrées sur la seule personne de Nicolas Sarkozy. On assiste ici à une individualisation du fait politique au service d'une stratégie à long terme. Nicolas Sarkozy se voit institué par ces attaques comme un leader et il se défend dès lors d'un projet de loi électoraliste en se positionnant comme garant des institutions : «  À ceux qui me déconseillaient de déposer un projet de loi sur l'immigration en raison de la proximité des élections, je réponds que, bien au contraire, dans la démocratie, c'est par le débat qu'on tire la réflexion vers le haut ». L'opposition réinvestie pour sa part l'énonciation journalistique, ce qui introduit les médias au coeur du débat parlementaire. Dans un premier temps, le discours parlementaire associe les critiques envers l'immigration choisie à la seule personnalité de Nicolas Sarkozy avec un recours important à la seconde personne du pluriel lors d'interpellations dans l'hémicycle. Ainsi Bernard Roman (PS) effectue une attaque sur la personne avant d'aborder le projet de loi :

« - M. Bernard Roman. Nous dénonçons cette confusion des genres : vous utilisez vos responsabilités ministérielles pour vous tracer des perspectives électorales.

- M. Serge Blisko. Eh oui !

- M. Bernard Roman. Cela ne facilitera pas, l'année prochaine, votre argumentation sur la rupture. Vous aurez du mal à convaincre l'opinion...

- M. Marcel Bonnot. Et vous ?

- M. Bernard Roman. ...que vous êtes vierge du bilan de ce gouvernement, après avoir autant contribué à sa boulimie législative !

- M. Bernard Roman. Vous vous inscrivez dans une remarquable continuité. Il y a vingt ans, votre ami Charles Pasqua affirmait que les valeurs de la droite étaient les mêmes que celles de l'extrême droite.

- M. Bernard Roman. Nous sommes là dans un domaine nauséabond, mais aussi dans l'inflation des lois d'affichage, dénoncée récemment par le président du Conseil constitutionnel.

« Oui, je cherche à séduire les électeurs du Front national, j'irai même les chercher un à un, cela ne me gêne pas », annonciez-vous dans Le Parisien du 29 mars. Et vous avez ouvertement repris devant vos admirateurs, le 22 avril dernier à Paris, ces slogans de l'extrême droite et de son leader, eux-mêmes transposition d'anathèmes venant tout droit des États-Unis lors de la guerre du Vietnam. Pour un homme qui se veut l'incarnation de la rupture, vous n'innovez pas ! »

Dans notre mode d'application de la démocratie, celui de la représentation, le peuple s'incarne dans des sujets, mais il y a une surdétermination de l'individuel par le collectif. Les sujets qui représentent symboliquement les citoyens au Parlement doivent agir dans une logique d'identité collective. Ils sont investis par leurs pairs pour représenter le réel de la société dans le symbolique du champ politique. Mais la stratégie socialiste consiste à renverser ce phénomène pour attribuer des faits politiques construits par le collectif à un individu singulier, en l'occurrence Nicolas Sarkozy. Finalement, c'est la délibération politique collégiale qui est assimilée par la stratégie discursive de l'opposition au processus de décision. Ce dernier repose sur une distinction des autres acteurs par la mise en oeuvre de la singularité dans le processus de passage du symbolique au réel.

En outre, cette charge discursive concentrée sur une individualité trouvera un écho dans les mouvements associatifs et libertaires « anti-Sarko » apparus lors de la crise des banlieues. Ceux-ci prendront leur essor et se cristalliseront dans la lutte contre ce projet de loi. On constate alors que ces mouvements de confrontation radicale ne peuvent se constituer qu'à partir de l'individualisation du fait politique, à laquelle leur existence est liée. Ils présentent des caractéristiques qu'il serait intéressant d'étudier, en particulier la manière avec laquelle leur immense production sémantique sert la diffusion d'un imaginaire.

Ces deux exemples très détaillés nous ont donc permis de montrer l'importance de l'inter-évènementialité dans la construction sémiotique du débat sur la loi CESEDA. Le débat aurait été bien différent sans la crise du CPE, peut-être n'aurait-on pas abordé autant la composante de l'appartenance professionnelle de l'identité politique, et si les élections présidentielles n'avaient pas été aussi proches, ce débat n'aurait peut-être simplement pas eu lieu.

Les autres exemples sont nombreux, et nous aurions également pu faire un dernier développement concernant la crise des banlieues, autre crise sociale de la fin de l'année 2005. Dans ce cas, il aurait été intéressant d'envisager l'amalgame produit entre immigration et violence urbaine. Une intervention du ministre Christian Estrosi résume à elle seule la tonalité du propos : « Quand on a l'honneur de détenir une carte de résident ou une carte de séjour, on n'a pas à brûler des voitures dans les rues ! ».

Le débat doit donc être analysé conjointement à des évènements qui l'entourent dans le temps ou lui ressemble dans la forme. Cette dimension est un fondement d'une meilleure approche de l'espace public. Ainsi, c'est en partant de l'énonciation médiatique, véritable rouage instigateur de ce lieu symbolique, que l'on appréhende le mieux une construction.

Après la description du déroulement et de l'espace de ce débat, nous allons aborder dans une seconde partie le contenu symbolique et esthétique investi dans les discours en nous attachant à définir les contours actuels des représentations de l'immigration.

Chapitre 2

Les représentations de l'immigré,

symboles d'une xénophobie inconsciente.

L'espace public du débat sur l'immigration n'est pas seulement l'agora, le lieu réel de la prise de décision. Il s'agit aussi et surtout d'un espace symbolique où les acteurs confrontent et échangent leurs représentations à travers leurs discours et leurs productions esthétiques. Selon Bernard Lamizet, « la dimension politique de la sociabilité consiste justement dans la reconnaissance d'une signification et d'une consistance symbolique de l'espace public ».

Nous postulons que la façon dont les acteurs parlent de l'immigration est significative de la place à partir de laquelle ils l'envisagent. Dès lors, il apparaît intéressant de s'attarder sur les vocables mobilisés lors de ce débat public. Les députés sont très rigoureux sur le champ sémantique, mais nous allons montrer que transparaissent parfois des raccourcis, des éléments de langage révélateurs d'un certain inconscient.

Nous commencerons par traiter le lien entre imaginaire et immigration avant de discuter son lien avec la vérité, puis nous balayerons l'évolution récente des représentations de l'immigré en nous appuyant sur les interventions dans le débat public.

I. Imaginaire et fantasme

Représentations de l'immigration et imaginaire

Le traitement de la question de l'immigration lors du débat est fondamentalement lié à la question de l'identité. De ce fait, il nous apparaît nécessaire de commencer par développer l'articulation du symbolique et de l'imaginaire autour de la question centrale de l'identité. L'identité représente la convergence de ces deux niveaux. L'ordre symbolique articule un signifiant, ce que Lacan nommait le lieu de l'Autre38(*), avec le « ça » freudien, alors même que l'imaginaire projette le sujet vers l'idéal de son « autre-moi ». Avec la thématique migratoire, cette double articulation de l'identité nous conduit à la reformuler pour mieux envisager le concept d'altérité et la médiation entre singulier et collectif. En articulant notre questionnement sur les représentations avec la notion d'imaginaire, nous pourrons par la suite montrer en quoi l'élaboration des significations est à l'origine des fantasmes sur la question migratoire.

Rapport à soi, à l'Autre, au monde, le thème de l'immigration nous conduit à aborder les questions de l'identité et de l'altérité. Nous allons présenter en quoi le je conduit à articuler le sujet dans sa dimension singulière et collective à travers ces deux concepts.

L'altérité, c'est la reconnaissance de l'autre dans sa différence. L'altérité psychique se joue dans le lieu de la communication intersubjective, dans l'espace du miroir39(*). Ce stade formateur du je ne peut se mettre en place qu'en présence de l'autre, et c'est plus précisément dans la relation à l'autre, à un autre je, que se développe l'altérité du sujet. En effet, le sujet étant social, il lui est impossible de prendre conscience de son je seul. Cependant, il n'y a pas de relation réelle mais une relation entre deux images, le rapport d'un moi à un autre moi relève de l'imaginaire. Et c'est donc par l'identification à « l'imago du semblable » que se joue la dialectique « qui dès lors lie le je à des situations sociales élaborée ». Dans sa théorie du sujet et de l'identité, Jacques Lacan souligne également qu'il n'y a pas d'inconscient sans langage. Il met en place l'instance de l'Autre, lieu du signifiant qui structure l'inconscient dans l'ordre symbolique, en soulignant que cette représentation fonde alors une relation de manque dans la transaction de son propre message entre le Sujet et ce grand Autre.

A l'altérité psychique, il importe d'ajouter une altérité politique. Bien évidemment, nous sortons dès lors de l'intersubjectivité pour retrouver un processus reposant sur l'identité politique. L'altérité politique doit en effet être considérée comme la reconnaissance sociale d'une autre identité collective dans sa différence. C'est cette altérité qui est en jeu dans le phénomène migratoire, et qualifiée par ce « Nous et les autres », une dialectique entre endogroupe et exogroupe40(*).

Il faut désormais que nous traitions de l'identité. Comme pour l'altérité, elle comporte plusieurs paliers. Ainsi, il existe tout d'abord l'identité personnelle, individuelle. Elle repose dans une médiation entre la singularité du sujet et le politique présent dans l'espace public. Cette identité renvoie l'image de son prochain, et le professeur Féline souligne que dans ce niveau imaginaire, le rapport à autrui repose sur « une compétition dans le fait de savoir de quel côté se situe l'idéal41(*) ». Enfin, l'identité politique doit se penser comme une dialectique entre une vérité singulière et le politique qui apporte ses lois, ses normes, ses représentations car le sujet a sa vérité propre, mais aussi son identité collective.

On place dans la dimension collective de l'identité politique ce que certains nomment l'identité sociale et l'identité culturelle. Dans une dimension de dialogue, elle implique l'ensemble des traits communs qui s'imposent au sujet, mais qui sont également partagés par les membres des groupes d'appartenance du sujet. Ainsi, une association regroupe des individus qui partagent certains traits et un même projet politique. Cette identité symbolique permet d'identifier le sujet de l'extérieur et « fonde la permanence de son être » : règles, normes, valeurs, mais aussi les éléments de l'histoire, de la famille, de la religion... L'identité sociale se construit donc dans ce qu'il y a de plus collectif : la langue. Une telle identité politique nous permet plus facilement de comprendre une altérité politique en tant que reconnaissance de la différence des caractéristiques qui ne sont pas communes aux groupes de vie du sujet.

Dans leur théorie de l'identité sociale42(*), Tajfel et Turner présentent des mécanismes de l'identité sociale consistant à maintenir une représentation positive de cette identité symbolique en la basant sur la comparaison avec les autres groupes. Cette théorie a été récemment développée dans les travaux de Marie-Françoise Lacassagne43(*). Bien évidemment, c'est avec une approche langagière qu'ont été étudiés les biais de catégorisation dans la représentation de la communauté maghrébine, un exemple que nous réinvestirons dans plus tard dans ce chapitre. Trois mécanismes ont été mis à jour : un biais de contraste, qui entraîne une appréhension de l'autre en le situant par rapport à sa propre communauté ; un biais d'assimilation qui revient à « maximiser les ressemblances entre les membres d'une même catégorie » ; et un biais de discrimination qui consiste à favoriser les membres de sa propre catégorie au détriment de ceux des autres catégories. Dans la même perspective, Maria Jarymowicz44(*) considère la référence à l'endogroupe (le Nous) comme la capacité du sujet à produire des représentations de Soi et des Autres. Elle parle d'un Soi social qui relèverait du sentiment lié à une catégorisation sociale. Mais elle fait surtout remarquer que le Nous, identification au groupe, conduit au rejet de l'exogroupe. On voit donc bien dans cette vue collective le lien existant entre identité et altérité.

Les cas précédents montrent qu'il existe des dérives identitaires possibles, et c'est par exemple le fondement du multiculturalisme. Dans sa théorie de l'ethnicité réactionnelle, Fredrick Barth avance que « ce n'est pas l'isolement, mais l'intensification des échanges (en particuliers urbains) qui est la condition de la réaffirmation identitaire45(*) ». Cette remarque est acceptable dans la mesure où l'identité politique se développe par rapport aux identités voisines. Cependant, sans pour autant rejoindre Laplantine, pour qui Barth vide de sens le concept d'ethnicité, il nous semble que le processus « réactionnel » présente certaines limites dans le cadre d'un questionnement identitaire. Pour Laplantine, la revendication identitaire met en jeu l'histoire et la mémoire. Cette proclamation d' « authenticité » repose sur la question de l'origine, c'est-à-dire sur l'élément stable et permanent du collectif. Il introduit ici l'idée fondamentale selon laquelle, dans ce cadre, « c'est le passé qui commande au présent, qui lui attribue sa légitimité rétroactive46(*) ».

Imaginaire et vérité

En allant au-delà de notre corpus, en étudiant des ouvrages autour de la question migratoire, nous avons constaté qu'il existe une grande part d'imaginaire dans l'élaboration des stratégies et des identités. Il y a précisément deux imaginaires contradictoires, qui nous permettent d'envisager les deux dynamiques que peut transporter un imaginaire. D'un côté, les migrants élaborent leurs identités à partir d'une utopie sur le futur pays d'accueil, de l'autre le débat politique laisse apparaître un fantasme sur les migrants. Ces imaginaires vont permettre aux identités de poursuivre leur idéal politique.

Au sein de l'espace public, il faut noter la tendance des discours à s'opposer sur une valeur de vérité, trop souvent confondue avec la réalité. Ainsi, cette parole de vérité n'existe que dans l'intersubjectivité, et lors du débat politique, chacun confronte « sa » vérité. Cela nous conduit à aborder le concept d'« imaginaire de vérité » développé par Charaudeau dans son ouvrage sur le discours politique47(*). Tout d'abord, il faut souligner l'incomplétude de sa démarche qui présente brièvement un concept sur lequel il n'arrive à placer aucun procédé linguistique ou énonciatif, à la différence de son étude des genres d'éthos. Charaudeau a bien perçu la dialectique entre une activité de conceptualisation et des pratiques sociales concrètes, mais son développement présente de nombreuses limites que nous voulons préciser.

Tout d'abord, nous faisons ici face à une dualité dans la définition de l'imaginaire. Charaudeau se situe dans la définition d'un imaginaire politique à de pas confondre avec l'imaginaire individuel développé dans la topique lacanienne articulant réel, symbolique et imaginaire. En effet, évoquant un « imaginaire social », Charaudeau situe celui-ci dans le domaine du collectif, or l'imaginaire étant fondamentalement individuel, l'imaginaire collectif ne peut être que politique, c'est-à-dire qu'il s'agit de représentations « imaginaires » collectives.

Ensuite, la juxtaposition des termes imaginaire et vérité nous conduit à traiter la notion de vérité, et l'opposition sur ce point entre la perspective d'Habermas et celle de Arendt. En effet, Habermas fonde toute délibération argumentée sur une prétention à la vérité, alors que Arendt refuse qu' « une manifestation dialogale » puisse se référer à une « vérité de raison ». Nous faisons face à deux problématiques : Habermas, à la différence de Arendt, ne considère pas le sujet mais se place à un niveau plus global, dans l'espace public. La vérité, comme construction, se situe au coeur des stratégies d'acteurs dans l'agir communicationnel, c'est là que l'on retrouve la perspective de Charaudeau. Les « imaginaires » politiques de vérité sont à rapporter à l'action, car dire la vérité du collectif, c'est se situer par rapport à un acte. En se plaçant du côté du sujet, Arendt met la vérité du côté de la parole, c'est-à-dire dans le symbolique. Dans cette perspective, la vérité ne relève pas du collectif car elle intervient dans la relation symbolique avec le signifiant. Or Charaudeau situe également la vérité dans les discours, mais en tant qu'ils produisent des effets de vérité, sous un aspect quasi-performatif ; il se trouve donc plus proche de la problématique habermassienne. Ainsi à propos de l'imaginaire de vérité de la tradition, il avance qu' « il est porté par des discours qui se réfèrent à un monde éloigné dans le temps, un monde dans lequel les individus auraient connu un état de pureté. Ces discours se réclament d'une vérité qui exige une quête spirituelle de retour à un état premier, fondateur d'une destinée ». Il nous semble donc que la mise en oeuvre de ces imaginaires de vérité relève des stratégies d'acteurs, et cette prétention à la vérité relève moins de l'imaginaire que de la représentation collective à laquelle on souhaite faire adhérer son destinataire. Dans notre travail, le gouvernement présentera sa loi en sollicitant un « imaginaire de vérité » au sens de Charaudeau grâce à une argumentation sous le sceau du pragmatisme et du bon-sens.

Il est dès lors important de bien mettre en avant l'articulation du psychisme et du politique dans le traitement du thème de l'immigration. L'immigration implique un singulier et un collectif dans la mesure où ce fait social induit un rapport à l'autre qui relève alors du psychisme, mais aussi un rapport au monde qui renvoie au collectif

L'irruption de l'imaginaire dans le débat politique

Au coeur du texte du projet de loi relatif à l'immigration à l'intégration transparaît une représentation imaginaire menant à une division dans la perception des immigrés. De ce fait, deux catégories principales distinctes existent dans l'espace symbolique : les immigrés occidentaux ou communautaires et les immigrés de pays pauvres demandeurs du droit d'asile. Pour ce cas précis, nous rejoignons Maria Jarymowicz dont nous avons précédemment évoqué la teneur des travaux. Ainsi l'endogroupe national se construit sous la forme du rejet d'un exogroupe, celui des immigrés non européens. Cette altérité est atténuée par la présence d'immigrés communautaires qui apparaissent ici comme une médiation entre un « Nous » et un « Eux ». Ainsi, la parole symbolique de la loi a institué dans le réel les immigrés communautaires grâce à un statut particulier qui sanctionne le partage d'un ensemble de pratiques permettant de se retrouver autour d'une identité supérieure. C'est une médiation culturelle qui apparaît dans cette interprétation comme le plus petit dénominateur commun entre des fragments d'une pratique symbolique nationale avec des éléments de pratiques européennes.

A propos du droit de vote, il est apparu au sein du Palais Bourbon un ensemble de discours montrant parfaitement la difficulté du statut intermédiaire des étrangers européens. Lorsque Noël Mamère (Les Verts) propose de donner le droit de vote à tous les étrangers, le rapporteur de la commission de lois Thierry Mariani (UMP) formule la réponse suivante :

« Je reste pour ma part attaché au fait que le droit de vote soit lié à la nationalité.

Monsieur Mamère, vous avez raison de souligner qu'il y a une inégalité de traitement entre les étrangers, mais n'oubliez pas que, pour les étrangers européens, il existe un droit de réciprocité, ce qui n'est pas le cas pour les autres ».

Ce à quoi Jean-Christophe Lagarde (UDF) répond :

« Il est au moins un point sur lequel je serai d'accord avec M. Mamère, celui concernant les citoyens communautaires, lesquels ne devraient d'ailleurs pas, selon moi, être qualifiés d'étrangers puisque nous avons choisi de créer une citoyenneté de l'Union européenne. Les citoyens communautaires sont dans une situation à la fois absurde et scandaleuse : ils ne peuvent voter que pour deux élections, les municipales et les européennes, et ils peuvent remplir des fonctions électives dans les conseils municipaux sans pouvoir être maires adjoints.[...] Je suis donc favorable, monsieur Mamère, et je tenais à préciser ce point, à l'idée de donner aux citoyens communautaires vivant dans notre pays un droit de vote complet, sans restrictions.

En revanche, pour les étrangers non communautaires, il faut revenir à la notion de citoyenneté. M. Braouezec vient de dire que cette notion pouvait être découplée de la nationalité ».

Enfin le député Eric Raoult (UMP), élu en Seine-Saint-Denis, se satisfait de l'adoption d'une mesure favorisant les étrangers communautaires en s'exprimant ainsi :

« Cette carte de séjour spécifique constitue une innovation qui va permettre de mener de front la bataille de l'intégration et la bataille de l'emploi. Nous ne pouvons que saluer cette initiative car, chers collègues, comme tous mes compatriotes, je préfère en effet le plombier polonais aux marabouts et autres laveurs de carreaux ».

A la vue de ces interventions, il apparaît que le statut de l'exogroupe permet de reformuler une définition de la nationalité. En outre, on assiste ici à la mise en exergue d'une conception occidentale de l'immigration. L'ouverture d'une discussion sur l'inégalité de statut entre étrangers renvoie ceux qui ne font pas partie du rang intermédiaire à une catégorie secondaire, d'autant que le message qui leur est alors renvoyé porte sur un partage de valeurs. Cela a pour conséquence de placer le rapport à l'autre dans une hiérarchie sur la base de la nationalité.

Les interruptions en séance : des fragments signifiants de vérités singulières.

A partir d'une telle division, nous souhaitons comprendre comment s'applique ce mécanisme de division et jusqu'où cet imaginaire se met en oeuvre dans le cours du débat. A travers le prisme des interventions à l'Assemblée nationale, nous pensons pouvoir constater l'émergence d'une parcelle de l'inconscient des députés sur cette question. Pour parvenir à notre analyse, nous avons sélectionné un ensemble d'interruptions durant les discours. Selon Francesca Cabassino48(*), ces interruptions relèvent d'un « rituel protestataire » institutionnalisé, mais nous postulons que l'essence spontanée de cette pratique de communication non légitime permet de déceler dans des vitupérations des formules offrant une vision uniforme et très péjorative de l'immigré. Souvent ironique, parfois humoristique, nous pensons trouver dans ce que Cabasino nomme une « théâtralisation de l'indignation » les signifiants d'un mouvement argumentatif. Parmi ceux-ci, il y a ce que l'on nomme communément des lapsus révélateurs, des transgressions du « surmoi » qui nous permettrons de voir comment les députés projettent dans le débat un imaginaire, un fantasme de l'immigré.

A partir de l'ensemble de réactions que nous avons sélectionné, il est possible de construire deux catégories d'interruptions sur le thème de l'immigration. La première, dans un processus de désignation de l'Autre, tend à mettre en avant la valeur exogène de l'immigration en ramenant systématiquement la discussion sur des exemples liés au Maghreb ou à l'Afrique. Il est intéressant de constater que ce processus fonctionne pour les députés de toute appartenance politique. Ainsi lorsque le ministre de l'Intérieur évoque la venue d'informaticiens indiens, Patrick Braouezec demande « Et pourquoi ne recrutez-vous pas des ingénieurs sénégalais ? ». Ce type d'interrogation pourrait paraître anodin, mais sa fréquence témoigne de cette vision unique des migrations. Il est encore plus frappant de voir combien la connaissance d'un pays d'Afrique s'articule dans l'énonciation politique comme une forme de légitimation :

« - M. Jérôme Lambert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme la semaine dernière en commission des lois, je tiens à rappeler que je fais partie des nombreux Français, et d'un certain nombre de collègues parlementaires, qui ont choisi de se marier avec une personne d'origine étrangère, puisque j'ai épousé une Algérienne. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

- M. Pierre-Louis Fagniez. Ce n'est pas une MST ! »

- M. Jérôme Lambert. Par ailleurs, j'ai été le président du groupe d'amitié France-Algérie, présidé maintenant par Bernard Derosier et dont je suis désormais le vice-président.

