Master 2 recherche
en Sciences de l'Information et de la
Communication
L'IDENTITÉ EN DÉBAT
Représentations et idéologies dans les discours
sur l'immigration au sein de l'espace public.
Jean-Marie GIRIER
Sous la direction de Bernard LAMIZET
Professeur à l'Institut d'Études Politiques de
Lyon
Juin 2007
UNIVERSITE LYON II UNIVERSITE LYON III
ENS-LSH
« L'IDENTITÉ EN DÉBAT »
REPRESENTATIONS ET IDEOLOGIES DANS LES DISCOURS
SUR L'IMMIGRATION AU SEIN DE L'ESPACE PUBLIC.
Jean-Marie GIRIER
sous la direction de Bernard LAMIZET
Résumé :
Ce mémoire traite d'un débat sur l'immigration
dans l'espace public à travers un large corpus composé de
discours d'acteurs politiques, associatifs et médiatiques. L'objectif
est de comprendre comment s'est instauré le débat, quelles sont
les représentations de l'immigré échangées et
quelle idéologie apparaît.
Tout d'abord, il est démontré que l'organisation
du débat a subit l'influence d'évènements conjoints (CPE,
élections présidentielles). Le second chapitre définit les
représentations actuelles de l'immigré en montrant l'importance
du refoulement de la période coloniale. De plus, il décrit
l'existence d'un imaginaire négatif de l'étranger. Enfin, il est
affirmé que le débat sur l'immigration est avant tout l'occasion
de parler de l'identité nationale et de la nation.
Mots-clefs :
Altérité, débat parlementaire, espace
public, évènement, identité nationale, idéologie,
imaginaire, immigration, intégration,
inter-évènementialité, nationalisme,
représentation, stéréotype.
Abstract :
This dissertation deals with a public debate on immigration
through a large corpus made of political, associative and media actor's
speeches. The aim is to understand how has been established the debate, what
perceptions of immigrant are exchanged, and what sort of ideology appears.
Firstly, it is proved that the debate organization comes from
conjoined events influence (The CPE, the presidential election). The second
chapter defines current perceptions of immigrant and it shows the colonial
period unconscious repression extents. Furthermore, it depicts a negative
imaginary of stranger. Finally, it is affirmed that the immigration debate
allows to talk about national identity and nation.
Keywords :
Debate, events, ideology, imaginary, immigration, integration,
nationalism, national identity, parliamentary, perception, public common,
stereotype.
Sommaire
Introduction
|
1
|
Immigré ou étranger ?
|
2
|
Un fait social inscrit dans le temps de l'histoire
|
4
|
Problématique
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7
|
Le choix du corpus
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10
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Chapitre 1
Le projet de loi sur l'immigration dans le temps des
évènements.
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12
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I. La construction médiatique de l'espace du
débat
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12
|
Médias, acteurs et débat
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12
|
Les médias : une communication
engagée au coeur de l'information
|
13
|
Acteurs institués et acteurs
réels
|
15
|
Quand l'opinion fait l'argument
|
17
|
II. Un débat qui doit s'appréhender à
travers son inter-évènementialité
|
20
|
La crise du CPE
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23
|
La reconduction du type d'acteur institué
lors du CPE
|
24
|
De « Jeunes et jetables » aux
travailleurs immigrés jetables
|
26
|
Un combat parlementaire analogue à la
mobilisation contre le CPE
|
28
|
Les élections présidentielles de 2007 et de
2007 : deux évènements déplaçant
l'enjeu du débat
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31
|
Un projet de loi électoraliste
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32
|
Le malaise du PS sur le terrain de
l'immigration
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34
|
La pression pré-électorale des
mouvements associatifs
|
37
|
L'individualisation dans le combat politique
électoral
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39
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|
|
Chapitre 2
Les représentations de l'immigré, symboles
d'une xénophobie inconsciente.
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42
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I. Imaginaire et fantasme
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43
|
Représentations de l'immigration et imaginaire
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43
|
Imaginaire et vérité
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46
|
L'irruption de l'imaginaire dans le débat politique
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48
|
Les interruptions en séance : des
fragments signifiants de vérités
singulières
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49
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|
|
II. Une vision coloniale de l'immigré
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53
|
Les refoulés de la colonisation
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53
|
Représentations, stéréotypes et
langage
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56
|
Représentations iconiques : le retour des
races
|
61
|
Le mythe « du bon
sauvage »
|
61
|
L'immigré noir
|
62
|
La couleur de peau comme identifiant
politique
|
63
|
III. Les représentations de l'immigré au
XXIe siècle : entre fraude et
terrorisme
|
65
|
L'immigré fraudeur et clandestin
|
65
|
De l'immigré au terroriste
|
71
|
|
|
Chapitre 3
Immigration, intégration, identité
nationale : vers une nouvelle idéologie nationaliste.
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75
|
I. L'idéologie intégrationniste
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75
|
Un rôle inconscient assigné à
l'immigration
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76
|
Différences culturelles et nouveau racisme sans
race
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80
|
II. Vers un nouveau dispositif idéologique
nationaliste
|
83
|
Quand les différences culturelles balayent les
différences de classe
|
83
|
Repli identitaire, peur et identité nationale
|
85
|
Un nouveau nationalisme ?
|
86
|
|
|
Conclusion
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89
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Bibliographie
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94
|
Annexes
|
99
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Remerciements
Je tiens à exprimer ma gratitude envers l'équipe
enseignante et administrative du master recherche en Sciences de l'Information
et de la Communication et tout particulièrement Bernard Lamizet pour sa
grande disponibilité, son accompagnement et ses conseils
avisés.
Toute ma reconnaissance va également à Evelyne
et Robert Girier. Je remercie tout particulièrement Marie Durand pour
son soutien de tous les jours et ses précieuses relectures.
Je tiens enfin à remercier toutes les personnes,
élus, assistants parlementaires et militants associatifs qui ont
accepté de me faire partager leur expérience du débat de
2006.
Jean-Marie Girier
Introduction
Ce n'est pas une image juste, c'est juste une image
Jean-Luc Godard
Vendredi 18 mai 2007, le secrétaire
général de l'Elysée annonce la nomination de Mr Brice
Hortefeux au poste de Ministre de l'immigration, de l'intégration, de
l'identité nationale et du codéveloppement. Les mots sont
là. La portée symbolique de cette volonté
présidentielle est forte. La question de l'identité nationale,
longtemps objet de controverse durant la campagne des élections
présidentielles, s'incarne désormais dans le réel d'un
ministère qui se verra attribuer une administration.
Immigration, identité nationale, intégration,
codéveloppement. Ces quatre termes recouvrant un immense champ
sémantique sont désormais réunis, reliés par un
raccourci qui ne se dit pas. Ils renvoient pour certains aux heures sombres de
l'histoire de France et pour d'autres à l'espoir d'un nouveau
pragmatisme politique. Relents vichystes ou néo-nationalisme ? Le
débat fait rage, et n'est pas sans rappeler le débat sur la loi
immigration et intégration votée en juillet 2006. En effet, c'est
lors d'une discussion autour d'un projet de loi de Nicolas Sarkozy, alors
Ministre de l'Intérieur, que ces quatre notions furent
présentées conjointement pour la première fois.
La discussion parlementaire tenue du 2 au 17 mai 2006
à l'Assemblée nationale a provoquée une onde
discursive à travers l'espace public. Elle représente un
évènement qui nous permet de comprendre la construction d'une
nouvelle représentation de l'identité française. De plus,
il s'agit d'un évènement précurseur dont nous pourrions,
avec quelque peu de recul, souligner la similitude entre son déroulement
et celui de la campagne présidentielle qui le suivit. Mais pourquoi
passer par la question de l'immigration pour parler d'identité ? Quelles
conceptions de l'immigration sous-tendent les diverses prises de position ?
Immigré ou étranger ?
Avant tout développement, il convient de définir
le terme central de ces débats. Qu'est ce que l'immigration ? Qu'est ce
qu'un immigré ? Ces questions d'apparence simpliste masquent une immense
confusion. Le recours à la littérature nous a ainsi permis de
constater que la signification du terme « immigration » n'est pas
fixée, preuve des luttes discursives autour de ce thème.
Voici les définitions que nous pouvons trouver dans des
dictionnaires classiques :
« Immigration : Entrée, établissement
temporaire ou définitif dans un pays, de personnes non
autochtones1(*). »
« Immigration : Entrée dans un pays de personnes
non autochtones qui viennent s'y établir, généralement
pour y trouver un emploi2(*). »
Ces définitions, à un intervalle de dix
années, présentent un noyau commun, mais ajoutent des
éléments lourds de sens. Le recours au terme « non
autochtone » renvoie à une distinction vis-à-vis de l'autre
par soi-même (autos) et à une notion de terre, de
territoire (khthôn). Notons par ailleurs les compléments
apportés à cette définition centrale. La première
définition précise les deux modalités
d'établissement (temporaire ou définitif), alors que la seconde
évoque au moyen d'une incise la recherche d'un emploi.
Selon Gérard Noiriel3(*), l'emploi du terme « immigré » s'est
développé par son usage dans la presse et dans le discours
politique. Face à la confusion récurrente avec le terme «
étranger », les instituts statistiques ont établi une
définition plus précise. Dans le langage administratif, un «
immigré » est tout individu habitant en France mais qui n'y est
pas né. La définition repose donc davantage sur le
déplacement géographique que sur la nationalité. Ainsi, un
immigré n'est pas forcément un étranger et
réciproquement. Mais par souci de sortir les Français des DOM-TOM
du statut d'immigré4(*), l'INSEE a créé la catégorie des
« originaires » des DOM en 1999, en posant désormais comme
immigré « toute personne née étrangère
à l'étranger ». L'apparition du terme « étranger
» dans la nouvelle définition semble être passée
inaperçue tant les théoriciens de l'immigration négligent
le traitement de ce moment clé dans le passage de la reconnaissance
d'une altérité à l'exclusion d'une communauté.
Comme le soulignent Groulx et Porcher, « étranger » renvoie
à l'extérieur (étrange, extraneus) ;
l'étranger est « celui qui n'appartient pas ou n'est pas
considéré comme appartenant à la communauté d'une
localité, d'un groupe, d'une famille5(*) ».
Nous retrouvons ce terme d'« étranger » dans
la définition construite par Simone Bonnafous. Un immigré, dans
son discours, correspond à « toute personne de naissance
étrangère ou née d'un étranger, installée
d'elle-même ou à la suite de ses parents dans le pays, pour y
vivre, y assurer sa subsistance et éventuellement celle de sa
famille6(*) ». Il
s'agit ici d'un contre-pied à toutes les définitions officielles
de l'époque qui prend en compte l'immigration dans le temps à
travers la filiation. Sa définition, réalisée à la
fin des années 1980, aborde la question des enfants d'immigrés et
le contexte social des migrations. Les vocables sont symptomatiques de cette
période durant laquelle l'immigration n'était plus seulement
liée au travail et qui s'accompagnait des premières grandes
arrivées en France au titre du regroupement familial7(*).
Au terme de la présentation de ces définitions,
force est de constater une multiplicité d'énoncés. De la
définition officielle évolutive à des propositions plus
engagées, révélatrices de certaines
représentations, les termes d' « immigration » et d' «
immigré » ne sont pas fixés. La définition
reflète ainsi l'histoire d'un fait social au statut mouvant.
Un fait social inscrit dans le temps de l'histoire
Si ces définitions évoluent, si l'on ne cesse
de légiférer sur cette thématique, c'est aussi parce que
le réel de l'immigration a changé. Selon les statistiques
officielles liées à l'actualisation du recensement national de
1999, il y avait en 2004 près de 5 millions d'immigrés en France,
dont 3,5 millions d'étrangers8(*) venus principalement d'Algérie, du Maroc, du
Portugal et d'Italie. La nature de cette immigration a relativement peu
changé, mis à part une plus forte présence des femmes, ce
qui n'était pas le cas auparavant. A partir d'un imaginaire attribuant
à l'étranger la mauvaise conjoncture économique et
l'inflation du chômage, les autorités se sont employées
depuis quelques années à engager une politique de
réduction et de contrôle strict de l'immigration.
Désormais, suite à la mise en place de multiples
réglementations, c'est à la situation des sans-papiers, de
l'immigration non-légale, et de l'augmentation des prétendants au
droit d'asile politique que s'attelle le législateur. Mais le
débat est dès lors vif, car le traitement de la question
migratoire est profondément lié à l'Histoire.
Les migrations ont toujours existé et ont
contribué à construire les civilisations et les nations à
travers les époques. Pierre Vidal-Naquet9(*) rappelle que l'on oppose dans la cité grecque
le xenos (étranger) au politès (citoyen) sans
oublier le statut du metoikos (métèque),
littéralement « celui qui habite avec »
(oïkos ; maison), qui pouvait alors être
naturalisé.
L'immigration est fondamentalement liée à
l'existence de frontières réelles, et la révolution
politique de 1789 apparaît ainsi comme un évènement
charnière. Comme le souligne l'historien Gérard Noiriel,
spécialiste de l'immigration en France, la Révolution
française « a entraîné la naissance de territoires
strictement délimités par des frontières rigides, à
l'intérieur desquels vivent des communautés de citoyens disposant
de droits que l'État garantit et protège contre les menaces
extérieures. La révolution industrielle, qui débute
à la même époque, a provoqué une formidable
accélération de la mobilité des hommes10(*)». Jusqu'au début
du Second Empire, la France fut autant un pays d'émigration que
d'immigration. C'est d'ailleurs durant cette période qu'apparaissent les
termes « immigration » (1768) et
« immigrant » (1787). Alors que quelques commerçants
installaient des comptoirs en Afrique et en Asie, un mouvement de masse a
conduit de nombreux natifs du territoire français à prendre la
direction de l'Amérique, du Québec à la Louisiane.
Parallèlement, la faible immigration de l'époque relevait du
voisinage.
Les vagues d'immigration correspondent à l'essor
économique de la France. Gérard Noiriel indique que cet attrait
est lié aux « déséquilibres que la révolution
industrielle a provoqués entre les différentes parties du globe
». L'historien évoque un phénomène cyclique en
constatant que les trois grandes périodes d'afflux (1850, 1930, 1960),
qui correspondent à un fort dynamisme économique, sont suivies
d'une période de stabilisation ou de recul (1880, 1930, 1980).
Tout au long de la seconde moitié du
XXème siècle, c'est l'ordonnance du 2 novembre 1945
qui a servi de cadre de référence. Au lendemain de la guerre, la
France s'affiche comme un pays d'immigration durable, sans distinction
d'origine, où les travailleurs et leurs familles ont toute leur place.
L'immigration, souhaitable, est désormais maîtrisée,
d'autant plus que l'État crée un Office national de l'immigration
auquel il confie le monopole de l'organisation des entrées. Cependant,
comme le souligne Patrick Weil11(*), dans les années 1960, l'État
français « favorise une immigration européenne plutôt
qu'une immigration coloniale », premier biais de cette ouverture
universelle.
Dès les années 1970, dans un contexte de crise
économique, l'ordonnance de 1945 se révèle
inadaptée à une politique restrictive12(*). Réformé tout au
long des années 1980, ce texte de référence est devenu un
cadre à géométrie variable, objet d'une politisation sans
précédent. A partir de 1990, c'est l'ensemble de l'immigration
qui est remise en question par les gouvernements de droite. En 1993, Charles
Pasqua annonça comme objectif « l'immigration zéro ».
Cela introduisit une remise en question des protocoles internationaux
concernant le droit d'asile. L'article 120 de la Constitution de 1793
soulignait déjà que le gouvernement « donne asile aux
étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté
» ; cette intention sera renouvelée dans la Déclaration
universelle des droits de l'Homme (1948), la Convention de Genève
(1949), et le protocole de New York (1967). Dans notre récente histoire
politique, il apparaît une double acception de la question migratoire,
soit liée à l'absence d'emplois en France, soit liée
à des conditions humanitaires. Après la loi instaurant l'asile
territorial du socialiste Jean-Pierre Chevènement, Nicolas Sarkozy
soumit au Parlement le projet de loi « Immigration, séjour des
étrangers, nationalité ». Avec ce texte de 2003, le
gouvernement Raffarin a rendu l'obtention des visas difficile afin de lutter
contre le faux tourisme. Il a alourdi les peines contre les employeurs de
clandestins, réformé la double peine, augmenté les
délais de rétention administrative et a multiplié les
motifs de retrait de plein droit de la carte de séjour temporaire.
Enfin, on ne peut pas ne pas évoquer l'Union européenne qui a
contribué à une nouvelle image d'un « immigré
extra-communautaire» avec l'instauration d'une citoyenneté
européenne lors du traité de Maastricht.
En France, le débat sur l'immigration cristallise un
nombre certain de passions. De Gambetta à Curie, d'Appolinaire à
Zola, les immigrés ont contribué à l'Histoire et à
la construction de ce qui fait la France d'aujourd'hui. Il s'agit bien de
l'Histoire, car l'étude des mouvements migratoires a commencé
dans cette perspective avant que les évolutions du
XXème siècle ne viennent sortir l'immigration des
sciences pour la poser comme un « problème ».
Dans son ouvrage fondateur sur le sujet écrit au
début des années 199013(*), Simone Bonnafous apporte des résultats
édifiants quant à l'homogénéisation du comportement
de la presse et l'élaboration d'un consensus au profit des thèses
de l'extrême droite. Elle a montré à travers l'étude
minutieuse de dix quotidiens de 1974 à 1984 que la médiatisation
de l'immigration est allée de pair avec une modification de l'approche
journalistique. Alors que l'immigration apparaissait problématique au
regard du public, Bonnafous a constaté de nombreux chevauchements
référentiels entre des médias dont les approches sont
habituellement antinomiques. Cela nous conduit directement à
évoquer les représentations qui se jouent dans les discours des
médias, mais aussi dans d'autres institutions discursives. Le
thème de l'immigration, mettant en jeu les concepts
d'altérité et d'identité interroge à la fois le
rapport au monde et le rapport à soi, il implique de prendre en compte
une double réalité politique et sémiotique. Ce sera
l'enjeu de ce mémoire.
Problématique
Notre travail portera sur le débat autour de la loi
relative à l'immigration et à l'intégration touchant au
code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit
d'asile (CESEDA) lors du printemps 2006. Il consistera à étudier
l'organisation et la composition des discours dans l'espace public.
Au-delà, c'est à travers l'étude des
représentations de l'immigré présentes dans diverses
argumentations que nous souhaitons voir comment le lexique élabore ces
représentations.
Après une première loi en 2003, Nicolas Sarkozy
a présenté un projet de loi dès mars 2007, en pleine crise
du CPE. Pourquoi légiférer deux fois au cours d'un même
mandat sur la question de l'immigration ? Le ministre de
l'Intérieur et de l'aménagement du territoire présente ce
projet comme un complément à la loi de 2003. Il décrit son
objectif en une formule : « Nous ne voulons plus d'une
immigration subie, nous voulons une immigration choisie, voilà le
principe fondateur de la nouvelle politique de l'immigration que je
préconise14(*) ». Dès lors un débat va
s'instaurer dans l'espace public autour de cette question sur lequel viendront
influer un certain nombre d'évènements
périphériques. C'est à partir de cette période de
discussion démocratique que nous allons analyser les prises de position.
Comment s'est organisé le débat autour du projet de loi relatif
à l'immigration et à l'intégration dans l'espace public ?
En quoi le débat parlementaire a entraîné une onde
discursive dans l'espace public ? En quoi l'échéance
présidentielle a-t-elle intensifié le débat d'idée
? Comment des éléments périphériques à la
loi CESEDA ont instauré ou influencé ce débat ?
Notre analyse s'appuiera principalement sur la discussion
parlementaire à l'Assemblée nationale et sur les nombreux
discours qui l'ont entouré. Il conviendra d'examiner le lexique
employé en tant qu'il construit les représentations. L'analyse de
notre corpus sera l'occasion de mettre en exergue les représentations de
l'immigré en France à cette période. Quels
éléments lexicaux ont conduit à construire une
représentation négative de l'immigré ? L'absence d'une
opposition franche par les partis de gauche sur les représentations de
l'immigré participe-t-elle de la lepénisation des esprits ?
Enfin, nous nous interrogerons sur le thème de
l'identité, et sur son lien avec l'immigration. Cela nous permettra,
à l'éclairage du débat de 2006, de comprendre l'apparition
d'un nouveau ministère en 2007. Comment la question de l'identité
nationale s'est-elle retrouvée au coeur des discussions ? Et
au-delà, à l'égard de l'imaginaire mobilisé dans
ces discours, peut-on entrevoir dans ce projet de loi les premiers fondements
d'une construction idéologique néo-nationaliste ?
Nous faisons l'hypothèse que l'échéance
présidentielle a joué un rôle majeur sur le traitement du
thème de l'immigration pour la droite comme pour la gauche. De plus, les
discours des associations seraient davantage adressés aux partis de
gauche plutôt qu'au gouvernement de Villepin. En outre, la conjoncture
politique et les revendications sociales (CPE, Non à l'Europe) ont
conduit à ce que le thème de l'immigration du travail prenne le
devant sur d'autres éléments clés de cette loi. Cela a eu
pour effet d'évacuer le pathos qui caractérise habituellement les
discours autour des questions du mariage et du droit d'asile.
Nous postulons par ailleurs qu'au sein de ce débat
public, de l'existence du projet de loi au débat en assemblée en
passant par la formulation de la loi, les représentations de
l'immigré reposent sur un ensemble d'éléments non
positifs. Nous supposons que les représentations de l'immigré,
procédant d'un stéréotype, relèvent d'un imaginaire
historiquement construit et sont inconsciemment partagées par la
majorité des acteurs de l'espace public.
Enfin, nous pensons que le débat à partir des
représentations de l'immigré, avec la question attenante de
l'intégration, procède d'un effet de miroir sur les
représentations de l'identité nationale. De plus, ces discours
participent d'une construction idéologique reformulant une
identité collective en crise par le renforcement d'un nouveau
nationalisme.
Nous répondrons à ces questions par une double
méthodologie. Comme nous venons de l'indiquer, les objectifs de notre
problématique sont différents, les méthodes le seront
aussi. Les sciences de l'information et de la communication nous offrent une
multiplicité d'approches, et nous profiterons de cette
hétérogénéité pour utiliser les outils les
mieux adaptés à nos préoccupations. Ainsi, notre travail
se situera au carrefour de la sémiotique, de l'analyse politique, de
l'histoire et de la statistique. Pour répondre à des questions
ciblées concernant les débats à l'Assemblée
nationale, pour repérer rapidement des éléments de langage
essentiels, notre méthode consistera en une analyse
lexicométrique des discours effectuée à l'aide du logiciel
Lexico 3.45 développé par André Salem de
l'Université la Sorbonne Nouvelle - Paris III. Nous n'appliquerons pas
cette méthode à l'ensemble notre analyse dans la mesure où
elle présente des limites quant à son efficacité, c'est
pourquoi nous la mobiliserons à titre complémentaire. Cette
méthode quantitative, loin de faire l'unanimité est
entièrement basée sur la notion de fréquence. Le discours
est segmenté dans sa plus petite unité, la forme graphique. Afin
de pouvoir effectuer des comparaisons, il est nécessaire de traiter tous
les textes avec une méthode de dépouillement strictement
identique. Nous avons opté pour les normes mises en place par Dominique
Labbé en 199015(*).
En outre, le logiciel Lexico 3.45 nous permettra de disposer des fonctions de
calcul des spécificités du vocabulaire16(*) et des segments
répétés17(*).
Mais si de nombreuses études ont démontré
que les termes lourds de sens étaient aussi les plus
répétés18(*), nous considérons que notre
problématique nécessite une ouverture vers des outils issus de
l'analyse du discours pour renforcer les mises en relation dans le traitement
de la question de l'immigration. Par ailleurs, nous procéderons à
moindre échelle à une analyse iconographique pour envisager
l'ensemble des représentations de l'immigré, y compris dans leur
dimension esthétique.
Enfin, il convient de souligner que nous ne cèderons
pas à l'isomorphisme entre lexique et parti politique. Cela
apparaîtrait réducteur et nous préférerons utiliser
des notions de relation. Nous nous plaçons dans la ligne de
Jean-Baptiste Marcellesi selon lequel cet isomorphisme conduirait à
prêter au locuteur une naïveté linguistique et politique dans
la mesure où il serait incapable de tenir des discours
différents19(*). Le
vocabulaire ne peut pas être considéré comme une
étiquette fixée à un groupe politique car cela imposerait
une rigidité qui ne correspond pas à une réalité de
chassés-croisés lexicaux. Nous pourrons nous placer
au-delà de cet isomorphisme en procédant à l'étude
de l'univers lexical. Les mots ne seront pas séparés de leur
environnement lexical adjacent.
Le choix du corpus20(*)
La majeure partie de notre corpus est composée des
discussions à l'Assemblée nationale autour du projet de loi
relatif à l'immigration et à l'intégration. Ce
débat est particulièrement dense. Comme l'exprimait Thierry
Mariani, député UMP élu dans la quatrième
circonscription du Vaucluse et rapporteur de la commission des lois
constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République :
« Au cours de ces trois mois, le débat
parlementaire a été particulièrement riche et intense. On
pourrait bien sûr le mesurer quantitativement : deux semaines de
débat dans chaque assemblée, plus de 54 heures de discussion
à l'Assemblée nationale et plus de 50 heures au
Sénat, 189 amendements adoptés dans notre assemblée et 117
dans la seconde chambre ».
Nous avons pris en compte l'intégralité du
débat à l'Assemblée nationale. A ce propos, nous tenons
à souligner que les prises de paroles lors de cette discussion
parlementaire se sont distribuées entre de rares orateurs. Seulement
treize députés et ministres sont intervenus plus d'une dizaine de
fois pour soutenir des amendements ou pour des rappels au
règlement21(*).
Afin de compléter les discours d'assemblée, nous
avons aussi sélectionné le texte du projet de loi, les
interventions sur les plateaux de télévision de Nicolas Sarkozy
ainsi que le rapport du sénateur François-Noël Buffet :
« Immigration clandestine, une réalité inacceptable,
une réponse ferme, juste et humaine ».
Dans un deuxième temps, notre corpus se compose d'un
ensemble de discours, de communiqués et de lettres émanant
d'entités instituées dans l'espace public comme le champ de
l'économie sociale. De nombreux acteurs se sont engagés dans le
débat autour du projet de loi relatif à l'immigration. Dans un
souci d'exhaustivité, nous avons pris en considération des
discours des Eglises, des discours associatifs (Ligue des droits de l'Homme,
CIMADE, collectif Uni(e)s contre une immigration jetable...), des discours
syndicaux, et des discours de partis politiques (FN, PS, PC...)
Enfin, il nous semblait essentiel prêter attention au
discours médiatique, sans lequel notre propos sur ce débat aurait
été amputé de ce corps central dans la construction de
l'espace public. Notre choix s'est porté sur un quarantaine d'articles
émanant de trois quotidiens nationaux parus entre février et
juillet 2006. Tout d'abord le journal Le Monde, qui a largement
couvert cet évènement et qui présente la
spécificité de disposer d'une journaliste
spécialisée dans la question migratoire. Ensuite, le journal
L'Humanité qui, de part sa proximité avec le PCF,
présente un point de vue très engagé. Enfin, le quotidien
Libération dont la politique a consisté à donner
la parole aux acteurs du débat à travers des tribunes.
Dans un premier chapitre, nous présenterons
l'instauration du débat dans l'espace public et nous
développerons l'importance du concept
d'inter-évènementialité en l'appliquant d'une
manière détaillée. Le chapitre suivant sera
consacré à une analyse des représentations de
l'immigré. Enfin, nous discuterons dans un troisième chapitre des
liens entre l'identité nationale et le débat public sur
l'immigration. Nous ouvrirons une discussion sur les éléments de
construction idéologique et nous observerons à travers le prisme
de l'immigration quels sont les éléments qui définissent
la nation et l'identité française à l'heure de la
mondialisation.
Chapitre 1
Le projet de loi sur l'immigration
dans le temps des évènements.
I. La construction médiatique de l'espace du
débat
Il convient d'examiner pour commencer l'articulation
principale de notre corpus. Le discours politique que nous étudions
combine un thème et un espace de communication. Le thème, nous
l'avons dit, est celui de l'immigration, et comme nous le montrerons dans le
dernier chapitre celui de l'identité nationale. L'espace de
communication est celui du débat public, de l'échange et de la
confrontation de représentations politiques, d'imaginaires politiques
autour du thème. Dans cette modalité de l'espace public, le temps
est un mécanisme essentiel car il impose le réel d'un calendrier
dans le débat symbolique. Or cette temporalité du débat
est indéniablement liée au temps des médias qui, en
imposant leur agenda, instaurent les acteurs, orientent le
débat et fondent l'espace public.
Médias, acteurs, et débat.
Tout d'abord, il faut revenir sur le rôle des
médias dans la construction de l'espace public. A partir des travaux
d'Habermas22(*), il faut
souligner que l'existence même de l'espace public est liée
à la présence des médias. En effet, Habermas
définit l'espace public comme un espace de communication,
d'échange symbolique de représentations et de construction d'une
opinion politique. La publicité devient alors une condition de
visibilité et d'existence dans cet espace de l'indistinction où
le sujet porte davantage un projet politique qu'une identité.
Les médias sont des acteurs importants du champ du
débat public auquel ils donnent une forme, un langage, pour donner une
consistance symbolique au fait politique. Ils font sens en donnant une
signification aux évènements qui n'auraient pas d'existence sans
le discours journalistique. En effet, leur première fonction consiste
à produire une information sur le réel du monde à travers
laquelle ils construisent l'espace public. Ici, les médias produisent un
discours sur d'autres acteurs de l'espace public, ceux qui se trouvent dans une
logique de pouvoir. Parce qu'ils mettent en parallèle et qu'ils relient
les évènements les uns aux autres, les médias permettent
la construction d'un maillage de sens pour offrir aux acteurs qui recherchent
l'information des outils afin d'appréhender d'une manière globale
le fait politique. Ici, ils sont l'espace de la médiation entre les
acteurs politiques et les citoyens, les lecteurs.
Les médias : une communication engagée au
coeur de l'information.
Derrière la notion d'espace public, il y a la notion de
lieu symbolique. L'espace public n'est pas le réel mais les
médias proposent une construction symbolique du réel. De
surcroît, ils projettent leur imaginaire de l'espace public sur les
représentations qu'ils en donnent, c'est pourquoi certains acteurs
politiques, liés au réel du pouvoir sont littéralement
exclus de ces espaces publics médiatés.
Dans le cadre du débat sur le projet de loi relatif
à l'immigration et à l'intégration, nous proposons
d'appréhender l'espace public du débat comme le fruit d'une
division engagée du réel, division non remise en question par une
idéologie du journalisme associant à une construction symbolique
les valeurs de vérité, d'information, de critique ou même
de subversion.
Derrière notre corpus d'articles de presse (Le
Monde, Libération, l'Humanité) existe implicitement une
orientation commune dans l'instauration de l'espace du débat
malgré certaines oppositions idéologiques fortes. Si elle ne
prend pas explicitement position, l'énonciation journalistique
s'apparente à une forme de communication politique lorsqu'elle tend
à susciter l'adhésion des lecteurs. Lors de l'élaboration
de l'information, les médias mettent en place des stratégies afin
de donner une place au lecteur. Mieux, comme pour les acteurs du débat,
ils instituent leurs lecteurs en acteurs dans l'espace public. C'est ainsi que
lors du référendum sur le projet de traité constitutionnel
en 2005, les médias prirent position pour le
« Oui », ils se sont engagés en 2006 contre le
projet d' « immigration choisie ». Par
conséquent, l'énonciation élaborée fait en sorte
que les lecteurs s'inscrivent « naturellement » dans
l'opinion portée par les journalistes. Les journaux de notre corpus
adoptent tout trois une position similaire de rejet de la loi en discussion.
La posture de l'Humanité est radicale, le
quotidien du Parti communiste place le déroulement du débat
parlementaire au second plan pour ouvrir une discussion sur le thème de
l'immigration. Ainsi, le 10 janvier 2006 paraît un dossier spécial
intitulé : « Un projet dangereux sous le sceau de
l'utilitarisme ». L'interview de Fernanda Marrucchelli, membre du
Conseil national du PCF est révélatrice de l'ensemble du
traitement du débat par le quotidien :
« On aurait tort de considérer cette
politique comme une dérive ou une restructuration de plus. Elle porte
tous les caractères structurels d'un projet de société
libérale. Ce qui se construit contre les migrants se construit contre la
société tout entière, par la pénalisation de tous
les mouvements sociaux, sur un racisme bien habillé, si banalisé
qu'il déclenche de moins en moins de prise de positions
nettes. »
Libération institue également son
lecteur en acteur de la lutte contre le projet de loi, mais individualise une
opposition au futur candidat à la présidentielle Nicolas Sarkozy.
On trouvera alors des articles traitant des « bons immigrés
vantés par Sarkozy », du « parfait petit manuel pour
expulser les clandestins » ou encore de la « croisade
contre la loi Sarkozy sur l'immigration ».
Pour sa part, Le Monde a offert une couverture
très importante à l'évènement, alternant
informations juridiques, entretiens avec des intellectuels et des
universitaires opposés à la position de Nicolas Sarkozy et des
articles soutenant la dangerosité du projet de loi. Il faut bien
préciser que le journal Le Monde est le seul quotidien à
disposer d'une journaliste spécialisée dans les questions
migratoires, Laeticia Van Eeckhout. Cette spécialisation
transparaît dans un traitement très rigoureux et la mise en avant
des incohérences gouvernementales. Le Monde dénonce
ouvertement un projet dangereux « au dépens de
l'intégration ». D'où cet article intitulé
« Les limites de l'immigration choisies », dans lequel la
journaliste offre à son lecteur des clefs d'opposition :
« Sous couvert de promouvoir une « immigration
choisie », le projet de loi de M. Sarkozy se justifie en fait avant tout
par son volet visant à « resserrer les boulons », selon les
termes utilisés au ministère de l'Intérieur, contre «
l'immigration subie ».
Avant de conclure :
« On peut en tout cas douter que ces mesures
améliorent l'image de la France, dans un contexte d'économie
mondialisée. Si les étrangers sont identifiés à des
fraudeurs potentiels, les migrants les plus qualifiés pourraient
continuer de préférer le Canada, les Etats-Unis ou la
Grande-Bretagne, à une France, frileuse et repliée sur
elle-même, voire perçue comme xénophobe. »
En trois mois de médiatisation du débat,
l'Humanité et Libération ne laisseront pas une
seule fois la parole aux défenseurs du projet de loi. Seul Le
Monde offrira à son audience un entretien avec Nicolas Sarkozy
intitulé « L'immigration choisie est un rempart contre le
racisme » et un dialogue sur sa plateforme internet avec Thierry
Mariani, rapporteur du projet de loi autour de la question « La
France doit-elle choisir ses immigrés ? ». Ces deux
interventions ont eu lieu le 27 avril 2006, jour choisi par le ministre de
l'Intérieur pour défendre son projet dans tous les grands
médias. Notons également que Le Monde a publié
une tribune à Jacques Toubon, missionné par le Président
de la République pour créer la Cité nationale de
l'Histoire de l'immigration, dans laquelle il s'oppose à Nicolas Sarkozy
et enjoints les parlementaires à ne pas rejeter le modèle
d'intégration républicain.