- Mme Nadine Morano. Et moi, je suis la vice-présidente du groupe d'amitié avec le Tchad !

- M. Jérôme Lambert. C'est dire que je continue à m'occuper au quotidien de problèmes généraux concernant l'immigration ».

Le socialiste Jérôme Lambert, au titre d'une attention particulière pour certains pays d'Afrique, réduit la question générale de l'immigration à une connaissance particulière. Cette réduction, procédé employé par une grande partie des députés, conduit à assigner une identité politique spécifique sur un phénomène dont la complexité technique requerrait davantage de prise de distance.

La seconde catégorie d'interruptions est beaucoup plus riche, et aussi plus intéressante. Composée uniquement d'interventions de députés de la majorité, elle trace les contours d'un fantasme autour de l'immigration dans lequel s'accumulent un ensemble de représentations négatives. Tout d'abord, on retrouve les conclusions des travaux de Simone Bonnafous lorsque les élus UMP évoquent le « problème de l'immigration ». Ainsi, Claude Goasguen (UMP) interpelle l'opposition en lançant : « Le problème de l'immigration ne vous intéresse pas, en définitive ! ». Ensuite, la valeur négative du « problème » de l'immigration est articulée avec un espace réel, celui de l'aire de vie, de la zone urbaine :

« - M. Bernard Roman (PS). Non, votre intention est ailleurs. Il s'agit pour vous de faire une nouvelle offre électorale aux électeurs d'extrême droite sous forme de restrictions sans précédent du droit au regroupement familial et du droit d'asile des étrangers.

- M. Éric Raoult (UMP). Allez vivre à Clichy, vous verrez ! »

« M. Jean-Christophe Lagarde (UDF). La mise en place du contrat d'accueil et d'intégration suppose un énorme effort dans ce domaine, avec des enseignants formés en français langue étrangère.... Imaginez le nombre de postes nécessaires pour le seul département de la Seine-Saint-Denis ! »

Les interruptions nous permettent ici de distinguer visiblement une projection subite d'un inconscient dans l'espace public. La rhétorique de ces interventions consiste à opposer à l'orateur la représentation d'un vécu « réel » de l'immigration. Cette stratégie repose en fait sur l'assignation symbolique d'un rôle nuisible à l'immigré.

Signalons que Eric Raoult (UMP) comme Jean-Christophe Lagarde (UDF) citent des zones urbaines dont ils sont les édiles. Ce rapport entre immigration et ville nous rappelle certains travaux de l'Ecole de Chicago dont les recherches du début du siècle dernier ont porté sur une description de l'évolution de la communauté immigrée dans l'espace urbain. Dans les années 1920, Robert Park a appréhendé l'espace urbain comme la projection des logiques sociales, « lieu expérimental, effet d'agrandissement et de concentration de ces processus, l'histoire naturelle des villes est pour lui le lieu où le processus de compétition, d'accommodation, de conflit, de distance, etc. se visualise49(*) ». Gérard Noiriel a analysé la concentration spatiale des immigrants en rejetant un discours communautariste, et en montrant que les causes sont à rechercher dans les conditions de vie. En effet, les immigrés font partie de la fraction la plus pauvre du prolétariat et vivent donc dans des logements à loyers bas. Les députés, dans l'exemple que nous venons de présenter, ont inversé le raisonnement en attribuant les difficultés d'un territoire urbain particulier à l'immigration en général, et non pas aux conditions de vie.

Enfin, on trouve dans cette catégorie d'interventions fantasmatiques des propos durs révélant une idéologie parfois xénophobe et anti-immigration. Ces interruptions ne sont pas maîtrisées par les groupes politiques, mais les applaudissements qui les accompagnent révèlent que la vision mise en avant fait l'unanimité. Certaines formulations composées à partir de la troisième personne du pluriel procèdent, à travers une globalisation, à l'abandon de la moindre distinction identitaire, ne serait-ce que « immigré » ou « étranger ». Ainsi Eric Raoult (UMP) lance : « Ils votent pour nous, pas pour vous ! », ou encore René Couanau (UMP) s'exclame : « Avec vous, ils seraient des milliers ». Dans un autre mode, d'autres députés dévoilent une vision extrême de l'autre :

« - Muguette Jacquaint (PCF). M. le ministre de l'Intérieur reprend un slogan véhiculé par l'extrême droite : « La France, aimez-la ou quittez-la ». Or précisément, ces étrangers aiment la France.

- M. Jérôme Rivière (UMP). Non, ils aiment son système social. »

« - M. Jérôme Rivière (UMP). Il n'est pas question ici de régularisation, mais de l'obtention de la première carte de résident. La nuance est importante.

- M. Jacques Myard (UMP). Eh oui ! Les sans-papiers n'ont rien à faire ici ! »

Dans ces quelques lignes sur le surgissement de l'inconscient dans les interruptions au coeur de l'Assemblée nationale, nous venons donc de montrer que se produit la communication d'un malaise lié à l'identité qui prend pour appui un imaginaire négatif.

II. Une vision coloniale de l'immigré

Nous allons désormais nous attacher à interpréter ce qui fonde les représentations de l'immigration. Cela va nous mener à replacer le débat dans une temporalité longue car le processus de construction des représentations s'assimile à une lente sédimentation qui cache peu à peu ses fondements. On peut avancer qu'une analyse fine de notre corpus ne nous permettrait en aucun cas de comprendre le mécanisme des représentations de l'immigration, si ce n'est d'en constater la mutation à un moment précis dans l'échelle du temps. Nous mettrons tout d'abord ses représentations à l'épreuve de notre histoire coloniale, puis nous détaillerons le rôle fondamental du stéréotype. Enfin, nous élargirons notre analyse au champ esthétique en étudiant diverses représentations iconiques.

Les refoulés de la colonisation

Dans leur travail sur l'immigration dans l'espace public, Bastenier et Dassetto rappellent l'importance de la composante temporelle du phénomène migratoire. Ils soulignent que le temps est une dimension implicite des phénomènes sociaux, repoussant les analyses qui « photographient » l'instant hors de toute compréhension correcte. Par exemple, Le Moigne et Lebon soulignent l'importance du temps dans la compréhension de l'incidence de la structure démographique de l'immigration sur les équilibres financiers de la protection sociale. Ainsi « si aujourd'hui, du fait du regroupement familial et du nombre élevé d'enfants, le bilan en est négatif, l'immigration de main-d'oeuvre s'est soldée dans la passé par une contribution financière positive qu'expliqueraient sa répartition par groupe d'âge et par sexe, ainsi que son taux d'activité élevé50(*) ». Ce cas symbolise bien les résultats de la prise en compte d'un temps long, c'est pourquoi le traitement de toute thématique sociale impose une perspective large afin de ne pas omettre des éléments fondamentaux pour l'analyse.

La composante temporelle doit aussi être placée du côté du psychisme. Dans son étude sur la délinquance des « jeunes issus de l'immigration », le sociologue et historien Laurent Mucchielli évoque « le poids d'un racisme refoulé sur les populations issues des anciennes colonies51(*) ». Ce rappel au processus dynamique développé par Freud permet de faire le lien entre historicité et inconscient. Le refoulement, rattaché à la partie inconsciente du moi, détourne des souvenirs susceptibles de provoquer une « décharge de déplaisir52(*) ».

Même si elle n'est que très rarement désignée comme telle, par une certaine prise de distance avec la psychanalyse, cette notion de refoulé et d'éléments latents dans l'inconscient transparaît dans beaucoup de recherches. C'est ainsi que Guénif-Souilamas avance que les effets de la colonisation continuent d'être opératoires sur les migrants et leurs descendants, elle décrit ainsi à sa manière un reniement de leurs origines par certains immigrés pour intégrer une nouvelle société de cour53(*).

Ce qui est en jeu dans le débat de 2006, c'est donc la mémoire, dès lors qu'elle apparaît comme la médiation entre des histoires de vie singulières et l'histoire d'une nation. Cette mémoire est celle d'une période proche, celle de la décolonisation mais aussi de cinq cents ans de colonisation. On assiste dans le débat à la reformulation des représentations coloniales issues de cette mémoire au service d'intérêts contemporains. L'État français s'est installé à travers les siècles sur tous les continents, il a diffusé une culture d'Etat contrebalancée localement par un « art de détourner » qui a engendré une nouvelle culture. A présent, cette colonisation est réinvestie sous la forme d'une analogie avec l'immigration54(*). Les députés le soulignent d'ailleurs à propos du durcissement de la législation pour les ressortissants de pays liés à notre histoire coloniale où l'on peut assister à une stratégie d'appropriation de ce moment de l'histoire

« - M. Serge Blisko (PS). En adoptant cette disposition, vous allez nous priver de ces communautés certes limitées sur le plan numérique, mais très importantes sur le plan symbolique,...

- Mme Muriel Marland-Militello (UMP). C'est bon, je crois que nous avons compris !

- M. Serge Blisko (PS). ...dont l'attachement à la France trouve ses racines dans l'histoire de notre pays, notamment la longue période coloniale qu'il a connue.

- M. Christian Vanneste (UMP). C'est l'un des aspects positifs de la colonisation ! (Sourires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) »

Pour les Français comme pour les immigrés, la colonisation et les difficiles décolonisations, en particulier celle d'Algérie, semblent avoir marqué la mémoire collective et se répercutent au fil des générations à travers le langage55(*). La mémoire est une parole qui prend forme dans des récits, porteurs d'un imaginaire, qui aujourd'hui diffusent et rejouent cette mémoire. La mémoire permet aussi de fonder le politique dans la mesure où les acteurs sont porteurs d'une culture que l'on retrouve dans le réel des pratiques. Dans son travail sur l'oubli colonial, Myriam Cottias remet en cause « la grande famille nationale » prônée par Renan. Elle considère que l'effet de cette prescription a été « d'enraciner l'oubli de l'esclavage dans le métarécit national en ignorant l'expérience du passé esclavagiste56(*) » de l'époque. L'absence de mémoire renvoie vers l'inconscient un imaginaire dramatique fondé sur une parole mythique. Une croyance se construit sur une absence de repères et sur un manque de connaissances. Le temps long procède alors à une mutation silencieuse dans l'évolution des représentations. Plus proche de nous, à propos de la guerre d'Algérie, Yvan Gastaut évoque « un tabou », une « mémoire éclatée », un conflit fondateur de certaines représentations de l'immigré qui restera symboliquement très présent57(*). Entre le racisme d'un État colonial, le déchirement des harkis et une immigration algérienne que la France découvrait, la guerre d'Algérie a marqué les comportements d'aujourd'hui. Plus récemment, le colonialisme a été réinvesti à propos de son rôle dans la pratique de l'esclavage.

Représentations, stéréotypes et langage

Afin de comprendre la structure et les logiques de la confrontation dans le débat public, il nous est nécessaire de passer par le langage. La communication politique mobilise le symbolique lorsqu'elle diffuse des signifiants dans un espace public et qu'elle échange des représentations.

Dans son ouvrage de référence L'immigration prise aux mots, Simone Bonnafous invite à réfléchir sur le pouvoir politique et social du discours58(*). A travers un corpus très large de la presse écrite politique, de Militant à Lutte ouvrière en passant par le Figaro et Le Nouvel Observateur, la linguiste démontre une modification des approches du thème de l'immigration dans le temps. Au cours des années 1980, la médiatisation de l'immigration l'a fait passer de la rubrique « fait divers » de la presse régional à la rubrique « société » de la presse nationale. Banalisation des écritures, confusion générale, ces années sont synonyme d'une relative homogénéisation du comportement de la presse politique au profit des thèses de l'extrême droite. Les grands évènements médiatiques des années 1980 (marche des Beurs, rodéos des Minguettes...) ont imposé des référents communs à l'ensemble des médias, alors que des thématiques communes comme l'insécurité urbaine venaient s'agréger au traitement médiatique de ce fait social. Battegay et Boubeker apportent au travail de Bonnafous une conclusion enrichissante, qui rejoint la question des représentations :

« Cette visibilité de l'immigration dans la presse française a familiarisé les lecteurs ou les téléspectateurs avec des situations ou des populations qui auparavant étaient négligées des regards publics. Mais cette visibilité ne se confond pas avec une quelconque transparence. Les projecteurs de l'actualité, lorsqu'ils se sont dirigés sur l'immigration, ont en même temps figé des attitudes et des comportements, transformé en moments de représentation publique des scènes de la vie quotidienne, modifié des cours d'action59(*) ».

Pour ces anthropologues, le travail des médias peut être interprété comme un « symptôme », comme le révélateur de la construction en cours de nouveaux référents. Les évènements médiatiques touchant au thème de l'immigration depuis la fin de la seconde guerre mondiale sont devenus « des sortes de références obligées dans la mise en récits d'évènements ultérieurs ». Dans son analyse très fine de l'opinion sous la Ve République, Gastaut présente trois moments constitutifs de la naissance d'une prise de conscience60(*). Porteurs d'une charge émotionnelle forte, ces évènements touchent la mémoire collective liée à l'Algérie, le choc de l'ignorance, et le rapport à la mort. En octobre 1961, la police lyncha et assassina des Algériens en plein coeur de la capitale. Ces « ratonnades » réinvestirent la plaie encore ouverte de la question algérienne. En mai 1968, les immigrés solidaires de grévistes dénoncèrent leurs conditions de vie, projetant au regard jusque-là ignorant des français la réalité de l'immigration. Enfin, un fait divers tragique d'asphyxie dans un foyer d'immigrés africains à Aubervilliers, similaire à celui qui précéda le débat en 2006, imposa à tous le premier véritable débat sur l'immigration. Dans les années 1990, Battegay et Boubeker ont effectué le même travail en faisant émerger trois grands moments : la suspicion sur l'opinion arabo-musulmane de France pendant la Guerre du Golfe, la mode « Beur » (de la marche des Beurs à SOS Racisme), et la montée en affaire de la mosquée de Lyon.

On peut remarquer que les analyses de Battegay et Boubeker, dont les images de l'immigration sont l'objet, traitent uniquement de faits relatifs à l'immigration arabo-musulmane. C'est parce qu'il existe dans le temps un glissement des représentations d' « étranger » à « immigré maghrébin ». Cela est précisément démontré et démonté dans l'étude de Yvan Gastaut sur l'appréciation des étrangers selon leur origine par les Français. Les résultats sont édifiants : les Français appréhendent les immigrés en fonction de leur appartenance ethnique et de leur provenance. Les représentations fonctionnent donc selon une « catégorisation simpliste », dans une vision stéréotypée. Ainsi les immigrés Kabyles, Turques ou Djerbiens seront perçus comme Maghrébins, Chinois ou Vietnamiens comme Asiatiques, Italiens et Espagnols comme Européens blancs, Sénégalais et Rwandais comme des Noirs.

De son côté, Bonnafous a relevé un glissement sémantique d' « étranger » à « immigré ». Pour ce dernier, elle rappelle que ce terme banal et courant est aussi le plus « collant ». En effet, il est « difficile en France de se débarrasser de cette étiquette qui vous marque définitivement du sceau de l'extranéité en fonction d'un critère qui semble être celui de la peau, du faciès et de la condition sociale beaucoup plus que de l'origine réelle61(*) ». En mettant à l'épreuve de cette analyse notre corpus, il apparaît que ce glissement ne se produit pas, même dans les interventions du Front national. Nous pensons que ce glissement n'était que conjoncturel, et que les connotations négatives portées par le vocable « immigré » ont permis un retour sur le terme « étranger ». Par contre, le temps de notre débat nous permet de rejoindre Gastaut lorsqu'il ajoute que l'opinion française a opéré un amalgame entre « immigré » et « Algérien » selon l'équation « étranger=immigré=arabe=Maghrébin ou Nord-Africain=Algérien ». Si bien qu'en novembre 1984, Le Nouvel Observateur titra en une : « Immigrés, vous voulez dire Arabes ! ». Depuis, bien ancrées dès les années 1980, les représentations de l'immigré comme maghrébin restent extrêmement présentes, confirmant le réinvestissement de la mémoire de la guerre d'Algérie.

La présentation du travail de Amossy et Herschberg Pierrot62(*) sur le stéréotype va nous permettre de développer nos propos précédents et de prolonger notre propos vers le thème des représentations sociales. Le terme « stéréotype » désigne « les images dans notre tête qui médiatisent notre rapport au réel ». Il s'agit des représentations préconçues, préexistantes, qui médiatisent un rapport à la cause, au réel. En outre, la composante temporelle est ici essentielle afin de placer ce processus évolutif dans un temps long, car c'est là que se produit une mutation silencieuse des représentations dont l'effet sera visible au fil des générations. Ainsi, les représentations de l' « Arabe » se sont sédimentées dans le temps tout en se maintenant dans l'univers symbolique, et sont réapparues au moment de la guerre d'Algérie, évènement qui a alors entraîné une nouvelle évolution de ces représentations. Il nous semble important à partir de cela de retenir que nos perceptions sont déjà modelées par ces images collectives, ainsi ce que l'on sait conditionne ce que l'on voit.

Dans cette visée, il est souligné l'importance des représentations collectives dans la cohésion du groupe. L'exemple du stéréotype le place clairement dans cette optique collective car il permet la reconnaissance et l'échange symbolique au sein d'une communauté. Au final, la psychologie sociale constitue une tentative d'aborder l'identité d'un individu dans une articulation entre son individualité et son appartenance au groupe. Pour Jodelet, « comme le stéréotype, la représentation sociale met en rapport la vision d'un objet donné avec l'appartenance socioculturelle du sujet. Comme lui, elle relève d'un « savoir de sens commun » entendu comme connaissance « spontanée », « naïve », ou comme pensée naturelle par opposition à la pensée scientifique63(*) ». Jodelet évoque sans la nommer une perspective structuraliste, où ce savoir de sens commun, ce qui est partagé, s'incarne dans le noyau central des éléments de la représentation. Cela permet de prendre quelque peu de recul par rapport à une surdétermination holiste des représentations de l'individu par celles du groupe. Ensuite, il faut revenir sur le terme « naturel », qui rappelle la naturalisation qui est pour Moscovici un temps majeur du processus des représentations, car c'est cette naturalisation qui permet d'inscrire la représentation dans une certaine historicité.

Alors que les stéréotypes sont parfois assimilés à un processus entièrement péjoratif entraînant la négation de l'altérité, comme dans le cas du « mauvais immigré arabe », Adorno, dans une perspective psychodynamique, revient sur la dialectique singulier-collectif en considérant que « la source des représentations hostiles de l'Autre serait à rechercher dans un dynamisme psychique, dans la structure profonde de la personnalité, plus que dans les contraintes intrinsèques à la vie sociale64(*) ». Cette proposition nous conduit à effectuer deux remarques. Tout d'abord, cela nous rappelle le concept de l'altérité en tant que relation intersubjective dont nous avons précédemment parlé. Ensuite, nous abordons la difficulté pour certaines disciplines de prendre en compte le collectif. Ainsi, dans son ouvrage, Rouquette souligne par exemple qu'il est difficile pour les psychologues d'accepter la notion de représentation collective65(*). Puisqu'il n'existe qu'une activité mentale individuelle, et comme les représentations sont des activités mentales, l'aspect collectif apparaît irrecevable. Ce syllogisme simpliste que présente Rouquette est révélateur, et il en va de même pour la psychanalyse qui ne peut adhérer au propos concernant l'inconscient collectif, laissant l'adjectif « collectif » aux représentations. L'inconscient relève du singulier, donc les représentations relèvent d'une médiation entre un sujet et un destinateur qui partagent une référence collective.

Pour présenter cette co-construction d'une référence collective, reprenons les travaux de Gastaut et du raccourci « immigré = maghrébin ». Dans son chapitre sur les images stéréotypées, il apporte une explication à cette équation, qui pourrait presque apparaître comme une condensation. Les Français, dans les études sur la considération des nationalités, effectuent un classement du positif pour les Européens, puis les Asiatiques, jusqu'au négatif pour les Noirs puis les Maghrébins. L'auteur démontre de fort belle manière combien ce classement repose sur des visions stéréotypées. Outre leurs traits physiques peu distincts de la population locale, Portugais et Espagnols jouissent de l'image de rudes travailleurs, et de solides bâtisseurs. Les stéréotypes concernant les « Noirs » apparaissent contradictoires, balançant entre les restes d'un exotisme primitiviste et d'un paternalisme colonial, et une image négative de l'esclave nègre pauvre à rejeter. Enfin, l' « Arabe » subit les représentations construites depuis des siècles par les Occidentaux. L'image de l'Arabe colonisé, pacifique et travailleur ternie par les ressentiments de la guerre d'Algérie, il reste celle de l'Arabe fanatique, prêt à mourir pour ses idées. De plus, notre corpus nous indique que ces images ont relativement peu changées. L'énonciation journalistique est sur ce point un des principaux facteurs. Ainsi, le journalisme télévisé renforce la représentation de l'immigré comme un individu « sub-saharien » auquel il a ajouté le stéréotype de « l'immigré des cités ». Cette perception est partagée également sur les bancs de l'hémicycle, sur lesquels on a également assisté durant ce débat à un étrange dialogue sur « le laveur de carreaux », nouveau stéréotype du travailleur étranger.

On vient de le montrer, les éléments de la représentation sont repérables par « leurs étiquettes verbales telles qu'elles apparaissent dans le discours spontané ou provoqué des individus66(*) » ; sans se réduire à une expression particulière, on trouve ici un lien entre le signifiant et la référence collective, permettant la réalisation d'une sociabilité dans l'espace public. Les recherches le prouvent, dans la plupart des travaux sur les représentations, il s'agit d'enquêtes quantitatives sur la perception de mots-clés. Ainsi Gastaut a travaillé à partir de sondages, Lacassagne a confronté deux groupes de cinquante étudiants à des substantifs... Les représentations sont symboliques, résultat d'une symbolisation qui ne peut s'effectuer qu'à travers le langage. Alors que l'imaginaire, et même le réel sont individuels, le symbolique, par le partage d'un langage appris, est commun à tout ceux qui le parle.

Représentations iconiques : le retour des races

Pour compléter notre démarche sur les représentations, nous allons rapidement étudier la dimension esthétique de la communication. La photographie, la caricature, et le dessin viennent généralement apporter un sens supplémentaire à un texte qui ne produit pas son information à partir de l'image. Dans un récent ouvrage67(*), Eric Deroo a passé au crible un ensemble de supports pour confronter l'imagerie de la période coloniale française avec l'histoire. Il y montre comment les illustrations ont servi une idéologie. Pour l'auteur, l'imaginaire véhiculé dans l'iconographie a fini par coloniser les mentalités. Concernant le sens, il semble s'être produit dans le temps un glissement de l'indigène d'hier à l'immigré d'aujourd'hui, cependant les signifiants sont restés identiques.

Le mythe du « bon sauvage ».