Acteurs institués et acteurs réels
Dans cet espace public médiaté du débat
sur l'immigration, il est important d'analyser quels acteurs ont
été institué en tant que moteurs de la lutte contre ce
projet. Dans l'espace « légitimé » par les
médias, les actions des collectifs issus du champ de l'économie
sociale ont été très largement amplifiées. Ainsi,
le collectif « Uni(e)s contre une immigration jetable »,
grâce à une stratégie d'actions politiques à haute
portée symbolique, a été institué par les
médias comme l'acteur incontournable d'opposition, avant même
l'opposition des partis politiques. Dès les prémisses du
débat public, Le Monde met en avant le « tollé
des associations contre le projet Sarkozy » en insistant sur la
multiplicité des acteurs qui s'accordent autour d'une lutte commune :
« Selon Act Up, la Cimade (service
oecuménique d'entraide), la Fasti (la Fédération des
associations de solidarité avec les travailleurs immigrés), le
Gisti (Groupe d'intervention et de soutien aux travailleurs immigrés),
la LDH (Ligue des droits de l'Homme), le MRAP (Mouvement contre le racisme et
pour l'amitié entre les peuples) et le 9ème Collectif des
sans-papiers, ce projet "annonce une nouvelle étape dans la guerre
aux étrangers menée par le gouvernement". »
Les journaux quotidiens comme les médias audiovisuels
se feront l'écho des grandes manifestations
populaires « contre l'immigration jetable », si bien
que notre corpus contient seulement deux entretiens avec des membres du
gouvernement ou de la majorité, contre treize pour les leaders
associatifs et trois pour les responsables socialistes.
Au contraire, le discours des Églises
chrétiennes et de leurs branches associatives n'est que très peu
repris. Le Monde relayera leurs actions seulement à travers
deux brefs articles, l'un avant le débat pour faire part de leur
« l'inquiétude », l'autre après le vote pour
retranscrire le synode de l'Eglise réformée durant lequel elle
s'est « alarmée » de la situation des sans-papiers.
Libération évoquera rapidement la nouvelle
« croisade contre la loi Sarkozy » de cinquante
associations chrétiennes.
Selon les acteurs associatifs et politiques que nous avons pu
rencontrer, cette construction de l'espace public ne serait pas
représentative du réel de la mobilisation de terrain. En effet,
les parlementaires de droite, et ceux de gauche dans une moindre mesure, ont
été très fortement sollicités par les
représentants des Églises qui ont entrepris un important travail
de lobbying. D'ailleurs, on peut constater qu'au cours du débat
parlementaire, il a davantage été question de la position de
l'Eglise catholique que des associations, ce qui ne transparaît pas du
tout dans le traitement journalistique des débats. Sur la question des
sans-papiers, beaucoup regrettent que le travail de fond entrepris depuis des
dizaines d'années par certaines organisations ait été
occulté. On voit clairement, dans cette circonstance, la capacité
des médias à faire naître des acteurs nouveaux. Le travail
de réinterprétation journalistique a institué des acteurs
collectifs comme références de la réalité au
détriment de militants réels auxquels on a barré
l'accès au statut d'acteur dans l'espace public.
Quand l'opinion fait l'argument
Comme le souligne Patrick Champagne23(*), le jeux politique se
réorganise aujourd'hui et se structure autour de l'opinion publique.
Nous avons effectivement constaté, à travers l'étude de
notre corpus, un emploi important des sondages. Il nous semble ainsi
intéressant de développer ce point. Lors de la publication des
résultats d'enquêtes diverses, nous assistons à un
renversement des identités au cours duquel les médias
dépassent le cadre de l'information traditionnelle pour produire et
mettre en débat une opinion.
Dans son récent ouvrage24(*), François Héran fait part de son
questionnement quant à l'emploi des
« révélateurs » d'opinion publique dans le
débat politique. En effet, au cours du débat houleux autour de la
loi CESEDA, la majorité s'était appuyée sur un sondage de
la SOFRES publié en 2005 par Le Monde selon lequel 63% des
Français approuvent l'idée qu'« il y a trop
d'immigrés en France ». Ce sondage dont l'objectif consistait
à évaluer la percée des idées du Front national
était formulé à travers un questionnaire fermé et
ne proposait pas toujours de contrepartie symétrique aux réponses
proposées. A partir de là, nous souhaitons investir la
problématique du poids de l'opinion publique dans l'argumentation de la
confrontation. Quelle est l'influence des sondages dans l'évolution des
représentations ? En quoi ce recours à des valeurs
numériques permet de conforter des éléments
préétablis par une construction engagée ?
Héran soulève une remarque juste, et un rapide panorama de notre
corpus nous confirme la forte présence des batailles statistiques,
occultant en partie la confrontation brute des représentations de la
société. Alors que ce démographe se penche sur la
composition des sondages, nous proposons pour notre part de nous interroger sur
leurs emplois.
Le rôle de diffusion des idées politiques par les
médias en fait un réel acteur à part entière du
débat politique puisqu'il s'engage en publiant tel ou tel sondage. De
surcroît, son objet d'information tend à dériver. Alors que
la publicité traditionnelle consistait à informer des
identités exprimées par les partis politiques, puis plus tard par
des individualités politiques qu'incarnent les nouveaux leaders, nous
voyons aujourd'hui la formulation de l'identité de « citoyens
imaginaires », le réel du citoyen que sanctionne le vote
étant occulté.
C'est à partir de là que l'opinion publique
entre dans les débats et que les médias font entrer leurs voix en
instaurant certains éléments de discussion dans
l'Assemblée nationale. Pour ces raisons, le débat sur des
éléments quantitatifs tend parfois à supplanter le
débat d'idée. Les identités politiques constituées
à partir d'une idéologie tendent à laisser leurs
représentations politiques imaginaires de côté.
Nous avons retrouvé l'utilisation du sondage
publié par Le Monde en 2005. Lors de sa première
intervention au sein de l'hémicycle, le ministre de l'Intérieur,
afin de justifier l'existence même de ce projet de loi et pour
répondre aux attaques de l'opposition le qualifiant de xénophobe,
s'appuie sur celui-ci :
« Les Français nous demandent de regarder
cette réalité en face. Jamais le fossé n'a
été aussi grand entre le discours de certaines élites et
la réalité, telle qu'elle est perçue par nos
compatriotes.
Selon un sondage de la SOFRES publié par Le
Monde en décembre 2005, 63 % des Français estiment
qu'il y a trop d'immigrés en France. Parmi ces 63 % de
Français, 50 % sont des électeurs de gauche. Plutôt
que de leur reprocher de penser ce qu'ils pensent, il me semble plus utile
d'essayer de comprendre pourquoi ils pensent ainsi et de leur apporter des
réponses.
Je suis convaincu que l'immense majorité de nos
compatriotes n'est ni raciste ni xénophobe, qu'ils exècrent le
racisme et la xénophobie. Mais reconnaissons les choses telles qu'elles
sont : pour beaucoup de Français, l'immigration est une source
d'inquiétude qu'il nous faut prendre en compte.»
Cet emploi est particulièrement
révélateur de la véritable contamination du débat
politique par les sondages. L'effet de vérité est puissant, et on
peut constater que ce genre d'outil s'invite sous le sceau d'une
évidence déconcertante dans les interviews
télévisées. Le chiffre transporte dès lors une
doxa, il impose aux masses un argument comme la voix de la raison
collective.
La thématique des sondages nous permet également
de souligner le lien direct entre médias et institution parlementaire,
véritable médiation. Seuls ces deux espaces politiques fondent
une communication à partir de ces données, alors que les autres
acteurs institués dans l'espace public (monde associatif, syndicats,
cultes...) se refusent traditionnellement à entrer dans l'arbitraire.
Or nous constatons qu'une argumentation statistique n'est
attaquée par l'opposition parlementaire que par un recours à
d'autres éléments chiffrés. Bien que certains critiquent
l'utilisation abusive des études d'instituts dont il faut rappeler que
la première préoccupation est marchande, la réaction de
Patrick Braouezec (PCF) sur le sondage de 2005 fut la suivante :
« Vous estimez et basez votre politique sur le
rendement, sur des chiffres - au point même d'utiliser des sondages de
décembre 2005 comme arguments d'autorité. Permettez-moi de
citer d'autres sondages, comme celui qu'a réalisé l'institut
Louis Harris les 28 et 29 avril et selon lequel 54 % des
Français pensent que la France doit être un pays d'accueil pour
l'immigration, 46 %, soit près d'un Français sur deux,
qu'elle est un atout général pour la France et 76 %, dont je
fais partie, sont favorables à la régularisation des sans-papiers
présents depuis cinq ans sur notre territoire. Vous utilisez, quant
à vous, le sondage de décembre pour justifier la réduction
du nombre de migrants. »
Nous assistons dès lors à une confrontation
sondage contre sondage, représentations contre représentations.
Signalons ici que l'enjeu repose sur la représentation de
l'électorat proposée dans la construction des sondages. Ceux-ci
formulent des représentations d'identités politiques, et on
construit quantitativement à partir d'une addition de points de vue
singuliers la représentation d'une identité collective, qui est
d'ailleurs une identité indistincte. De là, les ministres et
députés construisent la justification de leurs arguments à
partir d'un imaginaire construit par les médias.
Puisque nous venons de montrer comment se construit l'espace
public et de quelle manière s'instaurent les acteurs, il nous faut
désormais prendre en compte le débat dans sa valeur
d'évènement et le replacer dans un cadre contextuel et
temporel.
II. Un débat qui doit s'appréhender
à travers son inter-évènementialité
Il nous semble important d'analyser la conjoncture entourant
ce débat. Un traitement de ce sujet omettant son entourage discursif
nous aurait paru incomplet. Parce que les médias construisent une
information à partir d'un certain nombre d'évènements
structurant l'espace public, ils l'imposent ensuite au coeur du débat
dans le champ politique et institutionnel. C'est ainsi qu'un ensemble
d'évènements sont venus se superposer jusqu'à venir
parfois percuter, court-circuiter le débat relatif à
l'immigration et à l'intégration.
A partir des travaux d'Eliseo Véron25(*), nous considérons que
les médias façonnent des éléments du réel
pour construire un ou des évènements. Ils nous proposent leurs
réalités et participent ainsi à la construction d'un
espace public. A partir de l'ouvrage « Construire
l'évènement », il nous semble important de prendre en
compte trois éléments participant à la
construction : la prise en considération d'évènements
singuliers, leur désignation, et la mise en relation avec des objets
extérieurs à leur réel.
La mise en place du débat sur l'immigration en tant
qu'évènement s'effectue directement en lien avec la conjoncture
politique, ce qui implique la prise en compte d'évènements
extérieurs apportant une plus-value sémiotique par un
ensemble de productions discursives qui permettent d'aller au-delà de la
singularité de l'évènement.
Dès lors, nous souhaitons proposer une analyse en terme
d'inter-évènementialité. Ce vocable issu du
modèle aujourd'hui connu de l'inter-textualité nous
permet de mettre en avant deux points essentiels. Tout d'abord, la construction
de l'évènement ne peut s'effectuer que conjointement à
d'autres objets présents dans un champ discursif plus large qui
viendraient « naturellement » s'immiscer dans le traitement
du nouvel évènement. Il s'agit de ne pas s'enfermer dans le
« réel » de l'évènement car les
clés de compréhension se situent également dans des objets
extérieurs. Ensuite, ce concept permet de souligner l'importance du
temps que nous formulerons à partir de la construction entreprise par
Bernard Lamizet dans son dernier ouvrage26(*) :
« L'évènement s'articule aux autres
évènements qui l'accompagnent dans le même moment de
l'histoire - c'est ce que l'on appelle son articulation à la conjoncture
- aux évènements qui lui sont conjoints. Par ailleurs,
l'évènement s'articule à d'autres, comparables, survenus
dans des conjonctures comparables ou ayant eu des conséquences
comparables - c'est ce que l'on appelle l'articulation de
l'évènement à la mémoire ».
Dans un cas comme celui de l'immigration, le recours à
l'histoire et à la mémoire impose la présence
d'évènements antérieurs qui interviennent comme des
médiations dans le temps court du débat. La variante temporelle
de l'inter-évènementialité fait sens parce
qu'elle permet de situer le traitement de la discussion parlementaire dans un
historique politique auxquelles réfèrent les identités en
confrontation.
Avec l'inter-évènementialité, on
sort de la matérialité du réel pour prendre davantage en
compte le symbolique de l'évènement, qui s'intègre
à présent dans des articulations avec d'autres types de discours.
Dès lors, « l'évènement devient un signifiant,
ce qui implique que les sujets de la sociabilité l'intègrent,
comme n'importe quelle figure, dans leurs processus de communication et de
représentation27(*) ». Dans le cas de notre corpus, nous nous
plaçons dans le réseau discursif de la « question
sociale ». Les stratégies élaborées par les
médias ont fait émerger des liaisons symboliques, avec plus ou
moins de fidélité, alors que d'autres aspects ont
été négligés.
Dans la temporalité proche du débat sur le
projet de loi CESEDA (février à juillet 2006), nous avons retenu
un ensemble d'évènements antérieurs intervenant dans
l'orientation même de la délibération politique ainsi que
dans son traitement médiatique28(*). Ils sont nombreux et leurs liens avec l'immigration
parfois complexes. Dans un premier temps, nous avons choisi de procéder
à une énumération, bien que nous ne puissions garantir une
quelconque exhaustivité tant les mécanismes temporels nous
privent de saisir l'ensemble des références. Dans un second
temps, nous détaillerons deux évènements ainsi que leur
influence dans le traitement médiatique et dans les argumentations
politiques.
Autour des problématiques de l'immigration et de
l'intégration, il est possible de rapprocher de nombreux
évènements, ce qui nous amène à faire appel
à l'actualité antérieure à juin 2006. Cela nous
permettra sans doute de mieux appréhender l'état d'esprit des
acteurs du débat. La fin de mandat du Président Chirac ne se
passe pas dans les meilleures conditions. Après une énième
crise du voile et un « débat » sur la
laïcité en 2004, le « rejet » du projet de
traité constitutionnel européen par les électeurs isola la
France sur le plan politique au sein de l'Union européenne. La question
de l'immigration, réapparue lors du décès de dix-huit
immigrés d'origine africaine dans l'incendie d'un immeuble insalubre
à Paris, fut réinvestie lors de la « crise »
des banlieues durant laquelle de nombreux acteurs gouvernementaux
attribuèrent les nuits d'émeutes aux jeunes immigrés ou
français issus de l'immigration ainsi qu'aux familles polygames. La peur
de l'islamisme, aiguë depuis les attentats du World Trade Center, fut
ravivée par l' « affaire » des caricatures de
Mahomet. Concernant les mémoires, la présentation au Parlement
d'un texte sur le rôle positif de la colonisation mis à jour les
cicatrices d'une décolonisation douloureuse. Parallèlement, des
jeunes acteurs issus de l'immigration devinrent les emblèmes de ce
combat qui prit une forme esthétique dans le film
Indigènes avant de se traduire dans une loi symbolique sur la
revalorisation des pensions des combattants des colonies. Enfin, le
débat sur l'immigration s'est déroulé conjointement
à trois autres évènements : une crise sociale majeure
portée par la jeunesse, celle du mouvement pour l'abrogation du
« contrat première embauche » (CPE) ; l'affaire
politico-financière Clearstream mettant en cause des membres du
gouvernement ; et le début de la campagne présidentielle
avec l'organisation de la désignation du candidat du Parti
socialiste.
L'ensemble de ces évènements singuliers
représente de multiples temps courts entourant notre débat qui
doivent aussi s'intégrer dans un temps long de l'immigration et de
l'intégration. Dès lors, il faudrait interroger notre histoire et
nos mémoires, celle de la colonisation, des décolonisations, la
construction d'un modèle républicain et l'avènement de
valeurs portées aujourd'hui comme les devises d'un État
démocratique moderne. Nous ferons appel à ce temps long au cours
de notre second chapitre, dans la mesure où sa force se perçoit
davantage lors des processus de construction des représentations.
La crise du C.P.E
Les deux mois de mouvements sociaux de contestation du projet
de contrat première embauche furent fortement médiatisés.
Cet évènement nous apparaît comme un élément
majeur dans l'orientation du débat sur la loi CESEDA par les
médias mais surtout dans les positions adoptées par les acteurs.
Nous faisons l'hypothèse que l'organisation du débat sur la loi
relative à l'immigration et l'intégration en tant
qu'évènement s'est produite comme le miroir du débat
public autour du CPE.
La proximité entre la sortie de crise du CPE et le
débat sur l'immigration a conduit à placer à nouveau la
question du travail comme un élément central du débat
alors que celui-ci aurait pu se tourner davantage vers des questions
humanitaires ou sociales (mariage, regroupement, droit d'asile...).
Après la victoire de la mobilisation contre le CPE, mais aussi contre le
gouvernement, la construction de l'évènement autour du
débat sur l'immigration de travail représente une transposition,
une réminiscence de l'évènement CPE.
La question du travail est une préoccupation
essentielle pour l'ensemble des Français. Face aux effets réels
de la hausse du chômage, de l'augmentation des délocalisations, de
l'échec des 35 heures et d'une croissance moyenne, la thématique
du travail s'est imposée dans le débat public sur l'immigration
dans la mesure où elle représente un dénominateur commun
pour le plus grand nombre. On perçoit donc ici ce qui a permis l'effet
de miroir entre le CPE et la loi CESEDA : le premier touche à
l'appartenance professionnelle et le second à l'appartenance nationale.
Par conséquent, ces deux débats ont abordé chacun à
leur manière une des deux composantes majeures de l'identité
politique des citoyens.
Le projet de contrat première embauche a
déclenché une mobilisation sans précédant d'une
jeunesse en quête d'un avenir meilleur. Cet évènement s'est
structuré autour de collectifs puissants menés par l'ensemble des
organisations syndicales et étudiantes. L'union des acteurs de cette
mobilisation, à laquelle on peut ajouter un soutien et un relais fort
des partis de gauche et d'extrême gauche, à permis de faire
reculer le gouvernement, mais surtout d'installer le travail comme une
thématique centrale et déclinable sur de nombreux
schémas : ce fut le cas pour l'immigration.
La nouvelle politique d'immigration proposée par
Nicolas Sarkozy aborde l'immigration de travail en acceptant des
étrangers afin d'exercer les professions pour lesquelles il n'existe pas
suffisamment de main d'oeuvre en France. Le texte précise que
« L'étranger se verra alors délivrer une carte de
séjour temporaire d'un an, renouvelable sur la durée de son
contrat de travail. A moins qu'il y ait rupture du contrat, auquel cas elle lui
sera retirée ». En outre, le projet amorce implicitement
l'instauration de quotas, ainsi le gouvernement indiquera chaque année
au Parlement « à titre prévisionnel le nombre, la nature et
les différentes catégories de visas de long séjour et de
titres de séjour » pour les trois années suivantes, «
en distinguant en particulier l'admission au séjour aux fins d'emploi,
aux fins d'études et pour motifs familiaux » et « en tenant
compte de la situation démographique de la France, de ses perspectives
de croissance, des besoins de son marché de l'emploi et de ses
capacités d'accueil » en matière de logement,
d'éducation, de services publics. La loi crée aussi une carte
« compétence et talents » pour « faciliter
les conditions d'admission au séjour des étrangers susceptibles
de participer de façon significative au rayonnement de la
France ».
Pour toutes ces raisons, la lutte s'est engagée contre
une immigration qualifiée de « jetable ». Le combat
associatif et syndical qui a saisi la thématique du travail a
reçu une couverture massive et plutôt favorable dans les
médias et, à terme, dans l'ensemble de l'espace public. Beaucoup
de médias s'attendaient alors à vivre un
« CPE-bis ». A partir de ce moment, le travail est devenu
un sujet de discussion majeur tout au long du débat29(*). La médiatisation en ce
sens a eu pour effet d'occulter les autres mesures du projet de loi :
débat sur l'asile, sur l'outre-mer, sur l'intégration, sur le
regroupement familial. Dans le texte, l'immigration de travail concerne
pourtant moins d'une dizaine d'articles alors que le projet de loi en comporte
84.
La reconduction du type d'acteur institué lors du
CPE
En premier lieu, il convient d'analyser l'instauration par les
médias du monde associatif comme moteur du mouvement d'opposition. Alors
que les mobilisations émergent habituellement d'acteurs singuliers ayant
accès à l'espace public, les prémisses de la mobilisation
se construirent sur les restes encore tenaces des opposants au CPE. C'est par
conséquent un collectif politique, à la fois trop
hétérogène dans sa forme et trop complet du point de vue
du nombre d'acteurs qui a été désigné pour mener la
lutte. En effet, plus d'une centaine d'associations se sont regroupées
au sein du collectif « Uni(e)s contre une immigration
jetable ».
Dès décembre 2005, Le Monde a
interrogé des personnalités associatives sur le projet de
loi : Olivier Brachet pour Forum Réfugié, Pierre
Tévanian du collectif LMSI (Les mots sont importants), Claire Rodier du
GISTI (Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés).
Le mois suivant, les trois quotidiens retenus dans notre corpus ont
évoqué différentes associations : Cimade (Service
oecuménique d'entraide, LDH (Ligue des Droits de l'Homme), MRAP
(Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples),
9ème collectif des sans-papiers... Le traitement
médiatique se concentrera sur les déclarations du ministre de
l'Intérieur jusqu'au mois de mars, mois au cours duquel on peut
constater un basculement. En effet, les articles se font plus nombreux à
l'approche du débat parlementaire, mais la poursuite du mouvement contre
le CPE est aussi en train de prendre une échelle inédite. C'est
pourquoi le collectif « Uni(e)s contre une immigration
jetable » va être institué comme un interlocuteur unique
et comme l'acteur collectif le plus représentatif de cette nouvelle
mobilisation de citoyens encore préoccupés par la question du
travail. Dans les faits, ce collectif émane du GISTI, et Claire Rodier,
juriste du GISTI, en devient naturellement le porte-parole. Il s'est
constitué en fédérant la plupart des acteurs de la lutte
contre le CPE et à reçu le soutien des principales associations
de défense des étrangers, des immigrés ou des droits de
l'Homme, ce qui a permis une légitimation immédiate au regard des
médias.
Il est intéressant de voir que l'émergence de ce
collectif a conduit à un effacement des identités politiques de
chaque syndicat, groupe ou association pour se fondre en une entité
unique, sans un porte-parole particulier. Les médias ont veillé
à instituer un collectif et n'en ont pas fait ressortir une quelconque
personnalité, reprenant une énonciation identique à celle
élaborée lors du récit sur le CPE. Nous constatons
finalement la création d'un espace public de l'opposition au sein duquel
règne l'indistinction, dans la mesure où l'on ne peut pas en
dissocier les acteurs, et parce que l'ensemble des participants partagent un
fragment d'idéologie en commun, une représentation d'une
immigration juste et l'imaginaire d'une immigration équitable et
réussie. Ce fait est nouveau car la communication des associations
existait jusqu'à présent dans l'espace public à travers la
voix d'une personnalité militante ou politique. Certes des
individualités reconnues composent ce collectif, elles prennent la
parole en tant qu'experts, mais la voix des associations est pour la
première fois une et collective. Si bien que cela vient troubler les
acteurs traditionnels de l'espace public. Nous émettons deux
hypothèses à ce propos. La première, la moins probable,
serait qu'avec un message simple et un relais médiatique puissant, le
mouvement associatif se soit mû en un élan citoyen. La seconde
serait que l'hétérogénéité des
identités et la puissance de certaines associations participant au
collectif Uni(e)s contre une immigration jetable ait eu pour conséquence
de neutraliser un quelconque leadership dans le mouvement pour
seulement relayer des idées précises et partagées. Cette
dernière option reviendrait à relativiser fortement les
capacités de proposition et de réflexion de ces structures sur le
long terme.
De « Jeunes et Jetables30(*) » aux travailleurs
immigrés jetables
L'évènement CPE s'est trouvé reproduit
dans celui du débat de l'immigration. La recette semble la même et
les effets dans l'espace politique seront rapidement reformulés tant par
les médias que dans les interventions des parlementaires. Le vocabulaire
militant et les slogans sont largement réemployés par les
quotidiens : ainsi le 10 février 2006, l'Humanité
évoque les « bons et les mauvais immigrés »
alors que Libération consacre une double page :
« Etrangers bienvenus si souhaités ». En plein coeur
du débat, Le Monde parlera de « la lente course
d'obstacle des immigrés », Libération
ironisera sur « l'étranger passé au tri
sélectif » alors que l'Humanité attaquera
durement « Cette loi qui crée des sous-citoyens ».
Le vocabulaire volontairement imagé fonctionne comme le rappel des
argumentations simples des associations pour lesquelles l'emploi d'un
vocabulaire hautement symbolique et imagé permet de diffuser simplement
un message clair et fédérateur.
Dans son premier communiqué31(*), le collectif
« Uni(e)s contre une immigration jetable » dénonce
rapidement une perspective utilitariste :
« Le document de travail du gouvernement daté
du 18 décembre 2005 qui prépare une nouvelle réforme du
Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit
d'asile (CESEDA) peut être qualifié d'inhumain. Il conduit
à une négation radicale des droits fondamentaux de la
personne.
Le projet s'inscrit délibérément dans une
perspective utilitariste. Ne sera acceptable en France que l'étranger
perçu comme rentable pour son économie. Ni sa personne ni sa
situation personnelle ne lui confèreront désormais de droits, au
point que les régularisations deviendront quasi impossibles. Quant
à l'acquis de plus de vingt ans de la carte de résident, le
projet poursuit l'entreprise de son démantèlement. »
Ce message est très largement amplifié par les
organisations syndicales. Celles-ci sortent revivifiées et
légitimées après plusieurs âpres combats et se
lancent entièrement sur la thématique du travail. Force
ouvrière rappelle que « les travailleurs ne sont pas une
marchandise32(*) » :
« Ne considérer les travailleurs que du point
de vue de leur utilité économique éventuelle, en faisant
peser sur eux la crainte permanente de la perte de l'autorisation de
séjour ou de résidence et en durcissant la possibilité de
vivre en famille relève, pour FO, d'une logique de stigmatisation
contraire à l'esprit républicain et rend plus difficile, pour les
travailleurs migrants résidant régulièrement en France, la
possibilité de s'intégrer. »
Pour l'Union nationale des étudiants de France il n'est
pas « acceptable » que l'étranger soit perçu
comme rentable pour l'économie française. La CGT dénonce
pour sa part la main d'oeuvre corvéable que représentent les
sans-papiers pour le patronat :
« Ne nous trompons pas : ces étrangers
non régularisables resteront pour la plupart en France, parce que les
expulser tous n'est la volonté ni du gouvernement, ni du patronat. En
effet, ce dernier disposera d'une main-d'oeuvre exploitable sans aucun
contrôle, sans aucune limite, sans aucune possibilité de se
défendre.
Ceci permettra au patronat d'accroître la mise en
concurrence de tous les salariés, favorisant les divisions, pour son
plus grand profit. De fait, l'ensemble des salariés verront leurs
conditions de travail et de rémunérations
« tirées vers le bas » 33(*). »
Si le mouvement luttant contre la représentation de
l'immigré comme une marchandise a été instauré
comme un acteur important, il existe une nouvelle contamination
sémiotique, un nouveau débordement qui se déroule cette
fois dans le cadre parlementaire. A partir du modèle du CPE, les
députés du Parti socialiste et du Parti communiste ont
porté la voix de la rue dans l'hémicycle. Le traitement de ce
débat par les élus s'est construit, dans le temps long d'une
opposition, comme le second moment du CPE. Ainsi, le 25 avril 2006, Laurent
Fabius (PS) écrit dans une tribune du Monde :
« En réalité, la proposition du CPE et
celle de l'« immigration choisie » suivent un même fil rouge :
la précarité. Ce que le gouvernement a voulu faire avec les
jeunes, il cherche désormais à l'imposer aux étrangers :
moins de droits et plus d'insécurité, avec, au total, le
même risque de désordre. »
Pour renforcer leur soutien au mouvement, trois
secrétaires nationaux du PS signent avec Kader Arif une tribune dans
Libération reprenant pour titre le slogan associatif :
« Non à l'immigration jetable ». Dès lors,
c'est la voix des opposants qui entre à l'Assemblée nationale. La
communication politique socialiste est à ce moment là très
développée. Ce parti qui doit reconstituer sa base
électorale procède à une re-présentation
élective au sens strict.
Un combat parlementaire analogue à la mobilisation
contre le CPE
L'ensemble de l'argumentation d'opposition se construit
à partir des axiomes simples présentés par le ministre de
l'Intérieur. Ainsi, sa politique de quotas se justifie par la
nécessaire liberté de l'État dans ses choix d'accueil.
L'extrait ci-dessous nous permet de voir comment son propos fut justifié
lors de l'ouverture du débat à l'Assemblée nationale le 2
mai 2006 :
« Ma conviction est que, comme toutes les grandes
démocraties du monde, la France doit pouvoir choisir non seulement le
nombre des migrants qu'elle accueille, mais aussi les objectifs et les
conditions dans lesquels elle le fait.
L'immigration choisie est le contraire de l'absence
d'immigration. C'est aussi le contraire de l'immigration subie - subie par les
Français et par des migrants qui ne trouvent en France que
l'échec. Elle crée d'abord la possibilité pour
l'État de fixer des objectifs quantifiés d'immigration afin de
déterminer la composition des flux migratoires, dans
l'intérêt de la France comme dans celui des pays
d'origine. »
La reprise de l'argumentation autour du travail et de
l'évènement CPE se produit en trois temps au sein de
l'hémicycle. Dans un premier temps, le recours au CPE permet à
l'opposition d'insister sur la situation délétère de la
conjoncture politique, elle brandit le retrait du CPE comme un trophée
qui rappellerait son récent succès. Ainsi Bernard Roman (PS)
entame le débat sur ce mode :
« - M. Bernard Roman. Monsieur le ministre
d'État, six mois presque jour pour jour après les graves
événements qui ont secoué nos banlieues, et au lendemain
des manifestations étudiantes qui vous ont conduit à retirer le
CPE,...
- M. Claude Goasguen. Cela
commence bien !
- M. Bernard Roman. ...voici que vous soumettez
à la représentation nationale un nouveau texte qui, sous couvert
d'intégration, tend à durcir encore les conditions de vie des
immigrés dans notre pays. Il s'agit du second texte en trois ans sur le
même sujet, d'un deuxième tour de vis, comme si vous souhaitiez
rythmer ainsi votre parcours ministériel ».
Il est aussitôt suivi par la députée
communiste Muguette Jacquaint (PCF) qui dresse alors un lien étroit
entre les différentes lois :
« Cette mesure va d'ailleurs de pair avec une autre
disposition selon laquelle la rupture du contrat de travail entraîne ipso
facto le retrait du titre de séjour qui lui était lié.
C'est à proprement parler l'invention de l'immigré
« kleenex » !
Le gouvernement demeure donc dans la même logique
qu'avec le CNE et le CPE, à savoir la précarité
généralisée pour les salariés. L'esprit est en
effet le même : au « jeune jetable » du projet
de loi sur l'égalité des chances fait suite
l'« immigré jetable », qui peut être un jeune,
du projet de loi sur l'immigration.
Les députés communistes et républicains
espèrent de tout leur coeur que ce texte subira le même sort que
le CPE. (Applaudissements sur les bancs du groupe des
député-e-s communistes et républicains et du groupe
socialiste.) »
Lors d'un second temps, la mobilisation contre le CPE,
reconstituée au sein du collectif Uni(e)s contre une immigration
jetable, permet à l'opposition de conforter ses positions en s'appuyant
sur un mouvement populaire. Le nombre important des acteurs du collectif et
leur hétérogénéité permettent aux
socialistes de se positionner dans une stratégie de rassemblement.
Bernard Roman (PS) use notamment de cette mobilisation pour renforcer son
argumentation :
« Plus de 500 organisations se sont
regroupées, au sein d'un « Collectif contre l'immigration
jetable », pour défendre les droits fondamentaux
menacés par votre texte, combattre votre volonté de
réduire l'étranger à sa force de travail et insister sur
la nécessité de sécuriser les populations
fragilisées. La plupart des syndicats dénoncent votre approche
utilitaire et sécuritaire de l'immigration. Le Conseil des
Églises Chrétiennes, ému par l'inhumanité de ce
texte, regrette « la perspective utilitariste de cette
réforme ». »
On constate ici que dans une brève intervention, le
député du Nord combine les réactions du collectif
incontournable, celui qui fait l'évènement, mais aussi les
paroles des syndicats, et des Églises chrétiennes. La formule
« plus de 500 organisations se sont regroupées »
donne au discours politique une puissance d'opposition réelle et les
députés tendent alors à se construire une identité
de porte-parole pour tous ceux qui, pour des raisons parfois diverses,
s'opposent au projet en débat.
Dans un troisième temps, la communication parlementaire
devient plus polémique par la production d'une dénonciation
politique. On assiste à un procédé de reformulation des
thématiques associatives conjoint à une dynamique traditionnelle
d'opposition frontale qui conduit à des dénonciations fortes et
la mise en avant des oppositions idéologiques classiques à l'aide
de signifiants connotés dans le champ politique. C'est ainsi que le
député de Saône-et-Loire Arnaud Montebourg (PS) reprend une
argumentation qui se développe dans l'espace public pour la faire
aboutir sur une confrontation de représentations politiques, en partie
individualisée afin de ramener le fait politique sur le plan de
personnalités dont la simple évocation du nom permet une forte
identification symbolique.
« C'est une approche strictement économique
de l'immigration, qui réduit l'être humain,
« l'immigré choisi », comme vous dites, à sa
seule force de travail. Elle accepte le tri entre les travailleurs et organise
au profit des entreprises soucieuses d'économiser le prix du travail une
compétition déloyale permettant à celles-ci
d'éviter de mieux payer les métiers ingrats et précaires
qu'elles proposent [...]
Vous êtes, à cet égard, dans un projet
ultralibéral inspiré par les idées les plus
dérégulatrices. Vous faites alliance avec Jean-Marie Le Pen en
violant les principes régissant l'immigration familiale. Vous faites
alliance avec Laurence Parisot, en ouvrant les vannes de l'immigration du
travail et en ouvrant la compétition entre les
travailleurs. »
On assistera dans la suite du débat à un
élargissement du réemploi de l'évènement CPE dans
le discours parlementaire par le biais d'une généralisation et
d'une application à toutes les composantes de l'immigration. Ainsi le
slogan « jetable » sera décliné sur
l'ensemble des catégories de l'immigration : mariage, travail,
séjour, enfants, asile... afin de dénoncer le haut degré
de précarité des immigrés.
Nous avons montré dans cette partie l'importance d'une
analyse en terme d'inter-évènementialité. Les
deux évènements se sont mutuellement
« contaminés » en permettant la poursuite dans le
temps d'un cycle de discours. Le débat sur l'immigration s'est ainsi
déplacé sur celui du travail qui, touchant chacun dans son
quotidien, a finalement transféré le débat du thème
du contrôle de l'immigration à celui de la place de l'immigration
dans l'ensemble de la société.