Dans les caricatures que nous avons sélectionnées, l'étranger est toujours représenté sous les traits physiques d'une personne à la peau noire. Seul un dessin de Plantu pour Le Monde montrera un étranger blanc au milieu de cinq autres de couleur. La représentation généralement humoristique vise à susciter une prise de conscience, une réflexion critique sur la situation mise en avant. Dans le cadre du projet de loi CESEDA, le concept d'immigration choisie permet de faire le lien avec une forme de sélection néo-colonialiste.

Le personnage de « l'homme de couleur noire », toujours masculin, fait sens dans la mesure où ses traits caractéristiques sont accentués par opposition à un « type européen ». Ainsi le personnage du « Noir » est grand, maigre, son visage est marqué par des narines larges et des lèvres épaisses, et il porte une tenue traditionnelle ou des marqueurs de la pauvreté (pantalons déchirés, vêtements rapiécés...). Dès lors, l'identité politique représentée par une caricature est immédiatement identifiable.

Nous lions ce personnage que l'on retrouve dans de nombreuses caricatures à l'esclavage ou à la colonisation en fonction des situations ou du langage qui lui est attribué. Ainsi, le croquis ci-dessus fait appel aux procédés de sélection des négriers, un autre représente Nicolas Sarkozy en tenue coloniale se déplaçant sur une chaise à porteur au coeur de la brousse68(*). L'affiche du collectif Uni(e)s contre l'immigration jetable réinvestie les codes sémiotiques du dessin en présentant un immense main blanche saisissant comme pour le jeter un petit homme noir dont seuls la bouche et les yeux tranchent avec la sombre couleur de peau.

Certaines caricatures tendent à placer leur lecteur dans une situation de rejet de l'inconscient mis à jour. Dès lors, le dessinateur se positionne clairement dans l'espace du média sur sa finalité politique. Ajoutons cependant que la caricature exige de son lecteur une culture politique et esthétique afin de lui permettre de partager avec le dessinateur un certain nombre de codes de représentation.

L'immigré noir

Dans la photo de presse, à l'image de la caricature, nous avons constaté un consensus sur la représentation des acteurs de l'immigration : ceux-ci sont toujours noirs. La photographie n'est pas toujours en lien direct avec l'article, mais elle vient apporter un supplément de sens. Nous constatons que l'énonciation esthétique médiatique se construit sur une imagerie populaire et vient renforcer le rôle du stéréotype.

Par exemple, dans un numéro paru durant le débat, l'hebdomadaire Marianne titre « Pour en finir avec la politique de l'autruche. IMMIGRATION, cette réalité qu'il faut oser regarder en face ». Cette accroche est accompagnée de trois vignettes : sur la première, on voit un jeune homme de couleur noir nous regardant et joignant ses mains dans une position entre imploration et prière. La seconde photographie montre des hommes de couleur noire embarqués à bord d'une embarcation sommaire dont nous assistons à l'immersion dans la dernière vignette. L'articulation entre le texte et les images donne à l'énonciation journalistique une valeur de réalité. Comme le souligne Roland Barthes, la photographie est « invisible, ce n'est pas elle qu'on voit ». A propos des photos sur l'immigration, on constate un réel travail sur le regard et sur la mise en forme de la pauvreté, du désespoir. L'esthétique de cette représentation se formule sous le mode d'un « masque » à la fois nécessaire pour transmettre une information primaire et pour éveiller un début de prise de conscience sociale, comme si l'on imposait au regard une réalité à constater. La photographie est présentée comme un fragment de réel capté par l'objectif et elle tire ça forme d'un « ça-a-été »69(*). En fait, il ne s'agit pas d'une « mimesis parfaite du réel » mais de l'émanation du réel qui, comme le souligne Martine Joly70(*), alimente « la confusion entre visible-réel-réalité et vérité ».

La couleur de peau comme identifiant politique

L'énonciation esthétique institue une identité politique à partir de la pigmentation de la peau. Le noir devient un identifiant politique attaché à l'Autre, ce qui explique son emploi important dans le cadre de l'immigration. Finalement, « le noir » est devenu le symbole de ce qui serait « par nature » différent d'une identité française. Nous percevons ici un processus de désignation d'identité sur la seule base de théories raciales. Le rappel symbolique à une seule couleur mobilise un ensemble de constructions qui ont donné lieu à la production d'un imaginaire fécond. C'est bien évidemment le temps long de l'esclavagisme, des premières colonisations qui s'inscrit dans ces formes esthétiques rappelant la mémoire d'une France paternaliste missionnée pour civiliser l'Afrique.

Ce traitement nous conduit à formuler deux remarques. Tout d'abord, ces représentations intégrées dans un inconscient partagé renvoient un message particulièrement inquiétant aux populations de couleur noire. Si « le noir c'est l'autre », si la pigmentation fonctionne comme un élément de distinction, la représentation devient performative et assigne au porteur de ce signifiant une altérité. Ensuite, nous nous interrogeons sur le contraste entre l'iconographie (« le noir ») et le stéréotype (« l'arabe »). Il n'existe aucune concordance entre une représentation politique et une représentation esthétique, ce qui nous mène à conclure qu'il pourrait exister un décalage dans le temps long entre les deux formes de signifiants, le code de l'image évoluant moins rapidement que les formes du discours.

III. Les représentations de l'immigré du XXIème siècle : entre fraude et terrorisme

Dans le dernier développement de ce chapitre, nous allons étudier deux points spécifiques de ce débat sur l'immigration dans l'espace public. Il s'agira ainsi d'esquisser une « trace » d'évolution des représentations au regard de la temporalité que nous appréhendons ici.

L'immigré fraudeur et clandestin

Le projet de loi « immigration et intégration » prend pour objet le règlement des situations de fraude. Il semblerait dès lors que tout immigré soit soupçonné de venir frauder. Le terme de fraude est employé pour désigner une modalité irrégulière dans le rapport à la loi. Ce vocable prend son étymologie à partir du terme latin fraus, que l'on pourrait rapprocher de tromperie. Dès lors, l'emploi du mot fraude le rapporte nécessairement à la parole trompée, ici la loi de la République. C'est ainsi que le député du Nord Patrick Delnatte (UMP) impute à la fraude une action négative sur les valeurs françaises :

« Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pays d'immigration.

En France, trop de familles d'immigrés, voire de familles françaises d'origine immigrée, ont des conditions de vie déplorables : pauvreté, exclusion de l'emploi, précarité du logement, sentiment d'ostracisme avec des risques de racisme et de xénophobie.

Par ailleurs, laisser la fraude et le détournement de procédure se développer comme mode opératoire de l'immigration, c'est conduire au délitement du lien social et à la perte de valeurs qui fondent la citoyenneté républicaine ».

Pour mieux comprendre, revenons sur le message délivré dans le texte. Dès la première phrase de l'exposé des motifs du projet de loi, Nicolas Sarkozy expose que « depuis 2002, la maîtrise de l'immigration est redevenue une priorité essentielle dans l'action conduite par le gouvernement. [...] La lutte contre l'immigration clandestine est déterminée ». Le chapitre 3 du projet de loi réforme le régime de séjour des étrangers. Ainsi, l'article 8 modifie les conditions d'acquisition de la carte de « visiteur » afin de s'assurer de l'absence d'installation sur le territoire de certains étrangers qui contournent ce processus. L'article 15 impose à un donneur d'ordre de demander à son cocontractant s'il emploi des étrangers, auquel cas il doit vérifier qu'ils ne sont pas en situation irrégulière. L'article 24 supprime une quelconque obtention de la carte de séjour à l'étranger résidant depuis plus d'une dizaine d'années en France au titre qu'il ne faut pas « récompenser une violation prolongée de la loi de la République ».

Le projet de loi réforme également les critères d'acquisition de la nationalité au titre du mariage afin de « lutter contre le détournement du mariage à des fins migratoires ». Pour s'opposer à un art-de-faire, l'Etat supprime la délivrance de la carte de résident de pleins droits après deux ans de mariage et augmente de deux à quatre ans le délai de communauté de vie nécessaire pour souscrire la déclaration de nationalité française. De plus le gouvernement s'accorde une année supplémentaire pour s'opposer à l'acquisition de la nationalité par le conjoint étranger.

Concernant le regroupement familial, un nouveau calcul exige qu'un étranger démontre qu'il peut subvenir aux besoins de sa famille en excluant « les minima sociaux ». Enfin, un élément inédit apparaît concernant Mayotte où la « dation du nom, qui emporte filiation dans le statut civil de droit local », impose que les deux parents relèvent du statut civil de droit local, ceci afin de « contribuer à la lutte contre la fraude des reconnaissances de paternité ».

Cette longue énumération de quelques nouveautés législatives vient confirmer un message de lutte contre les fraudeurs potentiels, mais il nous apparaît étonnant qu'un tel texte relève du ministère de l'Intérieur. En effet, pour reprendre les mots de Christiane Taubira (PRG) « cette ardeur à traquer le délinquant et à le sanctionner a priori » aurait paru mieux fondée en émanant du ministère de la Justice. De même, le dernier chapitre concernant Mayotte aurait pu faire l'objet d'une discussion séparée sous l'égide du ministre de l'outre-mer. Mais le choix stratégique du gouvernement a consisté à mêler la lutte contre l'immigration irrégulière à la volonté d'intégration des étrangers dans l'État français ainsi qu'au traitement du cas spécifique des territoires d'outre-mer.

Le rôle de la loi est important car elle est constitutive de l'identité. En effet, la loi ordonne une partie du réel par des normes, des codes afin de réguler les pratiques sociales. Elle dit aussi son identité politique, elle donne du sens à des pratiques. Dans le cas de la loi CESEDA, on voit bien que le symbolique de celle-ci essaye de recouvrir le réel des situations irrégulières que nul n'a réussi à contrôler jusqu'à présent. D'ailleurs, la loi prête à des oppositions importantes en termes de vérité :

« - M. Patrick Braouezec (PCF). Il n'y pas plus d'étrangers dans notre pays qu'il y a trente ans.

- M. Jérôme Rivière (UMP). Ce n'est pas vrai !

- M. Patrick Braouezec. Arrêtez de brandir le fantasme de l'invasion !

- M. Jérôme Rivière. C'est vous qui parlez d'invasion ! Mais il est vrai que le nombre de clandestins augmente ! »

Le message de cette loi, puisqu'elle est collective, s'impose aussi à chaque sujet d'une manière identique. Elle signale à l'étranger empli du désir d'émigrer, par la matérialité des signifiants, que le symbolique du texte de loi durcissant les conditions de séjour s'inscrit désormais dans le réel. La loi instaure donc un rapport à l'individu singulier en lui prescrivant certaines modalités.

Pour poursuivre, nous allons dresser rapidement une analyse lexicologique de l'entourage textuel du vocable « immigration » : de l'immigration choisie à l'immigration jetable, nous avons comptabilisé un certain nombre de qualificatifs. Grâce à l'outil des segments répétés, nous avons pu obtenir l'entourage textuel du vocable immigration. De plus l'outil des spécificités a pu nous faciliter le repérage de certains suremplois. Dans la mesure où notre corpus n'est pas équilibré, nous n'allons pas donner de valeurs numériques car les écarts ne seraient pas significatifs. En effet, lorsque le PCF dispose de cinq minutes pour son temps de parole, le PS intervient deux fois plus et la majorité trois fois plus. Cependant, nous représenterons sur des graphiques des données en fréquence relative.

Tout d'abord, il existe une concurrence sémantique entre le vocable « immigration clandestine » et ses parallèles juridiques « immigration irrégulière » et « immigration illégale ». Le terme « clandestin » est principalement employé par les députés de l'UMP. Il rappelle d'ailleurs le titre du rapport parlementaire du sénateur Buffet (2006). A l'inverse des vocables « illégale » ou « irrégulier » qui procèdent par une opposition littérale par rapport au respect de la loi, l'emploi du terme « clandestin » porte tout l'imaginaire de l'itinéraire d'un l'étranger arrivé avec des passeurs, vivant dans l'ombre d'une société auprès de laquelle il sait pertinemment qu'on ne l'autorise pas à être présent. Il rappelle le sort des dizaines d'africains qui s'échouent chaque année sur les terres ibériques et qui font le bonheur des marchands de sommeil dans les grandes agglomérations. Les discours employant cette formule désignent donc une catégorie particulière d'immigrés. Le tableau ci-après représente l'emploi des vocables associés à « immigration » en fréquences relatives. La valeur importante de l'emploi de la forme « immigration clandestine » pour les socialistes et l'UDF relève d'un sur-emploi destiné à dénoncer les effets que provoquerait selon eux cette nouvelle législation.

Graphique des fréquences relatives des vocables « immigration irrégulière » et « immigration clandestine » par partis politiques.

Il en va de même pour les vocables « fraude » et « suspicion » qui sont d'un côté imputés à l'immigré et de l'autre employés comme des critiques du projet de loi. Le caractère de suspicion se trouve dans des interventions comme celle que nous avons déjà cité plus haut :

« - Muguette Jacquaint (PCF). M. le ministre de l'Intérieur reprend un slogan véhiculé par l'extrême droite : « La France, aimez-la ou quittez-la ». Or précisément, ces étrangers aiment la France.

- M. Jérôme Rivière (UMP). Non, ils aiment son système social. »

Le vocable « suspicion » fait parti du vocabulaire employé par le Parti socialiste pour dénoncer les procédés d'argumentation de l'UMP. L'opposition souhaite ainsi mettre à jour ce qu'elle définit comme une « essence », une « idéologie cachée » derrière la loi, le caractère de suspicion lui permet également de défendre les populations discriminées. On retiendra ces quelques interventions de Bernard Roman (PS) :

« Arrêtez de jeter la suspicion sur eux ! » 

« Le mariage est parfois un moyen de contourner la réglementation du séjour en France, nous ne le nions pas, mais il n'existe pas une fraude massive comme vous le sous-entendez. On retrouvait déjà cette suspicion dans le rapport de M. Mariani ».

« Deuxième illustration de droits bafoués : celui au regroupement familial. Les restrictions que vous introduisez en ce domaine montrent que suspicion et précarisation sont les piliers de votre projet de loi ».

Graphique des fréquences absolues des vocables « fraudeur » et « suspicion » par partis politiques.

Le gouvernement et la majorité se défendent alors en reprenant les vocables incriminés : « il ne s'agit pas de suspicion, mais de faits » dit Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois, ou encore « Il ne s'agit pas que de suspicion. Je voudrais rappeler à l'ensemble des députés présents les chiffres... ».

Pour terminer, nous voulons revenir un instant sur le discours journalistique et le discours associatif pour montrer à quel point la bataille sémantique intègre le discours écrit. C'est l'emploi des guillemets autour d'un certain nombre de termes qui nous interroge. En effet, des vocables tels « immigré », « jetable », « choisie », « subie », « inutiles », ou encore « étranger » sont parfois placés entre guillemets. Ce procédé nous permet de mettre en avant la double dimension de ce signe typographique de ponctuation. Tout d'abord, les guillemets permettent d'encadrer l'espace insécable de la citation. Ainsi lorsque Nathalie Ferré, présidente du GISTI, écrit dans une tribune de L'Humanité, les guillemets lui permettent de citer le gouvernement ou plutôt l'idée qu'il développe :

« Il faut mettre un terme à l'immigration subie et promouvoir une immigration choisie. » Tel est le nouveau credo gouvernemental.

Or il existe un second usage des guillemets, moins équivoque, qui consiste à mettre en avant des mots qui ne nous appartiennent pas, mais aussi dont on accepte pas l'insertion dans le fil du discours. Par conséquent, le conseil des Églises chrétiennes de France affirme dans sa lettre au Premier ministre que « l'existence des « sans-papiers » est une réalité incontournable » et émet des réserves sur la liste des pays dits « d'origine sûrs ». Le secours catholique écrit aussi le terme « sans-papiers » entre guillemets. Le signe retrouve dans cette situation la signification qui lui était attribuée au Moyen-âge lorsqu'il servait à encadrer un mot d'orthographe ou de sens douteux pour le signaler au lecteur.

Aujourd'hui, les guillemets participent pleinement à l'énonciation journalistique. Nous pensons même que leur rôle est primordial dans l'appréciation d'une information par le lecteur. D'ailleurs, c'est un outil qui permet au journaliste de dépasser le cadre informatif pour diffuser une opinion. Dans le cadre du débat public sur l'immigration, c'est le désaccord avec les qualificatifs de « choisie » et « subie » qui feront l'objet d'une mise en avant interpellant le lecteur sur la valeur du jugement.

Le 4 janvier 2006, les guillemets apparaissent en titre dans Le Monde : « Nicolas Sarkozy veut « choisir » les immigrés et durcir le regroupement familial ». Il s'agit ici d'une décision délibérée de la rédaction qui souhaite insister sur la notion de sélection des étrangers. Quelques jours plus tard, Libération ironise sur les « bons » immigrés de Sarkozy. Sur l'ensemble de notre corpus d'articles de presse, ce sort sera réservé presque systématiquement aux adjectifs « subie » et « choisie ».

Dans le discours associatif, le choix de l'énonciation est différent, et c'est la notion d'intégration qui est mise entre guillemets afin de souligner l'arbitraire de cette notion. Uni(e)s contre une immigration jetable dénonce la « répression à l'égard d'un étranger - pourtant « intégré » selon les critères de la loi sur l'immigration et l'intégration ». Le collectif regrette la quasi-disparition de cet outil d'« intégration » qu'était la carte de résident et souligne selon elle l'absurdité de la procédure qui requiert des étrangers qu'ils montrent des preuves pour affirmer qu'ils sont « bien intégrés ». On en déduit que l'accent est mis sur l'intégration et son incompatibilité avec la nouvelle loi sur l'immigration. Il permet de saisir l'intention des associations qui dénoncent le raccourci établi entre immigration et intégration.

De l'immigré au terroriste

Dans ce dernier paragraphe, nous allons montrer que les représentations actuelles de l'immigré tendent à le renvoyer vers celles de l'Islam radical. Dans un contexte de mondialisation croissante et de repli communautaire, un certain nombre d'éléments viennent renforcer ces conceptions et ont mené à l'équation simpliste « immigré=arabe=musulman=islamiste=terroriste ». Gastaut, nous l'avons cité en début de chapitre, a montré comment s'est construit le raccourci d'immigré à arabe. Aujourd'hui, nous proposons à partir des quelques éléments dont nous disposons d'aller un peu plus loin.

Il faut tout d'abord réinvestir le temps long pour analyser la production de ce mécanisme. Après la guerre d'Algérie, la France a découvert l'immigration nord-africaine, et avec elle les français de confession musulmane. Plus tard, avec les arrivées massives de travailleurs, pour la plupart musulmans provenant du Maghreb, le modèle de « l'arabe » a été associé à sa religion71(*). On voit ici l'assignation d'une identité à l'autre par des variables d'opposition stricte : Europe/Afrique ; Blanc/Non blanc ; Chrétien/ Musulman.

Pour Battegay72(*), avec l'affaire Rushdie, l'affaire des foulards, l'Islam est apparue aux yeux du grand public sous la plume de journalistes dont la méconnaissance de la religion a entraîné un traitement médiatique relevant du fantasme. De plus, la guerre d'Algérie a aussi réactivé le mythe du « Sarrasin » perfide et cruel à travers le « fellagha », égorgeant à l'arme blanche. Lourd des représentations les plus négatives, on comprend davantage pourquoi l'Arabe est apparu comme le symbole de l'immigration dans une période durant laquelle les dirigeants français voulaient s'en débarrasser.

Des années 1980 jusqu'à nos jours, les principaux moments de médiatisation de l'Islam ont été liés à des crises relevant d'une pratique radicale de la religion : crise du voile, affaire des caricatures... Autre moment fort de stigmatisation d'une communauté religieuse, les actions terroristes menées au nom de l'Islam ont conduit à la construction d'un imaginaire négatif, d'une peur de cette religion, même dans une pratique modérée73(*). De l'Irak à Al Qaeda, la France a regardé l'Islam à travers des évènements étrangers à l'hexagone traités avec des représentations violentes et radicales. D'ailleurs, on peut noter que les émeutes de novembre 2005 dans les banlieues parisiennes ont fait l'objet de discours gouvernementaux associant violence et Islam et désignant comme responsables des jeunes musulmans issus de l'immigration. Ce point est d'ailleurs réapparu au cours du débat :

« - M. Noël Mamère (Les Verts). Cette révolte n'avait en effet rien à voir avec l'Islam, rien à voir avec la religion qu'ils peuvent éventuellement pratiquer.

- M. Jacques Myard (UMP). Il faut être aveugle ! »

Deuxièmement, nous proposons de percevoir ces représentations comme le fruit d'un conflit israélo-palestinien interminable. Cette guerre perpétuelle cristallise une situation d'antisémitisme et d'anti-islamisme qui se reproduit sur le territoire français. C'est ainsi que les médias qualifièrent les émeutes de l'automne 2005 d'« intifada des banlieues »74(*). C'est en proposant ce modèle que nous expliquons l'absence de réactions sur le projet de loi par la majorité des instances juives et musulmanes. Durant la période du débat, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) aborda la question de l'antisémitisme. Côté musulman, il n'existe pas de voix unique pour s'exprimer au niveau national dans la mesure où les instances de la Mosquée de Paris s'entredéchirent avec le Conseil français du culte musulman initié par Nicolas Sarkozy. Sur le site Oumma.com, Tariq Ramadan, icône d'un Islam controversé, développe durant cette période de débat une réflexion sur la question palestinienne. D'ailleurs lorsque est évoqué le rôle des associations dans l'encadrement des étrangers, il ne fait aucun doute que les structures musulmanes sont stigmatisées :

« - M. le ministre délégué aux collectivités territoriales (Brice Hortefeux). Des garde-fous sont prévus. Je vous les rappelle. Le dispositif est limité aux fondations et aux associations qui sont reconnues d'utilité publique, ce qui signifie que ce n'est pas ouvert à tout vent, il y a une prise en charge matérielle de l'étranger par la structure d'accueil et, comme vient de le dire le rapporteur, il y a l'engagement écrit de quitter le territoire.

Je pense que, de temps à autre, très ponctuellement, monsieur Myard, on peut encourager cette démarche de confiance.

- M. Jacques Myard (UMP). Qu'Allah vous entende ! »

Pour conclure, nous terminerons sur l'analyse d'un extrait d'une intervention du ministre de l'Intérieur lors du journal télévisé de TF1 du 27 avril 2006 qui dessine dans une temporalité réduite une représentation très révélatrice du « mauvais » immigré auquel on attribue des éléments stéréotypés de l'Islam.

« Bien je veux que le contrat d'intégration soit obligatoire, pourquoi ? Parce qu'un étranger qui vient en France, on l'accueille bien volontiers, il a des droits en tant que personne humaine, mais il doit avoir des devoirs. Parmi ces devoirs il y a celui d'apprendre le français [...] et puis considérer qu'on est dans une démocratie, ça veut dire qu'on accepte quand il y a des caricatures dans les journaux, y compris religieuses, ça veut dire qu'on accepte que les femmes ne soient pas voilées sur les cartes d'identité, cela veut dire que l'on accepte que sa femme soit soignée par un médecin, même si c'est un homme. Parce que ce n'est pas à la France à s'adapter à d'autres cultures ou à d'autres lois ».