Afin de poursuivre, il convient de rappeler que l'échec
du CPE a également entraîné de fortes résonances
dans le monde politique. En plus des suspicions soulevées par l'affaire
Clearstream, la contestation sociale a mis en difficulté sur le plan
stratégique le Premier ministre et le Président de la
République. Nicolas Sarkozy s'impose dès lors comme l'unique
« présidentiable » pour le parti qu'il
préside. Cet évènement doit être directement
relié au récit en cours d'élaboration de la
« course » à la Présidence de la
République.
Les élections présidentielles de 2002 et de
2007 : deux évènements déplaçant l'enjeu du
débat.
L'élection présidentielle de 2002 et celle de
2007 apparaissent comme des évènements étroitement
liés. En 2002, l'absence de la confrontation traditionnelle entre la
droite et la gauche a donné au traitement médiatique de la vie
politique la forme d'une campagne électorale continue. Les
élections présidentielles de 2002 et 2007 ont donc marqué
l'instauration de ce débat sur l'immigration et l'identité. La
surprise déclenchée par la présence du leader du Front
national au second tour a mis à jour un inconscient jusqu'alors
refoulé. L'imaginaire porté par le leader populiste s'est
transféré dans le réel de millions de bulletins de vote.
Dès lors, un débat s'est organisé dans l'espace public,
menant à la mise à l'agenda politique des axes
développés par Jean-Marie Le Pen : refus de l'immigration et
des institutions supranationales, recherche d'une identité nationale,
protectionnisme sur le capital et le travail... Une conscience
démocratique s'est réveillée pour interpréter la
« vérité » qui recouvre le succès de
tels arguments politiques.
Un projet de loi électoraliste
Ces évènements nous permettent de comprendre
l'enjeu électoral que sous-tend le projet de loi CESEDA de 2006. Cette
nouvelle loi sur le thème de l'immigration est apparue comme
électoraliste. Dans le traitement de la vie politique comme une campagne
électorale, le processus d'ouverture explicite à
l'électorat du Front national de Nicolas Sarkozy n'est pas passé
inaperçu. En effet, le président de l'UMP propose dans son texte
des mesures de fermeté en s'engageant sur des thématiques
jusqu'à présent défendues par l'extrême droite.
L'enjeu est ici celui d'une crédibilisation de l'UMP sur le débat
autour de la nationalité.
Quelques mois avant l'ouverture du débat parlementaire,
le ministre de l'Intérieur entreprit une campagne de communication
politique structurée autour de formules percutantes destinées
à provoquer un débat d'opinion sur l'immigration. Ainsi, la
phrase « si certains n'aiment pas la France, qu'ils ne se
gênent pas pour la quitter » n'est pas sans rappeler le
slogan du FN « La France, aimez-la ou quittez-la ». Le 29
mars 2006, le ministre annonce qu'il cherche « à
séduire les électeurs du FN, j'irais même les chercher un
par un, ça ne me gêne pas ». La construction du discours
réside ici sur une opposition binaire, d'apparence simpliste, mais dont
l'effet rhétorique est puissant. Il permet d'opérer une division
tout en suscitant l'adhésion grâce à la logique de la
formulation.
L'étude des discours du ministre offre un panel assez
complet des méthodes offertes par la rhétorique34(*). L'ensemble de sa
démarche est structuré sous l'égide du bon-sens et du
pragmatisme, ce qui lui permet de marquer une rupture avec l'idéologie
des échecs passés des politiques socialistes. Voici de quelle
manière il introduisit son projet de loi lors de son discours
d'ouverture à l'Assemblée nationale :
« Ma conviction est que, dans une démocratie
moderne, l'immigration n'est pas un sujet tabou. Dans tous les pays d'Europe,
l'immigration est considérée pour ce qu'elle est : un sujet
de société, une question politique majeure, engageant l'avenir
d'une nation. Dans toutes les démocraties, il est permis d'en
débattre, sans avoir à s'excuser d'un débat
extrêmement nécessaire.
Je rejette de la manière la plus nette le poncif
habituel des mouvements d'extrême droite selon lesquels il existerait des
cultures "impossibles à intégrer".
La meilleure preuve de l'équilibre du projet de loi, me
semble-t-il, est qu'il fait l'objet d'attaques virulentes aussi bien de la part
de l'extrême droite, qui m'accuse de laxisme, que de certaines franges de
la gauche, qui m'accusent de xénophobie.
Sur un sujet aussi important, puisqu'il est celui de
l'identité de la France dans trente ans, il était absolument
anormal que cela soit le leader de l'extrême droite qui fixe le cap,
même si nous le refusions, car le refuser, c'était se positionner
par rapport à Le Pen. Or, qu'est-ce que Le Pen peut faire pour incarner
l'avenir ? Rien ! Qu'est-ce que Le Pen peut faire pour incarner
l'espérance ? Rien ! »
Nicolas Sarkozy se positionne ici dans un discours
« centriste » face auquel il oppose à droite une
idéologie de l'immigration zéro et à gauche une
idéologie laxiste. En vidant la thématique de l'immigration de
l'ensemble des composantes de sa récente histoire politique, il en vient
à affirmer qu'il est le seul à présenter une alternative
crédible au Front national.
De telles interventions ne seront pas sans
répercussions dans l'espace public. On peut constater ici que la parole
a valeur d'évènement. Les quotidiens que nous avons
sélectionnés ont vivement réagi aux interventions du
ministre. En effet, cela vient renforcer le thème de l'immigration
jetable en démontrant que les fondements du projet de loi visent
à capter un électorat ciblé. Les lecteurs vont à
nouveau être institué comme acteurs d'un refus de
l'extrémisme. A partir des quelques éléments dont nous
disposons, nous pensons que la couverture médiatique de ce débat
a fortement contribué à construire une image négative de
Nicolas Sarkozy. En effet, le lien entre l'UMP et le FN a été
présenté sous la forme d'un mimétisme, d'une pâle
copie construite visant à toucher l'inconscient de la
« majorité silencieuse ». Dès le mois de
décembre, Le Monde évoque « Le Pen dans le
texte... des autres » avant de titrer « Sarkozy drague les
électeurs du Front national » après son intervention
sur la nécessité d'aimer la France. Le premier quotidien
français se constituera comme une véritable opposition politique
jusqu'à la fin du débat où, en le plaçant
« sur les traces de Pasqua », les journalistes estiment
qu'il « renoue avec la conviction qui, dans les années
1984-1997, a nourri à la fois la frénésie
législative, les venimeuses surenchères sur l'immigration et la
renaissance de l'extrême droite ». Selon
Libération, on ressent « À droite, le bruit et
l'odeur de la xénophobie », le journaliste Antoine Guiral
souligne que « Nicolas Sarkozy, comme Philippe de Villiers, braconne
sans complexe sur les terres du Front national ».
Il nous faut également aborder l'existence même
du projet de loi discuté en avril 2006 qui doit être relié
à l'élection de 2007. La question des migrations peut faire
l'objet d'un traitement par la voie réglementaire, comme ce fut le cas
en 2000, ou comme c'est ici le cas par une loi35(*). Mais nous pouvons nous étonner que cette
« nouvelle politique de l'immigration » annoncée par
Nicolas Sarkozy ne se fonde pas sur une loi-cadre mais autour de quelques
formules seulement. Cette loi est électoraliste, et elle offre au
gouvernement un espace de communication et de structuration des
identités très important.
Le discours parlementaire est le moment symbolique de la
représentation au cours duquel une communication est mise en
scène dans le cadre des discussions préalables au vote. Comme
nous l'avons montré précédemment avec l'exemple du
député Montebourg, cette communication repose souvent sur une
rhétorique d'oppositions binaires pour marquer dans l'espace discursif
les clivages symboliques. Comme le souligne Bernard Lamizet,
l'élaboration de la loi est une activité de communication, c'est
pourquoi la parole fonde la sémiotique du fait politique. C'est le temps
de l'échange de signifiants permettant aux destinataires d'y adjoindre
des « formes symboliques de l'actions politique ». La
majorité a ainsi bénéficié à la veille d'une
élection importante d'un espace de visibilité conséquent
nécessaire à la diffusion de représentations
destinées à une partie ciblée de l'électorat.
Le malaise du PS sur le terrain de l'immigration
Notons que cette situation place l'opposition dans une
situation complexe dans la mesure où un débat imposé sur
un texte déjà porteur d'une volonté de communication
l'oblige à débattre à partir d'un objet non avoué.
Par exemple, lorsque Bernard Roman (PS) déclare que
« ce texte est inutile car l'essentiel de ce que vous appelez
l'immigration choisie pouvait être traité par voie
règlementaire. Ce texte est dangereux car il remet en cause un certain
nombre de valeurs qui fondent la République française», le
ministre de l'Intérieur répond : « Je
relève tout de même une faille dans son raisonnement. Il a soutenu
l'idée que nous pourrions réformer par simple circulaire. Cela
est très surprenant de la part d'un législateur. Qui pourrait
nous en vouloir de porter le débat démocratique devant
l'Assemblée nationale ? Convenons d'ailleurs qu'il est parfaitement
anormal que l'immigration ne fasse pas plus souvent l'objet de débats au
Parlement ».
Revenons un instant sur la situation de l'opposition. La
fusion du débat sur l'immigration dans le cours du récit de la
campagne électorale a placé le Parti socialiste dans une
situation délicate. A peine sorti du débat sur le CPE et en plein
processus de désignation de son candidat pour les élections
présidentielles, le PS s'est trouvé dépourvu d'une
argumentation d'opposition crédible sur le thème de
l'immigration36(*). Tout
d'abord, le dépôt en urgence d'un deuxième texte en un
même mandat, quelques mois avant la fin de la session parlementaire, a
pris de court le groupe socialiste. De plus, alors que le PS proposait
jusque-là un traitement européen de la question migratoire, deux
autres évènements, le Non au référendum en 2005 et
la position de la France dans l'Union viennent discréditer la
thèse de critères d'immigration élaborés en
concertation avec les partenaires de l'espace Schengen.
Sans nous appesantir, notons que le traumatisme du 21 avril
2002 est venu déstabiliser ce parti sur le thème de
l'immigration. Alors que le gouvernement Jospin n'a pas mené à
bien la question du vote des étrangers ni celle de Sangatte, un
imaginaire de laxisme et d'incompétence du Parti socialiste sur cette
question a été construit par les médias et renforcé
par la majorité de droite durant ce débat. Les socialistes ont
d'ailleurs peiné à se légitimer par des actions
symboliques, c'est pourquoi ils se sont tournés vers le collectif
Uni(e)s contre une immigration jetable. Il est intéressant de prendre en
compte le discours médiatique à ce propos. Celui-ci se compose
comme un commentaire qui vient qualifier la stratégie symbolique
établie par le Parti socialiste. C'est principalement le quotidien
Libération qui évaluera sa position symbolique dans
l'espace public du débat. Ainsi, dans un article intitulé
« Le PS s'indigne, mais pas trop fort »,
l'énonciation journalistique offre un aperçu du positionnement
socialiste en en soulignant les divisions sur le fond. En évoquant
« Un PS bien discret sur le projet de loi Sarkozy »,
Libération rappelle que « posture d'opposants oblige,
les socialistes se déclarent largement contre le projet de loi.
Toutefois, aucun ne semble prêt à entonner le discours de
l'extrême gauche lorsqu'elle demande la régularisation de tous les
sans-papiers. Et, sur le fond, le projet socialiste est assez
flou ».
Le malaise, le flottement sémantique que propose le PS
dans l'espace public est expliqué par l'absence d'un consensus interne
et l'échec de certaines mesures lorsque la gauche était au
pouvoir. Dès lors, la majorité UMP s'emploie à relever les
contradictions et autres indécisions dans les rangs de l'opposition.
Nicolas Sarkozy procède tout d'abord à une mise en avant de
l'absence de propositions, et n'hésite pas à rappeler que de
nombreux leaders socialistes tels Dominique Strauss-Kahn, ou Malek Boutih sont
favorables au principe des quotas qu'il défend :
« Mon seul regret est que sur un sujet aussi
essentiel que la politique d'immigration, le Parti socialiste ait
été dans l'incapacité de proposer des mesures positives,
se bornant à présenter des amendements de suppression.
Certes, j'ai noté que quelques voix raisonnables
avaient fait des propositions au sein du Parti socialiste. J'ai pris
connaissance avec grand intérêt des travaux inventifs de
M. Malek Boutih, membre de la direction du Parti socialiste et partisan
d'une régulation quantitative de l'immigration. J'ai entendu
également des propos très raisonnables de la part de
M. Manuel Valls et de M. Bruno Le Roux, mais je regrette que
leurs voix n'aient guère porté jusqu'à la rue de Solferino
et qu'elles n'aient pu trouver de traduction sous la forme
d'amendements. »
Le rappel de la pression électorale est constant,
d'autant que ce type de remarque est largement relayé dans les
médias, en particulier Libération. Le
député Richard Mallié (UMP) se plait à caricaturer
en expliquant que « la différence entre les deux
côtés de l'hémicycle est très simple : en face,
on est laxiste et angélique ». Pour sa part
Jérôme Rivière (UMP) se permet de défier la gauche
sur son absence de position claire :
« En tant que membre de la majorité, je suis
particulièrement déçu de voir que l'opposition ne fait pas
de propositions. Nos concitoyens ne sont pas dupes. Ils écoutent, ils
regardent et ils savent qu'il n'y a rien à attendre de la gauche, alors
qu'il s'agit d'un sujet capital qui mériterait un peu plus de
sérieux et un vrai débat parlementaire de
fond ».
Au total, plus d'une trentaine d'interventions de membres du
gouvernement ou de députés de la majorité viendront
construire une di-vision de l'action politique sur l'immigration. Dans cette
situation, l'argumentation des élus socialistes va les mener à se
recentrer sur les valeurs de la République. Face à des
éléments techniques, l'opposition de gauche formula ses
interventions à partir de l'idéal républicain, du
nécessaire respect des droits de l'humain, de la liberté
individuelle ou de la devise nationale. Par ailleurs, ils individualiseront
leurs interventions en prenant des exemples très précis de
travailleurs étrangers, de sans-papiers expulsés afin de
crédibiliser leur travail de terrain et de noyer un dialogue
général dans des cas particuliers.
La pression pré-électorale des mouvements
associatifs
Le temps de la campagne présidentielle influe
également sur le rapport des acteurs politiques avec les acteurs et
militants associatifs. En observant le fort mouvement d'associations
plutôt proches de la gauche, nous avons constaté que leur discours
s'est orienté principalement vers les parlementaires PS et PCF alors que
les groupes politiques élaboraient leur programme présidentiel.
Nous interprétons cela comme une transposition de l'enjeu
électoral dans le débat qui permit l'instauration au sein de
l'espace public d'une véritable opération de
lobbying.
Comme le rapporte Libération, cet enjeu influe
directement sur le cours du débat :
« A l'approche de la présentation de
l'avant-projet de loi à l'Assemblée, le PS va pourtant devoir se
positionner. Le collectif Uni(e)s l'y pousse, qui a besoin des
députés socialistes pour mener la bataille contre ce texte.
« Le Parti communiste est à nos côtés, c'est
important, mais si le PS ne se mouille pas davantage qu'en 2003, on peut dire
que c'est fichu...» prévient Catherine Teule,
vice-présidente de la Ligue des droits de l'Homme37(*) ».
Les associations ont de fortes attentes envers le premier
parti d'opposition, et lui font savoir par la médiation de la presse.
Les quotidiens, en produisant une information sur les motivations des
collectifs associatifs, deviennent un carrefour de médiation au sein de
l'espace public. Ainsi, dès qu'une manifestation est organisée,
Libération interpelle ostensiblement les dirigeants
politiques :
« Verra-t-on les ténors du Parti socialiste,
dimanche, place de la République à Paris, pour le premier grand
rassemblement organisé par le collectif « Uni(e)s contre une
immigration jetable » opposé au projet de loi Sarkozy relatif
à l'immigration et à l'intégration ? Ce serait une
première. Pour l'instant, la présence des dirigeants du PS lors
des précédentes manifestations a été, en effet,
plus que discrète ».
Par ailleurs, les grandes associations nationales ont
effectué un important travail au niveau local afin de faire pression sur
les parlementaires de gauche. A titre d'exemple, le Réseau
éducation sans frontières (RESF) a interpellé par une
lettre ouverte l'ensemble des élus PS, PCF, Verts de Clermont-Ferrand
pour obtenir leur soutien. Le succès de l'ensemble de ces actions
cumulées se retrouve dans les interventions au Parlement. Ainsi, Serge
Blisko souligne la collégialité de sa démarche :
« Nous avons procédé à des
consultations auprès des syndicats et des associations, notamment le
collectif « Non à l'immigration jetable ». Et il
faut bien voir que derrière ces chiffres, il y a des situations humaines
concrètes : des individus vont devoir remplir des objectifs
quantitatifs pluriannuels déterminés par le
gouvernement ».
Noël Mamère (Les Verts) renvoie pour sa part le
seul recul du gouvernement sur un article du projet de loi à une
nouvelle victoire de l'opinion publique :
« Monsieur le président, monsieur le ministre,
chers collègues, nous ne pouvons que nous féliciter de voir le
gouvernement reculer sous la pression non seulement des Églises, mais
aussi des 461 associations et partis politiques réunis dans le collectif
« Uni(e)s contre une immigration jetable ». Nous avons eu
raison de nous mobiliser pour alerter l'opinion publique et attirer l'attention
- comme nous l'avons fait hier soir et ce matin encore - sur ce qui n'est qu'un
bricolage idéologique ».
Les associations ont apporté une valeur ajoutée
à l'identité politique des partis parlementaires en mettant en
avant des analyses de terrain et des propositions pour la
société. Les appartenances politiques n'apparaissent plus
basées sur une appartenance à une catégorie sociale, mais
se concentrent autour d'un projet politique commun sur la thématique de
l'immigration. Elles transcendent les partis politiques dans la mesure
où elles regroupent un ensemble d'acteurs engagés de
manière individuelle et ajoutent une communication influente dans le
débat public.
En outre, la formation des identités politiques
associatives a été rendue possible grâce à
l'incarnation par Nicolas Sarkozy de l' « adversaire
idéal ».
L'individualisation dans le combat politique
électoral
Suite à la « mort politique » de
Dominique de Villepin après l'échec du CPE, le ministre de
l'Intérieur a été institué comme l'unique candidat
potentiel de la droite pour les élections présidentielles. Comme
nous l'avons montré plus haut, l'énonciation journalistique a
entamé un cycle de dénigrement de la personnalité par un
rapprochement avec Jean-Marie Le Pen. Dès lors, les attaques de
l'opposition s'effectuant auparavant à l'encontre de
l' « Etat-UMP » se sont concentrées sur la
seule personne de Nicolas Sarkozy. On assiste ici à une
individualisation du fait politique au service d'une stratégie à
long terme. Nicolas Sarkozy se voit institué par ces attaques comme un
leader et il se défend dès lors d'un projet de loi
électoraliste en se positionnant comme garant des institutions :
« À ceux qui me déconseillaient de déposer un
projet de loi sur l'immigration en raison de la proximité des
élections, je réponds que, bien au contraire, dans la
démocratie, c'est par le débat qu'on tire la réflexion
vers le haut ». L'opposition réinvestie pour sa part
l'énonciation journalistique, ce qui introduit les médias au
coeur du débat parlementaire. Dans un premier temps, le discours
parlementaire associe les critiques envers l'immigration choisie à la
seule personnalité de Nicolas Sarkozy avec un recours important à
la seconde personne du pluriel lors d'interpellations dans l'hémicycle.
Ainsi Bernard Roman (PS) effectue une attaque sur la personne avant d'aborder
le projet de loi :
« - M. Bernard Roman. Nous
dénonçons cette confusion des genres : vous utilisez vos
responsabilités ministérielles pour vous tracer des perspectives
électorales.
- M. Serge Blisko. Eh oui !
- M. Bernard Roman. Cela ne facilitera pas,
l'année prochaine, votre argumentation sur la rupture. Vous aurez du mal
à convaincre l'opinion...
- M. Marcel Bonnot. Et vous ?
- M. Bernard Roman. ...que vous êtes vierge du
bilan de ce gouvernement, après avoir autant contribué à
sa boulimie législative !
- M. Bernard Roman. Vous vous inscrivez dans une
remarquable continuité. Il y a vingt ans, votre ami Charles Pasqua
affirmait que les valeurs de la droite étaient les mêmes que
celles de l'extrême droite.
- M. Bernard Roman. Nous sommes là dans un
domaine nauséabond, mais aussi dans l'inflation des lois d'affichage,
dénoncée récemment par le président du Conseil
constitutionnel.
« Oui, je cherche à séduire les
électeurs du Front national, j'irai même les chercher un à
un, cela ne me gêne pas », annonciez-vous dans Le
Parisien du 29 mars. Et vous avez ouvertement repris devant vos
admirateurs, le 22 avril dernier à Paris, ces slogans de
l'extrême droite et de son leader, eux-mêmes transposition
d'anathèmes venant tout droit des États-Unis lors de la guerre du
Vietnam. Pour un homme qui se veut l'incarnation de la rupture, vous n'innovez
pas ! »
Dans notre mode d'application de la démocratie, celui
de la représentation, le peuple s'incarne dans des sujets, mais il y a
une surdétermination de l'individuel par le collectif. Les sujets qui
représentent symboliquement les citoyens au Parlement doivent agir dans
une logique d'identité collective. Ils sont investis par leurs pairs
pour représenter le réel de la société dans le
symbolique du champ politique. Mais la stratégie socialiste consiste
à renverser ce phénomène pour attribuer des faits
politiques construits par le collectif à un individu singulier, en
l'occurrence Nicolas Sarkozy. Finalement, c'est la délibération
politique collégiale qui est assimilée par la stratégie
discursive de l'opposition au processus de décision. Ce dernier repose
sur une distinction des autres acteurs par la mise en oeuvre de la
singularité dans le processus de passage du symbolique au réel.
En outre, cette charge discursive concentrée sur une
individualité trouvera un écho dans les mouvements associatifs et
libertaires « anti-Sarko » apparus lors de la crise des
banlieues. Ceux-ci prendront leur essor et se cristalliseront dans la lutte
contre ce projet de loi. On constate alors que ces mouvements de confrontation
radicale ne peuvent se constituer qu'à partir de l'individualisation du
fait politique, à laquelle leur existence est liée. Ils
présentent des caractéristiques qu'il serait intéressant
d'étudier, en particulier la manière avec laquelle leur immense
production sémantique sert la diffusion d'un imaginaire.
Ces deux exemples très détaillés nous ont
donc permis de montrer l'importance de
l'inter-évènementialité dans la construction
sémiotique du débat sur la loi CESEDA. Le débat aurait
été bien différent sans la crise du CPE, peut-être
n'aurait-on pas abordé autant la composante de l'appartenance
professionnelle de l'identité politique, et si les élections
présidentielles n'avaient pas été aussi proches, ce
débat n'aurait peut-être simplement pas eu lieu.
Les autres exemples sont nombreux, et nous aurions
également pu faire un dernier développement concernant la crise
des banlieues, autre crise sociale de la fin de l'année 2005. Dans ce
cas, il aurait été intéressant d'envisager l'amalgame
produit entre immigration et violence urbaine. Une intervention du ministre
Christian Estrosi résume à elle seule la tonalité du
propos : « Quand on a l'honneur de détenir une carte de
résident ou une carte de séjour, on n'a pas à brûler
des voitures dans les rues ! ».
Le débat doit donc être analysé
conjointement à des évènements qui l'entourent dans le
temps ou lui ressemble dans la forme. Cette dimension est un fondement d'une
meilleure approche de l'espace public. Ainsi, c'est en partant de
l'énonciation médiatique, véritable rouage instigateur de
ce lieu symbolique, que l'on appréhende le mieux une construction.
Après la description du déroulement et de
l'espace de ce débat, nous allons aborder dans une seconde partie le
contenu symbolique et esthétique investi dans les discours en nous
attachant à définir les contours actuels des
représentations de l'immigration.
Chapitre 2
Les représentations de l'immigré,
symboles d'une xénophobie inconsciente.
L'espace public du débat sur l'immigration n'est pas
seulement l'agora, le lieu réel de la prise de décision. Il
s'agit aussi et surtout d'un espace symbolique où les acteurs
confrontent et échangent leurs représentations à travers
leurs discours et leurs productions esthétiques. Selon Bernard Lamizet,
« la dimension politique de la sociabilité consiste justement
dans la reconnaissance d'une signification et d'une consistance symbolique de
l'espace public ».
Nous postulons que la façon dont les acteurs parlent de
l'immigration est significative de la place à partir de laquelle ils
l'envisagent. Dès lors, il apparaît intéressant de
s'attarder sur les vocables mobilisés lors de ce débat public.
Les députés sont très rigoureux sur le champ
sémantique, mais nous allons montrer que transparaissent parfois des
raccourcis, des éléments de langage révélateurs
d'un certain inconscient.
Nous commencerons par traiter le lien entre imaginaire et
immigration avant de discuter son lien avec la vérité, puis nous
balayerons l'évolution récente des représentations de
l'immigré en nous appuyant sur les interventions dans le débat
public.
I. Imaginaire et fantasme
Représentations de l'immigration et imaginaire
Le traitement de la question de l'immigration lors du
débat est fondamentalement lié à la question de
l'identité. De ce fait, il nous apparaît nécessaire de
commencer par développer l'articulation du symbolique et de l'imaginaire
autour de la question centrale de l'identité. L'identité
représente la convergence de ces deux niveaux. L'ordre symbolique
articule un signifiant, ce que Lacan nommait le lieu de l'Autre38(*), avec le
« ça » freudien, alors même que l'imaginaire
projette le sujet vers l'idéal de son « autre-moi ».
Avec la thématique migratoire, cette double articulation de
l'identité nous conduit à la reformuler pour mieux envisager le
concept d'altérité et la médiation entre singulier et
collectif. En articulant notre questionnement sur les représentations
avec la notion d'imaginaire, nous pourrons par la suite montrer en quoi
l'élaboration des significations est à l'origine des fantasmes
sur la question migratoire.
Rapport à soi, à l'Autre, au monde, le
thème de l'immigration nous conduit à aborder les questions de
l'identité et de l'altérité. Nous allons présenter
en quoi le je conduit à articuler le sujet dans sa dimension
singulière et collective à travers ces deux concepts.
L'altérité, c'est la reconnaissance de l'autre
dans sa différence. L'altérité psychique se joue dans le
lieu de la communication intersubjective, dans l'espace du miroir39(*). Ce stade formateur du
je ne peut se mettre en place qu'en présence de l'autre, et
c'est plus précisément dans la relation à l'autre,
à un autre je, que se développe l'altérité
du sujet. En effet, le sujet étant social, il lui est impossible de
prendre conscience de son je seul. Cependant, il n'y a pas de relation
réelle mais une relation entre deux images, le rapport d'un moi
à un autre moi relève de l'imaginaire. Et c'est donc par
l'identification à « l'imago du semblable » que se
joue la dialectique « qui dès lors lie le je à
des situations sociales élaborée ». Dans sa
théorie du sujet et de l'identité, Jacques Lacan souligne
également qu'il n'y a pas d'inconscient sans langage. Il met en place
l'instance de l'Autre, lieu du signifiant qui structure l'inconscient
dans l'ordre symbolique, en soulignant que cette représentation fonde
alors une relation de manque dans la transaction de son propre message entre le
Sujet et ce grand Autre.
A l'altérité psychique, il importe d'ajouter
une altérité politique. Bien évidemment, nous sortons
dès lors de l'intersubjectivité pour retrouver un processus
reposant sur l'identité politique. L'altérité politique
doit en effet être considérée comme la reconnaissance
sociale d'une autre identité collective dans sa différence. C'est
cette altérité qui est en jeu dans le phénomène
migratoire, et qualifiée par ce « Nous et les
autres », une dialectique entre endogroupe et exogroupe40(*).
Il faut désormais que nous traitions de
l'identité. Comme pour l'altérité, elle comporte plusieurs
paliers. Ainsi, il existe tout d'abord l'identité personnelle,
individuelle. Elle repose dans une médiation entre la singularité
du sujet et le politique présent dans l'espace public. Cette
identité renvoie l'image de son prochain, et le professeur Féline
souligne que dans ce niveau imaginaire, le rapport à autrui repose sur
« une compétition dans le fait de savoir de quel
côté se situe l'idéal41(*) ». Enfin, l'identité politique doit
se penser comme une dialectique entre une vérité
singulière et le politique qui apporte ses lois, ses normes, ses
représentations car le sujet a sa vérité propre, mais
aussi son identité collective.
On place dans la dimension collective de l'identité
politique ce que certains nomment l'identité sociale et
l'identité culturelle. Dans une dimension de dialogue, elle implique
l'ensemble des traits communs qui s'imposent au sujet, mais qui sont
également partagés par les membres des groupes d'appartenance du
sujet. Ainsi, une association regroupe des individus qui partagent certains
traits et un même projet politique. Cette identité symbolique
permet d'identifier le sujet de l'extérieur et « fonde la
permanence de son être » : règles, normes, valeurs,
mais aussi les éléments de l'histoire, de la famille, de la
religion... L'identité sociale se construit donc dans ce qu'il y a de
plus collectif : la langue. Une telle identité politique nous
permet plus facilement de comprendre une altérité politique en
tant que reconnaissance de la différence des caractéristiques qui
ne sont pas communes aux groupes de vie du sujet.
Dans leur théorie de l'identité sociale42(*), Tajfel et Turner
présentent des mécanismes de l'identité sociale consistant
à maintenir une représentation positive de cette identité
symbolique en la basant sur la comparaison avec les autres groupes. Cette
théorie a été récemment développée
dans les travaux de Marie-Françoise Lacassagne43(*). Bien évidemment, c'est
avec une approche langagière qu'ont été
étudiés les biais de catégorisation dans la
représentation de la communauté maghrébine, un exemple que
nous réinvestirons dans plus tard dans ce chapitre. Trois
mécanismes ont été mis à jour : un biais de
contraste, qui entraîne une appréhension de l'autre en le situant
par rapport à sa propre communauté ; un biais d'assimilation
qui revient à « maximiser les ressemblances entre les membres
d'une même catégorie » ; et un biais de
discrimination qui consiste à favoriser les membres de sa propre
catégorie au détriment de ceux des autres catégories. Dans
la même perspective, Maria Jarymowicz44(*) considère la référence à
l'endogroupe (le Nous) comme la capacité du sujet à
produire des représentations de Soi et des Autres. Elle parle d'un Soi
social qui relèverait du sentiment lié à une
catégorisation sociale. Mais elle fait surtout remarquer que le
Nous, identification au groupe, conduit au rejet de l'exogroupe. On
voit donc bien dans cette vue collective le lien existant entre identité
et altérité.
Les cas précédents montrent qu'il existe des
dérives identitaires possibles, et c'est par exemple le fondement du
multiculturalisme. Dans sa théorie de l'ethnicité
réactionnelle, Fredrick Barth avance que « ce n'est pas
l'isolement, mais l'intensification des échanges (en particuliers
urbains) qui est la condition de la réaffirmation identitaire45(*) ». Cette remarque
est acceptable dans la mesure où l'identité politique se
développe par rapport aux identités voisines. Cependant, sans
pour autant rejoindre Laplantine, pour qui Barth vide de sens le concept
d'ethnicité, il nous semble que le processus
« réactionnel » présente certaines limites
dans le cadre d'un questionnement identitaire. Pour Laplantine, la
revendication identitaire met en jeu l'histoire et la mémoire. Cette
proclamation d' « authenticité » repose sur la
question de l'origine, c'est-à-dire sur l'élément stable
et permanent du collectif. Il introduit ici l'idée fondamentale selon
laquelle, dans ce cadre, « c'est le passé qui commande au
présent, qui lui attribue sa légitimité
rétroactive46(*) ».
Imaginaire et vérité
En allant au-delà de notre corpus, en étudiant
des ouvrages autour de la question migratoire, nous avons constaté qu'il
existe une grande part d'imaginaire dans l'élaboration des
stratégies et des identités. Il y a précisément
deux imaginaires contradictoires, qui nous permettent d'envisager les deux
dynamiques que peut transporter un imaginaire. D'un côté, les
migrants élaborent leurs identités à partir d'une utopie
sur le futur pays d'accueil, de l'autre le débat politique laisse
apparaître un fantasme sur les migrants. Ces imaginaires vont permettre
aux identités de poursuivre leur idéal politique.
Au sein de l'espace public, il faut noter la tendance des
discours à s'opposer sur une valeur de vérité, trop
souvent confondue avec la réalité. Ainsi, cette parole de
vérité n'existe que dans l'intersubjectivité, et lors du
débat politique, chacun confronte « sa »
vérité. Cela nous conduit à aborder le concept
d'« imaginaire de vérité »
développé par Charaudeau dans son ouvrage sur le discours
politique47(*). Tout
d'abord, il faut souligner l'incomplétude de sa démarche qui
présente brièvement un concept sur lequel il n'arrive à
placer aucun procédé linguistique ou énonciatif, à
la différence de son étude des genres d'éthos. Charaudeau
a bien perçu la dialectique entre une activité de
conceptualisation et des pratiques sociales concrètes, mais son
développement présente de nombreuses limites que nous voulons
préciser.
Tout d'abord, nous faisons ici face à une
dualité dans la définition de l'imaginaire. Charaudeau se situe
dans la définition d'un imaginaire politique à de pas confondre
avec l'imaginaire individuel développé dans la topique lacanienne
articulant réel, symbolique et imaginaire. En effet, évoquant un
« imaginaire social », Charaudeau situe celui-ci dans le
domaine du collectif, or l'imaginaire étant fondamentalement individuel,
l'imaginaire collectif ne peut être que politique, c'est-à-dire
qu'il s'agit de représentations
« imaginaires » collectives.
Ensuite, la juxtaposition des termes imaginaire et
vérité nous conduit à traiter la notion de
vérité, et l'opposition sur ce point entre la perspective
d'Habermas et celle de Arendt. En effet, Habermas fonde toute
délibération argumentée sur une prétention à
la vérité, alors que Arendt refuse qu' « une
manifestation dialogale » puisse se référer à
une « vérité de raison ». Nous faisons face
à deux problématiques : Habermas, à la
différence de Arendt, ne considère pas le sujet mais se place
à un niveau plus global, dans l'espace public. La vérité,
comme construction, se situe au coeur des stratégies d'acteurs dans
l'agir communicationnel, c'est là que l'on retrouve la perspective de
Charaudeau. Les « imaginaires » politiques de
vérité sont à rapporter à l'action, car dire la
vérité du collectif, c'est se situer par rapport à un
acte. En se plaçant du côté du sujet, Arendt met la
vérité du côté de la parole, c'est-à-dire
dans le symbolique. Dans cette perspective, la vérité ne
relève pas du collectif car elle intervient dans la relation symbolique
avec le signifiant. Or Charaudeau situe également la
vérité dans les discours, mais en tant qu'ils produisent des
effets de vérité, sous un aspect quasi-performatif ; il se
trouve donc plus proche de la problématique habermassienne. Ainsi
à propos de l'imaginaire de vérité de la tradition, il
avance qu' « il est porté par des discours qui se
réfèrent à un monde éloigné dans le temps,
un monde dans lequel les individus auraient connu un état de
pureté. Ces discours se réclament d'une vérité qui
exige une quête spirituelle de retour à un état premier,
fondateur d'une destinée ». Il nous semble donc que la mise en
oeuvre de ces imaginaires de vérité relève des
stratégies d'acteurs, et cette prétention à la
vérité relève moins de l'imaginaire que de la
représentation collective à laquelle on souhaite faire
adhérer son destinataire. Dans notre travail, le gouvernement
présentera sa loi en sollicitant un « imaginaire de
vérité » au sens de Charaudeau grâce à une
argumentation sous le sceau du pragmatisme et du bon-sens.
Il est dès lors important de bien mettre en avant
l'articulation du psychisme et du politique dans le traitement du thème
de l'immigration. L'immigration implique un singulier et un collectif dans la
mesure où ce fait social induit un rapport à l'autre qui
relève alors du psychisme, mais aussi un rapport au monde qui renvoie au
collectif
L'irruption de l'imaginaire dans le débat
politique
Au coeur du texte du projet de loi relatif à
l'immigration à l'intégration transparaît une
représentation imaginaire menant à une division dans la
perception des immigrés. De ce fait, deux catégories principales
distinctes existent dans l'espace symbolique : les immigrés
occidentaux ou communautaires et les immigrés de pays pauvres demandeurs
du droit d'asile. Pour ce cas précis, nous rejoignons Maria Jarymowicz
dont nous avons précédemment évoqué la teneur des
travaux. Ainsi l'endogroupe national se construit sous la forme du rejet d'un
exogroupe, celui des immigrés non européens. Cette
altérité est atténuée par la présence
d'immigrés communautaires qui apparaissent ici comme une
médiation entre un « Nous » et un
« Eux ». Ainsi, la parole symbolique de la loi a
institué dans le réel les immigrés communautaires
grâce à un statut particulier qui sanctionne le partage d'un
ensemble de pratiques permettant de se retrouver autour d'une identité
supérieure. C'est une médiation culturelle qui apparaît
dans cette interprétation comme le plus petit dénominateur commun
entre des fragments d'une pratique symbolique nationale avec des
éléments de pratiques européennes.
A propos du droit de vote, il est apparu au sein du Palais
Bourbon un ensemble de discours montrant parfaitement la difficulté du
statut intermédiaire des étrangers européens. Lorsque
Noël Mamère (Les Verts) propose de donner le droit de vote à
tous les étrangers, le rapporteur de la commission de lois Thierry
Mariani (UMP) formule la réponse suivante :
« Je reste pour ma part attaché au fait que
le droit de vote soit lié à la nationalité.
Monsieur Mamère, vous avez raison de souligner qu'il y
a une inégalité de traitement entre les étrangers, mais
n'oubliez pas que, pour les étrangers européens, il existe un
droit de réciprocité, ce qui n'est pas le cas pour les
autres ».
Ce à quoi Jean-Christophe Lagarde (UDF)
répond :
« Il est au moins un point sur lequel je serai
d'accord avec M. Mamère, celui concernant les citoyens
communautaires, lesquels ne devraient d'ailleurs pas, selon moi, être
qualifiés d'étrangers puisque nous avons choisi de créer
une citoyenneté de l'Union européenne. Les citoyens
communautaires sont dans une situation à la fois absurde et
scandaleuse : ils ne peuvent voter que pour deux élections, les
municipales et les européennes, et ils peuvent remplir des fonctions
électives dans les conseils municipaux sans pouvoir être maires
adjoints.[...] Je suis donc favorable, monsieur Mamère, et je tenais
à préciser ce point, à l'idée de donner aux
citoyens communautaires vivant dans notre pays un droit de vote complet, sans
restrictions.
En revanche, pour les étrangers non communautaires, il
faut revenir à la notion de citoyenneté. M. Braouezec vient
de dire que cette notion pouvait être découplée de la
nationalité ».
Enfin le député Eric Raoult (UMP), élu en
Seine-Saint-Denis, se satisfait de l'adoption d'une mesure favorisant les
étrangers communautaires en s'exprimant ainsi :
« Cette carte de séjour spécifique
constitue une innovation qui va permettre de mener de front la bataille de
l'intégration et la bataille de l'emploi. Nous ne pouvons que saluer
cette initiative car, chers collègues, comme tous mes compatriotes, je
préfère en effet le plombier polonais aux marabouts et autres
laveurs de carreaux ».
A la vue de ces interventions, il apparaît que le statut
de l'exogroupe permet de reformuler une définition de la
nationalité. En outre, on assiste ici à la mise en exergue d'une
conception occidentale de l'immigration. L'ouverture d'une discussion sur
l'inégalité de statut entre étrangers renvoie ceux qui ne
font pas partie du rang intermédiaire à une catégorie
secondaire, d'autant que le message qui leur est alors renvoyé porte sur
un partage de valeurs. Cela a pour conséquence de placer le rapport
à l'autre dans une hiérarchie sur la base de la
nationalité.
Les interruptions en séance : des fragments
signifiants de vérités singulières.
A partir d'une telle division, nous souhaitons comprendre
comment s'applique ce mécanisme de division et jusqu'où cet
imaginaire se met en oeuvre dans le cours du débat. A travers le prisme
des interventions à l'Assemblée nationale, nous pensons pouvoir
constater l'émergence d'une parcelle de l'inconscient des
députés sur cette question. Pour parvenir à notre analyse,
nous avons sélectionné un ensemble d'interruptions durant les
discours. Selon Francesca Cabassino48(*), ces interruptions relèvent d'un
« rituel protestataire » institutionnalisé, mais
nous postulons que l'essence spontanée de cette pratique de
communication non légitime permet de déceler dans des
vitupérations des formules offrant une vision uniforme et très
péjorative de l'immigré. Souvent ironique, parfois humoristique,
nous pensons trouver dans ce que Cabasino nomme une
« théâtralisation de l'indignation » les
signifiants d'un mouvement argumentatif. Parmi ceux-ci, il y a ce que l'on
nomme communément des lapsus révélateurs, des
transgressions du « surmoi » qui nous permettrons de voir
comment les députés projettent dans le débat un
imaginaire, un fantasme de l'immigré.
A partir de l'ensemble de réactions que nous avons
sélectionné, il est possible de construire deux catégories
d'interruptions sur le thème de l'immigration. La première, dans
un processus de désignation de l'Autre, tend à mettre en avant la
valeur exogène de l'immigration en ramenant systématiquement la
discussion sur des exemples liés au Maghreb ou à l'Afrique. Il
est intéressant de constater que ce processus fonctionne pour les
députés de toute appartenance politique. Ainsi lorsque le
ministre de l'Intérieur évoque la venue d'informaticiens indiens,
Patrick Braouezec demande « Et pourquoi ne recrutez-vous pas des
ingénieurs sénégalais ? ». Ce type
d'interrogation pourrait paraître anodin, mais sa fréquence
témoigne de cette vision unique des migrations. Il est encore plus
frappant de voir combien la connaissance d'un pays d'Afrique s'articule dans
l'énonciation politique comme une forme de légitimation :
« - M. Jérôme Lambert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
comme la semaine dernière en commission des lois, je tiens à
rappeler que je fais partie des nombreux Français, et d'un certain
nombre de collègues parlementaires, qui ont choisi de se marier avec une
personne d'origine étrangère, puisque j'ai épousé
une Algérienne. (« Et alors ? » sur les
bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
- M. Pierre-Louis Fagniez. Ce n'est pas une
MST ! »
- M. Jérôme Lambert. Par ailleurs, j'ai
été le président du groupe d'amitié
France-Algérie, présidé maintenant par Bernard Derosier et
dont je suis désormais le vice-président.
- Mme Nadine Morano. Et moi, je suis la
vice-présidente du groupe d'amitié avec le Tchad !
- M. Jérôme Lambert. C'est dire que je
continue à m'occuper au quotidien de problèmes
généraux concernant l'immigration ».
Le socialiste Jérôme Lambert, au titre d'une
attention particulière pour certains pays d'Afrique, réduit la
question générale de l'immigration à une connaissance
particulière. Cette réduction, procédé
employé par une grande partie des députés, conduit
à assigner une identité politique spécifique sur un
phénomène dont la complexité technique requerrait
davantage de prise de distance.
La seconde catégorie d'interruptions est beaucoup plus
riche, et aussi plus intéressante. Composée uniquement
d'interventions de députés de la majorité, elle trace les
contours d'un fantasme autour de l'immigration dans lequel s'accumulent un
ensemble de représentations négatives. Tout d'abord, on retrouve
les conclusions des travaux de Simone Bonnafous lorsque les élus UMP
évoquent le « problème de l'immigration ».
Ainsi, Claude Goasguen (UMP) interpelle l'opposition en lançant :
« Le problème de l'immigration ne vous intéresse pas,
en définitive ! ». Ensuite, la valeur négative du
« problème » de l'immigration est articulée
avec un espace réel, celui de l'aire de vie, de la zone urbaine :
« - M. Bernard Roman (PS). Non, votre
intention est ailleurs. Il s'agit pour vous de faire une nouvelle offre
électorale aux électeurs d'extrême droite sous forme de
restrictions sans précédent du droit au regroupement familial et
du droit d'asile des étrangers.
- M. Éric Raoult (UMP). Allez vivre à
Clichy, vous verrez ! »
« M. Jean-Christophe Lagarde (UDF). La
mise en place du contrat d'accueil et d'intégration suppose un
énorme effort dans ce domaine, avec des enseignants formés en
français langue étrangère.... Imaginez le nombre de postes
nécessaires pour le seul département de la
Seine-Saint-Denis ! »
Les interruptions nous permettent ici de distinguer
visiblement une projection subite d'un inconscient dans l'espace public. La
rhétorique de ces interventions consiste à opposer à
l'orateur la représentation d'un vécu
« réel » de l'immigration. Cette stratégie
repose en fait sur l'assignation symbolique d'un rôle nuisible à
l'immigré.
Signalons que Eric Raoult (UMP) comme Jean-Christophe Lagarde
(UDF) citent des zones urbaines dont ils sont les édiles. Ce rapport
entre immigration et ville nous rappelle certains travaux de l'Ecole de Chicago
dont les recherches du début du siècle dernier ont porté
sur une description de l'évolution de la communauté
immigrée dans l'espace urbain. Dans les années 1920, Robert Park
a appréhendé l'espace urbain comme la projection des logiques
sociales, « lieu expérimental, effet d'agrandissement et de
concentration de ces processus, l'histoire naturelle des villes est pour lui le
lieu où le processus de compétition, d'accommodation, de conflit,
de distance, etc. se visualise49(*) ». Gérard Noiriel a analysé
la concentration spatiale des immigrants en rejetant un discours
communautariste, et en montrant que les causes sont à rechercher dans
les conditions de vie. En effet, les immigrés font partie de la fraction
la plus pauvre du prolétariat et vivent donc dans des logements à
loyers bas. Les députés, dans l'exemple que nous venons de
présenter, ont inversé le raisonnement en attribuant les
difficultés d'un territoire urbain particulier à l'immigration en
général, et non pas aux conditions de vie.
Enfin, on trouve dans cette catégorie d'interventions
fantasmatiques des propos durs révélant une idéologie
parfois xénophobe et anti-immigration. Ces interruptions ne sont pas
maîtrisées par les groupes politiques, mais les applaudissements
qui les accompagnent révèlent que la vision mise en avant fait
l'unanimité. Certaines formulations composées à partir de
la troisième personne du pluriel procèdent, à travers une
globalisation, à l'abandon de la moindre distinction identitaire, ne
serait-ce que « immigré » ou
« étranger ». Ainsi Eric Raoult (UMP) lance :
« Ils votent pour nous, pas pour vous ! », ou encore
René Couanau (UMP) s'exclame : « Avec vous, ils seraient
des milliers ». Dans un autre mode, d'autres députés
dévoilent une vision extrême de l'autre :
« - Muguette Jacquaint (PCF). M. le
ministre de l'Intérieur reprend un slogan véhiculé par
l'extrême droite : « La France, aimez-la ou
quittez-la ». Or précisément, ces étrangers
aiment la France.
- M. Jérôme Rivière (UMP). Non,
ils aiment son système social. »
« - M. Jérôme Rivière
(UMP). Il n'est pas question ici de régularisation, mais de
l'obtention de la première carte de résident. La nuance est
importante.
- M. Jacques Myard (UMP). Eh oui ! Les
sans-papiers n'ont rien à faire ici ! »
Dans ces quelques lignes sur le surgissement de l'inconscient
dans les interruptions au coeur de l'Assemblée nationale, nous venons
donc de montrer que se produit la communication d'un malaise lié
à l'identité qui prend pour appui un imaginaire négatif.
II. Une vision coloniale de l'immigré
Nous allons désormais nous attacher à
interpréter ce qui fonde les représentations de l'immigration.
Cela va nous mener à replacer le débat dans une
temporalité longue car le processus de construction des
représentations s'assimile à une lente sédimentation qui
cache peu à peu ses fondements. On peut avancer qu'une analyse fine de
notre corpus ne nous permettrait en aucun cas de comprendre le mécanisme
des représentations de l'immigration, si ce n'est d'en constater la
mutation à un moment précis dans l'échelle du temps. Nous
mettrons tout d'abord ses représentations à l'épreuve de
notre histoire coloniale, puis nous détaillerons le rôle
fondamental du stéréotype. Enfin, nous élargirons notre
analyse au champ esthétique en étudiant diverses
représentations iconiques.
Les refoulés de la colonisation
Dans leur travail sur l'immigration dans l'espace public,
Bastenier et Dassetto rappellent l'importance de la composante temporelle du
phénomène migratoire. Ils soulignent que le temps est une
dimension implicite des phénomènes sociaux, repoussant les
analyses qui « photographient » l'instant hors de toute
compréhension correcte. Par exemple, Le Moigne et Lebon soulignent
l'importance du temps dans la compréhension de l'incidence de la
structure démographique de l'immigration sur les équilibres
financiers de la protection sociale. Ainsi « si aujourd'hui, du fait
du regroupement familial et du nombre élevé d'enfants, le bilan
en est négatif, l'immigration de main-d'oeuvre s'est soldée dans
la passé par une contribution financière positive
qu'expliqueraient sa répartition par groupe d'âge et par sexe,
ainsi que son taux d'activité élevé50(*) ». Ce cas symbolise
bien les résultats de la prise en compte d'un temps long, c'est pourquoi
le traitement de toute thématique sociale impose une perspective large
afin de ne pas omettre des éléments fondamentaux pour l'analyse.
La composante temporelle doit aussi être placée
du côté du psychisme. Dans son étude sur la
délinquance des « jeunes issus de l'immigration »,
le sociologue et historien Laurent Mucchielli évoque « le
poids d'un racisme refoulé sur les populations issues des anciennes
colonies51(*) ».
Ce rappel au processus dynamique développé par Freud permet de
faire le lien entre historicité et inconscient. Le refoulement,
rattaché à la partie inconsciente du moi, détourne des
souvenirs susceptibles de provoquer une « décharge de
déplaisir52(*) ».
Même si elle n'est que très rarement
désignée comme telle, par une certaine prise de distance avec la
psychanalyse, cette notion de refoulé et d'éléments
latents dans l'inconscient transparaît dans beaucoup de recherches. C'est
ainsi que Guénif-Souilamas avance que les effets de la colonisation
continuent d'être opératoires sur les migrants et leurs
descendants, elle décrit ainsi à sa manière un reniement
de leurs origines par certains immigrés pour intégrer une
nouvelle société de cour53(*).
Ce qui est en jeu dans le débat de 2006, c'est donc la
mémoire, dès lors qu'elle apparaît comme la
médiation entre des histoires de vie singulières et l'histoire
d'une nation. Cette mémoire est celle d'une période proche, celle
de la décolonisation mais aussi de cinq cents ans de colonisation. On
assiste dans le débat à la reformulation des
représentations coloniales issues de cette mémoire au service
d'intérêts contemporains. L'État français s'est
installé à travers les siècles sur tous les continents, il
a diffusé une culture d'Etat contrebalancée localement par un
« art de détourner » qui a engendré une nouvelle
culture. A présent, cette colonisation est réinvestie sous la
forme d'une analogie avec l'immigration54(*). Les députés le soulignent d'ailleurs
à propos du durcissement de la législation pour les
ressortissants de pays liés à notre histoire
coloniale où l'on peut assister à une stratégie
d'appropriation de ce moment de l'histoire
« - M. Serge Blisko (PS). En adoptant
cette disposition, vous allez nous priver de ces communautés certes
limitées sur le plan numérique, mais très importantes sur
le plan symbolique,...
- Mme Muriel Marland-Militello (UMP). C'est bon, je
crois que nous avons compris !
- M. Serge Blisko (PS). ...dont l'attachement
à la France trouve ses racines dans l'histoire de notre pays, notamment
la longue période coloniale qu'il a connue.
- M. Christian Vanneste (UMP). C'est l'un des aspects
positifs de la colonisation ! (Sourires sur plusieurs bancs du groupe de
l'Union pour un mouvement populaire.) »
Pour les Français comme pour les immigrés, la
colonisation et les difficiles décolonisations, en particulier celle
d'Algérie, semblent avoir marqué la mémoire collective et
se répercutent au fil des générations à travers le
langage55(*). La
mémoire est une parole qui prend forme dans des récits, porteurs
d'un imaginaire, qui aujourd'hui diffusent et rejouent cette mémoire. La
mémoire permet aussi de fonder le politique dans la mesure où les
acteurs sont porteurs d'une culture que l'on retrouve dans le réel des
pratiques. Dans son travail sur l'oubli colonial, Myriam Cottias remet en cause
« la grande famille nationale » prônée par
Renan. Elle considère que l'effet de cette prescription a
été « d'enraciner l'oubli de l'esclavage dans le
métarécit national en ignorant l'expérience du
passé esclavagiste56(*) » de l'époque. L'absence de
mémoire renvoie vers l'inconscient un imaginaire dramatique fondé
sur une parole mythique. Une croyance se construit sur une absence de
repères et sur un manque de connaissances. Le temps long procède
alors à une mutation silencieuse dans l'évolution des
représentations. Plus proche de nous, à propos de la guerre
d'Algérie, Yvan Gastaut évoque « un tabou »,
une « mémoire éclatée », un conflit
fondateur de certaines représentations de l'immigré qui restera
symboliquement très présent57(*). Entre le racisme d'un État colonial, le
déchirement des harkis et une immigration algérienne que la
France découvrait, la guerre d'Algérie a marqué les
comportements d'aujourd'hui. Plus récemment, le colonialisme a
été réinvesti à propos de son rôle dans la
pratique de l'esclavage.
Représentations, stéréotypes et
langage
Afin de comprendre la structure et les logiques de la
confrontation dans le débat public, il nous est nécessaire de
passer par le langage. La communication politique mobilise le symbolique
lorsqu'elle diffuse des signifiants dans un espace public et qu'elle
échange des représentations.
Dans son ouvrage de référence L'immigration
prise aux mots, Simone Bonnafous invite à réfléchir
sur le pouvoir politique et social du discours58(*). A travers un corpus très large de la presse
écrite politique, de Militant à Lutte
ouvrière en passant par le Figaro et Le Nouvel
Observateur, la linguiste démontre une modification des approches
du thème de l'immigration dans le temps. Au cours des années
1980, la médiatisation de l'immigration l'a fait passer de la rubrique
« fait divers » de la presse régional à la
rubrique « société » de la presse nationale.
Banalisation des écritures, confusion générale, ces
années sont synonyme d'une relative homogénéisation du
comportement de la presse politique au profit des thèses de
l'extrême droite. Les grands évènements médiatiques
des années 1980 (marche des Beurs, rodéos des Minguettes...) ont
imposé des référents communs à l'ensemble des
médias, alors que des thématiques communes comme
l'insécurité urbaine venaient s'agréger au traitement
médiatique de ce fait social. Battegay et Boubeker apportent au travail
de Bonnafous une conclusion enrichissante, qui rejoint la question des
représentations :
« Cette visibilité de l'immigration dans la
presse française a familiarisé les lecteurs ou les
téléspectateurs avec des situations ou des populations qui
auparavant étaient négligées des regards publics. Mais
cette visibilité ne se confond pas avec une quelconque transparence. Les
projecteurs de l'actualité, lorsqu'ils se sont dirigés sur
l'immigration, ont en même temps figé des attitudes et des
comportements, transformé en moments de représentation publique
des scènes de la vie quotidienne, modifié des cours
d'action59(*) ».
Pour ces anthropologues, le travail des médias peut
être interprété comme un
« symptôme », comme le révélateur de la
construction en cours de nouveaux référents. Les
évènements médiatiques touchant au thème de
l'immigration depuis la fin de la seconde guerre mondiale sont devenus
« des sortes de références obligées dans la mise
en récits d'évènements ultérieurs ». Dans
son analyse très fine de l'opinion sous la Ve
République, Gastaut présente trois moments constitutifs de la
naissance d'une prise de conscience60(*). Porteurs d'une charge émotionnelle forte, ces
évènements touchent la mémoire collective liée
à l'Algérie, le choc de l'ignorance, et le rapport à la
mort. En octobre 1961, la police lyncha et assassina des Algériens en
plein coeur de la capitale. Ces « ratonnades »
réinvestirent la plaie encore ouverte de la question algérienne.
En mai 1968, les immigrés solidaires de grévistes
dénoncèrent leurs conditions de vie, projetant au regard
jusque-là ignorant des français la réalité de
l'immigration. Enfin, un fait divers tragique d'asphyxie dans un foyer
d'immigrés africains à Aubervilliers, similaire à celui
qui précéda le débat en 2006, imposa à tous le
premier véritable débat sur l'immigration. Dans les années
1990, Battegay et Boubeker ont effectué le même travail en faisant
émerger trois grands moments : la suspicion sur l'opinion
arabo-musulmane de France pendant la Guerre du Golfe, la mode
« Beur » (de la marche des Beurs à SOS Racisme), et
la montée en affaire de la mosquée de Lyon.
On peut remarquer que les analyses de Battegay et Boubeker,
dont les images de l'immigration sont l'objet, traitent uniquement de faits
relatifs à l'immigration arabo-musulmane. C'est parce qu'il existe dans
le temps un glissement des représentations
d' « étranger » à
« immigré maghrébin ». Cela est
précisément démontré et démonté dans
l'étude de Yvan Gastaut sur l'appréciation des étrangers
selon leur origine par les Français. Les résultats sont
édifiants : les Français appréhendent les
immigrés en fonction de leur appartenance ethnique et de leur
provenance. Les représentations fonctionnent donc selon une
« catégorisation simpliste », dans une vision
stéréotypée. Ainsi les immigrés Kabyles, Turques ou
Djerbiens seront perçus comme Maghrébins, Chinois ou Vietnamiens
comme Asiatiques, Italiens et Espagnols comme Européens blancs,
Sénégalais et Rwandais comme des Noirs.
De son côté, Bonnafous a relevé un
glissement sémantique d' « étranger »
à « immigré ». Pour ce dernier, elle rappelle
que ce terme banal et courant est aussi le plus
« collant ». En effet, il est « difficile en
France de se débarrasser de cette étiquette qui vous marque
définitivement du sceau de l'extranéité en fonction d'un
critère qui semble être celui de la peau, du faciès et de
la condition sociale beaucoup plus que de l'origine réelle61(*) ». En mettant
à l'épreuve de cette analyse notre corpus, il apparaît que
ce glissement ne se produit pas, même dans les interventions du Front
national. Nous pensons que ce glissement n'était que conjoncturel, et
que les connotations négatives portées par le vocable
« immigré » ont permis un retour sur le terme
« étranger ». Par contre, le temps de notre
débat nous permet de rejoindre Gastaut lorsqu'il ajoute que l'opinion
française a opéré un amalgame entre
« immigré » et
« Algérien » selon l'équation
« étranger=immigré=arabe=Maghrébin ou
Nord-Africain=Algérien ». Si bien qu'en novembre 1984, Le
Nouvel Observateur titra en une : « Immigrés, vous voulez
dire Arabes ! ». Depuis, bien ancrées dès les
années 1980, les représentations de l'immigré comme
maghrébin restent extrêmement présentes, confirmant le
réinvestissement de la mémoire de la guerre d'Algérie.
La présentation du travail de Amossy et Herschberg
Pierrot62(*) sur le
stéréotype va nous permettre de développer nos propos
précédents et de prolonger notre propos vers le thème des
représentations sociales. Le terme
« stéréotype » désigne « les
images dans notre tête qui médiatisent notre rapport au
réel ». Il s'agit des représentations
préconçues, préexistantes, qui médiatisent un
rapport à la cause, au réel. En outre, la composante temporelle
est ici essentielle afin de placer ce processus évolutif dans un temps
long, car c'est là que se produit une mutation silencieuse des
représentations dont l'effet sera visible au fil des
générations. Ainsi, les représentations de
l' « Arabe » se sont sédimentées dans le
temps tout en se maintenant dans l'univers symbolique, et sont
réapparues au moment de la guerre d'Algérie,
évènement qui a alors entraîné une nouvelle
évolution de ces représentations. Il nous semble important
à partir de cela de retenir que nos perceptions sont déjà
modelées par ces images collectives, ainsi ce que l'on sait conditionne
ce que l'on voit.
Dans cette visée, il est souligné l'importance
des représentations collectives dans la cohésion du groupe.
L'exemple du stéréotype le place clairement dans cette optique
collective car il permet la reconnaissance et l'échange symbolique au
sein d'une communauté. Au final, la psychologie sociale constitue une
tentative d'aborder l'identité d'un individu dans une articulation entre
son individualité et son appartenance au groupe. Pour Jodelet,
« comme le stéréotype, la représentation sociale
met en rapport la vision d'un objet donné avec l'appartenance
socioculturelle du sujet. Comme lui, elle relève d'un « savoir
de sens commun » entendu comme connaissance
« spontanée », « naïve »,
ou comme pensée naturelle par opposition à la pensée
scientifique63(*) ». Jodelet évoque sans la nommer une
perspective structuraliste, où ce savoir de sens commun, ce qui est
partagé, s'incarne dans le noyau central des éléments de
la représentation. Cela permet de prendre quelque peu de recul par
rapport à une surdétermination holiste des représentations
de l'individu par celles du groupe. Ensuite, il faut revenir sur le terme
« naturel », qui rappelle la naturalisation qui est pour
Moscovici un temps majeur du processus des représentations, car c'est
cette naturalisation qui permet d'inscrire la représentation dans une
certaine historicité.
Alors que les stéréotypes sont parfois
assimilés à un processus entièrement péjoratif
entraînant la négation de l'altérité, comme dans le
cas du « mauvais immigré arabe », Adorno, dans une
perspective psychodynamique, revient sur la dialectique singulier-collectif en
considérant que « la source des représentations
hostiles de l'Autre serait à rechercher dans un dynamisme psychique,
dans la structure profonde de la personnalité, plus que dans les
contraintes intrinsèques à la vie sociale64(*) ». Cette proposition
nous conduit à effectuer deux remarques. Tout d'abord, cela nous
rappelle le concept de l'altérité en tant que relation
intersubjective dont nous avons précédemment parlé.
Ensuite, nous abordons la difficulté pour certaines disciplines de
prendre en compte le collectif. Ainsi, dans son ouvrage, Rouquette souligne par
exemple qu'il est difficile pour les psychologues d'accepter la notion de
représentation collective65(*). Puisqu'il n'existe qu'une activité mentale
individuelle, et comme les représentations sont des activités
mentales, l'aspect collectif apparaît irrecevable. Ce syllogisme
simpliste que présente Rouquette est révélateur, et il en
va de même pour la psychanalyse qui ne peut adhérer au propos
concernant l'inconscient collectif, laissant l'adjectif
« collectif » aux représentations. L'inconscient
relève du singulier, donc les représentations relèvent
d'une médiation entre un sujet et un destinateur qui partagent une
référence collective.
Pour présenter cette co-construction d'une
référence collective, reprenons les travaux de Gastaut et du
raccourci « immigré = maghrébin ». Dans son
chapitre sur les images stéréotypées, il apporte une
explication à cette équation, qui pourrait presque
apparaître comme une condensation. Les Français, dans les
études sur la considération des nationalités, effectuent
un classement du positif pour les Européens, puis les Asiatiques,
jusqu'au négatif pour les Noirs puis les Maghrébins. L'auteur
démontre de fort belle manière combien ce classement repose sur
des visions stéréotypées. Outre leurs traits physiques peu
distincts de la population locale, Portugais et Espagnols jouissent de l'image
de rudes travailleurs, et de solides bâtisseurs. Les
stéréotypes concernant les « Noirs »
apparaissent contradictoires, balançant entre les restes d'un exotisme
primitiviste et d'un paternalisme colonial, et une image négative de
l'esclave nègre pauvre à rejeter. Enfin,
l' « Arabe » subit les représentations
construites depuis des siècles par les Occidentaux. L'image de l'Arabe
colonisé, pacifique et travailleur ternie par les ressentiments de la
guerre d'Algérie, il reste celle de l'Arabe fanatique, prêt
à mourir pour ses idées. De plus, notre corpus nous indique que
ces images ont relativement peu changées. L'énonciation
journalistique est sur ce point un des principaux facteurs. Ainsi, le
journalisme télévisé renforce la représentation de
l'immigré comme un individu « sub-saharien » auquel
il a ajouté le stéréotype de « l'immigré
des cités ». Cette perception est partagée
également sur les bancs de l'hémicycle, sur lesquels on a
également assisté durant ce débat à un
étrange dialogue sur « le laveur de carreaux »,
nouveau stéréotype du travailleur étranger.
On vient de le montrer, les éléments de la
représentation sont repérables par « leurs
étiquettes verbales telles qu'elles apparaissent dans le discours
spontané ou provoqué des individus66(*) » ; sans se
réduire à une expression particulière, on trouve ici un
lien entre le signifiant et la référence collective, permettant
la réalisation d'une sociabilité dans l'espace public. Les
recherches le prouvent, dans la plupart des travaux sur les
représentations, il s'agit d'enquêtes quantitatives sur la
perception de mots-clés. Ainsi Gastaut a travaillé à
partir de sondages, Lacassagne a confronté deux groupes de cinquante
étudiants à des substantifs... Les représentations sont
symboliques, résultat d'une symbolisation qui ne peut s'effectuer
qu'à travers le langage. Alors que l'imaginaire, et même le
réel sont individuels, le symbolique, par le partage d'un langage
appris, est commun à tout ceux qui le parle.
Représentations iconiques : le retour des
races
Pour compléter notre démarche sur les
représentations, nous allons rapidement étudier la dimension
esthétique de la communication. La photographie, la caricature, et le
dessin viennent généralement apporter un sens
supplémentaire à un texte qui ne produit pas son information
à partir de l'image. Dans un récent ouvrage67(*), Eric Deroo a passé au
crible un ensemble de supports pour confronter l'imagerie de la période
coloniale française avec l'histoire. Il y montre comment les
illustrations ont servi une idéologie. Pour l'auteur, l'imaginaire
véhiculé dans l'iconographie a fini par coloniser les
mentalités. Concernant le sens, il semble s'être produit dans le
temps un glissement de l'indigène d'hier à l'immigré
d'aujourd'hui, cependant les signifiants sont restés identiques.
Le mythe du « bon sauvage ».
Dans les caricatures que nous avons
sélectionnées, l'étranger est toujours
représenté sous les traits physiques d'une personne à la
peau noire. Seul un dessin de Plantu pour Le Monde montrera un
étranger blanc au milieu de cinq autres de couleur. La
représentation généralement humoristique vise à
susciter une prise de conscience, une réflexion critique sur la
situation mise en avant. Dans le cadre du projet de loi CESEDA, le concept
d'immigration choisie permet de faire le lien avec une forme de
sélection néo-colonialiste.
Le personnage de « l'homme de couleur
noire », toujours masculin, fait sens dans la mesure où ses
traits caractéristiques sont accentués par opposition à un
« type européen ». Ainsi le personnage du
« Noir » est grand, maigre, son visage est marqué
par des narines larges et des lèvres épaisses, et il porte une
tenue traditionnelle ou des marqueurs de la pauvreté (pantalons
déchirés, vêtements rapiécés...). Dès
lors, l'identité politique représentée par une caricature
est immédiatement identifiable.
Nous lions ce personnage que l'on retrouve dans de nombreuses
caricatures à l'esclavage ou à la colonisation en fonction des
situations ou du langage qui lui est attribué. Ainsi, le croquis
ci-dessus fait appel aux procédés de sélection des
négriers, un autre représente Nicolas Sarkozy en tenue coloniale
se déplaçant sur une chaise à porteur au coeur de la
brousse68(*). L'affiche du
collectif Uni(e)s contre l'immigration jetable réinvestie les codes
sémiotiques du dessin en présentant un immense main blanche
saisissant comme pour le jeter un petit homme noir dont seuls la bouche et les
yeux tranchent avec la sombre couleur de peau.
Certaines caricatures tendent à placer leur lecteur
dans une situation de rejet de l'inconscient mis à jour. Dès
lors, le dessinateur se positionne clairement dans l'espace du média sur
sa finalité politique. Ajoutons cependant que la caricature exige de son
lecteur une culture politique et esthétique afin de lui permettre de
partager avec le dessinateur un certain nombre de codes de
représentation.
L'immigré noir
Dans la photo de presse, à l'image de la caricature,
nous avons constaté un consensus sur la représentation des
acteurs de l'immigration : ceux-ci sont toujours noirs. La photographie
n'est pas toujours en lien direct avec l'article, mais elle vient apporter un
supplément de sens. Nous constatons que l'énonciation
esthétique médiatique se construit sur une imagerie populaire et
vient renforcer le rôle du stéréotype.
Par exemple, dans un numéro paru durant le
débat, l'hebdomadaire Marianne titre « Pour en finir
avec la politique de l'autruche. IMMIGRATION, cette réalité qu'il
faut oser regarder en face ». Cette accroche est accompagnée
de trois vignettes : sur la première, on voit un jeune homme de
couleur noir nous regardant et joignant ses mains dans une position entre
imploration et prière. La seconde photographie montre des hommes de
couleur noire embarqués à bord d'une embarcation sommaire dont
nous assistons à l'immersion dans la dernière vignette.
L'articulation entre le texte et les images donne à l'énonciation
journalistique une valeur de réalité. Comme le souligne Roland
Barthes, la photographie est « invisible, ce n'est pas elle qu'on
voit ». A propos des photos sur l'immigration, on constate un
réel travail sur le regard et sur la mise en forme de la
pauvreté, du désespoir. L'esthétique de cette
représentation se formule sous le mode d'un
« masque » à la fois nécessaire pour
transmettre une information primaire et pour éveiller un début de
prise de conscience sociale, comme si l'on imposait au regard une
réalité à constater. La photographie est
présentée comme un fragment de réel capté par
l'objectif et elle tire ça forme d'un
« ça-a-été »69(*). En fait, il ne s'agit pas
d'une « mimesis parfaite du réel » mais de
l'émanation du réel qui, comme le souligne Martine Joly70(*), alimente « la
confusion entre visible-réel-réalité et
vérité ».
La couleur de peau comme identifiant politique
L'énonciation esthétique institue une
identité politique à partir de la pigmentation de la peau. Le
noir devient un identifiant politique attaché à l'Autre, ce qui
explique son emploi important dans le cadre de l'immigration. Finalement,
« le noir » est devenu le symbole de ce qui serait
« par nature » différent d'une identité
française. Nous percevons ici un processus de désignation
d'identité sur la seule base de théories raciales. Le rappel
symbolique à une seule couleur mobilise un ensemble de constructions qui
ont donné lieu à la production d'un imaginaire fécond.