Le ministre de l'Intérieur explique la nécessité de mesures d'intégration par l'existence de pratiques et de valeurs qui ne sont pas compatibles avec celles de la France. Or on perçoit ici que l'intégration se résume pour le ministre à la simple acceptation d'un certain nombre d'éléments qu'il faudrait refuser. La définition caricaturale d'un processus d'assimilation se construit à partir de faits divers. Ainsi, un devoir d'intégration serait d'accepter les caricatures dans les journaux. Soit. Mais le président de l'UMP précise « y compris religieuses » : il est désormais évident qu'il mobilise l'inter-évènementialité des caricatures de Mahomet. Son second argument concerne les femmes voilées, dont la représentation est désormais intimement liée à l'Islam depuis la succession régulière des crises dans le monde scolaire. Enfin, l'exemple des soins réinvesti une actualité qui avait vu un obstétricien frappé par un mari exigeant un médecin de sexe féminin pour accoucher son épouse. Les médias ont construit l'évènement en précisant la confession de cet homme, en l'occurrence musulman. Ces évènements sont utilisés comme une médiation entre le fait divers et le téléspectateur pour venir à l'appui d'un projet politique. L'emploi de tels exemples vide de sens la force de la parole de loi pour se reposer sur un jugement de valeur sur une échelle bien/mal en stigmatisant en particulier une religion qui n'est en rien liée aux phénomènes migratoires. Quelle image un tel discours renvoie-t-il aux cinq millions de musulmans français qui sont dès lors exhortés à mieux s'intégrer ? L'extrait que nous avons choisi se conclut en opposant la France à « d'autres lois ». Cette phrase s'insère dans un autre débat, celui sur la charia. Le ministre rappelle alors que la parole de la République prévaut sur la parole religieuse.

Chapitre 3

Immigration, intégration, identité nationale :

vers une nouvelle idéologie nationaliste.

L'État se pense lui-même en pensant l'immigration.

Abdelmalek Sayad.

Dans un dernier chapitre, nous désirons ouvrir une discussion sur les évolutions idéologiques qui encadrent le débat public sur l'immigration. Une idéologie, au sens de Marx, est un ensemble de représentations imaginaires fondées sur des croyances. Cet imaginaire transparaît dans les débats à travers des jugements, des idées préconçues échangés par des acteurs qui adhèrent sans aucune prise de distance.

Nous allons d'abord montrer qu'il existe une adhésion générale autour de la nécessité d'intégration et de sa proximité avec l'existence du fait migratoire. Nous essayerons de voir quels présupposés sous-tendent ces discours. Ensuite, nous aborderons l'idée qu'il existerait aujourd'hui un regain de nationalisme lié à la définition d'une identité nationale.

I. L'idéologie intégrationniste

Pour débuter, il faut tout simplement se référer à la dénomination de la loi afin de construire notre démonstration. Il s'agit du projet de loi « relatif à l'immigration et l'intégration ». Cette proximité entre deux termes très différents nous mène à analyser ce télescopage et à traiter de la question de l'identité culturelle.

Un rôle inconscient assigné à l'intégration

Lors de la discussion autour du projet de loi, le thème de l'intégration a été très largement évoqué. Une disposition législative met en place la nécessité pour le migrant qui souhaite faire venir sa famille de démontrer les preuves de sa volonté d'intégration à la société française. Dans son discours, le gouvernement articule ce qui relèverait d'une « une intégration réussie » avec son imaginaire d'« immigration choisie ».

Mais qu'est ce que l'intégration ? Qu'est ce qui la lie à l'immigration ? Le terme « intégrer » signifie faire entrer dans un tout. On en déduit que l'intégration des immigrés consisterait à les faire entrer ou leur demander d'entrer dans la société d'accueil. Selon Patrick Weil75(*), « l'intégration désigne en effet un processus multiforme, un ensemble d'interactions sociales provoquant chez des individus un sentiment d'identification à une société et à ses valeurs, grâce auquel la cohésion sociale est préservée. L'intégration est ainsi définie par Émile Durkheim comme le processus par lequel une société parvient à s'attacher les individus en les constituant en membres solidaires d'une collectivité unifiée ». Cette définition nous permet d'insister sur la composante individuelle de ce processus social. Ainsi, il s'agit d'intégrer un individu singulier au sein de la société, d'une structure collective supérieure afin d'obtenir une forme plus harmonieuse.

Pourtant, ce concept d'intégration est employé comme une solution générale pour mieux mettre en oeuvre l'immigration. Cela nous conduit à formuler une remarque sur une modification sémantique importante. Dans le débat politique, il est toujours question de l'intégration à la société, c'est-à-dire la relation d'un individu avec un ensemble. Mais des voix s'élèvent pour que l'on évoque davantage l'intégration de la société, qui relève alors d'un processus collectif76(*). De même, il faut distinguer le verbe « intégrer », qui situe l'action du côté de la société, et « s'intégrer » qui renverse alors la situation pour désigner l'action de l'individu.

D'autre part, l'intégration est un concept difficilement appréciable. Comme l'a souligné le sociologue Abdelmalek Sayad77(*), l'intégration est un processus que l'on ne peut mesurer « qu'après coup ». Il affirme ainsi qu'on ne peut pas l'évaluer en cours d'accomplissement car il engage l'articulation de l'être social avec l'ensemble de la société. En outre, ce terme n'étant pas fixé, il n'existe pas de bornes signifiantes pour attester de l'aboutissement de l'intégration. Il faut alors observer ce qui, au cours de l'histoire, rempli le vide de ce concept et permet de fixer des critères définissant une bonne intégration78(*). Actuellement, ces critères se concentrent sur la question de la langue et des valeurs « universelles » françaises.

En second lieu, nous postulons qu'il existe un consensus dans l'espace public à propos de l'articulation entre immigration et intégration. Parmi l'ensemble des opposants au projet de loi CESEDA, presque aucun acteur ne s'est ému de la présence de la question de l'intégration dans le débat. Il semble qu'un lien « logique » désormais intériorisé soit apparu entre immigration et intégration. Une fois intégrée l'idée dans le temps long selon laquelle l'étranger arrivé sur le territoire doit traverser un processus d'insertion dans la société, les mécanismes de l'inconscient articulent les deux notions comme un automatisme.

Pour illustrer cela, nous avons recueilli des éléments allant dans ce sens à travers l'ensemble de notre corpus. Ainsi, la commission des épiscopats de la communauté européenne (COMECE) déclare que l'ensemble des organisations qu'elle représente « soutiennent que des efforts d'intégration peuvent être espérés de la part des migrants mais des efforts réciproques de la part de la société dans son ensemble sont nécessaires. Ils soulignent aussi que le respect des droits humains des migrants est la clé pour une intégration réussie ». On constate que le processus de validation du lien magique entre intégration et immigration passe par la médiation d'un appel à une intégration de la société. C'est donc la stigmatisation de la singularité d'un individu qui est critiquée, mais le processus n'est aucunement remis en cause. Le Secours catholique et Caritas France estiment que :

« les réflexions en cours feraient apparaître quelques aspects positifs : nécessité de l'immigration, recherche de l'intégration, ouverture du marché du travail, références au co-développement » et soutient une intégration de la société en avançant que « l'intégration est un objectif mais ne se décrète pas : elle procède de l'interaction entre les efforts des nouveaux venus et ceux de la société installée. Les étrangers, travailleurs en séjour ».

Claire Rodier, juriste au GISTI explique dans Le Monde du 4 janvier 2006 que :

« La bonne définition de l'intégration, ce n'est pas demander tout aux étrangers en matière d'efforts pour se conformer à la société qu'ils viennent rejoindre. L'intégration, ça marche dans les deux sens : intégrer, ça veut dire aussi qu'une société d'accueil doit se donner les moyens que les personnes à intégrer aient envie de faire partie de cette société ».

La discussion sur l'intégration représente dans l'espace public un nouveau débat à l'intérieur du débat sur l'immigration. Nous avons constaté que le vocable « intégration » est principalement lié à deux autres termes : « effort » et « contrat ». Le premier est lié à un discours sur l'intégration à la société. Il affirme qu'elle est liée à une volonté individuelle. Mais face aux « échecs » d'un « système » qui ne fonctionne plus, le gouvernement propose dans le projet de loi un « contrat d'intégration ». Ce dernier vient donc vider de tout son sens l'idée de volonté, qui repose fondamentalement sur un désir personnel du migrant de « s'intégrer ». Désormais, il s'agit « d'intégrer » : la société passe par un accord symbolique avec le migrant pour promouvoir la forme d'intégration désirée. Il n'est donc plus question de volonté puisque le contrat obligatoire impose et encadre le processus. Dès lors, l'intégration se formule à partir d'un idéal-type de l'étranger intégré qui se concrétise dans une structure juridique, un « principe » qui fait aujourd'hui consensus. Cela est illustré par l'intervention de Patrick Delnatte (UMP) :

« Il faut encore installer une véritable politique d'accueil des immigrés. On a trop longtemps cru en France que l'intégration se ferait d'elle-même. Le constat s'impose que les politiques s'attachent plus à réparer les échecs de l'intégration qu'à l'organiser. Ce projet de loi apporte enfin les outils qui permettront une intégration réussie pour le nouvel arrivant ».

D'ailleurs, l'opposition convient de la nécessité de l'intégration à la société en exigeant un grand débat pour les centristes et en demandant plus de moyens du côté socialiste :

« M. Serge Blisko (PS). Nous ne croirons à ce que vous appelez une politique volontariste d'intégration que le jour où vous y consacrerez plus de moyens, lorsque ce ne sera plus quelque chose que vous agiterez de temps en temps ».

Pour sa part, Nicolas Sarkozy expliquera son contrat de la manière suivante :

« Pour cela, la signature d'un contrat d'accueil et d'intégration sera rendue obligatoire pour toutes les personnes qui entrent en France légalement afin d'immigrer de manière durable. Ce contrat ne doit pas être un papier que l'on signe et que l'on oublie. L'étranger prendra des engagements à l'égard de la société qui l'accueille : il devra apprendre la langue française et respecter les lois et les valeurs de la République. En contrepartie, le contrat comportera des engagements de l'État à l'égard de l'étranger : formation linguistique et civique et première orientation dans les démarches pour s'adapter à la société française ».

Jouxtant le terme « immigration » dans ce discours, la nécessité d'intégration devient liée à l'identité de l'étranger. On retrouve ici un déséquilibre entre un individu posé comme particulier face à un général. Par ailleurs, le thème de la culture apparaît constitutif des éléments justifiant d'une bonne intégration. Il faudrait alors être « culturellement » français pour atteindre cet état. Pour le devenir, deux axes sont mis en avant : la langue, dont il est réaffirmée qu'elle est constitutive de l'identité, mais aussi le civisme, c'est-à-dire le respect du citoyen pour les conventions de la collectivité, en particulier la loi.

Dans un second temps, le ministre de l'Intérieur précise que la connaissance à l'avance de l'identité du futur immigré permet de favoriser l'état d'intégration, ce qui lui permet ainsi de justifier une immigration choisie :

« J'ajoute que je n'ai toujours pas compris pourquoi certains sont choqués que l'on puisse répertorier les catégories de population en fonction de leurs origines. Ce n'est pas faire preuve de racisme ou de discrimination. Si l'on veut réguler l'immigration, il faut la comprendre et, pour la comprendre, il faut la connaître. Si l'on refuse de connaître la composition de la société française, comment pourra-t-on intégrer ceux dont on nie la spécificité et l'identité ? Cela n'a aucun sens ! Le racisme n'est pas dans l'établissement d'un diagnostic, mais dans les idées nauséabondes que l'on met derrière ! »

On constate ici l'émergence d'une argumentation identitaire. L'intégration a pour visée de fabriquer de l'identique en niant toute altérité (par sa connaissance), et de favoriser l'indistinction. On voit ici ce que Paul Ricoeur79(*) appelle la « mêmeté », tiré de l'allemand Gleichheit. Il s'agit de la dimension de l'identité du même. Ainsi, « l'injonction à l'intégration80(*) » serait une injonction à passer de l'altérité radicale (nous sommes différents) à l'identité totale (nous sommes identiques), et certaines catégories seraient selon cet extrait plus ou moins préparées à cette recomposition identitaire. Par exemple, de nombreux discours ont avancé que les étrangers européens sont plus ouverts à ce passage dans la mesure où ils partageraient déjà des valeurs communes avec celles de la France.

Différences culturelles et nouveau racisme sans race

La plupart des discours dans l'espace public de notre débat tendent à opposer des valeurs françaises qui relèveraient de l'universel face aux valeurs de l'Autre qui ne le seraient pas. D'ailleurs, le député Noël Mamère insiste sur la prétendue universalité des valeurs en débat :

« - M. Noël Mamère. J'aimerais simplement, monsieur le ministre, que vous nous apportiez une précision nécessaire puisque vous n'avez pas assisté à nos débats ce matin. J'espère que les valeurs dont vous parlez ne sont pas les « valeurs françaises » dont M. Vanneste s'est réclamé ce matin, mais les valeurs universelles...

- M. Jacques Myard. Elles sont françaises !

- M. Noël Mamère. ...qui étaient effectivement celles des pères fondateurs de notre République. Il ne peut pas y avoir de valeurs françaises particulières qui s'opposeraient aux valeurs universelles. »

La notion d'intégration suppose dès le départ une différence, en l'occurrence entre des cultures comme nous l'a montré l'intervention de Nicolas Sarkozy. Il est alors nécessaire de poser ouvertement la question d'un nouveau racisme collectif. Selon Albert Memmi81(*), le racisme est « une valorisation généralisée et définitive de différences réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression ou des privilèges ». Dans le cadre du débat dans l'espace public, nous rejoignons Etienne Balibar82(*) sur sa définition d'un nouveau « racisme sans races ». Il le définit comme « un racisme dont le thème dominant n'est pas l'hérédité biologique, mais l'irréductibilité des différences culturelles » ou plutôt devrions-nous dire l'imaginaire de cette irréductibilité. Car c'est bien ce dont il s'agit dans le cas du débat sur la loi CESEDA : le discours des acteurs politique place les immigrés à l'extérieur de la « communauté nationale » tant qu'ils n'ont pas renoncé à leur culture. D'ailleurs, l'analyse des représentations de l'immigré nous démontre qu'il est associé à des valeurs négatives. Dès lors, la définition de l'identité de l'étranger permet aux nationaux d'élaborer la leur par différenciation, se fondant alors sur des valeurs positives.

En outre, et en nous appuyant sur notre précédent chapitre abordant les représentations, il faut souligner que nous assistons à une « naturalisation » de la différence culturelle à partir de bases généalogiques. Des interventions au coeur de l'espace public reprennent progressivement ce que Taguieff qualifiait de théories « différentialistes », prônant l'importance vitale des clôtures culturelles. Cela mène aujourd'hui à un discours qui souhaite aseptiser les abords d'une « culture française universaliste ». Cette perception de l'intégration mène d'ailleurs à l'appellation « éloquente politiquement83(*) » d' « immigrés de la deuxième génération ». Ainsi, les enfants d'immigrés sont condamnés à un statut hybride qui les place hors de la société française pour des raisons culturelles.

Les députés se déchirent sur l'existence ou la non-existence de valeurs universelles, ces représentations positives qui instaurent l'identité de soi. Selon Jacques Myard (UMP) :

« Il existe bien des valeurs françaises, mais aussi des principes universels, et je m'étonne que, au pays de la laïcité, personne n'évoque certaines pratiques religieuses attentatoires à la dignité des femmes. Traiter la femme comme un objet me semble une preuve visible de non-intégration et du refus de « vouloir vivre ensemble » en France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Je me félicite donc que l'on mette en place un contrat d'accueil et d'intégration assorti de sanctions. Cela va dans le bon sens et je défendrai un amendement portant article additionnel après l'article 26 et visant à rendre ces sanctions effectives ».

Pour sa part Noël Mamère (Les Verts) avance qu'il n'y a pas de « valeurs françaises », mais explique que c'est la France qui a adhéré à des valeurs universelles, ce qui revient de fait à rejoindre ses confrères sur la nature universelle des valeurs françaises :

« Oui, les droits de l'Homme sont universels ; non, il n'y a pas de valeurs françaises, monsieur Vanneste : il n'y a, comme l'a souligné M. Braouezec, que des valeurs universelles ! Ce sont ces valeurs universelles de respect, de dignité humaine, confirmées par la Déclaration universelle des droits de l'Homme et par la Convention européenne des droits de l'Homme, qui doivent nous guider. Les droits de l'Homme ne sont pas à géométrie variable selon l'alternance politique dans ce pays : ils sont inoxydables ! »

Pour faire une synthèse, Jean-Christophe Lagarde (UDF) détaille l'existence de valeurs spécifiquement françaises en regrettant que la France ne les ait pas étendues au monde entier :

« Par ailleurs, M. Mamère et M. Braouezec ont évoqué l'absence de valeurs françaises. Je crois au contraire que si la France a toujours prétendu à l'universalité, elle n'est pas parvenue à transmettre au monde toutes ses valeurs. Je pense notamment à la laïcité, qui n'est pas une valeur universelle puisqu'elle n'est pas reconnue dans la plupart des pays qui nous entourent, notamment au sein de l'Union européenne. Il s'agit d'une valeur spécifiquement française, que certains pays n'accepteraient pas de se voir imposer ».

Selon Abdelmalek Sayad84(*), l'ensemble des discours sur ce processus devient performatif et il agit sur la réalité sociale en invisibilisant l'immigré auquel le processus d'intégration impose discrétion et réserve. Cela se traduit dans le réel du migrant par le refoulement de ses différences et de ses spécificités.

L'intégration en tant que résultat d'un parcours dans la sociabilité s'est aujourd'hui transformée en un idéal à poursuivre au risque de faire l'objet de discriminations racistes. En outre, elle permet avant tout aux nationaux de valoriser la représentation de leur identité nationale en opposition à une représentation négative des valeurs étrangères.

II. Vers un nouveau dispositif idéologique nationaliste

Dans cette dernière partie, nous allons ouvrir la discussion en associant la plupart des éléments que nous avons soulevés jusqu'à présent dans ce travail. Premièrement, nous allons montrer que l'idéologie intégrationniste tend à évacuer certains éléments d'une idéologie marxiste. Ensuite, nous tenterons de voir si nous assistons à la construction d'un nouveau dispositif nationaliste qui réinvestit les théories du nationalisme de la IIIe République.

Quand les différences culturelles balayent les différences de classe

« M. Nicolas Sarkozy (UMP). Contrairement à ce que j'ai pu entendre, il n'y a pas trente-six solutions, il n'y en a qu'une : essayer d'être pragmatique et moins idéologique ».

Cette intention du ministre de l'Intérieur, dont l'idéologie est loin d'être absente, s'est structurée sur une nouvelle perception binaire de l'espace de la sociabilité. Tout d'abord, les traditionnelles oppositions marxistes sont renvoyées hors du débat. A cette structure sociale, il substitue la division français/étranger. Il s'agit d'une sorte d'officialisation du glissement imposé par la présence de Le Pen depuis des décennies. Le Front national étant toujours présent et menaçant depuis 2002, certains acteurs de l'espace public ont contribué à instaurer une dimension fantasmatique autour de la question nationale85(*). L'importance de la culture « nationale » balaye les différences de classe qui constituaient une perception politique essentielle jusqu'à présent. Ainsi, Pierre Tévanian et Saïd Bouamama86(*) détaillent un mécanisme qui a consisté à survaloriser une différence « culturelle » (ils sont différents de nous) » et en même temps à nier  « les autres différences, notamment de classe ou de « personnalité » (ils sont tous les mêmes, et nous partageons tous une même identité nationale) ».

Cette nouvelle opposition transparaît dans l'argumentation du gouvernement et de sa majorité à travers une altérité radicale. Nous pouvons dès lors accréditer, en nous appuyant sur notre second chapitre, la récente thèse de « l'éthnicisation de la vie sociale ». Le mécanisme procède d'une délégitimation de la culture dominée, celle de l'Autre, au profit d'une culture dominante, celles des valeurs universelles de la « communauté française ». Un présupposé hiérarchisant rabaisse le groupe discriminé, valorise le groupe majoritaire et produit l'émergence d'une situation de concurrence, particulièrement sur le marché du travail comme le montre le débat sur la loi « immigration et intégration ».

Cela vient nous rappeler des principes développés dans le concept de « choc des civilisations » de Samuel Huntington87(*). Suite aux attentats du World Trade Center, ce penseur américain a développé l'idée d'un choc entre deux entités qui mettent en jeu la survie de leur identité. Pour cela, il explique une recomposition autour d' « axes culturels » liés à des facteurs ethniques et religieux. A l'heure de la mondialisation et des nouveaux conflits, il énonce une opposition à l'idée de l'uniformisation du monde dont parlait Marcuse avec son « homme unidimensionnel » pour redescendre dans une certaine matérialité en traitant de « civilisations ». Les propos de Huntington reposent sur la fin des équilibres géopolitiques bipolaires et on perçoit là une recherche d'une civilisation ennemie visible.

Cette substitution d'une conscience identitaire à une conscience de classe nous rapproche de l'idéologie nationaliste de Barrès. C'est ainsi qu'on retrouve une structure identique à celle que l'écrivain et homme politique a fait émerger à la fin du XIXe siècle. Hanté par le déclin d'une civilisation, il a réussi à « concilier ce qui apparaissait alors pour beaucoup comme l'inconciliable : rassembler la bourgeoisie et la classe ouvrière pour la défense d'un intérêt commun : la protection du commerce et du marché du travail national, et contre un ennemi commun : l'étranger88(*) ». L'appartenance professionnelle, objet d'inégalités et de conflits dans le champ du travail se voit supplantée par le renforcement d'un imaginaire national permettant une union autour d'une même appartenance. Cette idéologie fonctionne donc en adéquation avec la valeur signifiante portée par les représentations décrites dans le chapitre précédent.

Repli identitaire, peur, et identité nationale

Le « choc des civilisations » résumerait-il le terreau idéologique actuel sur lequel fleurit l'identité nationale ? Cette formule destinée à l'Amérique du libéralisme permet de comprendre une nouvelle représentation du monde. L'État-Nation, porteur de la souveraineté populaire, est aujourd'hui dépassé par des éléments transnationaux. La mondialisation bouscule ainsi les repères identitaires et laisse émerger une phobie de l'Autre. Dans un processus de repli sur la culture, elle porte l'imaginaire de l'existence d'un dernier élément collectif national. Cette peur, soutenue par un renouveau des pratiques populistes, se traduit par l'extrait de débat ci-dessous dans lequel l'exemple du miroir correspond parfaitement à cette situation identitaire dans laquelle des individus recherchent un reflet pour exprimer un fantasme d'identité, confondant sujet singulier et acteur collectif, et formulent la place de l'Autre dans le phénomène migratoire :

« - M. Jérôme Rivière (UMP). Mais j'ajouterai, monsieur le ministre, que quelle que soit la force morale d'un pays, il existe un seuil d'immigration à partir duquel un pays se regarde dans le miroir sans se reconnaître.