C'est bien évidemment le temps long de l'esclavagisme, des
premières colonisations qui s'inscrit dans ces formes esthétiques
rappelant la mémoire d'une France paternaliste missionnée pour
civiliser l'Afrique.
Ce traitement nous conduit à formuler deux remarques.
Tout d'abord, ces représentations intégrées dans un
inconscient partagé renvoient un message particulièrement
inquiétant aux populations de couleur noire. Si « le noir
c'est l'autre », si la pigmentation fonctionne comme un
élément de distinction, la représentation devient
performative et assigne au porteur de ce signifiant une altérité.
Ensuite, nous nous interrogeons sur le contraste entre l'iconographie
(« le noir ») et le stéréotype
(« l'arabe »). Il n'existe aucune concordance entre une
représentation politique et une représentation esthétique,
ce qui nous mène à conclure qu'il pourrait exister un
décalage dans le temps long entre les deux formes de signifiants, le
code de l'image évoluant moins rapidement que les formes du discours.
III. Les représentations de l'immigré du
XXIème siècle : entre fraude et terrorisme
Dans le dernier développement de ce chapitre, nous
allons étudier deux points spécifiques de ce débat sur
l'immigration dans l'espace public. Il s'agira ainsi d'esquisser une
« trace » d'évolution des représentations au
regard de la temporalité que nous appréhendons ici.
L'immigré fraudeur et clandestin
Le projet de loi « immigration et
intégration » prend pour objet le règlement des
situations de fraude. Il semblerait dès lors que tout immigré
soit soupçonné de venir frauder. Le terme de fraude est
employé pour désigner une modalité
irrégulière dans le rapport à la loi. Ce vocable prend son
étymologie à partir du terme latin fraus, que l'on
pourrait rapprocher de tromperie. Dès lors, l'emploi du mot fraude le
rapporte nécessairement à la parole trompée, ici la loi de
la République. C'est ainsi que le député du Nord Patrick
Delnatte (UMP) impute à la fraude une action négative sur les
valeurs françaises :
« Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, pays d'immigration.
En France, trop de familles d'immigrés, voire de
familles françaises d'origine immigrée, ont des conditions de vie
déplorables : pauvreté, exclusion de l'emploi,
précarité du logement, sentiment d'ostracisme avec des risques de
racisme et de xénophobie.
Par ailleurs, laisser la fraude et le détournement de
procédure se développer comme mode opératoire de
l'immigration, c'est conduire au délitement du lien social et à
la perte de valeurs qui fondent la citoyenneté
républicaine ».
Pour mieux comprendre, revenons sur le message
délivré dans le texte. Dès la première phrase de
l'exposé des motifs du projet de loi, Nicolas Sarkozy expose que
« depuis 2002, la maîtrise de l'immigration est redevenue une
priorité essentielle dans l'action conduite par le gouvernement. [...]
La lutte contre l'immigration clandestine est
déterminée ». Le chapitre 3 du projet de loi
réforme le régime de séjour des étrangers. Ainsi,
l'article 8 modifie les conditions d'acquisition de la carte de
« visiteur » afin de s'assurer de l'absence d'installation
sur le territoire de certains étrangers qui contournent ce processus.
L'article 15 impose à un donneur d'ordre de demander à son
cocontractant s'il emploi des étrangers, auquel cas il doit
vérifier qu'ils ne sont pas en situation irrégulière.
L'article 24 supprime une quelconque obtention de la carte de séjour
à l'étranger résidant depuis plus d'une dizaine
d'années en France au titre qu'il ne faut pas
« récompenser une violation prolongée de la loi de la
République ».
Le projet de loi réforme également les
critères d'acquisition de la nationalité au titre du mariage afin
de « lutter contre le détournement du mariage à des
fins migratoires ». Pour s'opposer à un art-de-faire, l'Etat
supprime la délivrance de la carte de résident de pleins droits
après deux ans de mariage et augmente de deux à quatre ans le
délai de communauté de vie nécessaire pour souscrire la
déclaration de nationalité française. De plus le
gouvernement s'accorde une année supplémentaire pour s'opposer
à l'acquisition de la nationalité par le conjoint
étranger.
Concernant le regroupement familial, un nouveau calcul exige
qu'un étranger démontre qu'il peut subvenir aux besoins de sa
famille en excluant « les minima sociaux ». Enfin, un
élément inédit apparaît concernant Mayotte où
la « dation du nom, qui emporte filiation dans le statut civil de
droit local », impose que les deux parents relèvent du statut
civil de droit local, ceci afin de « contribuer à la lutte
contre la fraude des reconnaissances de paternité ».
Cette longue énumération de quelques
nouveautés législatives vient confirmer un message de lutte
contre les fraudeurs potentiels, mais il nous apparaît étonnant
qu'un tel texte relève du ministère de l'Intérieur. En
effet, pour reprendre les mots de Christiane Taubira (PRG) « cette
ardeur à traquer le délinquant et à le sanctionner a
priori » aurait paru mieux fondée en émanant du
ministère de la Justice. De même, le dernier chapitre concernant
Mayotte aurait pu faire l'objet d'une discussion séparée sous
l'égide du ministre de l'outre-mer. Mais le choix stratégique du
gouvernement a consisté à mêler la lutte contre
l'immigration irrégulière à la volonté
d'intégration des étrangers dans l'État français
ainsi qu'au traitement du cas spécifique des territoires d'outre-mer.
Le rôle de la loi est important car elle est
constitutive de l'identité. En effet, la loi ordonne une partie du
réel par des normes, des codes afin de réguler les pratiques
sociales. Elle dit aussi son identité politique, elle donne du sens
à des pratiques. Dans le cas de la loi CESEDA, on voit bien que le
symbolique de celle-ci essaye de recouvrir le réel des situations
irrégulières que nul n'a réussi à contrôler
jusqu'à présent. D'ailleurs, la loi prête à des
oppositions importantes en termes de vérité :
« - M. Patrick Braouezec (PCF). Il n'y pas plus
d'étrangers dans notre pays qu'il y a trente ans.
- M. Jérôme Rivière (UMP). Ce
n'est pas vrai !
- M. Patrick Braouezec. Arrêtez de brandir le
fantasme de l'invasion !
- M. Jérôme Rivière. C'est vous
qui parlez d'invasion ! Mais il est vrai que le nombre de clandestins
augmente ! »
Le message de cette loi, puisqu'elle est collective, s'impose
aussi à chaque sujet d'une manière identique. Elle signale
à l'étranger empli du désir d'émigrer, par la
matérialité des signifiants, que le symbolique du texte de loi
durcissant les conditions de séjour s'inscrit désormais dans le
réel. La loi instaure donc un rapport à l'individu singulier en
lui prescrivant certaines modalités.
Pour poursuivre, nous allons dresser rapidement une analyse
lexicologique de l'entourage textuel du vocable
« immigration » : de l'immigration choisie à
l'immigration jetable, nous avons comptabilisé un certain nombre de
qualificatifs. Grâce à l'outil des segments
répétés, nous avons pu obtenir l'entourage textuel du
vocable immigration. De plus l'outil des spécificités a pu
nous faciliter le repérage de certains suremplois. Dans la mesure
où notre corpus n'est pas équilibré, nous n'allons pas
donner de valeurs numériques car les écarts ne seraient pas
significatifs. En effet, lorsque le PCF dispose de cinq minutes pour son temps
de parole, le PS intervient deux fois plus et la majorité trois fois
plus. Cependant, nous représenterons sur des graphiques des
données en fréquence relative.
Tout d'abord, il existe une concurrence sémantique
entre le vocable « immigration clandestine » et ses
parallèles juridiques « immigration
irrégulière » et « immigration
illégale ». Le terme « clandestin » est
principalement employé par les députés de l'UMP. Il
rappelle d'ailleurs le titre du rapport parlementaire du sénateur Buffet
(2006). A l'inverse des vocables « illégale » ou
« irrégulier » qui procèdent par une
opposition littérale par rapport au respect de la loi, l'emploi du terme
« clandestin » porte tout l'imaginaire de
l'itinéraire d'un l'étranger arrivé avec des passeurs,
vivant dans l'ombre d'une société auprès de laquelle il
sait pertinemment qu'on ne l'autorise pas à être présent.
Il rappelle le sort des dizaines d'africains qui s'échouent chaque
année sur les terres ibériques et qui font le bonheur des
marchands de sommeil dans les grandes agglomérations. Les discours
employant cette formule désignent donc une catégorie
particulière d'immigrés. Le tableau ci-après
représente l'emploi des vocables associés à
« immigration » en fréquences relatives. La valeur
importante de l'emploi de la forme « immigration
clandestine » pour les socialistes et l'UDF relève d'un
sur-emploi destiné à dénoncer les effets que provoquerait
selon eux cette nouvelle législation.
Graphique des fréquences relatives des vocables
« immigration irrégulière » et
« immigration clandestine » par partis politiques.
Il en va de même pour les vocables
« fraude » et « suspicion » qui sont
d'un côté imputés à l'immigré et de l'autre
employés comme des critiques du projet de loi. Le caractère de
suspicion se trouve dans des interventions comme celle que nous avons
déjà cité plus haut :
« - Muguette Jacquaint (PCF). M. le
ministre de l'Intérieur reprend un slogan véhiculé par
l'extrême droite : « La France, aimez-la ou
quittez-la ». Or précisément, ces étrangers
aiment la France.
- M. Jérôme Rivière (UMP). Non,
ils aiment son système social. »
Le vocable « suspicion » fait parti du
vocabulaire employé par le Parti socialiste pour dénoncer les
procédés d'argumentation de l'UMP. L'opposition souhaite ainsi
mettre à jour ce qu'elle définit comme une
« essence », une « idéologie
cachée » derrière la loi, le caractère de
suspicion lui permet également de défendre les populations
discriminées. On retiendra ces quelques interventions de Bernard Roman
(PS) :
« Arrêtez de jeter la suspicion sur
eux ! »
« Le mariage est parfois un moyen de contourner la
réglementation du séjour en France, nous ne le nions pas, mais il
n'existe pas une fraude massive comme vous le sous-entendez. On retrouvait
déjà cette suspicion dans le rapport de
M. Mariani ».
« Deuxième illustration de droits
bafoués : celui au regroupement familial. Les restrictions que vous
introduisez en ce domaine montrent que suspicion et précarisation sont
les piliers de votre projet de loi ».
Graphique des fréquences absolues des vocables
« fraudeur » et « suspicion » par
partis politiques.
Le gouvernement et la majorité se défendent
alors en reprenant les vocables incriminés : « il ne
s'agit pas de suspicion, mais de faits » dit Thierry Mariani,
rapporteur de la commission des lois, ou encore « Il ne s'agit pas
que de suspicion. Je voudrais rappeler à l'ensemble des
députés présents les chiffres... ».
Pour terminer, nous voulons revenir un instant sur le discours
journalistique et le discours associatif pour montrer à quel point la
bataille sémantique intègre le discours écrit. C'est
l'emploi des guillemets autour d'un certain nombre de termes qui nous
interroge. En effet, des vocables tels « immigré »,
« jetable », « choisie »,
« subie », « inutiles », ou encore
« étranger » sont parfois placés entre
guillemets. Ce procédé nous permet de mettre en avant la double
dimension de ce signe typographique de ponctuation. Tout d'abord, les
guillemets permettent d'encadrer l'espace insécable de la citation.
Ainsi lorsque Nathalie Ferré, présidente du GISTI, écrit
dans une tribune de L'Humanité, les guillemets lui permettent
de citer le gouvernement ou plutôt l'idée qu'il
développe :
« Il faut mettre un terme à l'immigration
subie et promouvoir une immigration choisie. » Tel est le nouveau
credo gouvernemental.
Or il existe un second usage des guillemets, moins
équivoque, qui consiste à mettre en avant des mots qui ne nous
appartiennent pas, mais aussi dont on accepte pas l'insertion dans le fil du
discours. Par conséquent, le conseil des Églises
chrétiennes de France affirme dans sa lettre au Premier ministre que
« l'existence des « sans-papiers » est une
réalité incontournable » et émet des
réserves sur la liste des pays dits « d'origine
sûrs ». Le secours catholique écrit aussi le terme
« sans-papiers » entre guillemets. Le signe retrouve dans
cette situation la signification qui lui était attribuée au
Moyen-âge lorsqu'il servait à encadrer un mot d'orthographe ou de
sens douteux pour le signaler au lecteur.
Aujourd'hui, les guillemets participent pleinement à
l'énonciation journalistique. Nous pensons même que leur
rôle est primordial dans l'appréciation d'une information par le
lecteur. D'ailleurs, c'est un outil qui permet au journaliste de
dépasser le cadre informatif pour diffuser une opinion. Dans le cadre du
débat public sur l'immigration, c'est le désaccord avec les
qualificatifs de « choisie » et
« subie » qui feront l'objet d'une mise en avant
interpellant le lecteur sur la valeur du jugement.
Le 4 janvier 2006, les guillemets apparaissent en titre dans
Le Monde : « Nicolas Sarkozy veut
« choisir » les immigrés et durcir le regroupement
familial ». Il s'agit ici d'une décision
délibérée de la rédaction qui souhaite insister sur
la notion de sélection des étrangers. Quelques jours plus tard,
Libération ironise sur les « bons »
immigrés de Sarkozy. Sur l'ensemble de notre corpus d'articles de
presse, ce sort sera réservé presque systématiquement aux
adjectifs « subie » et « choisie ».
Dans le discours associatif, le choix de l'énonciation
est différent, et c'est la notion d'intégration qui est mise
entre guillemets afin de souligner l'arbitraire de cette notion. Uni(e)s contre
une immigration jetable dénonce la « répression
à l'égard d'un étranger - pourtant «
intégré » selon les critères de la loi sur
l'immigration et l'intégration ». Le collectif regrette la
quasi-disparition de cet outil d'« intégration »
qu'était la carte de résident et souligne selon elle
l'absurdité de la procédure qui requiert des étrangers
qu'ils montrent des preuves pour affirmer qu'ils sont « bien
intégrés ». On en déduit que l'accent est mis sur
l'intégration et son incompatibilité avec la nouvelle loi sur
l'immigration. Il permet de saisir l'intention des associations qui
dénoncent le raccourci établi entre immigration et
intégration.
De l'immigré au terroriste
Dans ce dernier paragraphe, nous allons montrer que les
représentations actuelles de l'immigré tendent à le
renvoyer vers celles de l'Islam radical. Dans un contexte de mondialisation
croissante et de repli communautaire, un certain nombre
d'éléments viennent renforcer ces conceptions et ont mené
à l'équation simpliste
« immigré=arabe=musulman=islamiste=terroriste ».
Gastaut, nous l'avons cité en début de chapitre, a montré
comment s'est construit le raccourci d'immigré à arabe.
Aujourd'hui, nous proposons à partir des quelques éléments
dont nous disposons d'aller un peu plus loin.
Il faut tout d'abord réinvestir le temps long pour
analyser la production de ce mécanisme. Après la guerre
d'Algérie, la France a découvert l'immigration nord-africaine, et
avec elle les français de confession musulmane. Plus tard, avec les
arrivées massives de travailleurs, pour la plupart musulmans provenant
du Maghreb, le modèle de « l'arabe » a
été associé à sa religion71(*). On voit ici l'assignation
d'une identité à l'autre par des variables d'opposition
stricte : Europe/Afrique ; Blanc/Non blanc ; Chrétien/
Musulman.
Pour Battegay72(*), avec l'affaire Rushdie, l'affaire des foulards,
l'Islam est apparue aux yeux du grand public sous la plume de journalistes dont
la méconnaissance de la religion a entraîné un traitement
médiatique relevant du fantasme. De plus, la guerre d'Algérie a
aussi réactivé le mythe du « Sarrasin »
perfide et cruel à travers le « fellagha »,
égorgeant à l'arme blanche. Lourd des représentations les
plus négatives, on comprend davantage pourquoi l'Arabe est apparu comme
le symbole de l'immigration dans une période durant laquelle les
dirigeants français voulaient s'en débarrasser.
Des années 1980 jusqu'à nos jours, les
principaux moments de médiatisation de l'Islam ont été
liés à des crises relevant d'une pratique radicale de la
religion : crise du voile, affaire des caricatures... Autre moment fort de
stigmatisation d'une communauté religieuse, les actions terroristes
menées au nom de l'Islam ont conduit à la construction d'un
imaginaire négatif, d'une peur de cette religion, même dans une
pratique modérée73(*). De l'Irak à Al Qaeda, la France a
regardé l'Islam à travers des évènements
étrangers à l'hexagone traités avec des
représentations violentes et radicales. D'ailleurs, on peut noter que
les émeutes de novembre 2005 dans les banlieues parisiennes ont fait
l'objet de discours gouvernementaux associant violence et Islam et
désignant comme responsables des jeunes musulmans issus de
l'immigration. Ce point est d'ailleurs réapparu au cours du
débat :
« - M. Noël Mamère (Les Verts).
Cette révolte n'avait en effet rien à voir avec l'Islam,
rien à voir avec la religion qu'ils peuvent éventuellement
pratiquer.
- M. Jacques Myard (UMP). Il faut être
aveugle ! »
Deuxièmement, nous proposons de percevoir ces
représentations comme le fruit d'un conflit israélo-palestinien
interminable. Cette guerre perpétuelle cristallise une situation
d'antisémitisme et d'anti-islamisme qui se reproduit sur le territoire
français. C'est ainsi que les médias qualifièrent les
émeutes de l'automne 2005 d'« intifada des
banlieues »74(*). C'est en proposant ce modèle que nous
expliquons l'absence de réactions sur le projet de loi par la
majorité des instances juives et musulmanes. Durant la période du
débat, le Conseil représentatif des institutions juives de France
(CRIF) aborda la question de l'antisémitisme. Côté
musulman, il n'existe pas de voix unique pour s'exprimer au niveau national
dans la mesure où les instances de la Mosquée de Paris
s'entredéchirent avec le Conseil français du culte musulman
initié par Nicolas Sarkozy. Sur le site Oumma.com, Tariq Ramadan,
icône d'un Islam controversé, développe durant cette
période de débat une réflexion sur la question
palestinienne. D'ailleurs lorsque est évoqué le rôle des
associations dans l'encadrement des étrangers, il ne fait aucun doute
que les structures musulmanes sont stigmatisées :
« - M. le ministre
délégué aux collectivités territoriales (Brice
Hortefeux). Des garde-fous sont prévus. Je vous les rappelle. Le
dispositif est limité aux fondations et aux associations qui sont
reconnues d'utilité publique, ce qui signifie que ce n'est pas ouvert
à tout vent, il y a une prise en charge matérielle de
l'étranger par la structure d'accueil et, comme vient de le dire le
rapporteur, il y a l'engagement écrit de quitter le territoire.
Je pense que, de temps à autre, très
ponctuellement, monsieur Myard, on peut encourager cette démarche de
confiance.
- M. Jacques Myard (UMP). Qu'Allah vous
entende ! »
Pour conclure, nous terminerons sur l'analyse d'un extrait
d'une intervention du ministre de l'Intérieur lors du journal
télévisé de TF1 du 27 avril 2006 qui dessine dans une
temporalité réduite une représentation très
révélatrice du « mauvais » immigré
auquel on attribue des éléments stéréotypés
de l'Islam.
« Bien je veux que le contrat d'intégration
soit obligatoire, pourquoi ? Parce qu'un étranger qui vient en
France, on l'accueille bien volontiers, il a des droits en tant que personne
humaine, mais il doit avoir des devoirs. Parmi ces devoirs il y a celui
d'apprendre le français [...] et puis considérer qu'on est dans
une démocratie, ça veut dire qu'on accepte quand il y a des
caricatures dans les journaux, y compris religieuses, ça veut dire qu'on
accepte que les femmes ne soient pas voilées sur les cartes
d'identité, cela veut dire que l'on accepte que sa femme soit
soignée par un médecin, même si c'est un homme. Parce que
ce n'est pas à la France à s'adapter à d'autres cultures
ou à d'autres lois ».
Le ministre de l'Intérieur explique la
nécessité de mesures d'intégration par l'existence de
pratiques et de valeurs qui ne sont pas compatibles avec celles de la France.
Or on perçoit ici que l'intégration se résume pour le
ministre à la simple acceptation d'un certain nombre
d'éléments qu'il faudrait refuser. La définition
caricaturale d'un processus d'assimilation se construit à partir de
faits divers. Ainsi, un devoir d'intégration serait d'accepter les
caricatures dans les journaux. Soit. Mais le président de l'UMP
précise « y compris religieuses » : il est
désormais évident qu'il mobilise
l'inter-évènementialité des caricatures de
Mahomet. Son second argument concerne les femmes voilées, dont la
représentation est désormais intimement liée à
l'Islam depuis la succession régulière des crises dans le monde
scolaire. Enfin, l'exemple des soins réinvesti une actualité qui
avait vu un obstétricien frappé par un mari exigeant un
médecin de sexe féminin pour accoucher son épouse. Les
médias ont construit l'évènement en précisant la
confession de cet homme, en l'occurrence musulman. Ces évènements
sont utilisés comme une médiation entre le fait divers et le
téléspectateur pour venir à l'appui d'un projet politique.
L'emploi de tels exemples vide de sens la force de la parole de loi pour se
reposer sur un jugement de valeur sur une échelle bien/mal en
stigmatisant en particulier une religion qui n'est en rien liée aux
phénomènes migratoires. Quelle image un tel discours renvoie-t-il
aux cinq millions de musulmans français qui sont dès lors
exhortés à mieux s'intégrer ? L'extrait que nous
avons choisi se conclut en opposant la France à « d'autres
lois ». Cette phrase s'insère dans un autre débat,
celui sur la charia. Le ministre rappelle alors que la parole de la
République prévaut sur la parole religieuse.
Chapitre 3
Immigration, intégration, identité
nationale :
vers une nouvelle idéologie nationaliste.
L'État se pense lui-même en pensant
l'immigration.
Abdelmalek Sayad.
Dans un dernier chapitre, nous désirons ouvrir une
discussion sur les évolutions idéologiques qui encadrent le
débat public sur l'immigration. Une idéologie, au sens de Marx,
est un ensemble de représentations imaginaires fondées sur des
croyances. Cet imaginaire transparaît dans les débats à
travers des jugements, des idées préconçues
échangés par des acteurs qui adhèrent sans aucune prise de
distance.
Nous allons d'abord montrer qu'il existe une adhésion
générale autour de la nécessité
d'intégration et de sa proximité avec l'existence du fait
migratoire. Nous essayerons de voir quels présupposés
sous-tendent ces discours. Ensuite, nous aborderons l'idée qu'il
existerait aujourd'hui un regain de nationalisme lié à la
définition d'une identité nationale.
I. L'idéologie intégrationniste
Pour débuter, il faut tout simplement se
référer à la dénomination de la loi afin de
construire notre démonstration. Il s'agit du projet de loi
« relatif à l'immigration et l'intégration ».
Cette proximité entre deux termes très différents nous
mène à analyser ce télescopage et à traiter de la
question de l'identité culturelle.
Un rôle inconscient assigné à
l'intégration
Lors de la discussion autour du projet de loi, le
thème de l'intégration a été très largement
évoqué. Une disposition législative met en place la
nécessité pour le migrant qui souhaite faire venir sa famille de
démontrer les preuves de sa volonté d'intégration à
la société française. Dans son discours, le gouvernement
articule ce qui relèverait d'une « une intégration
réussie » avec son imaginaire d'« immigration
choisie ».
Mais qu'est ce que l'intégration ? Qu'est ce qui
la lie à l'immigration ? Le terme
« intégrer » signifie faire entrer dans un tout. On
en déduit que l'intégration des immigrés consisterait
à les faire entrer ou leur demander d'entrer dans la
société d'accueil. Selon Patrick Weil75(*),
« l'intégration désigne en effet un processus
multiforme, un ensemble d'interactions sociales provoquant chez des individus
un sentiment d'identification à une société et à
ses valeurs, grâce auquel la cohésion sociale est
préservée. L'intégration est ainsi définie par
Émile Durkheim comme le processus par lequel une société
parvient à s'attacher les individus en les constituant en membres
solidaires d'une collectivité unifiée ». Cette
définition nous permet d'insister sur la composante individuelle de ce
processus social. Ainsi, il s'agit d'intégrer un individu singulier au
sein de la société, d'une structure collective supérieure
afin d'obtenir une forme plus harmonieuse.
Pourtant, ce concept d'intégration est employé
comme une solution générale pour mieux mettre en oeuvre
l'immigration. Cela nous conduit à formuler une remarque sur une
modification sémantique importante. Dans le débat politique, il
est toujours question de l'intégration à la
société, c'est-à-dire la relation d'un individu avec un
ensemble. Mais des voix s'élèvent pour que l'on évoque
davantage l'intégration de la société, qui
relève alors d'un processus collectif76(*). De même, il faut distinguer le verbe
« intégrer », qui situe l'action du
côté de la société, et
« s'intégrer » qui renverse alors la situation pour
désigner l'action de l'individu.
D'autre part, l'intégration est un concept
difficilement appréciable. Comme l'a souligné le sociologue
Abdelmalek Sayad77(*),
l'intégration est un processus que l'on ne peut
mesurer « qu'après coup ». Il affirme ainsi
qu'on ne peut pas l'évaluer en cours d'accomplissement car il engage
l'articulation de l'être social avec l'ensemble de la
société. En outre, ce terme n'étant pas fixé, il
n'existe pas de bornes signifiantes pour attester de l'aboutissement de
l'intégration. Il faut alors observer ce qui, au cours de l'histoire,
rempli le vide de ce concept et permet de fixer des critères
définissant une bonne intégration78(*). Actuellement, ces critères se concentrent sur
la question de la langue et des valeurs « universelles »
françaises.
En second lieu, nous postulons qu'il existe un consensus dans
l'espace public à propos de l'articulation entre immigration et
intégration. Parmi l'ensemble des opposants au projet de loi CESEDA,
presque aucun acteur ne s'est ému de la présence de la question
de l'intégration dans le débat. Il semble qu'un lien
« logique » désormais intériorisé soit
apparu entre immigration et intégration. Une fois intégrée
l'idée dans le temps long selon laquelle l'étranger arrivé
sur le territoire doit traverser un processus d'insertion dans la
société, les mécanismes de l'inconscient articulent les
deux notions comme un automatisme.
Pour illustrer cela, nous avons recueilli des
éléments allant dans ce sens à travers l'ensemble de notre
corpus. Ainsi, la commission des épiscopats de la communauté
européenne (COMECE) déclare que l'ensemble des organisations
qu'elle représente « soutiennent que des efforts
d'intégration peuvent être espérés de la part des
migrants mais des efforts réciproques de la part de la
société dans son ensemble sont nécessaires. Ils soulignent
aussi que le respect des droits humains des migrants est la clé pour une
intégration réussie ». On constate que le processus de
validation du lien magique entre intégration et immigration passe par la
médiation d'un appel à une intégration de la
société. C'est donc la stigmatisation de la singularité
d'un individu qui est critiquée, mais le processus n'est aucunement
remis en cause. Le Secours catholique et Caritas France estiment que :
« les réflexions en cours feraient
apparaître quelques aspects positifs : nécessité de
l'immigration, recherche de l'intégration, ouverture du marché du
travail, références au co-développement » et
soutient une intégration de la société en avançant
que « l'intégration est un objectif mais ne se
décrète pas : elle procède de l'interaction entre les
efforts des nouveaux venus et ceux de la société
installée. Les étrangers, travailleurs en
séjour ».
Claire Rodier, juriste au GISTI explique dans Le
Monde du 4 janvier 2006 que :
« La bonne définition de
l'intégration, ce n'est pas demander tout aux étrangers en
matière d'efforts pour se conformer à la société
qu'ils viennent rejoindre. L'intégration, ça marche dans les deux
sens : intégrer, ça veut dire aussi qu'une société
d'accueil doit se donner les moyens que les personnes à intégrer
aient envie de faire partie de cette société ».
La discussion sur l'intégration représente dans
l'espace public un nouveau débat à l'intérieur du
débat sur l'immigration. Nous avons constaté que le vocable
« intégration » est principalement lié
à deux autres termes : « effort » et
« contrat ». Le premier est lié à un discours
sur l'intégration à la société. Il affirme
qu'elle est liée à une volonté individuelle. Mais face aux
« échecs » d'un
« système » qui ne fonctionne plus, le gouvernement
propose dans le projet de loi un « contrat
d'intégration ». Ce dernier vient donc vider de tout son sens
l'idée de volonté, qui repose fondamentalement sur un
désir personnel du migrant de « s'intégrer ».
Désormais, il s'agit « d'intégrer » : la
société passe par un accord symbolique avec le migrant pour
promouvoir la forme d'intégration désirée. Il n'est donc
plus question de volonté puisque le contrat obligatoire impose et
encadre le processus. Dès lors, l'intégration se formule à
partir d'un idéal-type de l'étranger intégré qui se
concrétise dans une structure juridique, un
« principe » qui fait aujourd'hui consensus. Cela est
illustré par l'intervention de Patrick Delnatte (UMP) :
« Il faut encore installer une véritable
politique d'accueil des immigrés. On a trop longtemps cru en France que
l'intégration se ferait d'elle-même. Le constat s'impose que les
politiques s'attachent plus à réparer les échecs de
l'intégration qu'à l'organiser. Ce projet de loi apporte enfin
les outils qui permettront une intégration réussie pour le nouvel
arrivant ».
D'ailleurs, l'opposition convient de la
nécessité de l'intégration à la
société en exigeant un grand débat pour les centristes et
en demandant plus de moyens du côté socialiste :
« M. Serge Blisko (PS). Nous ne croirons
à ce que vous appelez une politique volontariste d'intégration
que le jour où vous y consacrerez plus de moyens, lorsque ce ne sera
plus quelque chose que vous agiterez de temps en temps ».
Pour sa part, Nicolas Sarkozy expliquera son contrat de la
manière suivante :
« Pour cela, la signature d'un contrat d'accueil et
d'intégration sera rendue obligatoire pour toutes les personnes qui
entrent en France légalement afin d'immigrer de manière durable.
Ce contrat ne doit pas être un papier que l'on signe et que l'on oublie.
L'étranger prendra des engagements à l'égard de la
société qui l'accueille : il devra apprendre la langue
française et respecter les lois et les valeurs de la République.
En contrepartie, le contrat comportera des engagements de l'État
à l'égard de l'étranger : formation linguistique et
civique et première orientation dans les démarches pour s'adapter
à la société française ».
Jouxtant le terme « immigration » dans ce
discours, la nécessité d'intégration devient liée
à l'identité de l'étranger. On retrouve ici un
déséquilibre entre un individu posé comme particulier face
à un général. Par ailleurs, le thème de la culture
apparaît constitutif des éléments justifiant d'une bonne
intégration. Il faudrait alors être
« culturellement » français pour atteindre cet
état. Pour le devenir, deux axes sont mis en avant : la langue,
dont il est réaffirmée qu'elle est constitutive de
l'identité, mais aussi le civisme, c'est-à-dire le respect du
citoyen pour les conventions de la collectivité, en particulier la
loi.
Dans un second temps, le ministre de l'Intérieur
précise que la connaissance à l'avance de l'identité du
futur immigré permet de favoriser l'état d'intégration, ce
qui lui permet ainsi de justifier une immigration choisie :
« J'ajoute que je n'ai toujours pas compris pourquoi
certains sont choqués que l'on puisse répertorier les
catégories de population en fonction de leurs origines. Ce n'est pas
faire preuve de racisme ou de discrimination. Si l'on veut réguler
l'immigration, il faut la comprendre et, pour la comprendre, il faut la
connaître. Si l'on refuse de connaître la composition de la
société française, comment pourra-t-on intégrer
ceux dont on nie la spécificité et l'identité ? Cela
n'a aucun sens ! Le racisme n'est pas dans l'établissement d'un
diagnostic, mais dans les idées nauséabondes que l'on met
derrière ! »
On constate ici l'émergence d'une argumentation
identitaire. L'intégration a pour visée de fabriquer de
l'identique en niant toute altérité (par sa connaissance), et de
favoriser l'indistinction. On voit ici ce que Paul Ricoeur79(*) appelle la
« mêmeté », tiré de l'allemand
Gleichheit. Il s'agit de la dimension de l'identité du
même. Ainsi, « l'injonction à
l'intégration80(*) » serait une injonction à passer de
l'altérité radicale (nous sommes différents) à
l'identité totale (nous sommes identiques), et certaines
catégories seraient selon cet extrait plus ou moins
préparées à cette recomposition identitaire. Par exemple,
de nombreux discours ont avancé que les étrangers
européens sont plus ouverts à ce passage dans la mesure où
ils partageraient déjà des valeurs communes avec celles de la
France.
Différences culturelles et nouveau racisme sans
race
La plupart des discours dans l'espace public de notre
débat tendent à opposer des valeurs françaises qui
relèveraient de l'universel face aux valeurs de l'Autre qui ne le
seraient pas. D'ailleurs, le député Noël Mamère
insiste sur la prétendue universalité des valeurs en
débat :
« - M. Noël Mamère. J'aimerais
simplement, monsieur le ministre, que vous nous apportiez une précision
nécessaire puisque vous n'avez pas assisté à nos
débats ce matin. J'espère que les valeurs dont vous parlez ne
sont pas les « valeurs françaises » dont
M. Vanneste s'est réclamé ce matin, mais les valeurs
universelles...
- M. Jacques Myard. Elles sont
françaises !
- M. Noël Mamère. ...qui étaient
effectivement celles des pères fondateurs de notre République. Il
ne peut pas y avoir de valeurs françaises particulières qui
s'opposeraient aux valeurs universelles. »
La notion d'intégration suppose dès le
départ une différence, en l'occurrence entre des cultures comme
nous l'a montré l'intervention de Nicolas Sarkozy. Il est alors
nécessaire de poser ouvertement la question d'un nouveau racisme
collectif. Selon Albert Memmi81(*), le racisme est « une valorisation
généralisée et définitive de différences
réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment
de sa victime, afin de légitimer une agression ou des
privilèges ». Dans le cadre du débat dans l'espace
public, nous rejoignons Etienne Balibar82(*) sur sa définition d'un nouveau
« racisme sans races ». Il le définit comme
« un racisme dont le thème dominant n'est pas
l'hérédité biologique, mais
l'irréductibilité des différences culturelles »
ou plutôt devrions-nous dire l'imaginaire de cette
irréductibilité. Car c'est bien ce dont il s'agit dans le
cas du débat sur la loi CESEDA : le discours des acteurs politique
place les immigrés à l'extérieur de la
« communauté nationale » tant qu'ils n'ont pas
renoncé à leur culture. D'ailleurs, l'analyse des
représentations de l'immigré nous démontre qu'il est
associé à des valeurs négatives. Dès lors, la
définition de l'identité de l'étranger permet aux
nationaux d'élaborer la leur par différenciation, se fondant
alors sur des valeurs positives.
En outre, et en nous appuyant sur notre
précédent chapitre abordant les représentations, il faut
souligner que nous assistons à une
« naturalisation » de la différence culturelle
à partir de bases généalogiques. Des interventions au
coeur de l'espace public reprennent progressivement ce que Taguieff qualifiait
de théories « différentialistes »,
prônant l'importance vitale des clôtures culturelles. Cela
mène aujourd'hui à un discours qui souhaite aseptiser les abords
d'une « culture française universaliste ». Cette
perception de l'intégration mène d'ailleurs à
l'appellation « éloquente politiquement83(*) »
d' « immigrés de la deuxième
génération ». Ainsi, les enfants d'immigrés sont
condamnés à un statut hybride qui les place hors de la
société française pour des raisons culturelles.