- M. Jean-Pierre Brard. Si c'est vous qu'il y voit, il est évident qu'il ne se reconnaîtra pas !

- M. Jérôme Rivière. Ce seuil est aujourd'hui largement atteint en France. »

Il n'est pas étonnant de retrouver le développement de ce thème dans l'objet que nous abordons. Le débat autour du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, en construisant une représentation de l'immigré, a élaboré par antagonisme un discours sur les représentations de l'identité nationale89(*). Dans cette structure binaire d'opposition, l'identité nationale n'est jamais définie que par rapport à un Autre incarné par une figure imaginaire d'étranger.

L'imaginaire de la peur semble ainsi conduire à un retour sur le terme allemand « kultur » développé par Johan Gottfried Von Herder et fondé sur le sol, le sang et l'instinct. Il abouti à la construction d'une identité nationale de « réaction ». Cela expliquerait alors que l'on soit passé de l'axiome « lutter contre l'immigration clandestine pour mieux intégrer les immigrés réguliers » à un axiome anti-immigration pour éviter tout désordre social, c'est-à-dire tout objet qui ne s'inscrit pas dans la sociabilité attendue et qui provoque dès lors un déséquilibre des identités.

Un nouveau nationalisme ?

Le débat sur l'immigration et l'intégration montre la voie d'un idéal à poursuivre qui ouvre la porte aux premiers pas d'une construction idéologique. Celle-ci se structure à partir d'une « doxa politique » au sens bourdieusien, un ensemble d'idées reçues relevées dans notre second chapitre. Ainsi, le modèle qui voit le jour fonctionne principalement à partir d'idées-forces, allant de fait au-delà de la croyance et s'inscrivant dans un imaginaire politique.

L'enjeu du politique consiste à déplacer les frontières du champ politique, et c'est ce qui est en oeuvre dans cette situation. On est dans un changement de paradigme au sens de Kuhn, avec une remise en question des frontières du champ. Le cas de l'immigration nous offre le meilleur exemple de cette construction en cours. Auparavant, le thème de l'immigration était traité à l'aide d'un vocabulaire social (classes, discrimination, justice, égalité). Aujourd'hui, celui-ci a laissé la place à des thématiques « essentialistes » telles que l'identité, la nation, la communauté... Nous percevons ainsi ce phénomène social à travers des cadres de représentation nationalistes. On rejoint ici Abdelmalek Sayad pour qui ces « structures structurées en ce sens qu'elles sont des produits socialement et historiquement déterminés, mais aussi structures structurantes en ce sens qu'elles prédéterminent et qu'elles organisent toute notre représentation du monde et, par suite, ce monde lui-même90(*) ». Cela nous permet donc d'articuler les récentes évolutions des représentations de l'immigré avec l'apparition d'une nouvelle conscience exacerbée de la dimension nationale de l'identité.

Ce modèle de catégorisation nationaliste s'explique par la dimension identitaire qu'a fini par prendre le concept de nation. Elle permet de distinguer ou d'exclure des individus de la communauté nationale alors même que la conception traditionnelle française de la nation est liée à la volonté. Comme l'a fort bien expliqué Benedict Anderson91(*), la nation est une « communauté politique imaginée », et se situe donc dans le champ des représentations collectives. Cette identité politique affecte l'identité singulière des individus concernés par son intégration dans la structure de l'inconscient. Dans le cas présent, elle permet de construire une frontière imaginaire entre des cultures, mais surtout entre des individus.

Sur quelles bases se construit ce renouveau de la nation ? Si l'on s'attache à une définition stricte et historique, le terme « nationalité » désigne « un caractère national. Esprit, amour, union, confraternité nationale, patriotisme commun à tous92(*) ». La nation semble en conséquence fondée sur de l'imaginaire, des passions et des fantasmes mais elle se caractérise aussi par le réel de l'exclusion de l'étranger et par le symbolique de la différence culturelle et des représentations de l'Autre.

Au regard des théories de la nation93(*), on se rend compte que prévalait historiquement le principe de Renan selon lequel le critère qui fonde l'appartenance nationale est un principe spirituel qui articule d'une part des souvenirs communs, liés à une continuité généalogique, et d'autre part la volonté et le désir du « vivre ensemble ». Non que cette vision soit rejetée, il nous semble que la volonté soit de plus en plus mise en avant dans les discours au travers du concept d'intégration, alors qu'on lui oppose parallèlement l'importance de l'hérédité comme porteur de l'identité française.

L'idéologie nationaliste n'est-elle pas un obstacle à un imaginaire positif de l'intégration ? Pourquoi la nation ne serait-elle pas cette volonté d'apparaître comme le plus petit dénominateur commun de milliers d'individus singuliers revendiquant la même identité politique ? La nation est un imaginaire, une utopie à géométrie variable qui offre selon son emploi une vision différente.

Dès lors, l'existence d'un ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement relève du simple transfert d'un imaginaire néo-nationaliste dans le réel du pouvoir. De plus, la proposition de suppression de la double nationalité par Nicolas Sarkozy sera un élément de plus pour désambiguïser la question identitaire et la recentrer sur une vision d'une dualité impossible dans la communauté nationale. La nation n'est plus alors une question de volonté mais de choix entre des identités : l'immigration choisie.

Au-delà du symbolique, les représentations nous permettent d'envisager une analyse en termes d'idéologie. En partant de l'intégration, nous avons donc montré que le traitement de l'extranéité permet avant tout la définition d'une identité du soi-national. D'ailleurs, on trouve dans ce processus d'intégration une volonté d'attribuer, selon l'expression de Jean-Marie Le Pen, une « identité totale » permettant une harmonisation culturelle et une extinction de l'altérité. Finalement, l'idéologie en présence réinvestie les cadres de la nation, ce qui lui permet de dépasser les institutions politiques et religieuses et de retrouver un élément de stabilité en reconduisant les représentations politiques de son passé.

Conclusion

Il suffit d'écouter pour entendre.

Tout au long de ce travail, nous avons essayé d'entendre ce qui s'échangeait lors du discours autour de la loi CESEDA. A travers un très grand corpus, il s'est avéré que les échanges dans le cadre parlementaire présentaient des caractéristiques fondamentales pour comprendre le traitement d'un fait social autour duquel règne toujours un net malaise et une certaine confusion.

Dans notre premier chapitre, nous avons démontré en procédant à une analyse précise de l'ensemble des discours dans l'espace public l'importance du temps et des évènements dans le débat. Avec le concept d'inter-évènementialité, nous avons souligné qu'il est essentiel de procéder à une analyse des évènements conjoints à l'objet d'étude pour mieux l'envisager. Ainsi, le débat sur le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration a été « percuté » par la crise du CPE qui a alors entraîné son traitement à partir de la question de l'immigration de travail. Cela a permis d'assister à un débat sur les deux composantes essentielles de l'identité : l'appartenance professionnelle et l'appartenance nationale. Nous avons aussi expliqué que l'existence même de ce débat était liée à l'échéance présidentielle de 2007, ce qui transparaît particulièrement dans les prises de position de la part du ministre de l'Intérieur.

L'entourage de l'ensemble des discours dans l'espace public nous a conduit à constater l'existence d'une onde discursive qui s'est propagée à partir du texte de loi, mais qui a traversé l'ensemble des champs de l'espace public. Ainsi, le discours des acteurs de l'économie solidaire a trouvé un écho dans le champ des acteurs du pouvoir et dans celui des médias. Dès lors, il est intéressant d'assister à l'organisation et aux parcours des argumentations dans l'espace public du débat.

Au cours de notre second chapitre, nous avons centré notre analyse sur les représentations de l'immigration et de l'immigré. Dans la mesure où il est difficile de capter dans l'échange symbolique la formulation de représentations complètes, nous avons sollicité un certain nombre de travaux sur ce thème. Tous aboutissent à un constat similaire : les représentations d'aujourd'hui sont marquées par les stigmates de la colonisation et des décolonisations. En outre, la médiation des évènements liés à l'immigration en France a produit une structure stéréotypée de l'arabo-musulman comme icône de l'étranger. Les mécanismes de l'altérité ont aussi entraîné le renvoi d'un ensemble d'attributs négatifs sur l'Autre. On peut conclure que les représentations portées par le Front national tendent à se diffuser dans l'espace public. Ainsi, nous avons constaté que le fait migratoire est toujours appréhendé sous la forme d'un « problème » comme l'expliquait déjà Simone Bonnafous dans les années 1980. Les discours soulignant le rôle positif de l'immigration et son rôle important dans l'évolution de l'identité collective sont marginaux, et principalement issus des institutions religieuses.

Il faut également revenir sur notre analyse des interruptions en séance à l'Assemblée nationale. Nous avons entamé une analyse qui mériterait d'être approfondie et menée avec une rigueur extrême sur un corpus plus étendu. En effet, cette forme de communication non autorisée nous semble être un des seuls outils, voire l'unique, qui permet de mesurer l'irruption de l'inconscient au coeur du langage. Ces fragments discursifs dépassent le cadre d'une simple interruption institutionnalisée comme l'avance Cabasino ; ils sont les expressions d'un surgissement des racines profondes d'un imaginaire. Dès lors, ces quelques mots parsemés à travers le flot de discours pourraient nous offrir une information précieuse pour restituer dans le détail les composants d'une idéologie.

Enfin, lors d'un ultime chapitre, nous avons initié une démarche pour montrer qu'une analyse des représentations offre la possibilité d'étudier une construction idéologique.

Le thème de l'intégration permet la formulation de l'identité de soi. En effet, en assignant à l'Autre un « devoir » d'intégration, nous avons constaté que les acteurs du pouvoir structurent les cadres de ce processus social. Se faisant, ils tracent des frontières entre l'étranger et le national, entre l'Autre et le Soi. C'est à travers ce travail de division de l'espace des valeurs que les législateurs définissent leurs représentations de l'identité nationale. On passe alors par l'Autre pour parler de Soi.

A partir de là, nous avons souligné le réinvestissement d'un imaginaire d'incompatibilité entre les cultures ne partageant pas les mêmes valeurs universelles en évoquant le début d'une évacuation de la division marxiste de la société. Le pays qui se bat pour la reconnaissance de l'exception culturelle s'entoure aujourd'hui d'un cordon sanitaire pour éviter de contaminer une « culture française ». Au terme de notre travail, nous avons soulevé la possibilité de l'apparition d'un nouveau nationalisme. Celui-ci tend à oublier la notion de volonté dans la construction de la nation pour prendre en compte des éléments culturels associés à l'hérédité.

Pour terminer nous voudrions proposer des perspectives d'approfondissement de notre travail. Nous les formulerons à partir des composantes essentielles de l'identité :

Le temps

Les liens au temps se sont avérés essentiels. Il s'agit de la question de l'histoire, de la mémoire et de l'inter-évènementialité. Ce dernier concept, que nous avons largement illustré, mériterait une théorisation précise sur le champ des médias. Les contaminations réciproques entre les évènements doivent mériter toute notre attention car elles permettent une approche complète et se révèlent être un outil précieux pour comprendre les prises de position des trois types d'acteurs de l'espace public.

La question du temps nous mène à réinvestir les concepts de « temps long » et de « temps court » formulés par l'École des Annales. Leur articulation semble fondamentale dans la construction des identités et des représentations. Il serait particulièrement intéressant d'analyser ainsi le renouveau d'une idéologie nationaliste. Le retour d'imaginaires politiques plus que centenaires dans le temps de ce débat, puis dans celui de la campagne présidentielle de 2007, nous laisse à penser que les discours actuels s'inscriraient dans un « temps long » de l'idéologie politique. Il existerait une filiation entre les théorisations du nationalisme au XIXe siècle et leur reformulation actuelle : les logiques de l'identité sont toujours les mêmes et s'articulent de manière semblable à travers les époques. Ainsi, le nationalisme de Barrès partage avec l'idéologie actuelle le culte de la terre et des « grands hommes ». Cela s'explique par une imprégnation des acteurs politiques contemporains par des références historiques liées à cette période et probablement par l'intégration inconsciente d'un certain nombre de ces représentations imaginaires.

La langue

Elle est un outil incontournable pour l'analyse. Sa place est d'autant plus importante dans un travail centré sur les idéologies. Comme le soulignait Freud, c'est le « lieu où se dit, littéralement, l'organisation inconsciente qui sous-tend les actes concrets94(*) ». En allant au-delà de la matérialité de ce système sémiotique premier, nous entrons au coeur d'une institution collective c'est-à-dire du politique. Chaque énonciation exprime une appartenance, une sociabilité auxquelles est par exemple lié le « contrat d'intégration » décrit au cours de ce travail.

Dans le cadre du débat sur la loi CESEDA, les discours des acteurs politiques ont placé la question de l'apprentissage de la langue comme l'élément indispensable pour acquérir la nationalité française ou pour devenir un étranger intégré. Par conséquent, il serait intéressant d'approfondir ce travail pour connaître précisément les représentations de la culture française débattues à l'Assemblée nationale et la place accordée à la langue. De nombreux débats agitent l'espace public sur la nécessité de préserver la langue française pour pouvoir protéger l'identité qui lui est associée. Ainsi, l'analyse des discussions au Parlement sur l'enseignement du français à l'école, sur la francophonie et sur la culture pourraient permettre de voir les représentations de la langue et ses liens avec une « culture française » que lui attachent les députés.

La loi

Enfin, nous voulons terminer sur la question de la loi. Elle est essentielle dans les mécanismes de l'identité. Sans cesse, nous revenons vers elle : la loi c'est le langage, c'est un discours, c'est ce qui structure l'inconscient... La loi, qui est une parole, structure l'inconscient et elle conduit à faire entrer dans le réel ce qu'elle énonce dans le symbolique. Dès lors, celui qui ne respecte par la loi brise l'indistinction et la prévisibilité. C'est par la parole d'un jugement sur sa personne par un représentant du collectif qu'il sera rappelé à respecter les lois communes qui fondent l'espace de la sociabilité.

A ce propos, il serait fort intéressant d'étudier la place de la langue dans l'application de la loi. Dans ce travail, il est apparu que la langue joue un rôle fondamental dans le débat sur la loi. Mais c'est davantage du côté de la communication judiciaire qu'il serait intéressant de se placer. La place du langage dans la justice revêt un rôle essentiel. La loi présente deux phases entre une perception collective et une individualisation de son application. Elle représente la médiation entre l'espace de la singularité et l'espace public, alors qu'elle intervient aussi dans la construction de la langue. L'articulation entre la loi et la langue renvoie dans le champ du politique un élément stable pour construire une identité, communiquer, et produire des représentations sur le monde.

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ANNEXES

1. Détail du corpus

2. Liste des principaux intervenants dans le débat à l'Assemblée nationale

3. Frise chronologique de l'inter-évènementialité du débat

4. Index des sigles

5. Extraits de la présentation du projet de loi par Mr Nicolas Sarkozy

6. Extrait d'une question préalable déposée par le Parti socialiste

7. Extrait d'une intervention de Jérôme Rivière (UMP)

8. Extrait du message d'ouverture du président de l'assemblée générale de la fédération protestante de France - Pasteur Jean-Arnold de Clermont

9. Uni(e)s contre une immigration jetable : Sarkozy et le double langage

10. Pétition de Uni(e)s contre une immigration jetable 

11. Communiqué de la CGT

12. Représentations iconographiques

13. Le Monde - Colonisés hier, immigrés aujourd'hui, citoyens demain.

14. Libération - Sarkozy vante encore ses « bons » immigrés

15. Libération - Le PS s'indigne, mais pas trop fort

16. Le Monde - Les limites de l'immigration choisie

17. L'Humanité - Nicolas Sarkozy plus vrai que vrai à l'Assemblée

18. Le Monde - Immigration, le débat escamoté

19. L'Humanité - Sarkozy sur les terres de l'extrême droite

Annexe n°1

Détail du corpus

Discours d'assemblée

Projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration déposé le 29 mars 2006

Audition de Mr Nicolas SARKOZY par la commission des lois de l'Assemblée nationale le 29 mars 2006

Présentation du projet de loi par Mr Nicolas SARKOZY

Présentation par Mr Nicolas SARKOZY de son projet de loi au JT de TF1

Compte rendu intégral des discussions en séance publique :

- mardi 2 mai 2006

- mercredi 3 mai 2006

- jeudi 4 mai 2006

- vendredi 5 mai 2006

- mardi 9 mai 2006

- mercredi 10 mai 2006

- mercredi 17 mai 2006

Rapport du Sénateur François-Noël BUFFET, « Immigration clandestine, une réalité inacceptable, une réponse ferme, juste et humaine »

Discours des Églises

Lettre du Conseil des Eglises Chrétiennes de France à Mr Dominique de VILLEPIN

Lettre de réponse de Nicolas SARKOZY au Cardinal RICARD

Communiqué de la Commission des Episcopats de la Communauté européenne

Discours de Mgr Aumonier, « L'accueil de l'étranger suppose une conversion »

Discours de Mgr Brunin, « Quand l'étranger frappe à nos portes »

Discours à l'Assemblée générale de la Fédération protestante de France

Discours du Pasteur Manoel

Communiqué suite à la rencontre de la rencontre entre la Fédération protestante et le ministre de l'intérieur.

Eléments du synode de l'Eglise réformée

Discours de Luc Olekhnovitch, Président de la commission d'éthique de la fédération des Eglises Evangéliques Baptistes

Discours du monde associatif

Communiqué du secours catholique, de la Cimade, de la LDH

Communiqué de la Fédération des associations des travailleurs et des jeunes

Lettre ouverte de RESF aux élus PS, PC, LCR, Les Verts

Tracts de Reso - Anti-Sarko

Lettre publique du collectif Uni(e)s contre une immigration jetable

Communiqués du collectif Uni(e)s contre une immigration jetable

Analyses du collectif Uni(e)s contre une immigration jetable

Discours des organisations syndicales

Déclaration de la CFDT, CGT, UNSA contre la réforme CESEDA

Lettre ouverte de FO - Pour une solidarité entre travailleurs

Communiqué de FO - Les travailleurs ne sont pas une marchandise

Lettre de la CGT

Communiqué du syndicat de la juridiction administrative

Motion votée par l'UNEF

Discours des partis politiques

Communiqué de la Fédération anarchiste

Front national - Réaction et argumentaires internes

Les Verts - « Surenchère sur le dos des immigrés »

MRC - argumentaire interne sur la loi CESEDA

PCF - Pour une régulation massive

PS - Lettres ouvertes, ouvrages et articles de Fabius, Boutih, Lamdaoui, Arif, Aubry, Lang.

Représentations iconographiques

Caricatures et dessins de presse (Plantu, Cabu, Placide, Kiro)

Affiches des rassemblements et manifestations de RESF, UNIES contre une immigration jetable

Affiches du 9ème collectif des sans papiers « Votez Le pen », « Pour Sarkozy, la vie d'un étranger ne vaut rien »

Tract du Mouvement des Jeunes socialistes « La chasse aux immigrés est ouverte »

Tracts du CNT

Tract de l'UMP « Une immigration choisie pour une intégration réussie »

Tract du PS « dignité solidarité tolérance »

Une du magazine « L'hebdo des socialistes »

Unes de Marianne, Le point, L'express, Le nouvel observateur à propos du thème de l'immigration.

Photos de presse dans Le Monde, Libération et l'Humanité

Discours médiatiques

01.12.2005 - Le Monde - Retrouvons notre histoire - Jacques Toubon

01.12.2005 - Le Monde - Le premier ministre durcit sa politique d'immigration

11.12.2005 - Le Monde - La France ne repartira pas sans s'ouvrir au monde, donc aux migrations - Olivier Brachet

18.12.2005 - Le Monde - Selon un sondage, 56% des Français pensent que le nombre d'étrangers est trop important

21.12.2005 - Le Monde - Le pape aux français : Remerciez vos immigrés

27.12.2005 - Le Monde - Entretien avec Pierre Tévanian, animateur du collectif Les mots sont importants

27.12.2005 - Le Monde - Le Pen dans le texte... des autres

03.01.2006 - Le Monde - Tollé des associations contre le projet Sarkozy

04.04.2006 - Le Monde - Nicolas Sarkozy veut choisir les immigrés et durcir le regroupement familial

04.01.2006 - Le Monde - Quelle politique d'immigration en France - Claire Rodier du GISTI

05.01.2006 - Le Monde - Immigration familiale : les faits

10.01.2006 - L'Humanité - Dossier : un projet dangereux sous le sceau de l'utilitarisme

21.01.2006 - Le Monde - Colonisés hier, immigrés aujourd'hui, citoyens demain

26.01.2006 - Le Monde - Qui sont les Français issus de l'immigration - Vincent Tiberj

01.02.2006 - Le Monde - Des étrangers parents d'élèves continuent d'être expulsés

06.02.2006 - Libération - Sarkozy vante encore ses « bons » immigrés

08.02.2006 - Le Monde - Les principales mesures de l'avant-projet de loi sur l'immigration

10.02.2006 - L'Humanité - Bons et mauvais immigrés

10.02.2006 - Libération - Etrangers bienvenus si souhaités

10.02.2006 - Libération - Le PS s'indigne, mais pas top fort

12.02.2006 - Le Monde - Justice, prison, immigration - un rapport du Conseil de l'Europe accable la France

24.02.2006 - Le Monde - La maîtrise des flux migratoire aux dépens de l'intégration

24.02.2006 - Libération - Le parfait petit manuel pour expulser les clandestins

08.03.2006 - Le Monde - Vives inquiétudes autour des méthodes de lutte contre les sans-papiers

10.03.2006 - Le Monde - Inutile discrimination positive

22.03.2006 - Le Monde - En 2005, les opinions racistes ont gagné du terrain en France

29.03.2006 - Le Monde - Les principales dispositions du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration

01.04.2006 - Libération - L'Union européenne a aussi besoin de travailleurs non qualifiés - Frattini, commissaire européen

01.04.2006 - Libération - Un PS bien discret sur le projet Sarkozy

02.02.2006 - Le Monde - Manifestation à Paris contre l'immigration jetable à l'appel de 350 associations

11.04.2006 - Le Monde - Les limites de l'immigration choisie

22.04.2006 - Libération - Croisade contre la loi Sarkozy sur l'immigration

24.04.2006 - Le Monde - Sarkozy drague les électeurs du Front national

25.04.2006 - Le Monde - Précarité : après les jeunes, les étrangers par Laurent Fabius

25.04.2006 - Le Monde - Les Eglises chrétienne s'inquiètent du contenu du projet de loi sur l'immigration

25.04.2006 - Libération - A droite, le bruit et l'odeur de la xénophobie

27.04.2006 - Le Monde - La France doit-elle choisir ses immigrés - Thierry Mariani

27.04.2006 - Le Monde - L'immigration choisie est un rempart contre le racisme - Nicolas Sarkozy

27.04.2006 - Le Monde - Réactions

01.05.2006 - Le Monde - Le problème n'est pas de contenir les flux mais d'intégrer les générations nées en France - François Héran

02.05.2006 - Le Monde - Le regroupement familial menacé

02.05.2006 - Libération - L'étranger passe au tri sélectif

02.05.2006 - Libération - Non à l'immigration jetable - Kader Arif, Faouzi Lamdaoui...