Les députés se déchirent sur l'existence
ou la non-existence de valeurs universelles, ces représentations
positives qui instaurent l'identité de soi. Selon Jacques Myard
(UMP) :
« Il existe bien des valeurs françaises, mais
aussi des principes universels, et je m'étonne que, au pays de la
laïcité, personne n'évoque certaines pratiques religieuses
attentatoires à la dignité des femmes. Traiter la femme comme un
objet me semble une preuve visible de non-intégration et du refus de
« vouloir vivre ensemble » en France. (Exclamations sur les
bancs du groupe socialiste.) Je me félicite donc que l'on mette en place
un contrat d'accueil et d'intégration assorti de sanctions. Cela va dans
le bon sens et je défendrai un amendement portant article additionnel
après l'article 26 et visant à rendre ces sanctions
effectives ».
Pour sa part Noël Mamère (Les Verts) avance qu'il
n'y a pas de « valeurs françaises », mais explique
que c'est la France qui a adhéré à des valeurs
universelles, ce qui revient de fait à rejoindre ses confrères
sur la nature universelle des valeurs françaises :
« Oui, les droits de l'Homme sont universels ;
non, il n'y a pas de valeurs françaises, monsieur Vanneste : il n'y
a, comme l'a souligné M. Braouezec, que des valeurs
universelles ! Ce sont ces valeurs universelles de respect, de
dignité humaine, confirmées par la Déclaration universelle
des droits de l'Homme et par la Convention européenne des droits de
l'Homme, qui doivent nous guider. Les droits de l'Homme ne sont pas à
géométrie variable selon l'alternance politique dans ce
pays : ils sont inoxydables ! »
Pour faire une synthèse, Jean-Christophe Lagarde (UDF)
détaille l'existence de valeurs spécifiquement françaises
en regrettant que la France ne les ait pas étendues au monde entier :
« Par ailleurs, M. Mamère et
M. Braouezec ont évoqué l'absence de valeurs
françaises. Je crois au contraire que si la France a toujours
prétendu à l'universalité, elle n'est pas parvenue
à transmettre au monde toutes ses valeurs. Je pense notamment à
la laïcité, qui n'est pas une valeur universelle puisqu'elle n'est
pas reconnue dans la plupart des pays qui nous entourent, notamment au sein de
l'Union européenne. Il s'agit d'une valeur spécifiquement
française, que certains pays n'accepteraient pas de se voir
imposer ».
Selon Abdelmalek Sayad84(*), l'ensemble des discours sur ce processus devient
performatif et il agit sur la réalité sociale en invisibilisant
l'immigré auquel le processus d'intégration impose
discrétion et réserve. Cela se traduit dans le réel du
migrant par le refoulement de ses différences et de ses
spécificités.
L'intégration en tant que résultat d'un parcours
dans la sociabilité s'est aujourd'hui transformée en un
idéal à poursuivre au risque de faire l'objet de discriminations
racistes. En outre, elle permet avant tout aux nationaux de valoriser la
représentation de leur identité nationale en opposition à
une représentation négative des valeurs
étrangères.
II. Vers un nouveau dispositif idéologique
nationaliste
Dans cette dernière partie, nous allons ouvrir la
discussion en associant la plupart des éléments que nous avons
soulevés jusqu'à présent dans ce travail.
Premièrement, nous allons montrer que l'idéologie
intégrationniste tend à évacuer certains
éléments d'une idéologie marxiste. Ensuite, nous tenterons
de voir si nous assistons à la construction d'un nouveau dispositif
nationaliste qui réinvestit les théories du nationalisme de la
IIIe République.
Quand les différences culturelles balayent les
différences de classe
« M. Nicolas Sarkozy (UMP). Contrairement
à ce que j'ai pu entendre, il n'y a pas trente-six solutions, il n'y en
a qu'une : essayer d'être pragmatique et moins
idéologique ».
Cette intention du ministre de l'Intérieur, dont
l'idéologie est loin d'être absente, s'est structurée sur
une nouvelle perception binaire de l'espace de la sociabilité. Tout
d'abord, les traditionnelles oppositions marxistes sont renvoyées hors
du débat. A cette structure sociale, il substitue la division
français/étranger. Il s'agit d'une sorte d'officialisation du
glissement imposé par la présence de Le Pen depuis des
décennies. Le Front national étant toujours présent et
menaçant depuis 2002, certains acteurs de l'espace public ont
contribué à instaurer une dimension fantasmatique autour de la
question nationale85(*).
L'importance de la culture « nationale » balaye les
différences de classe qui constituaient une perception politique
essentielle jusqu'à présent. Ainsi, Pierre Tévanian et
Saïd Bouamama86(*)
détaillent un mécanisme qui a consisté à
survaloriser une différence « culturelle »
(ils sont différents de nous) » et en
même temps à nier « les autres différences,
notamment de classe ou de « personnalité »
(ils sont tous les mêmes, et nous partageons
tous une même identité nationale) ».
Cette nouvelle opposition transparaît dans
l'argumentation du gouvernement et de sa majorité à travers une
altérité radicale. Nous pouvons dès lors
accréditer, en nous appuyant sur notre second chapitre, la
récente thèse de « l'éthnicisation de la vie
sociale ». Le mécanisme procède d'une
délégitimation de la culture dominée, celle de l'Autre, au
profit d'une culture dominante, celles des valeurs universelles de la
« communauté française ». Un
présupposé hiérarchisant rabaisse le groupe
discriminé, valorise le groupe majoritaire et produit l'émergence
d'une situation de concurrence, particulièrement sur le marché du
travail comme le montre le débat sur la loi « immigration et
intégration ».
Cela vient nous rappeler des principes
développés dans le concept de « choc des
civilisations » de Samuel Huntington87(*). Suite aux attentats du World Trade Center, ce
penseur américain a développé l'idée d'un choc
entre deux entités qui mettent en jeu la survie de leur identité.
Pour cela, il explique une recomposition autour d' « axes
culturels » liés à des facteurs ethniques et religieux.
A l'heure de la mondialisation et des nouveaux conflits, il énonce une
opposition à l'idée de l'uniformisation du monde dont parlait
Marcuse avec son « homme unidimensionnel » pour redescendre
dans une certaine matérialité en traitant de
« civilisations ». Les propos de Huntington reposent sur la
fin des équilibres géopolitiques bipolaires et on perçoit
là une recherche d'une civilisation ennemie visible.
Cette substitution d'une conscience identitaire à une
conscience de classe nous rapproche de l'idéologie nationaliste de
Barrès. C'est ainsi qu'on retrouve une structure identique à
celle que l'écrivain et homme politique a fait émerger à
la fin du XIXe siècle. Hanté par le déclin
d'une civilisation, il a réussi à « concilier ce qui
apparaissait alors pour beaucoup comme l'inconciliable : rassembler la
bourgeoisie et la classe ouvrière pour la défense d'un
intérêt commun : la protection du commerce et du
marché du travail national, et contre un ennemi commun :
l'étranger88(*) ». L'appartenance professionnelle, objet
d'inégalités et de conflits dans le champ du travail se voit
supplantée par le renforcement d'un imaginaire national permettant une
union autour d'une même appartenance. Cette idéologie fonctionne
donc en adéquation avec la valeur signifiante portée par les
représentations décrites dans le chapitre
précédent.
Repli identitaire, peur, et identité nationale
Le « choc des civilisations »
résumerait-il le terreau idéologique actuel sur lequel fleurit
l'identité nationale ? Cette formule destinée à
l'Amérique du libéralisme permet de comprendre une nouvelle
représentation du monde. L'État-Nation, porteur de la
souveraineté populaire, est aujourd'hui dépassé par des
éléments transnationaux. La mondialisation bouscule ainsi les
repères identitaires et laisse émerger une phobie de l'Autre.
Dans un processus de repli sur la culture, elle porte l'imaginaire de
l'existence d'un dernier élément collectif national. Cette peur,
soutenue par un renouveau des pratiques populistes, se traduit par l'extrait de
débat ci-dessous dans lequel l'exemple du miroir correspond parfaitement
à cette situation identitaire dans laquelle des individus recherchent un
reflet pour exprimer un fantasme d'identité, confondant sujet singulier
et acteur collectif, et formulent la place de l'Autre dans le
phénomène migratoire :
« - M. Jérôme Rivière (UMP). Mais j'ajouterai, monsieur le ministre, que
quelle que soit la force morale d'un pays, il existe un seuil d'immigration
à partir duquel un pays se regarde dans le miroir sans se
reconnaître.
- M. Jean-Pierre Brard. Si c'est vous qu'il y voit,
il est évident qu'il ne se reconnaîtra pas !
- M. Jérôme Rivière. Ce seuil est
aujourd'hui largement atteint en France. »
Il n'est pas étonnant de retrouver le
développement de ce thème dans l'objet que nous abordons. Le
débat autour du projet de loi relatif à l'immigration et
à l'intégration, en construisant une représentation de
l'immigré, a élaboré par antagonisme un discours sur les
représentations de l'identité nationale89(*). Dans cette structure binaire
d'opposition, l'identité nationale n'est jamais définie que par
rapport à un Autre incarné par une figure imaginaire
d'étranger.
L'imaginaire de la peur semble ainsi conduire à un
retour sur le terme allemand « kultur »
développé par Johan Gottfried Von Herder et fondé sur le
sol, le sang et l'instinct. Il abouti à la construction d'une
identité nationale de « réaction ». Cela
expliquerait alors que l'on soit passé de l'axiome « lutter
contre l'immigration clandestine pour mieux intégrer les immigrés
réguliers » à un axiome anti-immigration pour
éviter tout désordre social, c'est-à-dire tout objet qui
ne s'inscrit pas dans la sociabilité attendue et qui provoque dès
lors un déséquilibre des identités.
Un nouveau nationalisme ?
Le débat sur l'immigration et l'intégration
montre la voie d'un idéal à poursuivre qui ouvre la porte aux
premiers pas d'une construction idéologique. Celle-ci se structure
à partir d'une « doxa politique » au sens
bourdieusien, un ensemble d'idées reçues relevées dans
notre second chapitre. Ainsi, le modèle qui voit le jour fonctionne
principalement à partir d'idées-forces, allant de fait
au-delà de la croyance et s'inscrivant dans un imaginaire politique.
L'enjeu du politique consiste à déplacer les
frontières du champ politique, et c'est ce qui est en oeuvre dans cette
situation. On est dans un changement de paradigme au sens de Kuhn, avec une
remise en question des frontières du champ. Le cas de l'immigration nous
offre le meilleur exemple de cette construction en cours. Auparavant, le
thème de l'immigration était traité à l'aide d'un
vocabulaire social (classes, discrimination, justice, égalité).
Aujourd'hui, celui-ci a laissé la place à des thématiques
« essentialistes » telles que l'identité, la nation,
la communauté... Nous percevons ainsi ce phénomène social
à travers des cadres de représentation nationalistes. On rejoint
ici Abdelmalek Sayad pour qui ces « structures structurées en
ce sens qu'elles sont des produits socialement et historiquement
déterminés, mais aussi structures structurantes en ce sens
qu'elles prédéterminent et qu'elles organisent toute notre
représentation du monde et, par suite, ce monde lui-même90(*) ». Cela nous permet
donc d'articuler les récentes évolutions des
représentations de l'immigré avec l'apparition d'une nouvelle
conscience exacerbée de la dimension nationale de l'identité.
Ce modèle de catégorisation nationaliste
s'explique par la dimension identitaire qu'a fini par prendre le concept de
nation. Elle permet de distinguer ou d'exclure des individus de la
communauté nationale alors même que la conception traditionnelle
française de la nation est liée à la volonté. Comme
l'a fort bien expliqué Benedict Anderson91(*), la nation est une « communauté
politique imaginée », et se situe donc dans le champ des
représentations collectives. Cette identité politique affecte
l'identité singulière des individus concernés par son
intégration dans la structure de l'inconscient. Dans le cas
présent, elle permet de construire une frontière imaginaire entre
des cultures, mais surtout entre des individus.
Sur quelles bases se construit ce renouveau de la
nation ? Si l'on s'attache à une définition stricte et
historique, le terme « nationalité » désigne
« un caractère national. Esprit, amour, union,
confraternité nationale, patriotisme commun à tous92(*) ». La nation semble
en conséquence fondée sur de l'imaginaire, des passions et des
fantasmes mais elle se caractérise aussi par le réel de
l'exclusion de l'étranger et par le symbolique de la différence
culturelle et des représentations de l'Autre.
Au regard des théories de la nation93(*), on se rend compte que
prévalait historiquement le principe de Renan selon lequel le
critère qui fonde l'appartenance nationale est un principe spirituel qui
articule d'une part des souvenirs communs, liés à une
continuité généalogique, et d'autre part la volonté
et le désir du « vivre ensemble ». Non que cette
vision soit rejetée, il nous semble que la volonté soit de plus
en plus mise en avant dans les discours au travers du concept
d'intégration, alors qu'on lui oppose parallèlement l'importance
de l'hérédité comme porteur de l'identité
française.
L'idéologie nationaliste n'est-elle pas un obstacle
à un imaginaire positif de l'intégration ? Pourquoi la
nation ne serait-elle pas cette volonté d'apparaître comme le plus
petit dénominateur commun de milliers d'individus singuliers
revendiquant la même identité politique ? La nation est un
imaginaire, une utopie à géométrie variable qui offre
selon son emploi une vision différente.
Dès lors, l'existence d'un ministère de
l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du
codéveloppement relève du simple transfert d'un imaginaire
néo-nationaliste dans le réel du pouvoir. De plus, la proposition
de suppression de la double nationalité par Nicolas Sarkozy sera un
élément de plus pour désambiguïser la question
identitaire et la recentrer sur une vision d'une dualité impossible dans
la communauté nationale. La nation n'est plus alors une question de
volonté mais de choix entre des identités : l'immigration
choisie.
Au-delà du symbolique, les représentations nous
permettent d'envisager une analyse en termes d'idéologie. En partant de
l'intégration, nous avons donc montré que le traitement de
l'extranéité permet avant tout la définition d'une
identité du soi-national. D'ailleurs, on trouve dans ce processus
d'intégration une volonté d'attribuer, selon l'expression de
Jean-Marie Le Pen, une « identité totale »
permettant une harmonisation culturelle et une extinction de
l'altérité. Finalement, l'idéologie en présence
réinvestie les cadres de la nation, ce qui lui permet de dépasser
les institutions politiques et religieuses et de retrouver un
élément de stabilité en reconduisant les
représentations politiques de son passé.
Conclusion
Il suffit d'écouter pour entendre.
Tout au long de ce travail, nous avons essayé
d'entendre ce qui s'échangeait lors du discours autour de la loi CESEDA.
A travers un très grand corpus, il s'est avéré que les
échanges dans le cadre parlementaire présentaient des
caractéristiques fondamentales pour comprendre le traitement d'un fait
social autour duquel règne toujours un net malaise et une certaine
confusion.
Dans notre premier chapitre, nous avons
démontré en procédant à une analyse précise
de l'ensemble des discours dans l'espace public l'importance du temps et des
évènements dans le débat. Avec le concept
d'inter-évènementialité, nous avons
souligné qu'il est essentiel de procéder à une analyse des
évènements conjoints à l'objet d'étude pour mieux
l'envisager. Ainsi, le débat sur le projet de loi relatif à
l'immigration et à l'intégration a été
« percuté » par la crise du CPE qui a alors
entraîné son traitement à partir de la question de
l'immigration de travail. Cela a permis d'assister à un débat sur
les deux composantes essentielles de l'identité : l'appartenance
professionnelle et l'appartenance nationale. Nous avons aussi expliqué
que l'existence même de ce débat était liée à
l'échéance présidentielle de 2007, ce qui
transparaît particulièrement dans les prises de position de la
part du ministre de l'Intérieur.
L'entourage de l'ensemble des discours dans l'espace public
nous a conduit à constater l'existence d'une onde discursive
qui s'est propagée à partir du texte de loi, mais qui a
traversé l'ensemble des champs de l'espace public. Ainsi, le discours
des acteurs de l'économie solidaire a trouvé un écho dans
le champ des acteurs du pouvoir et dans celui des médias.
Dès lors, il est intéressant d'assister à l'organisation
et aux parcours des argumentations dans l'espace public du débat.
Au cours de notre second chapitre, nous avons centré
notre analyse sur les représentations de l'immigration et de
l'immigré. Dans la mesure où il est difficile de capter dans
l'échange symbolique la formulation de représentations
complètes, nous avons sollicité un certain nombre de travaux sur
ce thème. Tous aboutissent à un constat similaire : les
représentations d'aujourd'hui sont marquées par les stigmates de
la colonisation et des décolonisations. En outre, la médiation
des évènements liés à l'immigration en France a
produit une structure stéréotypée de l'arabo-musulman
comme icône de l'étranger. Les mécanismes de
l'altérité ont aussi entraîné le renvoi d'un
ensemble d'attributs négatifs sur l'Autre. On peut conclure que les
représentations portées par le Front national tendent à se
diffuser dans l'espace public. Ainsi, nous avons constaté que le fait
migratoire est toujours appréhendé sous la forme d'un
« problème » comme l'expliquait déjà
Simone Bonnafous dans les années 1980. Les discours soulignant le
rôle positif de l'immigration et son rôle important dans
l'évolution de l'identité collective sont marginaux, et
principalement issus des institutions religieuses.
Il faut également revenir sur notre analyse des
interruptions en séance à l'Assemblée nationale. Nous
avons entamé une analyse qui mériterait d'être approfondie
et menée avec une rigueur extrême sur un corpus plus
étendu. En effet, cette forme de communication non autorisée nous
semble être un des seuls outils, voire l'unique, qui permet de mesurer
l'irruption de l'inconscient au coeur du langage. Ces fragments discursifs
dépassent le cadre d'une simple interruption institutionnalisée
comme l'avance Cabasino ; ils sont les expressions d'un surgissement des
racines profondes d'un imaginaire. Dès lors, ces quelques mots
parsemés à travers le flot de discours pourraient nous offrir une
information précieuse pour restituer dans le détail les
composants d'une idéologie.
Enfin, lors d'un ultime chapitre, nous avons initié
une démarche pour montrer qu'une analyse des représentations
offre la possibilité d'étudier une construction
idéologique.
Le thème de l'intégration permet la formulation
de l'identité de soi. En effet, en assignant à l'Autre un
« devoir » d'intégration, nous avons constaté
que les acteurs du pouvoir structurent les cadres de ce processus social. Se
faisant, ils tracent des frontières entre l'étranger et le
national, entre l'Autre et le Soi. C'est à travers ce travail de
division de l'espace des valeurs que les législateurs définissent
leurs représentations de l'identité nationale. On passe alors par
l'Autre pour parler de Soi.
A partir de là, nous avons souligné le
réinvestissement d'un imaginaire d'incompatibilité entre les
cultures ne partageant pas les mêmes valeurs universelles en
évoquant le début d'une évacuation de la division marxiste
de la société. Le pays qui se bat pour la reconnaissance de
l'exception culturelle s'entoure aujourd'hui d'un cordon sanitaire pour
éviter de contaminer une « culture
française ». Au terme de notre travail, nous avons
soulevé la possibilité de l'apparition d'un nouveau nationalisme.
Celui-ci tend à oublier la notion de volonté dans la construction
de la nation pour prendre en compte des éléments culturels
associés à l'hérédité.
Pour terminer nous voudrions proposer des perspectives
d'approfondissement de notre travail. Nous les formulerons à partir des
composantes essentielles de l'identité :
Le temps
Les liens au temps se sont avérés essentiels. Il
s'agit de la question de l'histoire, de la mémoire et de
l'inter-évènementialité. Ce dernier concept, que
nous avons largement illustré, mériterait une théorisation
précise sur le champ des médias. Les contaminations
réciproques entre les évènements doivent mériter
toute notre attention car elles permettent une approche complète et se
révèlent être un outil précieux pour comprendre les
prises de position des trois types d'acteurs de l'espace public.
La question du temps nous mène à
réinvestir les concepts de « temps long » et de
« temps court » formulés par l'École des
Annales. Leur articulation semble fondamentale dans la construction des
identités et des représentations. Il serait
particulièrement intéressant d'analyser ainsi le renouveau d'une
idéologie nationaliste. Le retour d'imaginaires politiques plus que
centenaires dans le temps de ce débat, puis dans celui de la campagne
présidentielle de 2007, nous laisse à penser que les discours
actuels s'inscriraient dans un « temps long » de
l'idéologie politique. Il existerait une filiation entre les
théorisations du nationalisme au XIXe siècle et leur
reformulation actuelle : les logiques de l'identité sont toujours
les mêmes et s'articulent de manière semblable à travers
les époques. Ainsi, le nationalisme de Barrès partage avec
l'idéologie actuelle le culte de la terre et des « grands
hommes ». Cela s'explique par une imprégnation des acteurs
politiques contemporains par des références historiques
liées à cette période et probablement par
l'intégration inconsciente d'un certain nombre de ces
représentations imaginaires.
La langue
Elle est un outil incontournable pour l'analyse. Sa place est
d'autant plus importante dans un travail centré sur les
idéologies. Comme le soulignait Freud, c'est le « lieu
où se dit, littéralement, l'organisation inconsciente qui
sous-tend les actes concrets94(*) ». En allant au-delà de la
matérialité de ce système sémiotique premier, nous
entrons au coeur d'une institution collective c'est-à-dire du politique.
Chaque énonciation exprime une appartenance, une sociabilité
auxquelles est par exemple lié le « contrat
d'intégration » décrit au cours de ce travail.
Dans le cadre du débat sur la loi CESEDA, les discours
des acteurs politiques ont placé la question de l'apprentissage de la
langue comme l'élément indispensable pour acquérir la
nationalité française ou pour devenir un étranger
intégré. Par conséquent, il serait intéressant
d'approfondir ce travail pour connaître précisément les
représentations de la culture française débattues à
l'Assemblée nationale et la place accordée à la langue. De
nombreux débats agitent l'espace public sur la nécessité
de préserver la langue française pour pouvoir protéger
l'identité qui lui est associée. Ainsi, l'analyse des discussions
au Parlement sur l'enseignement du français à l'école, sur
la francophonie et sur la culture pourraient permettre de voir les
représentations de la langue et ses liens avec une « culture
française » que lui attachent les députés.
La loi
Enfin, nous voulons terminer sur la question de la loi. Elle
est essentielle dans les mécanismes de l'identité. Sans cesse,
nous revenons vers elle : la loi c'est le langage, c'est un discours,
c'est ce qui structure l'inconscient... La loi, qui est une parole, structure
l'inconscient et elle conduit à faire entrer dans le réel ce
qu'elle énonce dans le symbolique. Dès lors, celui qui ne
respecte par la loi brise l'indistinction et la prévisibilité.
C'est par la parole d'un jugement sur sa personne par un représentant du
collectif qu'il sera rappelé à respecter les lois communes qui
fondent l'espace de la sociabilité.
A ce propos, il serait fort intéressant
d'étudier la place de la langue dans l'application de la loi. Dans ce
travail, il est apparu que la langue joue un rôle fondamental dans le
débat sur la loi. Mais c'est davantage du côté de la
communication judiciaire qu'il serait intéressant de se placer. La place
du langage dans la justice revêt un rôle essentiel. La loi
présente deux phases entre une perception collective et une
individualisation de son application. Elle représente la
médiation entre l'espace de la singularité et l'espace public,
alors qu'elle intervient aussi dans la construction de la langue.
L'articulation entre la loi et la langue renvoie dans le champ du politique un
élément stable pour construire une identité, communiquer,
et produire des représentations sur le monde.
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ANNEXES
1. Détail du corpus
2. Liste des principaux intervenants dans le débat
à l'Assemblée nationale
3. Frise chronologique de
l'inter-évènementialité du débat
4. Index des sigles
5. Extraits de la présentation du projet de loi par Mr
Nicolas Sarkozy
6. Extrait d'une question préalable
déposée par le Parti socialiste
7. Extrait d'une intervention de Jérôme
Rivière (UMP)
8. Extrait du message d'ouverture du président de
l'assemblée générale de la fédération
protestante de France - Pasteur Jean-Arnold de Clermont
9. Uni(e)s contre une immigration jetable : Sarkozy et le
double langage
10. Pétition de Uni(e)s contre une immigration
jetable
11. Communiqué de la CGT
12. Représentations iconographiques
13. Le Monde - Colonisés hier, immigrés
aujourd'hui, citoyens demain.
14. Libération - Sarkozy vante encore ses
« bons » immigrés
15. Libération - Le PS s'indigne, mais pas
trop fort
16. Le Monde - Les limites de l'immigration
choisie
17. L'Humanité - Nicolas Sarkozy plus vrai que
vrai à l'Assemblée
18. Le Monde - Immigration, le débat
escamoté
19. L'Humanité - Sarkozy sur les terres de
l'extrême droite
Annexe n°1
Détail du corpus
Discours
d'assemblée
Projet de loi relatif à l'immigration et à
l'intégration déposé le 29 mars 2006
Audition de Mr Nicolas SARKOZY par la commission des lois de
l'Assemblée nationale le 29 mars 2006
Présentation du projet de loi par Mr Nicolas SARKOZY
Présentation par Mr Nicolas SARKOZY de son projet de
loi au JT de TF1
Compte rendu intégral des discussions en séance
publique :
- mardi 2 mai 2006
- mercredi 3 mai 2006
- jeudi 4 mai 2006
- vendredi 5 mai 2006
- mardi 9 mai 2006
- mercredi 10 mai 2006
- mercredi 17 mai 2006
Rapport du Sénateur François-Noël BUFFET,
« Immigration clandestine, une réalité inacceptable,
une réponse ferme, juste et humaine »
Discours des Églises
Lettre du Conseil des Eglises Chrétiennes de France
à Mr Dominique de VILLEPIN
Lettre de réponse de Nicolas SARKOZY au Cardinal
RICARD
Communiqué de la Commission des Episcopats de la
Communauté européenne
Discours de Mgr Aumonier, « L'accueil de
l'étranger suppose une conversion »
Discours de Mgr Brunin, « Quand l'étranger
frappe à nos portes »
Discours à l'Assemblée générale de
la Fédération protestante de France
Discours du Pasteur Manoel
Communiqué suite à la rencontre de la rencontre
entre la Fédération protestante et le ministre de
l'intérieur.
Eléments du synode de l'Eglise
réformée
Discours de Luc Olekhnovitch, Président de la
commission d'éthique de la fédération des Eglises
Evangéliques Baptistes
Discours du monde
associatif
Communiqué du secours catholique, de la Cimade, de la
LDH
Communiqué de la Fédération des
associations des travailleurs et des jeunes
Lettre ouverte de RESF aux élus PS, PC, LCR, Les
Verts
Tracts de Reso - Anti-Sarko
Lettre publique du collectif Uni(e)s contre une immigration
jetable
Communiqués du collectif Uni(e)s contre une immigration
jetable
Analyses du collectif Uni(e)s contre une immigration
jetable
Discours des organisations
syndicales
Déclaration de la CFDT, CGT, UNSA contre la
réforme CESEDA
Lettre ouverte de FO - Pour une solidarité entre
travailleurs
Communiqué de FO - Les travailleurs ne sont pas une
marchandise
Lettre de la CGT
Communiqué du syndicat de la juridiction
administrative
Motion votée par l'UNEF
Discours des partis
politiques
Communiqué de la Fédération anarchiste
Front national - Réaction et argumentaires internes
Les Verts - « Surenchère sur le dos des
immigrés »
MRC - argumentaire interne sur la loi CESEDA
PCF - Pour une régulation massive
PS - Lettres ouvertes, ouvrages et articles de Fabius, Boutih,
Lamdaoui, Arif, Aubry, Lang.
Représentations
iconographiques
Caricatures et dessins de presse (Plantu, Cabu, Placide,
Kiro)
Affiches des rassemblements et manifestations de RESF, UNIES
contre une immigration jetable
Affiches du 9ème collectif des sans papiers
« Votez Le pen », « Pour Sarkozy, la vie d'un
étranger ne vaut rien »
Tract du Mouvement des Jeunes socialistes « La
chasse aux immigrés est ouverte »
Tracts du CNT
Tract de l'UMP « Une immigration choisie pour une
intégration réussie »
Tract du PS « dignité solidarité
tolérance »
Une du magazine « L'hebdo des
socialistes »
Unes de Marianne, Le point, L'express, Le nouvel observateur
à propos du thème de l'immigration.
Photos de presse dans Le Monde, Libération et
l'Humanité
Discours
médiatiques
01.12.2005 - Le Monde - Retrouvons notre histoire - Jacques
Toubon
01.12.2005 - Le Monde - Le premier ministre durcit sa
politique d'immigration
11.12.2005 - Le Monde - La France ne repartira pas sans
s'ouvrir au monde, donc aux migrations - Olivier Brachet
18.12.2005 - Le Monde - Selon un sondage, 56% des
Français pensent que le nombre d'étrangers est trop important
21.12.2005 - Le Monde - Le pape aux français :
Remerciez vos immigrés
27.12.2005 - Le Monde - Entretien avec Pierre Tévanian,
animateur du collectif Les mots sont importants
27.12.2005 - Le Monde - Le Pen dans le texte... des autres
03.01.2006 - Le Monde - Tollé des associations contre
le projet Sarkozy
04.04.2006 - Le Monde - Nicolas Sarkozy veut choisir les
immigrés et durcir le regroupement familial
04.01.2006 - Le Monde - Quelle politique d'immigration en
France - Claire Rodier du GISTI
05.01.2006 - Le Monde - Immigration familiale : les
faits
10.01.2006 - L'Humanité - Dossier : un projet
dangereux sous le sceau de l'utilitarisme
21.01.2006 - Le Monde - Colonisés hier, immigrés
aujourd'hui, citoyens demain
26.01.2006 - Le Monde - Qui sont les Français issus de
l'immigration - Vincent Tiberj
01.02.2006 - Le Monde - Des étrangers parents
d'élèves continuent d'être expulsés
06.02.2006 - Libération - Sarkozy vante encore ses
« bons » immigrés
08.02.2006 - Le Monde - Les principales mesures de
l'avant-projet de loi sur l'immigration
10.02.2006 - L'Humanité - Bons et mauvais
immigrés
10.02.2006 - Libération - Etrangers bienvenus si
souhaités
10.02.2006 - Libération - Le PS s'indigne, mais pas top
fort
12.02.2006 - Le Monde - Justice, prison, immigration - un
rapport du Conseil de l'Europe accable la France
24.02.2006 - Le Monde - La maîtrise des flux migratoire
aux dépens de l'intégration
24.02.2006 - Libération - Le parfait petit manuel pour
expulser les clandestins
08.03.2006 - Le Monde - Vives inquiétudes autour des
méthodes de lutte contre les sans-papiers
10.03.2006 - Le Monde - Inutile discrimination positive
22.03.2006 - Le Monde - En 2005, les opinions racistes ont
gagné du terrain en France
29.03.2006 - Le Monde - Les principales dispositions du projet
de loi relatif à l'immigration et à l'intégration
01.04.2006 - Libération - L'Union européenne a
aussi besoin de travailleurs non qualifiés - Frattini, commissaire
européen
01.04.2006 - Libération - Un PS bien discret sur le
projet Sarkozy
02.02.2006 - Le Monde - Manifestation à Paris contre
l'immigration jetable à l'appel de 350 associations
11.04.2006 - Le Monde - Les limites de l'immigration
choisie
22.04.2006 - Libération - Croisade contre la loi
Sarkozy sur l'immigration
24.04.2006 - Le Monde - Sarkozy drague les électeurs du
Front national
25.04.2006 - Le Monde - Précarité :
après les jeunes, les étrangers par Laurent Fabius
25.04.2006 - Le Monde - Les Eglises chrétienne
s'inquiètent du contenu du projet de loi sur l'immigration
25.04.2006 - Libération - A droite, le bruit et l'odeur
de la xénophobie
27.04.2006 - Le Monde - La France doit-elle choisir ses
immigrés - Thierry Mariani
27.04.2006 - Le Monde - L'immigration choisie est un rempart
contre le racisme - Nicolas Sarkozy
27.04.2006 - Le Monde - Réactions
01.05.2006 - Le Monde - Le problème n'est pas de
contenir les flux mais d'intégrer les générations
nées en France - François Héran
02.05.2006 - Le Monde - Le regroupement familial
menacé
02.05.2006 - Libération - L'étranger passe au
tri sélectif
02.05.2006 - Libération - Non à l'immigration
jetable - Kader Arif, Faouzi Lamdaoui...
03.05.2006 - Le Monde - Les principaux points du projet de
loi
02.05.2006 - L'Humanité - Cette loi qui crée des
sous citoyens
04.05.2006 - L'Humanité - Nicolas Sarkozy plus vrai que
vrai à l'Assemblée
05.05.2006 - Le Monde - Les députés ont
bataillé autour d'une disposition visant les couples mixtes
06.05.2006 - L'Humanité - L'immigré, un
travailleur jetable - Nathalie Ferré du GISTI
09.05.2006 - Le Monde - Les limites de l'immigration choisie -
Patrick Weil
10.05.2006 - Le Monde - La lente course d'obstacles des
immigrés
11.05.2006 - Le Monde - Les députés
achèvent l'examen du projet de loi sur l'immigration
12.05.2006 - Libération - Contre l'immigration choisie
- GISTI, CIMADE...
16.05.2006 - Le Monde - Un chauvinisme matrimonial
17.05.2006 - Le Monde - Les députés doivent
voter mercredi le projet de loi sur l'immigration
17.05.2006 - Libération - Une loi de
désintégration - Sami Naïr
18.05.2006 - Libération - La caravane Sarkozy
débarque en Afrique
19.05.2006 - Le Monde - Immigration - le débat
escamoté
19.05.2006 - Le Monde - Principales dispositions du projet de
loi
19.05.2006 - L'Humanité - C'est tout le peuple malien
qui se trouve visé par cette loi - Samba Ibrahima Tembely
19.05.2006 - Un tri choquant et insultant - Premier ministre
du Niger
19.05.2006 - L'Humanité - Sarkozy provoque au pays des
expulsés
19.05.2006 - L'Humanité - Sarkozy sur les terres de
l'extrême droite
30.05.2006 - Le Monde - L'Eglise réformée de
France s'alarme du projet de loi sur l'immigration
06.06.2006 - Le Monde - Chronologie : la politique
d'immigration en France depuis 1945
06.06.2006 - Le Monde - L'immigration en Europe, durcissement
quasi général
06.06.2006 - L'Humanité - Contre l'immigration choisie,
un dialogue partagé - CCFD
07.06.2006 - Le Monde - Sarkozy sur les traces de Pasqua
Annexe n°2
Liste des principaux intervenants dans le débat
à l'Assemblée nationale
- Mr Nicolas Sarkozy (UMP), Ministre d'Etat,
Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire.
Président de l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP.)Président
du Conseil général des Hauts-de-Seine.
- Mr Brice Hortefeux (UMP), Ministre
délégué aux collectivités territoriales.
- Mr Christian Estrosi (UMP), Ministre
délégué à l'aménagement du territoire,
Président du Conseil Général des Alpes-Maritimes.
- Mr Thierry Mariani (UMP), député
élu dans le Vaucluse et rapporteur de la commission des lois
constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République.
- Mr Jacques Myard (UMP), député élu
dans les Yvelines, Maire de Maisons-Laffitte.
- Mr Claude Goasguen (UMP), député
élu à Paris.
- Mr Jérôme Rivière (UMP),
député élu dans les Alpes Maritimes, président
du comité de soutien à Philippe de Villiers lors des
élections présidentielles 2007.
- Mr Jean-Christophe Lagarde (UDF), député
élu en Seine-Saint-Denis, Maire de Drancy.
- Mr Julien Dray (PS), député élu
dans l'Essonne, porte-parole du Parti socialiste, ancien vice-président
de SOS Racisme.
- Mr Serge Blisko (PS), député élu
à Paris, Maire du 13ème arrondissement de
Paris.
- Mr Bernard Roman (PS), député élu
dans le Nord.
- Mr Noel Mamère (Les Verts), député
élu en Gironde, Maire de Bègles.
- Mr Patrick Braouezec (PCF), député
élu en Seine-Saint-Denis, Maire de Saint-Denis.
N.Sarkozy : « La France, on l'aime ou on la
quitte »
AVANCÉE DU PROJET DE LOI
Assemblée nationale - 2e lecture
Saisine du Conseil constitutionnel
D.de Villepin : « Je veux une immigration
choisie »
Présentation du texte au Conseil constitutionnel
Commission des lois + Conseil des ministres
Décision conseil constitutionnel
Débat
Assemblée
nationale
Débat
Sénat
Note de Claude Géant.
A
O
U
T
2005
J
U
I
L
L
E
T
2006
J
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I
N
2006
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2005
O
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E
2005
N
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V
E
M
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2005
A
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S
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F
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I
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2006
J
A
N
V
I
E
R
2006
D
E
C
E
M
B
R
E
2005
Vote d'une motion de censure soutenue par le PC, PS et UDF
à propos de l'affaire Clearstream
Emeutes
en
banlieue
Mobilisation
contre le CPE
Affaire des caricatures au Danemark
Publication
des caricatures
de Mahommet par
France Soir
Le film Indigènes primé
au festival de Cannes
Mort de 17 immigrés dans l'incendie d'un immeuble
insalubre parisien
Affaire Cleastream : mise en cause du Premier ministre
Vote de la prolongation de l'Etat d'urgence
ÉVENEMENTS D'ACTUALITÉ
Retrait du CPE
Vote du CPE
avec l'art. 49-3
Annexe n°4
Index des sigles
CECEF Conseil d'Églises chrétiennes en France
CESEDA Code de l'entrée et du séjour des
étrangers et du droit d'asile
CFCM Conseil français du culte musulman
CGT Confédération générale du
travail
CIMADE Service oecuménique d'entraide
COMECE Commission des épiscopats de la communauté
européenne
CPE Contrat première embauche
CRIF Conseil représentatif des institutions juives de
France
DOM Département d'outre-mer
FN Front national
FO Force ouvrière
GISTI Groupe d'information et de soutien des travailleurs
immigrés
INSEE Institut national de la statistique et des
études économiques
LDH Ligue des Droits de l'Homme
LMSI Les mots sont important (collectif)
MRAP Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des
peuples
MST Maladie sexuellement transmissible
PCF Parti communiste français
PRG Parti radical de gauche
PS Parti socialiste
RESF Réseau éducation sans frontière
RPR Rassemblement pour la France
SMIC Salaire minimum interprofessionnel de croissance
SOFRES Société française d'études par
sondages
TOM Territoire d'outre-mer
UDF Union démocratique française
UMP Union pour un Mouvement Populaire
UNEF Union nationale des étudiants de France
Annexe n°5
Extraits de la présentation du projet de loi par
Mr Nicolas Sarkozy, Ministre d'État, ministre de l'intérieur et
de l'aménagement du territoire
Monsieur le président, monsieur le président de
la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les
députés, depuis cinq semaines, le projet de loi relatif à
l'immigration et l'intégration est entre vos mains. Je voudrais vous
dire dans quel état d'esprit j'aborde la discussion qui s'ouvre
aujourd'hui devant la représentation nationale.
Ma conviction est que, dans une démocratie moderne,
l'immigration n'est pas un sujet tabou. Dans tous les pays d'Europe,
l'immigration est considérée pour ce qu'elle est : un sujet
de société, une question politique majeure, engageant l'avenir
d'une nation. Dans toutes les démocraties, il est permis d'en
débattre, sans avoir à s'excuser d'un débat
extrêmement nécessaire. Et, par-dessus tout, dans toutes les
démocraties d'Europe, il est permis d'agir, en ne craignant pas, s'il le
faut, de remettre plusieurs fois l'ouvrage sur le métier.
Ainsi, le gouvernement socialiste de Tony Blair a
réformé à quatre reprises la législation
britannique sur l'asile et l'immigration, sans qu'on ait dit pour autant que la
Grande-Bretagne n'était plus une démocratie. L'Espagne a
changé trois fois sa loi sur l'asile et sur l'immigration depuis 2000,
et il ne serait venu à l'idée de personne de dire que l'Espagne
n'était plus une démocratie. Une profonde réforme du
système allemand, conçue par le gouvernement socialiste et vert
de M. Schröder, est entrée en vigueur le 1er janvier 2005.
Dans ces grands pays européens, la réforme de
l'immigration a donné lieu à une confrontation de projets,
à un vrai débat d'idées, à la fois passionné
et rationnel : un débat pleinement démocratique et
politique. Ce débat sur l'immigration, je veux qu'il ait aussi lieu dans
notre pays, car les Français l'attendent, ils l'exigent.
Et quand les partis républicains n'ont pas le courage,
à gauche comme à droite, de s'occuper d'un sujet qui est au coeur
des préoccupations des Français, il ne faut pas se plaindre que
les extrêmes prennent la place qu'ils ont désertée.
Voilà la réalité politique de notre pays depuis des
décennies ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union
pour un mouvement populaire.) Les Français nous demandent de regarder
cette réalité en face. Jamais le fossé n'a
été aussi grand entre le discours de certaines élites et
la réalité, telle qu'elle est perçue par nos
compatriotes.
Selon un sondage de la SOFRES publié par Le Monde en
décembre 2005, 63 % des Français estiment qu'il y a trop
d'immigrés en France. Parmi ces 63 % de Français, 50 %
sont des électeurs de gauche. Plutôt que de leur reprocher de
penser ce qu'ils pensent, il me semble plus utile d'essayer de comprendre
pourquoi ils pensent ainsi et de leur apporter des réponses.
Je suis convaincu que l'immense majorité de nos
compatriotes n'est ni raciste ni xénophobe, qu'ils exècrent le
racisme et la xénophobie. Mais reconnaissons les choses telles qu'elles
sont : pour beaucoup de Français, l'immigration est une source
d'inquiétude qu'il nous faut prendre en compte. Ils y voient une menace
pour leur sécurité, leur emploi, leur mode de vie. Les
Français qui pensent de la sorte sont aussi respectables que les autres.
Il faut comprendre les attentes de cette majorité silencieuse, pour qui
l'immigration est d'abord une réalité quotidienne.
Nos compatriotes savent que l'immigration présente
d'immenses avantages pour la vie de la cité. Dans l'échange avec
le migrant, il y a l'apprentissage de la diversité, le goût de la
différence, le sens de la tolérance.
Il y a le meilleur. Mais il y a aussi le pire, produit par
trente années d'une immigration non gérée : les
cités ghettos, les squats qui brûlent, les
phénomènes de bandes et les violences urbaines. Ne pas tenir
compte de cette réalité, c'est accepter que l'extrême
droite soit dans notre pays depuis vingt-cinq ans à un niveau qu'aucun
autre pays démocratique ne connaît. C'est une question
posée à toute la représentation nationale.
Les Français savent que les violences qui ont
éclaté dans nos banlieues à l'automne dernier ne sont pas
sans rapport avec l'échec consternant de la politique d'immigration et
d'intégration.
Cet échec se traduit par une réalité
douloureuse : des enfants nés en France se sentent moins
français que leurs grands-parents qui étaient pourtant
étrangers.
Cette réalité, nous devons la regarder en face
et en tirer toutes les conséquences.
Notre système d'intégration ne fonctionne
plus !
La vérité, c'est que les vingt-sept nuits
d'émeutes, que nous avons subies en octobre et novembre, sont
directement le produit de la panne de notre système
d'intégration, qui n'intègre plus personne !
La vérité, c'est que les étrangers les
plus récemment arrivés dans notre pays sont les premières
victimes de notre incapacité collective à maîtriser
l'immigration. Je pense, bien sûr, aux incendies dramatiques des 25 et
29 août 2005, à Paris, qui ont causé la mort de
vingt-quatre personnes originaires d'Afrique. Je garde en mémoire, alors
que j'étais aux côtés du maire et des élus de Paris,
ces enfants allongés sur des civières, que nous pensions endormis
alors qu'ils étaient morts, asphyxiés, tués par la
misère.
Personne, sur aucun banc de cette assemblée, ne peut
considérer que ces squats, où s'entassent des malheureux sans
avenir à qui l'on a fait croire qu'ils auraient un logement et un
travail, témoignent d'un système d'intégration qui
fonctionne. Nous refusons des gens pour qui nous avons un travail, mais nous
acceptons des malheureux pour lesquels nous n'avons ni logement ni travail et
qui terminent dans des squats qui prennent feu au mois d'août dans la
capitale de la France.
Voilà la réalité et elle n'est glorieuse
pour personne !
La vérité, c'est que des familles
entières d'immigrés sont hébergées dans des taudis
et que leurs enfants, qui ne peuvent faire leurs devoirs scolaires dans des
logements trop exigus, sont bien souvent laissés à
eux-mêmes dans la rue.
Face à cette réalité, les Français
ne supportent plus les oppositions politiques frontales qui n'ont aucun sens
sur un sujet de cette importance et de cette complexité.
Les Français refusent d'être prisonniers de deux
extrémismes : l'immigration zéro d'un côté,
l'immigration totale de l'autre.
L'immigration zéro est un mythe dangereux. Je rejette
de la manière la plus nette le poncif habituel des mouvements
d'extrême droite selon lesquels il existerait des cultures "impossibles
à intégrer" et qui prêchent le concept totalement mensonger
de l'immigration zéro qui est contraire à l'histoire de la
France, à son identité, à ses traditions. D'ailleurs, au
cours l'histoire, si certaines sociétés se sont
effondrées, c'est davantage en raison de la consanguinité, du
repliement et de la fermeture que de l'ouverture et de la politique de la main
tendue. L'immigration zéro n'est en aucune manière et d'aucune
façon la politique que je vous propose au nom du gouvernement de la
France. La France n'a pas vocation à être repliée sur
elle-même, derrière on ne sait quelle ligne Maginot ! La
consanguinité serait synonyme de déclin national.
Mais pas plus que l'intolérance des partisans de
l'immigration zéro, je n'accepte l'autre extrémisme. Je ne crois
pas que les hommes soient interchangeables, que les frontières soient
illégitimes, et que l'on puisse faire table rase de son passé et
de sa culture.
Je refuse, avec la plus grande fermeté, les
opérations globales de régularisations d'étrangers sans
papiers, comme les gouvernements de François Mitterrand et Lionel Jospin
les ont pratiquées en 1981, 1990 et 1997. En dix ans, nous avons connu
trois opérations de régularisations qui ont abouti au
désastre que nous connaissons aujourd'hui. Ce n'était donc pas la
solution au problème de la France !
Ces opérations de régularisations massives sont
très dangereuses, car elles ont un effet d'appel d'air. Le migrant
régularisé fait venir sa famille. Il indique à ses amis,
dans son village, que l'émigration vers la France est possible. Des
filières se créent. Et, dans les pays d'origine, le signal est
bien reçu : la frontière est ouverte ! L'incarnation de
cette absence de conviction et de politique a été Sangatte, qui a
abouti à un déferlement de misère dans le Calaisis,
misère à laquelle nous avons dû mettre un terme.
Les Espagnols le savent bien, qui ont régularisé
570 000 clandestins au premier semestre 2005. Cela n'a fait qu'encourager
les milliers de malheureux migrants africains qui traversent le Sahara dans
l'espoir d'obtenir des papiers en Espagne, avant de se heurter aux
barbelés scandaleux de Ceuta et Mellila. La régularisation
générale suscite la migration clandestine. Voilà la
réalité à laquelle nous sommes confrontés !
Les Italiens le savent, eux aussi, qui régularisent tous les deux ou
trois ans des centaines de milliers de personnes. Mais il en entre toujours
plus. Et il faut donc régulariser davantage !
Ne nous y trompons pas : les régularisations
décidées en France ont beaucoup contribué à la
confusion et au désordre. Renouer avec ces pratiques fragiliserait
considérablement notre pacte social. J'ai été heureux
d'entendre un homme de la qualité de M. Strauss-Kahn
répondre à l'irresponsabilité de M. Fabius qui
appelait à la régularisation générale.
La France est trop fragile pour subir cette épreuve.
Cela ne signifie pas que je sois hostile à toute régularisation,
et j'y reviendrai au cours de nos débats. Mais je refuse, avec une
totale détermination, les fausses solutions dictées par le
simplisme et par l'aveuglement.
Pour la première fois sous la
Ve République, un ministre est responsable de l'ensemble des
questions de l'immigration. Chargé de coordonner les différentes
administrations compétentes dans ce domaine - intérieur, affaires
étrangères, affaires sociales -, j'ai pu préparer, depuis
juin dernier, le texte qui vous est soumis aujourd'hui.
J'ai la conviction que c'est un texte équilibré.
Il est ferme à l'endroit de ceux qui ne respecteront pas les
règles. Il est juste à l'égard des personnes qui demandent
à venir en France en suivant les règles d'admission que nous
fixons pour tous.
Nous devons avoir l'exigence de justice.
Par ailleurs, les dispositions concernant le séjour des
étrangers malades ne doivent pas être remises en cause. Je
n'accepterai aucun amendement qui modifierait sur ce point la
législation équilibrée qui est aujourd'hui la nôtre,
même si j'aurai l'occasion d'expliquer qu'il nous appartient, sans
changer la loi, de lutter contre certaines fraudes particulièrement
choquantes.
La meilleure preuve de l'équilibre du projet de loi, me
semble-t-il, est qu'il fait l'objet d'attaques virulentes aussi bien de la part
de l'extrême droite, qui m'accuse de laxisme, que de certaines franges de
la gauche, qui m'accusent de xénophobie.
D'une certaine manière, je me félicite de ces
critiques.
Elles indiquent, à n'en point douter, que la voie
médiane a été trouvée.
Depuis quatre ans, le Gouvernement s'est efforcé de
redresser la barre d'un navire à la dérive.
En mai 2002, la situation que j'ai trouvée
était dramatique. La gestion hasardeuse de l'immigration faisait des
ravages. Les demandes d'asile avaient quadruplé en cinq ans :
20 000 en 1997, 82 000 en 2002. La zone d'attente de Roissy
débordait de tous les côtés. Le hangar de Sangatte se
présentait, dans toute l'Europe, comme le symbole honteux du chaos
migratoire français. Et aucun ministre des gouvernements socialistes
n'avait jugé utile de rendre visite aux malheureux de Sangatte !
Quant aux flux d'immigration régulière, ils s'étaient
accrus d'un tiers en cinq ans : 120 000 en 1997, 160 000 en
2002.
En votant la loi du 26 novembre 2003, vous avez
donné au Gouvernement de nouveaux outils de lutte contre l'immigration
irrégulière. Je n'en ferai pas aujourd'hui le bilan, car vous le
connaissez.
[...]
L'immigration « pour motif familial »
occupe une place très importante dans les flux migratoires.
Près de la moitié des cartes de séjour
sont délivrées à ce titre - 82 000 en 2005. Chez nos
partenaires européens, le niveau de l'immigration familiale est bien
inférieur : 66 000 en Allemagne, qui compte 20 millions
d'habitants de plus que nous, et 35 000 en Grande-Bretagne, qui a le
même nombre d'habitants que nous.
Que l'on me comprenne bien : je ne dis pas qu'un
immigré ne doit pas avoir le droit de faire venir sa famille en
France.
Je suis trop attaché à notre tradition
humaniste.
Je suis trop attaché au principe constitutionnel de
protection de la vie familiale. Je suis trop respectueux de nos engagements
européens. D'ailleurs, l'idée ne viendrait à personne de
contester à un père le droit de vivre avec sa femme et ses
enfants.
Mais je voudrais que les choses soient claires : c'est au
pouvoir politique, au Gouvernement et au législateur, de définir
dans quelles conditions s'applique en France le droit à la vie
privée et familiale. Il ne saurait y avoir, pour toutes les familles de
par le monde, un droit absolu et inconditionnel à s'installer en France
sans aucun projet d'intégration, sans aucun travail, sans logement digne
et sans perspective.
La répartition des flux migratoires est d'autant plus
illogique en France que l'immigration pour motif de travail reste à un
niveau marginal : 11 500 cartes de séjour ont
été délivrées à ce titre en 2005, ce qui
signifie que nous ne sommes pas capables d'accueillir des migrants pourvus d'un
emploi et contribuant à la croissance.
Nous sommes en réalité plongés dans un
système totalement paradoxal depuis trente ans. Au prétexte de
protéger l'emploi national, on a verrouillé, par un
système de contrôles a priori, effectués par
l'administration du travail, l'introduction en France d'étrangers
pourvus d'un emploi. Et, dans le même temps, contre toute logique, on
laisse entrer dans notre pays un flux croissant d'immigration familiale qui
déséquilibre fortement le marché du travail en faisant
venir des étrangers, la plupart du temps très peu
qualifiés et peu intégrés. C'est le contraire de ce qu'il
convient de faire : on ferme la porte à ceux qui ont un travail,
alors qu'on l'ouvre à ceux qui n'ont ni travail ni formation ni
perspective.
Ce système est absurde. C'est là, je crois, une
source essentielle du malaise français. Toute notre ambition doit
être d'en sortir au plus vite.
Il faut donc transformer profondément la politique
d'immigration. Je n'ai pas peur de le dire à ceux qui me font le
reproche de venir une deuxième fois devant le Parlement pour
présenter un projet de loi : j'ai bien conscience que la loi de
2003 n'a été que la première étape de la
transformation de notre politique d'immigration.
[...]
Il ne s'agit donc pas pour nous de transposer en France un
exemple étranger, mais de définir ensemble un nouveau
modèle français de l'immigration. Je vous propose de le faire en
partant de trois principes fondamentaux : l'immigration choisie,
l'affirmation d'un lien entre intégration et immigration, et le
co-développement.
Le premier principe est celui de l'immigration choisie.
Je revendique cette expression qui n'est pas la mienne, mais
celle qu'a retenue la Commission européenne de Bruxelles, qui recommande
à tous les États membres d'adopter une même politique de
l'immigration fondée sur l'immigration choisie.
Ceux qui combattent ce terme ne peuvent pas se
prétendre européens puisque c'est précisément cette
politique que préconise la Commission.
Ma conviction est que, comme toutes les grandes
démocraties du monde, la France doit pouvoir choisir non seulement le
nombre des migrants qu'elle accueille, mais aussi les objectifs et les
conditions dans lesquels elle le fait.
L'immigration choisie est le contraire de l'absence
d'immigration. C'est aussi le contraire de l'immigration subie - subie par les
Français et par des migrants qui ne trouvent en France que
l'échec. Elle crée d'abord la possibilité pour
l'État de fixer des objectifs quantifiés d'immigration afin de
déterminer la composition des flux migratoires, dans
l'intérêt de la France comme dans celui des pays d'origine.
Mais l'immigration choisie, c'est aussi le refus de la
fatalité et la volonté déterminée de lier
l'immigration aux capacités d'accueil de notre pays.
C'est un système dont les règles sont claires et
prévisibles, pour les Français comme pour les migrants. C'est un
système où le candidat à l'immigration en France doit
être autorisé à venir s'y installer avant son entrée
sur notre territoire. Rien de plus logique à cela : pour venir
s'installer en France, pour venir y étudier, y travailler ou rejoindre
sa famille, il faut que la République soit d'accord et qu'elle signifie
clairement au migrant, dans son pays, qu'elle est prête à
l'accueillir.
Il ne s'agit donc pas d'un système élitiste qui
n'accepterait en France que des étrangers extrêmement
qualifiés. C'est une immigration régulée, d'autant mieux
acceptée par nos compatriotes qu'ils auront conscience de sa
contribution positive à la vie de notre nation.
Et cette immigration ne sera réussie, en
vérité, que si les immigrés parviennent à
s'intégrer à la société qui les accueille.
D'où le deuxième principe de cette
réforme : l'affirmation d'un lien étroit entre
l'intégration et l'immigration.
Je veux rompre, à cet égard, avec des
décennies de faux-semblants.
Des experts, ou prétendus tels, osent encore affirmer
que les questions d'immigration et d'intégration doivent être
dissociées. Pour ne pas stigmatiser les nouveaux arrivants, nous dit-on,
il importerait de ne pas les considérer comme des migrants et de les
prendre en compte, au mieux, dans le cadre de la politique de la ville.
Cela n'a aucun sens. Et cela explique d'ailleurs pourquoi la
politique de la ville a connu son lot d'échecs. Ma philosophie est tout
autre : pour moi, il ne fait aucun doute que l'immigration et
l'intégration sont deux enjeux étroitement imbriqués. Et
cela, pour une raison évidente : faire entrer en France un grand
nombre de migrants sans se donner les moyens de les accueillir et d'organiser
leur insertion dans la société française conduit à
des situations explosives.
L'intégration est un processus long, complexe et
coûteux, qui met en jeu les équilibres de notre pacte social. Ce
que nous voulons, c'est obliger les étrangers qui veulent s'installer
durablement ou définitivement en France à faire les efforts
indispensables pour s'intégrer.
Il n'y a pas que la société qui accueille, qui
doive faire des efforts. Celui qui veut être intégré doit
aussi se donner du mal pour être accepté.
Je pose la question : comment pourrait-on espérer
s'intégrer en France sans parler un mot de français ?
Comment, dans de telles conditions, trouver un travail, organiser une vie
sociale ou élever ses enfants ? C'est impossible, bien entendu.
Désormais, pour obtenir un droit au séjour
durable, il faudra manifester sa volonté de s'intégrer en faisant
l'effort nécessaire pour apprendre notre langue. Si l'on n'apprend pas
le français, on n'a pas vocation à rester durablement sur le
territoire de la République française.
Il faudra aussi - c'est bien le moins - s'engager à
respecter les lois et les valeurs de la République. Si on ne le veut
pas, on n'a pas vocation à être accueilli et à demeurer en
France.
Et il faudra respecter cet engagement, car, si les
étrangers ont des droits, ils ont aussi des devoirs.
Le premier d'entre eux est d'aimer le pays qui les accueille
et de respecter ses valeurs et ses lois. Sinon, rien n'oblige celui qui n'aime
pas notre pays, qui ne respecte pas ses lois et qui n'apprécie pas ses
valeurs à y demeurer !
Le moins qu'on puisse demander à quelqu'un qui veut
être accueilli en France, c'est d'aimer la France et de la respecter.
Annexe n°6
Extrait d'une question préalable au débat
déposée par le Parti socialiste
M. Serge Blisko. Monsieur le président,
monsieur le ministre délégué à l'aménagement
du territoire, mes chers collègues, c'est avec un sentiment de tristesse
et d'angoisse que je tiens ce projet de loi entre mes mains. L'objet de la
question préalable est de savoir s'il y a lieu de
délibérer, comment et sur quoi. Je vais tout de suite vous livrer
ma conclusion : mieux vaudrait rejeter ce projet de loi d'emblée
tant celui-ci fait appel à des analyses fausses et repose sur une
idéologie pour le moins troublante. Je vais essayer de vous en
convaincre.
Ce projet de loi est d'abord fait pour servir vos
intérêts électoraux en instrumentalisant l'immigration, qui
n'est pas une problématique facile, nous le savons tous.
Je pourrais vous reprocher aussi votre manque d'imagination, y
compris dans les slogans. Il y a dix jours M.
Sarkozy déclarait : « si certains n'aiment pas la
France, qu'ils ne se gênent pas pour la quitter ».
M. Bernard Roman. Scandaleux !
M. Serge Blisko. Ce n'est que la traduction de
la formule de la vieille droite réactionnaire américaine :
« America : love it or leave it ».
Vous n'avez rien inventé. Mais vous avez
commencé à attiser la xénophobie et à
développer le mythe récurrent de l'étranger
délinquant, fraudeur, voire criminel. Or il n'y a rien de pire dans ce
domaine que de jouer sur les fantasmes et les peurs. Nous le savons
assez : depuis vingt ans, le débat politique est empoisonné
par cette question. Toutefois, ce projet de loi marque un changement radical
dans la perception de l'immigration et des immigrés.
Le problème, monsieur le ministre, c'est que ce n'est
pas seulement une carrière ou un score dans les sondages qui sont en jeu
aujourd'hui, mais la vie de milliers de personnes. Ce texte, en tout point
déshumanisant, condamne des familles entières à
l'instabilité, à la précarité, à la
clandestinité. Il ne répond en rien à la
problématique extrêmement complexe des flux migratoires. Il entend
traiter un stock, gonflé de façon imaginaire, mais sa seule
efficacité sera d'augmenter le nombre des situations humaines
intolérables.
Ce projet de loi se caractérise d'abord par une
obsession du chiffre. Il ne résulte pas d'un travail
sérieux : ni bilan, ni mise en perspective, ni écoute des
différents acteurs alors qu'il s'agit d'un domaine très
controversé où les chiffres diffèrent selon les instituts
et centres d'études, si sérieux soient-ils. Mais je crains que le
seul calcul qui prévale ici soit le calcul électoral.
Vous adoptez une méthode comptable en
considérant les immigrés sous le seul angle de leur
utilité économique et sociale, en les classant en
catégories statistiques. Vous croyez convaincre par ces chiffres et ces
classifications mais ceux-ci ne peuvent cacher l'absence d'humanité de
vos objectifs.
Le calcul politique prévaut. Sans attendre
l'application intégrale de votre première loi du 26 novembre
2003 et sans en tirer un premier bilan, vous nous soumettez un nouveau texte.
Mais nous n'avons pas trouvé d'explication convaincante à cette
soixante et onzième révision de l'ordonnance de 1945 sur
l'entrée et le séjour des étrangers, à laquelle
vous mêlez, de façon inappropriée, le droit d'asile.
Permettez-nous dès lors de nous interroger sur l'opportunité de
votre démarche.
L'élaboration de votre projet s'est
caractérisée par l'absence de consultation préalable des
organisations syndicales, alors que les conditions de l'immigration liée
au travail sont profondément modifiées. Le ministère des
affaires sociales, premier concerné, en particulier par la
réforme des centres d'accueil pour demandeurs d'asile, n'a, quant
à lui, eu son mot à dire que bien tardivement.
Vous n'avez pas consulté non plus la Commission
nationale consultative des droits de l'homme, la CNCDH. Dois-je ici vous
rappeler l'engagement qu'a pris le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, le
3 octobre 2002, de saisir cette commission de tous les projets du
Gouvernement dès lors qu'ils auraient une incidence directe sur les
droits fondamentaux que les citoyens se sont vu reconnaître par les lois
et par les traités internationaux ratifiés par la France ?
En 2003, cette instance avait d'ailleurs dû s'autosaisir. Elle indiquait
dans son avis du 15 mai de la même année :
« l'on ne saurait borner la politique d'immigration à sa seule
dimension policière tant il est vrai que le développement des
flux migratoires est dans la nature d'un monde de plus en plus
globalisé. La Commission s'interroge sur la pertinence d'une approche
qui tiendrait pour acquise la liberté des échanges commerciaux,
financiers et de l'information, tout en astreignant les hommes à
résidence dans leurs propres pays. » Elle avait aussi
relevé une « suspicion trop fréquente à
l'égard des étrangers ainsi qu'un manque de moyens administratifs
particulièrement criant ». On ne saurait mieux dire. Depuis 2003,
je le crains, rien n'a changé.
Vous êtes pressés, trop pressés. Le projet
de loi présenté ici ne tient pas compte non plus des
recommandations du rapport de la commission d'enquête sénatoriale
sur l'immigration clandestine. Et pour cause, me direz-vous, ce rapport n'est
paru que le 7 avril 2006 alors que votre projet de loi a été
déposé le 29 mars.
M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des
lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République. Eh oui !
M. Serge Blisko. Mais n'aurait-il pas
été plus prudent et plus respectueux pour le Parlement d'attendre
les conclusions des sénateurs avant de légiférer ?
M. le rapporteur a pour sa part beaucoup consulté
les associations et les organisations syndicales, je le reconnais volontiers,
...
M. Thierry Mariani, rapporteur.
Merci !
M. Serge Blisko. ...mais le projet a
été très peu modifié.
Alors même que l'immigration est une question difficile,
nécessitant un réel débat, vous avez ignoré tous
les avis. Loin du dialogue ou du réalisme, vous avez refusé
délibérément de prendre en compte les avis et les
conclusions d'instances légitimes qui, depuis vingt ans, tentent de nous
éclairer dans ce débat.
L'immigration est vue à travers le prisme comptable.
Depuis 2003, vous dites que les chiffres s'améliorent en citant, par
exemple, l'augmentation des reconduites à la frontière. Mais nous
savons bien que ces chiffres sont spécieux. Ces reconduites s'effectuent
en majorité dans deux ou trois départements d'outre-mer ou
collectivités, comme Mayotte. De plus, le problème ne se
résout pas en mettant toujours plus de personnes dans les avions pour
les renvoyer dans leur pays d'origine.
Je vais donner un exemple pour illustrer la détestable
méthode Sarkozy, qui consiste à lancer dans la presse des
chiffres avant même qu'ils ne soient vérifiés pour
finalement taire pudiquement la suite des événements, en
particulier lorsque ces chiffres sont infirmés.
M. Sarkozy a ainsi annoncé en novembre 2005,
au moment des émeutes urbaines, que 120 étrangers, en
situation régulière ou non, devaient être condamnés
pour violence et faire l'objet sans délai de mesures d'expulsion.
M. Bernard Roman. Il n'y en avait
qu'un !
M. Serge Blisko. En réalité, ces
120 personnes citées étaient interpellées et non
condamnées. Et finalement, sept jeunes sont concernés dont un
seul est expulsé.
M. Bernard Roman. Il faudra que le
Gouvernement donne des explications à ce sujet !
M. Serge Blisko. Encore une fois, il
s'agit d'un effet d'annonce sans suite. Heureusement d'ailleurs, car voir cent
vingt jeunes chassés de notre pays aurait été
insupportable. Voilà la démonstration que la
réalité est très différente des chiffres que vous
annoncez.
De la même manière, nous n'avons aucune
idée de ce qu'est la fameuse pression migratoire. Vous annoncez entre
200 000 et 400 000 étrangers en situation
irrégulière...
M. René Dosière. Ce qui ne
représente que 0,5 % de la population !
M. Serge Blisko. ...en vous hâtant
d'ajouter que notre pays n'a pas les moyens de les supporter. Mais dois-je vous
faire remarquer que ces chiffres ne recouvrent pas des situations de grande
clandestinité ? La plupart du temps, il s'agit de personnes que
l'administration tarde à convoquer alors que leurs papiers ont
expiré. Elles se retrouvent dans une situation irrégulière
alors qu'elles n'ont absolument rien fait d'irrégulier.
M. Bernard Roman. Oui, nous les voyons dans
nos permanences.
M. Serge Blisko. Dans notre pays, la
proportion d'immigrés en France reste stable depuis près de
trente ans et s'établit entre 6 et 7 % de la population alors
même que l'on nous parle de pression migratoire accrue, d'afflux et
même d'invasion.
Nous avons procédé à des consultations
auprès des syndicats et des associations, notamment le collectif
« Non à l'immigration jetable ». Et il faut bien
voir que derrière ces chiffres, il y a des situations humaines
concrètes : des individus vont devoir remplir des objectifs
quantitatifs pluriannuels déterminés par le Gouvernement.
L'illogisme est criant. Les individus ne sont pas des pions, on ne peut pas les
faire entrer, en poussant, en bourrant, en rabotant les coins, dans vos cases
fixées en fonction d'opportunités politiques et
d'échéances électorales. La réalité n'a rien
à voir avec vos objectifs politiques ou les problèmes d'image de
telle ou telle personnalité.
Vous bafouez les principes républicains. En multipliant
les obstacles, vous niez le droit qu'ont les membres d'une famille de pouvoir
vivre ensemble, droit protégé par l'article 8 de la
Convention européenne des droits de l'homme. Car derrière le
terme de regroupement familial, il faut voir le mal-vivre de familles
séparées, d'enfants privés de leur père et de leur
mère. Vous déstabilisez la famille, cellule de base de la
société, particulièrement pour les populations les plus
fragiles. Vous rendez plus précaires encore des situations
déjà difficiles et vous exposez à la marginalité
des enfants déracinés.
M. Bernard Roman. Très juste !
M. Serge Blisko. Je pense à ces jeunes
mineurs que nous parrainons grâce au réseau «
Éducation sans frontières ». En plein milieu d'une
année scolaire, ils encourent le risque d'être expulsés de
notre pays, alors même qu'ils sont entourés d'amis et soutenus par
des professeurs, exemples même d'insertion par l'école, quel que
soit leur niveau. Et ce n'est pas une description mélodramatique, mais
la triste réalité de ce pays.
M. Bernard Roman. C'est scandaleux !
M. Serge Blisko. Les églises
chrétiennes ont considéré qu'en attaquant frontalement
l'immigration familiale, en la désignant comme une immigration subie,
vous faites le malheur de ces familles et vous bafouez les principes
républicains et humanistes que nous devrions, je crois, tous
partager.
Votre obsession de la catégorisation transpire de ce
texte. Les étrangers classés dans la catégorie
« stagiaires » ou « étudiants »
seront ainsi assez bons pour bénéficier de la carte
« compétences et talents ». Derrière cette
catégorisation se cache une hiérarchisation inacceptable et
absurde. Car dans cette fuite en avant, vous allez finir par vous embourber
dans vos propres contradictions.
Vous tentez de concilier les phobies traditionnelles de
l'extrême droite et un point de vue moderniste, libéral au sens
économique du terme, qui tendrait à répondre aux besoins
de main-d'oeuvre des entreprises françaises. Pensez-vous
réellement qu'en donnant l'image d'une France refermée sur
elle-même, soupçonneuse et pleine d'embûches
administratives, vous allez faire de notre pays un pôle
d'attractivité pour les compétences et les talents ? Soyez
assurés que les étrangers talentueux choisiront une autre
destination, plus sympathique et riante, lorsqu'ils verront ce que sera devenue
la France si votre projet de loi est adopté. Et votre intention
affichée de recruter les meilleurs éléments n'y fera rien.
Ils préféreront partir au Canada plutôt qu'en France.
En outre, le système que vous mettez en place est
totalement stupide. Je lisais aujourd'hui la liste des professions ouvertes aux
ressortissants des nouveaux pays d'Europe de l'Est qui, depuis hier, peuvent
entrer sans grande restriction - et c'est heureux - dans notre pays. On y
trouve à la fois des ingénieurs atomistes, des médecins de
haut niveau mais aussi des laveurs de carreaux.