03.05.2006 - Le Monde - Les principaux points du projet de loi

02.05.2006 - L'Humanité - Cette loi qui crée des sous citoyens

04.05.2006 - L'Humanité - Nicolas Sarkozy plus vrai que vrai à l'Assemblée

05.05.2006 - Le Monde - Les députés ont bataillé autour d'une disposition visant les couples mixtes

06.05.2006 - L'Humanité - L'immigré, un travailleur jetable - Nathalie Ferré du GISTI

09.05.2006 - Le Monde - Les limites de l'immigration choisie - Patrick Weil

10.05.2006 - Le Monde - La lente course d'obstacles des immigrés

11.05.2006 - Le Monde - Les députés achèvent l'examen du projet de loi sur l'immigration

12.05.2006 - Libération - Contre l'immigration choisie - GISTI, CIMADE...

16.05.2006 - Le Monde - Un chauvinisme matrimonial

17.05.2006 - Le Monde - Les députés doivent voter mercredi le projet de loi sur l'immigration

17.05.2006 - Libération - Une loi de désintégration - Sami Naïr

18.05.2006 - Libération - La caravane Sarkozy débarque en Afrique

19.05.2006 - Le Monde - Immigration - le débat escamoté

19.05.2006 - Le Monde - Principales dispositions du projet de loi

19.05.2006 - L'Humanité - C'est tout le peuple malien qui se trouve visé par cette loi - Samba Ibrahima Tembely

19.05.2006 - Un tri choquant et insultant - Premier ministre du Niger

19.05.2006 - L'Humanité - Sarkozy provoque au pays des expulsés

19.05.2006 - L'Humanité - Sarkozy sur les terres de l'extrême droite

30.05.2006 - Le Monde - L'Eglise réformée de France s'alarme du projet de loi sur l'immigration

06.06.2006 - Le Monde - Chronologie : la politique d'immigration en France depuis 1945

06.06.2006 - Le Monde - L'immigration en Europe, durcissement quasi général

06.06.2006 - L'Humanité - Contre l'immigration choisie, un dialogue partagé - CCFD

07.06.2006 - Le Monde - Sarkozy sur les traces de Pasqua

Annexe n°2

Liste des principaux intervenants dans le débat à l'Assemblée nationale

- Mr Nicolas Sarkozy (UMP), Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire. Président de l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP.)Président du Conseil général des Hauts-de-Seine.

- Mr Brice Hortefeux (UMP), Ministre délégué aux collectivités territoriales.

- Mr Christian Estrosi (UMP), Ministre délégué à l'aménagement du territoire, Président du Conseil Général des Alpes-Maritimes.

- Mr Thierry Mariani (UMP), député élu dans le Vaucluse et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République

- Mr Jacques Myard (UMP), député élu dans les Yvelines, Maire de Maisons-Laffitte.

- Mr Claude Goasguen (UMP), député élu à Paris.

- Mr Jérôme Rivière (UMP), député élu dans les Alpes Maritimes, président du comité de soutien à Philippe de Villiers lors des élections présidentielles 2007.

- Mr Jean-Christophe Lagarde (UDF), député élu en Seine-Saint-Denis, Maire de Drancy.

- Mr Julien Dray (PS), député élu dans l'Essonne, porte-parole du Parti socialiste, ancien vice-président de SOS Racisme.

- Mr Serge Blisko (PS), député élu à Paris, Maire du 13ème arrondissement de Paris.

- Mr Bernard Roman (PS), député élu dans le Nord.

- Mr Noel Mamère (Les Verts), député élu en Gironde, Maire de Bègles.

- Mr Patrick Braouezec (PCF), député élu en Seine-Saint-Denis, Maire de Saint-Denis.

N.Sarkozy : « La France, on l'aime ou on la quitte »

AVANCÉE DU PROJET DE LOI

Assemblée nationale - 2e lecture

Saisine du Conseil constitutionnel

D.de Villepin : « Je veux une immigration choisie »

Présentation du texte au Conseil constitutionnel

Commission des lois + Conseil des ministres

Décision conseil constitutionnel

Débat

Assemblée

nationale

Débat

Sénat

Note de Claude Géant.

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D

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B

R

E

2005

Vote d'une motion de censure soutenue par le PC, PS et UDF à propos de l'affaire Clearstream

Emeutes

en

banlieue

Mobilisation

contre le CPE

Affaire des caricatures au Danemark

Publication

des caricatures

de Mahommet par

France Soir

Le film Indigènes primé

au festival de Cannes

Mort de 17 immigrés dans l'incendie d'un immeuble insalubre parisien

Affaire Cleastream : mise en cause du Premier ministre

Vote de la prolongation de l'Etat d'urgence

ÉVENEMENTS D'ACTUALITÉ

Retrait du CPE

Vote du CPE

avec l'art. 49-3

Annexe n°4

Index des sigles

CECEF Conseil d'Églises chrétiennes en France

CESEDA Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

CFCM Conseil français du culte musulman

CGT Confédération générale du travail

CIMADE Service oecuménique d'entraide

COMECE Commission des épiscopats de la communauté européenne

CPE Contrat première embauche

CRIF Conseil représentatif des institutions juives de France

DOM  Département d'outre-mer

FN  Front national

FO Force ouvrière

GISTI Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés

INSEE  Institut national de la statistique et des études économiques

LDH Ligue des Droits de l'Homme

LMSI Les mots sont important (collectif)

MRAP Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples

MST Maladie sexuellement transmissible

PCF  Parti communiste français

PRG  Parti radical de gauche

PS  Parti socialiste

RESF Réseau éducation sans frontière

RPR  Rassemblement pour la France

SMIC  Salaire minimum interprofessionnel de croissance

SOFRES Société française d'études par sondages

TOM  Territoire d'outre-mer

UDF  Union démocratique française

UMP  Union pour un Mouvement Populaire

UNEF Union nationale des étudiants de France

Annexe n°5

Extraits de la présentation du projet de loi par Mr Nicolas Sarkozy, Ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, depuis cinq semaines, le projet de loi relatif à l'immigration et l'intégration est entre vos mains. Je voudrais vous dire dans quel état d'esprit j'aborde la discussion qui s'ouvre aujourd'hui devant la représentation nationale.

Ma conviction est que, dans une démocratie moderne, l'immigration n'est pas un sujet tabou. Dans tous les pays d'Europe, l'immigration est considérée pour ce qu'elle est : un sujet de société, une question politique majeure, engageant l'avenir d'une nation. Dans toutes les démocraties, il est permis d'en débattre, sans avoir à s'excuser d'un débat extrêmement nécessaire. Et, par-dessus tout, dans toutes les démocraties d'Europe, il est permis d'agir, en ne craignant pas, s'il le faut, de remettre plusieurs fois l'ouvrage sur le métier.

Ainsi, le gouvernement socialiste de Tony Blair a réformé à quatre reprises la législation britannique sur l'asile et l'immigration, sans qu'on ait dit pour autant que la Grande-Bretagne n'était plus une démocratie. L'Espagne a changé trois fois sa loi sur l'asile et sur l'immigration depuis 2000, et il ne serait venu à l'idée de personne de dire que l'Espagne n'était plus une démocratie. Une profonde réforme du système allemand, conçue par le gouvernement socialiste et vert de M. Schröder, est entrée en vigueur le 1er janvier 2005.

Dans ces grands pays européens, la réforme de l'immigration a donné lieu à une confrontation de projets, à un vrai débat d'idées, à la fois passionné et rationnel : un débat pleinement démocratique et politique. Ce débat sur l'immigration, je veux qu'il ait aussi lieu dans notre pays, car les Français l'attendent, ils l'exigent.

Et quand les partis républicains n'ont pas le courage, à gauche comme à droite, de s'occuper d'un sujet qui est au coeur des préoccupations des Français, il ne faut pas se plaindre que les extrêmes prennent la place qu'ils ont désertée. Voilà la réalité politique de notre pays depuis des décennies ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Les Français nous demandent de regarder cette réalité en face. Jamais le fossé n'a été aussi grand entre le discours de certaines élites et la réalité, telle qu'elle est perçue par nos compatriotes.

Selon un sondage de la SOFRES publié par Le Monde en décembre 2005, 63 % des Français estiment qu'il y a trop d'immigrés en France. Parmi ces 63 % de Français, 50 % sont des électeurs de gauche. Plutôt que de leur reprocher de penser ce qu'ils pensent, il me semble plus utile d'essayer de comprendre pourquoi ils pensent ainsi et de leur apporter des réponses.

Je suis convaincu que l'immense majorité de nos compatriotes n'est ni raciste ni xénophobe, qu'ils exècrent le racisme et la xénophobie. Mais reconnaissons les choses telles qu'elles sont : pour beaucoup de Français, l'immigration est une source d'inquiétude qu'il nous faut prendre en compte. Ils y voient une menace pour leur sécurité, leur emploi, leur mode de vie. Les Français qui pensent de la sorte sont aussi respectables que les autres. Il faut comprendre les attentes de cette majorité silencieuse, pour qui l'immigration est d'abord une réalité quotidienne.

Nos compatriotes savent que l'immigration présente d'immenses avantages pour la vie de la cité. Dans l'échange avec le migrant, il y a l'apprentissage de la diversité, le goût de la différence, le sens de la tolérance.

Il y a le meilleur. Mais il y a aussi le pire, produit par trente années d'une immigration non gérée : les cités ghettos, les squats qui brûlent, les phénomènes de bandes et les violences urbaines. Ne pas tenir compte de cette réalité, c'est accepter que l'extrême droite soit dans notre pays depuis vingt-cinq ans à un niveau qu'aucun autre pays démocratique ne connaît. C'est une question posée à toute la représentation nationale.

Les Français savent que les violences qui ont éclaté dans nos banlieues à l'automne dernier ne sont pas sans rapport avec l'échec consternant de la politique d'immigration et d'intégration.

Cet échec se traduit par une réalité douloureuse : des enfants nés en France se sentent moins français que leurs grands-parents qui étaient pourtant étrangers.

Cette réalité, nous devons la regarder en face et en tirer toutes les conséquences.

Notre système d'intégration ne fonctionne plus !

La vérité, c'est que les vingt-sept nuits d'émeutes, que nous avons subies en octobre et novembre, sont directement le produit de la panne de notre système d'intégration, qui n'intègre plus personne !

La vérité, c'est que les étrangers les plus récemment arrivés dans notre pays sont les premières victimes de notre incapacité collective à maîtriser l'immigration. Je pense, bien sûr, aux incendies dramatiques des 25 et 29 août 2005, à Paris, qui ont causé la mort de vingt-quatre personnes originaires d'Afrique. Je garde en mémoire, alors que j'étais aux côtés du maire et des élus de Paris, ces enfants allongés sur des civières, que nous pensions endormis alors qu'ils étaient morts, asphyxiés, tués par la misère.

Personne, sur aucun banc de cette assemblée, ne peut considérer que ces squats, où s'entassent des malheureux sans avenir à qui l'on a fait croire qu'ils auraient un logement et un travail, témoignent d'un système d'intégration qui fonctionne. Nous refusons des gens pour qui nous avons un travail, mais nous acceptons des malheureux pour lesquels nous n'avons ni logement ni travail et qui terminent dans des squats qui prennent feu au mois d'août dans la capitale de la France.

Voilà la réalité et elle n'est glorieuse pour personne !

La vérité, c'est que des familles entières d'immigrés sont hébergées dans des taudis et que leurs enfants, qui ne peuvent faire leurs devoirs scolaires dans des logements trop exigus, sont bien souvent laissés à eux-mêmes dans la rue.

Face à cette réalité, les Français ne supportent plus les oppositions politiques frontales qui n'ont aucun sens sur un sujet de cette importance et de cette complexité.

Les Français refusent d'être prisonniers de deux extrémismes : l'immigration zéro d'un côté, l'immigration totale de l'autre.

L'immigration zéro est un mythe dangereux. Je rejette de la manière la plus nette le poncif habituel des mouvements d'extrême droite selon lesquels il existerait des cultures "impossibles à intégrer" et qui prêchent le concept totalement mensonger de l'immigration zéro qui est contraire à l'histoire de la France, à son identité, à ses traditions. D'ailleurs, au cours l'histoire, si certaines sociétés se sont effondrées, c'est davantage en raison de la consanguinité, du repliement et de la fermeture que de l'ouverture et de la politique de la main tendue. L'immigration zéro n'est en aucune manière et d'aucune façon la politique que je vous propose au nom du gouvernement de la France. La France n'a pas vocation à être repliée sur elle-même, derrière on ne sait quelle ligne Maginot ! La consanguinité serait synonyme de déclin national.

Mais pas plus que l'intolérance des partisans de l'immigration zéro, je n'accepte l'autre extrémisme. Je ne crois pas que les hommes soient interchangeables, que les frontières soient illégitimes, et que l'on puisse faire table rase de son passé et de sa culture.

Je refuse, avec la plus grande fermeté, les opérations globales de régularisations d'étrangers sans papiers, comme les gouvernements de François Mitterrand et Lionel Jospin les ont pratiquées en 1981, 1990 et 1997. En dix ans, nous avons connu trois opérations de régularisations qui ont abouti au désastre que nous connaissons aujourd'hui. Ce n'était donc pas la solution au problème de la France !

Ces opérations de régularisations massives sont très dangereuses, car elles ont un effet d'appel d'air. Le migrant régularisé fait venir sa famille. Il indique à ses amis, dans son village, que l'émigration vers la France est possible. Des filières se créent. Et, dans les pays d'origine, le signal est bien reçu : la frontière est ouverte ! L'incarnation de cette absence de conviction et de politique a été Sangatte, qui a abouti à un déferlement de misère dans le Calaisis, misère à laquelle nous avons dû mettre un terme.

Les Espagnols le savent bien, qui ont régularisé 570 000 clandestins au premier semestre 2005. Cela n'a fait qu'encourager les milliers de malheureux migrants africains qui traversent le Sahara dans l'espoir d'obtenir des papiers en Espagne, avant de se heurter aux barbelés scandaleux de Ceuta et Mellila. La régularisation générale suscite la migration clandestine. Voilà la réalité à laquelle nous sommes confrontés ! Les Italiens le savent, eux aussi, qui régularisent tous les deux ou trois ans des centaines de milliers de personnes. Mais il en entre toujours plus. Et il faut donc régulariser davantage !

Ne nous y trompons pas : les régularisations décidées en France ont beaucoup contribué à la confusion et au désordre. Renouer avec ces pratiques fragiliserait considérablement notre pacte social. J'ai été heureux d'entendre un homme de la qualité de M. Strauss-Kahn répondre à l'irresponsabilité de M. Fabius qui appelait à la régularisation générale.

La France est trop fragile pour subir cette épreuve. Cela ne signifie pas que je sois hostile à toute régularisation, et j'y reviendrai au cours de nos débats. Mais je refuse, avec une totale détermination, les fausses solutions dictées par le simplisme et par l'aveuglement.

Pour la première fois sous la Ve République, un ministre est responsable de l'ensemble des questions de l'immigration. Chargé de coordonner les différentes administrations compétentes dans ce domaine - intérieur, affaires étrangères, affaires sociales -, j'ai pu préparer, depuis juin dernier, le texte qui vous est soumis aujourd'hui.

J'ai la conviction que c'est un texte équilibré. Il est ferme à l'endroit de ceux qui ne respecteront pas les règles. Il est juste à l'égard des personnes qui demandent à venir en France en suivant les règles d'admission que nous fixons pour tous.

Nous devons avoir l'exigence de justice.

Par ailleurs, les dispositions concernant le séjour des étrangers malades ne doivent pas être remises en cause. Je n'accepterai aucun amendement qui modifierait sur ce point la législation équilibrée qui est aujourd'hui la nôtre, même si j'aurai l'occasion d'expliquer qu'il nous appartient, sans changer la loi, de lutter contre certaines fraudes particulièrement choquantes.

La meilleure preuve de l'équilibre du projet de loi, me semble-t-il, est qu'il fait l'objet d'attaques virulentes aussi bien de la part de l'extrême droite, qui m'accuse de laxisme, que de certaines franges de la gauche, qui m'accusent de xénophobie.

D'une certaine manière, je me félicite de ces critiques.

Elles indiquent, à n'en point douter, que la voie médiane a été trouvée.

Depuis quatre ans, le Gouvernement s'est efforcé de redresser la barre d'un navire à la dérive.

En mai 2002, la situation que j'ai trouvée était dramatique. La gestion hasardeuse de l'immigration faisait des ravages. Les demandes d'asile avaient quadruplé en cinq ans : 20 000 en 1997, 82 000 en 2002. La zone d'attente de Roissy débordait de tous les côtés. Le hangar de Sangatte se présentait, dans toute l'Europe, comme le symbole honteux du chaos migratoire français. Et aucun ministre des gouvernements socialistes n'avait jugé utile de rendre visite aux malheureux de Sangatte ! Quant aux flux d'immigration régulière, ils s'étaient accrus d'un tiers en cinq ans : 120 000 en 1997, 160 000 en 2002.

En votant la loi du 26 novembre 2003, vous avez donné au Gouvernement de nouveaux outils de lutte contre l'immigration irrégulière. Je n'en ferai pas aujourd'hui le bilan, car vous le connaissez.

[...]

L'immigration « pour motif familial » occupe une place très importante dans les flux migratoires.

Près de la moitié des cartes de séjour sont délivrées à ce titre - 82 000 en 2005. Chez nos partenaires européens, le niveau de l'immigration familiale est bien inférieur : 66 000 en Allemagne, qui compte 20 millions d'habitants de plus que nous, et 35 000 en Grande-Bretagne, qui a le même nombre d'habitants que nous.

Que l'on me comprenne bien : je ne dis pas qu'un immigré ne doit pas avoir le droit de faire venir sa famille en France.

Je suis trop attaché à notre tradition humaniste.

Je suis trop attaché au principe constitutionnel de protection de la vie familiale. Je suis trop respectueux de nos engagements européens. D'ailleurs, l'idée ne viendrait à personne de contester à un père le droit de vivre avec sa femme et ses enfants.

Mais je voudrais que les choses soient claires : c'est au pouvoir politique, au Gouvernement et au législateur, de définir dans quelles conditions s'applique en France le droit à la vie privée et familiale. Il ne saurait y avoir, pour toutes les familles de par le monde, un droit absolu et inconditionnel à s'installer en France sans aucun projet d'intégration, sans aucun travail, sans logement digne et sans perspective.

La répartition des flux migratoires est d'autant plus illogique en France que l'immigration pour motif de travail reste à un niveau marginal : 11 500 cartes de séjour ont été délivrées à ce titre en 2005, ce qui signifie que nous ne sommes pas capables d'accueillir des migrants pourvus d'un emploi et contribuant à la croissance.

Nous sommes en réalité plongés dans un système totalement paradoxal depuis trente ans. Au prétexte de protéger l'emploi national, on a verrouillé, par un système de contrôles a priori, effectués par l'administration du travail, l'introduction en France d'étrangers pourvus d'un emploi. Et, dans le même temps, contre toute logique, on laisse entrer dans notre pays un flux croissant d'immigration familiale qui déséquilibre fortement le marché du travail en faisant venir des étrangers, la plupart du temps très peu qualifiés et peu intégrés. C'est le contraire de ce qu'il convient de faire : on ferme la porte à ceux qui ont un travail, alors qu'on l'ouvre à ceux qui n'ont ni travail ni formation ni perspective.

Ce système est absurde. C'est là, je crois, une source essentielle du malaise français. Toute notre ambition doit être d'en sortir au plus vite.

Il faut donc transformer profondément la politique d'immigration. Je n'ai pas peur de le dire à ceux qui me font le reproche de venir une deuxième fois devant le Parlement pour présenter un projet de loi : j'ai bien conscience que la loi de 2003 n'a été que la première étape de la transformation de notre politique d'immigration.

[...]

Il ne s'agit donc pas pour nous de transposer en France un exemple étranger, mais de définir ensemble un nouveau modèle français de l'immigration. Je vous propose de le faire en partant de trois principes fondamentaux : l'immigration choisie, l'affirmation d'un lien entre intégration et immigration, et le co-développement.

Le premier principe est celui de l'immigration choisie.

Je revendique cette expression qui n'est pas la mienne, mais celle qu'a retenue la Commission européenne de Bruxelles, qui recommande à tous les États membres d'adopter une même politique de l'immigration fondée sur l'immigration choisie.

Ceux qui combattent ce terme ne peuvent pas se prétendre européens puisque c'est précisément cette politique que préconise la Commission.

Ma conviction est que, comme toutes les grandes démocraties du monde, la France doit pouvoir choisir non seulement le nombre des migrants qu'elle accueille, mais aussi les objectifs et les conditions dans lesquels elle le fait.

L'immigration choisie est le contraire de l'absence d'immigration. C'est aussi le contraire de l'immigration subie - subie par les Français et par des migrants qui ne trouvent en France que l'échec. Elle crée d'abord la possibilité pour l'État de fixer des objectifs quantifiés d'immigration afin de déterminer la composition des flux migratoires, dans l'intérêt de la France comme dans celui des pays d'origine.

Mais l'immigration choisie, c'est aussi le refus de la fatalité et la volonté déterminée de lier l'immigration aux capacités d'accueil de notre pays.

C'est un système dont les règles sont claires et prévisibles, pour les Français comme pour les migrants. C'est un système où le candidat à l'immigration en France doit être autorisé à venir s'y installer avant son entrée sur notre territoire. Rien de plus logique à cela : pour venir s'installer en France, pour venir y étudier, y travailler ou rejoindre sa famille, il faut que la République soit d'accord et qu'elle signifie clairement au migrant, dans son pays, qu'elle est prête à l'accueillir.

Il ne s'agit donc pas d'un système élitiste qui n'accepterait en France que des étrangers extrêmement qualifiés. C'est une immigration régulée, d'autant mieux acceptée par nos compatriotes qu'ils auront conscience de sa contribution positive à la vie de notre nation.

Et cette immigration ne sera réussie, en vérité, que si les immigrés parviennent à s'intégrer à la société qui les accueille.

D'où le deuxième principe de cette réforme : l'affirmation d'un lien étroit entre l'intégration et l'immigration.

Je veux rompre, à cet égard, avec des décennies de faux-semblants.

Des experts, ou prétendus tels, osent encore affirmer que les questions d'immigration et d'intégration doivent être dissociées. Pour ne pas stigmatiser les nouveaux arrivants, nous dit-on, il importerait de ne pas les considérer comme des migrants et de les prendre en compte, au mieux, dans le cadre de la politique de la ville.

Cela n'a aucun sens. Et cela explique d'ailleurs pourquoi la politique de la ville a connu son lot d'échecs. Ma philosophie est tout autre : pour moi, il ne fait aucun doute que l'immigration et l'intégration sont deux enjeux étroitement imbriqués. Et cela, pour une raison évidente : faire entrer en France un grand nombre de migrants sans se donner les moyens de les accueillir et d'organiser leur insertion dans la société française conduit à des situations explosives.

L'intégration est un processus long, complexe et coûteux, qui met en jeu les équilibres de notre pacte social. Ce que nous voulons, c'est obliger les étrangers qui veulent s'installer durablement ou définitivement en France à faire les efforts indispensables pour s'intégrer.

Il n'y a pas que la société qui accueille, qui doive faire des efforts. Celui qui veut être intégré doit aussi se donner du mal pour être accepté.

Je pose la question : comment pourrait-on espérer s'intégrer en France sans parler un mot de français ? Comment, dans de telles conditions, trouver un travail, organiser une vie sociale ou élever ses enfants ? C'est impossible, bien entendu.

Désormais, pour obtenir un droit au séjour durable, il faudra manifester sa volonté de s'intégrer en faisant l'effort nécessaire pour apprendre notre langue. Si l'on n'apprend pas le français, on n'a pas vocation à rester durablement sur le territoire de la République française.

Il faudra aussi - c'est bien le moins - s'engager à respecter les lois et les valeurs de la République. Si on ne le veut pas, on n'a pas vocation à être accueilli et à demeurer en France.

Et il faudra respecter cet engagement, car, si les étrangers ont des droits, ils ont aussi des devoirs.

Le premier d'entre eux est d'aimer le pays qui les accueille et de respecter ses valeurs et ses lois. Sinon, rien n'oblige celui qui n'aime pas notre pays, qui ne respecte pas ses lois et qui n'apprécie pas ses valeurs à y demeurer !

Le moins qu'on puisse demander à quelqu'un qui veut être accueilli en France, c'est d'aimer la France et de la respecter.

Annexe n°6

Extrait d'une question préalable au débat déposée par le Parti socialiste

M. Serge Blisko. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'aménagement du territoire, mes chers collègues, c'est avec un sentiment de tristesse et d'angoisse que je tiens ce projet de loi entre mes mains. L'objet de la question préalable est de savoir s'il y a lieu de délibérer, comment et sur quoi. Je vais tout de suite vous livrer ma conclusion : mieux vaudrait rejeter ce projet de loi d'emblée tant celui-ci fait appel à des analyses fausses et repose sur une idéologie pour le moins troublante. Je vais essayer de vous en convaincre.

Ce projet de loi est d'abord fait pour servir vos intérêts électoraux en instrumentalisant l'immigration, qui n'est pas une problématique facile, nous le savons tous.

Je pourrais vous reprocher aussi votre manque d'imagination, y compris dans les slogans. Il y a dix jours M. Sarkozy déclarait : « si certains n'aiment pas la France, qu'ils ne se gênent pas pour la quitter ».

M. Bernard Roman. Scandaleux !

M. Serge Blisko. Ce n'est que la traduction de la formule de la vieille droite réactionnaire américaine : « America : love it or leave it ».

Vous n'avez rien inventé. Mais vous avez commencé à attiser la xénophobie et à développer le mythe récurrent de l'étranger délinquant, fraudeur, voire criminel. Or il n'y a rien de pire dans ce domaine que de jouer sur les fantasmes et les peurs. Nous le savons assez : depuis vingt ans, le débat politique est empoisonné par cette question. Toutefois, ce projet de loi marque un changement radical dans la perception de l'immigration et des immigrés.

Le problème, monsieur le ministre, c'est que ce n'est pas seulement une carrière ou un score dans les sondages qui sont en jeu aujourd'hui, mais la vie de milliers de personnes. Ce texte, en tout point déshumanisant, condamne des familles entières à l'instabilité, à la précarité, à la clandestinité. Il ne répond en rien à la problématique extrêmement complexe des flux migratoires. Il entend traiter un stock, gonflé de façon imaginaire, mais sa seule efficacité sera d'augmenter le nombre des situations humaines intolérables.

Ce projet de loi se caractérise d'abord par une obsession du chiffre. Il ne résulte pas d'un travail sérieux : ni bilan, ni mise en perspective, ni écoute des différents acteurs alors qu'il s'agit d'un domaine très controversé où les chiffres diffèrent selon les instituts et centres d'études, si sérieux soient-ils. Mais je crains que le seul calcul qui prévale ici soit le calcul électoral.

Vous adoptez une méthode comptable en considérant les immigrés sous le seul angle de leur utilité économique et sociale, en les classant en catégories statistiques. Vous croyez convaincre par ces chiffres et ces classifications mais ceux-ci ne peuvent cacher l'absence d'humanité de vos objectifs.

Le calcul politique prévaut. Sans attendre l'application intégrale de votre première loi du 26 novembre 2003 et sans en tirer un premier bilan, vous nous soumettez un nouveau texte. Mais nous n'avons pas trouvé d'explication convaincante à cette soixante et onzième révision de l'ordonnance de 1945 sur l'entrée et le séjour des étrangers, à laquelle vous mêlez, de façon inappropriée, le droit d'asile. Permettez-nous dès lors de nous interroger sur l'opportunité de votre démarche.

L'élaboration de votre projet s'est caractérisée par l'absence de consultation préalable des organisations syndicales, alors que les conditions de l'immigration liée au travail sont profondément modifiées. Le ministère des affaires sociales, premier concerné, en particulier par la réforme des centres d'accueil pour demandeurs d'asile, n'a, quant à lui, eu son mot à dire que bien tardivement.

Vous n'avez pas consulté non plus la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la CNCDH. Dois-je ici vous rappeler l'engagement qu'a pris le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, le 3 octobre 2002, de saisir cette commission de tous les projets du Gouvernement dès lors qu'ils auraient une incidence directe sur les droits fondamentaux que les citoyens se sont vu reconnaître par les lois et par les traités internationaux ratifiés par la France ? En 2003, cette instance avait d'ailleurs dû s'autosaisir. Elle indiquait dans son avis du 15 mai de la même année : « l'on ne saurait borner la politique d'immigration à sa seule dimension policière tant il est vrai que le développement des flux migratoires est dans la nature d'un monde de plus en plus globalisé. La Commission s'interroge sur la pertinence d'une approche qui tiendrait pour acquise la liberté des échanges commerciaux, financiers et de l'information, tout en astreignant les hommes à résidence dans leurs propres pays. » Elle avait aussi relevé une « suspicion trop fréquente à l'égard des étrangers ainsi qu'un manque de moyens administratifs particulièrement criant ». On ne saurait mieux dire. Depuis 2003, je le crains, rien n'a changé.

Vous êtes pressés, trop pressés. Le projet de loi présenté ici ne tient pas compte non plus des recommandations du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'immigration clandestine. Et pour cause, me direz-vous, ce rapport n'est paru que le 7 avril 2006 alors que votre projet de loi a été déposé le 29 mars.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Eh oui !

M. Serge Blisko. Mais n'aurait-il pas été plus prudent et plus respectueux pour le Parlement d'attendre les conclusions des sénateurs avant de légiférer ?

M. le rapporteur a pour sa part beaucoup consulté les associations et les organisations syndicales, je le reconnais volontiers, ...

M. Thierry Mariani, rapporteur. Merci !

M. Serge Blisko. ...mais le projet a été très peu modifié.

Alors même que l'immigration est une question difficile, nécessitant un réel débat, vous avez ignoré tous les avis. Loin du dialogue ou du réalisme, vous avez refusé délibérément de prendre en compte les avis et les conclusions d'instances légitimes qui, depuis vingt ans, tentent de nous éclairer dans ce débat.

L'immigration est vue à travers le prisme comptable. Depuis 2003, vous dites que les chiffres s'améliorent en citant, par exemple, l'augmentation des reconduites à la frontière. Mais nous savons bien que ces chiffres sont spécieux. Ces reconduites s'effectuent en majorité dans deux ou trois départements d'outre-mer ou collectivités, comme Mayotte. De plus, le problème ne se résout pas en mettant toujours plus de personnes dans les avions pour les renvoyer dans leur pays d'origine.

Je vais donner un exemple pour illustrer la détestable méthode Sarkozy, qui consiste à lancer dans la presse des chiffres avant même qu'ils ne soient vérifiés pour finalement taire pudiquement la suite des événements, en particulier lorsque ces chiffres sont infirmés.

M. Sarkozy a ainsi annoncé en novembre 2005, au moment des émeutes urbaines, que 120 étrangers, en situation régulière ou non, devaient être condamnés pour violence et faire l'objet sans délai de mesures d'expulsion.

M. Bernard Roman. Il n'y en avait qu'un !

M. Serge Blisko. En réalité, ces 120 personnes citées étaient interpellées et non condamnées. Et finalement, sept jeunes sont concernés dont un seul est expulsé.

M. Bernard Roman. Il faudra que le Gouvernement donne des explications à ce sujet !

M. Serge Blisko. Encore une fois, il s'agit d'un effet d'annonce sans suite. Heureusement d'ailleurs, car voir cent vingt jeunes chassés de notre pays aurait été insupportable. Voilà la démonstration que la réalité est très différente des chiffres que vous annoncez.

De la même manière, nous n'avons aucune idée de ce qu'est la fameuse pression migratoire. Vous annoncez entre 200 000 et 400 000 étrangers en situation irrégulière...

M. René Dosière. Ce qui ne représente que 0,5 % de la population !

M. Serge Blisko. ...en vous hâtant d'ajouter que notre pays n'a pas les moyens de les supporter. Mais dois-je vous faire remarquer que ces chiffres ne recouvrent pas des situations de grande clandestinité ? La plupart du temps, il s'agit de personnes que l'administration tarde à convoquer alors que leurs papiers ont expiré. Elles se retrouvent dans une situation irrégulière alors qu'elles n'ont absolument rien fait d'irrégulier.

M. Bernard Roman. Oui, nous les voyons dans nos permanences.

M. Serge Blisko. Dans notre pays, la proportion d'immigrés en France reste stable depuis près de trente ans et s'établit entre 6 et 7 % de la population alors même que l'on nous parle de pression migratoire accrue, d'afflux et même d'invasion.

Nous avons procédé à des consultations auprès des syndicats et des associations, notamment le collectif « Non à l'immigration jetable ». Et il faut bien voir que derrière ces chiffres, il y a des situations humaines concrètes : des individus vont devoir remplir des objectifs quantitatifs pluriannuels déterminés par le Gouvernement. L'illogisme est criant. Les individus ne sont pas des pions, on ne peut pas les faire entrer, en poussant, en bourrant, en rabotant les coins, dans vos cases fixées en fonction d'opportunités politiques et d'échéances électorales. La réalité n'a rien à voir avec vos objectifs politiques ou les problèmes d'image de telle ou telle personnalité.

Vous bafouez les principes républicains. En multipliant les obstacles, vous niez le droit qu'ont les membres d'une famille de pouvoir vivre ensemble, droit protégé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Car derrière le terme de regroupement familial, il faut voir le mal-vivre de familles séparées, d'enfants privés de leur père et de leur mère. Vous déstabilisez la famille, cellule de base de la société, particulièrement pour les populations les plus fragiles. Vous rendez plus précaires encore des situations déjà difficiles et vous exposez à la marginalité des enfants déracinés.

M. Bernard Roman. Très juste !

M. Serge Blisko. Je pense à ces jeunes mineurs que nous parrainons grâce au réseau « Éducation sans frontières ». En plein milieu d'une année scolaire, ils encourent le risque d'être expulsés de notre pays, alors même qu'ils sont entourés d'amis et soutenus par des professeurs, exemples même d'insertion par l'école, quel que soit leur niveau. Et ce n'est pas une description mélodramatique, mais la triste réalité de ce pays.

M. Bernard Roman. C'est scandaleux !

M. Serge Blisko. Les églises chrétiennes ont considéré qu'en attaquant frontalement l'immigration familiale, en la désignant comme une immigration subie, vous faites le malheur de ces familles et vous bafouez les principes républicains et humanistes que nous devrions, je crois, tous partager.

Votre obsession de la catégorisation transpire de ce texte. Les étrangers classés dans la catégorie « stagiaires » ou « étudiants » seront ainsi assez bons pour bénéficier de la carte « compétences et talents ». Derrière cette catégorisation se cache une hiérarchisation inacceptable et absurde. Car dans cette fuite en avant, vous allez finir par vous embourber dans vos propres contradictions.

Vous tentez de concilier les phobies traditionnelles de l'extrême droite et un point de vue moderniste, libéral au sens économique du terme, qui tendrait à répondre aux besoins de main-d'oeuvre des entreprises françaises. Pensez-vous réellement qu'en donnant l'image d'une France refermée sur elle-même, soupçonneuse et pleine d'embûches administratives, vous allez faire de notre pays un pôle d'attractivité pour les compétences et les talents ? Soyez assurés que les étrangers talentueux choisiront une autre destination, plus sympathique et riante, lorsqu'ils verront ce que sera devenue la France si votre projet de loi est adopté. Et votre intention affichée de recruter les meilleurs éléments n'y fera rien. Ils préféreront partir au Canada plutôt qu'en France.

En outre, le système que vous mettez en place est totalement stupide. Je lisais aujourd'hui la liste des professions ouvertes aux ressortissants des nouveaux pays d'Europe de l'Est qui, depuis hier, peuvent entrer sans grande restriction - et c'est heureux - dans notre pays. On y trouve à la fois des ingénieurs atomistes, des médecins de haut niveau mais aussi des laveurs de carreaux.

M. Jean-Pierre Brard. Pour laver les carreaux de l'UMP !

M. Christian Vanneste. Monsieur Brard, votre niveau baisse d'heure en heure ! Et il n'était déjà pas très élevé !

M. Jean-Pierre Brard. Et vous, monsieur Vanneste, vous avez la vue qui baisse !

M. Serge Blisko. Or, vu le nombre de tours de bureaux qui se construisent ici ou là, nous aurons besoin demain de laveurs de carreaux. Allez-vous réellement délivrer une carte « compétences et talents » à un laveur de carreaux venu d'outre-mer ? Heureusement que le ridicule ne tue pas !

Autre question : que fait-on des compétences et talents déjà en France, ceux qui ne trouvent pas leur place, ceux qui ont le droit d'être médecin dans nos hôpitaux mais qui n'ont pas le droit de s'installer dans la rue à côté de l'hôpital, même avec un diplôme français, simplement parce qu'ils sont étrangers ? Va-t-on leur dire qu'ils sont compétents, mais sans talents puisque peu payés, qu'ils sont utiles mais qu'ils n'ont pas droit à la carte « compétences et talents » car ils sont arrivés sur notre territoire avant la promulgation de cette loi ?

M. Bernard Roman. Très bonne question !

M. Serge Blisko. On se retrouvera avec des personnes compétentes et talentueuses avec des statuts différents suivant leur date d'entrée sur notre territoire. Voilà qui est pernicieux et inégalitaire.

Cet utilitarisme sans principes est une idéologie dangereuse qui ne répond en rien à la problématique mondiale de l'immigration.

On joue sur des peurs, des fantasmes. Délinquant, criminel, bénéficiaire frauduleux des prestations sociales : telle est l'image de l'immigré que vous véhiculez. En particulier, vous ne faites toujours pas de distinction entre demandeur d'asile et immigré. Faut-il vous rappeler que le droit d'asile est reconnu par la Constitution et la convention de Genève du 28 juillet 1951 et qu'en aucun cas ce droit imprescriptible ne doit être soumis à des aléas de crédits, de coûts ou amendé dans une perspective sécuritaire et répressive, ce qui n'empêche pas, comme le disait M. Mariani, de traiter plus rapidement et avec plus d'humanité les demandeurs d'asile pour qu'ils soient fixés sur leur sort dans des conditions convenables ?

Arrêtons aussi de penser que nous sommes menacés par une invasion de demandeurs d'asile puisque leur nombre ne cesse de diminuer dans notre pays. Les statistiques montrent qu'ils étaient 60 000 l'année dernière. Il faut savoir que des pays bien plus pauvres et bien plus en difficulté que le nôtre accueillent la majorité des 17 millions de réfugiés et demandeurs d'asile du monde. 60 % des 17 millions de réfugiés relevant du HCR ont trouvé asile en Afrique ou en Asie. Avec un ratio de 0,8 demandeur d'asile pour mille habitants, la France se place au dixième rang européen des pays d'accueil. Où est l'invasion, où est la menace ? Rien de tout cela : pas d'afflux massif de demandeurs d'asile, pas de fraudeurs, simplement des gens qui fuient une situation difficile, des réfugiés politiques, et dont les dossiers sont examinés en toute sévérité par l'OFPRA et la commission des recours des réfugiés.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Et en toute honnêteté !

M. Serge Blisko. Effectivement, lorsqu'ils accordent des moyens suffisants à chaque dossier. Mais ne mettez pas la pression sur l'OFPRA pour qu'il fasse du chiffre !

Cessez de stigmatiser et de renforcer le mythe des étrangers profiteurs d'une France trop généreuse, d'abord parce que sa générosité mériterait d'être reconsidérée, ensuite parce qu'un tel discours ne peut provoquer que haine et incompréhension. Je le répète, monsieur le rapporteur, ce texte ne marque pas un équilibre entre les utopistes, les angéliques, ceux qui laisseraient entrer tout le monde et l'extrême droite, mais se rapproche terriblement des incompréhensions et des ferments de haine que lance l'extrême droite.

J'en viens maintenant à la politique d'intégration telle que vous la définissez. Vous insistez, à juste titre, sur la nécessaire intégration, sur la meilleure intégration possible des étrangers en France, mais je crains que cette disposition ne cache un autre dessein.

Avant tout, je rappelle que le contrat d'accueil et d'intégration souffre de nombreuses lacunes, notamment le nombre insuffisant de plates-formes et leur manque de moyens. En commission, vous avez indiqué, monsieur le rapporteur, que chaque département ou presque disposait d'une plate-forme d'accueil et d'intégration. Je n'en suis pas sûr.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Chaque région !

M. Serge Blisko. En Lorraine, par exemple, il n'y a que deux plates-formes, à Metz et à Épinal, puisque Nancy n'en a pas. En tout cas, comme vous nous l'avez dit en commission des lois, il est très difficile de demander à quelqu'un qui travaille toute la journée de faire cinquante ou soixante kilomètres le soir pour venir apprendre le français. Beaucoup abandonnent, non par mauvaise volonté, mais tout simplement par manque de moyens.

Nous ne croirons à ce que vous appelez une politique volontariste d'intégration que le jour où vous y consacrerez plus de moyens, lorsque ce ne sera plus quelque chose que vous agiterez de temps en temps.

Vous fermez la porte à des voies naturelles d'intégration, en remettant en cause la carte de résident de dix ans et, plus encore, en supprimant la régularisation après dix ans passés sur le territoire français. L'argument que vous invoquez pour la supprimer me paraît parfaitement démagogique. Vous prétendez que ce n'est pas parce qu'on a été irréguliers pendant dix ans qu'on devrait être pardonnés la onzième année et qu'on aurait tout à coup des droits. La situation est complexe, elle évolue. Il ne s'agit pas d'un crime. Dix ans, c'est tout de même quelque chose dans un processus d'intégration. Après tout ce temps, allez-vous dire à quelqu'un qui est restée en France, a fondé une famille et commencé à travailler qu'il n'aura jamais de papiers vu qu'il est entré sur notre territoire de manière irrégulière ? Vous les condamnez à perpétuité, à la clandestinité, à l'irrégularité, à des comportements frauduleux et déviants, et avec eux leur descendance.

M. Bernard Roman. Tout à fait !

M. Serge Blisko. Comme l'a excellemment démontré tout à l'heure M. Roman, vous les vouez à une situation que le père spirituel de M. Sarkozy a mise en place depuis maintenant une vingtaine d'années, je veux parler des « ni-ni » de M. Pasqua : ni expulsables, ni régularisables, c'est-à-dire une masse de femmes, d'enfants, de jeunes et d'adultes. Dès lors, on aboutit à des problèmes qui nous poursuivront encore pendant des dizaines d'années parce qu'ils ne partiront pas puisqu'ils sont intégrés de facto à la France.

M. Christian Vanneste. Selon vous, parce qu'ils ont enfreint la loi pendant dix ans, ils sont intégrés ?

M. Serge Blisko. De la même manière, vous condamnez les personnes qui n'ont pas les bons papiers au bon moment - je n'aime pas le terme de sans-papiers -

M. Jérôme Rivière. C'est de la dialectique !

M. Serge Blisko. ...à la précarité, au travail clandestin, à un logement indigne, aux marchands de sommeil, à une existence de fantômes dans nos villes.

M. Christian Vanneste. À quoi sert-il de faire une loi ?

M. Bernard Roman. Monsieur Vanneste, avez-vous déjà vu les files d'attente dans les préfectures ? On n'a pas les moyens de les recevoir !

M. Jean-Pierre Brard. Souvenez-vous de vos grands-parents, mesdames, messieurs du groupe UMP !

Mme Arlette Franco. Justement !

M. Jean-Pierre Brard. Vous les reniez !

M. Serge Blisko. M. Sarkozy parlait cet après-midi avec beaucoup d'émotion des incendies d'août 2005. Mais on est toujours dans la même situation. Récemment, dans le 13e arrondissement dont je suis maire, la préfecture de police a procédé à l'expulsion d'un immeuble qu'elle avait longtemps refusé de reconnaître comme insalubre. Croyez-vous qu'il y avait une solution de relogement ? Savez-vous où ils sont ? Ils campent dans le jardin d'à côté. Rien n'a été prévu !

Annexe n°7

Extrait d'une intervention de Jérôme Rivière (UMP)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jérôme Rivière.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Enfin un orateur modéré ! (Sourires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jérôme Rivière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hors de tout contexte politique, le texte qui nous est proposé pourrait laisser croire que notre pays vit des moments paisibles, dans un contexte économique de forte croissance, et que, tranquillement, nous allons discuter pour décider des flux migratoires dont le pays aurait besoin. Hélas ! Comme l'a rappelé Nicolas Sarkozy hier après-midi, la France est en crise.

M. Patrick Braouezec. Et la crise du Gouvernement ?

M. Jérôme Rivière. Une crise d'identité grave et longue : trente années de repentance et de masochisme soixante-huitard ont étouffé toute fierté, toute conviction sereine d'être nous-mêmes.

M. Jean-Pierre Brard. Selon vous, monsieur Rivière, il n'y aurait pas de crise sociale ?

M. Jérôme Rivière. Et pourtant, à l'heure de la mondialisation, les cultures, les racines, les appartenances sereines et fortes sont les meilleurs remparts contre le racisme. Un pays qui n'est pas sûr de son identité ne peut pas s'ouvrir aux autres sans peur.

M. Christian Vanneste. Très juste ! C'est Claude Lévi-Strauss qui le dit !

M. Jérôme Rivière. Mais j'ajouterai, monsieur le ministre, que quelle que soit la force morale d'un pays, il existe un seuil d'immigration à partir duquel un pays se regarde dans le miroir sans se reconnaître.

M. Jean-Pierre Brard. Si c'est vous qu'il y voit, il est évident qu'il ne se reconnaîtra pas !

M. Jérôme Rivière. Ce seuil est aujourd'hui largement atteint en France.

Les Français, jamais consultés sur cette immigration de peuplement - car c'est bien ainsi qu'il faut l'appeler -, subissent ces changements avec surprise et sans y adhérer aucunement. Leur colère ne manquera pas d'éclater un jour ou l'autre.