M. Jean-Pierre Brard. Pour laver les carreaux
de l'UMP !
M. Christian Vanneste. Monsieur Brard,
votre niveau baisse d'heure en heure ! Et il n'était
déjà pas très élevé !
M. Jean-Pierre Brard. Et vous, monsieur
Vanneste, vous avez la vue qui baisse !
M. Serge Blisko. Or, vu le nombre de tours de
bureaux qui se construisent ici ou là, nous aurons besoin demain de
laveurs de carreaux. Allez-vous réellement délivrer une carte
« compétences et talents » à un laveur de
carreaux venu d'outre-mer ? Heureusement que le ridicule ne tue
pas !
Autre question : que fait-on des compétences et
talents déjà en France, ceux qui ne trouvent pas leur place, ceux
qui ont le droit d'être médecin dans nos hôpitaux mais qui
n'ont pas le droit de s'installer dans la rue à côté de
l'hôpital, même avec un diplôme français, simplement
parce qu'ils sont étrangers ? Va-t-on leur dire qu'ils sont
compétents, mais sans talents puisque peu payés, qu'ils sont
utiles mais qu'ils n'ont pas droit à la carte
« compétences et talents » car ils sont
arrivés sur notre territoire avant la promulgation de cette
loi ?
M. Bernard Roman. Très bonne
question !
M. Serge Blisko. On se retrouvera avec
des personnes compétentes et talentueuses avec des statuts
différents suivant leur date d'entrée sur notre territoire.
Voilà qui est pernicieux et inégalitaire.
Cet utilitarisme sans principes est une idéologie
dangereuse qui ne répond en rien à la problématique
mondiale de l'immigration.
On joue sur des peurs, des fantasmes. Délinquant,
criminel, bénéficiaire frauduleux des prestations sociales :
telle est l'image de l'immigré que vous véhiculez. En
particulier, vous ne faites toujours pas de distinction entre demandeur d'asile
et immigré. Faut-il vous rappeler que le droit d'asile est reconnu par
la Constitution et la convention de Genève du 28 juillet 1951 et
qu'en aucun cas ce droit imprescriptible ne doit être soumis à des
aléas de crédits, de coûts ou amendé dans une
perspective sécuritaire et répressive, ce qui n'empêche
pas, comme le disait M. Mariani, de traiter plus rapidement et avec plus
d'humanité les demandeurs d'asile pour qu'ils soient fixés sur
leur sort dans des conditions convenables ?
Arrêtons aussi de penser que nous sommes menacés
par une invasion de demandeurs d'asile puisque leur nombre ne cesse de diminuer
dans notre pays. Les statistiques montrent qu'ils étaient 60 000
l'année dernière. Il faut savoir que des pays bien plus pauvres
et bien plus en difficulté que le nôtre accueillent la
majorité des 17 millions de réfugiés et demandeurs
d'asile du monde. 60 % des 17 millions de réfugiés
relevant du HCR ont trouvé asile en Afrique ou en Asie. Avec un ratio de
0,8 demandeur d'asile pour mille habitants, la France se place au
dixième rang européen des pays d'accueil. Où est
l'invasion, où est la menace ? Rien de tout cela : pas
d'afflux massif de demandeurs d'asile, pas de fraudeurs, simplement des gens
qui fuient une situation difficile, des réfugiés politiques, et
dont les dossiers sont examinés en toute sévérité
par l'OFPRA et la commission des recours des réfugiés.
M. Thierry Mariani, rapporteur. Et en
toute honnêteté !
M. Serge Blisko. Effectivement, lorsqu'ils
accordent des moyens suffisants à chaque dossier. Mais ne mettez pas la
pression sur l'OFPRA pour qu'il fasse du chiffre !
Cessez de stigmatiser et de renforcer le mythe des
étrangers profiteurs d'une France trop généreuse, d'abord
parce que sa générosité mériterait d'être
reconsidérée, ensuite parce qu'un tel discours ne peut provoquer
que haine et incompréhension. Je le répète, monsieur le
rapporteur, ce texte ne marque pas un équilibre entre les utopistes, les
angéliques, ceux qui laisseraient entrer tout le monde et
l'extrême droite, mais se rapproche terriblement des
incompréhensions et des ferments de haine que lance l'extrême
droite.
J'en viens maintenant à la politique
d'intégration telle que vous la définissez. Vous insistez,
à juste titre, sur la nécessaire intégration, sur la
meilleure intégration possible des étrangers en France, mais je
crains que cette disposition ne cache un autre dessein.
Avant tout, je rappelle que le contrat d'accueil et
d'intégration souffre de nombreuses lacunes, notamment le nombre
insuffisant de plates-formes et leur manque de moyens. En commission, vous avez
indiqué, monsieur le rapporteur, que chaque département ou
presque disposait d'une plate-forme d'accueil et d'intégration. Je n'en
suis pas sûr.
M. Thierry Mariani, rapporteur. Chaque
région !
M. Serge Blisko. En Lorraine, par exemple, il
n'y a que deux plates-formes, à Metz et à Épinal, puisque
Nancy n'en a pas. En tout cas, comme vous nous l'avez dit en commission des
lois, il est très difficile de demander à quelqu'un qui travaille
toute la journée de faire cinquante ou soixante kilomètres le
soir pour venir apprendre le français. Beaucoup abandonnent, non par
mauvaise volonté, mais tout simplement par manque de moyens.
Nous ne croirons à ce que vous appelez une politique
volontariste d'intégration que le jour où vous y consacrerez plus
de moyens, lorsque ce ne sera plus quelque chose que vous agiterez de temps en
temps.
Vous fermez la porte à des voies naturelles
d'intégration, en remettant en cause la carte de résident de dix
ans et, plus encore, en supprimant la régularisation après dix
ans passés sur le territoire français. L'argument que vous
invoquez pour la supprimer me paraît parfaitement démagogique.
Vous prétendez que ce n'est pas parce qu'on a été
irréguliers pendant dix ans qu'on devrait être pardonnés la
onzième année et qu'on aurait tout à coup des droits. La
situation est complexe, elle évolue. Il ne s'agit pas d'un crime. Dix
ans, c'est tout de même quelque chose dans un processus
d'intégration. Après tout ce temps, allez-vous dire à
quelqu'un qui est restée en France, a fondé une famille et
commencé à travailler qu'il n'aura jamais de papiers vu
qu'il est entré sur notre territoire de manière
irrégulière ? Vous les condamnez à
perpétuité, à la clandestinité, à
l'irrégularité, à des comportements frauduleux et
déviants, et avec eux leur descendance.
M. Bernard Roman. Tout à fait !
M. Serge Blisko. Comme l'a excellemment
démontré tout à l'heure M. Roman, vous les vouez
à une situation que le père spirituel de M. Sarkozy a mise
en place depuis maintenant une vingtaine d'années, je veux parler des
« ni-ni » de M. Pasqua : ni expulsables, ni
régularisables, c'est-à-dire une masse de femmes, d'enfants, de
jeunes et d'adultes. Dès lors, on aboutit à des problèmes
qui nous poursuivront encore pendant des dizaines d'années parce qu'ils
ne partiront pas puisqu'ils sont intégrés de facto à la
France.
M. Christian Vanneste. Selon vous, parce
qu'ils ont enfreint la loi pendant dix ans, ils sont
intégrés ?
M. Serge Blisko. De la même
manière, vous condamnez les personnes qui n'ont pas les bons papiers au
bon moment - je n'aime pas le terme de sans-papiers -
M. Jérôme Rivière. C'est de la dialectique !
M. Serge Blisko. ...à la
précarité, au travail clandestin, à un logement indigne,
aux marchands de sommeil, à une existence de fantômes dans nos
villes.
M. Christian Vanneste. À quoi sert-il
de faire une loi ?
M. Bernard Roman. Monsieur Vanneste, avez-vous
déjà vu les files d'attente dans les préfectures ? On
n'a pas les moyens de les recevoir !
M. Jean-Pierre Brard. Souvenez-vous de vos
grands-parents, mesdames, messieurs du groupe UMP !
Mme Arlette Franco.
Justement !
M. Jean-Pierre Brard. Vous les
reniez !
M. Serge Blisko. M. Sarkozy parlait cet
après-midi avec beaucoup d'émotion des incendies
d'août 2005. Mais on est toujours dans la même situation.
Récemment, dans le 13e arrondissement dont je suis maire, la
préfecture de police a procédé à l'expulsion d'un
immeuble qu'elle avait longtemps refusé de reconnaître comme
insalubre. Croyez-vous qu'il y avait une solution de relogement ?
Savez-vous où ils sont ? Ils campent dans le jardin d'à
côté. Rien n'a été prévu !
Annexe n°7
Extrait d'une intervention de Jérôme
Rivière (UMP)
Mme la présidente. Dans la suite
de la discussion générale, la parole est à
M. Jérôme Rivière.
M. Thierry Mariani, rapporteur. Enfin un
orateur modéré ! (Sourires sur plusieurs bancs du groupe de
l'Union pour un mouvement populaire.)
M. Jérôme Rivière.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
hors de tout contexte politique, le texte qui nous est proposé pourrait
laisser croire que notre pays vit des moments paisibles, dans un contexte
économique de forte croissance, et que, tranquillement, nous allons
discuter pour décider des flux migratoires dont le pays aurait besoin.
Hélas ! Comme l'a rappelé Nicolas Sarkozy hier
après-midi, la France est en crise.
M. Patrick Braouezec. Et la crise du
Gouvernement ?
M. Jérôme Rivière. Une
crise d'identité grave et longue : trente années de
repentance et de masochisme soixante-huitard ont étouffé toute
fierté, toute conviction sereine d'être nous-mêmes.
M. Jean-Pierre Brard. Selon vous, monsieur
Rivière, il n'y aurait pas de crise sociale ?
M. Jérôme Rivière. Et
pourtant, à l'heure de la mondialisation, les cultures, les racines, les
appartenances sereines et fortes sont les meilleurs remparts contre le racisme.
Un pays qui n'est pas sûr de son identité ne peut pas s'ouvrir aux
autres sans peur.
M. Christian Vanneste. Très
juste ! C'est Claude Lévi-Strauss qui le dit !
M. Jérôme Rivière. Mais
j'ajouterai, monsieur le ministre, que quelle que soit la force morale d'un
pays, il existe un seuil d'immigration à partir duquel un pays se
regarde dans le miroir sans se reconnaître.
M. Jean-Pierre Brard. Si c'est vous qu'il y
voit, il est évident qu'il ne se reconnaîtra pas !
M. Jérôme Rivière. Ce
seuil est aujourd'hui largement atteint en France.
Les Français, jamais consultés sur cette
immigration de peuplement - car c'est bien ainsi qu'il faut l'appeler -,
subissent ces changements avec surprise et sans y adhérer aucunement.
Leur colère ne manquera pas d'éclater un jour ou l'autre.
La France est, depuis plus de mille ans, un pays
d'héritage judéo-chrétien. (Murmures sur les bancs du
groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et
républicains.) Or, chaque année, les dizaines de milliers de
demandeurs d'asile, qui pour la plupart s'évaporent dans la nature, et
les 130 000 arrivées régulières, fondées pour
l'essentiel sur le regroupement familial ou sur un lien de famille avec des
Français - les étrangers naturalisés qui vont chercher
leur épouse dans leur pays d'origine -, sans parler des clandestins
toujours plus nombreux, sont pour l'immense majorité d'entre eux
d'origine musulmane et viennent modifier profondément la nature de notre
société. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du
groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Entendre cela
à l'Assemblée nationale ! C'est une honte !
M. Gérard Charasse.
Incroyable !
M. Bernard Roman. La République est
laïque !
M. Jérôme Rivière. Pour
parler d'intégration, il faudra bien un jour évoquer sereinement
cet état de fait. Mais les effets directs de l'islam sur la
société restent inexplicablement tabous. Au rebours des
endormeurs médiatiques et des donneurs de leçons, toujours
nombreux sur les bans de la gauche,...
M. Jean-Pierre Brard. En l'occurrence, c'est
vous qui prétendez donner des leçons !
M. Jérôme Rivière. ...je
suis persuadé que cette situation préoccupe gravement nos
concitoyens.
M. Jean-Pierre Brard. C'est du Barrès,
moins la culture !
M. Jérôme Rivière. Leurs
craintes concernent la place de l'islam à l'école, dans les
administrations, mais aussi sa conquête de la rue et de la vie de tous
les jours. La plupart des décideurs y font référence
à la marge, sans aucune mise en perspective. Depuis trop longtemps, les
responsables politiques agissent comme si la vague migratoire
extra-européenne ne remettait pas brutalement en question le destin
même et l'identité pluriséculaire de notre pays.
M. Patrick Braouezec.
« L'identité pluriséculaire », rien que
ça !
M. Jérôme Rivière. Aussi,
monsieur le ministre, face à cette crise, nous devons aller plus
loin.
Je comprends vos intentions lorsque vous parlez d'immigration
« choisie », mais cette notion s'apparente, à mes
yeux, à une sorte de tri sélectif par lequel nous priverions les
pays d'origine de leurs élites, les maintenant dans une situation
où l'émigration est une absolue nécessité. De plus,
la question des étrangers que nous n'aurons pas choisis mais qui
continueront de choisir la France restera pendante.
Pour favoriser l'intégration, vous évoquez la
discrimination positive, qui permettra d'exiger la représentation des
minorités dans l'entreprise ou les médias, alors même qu'il
reste interdit en France de demander, à l'occasion des recensements,
l'origine ethnique ou la religion des personnes interrogées.
M. Jean-Pierre Brard. Il ne manquerait plus
que ça !
M. Jérôme Rivière. La
polygamie est interdite en France, mais largement pratiquée, et
payée par nos impôts.
M. Jean-Pierre Brard. Le Pen n'a pas besoin de
siéger ici : il est représenté par ses
adeptes !
M. Christian Vanneste. Staline l'est bien,
lui !
M. Jérôme Rivière. Nos
concitoyens savent tout cela et il nous faut, comme le disait hier Claude
Goasguen, en finir avec toutes les hypocrisies.
Aussi proposerai-je des amendements pour que le Parlement
français marque une réserve d'interprétation sur
l'article 8 de la CEDH, amendements qui sont dans l'esprit du texte qui
avait été présenté au Conseil d'État. Cet
article 8 constitue en effet un véritable tunnel pour l'immigration
en permettant de s'affranchir des contraintes de notre législation.
Deux blocs coexistent au sein du Conseil de l'Europe. Il y a
celui des pays de l'ouest de l'Union Européenne, dont les
systèmes économiques et sociaux exercent sur les ressortissants
des pays les moins favorisés un effet d'attraction immense, justifiant
à lui seul un projet migratoire. Et puis il y a un deuxième bloc,
constitué des pays dont les populations voient dans l'émigration
un objectif prioritaire.
Les membres du Conseil signataires de la CEDH ne peuvent donc
pas avoir de vision commune sur les problèmes migratoires. Et je souffre
de recevoir, à la Cour de Strasbourg, des leçons en
matière de respect des droits de l'homme de la part de juges issus des
systèmes ukrainien, azéri, turc ou géorgien, pour ne citer
que quelques pays signataires.
Plusieurs députés du groupe socialiste et du
groupe des député-e-s communistes et républicains. C'est
scandaleux !
M. Bernard Roman. À quand
l'étoile jaune ?
M. Jean-Pierre Brard. C'est du
Gobineau !
M. Jérôme Rivière. Enfin,
il est indispensable de modifier les règles pour l'accès aux
soins gratuits. Le critère de risque vital doit donc formellement
devenir un critère auquel s'ajoute l'immédiateté. La
France, dont le système de santé occupe la première place
du classement mondial de l'OMS et garantit la gratuité de l'ensemble des
soins médicaux aussi bien aux étrangers admis au séjour
pour soins qu'à ceux qui sont en situation irrégulière,
exerce sur les ressortissants des pays moins favorisés un effet
d'attraction immense, justifiant à lui seul un projet migratoire. Cela
doit être encadré avec la plus grande rigueur.
M. Jean-Pierre Brard. Malheureusement,
certaines maladies sont incurables...
Mme la présidente. Votre temps de
parole est écoulé, monsieur Rivière.
M. Jérôme Rivière. Notre
société change, et c'est bien ainsi. Qu'elle s'enrichisse des
apports de ceux qui souhaitent vivre chez nous et que nous acceptons librement.
Mais il ne faut pas oublier que vivre avec nous, c'est aussi vivre comme nous.
Le premier devoir des immigrés est de respecter la culture du pays qui
les accueille. Ce n'est pas négociable.
Mme la présidente. Veuillez
terminer, monsieur Rivière.
M. Jérôme Rivière. Je
conclus, madame la présidente.
Les Français ne nous écoutent plus : ils
l'ont montré en 2002, en 2004 et en 2005.
Plusieurs députés du groupe des
député-e-s communistes et républicains. Ça, c'est
incontestable !
M. Jérôme Rivière.
Continuons à nous excuser d'être nous-mêmes, marquons une
hésitation à l'occasion de nos débats, et ils nous le
montreront à nouveau. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de
l'Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Pierre Brard. Jérôme
Gobineau !
Mme la présidente. La discussion
générale est close.
Annexe n°8
Extrait du message d'ouverture du Président de
l'Assemblée générale de la Fédération
protestante de France (12 mars 2006)
Pasteur Jean-Arnold de Clermont
« Ce sont les
mêmes remarques que me suggère le rapport de la
« commission mondiale sur les migrations internationales »
rendu public en octobre 2005 par les Nations unies. Son grand mérite est
de proposer un regard global sur les 200 millions de migrants, soit environ 3%
de la population mondiale, et d'y voir un facteur clé pour la
prospérité y compris des pays industrialisés, et comme un
facteur de développement et de stabilité pour les pays de
migrations. Le rapport aborde avec lucidité la difficile question des
migrations irrégulières ; sans nier le droit des Etats à
déterminer qui peut entrer et demeurer sur leur territoire, il souligne
leur responsabilité et leur obligation à protéger le droit
des migrants. Il les engage à coopérer activement entre eux afin
que leurs efforts ne mettent pas en danger les droits humains, notamment le
droit des réfugiés à demander l'asile. Je vous invite
à la lecture et à l'étude de ce rapport. A plus forte
raison quand un nouveau projet de loi propose sous un titre trompeur,
l'immigration choisie, c'est-à-dire choisie non par les migrants mais
par notre pays en fonction de ses seuls besoins en main d'oeuvre
qualifiée ou non. Je cite ce commentaire de la Nouvelle
République (quotidien algérien d'information) : «Quand
Nicolas Sarkozy soutient que « la France ne peut pas rester à
l'écart des flux mondiaux de l'intelligence et des
compétences» on se demande quand même s'il parle bien
d'êtres humains ou de marchandises utiles au bon fonctionnement de
l'entreprise France... En clair, ce ne sont plus les problèmes
d'intégration qui dictent en priorité la politique migratoire,
mais la compétition internationale, l'avenir des sociétés
françaises. Pour ce qui est d'accueillir «la misère du
monde» ne serait-ce que la partie que lui imposent ses idéaux
fondateurs et sa prospérité relative, la France, «Terre
d'asile» et «pays des droits de l'homme», se déclare aux
abonnés absents. Des pays du tiers-monde, elle prendra seulement les
«talents et compétences», s'appliquant à refouler les
sans-grade, à l'instar notamment des Etats-Unis, du Canada ou de la
Suisse. En creux, derrière l'opposition entre immigration
«choisie» et «immigration subie», les immigrés
d'hier et d'aujourd'hui comprendront aussi qu'ils sont et ont été
«inutiles», un fardeau pour le pays d'accueil. » . Le jugement
est peut être sommaire, mais la Cimade le dit pareillement : « Ce
projet évacue l'être humain pour ne voir que la main d'oeuvre
». Il nous faudra apporter un autre regard sur ce sujet qui, n'en doutons
pas, prendra dans les semaines et les mois à venir une place importante
dans les débats publics.
En partant de ces deux rapports incontestables dans leur
indépendance à l'égard des positions politiques dans notre
pays, j'essaie de vous dire combien nous avons à jouer un rôle lui
aussi indépendant des affrontements politiques parce qu'il placera au
coeur du débat les personnes concernées, la volonté de
chercher des solutions raisonnables et concertées, le refus de nous
laisser guider par nos peurs. Nos Eglises et Associations ont ainsi à
rendre le témoignage d'une participation à la vie publique,
où elles ont à faire entendre leur
spécificité ».
Annexe n°9
Annexe n°10
Annexe n°11
La Cgt dénonce la nouvelle réforme du
code entrée séjour des étrangers, décidée
par le gouvernement (11 février 2006)
Ce jeudi 9 février, le ministre de l'Intérieur a
présenté, dans le cadre d'un comité
interministériel, un avant-projet de réforme du CESEDA (code de
l'entrée et du séjour des étrangers et du droit
d'asile)
Ce projet de loi, s'il est accepté, est un recul
historique en matière de droit des étrangers et repose sur la
notion « d'immigration choisie ». Le projet affiche
clairement la perspective utilitariste que le gouvernement et le patronat
entendent faire de l'immigration : le bon immigré sera
l'immigré utile, rentable pour l'économie française.
L'un des aspects les plus inacceptables de ce projet est
l'abrogation de la disposition qui permettait la délivrance d'une carte
de séjour temporaire à l'étranger présent en France
de façon habituelle depuis plus de dix ans, exigeant de plus, pour toute
régularisation, que le demandeur soit en possession d'un visa
d'entrée d'au moins trois mois, ce qui n'est le cas de quasiment aucun
étranger. Ainsi, des dizaines de milliers de sans-papiers se verront
condamnés à l'irrégularité perpétuelle.
Toutes les règles élémentaires touchant
aux droits fondamentaux des hommes et des femmes sont remises en cause :
durcissement des conditions permettant de faire venir sa famille quand on est
en règle (regroupement familial), multiplication des conditions
exigées pour épouser un(e) Français(e) ou avoir un enfant.
Tout mariage sera suspect, tout bébé sera suspect ... tout
hébergeant sera suspect, et fiché, comme tout étranger,
demandeur simplement d'un visa de tourisme.
Dans le même temps, le gouvernement affiche sans
complexe sa volonté d'aller piller les « capacités et
talents » dans le monde, permettant ainsi le « rayonnement
de la France » : ces étrangers-là se verront de
suite attribuer un titre de séjour de trois ans renouvelable et pourront
faire venir leur famille au bout de six mois. En allant faire son marché
dans les pays les plus pauvres, la France contribuera à les appauvrir et
les asservir encore davantage.
Ne nous trompons pas : ces étrangers non
régularisables resteront pour la plupart en France, parce que les
expulser tous n'est la volonté ni du gouvernement, ni du patronat. En
effet, ce dernier disposera d'une main-d'oeuvre exploitable sans aucun
contrôle, sans aucune limite, sans aucune possibilité de se
défendre.
Ceci permettra au patronat d'accroître la mise en
concurrence de tous les salariés, favorisant les divisions, pour son
plus grand profit. De fait, l'ensemble des salariés verront leurs
conditions de travail et de rémunérations
« tirées vers le bas ».
La Cgt dénonce ce projet de loi et revendique
l'égalité des droits pour tous, hommes et femmes, Français
et Etrangers, qu'ils soient communautaires ou ressortissants d'états
tiers.
Annexe n°12
Représentations iconographiques
Caricature de Plantu publiée dans Le Monde Dessin de
la fédération anarchiste
Caricature de Schwartz Caricature de Placide
Caricature de Melovah Caricature de Cabu pour
Charlie Hebdo
Une de Marianne Affiche contre l'immigration
jetable
* 1 Dictionnaire
encyclopédique Hachette 1994.
* 2 Dictionnaire
encyclopédique Le Robert 2007.
* 3 NOIRIEL, Gérard,
Atlas de l'immigration en France : exclusion,
intégration..., 2002.
* 4 CÉSAR, Christine,
« Familles antillaises de milieu populaire, un rapport
spécifique à l'école de la
métropole ? », dans Cossée, Claire, et al.,
Faire figure d'étranger, Regards croisés sur la production de
l'altérité, 2004, page 59.
* 5 GROUX Dominique, PORCHER
Louis, L'altérité, 2003, page 107.
* 6 BONNAFOUS, Simone,
L'immigration prise aux mots, Préface de Gérard Noiriel,
1991, p 19.
* 7 CORDEIRO, Albano,
« Les immigrés de sont pas tous des
étrangers », Hommes et migrations, mai 1992.
* 8 INSEE, Les
immigrés en France, édition 2005, 2005.
* 9 COLLECTIF,
L'Etranger, colloque « Les rendez-vous de
l'Histoire », 2003.
* 10 NOIRIEL Gérard,
Atlas de l'immigration en France : exclusion,
intégration..., 2002, p 6.
* 11 WEIL, Patrick, La
République et sa diversité : immigration,
intégration, discrimination, 2005.
* 12 DEWITTE, Philippe,
Deux siècles d'immigration en France, 2003.
* 13 BONNAFOUS, Simone,
L'immigration prise aux mots, Préface de Gérard Noiriel,
1991.
* 14 Déclaration de
Nicolas Sarkozy le 5 février 2006.
* 15 LABBE, Dominique,
Normes de saisie et de dépouillement des textes politiques,
Cahiers du CERAT, Avril 1990.
* 16 Un calcul de
probabilité permet de mesurer si des termes sont ou ne sont pas
caractéristiques d'un discours.
* 17 Groupes de formes
composés de 2 à 5 occurrences présents fréquemment
dans le texte.
* 18 GROUPE SAINT CLOUD,
La parole syndicale, Étude du vocabulaire confédéral
des centrales ouvrières françaises, 1982 ; et PROST,
Antoine, Vocabulaire des proclamations électorales de 1881, 1885 et
1889, 1974.
* 19 MARCELLESI
Jean-Baptiste, Le Congrès de Tours : (décembre 1920),
étude sociolinguistique, 1971.
* 20 Le détail du corpus
est disponible en annexe n°1.
* 21 Dans la mesure
où nous nommerons les ministres et députés par leur nom
tout au long de notre travail, un document placé en annexe n°2
apporte quelques éléments d'informations utiles pour permettre
une meilleure approche de leurs interventions.
* 22 HABERMAS, Jürgen,
L'espace public : archéologie de la publicité comme
dimension constitutive de la société bourgeoise, 1993
(1962).
* 23 CHAMPAGNE, Patrick,
Faire l'opinion : le nouveau jeu du politique, 1990.
* 24 HÉRAN,
François, Le temps des immigrés : essai sur le destin de
la population française, 2007.
* 25 VERON, Eliseo,
Construire l'événement : les médias et l'accident de
Three Mile Island, 1981.
VERON, Eliseo, « Le Hibou »,
Communication, n°28, 1978.
* 26 LAMIZET, Bernard,
Sémiotique de l'évènement, 2006, p 187.
* 27 Ibid, p.57.
* 28 Voir la frise
chronologique en annexe n°3.
* 29 ALAUX, Jean-Pierre,
TERRAY, Emmanuel, et al., Égalité sans
frontière : Les immigrés ne sont pas une marchandise,
2001.
* 30 Slogan de l'Union
nationale des étudiants de France lors du mouvement contre le CPE.
* 31 Voir des extraits de
communiqués en annexe n°9 et n°10.
* 32 Titre du communiqué
de Force Ouvrière du 13 avril 2006.
* 33 Communiqué de la
CGT du 11 février 2006.
* 34 BERTRAND, Denis, et
al., Parler pour gagner. Sémiotique des discours de la campagne
présidentielle de 2007, 2007.
* 35 BAROU, Jacques et LE,
Huu Khoa (dir.), L'immigration entre loi et vie quotidienne, 1993.
BRUSCHI, Christian, « L'immigré saisi par
le droit », L'interculturel en question, n°49-50, 1986,
p 43-54.
* 36 On constate une
production littéraire importante au moment de ce débat :
LANG, Jack et LE BRAS, Hervé, Immigration positive, 2006 ;
AUBRY, Martine (dir.), Immigration, comprendre, construire !,
2006.
* 37 COROLLER, Catherine,
Un PS bien discret sur le projet de loi Sarkozy, dans
Libération, le 1er avril 2006.
* 38 LACAN, Jacques,
Écrits, 1966.
* 39 LACAN, Jacques,
« Le stade du miroir comme formateur de la fonction Je »,
Écrits, 1966, p 93-100.
* 40 SABATIER, Colette
(dir.), et al., Identités, acculturation et
altérité, 2002, p 40.
* 41 FELINE, André,
« Les quatre composantes de l'identité »,
Conférence prononcée le 27 octobre 1990 à
l'Hôpital Bicêtre.
* 42 TAJFEL et TURNER,
« Social identity and intergroup behaviour », Social
Science Information, n°13, 1974.
* 43 LACASAGNE,
Marie-Françoise, et al., « Les biais de catégorisation
dans la représentation des maghrébins en France », in
SABATIER, Colette (dir.) et al., Identités, acculturation et
altérité, 2002, p 151-161.
* 44 JARYMOWICZ, Maria,
« Soi social, différentiation soi/nous/autres et coexistence
interculturelle », SABATIER Colette (dir.) et al.,
Identités, acculturation et altérité, 2002, p
33-40.
* 45 BARTH, Fredrik, «
Ethnic groups and boundaries », cité par Laplantine,
François, Je, nous et les autres : être humain
au-delà des appartenances, 1999.
* 46 LAPLANTINE,
François, Je, nous et les autres : être humain
au-delà des appartenances, 1999, p 41.
* 47 CHARAUDEAU Patrick,
Le discours politique : les masques du pouvoir, 2005.
* 48 CABASINO, Francesca,
Formes et enjeux du débat public, discours parlementaire et
immigration, 2001.
* 49 BASTENIER, Robert et
DASSETTO, Felice, Immigration et espace public : la controverse de
l'intégration, 1993.
* 50 LE MOIGNE, Guy et
LEBON, André, L'immigration en France, 4ème
édition, 1999, p 81.
* 51 MUCCHIELLI, Laurent,
« Immigration et délinquance : fantasmes et
réalités », dans Guénif-Souilamas, Nacira
(dir.), La République mise à nu par son immigration,
2006, p 49.
* 52 FREUD, Sigmund,
cité par ROUDINESCO, Elisabeth et PLON, Michel, Dictionnaire de la
psychanalyse, 1997, p 884.
* 53
GUÉNIF-SOUILAMAS, Nacira , « La république
aristocratique et la nouvelle société de Cour », dans
GUÉNIF-SOUILAMAS, Nacira (dir.), La République mise
à nu par son immigration, 2006, p 9-26.
* 54 BANCEL, Nicolas et
BLANCHARD, Pascal, De l'indigène à l'immigré,
1998.
* 55 BANCEL, Nicolas et
BLANCHARD, Pascal, Culture post-coloniale 1961-2006, Traces et
mémoires coloniales en France, 2006.
* 56 COTTIAS, Myriam,
« Et si l'esclavage colonial faisait Histoire
nationale ? », Association lacanienne internationale, 2005.
* 57 GASTAUT, Yvan,
L'immigration et l'opinion en France sous la Ve
République, 2000, chapitre 1, p 17-35.
* 58 BONNAFOUS, Simone,
L'immigration prise aux mots, 1991.
* 59 BATTEGAY, Alain,
BOUBEKER, Ahmed, Les images publiques de l'immigration, Média,
actualité, immigration dans la France des années 1980, 1993,
p 9.
* 60 GASTAUT, Yvan,
L'immigration et l'opinion en France sous la Ve
République, 2000, section
1 : « Evènements fondateurs des
mentalités », p 16-66.
* 61 BONNAFOUS, Simone,
« Mots et paroles de l'immigration », Revue
française des affaires sociales, décembre 1992, p 5-15.
* 62 AMOSSY, Ruth,
HERSCHBERG PIERROT, Anne, Stéréotypes et clichés,
langue, discours, société, 1997.
* 63 Ibid, cité p 50.
* 64 Idid, cité p 40.
* 65 ROUQUETTE,
Michel-Louis, La chasse à l'immigré : Violence,
mémoire et représentations, Pierre Mardaga
éditeur, 1997, p 133.
* 66 Ibid, p 130.
* 67 DEROO, Eric, et
LEMAIRE, Sandrine, L'illusion coloniale, 2006.
* 68 Voir annexe n°12.
* 69 BARTHES, Roland, La
chambre claire : note sur la photographie, 1980.
* 70 JOLY, Martine,
L'image et les signes : approche sémiologique de l'image
fixe, 1994.
* 71 MEMMI, Albert,
Portrait du décolonisé : Arabo-musulman et de quelques
autres, 2007.
* 72 BATTEGAY, Alain, et
BOUBEKER, Ahmed, Les images publiques de l'immigration, Média,
actualité, immigration dans la France des années 1980,
1993.
* 73 DELTOMBE, Thomas,
L'Islam imaginaire, la construction médiatique de l'islamophobie en
France, 1975-2005, 2005.
* 74 FASSIN, Didier, et
FASSIN, Éric (dir.), De la question sociale à la question
raciale ? Représenter la société
française, 2006, p 91.
* 75 WEIL, Patrick, La
République et sa diversité : immigration,
intégration, discrimination, 2005, p 48.
* 76 SCHNAPPER, Dominique,
La France de l'intégration : sociologie de la nation en 1990,
1991.
* 77 SAYAD, Abdelmalek,
La double absence, Des illusions de l'immigré aux souffrances de
l'immigré, 1999.
* 78 BASTENIER, Robert, et
DASSETTO, Felice, Immigration et espace public : la controverse de
l'intégration, 1993.
* 79 RICOEUR, Paul,
Soi-même comme un autre, 1990.
* 80 HAJJAT, Abdellali,
Immigration post-coloniale et mémoire, 2005.
* 81 MEMMI, Albert, Le
racisme, 1999 (1994).
* 82 BALIBAR, Étienne
et WALLERSTEIN, Immanuel, Race, nation, classe. Les identités
ambiguës, 1997.
* 83 TÉVANIAN, Pierre
et BOUAMAMA Saïd dans COLLECTIF, Culture post-coloniale 1961-2006,
Traces et mémoires coloniales en France, 2006.
* 84 SAYAD, Abdelmalek,
L'immigration ou les paradoxes de l'altérité, 1991.
* 85 LECOEUR, Erwan, Un
néo-populisme à la française, Trente ans de Front
national, 2003.
* 86 COLLECTIF, Culture
post-coloniale 1961-2006, Traces et mémoires coloniales en France,
2006.
* 87 HUNTINGTON, Samuel, Le
choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 2007.
* 88 NOIRIEL, Gérard,
État, nation et immigration, 2001, p 119.
* 89 LIPIANSKY, Edmond Marc,
L'identité française : représentations, mythes,
idéologies, 1991.
* 90 SAYAD, Abdelmalek,
La double absence, Des illusions de l'immigré aux souffrances de
l'immigré, 1999, p. 396.
* 91 ANDERSON, Benedict,
L'imaginaire national : réflexions sur l'origine de l'essor du
nationalisme, 1996.
* 92 Première apparition
du terme « nationalité » dans le dictionnaire de
Pierre Boiste en 1823.
* 93 NOIRIEL, Gérard,
État, nation et immigration, 2001.
* 94 GUILLAUMIN, Colette,
L'idéologie raciste, 2002.
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