La France est, depuis plus de mille ans, un pays d'héritage judéo-chrétien. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Or, chaque année, les dizaines de milliers de demandeurs d'asile, qui pour la plupart s'évaporent dans la nature, et les 130 000 arrivées régulières, fondées pour l'essentiel sur le regroupement familial ou sur un lien de famille avec des Français - les étrangers naturalisés qui vont chercher leur épouse dans leur pays d'origine -, sans parler des clandestins toujours plus nombreux, sont pour l'immense majorité d'entre eux d'origine musulmane et viennent modifier profondément la nature de notre société. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Entendre cela à l'Assemblée nationale ! C'est une honte !

M. Gérard Charasse. Incroyable !

M. Bernard Roman. La République est laïque !

M. Jérôme Rivière. Pour parler d'intégration, il faudra bien un jour évoquer sereinement cet état de fait. Mais les effets directs de l'islam sur la société restent inexplicablement tabous. Au rebours des endormeurs médiatiques et des donneurs de leçons, toujours nombreux sur les bans de la gauche,...

M. Jean-Pierre Brard. En l'occurrence, c'est vous qui prétendez donner des leçons !

M. Jérôme Rivière. ...je suis persuadé que cette situation préoccupe gravement nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Brard. C'est du Barrès, moins la culture !

M. Jérôme Rivière. Leurs craintes concernent la place de l'islam à l'école, dans les administrations, mais aussi sa conquête de la rue et de la vie de tous les jours. La plupart des décideurs y font référence à la marge, sans aucune mise en perspective. Depuis trop longtemps, les responsables politiques agissent comme si la vague migratoire extra-européenne ne remettait pas brutalement en question le destin même et l'identité pluriséculaire de notre pays.

M. Patrick Braouezec. « L'identité pluriséculaire », rien que ça !

M. Jérôme Rivière. Aussi, monsieur le ministre, face à cette crise, nous devons aller plus loin.

Je comprends vos intentions lorsque vous parlez d'immigration « choisie », mais cette notion s'apparente, à mes yeux, à une sorte de tri sélectif par lequel nous priverions les pays d'origine de leurs élites, les maintenant dans une situation où l'émigration est une absolue nécessité. De plus, la question des étrangers que nous n'aurons pas choisis mais qui continueront de choisir la France restera pendante.

Pour favoriser l'intégration, vous évoquez la discrimination positive, qui permettra d'exiger la représentation des minorités dans l'entreprise ou les médias, alors même qu'il reste interdit en France de demander, à l'occasion des recensements, l'origine ethnique ou la religion des personnes interrogées.

M. Jean-Pierre Brard. Il ne manquerait plus que ça !

M. Jérôme Rivière. La polygamie est interdite en France, mais largement pratiquée, et payée par nos impôts.

M. Jean-Pierre Brard. Le Pen n'a pas besoin de siéger ici : il est représenté par ses adeptes !

M. Christian Vanneste. Staline l'est bien, lui !

M. Jérôme Rivière. Nos concitoyens savent tout cela et il nous faut, comme le disait hier Claude Goasguen, en finir avec toutes les hypocrisies.

Aussi proposerai-je des amendements pour que le Parlement français marque une réserve d'interprétation sur l'article 8 de la CEDH, amendements qui sont dans l'esprit du texte qui avait été présenté au Conseil d'État. Cet article 8 constitue en effet un véritable tunnel pour l'immigration en permettant de s'affranchir des contraintes de notre législation.

Deux blocs coexistent au sein du Conseil de l'Europe. Il y a celui des pays de l'ouest de l'Union Européenne, dont les systèmes économiques et sociaux exercent sur les ressortissants des pays les moins favorisés un effet d'attraction immense, justifiant à lui seul un projet migratoire. Et puis il y a un deuxième bloc, constitué des pays dont les populations voient dans l'émigration un objectif prioritaire.

Les membres du Conseil signataires de la CEDH ne peuvent donc pas avoir de vision commune sur les problèmes migratoires. Et je souffre de recevoir, à la Cour de Strasbourg, des leçons en matière de respect des droits de l'homme de la part de juges issus des systèmes ukrainien, azéri, turc ou géorgien, pour ne citer que quelques pays signataires.

Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. C'est scandaleux !

M. Bernard Roman. À quand l'étoile jaune ?

M. Jean-Pierre Brard. C'est du Gobineau !

M. Jérôme Rivière. Enfin, il est indispensable de modifier les règles pour l'accès aux soins gratuits. Le critère de risque vital doit donc formellement devenir un critère auquel s'ajoute l'immédiateté. La France, dont le système de santé occupe la première place du classement mondial de l'OMS et garantit la gratuité de l'ensemble des soins médicaux aussi bien aux étrangers admis au séjour pour soins qu'à ceux qui sont en situation irrégulière, exerce sur les ressortissants des pays moins favorisés un effet d'attraction immense, justifiant à lui seul un projet migratoire. Cela doit être encadré avec la plus grande rigueur.

M. Jean-Pierre Brard. Malheureusement, certaines maladies sont incurables...

Mme la présidente. Votre temps de parole est écoulé, monsieur Rivière.

M. Jérôme Rivière. Notre société change, et c'est bien ainsi. Qu'elle s'enrichisse des apports de ceux qui souhaitent vivre chez nous et que nous acceptons librement. Mais il ne faut pas oublier que vivre avec nous, c'est aussi vivre comme nous. Le premier devoir des immigrés est de respecter la culture du pays qui les accueille. Ce n'est pas négociable.

Mme la présidente. Veuillez terminer, monsieur Rivière.

M. Jérôme Rivière. Je conclus, madame la présidente.

Les Français ne nous écoutent plus : ils l'ont montré en 2002, en 2004 et en 2005.

Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Ça, c'est incontestable !

M. Jérôme Rivière. Continuons à nous excuser d'être nous-mêmes, marquons une hésitation à l'occasion de nos débats, et ils nous le montreront à nouveau. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Jérôme Gobineau !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Annexe n°8

Extrait du message d'ouverture du Président de l'Assemblée générale de la Fédération protestante de France (12 mars 2006)

Pasteur Jean-Arnold de Clermont


« Ce sont les mêmes remarques que me suggère le rapport de la « commission mondiale sur les migrations internationales » rendu public en octobre 2005 par les Nations unies. Son grand mérite est de proposer un regard global sur les 200 millions de migrants, soit environ 3% de la population mondiale, et d'y voir un facteur clé pour la prospérité y compris des pays industrialisés, et comme un facteur de développement et de stabilité pour les pays de migrations. Le rapport aborde avec lucidité la difficile question des migrations irrégulières ; sans nier le droit des Etats à déterminer qui peut entrer et demeurer sur leur territoire, il souligne leur responsabilité et leur obligation à protéger le droit des migrants. Il les engage à coopérer activement entre eux afin que leurs efforts ne mettent pas en danger les droits humains, notamment le droit des réfugiés à demander l'asile. Je vous invite à la lecture et à l'étude de ce rapport. A plus forte raison quand un nouveau projet de loi propose sous un titre trompeur, l'immigration choisie, c'est-à-dire choisie non par les migrants mais par notre pays en fonction de ses seuls besoins en main d'oeuvre qualifiée ou non. Je cite ce commentaire de la Nouvelle République (quotidien algérien d'information) : «Quand Nicolas Sarkozy soutient que « la France ne peut pas rester à l'écart des flux mondiaux de l'intelligence et des compétences» on se demande quand même s'il parle bien d'êtres humains ou de marchandises utiles au bon fonctionnement de l'entreprise France... En clair, ce ne sont plus les problèmes d'intégration qui dictent en priorité la politique migratoire, mais la compétition internationale, l'avenir des sociétés françaises. Pour ce qui est d'accueillir «la misère du monde» ne serait-ce que la partie que lui imposent ses idéaux fondateurs et sa prospérité relative, la France, «Terre d'asile» et «pays des droits de l'homme», se déclare aux abonnés absents. Des pays du tiers-monde, elle prendra seulement les «talents et compétences», s'appliquant à refouler les sans-grade, à l'instar notamment des Etats-Unis, du Canada ou de la Suisse. En creux, derrière l'opposition entre immigration «choisie» et «immigration subie», les immigrés d'hier et d'aujourd'hui comprendront aussi qu'ils sont et ont été «inutiles», un fardeau pour le pays d'accueil. » . Le jugement est peut être sommaire, mais la Cimade le dit pareillement : « Ce projet évacue l'être humain pour ne voir que la main d'oeuvre ». Il nous faudra apporter un autre regard sur ce sujet qui, n'en doutons pas, prendra dans les semaines et les mois à venir une place importante dans les débats publics.

En partant de ces deux rapports incontestables dans leur indépendance à l'égard des positions politiques dans notre pays, j'essaie de vous dire combien nous avons à jouer un rôle lui aussi indépendant des affrontements politiques parce qu'il placera au coeur du débat les personnes concernées, la volonté de chercher des solutions raisonnables et concertées, le refus de nous laisser guider par nos peurs. Nos Eglises et Associations ont ainsi à rendre le témoignage d'une participation à la vie publique, où elles ont à faire entendre leur spécificité ».

Annexe n°9

Annexe n°10

Annexe n°11

La Cgt dénonce la nouvelle réforme du code entrée séjour des étrangers, décidée par le gouvernement (11 février 2006)

Ce jeudi 9 février, le ministre de l'Intérieur a présenté, dans le cadre d'un comité interministériel, un avant-projet de réforme du CESEDA (code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile)

Ce projet de loi, s'il est accepté, est un recul historique en matière de droit des étrangers et repose sur la notion « d'immigration choisie ». Le projet affiche clairement la perspective utilitariste que le gouvernement et le patronat entendent faire de l'immigration : le bon immigré sera l'immigré utile, rentable pour l'économie française.

L'un des aspects les plus inacceptables de ce projet est l'abrogation de la disposition qui permettait la délivrance d'une carte de séjour temporaire à l'étranger présent en France de façon habituelle depuis plus de dix ans, exigeant de plus, pour toute régularisation, que le demandeur soit en possession d'un visa d'entrée d'au moins trois mois, ce qui n'est le cas de quasiment aucun étranger. Ainsi, des dizaines de milliers de sans-papiers se verront condamnés à l'irrégularité perpétuelle.

Toutes les règles élémentaires touchant aux droits fondamentaux des hommes et des femmes sont remises en cause : durcissement des conditions permettant de faire venir sa famille quand on est en règle (regroupement familial), multiplication des conditions exigées pour épouser un(e) Français(e) ou avoir un enfant. Tout mariage sera suspect, tout bébé sera suspect ... tout hébergeant sera suspect, et fiché, comme tout étranger, demandeur simplement d'un visa de tourisme.

Dans le même temps, le gouvernement affiche sans complexe sa volonté d'aller piller les « capacités et talents » dans le monde, permettant ainsi le « rayonnement de la France » : ces étrangers-là se verront de suite attribuer un titre de séjour de trois ans renouvelable et pourront faire venir leur famille au bout de six mois. En allant faire son marché dans les pays les plus pauvres, la France contribuera à les appauvrir et les asservir encore davantage.

Ne nous trompons pas : ces étrangers non régularisables resteront pour la plupart en France, parce que les expulser tous n'est la volonté ni du gouvernement, ni du patronat. En effet, ce dernier disposera d'une main-d'oeuvre exploitable sans aucun contrôle, sans aucune limite, sans aucune possibilité de se défendre.

Ceci permettra au patronat d'accroître la mise en concurrence de tous les salariés, favorisant les divisions, pour son plus grand profit. De fait, l'ensemble des salariés verront leurs conditions de travail et de rémunérations « tirées vers le bas ».

La Cgt dénonce ce projet de loi et revendique l'égalité des droits pour tous, hommes et femmes, Français et Etrangers, qu'ils soient communautaires ou ressortissants d'états tiers.


Annexe n°12

Représentations iconographiques

Caricature de Plantu publiée dans Le Monde Dessin de la fédération anarchiste

Caricature de Schwartz Caricature de Placide

Caricature de Melovah Caricature de Cabu pour Charlie Hebdo

Une de Marianne Affiche contre l'immigration jetable

* 1 Dictionnaire encyclopédique Hachette 1994.

* 2 Dictionnaire encyclopédique Le Robert 2007.

* 3 NOIRIEL, Gérard, Atlas de l'immigration en France : exclusion, intégration..., 2002.

* 4 CÉSAR, Christine, « Familles antillaises de milieu populaire, un rapport spécifique à l'école de la métropole ? », dans Cossée, Claire, et al., Faire figure d'étranger, Regards croisés sur la production de l'altérité, 2004, page 59.

* 5 GROUX Dominique, PORCHER Louis, L'altérité, 2003, page 107.

* 6 BONNAFOUS, Simone, L'immigration prise aux mots, Préface de Gérard Noiriel, 1991, p 19.

* 7 CORDEIRO, Albano, « Les immigrés de sont pas tous des étrangers », Hommes et migrations, mai 1992.

* 8 INSEE, Les immigrés en France, édition 2005, 2005.

* 9 COLLECTIF, L'Etranger, colloque « Les rendez-vous de l'Histoire », 2003.

* 10 NOIRIEL Gérard, Atlas de l'immigration en France : exclusion, intégration..., 2002, p 6.

* 11 WEIL, Patrick, La République et sa diversité : immigration, intégration, discrimination, 2005.

* 12 DEWITTE, Philippe, Deux siècles d'immigration en France, 2003.

* 13 BONNAFOUS, Simone, L'immigration prise aux mots, Préface de Gérard Noiriel, 1991.

* 14 Déclaration de Nicolas Sarkozy le 5 février 2006.

* 15 LABBE, Dominique, Normes de saisie et de dépouillement des textes politiques, Cahiers du CERAT, Avril 1990.

* 16 Un calcul de probabilité permet de mesurer si des termes sont ou ne sont pas caractéristiques d'un discours.

* 17 Groupes de formes composés de 2 à 5 occurrences présents fréquemment dans le texte.

* 18 GROUPE SAINT CLOUD, La parole syndicale, Étude du vocabulaire confédéral des centrales ouvrières françaises, 1982 ; et PROST, Antoine, Vocabulaire des proclamations électorales de 1881, 1885 et 1889, 1974.

* 19 MARCELLESI Jean-Baptiste, Le Congrès de Tours : (décembre 1920), étude sociolinguistique, 1971.

* 20 Le détail du corpus est disponible en annexe n°1.

* 21 Dans la mesure où nous nommerons les ministres et députés par leur nom tout au long de notre travail, un document placé en annexe n°2 apporte quelques éléments d'informations utiles pour permettre une meilleure approche de leurs interventions.

* 22 HABERMAS, Jürgen, L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, 1993 (1962).

* 23 CHAMPAGNE, Patrick, Faire l'opinion : le nouveau jeu du politique, 1990.

* 24 HÉRAN, François, Le temps des immigrés : essai sur le destin de la population française, 2007.

* 25 VERON, Eliseo, Construire l'événement : les médias et l'accident de Three Mile Island, 1981.

VERON, Eliseo, « Le Hibou », Communication, n°28, 1978.

* 26 LAMIZET, Bernard, Sémiotique de l'évènement, 2006, p 187.

* 27 Ibid, p.57.

* 28 Voir la frise chronologique en annexe n°3.

* 29 ALAUX, Jean-Pierre, TERRAY, Emmanuel, et al., Égalité sans frontière : Les immigrés ne sont pas une marchandise, 2001.

* 30 Slogan de l'Union nationale des étudiants de France lors du mouvement contre le CPE.

* 31 Voir des extraits de communiqués en annexe n°9 et n°10.

* 32 Titre du communiqué de Force Ouvrière du 13 avril 2006.

* 33 Communiqué de la CGT du 11 février 2006.

* 34 BERTRAND, Denis, et al., Parler pour gagner. Sémiotique des discours de la campagne présidentielle de 2007, 2007.

* 35 BAROU, Jacques et LE, Huu Khoa (dir.), L'immigration entre loi et vie quotidienne, 1993.

BRUSCHI, Christian, « L'immigré saisi par le droit », L'interculturel en question, n°49-50, 1986, p 43-54.

* 36 On constate une production littéraire importante au moment de ce débat : LANG, Jack et LE BRAS, Hervé, Immigration positive, 2006 ; AUBRY, Martine (dir.), Immigration, comprendre, construire !, 2006.

* 37 COROLLER, Catherine, Un PS bien discret sur le projet de loi Sarkozy, dans Libération, le 1er avril 2006.

* 38 LACAN, Jacques, Écrits, 1966.

* 39 LACAN, Jacques, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction Je », Écrits, 1966, p 93-100.

* 40 SABATIER, Colette (dir.), et al., Identités, acculturation et altérité, 2002, p 40.

* 41 FELINE, André, « Les quatre composantes de l'identité », Conférence prononcée le 27 octobre 1990 à l'Hôpital Bicêtre.

* 42 TAJFEL et TURNER, « Social identity and intergroup behaviour », Social Science Information, n°13, 1974.

* 43 LACASAGNE, Marie-Françoise, et al., « Les biais de catégorisation dans la représentation des maghrébins en France », in SABATIER, Colette (dir.) et al., Identités, acculturation et altérité, 2002, p 151-161.

* 44 JARYMOWICZ, Maria, « Soi social, différentiation soi/nous/autres et coexistence interculturelle », SABATIER Colette (dir.) et al., Identités, acculturation et altérité, 2002, p 33-40.

* 45 BARTH, Fredrik, « Ethnic groups and boundaries », cité par Laplantine, François, Je, nous et les autres : être humain au-delà des appartenances, 1999.

* 46 LAPLANTINE, François, Je, nous et les autres : être humain au-delà des appartenances, 1999, p 41.

* 47 CHARAUDEAU Patrick, Le discours politique : les masques du pouvoir, 2005.

* 48 CABASINO, Francesca, Formes et enjeux du débat public, discours parlementaire et immigration, 2001.

* 49 BASTENIER, Robert et DASSETTO, Felice, Immigration et espace public : la controverse de l'intégration, 1993.

* 50 LE MOIGNE, Guy et LEBON, André, L'immigration en France, 4ème édition, 1999, p 81.

* 51 MUCCHIELLI, Laurent, « Immigration et délinquance : fantasmes et réalités », dans Guénif-Souilamas, Nacira (dir.), La République mise à nu par son immigration, 2006, p 49.

* 52 FREUD, Sigmund, cité par ROUDINESCO, Elisabeth et PLON, Michel, Dictionnaire de la psychanalyse, 1997, p 884.

* 53 GUÉNIF-SOUILAMAS, Nacira , « La république aristocratique et la nouvelle société de Cour », dans GUÉNIF-SOUILAMAS, Nacira (dir.), La République mise à nu par son immigration, 2006, p 9-26.

* 54 BANCEL, Nicolas et BLANCHARD, Pascal, De l'indigène à l'immigré, 1998.

* 55 BANCEL, Nicolas et BLANCHARD, Pascal, Culture post-coloniale 1961-2006, Traces et mémoires coloniales en France, 2006.

* 56 COTTIAS, Myriam, « Et si l'esclavage colonial faisait Histoire nationale ? », Association lacanienne internationale, 2005.

* 57 GASTAUT, Yvan, L'immigration et l'opinion en France sous la Ve République, 2000, chapitre 1, p 17-35.

* 58 BONNAFOUS, Simone, L'immigration prise aux mots, 1991.

* 59 BATTEGAY, Alain, BOUBEKER, Ahmed, Les images publiques de l'immigration, Média, actualité, immigration dans la France des années 1980, 1993, p 9.

* 60 GASTAUT, Yvan, L'immigration et l'opinion en France sous la Ve République, 2000, section 1 : « Evènements fondateurs des mentalités », p 16-66.

* 61 BONNAFOUS, Simone, « Mots et paroles de l'immigration », Revue française des affaires sociales, décembre 1992, p 5-15.

* 62 AMOSSY, Ruth, HERSCHBERG PIERROT, Anne, Stéréotypes et clichés, langue, discours, société, 1997.

* 63 Ibid, cité p 50.

* 64 Idid, cité p 40.

* 65 ROUQUETTE, Michel-Louis, La chasse à l'immigré : Violence, mémoire et représentations, Pierre Mardaga éditeur, 1997, p 133.

* 66 Ibid, p 130.

* 67 DEROO, Eric, et LEMAIRE, Sandrine, L'illusion coloniale, 2006.

* 68 Voir annexe n°12.

* 69 BARTHES, Roland, La chambre claire : note sur la photographie, 1980.

* 70 JOLY, Martine, L'image et les signes : approche sémiologique de l'image fixe, 1994.

* 71 MEMMI, Albert, Portrait du décolonisé : Arabo-musulman et de quelques autres, 2007.

* 72 BATTEGAY, Alain, et BOUBEKER, Ahmed, Les images publiques de l'immigration, Média, actualité, immigration dans la France des années 1980, 1993.

* 73 DELTOMBE, Thomas, L'Islam imaginaire, la construction médiatique de l'islamophobie en France, 1975-2005, 2005.

* 74 FASSIN, Didier, et FASSIN, Éric (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, 2006, p 91.

* 75 WEIL, Patrick, La République et sa diversité : immigration, intégration, discrimination, 2005, p 48.

* 76 SCHNAPPER, Dominique, La France de l'intégration : sociologie de la nation en 1990, 1991.

* 77 SAYAD, Abdelmalek, La double absence, Des illusions de l'immigré aux souffrances de l'immigré, 1999.

* 78 BASTENIER, Robert, et DASSETTO, Felice, Immigration et espace public : la controverse de l'intégration, 1993.

* 79 RICOEUR, Paul, Soi-même comme un autre, 1990.

* 80 HAJJAT, Abdellali, Immigration post-coloniale et mémoire, 2005.

* 81 MEMMI, Albert, Le racisme, 1999 (1994).

* 82 BALIBAR, Étienne et WALLERSTEIN, Immanuel, Race, nation, classe. Les identités ambiguës, 1997.

* 83 TÉVANIAN, Pierre et BOUAMAMA Saïd dans COLLECTIF, Culture post-coloniale 1961-2006, Traces et mémoires coloniales en France, 2006.

* 84 SAYAD, Abdelmalek, L'immigration ou les paradoxes de l'altérité, 1991.

* 85 LECOEUR, Erwan, Un néo-populisme à la française, Trente ans de Front national, 2003.

* 86 COLLECTIF, Culture post-coloniale 1961-2006, Traces et mémoires coloniales en France, 2006.

* 87 HUNTINGTON, Samuel, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 2007.

* 88 NOIRIEL, Gérard, État, nation et immigration, 2001, p 119.

* 89 LIPIANSKY, Edmond Marc, L'identité française : représentations, mythes, idéologies, 1991.

* 90 SAYAD, Abdelmalek, La double absence, Des illusions de l'immigré aux souffrances de l'immigré, 1999, p. 396.

* 91 ANDERSON, Benedict, L'imaginaire national : réflexions sur l'origine de l'essor du nationalisme, 1996.

* 92 Première apparition du terme « nationalité » dans le dictionnaire de Pierre Boiste en 1823.

* 93 NOIRIEL, Gérard, État, nation et immigration, 2001.

* 94 GUILLAUMIN, Colette, L'idéologie raciste, 2002.






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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius